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Projet de loi sur les nouvelles en ligne

Troisième lecture

15 juin 2023


Son Honneur la Présidente [ - ]

Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi modifié pour la troisième fois?

L’honorable Peter Harder [ - ]

Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-5b) du Règlement, je propose que le projet de loi modifié soit lu pour la troisième fois maintenant.

Son Honneur la Présidente [ - ]

Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Le sénateur Harder [ - ]

Merci, madame la Présidente, et merci, chers collègues, de nous laisser commencer ce débat maintenant.

Je prends la parole aujourd’hui sur le territoire ancestral et non cédé du peuple algonquin anishinabe dans le cadre du débat à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-18, la loi sur les nouvelles en ligne. Ce projet de loi oblige les grandes plateformes numériques comme Meta et Google à dédommager les médias d’information canadiens pour la publication de nouvelles en ligne sur leurs plateformes. C’est un projet de loi que nous devons adopter de toute urgence pour le bien de l’industrie et peut-être surtout pour le bien de notre discours public et de notre engagement à l’égard du débat démocratique.

Comme les sénateurs connaissent sans doute bien le projet de loi, je ne vais pas entrer dans les détails. Essentiellement, la loi sur les nouvelles en ligne va encourager les plateformes numériques à conclure des accords commerciaux volontaires entre elles et les médias d’information dont elles publient le contenu sur leurs sites. Celles qui ne concluent pas d’accord seront soumises à un arbitrage sur l’offre finale.

Le problème réside dans le fait que les plateformes numériques tirent des avantages économiques sous la forme de revenus publicitaires provenant de contenu qu’elles ne produisent pas. Dans certains cas, elles paient certains médias pour du contenu, mais dans la majorité des cas, elles ne paient rien.

Le projet de loi C-18 ferait en sorte que ces plateformes ne puissent plus choisir quels médias elles indemnisent. Dans sa forme la plus élémentaire, il s’agit d’un projet de loi qui vise à uniformiser les règles du jeu entre ceux qui ont des accords et ceux qui n’en ont pas.

Bon nombre de ceux qui n’ont pas de tels accords sont des médias d’information de petite et moyenne tailles qui mènent leurs activités avec des budgets infimes, ayant déjà sabré dans les emplois et les salaires. Depuis 2008, le Canada a perdu plus de 460 médias d’information. Il y a à peine cinq mois, Postmedia, qui chapeaute plus de 100 petits et grands journaux à l’échelle du pays, a annoncé des compressions de 11 % dans son personnel.

De nombreux médias d’information que ce projet de loi aidera font déjà des efforts héroïques pour servir la population. J’ai en tête l’exemple concret des médias d’information dans les langues minoritaires de notre pays qui ont aidé la population canadienne en informant les divers groupes des diverses diasporas sur la façon de se protéger contre le coronavirus. Les néo-Canadiens, dont beaucoup ne parlent ni anglais ni français, n’avaient — littéralement — nulle part où aller pour s’informer sur la manière de survivre. Ces médias d’information ont joué un rôle crucial, parfois en fonctionnant à perte. Il est pertinent de se demander s’ils seront toujours là lorsque la prochaine urgence de santé publique surviendra.

D’autres, comme des médias d’information dépourvus de ressources dans les régions rurales et nordiques, continuent de publier au sujet des activités de leur communauté respective, assurant ainsi un lien entre les régions les plus éloignées de notre pays et les grands centres urbains. Ces médias d’information jouent un rôle essentiel dans la période actuelle où le Canada et le reste du monde vivent des tensions polarisantes qui nuisent à notre capacité collective de communiquer les uns avec les autres.

D’autres publications des communautés racisées, des communautés autochtones, et des minorités de langue officielle font un travail remarquable pour informer leur lectorat souvent mal desservi. Cette initiative aidera les intervenants que je viens de mentionner, s’ils souhaitent participer.

Je m’empresse cependant de dire que personne ne devrait considérer le projet de loi C-18 comme une panacée. Ce n’est qu’un programme qui vient s’ajouter à d’autres déjà en place afin d’aider l’industrie de l’information, qui connaît des difficultés, à survivre et, idéalement, à prospérer dans un environnement numérique qui évolue constamment.

Je suis d’avis que l’avenir du journalisme sera façonné non seulement par les médias traditionnels qui ont survécu, mais aussi par les nombreux petits médias qui ont commencé à faire leur apparition et qui ont su s’adapter.

Un certain nombre d’entre eux ont témoigné devant notre comité. L’une de ces publications, The Logic, est une publication exclusivement numérique qui couvre l’économie de l’innovation en offrant des articles de fond sur les organisations, les politiques et les personnes qui changent les choses de façon révolutionnaire. Comme les sénateurs le savent, c’est un dossier qui me tient très à cœur.

Malgré le dévouement de The Logic à ce sujet d’avant-garde, elle se trouve dans une position concurrentielle désavantageuse, contrainte de rivaliser avec des organes de presse plus importants qui ont déjà conclu des accords avec les grandes plateformes numériques. Le directeur général de la publication, David Skok, a d’ailleurs déploré le fait qu’il doive compter sur des accords avec des entreprises privées telles que Google pour financer le journalisme de sa publication. The Logic se sent obligée de soutenir cette loi parce que les grandes entreprises technologiques choisissent les médias qu’elles veulent soutenir par voie d’accords volontaires et s’abstiennent d’en soutenir d’autres. Cela crée des conditions de concurrence inégales.

Si nous voulons encourager le développement de publications telles que The Logic — qui, selon moi, représentent l’avenir —, nous ne pouvons pas permettre aux grandes plateformes de ne signer des accords qu’avec les gros joueurs. Cela crée une injustice concurrentielle, et, plus inquiétant encore, cela permet aux grandes entreprises technologiques de choisir les gagnants et les perdants — exactement ce que l’on reproche au gouvernement lorsqu’il lance des initiatives telles que ce projet de loi.

Je pense qu’il est de loin préférable de traiter tout le monde sur un pied d’égalité, en particulier dans un secteur qui fournit un service public aussi important que le journalisme.

En ajoutant cette initiative à d’autres adoptées par le gouvernement, notamment le Fonds du Canada pour les périodiques, l’Initiative de journalisme local et le crédit d’impôt pour la main-d’œuvre journalistique, nous contribuerons à soutenir le secteur, qui continue à trouver ses repères dans le nouvel environnement.

Bien entendu, le projet de loi n’échappe pas à la critique. Certains lui reprochent, par exemple, de maintenir en vie des publications qui n’ont pas fait le travail nécessaire pour s’adapter à la nouvelle réalité. Je laisserai le soin d’en juger à d’autres qui connaissent mieux les efforts déployés par certains de ces médias, dont beaucoup existent depuis des générations.

Je dirais, cependant, que ne pas soutenir ces publications pourrait entraîner la perte de quelque chose de plus important que ces dernières, à savoir l’infrastructure qui soutient l’ensemble de la profession.

En fin de compte, on pourrait perdre des gens d’expérience, des guides, qui aident l’industrie à maintenir sa maturité au fil du temps. Dans le cadre de notre examen du projet de loi, il est apparu clairement que les jeunes diplômés en journalisme ont de moins en moins de mentors vers qui se tourner. Souvent, ces jeunes journalistes sont placés dans des postes de direction qu’ils auraient mis plus de temps à obtenir dans le passé. Le bassin sur lequel comptent même les meilleures publications pour embaucher des jeunes prometteurs s’amenuise d’année en année.

Compte tenu de ce rétrécissement du bassin, faut-il s’étonner que les publications qui se consacrent à la mésinformation et à la désinformation deviennent de plus en plus influentes? Il serait mauvais, même pour les grandes entreprises technologiques, de s’appuyer sur de tels organes pour transmettre de l’information, ce qui m’amène à me demander pourquoi ces entreprises continuent à utiliser des tactiques d’intimidation pour s’opposer à ce projet de loi. Comme vous le savez, les grandes plateformes sont allées jusqu’à expérimenter le blocage de l’accès à l’information sur leurs sites. Cette semaine, Meta a commencé à bloquer l’accès aux actualités pour certains Canadiens sur Facebook, dans le cadre d’un test qui devrait durer presque tout le mois. Google a fait la même chose au début de l’année.

Il ne m’appartient pas de dire si de telles mesures sont contre‑productives pour la réputation canadienne d’une entreprise ou pour ses résultats financiers. L’argument de ces entreprises selon lequel elles ont le droit, dans le cadre du libre marché, de tirer des revenus de la publicité sans rémunérer ceux qui créent le contenu défie toute logique.

Les musiciens qui écrivent des chansons populaires sont payés lorsque ces chansons jouent à la radio. Les dramaturges perçoivent une redevance lorsque leur œuvre est jouée sur une scène, même au théâtre local. Lorsque l’image d’une personnalité est utilisée pour faire la publicité d’un produit, cette personne est payée pour la valeur de la marque personnelle qu’elle a créée après de nombreuses années de travail acharné.

Comme l’a appris Ronald Reagan, si vous voulez utiliser la chanson Born in the U.S.A. comme thème de campagne électorale, vous feriez mieux de demander d’abord l’autorisation d’un certain chanteur surnommé The Boss.

Ces plateformes prétendent que les nouvelles ont peu de valeur pour elles. C’est plutôt difficile à croire. Les gens utilisent les médias sociaux et les moteurs de recherche pour accéder à l’ensemble d’Internet; 77 % des Canadiens s’informent en ligne, 55 % utilisent les plateformes de médias sociaux pour accéder à des nouvelles.

Le professeur Dwayne Winseck, qui a témoigné devant le comité sénatorial, estime que, en 2021, les recettes publicitaires de Google au Canada seulement ont atteint 4,9 milliards de dollars alors que celles de Meta s’élevaient à 4 milliards de dollars.

Ce qui inquiète vraiment ces multinationales étrangères, c’est l’application d’un contrepoids à leur position dominante sur le marché. Des observateurs étrangers, dont les pays envisagent des initiatives de compensation semblables, remarquent ce type de comportement. Damian Collins, un député britannique et ancien ministre responsable des technologies — un député conservateur, en passant — a dit ce qui suit :

Cela en dit long sur les valeurs d’une entreprise comme @Meta : au Canada, elle préfère bloquer les nouvelles plutôt que de verser une modeste rémunération aux entreprises de nouvelles pour la distribution gratuite de leur contenu. Si elle continue dans cette voie, ce sera une grande victoire pour les revendeurs de désinformation.

Ces mêmes observateurs suivent de très près l’expérience canadienne et les mesures prises ici. Le fait que ces géants du Web préfèrent couper l’accès des Canadiens aux nouvelles locales plutôt que de payer leur juste part est un véritable problème.

La communauté internationale évalue également l’efficacité de ce projet de loi, dans bien des cas pour voir s’il peut servir de modèle ailleurs dans le monde.

Le Royaume-Uni et la Nouvelle-Zélande sont à mettre en place des mesures législatives semblables alors que les pays de l’Union européenne mettent en œuvre la directive sur le droit d’auteur de l’Union européenne, qui impose des exigences comparables aux plateformes en vue de la rémunération des médias d’information.

Ils créeront sans aucun doute une législation adaptée à leur propre situation. Il se peut même que leurs efforts débouchent sur une version améliorée de notre projet de loi, tout comme nous avons amélioré la version australienne, ce qui m’amène à la question la plus importante : ce projet de loi aurait-il pu être amélioré? L’avenir nous le dira.

Permettez-moi toutefois de dire que le comité qui a examiné le projet de loi C-18 l’a fait de manière rigoureuse et réfléchie et a ajouté un certain nombre d’amendements qui sont soutenus par le gouvernement. Il y a, par exemple, la disposition prévoyant que le régime complet entre en vigueur dans les six mois suivant la sanction royale, la garantie qu’un média ne sera pas obligé de participer au régime s’il ne le souhaite pas, et l’ajout des dispositions concernant les communautés de langues minoritaires officielles ainsi que les communautés noires, autochtones et autres communautés racialisées.

Le gouvernement s’est cependant opposé à un des amendements adoptés par le comité. Cet amendement forcerait les négociateurs à fixer des limites à la négociation en fixant une valeur unique au contenu de nouvelles et en limitant la négociation concernant d’autres éléments de valeur. Je me suis opposé à cet amendement, parce qu’il mènerait probablement à des négociations moins favorables aux médias d’information.

Dans sa forme actuelle, le projet de loi n’impose aucune limite à ce qui peut, globalement, faire l’objet de négociations entre les partis. Il leur permet de négocier sur des éléments qui n’ont rien à voir avec du contenu de nouvelles. C’est intentionnel. À l’heure actuelle, le projet de loi obligerait le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes à tenir compte non seulement de la valeur du contenu de nouvelles, mais également de celle des renseignements personnels des lecteurs, qui peuvent être utilisés à d’autres fins.

Cet amendement réduit l’indemnisation potentielle des médias. Nul besoin de me croire sur parole. Il suffit d’en parler aux membres de l’industrie, qui sont surpris par cet amendement et estiment qu’il les menotte et avantage les plateformes plus que les médias.

Paul Deegan, président et chef de la direction de Médias d’info Canada, un organisme qui représente 560 publications, a dit :

L’amendement limiterait la capacité des médias d’information de négocier une indemnisation équitable avec les plateformes dominantes. La valeur sera déterminée pendant les négociations.

Pierre-Elliott Levasseur, président de La Presse, partage le même avis :

Cet amendement nous lierait une main derrière le dos et nous paralyserait dans les négociations avec des plateformes nettement avantagées par le déséquilibre de pouvoir significatif entre elles et les médias d’information. La majorité des médias au Canada ont tenté de conclure une entente avec Facebook et Google, mais se sont fait claquer la porte au nez. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne le Québec, où La Presse, les publications de Québecor et les Hebdos ont tous été abandonnés à leur sort. Cet amendement avantage les plateformes aux dépens des médias.

C’est ce que soutient Pierre-Elliott Levasseur.

Permettez-moi, une fois de plus, de souligner l’urgence d’agir. Les géants du Web aimeraient vraiment que le projet de loi soit reporté au-delà de l’été, ce qui réduirait le temps précieux pour négocier des accords indispensables avec des médias qui se trouvent déjà en très mauvaise posture.

Il suffit de penser à l’annonce faite cette semaine par BCE Inc., qui prévoit de consolider sa division des médias d’information en supprimant 1 300 emplois et en fermant ou en vendant neuf stations de radio.

Il n’est pas non plus exagéré de dire que le fondement même de notre démocratie dépend de médias robustes et diversifiés; sans eux, le corps politique ne disposera pas des informations dont il a besoin pour prendre des décisions éclairées sur l’avenir de notre pays.

Si vous en doutez, arrêtez-vous à la situation des pays qui n’ont pas accès à une presse libre et au pouvoir illimité de leurs dirigeants souvent autocratiques. Je ne parle pas seulement des exemples les plus vicieux, comme Vladimir Poutine. Je pense aussi à un pays comme la Hongrie, qui est dirigée par le premier ministre autoritaire, Viktor Orbán. Reporters sans frontières place actuellement la Hongrie au 58e rang mondial au chapitre de la liberté de la presse. Il y a 10 ans, ce pays arrivait au 40e rang.

La Turquie est un autre exemple. En avril, pendant la récente campagne électorale, le radiodiffuseur d’État a consacré 60 fois plus de temps d’antenne au président sortant Erdogan — l’éventuel gagnant — qu’à son principal opposant, Kemal Kilicdaroglu.

Auparavant, ces deux États comptaient au nombre des démocraties occidentales relativement fortes.

Au Canada, il va sans dire que la situation n’est pas la même. Néanmoins, nous devons dorénavant faire preuve de plus de vigilance en ce qui concerne la protection de la démocratie.

Si vous croyez que j’exagère, je vous invite à jeter un coup d’œil aux menaces au pluralisme qui sont en train de prendre racine chez nos voisins du Sud — et je ne parle pas du Mexique. Nous ne nous en sommes peut-être pas rendu compte jusqu’ici, mais la démocratie est fragile.

Ce projet de loi est une mesure essentielle qui vise à fournir un certain degré de protection à une de nos institutions démocratiques les plus importantes.

Ce projet de loi doit être adopté et recevoir la sanction royale avant que nous ajournions pour l’été. Nous devons veiller à ce que ceux qui ont besoin de cette mesure puissent en tirer profit avant qu’il ne soit trop tard.

Par conséquent, je vous exhorte à voter pour cette importante mesure à l’étape de la troisième lecture. Merci.

Son Honneur la Présidente [ - ]

Sénateur Dagenais, avez-vous une question?

L’honorable Jean-Guy Dagenais [ - ]

Sénateur Harder, accepteriez-vous de répondre à une question?

Le sénateur Harder [ - ]

Non.

L’honorable Donna Dasko [ - ]

Honorables sénateurs, je prends la parole à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-18, Loi sur les nouvelles en ligne.

Les médias canadiens d’information sont en difficulté, et le projet de C-18 est une partie de la solution.

Bien des médias d’information et, surtout, des journaux connaissent actuellement de grandes difficultés. D’après un sondage que Statistique Canada a mené en 2021 auprès d’éditeurs de journaux, les revenus d’exploitation des journaux canadiens ont diminué de 2,1 milliards de dollars en 2020, soit de 22 % par rapport à il y a deux ans, en 2018.

La diminution des revenus a fait disparaître des médias et des emplois. De 2008 à 2022, plus de 469 médias d’information, dont plus de 300 journaux communautaires, ont fermé leurs portes. En outre, le tiers des postes de journalistes ont disparu depuis 2010.

Pas plus tard qu’hier, Bell Média a annoncé la suppression de 1 300 emplois, surtout dans ses services d’information, dont neuf stations de radio et bureaux étrangers.

Alors la part des revenus publicitaires accaparée par Internet augmente, celle des journaux et des autres médias est au contraire en déclin. Selon des documents gouvernementaux d’information, les revenus que Google et Facebook ont tirés de la publicité numérique en 2021 seraient de 9,7 milliards de dollars au Canada, soit 80 % du total général des revenus publicitaires, à 12 milliards de dollars.

Le projet de loi C-18 vise à rétablir l’équilibre. Il repose sur le principe voulant que les médias d’information n’obtiennent pas un juste revenu des plateformes numériques qui diffusent les nouvelles qu’ils produisent.

Le projet de loi C-18 exige que les grandes plateformes numériques concluent des accords avec des entreprises de nouvelles afin de les rémunérer pour les informations qu’elles fournissent sur leurs plateformes.

Le projet de loi C-18 établit le cadre de ces accords. Si des accords volontaires sont conclus entre les plateformes numériques et les médias d’information admissibles dans certains délais et selon certains critères, les plateformes numériques seront exemptées de la partie obligatoire de la loi, qui consiste à entamer un processus de négociation officielle pouvant mener à l’arbitrage sur l’offre finale. Le CRTC se chargera, entre autres, d’élaborer un code de conduite pour guider le processus de négociation et déterminer si les accords conclus remplissent les conditions d’exemption.

Le projet de loi C-18 est complexe et nécessitait une étude approfondie. Nous avons suivi un bon processus au comité, mais j’estime que nous devions en faire davantage.

Le projet de loi C-18 a été présenté au Sénat pour la première lecture le 2 février. Nous avons entendu le discours du parrain le 7 février, mais ce n’est que le 25 avril que nous avons entendu les premiers témoins au Comité des transports et des communications. La période allant du 7 février au 25 avril donnait beaucoup de temps pour la deuxième lecture pendant des semaines de séance qui, à mon avis, auraient dû être consacrées à l’étude du projet de loi en comité. Nos 10 réunions auraient pu facilement s’étendre à 13, 15 ou même plus. Comparons nos 10 réunions aux 31 réunions que nous avons eues sur le projet de loi C-11, Loi sur la diffusion continue en ligne; je ne dis pas que nous devrions faire la même chose, mais ce projet de loi était un projet de loi sur les communications tout aussi complexe. Je pense que nous avions besoin de plus de temps pour étudier le projet de loi C-18.

Je veux me concentrer sur ce que nous avons appris au comité et sur les questions qui pourraient surgir à l’avenir et que nous n’avons pas pu examiner.

Nos neuf réunions avec témoins — bien sûr, nous avons eu une réunion pour l’étude article par article — ont porté principalement sur les points de vue des intervenants. Les 60 témoins nous ont appris que le projet de loi C-18 bénéficie d’un large soutien, en particulier dans le secteur de la presse, y compris les grandes et les petites organisations représentées, par exemple Médias d’Info Canada, mais qu’il bénéficie également d’un soutien important de la part des radiodiffuseurs, notamment de l’Association canadienne des radiodiffuseurs. Il bénéficie d’un soutien important de la part des éditeurs en ligne et des médias multiculturels.

Quoi qu’il en soit, les deux plateformes numériques que sont Google et Facebook, qui seront désormais considérées comme des exploitants et que la loi chargera de s’entendre avec les entreprises de nouvelles, s’y opposent vigoureusement. Pendant l’examen parlementaire du projet de loi, les deux entreprises ont mené des « études de marché » dans le cadre desquelles certains de leurs utilisateurs et abonnés n’avaient plus accès aux nouvelles sur leurs plateformes. Il n’y a rien de mal à faire des études de marché, mais le moment où celles-ci ont été lancées — et j’en sais quelque chose, puisque j’ai passé 30 ans de ma vie dans ce secteur — était pour le moins provocateur et peut être considéré comme un avertissement pour les autorités et les entreprises de nouvelles du Canada. Le ministre Rodriguez a qualifié ces gestes de menaces, et même le premier ministre s’en est mêlé, accusant les deux entreprises d’intimidation et leur promettant de ne pas reculer.

Quand les deux géants de la technologie ont comparu devant le comité, le 3 mai, et qu’on leur a demandé quelle serait leur réaction si le projet de loi était adopté dans sa forme actuelle, le vice‑président du secteur Nouvelles de Google, Richard Gingras, n’a pas voulu s’avancer. Il a plutôt dit ceci :

Nous avons été clairs sur nos considérations, à savoir si nous devons évaluer la manière dont nous utilisons les liens ou s’il est logique pour nous de continuer à fournir un service comme Google Actualités [...] je n’ai aucune certitude pour l’instant quant à ce que nous pourrions faire.

Facebook a cependant été catégorique. Rachel Curran, responsable des politiques publiques de Meta au Canada, a en effet déclaré ceci :

Étant donné que le projet de loi ne tient pas compte des réalités du fonctionnement de nos plateformes, des préférences des gens qui les utilisent et de la valeur que nous offrons aux éditeurs de presse, nous n’avons pas d’autres choix que de nous y conformer en mettant fin à la disponibilité du contenu de nouvelles au Canada, si le projet de loi C-18 est adopté dans sa forme actuelle.

Ainsi, deux géants de la technologie étrangers très imposants, très puissants et très en colère sont tenus par la loi de négocier avec des entreprises canadiennes beaucoup plus petites. Qu’est-ce qui pourrait mal tourner?

Certains se sont demandé si les menaces de plier bagage de la société étaient réelles ou s’il s’agissait plutôt d’un coup de bluff. Si elles étaient réelles, il y a lieu de s’en préoccuper, car nous avons aussi appris au comité que de nombreux médias d’information comptent sur ces plateformes pour le succès de leurs propres activités commerciales.

Jeff Elgie, de Village Media, a d’ailleurs déclaré ceci :

[...] nous profitons grandement du trafic vers nos sites que nous sommes en mesure de monétiser et de nous constituer de nouveaux auditoires et des abonnés que nous aurions autrement du mal à joindre [...] Google et Facebook génèrent près de 50 % de notre trafic de façon continue [...] Vous trouverez des chiffres semblables pour l’ensemble de notre industrie, qu’il s’agisse de médias traditionnels ou nouveaux.

La perte de ce trafic signifierait la fin de l’entreprise.

Cet avis est partagé par la journaliste et commentatrice Jen Gerson, qui a déclaré au comité que « les médias indépendants, ceux en démarrage et ceux qui tentent d’édifier leur marque sur le marché [...] dépendent [...] des médias sociaux pour édifier l’image de marque, se constituer un auditoire et faire passer un réseau ». Elle croit que la perte de Facebook serait grave pour ces entreprises.

Le cadre législatif du projet de loi C-18 met l’accent sur le fait que les médias d’information ne reçoivent pas une indemnisation équitable des plateformes en question, mais comment sera-t-il possible de tenir compte de ces réalités dans le cadre des négociations?

Si nous avions eu ces réunions supplémentaires dont j’ai parlé plus tôt, nous aurions pu inviter un plus grand nombre d’experts afin d’explorer davantage le cadre réglementaire, de mieux en comprendre le fonctionnement et les possibles contradictions, et peut-être d’offrir des solutions. Par exemple, comment la nécessité des accords commerciaux, qui doivent être négociés en privé, s’accorde-t-elle avec les exigences réglementaires concernant la transparence? Nous savons que ces exigences en matière de transparence vont aller en augmentant. Cela me semble très clair. Quelle incidence cette politique aura-t-elle sur Internet et sur l’innovation? La longue liste des exigences à respecter afin d’obtenir une exemption, qui va au-delà d’une indemnisation équitable, va-t-elle créer un fardeau indu sur le processus de négociation commerciale, comme le prétend le témoin Philip Palmer, de l’Internet Society?

On nous a aussi fait part d’autres préoccupations. Notre comité ne s’est pas penché sur la publicité ou le comportement des consommateurs, même si la mouvance de la publicité et des consommateurs sur les plateformes, les médias sociaux et les moteurs de recherche est au cœur de ces développements. Quelles incidences cette politique aura-t-elle sur les consommateurs de nouvelles? Ce seront tous des dossiers importants.

Comme je l’ai dit plus tôt, notre comité a fait un excellent travail dans le temps qui lui a été imparti, adoptant neuf amendements importants pendant une même réunion. Comme les sénateurs Harder et Housakos les ont déjà décrits plus tôt, je ne vais pas tenter de le faire.

Je suis heureuse que mon amendement, qui enlèverait au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes — ou CRTC — la capacité de désigner les entreprises de nouvelles comme admissibles, ait été accepté. Ces entreprises devraient décider par elles-mêmes si elles souhaitent présenter une demande pour faire partie de ce cadre.

Chers collègues, j’aime les médias d’information, et il est pénible de voir ce qui leur arrive aujourd’hui. Je déplore les menaces formulées par les géants de la technologie. Je pense que, malgré ses lacunes, le projet de loi C-18 est notre seul espoir, pour l’instant, d’aider cette industrie, qui est vitale pour notre démocratie. Si toutes les pièces s’emboîtent et que tous les acteurs font leur part, cela pourrait être une mesure merveilleuse qui serait d’une aide précieuse pour le secteur. C’est pourquoi j’ai l’intention de la soutenir aujourd’hui.

Merci.

L’honorable Leo Housakos [ - ]

Honorables collègues, croyez-le ou non, je pensais, au départ, que je pourrais en fait soutenir ce projet de loi, malgré le rapport que j’ai présenté plus tôt. La version résumée, selon laquelle les journalistes devraient être rémunérés équitablement pour leur travail, semblait assez noble et, chers collègues, nous reconnaissons tous vouloir — conformément à nos réflexes — protéger et garantir une presse libre, indépendante et prospère. C’est essentiel pour notre démocratie et pour notre société.

Je me souviens que dans ma jeunesse, à l’époque où j’étais à l’université, les journaux étaient des outils d’enseignement. Nous comptions tous sur eux et ils nous apportaient plus que de simples informations. Il semble positif de penser que nous cherchons maintenant à sauver, d’une manière noble, le journalisme, puisqu’il se trouve en difficulté. Il suffit toutefois de gratter la surface du projet de loi C-18 pour comprendre que ce n’est pas ce qu’il semble faire réellement.

Certes, les médias d’information traditionnels du pays sont en difficulté. Je dis bien « traditionnels » parce qu’en réalité, le secteur dans son ensemble n’est pas en difficulté. Il est simplement en train d’évoluer, de changer. Le journalisme n’est pas le seul secteur à se transformer : on constate une évolution dans toutes les sphères de la société, y compris dans le fonctionnement de l’industrie de la restauration, l’industrie alimentaire et l’industrie des transports. Le monde numérique entraîne des changements considérables. Nos activités et celles du monde entier se passent de plus en plus en ligne. C’est le progrès. Voilà pourquoi même les radiodiffuseurs traditionnels abandonnent peu à peu leur modèle commercial et leur ancienne façon de faire, parce que le monde entier, les regards et les consommateurs prennent une autre direction.

Est-ce inquiétant compte tenu de l’absence de réglementation et de l’augmentation de la mésinformation et de la désinformation présentes sur Internet? Bien sûr, mais cela ne signifie pas, comme l’a affirmé la députée libérale Lisa Hepfner, que les nouvelles en ligne sont de fausses nouvelles, par exemple.

Je pense qu’il est exagéré d’en arriver à la conclusion que la mésinformation est omniprésente dans les nouvelles en ligne et que les diffuseurs traditionnels transmettent des informations plus justes ou qu’ils ont des normes plus rigoureuses. L’industrie de l’information se régule depuis des années. Elle fixe ses propres normes.

La députée Hepfner devrait avoir honte de dénigrer les Canadiens honnêtes et qui travaillent dur pour gagner leur vie au pays en diffusant des informations solides en ligne. Le fait est que la diffusion en ligne est l’avenir de l’information, et les médias traditionnels le savent fort bien. Ils doivent adapter leur modèle d’entreprise ou ils seront laissés pour compte.

Beaucoup ont adapté leurs modèles. En attendant, les suppressions d’emplois sont vastes, et ce, depuis plusieurs années. Le projet de loi C-18 ne va pas y remédier. J’appuierais le projet de loi si j’étais convaincu qu’il le ferait.

Assurément, il augmentera les revenus des grands organes de presse. Il rendra les grands encore plus grands et les forts encore plus forts. Le projet de loi ne permettra pas d’atteindre l’objectif d’aide à la diversification de l’information locale au pays. Je pense que c’est tout le contraire. Il donnera plus de revenus à Bell Média, Rogers, Québecor, et des tonnes de revenus supplémentaires à CBC/Radio-Canada, l’endroit préféré du gouvernement pour placer l’argent des contribuables.

Je tiens également à exprimer mon inquiétude, chers collègues, au sujet du licenciement de 1 300 employés par Bell Média hier — et nous devrions tous le faire. C’est paradoxal. Beaucoup de gens prétendent que le projet de loi C-18 permettra de sauver les médias et les journalistes.

Eh bien, nous sommes sur le point d’adopter ce projet de loi extrêmement important qui n’est peut-être pas une solution miracle. Je suis d’accord avec le sénateur Harder pour dire qu’il ne s’agit pas d’une solution miracle, mais pourquoi ne pas attendre de voir le résultat? Nous nous empressons d’adopter ce projet de loi. Malgré mes réserves quant au fait que ce projet de loi ne sauvera pas et ne diversifiera pas le journalisme dans notre pays, nous lui donnons tout de même une chance. Comme vous pouvez le constater, nous ne nous détournons pas de l’objectif du gouvernement lorsqu’il cherche à faire adopter ce projet de loi.

Je crois que le journalisme est en train de changer. C’est inévitable. La réalité du monde numérique se transforme et les journalistes doivent évoluer avec elle.

Chers collègues, lorsque nous aurons adopté le projet de loi C-18, les 1 300 employés de Bell Média et tous les journalistes qui ont perdu leur emploi au cours des six derniers mois seront bien entendu réembauchés, n’est-ce pas? Entretemps, les gros bonnets à Bell Média et à la chaîne CTV se la coulent douce. Je dis qu’ils se la coulent douce parce que je sais avec certitude que les coupes faites dans le secteur du journalisme au fil des ans n’équivalent pas à celles qui ont été faites au niveau de la haute direction de ces entreprises. Je vous invite tous à jeter un coup d’œil sur le rapport annuel de Bell Média, Rogers et Québecor pour voir le salaire des dirigeants. Les Canadiens pensent qu’il y a des privilégiés et des empêcheurs de tourner en rond au Sénat. Qu’ils aillent jeter un coup d’œil aux salaires des vice-présidents des entreprises que j’ai mentionnées. C’est stupéfiant. Qu’ils aillent voir le salaire que touchent ces gens qui semblent si préoccupés au sujet du journalisme et de notre démocratie, en comparaison avec celui de certains journalistes canadiens qui font un travail acharné.

Je suis sidéré d’entendre les beaux discours du gouvernement sur l’importance de se fier aux données scientifiques et d’adopter la technologie, mais de voir qu’il fait exactement le contraire lorsqu’il s’agit des médias numériques sur Internet. En fait, les entreprises comme Bell doivent s’adapter à la réalité d’Internet.

L’autre réalité, c’est qu’aucun des travailleurs qui ont été licenciés hier ne seront réembauchés une fois que ce projet de loi aura été adopté. Je suis prêt à parier là-dessus et à participer à la discussion lorsque nous examinerons les résultats de cette mesure dans quelques mois, voire dans quelques années.

Contrairement à ce qu’ils ont laissé entendre lorsqu’ils ont dit que les choses auraient été différentes si le projet de loi C-18 avait été adopté plus tôt — le problème est plutôt que nous ne sommes pas intervenus assez rapidement, et c’est notre faute —, aucune des personnes qui ont été mises à pied hier n’aurait conservé son emploi si le projet de loi C-18 avait été adopté un, deux ou six mois plus tôt. Je tiens à souligner à quel point la décision de Bell Média est cynique, compte tenu du moment choisi et du fait que l’entreprise a jeté le blâme sur le fardeau réglementaire et sur la lenteur à adopter le projet de loi C-18. Je constate cependant que, contrairement aux réactions de Facebook et de Google au sujet des conséquences du projet de loi C-18, la décision de Bell n’a pas été remise en question par le ministre Rodriguez. Le ministre n’a pas déploré le moment choisi, il n’a pas accusé l’entreprise de se livrer à des tactiques d’intimidation, et il n’a pas dit qu’il ne se laisserait pas intimider.

Honorables collègues, Meta et YouTube embauchent des gens de partout au pays depuis des années. Je vous invite à aller à n’importe quel endroit au pays où Google, Meta et Facebook mènent des activités, et à visiter leurs locaux. Ils engagent de jeunes Canadiens à un rythme sans précédent. Je parle bien de ces géants du numérique que le gouvernement dit vouloir rappeler à l’ordre sous prétexte que ces horribles multinationales nuiraient à notre mode de vie. Allez vous informer sur les emplois qu’occupent les milliers de jeunes ingénieurs et programmeurs diplômés des écoles de technologies de l’information et sur leur milieu de travail.

Je suis allé visiter quelques-uns des bureaux de Google l’année dernière et je peux vous dire que j’aurais souhaité avoir 25 ou 30 ans de nouveau. Les jeunes de cette génération savent comment travailler, comment innover et arriver à l’équilibre entre travail et famille. J’ai été très impressionné, et l’avenir est prometteur. Il faut cependant les soutenir et leur donner l’occasion de croître, de prospérer et de continuer d’innover.

En outre, il devrait avoir de l’empathie — je parle de mon bon ami le ministre Rodriguez — pour ceux qui ont perdu leur emploi hier, mais j’ai remarqué qu’il n’avait rien dit au sujet de ceux qui ont pris la décision et qu’il n’avait pas dénoncé le moment choisi non plus. C’est parce qu’il est très facile de démoniser les grandes sociétés technologiques.

Je ne suis pas non plus d’accord avec tout ce que font ces entreprises. Je ne pense pas que Meta et Alphabet soient parfaites. Aucune entreprise ne devrait avoir les coudées franches, mais je ne défends pas non plus la direction de Bell Média, de Rogers Communications ou de Shaw Communications, et je ne prends pas parti pour l’un ou l’autre. J’ai l’impression, en examinant ce projet de loi, que le gouvernement est enclin à continuer de défendre la radiodiffusion traditionnelle. Or, nous savons tous — et c’est un débat que nous avons eu avec le projet de loi C-11 — que cette radiodiffusion traditionnelle est morte et enterrée, mais le gouvernement continue de se ranger du côté des grandes entreprises : Bell Média, Rogers et Québecor. Ce sont des géants dans ce pays, et ils ne le sont pas parce qu’ils offrent le meilleur service au prix le plus bas. Nous sommes, pour la plupart d’entre nous, assez âgés pour payer des factures de câble tous les mois. Jetez un coup d’œil à cette facture. Appelez vos amis dans le sud des États-Unis, en Europe ou ailleurs dans le monde et comparez vos factures de câble.

Le sénateur MacDonald [ - ]

Ou nos factures de téléphone.

Le sénateur Housakos [ - ]

Il y a des factures à payer pour le téléphone cellulaire et la connexion Internet, n’est-ce pas? Voyez ce que ces géants font payer aux Canadiens par rapport aux prix facturés dans les autres pays.

S’ils sont devenus aussi gros, c’est qu’ils exploitent les consommateurs et les contribuables et que la réglementation actuelle, instaurée par le CRTC et les gouvernements successifs — libéraux, conservateurs et autres — les protègent depuis des décennies. Il faut un jour se porter à la défense des consommateurs et des Canadiens en disant : « Ça suffit! Il y a du bon dans la concurrence. » Cessons d’intervenir et de vouloir mettre tout le monde sur un pied d’égalité chaque fois qu’un modèle d’affaires ne fonctionne pas parce que l’un des joueurs est plus innovateur et efficient et qu’il réussit à offrir un meilleur service à la clientèle. En faisant cela, nous aidons ceux qui ont les moins bonnes idées et les moins bons résultats financiers, et nous les aidons en leur donnant des deniers publics. Appelons les choses par leur nom : il s’agit d’extorsion dans le but de préserver le statu quo.

Les grandes entreprises technologiques ne volent pas de contenu. Elles ne profitent pas du travail des journalistes en ne les rémunérant pas suffisamment. En fait, aucun journaliste ne gagnera un sou de plus grâce à l’adoption du projet de loi C-18. N’oublions surtout pas qu’une grande partie du contenu qui serait supposément volé par les entreprises technologiques a été téléversé sur les plateformes par les journalistes eux-mêmes.

Comme je l’ai dit à maintes reprises, ces plateformes fournissent un service à des médias d’information pour diriger les internautes vers leurs produits et leur contenu. Il n’est pas question de reproduction de contenu sans attribution ou indemnisation équitable. ll n’est pas non plus question de liens qui dirigent les consommateurs vers les sites Web de Global News ou de CTV News.

Je considère que Facebook est l’équivalent d’Uber ou même d’un chauffeur de taxi, et que Global News est l’équivalent d’un restaurant. Nous attendrions-nous à ce que le chauffeur de taxi donne au restaurant un pourcentage du prix de la course qu’il vient de faire? Évidemment pas. Ce n’est pas parce que quelqu’un a trouvé une façon de faire de l’argent avec le produit d’un autre, comme dans ce cas-ci, qu’on peut dire qu’il l’a volé. Cela ne signifie pas que le fabricant du produit en question est payé moins équitablement. Tant et aussi longtemps que les lois sur le droit d’auteur sont respectées — et elles le sont ici — rien n’est volé.

Aucun d’entre nous n’est forcé de publier son travail sur Internet. Néanmoins, les sénateurs, les restaurants locaux, toutes les entreprises au pays et des artistes de toutes catégories publient le fruit de leur travail sur des sites Web. Tout le monde le fait pour amplifier la portée de son travail. Ainsi, plus de résidants de nos provinces respectives prennent connaissance du travail que nous faisons au Sénat pour défendre leurs intérêts.

Les journalistes ajoutent des liens vers leurs articles sur Facebook pour faire rayonner leur travail; plus de gens consultent ainsi leur site Web. Par exemple, si un journaliste de La Presse, à Montréal, publie des liens vers ses articles sur sa page Facebook, c’est parce qu’il bénéficie du fait que des gens sont ainsi redirigés vers le site Web du journal, qui propose évidemment un accès payant. Si plus de gens consultent le site parce que le journaliste fait ainsi la promotion du produit, les revenus augmentent et l’entreprise croît.

En passant, pour revenir à un point que j’ai soulevé plus tôt, bien des entreprises de la presse écrite prospèrent au pays grâce aux plateformes numériques. Une bonne partie d’entre elles méritent des éloges parce qu’elles ont été avant-gardistes : elles ont réalisé qu’elles devaient s’ajuster. Le Globe and Mail l’a fait. Ce journal est toujours aussi efficace aujourd’hui qu’il l’était lorsque j’étais enfant. Il publie d’excellents articles. Il offre toujours un excellent produit et il continue à faire de l’argent. Cependant, il a aussi fait partie des premiers à conclure une entente avec ces plateformes, et les plateformes avaient conscience qu’elles avaient avantage à conclure une entente pour avoir accès à ce produit de qualité.

Il y a beaucoup d’autres exemples de ce genre. Une de mes collègues qui a pris la parole plus tôt a cité Village Media. Ce journal est une grande réussite, tout comme la Western Standard News Media Corp. Il y en a tellement, et je ne veux vraiment en oublier aucun, mais Blacklock’s Reporter en est un autre. Il s’agit d’un journal numérique par abonnement en ligne. Il se porte toujours aussi bien.

Chers collègues, le gouvernement est le seul qui essaie de voler le contenu de ces médias. Ils poursuivent actuellement le gouvernement Trudeau, qui veut protéger les organisations journalistiques indépendantes, car il a pris leur produit et l’a diffusé dans les ministères sans leur donner ce qui leur revient. Le projet de loi C-18 ne va-t-il pas toutefois sauver l’industrie? Pourquoi ne commençons-nous pas par demander à nos ministères de respecter les accès payants des journalistes et de respecter leur contenu avant d’adopter des lois pour protéger certains géants?

Les médias traditionnels et certains journalistes ont eux-mêmes du mal à s’adapter au monde numérique et à ce que cela signifie pour la diffusion et la consommation des nouvelles. Le gouvernement et beaucoup de gens dans les médias pensent qu’ils remportent une victoire en s’en prenant aux grandes entreprises technologiques et en les poussant au point où des plateformes comme Meta et Alphabet cesseront de promouvoir leur contenu, mais ce n’est pas le cas. Je crains que le projet de loi n’ait l’effet inverse de celui escompté.

Nous avons vu à quel point Meta est déterminée à stopper la diffusion de nouvelles. Je crois que cela va arriver. Je vois mal comment une entreprise qui a comme modèle d’affaires d’offrir le choix aux consommateurs et de diriger gratuitement le trafic Web à sa guise continuerait de le faire au nom des médias et des journalistes de ce monde si elle doit payer pour ce faire. C’est ce modèle même qui serait compromis, et ce sont les consommateurs canadiens qui perdront au change. Les contribuables seront pénalisés, car je crois qu’il y a aura une croissance négative. Certains témoins, dont des regroupements de journalistes de la presse écrite, nous ont dit que, grâce à Meta, le trafic sur leur site Web a augmenté de 31, 32 et même 33 %.

Nous savons tous que le seul moyen de faire de l’argent, qu’on soit journaliste, qu’on vende des hot-dogs ou qu’on exploite une petite station-service, c’est de générer du trafic et de rendre son produit attrayant. Les seuls qui n’ont pas besoin d’attirer les gens, ce sont les organismes gouvernementaux et les sociétés d’État, car comme ils peuvent compter sur l’argent des contribuables, ils n’ont pas besoin de se démarquer autant ni d’être aussi bons. C’est la stricte vérité.

Facebook et Google en sont au point où, comme n’importe quelle entreprise que le gouvernement veut réglementer et à qui il souhaite dicter ses façons de faire, elles doivent commencer à se dire : « Mieux vaut plier bagage et aller voir ailleurs parce qu’il y n’y aucun avenir ici. » Une fois de plus, c’est le Canada qui sera pénalisé, parce que nous vivons...

Son Honneur la Présidente [ - ]

Je suis désolée, sénateur Housakos, mais votre temps de parole est écoulé.

Le sénateur Housakos [ - ]

Pourrais-je avoir cinq minutes de plus pour terminer mon intervention?

Son Honneur la Présidente [ - ]

Le consentement n’est pas accordé.

Le sénateur Dagenais [ - ]

Merci beaucoup, madame la Présidente. Je prends la parole dans le cadre du débat, cette fois-ci.

Je n’ai pas l’intention de faire obstruction à ce qui pourrait devenir une planche de survie financière pour certains médias traditionnels du pays, bien que je croie que l’on ne les sauvera pas tous.

Le dernier rapport sur l’investissement annuel du gouvernement fédéral en publicité nous montre clairement qu’il a consacré plus de 55 % de son budget aux médias numériques qui sont visés par le projet de loi C-18. Cela représente 64 millions de dollars par opposition à 53 millions de dollars dans nos journaux, nos radios et nos stations de télévision.

Je me disais : « Comment peut-on réconcilier le fait que le gouvernement veut adopter une loi pour taxer les GAFA au profit des médias traditionnels, alors qu’il est en grande partie responsable de leur appauvrissement en raison de ses choix publicitaires? » C’était ma participation au débat.

L’honorable Andrew Cardozo [ - ]

Honorables sénateurs, je suis heureux de prendre la parole pour dire quelques mots au sujet du projet de loi C-18. Nous avons entendu un certain nombre de Canadiens s’exprimer sur ce projet de loi, et j’ai écouté les nombreux discours que nous avons entendus au cours du processus, surtout aujourd’hui. Je présenterai mes brèves observations en trois parties. Je vais d’abord parler de l’objectif du projet de loi. Ensuite, j’aborderai le rôle du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes dans la supervision de l’application du projet de loi. Je parlerai enfin du contexte plus large.

Le projet de loi C-18 vise à équilibrer le rapport de forces sur le marché des nouvelles numériques, dans le but d’assurer la rémunération juste et équitable des médias et des journalistes canadiens. Il crée un nouveau cadre législatif réglementaire. Par ailleurs, le projet de loi élargit le mandat et le pouvoir du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, le CRTC.

Le projet de loi C-18 vise à équilibrer le rapport de force sur le marché des nouvelles numériques et ainsi assurer une rémunération équitable aux médias et aux journalistes canadiens. Il crée un nouveau cadre législatif et réglementaire afin de permettre aux intermédiaires de nouvelles numériques, par exemple Google et Facebook, de négocier des accords. C’est l’objectif au cœur du projet de loi : négocier des accords avec les médias canadiens les autorisant à diffuser le contenu généré par ceux-ci sur leurs plateformes.

Le projet de loi met également en place un processus de négociation issu d’une réflexion créative pour permettre aux médias plus petits de négocier collectivement. Il confère au CRTC la responsabilité de l’élaboration des mesures réglementaires nécessaires, et du code de conduite, pour encadrer les négociations entre les intermédiaires de nouvelles numériques et les entreprises de nouvelles à propos du contenu. Il confie également au CRTC le mandat d’évaluer les ententes conclues indépendamment du processus de négociation afin de s’assurer qu’elles remplissent les conditions d’exemption.

J’aimerais maintenant vous faire part de mes observations à l’égard du CRTC, dans le contexte de ce projet de loi. Lors de mes interventions dans cette enceinte, j’ai déjà abordé — au moins deux fois — le rôle général du CRTC par rapport à ce projet de loi. Loin de moi l’idée de me répéter, mais j’aimerais résumer certaines des critiques envers le CRTC. J’y ajouterai mon opinion, à la lumière de mon expérience avec cette organisation.

Le CRTC est un organisme indépendant qui supervise ou met en œuvre plusieurs lois et le fait de manière plutôt diligente; il tient parfois tête au Cabinet et au gouverneur en conseil lorsqu’il n’est pas d’accord avec lui. Bien que les commissaires soient toujours nommés par le Cabinet fédéral, le processus de sélection des commissaires est ouvert et transparent, et les gens doivent poser leur candidature. Une fois nommés, ils doivent éviter toute interaction avec les ministres et les parlementaires, et ce, avec beaucoup de diligence.

Je dois vous dire que, lorsque j’ai été nommé, le directeur des nominations m’a fait un petit sermon à ce sujet. Je n’ai pas vu pendant six ans des députés de différents partis que je connaissais. Au bout de ces six années, je suis allé les rencontrer et j’ai découvert que leurs enfants avaient grandi et qu’ils étaient eux-mêmes plus vieux et plus grisonnants. C’était comme si j’avais été en prison pendant six ans. Il y a beaucoup de gens avec qui je n’ai eu aucun contact pendant ces six années.

Il a été dit que le CRTC pouvait désigner des parties sur un coup de tête. Eh bien, laissez-moi vous dire que le CRTC n’agit pas et ne peut pas agir sur un coup de tête. Il en est incapable, et c’est prévu ainsi. Lorsque j’étais au CRTC, un de mes collègues a déployé beaucoup d’efforts pour que le CRTC se prononce sur le champ sur certaines questions. Il a essayé pendant toute la durée de son mandat et n’a pas réussi. Le processus est toujours réfléchi et les décisions ne sont pas prises sur un coup de tête, pour le meilleur ou pour le pire. Le CRTC procède toujours à des consultations approfondies avant de finaliser ses règlements dans le cadre d’un processus qui comporte souvent deux cycles de négociations.

Enfin, le CRTC est, à mon avis, bien équipé pour assumer la responsabilité en question, car il réglemente la radiodiffusion, ce qui inclut la radiodiffusion d’informations. Il élargira donc son champ d’action, pour couvrir à la fois la presse écrite et l’information en ligne. En ce sens, il y a des choses que le CRTC doit apprendre, mais il a certainement une base en place.

Mettons brièvement les choses en perspective. Le printemps 2023 est un jalon historique; il lui faudrait un nom. On se souvient du Printemps arabe, mais je crois que le printemps de l’intelligence artificielle, celui de 2023, est une période très intéressante. C’est le moment où l’intelligence artificielle a envahi le monde numérique et probablement aussi le monde entier. Le monde a changé depuis l’arrivée de ChatGPT et des autres applications d’intelligence artificielle générative. Avec la polarisation croissante de la société au Canada et ailleurs sur la planète, les projets de loi de ce genre deviennent d’autant plus importants.

Le projet de loi que nous étudions défend-il les médias du passé et les médias en difficulté? Peut-être que oui, peut-être que non. Si ce projet de loi défend des médias qui sont irrémédiablement en déclin, il faut tout de même faire tout ce qui est en notre pouvoir pour sauver les médias libres et sérieux qui cherchent habituellement à être objectifs et qui veillent à la qualité de leur contenu. Il faut surtout éviter que les réseaux sociaux individualisés, qui, comme nous le savons, tendent à être fortement partiaux, à adopter une perspective étroite et à manquer de fiabilité, deviennent la seule source d’information.

Comme certains l’ont dit, de nombreux médias numériques aussi rigoureux que les médias traditionnels se développent, mais il s’agit habituellement de petits joueurs qui en arrachent. Tant que ces médias n’auront pas les reins assez solides pour offrir la même qualité, la même rigueur et la même hauteur de vue que les médias traditionnels, il faudra aider ces derniers. Le monde numérique cloisonne la société au lieu de susciter un dialogue juste et respectueux entre les membres de la population.

Devant les menaces de représailles des géants du Web dans l’affrontement entre les gouvernements démocratiquement élus et les sociétés multilatérales il est vital que la démocratie demeure ferme. En fait, les géants du Web illustrent très bien la nécessité de ce projet de loi. Notre société démocratique et harmonieuse est en train de sombrer dans un mouvement de désintégration sociale sauvage.

Compte tenu de ces raisons, je crois fermement que nous devons faire tout en notre pouvoir pour sauver et renforcer les médias traditionnels, qu’il s’agisse des médias imprimés, radiophoniques et télévisuels ou en ligne. Il s’agit d’une étape parmi tant d’autres pour soutenir des médias libres et objectifs, et pour protéger notre démocratie, qui est actuellement plus fragile qu’elle ne l’a jamais été depuis de nombreuses décennies.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ - ]

Je vois que le sénateur Housakos a une question. Sénateur Cardozo, acceptez-vous de répondre à une question?

Le sénateur Cardozo [ - ]

Nous manquons de temps. Une petite question, bien sûr. Je suis toujours flatté lorsque le sénateur Housakos me pose une question.

L’honorable Leo Housakos [ - ]

Je vous remercie. Je suis heureux que vous pensiez ainsi. C’est une question simple.

Le gouvernement affirme qu’il s’est engagé à aider la presse écrite et les divers médias locaux et régionaux. Pouvez-vous m’expliquer pourquoi il dépense environ 140 millions de dollars par an pour avoir l’appui des médias pour toutes les agences gouvernementales, et pourquoi il ne consacre qu’un maximum de 2 à 2,5 % aux médias ethniques et locaux, alors que le reste du budget va aux géants de la radiodiffusion au Canada?

Le sénateur Cardozo [ - ]

Ce n’est pas moi qui établis ces budgets, mais je ne suis pas du tout en désaccord avec vous. Je pense que, ce que nous essayons de faire ici, c’est d’aider les médias.

L’une des questions que vous et moi avons posées à un certain nombre de personnes qui ont comparu devant nous en comité est de savoir ce qu’il allait advenir des petits médias, des médias ethniques, et ainsi de suite. Les propos des témoins australiens figurent parmi les choses qui m’ont le plus rassuré, car selon eux, les petits médias ont obtenu beaucoup plus de ressources que les grosses boîtes. Voilà qui me rassure un tant soit peu. Il s’agira assurément d’un dossier à suivre, mais au moins il en a été beaucoup question au comité. Je vous remercie.

L’honorable Julie Miville-Dechêne [ - ]

Honorables sénateurs, je veux m’exprimer à l’étape de la troisième lecture sur le projet de loi C-18, auquel je me suis intéressée de près. J’ai été interpellée par ce projet de loi d’abord en raison de mon ancienne vie de journaliste, mais aussi parce que j’ai rencontré plusieurs groupes, lu beaucoup d’analyses et de rapports et j’ai participé à son étude détaillée au Comité sénatorial permanent des transports et des communications.

À la base, le projet de loi C-18 s’appuie sur un constat réel : plusieurs médias — surtout les médias traditionnels, autres que Radio-Canada/CBC — sont en difficulté financière depuis qu’ils ont perdu une part importante de leurs revenus publicitaires au profit des géants comme Facebook et Google, qui en mènent en effet très large — trop large, diront certains — dans notre démocratie.

C’est un fait, et le gouvernement a eu raison de vouloir intervenir, parce que l’information et le journalisme ont une valeur publique importante dans toute démocratie.

La solution retenue s’inspire du modèle australien, qui consiste à forcer la main des plateformes pour qu’elles négocient des ententes de rémunération avec les médias, sous peine d’être désignées par la loi et assujetties à un régime qui impose l’arbitrage. Le comité a adopté un amendement, que j’ai proposé, afin de préciser que le projet de loi entrera en vigueur au plus tard six mois après la sanction royale, ce qui constitue, en quelque sorte, la « fenêtre » que Google et Facebook ont pour conclure des ententes volontaires avec les médias.

L’étude au comité a toutefois révélé que le projet de loi C-18 comporte certaines faiblesses, qui sont une source d’inquiétude pour moi.

Je m’en inquiète, parce que je souhaite que Google et Facebook — qui sont indirectement responsables de la crise des médias — contribuent à la viabilité économique de ces entreprises et parce que je souhaite ardemment que Google et Facebook continuent de diffuser les contenus journalistiques canadiens.

Malheureusement, certaines particularités du projet de loi C-18 pourraient faire en sorte que les plateformes décident d’abandonner la diffusion de ces contenus. Or, pour beaucoup de médias, être visible sur Google et Facebook est essentiel : en effet, la disponibilité et la diffusion d’hyperliens vers le contenu de nouvelles sur les plateformes amènent souvent plus de 50 % du trafic Web aux médias. Il serait regrettable — catastrophique, dans certains cas — que cet achalandage disparaisse à cause de la portée excessive du projet de loi.

Je veux souligner un certain nombre d’éléments qui, selon moi, posent problème dans le projet de loi C-18. D’abord, au cours de son étude, la Chambre des communes a adopté des amendements qui ont eu pour effet d’élargir considérablement le nombre de médias admissibles conformément au projet de loi C-18. On est passé d’environ 200 organisations — identifiées en fonction de critères stricts d’admissibilité aux crédits d’impôt — à 650 ou 700 entités. En fait, on ne sait même pas combien elles sont exactement, ce qui complique l’évaluation de ce qui constituerait un nombre suffisant d’ententes conclues par les plateformes pour être exemptées de la loi, et ce qui rend le processus de négociation imprévisible.

Cette expansion éloigne aussi le Canada des expériences française et australienne, où le nombre d’organes de presse couverts par le processus de négociation est nettement plus limité.

J’ai beaucoup de sympathie pour les médias communautaires et les radios étudiantes, où plusieurs journalistes commencent leurs carrières. Toutefois, je crois personnellement que ces organisations seraient mieux servies par des programmes de soutien ciblés — provenant du gouvernement fédéral ou des provinces — que par des ententes commerciales avec Google et Facebook. Il y a, selon moi, un certain non-sens à forcer les plateformes à payer des radios étudiantes où des bénévoles œuvrent, pour des contenus qui, réalistement, n’ont à peu près aucune valeur pour elles.

Au moment de l’étude article par article, le comité a rejeté un amendement qui aurait limité et précisé le nombre de médias couverts par le régime de négociations commerciales du projet de loi C-18. Malheureusement, ce refus pourra donner des munitions à Google et Facebook.

J’avance un deuxième argument. Dans le code australien qui a servi de modèle au projet de loi C-18, les plateformes peuvent être exemptées de l’application de la loi si elles ont fait, et je cite :

[...] une contribution significative à la viabilité de l’industrie médiatique australienne par l’entremise d’ententes liées au contenu d’information des médias australiens.

Dans la version canadienne, toutefois, la possibilité d’être exempté dépend d’une longue série de critères qui demeurent flous. Par exemple, qu’est-ce qu’une indemnisation équitable? Comment saura-t-on si les sommes reçues par les médias sont utilisées pour soutenir la production de nouvelles? Comment les plateformes sauront-elles si elles ont conclu suffisamment d’ententes avec des médias diversifiés? Que signifie l’exigence d’une « partie importante » des ententes qui seraient conclues avec des communautés de langue officielle en situation minoritaire?

Tout cela sans compter les exigences additionnelles qui pourraient être fixées par règlement.

Je suis convaincue que les objectifs poursuivis par ces critères sont nobles, et moi aussi, je souhaite que les médias du pays soient vigoureux, diversifiés et en bonne santé financière. Or, cette longue liste de critères donne l’impression que la survie même de l’écosystème médiatique canadien repose sur la conclusion d’ententes commerciales avec deux entreprises étrangères, voire une seule. Est-ce vraiment le modèle que le Canada souhaite faire sien? Estimons-nous vraiment que la survie des médias autochtones, communautaires ou en situation linguistique minoritaire devrait dépendre d’ententes commerciales avec des géants américains des technologies qui peuvent décider n’importe quand de retirer du contenu de leurs plateformes? Je suis sceptique.

Pendant les audiences, le point de vue des médias et des plateformes sur l’objet des négociations était encore une fois aux antipodes. Dans ses documents d’information, le gouvernement déclare que :

Le projet de loi C-18 propose une approche axée sur le marché qui vise à s’assurer que les plateformes numériques et les entreprises de nouvelles parviennent à des ententes commerciales équitables fondées sur la valeur marchande.

Pourtant, plusieurs organes de presse disent s’attendre à ce que Google et Facebook paient environ 30 % de la masse salariale de leurs salles de nouvelles, ce qui ressemble davantage à une subvention.

La question qui se pose est donc : le projet de loi C-18 propose‑t‑il une sorte de subvention pour les dépenses des salles de nouvelles ou une négociation commerciale visant l’échange de valeur entre deux parties? Le texte ne répond hélas pas à cette question.

Dans un mémoire présenté au comité, Konrad von Finckenstein, ancien président du CRTC, a relevé ce problème. Il a écrit ceci :

La loi devrait préciser l’objet des négociations […] Sans cette précision, les négociations et l’éventuel arbitrage ne seront pas ciblés et soulèveront des questions qui ne sont pas liées à l’objet de la négociation.

L’amendement que nous avons proposé, et qui a été adopté par le comité, s’est inspiré par les témoignages de représentants du gouvernement et même du ministre, qui ont tous convenu que les négociations devraient porter sur la valeur du contenu des nouvelles pour les plateformes et la valeur que les grandes plateformes apportent aux médias; autrement dit, un échange de valeur.

Dans son témoignage au comité, le ministre Pablo Rodriguez a décrit ainsi le processus du projet de loi C-18, et je cite :

[...] ce que l’on souhaite, c’est qu’il y ait une table de négociation dans le milieu et que tout se fasse sur la base de négociations libres et éclairées. Dans cette négociation, on a les plateformes d’un côté et de l’autre, on a les médias d’information. Les plateformes diront que le fait qu’ils diffusent le contenu des médias d’information et qu’ils soient sur leurs réseaux a une valeur — et cela en a une — et les médias diront qu’ils font un travail de recherche et que cela a une valeur. Ils s’assoiront ensemble et négocieront en fonction de cela.

À la lumière de ces témoignages, le comité a adopté un amendement qui précise l’objet des négociations et qui s’inspire également du code australien, qui est notre modèle.

Le nouvel article 18.1 se lit comme suit, et je cite :

Le processus de négociation [...] vise à déterminer, d’une part, la valeur que chaque partie tire du contenu de nouvelles d’une entreprise de nouvelles admissible rendu disponible par un intermédiaire de nouvelles numériques et, d’autre part, la portion de cette valeur qui sera transférée à l’entreprise de nouvelles admissible.

Cet amendement, bien sûr, ne règle pas tous les problèmes liés au projet de loi, mais il pourrait peut-être contribuer à préciser ses objectifs et à rapprocher les parties.

En conclusion, comme vous le constatez, je suis plus critique envers ce projet de loi que je ne l’étais en commençant mes recherches. Je ne crois pas, par exemple, que les simples hyperliens devraient être couverts par le projet de loi C-18. À ce titre, le modèle européen me semble plus équilibré.

Je note d’ailleurs que Google a conclu des ententes — excluant les simples hyperliens — avec 1 500 organes de presse dans 15 pays européens.

Le projet de loi C-18 est une loi bien imparfaite, mais elle a au moins le mérite de proposer un plan d’action pour rééquilibrer les forces. Le gouvernement s’est appuyé de bonne foi sur le modèle australien. C’était légitime.

On ne peut évidemment pas prédire la suite. Les plateformes bluffent-elles, comme le gouvernement le dit? Sont-elles sérieuses, comme elles le répètent?

Que se passera-t-il si Google et Facebook retirent les contenus de nouvelles de leur plateforme, que les médias ne reçoivent pas un sou et que leur trafic Web chute? Le quotidien Le Devoir nous disait que près de 80 % de son achalandage dépend du référencement des diverses plateformes. Quel sera l’impact sur l’information disponible pour les Canadiens?

Je vous avoue que je suis inquiète, car il est évident que Google et Facebook voient le Canada comme un petit joueur dans une négociation globale qui nous dépasse.

Je voterai donc pour le projet de loi, mais au-delà de ce débat, ce que j’espère surtout c’est que le gouvernement gagnera son pari. Merci.

Honorables sénateurs, mercredi dernier, Bell Média a annoncé que 1 300 personnes allaient être mises à pied à la suite de la centralisation de ses salles de nouvelles d’un bout à l’autre du pays. Parmi les personnes mises à pied, mentionnons deux personnes que les parlementaires connaissent très bien : Joyce Napier, cheffe de bureau de CTV à Ottawa, et Glen McGregor, correspondant politique principal de CTV. À l’étranger, ce réseau de télévision fermera ses bureaux à Londres et à Los Angeles et il réduira les activités de son bureau de Washington. L’entreprise ferme aussi six stations de radio, dont la chaîne TSN 1260, une radio parlée consacrée aux sports que les gens d’Edmonton aimaient tant. Cette station existait sous une forme ou une autre depuis 1927 — presque un siècle au service de la collectivité. Puis hier matin, pouf, plus rien.

Ces nouvelles compressions ont de quoi choquer, d’autant plus qu’il s’agit des dernières d’une longue série de débâcles médiatiques. Dans toutes les régions du pays, les journaux, les magazines, les stations de radio et de télé se battent pour survivre à un tsunami numérique qui a rogné leurs revenus de publicité, fait fondre leurs abonnements et éloigné lecteurs, téléspectateurs et auditeurs.

Au beau milieu de cette crise arrive le projet de loi C-18, qui recèle la promesse — fausse et illusoire, je le crains — du renouveau du secteur des médias. Vous vous demandez peut-être pourquoi moi, qui ai passé 30 années de ma vie à travailler comme journaliste, je n’appuie pas le projet de loi C-18. Je vais essayer de l’expliquer aussi clairement que possible. Le projet de loi n’est pas un plébiscite sur l’importance du journalisme ou sur la valeur de la liberté de la presse. Il devrait être évident pour tous aujourd’hui que le journalisme est en crise au Canada et que cette crise a un grave impact sur la démocratie et la société canadiennes. Si je croyais que ce projet de loi peut sauver le journalisme au Canada, je l’appuierais sans hésiter. Or, je ne peux pas l’appuyer et je ne l’appuierai pas.

En cette année où Tout, partout, tout à la fois a remporté l’Oscar du meilleur film et Spider-Man : à travers le spider-verse est le succès de l’été, il est difficile de passer à côté des métaphores sur le multivers. Voyons donc quels seraient deux résultats potentiels de l’adoption du projet de loi C-18.

Dans le premier scénario, il est possible que les sociétés Meta et Google mettent toutes les deux leurs menaces à exécution et bloquent l’accès aux nouvelles canadiennes. Imaginez que, soudainement, les Canadiens ne puissent plus lire ou transmettre de nouvelles sur Facebook ou Instagram, deux des plateformes de médias sociaux les plus utilisées au Canada. Imaginez que, soudainement, vous ne puissiez plus transmettre à votre voisin un article concernant une prise d’otage dans votre quartier ou, prenons un exemple moins dramatique, concernant le projet d’aménagement d’une tour d’habitation au bout de votre rue. Imaginez que vous ne puissiez plus transmettre à vos cousins un article racontant les plus récents démêlés de Donald Trump avec la justice, ni transmettre à votre belle-mère qui souffre d’emphysème un article sur la fumée des incendies de forêt, ni transmettre à votre ami gastronome une critique de restaurant parue dans le journal local.

Meta a signalé son intention de bloquer toutes les nouvelles, y compris les nouvelles internationales, le jour où le projet de loi C-18 recevra la sanction royale. Cela ne portera pas seulement atteinte à notre capacité de nous informer et de tenir nos amis informés. Cela réduira la capacité des médias d’information de publier et de diffuser leurs articles, d’attirer des lecteurs et de servir ceux qui achètent leurs espaces publicitaires. Cela réduira du jour au lendemain leur lectorat et leurs revenus, plaçant les médias et les radiodiffuseurs canadiens dans une situation encore pire qu’en ce moment.

De même, si Google cesse de diffuser des nouvelles canadiennes et internationales sur son puissant site, les conséquences seront encore plus désastreuses. Google domine le monde. Quatre-vingt-dix pour cent de la planète utilise Google comme moteur de recherche, un scandaleux et dangereux monopole qu’aucun pays, y compris le Canada, n’a véritablement contesté — bien que l’Union européenne s’y efforce, puisqu’elle vient d’intenter cette semaine une importante poursuite à l’encontre du géant des moteurs de recherche pour pratiques anticoncurrentielles.

Si Google cesse de nous indexer, eh bien, soudainement, pour des millions et des millions de Canadiens qui utilisent Google, tous les articles d’actualité disparaîtront purement et simplement. Et nous ne serons même pas conscients de ce que nous ne voyons pas. Notre réalité se transformera d’une manière que nous ne pouvons ni imaginer ni prévoir. En effet, de nombreux Canadiens qui — je suis désolée de vous le dire — n’ont pas suivi le débat sur le projet de loi C-18 ne se rendront peut-être même pas compte que les actualités ont disparu; jusqu’à ce que nous soyons confrontés à une situation d’urgence publique, à une crise sanitaire ou à un bouleversement politique, et qu’ils se retrouvent soudain plongés dans l’obscurité, sans pouvoir accéder aux informations vitales dont ils ont besoin pour eux-mêmes et pour leur famille.

Selon les chiffres de Statistique Canada publiés en mars dernier, 80 % des Canadiens s’informent en ligne et 90 % des titulaires d’un diplôme universitaire utilisent Internet comme principale source d’information. Quant aux Canadiens âgés de 15 à 34 ans, 95 % d’entre eux utilisent Internet comme principale source d’information. Si Google et Facebook commencent soudainement à bloquer cet accès à l’information, ce qui est leur droit en tant qu’entreprises privées américaines, nous serons tous coupés de l’information, et les journalistes canadiens seront coupés des lecteurs et des téléspectateurs, rapportant ainsi des nouvelles que personne ne peut trouver.

C’est du moins un scénario possible. Il se peut qu’il ne se produise pas, puisqu’il s’agit simplement d’une hypothèse. Examinons maintenant un autre scénario.

Supposons, pour les besoins de l’argumentation, que Facebook et Google bluffent, qu’ils profèrent des menaces en l’air et qu’ils n’ont ni la capacité technique ni le courage politique de faire quelque chose d’aussi radical. Supposons qu’après tout ce cinéma, ils cèdent et entament des négociations avec les organes de presse canadiens et acceptent de subventionner le journalisme canadien à hauteur, disons, de 300 millions de dollars par année pour payer 25 %, 30 % ou même 35 % du coût des salles de rédaction canadiennes. Eh bien, direz-vous, sénatrice Simons, si cela se produit, alors le projet de loi C-18 aura fait son travail.

Cependant, ce n’est pas si simple. Que se passera-t-il si des médias d’information canadiens jusque-là indépendants finissent par avoir absolument besoin de Google et de Meta pour survivre? Qu’arrivera-t-il si nous laissons ces deux géants américains contrôler encore davantage ce que nous lisons, ce que nous regardons et ce que nous écoutons? Nous en avons déjà eu un avant-goût, car Google et Facebook ont conclu secrètement des ententes avec de grands éditeurs dans l’ensemble du pays en vue de contourner le projet de loi C-18. Si vous lisez un article sur le projet de loi C-18 dans les médias, dans bien des cas, vous verrez une petite note en bas de page indiquant que l’organe de presse reçoit déjà une forme de rémunération dans le cadre d’une entente conclue en privé avec l’un des géants des médias sociaux. Vous pourrez ensuite juger si cette subvention a eu des effets sur la façon dont les nouvelles concernant Google ou Facebook sont rapportées.

L’autre jour, quelqu’un m’a demandé pourquoi le projet de loi C-18 a été beaucoup moins médiatisé que le projet de loi C-11. J’ai bien peur que la réponse saute aux yeux. Certains éditeurs canadiens, petits et grands, mais peut-être pas tous, ont fait preuve de retenue et se sont censurés, que ce soit de façon consciente ou non. Qui pourrait leur en vouloir? Ceux qui mordent trop fort la main qui les nourrit pourraient être punis.

Imaginez maintenant dans quelle mesure les nouvelles pourraient être diffusées de manière indépendante et libre si Facebook et Google tenaient les cordons de la bourse? Vous n’avez pas besoin d’imaginer. Sara Bannerman, titulaire de la chaire de recherche du Canada en politique de communication et gouvernance et professeure à l’Université McMaster, a esquissé quelques idées. Dans son mémoire présenté au Comité sénatorial permanent des transports et des communications, elle note que rien dans le projet de loi C-18 n’empêche l’influence croissante des plateformes numériques sur la couverture des actualités. Mme Bannerman note que des entreprises telles que Google et Meta pourraient rémunérer les organismes de presse sous forme de formations, de soutien technique, de technologies ou de rabais sur les licences technologiques. Cela semble bien, mais Mme Bannerman écrit que cela renforcerait l’intégration des organismes de presse dans les données et les technologies des plateformes numériques. Permettez‑moi de citer un extrait de son mémoire :

De telles technologies pourraient non seulement faire en sorte que des données et des renseignements sur les utilisateurs et les nouvelles remontent vers les plateformes (le projet de loi ne fait aucune mention de la protection de la vie privée), mais aussi influencer la manière dont les salles de nouvelles perçoivent et évaluent leurs propres activités.

La porte est également ouverte pour que les plateformes investissent dans des capitaux ou des projets spécifiques plutôt que (ou en plus) de payer en espèces. Les plateformes pourraient ainsi exercer une influence sur la structure et l’infrastructure des organismes de presse ou sur le contenu qu’ils produisent.

En effet, je dirais que Facebook et Google ont déjà eu une incidence directe et préjudiciable sur la manière dont les salles de rédaction présentent leurs articles, que ce soit parce que Facebook a insisté avec enthousiasme pour que les journaux se tournent vers la vidéo, ce qui s’est révélé essentiellement être une perte de temps, de ressources et de talents, ou parce que Google a incité les salles de rédaction à réécrire et à triturer les chapeaux et les titres dans une vaine tentative d’optimiser leurs articles pour les moteurs de recherche.

Je ne peux qu’imaginer à quel point ce type d’influence pourrait devenir plus direct dans un régime où Facebook et Google financent les nouvelles.

Laissez-moi citer à nouveau Sara Bannerman :

Permettre aux modèles opérationnels des plateformes de façonner l’information de cette manière peut être néfaste pour la qualité de l’information. Cette façon de faire peut conduire les salles de presse à rechercher des clics et des incitations à la création de plateformes plutôt que des sujets et des formats qui sont importants pour un électorat et des citoyens informés.

Nous avons certainement essayé au comité d’apporter de petits amendements pour rendre le projet de loi C-18 moins dommageable. J’ai moi-même été assez déçue lorsque, par une marge étroite, le comité a rejeté mon propre amendement qui visait à rendre Google et Facebook plus responsables de la manière dont ils utilisent leurs algorithmes pour favoriser certaines nouvelles et en supprimer d’autres. J’ai cherché à modeler mon amendement sur les protocoles de transparence des données qui ont déjà été adoptés par l’Union européenne, mais en vain, je le crains.

J’ai réussi à faire adopter un minuscule amendement prévoyant simplement l’élimination de la phrase « telle qu’une section d’un journal » de l’article 2. Cet amendement, soi dit en passant, a été adopté à l’unanimité. Dans la précipitation d’aujourd’hui, je crains que le sénateur Housakos m’ait prise pour la sénatrice Clement, qui a effectivement proposé un amendement qui avait une incidence sur les médias d’information autochtones — même si cela en a élargi la portée au lieu de la restreindre —, mais il s’agissait de son amendement et non du mien. Peut-être que lorsque le sénateur Housakos sera revenu de sa promenade — je m’excuse, je n’ai pas le droit de dire cela. Peut-être que le sénateur Housakos nous présentera ses excuses, à la sénatrice Clement et à moi, à un moment opportun.

La sénatrice Dasko, elle, a réussi à faire adopter un amendement beaucoup plus important permettant aux entreprises de médias qui ne veulent pas faire partie du régime du projet de loi C-18 de s’en retirer. À l’origine, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, ou CRTC, avait le pouvoir d’ordonner aux entreprises de faire partie de l’accord avec Google et Facebook même si elles ne le voulaient pas. Je suis contente que la sénatrice Dasko soit parvenue à apporter ce changement important.

Autre amendement important, la proposition de la sénatrice Miville-Dechêne, notre vice-présidente, vise à créer, entre les plateformes et les médias d’information, un cadre de négociation solide qui serait axé sur un véritable échange de bienfaits et qui laisserait une certaine latitude aux arbitres. Cet amendement cherche à injecter un peu de bon sens économique dans les dispositions rêveuses du projet de loi C-18, mais même si le comité l’a adopté, le gouvernement s’y est opposé. J’ai bien peur que ses jours soient comptés.

Qu’avons-nous finalement devant nous? Un projet de loi qui permet de sauver les médias canadiens? Non, il s’agit plutôt d’une mesure législative qui nous laisse à la merci des caprices d’Alphabet et de Meta, deux géants légèrement sclérosés qui ont leurs propres difficultés économiques.

Chers collègues, c’est tellement décevant. Il y a tant d’autres choses que le gouvernement aurait pu faire. Il aurait pu cesser de payer des millions de dollars à Facebook et Google en publicités et consacrer plutôt une partie de cet argent à l’achat de publicités dans des journaux locaux et des publications ethnoculturelles, autochtones ou issues des minorités linguistiques. Il aurait pu élargir son programme de crédits d’impôt pour inciter directement les Canadiens à s’abonner à des journaux et à des magazines. Il aurait tout simplement pu, comme l’a suggéré l’une de nos témoins, l’autrice et éditrice indépendante Jen Gerson, de The Line, accorder plus de fonds à Radio-Canada/CBC, ce qui aurait permis à notre diffuseur public de cesser de vendre des publicités et de faire ainsi concurrence aux journaux et aux diffuseurs privés.

Nous avons plutôt investi énormément de temps, d’énergie et de capital politique dans un projet de loi que Rube Goldberg n’aurait pas dédaigné et qui risque soit de nous exploser au visage, soit de compromettre l’indépendance et l’intégrité de l’information au Canada — si tant est qu’il fonctionne, point.

J’ai obtenu mon premier emploi à temps plein à titre de reporter professionnelle en mars 1988. J’avais 23 ans. J’ai travaillé à temps plein comme journaliste jusqu’en octobre 2018, moment où j’ai été nommée au Sénat. Je publie encore une chronique toutes les deux semaines dans le magazine Alberta News et j’anime mon propre balado politique mensuel, Alberta Unbound. Toute ma vie d’adulte se résume en cinq mots : papier journal, encre et ondes radio. Le journalisme a été ma vie, et il l’est encore. Dans mon bureau au Sénat, j’ai une étagère pleine de certificats du Concours canadien de journalisme, alors je crois qu’on peut dire que ce fut une vie bien remplie.

Ce qu’il est advenu de l’industrie de l’information dans ma ville, ma province et mon pays ne fait pas seulement m’attrister, cela me déchire, et je crains pour la santé de notre démocratie et de notre société. J’espère malgré tout me tromper spectaculairement à propos du projet de loi C-18. J’espère — sincèrement — qu’il donnera de bons résultats et que sa réussite me fera passer pour une vieille incrédule. Cela dit, chers amis, je ne me suis jamais autant senti comme Cassandre, la princesse troyenne qui avait un don de prophétie, mais que personne n’écoutait et ne croyait jamais.

Je vous remercie, hiy hiy.

L’honorable Percy E. Downe [ - ]

Votre Honneur, j’invoque le Règlement sur une question mineure.

Je suis certain que tous les sénateurs essaient de respecter le Règlement. Or nous savons tous qu’il est interdit de mentionner qu’une personne est présente ou absente de l’enceinte du Sénat. Je sais que vous connaissez le Règlement, mais je crois que vous pourriez peut-être rappeler cette règle à l’attention des sénateurs.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ - ]

C’est effectivement le cas, sénateur Downe. Il est toujours interdit de mentionner qu’un sénateur est absent de l’enceinte du Sénat. Je pense que la sénatrice a dit : « Oups, je n’aurais pas dû dire cela. » Je considère qu’il s’agit d’excuses de sa part.

Votre Honneur, je souhaite réellement m’excuser. J’ai un peu honte de mon erreur. Je présente mes excuses au sénateur Housakos et à tous les autres sénateurs.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ - ]

Très bien. Nous reprenons le débat.

L’honorable Fabian Manning [ - ]

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-18, Loi concernant les plateformes de communication en ligne rendant disponible du contenu de nouvelles aux personnes se trouvant au Canada.

Lorsque j’ai pris la parole au sujet de ce projet de loi à l’étape de la deuxième lecture, j’ai commencé mon discours en énonçant les objectifs du projet de loi selon le gouvernement. Le gouvernement estime que ce projet de loi réglera les problèmes auxquels se heurtent les médias traditionnels depuis une décennie. Nous avons entendu le ministre déclarer qu’il veut construire un écosystème de nouvelles plus équitable, où les médias traditionnels pourront recevoir le soutien dont ils ont besoin pour survivre. Évidemment, à titre de parrain du projet de loi, le sénateur Harder a répété ces mêmes arguments.

Le sénateur Harder et le ministre ont tous deux affirmé à répétition que, depuis 2010, environ le tiers des emplois en journalisme au Canada ont disparu, et que les chaînes de radio et de télévision et les journaux du Canada ont essuyé des pertes de revenu d’environ 4,9 milliards de dollars. En même temps, ils soutiennent que les revenus publicitaires en ligne ont augmenté considérablement.

Il ne fait aucun doute que les changements survenus au cours des 15 dernières années ont eu une grave incidence négative sur les médias traditionnels au Canada. Ce qui est moins clair, ce sont les raisons de ces changements. Il n’est pas clair non plus que le projet de loi C-18 réglera le problème de quelque façon que ce soit.

Lorsque le professeur Dwayne Winseck, de l’École de journalisme et de communication de l’Université Carleton, a témoigné devant le comité sénatorial le 10 mai dernier, il a souligné que les causes du déclin des médias traditionnels sont multiples. En réponse à une question que je lui ai posée, il a dit ce qui suit :

[...] je ne crois pas que Facebook et Google soient à l’origine de la crise du journalisme [...] Il y a 10 ans, les revenus ont commencé à baisser [...] La crise du journalisme tient à de multiples facteurs. Cela dépend de ce par quoi on veut commencer. Essentiellement, le tirage des journaux par habitant a commencé à diminuer dans les années 1980 et 1990. Les revenus culminent autour de 2005-2006 et commencent à fléchir par la suite. Pourquoi? À cause de la crise financière mondiale. Ces entreprises étaient mal préparées à cause des fusions, et elles étaient endettées au moment même où la publicité commençait à chuter et où les géants d’Internet commençaient à émerger.

Le professeur Winseck a donc insisté sur ce point : Google et Facebook ne sont pas à l’origine de la crise du journalisme.

Le professeur Winseck a ensuite dit que le projet de loi ne fera rien pour contrer le pouvoir monopolistique qui, selon lui, s’est bâti au cours des 15 dernières années. Il fait valoir que cette lacune fondamentale du projet de loi nuira aux Canadiens parce qu’il n’accorde pas suffisamment d’attention à la distribution équitable des bienfaits qui découleront du projet de loi pour soutenir les entités d’information plus petites et dynamiques qui pourraient animer notre écosystème de l’information. Il estime que cette lacune du projet de loi constitue un problème.

D’autres témoins avaient un point de vue quelque peu différent, bien qu’ils aient eu tendance à arriver à la même solution lorsqu’ils ont analysé le projet de loi. Peter Menzies, ancien vice-président du CRTC, a déclaré au comité le 2 mai que « le projet de loi C-18 n’aide pas ceux qui se démènent pour survivre ni ceux qui souhaitent faire leur entrée sur le marché ». M. Menzies a reconnu que le marché de l’information au Canada et dans le monde entier a subi d’énormes bouleversements au cours des dernières années. Il a indiqué qu’environ 473 journaux ont disparu au Canada, mais qu’à son avis, de nouvelles entités ont pris leur place. Il a fait remarquer que :

Ce sont près de 700 sites Web appartenant à des diffuseurs commerciaux titulaires — et nombre d’entre eux ressemblent beaucoup à un journal en ligne — [qui] ont été lancés.

Il a affirmé que cela s’est produit sans subventions publiques : « [...] 216 plateformes de nouvelles et de commentaires en ligne ont été lancées par des créateurs et des entrepreneurs. » Il s’agit notamment de nombreuses plateformes de nouvelles et de commentaires issues de la diversité.

Ce point de vue est quelque peu différent de celui du professeur Winseck, mais ce sur quoi ces témoins et beaucoup d’autres semblent s’entendre, c’est que le projet de loi C-18 ne résoudra pas le problème pour lequel il a été prétendument rédigé. Le ministre Rodriguez a répété à maintes reprises que le projet de loi est important pour protéger la presse libre et indépendante, mais il semble clair, d’après les témoignages entendus en comité, que le projet de loi échouera probablement à cet égard.

Tout d’abord, on s’est sérieusement demandé en comité qui profiterait du projet de loi. Selon les témoignages des fonctionnaires, le projet de loi C-18 devrait générer environ 215 millions de dollars pour les entreprises de nouvelles admissibles. L’estimation du directeur parlementaire du budget est un peu plus élevée : près de 350 millions de dollars. Comme le souligne le directeur parlementaire du budget, environ les trois quarts de ce montant, soit environ 240 millions de dollars, iront aux grands radiodiffuseurs, principalement CBC/Radio-Canada, Bell Média et Rogers Media. Quelle que soit la somme restante qui sera versée aux petites entreprises de médias admissibles et aux médias d’information autochtones, elle devra être répartie dans tout le pays entre de multiples entreprises de nouvelles.

Personnellement, je me demande quel financement sera réellement disponible pour les petites entreprises médiatiques de ma province, Terre-Neuve-et-Labrador. Lorsque nous avons demandé aux fonctionnaires quelle pourrait être la répartition du financement entre les provinces, ils n’ont pas pu nous répondre. Ils n’avaient pas de réponse à nos questions.

Lors de l’étude du projet de loi au comité, le sénateur Carignan a proposé un amendement fort raisonnable pour que les radiodiffuseurs d’État qui reçoivent déjà des subventions gouvernementales ne puissent pas bénéficier des mesures proposées dans le projet de loi C-18, mais la majorité des sénateurs au comité l’ont rejeté, ce qui veut dire qu’il y aura moins d’argent pour les petites entreprises de presse et pour les organes de presse autochtones. Évidemment, le gouvernement libéral préfère qu’on adopte cette approche au lieu de donner encore plus de subventions aux radiodiffuseurs d’État.

C’est dommage, car même en considérant les chiffres les plus optimistes fournis par le directeur parlementaire du budget et l’aide par habitant qui sera probablement offerte aux petites entreprises de presse de Terre-Neuve-et-Labrador, on arrive à un montant de moins de 2 millions de dollars, une maigre somme pour ces organes de presse qui peinent à survivre dans le marché actuel.

Compte tenu de cette réalité, il n’est guère surprenant que bon nombre de témoins se soient dits sceptiques quant à la possibilité que le projet de loi C-18 puisse bâtir l’écosystème médiatique équitable que le ministre dit vouloir mettre en place. Dans ma province, Terre-Neuve-et-Labrador, un montant de moins de 2 millions de dollars est le meilleur résultat auquel les petites entreprises de presse peuvent s’attendre.

Quand le ministre a comparu devant notre comité, il a été absolument incapable d’expliquer ce qui se passerait si certains des grands intermédiaires de nouvelles numériques, tels que Meta, Google et peut-être d’autres, cessaient tout simplement de fournir des liens vers les nouvelles au Canada. Les témoins de Meta qui ont comparu devant le comité ont clairement dit qu’ils ne participeraient pas au processus de négociation, tandis que les témoins de Google ont affirmé que leur entreprise n’avait pas encore pris de décision. La non-participation de seulement deux grandes plateformes pourrait réduire de 30 % le financement des entreprises de nouvelles admissibles.

La sénatrice Simons a posé au ministre une question très directe à ce sujet en comité. Elle lui a demandé ce qui se passera si, le 1er juillet, les plateformes se désengagent du marché canadien de l’information et cessent de partager du contenu canadien. Une lecture juste de l’échange qui a suivi entre le ministre et la sénatrice Simons montre que le ministre a tout simplement refusé de répondre à la question ou n’était pas en mesure de le faire.

Une fois de plus, le sénateur Carignan a proposé un amendement qui visait à résoudre au moins une partie de ce problème en supprimant la mention des hyperliens dans la définition du terme « contenu des nouvelles ». Cela aurait pu aider à maintenir dans le régime de financement les plateformes qui, après tout, sont au cœur du modèle de financement du gouvernement. Mais, une fois de plus, la majorité des membres du comité — y compris, paradoxalement, la sénatrice Simons — ont dit non. Cela dit, le discours qu’elle a prononcé aujourd’hui me donne bon espoir à propos de ce qui se passera au moment du vote.

Chers collègues, cela devrait tous nous inquiéter, car je suis porté à croire que le gouvernement n’a aucune idée de ce qui se produira si le modèle de financement du projet de loi tombe à l’eau.

Si le projet de loi est adopté, de nombreux petits médias d’information au Canada se dirigeront vers l’inconnu — une triste réalité bien sûr. À cet égard, le projet de loi équivaut à un saut dans le vide, et j’ai bien peur que cela ait un double sens.

Les répercussions majeures de ce projet de loi sur les relations commerciales du Canada ne font aucun doute. L’année dernière, Katherine Tai, la représentante au Commerce des États-Unis, a publié un communiqué dans lequel elle exprime ses inquiétudes :

[...] au sujet de la taxe unilatérale proposée par le Canada sur les services numériques et l’adoption éventuelle par le Parlement du Canada d’un projet de loi ayant un impact sur les services de diffusion en continu numériques et le partage des nouvelles en ligne et s’attaquant aux entreprises américaines.

Plus tôt cette année, l’ambassade des États-Unis a exprimé ses préoccupations quant à l’impact de ce projet de loi sur les services de diffusion en continu et la discrimination contre des entreprises américaines.

Fidèle à lui-même, le gouvernement a répondu qu’il ne se laisserait pas intimider. Ne pas se laisser intimider est une bonne stratégie à adopter quand on dispose d’un atout stratégique. Toutefois, si l’on se fie aux témoignages entendus, c’est loin d’être le cas pour le projet de loi C-18. En fait, selon moi, le projet de loi C-18 crée la crise même pour laquelle le gouvernement n’a pas prévu de stratégie.

Pendant la séance d’information que j’ai reçue en tant que porte‑parole pour ce projet de loi, on a demandé aux fonctionnaires quelles seraient les répercussions sur les entreprises canadiennes si les États-Unis lançaient des représailles commerciales. Les fonctionnaires ont répondu qu’elles seraient probablement équivalentes à ce que les États-Unis croyaient que les intermédiaires de nouvelles numériques étatsuniens avaient perdu ou perdaient à cause du projet de loi C-18. Autrement dit, que ce montant soit d’à peine plus de 200 millions de dollars, comme le prévoit le gouvernement, ou de 330 millions de dollars, comme le prévoit le directeur parlementaire du budget, les représailles commerciales des États-Unis pourraient éliminer tous les gains. Encore une fois, c’est à se demander quel sera le bénéfice net final de ce projet de loi.

Je dois admettre que j’ai été extrêmement surpris et déçu que des sénateurs membres de notre comité, qui prétendent très bien connaître et comprendre — bien plus que moi — le monde canadien des médias, n’aient pas fait grand-chose pour s’attaquer aux nombreux problèmes que les témoins ont soulevés pendant les réunions du comité.

Il y a d’autres inquiétudes au sujet ce projet de loi en ce qui concerne ses répercussions sur l’indépendance journalistique. Dans son mémoire sur le projet de loi C-18, le chapitre du Canada de l’Internet Society a émis un avertissement à ce sujet. Voici ce qu’on peut y lire :

La Loi sur les nouvelles en ligne rendra les organismes de presse dépendants des rentrées d’argent directes des plateformes en ligne, elle donnera à ces plateformes, sous la supervision du CRTC, des pouvoirs de contrôle intrusifs sur les activités commerciales des organismes de presse, elle portera atteinte à l’indépendance journalistique [...]

Cette préoccupation, bien sûr, suppose que les plateformes en ligne participeront effectivement au régime créé par le projet de loi. Si tel est le cas, les préoccupations concernant les incidences de cette situation ont été systématiquement ignorées.

D’autres préoccupations ont été soulevées au sujet des pouvoirs accordés au CRTC pour obliger tout organe de presse à fournir tout renseignement qu’il juge nécessaire.

Phillip Crawley, éditeur et chef de la direction du Globe and Mail, a soulevé cette question auprès de notre comité, demandant que les pouvoirs de collecte de renseignements du CRTC soient limités « à ceux qui sont nécessaires pour confirmer l’admissibilité des organisations de nouvelles ou pour enquêter sur une plainte ».

Ici encore, le sénateur Carignan a proposé un amendement très raisonnable pour limiter les pouvoirs du CRTC exactement de cette façon. Cependant, une fois de plus, la majorité des sénateurs de notre comité a rejeté l’amendement.

En fin de compte, aucun des amendements mineurs adoptés par le comité n’a corrigé les lacunes fondamentales du projet de loi. Mes amis, nous n’avons pas transformé l’eau en vin; nous avons simplement brouillé l’eau davantage.

Selon les témoignages, il n’y a absolument aucune assurance que le projet de loi C-18 puisse offrir aux entreprises de presse admissibles le soutien que le gouvernement prétend pouvoir leur apporter. La triste réalité de ce projet de loi est que ce sont les petites entreprises de presse du Canada qui perdront le plus à cause de cette mesure. Toutefois, tous les Canadiens seront perdants si le projet de loi C-18 n’atteint pas ses objectifs et s’il n’en résulte que des attentes insatisfaites et une nouvelle guerre commerciale avec les États-Unis.

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications a eu l’occasion d’envoyer au gouvernement un message raisonnable sur toutes ces préoccupations. Je crois qu’il était de notre devoir de procéder à un second examen objectif du projet de loi; cependant, la majorité des sénateurs ont refusé de le faire et ce sont les Canadiens qui vont maintenant en subir les conséquences. Dans notre démocratie, c’est la majorité qui l’emporte, et je crains que ce soient les Canadiens qui doivent maintenant vivre avec les conséquences de la décision d’adopter le projet de loi. J’aurais aimé qu’il en soit autrement. Merci.

Son Honneur la Présidente [ - ]

Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Son Honneur la Présidente [ - ]

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Son Honneur la Présidente [ - ]

Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Son Honneur la Présidente [ - ]

Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Son Honneur la Présidente [ - ]

À mon avis, les oui l’emportent.

Son Honneur la Présidente [ - ]

Je vois deux sénateurs se lever. Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie?

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