Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Banques et du commerce
Fascicule 14 - Témoignages
OTTAWA, le mardi 26 novembre 1996
Le comité sénatorial permanent des banques et du commerce, à qui a été renvoyé le projet de loi C-5, Loi modifiant la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, la Loi sur les arrangements avec les créanciers et la Loi de l'impôt sur le revenu, se réunit aujourd'hui à 10 h 05 pour étudier le projet de loi.
Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Honorables sénateurs, nous entendrons aujourd'hui deux témoins qui comparaissent ensemble. De la Faculté de droit de l'Université de Toronto, nous accueillons Jacob Ziegel, professeur émérite; et d'Osgoode Hall, de l'Université York, Iain Ramsay, professeur de droit.
Sénateurs, vous avez devant vous deux mémoires, dont un de M. Ziegel. L'autre a été présenté par les professeurs Ziegel et Ramsay et d'autres collègues de Dalhousie, de l'Université de la Saskatchewan et de l'Université de la Colombie-Britannique. J'ai demandé aux deux témoins de nous donner les grandes lignes de leurs mémoires dans leur déclaration. Au lieu de traiter de ces documents dans l'ordre, les témoins nous feront une analyse générale de toutes les questions soulevées dans ces deux mémoires. Cela devrait leur prendre une vingtaine de minutes, après quoi nous discuterons des questions de politique qui auront été soulevées.
Je vous remercie beaucoup d'avoir pris le temps de venir nous voir aujourd'hui. Nous essaierons de vous laisser faire votre déclaration sans vous interrompre; mais ce n'est pas une pratique courante. Après votre déclaration, nous discuterons avec vous.
Veuillez procéder.
M. Jacob Ziegel, professeur émérite de droit, faculté de droit de l'Université de Toronto: Monsieur le président, honorables sénateurs, M. Ramsay et moi-même vous remercions de nous donner l'occasion de comparaître devant votre comité aujourd'hui, parce qu'il nous paraît important que vous entendiez des opinions indépendantes, bien que critiques, sur les dispositions du projet de loi C-5 concernant notamment les faillites de consommateurs.
Nous avons aussi été accueillis avec courtoisie par le comité de la Chambre des communes. Malheureusement, ce comité n'a pas réglé la plupart des problèmes que nous avons tenté de soulever et s'est contenté d'indiquer que certains d'entre eux méritaient qu'on les étudie plus à fond à une future occasion. Nous avons donc très hâte de tenter notre chance à nouveau, pour voir si nous pourrons persuader votre comité de régler certains de ces problèmes.
Honorables sénateurs, vous avez devant vous deux mémoires, comme l'a indiqué votre président. Le premier a été rédigé par moi-même, ainsi que par le professeur Ramsay, la professeure Elizabeth Edinger, de l'Université de la Colombie-Britannique, le professeur Ronald Cuming, de l'Université de la Saskatchewan, et le professeur Vaughan Black, de l'École de droit de l'Université Dalhousie. Le second présente mon point de vue personnel et porte sur d'autres aspects du projet de loi C-5. Après avoir présenté mon exposé, je demanderai, avec votre permission, au professeur Ramsay d'ajouter quelques observations personnelles.
Je traiterai d'abord du mémoire collectif, qui porte exclusivement sur les dispositions du projet de loi C-5 concernant les faillites de consommateurs. L'hypothèse fondamentale des modifications contenues dans ce projet de loi est que les faillites de consommateurs sont devenues un important phénomène juridique au Canada. Nous sommes tout à fait d'accord, mais nous tenons à ajouter qu'à notre avis, les problèmes économiques et sociaux à l'origine de l'insolvabilité sont au moins aussi importants que les conséquences juridiques.
Nous ne sommes pas du tout d'accord avec les rédacteurs du projet de loi C-5 quant aux causes de l'escalade des faillites de consommateurs. Le législateur semble croire qu'il y a escalade parce qu'il est devenu trop facile et trop attrayant de faire faillite et de se libérer de ses dettes, surtout depuis que la loi a été modifiée en 1992. Il propose donc dans le projet de loi C-5 de mettre en place une série de dispositions complexes, bureaucratiques et, à notre avis, coercitives, afin d'«encourager» un plus grand nombre de consommateurs insolvables à faire une proposition de consommateur aux termes de la section II de la partie III de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité.
Même si ces dispositions sont adoptées, nous ne croyons pas qu'elles auront l'effet escompté. Nous croyons que, selon toutes les données disponibles -- et nous en citons un grand nombre dans nos mémoires, la plupart d'entre elles tirées d'études parrainées par le gouvernement -- 90 p. 100 ou plus des consommateurs faillis sont désespérément insolvables, ont des actifs négligeables, vivent dans la pauvreté et ont vraiment peu de chances de pouvoir rembourser une partie importante de leurs dettes dans un délai raisonnable. Il y a évidemment des gens qui tentent d'exploiter les règles existantes à leur propre avantage, mais ils ne constituent pas la majorité des consommateurs faillis. Les études que nous citons montrent que les causes les plus fréquentes des faillites de consommateurs sont le chômage, la grande accessibilité du crédit à la consommation et l'incapacité de prévoir correctement ses dépenses. Le Parlement ne peut pas faire grand-chose à propos du chômage élevé et persistant. D'après les études commandées par le gouvernement, jusqu'au tiers des consommateurs faillis sont au chômage. À notre avis, le Parlement peut et devrait exprimer ses préoccupations à l'égard de l'abus de l'octroi du crédit et prendre les mesures qui s'imposent dans la Loi sur la faillite et l'insolvabilité.
À notre avis, l'habileté des consommateurs de prévoir correctement leurs dépenses est étroitement liée à la grande accessibilité du crédit, à tous les niveaux de revenu semble-t-il. Nous reproduisons à la page 32 de notre mémoire deux annonces publicitaires, prises au hasard, qui vantent le crédit. Elles pourraient être multipliées à l'infini et font bien ressortir ce problème.
Comment pouvons-nous nous attendre à ce que les consommateurs soient économes et prudents dans leurs dépenses quand toutes les annonces ne cessent de leur répéter qu'ils n'ont pas besoin d'attendre, que le produit ou le service qui leur fait envie ou encore le prêt qu'ils souhaitent leur est offert sur un plateau d'argent, souvent sans qu'ils aient à faire de paiement initial et à rembourser quoi que ce soit avant six mois ou plus.
Nous nous inquiétons vraiment, et à juste titre, de voir qu'aucune disposition du projet de loi C-5 ne règle ces problèmes et que les procès-verbaux du Groupe de travail no 1 du comité. consultatif sur la Loi de la faillite et de l'insolvabilité sont muets sur ces questions. La seule réponse que nous avons vue est l'insistance sur la nécessité des consultations concernant les dettes des consommateurs et l'exigence que ces consultations aient lieu avant que les consommateurs qui font faillite pour la première fois ne puissent se libérer de leurs dettes.
Nous ne nous opposons pas aux consultations. Au contraire. Nous croyons toutefois que ce serait une erreur de les rendre obligatoires quand on ne les impose pas pour les autres types de faillites ni aux dirigeants et aux cadres dont l'inexpérience ou le manque de compétence financière a entraîné la faillite de leur entreprise.
À la lumière de notre évaluation des problèmes actuels, nous faisons dans notre mémoire les recommandations suivantes:
Premièrement, les dispositions actuelles de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité permettant à un syndic de demander au tribunal d'établir le montant à verser, aux termes de l'article 68, et permettant au tribunal, aux termes de l'article 173, de suspendre la libération ou d'imposer un paiement ou d'autres conditions avant d'accorder la libération, sont fondées. Elles devraient demeurer. Nous ajouterions cependant une autre disposition, afin de permettre au tribunal de tenir compte de la nature des dettes du failli et de la mesure dans laquelle les créanciers ont pu contribuer aux problèmes financiers du débiteur.
Beaucoup semblent croire à tort que les modifications apportées en 1992 donnent le droit d'octroyer la libération à ceux qui en sont à leur première faillite. Ce n'est pas exact. Ce droit n'existe que si les créanciers, le syndic ou le surintendant des faillites n'y voient aucune objection. S'il arrive souvent que les créanciers n'ont pas d'objection, c'est parce qu'ils savent que la situation du failli est sans espoir ou qu'ils ne jugent pas utile de s'opposer.
Deuxièmement, il faudrait rendre les propositions de consommateur plus attrayantes pour les consommateurs qui peuvent en profiter, en leur offrant plus de carottes et moins de bâtons, en ajoutant quelques modifications aux dispositions relatives à ces propositions dans la LFI. Nous dressons une liste de nos recommandations dans notre mémoire, monsieur le président.
Troisièmement, pour simplifier l'administration des actifs de faillite peu importants, nous recommandons de doubler le plafond actuel concernant l'administration sommaire et de le porter de 5 000 $ à 10 000 $, sans déroger au pouvoir actuel de hausser ce plafond par décret en conseil.
Quatrièmement, nous soulignons la nécessité d'effectuer d'autres études et de mettre à jour les études existantes sur les faillites de consommateurs. Nous recommandons en particulier la mise à jour de l'étude Brighton-Connidis, une autre étude importante commandée par le gouvernement fédéral, dont il est question au paragraphe 32 de notre mémoire, à la page 30.
J'ajoute, monsieur le président, que notre mémoire ne traite pas des prêts aux étudiants pour deux raisons: premièrement, nous n'avons pas étudié la question avec assez de soin; deuxièmement, nous ne pensions pas posséder les compétences nécessaires pour apporter des éléments nouveaux à cette facette importante des faillites de consommateurs.
Dans mon mémoire personnel, je ne traite que des questions qui n'ont pas été abordées dans notre mémoire collectif.
Le projet de loi C-5 contient deux dispositions problématiques. La première porte sur le maintien de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies comme ensemble distinct de dispositions relatives aux réorganisations. La deuxième porte sur la nouvelle Partie XIII de la LFI, relative aux faillites internationales. Permettez-moi de glisser un mot sur ces deux faiblesses.
Le comité de la Chambre des communes qui a étudié le projet de loi C-22 en 1991 a recommandé très clairement -- et vous trouverez cette recommandation à la page 5 de mon mémoire -- que:
la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies soit abrogée dans les trois ans suivant l'entrée en vigueur des dispositions du projet de loi C-22 concernant les réorganisations commerciales.
Cette recommandation était très claire, sans équivoque, sans condition. Aucun événement en particulier n'était fixé comme condition de son application. Le comité de la Chambre des communes a fait reposer ses recommandations non seulement sur celles de comités précédents, notamment les comités consultatifs créés par un gouvernement précédent, mais aussi sur les recommandations des témoins qui avaient comparu devant lui.
On fait néanmoins fi de ces recommandations du comité de la Chambre des communes sans explication convaincante, si ce n'est que ceux qui travaillent dans ce domaine aiment pouvoir fonctionner dans le cadre d'une Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies tout à fait indépendante.
Je soutiens que, en théorie et en pratique, c'est mauvais; que les aspects positifs de cette loi -- sa souplesse, son contrôle judiciaire -- pourraient facilement être maintenus en ajoutant une nouvelle section 1A à la partie III de la LFI. Je trouve très préoccupant que cette possibilité n'ait jamais été envisagée ni discutée. Encore une fois, j'attribue ce silence au fait que les avocats les plus actifs dans le domaine ne voyaient simplement aucun intérêt à agir autrement.
Le rôle d'observateur impartial de la situation que devrait jouer le gouvernement devrait néanmoins le pousser à ne pas voir d'un si mauvais oeil l'intégration, dans la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, de toutes les dispositions régissant les faillites et les réorganisations.
Permettez-moi maintenant de passer à la Partie XIII concernant les faillites internationales. Les avocats canadiens s'efforcent depuis de nombreuses années de promouvoir une plus grande coopération entre les pays visés et une plus grande reconnaissance des faillites internationales dans ces pays.
Dès 1984, dans le projet de loi C-17, un membre très respecté du Barreau de l'Ontario -- en réalité, le plus grand expert canadien des faillites internationales -- avait rédigé à l'article 317 une série de dispositions très équilibrées, raisonnables et cohérentes. Ce n'est pas le cas de la Partie XIII. À mon avis, la Partie XIII est le fruit d'un groupe de pression puissant davantage intéressé à protéger certains intérêts qu'à faire adopter ce que je considère comme des dispositions cohérentes et équilibrées. Nous nous trouvons devant une série de dispositions ambiguës, voire opaques. Je les ai lues à maintes reprises. J'ai beaucoup de mal à saisir le sens de certaines dispositions clés.
Ainsi, un tribunal peut ordonner la saisie des biens au Canada par suite de procédures de faillite intentées à l'étranger. Mais on ne dit pas au tribunal ce qui doit arriver des biens après que l'ordonnance a été rendue. C'est un problème clé.
Je recommande au comité de rétablir les dispositions antérieures du projet de loi C-17, parce qu'elles sont plus claires et plus cohérentes. Je souligne que ces dispositions ne porteront pas préjudice aux créanciers canadiens. La décision sera laissée au juge, et il convient qu'il en soit ainsi.
À un troisième niveau, mon mémoire traite de quelques problèmes à résoudre -- de points importants à régler -- pour assurer l'intégrité et l'équilibre d'une législation moderne sur la faillite.
Le premier problème sous cette rubrique concerne la protection des salariés relativement à la rémunération non payée par un employeur en faillite. C'est une vieille histoire qui remonte à 1975 au Canada. Nous sommes en 1996 et le problème n'est toujours pas réglé. De nouvelles dispositions ont été proposées à ce sujet dans le projet de loi C-22 en 1991, mais divers intérêts s'y sont opposés pour une foule de mauvaises raisons. Au bout du compte, rien n'a changé en 1992. Le projet de loi C-5 contient des dispositions sur la protection des administrateurs, mais rien qui pourrait protéger correctement les salariés qui n'ont pas touché la rémunération due, si leur employeur fait faillite.
Je suis fermement convaincu -- et je ne suis pas un salarié, alors je peux être très objectif -- que certains des créanciers les plus vulnérables dans notre société ne sont pas protégés correctement par le projet de loi C-5.
Un autre problème à résoudre est celui des réclamations des fournisseurs impayés en cas de restructuration par le débiteur. Le projet de loi C-22 prévoyait ce qui semblait être une disposition vigoureuse en faveur de la protection des fournisseurs impayés, lorsque le débiteur déclare faillite dans les 30 jours suivant la livraison des marchandises. Malheureusement, même si cette disposition convient peut-être plus ou moins dans le cas d'une faillite simple, elle ne convient pas du tout en cas de réorganisation, parce que l'article 81.1 actuel prévoit clairement que le droit des fournisseurs de reprendre possession des marchandises impayées est suspendu lorsque l'acheteur entreprend des procédures de réorganisation. D'ailleurs, dans les cas critiques, un débiteur a toujours recours à la réorganisation lorsque ses fournisseurs impayés ont des créances importantes. C'est arrivé à maintes et maintes reprises. L'exemple par excellence est Woodwards Ltd.
Si le Parlement voulait vraiment protéger les fournisseurs impayés en 1992, il aurait dû donner suite à ses bonnes intentions en s'assurant que ce droit est aussi protégé lorsque le débiteur demande une réorganisation au lieu de simplement déclarer faillite. Aux pages 15 et 16 de mon mémoire, je fais une proposition précise et simple afin de rééquilibrer la situation.
Enfin, la dernière partie de mon mémoire porte sur la phase III du projet de loi modifiant la LFI. J'indique d'abord que le moment est venu d'achever le long processus de révision de la législation canadienne concernant la faillite. Ensuite, je fais quelques propositions précises concernant la façon d'organiser la phase II. S'il ne fait aucun doute que le gouvernement avait les meilleures intentions du monde en créant des groupes de travail et des comités consultatifs, en pratique, le processus comporte de nombreuses lacunes, et je fais quelques suggestions sur la façon d'y remédier lorsque les travaux concernant la Partie III commenceront.
Avec votre indulgence, je demanderais maintenant au professeur Ramsay de vous adresser la parole.
M. Iain Ramsay, professeur de droit, Osgoode Hall, Université York: Je me concentrerai sur les faillites de consommateurs.
L'élaboration de politiques relatives à la faillite personnelle devrait reposer sur les hypothèses concernant les personnes visées par ce processus. Ces hypothèses devraient se fonder sur la norme plutôt que sur l'exception, sur la norme qui découle d'une connaissance systématique plutôt que non scientifique du régime.
On pourrait définir trois types hypothétiques de consommateurs débiteurs ayant recours au régime de la faillite: l'infortuné, dont la situation a changé, souvent pour des motifs qui ne dépendent pas de lui, comme l'interruption du revenu; le profiteur amoral, qui essaie de profiter le plus du système et qui se sert de la faillite pour éviter de payer ses dettes; et enfin, l'incapable, un terme que je n'aime pas beaucoup, mais qui décrit la personne qui déclare faillite à cause de faiblesses personnelles, comme l'incapacité de gérer ses finances.
De nombreux indices démontrent que l'infortuné est la norme au Canada, bien que les preuves concrètes soient encore limitées. Il y a évidemment des gens qui ont compté beaucoup trop sur le crédit, mais ils sont souvent imprudents plutôt qu'irresponsables. Il y a aussi une minorité de profiteurs amoraux. Ce qui m'inquiète, c'est que les réformes actuelles et la loi de 1992 ont tendance à considérer le failli comme un profiteur amoral ou un incapable. Cette dernière conception du failli se traduit dans l'importance accordée aux consultations. Imposer des consultations repose sur l'hypothèse que les débiteurs sont irresponsables ou incapables. Les instructions relatives aux consultations stipulent que ces consultations visent à aider les débiteurs à adopter une attitude plus responsable à l'égard des questions financières et à éviter de faire faillite à nouveau. Même si les consultations sont une solution utile pour ceux qui croient pouvoir en profiter, nous ne savons pas trop pourquoi elles devraient être obligatoires pour les nombreux faillis infortunés ou pour ceux dont la faillite est liée à une entreprise insolvable, mais qui décident de déclarer faillite personnellement.
Les dispositions détaillées du projet de loi visant à recouvrer le revenu excédentaire et à pousser les consommateurs à faire une proposition plutôt qu'à déclarer faillite supposent deux choses: premièrement, que les débiteurs ne contribuent pas suffisamment à leur actif de faillite et, deuxièmement, que ceux qui peuvent rembourser une partie importante de leurs dettes choisissent la faillite plutôt que de proposer le remboursement de leurs dettes. On suppose donc que ces personnes essaient de manipuler le système lorsqu'elles déclarent faillite plutôt que de choisir une proposition.
Peu d'indices concrets appuient cette hypothèse. Les statistiques établies par le bureau des faillites indiquent que plus de 56 p. 100 des faillis n'ont pas de revenu excédentaire et que plus de 80 p. 100 d'entre eux ont moins de 200 $ par mois. De plus, la législation canadienne actuelle prévoit déjà des dispositions généreuses pour les personnes qui ont un revenu excédentaire important. Ces personnes sont souvent confrontées à une libération conditionnelle, à cause de l'opposition du syndic ou des créanciers.
Il y aura toujours, c'est certain, des gens qui profitent du système, mais les propositions actuelles concernant le revenu excédentaire sont lourdes et pourraient être un moyen coûteux d'améliorer les statistiques sur les faillites. La recherche d'un revenu excédentaire devrait être équilibrée avec la notion moderne du nouveau départ pour le failli. Réduire les fruits du capital humain d'un débiteur incite moins à travailler. Rappelons-nous que nous ne tentons pas de punir ceux qui déclarent faillite.
Il y a aussi un danger que les réformes proposées ne découragent simplement les gens à déclarer faillite. Il y a peut-être des coûts sociaux à la faillite, parce que les créanciers ne seront pas remboursés et le problème de l'endettement exagéré n'est peut-être pas réglé. Les gens perdent le désir de travailler, sont stressés, leurs relations familiales sont tendues ou éclatent et ils sont incités à adopter un comportement déviant, en ce sens qu'ils sont poussés à ne pas rembourser leurs dettes et à travailler dans l'économie souterraine.
Les propositions relatives au revenu excédentaire permettent encore l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire important de la part des créanciers, du syndic et du séquestre officiel. Autrement dit, il y a peu de chances qu'elles uniformisent ou rationalisent complètement le processus, réduisent les coûts, ou mettent tous les débiteurs sur un pied d'égalité. De plus, l'autre mécanisme de règlement des différends que constitue la médiation pourrait accroître les coûts du processus au lieu de les réduire.
Le modèle de la faillite moderne devrait être un processus simplifié reposant sur des règles limpides. Les faillites devraient être réglées rapidement, avec un minimum de paperasserie, mais il devrait y avoir des vérifications au hasard, comme le prévoit la Loi de l'impôt sur le revenu.
En ce qui concerne les propositions, il faudrait accroître les encouragements à payer, trop peu nombreux actuellement. Il y a actuellement peu de différence, par exemple, entre la cote de crédit liée à une faillite et à une proposition. Il y a peu de possibilités que les propositions de consommateurs s'appliquent aux créanciers garantis, tandis que ces possibilités existent pour les propositions commerciales.
En conclusion, il est malheureux que, ni dans le cadre de la loi de 1992 ni dans celui des modifications actuelles, on ne tente vraiment de repenser systématiquement le rôle des faillites de consommateurs dans l'économie contemporaine. Ainsi, une étude américaine récente attirait l'attention sur la position périlleuse des femmes qui ont déclaré faillite. Les auteurs indiquaient que les conditions économiques dans lesquelles vivent les femmes étaient les pires qu'ils avaient jamais vues. Nous savons que 40 p. 100 des faillis canadiens sont des femmes, mais nous n'avons pas de données empiriques sur leur situation socio-économique lorsqu'elles déclarent faillite.
Aucune étude empirique n'a été réalisée en 1992 et, même si quelques analyses limitées semblent avoir été effectuées par le surintendant pour étayer les modifications actuelles, il semble qu'elles aient eu peu d'effets sur l'élaboration des politiques. Autrement dit, on ne semble pas avoir tenté sérieusement d'évaluer objectivement les répercussions de la loi de 1992.
Ainsi, on n'a pas tenté de déterminer l'incidence systématique de la hausse des taux de faillite sur l'octroi du crédit. C'est une question complexe, mais nous ne savons rien de ces répercussions. À ma connaissance, aucune analyse des coûts et des avantages des nouvelles propositions de médiation n'a été effectuée.
Je me trompe peut-être et les propositions fonctionneront peut-être, mais si elles fonctionnent, ce sera par accident plutôt qu'en raison d'une analyse systématique.
Le président: Monsieur Ramsay, vous semblez lire un texte. Si tel est le cas, pourrions-nous en obtenir copie?
M. Ramsay: Je vous en enverrai copie.
Le président: Merci. Ce serait utile.
Monsieur Ramsay, dans vos déclarations, je crois que vous et le professeur Ziegel avez évoqué l'hypothèse que le crédit est facile à obtenir. Vous donnez des exemples de publicité à la fin de votre mémoire et déclarez que ce pourrait être une cause des faillites. Les gens qui accordent du crédit trop facilement devraient donc assumer une part de la responsabilité de la faillite. J'ai une question philosophique pour vous, et je signale en passant que, si l'un ou l'autre d'entre vous veut répondre à une question, vous devez vous sentir libre de le faire.
Votre raisonnement repose sur l'hypothèse suivante: les créanciers ou les gouvernements, par l'entremise de leurs lois, devraient protéger en partie les gens contre eux-mêmes. Du point de vue politique, idéologique, en est-il vraiment ainsi? J'accepte le fait qu'il y a 50 ans, les gouvernements essayaient de nous protéger de tout. C'est pour cette raison qu'il y a eu la prohibition et diverses autres lois.
Est-ce vraiment une position philosophique que vous adoptez à la fin des années 90? Dans l'affirmative, je serais heureux d'en débattre avec vous. Il est important de comprendre si l'un de vos principes fondamentaux repose sur l'idée que le gouvernement devrait protéger les gens contre eux-mêmes.
M. Ziegel: Premièrement, j'attire votre attention sur le graphique qui se trouve à la page 17 de la version anglaise de notre mémoire collectif. Nous démontnrons la forte corrélation entre la croissance des faillites de consommateurs et la croissance du crédit à la consommation.
Le président: Je ne le nie pas.
M. Ziegel: Très bien. Rappelez-vous que la LFI est ce que vous qualifiez de lois des gouvernements. La question qui se pose est si le gouvernement devrait exercer tout le poids dont il est capable pour rendre la vie encore plus misérable aux consommateurs faillis. Je pense que non. Ce projet de loi transforme les lois du gouvernement en un service de recouvrement pour les créanciers.
Si les créanciers y trouvent leur compte en accordant du crédit à la consommation de cette ampleur et en rendant le crédit si facile d'accès, et ils y trouvent évidemment leur compte actuellement parce que l'encours du crédit à la consommation au Canada dépasse 120 milliards de dollars, alors ils doivent aussi assumer les risques qui en découlent. Ils le font, c'est sûr. Les grandes agences de crédit ont une bonne idée des risques, des taux de défaillance et des pertes, et elles modifient les frais qu'elles exigent en conséquence. Nous ne voyons donc pas pourquoi le projet de loi C-5 devrait être au service du secteur du crédit.
Le président: Vous ne contestez donc pas ma position philosophique. Votre argument est simplement que, tout comme il faut être prudent face à l'acheteur, il faut aussi être prudent face à celui qui octroie du crédit et, dans cette mesure, le projet de loi penche trop en faveur de ceux qui prêtent de l'argent et réduit donc exagérément leurs risques.
M. Ziegel: Il y a des dispositions très bureaucratiques et coercitives dans le projet de loi C-5. Sans aucune raison justifiée, ces dispositions contournent les mécanismes judiciaires prévus dans la loi actuelle et qui ne parviendront pas aux buts escomptés. Cela explique en partie nos préoccupations philosophiques et pratiques. Comme l'a si bien fait remarquer mon collègue, ces dispositions complexes ne sont pas étayées par des analyses empiriques. Toutes les études empiriques qui ont été réalisées, y compris celles qui ont été commandées par le gouvernement fédéral lui-même, démontrent exactement le contraire. Ce sera un exercice futile, qui entraînera beaucoup de paperasserie, sans donner grand résultat.
M. Ramsay: L'aspect fondamental est que l'octroi de crédit par les grandes institutions se fait globalement. En gros, les institutions calculent un certain ratio de créances irrécouvrables. Elles le font globalement, plutôt qu'individuellement. Notre argument est que la faillite est un fait accepté dans l'économie du crédit et qu'elle devrait être considérée globalement elle aussi, en ce sens que la radiation de dettes devrait s'effectuer relativement simplement plutôt qu'en appliquant ce régime complexe, individualisé, qui pourrait bien coûter très cher.
N'oubliez pas que les créanciers eux-mêmes ont leurs propres sanctions. Ils se servent des cotes de crédit et ont beaucoup d'information qui leur permet de pénaliser les mauvais payeurs. Pour en rester au niveau philosophique, la faillite fait partie du système. Considérons-la dans une perspective globale, de la même façon que les créanciers envisagent l'octroi de prêts, en fonction d'agrégats et de calculs actuariels.
Le président: Je dois vous poser une autre question. L'octroi de crédit est une question statistique. On peut comprendre l'utilisation d'un agrégat pour déterminer la probabilité et le risque, afin de prendre des décisions collectives. Mais la faillite est une question individuelle. Si vous prêtez de l'argent à 1 000 personnes et que quatre d'entre elles déclarent faillite, se sont quatre personnes distinctes. Il n'y a pas un groupe de 1 000 personnes dans cette situation. Je ne sais pas comment vous pouvez évaluer une faillite au niveau collectif, même si je comprends très bien comment on évalue le risque statistiquement au niveau collectif.
M. Ramsay: Les personnes qui déclarent faillite ont rarement des revenus excédentaires. Ce que nous soutenons, c'est que la faillite devrait être considérée au niveau global. Il faudrait un processus simple pour permettre au débiteur de faire radier ses dettes et de recommencer à neuf. Les modifications ont tendance à rendre le processus plus complexe en tentant d'individualiser la faillite et de trouver des personnes ayant un léger revenu excédentaire. L'argument est que le coût de cette mesure dépasse largement les avantages.
Au début, vous avez soulevé avec M. Ziegel la question de la réglementation du crédit et de l'attitude paternaliste. Il pourrait exister deux attitudes simples face au crédit à la consommation. Si cela vous inquiète, vous pourriez tenter de réglementer le comportement du débiteur ou celui du créancier.
En ce qui concerne la réglementation du comportement du débiteur, notamment en fournissant certains renseignements aux créanciers, plusieurs études économiques indiquent que les gens sous-estiment systématiquement la probabilité de faire défaut. Il est difficile d'empêcher les gens de recourir au crédit. Les autres facteurs macro-économiques, notamment le chômage, augmentent les risques de défaut. Il est difficile d'empêcher les faillites en modifiant le comportement des débiteurs. Vous pourriez toutefois tenter de modifier le comportement des créanciers en limitant l'encours du crédit. Ce serait une tâche difficile et les créanciers trouveraient toutes sortes de moyens de contourner la difficulté. Ce serait peut-être possible, mais je ne pense pas que ce serait acceptable politiquement. Vous pourriez peut-être conclure alors que, si vous ne pouvez pas empêcher ces risques, la faillite est une façon de protéger les gens qui ont commis systématiquement des erreurs ou qui se retrouvent souvent dans des situations qui ne dépendent vraiment pas d'eux, notamment le chômage.
Le sénateur St. Germain: Préconisez-vous, messieurs, que nous régissions le comportement?
M. Ramsay: Non, au contraire.
Le sénateur St. Germain: J'essaie de lire entre les lignes pour vous comprendre. Vous ne dites jamais que les individus devraient assumer une responsabilité. Je ne prétends pas que les créanciers ne sont pas responsables en partie, comme vous l'avez fait ressortir par les annonces que vous avez reproduites dans votre mémoire, mais vous n'avez jamais parlé d'éducation du consommateur, qui me paraît essentielle. Big Brother s'immisce souvent dans nos affaires, mais il le fait à moitié plutôt que de s'attaquer à la racine du problème. J'aimerais que vous me disiez ce que vous en pensez.
Je ne crois pas que nous puissions, de quelque façon que ce soit, régir le comportement, et aucun autre organisme non plus. En tant que société, nous avons anesthésié les citoyens et les avons laissés dans un état d'optimisme béat. Mais cela nous retombe dessus maintenant. Nous avons dû réduire certains de nos programmes sociaux. Les gens n'assument pas toujours leurs responsabilités comme ils le devraient. Et je ne me dis pas cela pour minimiser la responsabilité des débiteurs.
M. Ziegel: Nous ne demandons pas qu'on régisse le comportement des débiteurs. Sauf votre respect, je crois que les pistes sont un peu en train de se brouiller. Il est question des mesures à prendre au sujet de personnes criblées de dettes.
Il y a des statistiques très détaillées dans notre mémoire. Ce devrait être notre point de départ. Nous devrions commencer par des études empiriques bien acceptées. La question qui se pose est la suivante: que devrions-nous faire avec ceux qui sont endettés jusqu'au cou, qui vivent dans la pauvreté et qui ne seront pas en mesure de rembourser leurs dettes même si nous leur donnons cinq ans ou plus? Voilà la question fondamentale.
Sommes-nous en faveur de l'éducation? Évidemment. Mais pourquoi ces gens sont-ils endettés jusqu'au cou? Il ne s'agit pas d'un groupe marginal, monsieur le président. Il y a eu 75 000 faillites de consommateurs cette année au Canada. Il y en a eu près de 66 000 l'an dernier. Le nombre de faillites de consommateurs a triplé entre 1985 et 1995. Le graphique que j'ai évoqué il y a un moment montre la croissance des faillites de consommateurs. Ce n'est pas un phénomène récent, mais il est lié de près à la croissance du crédit à la consommation. Nous devrions nous préoccuper de l'incidence de ce que je considère comme le plus important facteur de cette croissance phénoménale des faillites de consommateurs. On dirait qu'il y a une contradiction fondamentale entre le fait d'affirmer que le consommateur devrait être plus sensibilisé et plus sûr de lui et la constatation que, tous les jours, on l'incite à dépenser davantage parce qu'il n'est pas obligé de payer immédiatement.
Le sénateur Oliver: J'ai quelques questions au sujet de la politique publique. J'aimerais avoir votre opinion à ce sujet. La première question porte sur la disposition concernant la protection des salariés relativement à la rémunération non payée par un employeur en faillite. J'ai écouté avec intérêt vos observations à ce sujet. Vous avez déclaré que nous avons eu 21 ans pour régler ce problème, or le Parlement du Canada n'apporte pas une bonne solution dans le projet de loi C-5. Vous préconisez également de modifier le régime d'assurance-chômage. Je me demande si une cotisation de 10 cents par semaine versée par tous les employés au Canada est la bonne façon de régler le problème des employeurs incapables de payer leurs employés. Est-ce une bonne politique publique pour le Canada?
M. Ziegel: Nous parlons d'un mécanisme d'assurance. Il en existe bien d'autres.
Le sénateur Oliver: L'assurance financée par cotisations était la première solution, mais votre deuxième solution serait une modification de l'assurance-chômage.
M. Ziegel: Il ne faudrait pas nécessairement que seuls les employés versent une cotisation. Il pourrait s'agir d'une cotisation des employés et des employeurs ou uniquement des employeurs. Je reprends simplement la proposition faite dans le projet C-22 en 1991. Cette recommandation avait été faite également par un comité de haut niveau qui s'était penché sur la question dans les années 80. Ce régime a été adopté dans de nombreux pays européens. Ma recommandation n'est pas nouvelle ni unique en son genre.
Le sénateur Oliver: Recommanderiez-vous une cotisation des employeurs?
M. Ziegel: Oui, je recommanderais une cotisation des employeurs ou des employés. Ce pourrait être l'un ou l'autre. Je préférerais que les employeurs la paient, mais il serait juste qu'elle s'applique aux employeurs et aux employés.
En dollars de 1991, c'est une question de sous par rapport à la plupart des cotisations des employés et des employeurs. Le point de départ est la question suivante: y a-t-il un problème? Évidemment, s'il n'y a pas de problème, il n'y a pas lieu de s'inquiéter.
Mais il n'est pas question d'un seul employeur, sénateur. Il y a au moins 14 000 faillites commerciales par année et un grand nombre d'entreprises qui ne déclarent jamais faillite légalement mais qui ne réussissent tout de même pas à payer leurs employés. D'ailleurs, s'il n'y avait pas de problème, les administrateurs ne se plaindraient pas du fait qu'ils sont tenus personnellement responsables des salaires impayés. Il y a évidemment un problème. Votre comité en est conscient parce qu'il a recommandé des modifications à la Loi sur les sociétés par actions afin de dégager les administrateurs de cette responsabilité personnelle s'ils n'ont pas agi avec négligence. Je suis d'accord, à condition qu'on prenne les mesures qui s'imposent pour protéger les salariés relativement à la rémunération non payée par un employeur en faillite.
Le sénateur Oliver: Pouvons-nous faire quelque chose dans le cadre de ce projet de loi plutôt que de recourir à la Loi sur l'assurance-chômage ou à un régime d'assurance obligatoire pour résoudre le problème? Autrement dit, que recommanderiez-vous au sujet des créances garanties pour protéger les salaires des travailleurs dans ce projet de loi?
M. Ziegel: C'est un serpent qui se mord la queue, sénateur, parce que si vous élevez le statut des créances des salariés impayés, vous le faites aux dépens d'autres groupes. Nous jouons ce jeu de saute-mouton depuis de nombreuses années, sans résultats satisfaisants.
Le sénateur Oliver: Quelle priorité préconisez-vous?
M. Ziegel: Certains ont proposé de temps en temps que les créances des salariés se situent au niveau le plus élevé dans les faillites. D'autres groupes de créanciers, dont les banques, s'y sont vivement opposés, soutenant que cela minerait le processus d'octroi du crédit aux entreprises. Les banques ont indiqué qu'elles préfèrent un mécanisme d'assurance, mais, malheureusement, elles n'ont pas insisté, parce qu'elles ne se soucient pas assez des salariés impayés. C'est le noeud du problème. Tout le monde reconnaît l'existence du problème, mais personne n'est assez engagé pour essayer de le régler.
Le sénateur Oliver: Monsieur Ramsay, dans votre mémoire, vous ne mâchez pas vos mots au sujet des consultations obligatoires prévues dans le projet de loi. Vous affirmez que faire des consultations une condition préalable de la libération automatique du failli est discriminatoire et contestable en principe et ajoutez que cela ne donne aucun résultat en pratique. Par contre, M. Ziegel a déclaré que vous ne vous opposez pas aux services de consultation. À quoi vous opposez-vous? Vous opposez-vous simplement au fait que les consultations soient obligatoires?
M. Ramsay: Je n'ai pas écrit cela. M. Ziegel a écrit ces mots.
Ma principale préoccupation en ce qui concerne les consultations est que je ne m'oppose évidemment pas aux consultations volontaires, mais que je vois mal pourquoi elles seraient obligatoires dans le cadre du processus de libération d'un failli consommateur. On offre des consultations parce qu'on présume que les gens qui déclarent faillite en ont besoin. Mais, dans la mesure où les données empiriques limitées semblent démontrer que la cause normale des faillites de consommateurs est le fait que la situation du consommateur a changé, il n'est pas évident que les faillis ont nécessairement fait un usage irresponsable du crédit. Ils ont simplement un niveau d'endettement relativement élevé. Leur situation a changé et ils ne peuvent pas revenir à la situation normale dans laquelle ils se trouvaient auparavant. Ils ont donc dû déclarer faillite. Il y a en outre une très forte minorité de faillites personnelles liées à des entreprises -- à cause, par exemple, des garanties données pour de petites entreprises.
Le sénateur Oliver: Notamment lorsqu'on devient chômeur par suite d'une réduction des effectifs.
M. Ramsay: Dans ces cas, les raisons pour lesquelles il faudrait des consultations obligatoires ne sont pas claires, parce que les consultations sont une réaction aux problèmes du crédit irresponsable. Autrement dit, on pourrait l'offrir. Les faillis en voudraient peut-être. Mais je ne vois pas trop pourquoi les consultations devraient être obligatoires et pourquoi on voudrait accroître ainsi les coûts de la faillite. Les consultations coûtent habituellement 85 $ la séance et il faut deux séances.
Je me fais donc l'écho de M. Ziegel, qui trouve que les consultations ont du bon, mais qui se demande pourquoi nous en faisons une exigence obligatoire du processus de faillite.
M. Ziegel: M. Ramsay a raison. Je suis responsable de ce passage. Le sénateur a raison lui aussi, nous ne mâchons pas nos mots. Je ne présente pas d'excuses. C'est un autre exemple de loi clairement discriminatoire.
Le projet de loi C-22, tel que rédigé au départ, ne prévoyait pas de consultations obligatoires. Les consultations restaient volontaires. Cette disposition a été changée après les travaux en comité, parce que des groupes de créanciers ont exercé des pressions en ce sens. On n'a jamais réfléchi à toutes les conséquences.
Tous les pays occidentaux ont une forme quelconque de loi sur la faillite des consommateurs. Le Canada est le seul pays occidental qui rend les consultations obligatoires. C'est un placebo. Nous prétendons que c'est bon pour leur âme. Nous prétendons qu'il existe des faillis consommateurs fourbes, qui ont manigancé pour déjouer leurs créanciers, et que, lorsqu'ils déclarent faillite, nous pouvons tout au moins essayer de sauver leur âme.
Nous n'examinons pas ce qu'ont fait les créanciers. Il n'y a à ma connaissance aucune exigence législative pour s'assurer qu'on enseigne aux créanciers les bonnes façons de donner du crédit. Au contraire. Les créanciers peuvent faire de la publicité au maximum pour encourager les gens à s'endetter. Mais lorsque les personnes à qui s'adressent tous les jours cette publicité et ces flatteries acceptent ces offres, alors nous disons qu'il faut les éduquer. On s'y prend à l'envers.
Nous soutenons que si vous imposez des exigences obligatoires à un groupe, il faut le faire pour les autres. Des centaines d'entreprises déclarent faillite tous les ans. Pourquoi ne pas les assujettir à une forme d'éducation reliée à leurs responsabilités à titre d'exploitants des entreprises?
Comme l'a déclaré mon collègue, examinez les faillites de consommateurs dans leur ensemble. Examinez les causes des faillites. Que direz-vous aux 30 p. 100 de faillis qui sont sans emploi? Qu'ils ne devraient pas perdre leur emploi? Cela me semble indéfendable. Est-il plausible de dire à quelqu'un: «Votre revenu est passé de 50 000 $ à 20 000 $; vous avez maintenant du mal à effectuer vos versements hypothécaires, alors nous allons vous apprendre comment vous pouvez prévenir ces revers de fortune»?
Il me semble que l'éducation n'est pas la bonne solution dans ce domaine. Des malheurs se sont simplement abattus sur le consommateur. Mais si nous décidons qu'une forme de consultation devrait être obligatoire, il faudrait la cibler beaucoup mieux qu'actuellement. Nous nous servons des consultations obligatoires pour nous donner bonne conscience, pour ne pas voir que l'une des grandes causes de l'escalade des faillites est le lien étroit qui existe avec le volume du crédit à la consommation.
Le sénateur St. Germain: Nous vivons dans un pays où il est permis de diverger d'opinion. Quand j'ai parlé d'éducation, je ne faisais pas allusion aux consultations, mais plutôt à une éducation dans nos systèmes d'enseignement afin de prévenir le problème. Après coup, cela ne donne rien d'essayer de conseiller les gens.
Avez-vous effectué des études sur les cartes de crédit? Les cartes de crédit semblent nous rendre la vie très facile, mais dans quelle mesure les taux d'intérêt élevés qui y sont rattachés influencent-ils les faillites personnelles? Les taux exorbitants que nos grandes institutions financières exigent et la facilité avec laquelle elles offrent du crédit sont un problème qu'elles devraient résoudre.
Je me souviens, il y a des années, quand on allait à la banque pour demander un prêt -- disons un prêt de 100 000 $ pour construire des maisons -- il n'y avait pas de prime, pas de commission d'intermédiaire ni de frais d'administration. À l'époque, les individus qui prêtaient de l'argent étaient traités d'usuriers par les banques, parce qu'ils exigeaient des primes et des paiements libératoires, et cetera. Mais c'est exactement ce que font les institutions financières de nos jours. Il est impossible actuellement d'obtenir un prêt d'une institution financière sans verser une prime, un paiement libératoire ou des frais d'administration.
Quelles études avez-vous faites? Avez-vous des données sur le lien entre les taux d'intérêt extrêmement élevés qui sont exigés sur les cartes de crédit et les faillites personnelles?
M. Ziegel: Je n'ai pas fait d'études, pas récemment en tous cas. Certaines statistiques révèlent que les émetteurs de cartes de crédit dominent sur les listes des créanciers des consommateurs faillis.
Les taux d'intérêt élevés sur les cartes de crédit jouent-ils un rôle? Bien sûr que oui. Cela soulève une toute autre question, soit l'effet cumulatif des taux d'intérêt élevés sur l'endettement. Le sénateur a tout à fait raison. Si un consommateur paie 30 p. 100 d'intérêt sur une carte de crédit, et plusieurs cartes de crédit exigent ces taux d'intérêt élevés, et si le débiteur commence à prendre du retard dans ses paiements, ces 30 p. 100 composés sur quelques années peuvent facilement doubler la dette et donc alourdir grandement le fardeau de la dette du consommateur.
M. Ramsay veut peut-être compléter mes observations à ce sujet.
M. Ramsay: Je ne crois pas qu'il y ait d'étude précise sur l'incidence des cartes de crédit sur les faillites. Les cartes de crédit sont évidemment une forme importante de crédit non garanti pour des gens qui ne sont pas toujours capables d'emprunter auprès d'autres institutions financières.
Il se peut qu'une carte de crédit permette à certaines personnes de traverser une période difficile parce qu'elles peuvent emprunter sur leur carte. Il faut évidemment payer un taux d'intérêt élevé. Il y a quelques statistiques, je ne les ai pas sous les yeux, mais j'ai obtenu quelques statistiques auprès du bureau des faillites. Ainsi, le montant moyen de la dette sur carte de crédit lors d'une faillite personnelle est d'environ 4 000 $. Je ne me fie pas trop à cette statistique, mais il est certain que ceux qui déclarent faillite ne doivent pas tous de l'argent sur une carte de crédit. Je ne connais pas trop les statistiques précises. Plus de la moitié ont une dette sur carte de crédit, mais pas tous.
Il est difficile d'établir un lien entre une dette élevée sur carte de crédit et les faillites. Il faudrait définir le champ d'étude avec précision. Si vous voulez étudier ce qui provoque la faillite, je ne suis pas certain qu'une lourde dette sur carte de crédit accule nécessairement à la faillite. Il est évident que ceux qui empruntent sur carte de crédit paient des taux d'intérêt élevés. Cela ne fait aucun doute.
Le sénateur St. Germain: Corrigez-moi si j'ai tort, mais d'après vos connaissances et vos études sur la question, convenez-vous que bien des gens qui se sentent au bord de la ruine empruntent au maximum sur leurs cartes parce qu'ils se savent condamnés de toute façon? Il me semble que c'est un problème. J'ai peut-être complètement tort, mais je connais des gens sur le point de faire faillite qui ont emprunté au maximum sur leurs cartes. Ils se disaient qu'ils allaient déclarer faillite, alors aussi bien le faire pour la peine.
M. Ramsay: Il faut toujours se demander, en statistique, si les cas individuels que l'on connaît constituent la norme.
Le sénateur St. Germain: Je le sais.
M. Ramsay: De plus, comment interpréter le fait que quelqu'un a une dette élevée sur carte de crédit? Il se peut bien en effet que les gens en profitent pour utiliser la carte au maximum, mais je ne sais pas si c'est systématique. Il se pourrait bien que ces gens essaient simplement de vivre au jour le jour, à l'aide de leur carte de crédit. Il est difficile de savoir ce que veut dire un endettement élevé sur carte de crédit. Ils se servent peut-être de leur carte pour financer leur entreprise.
Le sénateur St. Germain: Monsieur Ziegel, en ce qui concerne les primes d'assurance-chômage comme forme d'assurance remplaçant la responsabilité des administrateurs, au lieu que les administrateurs soient responsables des salaires impayés, nous sommes confrontés actuellement au problème de Canadien. Tous les administrateurs ont démissionné. Il y aura certainement des répercussions sur les réservations et sur le fonctionnement quotidien ainsi que sur le redressement éventuel de ce grand transporteur canadien. Connaissez-vous d'autres solutions qu'une charge sociale? Comme vous le savez, plusieurs experts affirment que les charges sociales sont régressives parce qu'elles découragent les gens qui veulent lancer une entreprise, parce qu'elles sont une autre forme d'impôt direct. Connaissez-vous une autre façon de s'attaquer à ce problème?
La responsabilité des administrateurs est un grand problème, et nous devons le résoudre. Quand un conseil d'administration de cette importance démissionne pour ne pas assumer la responsabilité des salaires impayés, c'est grave.
M. Ziegel: Je souligne une fois de plus que si la responsabilité personnelle des administrateurs est un problème brûlant d'actualité, c'est précisément parce que les salaires impayés sont un problème brûlant d'actualité. Ce devrait être le point de départ de nos préoccupations. Comment résoudre le problème? Comme je l'ai déjà indiqué, au fil des années diverses solutions ont été proposées, mais les deux seules solutions viables consistent à accorder un statut prioritaire aux salaires impayés ou à mettre sur pied un mécanisme d'assurance.
Les créanciers garantis et les créanciers en général sont très opposés à l'idée d'une créance prioritaire sur toutes les autres, parce que cela perturbe la répartition des fonds en cas de faillite commerciale. La plupart des créanciers soutiennent, et je partage leur avis, que notre structure des priorités est déjà extrêmement complexe et le devient de plus en plus chaque année parce que chaque groupe de créanciers veut un traitement spécial.
Le projet de loi C-5 a pris un groupe de créanciers -- les conjoints et les enfants qui ont droit à une pension alimentaire -- et lui a accordé un statut prioritaire. C'est ce que j'ai qualifié de serpent qui se mord la queue. Un groupe tente de sauter par-dessus les autres afin d'obtenir que sa créance soit prioritaire sur toutes les autres. Si vous éliminez la possibilité de créer une autre forme de créance prioritaire sur toutes les autres, la seule autre solution que je vois, c'est une forme d'assurance.
Je ne suis pas d'accord avec votre argument. Ce n'est pas vraiment une taxe. C'est une prime. Nous en versons tous les jours pour toutes sortes d'assurances: assurance-vie, assurance-automobile, assurance risques divers. Je n'ai jamais entendu quelqu'un considérer une police d'assurance comme une taxe régressive. Les compagnies d'assurance seraient consternées d'apprendre que leurs activités sont décrites de cette façon. Rappelez-vous que l'assurance-chômage elle-même est une forme d'assurance. C'est simplement un argument intéressé de la part de ceux qui n'ont pas vraiment réfléchi au problème des salaires impayés.
Souvenez-vous que, de nos jours, presque n'importe quelle entreprise du pays peut être acculée à la faillite, sauf peut-être les banques. Au cours des 15 dernières années, un grand nombre d'institutions financières ont déclaré faillite au Canada, et elles devaient sans doute de fortes sommes à leurs employés. Nous sommes confrontés à un problème généralisé.
Je n'aurais aucune hésitation à intégrer un mécanisme d'assurance au régime d'assurance-chômage. Les coûts et les perturbations seraient minimes par rapport aux autres solutions qui ont été envisagées au fil des années.
Le sénateur Meighen: Ma question s'adresse aux deux témoins. En l'absence des changements que vous proposez, ce projet de loi présente-t-il des faiblesses profondes?
M. Ziegel: À certains égards importants, oui. Je suis désolé de le dire, mais je le crois sincèrement et j'ai participé à deux des groupes de travail dont les travaux ont mené au projet de loi. J'ai fait connaître mon opinion à ce moment-là, alors je ne suis pas incohérent.
J'ai de graves préoccupations, et je les ai exprimées non seulement dans ce mémoire mais ailleurs également. Je crains que le processus de rédaction du projet de loi n'ait pas été équilibré. Certains groupes ont reçu une oreille plus attentive que d'autres. Je souligne que je n'accuse personne de mauvaise foi. Ce n'est pas une question de mauvaise foi. Chaque partie intéressée cherche à défendre ses intérêts. C'est normal dans le processus législatif. Ce que je crains, c'est que, dans ce processus de défense de ses propres intérêts, les préoccupations et les intérêts de groupes importants, y compris tout particulièrement celui des consommateurs faillis, ainsi que les salariés et les fournisseurs impayés, n'ont pas été entendus, à cause des faiblesses fondamentales ou des problèmes d'organisation de ces groupes.
Le sénateur Meighen: Les témoins ont cette impression. Certains estiment ne pas avoir eu voix au chapitre. Pardonnez-moi d'entrer dans les arcanes de la vie parlementaire, mais c'est la réalité. J'essaie de déterminer à quel moment ce projet de loi ne présenterait plus de faiblesse profonde. Et si vos suggestions concernant les faillites de consommateurs et les fournisseurs impayés étaient adoptées? Faut-il prendre tout ou rien à votre avis? Devrions-nous abroger la LACC afin d'adopter une meilleure loi? Devrions-nous nous pencher également sur les dispositions relatives aux faillites internationales ou suffit-il de régler le problème des fournisseurs impayés, des faillites de consommateurs et peut-être des salariés impayés ainsi que de la surtaxe? Si nous réglions ces problèmes, considéreriez-vous que les trois quarts d'un pain valent mieux que rien du tout?
M. Ziegel: Sans aucun doute. Je me contenterais même d'un demi-pain. Le point de départ consiste à convaincre un comité de jouer un rôle indépendant et de ne pas approuver simplement les propositions du gouvernement sans poser de question.
L'une de mes nombreuses préoccupations est que, même s'il y a eu un certain nombre de comités, aucun d'eux, si je me souviens bien, n'a publié de rapport, pas plus que leurs comités de direction ou le gouvernement lui-même. Tout ce que nous avons vu c'est une série de recommandations des divers comités, appuyés ou non par le comité consultatif, et qui ont ensuite été intégrées dans ce qui constitue actuellement le projet de loi C-5. Personne n'a tenté de rédiger un document explicatif pour que le lecteur qui n'aurait pas suivi les discussions de près sache pourquoi certaines modifications ont été adoptées ou écartées.
Malgré tout le respect que je porte à toutes les parties en cause, je pense que c'est une lacune importante. Ce n'est pas ainsi que j'essaierais de faire accepter une loi moderne. Je conviens toutefois que tout ça c'est du passé. J'aurais bien aimé un rapport expliquant ce qui a été fait et pourquoi mais je me soucie encore plus des lacunes que j'ai décelées, et d'avoir proposé des solutions pour les corriger.
Il est évident que le projet de loi peut être sauvé. Je pense qu'il devrait l'être. Par ailleurs, ce que je considère comme de graves lacunes devrait être corrigé.
M. Ramsay: Je suis d'accord avec un grand nombre des observations de M. Ziegel. Il est vraiment dommage qu'on n'ait pas tenté de créer une loi moderne sur la faillite des consommateurs, indépendante de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité. Dans la mesure où la Loi sur la faillite et l'insolvabilité porte sur les consommateurs, des dispositions sont maintenues. Les consommateurs sont encore assujettis aux mêmes conditions de libération que les entreprises faillies. Dans la partie sur la libération, par exemple, depuis 1919, un grand nombre des dispositions qui s'appliquent aux faillites de consommateurs ne sont pas très pertinentes, mais peuvent être invoquées.
Je regrette que ni en 1992 ni maintenant on n'ait tenté de dire: «Les faillites de consommateurs sont un phénomène moderne. Pourquoi ne pas instaurer un régime distinct, un régime qui se distingue clairement de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, ou tout au moins de prévoir dans la loi un chapitre distinct portant sur les faillites de consommateurs?» Au lieu de cela, nous avons plutôt une espèce d'hybride, un mélange de dispositions désuètes et de dispositions modernes. D'ailleurs, cette loi permettra aux créanciers de soulever d'autres objections à la libération dans le cas des consommateurs faillis.
Le sénateur Meighen: J'aimerais profiter de votre présence ici aujourd'hui pour vous poser une question assez précise sur la LACC. Elle porte sur ce que je crois être un changement apporté à la dernière minute à l'article 124 du projet de loi, au sujet des ordonnances. Le demandeur doit convaincre le tribunal que l'ordonnance ne saurait causer de préjudice sérieux à l'un ou l'autre des créanciers. Certains m'ont fait valoir, et cela me semble fondé, que cette exigence est impossible à remplir, en particulier dans le cadre de la LACC, lorsqu'il s'agit de faillites de plus de 10 millions de dollars.
Êtes-vous d'accord qu'il serait presque impossible de convaincre le tribunal? Il faut réorganiser les affaires d'une très grande entreprise en 30 jours, ce qui est extrêmement difficile voire impossible.
M. Ziegel: Je placerais le problème dans une perspective plus large, sénateur. Pourquoi limiter le problème à la LACC? Ne se pose-t-il pas pour n'importe quelle réorganisation? La Partie III prévoit des dispositions assez précises concernant les délais accordés pour la réorganisation des entreprises. Le demandeur doit aussi convaincre le tribunal qu'il pourra faire des propositions viables. Le créancier peut s'y opposer. C'est une autre raison pour laquelle nous devrions avoir un régime intégré dans la LFI au sujet des réorganisations et pas un régime dans la loi et un autre assez différent à l'extérieur.
Le sénateur Meighen: Êtes-vous en train de dire, monsieur, que la réorganisation des affaires personnelles d'un débiteur est plus ou moins compliquée que celle des affaires de Canadien, par exemple?
M. Ziegel: Il est question de réorganisations commerciales. La Partie III, qui a été ajoutée à la Loi sur la faillite et l'insolvabilité en 1992, vise principalement les faillites commerciales. La LACC est un ancien régime de réorganisation instauré en 1933. Comme je l'ai expliqué dans mon mémoire personnel, le comité de la Chambre des communes a recommandé en 1991 que la LACC soit abrogée dans un délai de trois ans. Cela ne s'est pas fait. On ne nous a pas expliqué non plus pourquoi cela ne s'est pas fait.
Je conviens que, dans le cas des grandes réorganisations, il faut plus de souplesse et que le tribunal devrait jouir d'un pouvoir discrétionnaire plus important, mais je ne vois pas pourquoi ces exigences ne sauraient être satisfaites dans le cadre de la Partie III de la LFI, surtout en ce qui concerne les faillites de grandes entreprises. C'est l'argument que je fais valoir.
Le problème que vous soulevez au sujet de l'ampleur du pouvoir discrétionnaire qui devrait être accordé au tribunal ne se limite pas aux faillites importantes; il se pose aussi pour les petites faillites. Nous créons des distinctions injustes en appliquant aux réorganisations des petites entreprises une série de dispositions concernant les délais accordés et une autre série de critères lorsqu'il s'agit de réorganisations de grandes entreprises. Je n'arrive pas à comprendre.
Le sénateur Kenny: Les remarques du professeur Ramsay quant au fait que l'élaboration des politiques ne devrait pas être le fruit d'un accident m'ont paru originales. Nous devrons y réfléchir sérieusement à l'avenir.
Les dispositions relatives aux salaires impayés ne cessent de préoccuper. Pourriez-vous indiquer au comité les solutions que vous envisagez pour protéger les employés? On a parlé de créer un fonds et de le faire en dehors du cadre du projet de loi. On pourrait aussi mettre les employés en tête de liste et déclarer qu'à toutes fins utiles, il s'agit de victimes innocentes et que la justice naturelle exige qu'on les protège.
Pourriez-vous comparer ces deux solutions et décrire au comité, les autres moyens, s'il y en a, de protéger les travailleurs?
M. Ziegel: J'ai essayé de répondre à cette question quand j'ai répondu aux questions du sénateur Oliver et d'un autre sénateur. Comme je l'ai expliqué, tenter de mettre les employés devant tous les autres créanciers soulèverait une vive opposition, parce qu'il y a aussi une foule d'autres créances justifiées, telles que celles des conjoints et des enfants dont la pension alimentaire est en souffrance. Il faut également tenir compte du fait que la plupart des entreprises doivent de l'argent à des créanciers garantis. En vertu des dispositions actuelles de la LFI, les créanciers garantis peuvent saisir en priorité les actifs du débiteur. Souvent, le créancier garanti saisit tous les actifs disponibles et il ne reste rien pour les autres créanciers.
Dans le cas des faillites commerciales, même si les créances des salariés passaient devant toutes les autres créances non garanties, cela ne protégerait pas les créances des salariés contre les effets des créances garanties.
Le sénateur Kenny: Si je vous comprends bien, ou si je devais traduire vos propos en termes politiques, vous affirmez que les travailleurs payés à l'heure ainsi que les conjoints et les enfants devraient venir derrière les banques qui font des milliards de dollars. Est-ce votre message au comité?
M. Ziegel: Pas du tout.
Le sénateur Kenny: Alors je vous ai mal compris.
M. Ziegel: J'essaie d'être réaliste. Comme je l'ai déjà signalé, les banques ont indiqué clairement, lorsque cette question a été abordée par des comités parlementaires que si les créances garanties étaient subordonnées à celles des salariés ou de tout autre groupe de créanciers, cela influencerait l'octroi du crédit.
Le sénateur Kenny: Oui, et comme le dit le sénateur Taylor: et après? Ou comme je pourrais le dire: on s'en moque.
M. Ziegel: Vous savez mieux que moi que les comités parlementaires ont vertement critiqué l'octroi du crédit par les banques. Ils ont accusé les banques d'avoir un comportement discriminatoire et de ne pas accorder assez de crédit aux petites entreprises.
Il me semble que si l'on créait une nouvelle créance prioritaire sur toutes les autres, qui passerait même avant les créances garanties, les banques se plaindraient encore plus qu'on leur met des bâtons dans les roues lorsqu'elles veulent accorder du crédit à des entreprises dignes d'en obtenir.
Le sénateur Kenny: Dans ce cas, cherchez à faire la quadrature du cercle avec vos remarques antérieures au sujet du lien entre l'accès facile au crédit et les faillites.
M. Ziegel: Il était question d'accès facile au crédit pour les consommateurs. Je ne parlais pas du crédit commercial. Ce sont deux choses différentes. Ne mêlons pas les pommes et les oranges.
Le sénateur Kenny: D'accord.
M. Ziegel: Les créances prioritaires sur toutes les autres posent d'autres problèmes. Il faut parfois des mois pour les faire appliquer. Entre-temps, les salariés ne sont pas payés. Il y a aussi des moyens de les contourner. Il n'est pas juste de singulariser les banques, mais les «agences de crédit subtiles» savent comment contourner ces créances prioritaires sur toutes les autres en exigeant que le débiteur incorpore son entreprise séparément ou considère les salariés comme les employés d'une entreprise donnée et place ses actifs dans une autre.
Cela devient extrêmement compliqué et je ne suis pas sûr que le jeu en vaille la chandelle. Je suis désolé de vous répéter toujours le même refrain, mais, à mon avis, l'assurance est la solution la plus nette, la plus efficiente et la plus efficace.
Le sénateur Kenny: Il n'y a pas de troisième voie, selon vous?
M. Ziegel: Je n'en ai pas vu. Je le répète, nous avons 21 ans d'expérience dans ce domaine. Il y a eu je ne sais combien de rapports. J'ai essayé de me rappeler ce qu'avaient fait vos prédécesseurs en 1976, lorsqu'ils ont examiné le projet de loi C-60. Il y avait aussi des dispositions concernant les créances des salariés impayés.
Je le répète, c'est devenu un sujet brûlant politiquement. Personne ne veut plus y toucher.
Le sénateur Kenny: Les banques viennent souvent nous voir, mais nous voyons rarement des travailleurs d'entreprises au bord de la faillite. Il est très difficile de trouver l'équilibre parmi les témoins.
M. Ziegel: Je crains que vous n'ayez raison sur ce point. Dans la mesure où les travailleurs sont syndiqués et bien organisés, on peut supposer qu'ils feront en sorte de ne pas continuer à travailler pour leur employeur si ce dernier ne les paie pas.
Il faut peut-être se préoccuper surtout de la vulnérabilité des travailleurs qui oeuvrent dans de petites entreprises parce que, souvent, ils ne sont pas représentés, ni par un syndicat, ni par d'autres moyens.
Le sénateur Kenny: Vous faites allusion à une autre catégorie. Il y a une protection pour les prêteurs ou ceux qui continuent de prêter et d'accorder du crédit durant la période visée par la proposition. Ce sont de «chics types» eux aussi. Ils essaient de permettre à l'entreprise de continuer de fonctionner. Pouvez-vous donner des explications sur le type de protection qui est raisonnable pour ces gens?
M. Ziegel: Il n'est pas question du statut des prêteurs durant la réorganisation dans mon mémoire. Vous devez confondre avec le mémoire de quelqu'un d'autre.
Le sénateur Kenny: Vous sentez-vous en mesure de commenter?
M. Ziegel: Le chapitre 11 du code américain de la faillite porte sur cette question et accorde à ce qu'on appelle le financement approuvé en vertu du chapitre 11 le statut de créance prioritaire sur toutes les autres. Dans une certaine mesure, les tribunaux canadiens tentent déjà de régler le problème, mais de façon très limitée. Je serais en faveur d'un mécanisme semblable au financement garanti en vertu du chapitre 11, sous réserve que ce financement soit approuvé par le tribunal parce que cela donnera aux autres créanciers la possibilité de se faire entendre et convaincra le tribunal que ce financement provisoire servira les intérêts généraux de l'actif de faillite et profitera donc à toutes les catégories de créanciers.
Le sénateur Kenny: Le dernier aspect qui m'a intéressé est votre impression que les consultations obligatoires ne servent pas à grand-chose. Je me trompe peut-être, mais j'avais l'impression que les consultations obligatoires pouvaient être utiles dans certains cas, qu'elles aidaient certaines personnes à s'organiser. Vous estimez qu'elles ne servent à rien du tout.
M. Ziegel: Nous affirmons dans notre mémoire qu'elles ont un effet très discriminatoire, parce qu'elles ne s'appliquent qu'à une catégorie de débiteurs. On ne les impose pas aux créanciers, même s'il y a des preuves convaincantes que certains types de créanciers sont loin d'agir de manière responsable lorsqu'ils accordent du crédit. On ne les impose pas aux administrateurs d'entreprises qui ont déclaré faillite, même si les rapports concluent souvent à une mauvaise gestion de la part des administrateurs. On ne fait pas de distinction entre les causes des faillites de consommateurs, qu'il s'agisse de la maladie, du chômage, d'une forte baisse du revenu ou d'autre chose. On ne tient pas compte de toutes ces causes. On décide simplement, de façon doctrinaire, d'imposer cette forme de consultations obligatoires.
Rien ne prouve qu'elles ont l'effet souhaité. On a demandé aux syndics de faillite ce qu'ils pensaient de l'efficacité des consultations obligatoires. Si je me souviens bien, environ la moitié d'entre eux se sont montrés très sceptiques à propos des effets à long terme.
Le sénateur Kenny: En ce qui concerne les prêteurs, il semble qu'au lieu de les éduquer, la solution dans leur cas consiste à les pénaliser et à les laisser apprendre une bonne leçon de cette façon. Pour les emprunteurs, y a-t-il des preuves -- ma question ne se limite pas à la portée du projet de loi -- que les Canadiens en général ont appris, depuis la maternelle, comment de se comporter face au crédit?
Lorsque le comité a soulevé la question de l'éducation, vous avez tout de suite pensé aux consultations. C'est une réaction raisonnable, compte tenu de vos antécédents, mais comment répond-on à la question plus vaste concernant les moyens d'éduquer les Canadiens pour qu'ils sachent comment agir face au crédit et à tous ces problèmes?
M. Ramsay: Je ne suis pas certain de pouvoir répondre en toute connaissance de cause. De toute évidence, l'éducation est utile. Mais comme je l'ai indiqué en réponse à une autre question, même lorsqu'on les éduque, les gens ont tendance à sous-estimer systématiquement des événements peu probables comme la possibilité de faire défaut; ils se concentrent principalement sur l'accès au crédit, même lorsqu'on les éduque.
Autrement dit, ce n'est pas une simple aberration individuelle. C'est seulement en tant que consommateurs individuels que nous ne mesurons pas correctement les conséquences à long terme ou que nous ne tenons pas compte des risques de récession, de hausse des taux d'intérêt ou de hausse du chômage. Mais je conviens tout à fait que l'éducation est importante. Par contre, je ne sais pas dans quelle mesure c'est important pour réduire les niveaux de faillite, par exemple, et je ne peux pas me prononcer à ce sujet.
Le sénateur Kenny: Avez-vous déjà vu des études à ce sujet?
M. Ramsay: Il y a peut-être eu des études. Je ne les ai pas examinées. Je voulais apporter une précision en réponse à votre question sur la protection des salariés. Je ne suis vraiment pas un spécialiste de la question, mais certains soutiennent que si vous créez une créance prioritaire sur toutes les autres, cela influerait sur le crédit accordé par les banques ou d'autres institutions financières. C'est évidement un argument important qui est toujours invoqué quand il est question, par exemple, de faciliter la faillite ou d'autres formes de radiation des dettes. On dit qu'au bout du compte, les créanciers répercuteraient simplement les coûts.
Du point de vue économique, c'est probablement vrai. Dans la mesure où les créanciers voient leurs coûts augmenter, ils ont tendance à essayer de les recouvrer. Je pense toutefois qu'il serait intéressant de demander aux institutions financières jusqu'à quel point des facteurs comme les faillites influencent l'octroi du crédit. Je pense que la réalité est beaucoup plus complexe. Les institutions financières peuvent réagir à une hausse du taux de faillites en limitant l'accès au crédit ou en majorant les taux d'intérêt, par exemple. Si la concurrence existe, elles pourraient bien avoir du mal à majorer les taux d'intérêt parce qu'elles risqueraient de perdre leurs meilleurs clients.
Autrement dit, même si la théorie économique énonce cette relation très simple, je suis toujours déçu de constater que nous n'obtenons jamais assez d'information de la part des institutions financières sur la façon dont ces facteurs se répercutent systématiquement sur l'octroi du crédit, qui est souvent influencé par la concurrence interne et par d'autres forces économiques importantes susceptibles de favoriser l'expansion du crédit.
Le sénateur Kenny: C'est une observation très intéressante. J'ai l'impression qu'on brandit le bâton, mais qu'on ne nous explique jamais comment le coup serait porté. Je trouve votre observation est très révélatrice.
M. Ziegel: J'aimerais ajouter quelque chose à ce sujet. Je ne veux pas me faire l'avocat des banques, même si je possède des actions de banques; elles sont très capables de se défendre toutes seules. Mais imaginons que Canadien demande aujourd'hui à une banque de lui accorder une nouvelle marge de crédit et supposons que la LFI prévoie que les créances des salariés sont prioritaires sur toutes les autres créances, garanties ou non. Un directeur du crédit prudent répondrait certainement: «Je suis très désolé, mais vous me demandez de vous prêter 10 ou 20 millions de dollars quand je sais que si vous ne survivez pas, vous aurez quelques millions de dollars de créances salariales. Nous le savons parce que vos administrateurs ont abandonné le navire quand ils ont senti que c'était une possibilité et vous me demandez de courir ce risque?» Que ferait la banque? Si elle disait qu'à cause de ce risque élevé elle double ses frais d'intérêt habituels, elle se ferait traiter immédiatement d'usurier. Alors la banque répondra fort probablement qu'elle est très désolée, mais qu'à cause de cette disposition de la Loi sur la faillite, elle ne peut pas aider Canadien, à moins que cette disposition ne disparaisse.
Voilà pourquoi j'affirme qu'il n'y a rien de gratuit en ce bas monde; si vous accordez un traitement préférentiel à un groupe de créanciers, c'est toujours aux dépens des autres. Au bout du compte, tout ce que vous faites, c'est neutraliser l'effet. Voilà pourquoi je préfère de loin la voie de l'assurance. Comme je l'ai indiqué, c'est celle qu'ont adoptée de nombreux autres pays. Nous ne nous sommes jamais engagés dans cette voie au Canada. D'une certaine façon, nous avons l'impression que c'est l'incarnation ultime du mal. Je ne suis pas du tout de cet avis, sauf votre respect. Je pense qu'il est temps pour le gouvernement de se serrer les dents, comme il le fait à bien d'autres occasions, et je suis convaincu que si le gouvernement le faisait, un an plus tard nous nous demanderions pourquoi il ne l'a pas fait il y a dix ou vingt ans. Nous constaterions que, par rapport à toutes nos autres dépenses et retenues, celle-ci serait l'une des plus petites.
M. Ramsay: Mes remarques se rapportaient surtout aux faillites de consommateurs, pas aux créances des salariés.
Le sénateur Stewart: Nous avons parlé récemment des remèdes. Je voudrais revenir à l'analyse du problème. Ma question s'adresse principalement à monsieur Ramsay. Je regarde le tableau 1 de votre mémoire et je vois qu'il y a eu 1 903 faillites en 1966. En 1995, il y en a eu 65 432. Il semble y avoir une hausse presque constante, au fil des années, avec évidemment certains sommets et certains creux.
Si j'ai bien compris M. Ramsay, il a déclaré qu'il y a trois explications au problème. La première est que volontairement -- peut-être involontairement dans certains cas, mais volontairement le plus souvent -- les consommateurs prennent des engagements financiers trop élevés par rapport à leur revenu. Deuxièmement, de nombreux consommateurs sont incapables de gérer leurs affaires financières. Puis, si je l'ai bien compris, il a affirmé que nous ne devrions pas accorder trop d'importance à ces deux explications du problème. Vient ensuite la troisième explication, soit que les consommateurs qui ont fait faillite sont des infortunés.
Je suppose que vous entendez par là que leur situation économique n'est pas ce qu'ils avaient prévu lorsqu'ils ont pris certains engagements financiers.
Le sénateur Oliver: Ils ont perdu leur emploi, par suite d'une réduction des effectifs, par exemple.
Le sénateur Stewart: Ce serait une explication possible, sénateur Oliver.
Ma question est la suivante: étant donné l'existence des statistiques que j'ai mentionnées, quelle est la principale explication de ce changement, de l'imprévisibilité accrue de la situation économique? On dirait que c'est le problème sur lequel vous insistez: l'incapacité grandissante des consommateurs de prédire leur situation économique. Avez-vous une analyse de la cause de cette imprévisibilité grandissante?
M. Ramsay: Vous posez plusieurs questions. D'abord, vous voulez une explication de la hausse globale des faillites au cours de cette longue période. Si vous regardez les statistiques, vous verrez qu'il y a aussi une hausse très importante du crédit à la consommation et une hausse très importante des ratios d'endettement des particuliers. Depuis 30 ans, en général, les faillites ont augmenté considérablement durant les récessions, puis sont redescendues; mais les statistiques révèlent que la tendance à la hausse se maintient. Quelle est l'explication? Une explication est la hausse du ratio d'endettement. Un autre facteur est le fait qu'il y a eu une baisse du revenu réel disponible des Canadiens. Plus de Canadiens ont donc un ratio d'endettement relativement élevé et un revenu réel disponible plus bas que durant les périodes d'expansion des années 60 et 70.
Au même moment toutefois, il y a probablement eu des changements dans l'économie. Il y a plus de travailleurs autonomes, plus vulnérables aux caprices du marché du travail. Il y a aussi un taux de chômage élevé. Autrement dit, nous n'avons pas une explication complète de la hausse, mais tous ces facteurs entrent en jeu. Étant donné que plus de gens ont un ratio d'endettement élevé et que les risques de changements comme le chômage sont plus élevés, plus de gens risquent de faire faillite.
Le sénateur Stewart: La question et la réponse sont pertinentes, parce qu'elles sont liées de près aux solutions. Si l'explication de la hausse des faillites de consommateurs est effectivement celle que vient de donner le professeur Ramsay, on peut en déduire que l'éducation obligatoire ne règle pas du tout le problème. Elle a peu de rapport avec le problème. C'est peut-être une meilleure façon de décrire les choses. Cette description vous satisfait-elle?
M. Ramsay: Je ne nie pas qu'il y ait divers types de faillites, mais je dis que pour la norme, ce n'est pas un remède particulièrement pertinent. Les gens qui déclarent faillite ne le font pas parce qu'ils ont été irresponsables.
Le sénateur Stewart: On a fait allusion, peut-être quatre ou cinq fois, à la publicité des prêteurs. Je suis convaincu que, dans le cas de l'industrie du tabac par exemple, il n'est pas déplacé que le gouvernement intervienne pour limiter la publicité. Ce principe étant posé, je me demande comment le Parlement pourrait exercer un effet salutaire sur la consommation effrénée préconisée par ceux qui veulent prêter de l'argent. Avez-vous réfléchi au type de régime réglementaire que nécessiterait un tel contrôle sur la publicité?
M. Ziegel: Dans nos mémoires, nous ne demandons nullement au Parlement d'imposer des restrictions sur la publicité relative au crédit. Nous affirmons que si ceux qui accordent du crédit trouvent leur intérêt pécuniaire à accorder des montants aussi élevés de crédit à la consommation, et je répète une fois de plus qu'il est question de 120 milliards de dollars par année, ce n'est pas la fonction du Parlement de devenir leur service du recouvrement. Notre principale objection est que les dispositions du projet de loi C-5 relatives aux faillites de consommateurs et aux déductions obligatoires de la part des syndics ne devraient pas relever du Parlement. Nous les avons qualifiées de dispositions coercitives, et les associations professionnelles du secteur canadien de l'insolvabilité s'y sont vivement opposées, notamment pour ces raisons. Ces fonctions ne devraient pas relever du Parlement.
Si les agences de crédit y trouvent leur compte, elles doivent en accepter les conséquences. Ces conséquences sont que, lorsque les gens s'endettent jusqu'au cou, nous ne les empêcherons pas de déclarer faillite et de se libérer de leurs dettes, sous réserve des conditions existantes, qui laissent encore un très grand pouvoir discrétionnaire aux tribunaux. Dans toutes les discussions sur le projet de loi C-5, je n'ai jamais vu personne s'adresser aux juges, ou au gouvernement à ma connaissance, s'adresser aux juges, donc, pour leur demander ce qu'ils en pensent et s'ils croient que nous devrions éliminer les procédures judiciaires existantes aux termes de la loi et les remplacer par cette procédure bureaucratique beaucoup plus complexe. On dirait qu'on aborde le problème à sens unique.
Je le répète, nous ne parlons nullement de restreindre la publicité dans notre mémoire. Nous disons simplement qu'on récolte ce qu'on a semé. Si l'on récolte un endettement exagéré, alors les créanciers devraient être prêts à accepter les conséquences d'une hausse du nombre de faillites de consommateurs.
Le sénateur Taylor: J'ai deux brèves questions, que je préfacerai par une observation. Je pense que la dette de Canadien serait beaucoup moins élevée si les banques avaient su dès le départ que les employés allaient leur damer le pion. Je poursuis votre raisonnement.
Je comprends l'idée que le sénateur Oliver a commencé à exprimer et que le sénateur Kenny a achevée. C'était très fructueux. Si nos travaux ont quelque utilité, je crois que la protection des travailleurs serait positive.
Vous faites une distinction entre les faillites commerciales et les faillites de consommateurs; ce sont pourtant des vases communicants. Ainsi, si vous lancez une petite entreprise, la banque aime habituellement obtenir non seulement votre garantie personnelle mais peut-être aussi celle de votre belle-mère. Il y a donc un lien entre la petite entreprise qu'on essaie de créer et le crédit à la consommation.
Monsieur Ramsay, avez-vous réfléchi à l'idée de limiter les garanties personnelles qu'un créancier peut exiger à propos d'une société? La limite pourrait représenter un pourcentage du revenu, par exemple. Tous ceux qui se lancent en affaire sont optimistes. Ils ont de grands espoirs quand ils fondent une petite entreprise et sont prêts à signer n'importe quel document que la banque leur propose. Ils pensent peut-être qu'ils ne font qu'emprunter pour lancer une nouvelle usine de tricots, mais quand cela ne fonctionne pas, toute la famille y laisse jusqu'à sa dernière chemise. Avez-vous songé à la possibilité de limiter ce genre de transferts?
M. Ramsay: C'est un problème différent de celui de la faillite, encore que la question des garanties d'une petite entreprise soit importante.
Le sénateur Stewart: C'est souvent la cause de la faillite.
M. Ramsay: Oui. Les garanties par rapport à une petite entreprise sont un facteur important. On s'est beaucoup chicané ces dernières années sur le caractère exécutoire de ces garanties. Ce qui est très clair, c'est que même des gens d'affaire censés être très avertis ne sont souvent pas conscients de toutes les conséquences lorsqu'ils donnent une garantie. En outre, les garanties ne sont pas toujours prises lorsque l'entreprise démarre; elles le sont souvent lorsque l'entreprise est sur le point de s'effondrer. On demande alors de donner une garantie afin d'obtenir un peu plus d'argent pour continuer.
L'un des problèmes fondamentaux pour les particuliers est le fait qu'ils ne sont pas informés de toutes les conséquences des garanties. On pourrait proposer, par exemple, une période d'interdiction de ces garanties, mais si l'on interdit les garanties, alors les banques ne prêteront pas. C'est peut-être vrai.
J'essaie d'éviter les problèmes. Dans le cas des faillites, les statistiques du bureau des faillites révèlent que, d'après les syndics, environ 4 à 5 p. 100 des faillites sont provoquées par les répondants ou liées à des situations où quelqu'un s'est porté garant de l'entreprise qui a fait faillite et, puisque cette personne détient la garantie, elle doit faire faillite elle aussi.
Alors il est évident que les garanties provoquent certaines faillites. C'est un problème difficile à régler. Il est difficile de protéger le garant tout en étant conscient que bien des gens, dans le cas d'une petite entreprise par exemple, ne peuvent donner que leur maison en garantie. S'ils ne peuvent pas donner leur maison en nantissement, ils n'obtiendront peut-être pas de crédit.
Le sénateur Taylor: Je suis étonné de voir que le taux ne dépasse pas 4 ou 5 p. 100. On fait presque du chantage quand l'entreprise éprouve des difficultés. Vous dites qu'il faut alors donner des garanties personnelles.
M. Ramsay: Je parlais des faillites personnelles.
Le sénateur Taylor: Je saute peut-être du coq-à-l'âne, encore que nous ayons abordé la question auparavant, mais quand on compare le chapitre 11 et la LACC, on voit, par exemple, qu'Olympia & York vient de se sortir du mécanisme prévu au chapitre 11 et poursuit ses activités. Pour moi, c'est un exemple classique de la différence entre le régime américain et le régime canadien. Au Canada, il ne resterait rien du tout d'Olympia & York. Bien des gens ont été brûlés, mais aux termes du chapitre 11 aux États-Unis, il a peut-être fallu cinq ans, mais l'entreprise a survécu. Je pense qu'à un moment donné 65 avocats s'occupaient du dossier. Ils ont bien travaillé. Les avocats travaillent toujours bien. Ils sont comme des entrepreneurs de pompes funèbres. Ils finissent toujours par venir, un jour ou l'autre. On n'y échappe pas. Mais l'entreprise a survécu et exerce encore ses activités.
Je ne suis pas avocat, comme vous pouvez probablement le deviner, mais serait-il absolument ridicule au Canada d'avoir le choix entre la LACC et le chapitre 11?
M. Ziegel: Nous faisons faire au débat un virage de 180 degrés, sénateur, mais non, je ne pense pas qu'il y ait quelque chose de fondamentalement mauvais dans nos mécanismes de réorganisation au Canada, sauf le problème que j'ai soulevé, c'est-à-dire que le mécanisme de la LACC est tout à fait distinct de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité.
Il ne me paraît pas raisonnable d'essayer de considérer la situation d'Olympia & York comme une comparaison utile. Les actifs américains d'Olympia & York étaient beaucoup plus élevés que les actifs canadiens par rapport à l'encours de la dette. D'ailleurs, on a tenté de sauver Olympia & York au Canada, mais on a failli en partie à cause de l'intransigeance des propriétaires d'Olympia & York, et étant donné l'endettement énorme par rapport au montant limité des garanties, ce n'était pas faisable. La situation américaine était tout à fait différente, et je ne pense pas que cette différence influe sur les différences qui existent entre le chapitre 11 et les régimes de réorganisation canadiens.
C'est une question très complexe, et j'hésite beaucoup à commencer à en discuter ici aujourd'hui. Si vous voulez m'inviter à une autre occasion, je serais ravi de discuter avec vous des avantages relatifs du chapitre 11 et des méthodes canadiennes.
Le sénateur Taylor: Je n'aurais peut-être pas dû prendre l'exemple d'Olympia & York, parce qu'il vous a permis de digresser.
M. Ziegel: J'essaie seulement d'éviter une série de problèmes très complexes. Je ne veux pas induire les sénateurs en erreur en laissant croire qu'on peut répondre à la question en une phrase. Il faudrait analyser le chapitre 11. Il faudrait une analyse détaillée des méthodes canadiennes, avant de pouvoir tirer des conclusions utiles.
Le sénateur Taylor: J'essayais seulement de savoir s'il était possible que les deux systèmes coexistent.
M. Ziegel: Un grand nombre de dispositions du chapitre 11 existent aussi au Canada. À bien des égards, je pense que le régime canadien est supérieur, parce qu'il est plus expéditif. Il ne gaspille pas tant de ressources et, puisque vous avez mentionné les honoraires des avocats, je peux vous assurer que les honoraires des avocats liés au chapitre 11 aux États-Unis sont beaucoup plus élevés que les honoraires au Canada. Les créanciers s'en tirent beaucoup mieux dans le régime canadien que dans le régime américain. Je dirais que, dans l'ensemble, l'approche canadienne est plus modérée et plus équilibrée que le chapitre 11.
Vous me forcez à exprimer une opinion personnelle et je vous la donne, pour ce qu'elle vaut. Je tiens cependant à vous prévenir qu'il s'agit d'un domaine très technique et très complexe, qui ne se prête pas facilement à des généralisations.
Le sénateur Taylor: Je pense que vous avez répondu quand vous avez déclaré que les créanciers sont plus heureux au Canada qu'aux États-Unis.
Le président: En ce qui concerne les huit recommandations précises que vous faites dans le mémoire collectif, je veux être bien certain de comprendre celle qui se trouve au milieu de la page 6 et qui se rapporte essentiellement à la disposition cramdown américaine.
M. Ziegel: Elle ne se rapporte qu'aux faillites de consommateurs.
Le président: Je le sais, mais je veux m'assurer de comprendre le principe. Je sais comment fonctionne cette disposition et à quoi elle sert.
M. Ziegel: Dans notre recommandation, le tribunal décide d'inclure les créanciers garantis, pas le débiteur. On peut toujours interjeter appel de la décision du tribunal. Nous voulons aussi ajouter une explication. Nous pensons que cette disposition est nécessaire parce que, dans les faillites de consommateurs, il arrive souvent qu'il n'y ait qu'un seul créancier garanti, ce qui n'est pas le cas dans les faillites commerciales.
Le projet de loi C-5 cherche à encourager les consommateurs à présenter des propositions. Dans cette partie de notre mémoire, nous affirmons que vous ne donnez pas un encouragement positif aux consommateurs; vous ne leur faites que des menaces négatives. Si vous voulez vraiment rendre les propositions de consommateurs plus attrayantes, alors vous devriez changer les dispositions régissant ces propositions. Nous donnons quelques exemples. Il y en aurait d'autres.
Le président: Évidemment, vos dispositions mettent beaucoup l'accent sur le problème des faillites de consommateurs et sur l'absence de données et d'études. Il est très clair également qu'il sera impossible de régler ce problème assez rapidement pour qu'un projet de loi sur la faillite puisse être déposé au Parlement d'ici avril ou mai, ou lorsque le Parlement sera dissous.
Vu cette réalité pratique, recommanderiez-vous que nous attendions simplement la publication d'une telle étude et d'une analyse plus approfondie sur les faillites de consommateurs ou encore recommanderiez-vous plutôt que le Parlement adopte certaines de vos recommandations, notamment sur les salariés impayés, et reconnaisse dans les faits la difficulté pratique de déposer un projet de loi avant la dissolution du Parlement? Entre ces deux choix, soit un projet de loi qui ne contiendrait que quelques modifications, du genre de celles que vous avez proposées, mais qui ne permettrait pas de dissiper pas vos grandes préoccupations par un projet de loi déposé avant la dissolution du Parlement, et le maintien du statu quo parce que vos grandes préoccupations ne sont pas apaisées, que préféreriez-vous?
M. Ziegel: Je dirai d'abord que vous semblez avoir mal compris cette partie de notre mémoire. Nous n'affirmons pas qu'il faut d'autres études à propos des modifications contenues dans le projet de loi C-5. Au contraire, nous déclarons que les modifications du projet de loi C-5 vont à l'encontre de toutes les données disponibles, et nous pensons aux études effectuées au nom du gouvernement. Nous affirmons que ces études n'appuient pas l'idée que...
Le président: Désolé de vous interrompre, mais je ne vous ai pas mal compris. J'ai affirmé que vos changements relatifs aux consommateurs, mis à part certains changements mineurs, sont assez importants pour qu'il soit impossible de rédiger une nouvelle version du projet de loi avant la dissolution.
M. Ziegel: Sauf votre respect, sénateur, nous ne demandons pas de changements. Nous affirmons que le statu quo, dans le cas des consommateurs, est fondamentalement juste et satisfaisant.
Le président: Je comprends.
M. Ziegel: Les syndics ne les ont pas demandés. Qui les a demandés, sinon la Couronne peut-être? Je ne suis pas convaincu que les créanciers les ont demandés. Ils semblent sortir de la tête de quelques administrateurs du gouvernement peut-être. À ma connaissance, ils n'ont pas été demandés par les intéressés. Les débiteurs ne les ont certainement pas demandés. Les syndics ne les ont pas demandés. Tous les créanciers ne les ont certainement pas demandés. Quelqu'un, au gouvernement, semble avoir décidé qu'il y a beaucoup trop de faillites de consommateurs et qu'il faut les décourager coûte que coûte, en dépit de toutes les études.
Le président: Votre solution consisterait à maintenir les dispositions actuelles relatives aux faillites de consommateurs et à apporter les changements dans les autres domaines. Vous ne l'avez pas dit aussi clairement, mais je veux m'assurer que j'interprète bien vos propos.
M. Ziegel: Oui.
Le président: Professeur Ramsay, voulez-vous intervenir?
M. Ramsay: Je suis du même avis.
Le sénateur St. Germain: Pensez-vous que nous pourrions obtenir de l'information plus détaillée, même si ces messieurs en ont déjà fourni beaucoup, afin que nous puissions faire des recommandations éclairées sur la racine profonde de certains problèmes? Je crois sincèrement que nous avons besoin d'un peu plus d'information pour faire des recommandations éclairées. Le gouvernement s'inquiète et, quand on passe de 1 900 à 65 000 faillites en 30 ans, c'est une inquiétude qu'il faut dissiper.
Je félicite le gouvernement d'avoir reconnu que ce nombre de faillites doit avoir une explication. Si c'est la seule chose que peut accomplir notre comité, j'aimerais au moins que ce type d'information soit fourni.
Le président: J'ai demandé à Gerry Goldstein, notre attaché de recherche, et à Margaret Smith, qui a déjà travaillé au comité, d'en parler avec les fonctionnaires du ministère dans les jours qui viennent.
M. Ziegel: Je prie les honorables sénateurs d'étudier soigneusement notre mémoire. Vous y trouverez une foule de données que vous cherchez. La faillite n'est pas seulement un mot. Vous devez découvrir la réalité qui se cache derrière les faillites. Vous devez vous demander si ces gens sont généralement insolvables. Sont-ils criblés de dettes? Quelles sont les solutions de rechange? Le projet de loi C-5 réglera-t-il ces problèmes? Nous affirmons que non, que ces gens sont généralement insolvables... et que vous ne devriez pas accoler un mot en particulier à cette réalité. Nous affirmons que le projet de loi C-5 ne changera pas beaucoup la réalité de l'insolvabilité, même si nous souhaiterions tous qu'il le fasse.
Vous pouvez vous adresser certaines causes de l'insolvabilité, et nous vous exprimons nos idées sur certains facteurs, mais un grand nombre d'entre eux sont indépendants de notre volonté. Le chômage, par exemple. Ou encore les baisses inattendues du revenu. Mais nous affirmons que nous pouvons exercer une influence sur un facteur, soit la grande accessibilité au crédit à la consommation sur un grand nombre de faillites. Il est évident que le gouvernement ne devrait pas être un service de recouvrement pour l'industrie, et les agences de crédit doivent être disposées à accepter les conséquences de leurs propres politiques.
La séance est levée.
OTTAWA, le jeudi 28 novembre 1996
Le comité sénatorial permanent des banques et du commerce, à qui a été renvoyé le projet de loi C-5, Loi modifiant la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies et la Loi de l'impôt sur le revenu, se réunit aujourd'hui à 11 h 05 pour examiner le projet de loi.
Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Honorables sénateurs, nos premiers témoins, ce matin, sont des représentants de la Centrale des caisses de crédit de l'Ontario.
M. Jonathan Guss, président et chef de la direction, Centrale des caisses de crédit de l'Ontario: Je suis accompagné de MM. David Guiney et Lorrie McKee.
Je vous remercie de nous donner la possibilité de discuter du projet de loi C-5. J'aborderai d'abord des questions générales, et je demanderai ensuite à M. Guiney d'expliquer mes propos afin que vous en saisissiez plus clairement la portée.
La Centrale des caisses de crédit de l'Ontario joue deux rôles. Nous sommes la banque centrale des caisses de crédit avec un actif de 1,3 milliard de dollars. Nous jouons également le rôle d'association professionnelle à l'égard d'environ 400 caisses de crédit en Ontario, lesquelles ont un actif de 8,5 milliards de dollars. Je suis ici aujourd'hui au nom d'une coalition de caisses de crédit et de caisses populaires de l'Ontario qui, réunies, disposent d'un actif de 14 milliards de dollars et comptent environ 1,7 million de membres.
Comme vous avez pu le constater dans vos travaux sur le livre blanc, par suite de l'effondrement des petites sociétés de fiducie, nous sommes en réalité la seule solution de rechange aux banques à charte au Canada.
La Centrale de l'Ontario est membre de la Centrale des caisses de crédit du Canada. M. Bill Knight, président et chef de la direction de l'organisation, vous prie de l'excuser, car il ne peut pas être avec nous ce matin.
Nous sommes ici aujourd'hui, à la demande de nos membres, afin de discuter d'un aspect de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, c'est-à-dire la cession de salaire donnée en garantie. Plus précisément, nous sommes ici pour vous demander d'abroger le paragraphe 68.1(1) qui élimine le droit à une garantie légitime qui nous a été accordée en vertu de la loi provinciale, c'est-à-dire la cession de salaire. Il faut que cette disposition soit abrogée afin que nous puissions nous prévaloir de cette garantie que constitue la cession de salaire.
Le président: Je veux être clair. L'article 68.1 que vous voulez faire abroger, c'est bien l'article 68.1 qui a été inséré dans la loi de 1992?
M. Guss: C'est exact.
Le président: En réalité, vous nous demandez de solutionner un problème que la loi de 1992 vous a créé et auquel les amendements dont nous sommes saisis aujourd'hui n'apportent aucune solution.
M. Guss: C'est exact. Vous comprendrez pourquoi tout à l'heure.
Le président: La plupart des témoins que nous entendons au sujet du projet de loi C-5 font des observations sur les éléments mêmes du projet de loi, alors que vous, vous faites des commentaires sur un changement apporté en 1992, et vous voulez que nous corrigions un problème qui a été créé à ce moment-là et dont il n'est pas question dans le projet de loi. La mesure législative à l'étude ne porte aucunement sur le paragraphe 68.1(1).
M. Guss: C'est exact.
Le 25 septembre, nous avons comparu devant le comité permanent de l'industrie de la Chambre des communes. On nous a dit que le paragraphe 68.1(1) ne serait pas abrogé. Je dirais que les membres de ce comité et les représentants d'Industrie Canada ont semblé sympathiques à la cause, mais le gouvernement avait déjà fait son nid quant aux modifications à apporter à la loi. Des consultations ont été menées depuis trois ans, et je trouve regrettable que nous n'ayons pas été consultés. Nous n'étions pas de la partie à ce moment-là, mais je dirais qu'il n'est jamais trop tard pour que justice soit faite et que c'est peut-être là une des raisons pour lesquelles le Sénat existe. C'est pourquoi nous comparaissons devant votre comité aujourd'hui.
Tout compte fait, les représentants du ministère n'ont pas retenu l'amendement que nous avons présenté au comité de la Chambre et nous ont suggéré de comparaître devant vous et de demander au Sénat de régler le problème.
En termes simples, notre problème est un problème d'équité. Dans l'examen de 1992, comme vous venez de l'expliquer, monsieur le président, le gouvernement du Canada a soutenu que la cession de salaire nuisait à la bonne administration d'une faillite. En adoptant le paragraphe 68.1(1), nous ne pouvions plus nous prévaloir de cette garantie une fois la faillite déclarée.
Pour vous replacer dans le contexte, j'aimerais préciser trois points rapidement et vous montrer ensuite ce qui est advenu. Premièrement, les caisses de crédit de l'Ontario ont le droit, en vertu de la Loi sur les salaires de l'Ontario, de demander une cession de salaire en garantie. Ce droit est unique et tient compte des liens particuliers que nous entretenons avec nos membres.
Deuxièmement, en vertu de la Loi sur les sûretés immobilières de l'Ontario, nous disposons d'un droit de priorité.
Troisièmement, la Cour suprême du Canada a reconnu l'applicabilité de la cession de salaire en vertu de la Loi sur les sûretés immobilières. Cette disposition a été mise à l'essai et la validité de la Loi sur les salaires et de la Loi sur les sûretés immobilières, qui nous accordent ce droit spécial, a été confirmée.
Par suite des modifications apportées à la loi en 1992, lesquelles supprimaient l'applicabilité de cette disposition après déclaration de la faillite, nous avons constaté que les caisses de crédit avaient subi une augmentation considérable de radiations de prêts. Nous avons subi des pertes qui, en bout de ligne, ont été absorbées par les autres membres des caisses de crédit et nous avons appris à nous adapter.
Face aux pertes que nous avons subies et aux pressions exercées par nos organismes de réglementation, nous avons été forcés d'amortir des prêts, même quand nous pouvions nous prévaloir d'une garantie comme la cession de salaire. L'organisme de réglementation nous force à amortir les prêts avant qu'ils ne deviennent irrécouvrables, même s'ils ne risquent jamais de le devenir.
Viennent ensuite la proposition de 1996 et ses modifications qui ont déjà été approuvées par la Chambre, selon lesquelles le syndic de faillite a le pouvoir de saisir les salaires d'une personne qui a déclaré faillite au bénéfice des créanciers non garantis. La plupart du temps, ce sont des créanciers qui demandent au moins le double du taux d'intérêt que demanderaient des caisses de crédit. Ce sont des sociétés de financement et des sociétés de cartes de crédit qui imposent des frais d'intérêt de 17, 18 ou 20 p. 100. Les sociétés de financement peuvent demander jusqu'à 25 ou 30 p. 100. Ce sont des créanciers qui n'ont jamais négocié un tel droit, qui imposent des taux d'intérêt élevés parce qu'ils prévoient subir une perte. Les caisses de crédit, elles, calculent leurs taux d'intérêt en fonction du taux de base, et ces taux sont beaucoup moins élevés. Elles négocient directement avec les emprunteurs afin qu'ils comprennent bien ce à quoi ils consentent.
Enfin, nous déployons de nombreux efforts pour minimiser les pertes chez nos membres. Tout compte fait, le gouvernement nous enlève un droit qu'il accorde maintenant en 1996 à des créanciers non garantis.
À notre avis, on ne nous a jamais donné une explication satisfaisante des modifications qui ont été apportées en 1992. On nous a dit qu'il était trop problématique de céder le salaire d'un failli à une caisse de crédit. Compte tenu du nouvel amendement présenté dans le projet de loi, tout ce que nous pouvons demander, c'est en quoi il est moins problématique de céder le salaire d'un failli à des créanciers non garantis que de nous accorder les droits conférés par la loi dont nous jouissions au préalable.
Bref, nous considérons les modifications de 1992 comme une annihilation de nos droits à une garantie reconnue. Nous nous sommes accommodés de ce changement, mais il est très difficile de comprendre pourquoi, en 1996, ces droits sont transférés à l'avantage des syndics et des créanciers non garantis.
Je n'irai pas par quatre chemins. Les créanciers non garantis, surtout les sociétés de cartes de crédit et de financement, imposent tous des taux d'intérêt élevés et en tirent profit. Les petites caisses de crédit installées dans les collectivités, gérées et contrôlées par leurs membres, en souffrent. C'est la raison pour laquelle nous sommes ici aujourd'hui. J'espère que notre requête est équitable. Je pense qu'elle est raisonnable. Nous vous demandons simplement de nous redonner les droits que nous avions avant 1992 et, par ricochet, de rétablir la relation que nous avons avec nos membres.
Je crois que personne ne devrait profiter de cette mesure à nos dépens.
Cela dit, je cède la parole à M. Guiney qui pourra vous donner des détails sur la situation telle qu'elle est.
M. David Guiney, conseiller juridique, Centrale des caisses de crédit de l'Ontario: Comme M. Guss l'a précisé, je suis conseiller juridique de deux caisses de crédit de l'Ontario et c'est à moi qu'on confie la majorité des prêts en difficulté. Je suis ici pour vous expliquer plus en détail notre argument en vous donnant un exemple concret des répercussions du paragraphe 68.1(1). Si vous permettez, je serai bref et concis.
Supposons que vous soyez un prêteur dans une caisse de crédit. Depuis 15 ans, vous consentez des prêts quotidiennement, vous savez comment procéder et vous avez beaucoup d'expérience et de succès dans le domaine. Vous avez devant vous un couple qui vient vous voir pour obtenir un prêt. Ces gens-là empruntent peut-être pour se marier. Ils vous disent qu'ils n'ont pas de biens à donner en garantie pour le prêt, mais qu'ils ont tous les deux un emploi à l'usine où votre caisse de crédit est installée et précisent qu'ils sont disposés à tout faire pour obtenir le prêt. Un agent de prêt en Ontario peut consentir un prêt en demandant une cession de salaire en garantie, ce qui serait convenu dans ce cas-ci.
Le président: À part l'Ontario, combien d'autres provinces permettent la cession de salaire en garantie?
M. Guiney: Aucune province au Canada, sauf l'Ontario, ne le fait. En Ontario, seules les cessions de salaire aux caisses de crédit sont applicables.
Le président: J'essaie de saisir la portée de ce problème.
M. Guiney: L'agent de prêt se sent suffisamment en sécurité pour accorder le prêt à ce couple parce que les deux ont un bon emploi. Souvent, en accordant un tel prêt, on permet aux gens d'améliorer leur situation financière.
La cession de salaire consiste, pour le membre, à s'engager à verser 20 p. 100 de son salaire à la caisse de crédit s'il est incapable de rembourser son prêt. Cette disposition est applicable en pareil cas. Mais aujourd'hui, elle n'est pas applicable seulement, à cause du paragraphe 68.1(1), si le prêt devient en souffrance par suite d'une faillite. Nous pouvons recourir à cette disposition si quelqu'un ne rembourse pas son prêt dans la mesure où la personne ne fait pas faillite. Les caisses de crédit comptent là-dessus.
Prenons l'exemple d'un couple qui éprouve des difficultés à rembourser son prêt dans les années 90. La caisse de crédit n'est pas un organisme de charité, c'est une entreprise. Nous prêtons l'argent des autres. Notre travail, c'est de nous assurer de recouvrer le prêt ou la plus grande partie possible. Nous travaillons avec le couple, comme c'est souvent le cas, pour restructurer le prêt et lui faciliter les modalités de remboursement. Cependant, un bon soir, les gens consultent le TV Guide et voient l'annonce du syndic de faillite qui prétend pouvoir résoudre leurs problèmes. Ils se rendent chez le syndic qui leur dit qu'une façon de se débarrasser de ce problème est de déclarer faillite. Le couple n'a pas beaucoup de biens. La dette de carte de crédit qu'il a accumulée n'est assortie d'aucune garantie si bien que les gens vont déclarer faillite et ne perdre aucun de leurs biens personnels. Soit dit en passant, la loi de 1992 a éliminé la cession de salaire si bien qu'ils peuvent se soustraire à cette disposition également. En déclarant faillite, ils peuvent éviter d'être assujettis à cette disposition.
Le sénateur Kenny: Pouvez-vous nous dire quels sont les problèmes à long terme auxquels ces gens s'exposent s'ils décident de se laisser tenter par cette annonce attirante et de déclarer faillite?
M. Guiney: Il est difficile d'évaluer les problèmes à long terme. Il ne fait aucun doute que la cote de solvabilité d'une personne est très durement touchée par une faillite. Cette personne devrait avoir plus de difficulté à obtenir du crédit. Je peux vous assurer qu'à long terme, ces personnes ne seront certainement plus membres de la caisse de crédit si elles ne remboursent pas leur prêt. Il est improbable qu'elles puissent redevenir membres ou y emprunter de l'argent à nouveau.
Par contre, je pense qu'il est juste de dire que de nombreux créanciers sont toujours disposés à accorder du crédit à des personnes qui ont déclaré faillite. Les sociétés de cartes de crédit en tiendront compte, mais je pense que dans bien des cas, les personnes qui déclarent faillite peuvent obtenir du crédit peu de temps après.
Le sénateur Kenny: L'année suivante?
M. Guiney: Je ne peux pas vous dire vraiment. Je n'ai pas les données. Je sais ce que nos caisses de crédit font lorsqu'une personne fait faillite: elles restreignent le crédit dont peut disposer cette personne.
Le sénateur Kenny: Pendant combien de temps?
M. Guiney: Quand une personne fait faillite, sa cote de solvabilité est mauvaise pendant cinq ans.
Le sénateur Kenny: Ces personnes savent que si elles optent pour la solution facile, elles auront toutes sortes de difficultés au cours des cinq prochaines années.
M. Guiney: C'est exact.
Le président: Vous avez dit que l'un des amendements proposés rend votre situation pire qu'elle ne l'était en 1992. À quel amendement précis faisiez-vous allusion? Je suppose que c'est à l'article 68.
M. Guiney: C'est exact. Il s'agit de l'amendement à l'article 68.
Le président: Vous ne l'avez pas précisé. J'ai supposé que c'était le cas.
M. Guiney: Vous avez eu raison.
Ce qui se passe dans le cas de notre couple qui, avant 1992, aurait dû rembourser une partie de son prêt en cédant son salaire, c'est que maintenant, ces gens-là ne sont pas tenus de rembourser le prêt. Nous faisons référence au paragraphe 68.1(1) que nous avons joint à notre mémoire rédigé en termes très généraux. En effet, il est dit qu'on ne peut recourir à la cession de salaire après la date effective de la faillite. À mon avis, c'est une façon intéressante de dire les choses. Compte tenu du fait que seules les caisses de crédit de l'Ontario peuvent se prévaloir de la garantie de cession de salaire au Canada, le législateur aurait très bien pu dire que les caisses de crédit de l'Ontario ne peuvent appliquer cette disposition qui est axée sur nos activités.
Le syndic, qu'il convainque ou non les gens de déclarer faillite, leur expliquera qu'en vertu de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, la promesse publique qu'ils ont faite de donner leur salaire en garantie pour un prêt ne tient plus. Aucune loi ne les oblige à respecter leur promesse. Par conséquent, ils déclareront faillite.
L'agent de prêt m'informera, en tant que conseiller juridique, que le syndic de la faillite nous prive de la possibilité de recourir à la cession de salaire.
Dans ce cas, notre règlement exige que la caisse de crédit radie immédiatement le prêt qui devient une perte pour la caisse de crédit cette année-là. C'est un coup dur pour les caisses de crédit qu'elles ne devraient habituellement pas encaisser.
Comme M. Guss l'a précisé, le transfert prévu pour 1996 nous oblige à encaisser les coups et c'est le syndic de faillite qui, après tout, en profite, car il touche un pourcentage des sommes récupérées; c'est également à l'avantage des créanciers non garantis qui n'ont jamais négocié ce droit. À notre avis, c'est inéquitable.
Le sénateur St. Germain: Est-ce que vous savez quel pourcentage de prêts vous consentez avec la cession de salaire comme garantie?
M. Guiney: Les données ne sont pas concluantes, mais nous indiquons dans notre mémoire que le niveau de liquidités des caisses de crédit de l'Ontario -- c'est-à-dire l'argent que les caisses de crédit ont accepté en dépôt et qu'elles ne peuvent prêter actuellement parce que cela n'est pas prudent -- n'a jamais été aussi élevé. Ce niveau est de 23 p. 100, soit trois fois le minimum requis par la loi. Nous en concluons donc que nous ne consentons pas maintenant autant de prêts qu'avant.
Le sénateur St. Germain: Est-ce que vous avez des données sur le pourcentage des prêts que vous avez radiés du fait de ne pas avoir pu recourir à cette garantie?
Le sénateur Oliver: À combien s'élèvent les pertes et les radiations de prêts?
M. Guiney: Il est difficile de vous donner des chiffres précis. N'oubliez pas ceci: nous ne prétendons pas perdre de l'argent et être en difficulté. Nous soutenons qu'il est inéquitable pour vous d'accorder un avantage économique, soit la cession de salaire, à des créanciers non garantis, et ce, à notre détriment.
Pour répondre directement à votre question, nous avons inclus des données dans notre mémoire, lesquelles montrent qu'en 1993, soit après les modifications de 1992, les réserves des caisses de crédit pour les créances irrécouvrables avaient augmenté de 17 p. 100 par rapport à l'année antérieure, soit au moment où elles pouvaient se prévaloir de la garantie de cession de salaire.
Le président: Je ne veux pas contester ce que vous dites, mais en toute justice, il faut préciser que c'était en 1992-1993, année où l'Ontario a connu une récession importante pour diverses raisons. Je ne conteste pas vos chiffres. En toute légitimité, on peut se demander s'il y a une relation de cause à effet entre cette modification à la Loi sur la faillite et les données que vous fournissez. Cependant, de nombreuses autres données indiquent que bien d'autres gens qui n'avaient rien à voir avec les caisses de crédit éprouvaient des difficultés en 1992-1993.
M. Guss: Notre argument repose davantage sur une logique a priori. On nous a privés d'un droit. Nous nous sommes adaptés. Aujourd'hui, ce que vous faites, en réalité, c'est de transférer ce droit à quelqu'un d'autre.
Je sais que vous aimeriez avoir des chiffres, mais je tiens à vous parler de ce que nous appelons les «prêts personnels». Les caisses de crédit consentent des prêts personnels. Je veux dire par là que nous accordons des prêts fondés sur notre évaluation de la personne à qui nous prêtons.
La plupart de nos concurrents consentent aussi des prêts personnels, mais à des personnes bien établies dans la communauté des gens d'affaires. Nous, nous consentons des prêts personnels aux travailleurs d'usine de la collectivité.
Nos concurrents exigent des taux d'intérêt beaucoup plus élevés pour ce genre de prêt. Depuis que ce droit a disparu, l'organisme de réglementation qui nous régit nous a dit que lorsque notre portefeuille renfermait des prêts non recouvrables, nous devions les amortir. Aujourd'hui, on nous dit que lorsque nous consentons un prêt assorti d'une garantie de cession de salaire, le prêt n'est pas vraiment garanti parce qu'il sera radié s'il y a des problèmes. Au bout du compte, tous nos prêts assortis d'une garantie de cession de salaire sont considérés par l'organisme de réglementation comme des prêts non garantis et nous sommes forcés de les amortir. En réalité, cela a des répercussions sur le prêteur dans le grand public.
Le sénateur St. Germain: Le premier prêt que j'ai obtenu était une hypothèque à 100 p. 100 que m'avait accordée une caisse de crédit sur une maison en Colombie-Britannique. Ça a très bien fonctionné. Cependant, ce qui me renverse, c'est que, pour ce qui a trait au livre blanc, vous vouliez vous assurer de pouvoir vous structurer de façon à ce que vos réserves correspondent à celles des banques. En Colombie-Britannique, là où vous prétendez qu'il n'en est rien, on assiste à une croissance phénoménale des caisses de crédit en dépit du fait qu'elles peuvent demander des garanties de cession de salaire. Elles font une véritable concurrence aux banques.
Actuellement, la caisse de crédit de Richmond fait de la publicité. J'ai rencontré le président de l'une des six grandes banques qui m'a dit à quel point cette publicité était efficace.
Si vous voulez que les règles du jeu soient les mêmes pour tous, ne croyez-vous pas que tout doit être pareil? Je sais que vous consentez des prêts personnels, mais vous ne pouvez pas avoir le beurre et l'argent du beurre. Qu'en pensez-vous?
M. Guiney: Si vous me permettez d'abord de répondre à la question d'un point de vue pratique, il est juste de dire que les caisses de crédit de la Colombie-Britannique ne se portent pas plus mal du fait qu'elles ne peuvent demander de garanties de cession de salaire. Cela ne fait aucun doute. Il faut voir le développement particulier du système de caisses de crédit de l'Ontario pour comprendre notre approche différente. Nos caisses de crédit se sont développées durant les années 40 et 50 et grâce à leurs relations avec les usines. Dans bien des cas, la caisse de crédit a vu le jour dans le bureau des ressources humaines de l'usine. Nombre d'entre elles ont pris une expansion dont nous sommes assez fiers, certaines ont un actif de centaines de millions de dollars, mais elles sont encore assez petites. C'est cette relation entre l'usine, la caisse de crédit et l'employé qui a toujours donné aux caisses de crédit de l'Ontario le droit d'exiger cette cession de salaire. C'est la raison pour laquelle la province de l'Ontario a adopté une loi précise à cet égard, loi dont on trouve des extraits dans notre mémoire.
Nous sommes ici pour vous demander de faire en sorte que les règles du jeu soient les mêmes pour tous, non pas pour donner à tout le monde des droits égaux parce que les banques ont des avantages que nous n'avons pas et que nous n'aurons jamais, comme la garantie accordée en vertu de la Loi sur les banques, c'est-à-dire la possibilité de prendre une garantie et de l'enregistrer à l'échelle nationale en vertu de cette loi. Ce que nous disons, c'est que notre garantie, qui est reconnue à l'échelle provinciale, ne devrait pas nous être enlevée par le gouvernement fédéral et qu'il est équitable pour nous de continuer d'exercer ce droit.
Le sénateur St. Germain: À votre avis, la Centrale des caisses de crédit de l'Ontario et les caisses de crédit de l'Ontario sont-elles très différentes de celles de la Colombie-Britannique et est-ce que leur fonctionnement est différent du fait qu'elles sont axées sur les usines? Nous avons des organisations comme VanCity et la Caisse de crédit et d'épargne de Richmond.
M. Guss: Nous ne sommes pas tellement différents, mais ce sont nos traditions qui nous différencient. Nous ressemblons de plus en plus à ces organisations. Nous commençons à nous implanter dans les collectivités, mais nos origines remontent à notre intégration dans les usines. Ce qui est différent, c'est qu'en Colombie-Britannique, il y a peut-être 120 caisses de crédit, peut-être aujourd'hui 100, alors qu'ici, nous en avons encore 400. De ces 400, 215 ont encore un actif de moins de 10 millions de dollars. Il y a beaucoup de petites caisses de crédit en Ontario. Nous en avons 150 qui ressemblent à celles des collectivités de la Colombie-Britannique. Nous n'avons rien de comparable à VanCity ou à la Caisse de Richmond, mais nous sommes très fiers de la Caisse de crédit de Niagara, qui compte 15 succursales, et de la Caisse de crédit Metro, qui a 8 ou 10 succursales à Toronto. La Co-opérative de crédit du service civil à Ottawa est très importante et compte environ 15 succursales. Il y a de très bonnes caisses de crédit ici, mais leur tradition est différente.
Le sénateur Kenny: Au départ, je n'ai pas très bien saisi ce que vous avez dit au sujet de l'amortissement des prêts. Je croyais avoir compris que lorsque la personne faisait faillite, vous deviez amortir le prêt, ce qui me semblait parfaitement logique. Vous me dites que lorsque vous accordez un prêt, vous devez l'amortir immédiatement parce qu'il est considéré comme non garanti.
M. Guss: Pas complètement, mais nous devons prévoir immédiatement une réserve.
Le sénateur Kenny: Est-ce que cette réserve est calculée en fonction du pourcentage de prêts qui sont irrécouvrables? Y a-t-il une corrélation entre la réserve et le nombre de prêts non remboursés?
M. Guss: Je dirais non. Nous sommes forcés de prévoir une réserve plus importante que celle correspondant à la valeur des prêts non recouvrés dans cette catégorie. Ce n'est pas un problème qui relève de votre comité, mais du gouvernement provincial.
Le sénateur Kenny: Très bien, mais vous l'avez soulevé devant le comité. La solution serait peut-être d'amortir les prêts pour qu'ils soient suffisamment conformes à la valeur véritable des prêts non remboursés.
M. Guss: C'est exact.
Le sénateur Kenny: Pourriez-vous nous donner des renseignements concernant l'importance des prêts dont le remboursement est fonction des revenus futurs? J'ai bien aimé votre exemple du couple de jeunes mariés. On comprend qu'ils n'aient rien à donner pour garantir le prêt, mais combien de personnes empruntent sur des revenus futurs?
M. Guiney: La réponse à cela, c'est que tous les prêts, à tout le moins 99,9 p. 100 des prêts consentis par les caisses de crédit en Ontario, sont garantis par une cession de salaire.
Le sénateur Kenny: C'est beaucoup.
M. Guiney: En effet, sénateur.
Le sénateur Kenny: Lorsque vous consentez un prêt garanti par des revenus futurs -- en supposant que ces prêts soient remboursables sur une certaine période -- ne serait-il pas raisonnable de signer une entente prévoyant que l'emprunteur remplacera cette garantie par des biens réels au fur et à mesure qu'il en fera l'acquisition pour faire en sorte que le prêt ne soit plus garanti par des revenus futurs? N'est-ce pas une solution de rechange raisonnable pour vous?
M. Guiney: En théorie, c'est possible. Il est difficile d'amener l'emprunteur à renégocier un prêt à des conditions qui sont moins qu'officielles.
Le sénateur Kenny: Je ne parle pas de renégocier le prêt. Je dis que lorsque vous accordez le prêt, vous informez l'emprunteur que s'il acquiert des biens que vous pouvez recouvrer, il doit vous accorder le droit de le faire.
M. Guiney: En théorie, cela est possible. Il faut vous rappeler que tous les créanciers ont accès aux salaires de la personne. Une banque peut saisir jusqu'à 20 p. 100 du salaire d'une personne si le tribunal lui en donne la permission. La garantie de cession de salaire permet aux caisses de crédit d'éviter cela.
Le sénateur Kenny: En tant que membre du comité, ça me dérange, car je me rends compte que la seule façon dont ces personnes peuvent avoir accès à du crédit, c'est en vous promettant une partie de leurs revenus futurs. Je sais que lorsqu'une personne déclare faillite, sa situation financière n'est pas bonne. Cependant, vous dites qu'en dépit du fait qu'il y ait faillite, vous voulez continuer d'obtenir une partie de son revenu.
Lorsque quelqu'un déclare faillite, les autres créanciers ramassent tout ce qu'ils peuvent, mais ils se rendent compte que les miettes sont peu nombreuses. Ai-je raison, ou si les faillis s'en tirent indemnes?
M. Guiney: Je crois que vous avez raison. Dans une faillite, en général, il y a très peu à récupérer.
Le sénateur Kenny: Cela étant dit, vous aimeriez quand même aller mettre la main dans la poche de ces gens-là même s'ils sont censés prendre un nouveau départ.
M. Guiney: Je pense que c'est décrire assez mal notre position. Ce que nous disons, c'est que le projet de loi C-5, de par les amendements à l'article 68, permet aux syndics, aux sociétés de cartes de crédit et aux autres créanciers non garantis d'avoir accès aux salaires des emprunteurs et que ces créanciers demandent un taux d'intérêt élevé. Ce droit nous était accordé avant 1992, et nous croyons que ce droit est davantage le nôtre que celui des syndics ou des autres créanciers. C'est pourquoi nous vous demandons de revenir en arrière. Nous sommes ici parce que l'amendement présenté en 1996 leur accorde cet accès. Je suis d'accord avec vous qu'il faut veiller à ce que les personnes qui déclarent faillite aient suffisamment d'argent pour vivre, mais le gouvernement même a adopté une loi qui donne accès aux salaires de ces personnes.
Le président: La réponse que vous avez donnée à la question du sénateur Kenny m'a fait comprendre ce que j'estime être troublant, à tout le moins pour moi-même, et peut-être pour certains de mes collègues. Vous allez et revenez entre la modification de 1992, qui manifestement a empiré votre situation -- je ne le conteste pas -- et l'amendement proposé en 1996 qui, à votre avis, vous laisserait dans une situation encore plus pénible que celle d'après 1992. C'est l'élément de votre argumentation que je ne comprends pas. Il ne fait aucun doute que votre situation s'est détériorée après 1992. Dans la réponse que vous avez donnée au sénateur Kenny concernant l'amendement proposé, vous êtes rapidement revenu à 1992.
Supposons un instant que le changement de 1992 soit en place. Ce n'est pas ce que vous dites dans votre mémoire. Dans le résumé de votre mémoire, vous dites que l'amendement proposé dans le projet de loi C-5 exacerbe votre situation actuelle, mais vous n'expliquez pas comment.
Le sénateur Oliver: Les témoins disent que maintenant, les créanciers non garantis, par le biais du syndic, jouissent d'un avantage auquel les premiers avaient droit avant.
Le président: Supposons que la modification de 1992 soit maintenant en place. Expliquez-moi précisément pourquoi, si le projet de loi était adopté à la fin de l'année, votre situation serait, en 1997, pire qu'elle ne l'était en 1995, selon vos dires.
M. Guiney: Je crois qu'il est juste de dire que notre situation n'empirerait pas. Nous ne nous opposons pas à l'amendement. Nous disons simplement que si l'on nous avait dit en 1992 que la raison pour laquelle nous devions renoncer à notre droit à la cession de salaire était parce que c'était difficile et injuste pour les faillis, nous ne comprenons pas pourquoi cette même raison ne s'applique pas à l'accès qu'ont les syndics et les créanciers non garantis aux salaires des faillis. Si notre garantie concernant la cession des salaires était perturbante, la leur doit l'être aussi. Je suis d'accord avec vous que nous sommes maintenant considérés comme un créancier non garanti.
Le président: Donc, quand vous dites dans le résumé de votre mémoire que cela exacerbe les dommages causés aux sociétés de crédit par le paragraphe 68.1(1), cela n'est pas tout à fait vrai. Cela n'exacerbe pas votre situation mais ne l'améliorera pas non plus.
Vous m'avez donné la réponse que j'attendais, à savoir que cela n'améliore ni n'aggrave votre situation. Le débat porte sur la décision qui a été prise en 1992, et non sur la décision qui devra être prise par suite de l'adoption du projet de loi C-5.
M. Guss: Oui, mais il y a un lien.
Le sénateur Kenny: Je comprends le problème que vous décrivez. Toutefois, les membres de votre caisse de crédit qui ont déclaré faillite doivent avoir la possibilité de repartir à neuf.
Pourquoi ne pas concevoir vos prêts de sorte qu'un jour, vous ne compterez pas entièrement sur les revenus futurs et résoudrez votre problème de cette façon plutôt que de rendre la vie plus difficile à quelqu'un qui sort d'une faillite?
M. Guss: Je vais laisser M. Guiney, notre conseiller juridique, répondre à cette question, mais j'aimerais ajouter quelques détails. D'un point de vue pratique, si vous vous assoyez avec quelqu'un et dites: «Nous allons vous prêter 10 000 $ aujourd'hui, un prêt non garanti, mais lorsque vous achèterez une maison, vous devrez nous en donner une partie en garantie»; le fait est que cette personne peut acheter la maison, sans nous le dire, obtenir une hypothèque auprès d'un autre établissement et nous n'aurions tout simplement aucune garantie sur la maison. Il est très difficile d'obtenir un droit actuel sur un bien non encore acquis.
Le sénateur Kenny: Vous dites que ma proposition n'est tout simplement pas pratique.
M. Guss: C'est probablement le cas.
J'aimerais discuter du point que le sénateur St. Germain a soulevé tout à l'heure, c'est-à-dire le fait d'établir les mêmes règles du jeu pour tous.
Les gens diront qu'en 1992, tout ce qu'on a fait, c'est de faire en sorte que les règles du jeu soient les mêmes pour tous. Cependant, en 1996, vous faites le contraire, en ce sens que vous accordez ces droits à quelqu'un d'autre. Vous ne tenez pas compte des motifs qui sous-tendaient la politique qui a motivé la modification en 1992, à savoir que l'on ne devrait pas saisir le salaire de ces personnes. Avec le changement qui sera adopté en 1996, vous dites que les salaires peuvent être saisis et qu'en plus, on peut les donner à ce groupe de créanciers non garantis.
Le président: Votre conseiller juridique et vous avez donné des réponses diamétralement opposées à ma question. Vous devriez peut-être réfléchir à cela.
Le sénateur Oliver: Le sénateur Kenny a déjà très savamment posé la question que je souhaitais poser, mais j'ai une question concernant les priorités et la façon dont votre garantie fonctionne.
Votre formulaire concernant la cession de salaire semble impliquer plus qu'une simple cession de 20 p. 100 de tous les salaires. À la lecture, je trouve que cela ressemble à un billet à ordre payable sur demande et à un jugement sommaire réunis. Vous dites: «... toute autre somme à la caisse de crédit, et j'autorise irrévocablement par les présentes la caisse de crédit à obtenir tout pouvoir qui peut être adéquat et nécessaire pour la récupération d'un ou des montants...». C'est vraiment plus qu'une simple cession de salaire.
S'il y avait saisie des salaires de l'emprunteur pour couvrir ces 20 p. 100, et s'il y avait une ordonnance alimentaire -- et je crois savoir qu'en Ontario cela correspondrait à 50 p. 100 des salaires -- qui aurait la priorité? D'après l'annexe III, je crois comprendre que 80 p. 100 des salaires d'une personne sont exempts de saisie. Où se trouvent vos 20 p. 100 là-dedans?
M. Guiney: Nous obtiendrions les 20 p. 100 tout dépendant de la façon dont la caisse de crédit aurait rédigé la cession de salaire. Si elle l'avait enregistrée dans les biens personnels garantis, elle aurait priorité sur les créanciers non garantis qui réclament une cession de salaire.
Le sénateur Oliver: Auriez-vous priorité sur l'ordonnance alimentaire?
M. Guiney: Nous viendrions après, et après la saisie qui aurait été remise aux créanciers avant la signature de la cession de salaire.
Le sénateur Oliver: Vous pourriez alors vous retrouver avec 40 p. 100.
M. Guiney: Bien que nous puissions exercer le droit à la cession de salaire, cela ne nous donne pas un premier droit dans chaque cas.
Le sénateur Kenny: Si une personne travaille pour 40 p. 100 de son salaire, cela diminue beaucoup son incitation à travailler.
M. Guiney: Si quelqu'un est assujetti à une ordonnance alimentaire, vous ne pouvez pas prendre plus de 20 p. 100. L'avis de saisie s'appliquerait. La première tranche de 20 p. 100 irait à l'autre créancier et la caisse de crédit n'obtiendrait rien.
Le sénateur Kenny: Tout ce dont vous parlez, c'est d'une question de temps.
M. Guiney: Oui.
Le sénateur Oliver: Votre formulaire ressemble à un formulaire de billet à ordre payable sur demande et à un jugement sommaire réunis sous forme de cession de salaire. Avez-vous des commentaires là-dessus?
M. Guiney: Il ne fait aucun doute que l'Ontario permet aux caisses de crédit d'appliquer ce genre de cession de salaire sans avoir recours aux tribunaux. Cela n'est donc pas différent d'une hypothèque mobilière ou de tout autre genre de garantie qu'un prêteur peut prendre sur un bien matériel. Essentiellement, il s'agit d'un formulaire qui est semblable aux autres formulaires reconnus de garantie sur des biens personnels.
Les éléments de la cession de salaire dont vous parlez sont les éléments qui permettent à la caisse de crédit de piger dans l'argent que le membre a dans son compte si son prêt est en souffrance. Cette disposition ressemble à celle de l'article 43 de la Loi sur les caisses populaires qui accorde ce droit aux caisses de crédit.
Le sénateur Oliver: Si une personne reçoit une prime de Noël de 500 $, d'après les termes de votre cession de salaire, cette prime pourrait-elle être saisie?
M. Guiney: Seulement 20 p. 100 pourrait l'être.
C'est ainsi que nous voyons les choses. Une fois que l'argent est dans le compte, il ne s'agit plus de salaires. Si l'argent devait se trouver dans le compte du membre pendant un certain temps et que le prêt devenait en souffrance, nous invoquerions alors l'article 43 de la Loi sur les caisses populaires pour prendre l'argent, mais nous ne pourrions pas recourir à la cession de salaire.
Le sénateur St. Germain: Si quelqu'un déclare faillite, comment les créanciers non garantis comme les sociétés de cartes de crédit profitent-elles de la cession de salaire en vertu du système de 1992? Vous n'arrêtez pas de parler de cela. Est-ce que vous parlez de cela en vous basant sur le désir de révoquer le scénario de 1992 ou sur ce qui s'est produit depuis 1992? Vous dites sans cesse que l'avantage est accordé aux créanciers non garantis. Si quelqu'un déclare faillite et que le syndic établit ce qui doit être payé, en quoi perdez-vous?
M. Guiney: En 1992, le gouvernement du Canada a fait de nous un créancier non garanti. Depuis 1992, nous sommes dans le même bateau que les sociétés de cartes de crédit et toutes les sociétés de financement qui ne prennent pas de garantie. Le gouvernement a changé notre statut en déclarant que nous sommes un créancier non garanti. C'est là d'abord que cela nous a fait du tort. Et pour empirer les choses, la raison qu'on a donnée pour modifier le changement était que le salaire et les cessions de salaire nuisaient au processus d'administration des faillites.
Dans les amendements de 1996, le gouvernement semble ne pas avoir tenu compte de la raison justifiant de ne pas toucher au salaire d'une personne et a prévu une disposition faisant en sorte qu'il est plus facile pour tous les créanciers d'avoir accès au salaire par le biais du syndic de faillite.
Le président: Ils n'ont accès qu'aux revenus excédentaires. C'est une grosse différence.
M. Guiney: Absolument. Nous demandons alors ceci: pourquoi le gouvernement a-t-il supprimé notre droit de recourir à la cession de salaire dans les dispositions de 1992 sans tenir compte de la politique qui justifiait cette élimination de droit en prévoyant une disposition en 1996 qui donne à tout le monde le droit d'avoir accès au salaire, ce qui était notre droit exclusif? C'est là que cela nous cause du tort.
Le président: Je comprends votre plainte au sujet de 1992. Votre plainte au sujet de 1996 et l'interprétation que vous en faites sont que les revenus supplémentaires devraient d'abord être distribués uniquement aux personnes qui ont une garantie sur les salaires, notamment vous-mêmes, par opposition aux revenus supplémentaires pouvant être distribués à tous les créanciers non garantis. Essentiellement, c'est là votre position, n'est-ce pas?
M. Guiney: C'est exact.
Le président: Vous en arrivez à cette logique en établissant un parallèle entre les revenus excédentaires d'une part, et les revenus tirés de salaires d'autre part. Vous dites que s'il y a revenus excédentaires, il s'agit de revenus tirés d'un salaire. Par conséquent, si quelqu'un doit obtenir une partie de ces revenus, vous devez être les premiers parce que, au départ, vous les aviez en garantie.
M. Guiney: C'est exact.
Le président: Je comprends votre situation. Merci beaucoup d'avoir comparu aujourd'hui. Je suis désolé que cela nous ait pris un peu de temps à cerner le coeur du problème, mais maintenant, nous le comprenons.
Honorables sénateurs, nos témoins suivants sont les représentants de l'Association des commissions des accidents du travail du Canada. Leur porte-parole est M. David Stuewe.
M. David Stuewe, président, Association des commissions des accidents du travail du Canada et chef de la direction, Commission des accidents du travail de la Nouvelle-Écosse: Monsieur le président, j'aimerais d'abord vous présenter M. Douglas Carr, conseiller juridique de la CAT de l'Alberta. M. Maurice Cloutier est avocat de la CSST au Québec, et M. Graham Steele est conseiller juridique de la Commission des accidents du travail de la Nouvelle-Écosse.
D'abord, j'aimerais vous dire en quoi consiste l'Association des commissions des accidents du travail. En tant que groupe de douze commissions, nous nous réunissons régulièrement pour essayer de régler les problèmes communs et d'améliorer le système général pour l'ensemble de l'économie canadienne.
Compte tenu des indemnités versées aux travailleurs accidentés, les douze commissions assument des obligations contractuelles d'environ 31 milliards de dollars. Nous touchons 6,5 milliards de dollars en cotisations annuelles. Nous nous occupons d'environ 960 000 accidents par année, soit presque un million, statistique qui, en soi, est une honte au Canada.
Le projet de loi C-5, plus particulièrement les articles 73 et 74, prendra de 15 à 20 millions de dollars des contributions actuelles qui sont reçues et récupérées par le biais de faillites, et pourrait avoir pour effet d'accroître les cotisations au Canada d'environ un cent, c'est-à-dire 24 millions de dollars qui sortiront de l'économie pour compenser les pertes de revenus.
Le sénateur St. Germain a parlé de justice et d'équité. L'Association des commissions des accidents du travail du Canada souscrit en tous points à cet objectif. Cependant, il ressort clairement de la lettre que le ministre Manley a fait parvenir au ministre MacDonald la semaine dernière que les conseillers de M. Manley sont mal informés et ne comprennent pas l'importance historique des indemnités versées aux accidentés du travail. Ils n'ont pas examiné les données empiriques dont nous disposons et qui indiquent qui verse les indemnités. Voilà la principale question que nous voulons aborder.
Nous sommes préoccupés par les conséquences négatives que cet amendement aura sur l'économie. Nous savons que vous avez entre autres pour responsabilités, en tant que membres du comité, de vous occuper de l'économie. Nous n'aurons d'autre choix que de prendre des mesures hâtives si nous voulons protéger les intérêts qu'on nous a confiés.
Ce ne sont pas les employeurs qui versent les cotisations de la CAT, et c'est là le coeur de l'argumentation. Je vais vous faire l'historique de cette question.
On dit au paragraphe 73(2) que les CAT peuvent prendre des garanties. Les commissions des accidents du travail ne disposent d'aucune marge de manoeuvre à cet égard. Nous sommes tenus de par la loi d'accorder des indemnités aux travailleurs, peu importe que les cotisations aient été versées ou non. Pourquoi un employeur nous donnerait-il une garantie? En ce qui concerne le processus juridique, nous ne sommes pas de la partie.
Dans sa lettre, le ministre Manley a dit que les employeurs paient les indemnités versées aux accidentés du travail. Cependant, si vous regardez l'historique des commissions des accidents du travail au Canada, et si vous examinez la jurisprudence depuis 1992, vous tirerez une conclusion très différente.
Le gouvernement soutient que cet amendement vise à corriger un problème créé par la modification de 1992. Il soutient que les CAT sont des sociétés d'État. Le sénateur Oliver sait que ce n'est pas le cas parce qu'il a déjà représenté certaines commissions des accidents du travail. Ce ne sont pas des sociétés d'État. Les commissions des accidents du travail ont été créées à la suite d'un compromis parce que les employeurs voulaient s'assurer que les employés n'intentent pas de poursuites juridiques contre eux à la suite d'un accident de travail et que les employés se sont dits d'accord. Comme cela se fait toujours au Canada, nous avons établi un organisme tiers et neutre chargé d'administrer cet argent.
Les CAT ont été créées pour constituer cette tierce partie neutre pour des fins de simplicité et d'efficacité administrative et pour recevoir l'argent. Nous remettons cet argent aux accidentés du travail.
Le document que je vous ai remis ainsi qu'au ministre Manley hier constitue une recherche empirique. Il s'agit du document de John Burton intitulé: «Who Actually Pays for Workers' Compensation, The Empirical Evidence.»
John Burton est rattaché à la Rutgers University aux États-Unis. Il a examiné diverses études qui portent sur la façon dont les gens versent les cotisations.
J'ai fait preuve de prudence dans mon approche en notant dans ma lettre que seulement environ 56 à 58 p. 100 des fonds proviennent des travailleurs. L'étude de John Burton montre que sur trois ans, peu importe l'augmentation des indemnisations des accidentés du travail, d'un point de vue empirique, ces indemnités proviennent des salaires des travailleurs. Nous assistons à une réduction des salaires. L'homme ou la femme d'affaires reconnaît que l'on verse au travailleur un salaire et qu'on lui accorde des avantages. C'est tout cet argent-là qui est en jeu.
Nous croyons que le gouvernement a mal compris et ne sait pas qui paie, comme en témoigne l'échec de la modification de 1992 avec laquelle le gouvernement croyait avoir réglé le problème. La question a été soumise aux tribunaux et il a été décidé que les CAT n'étaient pas des sociétés d'État. Les CAT se sont vu accorder la priorité et nous avons été en mesure de recouvrer l'argent.
Ce qui nous inquiète, si le projet de loi est adopté, c'est que nous serons relégués au rang de créanciers non garantis et que nous n'aurons même pas le droit d'obtenir une garantie. Cela est important lorsqu'il est question d'établir des règles du jeu qui sont les mêmes pour tous. L'employeur n'a aucune raison de donner une garantie parce qu'il sait que nous sommes tenus de par la loi de payer les indemnités aux travailleurs accidentés.
Le projet de loi ne fait rien pour rendre les règles du jeu équitables. Il crée une situation où les commissions des accidents du travail agissant au nom des travailleurs du Canada sont reléguées au second rang.
J'ai soulevé cette question auprès de la FCEI. Ceux d'entre vous qui viennent de la Nouvelle-Écosse connaissent Peter O'Brien.
Le président: Il s'agit de la Fédération canadienne des entreprises indépendantes, qui est une association nationale de petites entreprises.
M. Stuewe: Oui. L'Association nationale s'est liguée avec les banques à ce sujet. Les amendements proposés ici accorderont aux créanciers garantis, surtout les banques, accès aux revenus que les CAT ont toujours perçus. Le directeur général de la FCEI pour la région de l'Atlantique est inquiet de voir que ce changement risque de faire augmenter les coûts de la Commission des accidents du travail. Dans la région de l'Atlantique, les charges salariales -- et je suis sûr que vous en avez déjà entendu parler -- sont le plus grand obstacle à la création d'emplois. Cet amendement fera probablement augmenter d'un cent les cotisations dans tout le pays. Cela veut dire 24 millions de dollars qui sortiront de l'économie canadienne.
En tant qu'administrateurs, nous avons une responsabilité fiduciaire, qui est de nous occuper des travailleurs accidentés et des fonds qui nous ont été confiés. Comme nous ne pouvons obtenir de garanties, nous n'aurons pas de statut, et nous allons devoir prendre des mesures hâtives, ce qui sera déplorable pour l'économie. Cela veut dire que nous allons nous retrouver dans des situations relativement instables et les rendre encore plus instables avant une faillite afin de protéger nos intérêts, sinon nous allons devoir augmenter les cotisations et nous croyons que cela serait néfaste pour l'économie.
Je peux vous donner beaucoup de détails sur les aspects juridiques. Mon collègue, Doug Carr, qui a rédigé le mémoire, serait disposé à vous faire état de la jurisprudence et des modifications qui ont été adoptées depuis 1948. Mais ce qui importe, c'est que le projet de loi ne rend pas les règles du jeu équitables pour tout le monde. Les conseillers du gouvernement ne comprennent pas parce qu'ils n'ont pas tenu compte de l'historique des commissions des accidents du travail et qu'ils n'ont pas non plus examiné les preuves empiriques. Ils ont créé une situation qui, par définition, va nous forcer à nous retirer, ce qui nous amènera soit à prélever 24 millions de l'économie, soit à créer des problèmes à des entreprises qui se battent pour rester en affaires, ce qui serait très malheureux.
Nous espérons que vos collègues et vous au Sénat examinerez cette question et demanderez à la Chambre des communes de la revoir. Malheureusement, nous n'avons pas eu l'occasion de témoigner devant le comité de la Chambre. Nous sommes très heureux d'être avec vous aujourd'hui.
Le président: J'aimerais revenir simplement sur votre dernier point pour les fins du compte rendu. Pourquoi n'avez-vous pas comparu devant le comité de la Chambre?
M. Stuewe: Malheureusement, nous avons été informés des audiences trop tard. Nous avons comparu devant un comité composé de représentants de l'industrie et dirigé par les banques.
Le président: Vous voulez dire le CCFI?
M. Stuewe: C'est exact.
Le président: Le comité de la Chambre ne vous a pas refusés. Au moment où vous avez été informés des audiences, elles étaient presque terminées?
M. Stuewe: C'est exact. Le comité en était à son avant-dernière journée de travail.
Le sénateur St. Germain: Vous avez répondu à ma question. C'est malheureux que vous n'ayez pas pu comparaître devant le comité des Communes.
Le sénateur Oliver: Ce que vous nous demandez de faire, c'est de préparer un amendement aux articles 73 et 74. Avez-vous rédigé une ébauche d'amendement?
M. Stuewe: Il y a deux options.
Le sénateur Oliver: Avez-vous une ébauche ou pourriez-vous nous lire ce que vous voulez de sorte que nous puissions l'analyser?
M. Stuewe: Vous devriez soit nous accorder un statut semblable à celui dont jouit la RRQ, le RPC ou l'A-E, ou simplement supprimer les articles 73 et 74. Nous reviendrons alors à notre situation actuelle parce que les tribunaux ont décidé que nous avons cette priorité.
Le président: Ce que vous dites en réalité, c'est qu'en 1992, on a tenté de changer la priorité, compte tenu des contributions des CAT.
M. Stuewe: C'est exact.
Le président: C'est ce que proposait le changement adopté en 1992. De fait, les tribunaux ont rendu des décisions précises qui vont à l'encontre de cette intention et agissent comme si le changement apporté en 1992 n'existait pas. En fait, vous avez effectivement une priorité. L'amendement proposé dans le projet de loi C-5 vise à restaurer l'objectif du changement apporté en 1992 pour être conforme aux décisions des tribunaux. Est-ce bien décrire le problème?
M. Stuewe: C'est le problème, sénateur Kirby. Ce qui est intéressant, c'est qu'en 1992, le ministère ne comprenait rien aux indemnisations des accidentés du travail. Il veut faire le changement, mais ce faisant, il a empiré notre situation parce que nous ne pouvons pas obtenir de garanties.
Le président: Vous nous aideriez si vous aviez un texte des amendements que vous souhaitez apporter. Si nous ne faisons rien, vous reconnaissez que la jurisprudence actuelle a restauré votre priorité. Cependant, vous préféreriez avoir une déclaration claire disant que vous avez la même priorité que la RRQ, le RPC et l'A-E, est-ce exact?
M. Stuewe: C'est exactement cela, sénateur. Nous croyons que les indemnisations aux accidentés du travail font partie du très important filet de sécurité socio-économique de notre pays. Si nous voulons assurer l'efficacité de nos activités et être en mesure de régler les problèmes que nous affrontons, plus particulièrement de la part des banques, nous vous demandons de préciser très clairement que notre statut est semblable à celui de la RRQ ou du RPC.
Le sénateur Oliver: Est-ce quelqu'un a un document à ce sujet?
M. Stuewe: Nous sommes tout à fait disposés à en préparer un et à vous le remettre rapidement.
Le sénateur St. Germain: Est-ce que toutes les associations du pays sont d'accord?
M. Stuewe: Oui. Je crois que vous constaterez que c'est le cas, non seulement au niveau de la direction, mais au niveau gouvernemental, ce qui est important. Six ministres du Travail ont envoyé des lettres. Les autres sont en train de les rédiger. J'ai quelques-unes de ces lettres avec moi aujourd'hui, si vous voulez en prendre connaissance.
Le président: Ce n'est pas nécessaire de nous donner les preuves que vous avez aujourd'hui, mais si nous pouvions les soumettre aux représentants du gouvernement qui comparaîtront à nouveau sur la question jeudi prochain, cela serait utile.
Votre description de l'historique et des origines de la CAT est la plus lucide que j'aie jamais entendue. Merci.
La séance est levée.