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Le chômage chez les jeunes pourrait donner lieu à une génération perdue : sénatrice Mohamed

Deux femmes vêtues d’équipements de sécurité utilisent une presse plieuse dans une usine de fabrication.

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Le Canada est confronté à un paradoxe troublant : les employeurs partout au pays signalent des pénuries de main-d’œuvre, mais les jeunes – ceux qui devraient entrer sur le marché du travail – constatent de plus en plus que les portes leur sont fermées lorsqu’ils cherchent un emploi.

Les statistiques sont alarmantes, mais elles ne sont pas nouvelles. Il y a près d’un an, Deloitte, en partenariat avec La Fondation du Roi, a publié Failure to Launch (en anglais seulement), un rapport qui met en évidence les couts exorbitants, sur les plans économique et social, du chômage chez les jeunes au Canada. À l’époque, le taux de chômage chez les jeunes était le plus élevé jamais vu depuis dix ans, soit 14,5 % (août 2024) : plus de 850 000 jeunes n’étaient ni en emploi, ni aux études, ni en formation.

Les conséquences annoncées étaient stupéfiantes. Si la situation n’était pas corrigée, selon le rapport, cette crise pourrait couter au Canada, d’ici 2034, des pertes de 18,5 milliards de dollars et de plus de 5,3 milliards de dollars en produit intérieur brut (PIB) et en recettes gouvernementales respectivement. Un an plus tard, la situation s’est aggravée. En juillet dernier, le chômage chez les jeunes était de 14,6 % et le taux d’emploi chez les jeunes – soit la part des jeunes qui travaillent – était tombé à 53,6 %, soit son niveau le plus faible depuis 1998. Parmi les jeunes âgés de 15 à 29 ans, un sur dix n’est maintenant ni en emploi, ni aux études, ni en formation.

Derrière ces statistiques se cachent des réalités vécues : des diplômés qui sont incapables de décrocher leur premier emploi; des jeunes racisés qui butent sur des obstacles systémiques; d’autres, issus des régions rurales, qui manquent de débouchés; et un nombre croissant de jeunes qui ont cessé de chercher un emploi, démoralisés par des centaines de demandes de travail laissées sans réponse.

Quelles sont les causes de cette situation? Plusieurs forces ont convergé. En premier lieu, l’incertitude économique – suscitée par l’instabilité mondiale, les taux d’intérêt élevés et l’inflation – rend les employeurs plus vigilants et moins disposés à prendre le risque d’embaucher des nouveaux venus sur le marché du travail.

En deuxième lieu, l’automatisation et l’intelligence artificielle (IA) transforment ou éliminent beaucoup d’emplois de premier échelon dans les secteurs de la vente au détail, de l’administration et des services – autant d’emplois qui étaient depuis longtemps une porte d’entrée sur le marché du travail pour les jeunes Canadiens. Et alors que ces débouchés diminuent, les employeurs s’attendent à ce que les jeunes fournissent leur plein rendement dès leur embauche, alors que bon nombre d’entre eux n’ont jamais eu la chance d’acquérir des habitudes et des compétences de travail au cours d’emplois à temps partiel ou d’été. La difficulté est d’autant plus aiguë pour les jeunes autochtones ou noirs et les autres jeunes racisés, qui continuent de présenter un taux de chômage disproportionné, exacerbé par la discrimination systémique.

Le problème n’en est pas seulement un d’emploi à court terme. Des décennies de recherches confirment que le chômage au début de la vie professionnelle laisse des cicatrices – revenus inférieurs au cours de la vie, attachement plus faible au marché du travail, préjudice pour la santé mentale. Nous ne pouvons pas, vu le vieillissement de la population et la forte demande de travailleurs spécialisés, laisser inactif un tel potentiel.

Les conséquences sociales, par ailleurs, sont graves elles aussi. La persistance du sous-emploi mine les familles, suscite de la frustration, renforce l’inégalité et contribue à éroder la confiance dans les institutions. Dans un pays qui est fier d’offrir à tous des possibilités de succès, l’idée d’une « génération perdue » devrait être impensable.

Que pouvons-nous faire? Cette crise peut être réglée, mais des mesures délibérées et coordonnées sont nécessaires.

Nous devons rétablir ces tremplins – emplois d’été, stages payés, apprentissages, possibilités de bénévolat significatives – qui aident les jeunes à acquérir de la confiance et des compétences.

Les écoles, les collèges et les employeurs doivent équiper les jeunes non seulement avec des connaissances techniques, mais également avec un savoir-être – comme l’adaptabilité, le travail d’équipe et la capacité de résoudre des problèmes – essentiel aux emplois de demain.

Le soutien du gouvernement est crucial : des subventions de salaire, des crédits d’impôt et des mesures de soutien à la formation sont nécessaires pour aider les petites et moyennes entreprises à embaucher les jeunes talents.

À mesure que l’automatisation accélère, les décideurs doivent veiller à ce que les jeunes n’en fassent pas les frais. Il faut investir dans les secteurs émergents et veiller, par les politiques adoptées, à ce que la technologie complète plutôt que remplace les emplois de premier échelon.

Les stratégies d’emploi des jeunes doivent être évaluées rigoureusement – sous l’angle non seulement du nombre de placements, mais aussi des résultats à long terme comme le maintien en poste, la croissance des salaires et l’avancement de carrière.

Nous devons également tenir compte des jeunes dans l’élaboration des politiques – intégrer leur réalité lorsque nous établissons les budgets, concevons les programmes et rendons compte de nos mesures à la population, le tout dans une perspective à long terme. En 2018, le Canada a décidé d’appliquer une perspective fondée sur le genre à ses budgets et à ses politiques – ce qui a mené à une meilleure politique sur la garde des enfants et à un plan d’action national visant à éliminer la violence fondée sur le genre. Nous devons maintenant faire de même pour les jeunes.

Le Canada est depuis longtemps fier d’être un pays qui regorge de possibilités. Toutefois, cette fierté doit s’enraciner dans des possibilités réelles, visibles et réalisables. Si les jeunes cessent de croire qu’en travaillant fort, ils obtiendront un bon emploi, nous risquons non seulement le sous-rendement économique, mais également l’affaiblissement de notre tissu social. C’est une voie que nous ne pouvons pas nous permettre de suivre.

L’heure est au leadership, sans partisanerie. Les gouvernements fédéral et provinciaux, les employeurs, les éducateurs et les communautés ont tous un rôle essentiel à jouer. Grâce à des mesures audacieuses et coordonnées, nous pouvons veiller à ce que les jeunes du Canada ne soient pas écartés mais contribuent pleinement à la construction de notre avenir à tous.

Nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre. Chaque mois d’inaction signifie qu’une autre cohorte de jeunes Canadiens deviennent des adultes sans cette porte d’entrée sur le marché du travail dont ils ont besoin. Tout retard se répercutera pendant des décennies.


La sénatrice Farah Mohamed représente l’Ontario. Cadre dans le secteur caritatif, militante et conférencière, elle cumule plus de 30 années d’expérience dans la lutte contre les inégalités systémiques au Canada et ailleurs dans le monde. Avant de se joindre au Sénat, elle a dirigé La Fondation du Roi au Canada et le Fonds Malala, en plus de fonder FORA (auparavant appelé G(irls)20).

Cet article a été publié dans iPolitics (en anglais seulement) le 21 octobre 2025.

Le Canada est confronté à un paradoxe troublant : les employeurs partout au pays signalent des pénuries de main-d’œuvre, mais les jeunes – ceux qui devraient entrer sur le marché du travail – constatent de plus en plus que les portes leur sont fermées lorsqu’ils cherchent un emploi.

Les statistiques sont alarmantes, mais elles ne sont pas nouvelles. Il y a près d’un an, Deloitte, en partenariat avec La Fondation du Roi, a publié Failure to Launch (en anglais seulement), un rapport qui met en évidence les couts exorbitants, sur les plans économique et social, du chômage chez les jeunes au Canada. À l’époque, le taux de chômage chez les jeunes était le plus élevé jamais vu depuis dix ans, soit 14,5 % (août 2024) : plus de 850 000 jeunes n’étaient ni en emploi, ni aux études, ni en formation.

Les conséquences annoncées étaient stupéfiantes. Si la situation n’était pas corrigée, selon le rapport, cette crise pourrait couter au Canada, d’ici 2034, des pertes de 18,5 milliards de dollars et de plus de 5,3 milliards de dollars en produit intérieur brut (PIB) et en recettes gouvernementales respectivement. Un an plus tard, la situation s’est aggravée. En juillet dernier, le chômage chez les jeunes était de 14,6 % et le taux d’emploi chez les jeunes – soit la part des jeunes qui travaillent – était tombé à 53,6 %, soit son niveau le plus faible depuis 1998. Parmi les jeunes âgés de 15 à 29 ans, un sur dix n’est maintenant ni en emploi, ni aux études, ni en formation.

Derrière ces statistiques se cachent des réalités vécues : des diplômés qui sont incapables de décrocher leur premier emploi; des jeunes racisés qui butent sur des obstacles systémiques; d’autres, issus des régions rurales, qui manquent de débouchés; et un nombre croissant de jeunes qui ont cessé de chercher un emploi, démoralisés par des centaines de demandes de travail laissées sans réponse.

Quelles sont les causes de cette situation? Plusieurs forces ont convergé. En premier lieu, l’incertitude économique – suscitée par l’instabilité mondiale, les taux d’intérêt élevés et l’inflation – rend les employeurs plus vigilants et moins disposés à prendre le risque d’embaucher des nouveaux venus sur le marché du travail.

En deuxième lieu, l’automatisation et l’intelligence artificielle (IA) transforment ou éliminent beaucoup d’emplois de premier échelon dans les secteurs de la vente au détail, de l’administration et des services – autant d’emplois qui étaient depuis longtemps une porte d’entrée sur le marché du travail pour les jeunes Canadiens. Et alors que ces débouchés diminuent, les employeurs s’attendent à ce que les jeunes fournissent leur plein rendement dès leur embauche, alors que bon nombre d’entre eux n’ont jamais eu la chance d’acquérir des habitudes et des compétences de travail au cours d’emplois à temps partiel ou d’été. La difficulté est d’autant plus aiguë pour les jeunes autochtones ou noirs et les autres jeunes racisés, qui continuent de présenter un taux de chômage disproportionné, exacerbé par la discrimination systémique.

Le problème n’en est pas seulement un d’emploi à court terme. Des décennies de recherches confirment que le chômage au début de la vie professionnelle laisse des cicatrices – revenus inférieurs au cours de la vie, attachement plus faible au marché du travail, préjudice pour la santé mentale. Nous ne pouvons pas, vu le vieillissement de la population et la forte demande de travailleurs spécialisés, laisser inactif un tel potentiel.

Les conséquences sociales, par ailleurs, sont graves elles aussi. La persistance du sous-emploi mine les familles, suscite de la frustration, renforce l’inégalité et contribue à éroder la confiance dans les institutions. Dans un pays qui est fier d’offrir à tous des possibilités de succès, l’idée d’une « génération perdue » devrait être impensable.

Que pouvons-nous faire? Cette crise peut être réglée, mais des mesures délibérées et coordonnées sont nécessaires.

Nous devons rétablir ces tremplins – emplois d’été, stages payés, apprentissages, possibilités de bénévolat significatives – qui aident les jeunes à acquérir de la confiance et des compétences.

Les écoles, les collèges et les employeurs doivent équiper les jeunes non seulement avec des connaissances techniques, mais également avec un savoir-être – comme l’adaptabilité, le travail d’équipe et la capacité de résoudre des problèmes – essentiel aux emplois de demain.

Le soutien du gouvernement est crucial : des subventions de salaire, des crédits d’impôt et des mesures de soutien à la formation sont nécessaires pour aider les petites et moyennes entreprises à embaucher les jeunes talents.

À mesure que l’automatisation accélère, les décideurs doivent veiller à ce que les jeunes n’en fassent pas les frais. Il faut investir dans les secteurs émergents et veiller, par les politiques adoptées, à ce que la technologie complète plutôt que remplace les emplois de premier échelon.

Les stratégies d’emploi des jeunes doivent être évaluées rigoureusement – sous l’angle non seulement du nombre de placements, mais aussi des résultats à long terme comme le maintien en poste, la croissance des salaires et l’avancement de carrière.

Nous devons également tenir compte des jeunes dans l’élaboration des politiques – intégrer leur réalité lorsque nous établissons les budgets, concevons les programmes et rendons compte de nos mesures à la population, le tout dans une perspective à long terme. En 2018, le Canada a décidé d’appliquer une perspective fondée sur le genre à ses budgets et à ses politiques – ce qui a mené à une meilleure politique sur la garde des enfants et à un plan d’action national visant à éliminer la violence fondée sur le genre. Nous devons maintenant faire de même pour les jeunes.

Le Canada est depuis longtemps fier d’être un pays qui regorge de possibilités. Toutefois, cette fierté doit s’enraciner dans des possibilités réelles, visibles et réalisables. Si les jeunes cessent de croire qu’en travaillant fort, ils obtiendront un bon emploi, nous risquons non seulement le sous-rendement économique, mais également l’affaiblissement de notre tissu social. C’est une voie que nous ne pouvons pas nous permettre de suivre.

L’heure est au leadership, sans partisanerie. Les gouvernements fédéral et provinciaux, les employeurs, les éducateurs et les communautés ont tous un rôle essentiel à jouer. Grâce à des mesures audacieuses et coordonnées, nous pouvons veiller à ce que les jeunes du Canada ne soient pas écartés mais contribuent pleinement à la construction de notre avenir à tous.

Nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre. Chaque mois d’inaction signifie qu’une autre cohorte de jeunes Canadiens deviennent des adultes sans cette porte d’entrée sur le marché du travail dont ils ont besoin. Tout retard se répercutera pendant des décennies.


La sénatrice Farah Mohamed représente l’Ontario. Cadre dans le secteur caritatif, militante et conférencière, elle cumule plus de 30 années d’expérience dans la lutte contre les inégalités systémiques au Canada et ailleurs dans le monde. Avant de se joindre au Sénat, elle a dirigé La Fondation du Roi au Canada et le Fonds Malala, en plus de fonder FORA (auparavant appelé G(irls)20).

Cet article a été publié dans iPolitics (en anglais seulement) le 21 octobre 2025.

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