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L'isolement carcéral doit être interdit : Sénatrice Pate

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Je ne peux pas imaginer une soif de contact humain si forte que l’on puisse mettre sa vie en danger pour l’assouvir. C’est pourtant ce qu’a vécu Ashley Smith pendant les mois qui ont précédé son décès en isolement, le 19 octobre 2007. Des femmes que j’ai rencontrées récemment en prison m’ont rappelé que cette situation demeure réelle pour de trop nombreux détenus.

Le jugement récemment rendu par Peter Leask, juge à la Cour suprême de la Colombie‑Britannique, déclare inconstitutionnel l’isolement indéfini des détenus, mais ce jugement laisse encore trop de pouvoir à Service correctionnel Canada (SCC), pouvoir qui est exercé contre l’un des groupes les plus vulnérables et les moins représentés au Canada, à l’abri des regards et dans une relative impunité.

La décision comporte sans aucun doute de nombreux points forts. Le juge a reconnu les effets dévastateurs de l’isolement, qui entraîne « des risques considérables de dommages psychologiques graves, dont la douleur et la souffrance psychologiques, une incidence accrue d’automutilation et de suicide », et plus précisément « l’anxiété, le repli sur soi, l’hypersensibilité, le dysfonctionnement cognitif, les hallucinations, la perte de la maîtrise de soi, l’irritabilité, l’agressivité, la rage, la paranoïa, le désespoir, une impression de dépression imminente, l’automutilation, ainsi que des idées et des comportements suicidaires ».

Le juge Leask a mis l’accent sur les conditions et les effets de l’isolement plutôt que sur les raisons qui expliquent le recours à cette mesure. Il a adopté une décision rendue par le tribunal de l’Ontario, qui qualifie l’isolement préventif comme synonyme de l’isolement cellulaire, une pratique considérée partout dans le monde comme une atteinte aux droits de la personne pouvant équivaloir à la torture.

Il a admis que les Autochtones, surtout les femmes autochtones, et les personnes qui souffrent de troubles mentaux sont placés en isolement beaucoup plus souvent que les autres groupes, au point où l’isolement indéfini enfreint aussi leur droit à l’égalité prévu à l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. Il a donné au gouvernement un an pour remédier à la situation et a proposé de limiter l’isolement à 15 jours en plus d’exiger qu’une surveillance externe soit effectuée par des tierces parties. Essentiellement, cela revient à confier à SCC la responsabilité de régler les problèmes qu’il a invariablement refusé de reconnaître, et encore moins de résoudre.

Les faits présentés au juge démontrent toutefois qu’aucune durée d’isolement n’est considérée comme « sécuritaire ». Le juge Leask a admis que subir seulement deux jours d’isolement peut avoir des effets profondément néfastes, et parfois permanents, sur la santé mentale d’une personne et sur sa capacité d’interagir socialement. Alors, pourquoi ne pas déclarer inconstitutionnel l’isolement en soi, une pratique considérée comme une peine cruelle et inusitée et qui va à l’encontre de la Constitution?

SCC dépasse facilement les limites. Coralee Cusack Smith, la mère d’Ashley Smith, dont le décès en isolement à la prison pour femmes Grand Valley en 2007 a été qualifié d’homicide, a dit ceci : « Nous savons qu’il y a encore des détenus qui sont transférés d’une prison à une autre et qui sont placés en isolement dans chacune des prisons. Chaque fois, le compteur est remis à zéro. Avec un isolement maximal de 15 jours pour chacune des 17 fois où Ashley a été transférée, cela représenterait 255 jours en isolement. »

La surveillance par une tierce partie est aussi exposée à une « prise de contrôle par l’industrie ». Celles dont le gouvernement retient les services peuvent trop facilement en arriver à adopter la perspective de SCC et à devenir partie intégrante des rouages du système au lieu de se montrer ouverts au caractère humain et vulnérable des personnes incarcérées. C’est précisément pour cette raison que Louise Arbour a conclu, à la suite de la Commission d’enquête sur certains événements survenus à la Prison des femmes de Kingston tenue il y a près de 22 ans, que la surveillance judiciaire des services correctionnels était nécessaire.

Par ailleurs, le juge Leask a laissé passer l’occasion de déclarer que l’isolement est une pratique de discrimination fondée sur le sexe. Cette approche lui aurait permis de constater le caractère inconstitutionnel des conditions d’isolement et de privation, dans de petites cellules isolées, auxquelles sont soumises au Canada des femmes qui purgent des peines d’emprisonnement dans des établissements à sécurité maximale.

Enfin, le juge a déclaré que l’isolement est discriminatoire envers les détenus autochtones, ainsi qu’envers les personnes atteintes de troubles mentaux. En fait, l’isolement lui‑même peut entraîner une détérioration de la santé mentale, mais SCC est réticent à reconnaître la maladie mentale chez les détenus et a tendance à réagir aux comportements qui en découlent par des interventions disciplinaires plutôt que thérapeutiques. Ce n’est d’ailleurs qu’après le décès d’Ashley Smith que SCC a admis qu’elle souffrait de problèmes de santé mentale. Le portrait du recours à l’isolement au Canada demeure incomplet, tout particulièrement pour les femmes, et les solutions sont tout à fait inadéquates.

L’isolement est une pratique fondamentalement dangereuse et inhumaine. Rien n’indique qu’il soit possible d’atténuer ou de modérer les dommages qu’il cause. Cette pratique n’est pas nécessaire. En effet, il existe au Canada des exemples où le recours à l’isolement n’était pas possible et des établissements entiers ont su passer de longues périodes sans cellules d’isolement. Le recours à l’isolement s’impose trop souvent lorsque celui‑ci est disponible. Si l’on veut vraiment régler ce problème, il faut carrément condamner le recours à l’isolement et y mettre fin.

La sénatrice Kim Pate représente l’Ontario. Elle est membre du Comité sénatorial des droits de la personne, du Comité sénatorial des peuples autochtones, et le Comité sénatorial sur l’Arctique.

Cet article a été publié le 22 janvier 2017 dans le journal The Globe and Mail (en anglais seulement).

Je ne peux pas imaginer une soif de contact humain si forte que l’on puisse mettre sa vie en danger pour l’assouvir. C’est pourtant ce qu’a vécu Ashley Smith pendant les mois qui ont précédé son décès en isolement, le 19 octobre 2007. Des femmes que j’ai rencontrées récemment en prison m’ont rappelé que cette situation demeure réelle pour de trop nombreux détenus.

Le jugement récemment rendu par Peter Leask, juge à la Cour suprême de la Colombie‑Britannique, déclare inconstitutionnel l’isolement indéfini des détenus, mais ce jugement laisse encore trop de pouvoir à Service correctionnel Canada (SCC), pouvoir qui est exercé contre l’un des groupes les plus vulnérables et les moins représentés au Canada, à l’abri des regards et dans une relative impunité.

La décision comporte sans aucun doute de nombreux points forts. Le juge a reconnu les effets dévastateurs de l’isolement, qui entraîne « des risques considérables de dommages psychologiques graves, dont la douleur et la souffrance psychologiques, une incidence accrue d’automutilation et de suicide », et plus précisément « l’anxiété, le repli sur soi, l’hypersensibilité, le dysfonctionnement cognitif, les hallucinations, la perte de la maîtrise de soi, l’irritabilité, l’agressivité, la rage, la paranoïa, le désespoir, une impression de dépression imminente, l’automutilation, ainsi que des idées et des comportements suicidaires ».

Le juge Leask a mis l’accent sur les conditions et les effets de l’isolement plutôt que sur les raisons qui expliquent le recours à cette mesure. Il a adopté une décision rendue par le tribunal de l’Ontario, qui qualifie l’isolement préventif comme synonyme de l’isolement cellulaire, une pratique considérée partout dans le monde comme une atteinte aux droits de la personne pouvant équivaloir à la torture.

Il a admis que les Autochtones, surtout les femmes autochtones, et les personnes qui souffrent de troubles mentaux sont placés en isolement beaucoup plus souvent que les autres groupes, au point où l’isolement indéfini enfreint aussi leur droit à l’égalité prévu à l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. Il a donné au gouvernement un an pour remédier à la situation et a proposé de limiter l’isolement à 15 jours en plus d’exiger qu’une surveillance externe soit effectuée par des tierces parties. Essentiellement, cela revient à confier à SCC la responsabilité de régler les problèmes qu’il a invariablement refusé de reconnaître, et encore moins de résoudre.

Les faits présentés au juge démontrent toutefois qu’aucune durée d’isolement n’est considérée comme « sécuritaire ». Le juge Leask a admis que subir seulement deux jours d’isolement peut avoir des effets profondément néfastes, et parfois permanents, sur la santé mentale d’une personne et sur sa capacité d’interagir socialement. Alors, pourquoi ne pas déclarer inconstitutionnel l’isolement en soi, une pratique considérée comme une peine cruelle et inusitée et qui va à l’encontre de la Constitution?

SCC dépasse facilement les limites. Coralee Cusack Smith, la mère d’Ashley Smith, dont le décès en isolement à la prison pour femmes Grand Valley en 2007 a été qualifié d’homicide, a dit ceci : « Nous savons qu’il y a encore des détenus qui sont transférés d’une prison à une autre et qui sont placés en isolement dans chacune des prisons. Chaque fois, le compteur est remis à zéro. Avec un isolement maximal de 15 jours pour chacune des 17 fois où Ashley a été transférée, cela représenterait 255 jours en isolement. »

La surveillance par une tierce partie est aussi exposée à une « prise de contrôle par l’industrie ». Celles dont le gouvernement retient les services peuvent trop facilement en arriver à adopter la perspective de SCC et à devenir partie intégrante des rouages du système au lieu de se montrer ouverts au caractère humain et vulnérable des personnes incarcérées. C’est précisément pour cette raison que Louise Arbour a conclu, à la suite de la Commission d’enquête sur certains événements survenus à la Prison des femmes de Kingston tenue il y a près de 22 ans, que la surveillance judiciaire des services correctionnels était nécessaire.

Par ailleurs, le juge Leask a laissé passer l’occasion de déclarer que l’isolement est une pratique de discrimination fondée sur le sexe. Cette approche lui aurait permis de constater le caractère inconstitutionnel des conditions d’isolement et de privation, dans de petites cellules isolées, auxquelles sont soumises au Canada des femmes qui purgent des peines d’emprisonnement dans des établissements à sécurité maximale.

Enfin, le juge a déclaré que l’isolement est discriminatoire envers les détenus autochtones, ainsi qu’envers les personnes atteintes de troubles mentaux. En fait, l’isolement lui‑même peut entraîner une détérioration de la santé mentale, mais SCC est réticent à reconnaître la maladie mentale chez les détenus et a tendance à réagir aux comportements qui en découlent par des interventions disciplinaires plutôt que thérapeutiques. Ce n’est d’ailleurs qu’après le décès d’Ashley Smith que SCC a admis qu’elle souffrait de problèmes de santé mentale. Le portrait du recours à l’isolement au Canada demeure incomplet, tout particulièrement pour les femmes, et les solutions sont tout à fait inadéquates.

L’isolement est une pratique fondamentalement dangereuse et inhumaine. Rien n’indique qu’il soit possible d’atténuer ou de modérer les dommages qu’il cause. Cette pratique n’est pas nécessaire. En effet, il existe au Canada des exemples où le recours à l’isolement n’était pas possible et des établissements entiers ont su passer de longues périodes sans cellules d’isolement. Le recours à l’isolement s’impose trop souvent lorsque celui‑ci est disponible. Si l’on veut vraiment régler ce problème, il faut carrément condamner le recours à l’isolement et y mettre fin.

La sénatrice Kim Pate représente l’Ontario. Elle est membre du Comité sénatorial des droits de la personne, du Comité sénatorial des peuples autochtones, et le Comité sénatorial sur l’Arctique.

Cet article a été publié le 22 janvier 2017 dans le journal The Globe and Mail (en anglais seulement).

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