Le Code criminel
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture
21 octobre 2025
Propose que le projet de loi S-233, Loi modifiant le Code criminel (voies de fait contre une personne qui fournit des services de santé ou un premier répondant), soit lu pour la deuxième fois.
— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’occasion de la deuxième lecture du projet de loi S-233, Loi modifiant le Code criminel (voies de fait contre une personne qui fournit des services de santé ou un premier répondant), afin de demander votre appui pour que le Sénat adopte ce projet de loi sans le renvoyer à un comité, de sorte qu’il puisse passer directement à la troisième lecture et être renvoyé à l’autre endroit.
Le projet de loi S-233 vise à ajouter une circonstance aggravante au Code criminel pour les agressions commises contre des travailleurs de la santé et des premiers répondants dans l’exercice de leurs fonctions. Il ne crée pas de nouvelle infraction, mais précise simplement que lorsqu’un tribunal impose une peine pour une agression contre ces professionnels, il est tenu de considérer la profession de la victime comme une circonstance aggravante, bien que le juge conserve le pouvoir de déterminer une peine appropriée.
Il convient de noter que ce projet de loi n’est pas nouveau. Il a été présenté pour la première fois à la Chambre des communes pendant la 44e législature par le député Todd Doherty, sous le numéro C-321. Je tiens à remercier M. Doherty pour son leadership constant et son travail assidu dans ce domaine.
Je tiens également à rendre hommage à M. Paul Hills, qui est à la tribune aujourd’hui. Il est ambulancier paramédical en Saskatchewan et représentant de l’association des ambulanciers paramédicaux de Saskatoon. Il a été le moteur de cette importante mesure législative. Son travail visant à mettre en lumière la violence croissante envers les travailleurs de première ligne a été essentiel pour faire avancer cette mission, et il a jeté les bases de ce dont nous discutons ici aujourd’hui.
Le projet de loi S-233 est donc identique au projet de loi C-321 et il correspond à la version qui a été amendée et adoptée à l’unanimité par la Chambre des communes. À la suite de son adoption à l’autre endroit, le projet de loi C-321 a été renvoyé au Sénat, où il a été étudié par le Comité sénatorial permanent des Affaires juridiques et constitutionnelles et renvoyé à la Chambre sans amendement. Il a été appuyé à l’unanimité par notre comité.
Le projet de loi C-321 avait donc franchi toutes les étapes parlementaires. La seule raison — et je dis bien la seule raison — pour laquelle ce projet de loi n’est pas devenu loi, c’est la dissolution du Parlement. Il est mort au Feuilleton à la fin de la quarante-quatrième législature. Son contenu n’a suscité aucune objection, aucun retard, aucune controverse et aucun désaccord. Le projet de loi était appuyé de toutes parts, il avait été examiné en profondeur et il était prêt à être adopté définitivement.
Chers collègues, ce fait est crucial dans le cadre du débat d’aujourd’hui. Nous n’examinons pas une proposition législative nouvelle ou non éprouvée. Nous reprenons l’examen d’un projet de loi qui a déjà été examiné, appuyé et validé à chaque étape du processus législatif dans les deux Chambres. Son contenu reste inchangé et sa portée est limitée, car il s’agit d’une modification ciblée et modeste du Code criminel.
Le Sénat a déjà établi des précédents clairs en matière d’adoption accélérée de projets de loi fondés sur un consensus, sans renvoi au comité, lorsque leurs objectifs sont ciblés et non controversés. Au cours de la 44e législature, des projets de loi comme les projets de loi S-202, S-206, S-214, S-223 et S-245 ont été adoptés selon ce processus accéléré. Plus récemment, au cours de la 45e législature, le Sénat a procédé de la même manière pour les projets de loi S-210 et S-227. Le projet de loi S-233 s’inscrit donc pleinement dans cette tradition parlementaire.
Alors que nous examinons le projet de loi, la réalité de la violence à l’égard des travailleurs de première ligne continue de s’aggraver : 75 % des ambulanciers paramédicaux canadiens déclarent avoir été victimes de violence au travail; 61 % des infirmières déclarent avoir été victimes de harcèlement, de menaces ou d’agressions; en 2021, 70 % des médecins d’urgence ont déclaré que la violence dans les services d’urgence avait augmenté au cours des cinq dernières années.
Dimanche dernier, à Hamilton, en Ontario, une ambulance garée devant l’hôpital général d’Hamilton a été délibérément incendiée quelques instants après que les ambulanciers aient déchargé un patient. La police a rapporté qu’un homme avait jeté un accélérant dans le véhicule avant de s’enfuir à pied. Heureusement, personne n’a été blessé, mais l’ambulance a été complètement incendiée et détruite.
Le suspect, un homme de 31 ans, a depuis été arrêté et inculpé d’incendie criminel avec danger pour la vie humaine. Cet incident choquant nous rappelle de manière brutale que ces actes de violence ne sont pas isolés; ils se produisent ici, dans nos propres collectivités, et mettent directement en danger ceux qui risquent déjà leur vie pour sauver et servir la nôtre.
Ces chiffres et les événements récents illustrent une crise humaine et professionnelle à laquelle nous pouvons répondre aujourd’hui par des mesures claires et concrètes qui indiquent que le Parlement ne tolérera aucune violence à l’encontre de ceux qui protègent et soignent des citoyens canadiens.
Le projet de loi S-233 reflète un effort non partisan fondé sur le respect et la reconnaissance des premiers intervenants et des travailleurs de la santé. Les discussions menées avec les représentants des différents groupes du Sénat ont déjà montré une compréhension commune et une volonté d’agir rapidement.
À cet égard, je tiens à souligner l’approche constructive et collégiale du sénateur Yussuff, qui a exprimé son soutien au projet de loi, reconnaissant à la fois sa nécessité et son bien-fondé. Je le remercie.
Je m’en voudrais de ne pas remercier également le sénateur Ravalia, qui n’est pas avec nous cette semaine en raison d’autres fonctions sénatoriales, pour son gentil appui en tant que porte-parole bienveillant au sujet de ce projet de loi à la législature précédente.
Il faut également souligner que le Canada ne serait pas le seul à prendre cette mesure. Plusieurs démocraties comparables, notamment la France, le Royaume-Uni, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, ont déjà adopté des mesures semblables en vue de reconnaître la vulnérabilité particulière des premiers intervenants et des professionnels de la santé et de prévoir des peines plus sévères lorsque ceux-ci sont victimes d’actes de violence. Le projet de loi S-233 aligne donc le Canada sur une tendance internationale claire et cohérente.
En adoptant ce projet de loi maintenant, le Sénat démontrera qu’il peut agir avec efficacité et compassion lorsque l’urgence morale est évidente et que le consensus est fort.
Je vous invite donc, honorables collègues, à consentir à ce que le projet de loi S-233 soit adopté à l’étape de la deuxième lecture sans renvoi en comité, et à passer directement à la troisième lecture et au renvoi à l’autre endroit, sans délai.
Les Canadiens qui dépendent de ces héros de tous les jours, nos premiers intervenants et nos travailleurs de la santé, méritent de voir ce travail législatif achevé bientôt, par respect pour tout le travail qu’ils font pour eux. Merci.
Honorables sénateurs, je prends la parole afin d’appuyer le projet de loi S-233, Loi modifiant le Code criminel (voies de fait contre une personne qui fournit des services de santé ou un premier répondant).
Comme vous le savez, cette idée n’est pas nouvelle. En tant que porte-parole bienveillant, je remarque que ce projet de loi est essentiellement le successeur du projet de loi C-321, qui, lors de la 44e législature, a été adopté à l’unanimité à l’autre endroit et qui avait comme objectif clair de favoriser la reconnaissance, le respect et la protection de ceux qui nous servent, prennent soin de nous et nous protègent.
Ayant passé ma vie à défendre les droits et la dignité des travailleurs sur leur lieu de travail, je peux affirmer avec certitude que la crise de la violence à l’égard des prestataires de services de santé et des premiers intervenants est bien réelle. Partout au Canada, nous avons entendu des récits d’agressions contre des ambulanciers, d’infirmières constamment agressées et de préposés aux soins à domicile qui ont peur de se rendre au travail.
Lorsque le comité de la Chambre des communes a entendu les témoignages des représentants syndicaux, qui connaissent cette réalité de première main, ceux-ci ont clairement mis en évidence le coût humain de cette situation. Linda Silas, de la Fédération canadienne des syndicats d’infirmières et d’infirmiers, a déclaré aux députés que les deux tiers des infirmières avaient signalé des incidents d’agressions physiques au cours de la dernière année, et que 40 % d’entre elles étaient victimes de violence physique plus d’une fois par mois dans l’exercice de leurs fonctions. Un taux de violence aussi élevé serait impensable dans toute autre profession, et il faut mettre fin à cette situation.
Ce projet de loi est un message clair à l’intention de ceux qui répondent à l’appel quand nous sommes vulnérables : le système de justice sera votre allié. À ceux qui vous attaquent pendant que vous travaillez, nous disons qu’ils devront répondre de leurs actes.
Je demande à mes collègues de ne pas tarder. L’autre endroit a déjà adopté le projet de loi C-321 à l’unanimité lors de la dernière législature. Nous n’avons pas réussi à faire le nécessaire avant la dissolution du Parlement. Nous avons maintenant l’occasion de le faire. Le Sénat devrait agir rapidement pour que cette importante mesure de protection devienne loi sans retard indu.
Le problème auquel nous sommes confrontés n’est pas abstrait. Le Comité permanent de la santé de l’autre endroit a mentionné ceci dans son rapport de 2019 :
Or, au-delà des chiffres, il y a aussi le coût humain. Certains aides médicaux se font agresser sexuellement par les clients atteints de démence qui reçoivent des soins à domicile. Des infirmières se font frapper à la mâchoire par des personnes âgées en état confusionnel aigu. Des préposés aux services de soutien à la personne ne savent pas comment ils vont faire pour revenir au travail.
Nous savons également que les années de pandémie ont amplifié la pression exercée sur les professionnels de la santé et les premiers intervenants. Il y a plus de cas, plus de stress et plus de dangers.
M. Paul Hills, de l’Association internationale des pompiers, qui représente plus de 27 000 ambulanciers paramédicaux et pompiers, a déclaré devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne en 2023 :
[...] nous appuyons fermement le projet de loi C-321 [...]
[...] les peines plus sévères qu’il propose établiront une base solide pour lutter contre la tendance croissante à la violence à l’égard des premiers intervenants et des travailleurs de la santé partout au Canada.
Nous devons reconnaître que lorsqu’une personne qui travaille à l’urgence, dans un camion de pompiers ou dans un établissement de soins de longue durée est agressée, ce n’est pas seulement cette personne qui est blessée. Ce sont aussi le système de soins, la confiance de la population et le sentiment collectif de sécurité qui sont ébranlés.
Les projets de loi S-233 et C-321 vont dans ce sens. Le texte de l’ancien projet de loi C-321 — désormais repris dans le projet de loi S-233 — modifie le Code criminel en ajoutant l’article 269.02 :
Le tribunal qui détermine la peine à infliger à l’égard d’une infraction [...] est tenu de considérer comme circonstance aggravante le fait que la victime est une personne qui fournissait des services de santé, notamment des services de soins personnels, ou un premier répondant et qu’elle exerçait ses fonctions [...]
En termes plus simples, si vous vous livrez à des voies de fait sur une personne qui fournit des services de santé ou qui travaille en tant que premier répondant alors qu’elle exerce ses fonctions, ce fait devient une circonstance aggravante officielle pour la détermination de la peine.
L’objectif n’est pas de créer de nouvelles infractions, mais de faire comprendre que notre système de justice tiendra compte du fait que ces personnes risquent leur sécurité pour servir leurs concitoyens. Si elles se font attaquer, les tribunaux considéreront cela comme un facteur important.
Voilà pourquoi le Sénat ne devrait pas retarder l’adoption de ce projet de loi.
Au cours de la dernière législature, nous avons déjà vu la Chambre des communes appuyer à l’unanimité le projet de loi C-321. Il s’agissait là d’un bel exemple de collaboration bipartisane. Le projet de loi est prêt. Au cours des deux dernières années, les deux Chambres du Parlement ont confirmé sa raison d’être. Nous devons nous demander ce qu’il reste à débattre. Les parlementaires s’entendent sur la nécessité de protéger ceux qui nous protègent. Il ne reste plus qu’à agir. Tout retard envoie un mauvais message aux fournisseurs de services de santé qui sont victimes de mauvais traitements et d’actes de violence, ainsi qu’à nos concitoyens qui s’attendent à ce que leur sécurité soit assurée.
En outre, ayant cherché toute ma vie à garantir un traitement équitable et respectueux des travailleurs — que ce soit à la table de négociation ou dans les assemblées législatives —, je crois qu’une telle mesure législative réaffirme notre dignité fondamentale.
Certains pourraient se demander si ce projet de loi va assez loin pour répondre aux préoccupations potentielles et favoriser l’inclusivité. Des protections supplémentaires sont-elles nécessaires? La portée est-elle adéquate? Ce sont là des questions raisonnables.
Le libellé du projet de loi a été soigneusement examiné par des comités lors de la dernière législature, et les amendements apportés par le comité à l’autre endroit ont élargi sa portée afin d’inclure les personnes qui fournissent des services de santé plutôt que d’appliquer une définition plus restrictive des professionnels de la santé. Le projet de loi ne remplace pas les lois sur la santé et la sécurité au travail; il les complète. Il met l’accent sur la détermination de la peine, en ce sens que lorsqu’une personne agresse un travailleur de première ligne, nos tribunaux reconnaîtront le rôle de la victime comme une circonstance aggravante.
La prévention et la sécurité au travail sont également importantes, mais ce projet de loi envoie dès aujourd’hui un message dissuasif et symbolique nécessaire.
Chers collègues, en conclusion, permettez-moi de répéter que le projet de loi S-233 représente la concrétisation législative d’une promesse sociétale. Il s’agit de la promesse que les fournisseurs de services de santé, de soins personnels, de soins à domicile et de soins hospitaliers, ainsi que les premiers répondants qui se précipitent vers le danger pour nous protéger, ne sont pas oubliés, ne sont pas considérés comme remplaçables et ne sont pas laissés sans protection.
Nous sommes saisis d’une mesure qui unit les parlementaires, qui s’attaque à un problème urgent et concret et qui améliore le Code criminel de façon claire, symbolique et pratique. Ne retardons pas davantage le projet de loi et ne l’examinons pas plus en profondeur. La voie à suivre est claire. Je demande plutôt au Sénat de se joindre au sénateur Housakos et à moi pour envoyer un message de soutien, de solidarité et de respect en appuyant le projet de loi et en le renvoyant le plus rapidement possible à l’autre endroit. Ce faisant, nous rendons hommage aux hommes et aux femmes qui servent, nous renforçons le système de justice et nous indiquons à tous les Canadiens que la violence contre les personnes qui prennent soin de nous ne sera pas tolérée.
Merci.
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour parler du projet de loi S-233, Loi modifiant le Code criminel (voies de fait contre une personne qui fournit des services de santé ou un premier répondant).
Comme l’ont souligné les sénateurs Housakos et Yussuff, le projet de loi est relativement simple : il obligerait les juges à considérer comme circonstance aggravante pour la détermination de la peine le fait que la victime de voies de fait est une personne qui fournit des services de santé, un fournisseur de services de santé, un ambulancier paramédical, un pompier ou tout autre premier répondant dans l’exercice de ses fonctions.
La version initiale de ce projet de loi, alors connu sous le nom de projet de loi C-321, visait spécifiquement les professionnels de la santé. Toutefois, la version soumise au Sénat, présentée à nouveau par le sénateur Housakos, a été élargie pour inclure toute personne qui « fournit des services de santé ». Ainsi, ce projet de loi protégerait aussi les aides-soignants qui fournissent des soins à domicile aux personnes âgées, les aidants naturels ou les bonnes d’enfants souvent prises au piège dans des conditions d’emploi qui leur permettent difficilement d’échapper aux mauvais traitements, les massothérapeutes agréés qui pourraient être exposés à des risques d’agression sexuelle de la part de leurs clients et le personnel médical des cliniques d’avortement qui risque d’être agressé par des militants antiavortement.
Si, effectivement, nous n’allons pas entendre de témoins sur le projet de loi S-233 — j’ai toujours à l’esprit les paroles du sénateur Tannas —, je veux que nous sachions qu’il y a encore de la place pour le débat et la discussion sur certains aspects de ce projet de loi. Quand nous avons participé aux réunions du Comité sénatorial permanent des Affaires juridiques et constitutionnelles l’an dernier, nous avons entendu des témoignages vraiment troublants sur la fréquence et la violence croissantes des attaques contre les travailleurs de la santé et les premiers répondants, une situation qui s’est beaucoup aggravée, nous a-t-on dit, dans la foulée de la pandémie de COVID-19 et parallèlement aux problèmes croissants de dépendance au fentanyl et des grands campements de sans-abri.
Même si les témoignages que nous avons entendus étaient largement anecdotiques, il ne fait aucun doute que le problème est réel et grave. Dans son témoignage, le syndicat des infirmières et infirmiers de la Colombie-Britannique nous a dit que 39 % de ses membres ont déclaré avoir été exposés à des armes chaque mois. La moitié d’entre eux disent avoir été victimes de violence physique au moins une fois par mois. Une proportion stupéfiante de 99 % des répondants en Colombie-Britannique ont déclaré avoir vécu des incidents devant être signalés, c’est-à-dire des agressions et des menaces qui, techniquement, ont atteint un niveau tel qu’elles auraient pu être signalées à leur employeur. Pourtant, plus de la moitié des infirmiers interrogés ont déclaré ne rien avoir signalé à leur employeur parce qu’ils ne croyaient pas qu’on y donnerait suite.
C’est là que nous arrivons aux complications et aux dilemmes du projet de loi S-233. Les nouvelles dispositions sur la détermination de la peine prévues dans ce projet de loi n’ont force de loi qu’une fois que les individus ont été arrêtés, inculpés et condamnés. Ce projet de loi ne protège en aucune façon les infirmiers ou les aides-soignants qui sont si souvent agressés par des patients atteints de démence, ni les ambulanciers paramédicaux et les pompiers qui s’occupent d’une personne en proie à une psychose induite par la drogue ou à un épisode maniaque. Si un patient ou un client n’a pas d’intention coupable, s’il est incapable d’avoir une intention coupable, il est peu probable qu’il soit accusé ou poursuivi. Dans de telles circonstances, les garanties offertes par le projet de loi S-233 ne peuvent pas servir de moyen de dissuasion ou de protection. Elles ne peuvent en aucun cas protéger les travailleurs de la santé vulnérables et les intervenants de première ligne.
On pourrait certainement appliquer ces nouveaux protocoles de détermination de la peine à un mari violent qui a agressé un ambulancier paramédical qui tentait de soigner sa femme blessée ou à un patient frustré coincé dans la salle d’attente d’un hôpital qui a agressé l’infirmier chargé du triage. Cependant, même dans ces cas‑là, il faudrait supposer qu’un individu qui s’en prend à quelqu’un d’autre dans un accès de colère, durant l’un des pires moments de sa vie, ne pense peut-être pas aux effets dissuasifs d’une modification du Code criminel.
Le projet de loi S-233 ne serait toutefois d’aucune utilité dans le cas d’un homme atteint de la maladie d’Alzheimer qui aurait tripoté une aide-soignante, ou dans le cas d’une personne intoxiquée au fentanyl qui, réanimée par une injection de naloxone, s’en prendrait aveuglément à son sauveteur. Cette légère modification au Code criminel nous donne l’impression d’agir, mais après avoir écouté tous les témoignages présentés au comité, je crains qu’il ne s’agisse que d’un beau geste et non d’une solution à la crise que traverse notre système de santé. L’un des témoignages les plus percutants que nous ayons entendus au comité est celui d’Erin Ariss, infirmière autorisée et présidente de l’Association des infirmières et infirmiers de l’Ontario.
Permettez-moi de citer un extrait de son témoignage.
En tant qu’infirmières, infirmiers et travailleurs de la santé, nous sommes quotidiennement victimes d’actes de violence et de mauvais traitements, et ce phénomène s’accentue. Nous prodiguons des soins à des personnes en situation de crise, mais les mesures existantes ne nous protègent pas.
Nous travaillons en première ligne dans les hôpitaux, les maisons de retraite, les cliniques et nos collectivités. Lorsque nous travaillons en équipe, nous manquons de personnel la plupart du temps. Lorsque nous travaillons seuls, comme lorsque nous prodiguons des soins à domicile, il n’y a personne d’autre autour de nous, personne à qui faire appel lorsqu’une situation devient dangereuse. En tant qu’infirmiers, nous sommes agressés ou bousculés, on nous crache dessus, on profère des injures à notre encontre, et on nous inflige intentionnellement des blessures causées par des aiguilles.
En ma qualité d’infirmière, j’ai travaillé en première ligne dans un service d’urgence pendant 20 ans, et pendant que j’œuvrais au chevet de patients, j’ai été agressée trop souvent pour en avoir tenu un compte. Un patient m’a cassé la main. J’ai été menacée avec une arme à feu, une machette, des couteaux à lame rétractable et des couteaux traditionnels, et j’ai été agressée à l’aide du matériel que nous utilisons pour prodiguer des soins. J’ai reçu un coup de pied dans l’abdomen alors que j’étais enceinte de huit mois de mon fils.
En écoutant son témoignage, nous avons nous aussi eu l’impression de recevoir un coup de pied dans le ventre. Je lui ai donc demandé si les agressions qu’elle avait personnellement subies avaient fait l’objet d’une enquête. Quelqu’un avait-il été accusé ou déclaré coupable de ces actes?
Je pense que nous avons tous été surpris quand elle a répondu que non, aucune accusation n’avait jamais été portée.
Elle nous a raconté que, lorsqu’elle était une jeune infirmière, un patient lui a dit :
« Je vais vous tuer, vous et vos deux beaux enfants, qui vous attendent dans la voiture après vos gardes tous les jours. »
Elle a essayé de le signaler, nous a-t-elle dit, « mais rien n’a été fait ».
Le sénateur Prosper lui a alors demandé pourquoi il en était ainsi. Elle a décrit un milieu de travail où l’on apprenait aux infirmières à minimiser leurs blessures et à ne pas s’attendre à recevoir de soutien de la part de leurs supérieurs, un milieu de travail où elles subissaient des pressions pour ne pas signaler les agressions, mais plutôt les accepter comme faisant partie intégrante de leur travail, sous peine d’être congédiées. Elle a déclaré :
Si nous ne nous occupons pas de nos patients, résidents ou clients, selon le contexte, cela pourrait être considéré comme un abandon des patients et entraîner la suspension de notre autorisation d’exercer nos fonctions.
C’est une épée de Damoclès qui pend toujours au-dessus de nos têtes, et on nous apprend qu’il faut nous mettre au second plan, que nous devons nous occuper de notre patient, quoi qu’il arrive — ce message est omniprésent dans le système de soins de santé, mais aussi à l’école.
L’autre chose que vous constaterez dans tous les secteurs de la santé, et en particulier pour les infirmières ou infirmiers, c’est que si vous êtes agressé ou victime de violence, on vous fait souvent sentir comme si cela découlait d’un manquement de votre part. On vous reproche la violence ou l’agression, et on vous dit qu’elle a été causée par un retard dans les soins ou par quelque chose que vous avez omis de faire. Vous êtes donc responsable du problème en tant qu’infirmière ou infirmier.
Nous avons entendu un témoignage étonnamment similaire de la part de Paul Hills, président de la Saskatoon Paramedic Association, qui est parmi nous aujourd’hui. Permettez-moi de citer M. Hills :
Rien qu’à Saskatoon, des vitres d’ambulances ont été brisées alors que les ambulanciers s’occupaient de patients à l’intérieur. Des ambulanciers ont été attaqués avec des armes. Cette année, une ambulance a été volée alors que deux ambulanciers s’occupaient de patients à l’intérieur. Une personne a été malmenée à l’intérieur du véhicule et les deux ambulanciers ont été blessés, ce qui les a obligés à s’absenter du travail.
Ma vie et celle de ma famille ont été menacées trop souvent pour que je puisse les compter [...] dans le cadre de mon travail, il m’est impossible de garder l’anonymat. N’importe qui peut savoir quel préposé a répondu à son appel. Je suis dans l’annuaire. Je suis au bout de la rue, et les membres de gangs, les membres de gangs rivaux, peuvent me trouver. Ils me suivent à la trace depuis mon travail. Ils savent où vit ma famille et où mes enfants vont à l’école. Lorsque ces choses vous sont dites dans la cabine arrière de votre ambulance, elles ne manquent pas de faire leur effet. On nous a menacés avec des battes, des machettes et des couteaux, et nous avons été contraints de retirer des armes à feu à des patients, tout en essayant de leur prodiguer des soins.
Cependant, comme dans le cas du personnel infirmier, selon M. Hills, il n’existe pratiquement aucune aide juridique, et encore moins de protection, pour les ambulanciers victimes d’agressions dans le cadre de leur travail. Il nous a dit :
[...] nous ne signalons pas souvent ces incidents. Nous en sommes arrivés au point où certaines de ces situations font, soi-disant, partie de notre travail, parce qu’il y a eu des cas où des procureurs de la Couronne nous ont dit que cela faisait partie de notre travail, que ce n’était pas très grave si l’on nous poussait dans les escaliers [...]
Il a ensuite expliqué que les ambulanciers paramédicaux et les pompiers évoluent dans un milieu dominé par les hommes, très masculin, où on apprend à ne jamais montrer ses émotions, à ne jamais demander de l’aide, à ne pas se plaindre et à ne pas se présenter comme une victime.
C’est là le principal défi que pose le projet de loi. Ces mesures ne fonctionneront pas si on ne porte pas plainte et si on ne porte pas d’accusations.
Au comité, nous avons entendu parler à maintes reprises d’une culture toxique du silence, d’une culture du stoïcisme qui décourage les travailleurs de la santé et les premiers intervenants de porter des accusations, et d’une culture de négligence qui décourage la police d’enquêter sur ces plaintes, et les procureurs de la Couronne de porter des accusations. Pire encore, nous avons entendu des témoignages bouleversant sur l’incapacité des gestionnaires de soins de santé et des organisations de premiers intervenants à prévenir les agressions contre leurs travailleurs.
Au mieux, le projet de loi S-233 ne peut qu’alourdir les peines après coup. Plus nous entendions des témoignages, plus il nous semblait évident que nous devions être beaucoup plus proactifs. Nous devons trouver de meilleurs moyens de prévenir les agressions contre les travailleurs vulnérables. On ne peut pas tout simplement hausser les épaules et considérer que les agressions font partie du travail. On ne peut pas s’attendre à ce que les travailleurs de la santé et les premiers intervenants acceptent que la violence soit monnaie courante dans leur milieu de travail.
Le projet de loi S-233 pourrait avoir un effet positif en mettant en lumière la condamnation nationale de la violence envers ceux-là mêmes qui se sacrifient tant pour nous protéger et prendre soin de nous. Il pourrait envoyer le message que nous, Canadiens, ne tolérerons pas ces attaques répétées contre certains des membres les plus héroïques et les plus essentiels de notre collectivité.
Il faut néanmoins appuyer ce symbolisme juridique et politique sur des mesures concrètes. Notre système de santé doit protéger et défendre les travailleurs sur leur lieu de travail. Les ambulanciers paramédicaux et les pompiers doivent pouvoir travailler en toute sécurité dans les rues. Il faut briser le mur du silence qui empêche les gens de signaler les actes de violence et démanteler les cultures d’entreprise qui normalisent la violence comme faisant partie intégrante du travail.
Il faut le faire non seulement pour protéger les travailleurs en première ligne, mais aussi pour nous assurer qu’il y aura encore des personnes disposées à exercer les professions d’infirmier, d’aide‑soignant, d’ambulancier paramédical et de pompier l’année prochaine, dans 10 ans et bien après cela. Sinon, nous n’aurons fait qu’ajouter une ligne au Code criminel pour apaiser notre conscience.
Je voudrais conclure mes observations en remerciant toutes les personnes courageuses qui ont témoigné de manière franche et percutante, ainsi que tous les travailleurs de la santé et les premiers répondants canadiens pour les services qu’ils rendent à leurs patients, à leurs collectivités et à notre pays.
Je tiens à remercier tout particulièrement les infirmiers, les aides‑soignants et les ambulanciers paramédicaux qui ont tant fait pour soigner les membres de ma famille en situation de crise médicale. Dans ces moments de stress, de peur et de chagrin, je n’ai probablement pas pris le temps de vous remercier suffisamment, mais soyez bénis pour tout ce que vous faites. Puissiez-vous être en sécurité et rester en sécurité, et puissiez-vous avoir le respect que vous méritez, tout en poursuivant votre travail vital et précieux. Hiy hiy.
Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)
Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?
(Sur la motion du sénateur Housakos, la troisième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)