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Malheur conjugal : la Loi sur le divorce, le Sénat et une victoire pour les femmes

Plan rapproché des premières lignes de la Loi sur le divorce de 1925.

Il y a un siècle, le divorce était une avenue possible pour les couples dont l’amour s’était éteint, mais la loi ne traitait pas les hommes et les femmes sur un pied d’égalité – jusqu’à ce que le Sénat s’en mêle.

À l’époque, l’État occupait une grande place dans les chambres à coucher au pays. Le Sénat servait de tribunal du divorce dans la majeure partie du territoire canadien. Il entendait les récits scandaleux des rendez-vous secrets et de trahisons relatées par des conjoints voulant désespérément rompre les liens matrimoniaux au moyen d’un projet de loi du Parlement.

Alors qu’un mari pouvait mettre fin à son mariage en prouvant l’adultère de son épouse, une femme devait prouver, en plus de l’adultère, une autre transgression telle que la bigamie, la cruauté ou la désertion.

La Loi sur le divorce de 1925 a établi que les femmes pouvaient désormais obtenir le divorce aux mêmes motifs que les hommes. Cette avancée a marqué le début d’une série de réformes qui, peu à peu, ont contribué à faire disparaitre le tabou entourant le divorce et à délester le Sénat de la tâche de statuer sur les cas de mésentente conjugale.

« C’était le début d’un âpre combat qui allait durer des décennies », indique la sociologue Lorna Marsden, auteure de plusieurs ouvrages sur l’histoire du féminisme au Canada.

Mme Marsden était au centre de ce combat, dans les années 1970, à titre de présidente du Comité canadien d’action sur le statut de la femme. Elle est devenue sénatrice en 1984 et plus tard a assumé les fonctions de présidente de l’Université Wilfrid-Laurier et de l’Université York.

Le sénateur Thomas Chapais s’est opposé à la Loi sur le divorce de 1925 pour des motifs religieux et moraux. Il soutenait que de faciliter l’accès au divorce allait mettre en péril la stabilité sociale. (Crédit photo : Bibliothèque et Archives Canada)

La Constitution du Canada avait confié au Parlement le pouvoir de légiférer sur le mariage et le divorce, mais le Parlement a éludé la question pendant 58 ans. Dans les Maritimes et dans l’Ouest, régions où les divorces étaient accordés par des tribunaux spécialisés, la Matrimonial Causes Act 1857 du Royaume-Uni était les fondements de la loi sur le divorce. En Ontario et au Québec, provinces qui comptaient plus de la moitié de la population du pays, il n’existait aucune loi sur le divorce : pour dissoudre un mariage, il fallait présenter une pétition au Parlement.  

Dans un processus fastidieux, chaque cas était présenté sous forme de projet de loi d’intérêt privé qui nécessitait des témoignages devant un comité sénatorial et des votes dans les deux Chambres du Parlement. Les sénateurs traitaient jusqu’à 150 pétitions par année, chacune débattue comme un projet de loi distinct.

« Imaginez les obstacles que devait surmonter une mère de famille abandonnée qui voulait divorcer, souligne Mme Marsden. Elle devait se rendre à Ottawa, trouver un hébergement et comparaitre devant le Sénat. Il lui fallait aussi trouver quelqu’un pour s’occuper des enfants pendant qu’elle entreprenait des démarches qui étaient trop coûteuses pour la plupart des femmes. »

Les cas se diluaient souvent dans de longs débats sur le caractère moral du divorce. Les sénateurs commençaient à se demander si ces délibérations constituaient une utilisation judicieuse du temps en Chambre. 

En 1887, alors qu’une affaire en était à sa cinquième journée de délibérations, le sénateur William Johnston Almon fait part de ses frustrations, que partageaient bon nombre de ses collègues.

« Les avocats à la Chambre, dit-il, ont parlé les uns après les autres jusqu’à nous épuiser, nous qui voulons nous pencher sur les affaires sérieuses qui touchent le pays. »

Le sénateur George Henry Barnard faisait valoir que le projet de loi était nécessaire pour garantir l’équité pour les épouses et que cette mesure était en phase avec les gains obtenus par les femmes sur d’autres fronts. (Crédit photo : Bibliothèque du Parlement)

« Ce serait préférable d’ajourner la séance et de laisser les avocats avoir leur conciliabule en comité privé, puis nous réunir après leurs délibérations pour passer enfin aux affaires du pays. »

En date de 1925, le Sénat avait réglé des milliers de cas de divorce. Au fil du temps – même si cela n’était pas encadré par la loi – en pratique, il a commencé à traiter sur un pied d’égalité les hommes et les femmes afin de demeurer en phase avec les réformes réalisées au Royaume-Uni. Au Canada, ces réformes seront scellées par la Loi sur le divorce.

Certains sénateurs s’opposaient au projet de loi pour des motifs religieux et moraux. Le sénateur Thomas Chapais a déclaré qu’avec l’introduction de telles « mauvaises lois, anti-chrétiennes et antisociales » le pays « revenait au paganisme ».

D’autres comme le sénateur George Henry Barnard ont fait valoir que le projet de loi ne faisait que reconnaitre les gains obtenus par les femmes sur d’autres fronts.

« Aujourd’hui, la femme a le droit de vote et se trouve sur le même pied que l’homme au point de vue politique. »

« Il est donc juste, d’après moi que, pour ce qui, pour elle comme pour l’homme, a le plus d’importance dans la vie, elle soit mise sur un pied d’égalité avec l’homme. »

L’adoption du projet de loi grâce à un large consensus de 43 voix contre 14 prépare le terrain pour les réformes qui allaient porter leurs fruits dans les années 1960.

En 1930, les tribunaux de l’Ontario se sont vu octroyer le pouvoir d’accorder des divorces, avec le motif supplémentaire de la désertion. Une loi de 1963 simplifie les procédures en permettant que les divorces soient accordés par l’adoption d’une simple résolution du Sénat, et non plus par voie législative.

« Le processus a été long, fait remarquer Mme Marsden, mais les réformes provoquent toujours des grincements de dents. »

En 1966, un comité spécial mixte du Sénat et de la Chambre des communes s’est penché sur la réforme du divorce. La seule femme à siéger au comité, la sénatrice Muriel McQueen Fergusson du Nouveau-Brunswick, qui allait devenir la première femme Présidente du Sénat, veillait à ce que les groupes de défense des droits des femmes soient entendus.

« Elle était déterminée, souligne Mme Marsden. Elle n’employait peut-être pas le terme “féministe”, mais elle a défendu très efficacement les droits des femmes, dans ce cas en particulier et toute sa vie durant. »

Deux ans plus tard, la Loi sur le divorce de 1968 établit un texte législatif unique applicable dans tout le Canada qui traite les maris et les femmes de manière équitable et qui transfère la compétence en la matière aux provinces. Le Sénat fut enfin délesté de la longue – et souvent lourde – tâche de statuer sur la dissolution des mariages. Pour de nombreux sénateurs, ce jalon était un soulagement. Pour les femmes canadiennes, c’était le point culminant d’un périple législatif qui s’est amorcé avec l’adoption d’un projet de loi avant-gardiste en 1925.


Pour plus d’informations sur les actes de mariage et de divorce, consultez la page de ressources sur les mariages et divorces de Bibliothèque et Archives Canada.

Les certificats de divorce étaient délivrés par le Parlement sous forme de lois du Parlement. Le certificat ci-dessus accorde le divorce à l’hôtelier John Monteith en 1887. (Crédit photo : Bibliothèque et Archives Canada)
L’édition de 1922 de la Gazette du Canada, journal officiel du gouvernement canadien, renferme la liste des projets de loi ayant reçu la sanction royale à la 1re session de la 14e législature. La longue liste des divorces prononcés – le Parlement en a accordé 96 cette année-là – donne une indication du temps que le Sénat consacrait à entendre les causes de divorce. (Crédit photo : Gazette du Canada)

La sénatrice Muriel McQueen Fergusson, première femme Présidente du Sénat, a siégé au Comité spécial mixte sur le divorce mis sur pied en 1966, qui a rédigé la première mesure pancanadienne sur le divorce, la Loi sur le divorce de 1968.La sénatrice Muriel McQueen Fergusson, première femme Présidente du Sénat, a siégé au Comité spécial mixte sur le divorce mis sur pied en 1966, qui a rédigé la première mesure pancanadienne sur le divorce, la Loi sur le divorce de 1968.

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