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PEAR - Comité spécial

Accords de l'aéroport Pearson (spécial)

 

Délibérations du comité spécial du Sénat sur les

Accords de l'aéroport Pearson

Témoignages


Ottawa, le lundi 25 septembre 1995

[Traduction]

Le comité sénatorial spécial sur les accords de l'aéroport Pearson se réunit aujourd'hui, à 9 h, pour étudier tous les aspects inhérents aux politiques et aux négociations ayant mené au réaménagement et à l'exploitation des aérogares 1 et 2 de l'aéroport international Lester B. Pearson, de même que les circonstances ayant entouré l'annulation des accords en question, ainsi que pour faire rapport à ce sujet.

Le sénateur Finlay MacDonald (président) occupe le fauteuil.

Le président: À l'ordre, s'il vous plaît. Nous entendrons ce matin un groupe de témoins éminents - je pense que nous pouvons parler d'éminents professeurs - qui témoigneront en tant que groupe. Chacun d'eux fera une déclaration, si je comprends bien. Nous entendrons ensuite l'ancien greffier du Conseil privé, M. Glen Shortliffe, qui, d'après notre ordre du jour, devrait se présenter devant nous à 13 h. Nous en attendons cependant la confirmation. Il se pourrait qu'il vienne plutôt à 14 h, ce qui nous donnerait plus de temps pour manger. Il sera le dernier témoin de la journée.

Cette semaine, nous entendrons évidemment M. Robert Nixon, auteur du rapport Nixon, qui viendra demain, accompagné de son conseiller juridique. Ils seront avec nous mardi, mercredi et peut-être jeudi, s'il le faut.

Les séances publiques du comité se termineront probablement ainsi. Je dis «probablement», parce que rien n'est certain à notre comité. Nous aurons peut-être besoin de renseignements supplémentaires, ce qui nous obligerait à convoquer d'autres témoins. Je ne sais pas. Je ne pense pas. Voilà pourquoi je dis «probablement». Je pense que ce sera la dernière semaine.

Si M. Nelligan veut bien avoir la gentillesse de présenter les témoins, nous commencerons dès maintenant.

M. Nelligan: Sénateurs, nous entendrons aujourd'hui trois politicologues. À droite, il y a le professeur Mallory, professeur émérite à l'Université McGill. À ses côtés, il y a M. John Wilson, professeur à l'Université de Waterloo. À l'extrême-gauche se trouve le professeur Andrew Heard, de l'Université Simon Fraser.

Le président: Messieurs, vous savez que nous entendons les témoignages sous serment?

(J.R. Mallory, fait une déclaration solennelle:)

(Andrew Heard, assermenté:)

(John Wilson, assermenté:)

Le président: Messieurs, nous n'avons pas tiré à pile ou face pour déterminer dans quel ordre débuter, mais vous avez tous des déclarations à faire. Le professeur Mallory pourrait peut-être commencer.

M. J.R. Mallory, professeur émérite, Université McGill: Merci, monsieur le président, messieurs les sénateurs. J'ai rédigé une brève déclaration - plus on vieillit, pour on devient concis - qui constitue surtout un historique, et je laisserai à mes jeunes collègues le soin de présenter des arguments plus détaillés.

La question de savoir s'il existe dans la Constitution une convention empêchant un gouvernement de prendre des décisions autres que sur les affaires courantes entre la dissolution du Parlement et la date d'une élection générale a été soulevée par un candidat conservateur à l'élection générale de 1953. Il s'agissait d'Arthur Beauchesne, qui venait de quitter son poste de greffier de la Chambre des communes. Dans ses nouveaux habits de candidat aspirant à devenir député, il écrivait à l'Ottawa Journal le 1er juillet:

D'après la rumeur, le gouvernement aurait l'intention d'effectuer des nominations importantes et d'adopter des décrets portant sur de nouvelles politiques avant le 10 août. Espérons que nous serons épargnés d'un tel manque de respect envers le gouvernement constitutionnel.

Dans les démocraties britanniques, il a toujours été d'usage au cabinet, durant la période comprise entre la dissolution et les élections générales, de ne prendre que les mesures absolument nécessaires pour la conduite des affaires courantes.

Nos ministres ne sont plus députés, parce qu'il n'y a plus de Parlement. Ils sont des citoyens ordinaires et certains d'entre eux ne siégeront peut-être jamais plus à la Chambre des communes. Au Royaume-Uni, le gouvernement au pouvoir durant cette période est appelé «gouvernement de transition», et les mesures qu'il prend se limitent aux affaires courantes des ministères.

Un nouveau gouvernement qui entre en fonction après les élections serait justifié d'annuler les nominations effectuées au Sénat ou parmi les hauts fonctionnaires durant cette période de dissolution parlementaire et il serait aussi pleinement justifié d'abroger des mesures adoptées par décret sans qu'un mandat n'ait été donné en ce sens par l'ancien Parlement.

Cette doctrine est bien connue et a été respectée par John A. Macdonald, Laurier, Borden, M. Meighen et Mackenzie King. M. Saint-Laurent ne s'en moquera certainement pas.

La lettre de M. Beauchesne se termine ainsi. Elle a peut-être rassuré les conservateurs convaincus qui avaient l'habitude de lire le Journal à cette époque. Je ne connaissais pas et je ne connais toujours pas de preuve de cette doctrine bien connue. J'ai donc moi-même écrit au Journal le 3 juillet.

La doctrine constitutionnelle évoquée par M. Beauchesne dans la lettre que votre journal a publiée le 1er juillet possède le charme de la nouveauté, mais l'exactitude n'est pas une de ses vertus...

Je ne connais pas d'exemples de cet usage qui, de toutes façons, ne pourrait que nuire à l'efficacité d'un gouvernement constitutionnel. M. Beauchesne semble d'avis qu'après la dissolution du Parlement, les ministres de la Couronne ne sont que des citoyens ordinaires et qu'ils n'ont aucun droit d'exercer les responsabilités de leurs fonctions, sauf pour les «affaires courantes des ministères». Ils sont des ministres de la Couronne, devant rendre compte à la Couronne de la conduite du gouvernement. En renonçant à leurs responsabilités de conseillers confidentiels de la Couronne durant la période de deux mois qui doit s'écouler entre la dissolution du Parlement et une élection générale, ils manqueraient de manière flagrante au serment par lequel ils ont promis d'agir comme conseillers et ministres de la Couronne. Il n'a jamais été envisagé que nous n'ayons effectivement aucun gouvernement durant plus de deux mois, simplement parce qu'une élection générale est déclenchée. Aucun pays ne peut se permettre d'être sans gouvernement réel durant une telle période. D'ailleurs, l'objectif fondamental de notre régime de gouvernement est de faire en sorte qu'il y ait toujours un groupe de personnes responsables de la conduite des affaires.

Il se peut que M. Beauchesne ait confondu deux situations très différentes. Personne n'a jamais prétendu qu'un gouvernement ne devrait pas gouverner entre la dissolution d'un Parlement et l'élection d'un autre. De nombreux précédents constitutionnels indiquent toutefois qu'un gouvernement défait aux urnes devrait éviter de prendre des décisions de politique lourdes de conséquences et d'effectuer des nominations importantes... Mais il s'agit évidemment d'une situation bien différente de celle que décrit M. Beauchesne.

Ainsi se termine ma lettre.

Les gouvernements doivent parfois prendre des décisions importantes et difficiles au beau milieu d'une campagne électorale. Un exemple parmi tant d'autres, dont certains d'entre vous qui sont presque aussi ågés que moi se souviendront, est la décision du gouvernement Diefenbaker de dévaluer le dollar durant la campagne électorale de 1962, décision malheureuse et embarrassante pour ce gouvernement.

En réalité, il se prend peu de décisions durant une campagne électorale. Il est rare qu'on trouve plus d'un ministre à Ottawa. La plupart sont ailleurs, en campagne. Mais des crises surviennent parfois, que ce soit sur les marchés financiers internationaux ou dans les couloirs des Nations Unies, et les ministres doivent faire leur devoir et délaisser pendant un certain temps les exigences de la campagne électorale.

Mais tant que les électeurs ne sont pas allés aux urnes, aucune loi ni convention de la Constitution ne les dégage de leur devoir de prendre les décisions qui semblent nécessaires. Il revient aux électeurs de déterminer si ces décisions sont bonnes ou mauvaises, et le nouveau gouvernement peut habituellement les changer.

Je suis convaincu d'avoir raison au sujet de la question débattue entre M. Beauchesne et moi-même en 1953.

Le président: Professeur Wilson, voulez-vous enchaîner.

M. John Wilson, professeur, Université de Waterloo: Avec plaisir. Je suis désolé de vous informer que mon mémoire est un peu plus long que celui du professeur Mallory. Étant plus jeune que lui, on me donnera cette latitude, je pense.

Vous examinez depuis quelques mois plusieurs questions liées à l'autorisation et à la signature des accords de l'aéroport Pearson, mais, à mon avis, aucune n'est plus importante que celle dont nous discutons aujourd'hui.

Il y a toutes sortes de questions sur le bien-fondé des accords, sur les parties en cause, et cetera, mais, personnellement, je pense que ce n'est pas important. Ce qui importe vraiment, d'après moi, c'est ce que nous étudions actuellement, soit les rouages mêmes du gouvernement. Quand il est question de la Constitution et des conventions liées à la Constitution, nous allons au-delà des simples luttes politiques et des guerres intestines. Nous nous intéressons plutôt à la façon dont nous administrons nos affaires et aux règles et conventions que nous sommes censés suivre.

Mon exposé a pour but de décrire la nature des conventions constitutionnelles qui me semblent s'appliquer à cette affaire. Je déclare d'entrée de jeu que je diffère - profondément est un terme trop fort, mais je diffère certainement d'opinion avec le professeur Mallory sur cette question. À vous de décider si c'est important ou non.

En résumé, je voudrais parler de ce qui est considéré comme le comportement de rigueur des gouvernements canadiens dans la période qui suit la dissolution du Parlement et qui va jusqu'à l'élection générale.

Je pense utile de m'arrêter d'abord un moment pour faire une déclaration qui sera certainement évidente pour tous les sénateurs et, en réalité, pour tout le monde dans cette salle. Je ne parle pas d'une question de droit, mais d'une question de coutume, de convention, d'usages courants, peu importe comment on la qualifie. Je ne ferai aucun renvoi à nos divers documents constitutionnels, mais je renverrai plutôt seulement à des coutumes et des conventions que nous avons observées, me semble-t-il, au fil des années, parce que nous avons hérité du régime de gouvernement parlementaire britannique. On peut certainement affirmer, selon moi, que cette convention particulière existe parce que nous avons un régime de gouvernement parlementaire.

Vous savez tous, j'en suis convaincu, que si vous croyions ce qui est écrit dans la Loi constitutionnelle, nous devrions convenir que le Gouverneur général jouit de pouvoirs absolus. Nous savons que ce n'est pas vrai. Mais il n'est pas question du premier ministre, pas question du Cabinet, dans la Constitution. La règle peut-être la plus importante, la plus fondamentale parmi toutes celles qui sous-tendent le fonctionnement de notre régime, l'idée qu'un gouvernement qui a perdu la confiance de la Chambre des communes doit démissionner, n'est pas écrite, et pourtant, sans elle, nous ne pourrions pas fonctionner correctement dans ce genre de régime.

Les règles, si je peux les appeler ainsi, qui s'appliquent dans une décision du Gouverneur général d'approuver ou de refuser la dissolution du Parlement restent encore vagues, à mon avis, encore que certains puissent soutenir qu'elles ont été définies en 1926. Beaucoup des règles les plus importantes de la procédure parlementaire qui s'appliquent à notre façon de gouverner ne sont elles aussi que des coutumes. La liste est presque infinie. Or, tous ces aspects sont des éléments essentiels d'un régime parlementaire. L'usage dans chaque cas est le fruit des coutumes et des conventions, mais il fait aussi partie de nos usages constitutionnels parce que nous ne pouvons pas savoir comment nous sommes gouvernés sans connaître ces règles, si je peux les appeler ainsi.

Les débats sur ce genre de questions ne peuvent être réglés par l'examen du droit. D'ailleurs, il faut toujours comprendre l'évolution des usages avec le temps. Le professeur Heard en connaît beaucoup plus long que moi là-dessus, mais j'en parlerai brièvement.

La principale distinction entre le droit et les conventions, je suppose, est qu'un organisme - en l'occurence les tribunaux - détermine ce que prévoient ou disent les lois, mais qu'aucun organisme ne définit ce que sont les coutumes et les conventions.

Sir Ivor Jennings, parmi tant d'autres - il est peut-être l'un des meilleurs, selon moi - définit plus clairement que la plupart des observateurs le sens de ces termes. J'aimerais citer un extrait de son ouvrage sur le Cabinet et le gouvernement, qui fait ressortir plusieurs aspects sur lesquels j'aimerais attirer votre attention.

L'absencee de tribunal faisant autorité pour déterminer ce qu'est une convention soulève cependant des difficultés. Les conventions découlent des usages et leur existence est déterminée par les précédents. Ces précédents ne font pas autorité, contrairement aux précédents en justice. Il y a des précédents qui ne deviennent pas des conventions, et il y a des conventions fondées sur des précédents tombés en désuétude... Tout acte est un précédent, mais tous les précédents ne deviennent pas une règle... Les précédents deviennent une règle lorsqu'on reconnaît qu'ils en deviennent une. Il suffit parfois de démontrer qu'une règle est généralement acceptée. Des personnes faisant autorité ont affirmé pendant près d'un siècle le droit du premier ministre de choisir ses collègues...

Il ne l'a pas dit, mais ce n'est écrit nulle part.

Des personnes faisant autorité n'ont jamais, que l'on sache, affirmé le devoir du monarque d'accorder une dissolution sur demande.

Il est important pour la suite, je pense, de reconnaître l'affirmation de Jennings qu'il suffit parfois de démontrer qu'une règle est généralement acceptée. Autrement dit, les conventions ne se fondent pas seulement sur une série d'événements antérieurs pouvant être considérés comme des précédents. Elles peuvent aussi découler de l'absence de certaines formes de comportement. Vu sous un autre angle, on pourrait affirmer que le fait qu'une demande de dissolution n'a pas été refusée par le Gouverneur général du Canada depuis 1926 démontre simplement que les divers premiers ministres canadiens ont compris qu'ils ne doivent pas présenter de demandes injustifiées, plutôt que le gouverneur général n'a plus le pouvoir de refuser une dissolution.

Il n'y a pas de lieu de croire, simplement parce qu'il ne s'est rien passé ou parce que personne n'a dit ni fait quoi que ce soit, qu'il n'y a pas de règles sur ce qui est acceptable. La règle prévoit peut-être justement qu'il ne devrait rien arriver tant qu'un fait considéré inacceptable au bout du compte n'a pas eu lieu.

Par conséquent, le fait qu'il ne semble exister aucun exemple concret au Canada illustrant le jeu des conventions qui régissent la période suivant une dissolution du Parlement pourrait donc n'avoir aucune espèce d'importance. Si la principale convention existe dans la forme que je vais décrire, nous ne devrions pas nous attendre à des exemples.

Ce qu'on appelle dans certains milieux la «convention de transition» - ce n'est peut-être pas le meilleur terme qui soit, mais c'est celui qu'on emploie habituellement - est facile à décrire, même s'il n'y a généralement pas de définition par écrit. On la décrit un peu comme ceci: Il s'agit d'un principe bien établi du gouvernement parlementaire selon lequel, lorsque le Parlement a été dissous et qu'une campagne électorale est en cours, la latitude dont jouit le gouvernement pour prendre des décisions est nettement limitée et les décisions devraient porter uniquement sur l'administration des affaires courantes, sauf, bien sûr, si elles découlent d'une situation d'urgence.

Ainsi, on croit qu'il faudrait éviter durant cette période de prendre des décisions dans trois domaines: les questions très controversées; les questions qui ne sont pas urgentes, c'est-à-dire celles qui peuvent attendre sans qu'il en résulte des dommages ou des préjudices irréparables; et les questions qui limiteraient indûment la liberté du futur gouvernement de prendre des décisions. Certains ajoutent un quatrième domaine, mais je ne sais pas si je le ferais moi-même, soit les questions entraînant de très fortes dépenses publiques.

Deux raisons expliquent ces restrictions durant cette période, et les deux semblent aller de soi. La première est que si le Parlement ne siège pas, et ne le fera peut-être pas pendant assez longtemps, les mécanismes ordinaires d'examen du comportement du gouvernement - la période de questions, le débat sur l'ajournement, les motions d'ajournement, les motions de crédits, les débats en général - ne fonctionnent pas.

Tout le monde sait que, dans le régime parlementaire, le pouvoir de l'exécutif peut être énorme. C'est une vieille notion qu'on apprend dès le cours de Science politique 101, si vous voulez. C'est l'existence de ces mécanismes d'obstruction constructive, comme les appelait Eugene Forsey, qui réduit un peu ce pouvoir de l'exécutif et qui fait en sorte que le gouvernement reste responsable. Mais si ces mécanismes ne peuvent s'exercer parce que le Parlement ne siège pas, il faut une réduction correspondante de l'ampleur habituelle des pouvoirs du gouvernement, d'où la convention de transition.

La deuxième raison est évidemment qu'une campagne électorale comporte toujours la possibilité de la défaite du gouvernement et donc, la possibilité que le gouvernement ne puisse pas assumer les conséquences de ses décisions. Par conséquent, il ne faudrait prendre durant cette période que des décisions relatives aux affaires courantes, autrement dit, des décisions que n'importe quel gouvernement pourrait prendre, sauf, encore une fois, s'il s'agit d'une situation d'urgence.

Certains soutiennent au contraire que, durant une campagne électorale, le gouvernement attire beaucoup l'attention de l'opinion publique et qu'il peut difficilement faire ce qui lui plaît. Dans son témoignage sur le projet de loi C-22, je crois que le professeur Heard a fait des observations en ce sens quand il a parlé de l'utilité d'une campagne électorale comme tribune où le gouvernement doit rendre des comptes.

On peut se demander cependant, et j'ai tendance à me demander moi-même, si les conférences quotidiennes devant les médias ou le point de presse impromptu qui a lieu chaque fois que s'arrête l'autobus du chef de l'opposition remplacent bien la surveillance exercée à la Chambre des communes par des maîtres de l'art de l'opposition bien informés - tels que Diefenbaker - comme moyen de contenir les excès du gouvernement.

Si vous me permettez de prendre un moment pour vous raconter l'une des mes histoires favorites, j'en donnerai pour exemple un échange qui a eu lieu il y a de nombreuses années, dans les années 50, après une rencontre qui s'était tenue aux Bermudes, entre le président Eisenhower des États-Unis et le premier ministre Macmillan de la Grande-Bretagne, et au cours de laquelle ils avaient parlé de questions intéressant les deux pays. À l'issue de cette rencontre, M. Macmillan a donné une conférence de presse, exposé ses propos, ses idées, etc. Vers la fin, un jeune journaliste américain s'est levé et a demandé: «Monsieur le premier ministre, que pensez-vous de cette belle invention américaine, la conférence de presse du premier ministre?» Ce à quoi Macmillan, toujours gentilhomme, a répondu: «Je pense que c'est absolument extraordinaire, très intelligent à vous de l'avoir inventée. Il faut vraiment vous féliciter.» Le jeune homme, ne reconnaissant pas la politesse britannique, s'est levé à nouveau et a demandé: «Monsieur, si vous êtes de cet avis, avez-vous l'intention d'instaurer cet usage quand vous rentrerez au Royaume-Uni?» Macmillan a répondu: «Ce n'est pas nécessaire. Cela existe chez nous depuis des siècles. Nous l'appelons la Période de questions au Parlement.»

Cela démontre qu'à la période de questions au Parlement on obtient des renseignements, on obtient des résultats, si on sait comment s'y prendre, impossibles à obtenir lors d'un point de presse.

À mon avis, il n'y a rien d'aussi efficace que la Chambre des communes elle-même comme organisme de surveillance et de restriction des pouvoirs de l'exécutif. Après tout, l'obstruction constructive vise à faire reculer le gouvernement ou peut-être même changer d'avis, et les points de presse et les électeurs ne sont jamais vraiment parvenus à atteindre cet objectif.

Je parlerai brièvement des usages britanniques et dirai quelques mots des usages australiens, avant d'en venir au Canada.

Rien ne semble démontrer l'existence d'une convention de transition et d'usages de ce genre au Royaume-Uni. Jennings indique clairement qu'il y a eu de temps en temps ce qu'on appelle des gouvernements de transition dans un sens très limité, des gouvernements ayant pour objet littéralement de ne faire presque rien pendant une période très limitée, de ne prendre aucune mesure radicale, et qu'il est compris qu'ils n'en prendront pas. Un autre exemple est celui du gouvernement de Malcolm Fraser, en Australie, après que le gouverneur général a destitué Gough Whitlam. La tåche de Fraser consistait littéralement à faire adopter le budget, puis à déclencher une élection et à partir. Il s'agit d'un gouvernement transitoire dont les pouvoirs sont très limités. Ce n'est pas à cela qu'on pense, ou que je pense tout au moins, quand je parle de convention de transition.

Mais en Grande-Bretagne, comme vous le savez peut-être, à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, M. Churchill a dû lutter contre le déclenchement d'une élection générale alors que son gouvernement était formé de membres du Parti travailliste et du Parti libéral. Trouvant cette situation embarrassante, il a décidé que la solution consistait à démissionner de son poste de premier ministre d'un gouvernement de coalition, ce qu'il a fait sans consulter ses collègues travaillistes et libéraux, puis le roi, dans sa sagesse, l'a nommé tout de suite après premier ministre de son propre gouvernement, comprenant uniquement des conservateurs. Il y a eu des élections plus tard et vous savez ce qui est arrivé. Je ne sais pas s'il y a un lien, mais il s'agissait d'un gouvernement de transition, et c'est le seul qu'on ait connu en Grande-Bretagne. Jennings ne parle pas du tout de cette situation, ni de ce qui devrait ou ne devrait pas arriver durant la période entre la dissolution et les élections.

Mais on peut imaginer, ou il est très probable, je pense, que l'ancien principe de la souveraineté parlementaire qui existe bien sûr en Angleterre - la règle selon laquelle aucun Parlement ne peut engager un Parlement futur - puisse s'appliquer dans ce cas-ci, en l'absence de toute indication contraire par des gens comme Jennings.

Vous savez, on dit souvent que la constitution britannique n'est pas écrite. Je ne me souviens plus du nom du type - j'aimerais me le rappeler, cela remonte à mes années en Angleterre, il y a bien longtemps - mais un blagueur avait déclaré que ce n'était pas vrai. La constitution britannique est écrite; elle compte deux phrases: Il y a un Parlement. Le Parlement peut faire ce qu'il veut.

C'est le principe de la souveraineté parlementaire. Le Parlement pourra toujours faire comme il l'entend. Par conséquent, il est tout simplement impossible de lier un Parlement futur. Vous pouvez vous y essayer. Ce n'est pas permis; c'est inacceptable et il y a beaucoup d'autres exemples, dont je vous dispenserai, mais il y en a des exemples concrets.

À partir de ce principe très général, je suis convaincu que nous pouvons voir facilement comment on peut déduire l'existence d'une convention de transition. Si le Parlement ne peut être lié par les actes d'un ancien Parlement, il ne peut certainement pas l'être par ceux d'un exécutif qui agissait sans le consentement du Parlement, pour exprimer la situation très simplement et crûment.

Les usages en Australie sont évidemment explicites et clairs. Les Australiens ont mis par écrit une convention appelée la «convention de transition», définie presque mot pour mot dans les termes que j'ai employé il y a un instant; le Cabinet ne peut rendre des comptes à une chambre responsable, le danger ou la possibilité d'une défaite du gouvernement à l'élection générale et les conséquences qui peuvent en découler.

Je ne prendrai pas la peine de vous la lire, mais elle est énoncée à plusieurs endroits. Je l'ai trouvée dans le rapport pour 1986-1987 du cabinet du premier ministre et du Cabinet en Australie. Ils affirment que c'est ce qu'ils font et il est très clair que c'est ce qui arrive là-bas. Il en est ainsi depuis au moins les années 50, avec le gouvernement de sir Robert Menzies. Ce mécanisme a alors été explicitement reconnu, semble-t-il, et il est appliqué avec la collaboration de tous les partis, qu'ils soient au pouvoir ou dans l'opposition.

Les usages au Canada semblent se situer entre ces deux pôles. Je suis content que le professeur Mallory ait signalé l'échange de lettres entre lui-même et M. Beauchesne dans le Journal, parce que j'allais le citer. Ce n'est plus la peine.

Vous avez été un peu injuste envers Arthur Beauchesne. Il n'a pas affirmé qu'il ne devrait pas y avoir de gouvernement. Il a déclaré qu'il devrait y avoir un gouvernement très limité. Il n'aurait pas dû dire que les ministres étaient des citoyens ordinaires. Il essayait simplement de faire comprendre, je pense, que le Parlement ne siégeait pas.

Mais je pense qu'il est très important de reconnaître que des distinctions de ce genre existent vraiment. Je ne sais pas si je veux essayer de vous convaincre que cet argument est bizarre, comme je le crois, mais affirmer que vous ne connaissiez pas et ne connaissez toujours pas, je pense, d'exemples de l'application de cette doctrine du gouvernement de transition, prouve que j'ai raison. Pourquoi vous attendriez-vous qu'il y ait des exemples? Même s'il devait y avoir un exemple, faut-il en déduire que vous vous attendez à ce que les gouvernements du Canada aient, à maintes reprises et Dieu sait depuis quand, pris des décisions radicales et bizarres durant la période entre la dissolution et une élection, sans que personne ne se plaigne? Cela démontrerait qu'il n'y a pas de convention. Qu'il ne se soit rien passé est tout au moins une preuve possible qu'il existe une convention, qu'elle ne s'est pas appliquée, parce que les gens, à part ceux que vous avez nommés, sont trop intelligents pour se comporter ainsi. Mais vous n'avez pas fait ces affirmations, alors je ne peux pas me servir de cette corde pour vous pendre.

J'allais citer un extrait de The Structure of Canadian Government pour donner un exemple plus récent, et je devrais peut-être le faire, parce que je vous respecte beaucoup. Vous faites partie de ceux qui font autorité sur la questions. Vous avez déclaré, et vous vous en souviendrez:

Lorsqu'un gouvernement a été défait aux urnes ou à la Chambre des communes, tous les chefs des partis politiques sont tenus de participer à la formation d'un nouveau gouvernement. Jusqu'à ce qu'un nouveau gouvernement soit formé, l'ancien a le devoir de rester au pouvoir. Tant qu'il est au pouvoir, il a l'obligation et la responsabilité de gouverner, encore qu'un gouvernement qui a perdu la confiance du peuple ou de la Chambre des communes ne peut que prendre des décisions sur les affaires courantes jusqu'à ce qu'un gouvernement ayant l'appui de la Chambre puisse être formé.

Cette doctrine semble appuyer l'hypothèse qu'un gouvernement n'ayant pas été défait à la Chambre, n'ayant pas perdu la confiance de la Chambre et ayant simplement décidé que le moment était venu d'aller aux urnes, comme l'a fait le gouvernement au pouvoir en 1993 avant l'élection, que ce genre de gouvernement peut prendre toutes les décisions qu'il veut parce qu'il est encore le gouvernement.

Mais ce point de vue n'est pas tout à fait cohérent. D'un côté, on affirme que les gouvernements doivent toujours pouvoir gouverner - et vous êtes d'accord là-dessus - mais de l'autre, ils ne peuvent le faire efficacement que s'ils n'ont pas perdu leur autorité morale par suite d'une défaite à la Chambre des communes ou à l'élection générale proprement dite.

Il me semble que vous ne parlez pas, en réalité, comme vous affirmez plus loin vouloir le faire, de la nécessité que la Couronne soit conseillée. Vous parlez de l'autorité morale qui revient normalement à un gouvernement. Vous vous demandez si un gouvernement a le droit de gouverner. Et ce que vous faites en réalité, je pense, c'est parler de démocratie. En deux mots: Le peuple approuve-t-il? Et lorsqu'il y a eu dissolution, peu importe pour quel motif, il est absolument impossible de répondre à cette question.

De fait, cependant, il semble maintenant - et tous les membres du comité seront au courant de ce dont je veux parler - y avoir des indications que la convention de transition est appliquée au Canada. Le témoignage donné devant votre comité la semaine dernière ou la semaine d'avant par l'actuel greffier du Conseil privé, Mme Jocelyne Bourgon, est très clair sur la question.

J'aimerais, avec votre permission, répéter - même si vous les avez déjà entendus - trois ou quatre extraits de ce témoignage, parce qu'ils me semblent absolument fondamentaux pour comprendre ce dont il est question aujourd'hui.

Mme Bourgon a déclaré ce qui suit à propos du processus de prise des décisions relatives aux accords Pearson, de son point de vue de sous-ministre des Transports au moment où la fin de la période de négociation approchait.

Toutefois, il était nécessaire dans mon esprit que l'on nous confirme que le gouvernement avait bien l'intention de poursuivre dans cette voie. D'ailleurs, il n'y a là rien d'anormal. Je ne voudrais pas donner l'impression qu'il y a là quelque chose d'anormal. Il y a une règle de conduite qui veut généralement que l'on agisse avec prudence dès que le Parlement est dissous. Si l'on demande des directives, c'est pour s'assurer que ceux qui ont le pouvoir de prendre ces décisions sont bien ceux qui vont les prendre et non pas ceux qui n'en ont pas le pouvoir. Il était donc nécessaire de s'assurer que le ministre souhaitait bien faire avancer le dossier, et celui-ci a fait connaître très clairement son intention. Par la suite, la même chose a été demandée à la première ministre.

Puis, décrivant les diverses étapes du processus de prise des décisions, vers la fin de l'été 1993, à l'automne:

Entre la fin août et la dissolution du Parlement, le 8 septembre, nous en étions encore à l'étape de la transformation de cette entente de principe en différents éléments devant donner effet à l'accord.

Après la dissolution du Parlement, il y a une règle générale qui s'applique à la conduite des fonctionnaires. Ce n'est pas un article de loi. C'est une règle générale qui veut qu'à partir de ce moment-là, il faille agir avec prudence. La question se pose alors de savoir qui va décider si on agit ou non avec prudence. Ce n'est pas aux fonctionnaires d'en décider. Il faut s'adresser au ministre ou au premier ministre selon les circonstances.

Il vous semblera peut-être que Mme Bourgon décrit dans ces remarques la prudence qui devrait être de mise chez les fonctionnaires à un moment où l'esprit partisan risque d'être plus évident à Ottawa. Mais dans ces dernières remarques à ce sujet, elle touche du doigt, je pense, les préoccupations que j'ai exprimées. Elles décrit deux événements qui l'ont poussée à s'arrêter.

Il y a eu une déclaration du chef de l'opposition dans laquelle il demandait publiquement à la première ministre de tout arrêter - je crois que c'est ce qu'il a dit. Le lendemain, je crois que le chef de l'opposition... a par ailleurs déclaré que s'il devait former le gouvernement, il souhaitait revoir l'opération.

Ces deux événements m'ont fait dire qu'il était nécessaire d'obtenir des directives sur l'opportunité de faire avancer les choses, c'est-à-dire de signer le 7, mais cette fois je me suis adressée à la première ministre. C'est parce que le premier ministre est responsable de l'action du gouvernement en période d'élections. La demande ayant été présentée par le chef de l'opposition, il ne suffisait pas à mon avis de demander tout simplement des directives au ministre au moment considéré...

Vous comprendrez qu'il n'appartient pas à la sous-ministre des Transports de prendre le téléphone et d'appeler la première ministre pour lui dire: «Je veux que vous me donniez des directives.» L'affaire doit être soumise au greffier, dont le travail est de s'assurer que nous respectons la tradition, les principes et la procédure établie. Lorsque j'ai fait part de mon point de vue au greffier, ce dernier a estimé lui aussi qu'il était justifié de demander des directives à la première ministre. C'est ce qu'il a fait et il m'a donné des instructions.

Que le chef de l'opposition ait fait des remarques indiquant à Mme Bourgon que les accords étaient controversés l'a poussée à s'arrêter, mais ce n'est pas tout et, par la dernière observation que je voudrais citer en terminant, Mme Bourgon a effectivement confirmé l'existence, je crois, de la convention de transition au Canada. Il s'agit d'une réponse à une dernière série de questions du comité ce jour-là.

Si vous me le permettez, sénateur, je ne pense pas que la controverse soit le seul facteur. J'estime que la règle générale de conduite qui veut que l'on agisse avec prudence au cours d'une période électorale signifie que l'on va envisager les facteurs suivants: S'agit-il d'une transaction qui va lier les gouvernements à l'avenir? Quelles sont - les solutions possibles? Y a-t-il urgence? A-t-on l'obligation d'agir? Y a-t-il une controverse? La controverse est certes un élément à considérer, mais je dirais carrément que ce n'est pas le seul qui exige que l'on prenne des directives. Il y aurait plusieurs facteurs à considérer.

J'ai cité longuement son témoignage, parce que, selon moi, il représente presque un nouveau chapitre de l'histoire des usages du gouvernement canadien. Nous avons désormais, de la bouche d'une personne que je considère très bien placée, une déclaration jamais entendue auparavant, selon moi, sur l'idée que se font les fonctionnaires, tout au moins, de ce qui se passe durant cette période. Et elle fera certainement partie des textes que liront les étudiants qui s'intéressent à notre système.

Avant de terminer, je ne la répéterai pas, mais j'ai une citation que vous avez déjà vue et qu'il n'est donc pas utile de lire à nouveau, tirée du rapport de M. Nixon. Vous remarquerez, vers le bas de la page 8 du rapport qu'il a rédigé à l'intention du premier ministre, qu'il déclare à peu près la même chose au sujet de l'opportunité de cette décision et pour les mêmes raisons que j'ai invoquées. Je veux seulement souligner que c'est ce que pensent les professeurs et les spécialistes, ce que pensent les fonctionnaires, ce que pensent des gens qui oeuvrent depuis longtemps dans le système politique, et M. Nixon, peu importe ce qu'on peut dire de lui, est sur la scène publique en Ontario depuis très longtemps, et son père l'avait été lui aussi pendant longtemps. La famille Nixon est une famille qui possède une longue expérience sur la scène publique, en affaires publiques, et j'ose croire qu'ils savent, si ce n'est parfaitement, du moins un peu, de quoi ils causent.

Permettez-moi de conclure brièvement par ces observations. Il est peut-être impossible d'avoir des certitudes absolues sur les points que je vais évoquer maintenant, mais je ne connais pas d'exemples, et d'ailleurs je ne devrais pas en connaître, depuis la fin de la Première Guerre mondiale, de gouvernements canadiens qui, durant la période de gouvernement transitoire, se sont moqués aussi allégrement des convenances que ne l'a fait la première ministre Campbell lorsqu'elle a autorisé la signature définitive des accords de l'aéroport Pearson le 7 octobre 1993.

La question était très clairement très controversée. Le chef de l'opposition avait promis d'annuler l'accord si son parti remportait l'élection, ce qui aurait dû suffire, à mon avis, d'après les exemples que j'ai décrits, pour arrêter le processus. Des dépenses publiques énormes étaient en cause et l'accord liait le gouvernement du Canada par un bail à très long terme qui, lui aussi n'aurait pas dû être approuvé durant la période de transition, d'autant plus qu'il n'était pas urgent, comme nous le savons maintenant, si j'ai bien compris.

Mais fait plus important encore - et vu la façon dont je perçois le mode de fonctionnement du régime, je pense être obligé de le dire - fait plus important, je pense, la décision a clairement été prise à un moment où la première ministre et son entourage devaient savoir que leur gouvernement risquait d'être défait. Le sondage Gallup publié le 22 septembre montrait que les Libéraux avaient 37 p. 100 des intentions de vote et les Conservateurs, 30 p. 100, en baisse par rapport à 36 p. 100 en août. Le sondage Gallup publié un mois plus tard, le 21 octobre, accordait aux Conservateurs 16 p. 100 des intentions de vote.

Je n'ai pas besoin de voir les sondages internes des partis pour savoir que, vers le 7 octobre, à mi-chemin entre ces deux dates, le gouvernement était probablement à 20 p. 100, ou pas très loin de là. Peu importe les déclarations publiques, je ne crois pas un instant que la première ministre n'était pas au courant de cette situation politique catastrophique. Les faits sont donc qu'elle a choisi d'approuver la signature des accords de l'aéroport Pearson au moment où elle savait qu'elle ne pourrait pas assumer les conséquences politiques de cette décision. Et, selon moi, cela ressemble beaucoup au comportement d'un gouvernement qui a déjà perdu l'autorité morale de gouverner. Affirmer que sa décision était un exercice du pouvoir déplacé du point de vue constitutionnel est bien peu dire, selon moi, mais dans le contexte de nos coutumes et de celles d'autres régimes parlementaires, cela suffit également pour justifier toutes les mesures qui s'imposent afin d'annuler l'accord.

Merci.

Le président: Merci, monsieur Wilson.

Monsieur Heard, pouvez-vous vous trouver une place entre ces deux messieurs?

M. Andrew Heard, professeur adjoint, Université Simon Fraser: Nous ne serions pas de bons professeurs si nous ne divergions pas d'avis entre nous, je suppose.

Le sénateur Kirby: Monsieur le président, je pensais que vous auriez au moins félicité monsieur Heard d'être, si je ne m'abuse, le premier témoin néo-écossais - même s'il vit actuellement sur l'autre côte - que nous entendons au cours de ces audiences.

M. Heard: Le débat sur les contrats relatifs aux accords de l'aéroport Pearson soulève plusieurs questions concernant le comportement des protagonistes politiques, sur la façon dont ils devraient être guidés et sur les limites imposées à nos dirigeants politiques.

On m'a demandé de parler aujourd'hui des circonstances entourant la signature des contrats et plus précisément du moment où ils ont été signés. Mes remarques porteront sur une seule controverse, soit celle de savoir si la signature des contrats près de trois semaines avant le jour du scrutin enfreint une convention constitutionnelle.

À mon avis, il y a deux réponses identiques à cette question, même si on arrive à ces deux réponses en employant des méthodes différentes pour démontrer l'existence d'une convention constitutionnelle.

À l'aide d'une méthode classique, qui se fonde sur les précédents historiques, je conclus sans l'ombre d'un doute qu'aucune convention n'interdit la signature de contrats avant le jour du scrutin.

Une autre méthode, que j'ai mise au point, fait reposer la convention sur des principes constitutionnels, mais elle aboutit elle aussi à une conclusion négative, bien qu'une certaine ambiguïté demeure peut-être.

Je vous décrirai la méthodologie et l'analyse de ces méthodes et, ce faisant, j'espère vous faire mieux comprendre la nature des conventions ainsi que les types de contraintes auxquels fait face un gouvernement dans les derniers jours de son mandat.

La première façon de dégager les conventions est une méthode classique fondée sur précédents. Elle a été formulée des plus explicitement par le constitutionnaliste britannique renommé qu'est sir Ivor Jennings, lorsqu'il a écrit que, pour déterminer s'il existe une convention, il faut se poser trois questions:

Premièrement, quels sont les précédents; deuxièmement, les protagonistes croyaient-ils être liés par une règle; troisièmement, la règle est-elle justifiée?

C'est tiré de The Law & the Constitution (5e édition), 1959, page 136.

Les précédents historiques sont au coeur de cette méthode, qui a été appuyée par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt sur le rapatriement. Les éléments essentiels sont l'existence de précédents historiques, un incident relatif aux usages en cause ou l'application de règles. Le regretté sénateur Forsey a souligné le rôle des précédents lorsqu'il a écrit:

Une convention constitutionnelle sans un seul précédent pour l'appuyer est une maison sans fondations... il ne fait aucun doute qu'il faut au moins un précédent. Sans précédent, il n'y a pas de convention.

C'est tiré de The Courts & the Conventions of the Constitution, 1984, volume 33, UNB Law Journal, page 341.

Selon cette méthode, il faut chercher un précédent pertinent. Et, dans ce cas-ci, des précédents concernant la signature de contrats ou de documents équivalents durant une campagne électorale.

Des difficultés surgissent alors, parce qu'en cherchant dans les textes canadiens et britanniques, je n'ai trouvé aucun débat explicite sur ce genre de questions, sauf l'incident évoqué par le professeur Mallory. Mais je ne pense pas qu'on ait discuté longuement et explicitement de la conduite d'un gouvernement durant une campagne électorale. Les études constitutionnelles ou les grands mémoires ne contiennent pas d'observations normatives sur cette retenue imposée à un gouvernement durant une campagne électorale. Cela nous pose une difficulté dans ce cas-ci, parce qu'il n'y a pas de précédents directs. Il faut donc se demander si l'absence de précédents indique l'observation d'une règle interdisant d'agir ou si elle indique qu'il n'y a pas de règle.

À mon avis, les faits démontrent qu'il n'y a pas de règle. Il n'y a pas eu d'analyse, même par des tiers, dans les études constitutionnelles britanniques et canadiennes, de la conduite des gouvernements durant une campagne électorale. Les précédents qui ont été étudiés par les auteurs faisant autorité se rapportent à des contraintes imposées au gouvernement après l'élection, lorsque les résultats démontrent clairement que le parti au pouvoir a été défait et qu'un autre sera appelé à former le gouvernement. L'élément essentiel de ces précédents et de ces types d'analyses est que le gouvernement a été défait aux élections, ce qui est une situation bien différente d'une campagne électorale.

J'ajouterais qu'un autre exemple serait la période après qu'un gouvernement a été défait à l'occasion d'un vote de confiance très clair à la Chambre des communes, ce qui, une fois de plus, ne s'applique pas dans la situation qui nous intéresse.

Mais dans le cas de cabinets défaits, ou de cabinets défaits après une élection, les auteurs modernes voient d'un bon oeil que le Gouverneur général ou le lieutenant-gouverneur refuse d'approuver des nominations de juges ou de sénateurs lorsque ces nominations ont été proposées par un cabinet défait à une élection générale.

Le précédent fédéral notable a été établi par lord Aberdeen, qui, lorsqu'il était Gouverneur général, a refusé de donner suite au conseil de sir Charles Tupper de nommer des juges et des sénateurs après sa défaite aux élections de 1896. Et il y a aussi quelques exemples provinciaux de lieutenants-gouverneurs qui ont refusé d'effectuer certaines nominations recommandées par des cabinets défaits aux élections générales. J'ai trouvé des exemples en Nouvelle-Écosse en 1878 et en 1882, au Nouveau-Brunswick en 1908 et au Québec en 1986. Dans tous ces cas, les gouverneurs estimaient que le Cabinet ne devait pas essayer de procéder à ces nominations. Il y a eu un cas contraire en 1905, lorsque le Cabinet ontarien a réussi à faire approuver certaines nominations, mais il s'en est suivi à l'époque un tollé de protestations, ce qui me laisse croire que l'opinion générale était qu'un tel acte allait à l'encontre des normes.

Ces précédents renforcent donc le principe général du gouvernement responsable - la justification de la règle - que le cabinet a le droit de faire appliquer ses conseils, tant qu'il n'a pas été défait aux urnes ou par un vote de confiance très clair. Si un cabinet perd la confiance de la Chambre ou des électeurs, il doit se limiter à la conduite des affaires courantes, mais c'est une situation différente de celle qui nous intéresse aujourd'hui. Le gouvernement n'avait pas été défait, ni par un vote de confiance à la Chambre, ni aux urnes, pas encore tout au moins.

Donc, dans le cas de la méthode classique des conventions fondées sur les précédents, je dois conclure que le gouvernement défait aux urnes doit s'en tenir aux affaires courantes, mais tant que le cabinet n'est pas défait, il est tout à fait libre, d'après la convention, de faire ce qui lui plaît. Et je m'empresse d'ajouter que l'absence de limites imposées au gouvernement par convention ne signifie pas qu'aucune contrainte ni limite n'est imposée au gouvernement, mais plutôt qu'il s'agit de limites fondées sur la prudence, la bonne gestion politique et le bon sens, et nous devons établir une distinction entre ces limites et une obligation fondée sur une convention constitutionnelle.

Voilà donc la première méthode, fondée sur les précédents historiques. Il y a peu d'incidents signalés, peu de commentaires et ceux qui existent se rapportent à un gouvernement déjà défait, pas à un gouvernement qui ne l'a pas encore été.

Je ne suis cependant pas tout à fait rassuré par cette méthode classique et je soutiens que nous ne devrions pas être liés par des précédents historiques. Le problème que je vois avec la convention constitutionnelle fondée sur les précédents historiques est que, s'il existe un précédent, il semble que nous soyons forcés d'en tenir compte, et je ne suis pas certain que nous devrions automatiquement être liés par une convention remontant, par exemple, au XIXe siècle, simplement parce que c'est le seul précédent clair. Les points de vue constitutionnels évoluent avec le temps.

Le problème particulier qui se pose dans ce cas-ci est qu'il s'agit de situations sans précédents, sans acte explicite de la part des protagonistes directement en cause. Faut-il en déduire que les protagonistes politiques sont libres de faire comme bon leur semble et de déclarer qu'il n'y a pas de précédent, donc pas de convention et qu'ils peuvent donc faire ce qu'ils veulent? À mon avis, les précédents sont utiles, mais ils ne devraient pas être déterminants. Ils jettent un éclairage utile sur le débat concernant nos principes constitutionnels, mais je soutiens qu'ils ne sont pas essentiels pour qu'existe une règle découlant d'une convention. Je soutiens que certains principes exprimés dans notre constitution lient les protagonistes politiques même en l'absence de précédent historique explicite et direct.

Un exemple serait qu'aucun premier ministre ne conseillera à la reine de le nommer Gouverneur général. Ce n'est jamais arrivé et cela n'arrivera jamais. Qu'est-ce qui l'empêche? Un principe constitutionnel fondamental.

Pour moi, la caractéristique principale des conventions qui les distingue de simples us et coutumes est que les conventions appuient des principes importants de la Constitution. Je soutiens qu'en l'absence de précédents, nous pouvons nous tourner, et dans les faits nous nous tournons, vers les principes fondamentaux pour trouver des règles qui lient nos protagonistes politiques.

Par conséquent, lorsque j'analyse la signature des contrats par un cabinet durant une campagne électorale, je veux examiner les principes constitutionnels en cause. Dans ce cas-ci, le plus important se rapporte au gouvernement responsable. Le pouvoir légal du Gouverneur général est exercé dans la pratique en fonction des conseils d'un Cabinet qui le lient et d'un Cabinet qui jouit de la majorité à la Chambre des communes. C'est la règle la plus fondamentale de la démocratie parlementaire. Si un cabinet perd la confiance de la Chambre, il doit démissionner ou proposer la tenue d'une élection. Et tant qu'il n'a pas obtenu la confiance des électeurs, le Cabinet ne peut prendre que des décisions limitées. Ces limites existent parce qu'il a perdu la confiance de la Chambre. Si un Cabinet perd clairement une élection générale, il doit présenter sa démission et se retenir tant qu'un successeur n'est pas nommé.

Dans le cas qui nous intéresse, dans le cas de la signature des accords de l'aéroport Pearson, il y avait un Cabinet formé par un nouveau premier ministre qui n'avait pas siégé à la Chambre après sa nomination. Elle n'avait pas été défaite lors d'un scrutin à la Chambre des communes, elle n'avait pas encore été défaite aux urnes. Elle dirigeait un parti majoritaire à la Chambre et il ne fait aucun doute qu'elle aurait remporté n'importe quel vote de confiance si elle avait siégé à la Chambre. Je n'ai lu nulle part qu'un nouveau premier ministre devrait limiter ses actes tant qu'il n'a pas siégé et remporté un vote de confiance. Les premiers ministres sont souvent remplacés parce qu'un nouveau chef a été choisi à l'intérieur d'un parti et lorsqu'ils ont remporté la course à la direction du parti et sont nommés premiers ministres, ils poursuivent simplement le mandat de leur prédécesseur.

Une préoccupation semblable n'a été soulevée que lors de la série de nominations qui a accompagné l'arrivée de John Turner au pouvoir en 1984. L'argument, dans ce cas, était qu'un gouvernement à la fin de son mandat devait se contenir, que John Turner n'aurait pas dû faire ses nominations parce qu'il était sur le point de se présenter devant les électeurs. Un tel argument ne me semble pas fondé, étant donné que le Parlement avait alors encore environ un an et demi devant lui avant que des élections ne soient déclenchées. Je trouve insensé de soutenir que John Turner ne pouvait pas faire de nominations pendant plus d'une année. Bien des gens n'ont pas aimé que les nominations soient aussi nombreuses en même temps, mais c'est une question de politique publique, pas une convention constitutionnelle.

Ma conclusion, fondée sur les principes, est donc que le cabinet est libre de faire comme bon lui semble tant qu'il n'a pas été défait par un vote de confiance à la Chambre des communes ou lors d'une élection générale. Jusque-là, aucune convention ne limite sa liberté d'action.

J'aimerais aller un peu plus loin. Supposons que ma conclusion soit erronée et que je me trompe au sujet des limites imposées à un gouvernement.

Je pense qu'il est utile de revenir aux discussions que j'ai évoquées sur le comportement des gouvernements défaits. Les limites imposées à un gouvernement durant une campagne électorale ne seraient pas pires ni plus importantes que celles imposées à un gouvernement défait? Et quelles seraient les limites imposées à un gouvernement défait?

La réponse se trouve dans les remarques de Peter Hogg, à l'issue de son examen de l'incident entre sir Charles Tupper et lord Aberdeen en 1896. Hogg a écrit:

...le gouverneur général était libre de refuser d'approuver une décision importante et irrévocable qui pouvait attendre la formation anticipée et inévitable d'un nouveau gouvernement.

C'est tiré de Constitutional Law of Canada, (3e édition), 1993, page 253.

L'expression clé de cette citation est «importante et irrévocable». Peter Hogg affirme que le gouvernement défait ne peut prendre des décisions importantes et irrévocables, et je pense que c'est une distinction très sensée.

Il n'y a pas de problème important tant que le nouveau gouvernement peut renverser les décisions du gouvernement sortant. Les gouvernements défaits ne peuvent pas et ne devraient pas prendre de décisions irrévocables.

Donc, si l'on concède, pour le plaisir de discuter, qu'un Cabinet doit éviter de mettre en oeuvre certaines décisions durant une campagne électorale, les décisions interdites sont importantes et irrévocables. Et comme nous le constatons avec le projet de loi C-22, les contrats de l'aéroport Pearson ne sont pas irrévocables. On peut débattre des moyens choisis pour les révoquer, mais un gouvernement ultérieur et le Parlement ont clairement le pouvoir de révoquer ces contrats.

En conclusion, je soutiens que la signature des accords de l'aéroport Pearson n'a enfreint aucune convention constitutionnelle, qu'elle se fonde sur un précédent ou un principe constitutionnel.

Le sénateur MacDonald: Merci beaucoup, monsieur Heard. Deux sénateurs veulent vous poser des questions, le sénateur Jessiman et le sénateur Stewart.

Puis-je vous en poser une avant eux? Je me souviens de votre témoignage devant le comité des affaires juridiques et constitutionnelles, que j'ai trouvé très très intéressant. Ce n'est pas une supposition, c'est un fait que, en vertu de la Loi constitutionnelle, le Sénat a le droit légal et constitutionnel de rejeter un projet de loi de la chambre élue, mais au fil des années, la convention a fait disparaître ce droit constitutionnel et n'a laissé au Sénat qu'un droit légal. C'est exact, n'est-ce pas?

M. Heard: Oui, je dirais que le Sénat a parfois le droit légal de s'opposer à n'importe quel projet de loi émanant de la Chambre des communes. Mais à mon avis, la convention a limité ce droit, de sorte que le pouvoir constitutionnel net est celui d'un veto suspensif.

Le président: D'accord. Et si le Sénat rejette un projet de loi de la Chambre élue ou oppose son veto, il n'y a pas de sanction autre qu'une sanction politique?

M. Heard: C'est exact. Et c'est l'absence de cette sanction qui permet la règle selon laquelle le Sénat n'a pas à rendre compte de ses actes au public.

Le président: Merci. Sénateur Jessiman?

Le sénateur Jessiman: Je pose la question aux trois, pour que vous nous donniez des explications. Supposons qu'il y a une convention. On peut supposer que le gouvernement a été défait à la Chambre et qu'il agit comme l'a fait le gouvernement dans le cas qui nous intéresse. Il a été défait à la Chambre et a dû déclencher des élections. Durant la campagne électorale, il fait ce qu'a fait le gouvernement et signe un contrat dont il était question depuis des mois. Quelle est la position, légalement?

M. Mallory: Tout le monde me regarde. Je ne vois pas de différence légalement.

Le sénateur Jessiman: La convention ne mène-t-elle pas à des lois qui confirment ce qu'il faut faire?

M. Mallory: Une convention est en réalité une sanction morale, sauf pour les très rares situations - et deux ou trois me viennent à l'esprit - où une convention a été adoptée par un tribunal, de sorte qu'elle devient un élément du droit constitutionnel du pays. Normalement, un tribunal n'appliquera pas ou ne reconnaîtra pas une convention, et je pense que les tribunaux devraient s'en souvenir et éviter de le faire s'ils le peuvent. Mais vous avez donné l'exemple du gouvernement qui a été défait à la Chambre, autrement dit, dans la plupart des cas, il s'agit d'un gouvernement minoritaire qui, au cours de la campagne électorale, prend une mesure comme signer un contrat, il fait quelque chose que vous et moi jugeons malavisé.

Il n'y a pas de sanction légale contre le gouvernement, mais nous considérerions, je pense, que la convention n'a pas été respectée. C'est plus ou moins le sens de la citation d'un de mes ouvrages que John Wilson m'a lancée au visage: un gouvernement défait à la Chambre et donc forcé de la dissoudre est plus limité par la convention que celui qui, après tout, puisqu'il a une position tout à fait confortable à la Chambre et une forte majorité de sièges, est encore le gouvernement, dans tous les sens du terme, jusqu'au jour du scrutin.

Le sénateur Jessiman: Est-il arrivé qu'un tribunal reconnaisse les conventions - vous avez signé le contrat, vous avez été défait à la Chambre et vous êtes maintenant - vous avez peut-être été défait aux urnes également et vous avez signé ce contrat avant de céder les rênes du gouvernement, y a-t-il des précédents où les tribunaux eux-mêmes auraient déclaré que, dans ces circonstances, le contrat n'est pas valide?

M. Mallory: Aucun ne me vient en tête. Il y a eu une affaire dont je ne me souviens pas très bien parce que j'étudiais encore à l'université à l'époque, mais quand les Libéraux de Mitchell Hepburn ont remporté les élections en Ontario, il y a eu un grand brouhaha à propos de l'annulation de contrats de voirie et, si je me souviens bien, de contrats d'électricité qui ont fait l'objet de controverse et de poursuites. Je ne me souviens pas de l'issue des procès. Mais je pense qu'on l'aurait remarqué si les tribunaux avaient rendu une décision limitant le droit d'un gouvernement successeur de faire ce qui lui plaît.

Le sénateur Jessiman: Merci. Voulez-vous ajouter quelque chose?

M. Wilson: Le problème en Ontario que vient d'évoquer le professeur Mallory est que la législation Hepburn prévoyait que les personnes lésées par l'annulation ne pouvaient pas intenter de poursuites en justice. C'est bien sûr une autre question.

Votre question porte sur la défaite du gouvernement. En 1979, lorsque le gouvernement Clark a été défait à la Chambre, on attendait une décision au sujet de l'acquisition d'un nombre assez élevé de bombardiers, qui devaient coûter une petite fortune. Le Cabinet avait donné son accord, les comités pertinents aussi, et cetera, puis le gouvernement a été défait à la Chambre.

Les journalistes, la presse, peu importe, ont demandé à M. Clark le lendemain ce qu'il comptait faire à ce sujet. Il a déclaré - je le cite de mémoire - «Je ne crois pas qu'un gouvernement qui a perdu la confiance de la Chambre des communes a le pouvoir de prendre cette décision». Si la situation avait été identique à l'automne de 1993, si le gouvernement Campbell avait perdu la confiance de la Chambre, Mme Campbell aurait probablement fait la même chose. Mais ce n'est évidemment pas ce qui est arrivé.

Si c'était arrivé et si elle était allée de l'avant de toutes façons, le seul recours aurait été le Gouverneur général, pas les tribunaux. Les tribunaux ne touchent habituellement pas aux conventions. Vous vous souvenez à quel point ils hésitaient à toucher à la convention concernant le nombre de provinces qui devaient s'entendre sur le rapatriement de la Constitution en 1981 ou 1982. Ils ne veulent pas y toucher parce que ce sont des questions délicates. Et si le Gouverneur général n'est pas disposé à intervenir et à opposer une fin de non-recevoir, alors la décision du gouvernement l'emporte.

Le sénateur Jessiman: J'aimerais vous poser la prochaine question, professeur Wilson. C'était une politique du gouvernement qui remontait à 1985, puis en 1990, trois ans plus tôt, ils ont annoncé qu'ils allaient faire une demande de propositions pour la privatisation des aérogares 1 et 2. Trois ans se sont écoulés et, entre janvier et juillet, ou la fin de juin, ils ont négocié ce contrat et ont signé le contrat qui énonçait tous les principes. Il ne s'agissait pas d'un document légal liant les parties, mais d'un accord qui définissait les divers principes et qui nécessitait diverses choses, notamment un décret.

Le Cabinet l'a examiné en août. Il l'a fait approuver par le Conseil privé le 30 août et la résolution a été adoptée, le décret autorisant le ministre à signer a été adopté. Les preuves devant nous, beaucoup d'entre elles en tous cas, indiquent que les parties, le gouvernement et les autres parties, estimaient certainement que, puisqu'ils étaient parvenus à l'étape de l'adoption du décret et que les documents devaient être rédigés, de manière à être signés plus tard, à une date bien antérieure au déclenchement des élections, il ne fallait pas modifier l'essence du contrat, parce que si des changements d'importance étaient apportés, il aurait fallu retourner au Conseil privé. Les preuves nous indiquent que cela n'a pas été nécessaire.

M. Nixon a affirmé qu'il y avait 20 accords. Un témoin a déclaré qu'il y en avait 65 et un autre, 110, mais les modalités étaient toutes convenues en août, avant le déclenchement des élections.

Alors on arrive au moment où il ne reste plus qu'à - et le 6 octobre, quand M. Chrétien a prévenu, mais je ne savais certainement pas à l'époque, je n'ai appris qu'après quelques semaines de séances ici que les documents ont été signés avant le 6 octobre. Ils ont été signés par les deux parties le 4 ou le 5 octobre. On n'a pas demandé à la première ministre d'approuver la signature. Elle l'avait déjà fait. Tout ce qu'on lui a demandé c'est de faire signer les papiers permettant de retirer les documents des mains du tiers.

Par conséquent, monsieur, il n'y a pas de gouvernement de transition durant les trois ans que dure ce processus. Tout a été approuvé en principe, par le Cabinet et le Conseil privé. On ne peut certainement pas affirmer que la signature, à un moment donné durant la campagne, est une convention de transition faisant en sorte, à votre avis - et vous êtes le premier à le faire, je n'en ai jamais entendu parler dans toutes mes lectures et j'ai lu pas mal sur le sujet - que, dans ce cas-ci, le gouvernement aurait dû décider de ne pas retirer les documents des mains du tiers. Les preuves devant nous indiquent que le gouvernement aurait été poursuivi de toutes façons.

Le sénateur Kirby: Avant que vous me répondiez, je ne veux pas me lancer dans un long argument sur les faits, mais il n'en demeure pas moins que les documents signés le 7 octobre ne portaient pas seulement sur la libération des mains d'un tiers, mais aussi sur divers accords, notamment l'accord conclu avec Allders. Voilà la première précision.

Deuxièmement, il me semble qu'on peut se demander si le ministre aurait dû signer les documents le 4 octobre, soit 21 jours à peine avant le jour du scrutin. Si vous répondez à cette question, je pense qu'il serait utile pour le comité que vous le fassiez en tenant compte non seulement des signatures du 7 octobre, qui comprenaient quelques contrats et la libération des mains du tiers, mais aussi et c'est beaucoup plus important la signature de documents par le ministre lui-même le 4 octobre, 21 jours avant le scrutin, au moment où, selon votre propre mémoire, il était très clair que le gouvernement allait être défait.

Le président: Supposons alors, pour tenir compte de l'objection du sénateur Kirby, supposons que le sénateur Jessiman vous pose une question hypothétique, qu'un document clair existait, qu'un contrat clair existait, alors la question posée était s'il n'aurait pas été exécutoire à ce moment-là, si on l'avait condamné?

M. Wilson: Je ne suis pas avocat. Je vais répondre en tant que politicologue. D'abord, il me semble qu'il fallait que la première ministre donne son accord. S'il fallait son accord pour conclure le marché, il le fallait pour conclure le marché, un point c'est tout. S'il n'avait pas été donné, le marché n'aurait pas été conclu, peu importe à quelle étape on aurait prétendu être rendu. Je suppose que c'est le cas, sinon je ne vois pas quel est son rôle.

Je veux placer l'affaire dans un contexte plus politique - avec un P minuscule, pas dans un sens partisan, dans un contexte plus politique - plutôt que dans celui de la prise d'une décision, ou dans un contexte légal que je ne vois pas. Je ne veux pas la placer dans le contexte d'une convention. Je pense que le professeur Heard conviendra probablement avec moi que j'emploie peut-être mal ou à outrance le terme «convention.

Mme Bourgon nous indique qu'après la dissolution, la coutume - je ne vois pas quel autre terme on pourrait employer - veut qu'on agisse avec prudence. Elle essaie de définir ce qu'elle entend par là. Je serai ici cet après-midi, j'espère que vous demanderez à M. Shortliffe ce qu'il en pense, ce qu'il en dira, parce que nous devons savoir. Nous ne savons pas quelles sont les coutumes. Mais il semble que, dans la fonction publique, la dissolution veuille dire quelque chose.

Tout ce que je dirai aux protagonistes politiques en cause c'est que la partie se jouait depuis trois ou quatre ans, peu importe. Je sais que c'est vrai. Les discussions ont commencé en 1990, si ce n'est avant.

Le sénateur Jessiman: En 1985, mais en 1990 pour ces accords en particulier.

M. Wilson: Dans ce cas, en 1993, ils ne savaient pas compter? Ils savaient que des élections devaient avoir lieu à l'automne de 1993, parce que les précédentes avaient eu lieu en 1988. Ils ne savaient pas que des contraintes pointaient à l'horizon? S'ils le savaient, pourquoi ne pas accélérer les négociations? Pourquoi ne pas les mener à terme?

Je m'inquiète aussi du fait que, peu importe ce qui a été convenu durant l'été, on ne l'a pas révélé au Parlement. C'est ce qui m'énerve beaucoup. Pas que le Cabinet puisse faire ce qu'il veut. Nous sommes en période de transition, parce que le Parlement ne siège pas. Il n'y a pas de mécanisme représentant le public, si vous voulez, pour passer à la loupe ce que fait le gouvernement.

En ce qui concerne le professeur Heard, qui a adopté une position un peu différente au sujet du projet de loi C-22, je ne pense pas que l'élection, en soi, constitue ce genre de mécanisme. Je n'ai jamais cru que la presse quotidienne ou la presse hebdomadaire était capable - je le dis avec le respect dû aux membres de la presse ici présents - d'interroger le gouvernement au jour le jour. Ils n'arrivent jamais à quoi que ce soit. Il suffit de regarder ce qui se passe aux États-Unis lors des conférences de presse présidentielles pour constater à quel point cet outil est inefficace comparativement à la période de questions à la Chambre des communes, quand on sait s'en servir. C'est ce qui m'inquiète. Cette surveillance n'a pas eu lieu. Parce qu'elle est impossible lorsque le Parlement est dissous, les Australiens affirment qu'il faut agir avec prudence. C'est leur seule raison. Il faut un contrepoids, parce que le Parlement ne creuse plus les faits.

Un gouvernement qui aurait eu bon espoir d'être réélu aurait facilement pu attendre encore trois semaines, jusqu'aux résultats des élections, pour régler l'affaire. Un gouvernement qui savait qu'il n'allait pas être réélu, à mon avis, aurait dû décider de ne pas aller de l'avant pour la raison que Joe Clark avait donnée; pas parce qu'il avait été défait à la Chambre des communes, pas parce qu'il avait perdu les élections, mais parce qu'il était sur le point de les perdre. Ce n'est nullement un point de vue juridique.

Le sénateur Jessiman: L'idée d'obtenir une permission ou de faire d'abord signer les documents par le ministre, puis la libération des mains d'un tiers par la première ministre était réellement, si je comprends bien, d'abord une idée de M. Rowat, qui en a discuté avec Mme Bourgon qui, à son tour, en a discuté avec le greffier du Conseil privé, mais le fait...

M. Wilson: Elle en a discuté avec le greffier du Conseil privé.

Le sénateur Jessiman: Et je suppose que le greffier en a parlé à la première ministre, parce que les documents nécessaires ont été préparés. Mais le fait que ces trois personnes, à cause de toute la publicité dans la presse, parce que tout cela s'est déroulé avant que le chef de l'opposition ne fasse sa déclaration le 6, cela ne crée pas une convention?

M. Wilson: Cela ne crée pas une convention si on donne un sens limité à l'expression. Ce n'est pas ce qu'a déclaré Mme Bourgon. Elle a déclaré explicitement qu'elle s'était inquiétée parce qu'elle avait entendu le chef de l'opposition déclencher une controverse.

Le sénateur Jessiman: Le 6?

M. Wilson: Peu importe la date. C'est ce qu'elle a déclaré dans son témoignage devant votre comité. C'est ce qui lui a mis la puce à l'oreille, a-t-elle déclaré. Il y avait une controverse. Et elle a senti le besoin de demander des directives à la première ministre, pas seulement au ministre.

Le sénateur Jessiman: C'est ce qu'elle pensait, mais rien ne prouve qu'une autre personne aurait estimé elle aussi que le gouvernement était lié, qu'il serait poursuivi s'il ne signait pas, qu'il fallait aller de l'avant et signer.

M. Wilson: Je ne suis pas certain de bien comprendre. Mme Bourgon a déclaré qu'il y avait une «règle de conduite», c'est le terme qu'elle a employé, selon laquelle il faut agir avec prudence après la dissolution. Et si je pouvais lui parler et si vous pouviez faire de même, je lui poserais les questions suivantes. Y a-t-il une convention, une coutume? Agissez-vous toujours ainsi? Depuis combien d'années? Quelles preuves factuelles trouve-t-on dans les documents du Conseil privé pour l'appuyer? Je parie qu'il y en a. Si elles existent, il devrait être possible de les trouver quelque part. Si elles existent, alors je pense que nous sommes certainement en présence d'un usage, si l'on ne veut pas parler d'une convention, je ferai cette concession au professeur Heard.

Le sénateur Jessiman: Mais la signature officielle, il ne fait aucun doute que la signature a créé un document juridique liant les parties?

M. Wilson: Évidemment. Si vous me demandez si la première ministre peut agir ainsi, la réponse est oui, légalement elle peut faire ce qu'elle veut. Voilà pourquoi on ne parle pas d'elle dans la Constitution. Elle se rend chez le Gouverneur général et lui demande de signer. Il lui rappelle qu'elle devra assumer la responsabilité politique de cet acte et c'est tout, qu'il ne faut pas s'inquiéter. Mais si elle peut faire ce qu'elle veut, on peut en dire autant du premier ministre qui lui succède.

Le sénateur Jessiman: Aviez-vous déjà publié une étude sur cette question?

M. Wilson: Non, monsieur.

Le sénateur Jessiman: Dans ce cas, je me demande si l'un ou l'autre de vos collègues veut intervenir. S'ils en entendent parler pour la première fois, j'aimerais connaître leur opinion. Je connais celle de M. Beauchesne, alors j'espère qu'elles sont semblables.

M. Mallory: Voici ce que je pense. Mon vieil ami le professeur Wilson semble grandement préoccupé par l'impression que les accords de l'accord Pearson étaient malavisés et, par conséquent, qu'ils ne respectent pas les conventions. Je ne pense pas qu'on puisse vraiment invoquer les conventions à l'appui de sa thèse. Ses arguments sont peut-être plausibles et ils seront peut-être accueillis avec enthousiasme par bien des gens, dans un sens politique, mais je ne crois pas qu'il réponde correctement à la question de savoir s'il y a une convention à ce sujet dans la Constitution, parce que, selon moi, il s'éloigne trop de ce que sont les conventions.

Quand il parle de Mme Bourgon, encore une fois notre vision est un peu différente parce qu'il se pourrait bien - il y en a des signes depuis au moins 40 ans en tous cas - qu'il existe au sein de la fonction publique une série de normes de comportement, à un niveau inférieur, si l'on veut. Après tout, la Constitution accorde énormément de pouvoir aux gouvernements, le Parlement - et je ne veux pas semer la consternation chez tous ceux d'entre vous qui ont siégé à la Chambre et qui sont maintenant sénateurs - le Parlement réussit relativement mal à contrôler vraiment le gouvernement, et je pèse mes mots. Il est devenu jusqu'à un certain point un élément de la partie de la Constitution qui se donne des airs de majesté, pour reprendre l'expression de Walter Bagehot.

Les seuls vrais débats qui ont lieu à la Chambre des communes se déroulent au sein des groupes parlementaires des partis et parfois, des comités parlementaires. Mais à la Chambre, on ne discute pas vraiment des questions de politique. On fait beaucoup d'esbroufe à la période de questions, mais c'est surtout un spectacle qui ne donne pas beaucoup de résultats, sauf peut-être du point de vue politique.

Il y a des années, je crois me souvenir que le professeur Hodgetts, lui aussi de notre génération, a affirmé que le seul contrôle efficace qui empêche des gouvernements d'agir tout à fait librement et de prendre des décisions parfois malavisées est le professionnalisme et la bonne conduite de la fonction publique. Il a été démontré que la fonction publique, depuis l'époque d'Arnold Heeney, dans les années 40, jusqu'à Mme Bourgon, a en quelque sorte ses propres règles de conduite qui imposent la prudence à des ministres motivés essentiellement par des considérations à court terme. Mais la fonction publique doit voir à long terme. Cela veut dire que des organismes comme le Conseil privé ou d'autres organismes publics ont peut-être des règles concernant la prudence qui, pour les fonctionnaires, sont un comportement habituel, mais les fonctionnaires n'agissent pas au même niveau que les politiciens et ils n'ont évidemment pas le pouvoir légal, comme les ministres, de prendre la décision finale. Ils peuvent se traîner les pieds tant qu'ils veulent. Acculés au pied du mur, ils peuvent démissionner, mais ils ne peuvent pas empêcher les ministres, le Cabinet, le premier ministre, peu importe, de faire ce que ces derniers ont le droit de faire.

Il faut se rappeler que, si la fonction publique peut, dans certains cas où la prudence est de mise, se traîner les pieds pour s'assurer que les politiciens savent ce qu'ils font et voient les conséquences de leurs actes, elle n'a pas le droit légal de les arrêter, ni un droit découlant d'une convention, en réalité. Lorsque des ordres viennent d'en haut, les fonctionnaires doivent les exécuter, sans discuter. C'est un ordre. Il faut se rappeler qu'il est question de plusieurs niveaux de comportement.

Les conventions de la Constitution sont des normes de comportement qui régissent les politiciens. Il y a des règles de prudence et de professionnalisme qui régissent les fonctionnaires, et il serait intéressant, si le comité décide d'approfondir cette question, de voir si c'est tout aussi vrai aujourd'hui qu'à l'époque de fonctionnaires coriaces et très respectés comme Arnold Heeney ou Bob Rice.

Le sénateur Jessiman: Merci, professeur. Professeur Heard, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Heard: Je pense que tout a déjà été dit.

Le sénateur Jessiman: Messieurs, avez-vous parlé à M. Nixon avant ou après la publication de son rapport? Personne ne lui a parlé?

M. Mallory: Pas moi.

Le président: Sénateur Jessiman, 27 minutes se sont écoulées. Pouvons-nous limiter les interventions à 30 minutes au premier tour, sénateur Stewart?

Le sénateur Stewart: Je ferai mon possible, monsieur le président. Je ne peux pas parler au nom des témoins. Je tiens d'abord à remercier le professeur Mallory pour sa déclaration. Je pense que nous devons la situer dans son contexte. Elle commence par un renvoi à une déclaration d'un candidat conservateur aux élections de 1953. Ce candidat a déclaré que les ministres et je cite «sont des citoyens ordinaires et certains d'entre eux ne siégeront peut-être jamais plus à la Chambre des communes».

J'ai l'impression que le professeur Mallory nous dit que c'est tout à fait faux, et je suis évidemment d'accord avec lui. Mais le fait que M. Beauchesne se soit trompé à ce sujet, comme à bien d'autres, ne devrait pas induire le comité en erreur.

Le professeur Mallory ajoute ensuite que «les gouvernements doivent parfois prendre des décisions importantes et difficiles au beau milieu d'une campagne électorale». Nous nous entendons évidemment tous là-dessus. Il dit qu'ils doivent prendre les décisions qui leur semblent nécessaires. Encore une fois, je pense que nous nous entendons là-dessus. Mais pourrions-nous en venir à la situation qui intéresse le comité?

Il ne s'agit pas d'une période suivant la défaite d'un gouvernement. On a beaucoup parlé ce matin des normes qui devraient s'appliquer après qu'un gouvernement a été défait, à la Chambre des communes ou aux urnes.

Le terme «convention» a été employé pour décrire la conduite qu'il faudrait adopter durant une campagne électorale. Le professeur Heard cite un exposé du regretté sénateur Eugene Forsey, prononcé si je ne m'abuse à l'Université du Nouveau-Brunswick, dans lequel le sénateur Forsey critiquait vivement, si je me souviens bien, la décision de la Cour suprême du Canada concernant le rapatriement.

Il déclarait, si je me souviens bien de ses propos à cette occasion, que la Cour suprême n'avait pas à répondre au genre de question qui lui a été posée.

Voici donc la question que je pose au professeur Heard. Le sens du terme convention dans le contexte qui nous intéresse ici est-il vraiment très ambigu, si l'on tient compte de ces remarques de M. Forsey?

M. Heard: Il y a quelques niveaux d'ambiguïté. Le premier porte sur la méthode employée pour définir les conventions, et j'en ai parlé un peu. Si on cherche des précédents, cherche-t-on des incidents? Quelles remarques cherche-t-on? Quel accord de principe est pertinent?

L'autre source de controverse que vous avez évoquée est la relation entre la convention et le droit. Ce n'est pas aussi clair que le soutient la Cour suprême. Celle-ci adopte la méthode Dicey selon laquelle les tribunaux font appliquer des lois, et les conventions relèvent du domaine des politiciens. Je pense que c'est ce que soutenait le sénateur Forsey: à cause de cette objection, la Cour suprême n'avait pas à discuter des conventions relatives au rapatriement de la Constitution.

Dans le contexte des accords qui nous intéressent, l'ambiguïté tiendrait au fait qu'on peut se demander si les conventions ont un rapport avec ces contrats? Du point de vue juridique, quel serait le rapport entre une prétendue convention et la validité des contrats? Si une convention limitait la capacité du gouvernement de signer ces accords, y a-t-il des conséquences sur la validité du contrat? Je pense que les tribunaux statueraient que les conventions n'ont aucune influence sur le droit relatif aux contrats.

Que la signature des contrats soit malavisée ou non, l'enjeu serait la validité. Et du point de vue juridique, l'élément constitutionnel des usages politiques n'est pas pertinent en droit contractuel.

Le sénateur Stewart: Le sens de l'expression «convention» est donc ambigu?

M. Heard: J'ai parfois affirmé qu'il est question - c'est un peu comme les règles de ce que les jeunes appellent les jeux de ruelle. On ne peut pas dire, voici les règles, voici le livre de règlements. Mais presque tous les jeunes du quartier savent comment jouer.

Le président: Je dois dire que mon petit-fils modifie les règlements chaque fois que ça l'arrange. Désolé de vous interrompre.

Le sénateur Stewart: Oui, mais vous apportez une objection importante. Les règlements peuvent bien changer par commodité, mais je doute qu'un seul enfant puisse les modifier sans que les autres protestent, parce qu'eux aussi auraient envie de les changer. C'est ce qui convient à tout le monde qui devient un règlement. Je vois que vous faites signe que oui, monsieur le président. C'est sage.

Le président: Surtout si le båton et la balle vous appartiennent.

Le sénateur Stewart: Oui. D'accord.

Venons-en si nous le pouvons au jeu proprement dit. Afin de gagner du temps, monsieur le président, je sais que cela vous préoccupe, je vais faire des propositions et demander si les témoins sont d'accord ou s'ils voudraient apporter des corrections.

On dit que l'un des grands principes de notre régime est celui du gouvernement responsable. On lit parfois dans les études sur le sujet qu'un gouvernement, c'est-à-dire les ministres, doit rendre des comptes au Parlement et que le Parlement doit à son tour rendre des comptes aux électeurs.

Je doute de la validité de la deuxième proposition, parce qu'il se pourrait bien que la plupart des députés décident de ne pas se présenter à nouveau. Par conséquent, ils se dérobent à leur responsabilité, à moins que je ne me trompe beaucoup. Attachons-nous à la première proposition, soit que les ministres, le gouvernement en ce sens, doivent rendre des comptes au Parlement. À toutes fins utiles, je pense que nous entendons par là la Chambre des communes.

La responsabilité - la possibilité que cette responsabilité fonctionne en pratique - varie certainement selon les circonstances. Ainsi, lorsque le Parlement ne siège pas, le niveau de responsabilité est plus faible, alors que quand il siège, en pratique, la responsabilité est plus élevée.

Peut-on affirmer - et je pose la question au professeur Heard - que si mon préambule est juste, la responsabilité de la Chambre des communes est à un niveau très bas, qu'elle n'existe pas après la dissolution?

M. Heard: C'est exact. Il n'y a plus de Parlement après la dissolution.

Le sénateur Stewart: Il n'y a donc pas de gouvernement responsable à ce moment-là, d'après la définition étroite que j'ai donnée à cette expression?

M. Heard: C'est exact.

Le sénateur Stewart: Alors je vous le demande, professeur Heard, étant donné qu'un gouvernement responsable est habituellement l'un des principes fondamentaux de notre régime, un gouvernement qui sait que ce grand principe ne s'applique pas dans la pratique ne devrait-il pas agir avec grande prudence s'il prend une décision qui aura des conséquences à long terme?

M. Heard: Il y a deux aspects à votre question. Pour répondre d'abord au deuxième, je dirais que le gouvernement doit toujours agir avec prudence et à l'unisson.

Le sénateur Stewart: Cela va de soi.

M. Heard: À cause du premier élément, je ne peux pas répondre à votre question telle que vous l'avez formulée, parce que vous avez donné une définition du gouvernement responsable selon laquelle le Cabinet rend des comptes à la Chambre des communes qui, à son tour, rend des comptes aux électeurs.

Le sénateur Stewart: J'ai éliminé les électeurs.

M. Heard: C'est le hic. Vous affirmez qu'en l'absence du Parlement, il n'y a pas de gouvernement responsable. Si le Parlement est dissous durant une campagne électorale, il n'y a pas de Parlement, donc pas de gouvernement responsable, alors que Cabinet devrait agir avec prudence. J'ai soutenu devant le comité des affaires juridiques et constitutionnelles qu'un gouvernement responsable comporte non seulement la responsabilité du Cabinet envers la Chambre des communes, mais aussi la responsabilité directe envers les électeurs. C'est le but d'une élection générale.

Donc, au moment de la dissolution, le Cabinet ou le gouvernement en place finit par rendre des comptes aux électeurs. On ne peut donc pas affirmer qu'il n'y a pas de responsabilité durant la période visée par les brefs d'élection. Il faut rendre des comptes aux électeurs.

Le sénateur Stewart: Je pense que vous ne saisissez pas à quel point mon énoncé était affreux. Je veux vous faire comprendre que cette idée que le Parlement rend des comptes aux électeurs est profondément trompeuse. Prenons l'exemple de la situation qui existait durant les deux dernières semaines du gouvernement de M. Trudeau. Il n'avait pas l'intention de se porter à nouveau candidat. La plupart de ses ministres n'en avaient pas l'intention non plus. On peut dire qu'il y a la théorie du gouvernement responsable et qu'ils doivent rendre des comptes aux électeurs. Il n'avait pas l'intention de se présenter à nouveau. En pratique, le gouvernement responsable, en ce qui concerne la situation de M. Trudeau à ce moment-là, c'était une théorie dans les manuels, n'est-ce pas?

M. Heard: Non, il y a certainement des périodes durant lesquelles le principe s'applique de façon très boiteuse. Il se pourrait que le premier ministre et presque tous les membres du Cabinet annoncent qu'ils ne se présenteront pas à nouveau, mais c'est normal en politique.

Il y a une responsabilité de parti, donc, dans la pratique, c'est sous la bannière du parti que...

Le sénateur Stewart: Ce que l'on trouve derrière la bannière du parti peut changer radicalement d'un mois à l'autre, à en juger par le recrutement constant du NPD, par exemple, et cela s'appliquerait au Parti libéral et aussi aux Conservateurs, je suppose. Par conséquent, affirmer simplement que la cohérence, l'intégrité et donc la responsabilité envers l'électorat sont assurées parce qu'ils se qualifient de néo-démocrates, de Libéraux ou de Progressistes-conservateurs ne signifie pas grand-chose, n'est-ce pas?

M. Heard: Je pense que vous y allez un peu fort, mais vous avez certainement mis le doigt sur une faiblesse réelle, oui.

Le sénateur Stewart: D'accord. Nous nous entendons sur le fait qu'il y a une vraie faiblesse et que notre régime n'est pas à toute épreuve.

Mais revenons à nos moutons. Encore une fois, ma question s'adresse au professeur Heard. Si nous avons reconnu qu'après la dissolution, les mécanismes permettant de faire appliquer ce grand principe de la responsabilité n'existent plus et si nous affirmons que la responsabilité envers les électeurs est faible - j'aurais employé un terme plus fort - le gouvernement au pouvoir durant cette période - et le sénateur Jessiman peut diverger d'opinion avec moi en ce qui concerne les choix qu'avait le gouvernement Campbell - le gouvernement ne devrait-il pas éviter de prendre des engagements à long terme, qui portent sur d'importantes questions de politique et des montants élevés?

M. Heard: Je pense qu'il faut revenir aux derniers arguments de mon exposé. Votre question porte sur la nature des limites. Je pense que la difficulté qui se pose quand on dit simplement qu'il ne faudrait pas entreprendre des projets à long terme, coûteux...

Le sénateur Stewart: Je n'ai pas dit cela.

M. Heard: Non, mais c'est sous-entendu. Il faudrait agir avec prudence - hésiter, disons - avant de se placer dans ce genre de situation. Je pense que la prudence l'exige, le bon sens l'exige, mais ce n'est pas la même chose qu'affirmer qu'une obligation constitutionnelle force le gouvernement à exercer cette prudence. Cela s'explique, je pense, par la question suivante: Quelles mesures d'un ancien gouvernement peuvent être révoquées par un nouveau gouvernement? Lesquelles ne le peuvent pas? Je pense que c'est la distinction la plus solide sur laquelle nous pouvons établir une règle. Le gouvernement, dans la période que vous décrivez, a l'obligation constitutionnelle d'éviter de prendre des engagements irrévocables. Ce n'est pas du tout la même chose qu'affirmer qu'il a l'obligation constitutionnelle de ne pas prendre des engagements à long terme ou coûteux, qui peuvent être révoqués.

Le sénateur Stewart: Le sénateur Kirby veut poser une question, mais avant de lui céder la parole j'aimerais savoir quel sens vous donnez à «irrévocable»?

M. Heard: Les exemples de précédents portaient sur des nominations de juges et de sénateurs. Une fois que quelqu'un a été nommé juge ou sénateur, on ne peut plus revenir en arrière. Voilà pourquoi les lieutenants-gouverneurs et le Gouverneur général ont refusé d'effectuer ces nominations, parce qu'une fois la nomination annoncée, le nouveau gouvernement ne peut pas proposer un autre groupe de juges ou de sénateurs. C'est irrévocable.

Le président: Vous n'avez pas idée à quel point c'est rassurant.

M. Heard: C'est bien différent d'un contrat qui comporte des dépenses et peut-être des dépenses énormes, mais qui peut être résilié.

Le sénateur Kirby: C'est exactement l'argument que j'allais vous présenter. Pour vous, irrévocable désigne un acte indépendant - tout acte légitime, pourvu qu'il puisse être annulé, peu importe les coûts de l'annulation. Les seuls actes que vous jugez irrévocables sont ceux qu'il est impossible d'annuler, n'est-ce pas, est-ce le sens que vous donnez à irrévocable?

M. Heard: Je suis un peu mal à l'aise, mais oui, parce que je comprends...

Le sénateur Kirby: Discutons de ce malaise, parce que je suis convaincu que le mien est probablement plus grand que le vôtre. Prenons par exemple un acte qui coûterait 100 milliards de dollars au gouvernement. Vous soutiendriez qu'il est légitime?

M. Heard: Non.

Le sénateur Kirby: Nous ne discutons que de prix. Alors, tout à coup, le principe ne tient plus, simplement pour que nous nous entendions là-dessus. Pourquoi ne m'expliquez-vous pas - de toute évidence, votre malaise a un prix. Je dois avouer que j'ai du mal à accepter les politicologues qui discutent de principes et qui découvrent soudainement que les principes ont un prix. Était-ce la nature de votre malaise? Dites-moi quel prix - ou à quel moment le coût devient assez bas dans votre esprit pour que vous défendiez les principes? Autrement dit, nous savons que vous renoncerez au principe à un moment donné.

M. Heard: Tout ce que je sais c'est qu'un ancien professeur d'administration publique éprouve du plaisir à voir un politicologue dans l'eau chaude.

Le sénateur Kirby: Cela m'a toujours fait plaisir et c'est habituellement facile.

M. Heard: Je pense pouvoir me retrancher derrière les lambeaux de principes qui restent encore et affirmer que la faisabilité de l'annulation est une difficulté. Si vous donnez l'exemple de coûts de 100 milliards de dollars, ce n'est tout simplement pas faisable, n'est-ce pas? Aucun gouvernement ne paierait ce coût, c'est donc presque infaisable. Je tirerais donc la ligne au point où il est possible d'assumer les coûts dans des limites raisonnables. C'est une zone grise. On ne s'entendra pas sur l'endroit où cette ligne est tracée, mais je pense que nous avons là une base qui ne permet pas seulement de, vous savez...

Le sénateur Kirby: Par ces mots, vous venez d'entrer dans une zone de totale subjectivité.

M. Heard: Pas du tout.

Le sénateur Kirby: Ce qui peut être financé et ce qui ne peut pas l'être est subjectif.

M. Heard: Il y a un élément de subjectivité, mais on ne peut pas dire que c'est tout à fait subjectif.

Nous pouvons convenir qu'on peut assumer un coût de 5 cents et pas un autre de 100 milliards de dollars de dollars. Il y aura une zone grise dans laquelle nous divergerons d'opinion, mais bien souvent nous nous trouverons dans une zone où il y aura presque consensus.

Le sénateur Kirby: Je pense que l'argument clé que je voulais faire valoir est que vous avez adopté un principe qui n'en est pas vraiment un parce qu'une objection peut le démolir?

M. Heard: Je ne suis pas du tout d'accord. Affirmer qu'il existe un principe ne veut pas dire qu'il n'y a pas de zone grise, pas de confusion, pas de controverse. Aucun principe constitutionnel ne fait l'objet d'aucune controverse et je pense qu'il est erroné d'affirmer que cette position n'est pas une question de principe. Je soutiens que le principe doit être appliqué en tenant compte des réalités concrètes. Il pourra y avoir désaccord à un moment donné sur l'application pratique de ce principe.

Le sénateur Kirby: Ce n'est pas ainsi que je définis un principe, mais je cède la parole au sénateur Stewart. J'ai pris une partie du temps accordé à mon collègue. Je suis certain que vous ne le pénaliserez pas.

Le président: Si vous adoptez la position - comme l'a fait le professeur Wilson, je pense - qu'on ne peut lier un gouvernement futur, les seuls exemples de situations irrévocables que nous avons vus jusqu'ici sont ceux des nominations, de juges et de sénateurs, et cetera.

Le sénateur Kirby: Il n'y a même pas d'etcetera, monsieur le président, parce que, à ma connaissance, les nominations de sous-ministres, toutes ces nominations peuvent habituellement être annulées.

M. Heard: Il y a peut-être d'autres exemples. Ainsi, les États-Unis ont acheté l'Alaska. Vous pourriez céder un territoire. On peut penser à plusieurs situations comportant la destruction d'un bien matériel. Bien des décisions sont irrévocables.

Le sénateur Stewart: Merci beaucoup, monsieur le président. Je vais continuer à interroger le professeur Heard, surtout parce que j'avais commencé par lui.

Dans son mémoire, le professeur Wilson nous a fait une description des conventions australiennes relatives à la période de transition, et il a cité un document. C'est à la page 8 de son mémoire. Je vais le citer:

Les principales conventions de transition exigent qu'un gouvernement évite de mettre en oeuvre de grandes mesures de politique, d'effectuer des nominations importantes ou de signer des contrats ou prendre des engagements importants durant la période de transition et d'éviter de faire participer des fonctionnaires ministériels à des activités électorales.

Étant donné que leur régime de gouvernement a les mêmes racines que le nôtre et que, en réalité, de nombreuses caractéristiques importantes sont identiques, comment supposez-vous qu'ils sont arrivés à cette conclusion concernant l'obligation d'éviter de signer des contrats ou de prendre des engagements importants durant la période qui suit la dissolution, ou s'agit-il simplement d'une excentricité australienne?

M. Heard: Je pense que c'est un aspect l'histoire particulière de l'Australie. Cette convention est le fruit des efforts d'un organisme appelé Australian Convention, qui a tenté de mettre par écrit un certain nombre de règles non officielles de la Constitution après la crise constitutionnelle de 1975.

À ce moment-là, les Australiens cherchaient particulièrement à limiter la marge de manoeuvre des protagonistes politiques et la portée des mécanismes politiques dans un contexte particulier. C'était un des moyens pris à cet effet. Il faut donc rappeler clairement dans le premier cas que la situation politique australienne découle d'un effort conscient en vue de limiter les pouvoirs discrétionnaires.

Le sénateur Stewart: C'est donc le fruit de l'expérience australienne?

M. Heard: Oui.

Le sénateur Stewart: Une conséquence légitime de l'expérience australienne?

M. Heard: Oui.

Le sénateur Stewart: Envisagez-vous la possibilité que, par suite de ce que j'ai parfois appelé l'Airgate, les politicologues canadiens commencent à préconiser une déclaration comparable au Canada au sujet de la signature de grands contrats et de grands engagements? Le droit constitutionnel, et jusqu'à un certain point les conventions de la Constitution, peu importe le sens donné à ce terme, découle de l'expérience pratique et évolue au fil de cette expérience.

L'Australie a vécu une certaine expérience. Elle a établi ces règles fondamentales afin d'éviter de revivre une expérience semblable. Nous avons ici la situation de l'aéroport Pearson. Est-il raisonnable de supposer, comme le croient certains, que le Canada devrait avoir un énoncé explicite au sujet de la signature de contrats importants ou de la prise d'engagements importants durant la période de transition? Je ne dis pas que les politicologues s'entendraient là-dessus. Loin de là, cela réduirait l'intérêt des congrès annuels. N'est-il pas raisonnable de s'attendre à ce que certaines personnes...

M. Heard: Le but des conventions est de permettre une évolution non officielle de la Constitution. Affirmer qu'il n'y a pas de précédents à ce sujet, c'est une chose. Affirmer que les gens seront du même avis dans cinq ans en est une autre. Nous vivons un précédent actuellement.

Le sénateur Stewart: Oui.

M. Heard: Et l'issue de cette affaire sera citée en exemple à l'avenir. Et oui, nous avons ainsi la possibilité de sonder l'opinion de la majorité à ce sujet.

En ce qui concerne ma réflexion, tout ce que je peux vous dire c'est ce qu'on a dit et pensé par le passé, ce que je pense actuellement. Il vous incombe en grande partie d'essayer de mesurer la réaction du public face à cet incident actuel.

Le sénateur Stewart: C'est très important, parce que, comme on l'a dit plus tôt, à long terme, des témoignages comme ceux que nous entendons aujourd'hui pourraient être plus importants que tous les détails des faits survenus le 7 octobre ou à un autre moment. Par conséquent, vos travaux, professeur Heard, sont rétrospectifs, en un sens. Vous avez regardé en arrière, mais pas en avant.

M. Heard: Oui.

Le président: Les conventions ne se développent-elles pas lentement?

Le sénateur Stewart: Pouvez-vous répéter s'il vous plaît?

Le président: J'ai dit que les conventions sont certainement déterminées au fil d'une très longue période. C'est vous qui avez parlé de cinq ans.

Le sénateur Stewart: Ah non, mais il peut arriver des incidents précis, et je pourrais probablement en citer quelques-uns qui ne se sont pas produits au Canada, des cas où, à cause de circonstances spéciales spectaculaires, le bateau a changé de cap. L'orientation de l'évolution des aspects de la Constitution qui ne sont pas écrits a changé.

Le président: J'aimerais un exemple. Vous ne parlez pas de mesures découlant d'une loi.

Le sénateur Stewart: Je vais vous donner un exemple. Je remonterai loin dans le temps. Nous sommes en 1756, en janvier et le roi George II n'est pas très content du fait que, quelques mois auparavant, la majorité à son Cabinet l'a forcé à se débarrasser de Granville, son secrétaire d'État. Dans les mois qui suivent, il persiste à demander conseil à Granville, en douce, et à ne pas tenir compte des ministres. Que font les ministres?

Au moment qu'ils jugent opportun, ils se présentent devant le roi et, l'un après l'autre, ils lui remettent leur démission. Le roi George II, plutôt suffisant, s'adresse à Granville et lui demande de former un nouveau gouvernement.

Aucun effort n'a été ménagé. Une blague de l'époque disait qu'il était dangereux de se promener dans les rues de Londres, parce qu'on risquait d'être forcé de devenir ministre du nouveau gouvernement. Ils n'ont pas réussi. Ils n'ont pas pu former le gouvernement. Cela a tourné - cela a changé la Constitution.

M. Wilson: Il y a un autre exemple dans notre province d'origine, la Nouvelle-Écosse. Le gouvernement responsable en Amérique du Nord britannique a commencé après 1848, après un vote de défiance de la chambre législative qui a obligé le conseil exécutif à démissionner.

Le sénateur Stewart: Ce n'est pas nécessairement un processus lent et cumulatif. Des incidents spectaculaires peuvent changer la Constitution, le fonctionnement de la Constitution, plutôt que le texte proprement dit.

M. Wilson: Monsieur le président, puis-je faire une remarque rapide au sénateur Stewart à propos de l'Australie, vu que la question a été posée?

Le président: Certainement.

M. Wilson: Je ne sais pas trop ce qui s'est passé en Australie à propos de cette convention - si elle est née soudainement ou par suite d'un incident spectaculaire, peu importe. En 1951, peu après avoir dissous la Chambre et demandé la tenue d'élections la même année, sir Robert Menzies a écrit aux ministres: «Je vous prierais également de remarquer que, tout en continuant de prendre toutes les décisions que vous jugez nécessaires dans l'administration ordinaire de vos ministères, vous ne devriez pas en prendre sur des questions de politique ou sur des sujets controversés, sans me consulter d'abord».

Il ne précise pas dans cette lettre les motifs de ces instructions, mais on dirait bien qu'il y avait une crise. Je ne suis pas au courant qu'il y ait eu une crise à ce moment-là, en tous cas pas de l'ampleur de celle de 1975, sous Fraser.

C'était bien avant et c'est encore vrai aujourd'hui. C'est donc devenu une convention après coup en Australie.

Je ne suis pas certain que votre question de départ au professeur Heard, que c'est arrivé dans ce régime parlementaire et quelle est la situation chez nous ne soit pas une question raisonnable. C'est tout, monsieur.

Le sénateur Stewart: J'ai trouvé cela rassurant et j'aimerais que vous le répétiez.

M. Wilson: C'était rassurant, je pense.

Le sénateur Stewart: Voulez-vous le répéter?

M. Wilson: Cela a commencé en 1951, quand Menzies...

Le sénateur Stewart: Oui, je sais.

M. Wilson: ...a dit à ses ministres de ne prendre aucune mesure draconienne durant une campagne électorale. Pourquoi il l'a fait n'est pas clair, mais rien n'indique qu'une crise soudaine ou un événement quelconque l'ait poussé à agir ainsi. Il semble plutôt que sir Robert Menzies estimait qu'il devait agir de la sorte parce qu'il dirigeait l'administration de l'Australie. Et cette idée a évolué depuis, bien longtemps avant la crise constitutionnelle très grave de 1975 entre le Gouverneur général et les autres. Ce n'est pas la cause.

Donc, l'Australie a un régime parlementaire et, comme vous l'avez indiqué, elle est aussi constituée comme nous en une fédération. Ou bien les Australiens sont particuliers, ils agissent différemment, ou alors c'est quelque chose qui peut et qui devrait peut-être - pour ce que nous en savons - se produire dans un régime parlementaire. Dans ce cas, nous pouvons nous demander: Pourquoi pas au Canada? S'il en est ainsi, comme le prétendent certains, pourquoi pas au Canada?

Le président: Sénateur Stewart.

Le sénateur Stewart: Oui. Je poserai une question, si vous le permettez, puis ce sera tout.

Le président: J'allais dire que vous pouvez prendre un peu plus de temps. Votre demi-heure est écoulée. J'allais vous donner un peu plus de temps pour poser plus d'une question.

Le sénateur Stewart: Merci. Une seule question encore.

Le président: D'accord.

Le sénateur Stewart: Dans votre exposé vous avez commenté la pertinence des précédents pour démontrer l'existence d'une convention; et si je vous ai bien compris, vous avez déclaré - je veux revenir - pour démontrer l'existence d'une convention, d'une règle, ou même d'un usage ou d'une coutume, peu importe.

Si je me souviens bien, vous avez déclaré que le simple fait - le fait - que des incidents ne peuvent pas être signalés ne veut pas dire qu'il n'y a pas de règle, d'usage, de coutume, de convention, parce que tout le monde suit - tous les jeunes du quartier observent les règles du jeu et donc qu'il n'y a pas de bagarres, personne ne prétend que les autres n'observent pas le règlement. Le simple fait qu'on ne se bagarre pas au sujet du règlement ne veut pas dire qu'il n'y en a pas.

M. Wilson: Je n'ai pas parlé de bagarre.

Le sénateur Stewart: Non, non. Mais je veux dire...

M. Wilson: C'est mon opinion. Et j'ai donné expressément - c'est plus facile à expliquer qu'une convention ou une coutume ou, peu importe le nom qu'on veut bien lui donner - l'exemple du pouvoir de dissolution du Gouverneur général. Et il y a des divergences de vues assez - très - importantes, je crois, dans la profession, comme vous le savez, quant à savoir si cette question a été réglée en 1926 ou non.

Le sénateur Stewart: Oui.

M. Wilson: Eugene Forsey faisait partie, tout comme moi et je dirais que nous ne sommes pas seuls, de ceux qui ont soutenu qu'elle n'a pas été réglée en 1926 et qu'il y a encore un pouvoir de dissolution. Simplement parce qu'il n'a pas été utilisé depuis 1926 - le refus du pouvoir de dissolution...

Le sénateur Stewart: Oui.

M. Wilson: ...qu'il n'a pas été utilisé depuis ne veut pas dire qu'il n'existe pas. Mais le point de vue du professeur Dawson sur la question était qu'elle avait été réglée en 1926 et que le Gouverneur général n'avait pas ce pouvoir, point final.

Le sénateur Stewart: Très bien. Merci beaucoup, monsieur le président.

Le sénateur Jessiman: Je n'ai qu'une question. Puis-je la poser?

Le président: Oui.

Le sénateur Jessiman: Merci. Pouvez-vous nous expliquer la différence entre une «tradition» et une «convention»?

M. Heard: La différence essentielle entre une «tradition» et une «convention» est qu'il y a - dans une convention, il y a une convention constitutionnelle concrète - un principe constitutionnel est protégé ou appliqué.

Une «tradition» serait une manière d'agir habituelle. Un exemple de tradition serait l'entrée du Gentilhomme huissier de la Verge noire à la Chambre, la porte fermée, les trois coups frappés avant qu'on lui ouvre et l'ordre qu'il donne aux Communes de se joindre à vous à la Chambre haute. C'est une tradition. Elle avait peut-être sa raison autrefois, mais elle est devenue simplement une manière d'agir.

C'est différent d'une convention telle que la nécessité pour les deux chambres de s'entendre sur l'adoption d'un projet de loi avant que la proclamation n'ait lieu, et un principe réel est en jeu.

Le sénateur Jessiman: Merci beaucoup.

Le président: J'aimerais seulement avoir une idée de qui aimerait...

Le sénateur Kirby: Moi, mais je suis très court. Je ne parle pas de ma taille mais de la longueur de...

Le président: Oui. M. Nelligan aimerait poser quelques questions.

Le sénateur Kirby: Après moi?

Le président: Oui. Allez-y.

Le sénateur Kirby: Merci. Je veux poser deux ou trois questions, parce que certains aspects ne sont pas clairs dans ma tête. La première s'adresse au professeur Heard. Elle vise à comprendre ce que vous entendez par «précédent» et, croyez-moi, le problème est peut-être lié au fait que mon esprit mathématique y voit un problème de logique.

Vous avez déclaré tous les trois en des termes différents qu'il n'y a pas de précédents, vous ne pouvez pas trouver d'exemples, pour reprendre les termes du professeur Heard, de poursuites portant sur des contrats importants signés durant une campagne électorale. On peut donc supposer, je crois, que vous êtes tous les trois d'accord qu'il n'y a pas de précédent de situation identique à celle-ci.

Ce qui m'inquiète, ce que je veux vraiment savoir c'est si l'absence de précédent - il me semble que cela peut vous amener dans deux directions: vous pouvez dire que, parce que cela ne s'est jamais produit par le passé, cela veut dire qu'il n'y a pas - et je veux éviter d'employer des termes techniques, des termes de science politique comme «convention» - le fait qu'aucun contrat de ce genre n'a jamais été signé auparavant durant la campagne peut porter à tirer la conclusion qu'il n'y a pas de règle ou la conclusion qu'il y a de toute évidence une règle, ce qui explique justement pourquoi aucun contrat n'a été signé auparavant.

Vous contournez la difficulté très adroitement en employant le mot «convention». Pouvez-vous me dire, compte tenu de la situation que je vous ai décrite, quelle conclusion vous tirez et pourquoi?

M. Heard: J'interprète l'absence d'un acte quelconque comme la preuve qu'il n'y a pas de règle et cela parce qu'on n'a pas commenté non plus cette inaction. C'est donc différent de l'inaction dont il est question lorsque le Gouverneur général oppose son veto à un projet de loi. Il n'y a pas d'exemple de Gouverneur général qui oppose simplement son veto à un projet de loi. Mais il est arrivé que les politiciens et les politicologues déclarent que le gouverneur général ne devrait pas opposer son veto à un projet de loi.

Et d'après Jennings, il faut trois éléments: il faut un précédent, soit un incident; et il peut s'agir aussi bien de l'omission que de l'accomplissement d'un acte.

Le sénateur Kirby: Puis-je vous interrompre?

M. Heard: Certainement.

Le sénateur Kirby: Comment savez-vous? Je veux dire, une omission, comment savez-vous qu'elle - s'agit-il du bruit dans la forêt quand il n'y a personne pour écouter? Comment savez-vous?

M. Heard: C'est le hic. C'est pour cela qu'il faut ajouter les autres critères de Jennings, soit des remarques de la part des intéressés. Et il arrive que les protagonistes et les observateurs commentent l'inaction. Dans la méthode classique, cette inaction, conjuguée aux remarques et à une justification, ces trois éléments donnent lieu à la convention. Par conséquent, je dis que dans la méthode classique, il y a une inaction mais aucun commentaire et que, d'après cette méthode, il n'y a pas de convention.

Le sénateur Kirby: Mais vous pourriez certainement - j'essaie délibérément d'éviter le mot «convention». Vous affirmez que dans une situation - logiquement, votre analyse vous amène à ce qui suit, ce que je trouve un peu absurde, mais je vais vous le dire: cela mène à la conclusion que toute situation extraordinaire, c'est-à-dire toute situation tout à fait unique ne peut jamais donner lieu à une convention parce que, d'après vos critères, elle ne s'est jamais produite auparavant, alors elle ne remplit pas les critères d'un précédent; on n'en a pas parlé parce que cela ne s'est jamais produit avant, donc, par définition, c'est une convention acceptable. Voilà le genre de logique que suscite votre analyse et je la trouve un peu absurde, parce qu'on peut penser à toutes sortes de situations.

M. Heard: Je suis tout à fait d'accord avec vous, voilà pourquoi j'ai écrit mon livre. Je présentais des arguments contre cette méthode classique qui s'appuie sur les précédents, parce qu'il y a ce problème, cette inaction...

Le sénateur Kirby: En effet. Alors, vous arrivez à votre truc irrévocable, qui est une question de principe ayant un prix, n'est-ce pas?

M. Heard: C'est une question de principe qui s'applique dans un contexte pratique.

Le sénateur Kirby: «Usage» est certainement un terme à employer entre guillemets, en ce sens que ce qui en est un pour quelqu'un, ne l'est pas pour quelqu'un d'autre. Il ne me reste plus que deux questions, monsieur le président.

Professeur Wilson, je veux m'assurer d'avoir compris deux ou trois de vos arguments. Premièrement, il n'est jamais arrivé que le gouvernement britannique prenne autre chose que des décisions courantes après la dissolution du Parlement?

M. Wilson: Je réponds de mémoire, mais j'en suis presque certain.

Le sénateur Kirby: D'accord, une question de réglée. Deuxièmement, en Australie, où l'on a pris la peine de mettre par écrit la convention de transition, cette convention interdit explicitement la signature d'un contrat important? Je cite votre...

M. Wilson: Je ne pense pas que nous devrions dire qu'on l'a mise par écrit, au sens que vous donnez à cette expression, je crois. Nous devrions dire seulement que le document que je cite est un document d'information publié par l'agent d'information pertinent au Cabinet du premier ministre et au Cabinet.

Au fond, c'est un peu comme le témoignage de Jocelyne Bourgon devant vous. Un fonctionnaire décrit comment ils agissent.

Le sénateur Kirby: Votre liste d'interdictions comprend la signature d'un contrat important?

M. Wilson: Oui.

Le sénateur Kirby: Et troisièmement, vous ne pouvez-pas trouver d'exemple passé de situation de ce genre au Canada?

M. Wilson: Je n'en ai trouvé aucun.

Le sénateur Kirby: Et le professeur Heard et, je pense, le professeur Mallory non plus. Puis-je poser une dernière question à vous trois: compte tenu de ces faits, et en évitant - étant donné que la légalité n'est pas en cause, aucun d'entre nous ne conteste la légalité; et je veux éviter le terme «convention» employé en science politique; parlons simplement d'«usage», je suppose - décririez-vous la signature de ce contrat - et oublions celui du 7 octobre, prenons celui du 4 octobre, puisque c'est à cette date que le ministre l'a signé - décririez-vous la signature de ce contrat durant une campagne électorale, 21 jours avant le scrutin, comme une décision cohérente avec ce que j'appelle un usage démocratique normal et digne de ce nom?

M. Wilson: D'où tirez-vous ces termes?

Le sénateur Kirby: Je veux seulement connaître votre réaction.

M. Wilson: Je n'emploierais pas ces termes. Je préférerais que vous... pouvez-vous reformuler la question: Est-ce cohérent avec la convention australienne? Est-ce que cela fonctionnera? Non?

Le sénateur Kirby: Non. L'expression «usages démocratiques normaux et dignes de ce nom» est tirée du rapport Nixon.

M. Wilson: C'est ce que je pensais.

Le sénateur Kirby: J'aimerais savoir si vous qualifieriez cette décision de...

M. Wilson: Je laisserais tomber «digne de ce nom», je ne pense pas qu'il s'agisse de cela.

Le sénateur Kirby: «Normale»?

M. Wilson: Non, ce ne l'est pas. Je pense que c'était une mesure, une décision, peu importe, qui allait au-delà de l'administration des affaires courantes du gouvernement pour l'une ou l'autre de plusieurs raisons qu'on peut invoquer: que ce soit les propos de Mme Bourgon, la controverse entre les chefs de parti; vous avez mentionné, je crois, les sommes en cause, quelqu'un a parlé d'un bail de 57 ans, et ce qui est irrévocable, etc. Si vous ne pouvez pas vous en sortir sans payer les yeux de la tête, c'est un problème. Pour toutes sortes de raisons, cela aurait pu être légitime.

Il aurait été souhaitable, je pense, que le principal protagoniste, dans ce cas je pense que c'est le premier ministre, pas seulement le ministre, laisse tomber et attende un peu.

Ce qui se passe en Australie et ce qui arrive au Canada, je le suppose et je souhaiterais bien que nous puissions le démontrer, c'est que les fonctionnaires, le professeur Mallory indique qu'ils... certaines personnes ont déclaré être les chiens de garde du gouvernement, parce que le Parlement ne peut pas le faire. Je ne suis pas convaincu que ce soit vrai, mais passons. Ce que font les fonctionnaires, ce que fait le greffier, peut-être, c'est dire au premier ministre - tout comme dans la série télévisée britannique - «Monsieur le premier ministre, nous ne devrions pas faire cela à cette étape de la campagne». Ce sont eux qui enseignent, si vous le voulez, à des politiciens peu informés quelles sont les conventions du régime. Ils sont là depuis bien plus longtemps que la plupart des politiciens.

Mme Campbell, je ne dis pas cela pour mépriser ses compétences, loin de là, mais elle possédait apparemment une expérience limitée de la vie publique et certainement une expérience très limitée à la tête du pays, tout comme son prédécesseur. M. Chrétien, c'est une autre histoire, si vous voulez les comparer. Mais, d'habitude, dans ce pays, peut-être à cause des exigences de la vie politique, les personnalités et les dirigeants politiques ne restent pas très longtemps sur la scène politique, sauf Mackenzie King et peut-être M. Trudeau. Par conséquent, au début tout au moins, on peut parier qu'ils ne connaissent pas les usages, pour employer ce terme plutôt que «convention». Ils ne savent pas très bien quoi faire ni quoi dire.

Une dernière précision, avec votre permission, à propos des remarques du professeur Heard et de celles de Jennings. Je suis très d'accord avec la phrase employée par Jennings et qui n'est pas tirée de la même source que celle du professeur. De quoi s'agit-il? «Il suffit parfois de montrer qu'une règle est généralement acceptée.» Cela suppose tout au moins qu'il ne s'est rien passé.

Le sénateur Kirby: Exactement. C'est l'argument que...

M. Wilson: Mais que nous nous sommes toujours comportés de la même façon, c'est-à-dire que nous n'avons pas pris de décisions importantes durant ce qu'on appelle la période de transition.

Le sénateur Kirby: En effet.

Le sénateur Jessiman: C'est une question de fait concernant la date de la signature de ces grands contrats. Supposez-vous que...

M. Wilson: Peu m'importe que les négociations aient commencé. Nous pourrions changer de sujet complètement et parler de permis pour les chiens, uniquement pour simplifier l'exemple et que ce soit plus clair dans ma petite tête. Ils auraient voulu imposer des règles à ce sujet depuis le premier jour de la législature et ne seraient pas parvenus à prendre une décision, peu importe la raison, avant le début de la campagne. Tout à coup, ils mettraient en place un système de lois ou un accord prévoyant des amendes exorbitantes, démesurées et les gens diraient: «Un instant». Il ne suffirait pas de répondre que la question est à l'étude depuis 1990 et qu'on peut faire ce qu'on veut. Il faut le faire quand le Parlement siège et peut demander des comptes, dire: «Qu'avez-vous fait? Vous n'auriez pas du agir ainsi. Vous allez le payer». Il faut tous ces éléments.

Le sénateur Kirby: Monsieur Heard, simplement pour obtenir l'opinion des trois, quelle est votre réaction - je pose la question à M. Heard - quelle est votre réaction à mon - je vais vous poser une question:

Pensez-vous - évitons encore une fois le mot «convention» - que la signature de ce contrat au milieu de la campagne constituait un usage normal ou, je pense que l'expression employée dans votre mémoire, si je me souviens bien, ou pensez-vous - pour employer vos termes - pensez-vous que cela enfreint les limites de la saine politique et de la prudence?

M. Heard: Ce n'est pas conforme aux usages politiques passés et c'est une question qui, à mon avis, incite certainement à se demander si c'était prudent ou non.

Le sénateur Kirby: Monsieur Mallory, pouvez-vous répondre à la même question?

M. Mallory: Je pense qu'«imprudent» est le meilleur qualificatif. Je ne suis pas très convaincu par tous ces arguments au sujet de l'existence d'un gouvernement de transition entre la dissolution et l'élection. C'est une espèce de fausse piste, en réalité.

Et c'était imprudent principalement parce qu'il a fallu si longtemps pour régler tous les détails qu'il n'a été possible de parachever le contrat qu'à la toute dernière minute. En soi, cela aurait dû faire comprendre à toutes les parties en cause qu'il était imprudent de pousser pour faire avancer le dossier, parce que c'était une provocation de le faire à ce moment-là, peu importe le bien-fondé du contrat, ce dont je ne suis pas - d'après ce que je comprends, toute cette affaire me semble un peu bizarre. Mais le processus durait depuis des années, comme l'a indiqué le sénateur Jessiman. Puis, soudain, tenter de le parachever à la veille d'une élection, quand ils sont distraits par les allers-retours à toute vitesse en avion, à cause de la campagne électorale, semble bizarre et imprudent.

Mais je n'irais pas jusqu'à prétendre que c'est malavisé, parce que c'est une question compliquée et qu'on ne peut pas la décrire simplement en fonction des enjeux et en se demandant si c'est une bonne ou une mauvaise politique publique. Mais, après tout, on en discutait depuis cinq ans au moins, selon la date qu'on retient comme point de départ. Mais c'était certainement imprudent à l'époque d'agir ainsi.

Le président: Puisque vous avez abordé la question, puis-je vous demander...

Le sénateur Kirby: Monsieur le président, je n'ai pas d'autres questions.

Le président: D'accord. Dans ce cas, puis-je vous demander, professeur Wilson, j'ai eu l'impression - parce que je ne peux pas revenir en arrière et relire votre déclaration, mais vous donnez un sens très large, à mon avis, à l'expression «gouvernement de transition». Désignez-vous aussi bien un gouvernement qui a été défait qu'un gouvernement sur le point de l'être? C'est clairement votre...

M. Wilson: Je n'emploie le terme «de transition» que parce que c'est le seul qu'on trouve dans les ouvrages sur la question. Je suis bien disposé à concéder dès le départ qu'il serait bon de trouver un autre terme. Parce qu'il y a une distinction entre les gouvernements de transition proprement dits, ceux qui ne sont pas censés faire quoi que ce soit comme celui de Malcolm Fraser en Australie, après la démission de Whitlam, ou celle de Churchill en 1945, et des gouvernements qui s'occupent simplement de la gestion des affaires de l'État en période électorale et qui devraient - d'après ce que nous disent certains - ne pas prendre de mesures radicales et extraordinaires, et donc agir à titre transitoire. Mais il ne s'agit pas, par exemple, des canards boiteux comme le président des États-Unis - lorsqu'il perd une élection présidentielle, parce qu'il reste encore en poste jusqu'en janvier. Je ne vois pas de différence entre un gouvernement qui a été défait à la Chambre et a clairement perdu la confiance de la Chambre et je pense qu'un gouvernement qui a perdu les élections, la période après les élections, c'est une autre histoire. Je pense que nous sommes tous d'accord là-dessus.

L'argument porte sur un gouvernement qui a perdu une élection - qui a été défait à la Chambre - et un gouvernement qui, d'après les preuves disponibles, est sur le point d'être défait. Certains peuvent soutenir qu'il n'y avait pas de preuve. Il y en avait, cela ne fait aucun doute. Vous auriez pu gagner beaucoup d'argent en pariant avec quelqu'un qui aurait soutenu qu'aucune preuve n'indiquait que le gouvernement serait défait le 7 octobre. C'était clair comme de l'eau de roche. Et je pense qu'Allan Gregg serait ravi de venir témoigner en ce sens, s'il le fallait.

Alors la question qui se pose est...

Le président: Mais la situation aurait été un peu différente si les partis avaient été nez à nez dans les sondages? Le point de vue général aurait changé si les sondages avaient révélé que les partis étaient à égalité?

M. Wilson: Si vous pensiez avoir une chance de l'emporter, je crois que vous auriez tout à fait raison d'aller de l'avant, mais encore une fois, pas de prendre des mesures radicales. L'argument au sujet de...

Le président: Enfin, je veux dire, poursuivez... jusqu'à quel point?

M. Wilson: Dans les domaines plutôt restreints des mesures d'urgence, oui, dans la fonction publique, par exemple? Oui. Ne pas prendre de décisions controversées. Ne pas prendre de décisions qui lient de manière irrévocable le futur gouvernement - nous ne savons pas exactement ce que veut dire le mot «irrévocable».

Le président: Oui, mais c'est...

M. Wilson: Vous n'acceptez pas ces...

Le président: Enfin, non. J'accepte le fait que, même un gouvernement qui est à 5 p. 100, sur le point d'être anéanti...

M. Wilson: Oui.

Le président: ...peut prendre des décisions dans une situation d'urgence.

M. Wilson: Oh oui, évidemment.

Le président: Bien sûr. Je parle de...

M. Wilson: Permettez-moi de vous expliquer, sénateur MacDonald, comment ils pourraient faire. Un premier ministre qui serait dans cette situation irait probablement voir le chef de l'opposition et lui dirait: «Discutons-en et voyons les mesures à prendre dans cette situation d'urgence.» Le gouvernement britannique le fait constamment à propos des questions de sécurité; le premier ministre ne prend pas toutes les décisions tout seul. Il convoque le chef de l'opposition à son bureau et l'informe de tous les secrets d'État, afin qu'à la Chambre des communes, il soit clair pour les Britanniques, que le gouvernement est responsable, parce que le chef de l'opposition sait ce qui se passe. Et c'est ce que vous feriez dans cette situation - ou dans des situations semblables - durant cette période de transition.

Le président: C'est intéressant. M. Heard, convenez-vous qu'aucune convention n'empêchait le gouvernement Campbell de signer les contrats de l'aéroport Pearson; qu'aucune convention, fondée sur des précédents ou découlant de principes constitutionnels, ne l'en empêchait?

M. Heard: C'est ma conclusion, en effet.

Le président: M. Mallory?

M. Mallory: Sur ce fait, je suis d'accord, oui.

Le président: Et vous, monsieur Wilson, vous n'êtes pas d'accord?

M. Wilson: Les gens ne veulent pas l'appeler une convention, mais il y a certainement un usage.

Le président: Êtes-vous d'accord avec la question que je viens de vous poser?

M. Wilson: Je ne suis pas d'accord parce que le terme «convention» n'a pas le même sens pour tout - Alors, je dirai, à cause de la convention, c'est certain qu'elle n'aurait pas dû agir ainsi.

Le président: Mais M. Mallory et M. Heard ne sont pas de votre avis?

M. Wilson: C'est évident. Je peux peut-être prendre deux minutes pour vous expliquer comment je définis une «convention»? Je le répète à mes étudiants tous les ans, parce que le problème leur donne beaucoup de fil à retordre. Je leur dis: «Que se passe-t-il aux États-Unis quand on se conduit mal, quand on s'écarte du droit chemin, que disent les gens?» Après un certain temps, ils disent: «Je vais vous montrer le livre - il s'agit du livre qui contient toutes les règles, vous savez, «et vous prouver que vous avez enfreint le paragraphe 2(b)».

Que disons-nous au Canada? «Nous ne faisons pas ce genre de chose chez nous.» Pour moi, c'est une convention.

Le président: Est-ce la dernière question?

M. Nelligan: Je pense que le sénateur Stewart...

Le sénateur Stewart: Monsieur le président, je pense que le professeur Mallory jette un éclairage nouveau très intéressant et que nous devrions lui donner l'occasion de s'expliquer. Il a soutenu que nous devrions insister sur le rôle de la fonction publique comme moyen d'imposer une certaine retenue aux ministres, surtout ceux qui ont une expérience limitée. Je pense que cela touche directement aux rouages de la Constitution. Et j'aimerais qu'il nous explique un peu les implications de ses idées sur la question.

Par exemple, en supposant que... ai-je raison de supposer qu'il songe principalement au personnel du Conseil privé, au Canada? Inclut-il aussi les sous-ministres? Quel est le rôle du greffier du Conseil privé, en tant que défenseur de la rectitude de conduite tout au moins? Quelles sont les implications de ce rôle pour la carrière du greffier du Conseil privé? Le greffier du Conseil privé devrait-il connaître sur le bout des doigts les caractéristiques et les règles de l'organisme central du gouvernement? Ou peut-on recruter, par exemple, le sous-ministre des Travaux publics, ou quelqu'un de ce genre? Si ce rôle est si important, quelle expérience professionnelle devrait avoir la personne qui occupe ce poste? Je pense que le professeur Mallory vient de dire quelque chose de très important et que nous devrions lui donner la chance de...

Le président: Je pense moi aussi que c'est important. Mais vous savez pourquoi ces messieurs sont ici et ce que nous essayons de découvrir, ce que nous venons de découvrir, soit la réponse aux deux questions que j'ai posées au professeur Heard et au professeur Mallory.

Le sénateur Stewart: Monsieur le président, je suis prêt à respecter votre décision, s'il s'agit bien d'une décision.

Le président: Mais je ne veux pas båillonner le professeur Mallory, qui a probablement des points de vue très intéressants, que j'aimerais entendre. Mais je le répète, cela n'a rien à voir avec les réponses positives aux deux questions que j'ai posées.

M. Mallory: Je suis d'accord, monsieur le président, et c'est un sujet dont j'aimerais discuter longuement à un moment donné, pour approfondir mes liens de longue date avec le sénateur Stewart. Je ne pense pas avoir besoin de dire plus que quelques phrases, si cela vous suffit?

Le président: Oui.

M. Mallory: Il me semble que cette notion de grand mandarin, de chef impartial de la fonction publique, en est une qui, au Canada, constitue en partie une conséquence naturelle du prestige d'Arnold Heeney, à partir des années 40, et qu'elle a eu du mal à s'implanter parce qu'elle n'existait pas auparavant. Mais il fallait que cela arrive à ce moment-là, parce que nous n'avions pas une fonction publique très importante, pas un éventail très large d'activités d'État.

Et le chef de la fonction publique, le greffier du Conseil privé, n'est pas du tout de la même eau que le sous-ministre qui a passé par la filière. Si un sous-ministre ne peut s'entendre avec son ministre et qu'il proteste: «Monsieur le ministre, vous faites quelque chose de terrible», il n'a pas vraiment d'autre choix que de démissionner ou, s'il a de la chance, d'accepter une mutation à un autre ministère.

Mais le greffier du Conseil privé a une responsabilité plus grande. La plupart du temps, il s'occupe de ce que veut le premier ministre et s'assure que ses volontés sont accomplies, mais il impose aussi un sens de la rectitude à ses collègues sous- ministres, ce qui en soi n'est pas facile. Il est aussi disposé à tout risquer si le premier ministre ou un ministre lui demande quelque chose qu'il trouve peu scrupuleux ou contraire aux règles de conduite qui sont devenues pour ainsi dire innées chez les fonctionnaires. Alors, il n'a peut-être pas d'autre choix que de démissionner et tout dévoiler. Mais il doit toujours être prêt à courir ce risque à un moment donné.

Le professeur Stewart et moi pourrions - mon ex-professeur Stewart et moi-même en tant qu'ex-professeur également - pourrions en discuter tout un après-midi, mais ce n'est, je l'admets, que relié indirectement au thème central de cette enquête. Je conviens cependant avec lui que le rôle constitutionnel de la fonction publique a été décrit jusqu'à un certain point au cours de votre enquête et qu'il faudra probablement en tenir compte quand le comité tirera ses conclusions.

Le sénateur Kirby: Monsieur le président, une remarque, étant donné que vous avez défini en vos propres termes les motifs de notre présence ici aujourd'hui. Je pense qu'il faut préciser que nous ne sommes pas nécessairement d'accord avec votre définition étroite de ces motifs. Il me semble que nous sommes ici pour comprendre s'il y a eu des précédents à cet égard, et on a démontré qu'il n'y en a pas eu au Canada, au Royaume-Uni et en Australie.

Deuxièmement, si les mesures prises ou non au sujet de la signature du contrat durant une campagne électorale sont bien avisées, prudentes, cohérentes avec les usages normaux. Et vous avez employé une définition étroite - vous avez employé le terme «convention» et je tiens à le souligner puisqu'il ressort clairement de ces - je ne suis pas politicologue, vous non plus - «convention» dans le contexte de la science politique est un terme que des gens raisonnables peuvent définir de diverses manières, vu que nous avons trois personnes raisonnables devant nous aujourd'hui et qu'elles ne peuvent s'entendre sur le sens de ce terme.

J'ai pensé qu'il fallait établir clairement que, oui, nous sommes ici pour comprendre si ce genre d'activité s'était produit par le passé, et pour comprendre s'il est conforme aux usages normaux. Vous avez employé le terme «convention» et je pense que nous étions ici pour nous pencher sur un sujet plus vaste que cela.

Le président: Sénateur Kirby, depuis trois ans, tous les articles de journaux que j'ai lus se terminent par la phrase «dans les derniers jours». Se copier les uns les autres semble une caractéristique des médias. Ils aimaient cette expression: «dans les derniers jours du gouvernement Campbell» ou une...

Le sénateur Kirby: Peu importe.

Le président: ...derniers jours et cetera, et cetera inacceptables».

Le sénateur Kirby: Certainement.

Le président: Les questions que j'ai posées au professeur Heard et au professeur Mallory étaient simples. Aucune convention n'empêchait le gouvernement Campbell de conclure les accords relatifs à l'accord Pearson.

Le sénateur Kirby: Monsieur le président, je n'étais pas en désaccord avec vos questions.

Le président: Aucune convention ne les empêchait, ni une convention fondée sur les précédents ni une convention découlant de principes constitutionnels.

Le sénateur Kirby: Monsieur le président, je suis désolé, vous m'avez mal compris. Je ne suis pas contre vos questions. Je ne suis pas d'accord avec votre remarque que nous sommes ici uniquement pour répondre à ces deux questions. C'est tout. Je ne suis pas en désaccord avec les questions, ni avec les réponses. Je disais simplement que le mandat, qu'ils étaient ici pour d'autres raisons également, c'est tout.

Le président: D'accord. Au tour de M. Nelligan.

M. Nelligan: Je m'inquiète, pas en tant que politicologue, mais en tant qu'avocat, de la position du gouvernement qui négocie de bonne foi avec des membres du public dans le contexte des structures et des limites qui, selon vous, s'appliquent durant une campagne électorale. Il semble y avoir eu des décisions cumulatives. D'après Mme Bourgon, il y a eu divers paliers d'obligations légales au cours de ce processus de prise de décisions cumulatives.

Et puisque cela semble vous inquiéter davantage, professeur Wilson, je peux peut-être décrire les étapes. Je suppose que nous sommes d'accord sur le fait qu'il n'y a rien d'exceptionnel dans la première annonce du gouvernement demandant des propositions; le gouvernement était tout à fait libre de le faire et en avait les pouvoirs constitutionnels?

M. Wilson: C'était bien avant la dissolution. Je ne m'intéresse qu'à ce qui arrive à partir de la dissolution.

M. Nelligan: D'accord. Ensuite, il y a eu la décision concernant la meilleure proposition globale, et ils ont commencé à négocier.

Il y a eu en juin un accord, qui ne lierait pas les parties a-t-on établi, avant la démission de M. Mulroney. Le gouvernement convenait de ne ménager aucun effort pour parvenir à une entente sur les aspects définis qui ne figuraient pas encore dans l'accord. En avait-il le pouvoir?

M. Wilson: Absolument.

M. Nelligan: D'accord. Puis, le gouvernement a annoncé qu'il s'estimait lié par cette entente par laquelle il convenait de négocier de bonne foi. En avait-il le pouvoir?

M. Wilson: Tout dépend du moment où il l'a dit.

M. Nelligan: Il l'a annoncé en juillet.

M. Wilson: D'accord.

M. Nelligan: D'accord. Puis, il y a eu l'autorisation du Conseil du Trésor, et le ministre a alors déclaré publiquement que les parties s'étaient entendues sur la location à long terme de l'aéroport Pearson, mais que certains détails restaient à régler. C'était quelques semaines avant le déclenchement des élections. En avait-il le pouvoir?

M. Wilson: Oui.

M. Nelligan: D'accord. À ce moment-là, les négociations ont été confiées aux divers négociateurs, qui devaient régler les détails de certaines questions en suspens. Le gouvernement avait-il le pouvoir de déléguer ces pouvoirs à ses négociateurs?

M. Wilson: Tout dépend quand il l'a fait.

M. Nelligan: Il l'a fait à la fin du mois d'août.

M. Wilson: Oui.

M. Nelligan: Bien. À ce moment-là, la date de clôture du 7 octobre a été fixée. Les élections ont été déclenchées. Et ce que je veux savoir, c'est si les fonctionnaires sont obligés de surveiller les sondages quotidiens pour déterminer la popularité respective des deux grands partis; doivent-ils les surveiller?

M. Wilson: Non, je n'ai certainement pas laissé entendre cela, monsieur Nelligan. J'espère ne pas vous avoir induit en erreur. Cette tåche incombe aux politiciens.

M. Nelligan: D'accord.

M. Wilson: Après la dissolution, cela devient... ce n'est pas une question de légalité. Je pense que vous en faites une question de légalité. Je me moque de la légalité. Légalement, le gouvernement peut faire ce qu'il veut n'importe quand, quand il en a envie. Il n'y a rien d'illégal dans ce qu'a fait la première ministre Campbell le 7 octobre. Voilà pourquoi je pense que la question des conventions constitutionnelles est un peu restrictive et trompeuse et pourquoi je n'y répondrai pas. Il y a une obligation morale, ou si vous voulez une obligation politique pour un gouvernement, après la dissolution, de ne pas aller plus loin, peu importe les étapes du processus qui ont été franchies jusque-là. Parce que...

Le président: Vous voyez, c'est ce qui me dérange, monsieur, - et vous n'allez pas en décider. Mais supposons pour un instant, comme les témoins l'ont déclaré ici aujourd'hui, qu'à la fin du mois d'août certaines des parties en cause aient jugé qu'elles étaient parvenues à un accord liant les parties, qu'il ne restait qu'à mettre officiellement par écrit.

Le sénateur Kirby: Je ne pense pas...

M. Nelligan: Nous n'avons pas pris la décision, mais M. Baker a indiqué dans son témoignage...

Le sénateur Kirby: Pas aujourd'hui?

M. Nelligan: Pardon?

Le sénateur Kirby: Vous avez dit qu'un témoin a déclaré...

M. Nelligan: Pas aujourd'hui. Je suis désolé. Voilà. D'accord. Tout ce que j'essaie de faire c'est, supposons un instant qu'on se soit demandé s'il y avait ou non un accord liant les parties, cela fait-il une différence, selon vous, sur les mesures que doit prendre le gouvernement pour exécuter officiellement l'entente?

M. Wilson: Non, pas du tout. Je citerai Mme Bourgon, je pense, elle a déclaré: «Rien n'est terminé tant que tout n'est pas terminé», quelqu'un d'autre l'a dit avant elle, je suppose. Elle veut dire par là qu'on peut penser ce qu'on veut à propos de ce qui a été convenu. Tant que le contrat n'est pas signé, scellé et expédié, il n'est pas terminé.

Prenons un divorce. Cela m'est arrivé il y a quelques années et je pensais bien que l'acte de divorce était signé, scellé et expédié bien avant qu'il ne le soit en réalité. Tant que ce n'est pas sur papier, que l'acte n'est pas notarié et que toutes les autres exigences des avocats - vous le savez - n'ont pas été remplies pour qu'il s'agisse d'un acte final, ce n'est pas terminé.

Et ce n'était pas terminé tant que la première ministre n'a pas autorisé ce qu'elle a autorisé le 7 octobre. Sinon, je me demande pourquoi on lui a demandé d'intervenir. De plus, quand vous posez des questions sur les préoccupations qui existaient dans la fonction publique, je veux demander pourquoi la sous-ministre des Transports a déclaré qu'elle pensait avoir besoin de directives. C'est pour cette raison qu'elle s'est adressée au greffier, parce qu'elle a pensé qu'il s'agissait d'une question à poser à la première ministre. Le greffier a convenu qu'il fallait des directives. Que faut-il en conclure? Je pense que c'est un euphémisme. D'ailleurs, c'est un euphémisme qui veut dire ce qu'elle a déclaré plus tôt dans son témoignage. On s'est demandé s'il était correct, à ce moment-là, d'aller de l'avant jusqu'à la clôture, le 7 octobre.

Peu m'importe qu'il s'agisse d'une impression qui existe dans la fonction publique depuis x années, comme ce fut probablement le cas d'après moi, et je ne me soucie pas vraiment de savoir si cela remonte à Heeney ou avant ou après, je pense que ce n'est pas important. C'est devenu une coutume, au moins parmi les fonctionnaires, de penser de cette façon, et je pense que c'est très clair d'après les témoignages entendus. Je ne serais donc pas étonné si j'apprenais, si je pouvais l'apprendre et je ne pense pas savoir comment ou le vouloir désespérément après cette expérience très intéressante de ce matin, si j'apprenais ce que pensaient d'autres greffiers précédents.

Je veux savoir si oui ou non le rôle de la fonction publique depuis de nombreuses années consiste à faire simplement ce qu'a indiqué le sénateur Stewart, et je vais employer des termes qu'il n'a pas employés lui-même, «de montrer au premier ministre et aux ministres quelles sont leurs responsabilités dans cette période difficile». Et lorsqu'elle est délicate, comme après la dissolution, de dire: «Attention, nous ne devrions pas aller plus loin». Je me demande si c'est ce qu'on entend par «directives». Si cela ne veut pas dire: «Madame la première ministre, indiquez-moi par écrit que vous souhaitez que j'aille de l'avant et que je conclue ce contrat malgré la période dans laquelle nous nous trouvons et malgré tout ce qui arrive actuellement». Si c'est ce qu'on entend par là, nous sommes dans une situation moralement et politiquement - pas légalement - très différente, après la dissolution.

M. Nelligan: Mais ce qui m'intéresse, faut-il conclure qu'une personne qui a négocié de bonne foi avec le gouvernement et qui a dépensé - je pense que les témoignages le démontrent - des dizaines de millions de dollars et qui s'est entendue sur les modalités du contrat, si des élections sont déclenchées avant que les documents officiels ne soient signés, doit-elle s'attendre à ce qu'aucun contrat ne soit signé avant que le nouveau gouvernement ne soit élu?

M. Wilson: Je pense que cela pourrait facilement arriver. Cela n'a rien à voir avec la bonne foi. Je veux dire, négocier de bonne foi peut mener à toutes sortes d'impasses en cours de route. Tant de choses peuvent arriver, pas seulement le déclenchement d'une élection, d'autres choses peuvent arriver et faire tomber à l'eau - je suis certain que vous êtes d'accord là-dessus - toute négociation de bonne foi peut devenir inutile, à cause de l'évolution de la situation. Que les négociations se déroulent de bonne foi n'est pas un enjeu. Je ne le mets pas en doute. Je ne mets pas en doute la bonne foi des représentants du secteur public qui négociaient une entente. Je ne mets pas en doute la bonne foi des fonctionnaires ni celle des ministres ou de la première ministre ou de ceux qui ont travaillé durant des mois et des années à ce dossier. Tout a été fait de bonne foi.

J'ai peut-être une opinion sur la sagesse politique de cette politique ou la manière de l'appliquer, mais là n'est pas la question. Nous avons tous des opinions différentes à ce sujet. Nous sommes tous, comme je l'ai écrit dans le mémoire, partisans à notre façon.

Mais il est question ici de la manière de prendre des décisions. Et peu importe que l'on soit conservateur, libéral, créditiste, fasciste, communiste, néo-démocrate, vous savez, pour ce qu'il en reste - enfin, je suppose que les fascistes et les communistes n'agissent pas ainsi, mais les autres ont tendance à suivre un certain modèle prédéfini. La question qui se pose est de savoir si on a suivi ce modèle prédéfini - ou le bon modèle - dans ce cas.

Je ne pense pas que ce soit tant une question de convention constitutionnelle - je sais que j'ai employé ces termes - qu'une question de conduite avisée.

M. Nelligan: Il s'agirait donc de tenir comptes des circonstances à ce moment-là et de décider si c'était prudent?

M. Wilson: De la part de la première ministre?

M. Nelligan: Oui.

M. Wilson: Oui.

M. Nelligan: Oui. Et c'est à elle de décider si c'est prudent ou non?

M. Wilson: Oui. Et je crois qu'elle l'a fait.

M. Nelligan: Bien. Avez-vous quelque chose à ajouter, messieurs?

M. Heard: Non, je pense que vous avez résumé la situation.

M. Mallory: Non, je pense... je n'ai rien à ajouter à propos de vos questions, non.

Le sénateur Tkachuk: J'ai quelques questions, qui découlent un peu de celles du conseiller.

Et si la décision qu'elle a prise lui avait fait remporter les élections?

M. Wilson: Gagner ou perdre importe peu. Si elle avait remporté les élections, elle serait encore première ministre; l'accord aurait été conclu et vous, messieurs, ne seriez pas ici pour discuter d'un accord annulé, il serait allé de l'avant. Et nous nous querellerions peut-être, en tant que politicologues, quant à savoir si elle a remporté les élections à cause de sa capacité de prendre une décision délicate dans des circonstances difficiles ou pour d'autres raisons. Mais ce n'est pas ce qui est arrivé. Qu'elle ait perdu les élections n'a aucune influence sur ce que j'en dis. Je dis qu'au moment où elle a pris sa décision, elle savait - je sais que je ne peux pas le prouver, et vous ne le saurez qu'en parlant avec elle - elle savait qu'elle allait perdre les élections. Elle devait le savoir. N'importe quel politicologue, même un imbécile, peut compter et sait qu'avec 20 p. 100 des intentions de vote on ne remporte pas une élection. On obtient peut-être plus de sièges que deux, mais on ne gagne pas, c'est certain, surtout quand on en avait 36 p. 100 trois semaines plus tôt - il y a un problème.

Elle savait qu'elle n'allait pas gagner et elle savait donc qu'elle ne pouvait assumer la responsabilité de cette décision, en assumer les conséquences, parce qu'elle ne serait plus première ministre quelques semaines plus tard.

Dans ces circonstances, je pense, c'est simplement mon opinion, qu'elle aurait dû dire: «Pour être prudente, je ne devrais pas m'engager dans une tåche aussi importante». On peut alors se demander si cette proposition urgente, controversée, vous connaissez tous les adjectifs qui ont été employés à ce sujet, qualifient une décision contractuelle vraiment importante par rapport à des permis pour les chiens.

M. Nelligan: Devrait-elle se demander si le gouvernement ferait l'objet d'importantes poursuites en dommages-intérêts si elle refusait de signer?

M. Wilson: Non, je ne pense pas. Je pense que... faisons quelques suppositions. Je ne suis pas très habile dans ce genre de choses parce que je ne suis pas avocat. Mais supposons que des dommages-intérêts élevés soient demandés au gouvernement - au futur gouvernement - pas au sien. Vous voulez dire si elle avait remporté les élections?

M. Nelligan: Non. Si elle avait refusé de signer et que, pour cette raison, on poursuivait le gouvernement pour rupture de contrat; devrait-elle en tenir compte?

M. Wilson: Pas du tout. Parce qu'il aurait fallu une éternité, vous en conviendrez sans doute, avant que la question ne soit tranchée par les tribunaux; avant qu'il y ait un nouveau gouvernement, et ce serait leur problème, pas le sien.

M. Nelligan: Cela veut dire confier au nouveau gouvernement une responsabilité qu'il n'a pas demandée.

M. Wilson: M. Chrétien lui a demandé de...

Le sénateur Kirby: Chaque fois qu'il y a un changement de gouvernement, il se peut que des responsabilités...

M. Nelligan: C'est vrai.

Le sénateur Kirby: ...soient confiées au nouveau gouvernement dans un million de domaines.

M. Wilson: C'est facile à dire, plus difficile à imaginer en pratique: ils n'auraient vraiment pas dû prendre cette décision, à cause de toutes ces implications. Ils devaient savoir, à mon avis, au milieu du mois d'août, ou avant, qu'il y aurait des élections avant la date de signature fixée au 7 octobre, parce qu'ils connaissaient la règle du mandat de cinq ans pour un Parlement élu en 1988. Il fallait donc des élections à l'automne de 1993. Ils devaient donc savoir - s'ils faisaient leurs calculs - que le problème se poserait. Et, vous savez, ils auraient peut-être dû mettre la pédale douce durant l'été.

Le sénateur Tkachuk: Ce n'est donc pas la portée de la décision qui importe, mais plutôt sa popularité?

M. Wilson: Non, non. C'est sa portée. Une décision peu importante... même une décision plus ou moins importante n'aurait peut-être pas...

Le sénateur Tkachuk: Je vous ai demandé ce qui serait arrivé si cette décision lui avait permis de remporter les élections.

M. Wilson: C'est une question très difficile à répondre. Je ne peux pas concevoir comment...

Le sénateur Tkachuk: Non, non. Mais, en théorie, un gouvernement peut prendre une décision importante qui ne lui permet pas...

M. Wilson: Que la décision soit plus ou moins importante compte peu.

Le sénateur Tkachuk: - qui ne lui permet pas de remporter les élections. Faut-il en conclure - vous voyez, je saisis très mal la logique de la période durant laquelle le Parlement est dissous pour que se tiennent des élections. Parce que vous avez mentionné les sondages et la question de Jocelyne Bourgon. Mais quels précédents l'ont incitée à envoyer cette lettre pour demander des directives? Y avait-il un précédent ou a-t-elle simplement...

M. Wilson: Non, non. Si je la comprends bien, elle a déclaré qu'il y a - je lui mets un peu les mots dans la bouche, mais pas beaucoup, je crois - il est coutume, il est entendu à la fonction publique qu'après la dissolution, on suit cette règle - rappelez-vous, elle a déclaré que ce n'était pas un article de loi mais une règle de conduite; on adopte tel comportement, etc. J'en déduis qu'elle parle d'un usage qui remonte à un certain temps dans la fonction publique.

Le président: Serait-il irrévérencieux de vous demander, professeur Wilson, à cause de votre opinion sur le beau travail d'éducation de nos ministres qu'accomplissent les hauts fonctionnaires, s'il y a une petite différence entre la sensibilité politique et le souci de se protéger le derrière?

M. Wilson: Je suppose qu'on n'y échappe jamais. Mais c'est un problème plus grave que je l'aurais cru et c'est - je sais, et le professeur Mallory sait, tout comme le professeur Heard et le professeur Stewart - l'ex-professeur Stewart: en tant que professeur, vous pouvez amener le cheval à l'abreuvoir, mais vous ne pouvez pas le forcer à boire.

Cet enseignement entre peut-être dans l'oreille d'un sourd. Et c'est le risque... je ne veux blesser personne. Je pense qu'il est juste d'affirmer que la première ministre Campbell avait très peu d'expérience au Parlement; elle n'avait dirigé que deux ministères; elle ne siégeait au Parlement que depuis 1988. Elle avait oeuvré auparavant à la commission scolaire de Vancouver.

Sauf pour elle et son prédécesseur, l'expérience des premiers ministres est beaucoup plus vaste que cela, et ils sont donc peut-être plus portés à écouter, à comprendre ou à saisir la sagesse des conseils qu'ils obtiennent de la fonction publique.

Je suppose qu'elle a décidé, vous savez, comme on l'a dit, il en était question depuis longtemps, c'était légitime, tout était réglé, tout le monde s'était entendu. Allons de l'avant, un point c'est tout. Et je suppose que M. Shortliffe, même s'il ne vous l'avouera jamais, je pense, lui a dit: «Madame la première ministre, il y aurait lieu d'être prudente». Tout comme Mme Bourgon l'avait fait avec M. Corbeil. Mme Campbell a décidé que cela ne l'inquiétait pas et elle est allée de l'avant. Beaucoup d'autres exemples, sans rapport avec cette décision, font penser que c'est probablement ce qui est arrivé.

Mais cela n'a rien à voir avec les questions du sénateur Tkachuk. Parce que ce qu'il demande, je crois, c'est si, dans l'hypothèse où elle aurait remporté les élections, si cette décision aurait... permettez-moi de la poser à l'envers... si elle aurait exercé une grande influence? Non. Nous ne poserions pas la question.

Mais nous ne la posons pas parce qu'elle a perdu les élections. Nous la posons parce qu'elle ne devrait pas prendre ce genre de décision. Si elle avait remporté les élections et était encore première ministre, qui se serait interrogé sur sa décision? On aurait pu la balayer sous le tapis. Elle serait devenue l'un des précédents que vous cherchez, professeur Mallory, ou quelque chose qui a été fait et qui n'aurait peut-être pas dû l'être, mais dont personne n'aurait parlé. Et nous en serions là.

Mais rien de tout cela ne change, dans mon esprit, l'iniquité - si je peux employer ce terme affreux - de ce qui a été fait.

Le sénateur Tkachuk: Par conséquent, les gouvernements peuvent prendre des décisions durant cette période?

M. Wilson: Évidemment.

Le sénateur Tkachuk: Et ils peuvent prendre des décisions de ce genre. Il revient à la population, au bout du compte, de décider si elle aime cette décision, et les gouvernements futurs devront faire face à cette décision?

M. Wilson: Si Mme Campbell avait pris cette décision au milieu du mois d'août, si elle l'avait fait à ce moment-là, personne n'aurait d'argument sur lequel s'appuyer, en ce qui me concerne. La question se pose seulement parce qu'elle l'a fait après la dissolution. Pourquoi est-ce important? Je ne veux pas me répéter.

Le sénateur Tkachuk: Parce que c'était une décision politique...

M. Wilson: Non.

Le sénateur Tkachuk: ...une décision très politique?

M. Wilson: Non, non. Vous, messieurs, pensez peut-être que c'est important. Je pense que cela n'a aucune espèce d'importance.

Le sénateur Tkachuk: Alors, je ne comprends rien du tout, parce que...

Le président: ...c'est important parce que vous avez parlé des élections.

Le sénateur Tkachuk: ...c'est une question d'élections et aussi...

M. Wilson: Oh, c'est ce que vous vouliez dire. Je pensais que vous vouliez dire autre chose.

Le sénateur Tkachuk: Non. Il me semble que s'il y a une règle de conduite, ou si vous vous en êtes fixée une au sujet de la façon dont un gouvernement devrait agir et quelles décisions il peut prendre, des décisions importantes, comme vous l'avez indiqué, durant cette période... Mais, en réalité, vous affirmez que ce n'est pas l'importance de la décision qui incite à la prendre ou à ne pas la prendre...

M. Wilson: Mais si.

Le sénateur Tkachuk: ...mais plutôt la décision de tenir des élections?

M. Wilson: Non, non. Non, je ne crois pas que ce sont mes propos. On me comprend mal. Permettez-moi d'essayer brièvement, monsieur le président... voulez-vous que je me taise?

Le président: Non, non. Allez-y.

M. Wilson: Je vais me répéter. En gros, j'ai dit que deux raisons justifient ce qu'on appelle la convention de transition. La première est qu'après la dissolution, les mécanismes permettant de scruter à la loupe le comportement du gouvernement n'existent plus: période de questions, et cetera. Certains répliquent qu'il y a une campagne électorale, la presse, et cetera. Je ne suis pas d'accord, mais c'est une question d'opinion, je vous le concède.

La deuxième raison est qu'une élection - et c'est la raison invoquée par les Australiens dans leur document - implique toujours la possibilité d'une défaite du gouvernement, ce qui veut dire que le gouvernement qui prend cette grande décision, peu importe laquelle, ne pourra pas en assumer les conséquences, parce qu'il ne sera plus le gouvernement, après les élections. On croit que c'est un problème.

Je dis que, dans le cas de Mme Campbell, lorsqu'elle a pris sa décision, elle savait qu'elle n'allait pas remporter les élections. Vous me répondrez peut-être que ce n'était pas si évident. D'accord, nous pourrions en débattre, si vous le voulez. Mais elle savait qu'elle n'allait pas remporter les élections, donc elle n'aurait pas dû prendre la décision, parce que c'était une décision trop importante. Qu'est-ce qui est «trop important»? Je ne le sais pas, c'est une question de définition. C'est difficile à définir.

Le sénateur Tkachuk: Si elle avait été en avance dans les sondages et qu'un autre événement, deux semaines plus tard, lui avait fait perdre les élections, elle serait excusée de cet acte?

M. Wilson: Si elle avait été en avance dans les sondages, je n'aurais pas été en mesure d'écrire les deux dernières pages de mon mémoire.

Le sénateur Tkachuk: Mais n'est-ce pas le fond du problème?

M. Wilson: Cela ne l'excuserait pas. Toutes les autres questions demeureraient: Elle n'aurait pas dû prendre cette décision après la dissolution, parce que qui la scrute à la loupe? Comment rend-on des comptes au Parlement? Qui pose les questions? Qui force le premier ministre à faire face à la musique à la Chambre des communes? Rien de tout cela n'est possible durant une campagne électorale.

Le sénateur Tkachuk: Ce n'est pas possible - en tous cas, j'ai posé les questions. Vos arguments sont, et je vais y revenir parce que je n'ai jamais rien lu de ce que le professeur Heard a déclaré. Je n'ai jamais entendu parler de cette idée de «gouvernement de transition» au Canada. Il se peut bien que les Australiens aient bien des choses que nous n'avons pas au Canada. Mais je n'ai jamais entendu parler de cette idée sur ce qui arrive après que des élections sont déclenchées. Et vous la fondez sur des arguments politiques, vous êtes libre de le faire, et vous la fondez sur...

Le sénateur Kirby: ...les documents scientifiques sont remplis d'analyses sur le «gouvernement de transition» dans le contexte canadien. Enfin, je sais que ce n'est pas votre domaine. Je donne tout simplement les faits.

Le sénateur Tkachuk: Permettez-moi de poser la question à nouveau: Vous déclarez qu'elle aurait dû... que la décision aurait dû être prise... n'aurait pas dû être prise parce qu'elle savait qu'elle allait perdre les élections. Mon objection était, et si elle avait su ou cru à l'époque...

M. Wilson: Je comprends.

Le sénateur Tkachuk: ...et qu'il était arrivé ce qui est arrivé aux gouvernement libéral ou au Parti libéral en Ontario, qui avait 50 p. 100 des intentions de vote au début et qui a dégringolé et perdu les élections.

M. Wilson: J'ai entendu la question. Et la réponse, je le répète, est que je n'aurais pas pu avancer ce que j'ai avancé dans les deux dernières pages, parce qu'elle n'aurait pas été en train de perdre les élections au moment où elle a pris la décision. Cela ne change rien à tous les autres arguments que j'ai - je ne le crois pas en tous cas - fait valoir dans le mémoire au sujet du fait que le Parlement était dissous et qu'il n'y avait pas de gouvernement responsable, au sujet de la possibilité d'une défaite du gouvernement. Vous commencez à me faire croire que je n'aurais pas dû en parler, parce que cela crée toutes sortes d'ennuis.

Puis-je ajouter, monsieur le président, à l'intention du sénateur, que j'ai décidé, afin d'en avoir le coeur net, de téléphoner à autant de politicologues importants au Canada que je le pourrai entre mercredi et la fin de semaine. Je n'en ai pas encore trouvé un qui n'est pas d'accord que cette coutume existe, sauf le professeur Heard, et je ne suis pas convaincu que le désaccord soit bien profond, et le professeur Mallory. Vous êtes tout seul, le saviez-vous?

M. Mallory: Vous ne m'avez pas consulté.

M. Wilson: Je le sais. Je ne l'ai pas fait parce que je savais ce que vous pensiez. J'avais déjà lu votre...

Le sénateur Kirby: Il savait qu'il allait vous voir aujourd'hui.

Le président: Puis-je remercier les témoins, chers collègues? Merci beaucoup, messieurs. C'était un excellent cours en... comment l'appellerons-nous - Science politique plus que 101. Merci, professeur Mallory, professeur Wilson, professeur Heard.

M. Nelligan: Nous nous retrouvons à 13 h ou à 14 h?

Le président: À 14 h.

Le sénateur Kirby: Monsieur le président, je n'ai pas d'objection à venir à 14 h, même si nous avions prévu de finir plus tôt. Pour que ce soit clair, cependant, je suppose que nous aurons terminé avec M. Shortliffe à 17 h, mais que si ce n'est pas le cas, nous nous interromprons entre 17 h et 19 h et reviendrons à 19 h, parce que nous devons finir d'interroger M. Shortliffe ce soir, n'est-ce pas?

Le président: Oui.

Le sénateur Kirby: Très bien. Pas de problème pour 14 h.

Le comité suspend la séance.


Ottawa, le lundi 25 septembre 1995

Le comité sénatorial spécial sur les accords de l'aéroport Pearson se réunit aujourd'hui, à 13 h 30, pour étudier tous les aspects inhérents aux politiques et aux négociations ayant mené aux accords relatifs au réaménagement et à l'exploitation des aérogares 1 et 2 de l'aéroport international Lester B. Pearson, de même que les circonstances ayant entouré l'annulation des accords en question, ainsi que pour faire rapport à ce sujet.

Le sénateur Finlay MacDonald (président) occupe le fauteuil.

Le président: À l'ordre, s'il vous plaît.

Monsieur Shortliffe, nous vous souhaitons à nouveau la bienvenue.

M. Glen Shortliffe, (ancien greffier du Conseil privé): Merci beaucoup, sénateur. Je ne dirais pas que c'est un plaisir d'être de retour parmi vous, mais il est toujours intéressant d'être ici à nouveau.

Le président: Vous nous avez manqué. On s'ennuie ici sans vous.

Il semble que vous ne vouliez pas faire de déclaration préliminaire.

M. Shortliffe: C'est exact, sénateur. Je n'ai pas préparé de déclaration préliminaire, sauf peut-être que je voudrais informer le comité qu'après la réunion d'aujourd'hui, je vais inviter M. Ray Hession à déjeuner.

Le président: Très bien. Dans ce cas-là, nous entendrons les questions des sénateurs Lynch-Staunton et Kirby.

Le sénateur Lynch-Staunton: Monsieur Shortliffe, avant d'entrer dans le vif du sujet, j'aimerais que vous nous expliquiez, à moi en tout cas, aussi succinctement que possible, le rôle du greffier du Conseil privé. Quelles sont ses responsabilités précises à l'égard du premier ministre?

M. Shortliffe: Eh bien, sénateur, le rôle du greffier du Conseil privé comporte essentiellement trois volets. Premièrement, et à maints égards c'est le volet le plus important, le greffier est le sous-ministre du premier ministre. À ce titre, c'est lui ou elle qui est le fonctionnaire principal du ministère du premier ministre, c'est-à-dire le Bureau du Conseil privé. En outre, c'est lui ou elle qui est le fonctionnaire supérieur, le conseiller supérieur du premier ministre du Canada.

Deuxièmement, le greffier du Conseil privé agit à titre de secrétaire du Cabinet. En tant que tel, le greffier assume des responsabilités qui lui sont déléguées par le premier ministre pour veiller au processus décisionnel au sein du Cabinet, être au service des divers comités du Cabinet et du Cabinet lui-même, lesquels comptent sur l'appui de la fonction publique, et assurer la prestation de conseils aux ministres pour les aider à endosser leurs responsabilités collectives eu égard au processus décisionnel.

Je dois dire que lorsque j'étais greffier et que le Cabinet comportait un effectif de 40 membres, j'avais un seul et unique patron, le premier ministre, et je devais fournir mon aide à 39 autres ministres.

Troisièmement, et cette responsabilité est maintenant imposée par la loi, le greffier du Conseil privé est le chef de la fonction publique du Canada; à ce titre, il doit veiller à la santé et à la gestion de l'institution qu'est la fonction publique.

Voilà les trois volets essentiels du rôle du greffier.

Le sénateur Lynch-Staunton: En ce qui concerne votre... ou la façon dont le greffier... il vaut mieux peut-être que j'utilise vos termes parce que chaque greffier peut avoir une façon différente d'aborder les choses tout comme le premier ministre de l'heure. Vous avez été au service de trois premiers ministres, vous pouvez donc nous faire bénéficier de l'expérience de trois personnes différentes avec lesquelles vous avez manifestement établi des liens de confiance très étroits. Cette relation de confiance mutuelle constitue un élément essentiel du bon fonctionnement de votre bureau.

M. Shortliffe: Oui, je suis tout à fait d'accord avec vous, sénateur. En fait, je dirais même que les liens qui doivent exister entre le greffier et le premier ministre sont probablement uniques dans notre système de gouvernement.

L'un des trois premiers ministres que j'ai eu l'honneur de servir m'a dit un jour: «Je peux vous dire des choses que je ne peux confier à personne d'autre parce que je sais que vous ne les répéterez à personne». Voilà qui est au coeur même des relations qui existent entre le greffier et le premier ministre.

Oui, sénateur, j'ai eu l'insigne honneur d'être au service de trois premiers ministres et j'ai eu avec les trois des rapports que je qualifierais d'exceptionnels.

Le sénateur Lynch-Staunton: Mais à votre tour, ne servez-vous pas de tampon entre le premier ministre et tous ceux qui veulent lui parler, plus particulièrement les hauts fonctionnaires qui estiment devoir... ou qui pensent qu'il est nécessaire d'entrer en contact avec lui? Comment le premier ministre évite-t-il d'obtenir en permanence 40 conseils de 40 ministères, exception faite des ministres, je parle ici des sous-ministres et des hauts fonctionnaires?

M. Shortliffe: Sénateur, comme vous venez de le dire assez justement d'ailleurs, le processus normal veut, bien sûr, que les ministres donnent toujours des conseils directement au premier ministre, soit lors d'une réunion du Cabinet, par voie de correspondance ou encore lors d'entretiens personnels ou de réunions en petits groupes.

Mais en ce qui concerne la fonction publique, les conseils que les fonctionnaires de tous les secteurs du gouvernement donnent au premier ministre passent par le BCP et le greffier. Donc, le greffier est celui qui canalise les conseils donnés par les fonctionnaires au premier ministre.

Le sénateur Lynch-Staunton: Ce à quoi je veux en venir, comme vous vous en doutez certainement, c'est à diverses notes de service qui nous ont été remises. La reliure s'intitulait: «Greffier du conseil privé et secrétaire du Cabinet»; la plupart sont des notes de service destinées au premier ministre qui portent toutes le sceau «secret». Je suppose... en fait, pourquoi portent-elles toutes le sceau «secret» si elles doivent un jour devenir des documents publics?

M. Shortliffe: Bien sûr... au moment où elles sont rédigées, il n'est pas question qu'elles deviennent toutes des documents publics, d'abord et avant tout.

Ensuite, lorsque j'étais en fonction - il en était de même de mes prédécesseurs, et je suis pas mal certain que c'est la même chose aujourd'hui pour mon successeur - la pratique courante voulait que toutes les notes de service adressées au premier ministre par le BCP portent le sceau «secret», surtout parce que, à différentes périodes, comme vous l'aurez constaté dans les notes de service qui ont été divulguées, les documents renferment souvent des choses qui relèvent du caractère confidentiel des documents du Cabinet, ou qui sont des conseils donnés au premier ministre. Or, ce sont là des documents qui portent tous le sceau «secret». On apposait le sceau «secret» sur toutes les notes de service.

Le sénateur Lynch-Staunton: Combien... une fois... je constate, par exemple, que la plupart de ces notes de service portent votre signature, mais on trouve toujours le nom de quelqu'un d'autre à gauche de votre signature, ce qui veut dire que ces notes ne sont pas toutes rédigées par vous; elles sont préparées par des hauts fonctionnaires du ministère pertinent et vous sont ensuite envoyées pour fins d'approbation, est-ce que c'est comme cela que ça fonctionne? Est-ce que c'est comme cela que ça fonctionnait?

M. Shortliffe: Les noms que vous voyez à gauche sont ceux des fonctionnaires du Bureau du Conseil privé qui ont préparé, rédigé les notes de service et me les ont fait parvenir pour que je les approuve et les signe.

Je dirais... dans le cours d'une journée normale, sénateur, je pouvais peut-être signer entre 5 et 20 notes de service adressées au premier ministre. Le week-end, le vendredi après-midi, j'imagine qu'on pense que le premier ministre ne devrait pas se reposer la fin de semaine, nous recevions un très grand nombre de notes de service normalement adressées au premier ministre.

Ce n'étaient pas des documents préparés dans d'autres ministères, mais par des gens du Bureau du Conseil privé.

Lorsque vous laissez entendre que je ne rédigeais pas les documents moi-même, je dois dire que je ne crois pas avoir écrit une seule note de service dactylographiée et adressée au premier ministre pendant tout le temps que j'ai exercé les fonctions de greffier du Conseil privé. Je signais les notes de service préparées par d'autres.

Quand j'en signais une, cela voulait dire que j'en avais accepté et approuvé le contenu.

Le sénateur Lynch-Staunton: Donc, combien... comment reteniez-vous les questions à soumettre au premier ministre? Est-ce qu'il vous demandait de le tenir au courant de certaines questions, ou est-ce que vous usiez de votre jugement pour l'informer des questions que vous estimiez devoir porter à son attention?

M. Shortliffe: Les deux, sénateur. Il arrivait souvent que le premier ministre me demandait de l'informer sur un sujet ou sur un ensemble de sujets; mais j'utilisais également mon propre jugement pour l'informer sur tel ou tel volet de la politique nationale... sur les préoccupations du gouvernement national.

Donc, je dirais que c'étaient les deux. Parfois, il me demandait certaines précisions, il me demandait de le tenir informé. À d'autres reprises, j'utilisais mon propre jugement pour le tenir au courant de choses et d'autres.

Le sénateur Lynch-Staunton: Donc, on peut dire que la fin de semaine, lorsqu'on lui adressait beaucoup de notes de service, elles portaient sur une vaste gamme de questions, et non pas sur un sujet en particulier?

M. Shortliffe: Oh oui.

Le sénateur Lynch-Staunton: Ce que j'essaie d'établir, c'est que même si nous n'avons que ces notes de service sur une question, elles font partie d'un ensemble de documents qui touchent une variété de sujets que vous ou le premier ministre considériez être d'intérêt national, tant pour le gouvernement et le parti que pour la population canadienne, peut-être pas nécessairement dans cet ordre?

M. Shortliffe: Oui, c'est assez juste, et non pas seulement les fins de semaine, sénateur, tous les jours.

Le sénateur Lynch-Staunton: Nous aborderons la question des notes manuscrites dans un instant, mais était-il normal que vous fassiez des commentaires manuscrits sur des notes de service? Je veux dire que vous les lisiez attentivement avant de les signer, après quoi vous ajoutiez une petite note qui constituait votre opinion personnelle?

M. Shortliffe: J'ai lu très attentivement chaque note de service que j'ai signée parce que, comme je l'ai dit il y a un moment, ma signature indiquait que j'acceptais le contenu du document que j'avais sous les yeux.

Dans le style qui m'est propre, sénateur, je dirais que la meilleure réponse est la suivante: il n'était pas inhabituel que j'annote une note de service, mais cela ne voulait pas dire que j'inscrivais quelque chose sur chaque document qui m'était envoyé. Je le faisais lorsque je voulais ajouter quelque chose à la note de service ou en fignoler le contenu.

Le sénateur Lynch-Staunton: Est-ce que des documents vous revenaient annotés par le premier ministre?

M. Shortliffe: Très souvent.

Le sénateur Lynch-Staunton: Vous en discutiez à l'occasion aussi. Ils ne restaient tout simplement pas dans la mallette sans que personne ne les regarde. Le premier ministre ou la première ministre estimait que puisqu'on les avait portés à leur attention, ces documents avaient une certaine valeur et devaient être lus, autrement dit.

M. Shortliffe: Oui. Très souvent, le premier ministre annotait une note de service que je lui avais fait parvenir. Quand je dis «le premier ministre», je parle des trois.

Le sénateur Lynch-Staunton: Oui.

M. Shortliffe: Et non pas d'un seul.

Le premier ministre faisait des observations sur ma note de service, plus particulièrement quand elle concernait une décision ou une directive quelconque que je demandais.

En outre, très fréquemment, car je rencontrais souvent les trois premiers ministres, le premier ministre attendait notre rencontre régulière avant de discuter du contenu d'une note de service avec moi. Je ne crois pas avoir eu d'entretiens avec l'un ou l'autre des trois premiers ministres sans avoir eu en main une petite liste manuscrite d'environ 10 questions que je voulais aborder au cours de notre discussion ce jour-là.

Le sénateur Lynch-Staunton: J'espère... vos réponses ont vraiment éclairé ma lanterne... et j'espère celle des autres aussi, sur le rôle du greffier du Conseil privé. Il s'agit d'un rôle crucial, essentiel.

Le sénateur Stewart: Sénateur Lynch-Staunton, me permettriez-vous de poser une ou deux questions à la suite de ce que vous avez dit? Merci.

Le sénateur Lynch-Staunton: Certainement.

Le sénateur Stewart: Vous nous avez fait une description des plus intéressantes et des plus informatives du rôle du greffier.

Il vous arrivait de signer des notes de service sur des questions que le BCP estimait devoir porter à l'attention du premier ministre et, dans certains cas, les notes de service portaient sur des questions pour lesquelles le premier ministre avait déjà manifesté un intérêt.

M. Shortliffe: C'est exact.

Le sénateur Stewart: Donc, vous discutiez avec le premier ministre, quel qu'il soit. Que se passait-il ensuite? De toute évidence, ces notes étaient plus que de la lecture de chevet pour le premier ministre. Qu'est-ce qui se passe ensuite? Le premier ministre fait connaître ses volontés et après, qu'advient-il?

M. Shortliffe: Le premier ministre, et là encore je ne parle pas d'un premier ministre en particulier, me donnait très souvent des directives quant aux mesures de suivi qu'il ou elle souhaitait me voir prendre sur une question à l'étude. Sénateur, par exemple, cela pouvait vouloir dire contacter les sous-ministres partout en ville pour leur faire part du désir, de l'opinion ou de la décision du premier ministre; ou, très souvent, le premier ministre me demandait de m'entretenir avec un de ses collègues ministres pour discuter d'une question bien précise avec cette personne.

Toutes les notes de service qui étaient envoyées au premier ministre ne nécessitaient pas toujours de suivi parce que tout ce que nous faisions parfois, c'était d'informer le premier ministre d'une situation. Dans d'autres cas, nous demandions au premier ministre de nous faire part d'une directive ou d'une décision et, une fois sa décision prise, une partie de mon travail consistait à en assurer le suivi.

Le sénateur Stewart: Je pense que cela est important, sinon, je ne vous ferais pas perdre votre temps. Dites-moi si j'ai tort. La note de service est envoyée au premier ministre qui la lit, la discussion se fait, il s'agit d'une note de service pour laquelle le premier ministre a... pour laquelle la décision du premier ministre implique que le gouvernement devra prendre une mesure quelconque.

Vous, en tant que greffier du Conseil privé, pouviez devoir contacter d'une façon ou d'une autre un sous-ministre, peut-être un sous-ministre associé.

M. Shortliffe: Normalement, un sous-ministre.

Le sénateur Stewart: C'est bien.

Pouvez-vous nous dire si vous agissiez plutôt à titre de représentant du premier ministre auprès des ministres qu'à titre de représentant du premier ministre auprès des sous-ministres? Je suis certain que cela variait d'une fois à l'autre.

M. Shortliffe: Énormément, sénateur.

Le sénateur Stewart: Moitié moitié, à peu près?

M. Shortliffe: J'hésite à... car je crains de ne pas pouvoir vous donner de réponse très exacte. J'avais des contacts quotidiens avec les sous-ministres. Très souvent... j'avais moins de contacts avec les ministres mais j'en avais assez régulièrement, l'inverse est vrai également.

Lorsque j'ai répondu à la question du sénateur Lynch-Staunton il y a quelques instants, j'ai dit que l'un des rôles du greffier est d'être secrétaire du Cabinet, et à ce titre, le greffier est chargé d'appuyer les ministres dans leurs décisions collectives.

Il arrivait, par exemple, qu'un ministre me téléphone et me dise: «Je songe à soulever telle ou telle question. Croyez-vous, Glen, que le premier ministre souhaite aborder cette question à ce moment-ci?» Et je pouvais répondre au ministre que j'allais m'informer. Je posais alors la question au premier ministre, il me faisait part de sa réponse et je la transmettais au ministre. J'étais en sorte un agent de communication.

Le sénateur Stewart: Monsieur le président, peut-être devrais-je vous faire part des motifs qui sous-tendent mes questions et de l'intérêt que je porte aux réponses données aux questions du sénateur Lynch-Staunton.

J'essaie de voir, et je pense que cela est pertinent au problème dont nous sommes saisis, les simples liens... j'essaie de voir quel est le rôle du premier ministre. J'ai entendu dernièrement un premier ministre, qui s'exprimait dans ma langue, dire ceci: «Je vais demander à l'un de mes ministres de faire ceci». Et j'ai dit: «Eh la reine, là-dedans?» On s'attendrait à pareil langage de la part d'un chef d'État. «L'un de mes ministres».

Il s'agit en quelque sorte d'un modèle de gouvernement à l'américaine, certainement pas l'ancien modèle britannique. Je ne sais pas ce qu'il en est du modèle britannique contemporain.

Mais j'essaie de voir si, effectivement, le premier ministre du Canada est aujourd'hui le ministre véritable, lequel est appuyé de ses lieutenants. Voyez-vous, lorsque vous dites que... lorsque vous dites que le premier ministre prend une décision, et que le greffier du Conseil privé en tant que... qui a des liens particuliers avec le premier ministre, communique ensuite avec les sous-ministres, j'ai presque l'impression qu'on est à Washington, ce que je trouve certainement incompatible avec la plupart des choses que j'ai lues dans les ouvrages. Pourriez-vous m'aider à ce sujet?

M. Shortliffe: Je vais essayer, sénateur. D'abord, je n'ai jamais trouvé les ouvrages que j'ai lus particulièrement éclairants en ce qui concerne le fonctionnement véritable d'un gouvernement.

Ensuite, j'ai été au service de tous les premiers ministres qui se sont succédés, de M. Diefenbaker à M. Chrétien, et je suis prêt à parier avec vous, bien que je ne puisse le garantir, que chacun d'eux aurait dit la même chose: «Et je vais soumettre la question à mes ministres». Il y a, en ce sens, un sentiment de propriété qui caractérise certainement chaque premier ministre avec qui j'ai travaillé directement.

Le premier ministre est le chef du gouvernement, cela ne fait aucun doute. Mais il n'est pas le chef de l'État, il est le chef du gouvernement.

Ce qui caractérise notre système, comme vous le savez, sénateur, c'est que le premier ministre ne demeure chef du gouvernement que si ses collègues y consentent. Il y a donc un contrôle en quelque sorte, mais le pouvoir du premier ministre est assez vaste dans notre système. En fait, je dirais que de par la nature du système de Westminster, en réalité, le pouvoir du premier ministre est plus grand que... plus grand que celui du président des États-Unis parce que le premier ministre au Canada existe tant au regard du pouvoir exécutif du gouvernement que du pouvoir législatif, sinon il ne peut pas survivre. Bien sûr, notre système comporte ses failles, mais il a aussi de grandes vertus.

Le sénateur Stewart: Merci, monsieur le président. Merci, sénateur Lynch-Staunton.

Le sénateur Lynch-Staunton: Merci. Je suis d'accord avec le sénateur Stewart... je ne veux pas prendre part à ce débat, mais je dirais moi aussi qu'on assiste à une concentration extraordinaire du pouvoir au sein de notre gouvernement national depuis quelques années et que cette concentration peut faire peur. Mais c'est là une autre question.

J'aimerais maintenant que l'on discute des trois notes de service qui ont été divulguées au comité, toutes portant le sceau «secret» et des annotations de votre part. J'avais l'intention d'aborder la question de la confidentialité, mais j'aimerais savoir si vous estimez que le caractère confidentiel de ces notes de service a été violé ou non.

La première note de service dont je veux parler porte le numéro 002188, que tout le monde connaît ici autour de la table, elle est datée du 16 novembre 1992 et adressée au premier ministre: «Mise à jour sur l'aéroport Pearson - Réaménagement des aérogares 1 et 2». Il est écrit - on dit au premier ministre que Paxport a présenté la meilleure proposition, même si la nouvelle ne sera rendue publique que trois semaines plus tard. On cerne un certain nombre de problèmes qui ont pris naissance depuis la présentation de la demande de propositions: la récession est plus longue que prévu, Air Canada est inquiète des augmentations possibles de coûts, et on parle de former une AAL. Tout est écrit là-dedans, et nous le savons, mais à la fin, il y a sous votre signature une note manuscrite dont, je suppose, vous êtes l'auteur, qui dit ceci:

Monsieur le premier ministre, comme les documents l'indiquent, très peu de choses incitent les soumissionnaires à fusionner. Comme il en a été question jeudi dernier, je vais voir s'il est possible d'indemniser les soumissionnaires.

Bon, a) comme cela est un document public, nous ne pouvons pas feindre de l'ignorer. Je crois qu'en le divulguant, on a enfreint un principe, j'estime que c'est là un conseil donné au premier ministre, que le fait de l'avoir divulgué est une violation des règles qui nous ont été expliquées et que l'on peut considérer cette note comme un document confidentiel. Je ne sais pas comment vous avez réagi quand vous vous êtes rendu compte qu'on l'avait publiée. Je suis certain que cela n'a pas l'heur de plaire - si mon interprétation est juste - au greffier, aux personnes qui occupent ce poste, de savoir que ce type de conseil peut être rendu public.

M. Shortliffe: Sénateur, je vous remercie de décrire la situation comme vous le faites. Oui, je regrette qu'au moins la première phrase de ma note manuscrite au premier ministre ait été divulguée. Si le gouvernement avait l'intention de garder secrètes, dans les divers passages qui ont été supprimés de tous ces documents, les références aux documents du Cabinet et aux conseils, alors, je ne crois pas que ce cas en particulier - il s'agit bien d'un conseil qui est donné. Cette phrase renferme un conseil que j'ai donné au premier ministre. Je ne crois donc pas qu'on aurait dû en révéler le contenu.

Je ne suis pas... je suis certain qu'il faut exercer son jugement. Il y a toujours un élément de subjectivité et je sais que les fonctionnaires ont travaillé très fort pour traiter ces centaines de milliers de documents. Mais je regrette que ce passage ait été divulgué.

Je suis certain... j'ai dit il y a quelques minutes qu'à titre de haut fonctionnaire, je mettais souvent des notes manuscrites sur les documents qui étaient destinés aux ministres ou au premier ministre, et je ne crois pas que mes successeurs recourent aussi facilement à cette pratique; en outre, si tout était à recommencer, je ne crois pas que je le ferais moi non plus.

Le sénateur Lynch-Staunton: Ça se comprend.

Eh bien, maintenant que cela est connu et qu'on a donné à cette phrase diverses interprétations tant ici qu'ailleurs, vous êtes le seul qui puisse nous donner la signification exacte de cette note. Pouvez-vous nous dire exactement ce qui en est et ce que vous vouliez dire?

M. Shortliffe: Oui, je le peux. Puisque c'est connu, certainement.

Il arrive souvent que le premier ministre pose des questions au greffier. Dans ce cas-ci, je répondais à une question que m'avait posée le premier ministre Mulroney. En gros, les choses se sont passées ainsi: avant que cette note ne soit rédigée, j'avais informé verbalement le premier ministre que la meilleure proposition qui émergeait du processus d'évaluation était en fait celle de Paxport. Il le savait parce que je l'en avais informé de vive voix.

Or, il se trouve que quelques jours avant que la note de service ne soit rédigée, le premier ministre assistait à une réception mondaine où il a rencontré Charles Bronfman. M. Bronfman... bien sûr, à ce moment-là, on n'avait pas annoncé le soumissionnaire gagnant; et M. Bronfman, d'après ce que je crois savoir, en a profité, bien honnêtement, pour vanter les mérites de la proposition de Claridge concernant le réaménagement de l'aéroport Pearson.

À la suite de cette discussion, le lendemain matin lorsque j'ai rencontré le premier ministre, ce dernier m'a demandé s'il serait possible, après l'annonce de la proposition gagnante, que les deux soumissionnaires fusionnent afin que chacun ait sa part du gåteau.

Bien honnêtement, le premier ministre a voulu faire preuve de gentillesse à la suite d'une discussion qu'il avait eue la veille lors d'un événement social.

Voici ce que j'ai dit au premier ministre à l'époque: «Écoutez, il faut que je m'informe de l'état actuel de tout le dossier». Ce que j'ai fait. J'ai fait rédiger la note de service, au bas de laquelle j'ai écrit mes commentaires, c'est-à-dire le conseil que je transmettais au premier ministre.

Dans la seconde phrase, j'indique simplement qu'à ce moment-là, aucune décision définitive n'avait encore été prise au sujet de la réalisation du projet et l'une des questions dont j'avais discuté avec le premier ministre consistait à voir si le gouvernement décidait de ne pas aller de l'avant, s'il y avait certains moyens par lesquels les soumissionnaires pouvaient être indemnisés pour les coûts engagés pour suivre tout le processus de demande de propositions, etc. C'est ça que la deuxième phrase implique.

Donc, c'était une observation, comme je l'ai dit, en réponse à une question du premier ministre, et il était tout à fait courant que le premier ministre me pose ce genre de question.

Le sénateur Lynch-Staunton: Est-ce que le premier ministre a effectué un suivi concernant sa rencontre avec M. Bronfman? Est-ce qu'il a persisté et laissé entendre...

M. Shortliffe: Non, cette note de service n'était rien d'autre qu'une note de service, et ça s'est arrêté là. Nous avons discuté d'autres choses.

Le sénateur Lynch-Staunton: C'était suffisant pour décourager n'importe qui de poursuivre.

Donc, monsieur Shortliffe, cela est très important parce que vous êtes le seul ici des deux personnes qui ont pris part à la conversation, et d'après ce qu'on nous dit, le premier ministre a discuté avec Charles Bronfman, qui, bien franchement - comme il possédait l'aérogare 3 - espérait obtenir les aérogares 1 et 2, c'est tout à fait normal, ce dernier voulait être le soumissionnaire retenu, et il a dit ceci: «Eh bien, si je ne suis pas retenu, s'il arrive quelque chose, peut-être que nous pourrions faire quelque chose ensemble parce que je suis déjà sur place».

M. Shortliffe: Non, je ne veux pas faire dire...

Le sénateur Lynch-Staunton: Non? Je veux être très clair. Je ne veux pas mal interpréter ce qui...

M. Shortliffe: Exactement, sénateur. Si vous permettez, je ne veux pas faire dire des choses à M. Bronfman, des choses que je ne connais pas.

Le sénateur Lynch-Staunton: Non.

M. Shortliffe: Ce que je dis, c'est que le premier ministre m'a informé qu'il avait eu une conversation au cours d'une réception. Bien sûr, le premier ministre au cours de cette conversation, comme l'annonce n'avait pas encore été faite, n'a pas dit non plus à M. Bronfman ce qu'il savait déjà, à savoir que la proposition de Paxport avait été considérée comme étant la meilleure; ensuite, le premier ministre est venu me voir et m'a dit: «Eh bien, y aurait-il moyen de faire participer les deux soumissionnaires à la réalisation du projet?» Et le conseil que j'ai donné au premier ministre, c'est la note manuscrite que vous avez à la fin.

Le sénateur Lynch-Staunton: Et après, ça été la fin de...

M. Shortliffe: Oui.

Le sénateur Lynch-Staunton: ...la discussion sur la possibilité d'une fusion des deux soumissionnaires dont vous avez parlé avec le premier ministre. Très bien.

La raison pour laquelle je tenais à clarifier ceci... j'aimerais revenir à ce qu'a dit ici le sénateur Bryden lorsqu'il discutait de Paxport avec M. Hession. Il a dit: «Maintenant, voici ma question - c'est ici le sénateur Bryden qui parle - y avait-il eu entente secrète entre Claridge et Paxport ou les actionnaires principaux de Paxport et de Claridge dès le début?», le sénateur Bryden laissant entendre que dès le début il y avait eu entente à savoir que Claridge et Paxport fusionneraient un jour et que tout le processus était de la frime.

M. Shortliffe: Sénateur, à ma connaissance, la concurrence entre Paxport et Claridge durant tout le processus a été très vive. Peut-être qu'un exemple amusant - non, pas amusant - de cela se trouve dans un autre document de la pile devant vous qui m'a été faxé le jour où on a annoncé le soumissionnaire gagnant. J'appelle ce document: «Harry Near est plus près de toi mon Dieu».

Harry Near faisait ce qu'il avait à faire pour son client. Le navire, le Titanic, avait heurté l'iceberg et était en train de couler, tandis que M. Near, à l'arrière du bateau, envoyait des fax qui, en fait, disaient: «Plus près de toi mon Dieu». C'était là une indication qu'il y avait concurrence.

Le sénateur Lynch-Staunton: Donc, on peut éliminer toute idée de collusion, toute idée d'imposture relativement à ce dont on nous a parlé jusqu'à maintenant; de toute façon, nous verrons ce qu'on nous dira au cours des prochains jours.

Il me reste seulement deux notes de service, je vais procéder le plus rapidement possible parce que j'aimerais aborder une autre question, et je vous promets de ne pas prendre plus de temps que nécessaire.

La seconde note de service est datée du 4 décembre 1992, elle porte le numéro 002184. Elle nous a été également remise. Là encore, il s'agit d'une note adressée au premier ministre sur les aérogares 1 et 2, d'une mise à jour avec des commentaires soulignant les problèmes des sociétés aériennes, c'est-à-dire l'un des problèmes qui avaient fait surface depuis la demande de propositions, et vous écrivez à ce sujet:

Le gouvernement devra peut-être songer à remettre tout le projet à une date ultérieure...

À cause des difficultés que les sociétés aériennes connaissaient à l'époque. Il y a aussi une autre note manuscrite:

Monsieur le premier ministre: Cependant, le gouvernement pourrait envisager d'autres solutions.

Vous souvenez-vous de ce que vous vouliez dire dans cette petite note qui remonte à quelques années?

M. Shortliffe: J'y ai réfléchi, sénateur, et je... d'abord, permettez-moi de dire que je ne suis pas absolument certain de ce que je voulais dire à ce moment-là, mais peut-être que je pensais qu'on pouvait réaliser le projet comme étant un projet du gouvernement, qu'on pouvait envisager d'impliquer les sociétés d'État, et cetera. Il y a toujours des solutions de rechange quand on veut faire quelque chose.

Le sénateur Lynch-Staunton: Vous n'aviez rien de précis en tête?

M. Shortliffe: Non.

Le sénateur Lynch-Staunton: Vous ne pensiez pas... songiez-vous à la fusion des deux soumissionnaires à ce moment-là, croyez-vous?

M. Shortliffe: Pas précisément, je ne crois pas, sénateur. Pour autant que je me souvienne, la raison pour laquelle j'ai rédigé cette note, et là encore je reviens au processus que j'ai décrit tout à l'heure, à la fin de ma journée de travail, normalement je devais signer les dossiers, notamment certaines notes de service adressées au premier ministre, des lettres à d'autres sous-ministres, probablement des lettres aux ministres. J'avais beaucoup de documents à parcourir. Normalement, je lisais très soigneusement chaque document sur lequel je devais apposer ma signature et, d'après ce dont je me souviens, j'ai lu cette note à la fin de l'après-midi, je ne sais plus à quelle date, et j'ai écrit cette petite note: «Remettre le projet à une date ultérieure» sachant que le gouvernement et le premier ministre ne seraient pas enthousiastes au sujet de ma suggestion, j'ai écrit ce que j'ai écrit.

Le sénateur Lynch-Staunton: Très bien. La troisième note, et la dernière que je veux aborder, est datée du 5 mars 1993, elle porte le numéro 002191, elle nous a été également remise et elle concerne les difficultés de Paxport à satisfaire aux critères de financement arrêtés par Transports Canada.

M. Shortliffe: Sénateur, voulez-vous me répéter le numéro? Mes documents ne sont pas dans une reliure, donc il faut que...

Le sénateur Lynch-Staunton: Je suis désolé, oui, il s'agit de la note 002191, datée du 5 mars 1993.

M. Shortliffe: Je l'ai.

Le sénateur Lynch-Staunton: Le problème ici, c'est que les sociétés aériennes refusaient d'absorber des frais supplémentaires à cause des problèmes qu'elles connaissaient à ce moment-là. Là encore, une note manuscrite adressée au premier ministre:

J'ai eu certaines conversations au sujet de ce dossier dont je vous ferai part verbalement.

Cela me paraît un commentaire assez inoffensif, mais, comme il y a une note manuscrite, est-ce qu'il y avait quelque chose de particulier dont vous deviez faire part au premier ministre verbalement qui pourrait intéresser le comité? Ou, est-ce encore... je ne fais que soulever la question parce que...

M. Shortliffe: J'essaie de me rafraîchir la mémoire, sénateur, au sujet du contenu même de la note de service.

D'après ce dont je me souviens, je crois que la note manuscrite portait sur diverses discussions qui se tenaient à ce moment-là au sujet des perspectives de Mergeco.

Le sénateur Lynch-Staunton: Très bien. À votre avis, est-ce que le premier ministre Mulroney manifestait un intérêt inhabituel pour ce dossier par rapport aux autres dossiers dont vous lui faisiez part?

M. Shortliffe: Non, pas à ce moment-là, sénateur, parce que... durant cette période, je crois qu'il s'agit ici de la période... certainement de la période de janvier à juin 1993, au moment où le gouvernement avait indiqué clairement qu'il voulait voir ce projet se réaliser avant qu'il n'y ait vacance du pouvoir, c'était une de ses priorités. Il y en avait d'autres, mais c'était là une des questions prioritaires pour le gouvernement.

Il n'était donc pas inhabituel que moi, en tant que greffier, je tienne le premier ministre bien au courant de ce qui se passait à ce sujet car il avait dit clairement que c'était une des priorités du gouvernement.

Divers facteurs entraient en ligne de compte, mais en partie, certainement après le mois de février, le gouvernement savait qu'il allait démissionner et il voulait réaliser ce projet qui, vous vous en souviendrez, j'en ai parlé lorsque j'ai comparu à titre de sous-ministre des Transports, avait été lancé lorsque j'étais sous-ministre des Transports, environ quatre ans auparavant.

Le sénateur Lynch-Staunton: J'aimerais simplement revenir à cette conversation au cours de laquelle le premier ministre a transmis la requête de Claridge au sujet de la participation de cette société au réaménagement des aérogares 1 et 2. À mes yeux, cela ne semble pas indiquer que le gouvernement du Canada, par l'intermédiaire du premier ministre, privilégiait en fait une partie par rapport à une autre; le premier ministre n'a pas dit à ce moment-là, n'est-ce pas, qu'il fallait écarter Claridge parce que ses amis étaient les gens de Paxport et que c'était eux qu'il voulait voir dans le décor jusqu'à la fin?

M. Shortliffe: Jamais de la vie, sénateur. Le premier ministre et le gouvernement - et je dis «et le gouvernement», le gouvernement étant l'ensemble des ministres - savaient très bien qu'un processus avait été enclenché, qu'on avait envoyé des demandes de propositions, que des soumissions avaient été présentées et soumises à des critères d'évaluation très rigoureux. Jamais personne n'a fait le genre de commentaire que vous venez de faire, jamais, au grand jamais.

Le sénateur Lynch-Staunton: J'espère que cela clarifie beaucoup de choses.

Maintenant, j'ai promis de faire le plus rapidement possible. J'en suis au troisième et dernier point sur ma liste, et c'est là une chose dont j'ai parlé à maintes et maintes reprises, à savoir l'importance des dates au fur et à mesure qu'on approche de la signature du contrat et qu'on est prêt à y apposer les signatures finales.

J'aimerais savoir ce que vous pensez de l'importance de deux ou trois dates. Premièrement, il y a une date en juin lorsque Mme Labelle - j'oublie la date exacte, à la mi-juin, je crois - envoie une lettre, une lettre d'entente non exécutoire aux principaux actionnaires des sociétés en question. Une fois que l'on atteint ce stade, où en est-on dans le processus de négociation, une fois qu'on envoie une lettre disant: «Voici les grandes lignes. L'entente n'est pas exécutoire, voyez-vous, mais c'est là où nous estimons en être aujourd'hui»? Est-ce là une lettre d'encouragement ou de découragement?

M. Shortliffe: Manifestement, d'encouragement. Il s'agit d'une étape importante du processus de négociation qui, on l'espère, mènera à une entente. Mais les choses se passent exactement comme vous les décrivez. Il ne s'agit pas d'une entente exécutoire, mais d'une étape décisive.

Le sénateur Lynch-Staunton: Est-ce qu'on peut dire qu'il s'agit d'un point tournant?

M. Shortliffe: C'est certainement un jalon important.

Le sénateur Lynch-Staunton: Un jalon important.

Alors donc, à la fin du mois d'août, entrent en jeu le Conseil du Trésor, le Cabinet, un décret est pris, et ensuite le ministre annonce quelques jours plus tard qu'on a conclu une entente. L'entente n'a pas été signée, mais elle est conclue entre les parties. Or, quelle est la valeur de cette entente? Dans quelle mesure est-elle exécutoire? Jusqu'où se sont rendues les parties maintenant pour être en mesure de dire qu'elles ont conclu une entente?

M. Shortliffe: Eh bien, je vais vous décrire la situation en termes profanes, parce que manifestement, c'est ce que je suis, un profane. Cette annonce signifiait que l'entente avait été conclue. Ce qu'il restait alors à faire, c'était de transformer l'entente en un document juridique pour lui donner effet. Mais on avait conclu une entente.

Le sénateur Lynch-Staunton: Oui, l'entente avait été conclue mais on n'avait pas encore signé les documents finaux. Les parties avaient échangé les traditionnelles poignées de main et accepté les engagements respectifs.

M. Shortliffe: Oui.

Le sénateur Lynch-Staunton: Impossible de faire marche arrière, à moins de vouloir prendre ce risque.

M. Shortliffe: Casey Stengel a dit: «Ce n'est jamais fini tant que ce n'est pas fini». Une entente avait été conclue.

Le sénateur Lynch-Staunton: Et alors, le 3 et le 4, les deux parties ont signé séparément, d'après ce dont je me souviens - le 3 et le 4 octobre - et le 7 octobre, peut-être auriez-vous... puisque là encore vous étiez l'un des protagonistes, quelques jours avant, eh bien, peut-être que vous pourriez nous dire pourquoi on a consulté la première ministre Campbell au sujet de ce qui devait se faire le 7 octobre?

M. Shortliffe: Voici, je pense que vous avez entendu beaucoup de témoignages à ce sujet, sénateur, et je ne peux que vous répéter ce que, je pense, vous avez déjà entendu, à savoir que, d'après mes souvenirs, le ministre Corbeil avait signé les divers documents qu'il devait signer. La signature finale était prévue pour le 7 octobre. Entre la date à laquelle le ministre Corbeil avait signé et le 7 octobre, le premier ministre actuel, qui était alors chef de l'opposition, a fait sa déclaration au sujet du dossier Pearson, ce qui a amené le sous-ministre associé des Transports et le sous-ministre des Transports à me consulter pour savoir si nous devrions nous adresser au premier ministre afin d'obtenir l'approbation politique définitive concernant la signature finale des documents.

Mme Bourgon m'a consulté et j'ai reconnu que nous devions nous adresser au premier ministre. J'ai pris les mesures nécessaires et le reste se trouve dans les témoignages qui vous ont été donnés.

Autrement dit, permettez-moi de vous donner une image plus globale. Plus on approchait de la signature finale, plus, bien sûr, la question de l'aéroport Pearson faisait les manchettes durant la campagne électorale. C'était une question politiquement délicate et nous le savions, donc nous voulions être certains d'avoir l'approbation politique définitive pour aller de l'avant et signer les documents, et c'est ce que nous avons obtenu.

Le sénateur Lynch-Staunton: Bon, je ne vais pas vous poser la question parce que je sais que vous ne nous révélerez pas vos discussions avec le premier ministre sur quoi que ce soit, y compris là-dessus. Mais, au moment où vous avez été pressenti par M. Rowat et Mme Bourgon, sûrement que vous avez dû, les trois, être préoccupés par les responsabilités juridiques qu'avaient engagées le gouvernement, s'il en est... je crois que Mme Bourgon a dit que les responsabilités se faisaient de plus en plus lourdes au fur et à mesure que le processus se déroulait... c'était le cas également des autres parties. Et à la fin du mois d'août lorsque, comme vous l'avez dit, l'entente avait été conclue et que l'objectif, pour ce qui est des signatures du 7 octobre, était de divulguer les documents, la signature des documents finaux et la divulgation des documents en main tierce, les contrats ayant déjà été signés.

Donc, oui, étiez-vous conscient du fait que si le gouvernement ne divulguait pas les documents, il prêtait énormément le flanc à des recours juridiques, à tout le moins? Autrement dit, est-ce que le gouvernement avait le choix?

M. Shortliffe: Le gouvernement a toujours le choix, sénateur. Il a toujours le choix. Le gouvernement aurait pu décider de ne rien faire le 7 octobre. Est-ce que j'étais conscient du fait ou est-ce que je savais qu'il y aurait un problème de responsabilité juridique? Oui, je le savais.

Le sénateur Lynch-Staunton: Oui. Je ne veux pas vous faire dire - vous n'allez rien nous dire de toute façon, et vous avez tout à fait raison - si la première ministre avait été informée de ce problème. Ça se passait entre elle et vous et c'est ainsi que cela doit rester. Mais vous, en tant que conseiller supérieur de la première ministre, vous étiez certainement conscient des responsabilités juridiques en cause, dans tout ce dossier, peu importe la décision du gouvernement le 7 octobre?

M. Shortliffe: C'est juste.

Le sénateur Lynch-Staunton: Je vais m'arrêter ici pour l'instant, monsieur le président. Merci.

Le président: Est-ce que vous vous êtes senti obligé de... est-ce que le greffier du Conseil privé, en pareilles circonstances, propose habituellement des options au premier ministre?

M. Shortliffe: Vous me demandez en général?

Le président: Oui.

M. Shortliffe: Oui.

Le président: Est-ce ce que vous avez fait?

M. Shortliffe: Sénateur, nous nous connaissons depuis longtemps. Vous êtes un petit malin, monsieur.

Le président: Non non, je ne crois pas.

Le sénateur Kirby: Monsieur le président, à mon avis, vous n'aviez pas besoin de poser cette question puisque le greffier est reconnu depuis longtemps comme étant un fonctionnaire émérite. Donc, je pense que nous connaissons la réponse à cette deuxième question.

Je me demande si je pourrais, avant d'aborder les documents que je veux utiliser, je me demande donc, dis-je, si je pourrais simplement en finir avec cette question plutôt que d'y revenir plus tard.

Revenons au 4 octobre, plutôt qu'au 7 octobre, c'est-à-dire la veille du jour où le ministre a signé les documents et non celle du jour où M. Rowat a signé. Étiez-vous conscient des conséquences de... je ne vous demande pas de me dire ce que vous avez proposé à la première ministre ou au ministre. Je suis seulement curieux de savoir si vous étiez conscient - pour reprendre l'argumentation du sénateur Lynch-Staunton - des conséquences du fait de ne pas signer le 4, initialement, en supposant que le ministre n'ait pas signé les documents le 4?

M. Shortliffe: Vous voulez dire dans les détails, sénateur?

Le sénateur Kirby: Oui.

M. Shortliffe: Non.

Le sénateur Kirby: Vous saviez qu'il y avait un problème de responsabilités, je crois comprendre, mais est-ce que vous aviez une idée de leur nature?

M. Shortliffe: D'après mes souvenirs, j'ai eu au cours de cette période certaines discussions avec des collègues, je crois au BCP, mais je n'en suis pas certain. En général, je dirais oui. Je veux dire ceci: est-ce que je croyais qu'il s'agissait de responsabilités peu importantes? Non. Est-ce que je croyais qu'il s'agissait de responsabilités très importantes? Oui.

Le sénateur Kirby: Mais est-ce que vous aviez... je ne vais pas vous demander de donner une opinion juridique parce que je sais que vous ne pouvez pas le faire, mais est-ce que vous aviez...

M. Shortliffe: Est-ce que j'avais en main une opinion juridique écrite?

Le sénateur Kirby: Oui.

M. Shortliffe: Pas à ma souvenance, non.

Le sénateur Kirby: Vous êtes-vous entretenu avec le sous-ministre de la Justice ou quelqu'un d'autre? Je crois savoir que vous n'êtes pas avocat, moi non plus. Ai-je donc raison de dire cela? Alors, est-ce que vous aviez eu...

M. Shortliffe: Du mieux que je puisse me rappeler, j'ai discuté de la question avec mon conseiller juridique.

Le sénateur Kirby: Au BCP?

M. Shortliffe: Oui.

Le sénateur Kirby: Mais vous n'aviez rien qui ait pu ressembler à une opinion juridique écrite?

M. Shortliffe: Non.

Le sénateur Kirby: Très bien. Je me demande si je pourrais vous poser quelques questions au sujet d'une lettre qu'a fait parvenir M. Bill Rowat au président aujourd'hui. Je veux simplement clarifier quelques petites choses. La lettre est arrivée il y a quelques minutes. Le greffier vient tout juste de me la remettre. J'aimerais vous en lire un paragraphe. Alors, c'est M. Bill Rowat qui nous écrit aujourd'hui.

J'estimais à ce moment-là, et je pense encore la même chose aujourd'hui, que les contrats concernant l'aéroport Pearson n'ont pas été ratifiés tant et aussi longtemps que tous les documents n'ont pas été signés par les parties, y compris les documents signés le 7 octobre 1993...

Est-ce que vous étiez d'avis... qu'est-ce que vous pensez de cela? Est-ce que vous êtes d'accord avec M. Rowat ou non?

Le sénateur Lynch-Staunton: De quelle lettre s'agit-il?

Le sénateur Kirby: C'est une lettre que le greffier m'a remise il y a littéralement cinq minutes.

Le sénateur Lynch-Staunton: Pourrions-nous la voir?

Le sénateur Kirby: C'est une lettre adressée au président avec copie conforme à M. Nelligan, au greffier et à moi-même.

Le sénateur LeBreton: Nous voilà repartis.

Le sénateur Kirby: On me l'a remise il y a quelques minutes. J'étais ici à la table.

Très bien, monsieur le président, voici ce que je vais faire. Je vais revenir à ce dont je discutais pendant que le greffier fait des copies, après quoi j'en viendrai à cette lettre, si cela peut faciliter la tåche à tout le monde.

Je pense en fait que la lettre était adressée au président. Elle ne m'a pas été adressée à moi.

Le président: On en a fait un double pour vous, sénateur Kirby.

Le sénateur Kirby: J'aimerais revenir à l'un des documents... je vais essayer de vous faciliter la tåche. J'aimerais aborder toute une série de documents. En fait, j'ai apposé des onglets sur les documents, je vais demander à mon adjoint de vous les donner simplement pour que vous les repériez plus facilement.

M. Shortliffe: Merci, sénateur.

Le sénateur Kirby: Je vais donner le numéro pour les fins du compte rendu, mais en fait, je vais me reporter à la lettre de l'onglet; je ne vais pas nécessairement utiliser tous ces documents, mais vous avez les onglets.

Le premier document est celui que le sénateur Lynch-Staunton - c'est mon onglet A. Il s'agit du document au sujet duquel le sénateur Lynch-Staunton vous a posé des questions, et je ne vais pas revenir à la question de vos notes manuscrites, parce qu'il vous a déjà demandé ce que je voulais vous demander. Mais je suis aux prises ici avec un problème distinct qui m'inquiète depuis le début. Vous verrez, au premier tiret sous le deuxième point, on dit ceci:

- la récession dure plus longtemps que prévu et le trafic aérien risque de diminuer en raison de la situation actuelle des sociétés aériennes, si bien qu'il ne sera pas nécessaire de faire des agrandissements aux aérogares avant deux ou trois ans. Il n'est pas nécessaire de commencer la construction avant 1996.

Cela dit, et compte tenu du fait que cette question revient dans un tas d'autres documents que nous avons vus, pourquoi le gouvernement exerçait-il des pressions - au départ, le délai était le 31 mai 1993 - compte tenu de ce qui semble s'être produit, compte tenu du fait qu'Air Canada, compte tenu du refus d'Air Canada de payer des frais supplémentaires, et cetera, en quoi le délai du 31 mai était-il si important et pourquoi exerçait-on des pressions?

M. Shortliffe: D'abord, si vous permettez, avant le point indiqué en retrait, le point qui est encerclé...

Le sénateur Kirby: Je suis désolé, je n'étais pas...

M. Shortliffe: On dit ceci:

Le ministère des Transports a fait part d'un certain nombre de problèmes dont il faut tenir compte...

Le sénateur Kirby: Je suis désolé, je n'essayais pas de...

M. Shortliffe: Ce dont il est question ici, c'est d'un point de vue prôné essentiellement par certains fonctionnaires du ministère des Transports.

Le sénateur Kirby: C'est juste, les Transports.

M. Shortliffe: Deuxièmement, comme je l'ai dit au sénateur Lynch-Staunton il y a quelques minutes, et en fait, je crois que mes notes manuscrites en témoignent, à ce moment-là, le gouvernement n'avait pas pris la décision définitive d'aller de l'avant. Vous remarquerez que la section des observations a été enlevée et je suis sûr, sénateur Kirby, qu'avec votre expérience, vous savez ce dont il était question...

Le sénateur Kirby: Oui.

M. Shortliffe: Bien évidemment.

Par la suite, le gouvernement a décidé d'aller de l'avant avec le projet et annoncé ses intentions le 4 décembre. Comme je vous l'ai dit il y a quelques instants, du mois de janvier au mois de juin 1993, le gouvernement nous avait précisé à nous, fonctionnaires, qu'il s'agissait d'un projet prioritaire qu'il souhaitait voir réalisé avant qu'il n'abandonne le pouvoir.

Le sénateur Kirby: Donc, dois-je en déduire que la raison pour laquelle on exerçait des pressions pour faire respecter le délai initial du 31 mai était motivée par la possibilité du déclenchement des élections?

M. Shortliffe: Non, pas par le déclenchement des élections, mais par le fait que le gouvernement allait démissionner.

Le sénateur Kirby: Quand?

M. Shortliffe: Le gouvernement était sur le point de quitter, sénateur.

Le sénateur Kirby: Je vois. Lorsque le premier ministre était sur le point de démissionner? Eh bien, lorsque le gouvernement... d'accord, vous avez raison. Je m'excuse...

M. Shortliffe: Lorsque le gouvernement était sur le point de démissionner, sénateur, c'est là un point très important.

Le sénateur Kirby: J'en conviens.

M. Shortliffe: Ce n'était pas seulement le premier ministre, le Cabinet a été dissous lorsque M. Mulroney a quitté le pouvoir.

Le sénateur Kirby: Très bien, d'accord. J'ai utilisé le terme «premier ministre» pour être plus court, et je suis tout à fait d'accord avec vous que le gouvernement était dissous. Donc, en fait, c'est à cause du changement de gouvernement, du passage d'un gouvernement conservateur à un autre gouvernement conservateur, qu'au départ, on voulait faire respecter le délai du 31 mars...

M. Shortliffe: Du 31 mai.

Le sénateur Kirby: Excusez-moi, merci beaucoup, le délai du 31 mai.

Très bien. Je me demande si je pourrais aborder maintenant - oh, excusez-moi, un dernier commentaire sur la note manuscrite au bas de cette page. J'ai compris la réponse que vous avez donnée au sénateur Lynch-Staunton au sujet de la première phrase. Dans la seconde, vous dites:

Comme il en a été question jeudi dernier, je vais voir s'il est possible d'indemniser les soumissionnaires.

Qu'est-ce que vous entendez par «indemniser les soumissionnaires»?

M. Shortliffe: La question qui avait été soulevée était la suivante: si le gouvernement décidait de ne pas aller de l'avant, y avait-il certaines...

Le sénateur Kirby: Vous voulez dire essentiellement que cela annulait le projet.

M. Shortliffe: Si le processus était annulé, y avait-il une façon d'indemniser les soumissionnaires pour l'argent qu'ils avaient engagé jusqu'à maintenant. C'est ce que le...

Le sénateur Kirby: Donc, on voulait indemniser les deux firmes pour les coûts qu'elles avaient engagés afin de répondre à une demande de propositions que le gouvernement retirait alors.

M. Shortliffe: C'est exact.

Le sénateur Kirby: Puis-je revenir alors à la question de la création de Mergeco... ou de... je ne dirai pas la création de Mergeco, mais la réunion des deux firmes? Quand avez-vous entendu parler pour la première fois de cette possibilité?

M. Shortliffe: Si vous permettez, sénateur, il est intéressant de voir la différence qu'il y a entre les souvenirs et les témoignages que vous avez entendus, et je pensais à cela avant de partir pour mon dernier voyage d'affaires. Dans ma tête à moi, c'était janvier, mais un des témoins a dit que j'avais parlé de la fin de décembre, donc c'est probablement à ce moment-là que j'ai entendu parler de cette possibilité.

Le sénateur Kirby: En fait, Mme Labelle - je n'ai jamais su lire - je vais vous lire simplement l'extrait parce que je l'ai ici.

Voici ce que je lui ai demandé: «À votre connaissance, est-ce que quelqu'un au gouvernement a pris quelque mesure que ce soit pour encourager la formation de Mergeco? C'est-à-dire des gens du BCP ou du bureau du ministre ou d'ailleurs?» Mme Labelle m'a répondu ceci: «Personne ne m'a dit que le ministre, par exemple, était impliqué dans la création de Mergeco -» et le ministre, lors de son témoignage, a dit qu'il n'en avait pas été informé avant la troisième semaine de janvier. Mme Labelle poursuit en disant ceci: «J'ai reçu un appel du greffier du Conseil privé aux environs des Fêtes pour me dire qu'il était possible que ces deux entreprises fusionnent, mais c'est tout ce que j'en sais». Donc, vous lui en avez parlé. Ma question est donc la suivante: de qui avez-vous appris cette chose?

M. Shortliffe: Le mieux que je puisse vous dire, c'est que j'ai appris la nouvelle de quelqu'un du secteur privé et je ne peux pas vous préciser qui c'est, parce que je ne m'en souviens pas.

Le sénateur Kirby: Vous êtes probablement au courant du fait que M. Hession, lors de son témoignage, a dit qu'un fonctionnaire lui avait téléphoné, je pense qu'il a dit trois ou quatre jours après l'annonce du 7 décembre, lui laissant entendre que les deux entreprises devraient examiner les synergies possibles entre elles et les façons d'exploiter ces synergies - je paraphrase parce que je n'ai pas la transcription exacte ici, mais c'est essentiellement ce qu'il a dit. Est-ce que vous avez une idée de l'identité de ce fonctionnaire?

M. Shortliffe: Non, monsieur.

Le sénateur Kirby: Cela vous étonne-t-il qu'un haut fonctionnaire... parce qu'en fait on nous a dit que c'était un haut fonctionnaire... cela vous étonne-t-il de voir qu'un haut fonctionnaire agisse ainsi sans en avoir reçu de directive de la part de son supérieur?

M. Shortliffe: Cela m'étonne qu'un haut fonctionnaire ait agi ainsi.

Le sénateur Kirby: Vous considérez que cela est tout à fait inhabituel, tout comme moi?

M. Shortliffe: Oui.

Le sénateur Kirby: Au meilleur de votre connaissance, vous... vous n'avez pas donné de directive à qui que ce soit d'agir ainsi - vous n'avez pas demandé à quelqu'un de le faire - ni suggéré à quelqu'un de le faire?

M. Shortliffe: Non, sénateur.

Le sénateur Kirby: Très bien. J'aimerais maintenant aborder le document qui porte l'onglet «C», c'est aussi celui que... c'est le troisième dans ma pile, d'accord? C'est le même document auquel le sénateur Lynch-Staunton a fait référence il y a quelques minutes.

Il s'agit de la note du 4 décembre, là encore trois semaines avant... pardon, trois jours avant l'annonce. Vous remarquerez dans le quatrième point, celui qui est sous la déclaration qui a été «censurée», qu'on dit ceci à la phrase suivante:

Certains s'inquiètent de voir que Paxport ne sera peut-être pas en mesure de confirmer le financement du projet qui nécessite effectivement le consentement d'Air Canada...

Et on poursuit en disant:

... dans quelques semaines, Paxport pourrait très bien nous revenir pour dire que sa proposition n'est pas réalisable compte tenu de la situation actuelle des sociétés aériennes.

Donc, trois jours avant, en fait, l'annonce initiale a été faite le 7 décembre, il y avait manifestement des préoccupations au sein... eh bien, dans ce cas-ci, au sein du BCP parce que ce n'est pas une note de service des Transports, mais au sein du BCP, au sujet de la capacité de Paxport d'exécuter l'entente. Cela dit...

M. Shortliffe: Sénateur, si vous permettez?

Le sénateur Kirby: Certainement.

M. Shortliffe: En un sens, la réponse à votre question est affirmative; mais elle se trouve tout en haut, au deuxième point:

Le libellé du communiqué précise bien que l'entreprise qui a obtenu le contrat, Paxport, doit confirmer le financement du projet auprès des intéressés avant d'entamer les négociations avec le gouvernement.

Il s'agit là d'une décision délibérée qu'a prise le gouvernement au moment de cette annonce. Donc, oui.

Le sénateur Kirby: Néanmoins, on a décidé d'aller de l'avant...

M. Shortliffe: Avec cette condition, oui.

Le sénateur Stewart: Et compte tenu des inquiétudes.

Le sénateur Kirby: Oui, et en se demandant si oui ou non Paxport allait être en mesure de satisfaire aux exigences concernant le financement.

Très bien. Je me demande si je peux... au fait, un petit aparté, est-ce qu'on a discuté sérieusement du fait que Paxport puisse avoir de la difficulté à satisfaire aux exigences de financement, ou si l'on supposait qu'en cours de route, ce problème serait réglé?

M. Shortliffe: Sénateur, vous m'amenez maintenant à un sujet dont je ne peux discuter.

Le sénateur Kirby: Très bien. Manifestement, on a dû supposer qu'en cours de route le problème serait réglé, sinon vous ne seriez pas allés de l'avant, je suppose. Très bien.

Passons maintenant à la note de service suivante, qui est mon onglet «E», c'est-à-dire celle que le sénateur Lynch-Staunton... plutôt l'une des notes que le sénateur Lynch-Staunton a utilisées. Il s'agit d'une note de service - et nous en sommes maintenant au mois de mars.

Vous remarquerez que là encore, il s'agit d'une note de service dans laquelle vous informez le premier ministre des résultats de l'étude de Deloitte & Touche indiquant qu'à moins que les problèmes de financement ne soient réglés, cette firme ne pouvait donner à la Couronne l'assurance que le projet pourrait être financé. Ensuite, à la dernière page, on trouve une note manuscrite de votre part disant que vous avez eu certaines conversations au sujet de ce dossier. Compte tenu, là encore, du fait que vous ne pouvez pas nous dévoiler les conseils donnés au premier ministre, pouvez-vous m'expliquer un petit peu ce que vous entendez par des conversations?

M. Shortliffe: D'après ce dont je me souviens, comme je pense l'avoir dit il y a un moment, j'avais abordé avec diverses personnes tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du gouvernement la question de la création de Mergeco.

Le sénateur Kirby: Vous aviez... pourquoi quelqu'un qui occupe un poste comme le vôtre, sachant à quel point vous êtes occupé - et je suis sérieux ici. Comme vous le savez, je sais ce que demande le travail de greffier du Conseil privé pour avoir vu ce fonctionnaire à l'action pendant un certain temps... pourquoi auriez-vous passé du temps à vous inquiéter au sujet de la possibilité de réunir les deux parties ou à voir si elles allaient fusionner? J'ai l'impression que vous consacriez un pourcentage disproportionné de votre temps à cette question, non?

M. Shortliffe: Je suis heureux que vous en parliez parce que cela me permet de faire quelques observations. Non, je ne consacrais pas un pourcentage disproportionné de mon temps à ce dossier. Oui, le poste de greffier est un poste très exigeant. En toute franchise, à ce moment-là en 1993, ma préoccupation principale consistait à préparer la transition du gouvernement Mulroney à l'administration qui allait lui succéder.

Pourquoi est-ce que j'ai participé à ces discussions? Parce que, comme je l'ai dit il y a quelques instants, le premier ministre Mulroney avait fait de ce dossier une de ses priorités qu'il voulait voir réalisée avant de quitter son poste, et mon travail consistait en partie à appuyer le premier ministre et le gouvernement, à faire ce que mes fonctions me permettaient de faire pour atteindre cet objectif. Donc, c'est pourquoi j'ai participé aux discussions.

Le sénateur Kirby: Ce faisant, est-ce que vous avez déployé tous les efforts possibles pour réunir les deux parties, pour régler essentiellement le problème qu'avait soulevé Deloitte & Touche en aidant les deux entreprises à fusionner?

M. Shortliffe: Personnellement?

Le sénateur Kirby: Oui, vous ou le BCP, ça peut être l'un ou l'autre.

M. Shortliffe: Non, ce sont les deux entreprises qui ont elles-mêmes pris l'initiative de fusionner, comme on vous l'a dit, je crois. À un moment donné à cette époque, et je ne peux pas être plus précis que cela, sénateur Kirby, il nous paraissait évident à nous à l'intérieur du gouvernement que si le projet devait être réalisé, il ne pourrait probablement l'être que gråce à une entreprise comme Mergeco, ou Pearson Development Corporation, et nous appuyions cela. Je pense que cela répond à votre question.

Le président: Sénateur Kirby, pourrais-je poser une question supplémentaire?

Le sénateur Kirby: Certainement.

Le président: Monsieur Shortliffe, cette note de service qui renvoie ici... peut-être que je reviens en arrière, celle-ci, qui est datée du 4 décembre. Vous écrivez alors au premier ministre et vous faites référence à un communiqué révisé concernant l'annonce des contrats pour les aérogares 1 et 2. Vous lui montrez une ébauche de communiqué qui n'a pas encore été publié.

M. Shortliffe: C'est exact, monsieur.

Le président: Et vous dites également que le libellé du communiqué précise que le soumissionnaire retenu, c'est-à-dire Paxport, doit confirmer le financement du projet avant d'entamer les négociations avec le gouvernement?

M. Shortliffe: C'est exact.

Le président: Et vous faites ici référence à l'ébauche d'une lettre qui avait été rédigée par M. Barbeau mais pas encore envoyée à... de sorte que tout...

M. Shortliffe: Tout cela reste à venir.

Le président: ...est en prévision de ce qui allait se produire trois jours plus tard?

M. Shortliffe: C'est exact, monsieur.

Le président: Il semble que cette note vise l'approbation du premier ministre ou est-elle seulement destinée à l'informer?

M. Shortliffe: De quel onglet s'agit-il?

Le sénateur LeBreton: De votre onglet «C».

Le président: Le numéro 2184.

M. Shortliffe: 2184?

Le président: Oui.

M. Shortliffe: Il s'agit d'une mise à jour à l'intention du premier ministre, dont certaines parties ont été censurées, et sans doute pour une raison.

Le président: Nous avons pris connaissance de la lettre de M. Barbeau. Il semble qu'elle ait été rédigée à ce moment-là.

M. Shortliffe: Cette note de service, sénateur, pourra peut-être vous aider. Vous avez la bonne. Dans cette note au premier ministre, on indique ce qui va se produire et on lui explique en partie la politique qui va être adoptée, ce qui ne s'est pas encore produit mais qui se produira trois jours plus tard.

Le sénateur Kirby: C'est mon onglet «C», n'est-ce pas?

M. Shortliffe: C'est exact, sénateur Kirby.

Le président: Mais il y a la lettre de M. Barbeau qui doit suivre trois ou quatre jours plus tard dans laquelle il adresse ses félicitations à Paxport et ainsi de suite tout en voulant que celle-ci apaise ses préoccupations de la façon suivante. Je paraphrase. Mais cette lettre que M. Barbeau envoie ne fait aucunement référence au consentement d'Air Canada, le principal locataire de l'aérogare 2.

M. Shortliffe: Non, c'est exact, sénateur. Dans l'extrait où il est dit ceci: «le libellé du communiqué doit préciser que le soumissionnaire retenu, c'est-à-dire Paxport, doit confirmer le financement du projet», c'est nous qui disions au premier ministre ce que le communiqué allait contenir. Cela fait suite à une décision du gouvernement concernant le contenu du communiqué.

Ce qui se trouve en dessous, c'est-à-dire la partie qui a été censurée, c'est un autre rapport qui a été fait au premier ministre concernant les inquiétudes, réelles ou hypothétiques, qui pouvaient s'ensuivre. Mais c'est seulement ce paragraphe supérieur qui devait se retrouver dans la lettre de M. Barbeau plus tard.

Le sénateur Kirby: Merci, monsieur le président. Pourrais-je revenir à une réponse, M. Shortliffe, que vous m'avez donnée il y a quelques minutes? Lorsque je vous ai demandé pourquoi le BCP ou vous-même aviez tenté de réunir les deux entreprises, vous m'avez dit que c'était parce que cela semblait être la seule façon d'assurer le succès du projet.

M. Shortliffe: À un moment donné. Je ne peux pas vous donner de dates précises, mais c'est en mars ou avril 1993.

Le sénateur Kirby: Avant cela, en fait, on suppose que vous auriez pu retenir la proposition de Claridge à la place de celle de Paxport, n'est-ce pas?

M. Shortliffe: Nous aurions pu prendre la proposition de Claridge tant et aussi longtemps que Claridge n'avait pas retiré sa proposition.

Le sénateur Kirby: Ma question porte donc sur votre réponse. Vous avez laissé entendre que... vous avez dit que la seule façon de procéder était en un sens de réunir les deux sociétés. Je vous demande donc pourquoi n'a-t-on pas simplement entrepris des négociations avec Claridge si Paxport ne pouvait pas répondre aux conditions établies dans la lettre de M. Barbeau, pourquoi cette stratégie n'a-t-elle pas été adoptée?

M. Shortliffe: Parce que la proposition de Claridge était beaucoup moins intéressante pour la Couronne que celle de Paxport.

Le sénateur Kirby: Même si la proposition finale était elle aussi moins intéressante pour la Couronne?

M. Shortliffe: Certainement, mais sénateur, vous êtes là depuis longtemps et savez bien que dans toute négociation, chacun doit faire des concessions.

Le sénateur Kirby: Vous diriez donc que tout compte fait, le gouvernement a conclu une entente raisonnablement satisfaisante?

M. Shortliffe: Oui.

Le sénateur Kirby: Cela dit, vous soutiendriez... je ne veux pas vous amener à revoir avec nous toutes les concessions qui ont été faites. Nous avons fait ce travail avec les représentants du ministère des Transports. La raison pour laquelle vous n'avez pas retenu la proposition de Claridge reposait essentiellement sur cet argument, à savoir que le fait de passer à cette proposition aurait été encore moins profitable pour le gouvernement? Pourquoi n'auriez-vous pas pu commencer par Claridge et passer ensuite à l'autre?

M. Shortliffe: Il est plus facile de partir de loin et de revenir en arrière que de partir très bas pour aller vers le haut.

Le sénateur Kirby: Cela dépend de la nature des négociations. Vous avez tenu une longue série de réunions - des réunions hebdomadaires régulières - je ne veux pas dire longues en durée, mais des réunions hebdomadaires régulières avec M. Rowat; il y avait également une équipe dont vous faisiez partie qui se rencontrait régulièrement. C'est ce qu'a dit M. Rowat lors de son témoignage après avoir accepté le poste de négociateur en chef. En ce qui concerne les organismes centraux, est-ce que son mandat était approuvé par le BCP?

M. Shortliffe: Pas par moi, sénateur. D'après ce dont je me souviens, il présidait un comité comprenant des représentants des organismes centraux. Mais je ne rencontrais pas régulièrement ce comité.

Le sénateur Kirby: À vrai dire, il a parlé du BCP. J'ai utilisé l'expression «organismes centraux». On faisait cela - supposément d'après M. Rowat - pour éviter qu'il se fasse barrer la route par les organismes centraux une fois le travail entrepris. Une tradition des ministères, consacrée par l'usage. Tradition que je ne condamne pas.

M. Shortliffe: L'une des raisons pour lesquelles il était bon d'avoir M. Rowat en tant que négociateur en chef et sous-ministre associé aux Transports à ce moment-là, c'est qu'il était «fraîchement émoulu» des organismes centraux et qu'il savait comment agir avec eux.

Le sénateur Kirby: On se reconnaît entre larons...

M. Shortliffe: C'est exact.

Le sénateur Kirby: Les choses prennent donc une direction tout à fait différente.

M. Shortliffe: Effectivement.

Le sénateur Kirby: Je voudrais maintenant vous parler de mon document qui se trouve à l'onglet «V». Avez-vous participé à la décision de nommer M. Rowat au poste de... désolé, sous-ministre associé et négociateur en chef?

M. Shortliffe: Sénateur, le greffier du Conseil privé est le conseiller supérieur du premier ministre sur tout ce qui touche les hauts fonctionnaires. Vous le savez.

Le sénateur Kirby: Donc, de toute évidence, vous auriez été consulté à ce sujet avant que la question soit soulevée?

M. Shortliffe: Sénateur, le greffier du Conseil privé est le conseiller supérieur...

Le sénateur Kirby: Ce n'était pas une question. Est-ce que vous avez trouvé mon onglet «V»?

M. Shortliffe: Non. Oui, très bien.

Le sénateur Kirby: Il s'agit du compte rendu d'une téléconférence entre des fonctionnaires du ministère des Transports. Au fait, si cela peut aider quelqu'un, monsieur le président, il s'agit du document numéro 00189.

Vous remarquerez qu'à la deuxième page de ce document, on a fait certaines observations. Cette conférence téléphonique a eu lieu le 4 mars 1993.

Vous remarquerez qu'on dit ceci: «Les sous-ministres estiment que Shortliffe essaie d'orchestrer quelque chose, mais on ne sait pas trop quoi».

Pouvez-vous nous expliquer ce que...

M. Shortliffe: Absolument pas. Non.

Le sénateur Kirby: Je ne comprends pas?

M. Shortliffe: Sénateur, je n'ai pas d'observations à faire sur les commentaires de quelqu'un d'autre. Non, je ne peux pas vous expliquer de quoi il s'agit.

Le sénateur Kirby: Permettez-moi de poser ma question un peu différemment. Vous vient-il en tête des éléments concernant cette question que vous essayiez d'orchestrer le 4 mars?

M. Shortliffe: Non. Et là encore, si vous regardez le document suivant dans mon dossier, qui est le document 52398...

M. Shortliffe: Quel onglet?

Le sénateur Kirby: «W».

Le sénateur LeBreton: 00007.

Le sénateur Kirby: En haut, j'ai le numéro 520398.

Le sénateur LeBreton: 97. C'est tout rayé.

Le sénateur Kirby: Je m'excuse. Très bien. Vous remarquerez que le... il s'agit du compte rendu d'une réunion tenue à la salle de conférence du sous-ministre, et vous remarquerez au bas qu'il s'agissait d'un exposé, M. Broadbent nous a dit qu'il s'agissait d'une réunion à laquelle il a assisté pour informer les gens. Vous remarquerez au bas de la première page sous les notes de la réunion, on dit: «il est évident que la coentreprise», c'est-à-dire la coentreprise, la création de Mergeco «est le fait du gouvernement (BCP et politiciens)». Pouvez-vous...

M. Shortliffe: Non, sénateur. Je ne vais pas faire d'observations sur des notes qui ont été rédigées dans un autre ministère par des personnes qui n'avaient rien à voir avec le BCP.

Le sénateur Kirby: Il y a quelques noms que je ne reconnais pas. Est-ce ces gens venaient du BCP?

M. Shortliffe: Je reconnais tous les noms mais aucune de ces personnes ne faisait partie du BCP.

Le sénateur Kirby: Je n'en étais pas sûr.

M. Shortliffe: Ce sont tous des gens du ministère des Transports, sénateur.

Le sénateur Kirby: Monsieur le président, je vais m'arrêter ici mais je reviendrai brièvement au deuxième tour.

Le sénateur Lynch-Staunton: Pourrais-je éclaircir une chose? Le sénateur Kirby a demandé pourquoi vous n'aviez pas passé à la proposition Claridge comme si de rien n'était. La réponse se trouve dans le document 002194 préparé par M. William Rowat à l'intention de M. Glen Shortliffe, dans lequel il est question de ne retenir que la proposition de Claridge. Le document est daté du 25 mai.

Nous avons rencontré ce matin Mel Cappe pour discuter des conséquences de ne retenir que la soumission de Claridge. Vous vous souviendrez que Claridge a retiré sa soumission le 5 mai à la demande des Transports. Mel a confirmé que le fait de ne retenir que la proposition de Claridge nous exposerait à des poursuites de la part de Paxport, résultant ainsi en des responsabilités importantes pour la Couronne. La seule façon d'éviter cela serait d'annuler le processus et de reprendre les demandes de propositions.

Même si la proposition de Claridge était toujours sur la table, il serait impossible de signer une entente avec Claridge car aucune discussion n'a eu lieu à ce sujet. La soumission de Claridge comporte des problèmes. Les recettes totales pour le gouvernement ne seraient environ que la moitié de celles prévues dans la proposition de Paxport. En outre, la proposition initiale de Claridge prévoyait une réduction des recettes annuelles de 19 millions de dollars par année, sur six ans, ce qui est plus que la réduction de 11 millions que propose Mergeco. Même si Claridge modifiait sa soumission, ces problèmes sont la preuve que nous ne pourrions pas immédiatement signer une entente en nous appuyant uniquement sur la proposition actuelle de Claridge.

Voilà qui résume assez bien l'incapacité de passer à l'autre proposition en un tour de main, même si cela était possible. Merci, monsieur le président.

Le sénateur Kirby: J'ai reporté ma question au témoin au sujet de cette lettre jusqu'à ce qu'elle soit remise aux membres. Je crois savoir maintenant que tout le monde a une copie de la lettre de M. Rowat. Puis-je poser une question à ce sujet? Il s'agit d'une lettre qui vous est adressée.

Le président: Permettez-moi de m'excuser et d'expliquer au comité que j'ai reçu la lettre il y a à peine quelques minutes. C'est la première fois que quelqu'un m'envoyait une lettre en tant que président. On en avait fait une copie à l'intention du sénateur Kirby et de M. Nelligan et j'ai supposé que, bien sûr, la lettre avait été distribuée par le greffier, mais ce dernier me fait remarquer que puisque la lettre m'était destinée, pourquoi aurait-il décidé de la distribuer sans que je le lui demande? Ça ne m'est jamais venu à l'idée. Je n'ai pas remarqué qu'elle m'était adressée, pour être franc avec vous.

Le sénateur Kirby: Puisque j'étais à la table, le greffier m'en a remis une copie et j'ai supposé qu'il en avait distribué une à tout le monde également.

Le sénateur Tkachuk: J'ai deux documents en main. L'un est une lettre datée du 22 septembre et adressée à M. Finlay MacDonald, l'autre est une lettre de M. Rory Edge à laquelle est jointe une lettre de M. Bill Rowat avec copies au sénateur Kirby, à M. Nelligan et à M. O'Brien. Dans la lettre de M. Rowat, il n'est pas question de copie conforme. Il vous l'envoie à vous, en tant que président. Par contre, M. Edge fait des copies pour le sénateur Kirby, MM. Nelligan et O'Brien. Est-ce qu'il l'a d'abord envoyée à M. Edge après quoi M. Edge l'a envoyée à tout le monde? Que s'est-il passé?

M. O'Brien: Nous avons très rapidement fait une photocopie de la lettre de M. Rowat adressée au sénateur MacDonald qui ne renferme aucune pièce jointe. La lettre dans son intégralité est reprise dans ce document qui a été envoyé par le ministère de la Justice au président, donc, en réalité, c'est la même lettre qui est reprise et qui provient de la même source.

Le sénateur Tkachuk: Donc, M. Rowat a envoyé cette lettre à M. Edge afin qu'il l'approuve après quoi elle a été envoyée ici?

M. O'Brien: Oui, c'est le ministère de la Justice qui nous l'a envoyée.

Le sénateur Tkachuk: Pourquoi a-t-on fait ça?

Le sénateur Lynch-Staunton: Tout passe par le ministère de la Justice. Elle est probablement passée entre les mains des troupes aussi.

Le sénateur Stewart: Pourquoi a-t-elle été envoyée au BCP?

Le sénateur Lynch-Staunton: Plus rien n'est envoyé au BCP maintenant.

Le sénateur Kirby: Je ne sais pas de quoi ils parlent. Monsieur Shortliffe, avez-vous une copie de cette lettre sous les yeux?

M. Shortliffe: Oui.

Le sénateur Kirby: À l'avant-dernier paragraphe de la page 2, soit le paragraphe que j'ai lu il y a quelques minutes, M. Rowat, qui était négociateur en chef à l'époque, dit essentiellement qu'à son avis, le contrat concernant l'aéroport Pearson n'était pas ratifié, que rien n'était scellé tant et aussi longtemps que tous les documents n'avaient pas été signés, soit le 7 octobre. Êtes-vous d'accord avec lui?

M. Shortliffe: Essentiellement, oui. Si j'étais à nouveau dans la fonction publique et que je révisais les ébauches de documents, j'écrirais que le contrat n'avait pas été légalement ratifié, mais essentiellement, je suis d'accord sur ce point.

Le sénateur Kirby: Merci. Je vais revenir au deuxième tour.

Le sénateur Lynch-Staunton: Soyons clairs. M. Rowat a dit que le contrat avait été ratifié, et je suis d'accord, et nous sommes tous d'accord que si les documents n'avaient pas été divulgués par un tiers, l'entente n'aurait pas pu être conclue parce que si les ententes demeurent entre les mains d'un tiers, le contrat ne peut être exécuté. Donc, M. Rowat ne nous dit rien de nouveau. Un événement devait se produire le 7 octobre, ce qui s'est fait, ce qui a également permis d'exécuter les contrats qui étaient déjà signés. La conclusion est que l'accord a été conclu le 7 octobre. Les ententes n'ont pas été signées le 7 octobre.

Le sénateur Bryden: Monsieur le président, et je ne veux pas susciter d'argumentation ici, mais certains soutiendraient qu'il n'y avait pas de documents de fond à signer le 7 octobre.

Le sénateur Lynch-Staunton: Oui.

Le sénateur Bryden: Il ne s'agit pas seulement de la divulgation par des tiers, mais de documents de fond qui constituaient un préalable. Je vous le dis, je ne veux pas ressasser de vieilles choses, mais je tiens simplement à préciser qu'il faut nous rappeler que le sénateur Lynch-Staunton a son opinion, j'ai la mienne, et à moins qu'un juge ne tranche, nous ne changerons pas d'idée, ni l'un ni l'autre.

Le président: M. Shortliffe n'a-t-il pas indiqué clairement dans d'autres témoignages que lorsqu'il s'était entretenu avec le premier ministre, il lui avait proposé des options? Il ne nous en a pas précisé la nature, mais il a dit effectivement qu'il était préoccupé, après avoir discuté avec ses collègues, par des responsabilités possibles, donc on devrait en déduire que tout avait été conclu.

Le sénateur Stewart: Non, on nous a décrit les diverses étapes de responsabilités, responsabilités qui augmentaient chaque fois.

Le sénateur Bryden: Une dernière observation, après je me tais. Il y a responsabilité si le gouvernement était tenu de rembourser les frais engagés par les soumissionnaires jusqu'à ce moment-là. Ça, c'est une responsabilité, mais il y en a d'autres aussi.

Le président: Voulez-vous préciser à qui vous adressez votre question...

Le sénateur Bryden: Désolé. Non, je ne veux pas poser de question. Nous avons discuté de cette question si souvent qu'il est absolument impossible d'en venir à un consensus autour de la table et de déterminer quand l'accord est devenu en fait, et finalement, un accord légalement exécutoire qu'un tribunal aurait pu faire respecter. C'est tout.

Le sénateur Tkachuk: Certains d'entre nous se perdent un peu quand il s'agit de cette question, mais monsieur Nelligan, je vais vous donner un exemple tiré de ma propre expérience; peut-être pourriez-vous ensuite éclairer notre lanterne parce que nous avons eu beaucoup de discussions à ce sujet.

Par exemple, pour inscrire une société ouverte à la Bourse, il faut suivre toute une série d'étapes, notamment présenter une demande à cet effet à la Commission des valeurs mobilières. Il faut respecter toute une série d'exigences qu'on nous impose, il y en a des pages et des pages, rassembler toute la documentation, faire le travail que la commission nous demande de faire.

En bout de ligne, la commission signe un certificat attestant que la société sera inscrite à la Bourse, par exemple. À tout le moins, c'est ce qu'elle a fait dans le cas de l'entreprise dont je faisais partie. Lorsque ce certificat nous est parvenu, l'entente était conclue, à moins que surviennent des changements énormes par la suite. Autrement dit, à moins qu'il se passe quelque chose de différent de ce qui était prévu dans le prospectus que nous avions demandé. Ensuite, nous avons retenu une journée au hasard et nous avons réparti tous les contrats autour de la table. Nous nous sommes présentés au cabinet de l'avocat et mon associé est allé au bureau à Calgary où se trouvait une salle de conférence dans laquelle il y avait des piles de documents, les assurances, et cetera.

L'entente était conclue. En ce qui nous concerne, c'était fait. Nous nous sommes tout bonnement contentés de circuler autour de la table et de signer les documents.

Lorsque la banque me dit que mon hypothèque est approuvée, je n'attends pas de signer le prêt hypothécaire. Je reçois une lettre. Je sais que l'argent est à la banque et après je vais signer le document hypothécaire. Entre-temps, l'argent est dépensé. Nous sommes un petit peu...

Le président: Est-ce que vous posez une question directe à notre conseiller juridique?

Le sénateur Tkachuk: Je lui demande de nous aider à éclaircir cela. Je donne des exemples provenant de mon expérience qui semblent avoir un certain rapport avec ce qui nous intéresse, bien que notre opération ait été de peu d'envergure comparativement à celle qui nous préoccupe, mais il me semble que le processus... je veux dire, je comprends le processus parce qu'il me semble que c'est ainsi que l'on doit procéder. Il y a eu accord au mois d'août. Il y a eu une entente. Le ministre a déclaré qu'une entente avait été conclue. Maintenant, il faut signer les documents.

Dans le cas particulier qui nous intéresse, cela peut demander un peu plus de temps qu'une entente maison ou une opération d'une petite société à la Bourse de Calgary, et il se peut que l'on donne plus de temps, mais je vous le dis, une fois que l'entente est conclue, elle est conclue.

Le sénateur Stewart: Si je devais reprendre tout cela à nouveau, je pense savoir pourquoi le sénateur Lynch-Staunton a fait une déclaration. Le sénateur Bryden n'est pas à l'aise là-dedans. Et maintenant, le sénateur Tkachuk entreprend de nous aider avec sa propre expérience. Je me demande si nous devons vraiment reprendre tout cela. Nous en avons discuté 8, 10 fois. Est-ce le temps encore de reprendre cela?

Le sénateur Tkachuk: Je ne fais que discuter de la question, sénateur Stewart. Il a dit qu'il n'était pas nécessaire de ressasser les vieilles choses. C'est lui qui m'a provoqué.

Le sénateur Stewart: Je ne dis pas que ce n'est pas une question importante. Je me demande seulement s'il faut demander à notre conseiller juridique à ce moment-ci, avec le témoin que nous avons devant nous, de s'embarquer dans cette question précise.

M. Nelligan: Avec tout le respect que je vous dois, si vous permettez, je dois dire qu'il faut établir, au regard de tous les faits, la nature de la situation juridique à un moment donné. Je pense que le comité peut vouloir connaître l'état d'esprit des divers témoins à différentes périodes, ce qui ne veut pas dire qu'ils ont tort ou qu'ils ont raison, mais nous pouvons déterminer la véritable question juridique en nous basant sur tous les témoignages. Or, ces témoins ne peuvent dire que ce qu'ils pensaient à un moment précis.

Le sénateur Lynch-Staunton: Je crois qu'il faut que nous établissions l'importance de la signature du 7 octobre ou de la «prétendue» signature parce que c'est ce qui a provoqué toutes sortes d'événements qui ont par la suite mené à l'enquête que nous faisons actuellement. S'il s'était agi du 7 août, nous ne serions pas ici. On accorde beaucoup d'importance à la date du 7 octobre. On en exagère l'importance, c'est le moins qu'on puisse dire.

Le sénateur Kirby: Mais nous ne la connaissons pas, l'importance de cette date.

Le sénateur Lynch-Staunton: Eh bien, la première ministre a signé le contrat, comme je l'ai lu dans un journal. Il s'agissait d'une légère exagération. Je ne la vois pas assister à la conclusion de l'entente. C'est ce que je dis. À mon avis, il n'est pas nécessaire d'attendre qu'un juge vienne déterminer l'importance de la date. Nous nous entretenons avec les personnes qui étaient là.

Je vois que c'est au cabinet Blake Cassels que l'événement a eu lieu. Peut-être que des avocats de ce bureau pourraient venir nous dire exactement quel travail ils faisaient et nous préciser l'importance de la date du 7 octobre. Quelqu'un de neutre, quoi.

Le sénateur Stewart: M. Rowat a écrit une lettre, dont on a cité un passage, disant qu'il croyait à l'époque et qu'il croit toujours que le contrat de l'aéroport Pearson n'avait pas été ratifié tant et aussi longtemps, et ainsi de suite.

Le sénateur Lynch-Staunton: Nous ne le contestons pas.

Le sénateur Stewart: Le témoin a dit que s'il avait rédigé l'ébauche de cette lettre, il aurait inséré le mot «légalement» avant le terme «ratifié».

Le sénateur Lynch-Staunton: Je ne conteste pas cela non plus.

Le sénateur Stewart: Très bien. Pourquoi perdons-nous alors du temps?

Le sénateur Lynch-Staunton: Nous ne perdons pas de temps.

Le sénateur Stewart: Nous avons un document. Notre témoin d'aujourd'hui nous a fait part de ses observations. Pourquoi perdons-nous du temps avec notre témoin?

Le sénateur Lynch-Staunton: Nous perdons du temps parce que... la lettre ne nous a pas été remise. C'est le sénateur Kirby qui a ouvert la discussion concernant cette lettre. Cela n'a rien à voir avec le témoin. Nous aurions pu attendre d'avoir fini, mais puisqu'il a commencé, il ne peut pas s'arrêter parce qu'il ne veut plus en discuter. La raison pour laquelle nous voulons préciser l'importance de la date du 7 octobre est claire. Qu'est-ce qui se serait produit si rien n'était arrivé le 7 octobre? C'est ce que nous voulons savoir.

Le sénateur Stewart: Je suppose, monsieur le président, qu'il faut vous demander si vous êtes convaincu que ce témoin a d'autre chose à nous dire concernant l'importance des événements du 7 octobre ou s'il a déjà répondu à nos questions?

Le président: Je dois dire au comité que nous avons demandé au ministère de la Justice d'envoyer ses représentants juridiques, les avocats du secteur public et du secteur privé qui représentaient le gouvernement, témoigner devant le comité concernant les questions qui ont été soulevées ici. Jusqu'à ce jour, le ministère a refusé de nous envoyer ces avocats. On nous dit que M. Rowat sera heureux de témoigner à nouveau et de s'expliquer. M. Rowat a envoyé cette lettre. Ce n'est pas cette lettre qui va nous donner la réponse précise à nos questions. Nous attendons toujours. C'est la raison pour laquelle j'ai dit ce matin que c'est peut-être le dernier signe de vie qu'on obtiendra. Mais peut-être pas. On n'en sait rien encore.

Je propose qu'à la fin des travaux, après que nous aurons fini d'interroger M. Shortliffe, M. Nelligan voudra peut-être poser d'autres questions au témoin. Vouliez-vous poursuivre, sénateur Kirby?

Le sénateur Kirby: Monsieur le président, je pense avoir utilisé mes 30 minutes. J'aimerais revenir au deuxième tour, mais je suis heureux de céder la parole à quelqu'un d'autre.

Le sénateur Tkachuk: Seulement quelques questions, monsieur. Nous avons eu... et ce sont en fait des questions qui visent à clarifier des sujets compte tenu des différents témoignages que nous avons entendus ici. L'une des questions qui a été soulevée ici concerne l'administration aéroportuaire locale et - l'Administration aéroportuaire de Toronto. On lui a donné toutes sortes de noms.

Qu'en était-il de cette administration à ce moment-là, pourquoi le gouvernement n'avait-il pas conclu d'entente avec les responsables, ou peut-être ne pouvez-vous pas répondre à la question? Je trouve cela difficile de vous poser des questions parce qu'il y a certaines choses que vous acceptez de nous dire, d'autres non. Je sais que cette question a soulevé beaucoup de controverse par la suite. Peut-être pourriez-vous replacer les événements dans leur contexte.

M. Shortliffe: Il n'y a pas eu... je dirais, sénateur, que pour la longue période dont nous discutons ici aujourd'hui, c'est-à-dire de la fin de 1992 jusqu'au milieu de 1993, il n'était pas question de traiter avec «des responsables».

À Toronto, certaines personnes tentaient de former une administration aéroportuaire locale, mais je ne sais pas... au meilleur de ma souvenance, le gouvernement ne pouvait pas entamer de discussions ou de négociations avec quelque responsable que ce soit. Et, bien sûr, je veux toujours faire attention à ce que je dis en ce qui concerne les documents confidentiels du Cabinet et ainsi de suite, mais il est très clair, et je l'ai déjà dit, que le gouvernement a décidé le 7 décembre qu'il allait entreprendre des négociations avec le secteur privé pour le réaménagement des aérogares 1 et 2 en se fondant sur la meilleure proposition retenue. Et comme je l'ai dit plus tôt cet après-midi, c'était là un objectif prioritaire du gouvernement avant qu'il ne démissionne en juin 1993.

Et au cours de cette période, sénateur, il n'y avait pas d'administration aéroportuaire locale. Pour être le plus franc possible, si le gouvernement avait décidé de conclure une entente avec une administration aéroportuaire locale, il aurait été obligé d'abandonner toute tentative de réaménagement des aérogares 1 et 2 au cours de cette période.

Le sénateur Tkachuk: Certains témoins nous ont parlé ici de... peut-être que ce n'était pas ici, il en a peut-être été question dans le rapport Nixon, mais on a parlé du déplacement de fonctionnaires et de Mme Labelle... est-ce que quelqu'un vous a demandé de lui donner le poste ou de la muter ou quelque chose du genre?

M. Shortliffe: Non, absolument pas. Peut-être pourrais-je replacer un peu les choses dans leur contexte. Le sénateur Kirby m'a demandé tout à l'heure si je ne consacrais pas une partie disproportionnée de mon temps au dossier Pearson et je lui ai répondu que non, parce que ce qui a occupé une bonne partie de mon temps en tant que greffier au printemps de 1993, c'était la transition, et dans ce contexte, la plus grande réorganisation du gouvernement du Canada depuis 1867.

Le 25 juin 1993, lorsque la première ministre Campbell a été assermentée, elle a procédé à une réorganisation massive du gouvernement fédéral qui, essentiellement, impliquait une compression majeure des structures et du système décisionnel du Cabinet. L'élément clé, notamment, de cette réorganisation était un vaste remaniement de sous-ministres, je crois qu'il y en a eu plus de 21 qui ont été déplacés le 25 juin 1993 et Mme Labelle, et aussi Mme Bourgon, ont été prises dans ce remaniement. C'était là la chose qui me préoccupait pendant tout le printemps 1993.

Le sénateur Tkachuk: Est-ce que M. Nixon a demandé de vous rencontrer?

M. Shortliffe: Oui. J'ai vu M. Nixon... je ne peux pas vous donner la date exacte, mais le jour où le premier ministre désigné lui a demandé de prendre ses responsabilités, j'ai vu M. Nixon immédiatement après qu'il a quitté le bureau du premier ministre désigné.

Le sénateur Tkachuk: Combien de temps avez-vous passé avec lui?

M. Shortliffe: Je dirais entre 30 et 40 minutes, sénateur.

Le sénateur Tkachuk: Pourriez-vous nous dire ce dont vous avez parlé?

M. Shortliffe: Nous avons parlé de deux ou trois choses. D'abord, du mandat que lui avait confié le premier ministre désigné. Je lui ai dit que je mobiliserais la fonction publique pour collaborer avec lui le plus possible en tenant compte toutefois des limites qui, de toute évidence, nous seraient imposées. Nous avons discuté du contrat, parce que... en fait, je pense que j'ai signé le contrat avec M. Nixon en tant que sous-ministre du BCP, et nous avons discuté du contrat, de la nature du contrat. En outre, nous avons discuté du fond du dossier en ce sens que j'ai fait part à M. Nixon de certaines de mes opinions sur la façon dont ce dossier avait évolué au cours des années et sur ce qu'il impliquait.

Le sénateur Tkachuk: Le contrat qu'il a signé avec vous, je pense que c'est un témoin qui nous l'a dit ou j'ai lu cela quelque part, était un contrat-type. Est-ce que le contrat prévoyait ses attributions ou s'il s'agissait d'un contrat d'expert-conseil?

M. Shortliffe: Il s'agissait d'un contrat-type d'expert-conseil, d'après ce dont je me souviens, qui comporte habituellement une annexe décrivant l'objectif principal qui est poursuivi.

Le sénateur Tkachuk: C'est lui ou le premier ministre qui a décidé de l'objectif du contrat?

M. Shortliffe: Son mandat... en fait, je pense qu'il y a eu un communiqué, si je me souviens bien, au même moment... qui décrivait le mandat de M. Nixon. Lorsque je l'ai rencontré, il m'a effectivement précisé le mandat que lui avait confié le premier ministre désigné et, au meilleur de ma souvenance, c'était la même chose que ce que décrivait le communiqué de presse, le texte était probablement repris dans le document contractuel.

Le président: Le contrat n'a pas été signé avec M. Nixon avant le 22 novembre. M. Nixon a été nommé le 28 octobre, donc le contrat n'était pas signé à ce moment-là, au moment où vous l'avez rencontré pour la première fois...

M. Shortliffe: Oh non. Le contrat a été effectivement signé plus tard. Ce que j'ai dit à M. Nixon au cours de cette rencontre, c'est que nous allions préciser les détails du contrat, signer les documents, et c'était là encore une façon de faire, sénateur MacDonald, que je ne recommande pas maintenant que je fais de la consultation, mais où on entreprend le travail avant d'avoir apposé sa signature sur le contrat, et c'est ce qui s'est produit dans ce cas-ci.

Le président: Nul doute que le «sandwich Air Canada», comme on l'a appelé, a causé un retard de trois mois, disons, dans les négociations menant à la signature du contrat. Pouvez-vous nous donner une idée du «sandwich Air Canada» en commençant par les principes directeurs?

M. Shortliffe: Eh bien, d'après ce dont je me souviens, sénateur, en tant que sous-ministre des Transports, j'ai participé aux discussions qui ont mené à la signature de cette lettre en 1989, lettre que j'ai approuvée, je crois que c'était à ce moment-là, et qui constituait ce qu'on a appelé les principes directeurs.

Essentiellement, ce document avait pour but de rassurer Air Canada qui se sentait désavantagée sur le plan concurrentiel au moment où on s'apprêtait à construire l'aérogare 3, alors que la compagnie voulait investir des capitaux dans l'aérogare 2. L'aérogare 2 appartenait à Transport Canada. Normalement, lorsqu'il faut améliorer quelque chose qui nous appartient, on investit et on améliore. Mais Transport Canada, à ce moment-là tout comme aujourd'hui, n'avait pas l'argent pour investir dans l'amélioration de l'aérogare 2. Donc, Air Canada a décidé de faire cet investissement et les principes directeurs sont devenus un document où, d'après mon interprétation, on rassurait essentiellement Air Canada en lui disant que selon les développements futurs, la compagnie se verrait rembourser son investissement au besoin. Elle n'investirait pas pour rien, si je puis m'exprimer ainsi.

Or, ce qui est arrivé à ce document au regard des demandes de propositions et de tout le reste dont vous avez entendu parler, notamment, de ce qui se passait dans la salle des documents, je ne peux rien dire parce que je ne sais rien d'autre que ce qui a refait surface à l'hiver et au printemps de 1993, quand on a dit que les soumissionnaires n'avaient pas été informés des détails du document avant le printemps de 1993.

Le président: C'était le...

M. Shortliffe: Puis-je me permettre d'ajouter, sénateur, que lorsque ces principes ont été élaborés en 1989, c'était bien avant que le dossier des aérogares 1 et 2 ne soit mis en branle. Ce dossier a été mis en marche beaucoup plus tard. Il s'agissait d'un investissement précis d'Air Canada à ce moment-là, qui voulait obtenir une certaine parité concurrentielle avec les exploitants de l'aérogare 3 que l'on était sur le point de construire.

Le président: Mais les principes directeurs n'ont pas simplement rassuré Air Canada, n'est-ce pas? Ne disait-on pas qu'Air Canada recevrait pendant tant d'années...

M. Shortliffe: D'après mon interprétation, je ne suis pas avocat et je ne veux pas donner d'interprétation juridique, et je ne le ferai pas. D'après mon interprétation, il est certain que le ministère des Transports à ce moment-là a déclaré être disposé à envisager la signature d'un bail de 40 ans, mais était-il légalement obligé de faire suite à cette déclaration? Il faudra demander à des juristes. À mon avis, non. Mais je ne suis pas avocat.

Le président: Mais le document a été perdu, il est disparu.

M. Shortliffe: Je ne sais pas ce qui s'est produit.

Le président: Il n'était pas avec le reste de la documentation.

M. Shortliffe: En écoutant les témoignages ici... eh bien, désolé, ce n'est pas juste. Il n'était pas dans la salle des documents. On m'en a informé beaucoup plus tard, oui.

Le président: Mais la sous-ministre, Mme Labelle, en avait été informée avant la demande de propositions, et tout ce qu'on disait dans ce document, c'est qu'Air Canada devrait recevoir une certaine indemnisation pour ses investissements à l'aérogare 2 et que le bail avec Air Canada expirait en 1997. C'est tout ce que les soumissionnaires ont su, et ils ont présenté leurs propositions. Quand, bien sûr, ils ont découvert ces choses, ça a été la pagaille complète et il a fallu résoudre le tout.

M. Shortliffe: Nul doute qu'il y avait un problème au printemps de 1993 avec ce qu'on a appelé «le sandwich Air Canada», oui.

Le président: Qui a retardé les choses de trois mois.

M. Shortliffe: À tout le moins, sénateur, oui.

Le sénateur LeBreton: En fait, le sénateur Tkachuk a posé une ou deux questions que j'allais poser. Pour revenir à M. Nixon, monsieur Shortliffe, les contrats, comme nous le savons maintenant, ont été signés avec lui le 22 novembre. D'après ce que vous savez, est-ce qu'on a signé une entente de confidentialité en même temps ou comment procède-t-on quand vient le temps de signer une entente de confidentialité?

M. Shortliffe: Eh bien, est-ce qu'une entente a été signée? Franchement, madame le sénateur, je ne me rappelle pas. Je me souviens d'avoir signé le document contractuel. Je ne crois pas avoir signé d'autres documents. Cela ne veut pas dire qu'il n'y en avait pas d'entente de confidentialité, et probablement qu'il y en avait une parce que c'est normalement ainsi qu'on procède lorsque l'on retient les services d'une personne qui n'est pas fonctionnaire dans un dossier, on lui fait signer une entente de confidentialité.

Bien honnêtement, ma seule préoccupation à ce moment-là dans ce dossier, et j'en ai parlé la première fois que j'ai rencontré M. Nixon, était de l'assurer que la fonction publique collaborerait pleinement et entièrement avec lui et lui fournirait tous les documents appropriés; je lui ai ensuite précisé clairement qu'il ne pouvait pas, bien sûr, avoir accès aux documents confidentiels du Cabinet du gouvernement antérieur. Je me souviens de lui avoir dit, qu'en tant qu'ancien ministre lui-même, il devait comprendre et il a été très courtois et poli et m'a répondu qu'il comprenait très bien. À ce moment-là, c'était ma seule préoccupation.

Le sénateur LeBreton: Monsieur Nelligan, peut-être pourrions-nous déterminer si, en fait, M. Nixon a signé une entente de confidentialité. Ce n'est pas à M. Shortliffe de le faire. Il dit qu'il ne s'en souvient pas. Il y a aussi un autre contrat qui a été signé entre le BCP et Crosbie and Company.

M. Shortliffe: C'est exact.

Le sénateur LeBreton: Parce que, nous a-t-on dit, M. Nixon a engagé M. Goudge directement après avoir obtenu son contrat. Est-ce que vous vous souvenez des détails de cela?

M. Shortliffe: Non, pas vraiment, madame le sénateur. Est-ce que je savais qu'il avait engagé quelqu'un? Oui, je le savais parce que je crois avoir eu une ou deux conversations téléphoniques avec M. Nixon où il m'a dit ce qu'il prévoyait faire et, en toute franchise, j'ai noté cela et j'en ai fait part à mon sous-ministre adjoint en lui disant de s'assurer de tout inscrire dans les documents contractuels. C'était là une affaire courante.

Le sénateur LeBreton: Je comprends, et je suis tout à fait d'accord avec vous. En ce qui concerne M. Nixon, vous avez eu cette première rencontre avec lui au cours de laquelle vous avez discuté de son contrat; et vous avez dit que vous aviez discuté du contrat de l'aéroport avec lui également. Est-ce qu'il vous a revu à nouveau précisément pour discuter des accords sur l'aéroport Pearson?

M. Shortliffe: Non, il ne l'a pas fait.

Le sénateur LeBreton: Vous a-t-il téléphoné?

M. Shortliffe: Pour discuter du fond de la question?

Le sénateur LeBreton: Oui.

M. Shortliffe: Non, il ne m'a pas téléphoné à ce sujet-là.

Le président: Sénateur Bryden?

Le sénateur Bryden: Monsieur Shortliffe, vous avez dit que le premier ministre ne vous avait pas demandé d'intervenir dans les négociations concernant le bail à l'aéroport Pearson. Je crois que c'est ce que vous avez dit.

M. Shortliffe: Je m'excuse, sénateur?

Le sénateur Bryden: Je crois que vous avez dit que le premier ministre ne vous avait pas demandé d'intervenir dans les négociations concernant l'aéroport Pearson, n'est-ce pas?

M. Shortliffe: Je ne crois pas avoir dit cela, pas du tout.

Le sénateur Bryden: Alors, permettez-moi de vous poser la question: vous a-t-il demandé d'intervenir, de lancer ces négociations?

M. Shortliffe: La question... oui, en un sens, merci. Pas nécessaire de poser la question. Je veux dire que c'était là une priorité du gouvernement, et je faisais mon travail comme je le percevais afin d'aider le gouvernement à réaliser sa priorité.

Le sénateur Bryden: J'attire votre attention sur le jugement du juge Lederman dans l'affaire Bitove où à un moment précédent, et dans un bail antérieur à l'aéroport Pearson, à tout le moins selon les conclusions du juge Lederman, le premier ministre vous avait effectivement demandé d'intervenir pour accélérer les choses, n'est-ce pas?

M. Shortliffe: Lorsque j'étais sous-ministre des Transports?

Le sénateur Bryden: Oui.

M. Shortliffe: Qu'est-ce que dit le juge Lederman? Parce que j'ai...

Le sénateur Bryden: C'est un document public, j'ai tout le jugement ici. J'en ai des copies.

Le président: Pourriez-vous m'aider? Où voulez-vous en venir, sénateur Bryden?

Le sénateur Bryden: Où? Très bien. Je n'ai pas vraiment l'intention de poser des questions pendant longtemps. Ce que je dis...

M. Shortliffe: Permettez-moi de répondre à la question, sénateur, parce que j'aimerais vraiment en finir avec cela une fois pour toutes. En 1988, j'ai effectivement reçu un coup de téléphone du premier ministre Mulroney qui m'a demandé si je connaissais John Bitove. Je lui ai dit que non, je n'en avais jamais entendu parler. Il m'a demandé si je savais que John Bitove avait un problème avec le ministère des Transports. J'ai dit que non, je n'avais jamais vu le dossier. Le premier ministre m'a dit qu'il ne savait pas si Bitove avait raison ou non, mais il m'a demandé si j'accepterais d'examiner le dossier. Un point c'est tout. Et c'est tout ce que le premier ministre m'a jamais dit au sujet du dossier Bitove.

D'après ce que je vois dans ce jugement, je ne peux qu'être en désaccord avec le fond de l'interprétation qui a été donnée.

Le sénateur Bryden: Voilà, ce sont toutes les questions que je voulais poser pour l'instant, monsieur le président.

Le président: Le sénateur Stewart et le sénateur Kirby.

Le sénateur LeBreton: Demandez à Mme Milgaard et à ces mères qui sont venues au centre sportif de Gloucester pour dire au premier ministre que leur mari les traque et demandez au greffier ce que le premier ministre lui a demandé de faire à ce moment-là.

Le président: Sénateur Stewart?

Le sénateur Stewart: Merci, monsieur le président. Vous étiez probablement trop occupé ce matin pour venir entendre notre discussion. Nous avons reçu trois distingués professeurs d'universités canadiennes qui ont parlé de l'opportunité d'approuver une telle entente après la dissolution du Parlement et avant la composition d'une nouvelle Chambre des communes. Je voulais vous demander... peut-être j'ai senti le besoin de vous dire tout cela au cas où vous ne l'auriez pas entendu.

M. Shortliffe: Je n'ai pas entendu cela, sénateur, j'étais occupé à autre chose ce matin.

Le sénateur Stewart: Très bien. Le professeur Mallory nous a dit des choses décevantes au sujet de la relation entre le gouvernement et la Chambre des communes. Il a dit que les travaux de la Chambre des communes - je paraphrase son intervention - ne devaient pas réellement être pris très au sérieux et que si en fait on peut tenir le gouvernement responsable, les événements se produisent au caucus. Cela veut dire que d'après notre Constitution, un très lourd fardeau retombe sur les épaules de la fonction publique.

Le sénateur Tkachuk: Est-ce que c'est ce qu'il a dit, sénateur Stewart?

Le sénateur Stewart: Oui, je pense.

Le sénateur Kirby: Laissez-le finir.

Le sénateur Tkachuk: Eh bien, si vous citez quelqu'un, citez-le comme il faut. Pourquoi ne posez-vous pas votre question à M. Shortliffe de votre point de vue et oubliez ce qu'a dit M. Mallory, à moins de pouvoir le citer textuellement?

Le sénateur Stewart: Très bien. Si c'est là une question délicate, monsieur le président, comme ça semble l'être...

Le sénateur Tkachuk: Non, il n'en est rien. C'est tout simplement manquer de délicatesse à l'endroit de quelqu'un que de mal interpréter ses propos. Ce n'est pas ce que moi, j'ai compris, donc je ne voudrais pas que vous me fassiez la même chose et je suis sûr que je ne vous ferais pas subir le même traitement, sénateur Stewart.

Le sénateur Stewart: De toute façon, je vais dire ceci. On peut soutenir que, à cause de ce qui s'est produit au sein de nos partis politiques, les simples députés d'un gouvernement majoritaire peuvent difficilement restreindre les actions du premier ministre et de ses collègues ministres. Par exemple, au Canada, contrairement au Royaume-Uni, les chefs de parti sont choisis lors des congrès. Ce n'est pas une décision qui est prise par les députés.

Alors, on peut donc dire que les hauts fonctionnaires du gouvernement ont un très lourd fardeau à porter lorsqu'ils veulent s'assurer que toutes les convenances... j'utilise ce terme général pour inclure les règles, les conventions, les traditions, et cetera, sont respectées.

Or, en supposant que cela soit juste, pourriez-vous nous dire si vous avez déjà examiné les restrictions, les paramètres relatifs aux obligations d'un gouvernement une fois le Parlement dissous et avant l'élection d'un nouveau gouvernement? Eh bien, je veux dire avant le jour des élections, non pas nécessairement avant que le nouveau gouvernement prenne le pouvoir. En réalité, il y a deux phases ici. Mais, entre le jour de la dissolution d'une part, et le jour du scrutin d'autre part, est-ce que vous avez examiné cette question et réalisé une étude sur les précédents et ainsi de suite?

M. Shortliffe: En partie, sénateur. Maintenant, est-ce que je peux revenir en arrière, monsieur? Je ne sais pas si vous citiez le professeur ou non, mais je me dois de vous dire que je ne suis pas du tout d'accord avec une partie de la prémisse de votre question, d'après mon expérience au gouvernement. Le caucus dispose de pouvoirs. Les députés de l'arrière-ban aussi.

Le sénateur Stewart: Oui.

M. Shortliffe: Et j'ai vu des cas où ces pouvoirs ont été exercés, j'ai vu des gouvernements qui ont été restreints ou qui ont été obligés de modifier des initiatives qu'ils, j'entends ici l'exécutif ou le Cabinet, voulaient prendre. Or, je ne suis tout simplement pas d'accord pour que l'on tienne pour négligeable le rôle des caucus dans notre système parlementaire, ou même en fait le pouvoir des comités parlementaires de la Chambre et du Sénat, lorsqu'il s'agit de modifier la politique gouvernementale.

Maintenant, pour ce qui est de la deuxième partie de votre question, disons qu'il y a, par convention, des limites manifestement très claires quant à ce qu'un gouvernement peut faire ou ne pas faire, entre le jour du scrutin et celui de l'assermentation du nouveau gouvernement, quand il a démissionné. Jusqu'au jour du scrutin, le gouvernement conserve, d'après ce que j'ai retenu, tous ses pouvoirs de gouverner et de prendre des décisions. Toutefois, quand les élections sont déclenchées, il est clair que la prise de décisions est en général interrompue pour la bonne et simple raison que chacun est occupé à essayer de se faire élire. Ainsi, la période entre le déclenchement des élections et le jour du scrutin n'est pas, par convention, une période où le gouvernement entreprend de lancer beaucoup de nouveaux projets, du point de vue général et administratif. Mais sa capacité de gouverner jusqu'au jour du scrutin demeure, à mon avis, entière, ce qui n'est plus le cas à partir de ce jour.

Le sénateur Stewart: Pour revenir à ce que vous appelez la première partie de ma question, vous dites que les vieilles vérités que nous avons tous pu lire dans les publications du gouvernement du Canada demeurent vraies dans une large mesure, c'est-à-dire qu'un gouvernement est, dans la pratique - dans la pratique et de manière importante - comptable à la Chambre des communes et au caucus, alors il est encore...

M. Shortliffe: Oui.

Le sénateur Stewart: Très bien. Mais cela implique qu'après la dissolution du gouvernement, ces contraintes n'existent plus et qu'en conséquence, vraisemblablement, les obligations du gouvernement sont considérablement réduites; il n'a plus d'assises, ni les avantages d'une majorité à la Chambre des communes; il n'a plus la confiance de ce qui subsiste de la Chambre des communes.

M. Shortliffe: C'est vrai, sénateur, je pense que la façon dont vous formulez maintenant les choses est juste. Mais je suppose que vous avez quelque chose en tête, et qu'il s'agit en l'occurrence des accords sur l'aéroport Pearson.

Et si je peux le dire, je suis d'avis, généralement parlant, en ce qui concerne ces accords, et je l'ai dit tout à l'heure dans mon témoignage, que le marché avait été conclu, sans que ce soit de façon légale, avant le déclenchement des élections.

Le président: Autrement dit, monsieur Shortliffe, aucune initiative nouvelle n'a été prise après l'émission du bref d'élection le 8 septembre?

Le sénateur Kirby: Il n'a pas dit ça.

M. Shortliffe: Je n'ai pas dit ça. J'ai dit qu'à mon avis, le marché avait été essentiellement conclu avant le déclenchement des élections.

Le président: Eh bien, pour répondre au sénateur Stewart... oui, sénateur Kirby, juste... M. Shortliffe a répondu à cette question... il a parlé de la période de la campagne électorale où tout est en attente, où tout le monde est occupé à essayer de se faire élire. Et il a dit que, selon lui, dans de telles circonstances, le gouvernement ne devait pas lancer de nouveaux projets.

M. Shortliffe: Ou n'en lancerait pas.

Le président: Oui, ou n'en lancerait pas. Et j'ai demandé si de nouveaux projets avaient été lancés après l'émission du bref d'élection le 8 septembre?

M. Shortliffe: En ce qui a trait à ce dossier?

Le président: En ce qui a trait à ce dossier.

M. Shortliffe: Pas à ma connaissance.

Le président: Très bien.

M. Shortliffe: Pas à ma connaissance. Mais vous savez, si vous me permettez de revenir, sénateur Stewart, d'une certaine façon à la théorie que nous essayons tous les deux de formuler en ce moment, manifestement dans une... disons qu'une sorte de situation d'urgence est intervenue dans le pays.

Le sénateur Stewart: Bien sûr.

M. Shortliffe: Il ne fait aucun doute que le gouvernement doit être en mesure de gouverner; il doit pouvoir prendre des décisions.

Le sénateur Stewart: Cela ne fait aucun doute.

M. Shortliffe: Et je dis qu'il est certain que jusqu'au jour du scrutin, le gouvernement détient pleinement de tels pouvoirs.

Le sénateur Stewart: Et nous avons entendu des témoignages, si vous me permettez, sénateur Tkachuk, selon lesquels dans certains régimes au moins, ce que l'on fait quand une décision importante doit être prise, décision découlant d'une situation d'urgence - le chef du gouvernement et le chef de l'opposition discutent ensemble de la question. Je pense que ce point de vue est juste...

Le sénateur Kirby: Cela a été dit ce matin.

Le sénateur Stewart: Oui, c'est une des choses qu'on nous a dites ce matin.

Le sénateur Tkachuk: C'est une des choses qu'on nous a dites ce matin.

Le sénateur Stewart: Je suis heureux que vous admettiez certaines des choses qu'on nous a dites ce matin. Je pense qu'il ne fait aucun doute que le gouvernement détient légalement le pouvoir jusqu'à ce qu'il soit remplacé. Ce dont il est question, c'est de la période d'interruption intérimaire.

Bon, serait-il juste de dire, compte tenu du rapport unique qui existe entre le greffier du Conseil privé et le premier ministre, que le greffier du Conseil privé a des responsabilités particulières durant la période où le gouvernement conserve d'une part tous ses pouvoirs, mais qu'il y a pour d'autres raisons - raisons dont nous venons tout juste de discuter, une sorte d'interruption des activités?

M. Shortliffe: Oui, le greffier du Conseil privé a des responsabilités particulières en tout temps, y compris pendant une campagne électorale, c'est vrai, sénateur.

Le sénateur Stewart: Je pense que ce que je vous demande est ceci: compte tenu du fait que la situation est inhabituelle, que le Parlement a été dissous, qu'un nouveau Parlement n'a pas encore été élu, que les ministres parcourent le pays occupés à des tåches très utiles, c'est certain...

M. Shortliffe: Non, occupés à essayer de se faire élire.

Le sénateur Stewart: Bon, très bien, c'est ce que je voulais dire. Ne pensez-vous pas que durant cette période les conseillers immédiats du premier ministre ont une responsabilité particulière, étant donné les rapports uniques qu'ils entretiennent avec lui?

M. Shortliffe: Oui, c'est un fait... tant le greffier, si vous voulez, que la fonction publique dans son ensemble doivent s'assurer que l'on s'acquitte méthodiquement des obligations que comporte l'administration publique.

Le sénateur Stewart: Permettez-moi de vous poser une question. Imaginez que vous êtes un fonctionnaire, disons le greffier du Conseil privé, et que le premier ministre vous dise de faire quelque chose que vous estimez... qui ne devrait pas être fait dans l'intérêt du public selon vous. Que feriez-vous? Diriez-vous: «Oui, monsieur le premier ministre», après quoi vous iriez donner des directives aux instances appropriées de la fonction publique? Ou diriez-vous: «Non, monsieur le premier ministre, voici ma démission»?

M. Shortliffe: Un de mes très illustres prédécesseurs, Gordon Robertson, je crois, a écrit il y a un certain nombre d'années, que lorsque vous êtes greffier du Conseil privé - ce qui n'est pas le cas du greffier actuel - que lorsque vous êtes greffier du Conseil privé, vous vous levez chaque matin, vous rasez et vous regardez dans le miroir en disant: «Est-ce aujourd'hui que je devrai donner ma démission?» Quand je suis devenu greffier du Conseil privé, j'ai compris à quel point la déclaration de M. Robertson était vraie. Je suis heureux de pouvoir dire qu'après avoir été au service de trois premiers ministres pendant très longtemps, ce jour n'est jamais arrivé.

Le sénateur Stewart: Nous expliqueriez-vous pourquoi?

M. Shortliffe: Parce qu'on ne m'a jamais demandé de faire quoi que ce soit qui m'aurait obligé à donner ma démission.

Le sénateur Stewart: Oui, mais cela aurait été bien de pouvoir poser ma question. Pourriez-vous expliquer pourquoi le greffier du Conseil privé a cette responsabilité unique, pour employer un terme que vous avez vous-même utilisé plus tôt aujourd'hui, pourquoi, donc, il a cette responsabilité unique - ou voulez-vous dire, peut-être, qu'il ne s'agit pas d'une responsabilité qui n'incombe pas aux fonctionnaires ordinaires, et que le greffier du Conseil privé détient réellement des responsabilités particulièrement importantes?

M. Shortliffe: Bien sûr.

Le sénateur Stewart: Très bien. Et pourriez-vous nous dire pourquoi?

M. Shortliffe: Parce que le greffier agit à titre de sous-ministre du premier ministre et que le premier ministre est le chef du gouvernement. Voilà pourquoi.

Et, vous savez, sénateur, si je puis me permettre, étant donné que nous ne parlons qu'en termes généraux...

Le sénateur Stewart: Oui.

M. Shortliffe: Je veux dire qu'il y a eu beaucoup de cas où j'ai dit, soit à des ministres ou à des premiers ministres, ou à leur personnel - disons à leur personnel souvent, mais aussi aux premiers ministres et aux ministres: «C'est idiot, monsieur, vous ne ferez pas ça». Et le premier ministre de répondre: «Comment, idiot? Vous ne pouvez pas me traiter d'idiot.» Nous parlons toujours en termes généraux bien entendu.

Le sénateur Stewart: Bien entendu.

M. Shortliffe: Ensuite, vous expliquez pourquoi vous avez dit que l'idée était idiote, et la vie continue. Mais, vous savez, l'image du greffier qui dit oui à tout n'est que pure fiction.

Le sénateur Stewart: Merci, monsieur le président.

Le président: À qui le tour, je ne sais plus trop.

Le sénateur Kirby: Je voudrais juste revenir sur quelques questions, si vous me le permettez.

Le président: Oui, sénateur Kirby, allez-y. Est-ce au tour du sénateur Lynch-Staunton ensuite, sénateur?

Le sénateur Lynch-Staunton: Je demanderai peut-être certaines clarifications.

Le président: Donnez-moi juste une idée. Sénateur Kirby, sénateur Lynch-Staunton.

Le sénateur Kirby: Je veux juste revenir sur quelques points que le sénateur Stewart a soulevés. Monsieur Shortliffe, vous avez dit qu'entre la date d'émission du bref d'élection et celle du scrutin, et vous l'avez dit à quelques reprises, «le gouvernement conserve tous ses pouvoirs». Compte tenu de cela, pourquoi étiez-vous d'accord avec Mme Bourgon pour demander des directives au premier ministre avant la signature des documents le 7 octobre, et je dis ça parce que vous avez dit que l'affaire était au fond entendue.

M. Shortliffe: Bien sûr.

Le sénateur Kirby: Et deuxièmement, que le gouvernement conservait manifestement tous ses pouvoirs. Alors, pourquoi seriez-vous allé...

M. Shortliffe: Parce que le gouvernement peut toujours, sénateur, modifier son orientation politique jusqu'à la 59e minute de la 23e heure. Et ce sur quoi la sous-ministre des Transports et moi-même nous sommes entendus a été de reconfirmer cette orientation politique, compte tenu de la controverse entourant le dossier.

Le sénateur Kirby: Donc, cela n'avait rien à voir avec quelque contrainte qui aurait été imposée pour ce qui est du gouvernement et de la légalité de ses actions, personne n'a en fait remis en question la légalité du processus. Ce qui a été remis en question était de savoir s'il était - permettez-moi d'utiliser le terme «approprié» - s'il était approprié, normal, ou le terme que vous voudrez, pour le gouvernement de prendre certaines mesures au cours de la campagne électorale?

M. Shortliffe: Je comprends, sénateur, le fondement des débats qui ont entouré la question et les diverses opinions qui ont été exprimées. Comme je viens de le dire, je comprends le fondement du débat. En fait, nous avons consulté la première ministre pour une raison politique, et non pas technique ou juridique, cette raison étant la controverse suscitée au beau milieu de la campagne électorale.

Mais comme je l'ai aussi dit plus tôt cet après-midi, à mon avis, le marché avait été conclu avant le déclenchement des élections.

Le sénateur Kirby: Êtes-vous d'accord avec Mme Bourgon pour dire que durant une campagne électorale il importe que les fonctionnaires procèdent «avec prudence» - ce sont les termes qu'elle a employés à deux ou trois reprises dans son témoignage, ce qui revient à dire qu'il y a durant cette période, disons une sorte de feu jaune que le système doit respecter?

M. Shortliffe: Dans une campagne électorale, et jusqu'à ce que le gouvernement suivant entre en fonction - indépendamment de qui gagne et qui perd, je pense...

Le sénateur Kirby: Je ne m'intéresse pas à la période d'intérim...

M. Shortliffe: ...qu'il est nécessaire d'examiner chaque question et chaque décision très soigneusement.

Le sénateur Kirby: Ce qui me frappe dans cette déclaration, c'est qu'elle entre en contradiction avec celle qui veut que le gouvernement conserve les pleins pouvoirs, et que j'ai perçu comme n'étant pas de nature juridique, parce que nous nous entendons tous pour dire que nous la trouvons juridiquement acceptable. Pour moi, cette déclaration correspondait, disons, à une sorte de code de conduite plutôt qu'à une déclaration de nature juridique comme telle.

M. Shortliffe: Soyons clairs, sénateur. Comme nous le savons tous deux, et comme nous le savons tous, ce ne sont pas les fonctionnaires qui prennent les décisions. Ce sont les ministres. Et il est nécessaire qu'il y ait des consultations très poussées en période électorale comme en d'autres temps.

Mais je maintiens ce que j'ai dit, selon moi, le gouvernement conserve tous ses pouvoirs.

Le sénateur Kirby: Voulez-vous dire juridiquement parlant?

M. Shortliffe: Non.

Le sénateur Kirby: Très bien. Ainsi donc, quand Mme Bourgon dit, comme elle l'a fait dans son témoignage, que l'on peut trouver à la page 1410-37... je vais juste vous lire un extrait de ce qu'elle a dit. Elle a dit ceci:

Je pense que la règle qui veut que l'on agisse en général avec prudence au cours d'une campagne électorale implique que l'on tienne compte de certains facteurs et que l'on se pose, par exemple, les questions suivantes: S'agit-il d'une opération qui liera les futurs gouvernements? Existe-t-il d'autres possibilités? La situation a-t-elle un caractère d'urgence? Est-il nécessaire d'agir? La situation suscite-t-elle de la controverse?

et Mme Bourgon continue en développant ces points.

J'en déduis d'après ce que vous avez dit que vous ne partagez pas ce point de vue, n'est-ce pas?

M. Shortliffe: Non, pas nécessairement. Cela dépendrait de quel aspect... Écoutez, je ne vais pas m'engager dans un débat avec elle par votre intermédiaire.

Le sénateur Kirby: Non non. Je pense que ce que j'essaie de comprendre, et je ne voulais pas vous engager dans un débat par personne interposée... c'était de faire valoir que la greffière actuelle était d'avis qu'il fallait procéder avec beaucoup de...

M. Shortliffe: Sénateur, pourquoi ne me posez-vous pas la question, à savoir si j'étais d'avis que le gouvernement, quand il a décidé d'aller de l'avant le 7 octobre, avait les moyens et le droit de le faire?

Le sénateur Kirby: Parce que je pense que vous avez déjà répondu à cette question.

M. Shortliffe: Bon, c'est bien. Vous avez donc ma réponse.

Le sénateur Kirby: Ce n'est pas cette question que j'allais vous poser. Ce que j'essayais de comprendre, c'était autre chose, qui était essentiellement de savoir, particulièrement à la lumière des débats que nous avons eus ce matin avec des universitaires, si vous voyez ou non des contraintes ou pensez qu'il doive y en avoir - ou, désolé, non pas qu'il doive y en avoir - qu'il y a des contraintes autres que juridiques qui relèvent plutôt du comportement qu'un gouvernement doit adopter au cours d'une campagne électorale, et vous sembliez penser qu'il n'y en a pas. Est-ce exact? C'est ce que vous sembliez...

M. Shortliffe: Non, vous allez trop loin, sénateur Kirby.

Le sénateur Kirby: Eh bien, c'est comme cela que... expliquez-moi alors ce que vous entendez par «le gouvernement conserve tous ses pouvoirs».

M. Shortliffe: Oui, le gouvernement conserve tous ses pouvoirs, mais le fait est que le gouvernement ne fonctionne pas de façon normale durant une campagne électorale.

Le sénateur Kirby: Donc, il peut agir, c'est juste que le système ne fonctionne pas de façon appropriée... ne fonctionne pas de la façon...

M. Shortliffe: Vous me faites dire ce que je n'ai pas dit, sénateur. Et je vais m'en tenir à ce que j'ai dit et non pas à ce que vous voudriez me faire dire. S'il vous plaît, n'essayez pas de me faire dire ce que je ne dis pas.

Le sénateur Kirby: Ce n'est pas ce que je voulais. Je veux comprendre ce que vous dites.

M. Shortliffe: J'ai dit ce que j'ai dit. C'est-à-dire qu'il y a une interruption; que le gouvernement ne fonctionne pas normalement; que le Cabinet ne se réunit pas chaque semaine; que les comités du Cabinet ne se réunissent pas; que le processus normal s'est arrêté. En réalité, au cours d'une campagne électorale, il est peu probable que de nouvelles initiatives qui nécessitent d'importantes décisions soient prises.

Le sénateur Kirby: Très bien. Mais qu'il n'y a rien... ça, je l'ai compris. Mais vous semblez aussi dire qu'il n'y a rien à redire contre de telles initiatives en ce sens - en supposant que vous saviez qu'il y avait des ministres sur place, qu'il y avait eu une réunion du Cabinet et que tous les processus avaient été respectés - il n'y a donc rien à redire, n'est-ce pas?

M. Shortliffe: Cela dépend. Alors, est-ce que je pense qu'il y a un élément de contrainte? Oui, je le pense.

Le sénateur Kirby: J'aimerais dire que tout ce que j'essaie de comprendre - et je n'essaie pas de vous faire dire quoi que ce soit, et je n'essaie pas de vous poser des questions spécifiquement liées au contrat. J'essaie de comprendre votre perception - et cela est important pour nous pour une foule de situations autres que celle-ci - votre perception, donc, de ces contraintes, c'est tout. Autrement dit, comment définiriez-vous ces contraintes?

M. Shortliffe: Eh bien, je pourrais les définir - c'est un petit peu - je pourrais mieux les définir si vous donniez un exemple d'une mesure que vous percevriez comme étant non appropriée et que vous me demandiez si je suis d'accord avec vous. Là je pourrais probablement vous répondre. Mais vous me présentez la situation de façon très abstraite.

Le sénateur Kirby: Ce n'était pas mon intention. Permettez-moi... permettez-moi juste de prendre quelques exemples et de choisir un cas bien précis. Par exemple, serait-il approprié que le gouvernement nomme des juges au cours d'une campagne électorale ou encore des sénateurs?

M. Shortliffe: Cela s'est déjà fait.

Le sénateur Kirby: En fait, ma question était la suivante: pensez-vous que ce soit approprié? Je veux dire, est-ce que... j'essaie de comprendre. Vous avez dit qu'il y avait des contraintes. Vous avez demandé un exemple précis. Je vous en donne un, en essayant de voir s'il s'inscrit dans vos contraintes ou non.

M. Shortliffe: En général, je dirais... disons d'abord que cela s'est déjà fait. Alors, nous revenons encore à l'idée que j'ai fait ressortir quant au fait que le gouvernement conservait tous ses pouvoirs. Maintenant, est-ce une bonne idée? Non.

Le sénateur Kirby: Pourquoi?

M. Shortliffe: Cela dépend à quel moment la mesure en question est prise au cours de la campagne électorale. Désolé, je suis en train d'embrouiller les choses, je pensais à quelque chose d'autre. Je vous ai embrouillé.

Le sénateur Kirby: Oui.

M. Shortliffe: Une telle mesure peut-elle être prise jusqu'au jour du scrutin? Oui. Peut-elle l'être après les élections?

Le sénateur Kirby: Non.

M. Shortliffe: Non.

Le sénateur Kirby: D'accord.

M. Shortliffe: Bien.

Le sénateur Kirby: Mais vous avez dit que cela ne serait pas judicieux, d'après ce que j'ai compris; je n'essaie pas de vous faire dire quoi que ce soit. J'essaie de comprendre ce que vous avez dit.

M. Shortliffe: Je me mélangeais. Je pensais en réalité à cette dernière période.

Le sénateur Kirby: Très bien. On a expliqué au cours des témoignages entendus ce matin ce que la convention australienne prévoit en période électorale. L'essentiel... et je cite le témoignage entendu ce matin. On peut donc lire ce qui suit à la page 8 du témoignage du professeur Wilson:

Les conventions de base concernant les périodes d'intérim exigent que le gouvernement évite de mettre en oeuvre d'importantes mesures, de procéder à des nominations essentielles, de signer d'importants contrats ou d'engager des initiatives d'envergure au cours d'une période d'intérim, ainsi que d'éviter d'engager les fonctionnaires ministériels dans des activités électorales.

Sur ce dernier point, nous sommes tous d'accord...

M. Shortliffe: Certainement.

Le sénateur Kirby: Comment réagissez-vous devant la première partie de cette déclaration qui dit que:

Les conventions concernant les périodes d'intérim exigent que le gouvernement évite de mettre en oeuvre d'importantes mesures, de procéder à des nominations essentielles, de signer d'importants contrats ou d'engager des initiatives d'envergure au cours d'une campagne électorale.

M. Shortliffe: Eh bien, en ce qui concerne l'élément du milieu, je dirais que...

Le sénateur Kirby: Quel est l'élément du milieu, il y en a quatre.

M. Shortliffe: De procéder à des nominations.

Le sénateur Kirby: Bien.

M. Shortliffe: Et il y a effectivement eu des précédents au Canada à cet égard; on a procédé à des nominations essentielles au cours de campagnes électorales. Pour ce qui est de signer d'importants contrats, c'est en fait autour de cela que tourne toute la question, on revient à la question de savoir à quel moment une entente est conclue. Et à mon avis, une entente a été conclue...

Le sénateur Kirby: Vous continuez à me ramener au cas à l'étude, et j'essaye d'obtenir de votre part des précisions sur le principe.

M. Shortliffe: Je sais cela, sénateur.

Le sénateur Tkachuk: Puis-je obtenir une clarification, monsieur Kirby? Quand la date a-t-elle été fixée juste pour que nous comprenions bien, parce que nous avons entendu des témoignages à cet égard? La date a été fixée aux 6 et 7 octobre, avant que le bref d'élection ne soit émis.

Le sénateur LeBreton: Au début de juillet, par les promoteurs du projet et les fonctionnaires.

Le sénateur Tkachuk: Bien. Alors, elle était fixée...

M. Shortliffe: Je pense que oui.

Le sénateur Tkachuk: ... non, elle était plus ou moins fixée à ce moment-là?

M. Shortliffe: Non.

Le sénateur Tkachuk: Elle était déjà fixée - je voulais seulement le clarifier.

Le sénateur LeBreton: M. Desmarais et M. Coughlin ont tous deux témoigné dans ce sens.

M. Shortliffe: Voulez-vous revenir aux questions abstraites?

Le sénateur Kirby: Oui. Parce que je ne crois pas... une des questions que le comité a examinées, à part la présente, est celle de l'ampleur des restrictions qui seront prévues dans l'avenir, s'il faut en prévoir, des restrictions, donc, qu'on ne fera pas valoir rétrospectivement et qui s'apparenteront à celles prévues dans la convention visant les périodes intérimaires... mais vous avez été greffier du Conseil privé.

M. Shortliffe: Merci.

Le sénateur Kirby: Oui, mais tout le monde essaie de me ramener à cette question. J'essaie de voir dans le contexte global...

M. Shortliffe: Oui.

Le sénateur Kirby: ... advenant que le comité doive aborder cette question de principe, quelle est la position qu'il devrait adopter?

M. Shortliffe: Eh bien, je vais vous dire quelle est la position qu'il devrait adopter, selon moi. Il faut faire attention, sénateur, quand on veut intégrer dans les conventions canadiennes, qui sont des conventions distinctes, celles de l'Australie et du Royaume-Uni. Si un gouvernement a les mains trop liées, et c'est pourquoi j'ai un peu embrouillé les choses dans les réponses que je vous ai données tout à l'heure... et maintenant vous me posez la question d'une façon qui me permet de répondre théoriquement. Je crois que nous sommes presque allés trop loin d'une certaine façon en liant les mains du gouvernement pour l'empêcher de prendre des décisions. Et je ne crois pas que...

Le sénateur Kirby: Au cours de la campagne électorale?

M. Shortliffe: Oui, y compris durant la campagne électorale... Eh bien, si nous avions fait comme il est prévu dans la convention d'un autre pays que vous venez de citer.

Le sénateur Kirby: Oui, l'Australie.

M. Shortliffe: Je ne suis pas d'accord avec vous sur ce point.

Le sénateur Kirby: Pourquoi?

M. Shortliffe: Parce que je pense que cela lie trop les mains d'un gouvernement dans des situations que l'on ne peut prévoir.

Le président: En 1935, monsieur Shortliffe, comme vous le savez bien...

M. Shortliffe: Comme nous le savons bien tous les deux, sénateur.

Le sénateur Kirby: Certains d'entre nous, précisons-le, monsieur le président, ne savent pas aussi bien que d'autres ce qui s'est passé en 1935.

M. Shortliffe: Je n'étais pas encore né. Que faisiez-vous sénateur?

Le président: Je participais à la guerre des Boers. Les prérogatives du premier ministre sont définies dans le... et signées par le greffier du Conseil privé de l'époque. Ces prérogatives sont très claires et c'est seulement dans ce document qu'elles sont décrites. Et je suis d'accord avec vous. La suggestion qui est faite ici... suggérerait-on un gouvernement à l'italienne? Que faudrait-il pour modifier les prérogatives du premier ministre? Dire que les prérogatives du premier ministre sont celles qui figurent dans le document. On les y trouve toutes dans ce document signé en 1935 par le greffier du Conseil privé, sauf qu'il ou elle ne peut pas faire telle et telle chose entre tel moment et tel autre, et ainsi de suite. Vous êtes en désaccord avec cela? Vous êtes en désaccord avec la codification?

M. Shortliffe: Peut-être bien. Écoutez, nous avons ici un système de gouvernement qui fonctionne sans codes ni lois écrites. Il n'est question du Cabinet nulle part dans la Constitution du Canada. La notion de Cabinet n'intervient même pas dans le processus d'adoption des lois au Canada; vous le savez comme moi, sénateur. Notre gouvernement fonctionne dans une large mesure par voie de conventions et de précédents.

Vous voyez, sénateur Kirby, qu'il y a bonne matière à débat, particulièrement sur le plan théorique, je dois dire. Mais vous me posez la question en tant que praticien...

Le sénateur Kirby: Je vous pose la question à titre d'ancien greffier.

M. Shortliffe: ... et ancien greffier.

Le sénateur Kirby: Je ne vous posais pas la question dans ce sens. Je demandais...

M. Shortliffe: Non non, je comprends. Et je vous réponds en tant qu'ancien greffier. J'hésiterais à recommander à notre comité ou à un autre - au premier ministre actuel ou à tout futur premier ministre, que le gouvernement ait les mains liées d'une façon convenant mieux à un système politique autre que le nôtre.

Le sénateur Kirby: Malgré le fait que cela soit le cas en Australie, qui est le pays dont j'ai cité la convention, et dans une moindre mesure au Royaume-Uni, comme je crois que vous l'avez dit?

M. Shortliffe: Malgré le fait que cela soit le cas au Royaume-Uni et en Australie...

Le sénateur Kirby: Très bien.

M. Shortliffe: ... parce qu'il y a d'autres divergences importantes dans la façon dont le système gouvernemental fonctionne. Il y a une similarité de base dans le modèle de Westminster, c'est évident. Mais au Royaume-Uni, par exemple, les ministres ne sont pas soumis à une période de questions comme au Canada.

Le sénateur Kirby: Ce n'est plus le cas de toute façon. Merci, monsieur le président, ce fut...

M. Shortliffe: Oui, et en Australie les sénateurs sont élus.

Le sénateur Kirby: Certains d'entre nous sont en faveur de cela aussi. Monsieur le président, j'ai terminé.

Le sénateur Stewart: Mais aucun de ces exemples - de ces points - n'est pertinent, parce que nous parlons d'une période où il n'y a pas de Parlement.

Le sénateur Tkachuk: Le point que j'ai fait valoir était pertinent.

Le président: Je pense qu'un dernier membre du comité veut poser des questions, soit le sénateur Lynch-Staunton.

Le sénateur Lynch-Staunton: J'aimerais, monsieur Shortliffe, vous poser des questions qui ont déjà été posées à de très nombreux témoins avant vous, mais je crois que vos réponses auront une importance particulière compte tenu de ce que vous nous avez dit au sujet du rôle du greffier, et dans le présent cas de la greffière, qui a accès presque sans limite au premier ministre...

M. Shortliffe: Oui.

Le sénateur Lynch-Staunton: ...comparativement aux membres de son caucus et même à ses ministres et aux hauts fonctionnaires. Le greffier et le premier ministre forment-ils une équipe?

M. Shortliffe: C'est le cas.

Le sénateur Lynch-Staunton: Un duo essentiel, composé de deux hommes, ou d'un homme et d'une femme, ou autrement, selon le cas?

M. Shortliffe: C'est exact.

Le sénateur Lynch-Staunton: Ainsi donc, vous faites part au premier ministre, ou le greffier fait part au premier ministre de ce qu'il estime être essentiel au bon fonctionnement du pays, et le premier ministre fait part au greffier de la façon dont certaines politiques doivent être mises en application. Et on décide ensuite des orientations à prendre.

Je dis que vos réponses ont une importance particulière, parce que dans son travail, le greffier peut avoir accès à tous les sous-ministres, qui relèvent de lui directement. Est-ce là une description exacte de vos compétences, si vous voulez, face aux sous-ministres?

M. Shortliffe: Dans notre système, sénateur, le sous-ministre relève d'une direction hybride. Je veux dire par là qu'il a une responsabilité directe à l'égard du ministre, mais qu'il détient aussi des responsabilités à l'égard du premier ministre, et que ces responsabilités sont habituellement déléguées au greffier. Alors, c'est un petit peu compliqué.

Le sénateur Lynch-Staunton: Ainsi, le greffier sait assez bien ce qui se passe au gouvernement, en supposant qu'il ou elle entretient de bons rapports avec les sous-ministres clés. Bien.

M. Shortliffe: Oui.

Le sénateur Lynch-Staunton: La raison pour laquelle je veux établir ce fait, c'est que dans son rapport officiel, M. Nixon fait diverses allégations au sujet des fonctionnaires. Par exemple, il indique qu'en raison des pressions qui se sont exercées sur eux, plusieurs fonctionnaires ont été réaffectés ailleurs ou ont demandé d'être retirés du projet.

Voilà, nous savons que M. Barbeau a été relevé de ses responsabilités pendant six semaines environ. Savez-vous si d'autres fonctionnaires ont été réaffectés ou ont demandé d'être retirés du projet?

M. Shortliffe: Non.

Le sénateur Lynch-Staunton: Aucun fait n'a été porté à votre attention à cet égard?

M. Shortliffe: Non.

Le sénateur Lynch-Staunton: Bien. Dans son rapport officiel, M. Nixon déclare que le processus comportait des lacunes, qu'avant le 7 octobre tous les processus ont été complètement lacunaires, et cela depuis le début. Êtes-vous d'accord avec lui quant à cette conclusion?

M. Shortliffe: Non. Je crois que... dans la perspective où je me place maintenant, sénateur, qui est celle du travail qui a été effectué par les fonctionnaires pendant ce processus long et compliqué, je crois donc que ce travail a été effectué avec beaucoup de professionnalisme et de compétence, d'où des résultats qui correspondaient aux objectifs du gouvernement et avec lesquels ceux qui ont travaillé au projet pouvaient être à l'aise.

Je ne vais pas essayer d'interpréter la pensée de M. Nixon, mais c'est ce que je réponds concernant les deux mots qui ont été employés à l'égard de la fonction publique.

Le sénateur Lynch-Staunton: M. Nixon, toujours dans son rapport officiel, parle d'un... disons qu'il ne le dit pas catégoriquement, mais c'est certainement l'impression qu'il donne... oui, il semble évoquer la possibilité d'un certain favoritisme dans le choix de Paxport Inc.

Avez-vous entendu parler d'un tel favoritisme ou avez-vous vous-même fait preuve de favoritisme?

M. Shortliffe: Non.

Le sénateur Lynch-Staunton: ... ou d'un favoritisme qui aurait mené au choix de Paxport?

M. Shortliffe: Non. Je crois que Paxport a été choisie parce que sa proposition était la meilleure de toutes dans le processus qui a été décrit en termes détaillés à l'excès au comité au cours de l'été.

Le sénateur Lynch-Staunton: Et enfin - pas enfin, mais c'est la conclusion finale que je présenterai aujourd'hui - M. Nixon dans son rapport officiel parle d'actions et de décisions - je vais commencer par le commencement.

Quand les hauts fonctionnaires engagés dans des négociations avec le gouvernement du Canada estiment que les pressions exercées par les lobbyistes portent dans une grande mesure atteinte à leur capacité d'agir et de décider, comme ce fut le cas pour les présents accords, le rôle de ces derniers (c'est-à-dire des lobbyistes) a selon moi dépassé les normes permises.

Êtes-vous au courant de pressions indues de la part de lobbyistes qui auraient porté atteinte à la capacité de décider ou de négocier du gouvernement dans les accords qui ont été conclus?

M. Shortliffe: Absolument pas.

Le sénateur Lynch-Staunton: Avez-vous même déjà...

M. Shortliffe: J'ai déjà répondu à cette question quand j'ai comparu en tant qu'ancien sous-ministre devant le comité la dernière fois. Je réitère ma conviction profonde que beaucoup d'argent a pu être gaspillé pour beaucoup de lobbyistes.

Le sénateur Lynch-Staunton: Et finalement, je veux parler de M. Mulroney, parce que certains aiment toujours mentionner son nom en rapport avec une opération particulière. Vous nous avez bien dit que vous aviez eu une conversation avec lui après qu'il eut rencontré Charles Bronfman lors d'une réception, et que celui-ci lui avait indiqué qu'il souhaitait être associé au réaménagement des aérogares 1 et 2?

M. Shortliffe: Permettez-moi encore une fois, sénateur, de faire preuve de beaucoup de prudence en répondant à votre question. Je ne prête aucune intention à M. Bronfman. Ce que je dis, c'est que le premier ministre m'a posé une question, et non qu'il m'a rapporté une demande de la part de M. Bronfman, qu'il m'a posé, donc, la question à laquelle j'ai répondu dans le document en question.

Le sénateur Lynch-Staunton: Il vous a posé la question que M. Bronfman lui avait posée?

M. Shortliffe: Je ne sais pas, sénateur. C'est pourquoi je suis très...

Le sénateur Lynch-Staunton: Chaque fois qu'il est question de lui, cela suscite toujours beaucoup de débat, et la plupart des rapports que j'ai lus le concernant sont extrêmement exagérés. Ce que nous essayons de faire...

M. Shortliffe: Bien que je ne voudrais jamais... excusez-moi, sénateur, de vous interrompre, mais bien qu'en d'autres circonstances je ne voudrais jamais, et je remercie les sénateurs d'avoir tous cet après-midi tenu compte de la difficulté que représente le fait de s'engager dans des discussions avec le premier ministre et le Cabinet.

Comme je le disais, bien que je ne voudrais jamais en d'autres circonstances entrer dans le vif de cette question, parce que ce commentaire a été publié et que j'ai décrit très soigneusement ce qui était arrivé et que mes paroles figurent maintenant dans le compte rendu. Je vais aller un peu plus loin en espérant que M. Mulroney ne me tuera pas un jour, et vous dire que je pense qu'il m'a posé la question parce qu'il voulait faire preuve de gentillesse à l'égard du perdant.

Le sénateur Lynch-Staunton: Pensez-vous que M. Mulroney a eu pour ce dossier un intérêt qui débordait de son rôle de premier ministre, compte tenu des rapports qu'il a pu obtenir des personnes associées au projet ou des conversations que vous avez eues avec lui et dont vous pouvez nous parler? Autrement dit, a-t-il eu un intérêt soudain... vous savez, ses empreintes étaient partout, il favorisait quelqu'un ici, freinait quelqu'un d'autre là?

M. Shortliffe: Non. Le premier ministre a eu... le premier ministre a-t-il eu un vif intérêt pour ce dossier? Oui, sénateur, ce fut le cas. Le premier ministre Mulroney tout comme la première ministre Campbell, et en fait le premier ministre Chrétien, quand ils ont un vif intérêt pour un dossier, le suivent de très près. Ce dossier ne fut pas le seul, il y en a eu plusieurs autres, mais c'en est un de ceux qu'il a suivis de très près.

Le sénateur Lynch-Staunton: Merci, monsieur le président.

Le président: Monsieur Nelligan.

M. Nelligan: Monsieur Shortliffe, je ne sais pas si vous pouvez nous aider à ce sujet, mais le comité a toujours eu beaucoup de difficulté à obtenir des documents de la part du ministère de la Justice, et certains des documents qu'il a obtenus avaient été censurés sous prétexte qu'il s'agissait de documents confidentiels du Cabinet. Nous avons longuement discuté de cet état de faits. Malheureusement, les documents n'ont pas eu le même caractère confidentiel pour tout le monde, parce qu'on a insinué, particulièrement dans la presse aujourd'hui, qu'il existe des documents confidentiels qui brossent de la situation un tableau complètement différent de celui qui nous a été présenté.

Et je ne vous demanderai pas de faire des commentaires sur des documents confidentiels, mais je vais juste vous demander si vous êtes au courant des problèmes mentionnés dans cet article particulier et de nous en parler. Si ce qui est écrit dans cet article est vrai, j'aimerais que vous nous en parliez.

Le sénateur Stewart: Pourrions-nous connaître le contenu de cet article? C'est la première fois...

M. Nelligan: Oui.

Le sénateur Stewart: Je n'ai pas lu avec suffisamment d'attention.

M. Nelligan: Eh bien, apparemment on disait dans le quotidien The Citizen d'Ottawa de ce matin que l'enquête sur les accords de l'aéroport Pearson était une mise en scène. J'ai pensé que ce témoin, en raison du rôle central qu'il a joué dans ces accords, pourrait peut-être nous aider à confirmer ou à infirmer ces allégations.

Maintenant, si les sénateurs ne veulent pas que je pousse mon interrogatoire plus loin, je suis prêt à les écouter. Mais ce qui me préoccupe, c'est qu'on a allégué que la présente enquête vise à camoufler les informations et les faits plutôt qu'à les faire connaître, et je pense que cela va à l'encontre de ce que veulent tous les sénateurs.

Et j'ai pensé peut-être que même s'il est certainement trop tard, à l'étape où nous sommes pour obtenir les documents, qu'il y avait ici un témoin qui est au courant de la situation. Alors, voulez-vous que je continue et que je lui pose des questions?

Le sénateur Stewart: Je n'ai pas d'objection à ce que vous le fassiez. C'est juste que je ne savais pas à quels documents vous faisiez référence.

M. Nelligan: Oui, c'est vrai. En fait, c'est ma dernière chance de m'adresser à un témoin qui pourrait nous aider concernant ces questions.

Pour commencer, M. Weston laissait entendre que le Cabinet... qu'il y avait des documents qui prévoyaient que les contribuables perdraient en fait des dizaines de millions de dollars par an en profits nets.

Savez-vous si de telles projections ont jamais été établies par les spécialistes affectés au dossier?

M. Shortliffe: Monsieur Nelligan, puis-je vous faire une suggestion...

M. Nelligan: Oui.

M. Shortliffe: ... qui je l'espère sera utile?

M. Nelligan: Oui.

M. Shortliffe: J'ai lu cet article ce matin. Je l'ai vu, je suppose... je pense qu'avant... bien avant le 7 octobre 1993, des fuites de documents avaient été constatées.

Or, quand il y a des fuites de documents, si ceux-ci ne sont pas reproduits dans leur intégralité, je ne les commente jamais, en qualité d'ancien greffier et haut fonctionnaire. Jamais. Parce que je ne sais pas de quoi il s'agit, je ne sais pas ce qu'ils contiennent. Je n'ai pas d'idée de ce dont le journaliste parle.

Et je dois dire, monsieur Nelligan, que de vouloir s'engager dans une discussion sur l'interprétation que donne un journaliste du dossier de l'aéroport Pearson, alors que vous avez entendu pendant trois mois les témoignages d'une foule de personnes ayant directement participé aux négociations ayant entouré les accords et à leur exécution, et que le dossier est maintenant très clair aux yeux du public, n'est pas utile, pour vous monsieur, ni pour le comité, ni pour moi, puisque je ne peux divulguer le contenu des documents du Cabinet.

M. Nelligan: Bon, permettez-moi de présenter les choses d'une autre façon et dans un contexte plus vaste. Comme vous êtes généralement au courant des témoignages qu'a entendus le comité, estimez-vous que certains spécialistes ou fonctionnaires qui connaissent le dossier et qui n'ont pas été appelés à témoigner devant le comité devraient être convoqués pour que nous ayons un tableau juste et complet de ce qui s'est en fait passé?

M. Shortliffe: Non, monsieur. Vous avez entendu les responsables clés du ministère des Transports. Vous avez entendu les responsables clés du Secrétariat du Conseil du Trésor. Vous avez entendu les responsables clés du Bureau du Conseil privé. Vous avez entendu les anciens négociateurs en chef... ceux qui font encore partie de la fonction publique et ceux d'entre nous qui n'en faisons plus partie. Non, je ne pense pas que vous ayez besoin de convoquer d'autres témoins.

M. Nelligan: À votre avis, est-ce que les témoignages qui ont été présentés au comité peuvent constituer de quelque façon que ce soit une mise en scène pour camoufler ce qui s'est réellement passé?

M. Shortliffe: Bien sûr que non. Bien sûr que non.

Le sénateur Tkachuk: Monsieur le conseiller juridique, ne s'agit-il pas du même journaliste qui a écrit l'article de 1993? N'a-t-il pas gagné un prix quelconque pour cette série d'articles?

M. Nelligan: Je n'en ai pas la moindre idée.

Le sénateur Tkachuk: Je pense que c'est lui. Je me demandais seulement s'il aurait pu être dans son intérêt de dire ce qu'il a dit, malgré tous les faits qui ont été présentés au comité.

Le président: Puis-je remercier le témoin? Merci beaucoup, monsieur Shortliffe d'avoir comparu de nouveau devant le comité et d'avoir été comme d'habitude très ouvert et obligeant.

M. Shortliffe: Merci, monsieur le président.

Le sénateur Kirby: Monsieur le président, j'aimerais poser une question. Demain nous commençons à 9 heures. L'horaire est-il le même qu'aujourd'hui, c'est-à-dire de 9 heures à midi et de 14 heures à 17 heures?

Le président: C'est exact.

La séance est levée.


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