Le Code criminel
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture
21 septembre 2023
Propose que le projet de loi C-48, Loi modifiant le Code criminel (réforme sur la mise en liberté sous caution), soit lu pour la deuxième fois.
— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-48, Loi modifiant le Code criminel (réforme sur la mise en liberté sous caution). Ce projet de loi vise à durcir les dispositions législatives du Canada sur la mise en liberté sous caution afin de répondre aux préoccupations entourant la sécurité publique et la confiance de la population envers le système de justice dans les cas d’infractions avec violence, de violence entre partenaires intimes et d’infractions commises avec des armes à feu et d’autres armes.
Le système de mise en liberté sous caution veille à ce que les personnes accusées d’infractions pénales se présentent au tribunal pour faire face aux accusations portées contre elles. En théorie, la manière la plus infaillible d’y parvenir serait de simplement détenir une personne dès son arrestation jusqu’à son procès. Il demeure toutefois un principe fondamental de notre système de justice pénale : la présomption d’innocence jusqu’à preuve du contraire. Ce principe est inscrit à l’article 11 de la Charte canadienne des droits et libertés, soit le même article qui protège le droit, et je cite :
e) de ne pas être privé sans juste cause d’une mise en liberté assortie d’un cautionnement raisonnable;
Ainsi, toute mesure limitant l’accès à la libération sous caution ou augmentant la probabilité d’une détention avant le procès doit être prise avec prudence et retenue, de manière ciblée et pour des raisons impérieuses.
Le gouvernement — avec la contribution considérable des provinces, des territoires, des organisations autochtones et d’autres partenaires — a élaboré le projet de loi C-48 en gardant ces considérations à l’esprit.
Par conséquent, le projet de loi vise étroitement les récidivistes violents, pour la raison impérieuse de protéger les communautés canadiennes.
Actuellement, la mise en liberté sous caution peut être refusée pour trois raisons : premièrement, garantir la présence de l’accusé au tribunal; deuxièmement, protéger le public; troisièmement, maintenir la confiance du public dans l’administration de la justice.
Lorsqu’ils décident d’accorder ou non la mise en liberté sous caution ou d’en imposer les conditions, les tribunaux sont tenus de :
[chercher] en premier lieu à mettre en liberté le prévenu à la première occasion raisonnable et aux conditions les moins sévères possible dans les circonstances [...]
Dans l’ensemble, les ministres de la Justice du Canada conviennent que ces lignes directrices nous servent bien et que le système de mise en liberté sous caution fonctionne correctement dans la plupart des cas. Cependant, des inquiétudes ont été soulevées quant à la nécessité de recentrer le système actuel afin de mieux protéger le public. Cette préoccupation a notamment été formulée en janvier dernier dans une lettre adressée au premier ministre par tous les premiers ministres provinciaux et territoriaux et a fait l’objet de nombreuses discussions entre les différents ordres de gouvernement.
Il s’agit d’un domaine de compétence partagée. Les lois sur la mise en liberté sous caution sont définies par le gouvernement fédéral dans le Code criminel, mais sont généralement mises en œuvre par les provinces et les territoires.
Lors de récentes réunions, le ministre de la Justice fédéral ainsi que ses homologues provinciaux et territoriaux ont tous reconnu leur responsabilité et ont convenu de faire leur part. En ce qui concerne les provinces et les territoires, cela signifie améliorer l’application des lois existantes, mieux utiliser les outils juridiques disponibles et recueillir de meilleures données sur la mise en liberté sous caution. Au niveau fédéral, il s’agira d’envisager des changements législatifs, comme ceux qui sont proposés dans le projet de loi C-48.
Cette mesure législative prévoit les cinq changements suivants : l’ajout dans la loi d’une disposition de l’inversion du fardeau de la preuve dans le cas de récidives avec violence impliquant des armes; l’ajout de certaines infractions commises avec des armes à feu aux dispositions qui déclencheraient l’inversion du fardeau de la preuve; l’élargissement de la disposition de l’inversion du fardeau de la preuve dans les cas de violence entre partenaires intimes; la précision de la signification d’une ordonnance d’interdiction aux fins d’une disposition existante de l’inversion du fardeau de la preuve; enfin, l’ajout de nouvelles considérations et exigences pour les tribunaux.
Je commencerai par parler de la notion d’inversion du fardeau de la preuve avant de me pencher sur chaque élément en détail. Dans la plupart des cas, on présume au départ que l’accusé sera libéré en attendant son procès et qu’il incombe à la poursuite de justifier pourquoi il faudrait refuser la mise en liberté sous caution. L’inversion du fardeau de la preuve signifie qu’on présume au départ que l’accusé restera en détention en attendant son procès et que c’est à lui de justifier pourquoi il devrait être libéré sous caution.
À l’heure actuelle, le fardeau de la preuve est inversé pour le meurtre et la tentative de meurtre ainsi que pour certaines infractions concernant le trafic de drogues et d’armes, les armes à feu, le terrorisme et la violence entre partenaires intimes. La Cour suprême a validé la constitutionnalité de l’inversion du fardeau de la preuve dans des cas très précis, notamment dans l’affaire R. c. Pearson en 1992. Fait essentiel, même lorsque le fardeau de la preuve est inversé, le tribunal conserve le plein pouvoir d’accorder ou de refuser la mise en liberté sous caution et d’imposer des conditions à sa discrétion.
Comme je l’ai dit il y a un instant, la première disposition d’inversion du fardeau de la preuve contenue dans le projet de loi C-48 concerne les récidivistes accusés d’une infraction avec violence et d’usage d’une arme. Cette disposition ne s’appliquerait que si les conditions suivantes sont remplies : premièrement, il doit y avoir eu usage, tentative ou menace de violence à l’aide d’une arme dans la perpétration de l’infraction présumée; deuxièmement, l’infraction doit être passible d’un emprisonnement maximal de 10 ans ou plus; troisièmement, l’accusé doit avoir été condamné pour une autre infraction commise à l’aide d’une arme passible d’un emprisonnement maximal de 10 ans ou plus dans les cinq années précédentes.
Ces critères visent précisément les récidivistes violents qui sont les plus préoccupants du point de vue de la sécurité publique. De plus, comme l’ont expressément demandé les gouvernements du Manitoba et de la Saskatchewan, ils couvrent toutes les infractions graves commises à l’aide d’une arme, y compris les armes à feu, les armes blanches et les vaporisateurs chasse-ours, lesquels, selon ce que je comprends, suscitent beaucoup d’inquiétudes dans ces provinces depuis quelque temps.
La deuxième modification proposée par le projet de loi C-48 élargirait la liste actuelle des dispositions portant inversion du fardeau de la preuve qui s’appliquent aux infractions liées aux armes à feu afin d’y inclure : la possession illégale d’une arme à feu prohibée ou à autorisation restreinte chargée ou d’une arme à feu prohibée ou à autorisation restreinte non chargée lorsque les munitions sont facilement accessibles; l’introduction par effraction pour voler une arme à feu; le vol qualifié visant une arme à feu; la modification d’une arme à feu pour en faire une arme automatique.
Ces infractions témoignent d’un comportement qui peut nuire considérablement à la sécurité publique. Il convient de noter que la première d’entre elles, l’infraction visant la possession illégale, répond directement à l’appel des 13 premiers ministres provinciaux, tel qu’énoncé dans leur lettre de janvier au premier ministre, et à l’appel de partenaires des forces de l’ordre.
Le projet de loi C-48 renforcerait également la disposition actuelle relative au renversement du fardeau de la preuve pour les personnes accusées de violence contre un partenaire intime. Comme plusieurs sénatrices et sénateurs s’en souviendront, ce renversement du fardeau de la preuve a été instauré au moyen du projet de loi C-75, qui a reçu la sanction royale en juin 2019. Il s’applique aux personnes accusées de violence contre un partenaire intime qui ont déjà été reconnues coupables d’une infraction similaire, en reconnaissance du fait que les femmes qui dénoncent un partenaire violent s’exposent souvent à un risque plus élevé en le faisant.
Le projet de loi C-48 élargirait cette disposition afin qu’elle s’applique non seulement aux personnes déjà reconnues coupables de violence contre un partenaire intime, mais également à celles qui ont déjà été libérées pour une telle infraction. Une absolution est un constat de culpabilité, mais pas une condamnation; cela signifie souvent que l’accusé peut éviter d’avoir un casier judiciaire en respectant certaines conditions. Il s’agit là d’un outil potentiellement utile pour les juges qui se prononcent sur la peine dans certains cas, mais aux fins d’évaluation du risque, le gouvernement estime qu’une absolution antérieure pour violence contre un partenaire intime devrait être traitée de la même manière qu’une condamnation précédente. Dans les deux cas, un verdict de culpabilité a été rendu et l’accusé pourrait présenter un risque élevé de récidive s’il était libéré.
Je souligne également que cet élément du projet de loi C-48 est comparable à un article du projet de loi S-205, parrainé par le sénateur Boisvenu, que nous avons adopté en avril dernier et qui est actuellement à l’étude à l’autre endroit.
La quatrième proposition importante du projet de loi C-48 permettrait de mieux définir l’ordonnance d’interdiction à l’étape de la mise en liberté sous caution dans le cadre de procédures criminelles. À l’heure actuelle, l’inversion du fardeau de la preuve s’applique aux personnes accusées d’infractions liées aux armes qui étaient visées par une ordonnance leur interdisant de posséder une arme au moment de l’infraction. Autrement dit, si un tribunal a déjà interdit à une personne d’avoir une arme à feu et que cette personne commet une infraction liée à une arme, il s’agira d’un facteur aggravant lorsqu’on évaluera la possibilité de mise en liberté sous caution.
Le projet de loi C-48 permettrait d’indiquer clairement qu’on doit appliquer la même approche aux personnes qui commettent une infraction liée à une arme alors qu’elles sont en liberté sous caution, lorsque l’une des conditions de cette mise en liberté était l’interdiction de posséder une arme. Si cela semble être un point de détail, bien honnêtement, c’est parce que c’en est un. Il s’agit essentiellement de codifier le concept d’ordonnance d’interdiction dans la common law. Il est peu probable que cela changera la façon dont la loi est appliquée à l’heure actuelle, mais en droit criminel — y compris, bien sûr, dans le Code criminel —, la précision est d’or. Le projet de loi expliciterait donc ce concept.
Le dernier élément du projet de loi C-48 porte sur l’approche que doivent prendre les tribunaux au moment de décider s’il convient d’accorder une mise en liberté sous caution. En 2019, le projet de loi C-75 a modifié le Code criminel de sorte qu’avant de rendre une ordonnance de mise en liberté sous caution, les tribunaux doivent tenir compte de tout facteur pertinent, y compris si le prévenu a antérieurement été condamné pour une infraction criminelle ou s’il est accusé d’une infraction perpétrée avec usage de violence contre un partenaire intime.
Le projet de loi C-48 irait un peu plus loin en exigeant expressément que les tribunaux vérifient si l’accusé a déjà commis des crimes violents. De plus, le juge devrait déclarer officiellement avoir pris en compte la sécurité de la collectivité dans sa décision.
À l’heure actuelle, même si cela fait généralement partie du processus décisionnel de la plupart des juges, la loi oblige seulement les tribunaux à tenir compte de la sécurité de la victime. Ce changement répondrait aux préoccupations soulevées par certaines municipalités ainsi que certaines communautés autochtones.
Laissez-moi vous donner un exemple. L’an dernier, il y a eu une affaire dans laquelle un homme ayant des antécédents d’infractions sexuelles avec violence devait être mis en liberté sous caution dans la localité d’Old Crow, au Yukon. Il y a eu une levée de boucliers de la part de la Première Nation des Gwitchin Vuntut. Au bout du compte, la décision a été modifiée et il a été envoyé à Whitehorse. Selon la nouvelle disposition du projet de loi C-48, ce genre de considération à l’égard de la communauté devra faire partie du processus décisionnel.
Voilà le contenu de cette mesure législative, honorables sénateurs. Comme je l’ai dit dès le départ, elle est conçue pour être très ciblée et répondre à des préoccupations en matière de sécurité, comme celles soulevées par les provinces et les territoires, tout en respectant les droits garantis par la Charte. Ce projet de loi fait partie d’un effort national visant à renforcer le système de mise en liberté sous caution en collaboration avec d’autres ordres de gouvernement. C’est un projet de loi qui reflète une grande participation de la part des provinces et des territoires.
Comme je l’ai dit plus tôt, les gouvernements provinciaux et territoriaux ont participé à ce dossier. Récemment, les provinces de l’Ontario et du Manitoba ont annoncé qu’elles s’engageaient notamment à améliorer les mesures de conformité en matière de mise en liberté sous condition. La Colombie-Britannique a fait d’importants investissements afin de renforcer l’application de la loi et d’améliorer les interventions auprès des récidivistes violents.
Par-dessus tout, les provinces et les territoires se sont engagés à améliorer la collecte des données, car il faut se le dire, les données actuelles laissent sérieusement à désirer. Comme vous le savez, chers collègues, ce n’est pas la première fois qu’une telle situation se produit, et c’est encore plus vrai dans le domaine de la justice pénale, car le système est administré par chaque province ou territoire. Les plus récents budgets fédéraux prévoyaient des investissements destinés à améliorer la collecte de données, y compris de données désagrégées, et le gouvernement espère que les promesses des provinces concernant les mises en liberté sous caution porteront leurs fruits.
J’attire également votre attention, chers collègues, sur le fait que le projet de loi C-48 prévoit un examen parlementaire après cinq ans. J’imagine que le Parlement sortira gagnant si les données qui seront alors disponibles sont de meilleure qualité.
J’insiste également sur le fait que la réforme des mises en liberté sous caution a aussi été discutée avec les représentants de divers organismes autochtones nationaux et des peuples autochtones en général, dont l’Assemblée des Premières Nations, l’Inuit Tapiriit Kanatami, le Ralliement national des Métis, l’Association du Barreau autochtone, l’Assemblée des chefs du Manitoba, la Fédération des nations autochtones souveraines de Saskatchewan et j’en passe. Leurs commentaires ont largement inspiré l’approche législative retenue dans le but de protéger les communautés autochtones des crimes violents sans perdre de vue la nécessité de s’attaquer à la surreprésentation des Autochtones au sein de l’appareil judiciaire pénal.
Chers collègues, le rôle des sénateurs consiste à représenter les régions du Canada. Le projet de loi C-48 est une mesure législative qu’appuient toutes les provinces et tous les territoires. En fait, tous leurs premiers ministres l’ont expressément réclamée. Avec le projet de loi C-48, le gouvernement répond à leur appel.
Les récidives violentes et les infractions commises avec des armes à feu ou d’autres armes doivent être prises au sérieux. Le projet de loi C-48 propose des mesures concrètes au niveau fédéral pour renforcer le régime de mise en liberté sous caution et répondre aux préoccupations en matière de sécurité publique d’une manière qui respecte la Charte, le pouvoir discrétionnaire des juges et les principes fondamentaux de la justice qui définissent le régime pénal canadien.
L’autre endroit a adopté le projet de loi aussitôt qu’il l’a pu. Il l’a débattu et adopté lundi dernier, lors de son premier jour de séance de l’automne. Je prie mes honorables collègues d’entendre l’appel à l’action pressant des provinces et des territoires et de reconnaître le sentiment d’urgence exprimé par les députés en faisant progresser le projet de loi C-48 sans tarder.
Là-dessus, je vous remercie.
Sénateur Gold, si le projet de loi C-48 sur la réforme de la mise en liberté sous caution avait été en vigueur au cours des cinq dernières années, combien de criminels seraient restés derrière les barreaux plutôt que d’être mis en liberté sous caution? D’après vos explications, ce projet de loi du gouvernement Trudeau a une portée très limitée. Je présume donc que le nombre réel de délinquants auxquels il s’appliquerait en réalité serait infime.
Je vous remercie de votre question. De toute évidence, il est primordial de se questionner sur l’incidence de ce projet de loi — ou sur ce qu’elle aurait pu être. Je ne vais pas me cacher derrière des suppositions puisque le projet de loi n’était pas en vigueur.
Toutefois, j’aimerais porter à l’attention du Sénat, comme je l’ai indiqué brièvement, que, pour un certain nombre de raisons, nous n’avons pas les données nécessaires. Les décisions de mise en liberté sous caution ne sont pas toutes consignées, puis celles qui le sont n’entraînent pas nécessairement la collecte, la ventilation et l’analyse des données à l’échelon provincial. Certaines de ces décisions sont prises par un juge de paix et elles ne laissent aucune trace. Par ailleurs, il n’y a aucun système en place à ce jour pour recueillir toutes les données — même si elles seraient incomplètes dans l’état actuel des choses — et les analyser.
Grâce à ce projet de loi et, bien sûr, à l’engagement des provinces et des territoires à apporter leur contribution dans leurs champs de compétence, il est à espérer que nous aurons accès à un ensemble de plus en plus complet de données et qu’en tant que parlementaires, nous serons en mesure de répondre à ces questions avec plus de certitude — que ce soit dans cinq ans, dans le cadre de l’examen parlementaire ou, dans l’intervalle, dans le cadre d’une étude approfondie en comité.
Il est aussi important de comprendre que les dispositions prévoyant l’inversion du fardeau de la preuve se situent dans le contexte des principes fondamentaux du système de justice pénale, conformément aux protections et garanties reflétées dans la Charte des droits. C’est donc dire que, peu importe s’ils composent ou non avec une disposition prévoyant l’inversion du fardeau de la preuve, les juges ont encore la liberté d’accorder ou de refuser une demande de mise en liberté sous caution ou d’imposer les conditions qu’ils considèrent nécessaires dans l’intérêt la sécurité publique.
Le gouvernement du Canada et l’ensemble des provinces et des territoires sont d’avis que les mesures proposées contribueront à renforcer le système de mise en liberté sous caution et à mieux protéger les collectivités canadiennes. Pour savoir si elles auront effectivement cet effet, il faudra analyser leurs conséquences réelles, ce qui nécessitera un solide engagement envers la collecte et l’analyse des données.
Le ministère de la Justice a probablement ces renseignements ou, du moins, devrait vraiment les avoir lorsqu’il rédige un projet de loi de ce genre. Ce que nous regardons, en fait, ce sont les genres d’infractions et le nombre d’années d’emprisonnement que chacune pourrait entraîner. Si vous ne connaissez pas la réponse, ce n’est pas un problème, mais pourriez‑vous l’obtenir dès que possible, surtout que vous espérez faire adopter ce projet de loi très rapidement? Après tout, vous êtes parrain du projet de loi au Sénat et leader du gouvernement au Sénat.
Le ministère de la Justice a sûrement fait une évaluation pour déterminer combien d’infractions pourraient être couvertes par un projet de loi de ce genre. Pourriez-vous nous fournir ces renseignements dès que possible?
Encore une fois, le ministère de la Justice ne dispose que des renseignements qu’il est en mesure de rassembler à partir des données fournies par les provinces ou disponibles auprès d’elles. Je ne prétendrai pas que ces informations sont exhaustives.
Toutefois, nous étudierons ce projet de loi en comité. Le ministre sera présent, ainsi que les fonctionnaires, et nous aurons l’occasion, grâce à l’étude du projet de loi, de répondre à ces questions d’une manière plus détaillée que je ne peux le faire aujourd’hui.
Encore une fois, il est important, chers collègues, de se rappeler que pour que ce projet de loi satisfasse au critère établi par la Cour suprême et aux exigences de la Charte, il faut choisir et viser, dans le contexte d’une disposition d’inversion du fardeau de la preuve, des éléments qui sont rédigés de façon très précise et qui sont jugés nécessaires pour promouvoir les objectifs du système de mise en liberté sous caution, à savoir protéger la sécurité publique, s’assurer que les contrevenants comparaissent, et promouvoir et protéger la confiance du public. À cet égard, le gouvernement est convaincu qu’il a ciblé les types d’infractions de manière appropriée et conforme aux principes fondamentaux de justice.
Sénateur Gold, durant ma carrière de journaliste, j’ai couvert des crimes terribles qui avaient été commis par des personnes qui avaient été mises en liberté sous caution. Je comprends donc l’élan émotionnel et politique qui pousse à accélérer l’adoption de ce projet de loi. Toutefois, je suis préoccupée par la vitesse à laquelle les choses évoluent, car nous traitons d’une question où des libertés fondamentales sont en jeu. Comme vous l’avez si éloquemment expliqué, nous jouissons au Canada de la présomption d’innocence, alors nous n’utilisons les dispositions relatives au renversement du fardeau de la preuve que dans des cas très particuliers, en raison, justement, de cette présomption d’innocence.
Compte tenu de l’état de nos centres de détention provisoire, qui ne sont pas des endroits agréables et qui sont remplis à craquer, et compte tenu des retards de notre appareil judiciaire, l’Association canadienne des libertés civiles s’est inquiétée du fait que l’élargissement des dispositions relatives au renversement du fardeau de la preuve pourrait amener des personnes à plaider coupable simplement pour accélérer leur passage à un endroit moins inconfortable que les centres de détention provisoire.
J’ai deux questions à vous poser. Premièrement, quelles assurances avons-nous que cela n’aura pas pour effet de remplir encore plus les centres de détention provisoire, d’engorger encore plus les tribunaux et d’inciter les gens à plaider coupable afin de sortir des limbes de la détention provisoire? Deuxièmement, étant donné le rythme auquel les choses évoluent, le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles aura-t-il la latitude nécessaire pour mener une étude en bonne et due forme, ce qui n’a pas été autorisé à la Chambre des communes?
Merci. Vous soulevez des points importants.
Comme on peut s’y attendre, le gouvernement est bien au fait des réserves qui ont été exprimées non seulement par l’Association canadienne des libertés civiles, mais également par la Société Elizabeth Fry et la Société John Howard. De toute évidence, il importait notamment de veiller à ce que la portée des mesures que renferme le projet de loi — les modifications ou, dans certains cas, les rajustements qui s’y trouvent — soit la plus étroite et la plus ciblée possible, à la fois pour respecter la Charte, aussi fondamental cela soit-il, mais également pour réduire autant que possible les effets collatéraux et les répercussions.
L’inquiétude au sujet de la surreprésentation des personnes autochtones, marginalisées et racisées est bien réelle; le gouvernement l’a prise très au sérieux comme le montrent les nombreuses mesures qu’il a déjà mises de l’avant, notamment en ce qui concerne les peines minimales obligatoires. Cette question était aussi au cœur des discussions que nous avons eues avec un grand nombre d’intervenants pendant l’élaboration du projet de loi.
Le Sénat ne précipite pas l’étude de ce projet de loi. L’autre endroit a décidé de l’adopter d’un seul coup, et ce n’était pas à l’initiative du gouvernement. Lorsque la motion a été présentée, tous les députés — de l’ensemble des partis, à l’unanimité — l’ont appuyée pour des raisons qui leur appartiennent. En passant, je pense qu’ils ont procédé ainsi parce qu’ils avaient conscience de l’importance de cet enjeu pour la population, les territoires, les provinces et les responsables de l’administration de la justice.
Au Sénat, nous ferons notre travail. Comme beaucoup le savent maintenant, ce projet de loi sera renvoyé au Comité des affaires juridiques, lequel élaborera son plan de travail et gérera ses travaux de la manière qu’il juge appropriée. Je suis convaincu que le comité et le Sénat accorderont au projet de loi toute l’attention qu’il mérite, que nous entendrons des témoins qui l’appuient et d’autres qui s’y opposent et que nous ferons notre travail comme il se doit. Tout ce que je demande aux sénateurs, c’est de garder l’esprit ouvert et je les invite à suivre les travaux du comité, s’ils le veulent bien, de sorte que notre débat à l’étape de la troisième lecture soit aussi éclairé que possible une fois que le comité aura fait rapport de son étude du projet de loi.
Cela dit, il est important, pour les 13 provinces et territoires, les parties intéressées et les collectivités, que nous fassions notre travail adéquatement et diligemment, car il s’agit d’une question de sécurité publique et d’importance publique.
Sénateur Gold, je m’inquiète de l’adoption précipitée du projet de loi à la Chambre des communes et de son renvoi au Sénat sans qu’un seul examen soit mené à la Chambre. Comme nous le savons tous, le Sénat est souvent critiqué, mais nous nous trouvons maintenant dans une situation où ce que nous appelons « l’autre endroit », c’est-à-dire la Chambre des communes, n’a tout simplement pas fait son travail. Elle nous a renvoyé le projet de loi sans l’examiner. Le Sénat en est maintenant saisi. Sachant cela, il se peut que nous ayons besoin de beaucoup plus de temps que d’habitude, car, comme vous le savez, nous vérifions les comptes rendus et les audiences de l’autre endroit. Nous partons vraiment de zéro dans ce cas-ci. Je présume que vous conviendrez que nous avons besoin de plus de temps que d’habitude.
Les projets de loi diffèrent tous les uns des autres, car chacun porte sur un enjeu distinct et suscite des points de vue différents qui, à juste titre, doivent être pris en compte. Par conséquent, je ne sais pas comment on traite habituellement un projet de loi très court comme celui-ci, dont j’ai néanmoins exposé les principes avec exactitude, à votre satisfaction je l’espère. Le gouvernement a fait le choix stratégique, en consultation avec tous les gouvernements provinciaux et avec d’autres parties prenantes, d’apporter des changements additionnels à la réforme du régime actuel de mise en liberté sous caution, laquelle prévoit déjà certaines mesures dont l’inversion du fardeau de la preuve dans le cas de crimes graves. Ces changements sont simplement des ajouts qui, à certains égards, améliorent ou parachèvent le travail que le Sénat a déjà fait en 2019 sur divers projets de loi dont j’ai fait mention.
Je suis convaincu que le comité entendra les témoins voulus et que tous les points de vue seront examinés comme il se doit. Les sénateurs auront la possibilité de poser des questions non seulement au ministre et aux fonctionnaires, mais également à des intervenants qui ont différents points de vue. Je suis persuadé que le débat dans cette enceinte sera aussi vigoureux que nous le souhaiterons.
Eh bien, chers collègues, les députés ont failli à leur tâche. En effet, celle-ci ne consiste pas à épater la galerie pendant la période des questions afin que leurs propos soient repris par les médias. Leur tâche consiste à étudier les mesures législatives dont ils sont saisis. C’est également la tâche qui nous incombe. Je rappellerai aux nouveaux sénateurs que lorsque je suis arrivé au Sénat, nous étions dans une situation très similaire, sachant que nous devions étudier la Nouvelle Charte des anciens combattants. Le texte a été adopté par la Chambre des communes en deux minutes avant d’être renvoyé au Sénat, qui n’a pas fait son travail. Celui-ci a été adopté après cinq heures de débat au total. La majeure partie du débat, soit environ 4 heures et 50 minutes, a eu lieu au Sénat. Ce n’est que des années plus tard que le directeur parlementaire du budget nous a informés que les modifications apportées avaient entraîné la perte de millions de dollars en prestations aux anciens combattants blessés en servant notre pays ainsi qu’à leurs familles, car le Sénat et la Chambre des communes n’ont pas fait leur travail.
Nous nous trouvons dans une situation très semblable. Il incombe maintenant au Sénat — que l’on critique tant —, de faire le travail que la Chambre des communes n’a pas fait. Je sais que mes collègues du comité et l’ensemble de cette institution s’attelleront à cette tâche. Je comprends donc votre point de vue, sénateur Gold, et je vous demanderai ceci : Pouvez-vous nous dire que nous disposerons du temps nécessaire pour faire notre travail qui consiste à s’assurer que cette mesure législative ne pénalisera pas les Canadiens, contrairement à d’autres mesures législatives adoptées à la hâte tant par la Chambre des communes que par le Sénat?
Je vous remercie de votre question et de vos observations.
Je fais confiance au Sénat. Je fais confiance au comité, qui saura élaborer un plan de travail qui correspond au projet de loi : à son contenu, aux questions qu’il soulève et à son importance. Je suis persuadé que le Sénat saura trouver l’équilibre — comme il l’a toujours fait, du moins de nos jours — entre l’importance du projet de loi et l’appui que lui donnent ceux qui doivent s’y adapter — les Autochtones et d’autres populations, ainsi que les provinces et les territoires. Il doit aussi tenir compte du fait que, de par la Constitution, le Sénat doit effectuer un examen critique en bonne et due forme de la mesure législative dont il est saisi. C’est ce qui nous attend, et je suis persuadé que nous réussirons à faire ce que les Canadiens s’attendent de nous.
Sénateur Gold, dans votre discours, vous avez parlé de victimes de violence et de partenaires intimes. Vous avez parlé de gens qui ont une histoire d’offenses sexuelles, et donc de violence sexuelle.
Au moment où vous avez fait référence aux organismes qui ont été consultés par le gouvernement pour rédiger le projet de loi C-48, j’ai entendu que vous aviez consulté les gouvernements, les territoires et quelques associations nationales autochtones. J’ai peut-être mal compris ce que vous avez dit, mais je ne vous ai pas entendu mentionner, par exemple, des associations nationales comme l’Association des femmes autochtones du Canada. Pourtant, on s’entend pour dire que, quand on parle de violence intime, les victimes sont souvent des femmes.
Pouvez-vous préciser quelles organisations nationales de femmes ont été consultées pour ce projet de loi?
Premièrement, je n’ai pas de liste complète et je m’en excuse. On m’a informé qu’il y a eu des discussions et des consultations non seulement avec les organisations nationales que j’ai mentionnées, mais aussi avec plusieurs autres. Encore une fois, je vous invite à poser cette question aux ministres et aux dirigeants dès qu’ils comparaîtront devant le comité.
Ma question va dans le même sens que les questions précédentes, sénateur Gold.
C’est le rôle du Sénat d’étudier attentivement tous ces projets de loi, surtout ceux qui renversent le fardeau de la preuve. Ne croyez‑vous pas que ce fardeau est encore plus grand aujourd’hui? La Chambre des communes a adopté ce projet de loi sans convoquer un réel comité plénier; il n’y a pas eu de mémoires ni de témoins et le projet de loi a été adopté en une journée.
Dans un tel cas, n’est-il pas nécessaire pour nous de faire une revue qui prendra plus de temps que d’habitude et de recueillir des mémoires, notamment de la part de l’Association du Barreau canadien, du Barreau du Québec, de l’Association des avocats en droit criminel et de l’Association canadienne des libertés civiles, qui est citée dans le Globe and Mail d’aujourd’hui et qui s’est plainte du fait qu’elle n’a pas été consultée et qu’elle n’a même pas eu le temps de se préparer?
N’y aurait-il pas lieu de ralentir la cadence? D’ailleurs, si la Chambre des communes pensait que ce projet de loi était une affaire urgente, elle aurait pu l’adopter avant le 22 juin. Elle l’a adopté en revenant dès la première journée. Nous aurions pu travailler sur cette question cet été.
Au risque de me répéter, c’est au comité de décider comment procéder à l’étude de ce projet de loi.
Je porte deux chapeaux : celui de parent et celui de représentant du gouvernement. J’aurai des suggestions à faire aussi pour ce qui est des témoins, comme les autres membres du comité sans doute. Comme je l’ai déjà dit au sénateur Downe, il faut prendre le temps nécessaire, compte tenu des enjeux soulevés. Oui, c’est toujours intéressant et important de consulter de temps en temps les témoignages des comités de l’autre endroit. Cependant, selon mon expérience de presque sept ans au Sénat, nous n’avons pas très souvent dit qu’ils avaient fait du bon travail et qu’il n’y avait pas grand-chose de plus à faire. Les mêmes témoins comparaissent régulièrement devant nos comités, avec les mêmes mémoires; les mêmes questions sont posées et elles reçoivent les mêmes réponses.
Donc, pour moi, il ne s’agit pas seulement de dire qu’ils n’ont pas fait d’étude. Ils ont pris leur décision et c’est leur prérogative de le faire. Nous avons un travail à faire et je préfère mettre l’accent sur la nécessité d’étudier adéquatement ce projet de loi, peu importe ce qui a été fait à l’autre endroit. Encore une fois, je suis persuadé que nous ferons ce travail comme il se doit. Ce projet de loi est plutôt court, mais il n’en est pas moins important. Ce n’est pas une question quantitative. Ce n’est pas nouveau non plus. Il existe déjà une jurisprudence quant au renversement du fardeau de la preuve. Les tribunaux nous ont fourni certains critères. Nous avons une responsabilité non seulement de procéder adéquatement à l’étude du projet de loi, mais aussi de respecter les paramètres de notre rôle quant aux choix de politiques publiques constitutionnelles qui sont faits, avec l’appui de toutes les provinces et de tous les territoires. Il faut donc trouver un juste équilibre. Encore une fois, j’ai une pleine confiance dans la Chambre et je crois que le comité est dans une bonne position pour étudier le projet de loi.
Sénateur Gold, je vous remercie de vos observations et du leadership dont vous faites preuve dans le cadre de l’examen d’un important projet de loi par le Sénat.
Je suis membre du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles, où ce projet de loi sera vraisemblablement renvoyé, alors j’aurai un bon nombre d’occasions de l’examiner. Toutefois, j’ai une question que je qualifierais d’institutionnelle pour vous, à la fois en votre qualité de parrain du projet de loi et de leader du gouvernement au Sénat. Vous avez parlé de l’examen quinquennal et avez utilisé, de façon très prudente, à mon avis, le terme « examen par le Parlement ». Or, comme vous le savez, je pense que le projet de loi prévoit un examen par la Chambre des communes.
J’ai sous les yeux l’article en question, soit l’article 2 du projet de loi, qui prévoit un examen par un comité permanent de la Chambre des communes au cinquième anniversaire de la sanction royale.
Cela me semble peu respectueux de cette partie du Parlement, et, à mon avis, comme vous venez de livrer un témoignage de confiance dans le Sénat dans le cadre de votre discours, je me demande si vous pouvez nous parler de ce que je qualifierais d’oubli. J’aimerais connaître votre point de vue à ce sujet, d’autant plus que, si j’ai bien compris, la Chambre des communes n’a pas du tout étudié la question lors du premier examen.
Je vous remercie. Il s’agit d’une question pertinente. Je crois en fait qu’elle devrait être approfondie par le comité, puis que l’on devrait demander aux fonctionnaires pourquoi on a choisi de parler non pas du Parlement, mais du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes, à qui ce genre de dossier est généralement confié.
Sénateur Gold, cet été, j’ai assisté à un brunch sur la réforme des mises en liberté sous caution en compagnie des représentants de l’association des policiers et des premiers ministres des provinces et des territoires, et une question m’est passée par la tête. Une des présentatrices a donné l’exemple d’un contrevenant qui a volé une bouteille d’alcool il y a 10 ans et qui est aujourd’hui un criminel endurci. Selon ce qu’on nous a dit, la structure même du système fait en sorte qu’à l’époque, 70 % des détenus dans les prisons provinciales étaient autochtones et que la majorité d’entre eux n’avaient même jamais comparu en cour.
La relation entre les Autochtones, l’administration de la police, les policiers et le système de justice est déjà précaire. Que fera-t-on pour combattre le profilage racial et le racisme? Si rien n’est fait, il y aura toujours autant de criminels, et aucune loi ne pourra changer la donne, même s’il y avait plus de ressources. Voici un exemple que j’aime donner : 80 % des détenus autochtones ont été appréhendés alors qu’ils étaient encore des enfants. Nous devons donc réduire le nombre d’enfants qui sont incarcérés si on veut réduire le nombre de détenus tout court, car nous n’allons pas changer le système pénitentiaire. Que va-t-on faire?
On a notamment mentionné que les personnes incarcérées étaient vraiment bouleversées qu’on dise : « Qu’on les enferme et qu’on jette la clé. » Je dois dire que j’en ai été profondément perturbée. Je vous remercie.
Merci de votre question, sénatrice. Les déterminants sociaux de la criminalité, la surreprésentation non seulement des Autochtones et des personnes marginalisées, mais aussi des pauvres, de ceux qui n’ont pas accès aux mêmes ressources que d’autres, est un vrai problème, un problème tragique dont nous devrions avoir honte.
Le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux et les territoires font ce qu’ils peuvent pour fournir de meilleures ressources, qu’il s’agisse de services sociaux ou de choses du genre, mais le travail ne sera jamais terminé. Vous avez donc raison de souligner le désespoir que beaucoup éprouvent lorsqu’ils se retrouvent eux-mêmes dans le système et que la situation va de mal en pis.
Ce projet de loi est une mesure très ciblée concernant les personnes accusées d’infractions, qui énonce les circonstances supplémentaires dans lesquelles ces personnes pourraient avoir à démontrer à la satisfaction d’un juge qu’elles ne représentent pas un risque pour le public en général, leur partenaire ou leur communauté.
Il s’appuie sur la reconnaissance dans la loi, depuis de nombreuses années, du fait que dans certaines circonstances, il est tout à fait approprié, malgré la présomption d’innocence, d’au moins exiger de la personne accusée qu’elle démontre sa volonté et sa capacité à respecter les règles et à se conformer aux conditions qu’on lui a imposées.
Le projet de loi rend plus publics les critères appliqués par les juges lorsqu’ils doivent décider de remettre ou non une personne en liberté lorsqu’elle est jugée pour un délit. Il est important de se souvenir qu’il n’est question ici que des circonstances dans lesquelles on a porté des accusations d’infractions violentes très graves, que ce soit avec une arme à feu, un répulsif à ours, des couteaux, etc., ou de violence et de violence répétée contre un partenaire intime, notamment.
Malheureusement, ce projet de loi ne vise pas à lutter contre les problèmes bien réels que vous avez soulevés, mais c’est un pas dans la bonne direction lorsqu’il s’agit d’atténuer les risques de violence pour la population et les collectivités. À cet égard, si vous me permettez ce lieu commun, nous ne devons pas laisser le mieux être l’ennemi du bien.
C’est un pas important. Le projet de loi ne vise pas à résoudre les problèmes importants que vous soulevez. Pour cela, il faudra d’autres projets de loi et mesures de la part de tous les ordres de gouvernement.
Honorables sénateurs, en toute franchise, je ne comptais pas poser de question, mais, compte tenu de la question soulevée par la sénatrice McCallum, je suis ravie que nous ayons cette discussion sur le processus et sur la nécessité de tenir un débat rigoureux sur ce projet de loi important et de mener une étude exhaustive.
La sénatrice McCallum a soulevé une question qui m’a amenée à m’interroger en particulier sur l’inversion du fardeau de la preuve. Cela représente un écart par rapport à la façon normale de procéder au sein du système de justice du Canada. Si on inverse le fardeau de la preuve de manière à ce que l’accusé doive démontrer qu’il devrait être mis en liberté sous caution, je crains que cela puisse avoir pour effet de désavantager encore plus divers groupes qui ont toujours été désavantagés de façon disproportionnée. Cela peut parfois avantager une personne qui a l’argent et les ressources nécessaires pour retenir les services d’un bon avocat. Étant donné que nous n’avons pas encore étudié la question de façon exhaustive — j’espère que nous en aurons l’occasion —, je suis simplement curieuse de savoir si le gouvernement s’est penché sur la possibilité que l’inversion du fardeau de la preuve confère un avantage aux personnes qui ont des ressources et sur les conséquences de cette situation.
Le gouvernement prend très au sérieux l’incidence de la législation criminelle et du système de justice criminelle sur les Canadiens et il sait fort bien, comme nous tous, que les gens qui ont les moyens et ceux qui n’en ont pas n’obtiennent pas les mêmes résultats dans leurs démêlés avec le système judiciaire, en dépit du fait que la loi s’applique de la même manière à tous. Qu’il y ait ou non inversion du fardeau de la preuve, si un accusé a les moyens de se payer un bon avocat, il s’en tirera nettement mieux qu’un accusé qui est sans le sou. C’est la réalité dans notre société.
Contrairement aux gouvernements précédents, l’actuel gouvernement prend cet enjeu très au sérieux et, encore une fois — au risque d’en dire plus que nécessaire à l’étape de la deuxième lecture — c’est tout à son honneur.
Cela dit, ce changement repose sur le corpus législatif contenu dans le Code criminel et sur la jurisprudence établie par les tribunaux qui reconnaissent qu’il est parfois approprié d’inverser le fardeau de la preuve, à défaut de quoi, la sécurité publique, notamment celle des personnes et des collectivités, risquerait d’être indûment compromise. Les juges conservent toujours le même pouvoir discrétionnaire, pour le meilleur et pour le pire, à l’égard d’un accusé qui demande une libération sous caution.
Ce sont des questions qui pourront être adressées au comité, au ministre, aux fonctionnaires et aux autres témoins, mais je suis convaincu que le gouvernement prend ces considérations très au sérieux et qu’il croit que les répercussions de ces changements, dont certains peuvent sembler modestes — et certains le sont effectivement, comme je l’ai expliqué dans mon intervention — ne changeront pas vraiment la regrettable différence dans l’incidence de la législation criminelle sur ceux qui ont des moyens financiers et ceux qui n’en ont pas.
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-48, dont le titre abrégé est Loi modifiant le Code criminel (réforme sur la mise en liberté sous caution).
La progression de l’étude de ce projet de loi est plutôt inhabituelle.
Son dépôt, à l’étape de la première lecture à la Chambre des communes, a été annoncé en grande pompe par le gouvernement fédéral le 16 mai 2023. Par la suite, le gouvernement ne s’est pas empressé de prononcer un discours en deuxième lecture à la Chambre des communes pour tenter de faire progresser son étude à la Chambre.
Cependant, le 18 septembre 2023, ce projet de loi a franchi toutes les étapes de son étude à la Chambre des communes et a été adopté par les députés. Le gouvernement ne pourra donc pas reprocher à l’opposition d’avoir retardé l’étude de ce projet de loi.
Si ce projet de loi a été adopté à la Chambre des communes et qu’il est adopté en deuxième lecture aujourd’hui au Sénat, cela ne veut pas dire que ce projet de loi va assez loin et qu’il contient toutes les mesures nécessaires pour répondre au problème qu’il cherche à régler, c’est-à-dire resserrer les règles du système de libération sous caution pour mieux protéger les Canadiens contre des personnes qui commettent des crimes graves alors qu’elles sont en liberté sous caution.
Ce projet de loi s’applique aux personnes que les policiers n’ont pas libérées après leur arrestation. Dans ces cas, ces personnes doivent comparaître devant un juge rapidement pour subir une enquête sur remise en liberté.
Le projet de loi C-48 propose d’ajouter des infractions pour lesquelles une personne accusée doit démontrer au juge, lors de cette enquête sur remise en liberté, qu’il est justifié de la remettre en liberté avant son procès. L’une de ces infractions est celle prévue actuellement à l’article 95 du Code criminel : possession d’une arme à feu prohibée chargée. Les 13 premiers ministres provinciaux et territoriaux avaient demandé unanimement, dans une lettre qu’ils avaient adressée le 13 janvier 2023 au premier ministre Trudeau, d’imposer un fardeau à l’accusé pour cette infraction.
Je cite leur lettre, qui se lit comme suit :
Il faut créer un renversement du fardeau de la preuve en matière de mise en liberté sous caution pour les cas de possession d’une arme à feu prohibée ou à autorisation restreinte chargée prévus à l’article 95 du Code. Une personne accusée d’une infraction en vertu de l’article 95 devrait avoir à démontrer pourquoi sa détention n’est pas justifiée lorsqu’elle est accusée d’avoir commis un acte où il y avait un risque imminent pour le public, comme c’est déjà le cas pour plusieurs infractions impliquant des armes à feu. Un examen des autres infractions liées aux armes à feu s’impose également pour déterminer si elles devraient aussi faire l’objet d’un renversement du fardeau de la preuve lors de la mise en liberté sous caution.
Voici un premier exemple qui démontre pourquoi le projet de loi ne va pas nécessairement assez loin. Il y a plusieurs infractions graves en matière de violence et d’armes à feu qui ne sont pas incluses dans le projet de loi C-48.
Autrement dit, ces infractions, même si elles sont intrinsèquement graves, n’imposent aucun fardeau à l’accusé de démontrer pourquoi il devrait être libéré. Je pense par exemple aux infractions suivantes : agression sexuelle grave sans usage d’une arme à feu; voies de fait graves; prise d’otage sans usage d’une arme à feu; tentative de meurtre sans usage d’une arme à feu; incendie criminel avec danger pour la vie humaine.
Je pense aussi aux infractions d’homicide involontaire avec usage d’une arme à feu ou de négligence criminelle avec usage d’une arme à feu causant la mort. Dans le cas de ces deux dernières infractions, elles sont punissables d’une peine minimale de quatre ans de pénitencier et cette peine minimale a été jugée constitutionnelle par la Cour suprême du Canada dans les arrêts R. c. Morrisey et R. c. Ferguson.
Je suis certain que si l’on sondait les Canadiens, ils seraient d’avis que des personnes ayant commis des crimes aussi dangereux doivent demeurer derrière les barreaux en attendant leur procès ou, à tout le moins, se voir imposer le fardeau de démontrer que leur libération est justifiée.
Le projet de loi C-48 ne corrige pas cela, et j’espère que des témoins qui comparaîtront au comité sénatorial, dont ceux provenant du milieu policier, dénonceront ce problème. Actuellement, il y a une présomption légale aux articles 493.1 et 515 du Code criminel qui fait en sorte que ces accusés doivent être libérés à la première occasion raisonnable et aux conditions les moins sévères possibles, à moins que le procureur de la Couronne ne prouve devant le juge qu’il est nécessaire de détenir ces accusés en attendant l’issue de leur procès ou de leur imposer des conditions de libération sévères.
Voici donc un autre exemple qui démontre pourquoi le projet de loi C-48 ne va pas assez loin. Le projet de loi C-48 propose d’imposer le fardeau à une personne, de justifier pourquoi elle devrait être libérée sous caution, lorsqu’elle est accusée d’avoir commis une infraction perpétrée avec usage de violence contre une personne à l’aide d’une arme, et que, dans les cinq années précédant la date de sa mise en accusation pour cette infraction, elle a été condamnée pour une autre infraction perpétrée avec usage de violence contre une personne à l’aide d’une arme.
Autrement dit, le projet de loi C-48 vise le cas d’une personne récidiviste en matière de crimes de violence. Le problème, c’est la limite maximale de cinq ans entre la commission des deux infractions lorsqu’elle est commise. Prenons un exemple hypothétique : une personne qui aurait commis une infraction de violence avec une arme et qui se serait vu imposer une peine de 10 ans de pénitencier pour avoir commis le même type d’infraction ne serait pas visée par le projet de loi C-48, puisqu’il y aurait alors plus de cinq ans entre les deux infractions.
Autrement dit, si cette personne commet une infraction de violence avec une arme le lendemain de sa sortie du pénitencier, il n’y a pas de présomption légale qu’elle doit rester derrière les barreaux en attendant son procès pour cette nouvelle infraction. Le gouvernement fédéral aurait-il pu prévoir dans le projet de C-48 une limite de 10 ans entre les deux infractions au lieu de 5 ans, ou mieux, aurait-il pu tout simplement supprimer ce seuil de 5 ans entre les deux infractions? Le gouvernement fédéral aurait dû y penser avant de déposer le projet de loi C-48. C’est pourquoi je soutiens que le projet de loi C-48 aurait pu aller plus loin pour protéger les Canadiens contre les récidivistes.
Au fond, cela ne m’étonne pas nécessairement de la part du gouvernement. C’est le même gouvernement qui a proposé le projet de loi C-75 en 2018, avec l’appui des bloquistes. Un projet de loi dont les conservateurs et les policiers continuent à dénoncer le laxisme, car le projet de loi C-75 a favorisé indûment la libération de récidivistes violents ou de personnes qui commettent des crimes graves avec des armes de poing.
Je cite un passage de la lettre du 12 janvier 2023 qu’a envoyée l’Association des directeurs de police du Québec au ministre fédéral de la Sécurité publique dans laquelle elle réagissait à la mort tragique et évitable d’un collègue policier Grzegorz Pierzchala :
Nous ne pouvons […] tolérer que des criminels violents qui utilisent des armes à feu à répétition mettent en danger la vie de nos policiers et des familles canadiennes. Ces récidivistes ne doivent aucunement circuler librement dans nos communautés. Nous vous demandons donc de revenir sur la décision récente de votre gouvernement en ce qui concerne le processus de remise en liberté des contrevenants violents et récidivistes accusés de crimes liés aux armes à feu […] [L]es policiers ont le droit, tout comme le public, d’être protégés contre les comportements criminels des délinquants violents et récidivistes, en particulier ceux qui sont accusés de crimes liés aux armes à feu. Ce droit doit d’ailleurs être privilégié lorsque les questions de mise en liberté et de détermination de la peine sont examinées.
Cela étant dit, malgré ces importantes réserves, je vous recommande de voter en faveur du projet de loi C-48 à l’étape de sa deuxième lecture au Sénat, afin que nous puissions poursuivre notre étude au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. J’appuie son objectif. Il y a urgence d’agir pour resserrer les règles de mise en liberté sous caution, dans le contexte de l’augmentation des crimes commis dans les grandes villes canadiennes au moyen d’armes de poing illégales. Tous s’entendent pour reconnaître les dangers que cause cette hausse de la criminalité, dont la Cour d’appel du Québec.
En effet, dans son arrêt Dallaire c. R. de 2022, la cour mentionne ce qui suit :
La société canadienne réprouve fortement l’usage des armes à feu possédées illégalement par les délinquants qui en font un usage illicite, dangereux et souvent meurtrier. Les événements récents qui ont eu cours au Québec, entre autres dans la région de Montréal, de Montréal-Nord, de Longueuil, de Laval et de Rivière-des-Prairies, confirment ce danger réel pour la sécurité des citoyens et la paix sociale [...]
Étant donné l’urgence de ce problème et l’objectif du projet de loi qui fait consensus, je suis d’accord pour que l’on accorde une exception dans le cadre de ce projet de loi, c’est-à-dire qu’il soit adopté à l’étape de la deuxième lecture immédiatement, afin qu’il soit renvoyé dès que possible au comité sénatorial pour qu’il mène une étude approfondie dans les meilleurs délais.
Je demeure malheureusement déçu de l’insuffisance de mesures fortes dans ce projet de loi pour protéger nos concitoyens canadiens. Je vous remercie, chers collègues.
Honorables sénateurs, il est indéniable que les actes de violence horribles et répugnants qui sont à l’origine de ce projet de loi sont exactement cela : horribles et répugnants. Toutefois, il s’agissait de cas extrêmes qui ne découlaient pas d’une incapacité de détenir les délinquants; ils étaient surtout le résultat des échecs de nos systèmes inadéquats d’aide sociale, d’aide au logement, de soutien économique et de santé, surtout de santé mentale.
À un moment où les prisons sont pleines — surtout d’Autochtones, de Noirs et de personnes qui vivent dans la pauvreté avec des troubles de santé mentale et des problèmes de toxicomanie découlant des traumatismes qu’ils ont vécus —, pourquoi propose-t-on ce projet de loi aux Canadiens?
Les prisons provinciales sont pleines à craquer, comme vous le savez. Plus de 71 % des détenus sont en attente d’un procès, et la majorité d’entre eux sont là parce qu’ils sont pauvres, racisés ou aux prises avec des traumatismes, des problèmes de toxicomanie ou des troubles de santé mentale.
Nous savons que les femmes autochtones à elles seules représentent 50 % de toutes les détenues qui purgent une peine d’emprisonnement dans le système carcéral fédéral. Savez-vous qu’elles représentent entre 75 et 99 %, voire 100 % de toutes les femmes dans les prisons provinciales?
Dans les prisons pour filles et jeunes femmes de la Saskatchewan, du Manitoba et du Nord, entre 95 et 100 % des détenues sont autochtones.
Pendant ce temps-là, est-ce que les communautés autochtones et noires obtiennent les ressources dont elles ont besoin pour corriger la situation? Elles reçoivent des miettes, et encore. À la place, elles se font offrir — et nous aussi — ce projet de loi, qui met sur les épaules des accusés le fardeau de prouver qu’ils devraient être relâchés de prison.
Il propose aussi d’élargir la disposition d’inversion du fardeau de la preuve dans les cas de violence entre partenaires intimes sans qu’il y ait eu la moindre analyse des répercussions possibles d’une diminution des signalements au sein d’un groupe déjà trop victime de discrimination, sous-représenté et mal desservi.
Où se trouvent la loi et la politique visant à consolider ces systèmes qui mettent actuellement en danger les victimes de violence entre partenaires intimes? Cela comprend les mesures de soutien sur les plans économique, social, du logement et de la santé afin de vraiment aider les femmes à fuir et à être en sécurité.
Où se trouvent les mesures en réponse aux appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation et aux appels à la justice de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées?
Où sont les programmes communautaires et éducatifs visant à s’attaquer aux comportements et aux préjugés qui persistent au sujet de la violence faite aux femmes, de la violence entre partenaires intimes et de la pauvreté?
Qui finira par se retrouver en prison avec ce projet de loi?
Jetons un coup d’œil aux femmes qui ont été victimes de violence : nous savons que lorsqu’elles tentent d’échapper à la violence, si elles le font sans saisir un objet pour se protéger, bien franchement, elles courent davantage de risques d’être tuées que de s’en sortir.
Ces femmes ne sont pas ce qu’on pourrait considérer être un risque pour la sécurité publique, mais ce sont elles qui doivent surmonter les obstacles les plus importants à l’annulation de l’inversion du fardeau de la preuve. Il n’y a qu’à voir combien d’entre elles plaident coupables même en cas de légitime défense, si quelqu’un d’autre les a défendues, ou lorsqu’elles ne sont pas responsables du décès ou des blessures.
Les criminalistes signalent déjà que, malgré cette nouvelle disposition, les gens bien nantis pourraient inverser le fardeau de la preuve en proposant des conditions de surveillance et de libération strictes dont ils ont les moyens financiers d’assurer par eux-mêmes le respect, ce qui aggravera les iniquités dans le système juridique.
Ces avocats et d’autres groupes, qui sont troublés par l’adoption rapide du projet de loi C-48 par l’autre endroit, ont souligné qu’« une personne blanche et riche est en mesure d’inverser le fardeau de la preuve pour la mise en liberté sous caution bien plus facilement qu’une personne racisée venant d’un milieu pauvre ».
Ce projet de loi compromet les engagements du Canada à l’égard d’une relation de nation à nation, de la Commission de vérité et réconciliation et de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Il transformerait de nouveau en criminels des membres de groupes déjà surreprésentés dans le système de justice pénale, au lieu d’employer des moyens concrets pour s’attaquer aux problèmes existants.
Il faut également avoir l’honnêteté de reconnaître que rien ne soutient les affirmations voulant que le projet de loi aura l’effet escompté sur la sécurité publique. S’il ne s’agit pas uniquement d’une manœuvre politique, pourquoi n’y a-t-il pas eu un examen en bonne et due forme à l’autre endroit? La population devrait être horrifiée de voir que des élus sont prêts à contourner le processus habituel d’étude des projets de loi et à laisser de côté des données probantes sur le taux de criminalité réel, notamment celles qui indiquent que le taux de crimes violents est à son plus bas de l’histoire.
Le nombre de personnes reconnues coupables et incarcérées a diminué, mais le nombre de personnes détenues dans l’attente d’un procès a plus que quadruplé au cours des 40 dernières années. Le processus décisionnel en matière de mise en liberté sous caution au Canada s’est resserré et est devenu plus intolérant au risque au fil du temps. La seule contribution à la sécurité publique de ce type d’incarcération est le retrait d’une personne de la société pendant une période donnée, mais il n’y a rien qui soit fait pour s’assurer que, une fois relâchée, la personne obtiendra le soutien dont elle a besoin et qui aurait pu empêcher qu’elle se retrouve là où elle en est.
La seule contribution à la sécurité publique de la détention avant procès est ce retrait temporaire de la société. Pourtant, nous encourageons un plus grand recours à la détention avant procès, ce qui augmentera la probabilité que la personne plaide coupable simplement pour recouvrer la liberté. Cela soulève également des préoccupations concernant les condamnations injustifiées et la manière d’y remédier, au sujet desquelles nous attendons de voir un autre projet de loi. Rendre le régime de mise en liberté sous caution plus strict et accroître le recours à la détention avant procès produira des résultats discriminatoires et minera les efforts de lutte contre la discrimination systémique et les séquelles du colonialisme.
Chers collègues, je soutiens qu’il est irresponsable et non démocratique de faire franchir les étapes du processus législatif de manière précipitée à ce genre de projet de loi symbolique. Le projet de loi facilite l’emprisonnement de personnes, en particulier de femmes autochtones, sans procès. Le processus législatif est le reflet du système qui existe déjà. Nous devons traiter les gens de manière juste, et non hâtivement. Le gouvernement maintient que le projet de loi apaisera les préoccupations de la population à l’égard des récidivistes violents et de ceux qui commettent une infraction avec une arme, à feu ou autre. Il faut fournir des renseignements pertinents, importants et exacts à la population. Le système doit respecter la Charte et la Constitution, se fonder sur les données probantes et être libre de toute ingérence politique. Chers collègues, voilà quel sera, je l’espère, notre apport dans le cadre de l’étude du Comité des affaires juridiques et des débats au Sénat. Meegwetch. Merci.
Merci. Je remercie tous ceux qui ont donné leur point de vue jusqu’à présent, et je pense qu’il y a de nombreux enjeux à examiner plus en profondeur. J’ai particulièrement aimé que vous parliez non seulement de la situation des femmes autochtones et noires dans le système de justice, mais aussi des préjugés sexistes de manière générale.
L’une des choses que j’ai apprises dans le cadre de mon travail auprès d’organismes qui viennent en aide aux femmes victimes de violence conjugale est le changement dans l’attitude des policiers au fil du temps. Je me serais attendue à plus d’empathie ou à une amélioration, mais les statistiques — et les témoignages que j’ai entendus — indiquent une hausse du nombre de femmes accusées ou arrêtées après avoir agi en légitime défense.
J’aimerais savoir si vous pouvez nous fournir des détails ou plus d’information sur ce sujet. De façon plus précise, j’espère que, dans le contexte de l’étude du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles à l’étape de la deuxième lecture, ce sera l’un des points soulevés sur lesquels vous vous pencherez. Vous avez mentionné la difficulté accrue pour les femmes dans ces circonstances de satisfaire aux critères sur l’inversion du fardeau de la preuve, alors j’espère que cela fera aussi partie de votre réflexion.
Merci beaucoup pour la question et pour votre suggestion. Je suis d’accord. De nombreuses enquêtes sur la mort de femmes et, plus particulièrement de femmes autochtones, mais aussi la Commission des pertes massives concluent qu’il faut continuer d’aller dans ce sens et comprendre que la contre‑accusation et la diffamation de la victime ont des conséquences négatives sur les femmes, surtout celles qui sont désavantagées par plusieurs facteurs à la fois, que ce soit l’origine ethnique, le sexe, l’identité ou la pauvreté.
Il y a certes eu de grandes avancées pour ce qui est de la sensibilisation à ces questions. J’ai d’ailleurs rencontré plusieurs agents de police et je connais les excellentes politiques des services policiers, mais je sais aussi qu’elles ne sont pas toujours respectées. En fait, il est assez peu courant — et je crois avoir déjà abordé le sujet au Sénat — que les agents de police fassent un travail vraiment exceptionnel dans ce domaine. Cela ne devrait pas être l’exception; voilà un aspect sur lequel il faudrait se pencher à mon avis. Avec cette approche, on est encore loin de régler les problèmes fondamentaux qui contribuent à ces situations.
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
Une voix : Avec dissidence.
(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois, avec dissidence.)