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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 21 - Témoignages - Séance de l'après-midi


ST. JOHN'S, le mercredi 5 mars 1997

Le comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit ce jour à 14 heures pour poursuivre son examen du projet de loi C-70, modifiant la Loi sur la taxe d'accise, la Loi sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces, la Loi de l'impôt sur le revenu, la Loi sur le compte de service et de réduction de la dette et des lois connexes.

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Sénateurs, selon mes informations les délégués de la Newfoundland and Labrador Pensioners and Senior Citizens Association vont se joindre à nous sous peu, ils sont en route.

Pour la première séance de l'après-midi nous recevons la Fédération du travail de Terre-Neuve et du Labrador, avec Mme Corinne Budgell, puis la Coalition for Equality, avec M. Martin Saunders et Mme Bev Brown, et pour le groupe Survive, M. Des McGrath.

M. Des McGrath, membre fondateur, Survive: Notre association estime que l'harmonisation, telle que proposée, est non seulement inconstitutionnelle, mais qu'elle menacera la survie socio-économique même de Terre-Neuve. Les mesures législatives proposées, à notre avis, reviennent à imposer une taxe fédérale sur la valeur ajoutée, avec reversement de 8 p. 100 à la province plus une injection, en une seule fois, de plusieurs centaines de millions de dollars, en échange du gain politique que représente pour le gouvernement fédéral la possibilité d'élargir ses compétences en matière d'imposition.

C'est à partir de la décision de la Cour suprême du 3 octobre 1950 que nous sommes parvenus à cette conclusion. Cette décision portait sur la délégation de pouvoir fiscal appliquée dans les années 40. Il s'agissait d'un procès entre l'Hôtel Lord Nelson et le procureur général de la Nouvelle-Écosse. La province levait un impôt que l'Hôtel Lord Nelson, à ce moment-là, estimait être contraire à la Constitution, et de ce fait le contesta jusqu'à la Cour suprême du Canada. La cour estima que cette délégation de pouvoir de l'Assemblée législative nationale à son homologue provincial modifiait profondément la nature du fédéralisme canadien, et que ni le Parlement ni les assemblées législatives étaient autorisés par l'Acte de l'Amérique du Nord britannique à prendre des décisions qui, de l'avis de la cour, reviendraient à modifier, pour les besoins, la division des pouvoirs législatifs. Dans l'exposé des motifs de sa conclusion, la Cour suprême défend la doctrine des compartiments étanches en matière de division des pouvoirs tels que définis aux articles 91 et 92, en confirmant que le partage des pouvoirs entre les paliers de gouvernement constituait une barrière infranchissable.

Le juge en chef M. Renfert, dans son résumé, estimait que le Parlement du Canada et les assemblées législatives provinciales restaient assujettis à l'Acte de l'Amérique du Nord britannique et qu'aucune de ces instances n'avait une marge de manoeuvre aussi illimitée que celle que l'on reconnaîtrait à un particulier. Leur pouvoir législatif ne pouvait être, d'après lui, exercé que dans le cadre des articles 91 et 92 de l'Acte, par lesquels ils étaient définis. Le juge en chef a déclaré que la Constitution n'était pas la propriété du Parlement ni des assemblées législatives, mais du pays, et qu'elle assurait aux citoyens la protection des droits qui leur étaient reconnus. Cette protection pouvait donner lieu à des mesures législatives du Parlement, sous réserve des limites imposées par l'article 91, le pouvoir de la province se limitant exclusivement -- le terme clé est bien «exclusivement» -- à ce qui est défini à l'article 92. Aucun pouvoir de délégation, selon le juge, n'est défini à l'article 91 ou 92, et ce pouvoir de délégation d'un organe à l'autre n'est défini nulle part ailleurs. Le juge poursuivait en déclarant que l'Acte de l'Amérique du Nord britannique faisait de ces organes des compartiments étanches, principe essentiel au fonctionnement de la structure d'origine.

C'est dans cet esprit qu'il faut concevoir le pouvoir d'imposition directe. Nous avons des taxes de vente provinciales depuis 1949, date à laquelle nous avons rejoint la Confédération, et je pense qu'il est inconstitutionnel que notre province abandonne à Ottawa 570 millions de dollars de recettes fiscales annuelles qui pourraient être utilisées à des fins que la province peut définir.

Mme Corinne Budgell, première vice-présidente, Fédération du travail de Terre-Neuve et du Labrador: La Fédération du travail de Terre-Neuve et du Labrador représente environ 50 000 travailleurs, hommes et femmes, et leurs familles habitant la province. Nous sommes composés de 30 syndicats affiliés à la fédération, et cinq conseils professionnels de district.

Les secteurs d'activité couverts par nos syndicats membres vont de la pêche aux activités minières, à la foresterie, à la construction navale, aux bâtiments, au commerce de détail, à l'hôtellerie et aux services publics.

L'adoption d'une taxe de vente harmonisée aggrave les inégalités d'une fiscalité déjà injuste, et freinera la croissance économique dans la province. Cette nouvelle fiscalité régressive frappera durement les tranches inférieures de revenu qui feront les frais de l'élargissement de l'assiette fiscale sans pouvoir bénéficier d'un abaissement du taux d'imposition.

Sur le plan des prix cette taxe de vente harmonisée frappera plus durement les plus défavorisés, les biens et services de première nécessité coûteront plus cher, ce que nous déplorons. Selon le Conseil économique des provinces de l'Atlantique, la province de Terre-Neuve et le Labrador verront le prix des vêtements augmenter de 1,1 p. 100, celui de l'énergie et des carburants de 5,5 p. 100, et celui des services aux particuliers, des services juridiques et financiers de 4,2 p. 100 en 1997.

Avec un climat comme celui que nous connaissons dans la province, il est absolument indispensable de pouvoir se chauffer et d'avoir de l'eau chaude. Or, on constate que l'augmentation la plus importante est celle du prix du mazout et de l'énergie, ce qui touchera durement les familles des tranches inférieures de revenu, et là encore surtout les familles monoparentales et plus particulièrement les femmes. Alors que par ailleurs le travail féminin est largement sous-évalué et qu'on a tendance à reléguer les femmes dans des «ghettos» professionnels, et compte tenu par ailleurs de leur dépendance économique globale, toute augmentation des biens et services de première nécessité les frappera plus durement. Par ailleurs, le prix des services juridiques augmentant de 4,2 p. 100, les femmes qui seront contraintes de quitter un conjoint violent auront plus difficilement accès à ces services, moins de chances d'affirmer leur indépendance économique face à ce conjoint violent, et les chances qu'elles vivent dans la pauvreté avec leurs enfants augmenteront.

Par contre, tout ce qui n'est pas de première nécessité coûtera moins cher, et seules les tranches supérieures de revenu en profiteront. Le prix des véhicules automobiles, neufs et usagés, baissera de 2,9 p. 100, les loisirs et divertissements verront leurs prix tomber de 3,2 p. 100, les restaurants et les hôtels seront 3 p. 100 moins chers. Il apparaît donc clairement que cette mesure d'harmonisation de la taxe de vente profitera d'abord aux nantis, tout en creusant l'écart entre les riches et les pauvres.

De plus, toute tendance à déplacer la fiscalité vers la consommation fait baisser les dépenses globales de ce secteur, avec des effets négatifs sur l'économie. L'adoption de la TPS en 1991 a été suivie de deux années de ralentissement économique dans la plupart des provinces de l'Atlantique, et le secteur de la consommation depuis lors ne s'est pas véritablement relevé. Dans le Canada atlantique, les taxes à la consommation représentent une part relativement plus importante de la fiscalité provinciale, soit un tiers de la recette prélevée sur la province, alors que pour le Canada dans son ensemble, ce chiffre est de 20 p. 100.

En dépit d'une assiette fiscale élargie, la recette provinciale chutera, et le taux de 15 p. 100 sera inférieur à la TPS et taxe provinciale réunies, bien qu'appliqué à une assiette fiscale plus étroite. Le gouvernement fédéral s'est engagé à verser près d'un milliard de dollars sous forme de subventions aux trois provinces de l'Atlantique, pendant les quatre années à venir, afin de compenser ce manque à gagner prévisible. Nous déplorons que cet argent puisse être utilisé, en fait, pour financer des allégements fiscaux aux entreprises, pendant que les Canadiens ordinaires paieront plus cher les produits de première nécessité, à un moment précisément où le gouvernement déclare ne plus pouvoir maintenir les services sociaux au même niveau. Nous ne faisons pas confiance aux politiques de déficit budgétaire des libéraux, du palier fédéral ou provincial, et aimerions savoir ce qu'il adviendra de notre économie dans quatre ans, lorsque les subventions fédérales viendront à terme. Nous pensons, quant à nous, que l'on procédera à un nouvel élargissement de l'assiette fiscale.

Ce qui est clair par contre, c'est que les entreprises bénéficieront grandement de l'harmonisation puisqu'elles ne paieront plus les taxes de vente provinciale sur leurs achats, ce fardeau étant répercuté sur les consommateurs canadiens. À Terre-Neuve et au Labrador, les entreprises ont payé 207,8 millions de dollars de taxes en 1992. Les frais d'administration des entreprises seront plus faibles et, comme il est peu probable que ces économies soient répercutées sur les consommateurs, leurs bénéfices seront plus élevés. D'après le CEPA, les économies résultant de l'harmonisation des taxes de vente donneront lieu à un transfert entre entreprises et non à un transfert des entreprises vers les consommateurs.

Il se peut que l'harmonisation des taxes de vente rende le volet actuel des taxes sur les ventes plus efficace et garantisse le maintien de l'assiette fiscale, mais cela n'améliore en rien la progressivité globale du régime. Elle profite aux nantis et aux entreprises et pénalise les familles à faible revenu et les groupes marginalisés de notre société. La Fédération du travail de Terre-Neuve et du Labrador, de concert avec le mouvement syndical de tout le Canada, les groupes de défense de la justice sociale et les groupes communautaires, préconise depuis quelque temps un régime fiscal plus équitable et plus progressif. Malheureusement, nos propositions relatives à une taxe sur la richesse et à des changements de progressivité dans les régimes d'imposition du revenu des sociétés et des particuliers afin de préserver l'intégrité de l'assiette fiscale ont été systématiquement écartées par le gouvernement fédéral.

Nous vous encourageons fortement, vous, les membres du comité, à rejeter le projet de loi C-70 pour les raisons énoncées dans notre mémoire, et à recommander une révision en profondeur du régime fiscal actuel dans le but de le rendre plus équitable et plus progressif.

Mme Bev Brown, membre, Coalition for Equality et Organisation nationale anti-pauvreté: La semaine dernière, le sénateur Erminie Cohen, votre collègue, a publié un rapport très fouillé et très détaillé qui révèle que l'écart se creuse entre les riches et les pauvres au Canada, et je la remercie de ce travail. Elle nous apprend qu'en 1994, le quintile de Canadiens les plus riches gagnait près de la moitié des revenus au Canada tandis que le quintile le plus pauvre ne comptait que pour 3,4 p. 100 de tous les revenus.

Étant donné les coupes importantes que le gouvernement canadien continue d'effectuer dans les programmes sociaux, le quintile de Canadiens les plus pauvres qui vivent ici à Terre-Neuve et au Labrador a subi coupure après coupure au fur et à mesure que les transferts fédéraux à la province étaient réduits. Parce que notre secteur des pêches a été mal géré et que les stocks ont décliné, des dizaines de milliers de Terre-Neuviens sont sans emploi. Le nouveau programme d'assurance-emploi pénalise durement de nombreux Terre-Neuviens qui occupent des emplois saisonniers dans le secteur des ressources.

La Stratégie du poisson de fond de l'Atlantique a été mise en place pour aider les travailleurs qui ont perdu leur emploi et leur mode de vie ici parce que les stocks de morue ont été mal gérés et se sont effondrés. Environ 300 bénéficiaires de la Stratégie du poisson de fond de l'Atlantique arrivent en fin de droit à tous les mois et le programme lui-même prendra fin en 1998. Ces gens doivent essayer de se trouver du travail dans une région où les emplois sont aussi rares que le poisson.

En outre, les Terre-Neuviens devront dorénavant payer une nouvelle taxe à la consommation qui portera un dur coup aux travailleurs à faible revenu, mais notre ministre des Finances qui comparaîtra devant le comité à 15 h 45 prétend que la grande majorité des familles dans toutes les tranches de revenu paieront moins de taxes. Cette affirmation est juste seulement pour ceux qui ont des revenus discrétionnaires à dépenser, ce qui n'est pas le cas des gens qui ont des revenus faibles et fixes comme les retraités, les gens obligés de vivre de l'aide sociale et des gens qui ont des emplois mal rémunérés ou qui reçoivent des prestations d'assurance-emploi. Ces gens seront tous durement touchés par la nouvelle taxe de vente harmonisée parce qu'ils n'achètent pas de nombreux articles qui bénéficieront d'un taux de taxe réduit comme les véhicules, les activités récréatives ou les chambres d'hôtel. La nouvelle taxe de 8 p. 100 sur le mazout domestique -- et le prix du pétrole vient d'augmenter -- l'électricité, les dépenses de transport, l'essence et les vêtements pour enfants représente une augmentation énorme pour des gens qui ont de modestes revenus fixes. Il est extrêmement injuste d'instaurer cette taxe qui aura pour effet d'accroître d'autant la pauvreté chez les plus démunis de notre province.

On n'a pas prévu d'accorder des remises aux Terre-Neuviens à faible revenu qui souffriront de l'augmentation des coûts de chauffage, bien que nous vivions dans la plus pauvre des trois provinces participantes. La province perdra aussi 72 millions de dollars de recettes fiscales quand prendront fin, dans quatre ans, les paiements de péréquations prévus.

Les gens pauvres sont les plus durement touchés par les taxes à la consommation. Comme je devrai moi-même absorber cette énorme dépense additionnelle, je vous demande de cesser de voler les pauvres dans le but d'augmenter les revenus des entreprises. Le rapport de le sénateur Cohen montre de façon concluante que les politiques du gouvernement ont eu des effets très négatifs sur les Canadiens ayant les plus faibles revenus. Elle demande pourquoi nous détruisons systématiquement notre système de redistribution des revenus. La taxe de vente harmonisée favorise les travailleurs à revenu élevé et rend la vie un peu plus dure aux Canadiens à faible revenu.

Je vous demande à vous, les sénateurs, de proposer des solutions efficaces à cet accroissement de l'iniquité quand vous ferez rapport au gouvernement du Canada de ce que vous avez entendu dans les provinces atlantiques et je vous demande de bloquer ce projet de loi.

M. Martin Saunders, membre, Coalition for Equality: L'harmonisation rend plus efficace le volet taxe de vente du régime fiscal actuel et garantit l'intégrité de l'assiette fiscale actuelle, mais elle n'améliore en rien l'ensemble du régime fiscal. L'harmonisation comporte un déplacement modeste du fardeau de la taxe qui frappe les bénéfices et les consommateurs étrangers en le faisant porter dorénavant par les consommateurs, les pauvres et les petits salariés.

Il me semble que depuis le début des années 80, toutes les modifications apportées au régime fiscal ont eu pour but d'alléger le fardeau fiscal des entreprises tout en alourdissant le fardeau des gagne-petit et de la classe moyenne. C'est de nouveau ce qui se produit avec l'harmonisation de la TPS et de la TVP. Ce sont les entreprises qui bénéficieront le plus du nouveau système puisqu'il sera plus facile à administrer et qu'elles n'auront plus à payer la taxe de vente provinciale.

Les économies résultant de l'harmonisation donneront lieu à un transfert entre entreprises. Elles passeront des entreprises aux consommateurs. Sauf dans le cas des logements neufs et des véhicules automobiles, les consommateurs bénéficieront très peu de l'harmonisation. Toutefois, si vous prenez les économies réalisées à l'achat d'un véhicule neuf et l'augmentation proposée de 4 cents le litre d'essence, il n'est pas nécessaire d'être économiste pour comprendre qu'une fois la voiture payée, les économies résultant de l'harmonisation disparaîtront, avalées par l'augmentation de la taxe sur l'essence.

Les seuls consommateurs qui bénéficieront de l'harmonisation sont ceux qui ont des revenus élevés et qui peuvent s'acheter des articles de luxe, se payer des nuitées à l'hôtel et manger au restaurant. On dit aux consommateurs de Terre-Neuve qu'une fois harmonisées la TPS et la TVP, ils réaliseront des économies de 4,84 p. 100, mais quelle garantie avons-nous que le taux combiné sera maintenu à 15 p. 100 si le gouvernement estime qu'il faut de nouveau augmenter le fardeau fiscal?

Nous suggérons que les Libéraux tiennent leur promesse d'abolir la TPS et d'instaurer un régime fiscal plus équitable et plus progressif en procédant comme suit: un, instaurer un impôt minimum sur le revenu des sociétés; deux, limiter la déduction pour frais de représentation et repas d'affaires; trois, supprimer la déduction pour les frais de lobbying; quatre, imposer les profits excessifs des banques; cinq, instaurer une taxe équitable sur les gains en capital; six, déduire l'impôt sur le revenu selon le principe «plus on gagne, plus on paie»; et sept, imposer un plafond sur les déductions fiscales pour contribution à un REÉR pour les plus riches.

Nous ne croyons pas que les consommateurs bénéficieront de l'harmonisation parce que les économies réalisées par les entreprises ne seront pas transmises aux consommateurs. Cela ne s'est pas produit quand la taxe sur les ventes des fabricants a été remplacée par la TPS, et nous ne croyons pas que cela se fera maintenant non plus. Nous vous demandons donc d'appuyer ces recommandations lorsque vous rédigerez votre rapport.

Le sénateur Angus: J'aimerais vous poser quelques questions, monsieur McGrath, si vous le voulez bien. Vous avez présenté un mémoire très érudit sur le droit constitutionnel. Pouvez-vous nous donner un peu plus de détails sur votre groupe Survive?

M. McGrath: Il y a d'abord eu la fermeture des phares et la mise en place de systèmes automatiques d'observation météorologique. Nous avons compris que, sous prétexte de réduire les dépenses, la bureaucratie fédérale avait ouvert le feu aveuglément sur toutes les cibles qu'elle croyait bon de se donner. Les gardiens de phares semblaient être une cible facile et nous avons donc défendu leur cause et nous continuons de le faire.

C'est devenu pour nous une cause beaucoup plus fondamentale, celle de la survie des régions rurales de Terre-Neuve et du Labrador. Nous croyons que la seule entité politique qui puisse assurer sa survie, c'est elle qui contrôle ses propres sources de recettes. Nous croyons qu'en cédant 570 millions de dollars par année de revenus fiscaux provinciaux à un organisme du gouvernement fédéral, la province de Terre-Neuve et du Labrador cède sa souveraineté politique.

Partant de là, nous croyons que toutes les sommes qui nous seront reversées seront assorties de conditions et que la province de Terre-Neuve et du Labrador ne deviendra plus qu'un chien miteux dans la cour arrière du fédéralisme canadien et que de temps en temps on nous jettera un os pour nous amadouer.

Je crois que des gens comme moi-même qui ont passé les 20 dernières années à oeuvrer pour assurer un avenir meilleur à cette province devront la quitter parce qu'il n'y aura plus ici de perspectives d'avenir, et toutes les initiatives socio-économiques du gouvernement fédéral et du gouvernement provincial provoquent le dépeuplement et la purification ethnique des régions rurales de Terre-Neuve.

Le sénateur Angus: Je vois parfaitement. Pour ce qui est de céder ou de soutirer une partie de la souveraineté de Terre-Neuve et du Labrador, si je comprends bien votre position, vous soutenez qu'il s'agit de compartiments étanches et que les trois provinces de l'Atlantique abdiquent leur compétence exclusive en matière d'impôt direct et que cette compétence leur est soutirée. Est-ce bien cela?

M. McGrath: C'est exact. Si vous vous reportez à certaines causes, particulièrement Lamb c. la Banque Toronto-Dominion de 1887, le Conseil privé s'est penché sur le partage des pouvoirs en ce qui a trait à la fiscalité directe et indirecte. Il a supposé que la province s'était vu donner la compétence exclusive en matière d'impôt direct afin qu'elle puisse lever des recettes à des fins provinciales. Si vous vous reportez au préambule et au «post-ambule» de l'article 91, et au préambule et au post-ambule de l'article 92 de la Constitution canadienne, vous verrez qu'ils confèrent aux provinces des droits exclusifs.

Il était entendu au moment de la création de ce pays que nous serions des partenaires égaux dans la Confédération mais que certains droits seraient cédés à une entité fédérale. L'un de ces droits était la fiscalité indirecte ou, normalement, les douanes et l'accise. Or, maintenant, en ce qui a trait à la taxe de vente provinciale -- ce que la province appelle une taxe «directe» et que la loi qualifie de taxe «directe» -- la province complote avec les Libéraux fédéraux pour fusionner cette taxe provinciale en une taxe directe harmonisée qui sera administrée par le gouvernement fédéral. C'est manifestement anticonstitutionnel.

Si vous vous reportez à la décision de sept juges en chef de la Cour suprême rendue le 3 octobre 1950, vous verrez que la province et le gouvernement fédéral n'ont aucun droit constitutionnel de «s'inter-déléguer» des pouvoirs. D'ailleurs, il y a aujourd'hui de nombreux politiciens qui semblent croire que la Constitution rapatriée en 1982 confère au gouvernement fédéral de vastes pouvoirs en matière d'imposition. Toutefois, la Loi constitutionnelle de 1982 dit:

Attendu que le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit:

La présente Charte n'élargit pas les compétences législatives de quelque organisme ou autorité que ce soit.

En outre, l'article 52 stipule:

(1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.

À mon avis, le Sénat n'a d'autre choix que de bloquer ce projet de loi ou de le renvoyer à la Chambre des communes.

Sir Robert Bond, l'un des célèbres premiers ministres de Terre-Neuve, a dit qu'il ne pourrait imaginer de crime politique plus grave que de trahir la confiance et les attentes du peuple et qu'il ne saurait imaginer de plus grande récompense pour un homme public que la sanction de sa propre conscience et le «bravo» de ceux qui avaient confié leurs intérêts à la garde de ce politicien. Aujourd'hui, nous vous confions la garde de nos intérêts.

Le sénateur Angus: C'est très bien dit, monsieur. Si j'ai bien compris, vous nous dites aussi que les trois lois provinciales qui ont été adoptées et le projet de loi C-70 que nous examinons aujourd'hui ouvrent une brèche dans les compartiments étanches dont il est question aussi dans la jurisprudence que vous avez citée plus tôt; est-ce bien cela?

M. McGrath: Oui, c'est certainement le cas. Il faut se reporter au concept même du fédéralisme canadien. Les provinces se sont vu conférer des pouvoirs exclusifs. Woodrow Wilson, qui était professeur de jurisprudence à l'Université Princeton avant de devenir président des États-Unis, a exprimé cette idée de façon très succincte. Il a dit que la Constitution du Canada et la Constitution des États-Unis sont antinomiques. Il a dit qu'au Canada tous les pouvoirs précis sont conférés aux provinces, les pouvoirs résiduels allant au gouvernement fédéral, tandis qu'aux États-Unis, tous les pouvoirs précis sont conférés au gouvernement fédéral, les pouvoirs résiduels allant aux États.

J'estime que cette harmonisation est un autre pas dans la voie du GATT, de l'ALÉNA et de l'Organisation mondiale du commerce, à savoir qu'elle fait du Canada une province d'un organisme international, condamnant les véritables provinces, ou les véritables dominions du Canada, à un rôle superficiel et accessoire.

Le sénateur Angus: Cela vous intéressera peut-être de savoir, monsieur, que je suis moi-même un diplômé de l'École Woodrow Wilson de l'Université Princeton, de sorte que je suis bien placé pour comprendre ce que vous nous dites.

Je tiens à préciser que ma question porte sur le projet de loi C-70. Vous soutenez que le projet de loi C-70, dans la mesure où il prive la province de sa compétence exclusive en matière de taxation, est à première vue non constitutionnel?

M. McGrath: Exactement. Et il faut agir en conséquence.

Le sénateur Buchanan: En tant que signataire de l'accord de 1982, aux côtés des autres premiers ministres et de M. Trudeau, je peux vous garantir que les pouvoirs en matière de taxation n'ont pas été modifiés dans la Loi constitutionnelle de 1982.

Le sénateur Losier-Cool: Je sais que des groupes comme le vôtre encouragent leurs représentants à parler en leur nom. Vous avez fait un excellent travail.

Ma première question s'adresse à vous, monsieur McGrath, et à Mme Budgell, qui représente la Fédération du travail de Terre-Neuve et du Labrador. Êtes-vous contre la taxe de vente harmonisée et la TPS, et voulez-vous une révision du régime fiscal dans son ensemble?

M. McGrath: Oui. Toutefois, il y a plusieurs autres questions à prendre en compte. Sur le plan de l'égalité, si vous harmonisez la taxe à Terre-Neuve et qu'un Terre-Neuvien souhaite importer une marchandise d'un autre pays, il paiera une taxe de 15 p. 100 comme le citoyen de la Nouvelle-Écosse. Cependant, un citoyen de l'Alberta, par exemple, sera obligé de payer une taxe de 7 p. 100 seulement. C'est là une taxe de 15 p. 100 à Terre-Neuve et de 7 p. 100 en Alberta.

Il y a un autre élément d'inconstitutionnalité. Il y a déplacement du fardeau fiscal vers les citoyens et les consommateurs de ce pays alors que des produits et des services étrangers importés dans ce pays de fournisseurs comme la Chine communiste, qui utilisent le travail des prisonniers et d'esclaves pour assurer leur compétitivité sur les marchés mondiaux, ne seront pas assujettis à la taxe.

Si nous devons entreprendre une réforme de la fiscalité dans ce pays, le gouvernement fédéral doit d'abord réexaminer le libre-échange, parce que ce dernier n'est pas entièrement libre. Il nous faudra peut-être imposer des sanctions aux pays qui utilisent la contrainte pour obliger leur population à produire des marchandises à un moindre coût.

Le sénateur Losier-Cool: C'est une notion très intéressante, mais il serait sans doute plus à propos d'en faire le sujet d'une autre étude, plutôt que de l'aborder dans le cadre de celle du projet de loi C-70.

Vous avez cité le rapport du Conseil économique des provinces de l'Atlantique, selon lequel l'harmonisation stimulerait la consommation, ce qui donnerait un coup de pouce à l'économie. On y a affirme aussi que Terre-Neuve et le Labrador seraient la province la plus avantagée par l'adoption d'une taxe de vente harmonisée. Êtes-vous d'accord avec cela? Le saviez-vous?

Mme Budgell: Oui, je suis au courant de cette conclusion, mais je ne suis absolument pas d'accord. À l'heure actuelle, si l'on combine la TPS et la taxe de vente au détail, on se retrouve à Terre-Neuve avec une taxe de près de 20 p. 100. Cependant, elle s'applique à un petit nombre de produits. La taxe de vente harmonisée aura une assiette beaucoup plus large. Elle s'appliquera à l'électricité, au mazout, aux vêtements d'enfants et à toutes sortes de services dont on ne saurait se passer. Vous parlez également d'une réduction du coût de nombreux produits discrétionnaires que les gens n'achèteront tout simplement pas. Cela ne stimulerait guère l'économie. Ce qui va se passer, c'est que les petits salariés et les chômeurs de la province devront encore une fois mettre la main à la poche pour payer pour des services, des articles essentiels. Ces gens-là n'ont pas un sou de reste à consacrer à des dépenses discrétionnaires.

Les autorités fédérales et provinciales ont admis que d'ici quatre ans, la province accusera une autre perte importante au chapitre de son assiette fiscale. Voilà pourquoi le gouvernement fédéral y investit des sommes considérables. En fait, c'est un cadeau pour la province, mais ce n'est certainement pas cela qui stimulera l'économie au point où les habitants seront en mesure d'acheter des biens et des services, surtout les services auparavant taxés à 7 p. 100 qui seront désormais assujettis à une taxe de 15 p. 100.

Le sénateur Losier-Cool: Vos membres sont donc contre toute taxe de vente harmonisée?

Mme Budgell: Oui.

Le sénateur Losier-Cool: Combien de personnes représentez-vous?

Mme Budgell: Nous représentons 50 000 travailleurs, hommes et femmes, de la province et, par extension, leurs familles. Nos membres qui travaillent dans la province sont syndiqués.

Le sénateur Losier-Cool: Habituellement, les syndiqués sont en faveur de la création d'emplois et d'après ce que je lis à la page 3 du rapport, cette mesure serait susceptible de créer davantage d'emplois.

Mme Budgell: La possibilité qu'une mesure comme celle-là crée des emplois à Terre-Neuve est fort mince. Il y a très peu d'emplois dans notre province et les dépenses de consommation ne seront pas stimulées par cette taxe qui, en fait, n'engendrera pas la création d'emplois.

Le sénateur Losier-Cool: Nous avons entendu ce matin un groupe qui nous a dit le contraire.

Hier, au Nouveau-Brunswick, on nous a dit que le gouvernement provincial avait annoncé un supplément pour enfants. Y aura-t-il une prestation fiscale pour enfants à Terre-Neuve?

Étant donné que votre budget n'a pas encore été annoncé, vous ne savez sans doute pas si cela est prévu.

M. Saunders: C'est juste.

Le sénateur Losier-Cool: C'est une question qu'il faudra poser au ministre des Finances cet après-midi.

Je suis sûre que vous savez que selon Statistique Canada, la mise en oeuvre de la taxe de vente harmonisée se traduira par une économie nette de 255 $ par année en moyenne pour les familles à faible revenu.

Mme Brown: Ce que nous essayons de vous faire comprendre, c'est que les pauvres, ceux qui sont dans le quintile inférieur, n'achètent pas d'articles discrétionnaires. Cependant, ils doivent acheter de la nourriture, payer l'électricité, le compte de téléphone, et, parfois, des vêtements d'enfants qui, désormais, seront aussi frappés par la taxe.

Quoi qu'en dise Statistique Canada, un important pourcentage de Canadiens ne sera pas en mesure de réaliser ces économies.

Le président: Pour revenir à un point évoqué par le sénateur Losier-Cool, dans leurs budgets provinciaux, tant la Nouvelle-Écosse que le Nouveau-Brunswick ont instauré des programmes conçus -- du moins en partie -- pour atténuer les problèmes des familles à faible revenu que vous avez évoqués, madame Brown, madame Budgell et monsieur Saunders. En Nouvelle-Écosse, le gouvernement a mis sur pied deux programmes, l'un prévoyant une réduction de l'impôt sur le revenu, et l'autre une aide directe s'adressant aux personnes qui ne bénéficient pas de la réduction d'impôt parce qu'elles ne paient pas d'impôt. Pour sa part, le Nouveau-Brunswick offre un programme de 25 millions de dollars destinés surtout aux familles monoparentales et qui représentent, en partie, un supplément du revenu gagné.

Je sais que le budget provincial n'a pas encore été déposé à Terre-Neuve, de sorte que vous ne savez sans doute pas la réponse, mais je ne suis pas au courant de programmes de même nature qui auraient jusqu'ici été annoncés dans la province. Quelqu'un sait-il si c'est le cas ou est-il au courant de rumeurs quant à ce qui va se passer?

Mme Budgell: Vous avez raison, il n'y a absolument rien qui s'est passé. Le budget provincial doit être déposé le 20 mars prochain. Le ministre des Finances de la province sera ici. J'imagine qu'il sera en meilleure position que quiconque pour répondre aux questions, mais il n'y a pas eu de rumeurs d'allégements fiscaux pour les petits salariés afin de compenser l'entrée en vigueur de la taxe de vente harmonisée et contrecarrer les répercussions financières négatives qu'elle risque d'avoir.

Toutefois, cela ne règle pas le fond du problème. Ce ne serait uniquement qu'un expédient. Mais cela ne change rien au fait que le régime fiscal canadien est inadéquat dans sa façon de traiter les pauvres, alors qu'il privilégie les grandes sociétés, les banques et les nantis, qui s'en tirent sans payer d'impôt. Depuis les années 70, on assiste à une redistribution non négligeable de la richesse dans notre pays, les riches s'enrichissant davantage et les pauvres devenant plus pauvres. Ces programmes-miracles ne fonctionnent pas. Si quelqu'un reçoit 50 $ d'aide sociale aux termes d'un programme de ce genre et s'en trouve mieux loti, vous pouvez être certain que le ministère de l'Aide sociale trouvera moyen de lui reprendre cet argent d'une façon ou d'une autre.

Le président: Je ne conteste pas le bien-fondé de votre vaste question. Seulement, ce que j'essayais de savoir, c'est si le gouvernement de Terre-Neuve a annoncé des mesures de redressement?

Mme Budgell: Non. La seule annonce qu'a faite le gouvernement de Terre-Neuve portait sur l'allégement fiscal qu'il envisageait pour les familles pauvres, et les porte-parole du ministère des Services sociaux ont dit qu'ils allaient trouver un moyen de récupérer cet argent.

M. Saunders: À Terre-Neuve, tout allégement fiscal, particulièrement pour les assistés sociaux, est habituellement repris. Ainsi, si je travaille trois ou quatre mois cette année et qu'ensuite, je touche des prestations d'aide sociale, à la fin de l'année, toute remise fiscale dont j'ai pu bénéficier m'est retirée. Je ne suis pas autorisé à conserver cet argent. Cela a été la politique du gouvernement en la matière.

M. Martin a instauré certains allégements fiscaux. Au lieu de verser l'argent directement aux intéressés, on crée des programmes. C'est un peu comme dire que les pauvres ne savent pas gérer l'argent. On croit qu'ils dépensent leur argent pour boire ou jouer au bingo et que pour cette raison, on ne saurait le leur verser directement. C'est la politique qui a cours, et c'est ainsi que les choses se sont passées jusqu'à maintenant.

Le président: Je ne conteste pas ce que vous dites car, honnêtement, j'ignore quelle est la situation. Je suis quelque peu étonné de vous entendre dire cela car je croyais me souvenir qu'il y a 10 ou 15 ans, le gouvernement fédéral avait modifié un programme d'aide sociale et qu'à l'occasion, on s'était demandé si les provinces allaient laisser l'argent aller directement aux citoyens ou si elles en accapareraient une partie. Je croyais que la question avait été réglée et qu'il avait été convenu que l'argent serait versé aux nécessiteux. Je peux me tromper, mais c'est ce que je me rappelle.

M. Saunders: Le député néo-démocrate avait soulevé cette question à l'assemblée législative et je pense qu'un tribunal avait décrété que le gouvernement ne devait pas agir ainsi. Cependant, ce dernier a par la suite adopté une mesure législative lui permettant de le faire de toute façon.

Mme Brown: Je pense que cela vaut aussi pour le nouveau crédit d'impôt pour enfants.

M. McGrath: Nous sommes en présence d'une province très riche en matière de ressources, sans doute la plus riche au Canada par habitant. À mon avis, cette taxe de vente harmonisée pose un problème sérieux avec l'accord de l'Atlantique qui garantit une partie de la taxe de vente provinciale résiduelle tirée d'Hibernia et de Terra Nova. Je pense qu'on a négocié 4 p. 100 de taxe de vente résiduelle sur toutes les immobilisations pour la durée du projet Hibernia. Cela représente des revenus fiscaux de l'ordre de 94 millions de dollars. Aux termes de la taxe de vente harmonisée, toutes les sociétés engagées dans l'exploration de ressources dans la province ne seront pas tenues de payer la taxe de vente provinciale sur toutes leurs immobilisations. Dans le cas d'un projet d'envergure comme celui de Voisey Bay, au Labrador, les sommes d'argent qui pourraient se retrouver dans les coffres de la province grâce à cette taxe de vente provinciale seraient considérables.

Je pense que la province est sur un terrain glissant et que ses dirigeants sont ni plus ni moins endormis aux commandes. C'est une mauvaise initiative que de céder cela au gouvernement fédéral. Cela donne aux entreprises la possibilité de venir ici et de ne pas payer d'impôts sur les immobilisations. C'est un très mauvais calcul.

Le sénateur Buchanan: Avez-vous demandé au ministre des Finances ou au premier ministre de Terre-Neuve s'il était possible d'instaurer une remise sur la taxe de vente provinciale? Je parle du volet taxe de vente provinciale de la taxe de vente harmonisée sur le modèle de la remise sur la TPS accordée aux familles à faible revenu, aux personnes âgées, et cetera?

M. Saunders: Si j'ai bien compris ce qu'a dit le premier ministre, le gouvernement envisage une telle mesure, mais aucune décision n'a été prise. Bien des gens se demandent s'ils auront encore droit à cette remise de TPS.

Le sénateur Buchanan: Monsieur le président, je pense qu'il ne fait aucun doute que ces remises continueront de s'appliquer.

Le président: Je n'ai jamais entendu dire le contraire.

Le sénateur Buchanan: D'ailleurs, le projet de loi n'en fait absolument pas mention.

M. Saunders: En faisant mes recherches, je n'ai pas trouvé mention des conditions d'application de la remise lorsque la taxe est passée à 15 p. 100.

Le sénateur Buchanan: Vos organisations ont-elles demandé au ministre des Finances et au premier ministre Tobin d'instaurer un programme de remise pour les aînés à faible revenu et les personnes admissibles au programme de remise de la TPS?

Mme Budgell: Non, car nous ne sommes pas d'accord avec la nouvelle taxe. Nous n'interrogeons pas le gouvernement sur la possibilité d'appliquer une éventuelle remise car nous avons énoncé clairement que nous sommes contre cette taxe.

Le sénateur Buchanan: Autrement dit, si vous présentiez ce genre de demandes, ce serait comme si vous acceptiez, implicitement, cette nouvelle taxe?

Mme Budgell: Oui, ce qui n'est pas le cas.

Le sénateur Buchanan: Tient-on compte de la remise de TPS dans le calcul de l'aide sociale à laquelle ont droit les familles? Je ne le crois pas.

Le président: Voulez-vous savoir si cela est considéré comme un revenu?

Le sénateur Buchanan: Oui.

Le président: Je ne le crois pas.

Mme Budgell: À ma connaissance, ce n'est pas le cas.

Mme Brown: Cependant, on entend constamment des rumeurs selon lesquelles le gouvernement est sur le point de récupérer cela.

Le sénateur Buchanan: Cela ne s'est pas produit.

Mme Brown: Pas encore. L'aide sociale récupère les remises d'impôt sur le revenu fédéral, mais pas les remises de la TPS.

Le sénateur Buchanan: Je ne pense pas que l'on récupère les remises de TPS.

Mme Brown: Non.

Le sénateur Buchanan: Si le projet de loi est adopté et que vous réclamez une remise de la taxe de vente provinciale sur le modèle de celui de la TPS, il appartiendrait aux autorités provinciales de déterminer si elles veulent considérer cela comme un revenu aux fins du calcul de l'aide sociale.

Mme Brown: Nous espérons que vous bloquerez la mesure avant cela.

M. Saunders: Il y a autre chose qui n'a pas été mentionné, soit que si le projet de loi est adopté, il nous en coûtera 52c. pour poster une lettre à destination de l'Alberta ou de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Buchanan: J'ai un ami qui utilise des timbres en quantité. Il les achète à l'Île-du-Prince-Édouard et les envoie 50 carnets à la fois.

Mme Budgell: Je voudrais aussi mentionner le fait que certaines entreprises de ventes postales ne feront plus d'affaires ici à cause de cette taxe. Ainsi, une société de l'Ontario, Lee Valley Tools, a déjà annoncé qu'à compter du 1er avril, elle cesserait de faire des affaires à Terre-Neuve. Les Terre-Neuviens qui vivent en région rurale dépendent des services d'envois postaux pour faire la presque totalité de leurs achats et, désormais, un grand nombre des entreprises avec lesquelles ils traitent ne seront plus disponibles à cause de cette taxe.

Le président: Sénateurs, notre prochain témoin est M. Loyola Sullivan, député provincial de Ferryland. Il est aussi chef de l'opposition et chef du Parti progressiste-conservateur à Terre-Neuve.

Monsieur Sullivan, je vous remercie pour votre mémoire de sept pages. Cela dit, étant donné que nous voudrions vous poser énormément de questions, pourriez-vous nous le résumer?

Le sénateur Rompkey: J'invoque le Règlement, avant que M. Sullivan commence. Notre ordre du jour d'aujourd'hui annonce la comparution de M. Loyola Sullivan, chef de l'opposition, gouvernement de Terre-Neuve. Évidemment, il faudrait lire gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador. Je voulais simplement corriger cela aux fins du compte rendu des délibérations du Sénat.

Le président: Monsieur Sullivan, veuillez faire votre déclaration liminaire, après quoi, nous serons ravis de vous poser des questions.

M. Loyola Sullivan, député, Ferryland, chef de l'opposition, Terre-Neuve et Labrador: Je suis heureux de comparaître devant vous. J'essaierai de raccourcir le plus possible mon exposé officiel car il faudrait compter une quinzaine de minutes pour le lire en entier.

Le président: C'est bien. Je voulais tout simplement m'assurer que nous aurions beaucoup de temps pour vous poser des questions.

M. Sullivan: L'Opposition officielle est d'avis que l'accord sur la taxe harmonisée conclu entre les trois provinces de l'Atlantique et le gouvernement fédéral devrait être aboli. Trois seulement des dix provinces du Canada y ont adhéré et, avec une aussi petite assiette fiscale et un aussi petit nombre de participants, les inconvénients de l'harmonisation prendront le pas sur ses avantages.

La politique sur la taxe de vente au pays sera incohérente. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles les porte-parole des chaînes nationales de vente au détail ont dit au gouvernement fédéral que la taxe de vente harmonisée leur causerait des problèmes sérieux et que bon nombre devront envisager de fermer leur magasin ou de quitter carrément le Canada atlantique.

Comment est-il possible d'instaurer une mesure pareille dans une province comme Terre-Neuve et le Labrador qui lutte constamment pour conserver ses entreprises chez elle? Nous menons à l'heure actuelle une campagne très dynamique en ce sens. Rien n'indique qu'une autre province du pays adhérera à cet accord à court terme et en l'absence de l'assentiment de toutes les provinces, on ne devrait même pas envisager un tel marché.

Pourquoi le gouvernement fédéral souhaite-t-il conclure ce marché? Quelqu'un a-t-il remarqué que les trois premiers ministres provinciaux qui ont accepté de signer l'entente sont les seuls trois qui se trouvent à être de la même formation politique que le premier ministre?

Le président: Je vous dirai qu'un certain nombre de mes collègues à ma droite ont relevé le fait avec une belle régularité.

M. Sullivan: Il semble que je ne sois pas le seul à avoir remarqué cela.

Je tiens aussi à souligner le caractère soudain de cette entente. En fait, dans notre province, la taxe de vente harmonisée nous est tombée dessus de but en blanc. Le 22 février 1996, nous avons eu une campagne électorale pendant laquelle il n'a absolument pas été question de l'harmonisation. À peine 60 jours plus tard, le 23 avril, on a annoncé la signature d'un protocole d'entente sur cette taxe harmonisée. C'était plus qu'une simple entente de principe; c'était un accord détaillé énonçant certaines caractéristiques précises de l'harmonisation. D'où cela est-il sorti? Pourquoi les autorités de notre province n'en ont-ils jamais rien dit avant? Pourquoi n'y a-t-il eu absolument aucune consultation publique; et surtout, qu'est-ce qui pressait tant?

Nous trouvons aussi très préoccupante la hâte avec laquelle notre gouvernement a fait adopter cette mesure à la Chambre d'assemblée de notre province. On a non seulement refusé de renvoyer le projet à un comité législatif, ce qui se fait habituellement pour les mesures législatives importantes, mais en plus, on a eu recours à une tactique parlementaire spéciale et très autoritaire pour en assurer l'adoption.

Après seulement deux jours de débat en deuxième lecture, on a donné préavis de la clôture du débat. Le lendemain, le 17 décembre, la guillotine s'est abattue, mettant fin au débat, et le 19 décembre, on a également imposé la clôture du débat à l'étape du comité, forçant ainsi l'adoption du projet de loi le jour même.

Nous croyons qu'il y a quelque chose de louche dans le choix du moment de cet accord, et la réalité politique est que la faiblesse du gouvernement fédéral à la veille des élections est sa promesse d'abolir la TPS. Les seules provinces qui ont accepté cet accord pour cacher la TPS, cet accord de taxe de vente harmonisée, sont les trois provinces actuellement représentées par des premiers ministres libéraux.

Nous ne sommes pas surpris que notre premier ministre soit très compréhensif, car il vient de quitter le caucus fédéral et il est l'un de ceux qui étaient les premiers à crier au cours de la campagne de 1993 qu'ils allaient abolir la TPS.

En plus de la soudaineté de cet accord particulier, il y a le fait que de nombreuses entreprises de cette province se trouvent en difficulté, parce que nous traversons une période de déclin économique grave. Les choses ont empiré en raison du moratoire sur les pêches. Il y a également la disparition graduelle du programme d'indemnisation de la Stratégie du poisson de fond de l'Atlantique, de même que les réductions dans l'assurance-emploi et l'aide sociale, dont beaucoup de personnes dans cette province dépendent actuellement, et enfin, la diminution de l'emploi dans notre fonction publique.

Les entreprises n'ont pas les moyens d'absorber les coûts de transition lorsqu'elles fonctionnent au bord de la faillite.

Le Conseil canadien du commerce de détail estime que les coûts de la conversion au nouveau régime fiscal dépasseront toutes les économies pouvant résulter de l'harmonisation.

La plupart des entreprises ne peuvent pas absorber ces coûts sans augmenter leurs prix ou sans mettre à pied des employés, et elles ont de bonnes raisons de craindre en ce moment l'impact de la conversion de leurs caisses enregistreuses et de leurs pratiques comptables à un nouveau système.

L'inclusion de la taxe dans le prix préoccupe énormément les entreprises ainsi que les groupes d'entrepreneurs. Les représentants de la Chambre de commerce de Saint John's ont dit croire que l'inclusion de la taxe dans le prix causerait d'autres difficultés économiques pour les détaillants dans le secteur du tourisme, parce qu'il en résulterait des prix anormalement élevés.

Le choc initial qu'éprouveraient les consommateurs les découragerait d'acheter. La tentative du gouvernement d'aider à atténuer les préoccupations à cet égard, a été très timide. De fait, ses suggestions pour diminuer la confusion ont ajouté à celle qui existait déjà. Le gouvernement a suggéré, par exemple, que les entreprises indiquent le montant de la taxe sur des affiches ou ajoutent une autre étiquette, indiquant le prix avant la taxe. Pour tout consommateur qui verra des affiches et des étiquettes indiquant des prix différents, il est inévitable que la confusion soit extrême.

Comment pourront-ils comparer les prix? Comment sauront-ils s'ils font une bonne affaire? La confusion découragera les achats et les représentants de nombreux détaillants qui ont comparu devant le comité des finances de la Chambre de communes qui étudiait la Loi sur la taxe d'accise, ont exposé en détail leurs préoccupations au sujet de l'inclusion de la taxe dans le prix et des effets négatifs qu'elle aurait, non seulement sur les consommateurs, mais aussi sur leurs entreprises respectives.

À qui ce nouveau régime fiscal fera-t-il mal? Les pauvres qui dépensent un plus grand pourcentage de leur revenu pour les produits essentiels, des choses qui ne seraient plus exonérées, comme l'huile de chauffage, l'électricité, les vêtements pour enfants, les coupes de cheveux, les honoraires d'avocats et d'autres professionnels. Le taux de la taxe sur les choses essentielles serait plus du double du taux actuel de 7 p. 100 dans notre province, car il passerait à 15 p. 100.

Sur une période d'un an, l'impact de cette augmentation de coût sera facilement perceptible et pour les dizaines de milliers de gens de Terre-Neuve et du Labrador qui ont déjà de la difficulté à joindre les deux bouts, à nourrir leurs enfants, à les vêtir, à les garder au chaud et en santé, cela fera certainement une grande différence.

Le ministre des Finances de la province a dit que les consommateurs n'avaient pas à s'inquiéter, étant donné qu'il comblera la différence dans les cas des articles de prix unitaire élevé, comme les voitures et les manteaux de fourrure. En réalité, cependant, beaucoup de gens dans cette province ne peuvent pas se payer de tels articles à des prix élevés. Environ 78 000 personnes dans cette province dépendent de l'aide sociale pour survivre, sur une population de 560 000 habitants seulement.

Quelque 18 000 personnes, ainsi que leurs familles, reçoivent actuellement des prestations dans le cadre de la Stratégie du poisson de fond de l'Atlantique. De plus, 54 000 personnes et leurs familles, dans bien des cas, dépendent de l'assurance-emploi. Autrement dit, plus de 150 000 personnes -- plus de 200 000, si l'on tient compte de tous les membres de chaque famille concernée -- dans cette province, n'ont pour tout revenu que ce qu'ils reçoivent de l'aide sociale, de la Stratégie du poisson de fond de l'Atlantique et de l'assurance-emploi.

En outre, pour les milliers de personnes âgées qui vivent seulement de revenus fixes, ainsi que pour les milliers d'étudiants qui essaient de joindre les deux bouts grâce aux prêts insuffisants qu'on leur accorde, l'harmonisation augmentera le coût de la vie... de $ 750 000 à l'Université Memorial. Les familles à faible revenu seront aussi durement frappées par cette mesure.

Ceux qui, par nécessité, dépensent une plus grande partie de leur revenu sont ceux qui seront le plus durement touchés. Où se trouve la justice dans une politique qui réduira la taxe sur un manteau de fourrure et augmentera la taxe sur les vêtements pour enfants?

Que faites-vous de l'électricité et des combustibles de chauffage? Ne s'agit-il pas là de produits essentiels qui absorbent une grande partie du revenu disponible des familles à faible revenu? L'an dernier, les gens de Terre-Neuve et du Labrador se sont battus avec acharnement contre la proposition d'augmentation de tarifs de Newfoundland Power. Nous savons maintenant pourquoi le gouvernement lui-même a payé un défenseur des intérêts des consommateurs pour les aider à lutter contre l'augmentation de tarifs de Newfoundland Power. Le gouvernement voulait imposer sa propre augmentation de taxe. Maintenant que la taxe sur l'électricité passera de 7 p. 100 à 15 p. 100, c'est le gouvernement qui empochera l'argent. C'est intolérable.

Étant donné que les gens ont déclaré nettement qu'ils ne veulent pas d'augmentation du coût de l'électricité ou du combustible, pourquoi le gouvernement fait-il maintenant volte-face et augmente-t-il ces coûts? Pourquoi le gouvernement n'a-t-il pas demandé une exemption pour certains produits essentiels comme ceux-là?

Le gouvernement ne demande pas d'exemption parce qu'il a besoin d'une assiette fiscale élargie pour compenser la diminution de recettes fiscales qui résultera de l'accord d'harmonisation. Au lieu d'imposer une taxe de vente totale relativement élevée sur certains articles, et relativement basse sur d'autres articles, notre gouvernement a choisi un taux intermédiaire qui s'appliquera à presque tous les produits et services. Ce taux est à un niveau tel que cette province subira une perte nette de recettes de plus de 150 millions de dollars par année, à supposer que la consommation se maintienne au niveau actuel.

L'an dernier, le gouvernement provincial a perçu 565 millions de dollars en taxes sur les ventes au détail. Grâce à l'assiette fiscale élargie de la TPS, le gouvernement fédéral retire de cette province, au taux de 7 p. 100, des sommes de l'ordre de 279 à 283 millions de dollars par année. La taxe de 8 p. 100 que notre province percevra dorénavant sur cette même assiette fiscale lui rapportera environ 320 millions de dollars. Il y a donc un manque à gagner de 245 millions de dollars qui résultera de l'accord d'harmonisation de la taxe.

Notre ministre des Finances a déclaré que le gouvernement instaurera de nouvelles mesures fiscales concernant l'assurance, la vente privée de véhicules, la taxe sur le tabac et les autres ventes, et il a dit que ces nouvelles mesures fiscales rapporteront 90 millions de dollars; il restera donc un manque à gagner de 155 millions de dollars par rapport aux recettes fiscales actuelles. C'est beaucoup plus que les 105 millions de dollars que nous sommes censés perdre en raison de l'harmonisation, d'après ce que le ministre continue de nous dire. Comment notre province s'adaptera-t-elle à cette perte de 155 millions de dollars de recettes?

L'indemnisation offerte par Ottawa aux trois provinces n'est pas suffisante et disparaîtra très rapidement; de fait, elle disparaîtra après deux ans dans notre province. Que se passera-t-il ensuite? Le gouvernement a placé la population de cette province dans une situation où il a réduit notre assiette fiscale de sorte qu'il y aura moins d'argent pour l'éducation, moins d'argent pour les soins de santé et les programmes sociaux, et il a augmenté ses taxes sur des choses essentielles comme l'électricité et les vêtements pour enfants. En fin de compte, si l'économie ne décolle pas, où le gouvernement prendra-t-il les recettes dont il a besoin pour assurer nos services essentiels, comme les écoles et les hôpitaux?

Jusqu'à maintenant, les produits essentiels étaient exemptés de la taxe provinciale, ce qui favoriserait les pauvres et leur permettait de se payer des biens essentiels comme les vêtements et le chauffage, mais le total des taxes que nous payions était élevé parce que les taux étaient élevés pour les produits haut de gamme, les biens de prix unitaire élevé. Ce nouveau marché que le gouvernement a conclu aide les consommateurs qui achètent des produits de prix unitaire élevé aux dépens des pauvres. Nous croyons que lorsque le gouvernement commencera à manquer de recettes fiscales, il devra tout simplement en chercher ailleurs, en imposant de nouvelles taxes ou en augmentant les taxes qui figurent déjà ailleurs dans notre budget.

Les trois mesures productrices de recettes que j'ai mentionnées ne représentent que le début de cette recherche de nouveaux revenus. À cause de la nouvelle taxe sur les assurances, l'acheteur d'une voiture verra les économies qu'il a réalisées grâce à la diminution de la taxe sur les véhicules annulées par l'augmentation des coûts nets de ses primes d'assurance.

Comment l'économie marchera-t-elle dans le contexte de la nouvelle structure fiscale? Le ministre des Finances de la province a prédit qu'une amélioration de la conjoncture compenserait les pertes subies en ce qui concerne ces recettes. La ministre des Services sociaux de la province, dans un document publié par son ministère, a prédit qu'un ralentissement économique résultera des pertes de recettes pour la province. À moins qu'on puisse concilier ces deux positions, il ne faut pas instaurer la TVH.

Lorsqu'on examine de plus près les chiffres du ministre des Finances, on constate qu'ils sont fondés sur une hypothèse de croissance extraordinaire des recettes. La valeur du commerce de détail dans cette province s'est établie à 3,3 milliards de dollars l'an dernier. Pour compenser la perte de 155 millions de dollars, le volume du commerce de détail devrait passer de 1,9 à 5,2 milliards de dollars, si l'on se fonde sur les 8 p. 100 que notre province percevra. Pour arriver à de tels chiffres, il faudrait une croissance de 58 p. 100 dans le commerce de détail.

Même la plupart des gens qui s'attendent à voir les choses s'améliorer seraient embarrassés par des prévisions de croissance de cette ampleur. Ces prévisions sont tout simplement irréalistes et pourtant c'est sur elles que le ministre des Finances se fonde pour affirmer que l'économie connaîtra une croissance suffisante pour compenser les pertes de recettes qui découleront du passage de la taxe de vente au détail et de la TPS à une taxe de vente harmonisée.

L'optimisme sans bornes du ministre des Finances ne s'est pas manifesté ailleurs, tandis que les prévisions de déclin économique et de perte de recettes, faites par la ministre des Services sociaux, trouvent un appui ailleurs.

La province de Terre-Neuve et du Labrador a connu une émigration excessive pendant de nombreuses années, la perte de population s'accroissant ces dernières années, et Statistique Canada a indiqué que nous perdrons encore 40 000 personnes au cours des 20 prochaines années. Une baisse de la population dans un contexte de croissance démographique nationale se traduit par une diminution des paiements de péréquation.

Notre population vieillit, d'après des données démographiques révélées par notre recensement, et les personnes âgées ont des besoins proportionnellement plus élevés et plus coûteux en matière de soins de santé et d'autres services, tout en produisant proportionnellement moins de recettes publiques. Les faits contredisent les prévisions utilisées par notre ministre des Finances pour nous faire croire que cet accord ne changera pas notre situation fiscale. En réalité, le gouvernement provincial n'aura pas les recettes dont il a besoin pour financer les services essentiels dans notre province.

L'un des plus grands problèmes réside dans le fait que nous sommes coincés dans cet accord. Nous perdons notre autonomie. En vertu de cet accord, notre province ne pourra plus fixer son propre taux de taxe. Ottawa pourra l'augmenter unilatéralement. Une seule province peut opposer son veto à une diminution. La perte d'autonomie est terriblement importante.

Notre gouvernement a renoncé à notre droit d'apporter des changements à nos propres taxes. Si nous faisons face à une crise fiscale, nous devrons envisager d'autres options, y compris des compressions budgétaires et des hausses d'impôt sur le revenu, que nous ne pouvons pas nous permettre.

Il est également effrayant d'entendre le ministre des Finances dire que le gouvernement est tellement optimiste qu'il n'a pas de plan d'urgence au cas où la croissance économique et la croissance des recettes n'atteindraient pas les niveaux prévus par le gouvernement. Une foi aveugle n'ouvrira pas de lits d'hôpitaux et ne permettra pas de mieux instruire nos enfants en période de crise fiscale. Je vous le demande: une crise est-elle possible? Nous en vivons déjà une. Nous en sommes à la septième année consécutive de compressions budgétaires et de mises à pied, et l'avenir ne paraît malheureusement pas meilleur aujourd'hui qu'il y a sept ans.

Cet accord sur la taxe de vente harmonisée nuira à Terre-Neuve et au Labrador. Il frappera durement les familles à faible revenu, lorsque des coûts supplémentaires s'ajouteront au chauffage et aux vêtements d'enfants. Il privera le gouvernement de milliards de dollars en recettes dont nous avons besoin pour les soins de santé et l'éducation. Il nous prive de notre autonomie en matière fiscale. La TVH nous a été imposée sans qu'on nous ait aucunement consultés. L'accord a été signé discrètement, en douce, et c'est un mauvais marché. C'est un marché que le Parti progressiste- conservateur de cette province ne conclurait pas et c'est un marché dont je vous demande d'assurer le rejet.

Le sénateur Rompkey: Le Parti progressiste-conservateur de Terre-Neuve n'a peut-être pas signé l'accord, mais Mike Harris a certainement appuyé un tel accord lorsqu'il était dans l'opposition. Au cours d'un débat avec l'Association des manufacturiers canadiens, quand il était dans l'opposition, il a dit que l'Ontario aurait pu avoir une taxe harmonisée si le gouvernement fédéral n'avait pas déclaré que c'était politiquement impopulaire et qu'il combattrait une telle idée. Il a dit que l'Ontario aurait pu avoir cet avantage compétitif pendant toutes ces années, si le gouvernement fédéral avait reconnu qu'il allait passer d'une taxe sur les ventes des fabricants à une taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Il a dit que si nous avions une TVA, une seule assiette fiscale et une seule bureaucratie pour percevoir la taxe, les manufacturiers et les autres entreprises de l'Ontario économiseraient plus d'un milliard de dollars.

Y a-t-il des consultations entre les deux partis conservateurs? Quand il était dans l'opposition, il pensait que c'était une bonne idée, semble-t-il, mais il n'en a pas fait une réalité. Si cette taxe était en vigueur en Ontario, serait-ce une bonne chose?

M. Sullivan: Premièrement, Mike Harris n'est pas premier ministre de Terre-Neuve et du Labrador, et il n'a pas participé à cet accord. Deuxièmement, je ne pense pas qu'il y ait quelqu'un au pays qui s'oppose à ce qu'on ait un seul percepteur d'impôt, une seule assiette fiscale commune. J'ai passé plus de 20 ans dans les affaires et je sais qu'il y a des avantages à ce qu'il y ait un seul percepteur d'impôt.

Notre province a conclu un accord d'harmonisation de la taxe et a fait passer les taxes des riches aux pauvres. Les pauvres en paient maintenant une part plus disproportionnée; 155 millions de dollars de recettes ont été déplacés. Le coût des articles de prix unitaire élevé diminuera de 4,84 p. 100, mais les pauvres consacreront une part considérablement plus élevée de leur argent aux nécessités de la vie. C'est inacceptable. Un accord qui serait accepté par toutes les provinces du Canada aurait des avantages. Si l'on n'incluait pas la taxe dans les prix, il y aurait encore un autre avantage. Toutefois, lorsqu'on examine la situation dans son ensemble, il y a très peu d'éléments positifs dans cela, s'il y en a, pour Terre-Neuve et le Labrador, et c'est cette province que je représente ici. Je parle certainement au nom de l'opposition à Terre-Neuve et au Labrador.

Le sénateur Rompkey: Je ne suis pas d'accord avec vous lorsque vous dites, au sujet de l'avenir de la province, au bas de la page 6: «...l'avenir ne paraît malheureusement pas meilleur.» Vous spéculez également au sujet de ce qui se passera -- «si l'économie ne décolle pas», ce qui montre que vous ne pensez pas qu'elle s'améliorera. D'après ce que vous avez déclaré, verbalement et dans votre mémoire, vous n'êtes pas nécessairement convaincu que l'avenir se présente sous des couleurs favorables.

Je viens du Labrador et je dois vous dire que les gens y sont très optimistes. On y a trouvé 150 millions de tonnes de nickel, ce qui rapportera des impôts sur le revenu des sociétés et des redevances. On tire du pétrole de la mer, et il est possible qu'on exploite d'autres gisements dans un avenir rapproché. Il y a de nets indices que l'avenir se présente en effet sous des couleurs très favorables. Ne partagez-vous pas cet optimisme?

M. Sullivan: On prévoit un déclin dans l'économie de notre province en 1997.

Le sénateur Rompkey: Je pense que les deux ou trois prochaines années seront difficiles, mais je parle de l'avenir au-delà de cette période.

M. Sullivan: L'avenir me préoccupe évidemment. De fait, l'avenir me préoccupe beaucoup plus que le passé. J'aimerais certainement parler de cette question, sénateur Rompkey. Notre province a un potentiel énorme et il en était également ainsi dans les années 60. Nous avons toujours eu une abondance de ressources dans notre province. Cependant, rien ne m'a convaincu que nous avions tiré le maximum d'avantages de ces ressources. Il y a deux ans, le gouvernement a adopté une loi qui a profité aux entreprises à peine rentables. Nous avons appuyé cette mesure. Cependant, Inco vient de nous informer qu'en vertu de la loi de cette province, elle bénéficie d'une exonération fiscale de dix ans.

Le sénateur Rompkey: Je crois savoir qu'on va réexaminer cette question.

M. Sullivan: Nous demandons un tel examen depuis près de deux ans, mais on ne l'a pas fait. Inco a acheté Voisey Bay de Dynasty, après l'inscription dans les livres de l'exonération fiscale de dix ans. Si la loi est modifiée, vous devez tenir compte des répercussions qu'il y aura pour les actionnaires d'Inco qui ont payé 4,3 millions de dollars pour acheter une société qui bénéficiait, pensaient-ils, d'une exonération fiscale de dix ans.

J'ai certains sujets de préoccupation de nature juridique et je les ai soulevés à la Chambre d'assemblée. Il y aura peut-être des répercussions. Il se peut qu'Inco ait des pouvoirs dont elle pourra faire un certain usage si elle n'obtient pas ce qu'elle veut dans le dossier de Voisy Bay.

Je pense moi aussi que le potentiel en mer est immense. Un terminal de transbordement va être construit ici; cela ne créera qu'entre 20 et 30 emplois. Pour vous donner une idée, Hibernia a créé entre 5 000 et 6 000 emplois. Le projet de Voisy Bay ne créera que la moitié des emplois qui ont été créés pour construire la structure gravitaire à Bull Arm.

Nous n'y avons pas appliqué un régime fiscal qui nous donnera les recettes dont nous avons besoin. Nous avons supprimé l'allégement fiscal de 4 p. 100 qui avait été accordé à Hibernia et aux champs pétrolifères en mer, et il n'y aura aucune taxe sur le transbordement. Cela s'applique rétroactivement à toutes les dépenses engagées pour le transbordement.

La province a renoncé à 190 millions de taxe de vente pour Hibernia. C'est ce que cela nous a coûté d'avoir ici la structure gravitaire. Nous avons même autorisé la radiation de certaines dépenses du terminal, qui seront défalquées des redevances que nous toucherons.

Je crains sérieusement que nous soyons en train de brader nos richesses naturelles et que nous ne maximiserons pas la création d'emplois ou la création de recettes dans la province. Il faut nous plier aux lois actuelles de la province, pas à celles qui pourront exister dans l'avenir. Cela n'augure pas mieux pour l'avenir si je me fie aux chiffres et aux projections que j'ai reçus.

Le sénateur Losier-Cool: Quelqu'un a parlé de technologie ce matin. Des compagnies informatiques se sont-elles dites intéressées à ouvrir des usines dans la province?

Le sénateur Rompkey: Il y a un secteur de technologie de pointe très fort ici à St. John's.

M. Sullivan: S'il existe des projections qui montrent une amélioration de notre économie, elles ne reposent pas sur la mise en place de la TVH.

Le sénateur Losier-Cool: Je parlais des perspectives d'avenir en matière de technologie.

M. Sullivan: Si nous prenons au cours des deux prochaines années les grandes décisions, les décisions déterminantes, qui garantiront que nous tirerons profit de nos richesses naturelles, je crois que nous pourrons améliorer notre situation à long terme. Aujourd'hui, vu les lois actuelles, je ne suis pas optimiste.

Le sénateur Rompkey: En ce qui concerne les entreprises et les coûts qu'elles peuvent ou non se permettre, des chefs d'entreprises nous ont dit que l'inclusion de la taxe dans le prix ne leur plaît pas même s'ils approuvent la TVH en principe. Beaucoup d'entre eux disent être capables d'assumer ces coûts.

M. Sullivan: Bien sûr que les chefs d'entreprises approuvent le principe d'une taxe unique et d'un percepteur unique. Par contre, je ne suis pas sûr qu'ils approuvent les modalités d'application de la TVH dans notre province.

Par exemple, on perçoit 50,5 millions de dollars au titre des sociétés dans la province. Il y a quelques années, le chiffre était près de 80 millions. La marge bénéficiaire des entreprises a beaucoup baissé ici. J'ai suivi les délibérations des comités des finances du Sénat et de la Chambre des communes, et toutes les entreprises ont dit que l'inclusion de la taxe dans le prix allait leur causer des ennuis. Ils disent que cela aura un effet négatif.

Le sénateur Rompkey: Distinguons les deux. Oui, ils se plaignent de l'inclusion de la taxe, mais ils nous ont aussi dit aimer l'idée de la TVH et qu'elle va profiter à la province et aux autres provinces de l'Atlantique.

M. Sullivan: Pour une entreprise, ne pas inclure la taxe apporterait des avantages.

Toutefois, nous représentons aussi des gens à faible revenu. Il n'y a que 188 000 personnes dans la province qui travaillent, ce qui représente à peine le tiers de la population. À cause de la taxe harmonisée, le fardeau fiscal n'est plus sur les riches, ceux qui ont un revenu, mais plutôt sur les autres.

Le sénateur Rompkey: Si je pose la question, c'est parce qu'à la page 3, vous dites ceci:

La plupart des entreprises ne peuvent pas absorber ces coûts sans augmenter leurs prix ou sans mettre à pied des employés, et elles ont de bonnes raisons de craindre en ce moment l'impact...

Ce n'est pas ce que nous a dit le groupe d'entreprises. Ils nous ont parlé du prix taxe comprise.

M. Sullivan: Ce que je vous dis se fonde sur l'inclusion de la taxe dans le prix pour une entreprise. La plupart des entreprises devront majorer leurs coûts. Ces coûts supplémentaires, ces coûts de main-d'oeuvre, devront se répercuter sur leurs prix.

L'inclusion de la taxe dans le prix me fait craindre que le consommateur cessera de faire des dépenses supplémentaires et que son revenu disponible baissera. Cela se répercutera sur le coût du produit et le consommateur ne verra jamais la couleur de cet argent. Les prix taxe comprise feront monter le coût des produits.

Le sénateur Oliver: Monsieur Sullivan, permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue aux audiences du comité. Il est très important pour nous que vous soyez ici aujourd'hui en votre qualité de chef du Parti progressiste-conservateur de Terre-Neuve et du Labrador.

Comme vous le savez, nous tenons des audiences dans les trois provinces qui seront touchées par cette taxe. Nous revenons de deux jours au Nouveau-Brunswick et nous nous rendrons en Nouvelle-Écosse demain.

Au Nouveau-Brunswick, M. Bernard Valcourt a comparu devant nous. Comme vous, il a insisté sur le fait que cette taxe pénalisera les pauvres et les personnes à revenu fixe plus que n'importe qui d'autre. Il a aussi dit que le prix taxe comprise rencontrait une opposition vigoureuse et très répandue.

Mon collègue a soulevé la question de la position du Parti progressiste-conservateur dans ce débat. Or, vous savez parfaitement que nous ne serions pas ici à écouter les gens de Terre-Neuve et du Labrador, n'eût été l'insistance des sénateurs conservateurs. Pour la première fois, nous écoutons ceux qui sont touchés par cette taxe parce que les élus, eux, ont préféré ne pas écouter.

Nous avons appris que cette taxe n'a pas été décrite ou expliquée comme il le fallait. Beaucoup de témoins nous ont dit ignorer ce qui les attend parce qu'ils ignorent ce que cela va leur coûter de plus. Le gouvernement l'a très mal expliqué. Est-ce le genre de réaction que vous avez rencontrée?

M. Sullivan: Tout à fait. Chaque fois que j'ai essayé d'en débattre à la Chambre d'assemblée, j'ai échoué. Le projet de loi a été déposé à la Chambre juste avant le congé de Noël dernier et, quelques jours plus tard, le gouvernement a prononcé la clôture du débat. Il a aussi clôturé les délibérations en comité. Il n'y a pas eu d'autre débat à la Chambre, ni discussions publiques ni audiences du comité. J'ai donné une conférence de presse et je suis intervenu dans les tribunes téléphoniques dans l'espoir qu'il y aurait des audiences publiques. La population n'a pas eu l'occasion d'exprimer son avis. Le 1er avril, lorsque leur portefeuille commencera à se ressentir de cette décision, les gens vont se demander ce qui leur est arrivé.

Le sénateur Oliver: Hier, le ministre des Finances du Nouveau-Brunswick a comparu devant nous et lorsque nous lui avons demandé quel effet cette taxe aura sur les pauvres et les personnes à revenu fixe, il nous a dit qu'il déposera un projet de loi pour leur venir en aide. Que fait-on à Terre-Neuve et au Labrador pour aider les gens à faible revenu ou à revenu fixe?

M. Sullivan: À la différence de notre province, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick ont pris certaines initiatives. La province de Terre-Neuve et du Labrador n'a rien fait pour venir en aide à ceux qui pourraient être pénalisés par l'harmonisation.

Le sénateur Oliver: Avez-vous fait des suggestions?

M. Sullivan: Nous avons parlé d'exempter les vêtements pour enfants. Nous avons fait de nombreuses suggestions. J'ai soulevé la question lors d'une conférence de presse et j'ai énuméré plusieurs sujets de préoccupation.

Le gouvernement était vigoureusement opposé à toute augmentation du coût de l'énergie, mais aujourd'hui la taxe sur l'électricité et le mazout passera de 7 p. 100 à 15 p. 100.

Nous avons aussi demandé d'exempter les vêtements pour enfants.

Nous nous sommes aussi vigoureusement opposés à la taxe sur les livres. La Nouvelle-Écosse a finalement cédé sur ce point et a apporté certains changements.

Il n'y a eu aucune réponse à nos appels. Je m'inquiète beaucoup de ce virage fiscal au détriment des pauvres, surtout lorsque à peine une personne sur trois dans la province travaille aujourd'hui.

Le sénateur Oliver: Vous avez grossi les rangs des autres conservateurs qui ont dit que l'inclusion de la taxe dans le prix est l'un des pires aspects de cette nouvelle taxe. Dans notre parti, nous allons lutter pour veiller à ce que, d'une manière ou d'une autre, cela disparaisse et que des mesures soient prises pour aider les pauvres et les personnes à revenu fixe.

Je vous remercie d'être venu et d'avoir joint votre voix à ceux qui veulent venir en aide à la population du Canada atlantique.

Le sénateur Angus: Monsieur Sullivan, je tiens à vous souhaiter la bienvenue et à vous féliciter, non seulement pour votre excellent exposé aujourd'hui, mais pour vos grandes réalisations comme chef du parti ici à Terre-Neuve et au Labrador.

Étiez-vous ici plus tôt cet après-midi lorsque M. McGrath nous a expliqué en quoi, à son avis, la Loi sur la TVH serait ultra vires, voire anticonstitutionnelle, parce que cela revient à une abdication par une province au profit du gouvernement fédéral de l'une des principales compétences exclusives en vertu de la Constitution?

M. Sullivan: Non. Je suis arrivé du centre de la province juste avant le début de l'audience aujourd'hui.

Le sénateur Angus: Vous êtes-vous penché sur cette renonciation à certains éléments de la souveraineté des provinces, des trois provinces de l'Atlantique, dans ce dossier?

M. Sullivan: Ce n'est pas quelque chose que nous avons examiné, même s'il y avait certaines indications que c'était le cas. Cela venait sans doute de M. McGrath il y a quelques mois. J'ignore ce que l'on pourrait faire sur ce point, je ne sais pas si c'est une atteinte par le gouvernement fédéral au droit fondamental de notre province de prélever des impôts. Nous ne nous sommes pas attardés sur la constitutionnalité de la question pour la simple et bonne raison qu'il nous a semblé qu'il fallait explorer d'autres voies. C'est quelque chose qui pourrait s'éterniser.

Le sénateur Angus: J'ai été très intéressé par ce qu'a dit M. McGrath. Nous avons aussi entendu d'autres témoins au Nouveau-Brunswick hier qui nous ont eux aussi parlé de constitutionnalité.

Vous avez déclaré, avec beaucoup de franchise, qu'à votre avis, il y a quelque chose de louche dans la façon dont cette loi est imposée à la population du Canada atlantique. Pourriez-vous nous en dire un peu plus?

M. Sullivan: Cette loi nous est imposée. Il n'y a pas eu de consultation publique. Il n'en a pas été question à la Chambre. On a balayé du revers de la main toute observation à ce sujet. On la fuyait comme la peste.

Je me méfie beaucoup de cette taxe et du premier ministre provincial qui interdit toute discussion publique et qui a fait adopter la loi au forcing en deux ou trois jours. Tout le processus de consultation a été court-circuité. Il n'a jamais donné suite à mes demandes de discussion publique. Ce projet, adopté uniquement par trois premiers ministres libéraux qui représentent 6 p. 100 ou 7 p. 100 de la population totale du pays, ne devrait pas aller de l'avant.

Je pense que c'est une erreur. Il y a des motifs politiques derrière. Ça ne repose pas sur des faits. Ce n'est pas dans l'intérêt de la population de la province et c'est nous faire injure.

Le sénateur Angus: Ils se sont mis à dos tellement de gens, qu'il s'agisse des médecins, des petits salariés, des personnes âgées, des membres des chambres de commerce, et cetera, que je me demande pourquoi ils ont fait cela. Qu'est-ce qui les motive, d'après vous.

M. Sullivan: Pendant la dernière campagne électorale, les citoyens du Canada atlantique de 32 circonscriptions ont manifesté leur hostilité à la TPS. Les citoyens ont cru en un parti qui leur a dit qu'il allait supprimer la TPS, s'en débarrasser, et non pas la cacher. Les gens se sont fiés à eux.

L'Île-du-Prince-Édouard n'a pas voulu y toucher. Lorsque la province avait un premier ministre libéral, il n'a pas voulu y toucher parce qu'il savait que la population serait contre et que ce serait mal accueilli. Je pense que ce sont uniquement des motifs politiques et que cela va à l'encontre des intérêts de la population de la province.

Le sénateur Angus: Avez-vous examiné le protocole d'entente dont vous avez parlé tout à l'heure?

M. Sullivan: Oui.

Le sénateur Angus: On y dit qu'il faudra l'accord de deux des trois provinces pour majorer la taxe, mais qu'il faudra consentement unanime pour l'abaisser? Qu'en pensez-vous?

M. Sullivan: C'est vrai. Une seule province peut s'opposer à une réduction. Autrement dit, si nous voulons l'abaisser et si la Nouvelle-Écosse n'est pas d'accord, alors cela ne peut pas se faire. Une seule province peut nous enlever notre autonomie en matière de fiscalité. C'est un problème.

Si on perd un peu d'autonomie pour en tirer des avantages, je veux bien. Mais quel avantage peut-on tirer de renoncer à son autonomie en acceptant qu'une seule province puisse déterminer le niveau de notre taxe? Pour moi, c'est absurde. Si l'on renonce à quelque chose, il faut obtenir quelque chose d'autre en retour. Nous n'avons rien eu en contrepartie.

Le sénateur Angus: Précisément. Que devrait recommander le comité à votre avis?

M. Sullivan: Dans mon dernier paragraphe, j'ai dit que 155 millions de dollars de recettes fiscales vont disparaître. Notre population est en train de baisser et les ventes vont baisser de 24 millions de dollars cette année par rapport à l'an dernier. Nos ventes au détail diminuent. Nous perdons des recettes. Le fardeau fiscal pèse aujourd'hui sur les pauvres. Il n'y a qu'une chose à faire, et c'est l'éliminer.

Le sénateur Angus: En entier?

M. Sullivan: En entier. Il est ridicule d'avoir une taxe qui ne s'applique qu'à 6,5 p. 100 de la population canadienne. C'est ridicule, et cela ne devrait pas exister. Il faudrait l'éliminer.

Si un jour les conditions sont différentes, si l'entente l'est aussi et si la population canadienne souscrit à l'idée, alors on pourra étudier la chose à nouveau.

Le sénateur Angus: Le projet de loi C-70 est divisé en deux. Avez-vous remarqué que la première partie porte sur quelque chose de passablement différent, voire de tout à fait distinct du sujet d'aujourd'hui? Autrement dit, la deuxième partie du projet de loi C-70 porte sur la TVH et les questions que vous avez soulevées.

M. Sullivan: Oui. Cela fait partie de quelque chose de plus gros.

Le sénateur Angus: Admettons un instant que la première partie est acceptable, qu'elle repose sur des constatations et le fruit d'essais échelonnés sur plusieurs années et qu'elle représenterait une amélioration par rapport à la TPS qui disparaît. Comme législateur, pensez-vous que la deuxième partie pourrait facilement être séparée de la première?

M. Sullivan: C'est possible. Chose certaine, l'harmonisation, elle, devrait carrément être supprimée. Je ne me suis pas penché sur les autres aspects de façon très attentive. J'ai suivi de près les délibérations à la Chambre des communes et au comité de la Chambre. J'ai lu les délibérations. Par contre, je me suis longuement attardé sur les dispositions relatives à l'harmonisation, la partie II, je crois, mais je n'en ai pas fait autant pour la partie I. Je ne peux pas me prononcer sur ce qui pourrait se trouver dans cette partie et qui pourrait être touché par l'élimination de la partie II.

Le sénateur Angus: Vous avez dit que pendant le débat à la Chambre d'assemblée, la clôture avait été prononcée. C'est bien ça?

M. Sullivan: C'est exact. Cela s'est fait aux deux étapes de l'étude du projet de loi. Une motion de clôture a été proposée.

Le sénateur Angus: Cela s'est produit également à la Chambre des communes.

M. Sullivan: Oui. La motion de clôture a été proposée avant que les neuf députés de l'opposition aient pu intervenir.

Le sénateur Angus: Est-ce que cela s'est produit lorsque vous étiez député à l'assemblée législative?

M. Sullivan: Je crois qu'il n'y a eu que quatre ou cinq motions de clôture entre 1949 et 1989. J'ai été élu en juin 1992, et, depuis lors, environ 17 motions de clôture ont été proposées. Je parle évidemment de l'assemblée législative provinciale.

Le sénateur Angus: C'est ce dont nous parlons.

M. Sullivan: L'an dernier uniquement, depuis l'arrivée au pouvoir de l'actuel premier ministre, il y a eu au moins quatre ou cinq motions de clôture proposées. En fait, dans un cas précis, le gouvernement a proposé la motion de clôture à l'égard du débat sur une modification à la Loi sur l'éducation, avant même qu'un seul député de notre parti ait pu intervenir. C'est de l'autocratie pure et simple. Les députés élus à l'assemblée législative n'ont pas la possibilité de discuter. J'ai déclaré officiellement que, en tant que député élu, j'étais très insulté de ne pas pouvoir intervenir pour donner mon avis sur un projet de loi avant que la clôture ne soit invoquée.

Le sénateur Angus: J'en déduis que le gouvernement provincial a une majorité suffisante?

M. Sullivan: Oui, absolument.

Le sénateur Angus: À votre avis, est-il vraiment nécessaire d'invoquer la clôture?

M. Sullivan: Non. Il n'y a que 11 députés d'opposition dans une assemblée qui compte 48 députés.

Le sénateur Angus: C'est pratiquement une dictature. C'est terrible.

Le sénateur Hervieux-Payette: J'espère que vous n'oubliez pas que le Québec a fait oeuvre de pionnier pour ce qui est de l'harmonisation de la taxe de vente. Celle-ci est harmonisée à 90 p. 100. Nous avons de l'expérience dans ce domaine, et cette initiative a été mise en oeuvre par les Conservateurs. Avez-vous consulté votre homologue du Québec pour voir si les Québécois ont connu tous les problèmes que, selon certaines personnes, l'adoption de ce projet de loi va provoquer? Le Québec a de l'expérience dans ce domaine.

M. Sullivan: Je pense que le Québec a un système de perception qui est différent de celui de la TPS.

Le sénateur Hervieux-Payette: Il a été négocié avec le gouvernement fédéral. Ce dernier a autorisé la province de Québec à percevoir les taxes pour le compte du gouvernement fédéral, lequel lui offre en retour une indemnisation. Il n'y a qu'un seul service de perception de la taxe. Voici ma question: avez-vous demandé aux Québécois si la mise en oeuvre de ce système harmonisé a posé des problèmes?

M. Sullivan: Non. Je connais assez bien la situation du Québec, et les 6,5 p. 100 dont je parle représentent les parties à cet accord. Les trois provinces représentent uniquement 6,5 p. 100 de la population canadienne. Loin de moi l'idée que le Québec ne fait pas partie de la proportion totale. Je parlais uniquement de l'accord prévu dans ce projet de loi.

Le sénateur Hervieux-Payette: À votre connaissance, la province de Québec a-t-elle subi des pertes de recettes considérables ou connu d'autres problèmes sérieux?

M. Sullivan: Non. Personne ne verra à redire au fait qu'il n'y a qu'un seul système de perception, que ce soit la province de Québec, le gouvernement du Canada ou la province de Terre-Neuve et du Labrador. Ce système de perception unique est bon pour l'ensemble des affaires. Je n'en ai jamais douté. En fait, cela représente également beaucoup de formalités administratives. Pourquoi établir deux systèmes de perception plutôt qu'un seul?

À ce sujet, il est paradoxal de voir que la seule province de l'Atlantique qui ne participe pas au régime d'harmonisation est celle où se trouve le centre de perception, c'est-à-dire l'Île-du-Prince-Édouard. Cette province va tirer les avantages de la création d'emplois découlant de l'harmonisation, et nous dans notre province perdrons des emplois.

Le sénateur Angus: À votre avis, est-il juste que les autres contribuables du Canada versent ces 961 millions de dollars à la population de la région de l'Atlantique?

M. Sullivan: Cet accord n'est pas acceptable pour notre province, si l'on tient compte du fait qu'elle va y perdre 155 millions de dollars. Qui plus est, nous transférons le fardeau fiscal entre les riches et les pauvres. Le montant de 348 millions de dollars que va recevoir ma province n'est pas suffisant pour me convaincre de participer à cet accord, et nous allons y perdre 155 millions de dollars par an. D'après les chiffres que m'a fournis le ministre des Finances, celui-ci percevra 90 millions de dollars de recettes supplémentaires. Toutefois, cet accord ne me paraît pas acceptable, même du point de vue strict des recettes.

Le sénateur Angus: Il est peut-être en train d'hésiter. Il vient à peine d'arriver et sourit en entendant vos observations.

Le sénateur Oliver: Vous avez dit que le ministre des Finances provincial a signalé que le gouvernement va mettre en oeuvre de nouvelles mesures génératrices de recettes fiscales dans le domaine des ventes d'assurances, de véhicules, de tabac et d'alcool. Est-ce pour compenser une partie des pertes découlant de cette nouvelle TVH?

M. Sullivan: Oui. J'ai indiqué que, l'an dernier, nous avons réalisé des ventes au détail de 565 millions de dollars. Je me suis procuré les chiffres auprès de sources provinciales et fédérales qui m'ont dit avoir perçu entre 279 et 283 millions de dollars de TPS dans cette province au cours des deux dernières années -- les chiffres varient légèrement selon les mois sur lesquels on se fonde -- et, avec un taux de 8 p. 100, cela donne 320 millions de dollars. Nous sommes donc en déficit de 245 millions de dollars.

On a mis sur pied ces trois nouvelles taxes: une taxe sur les assurances de 15 p. 100, une taxe de 15 p. 100 sur la vente privée de véhicules, et un gel des taxes sur l'alcool et le tabac, au lieu de les réduire. D'après mes renseignements, en se fondant sur ces chiffres, cela rapporterait 75 millions de dollars. Il y a d'autres mesures qu'il ne m'a pas expliquées en détail et qui rapporteront 90 millions de dollars. C'est de là que venaient les 90 millions de dollars. Si l'on soustrait ce montant de 245 millions, on obtient un chiffre de 155 millions de dollars que nous allons perdre. Le ministre dit que ce sera 105 millions. Je n'ai pas trouvé d'où viendront les 50 millions restants, et j'aimerais bien le savoir. Il s'agit peut-être d'une nouvelle taxe qui va être annoncée le 20 mars.

Le président: Notre témoin suivant est M. Paul Dicks, ministre des Finances du gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador. Je sais que vous avez une déclaration liminaire à faire, et nous passerons ensuite aux questions et réponses.

M. Paul Dicks, ministre des Finances, gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador: Je vous remercie de votre invitation. Je n'ai pas de déclaration à proprement parler. Je pensais qu'il serait plus utile de consacrer le temps qui m'est alloué à répondre à vos questions ou à discuter de façon générale de cette question. Je sais que certaines questions tiennent à coeur aux membres du comité.

Le sénateur Angus: Soyez le bienvenu à notre comité, monsieur le ministre. Nous vous savons gré des notes d'information que votre collègue et vous nous avez fournies. Cela nous a permis de mieux comprendre les questions en jeu.

J'aimerais examiner avec vous aujourd'hui la question de la prétendue inconstitutionnalité de ce projet de loi. Je sais que vous avez des légistes très compétents dans votre assemblée législative. Je sais également que, en tant qu'ancien ministre de la Justice, vous ne voudriez pas être associé à une loi anticonstitutionnelle.

Certains témoins érudits ont dit que ce train de mesures, si l'on peut dire, soit les projets de loi proposés par les trois provinces de l'Atlantique, plus le projet de loi C-70, émanant du Parlement fédéral, représentent une renonciation des provinces à l'un de leurs droits exclusifs en matière de perception de taxes et un empiétement sur les secteurs de compétence bien définis qui étaient garantis dans l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. Qu'en pensez-vous, monsieur?

M. Dicks: Dès le début, nous avons examiné la constitutionnalité de nos initiatives et envisagé diverses méthodes de mise en vigueur. Il va sans dire que l'on pourrait envisager la délégation et d'autres méthodes. Nous avons résolu ces problèmes, car l'assemblée législative est souveraine. Nous avons adopté une loi dans notre province en vue de résoudre tout problème constitutionnel susceptible de se poser. Nous avions l'intention de déléguer ce pouvoir, mais cela ne nous a pas paru judicieux. Notre assemblée législative a effectivement adopté une loi équivalente, et nous avons enchâssé dans la loi l'accord conclu par la Chambre en décembre dernier. Depuis lors, je n'ai jamais entendu parler d'éventuelles illégalités.

Le sénateur Angus: Au début de la journée, M. McGrath a cité une décision de la Cour suprême du Canada relative à l'hôtel Lord Nelson et à la province de la Nouvelle-Écosse, laquelle, à première vue, semble constituer une jurisprudence convaincante.

M. Dicks: Je connais M. McGrath depuis qu'il a participé aux consultations prébudgétaires l'an dernier. En toute franchise, je pense que la loi n'est pas bien comprise et qu'il existe une confusion quant aux conséquences des articles 91 et 92. Il est évident que la province peut agir comme elle le fait. L'argument qui a été présenté ne tient pas constitutionnellement. Je pense qu'il a mal interprété la situation et que cela n'a aucun rapport avec ce que nous faisons.

Le sénateur Angus: Pour ce qui est de la loi fédérale, donc, même si je comprends qu'il s'agit d'une sphère de compétence différente, rien ne vous porte à croire que nous pourrions, par inadvertance, ratifier une loi inconstitutionnelle?

M. Dicks: Non, je ne le pense pas. Elle concerne les pouvoirs de taxation directe et indirecte, et le gouvernement fédéral possède les deux. Nous, au niveau provincial, n'avons évidemment que le pouvoir de percevoir des taxes et impôts directs. Lors de l'adoption de la TPS, j'ai commencé à m'inquiéter de l'intégration. Je n'étais pas convaincu. Il m'a fallu près de six ans pour me convaincre que c'était la chose à faire. J'étais au ministère de la Justice quand la question est venue pour la première fois sur le tapis.

Il y a quelque temps que nous souhaitons ardemment aller de l'avant, car cela offre de nombreux avantages pour le secteur des affaires, et nous estimons que c'est un moyen raisonnable de réduire le fardeau de la taxe de vente au détail qui était le plus élevé dans le pays. Toutefois, lorsqu'il en a été question pour la première fois, ce n'est pas tant la constitutionnalité de l'initiative qui m'a inquiété, mais plutôt les usages, car le gouvernement fédéral venait s'ingérer dans un domaine qui était jusque là du ressort provincial. Étant donné le nombre de domaines où il lui était possible de percevoir des taxes et impôts, je me suis demandé pourquoi le gouvernement fédéral voulait empiéter sur notre champ de compétence à l'époque. Il va sans dire que cela a réduit nos pouvoirs, tout en grugeant d'une certaine façon l'économie, parce que l'on percevait 7 p. 100 du revenu net disponible des gens. Je me suis interrogé à ce sujet, pas tant du point de vue de la légalité de cette initiative, car il est évident que le gouvernement fédéral avait le pouvoir d'agir ainsi, mais plutôt parce qu'il s'ingérait dans un domaine qui jusque-là était du ressort des provinces, et que nous, au niveau provincial, ne nous ingérons pas dans le droit des municipalités de percevoir des taxes foncières. Nous leur laissons ce pouvoir, mais davantage par respect que pour des raisons de légalité.

Le sénateur Angus: Un des aspects liés à cette question qui a été porté à mon attention touche le protocole d'entente que vous avez signé avec les autres provinces et le gouvernement fédéral relativement à la réduction de la taxe. Si l'une des provinces souhaitait réduire le taux de la taxe, par exemple, une des deux autres pourrait s'y opposer. Cette disposition me paraît pour le moins étrange, et j'aimerais savoir ce que vous en pensez, et comment on peut justifier une telle mesure.

M. Dicks: Nous avons conclu un accord de quatre ans. Nous étions préoccupés par la mesure dans laquelle nous allions restreindre le droit de la province d'augmenter ou d'abaisser les taxes. Si cette disposition est prévue, c'est directement en rapport avec l'indemnisation. Le gouvernement fédéral ne voulait pas, pour le moment, augmenter les taxes, car la compensation est calculée selon une formule, comme vous le savez. Si personne ne vous l'a expliquée, je suis tout disposé à le faire.

Quant à l'abaissement du taux de la taxe, il s'agissait en fait d'une disposition connexe. Nous voulions essayer de garantir une fiscalité uniforme dans toutes les provinces de l'Atlantique. En effet, chacun sait que les gens vont généralement faire leurs courses là où la taxe est la plus faible. C'est un facteur qui a joué à Terre-Neuve et au Labrador. Nous avons eu un taux de taxe très élevé qui a incité les habitants de la province à aller chez les voisins. Lorsqu'ils voyagent, ils font leurs achats dans une province où il n'y a pas de taxe de vente sur un article donné, ou encore où le taux de la taxe est plus faible.

Nous voulions adopter cette disposition pour notre propre protection, car, selon nous, le fait que les taux de taxe soient uniformes pendant un certain temps constitue un avantage régional pour nous.

Le sénateur Angus: D'après moi, cela laisse entendre que vous partagez l'avis des nombreux témoins selon lesquels l'Île-du-Prince-Édouard va devenir un paradis fiscal dans la région de l'Atlantique, et qu'elle va connaître une période de prospérité économique tandis que la pauvre province de Terre-Neuve et du Labrador va être laissée pour compte.

M. Dicks: Je pensais que c'était l'inverse et que l'harmonisation fournissait un avantage concurrentiel énorme à notre secteur des affaires; à mon avis, toute province qui ne participe pas au système sera défavorisée de ce fait. Cela rendrait nos entreprises plus concurrentielles parce que notre taux de taxe est plus faible et que, bien entendu, nous avons droit également aux crédits de taxe sur les intrants d'entreprise. Je pensais qu'il serait très difficile à l'Île-du-Prince-Édouard de faire cavalier seul pendant longtemps.

Le sénateur Angus: L'autre question qui a été au coeur de nos audiences ces trois derniers jours est celle du prix incluant la taxe.

M. Dicks: Oui.

Le sénateur Angus: Le sénateur Rompkey et moi avons une légère divergence d'opinions quant à savoir si c'est un témoin ou un témoin et demi sur les 60 que nous avons entendus qui a trouvé des avantages au principe des prix toutes taxes incluses, mais en tout cas de nombreux témoins nous ont dit qu'ils ne trouvent aucune justification à cette proposition, qu'ils approuvent le principe de l'harmonisation, mais que le coût lié aux prix taxes incluses l'emportera sur tous les avantages susceptibles de découler de cette initiative. Mes collègues de ce côté-ci et moi-même estimons qu'il faut renoncer à l'idée d'inclure la taxe dans les prix des marchandises et que cela ne vous gênera pas, cela ne changera rien à votre vie et, en fait, cela ne changera rien aux divers avantages économiques dont on espère profiter dans ces trois provinces. Qu'en pensez-vous?

Le sénateur Oliver: Les deux idées sont dissociables.

M. Dicks: Parfaitement. Je vous dirais franchement que c'est prévu dans notre accord. Nous sommes restés neutres sur cette question, même si je dois avouer que c'est une bonne idée, à mon avis, et je vais vous expliquer pourquoi. Le gouvernement fédéral préférerait que les prix incluent la taxe, et on peut évidement s'interroger sur ses motifs, mais il va sans dire que lors de la conclusion de cet accord c'était un point qui tenait à coeur au gouvernement fédéral.

Cela dit, j'ai sans doute été le plus fervent partisan de cette idée, et ce, pour diverses raisons. D'une part, j'entends les gens dire que le fait que le prix des articles n'inclut pas la taxe est parfois source de confusion. Les consommateurs préfèrent que le prix inclue la taxe. Dans tous les pays d'Europe où il existe une TVA, les consommateurs connaissent le prix exact. Ici, les gens souffrent parfois de ce qu'on appelle le «choc de l'étiquette». Ils voient un prix de 50 $ affiché, mais, en fait, ils doivent payer 60 $. Je ne pense pas que les consommateurs s'y habituent jamais. J'ai été ministre des Finances pendant un certain nombre d'années et je suis moi-même contrarié lorsqu'il me faut payer la taxe sur tout ce que j'achète dans la province.

Cela dit, c'est encore plus troublant pour les gens qui font du tourisme dans notre province. Les commerçants vous diront que lorsque les gens se rendent compte qu'il faut ajouter 20 p. 100 de taxe au prix des articles, certains d'entre eux préfèrent ne pas les acheter. Il y a donc un avantage pour les magasins de détail à inclure la taxe dans le prix.

Par contre, ce sont les chaînes nationales qui exploitent des magasins dans notre province qui se sont pour la plupart opposées à ce projet. En toute franchise, la plupart de leurs arguments ne sont pas fondés. Les responsables disent que lorsqu'ils font de la publicité à l'échelle nationale ils ne peuvent publier qu'un seul prix dans tout le pays. Nous avons vérifié, et dans certains cas ces magasins ont neuf régions différentes. Je pense qu'il faut prendre avec un grain de sel tout ce que l'on entend dire au sujet des prix toutes taxes incluses. C'est un inconvénient pour un commerce d'afficher le prix taxes incluses, mais, cela dit, je ne pense pas que nous offrions des avantages aux entreprises en leur offrant quatre options. Nous aurions dû affirmer clairement que les prix doivent englober la taxe. Pour essayer de répondre aux exigences du secteur des affaires, nous prêtons désormais le flanc à la critique, car nous leur avons accordé trop d'options, ce qui est une source de confusion pour les commerçants.

C'est un avantage extraordinaire pour le secteur des affaires. Dans notre province, il y aura pour environ 170 millions de dollars de crédits de taxe sur les intrants d'entreprise. Quand des gens font des difficultés là-dessus, je leur dis qu'ils peuvent avoir le système actuel à 20 p. 100 sans aucun crédit de TPS pour les intrants, ou bien le nouveau système à 15 p. 100 avec crédit de taxe sur les intrants et prix taxe comprise. À eux de choisir. Après, je n'en entends plus parler.

Certains de mes collègues ne partagent pas ce point de vue, mais je crois que c'est une question de commodité pour le grand public, au prix d'un certain inconvénient pour le secteur privé. Chaque fois que je les mets au défi de me montrer qu'ils devront assumer des coûts, ils m'alignent tous les arguments possibles et imaginables pour expliquer leur refus de le faire. Ils parlent du coût de remplacement de caisses enregistreuses qui peuvent consigner la taxe à 19,84 p. 100, mais qui, pour une raison ou une autre, sont incapables d'enregistrer le chiffre de 15 p. 100.

Je suis sceptique au sujet de beaucoup d'arguments que j'ai entendus. J'ai exprimé ce point de vue aux gens d'affaires de notre collectivité, et, de façon générale, ils sont d'accord. Toutefois, ils sont comme tout le monde, c'est-à-dire qu'ils préféreraient ne pas avoir à réétiqueter tout leur stock, et il y a aussi certains problèmes pour les articles dont le prix est fixé par le fabricant, mais, de mon point de vue, l'affaire est neutre. Je pense que certaines personnes sont simplement un peu contrariantes à ce sujet. J'ai tendance moi aussi à faire le difficile pour certaines questions de ce genre.

Le sénateur Angus: Cela nous arrive probablement à tous, monsieur le ministre, mais il n'en demeure pas moins que s'il y a un nombre important de gens d'affaires qui croient qu'ils seront avantagés par l'instauration du prix taxe comprise, ils n'ont assurément pas saisi l'occasion de venir nous le dire.

M. Dicks: C'est en effet un problème, mais, de mon point de vue, je suis assez neutre là-dessus. Je pense que nous perdons de vue l'avantage général pour l'économie et le milieu des affaires et que l'on a tendance à buter sur un obstacle insignifiant. Je serais content qu'on le mette de côté.

Le sénateur Angus: Nous avons entendu ce matin des médecins membres de l'Association médicale de Terre-Neuve, et nous avons eu hier une séance d'information où on nous a donné le point de vue du gouvernement, ou du moins c'est ce que j'ai compris, à savoir que le gouvernement ne considère pas que les médecins de pratique privée sont des chefs de petites entreprises, mais plutôt, compte tenu de la source de leurs revenus, des éléments de la fonction publique. Je ne pouvais pas encourager les témoins que nous avons entendus à se dire d'accord avec cette position. Pourriez-vous nous expliquer cela? C'est peut-être du ressort fédéral plutôt que provincial, mais c'est une forme de discorde. Les médecins sont importants pour nous tous, et ils sont très mécontents de cette mesure.

M. Dicks: J'ai rencontré deux ou trois fois depuis un an des représentants de l'Association médicale de Terre-Neuve. Ils disent qu'ils devront payer une somme supplémentaire qu'ils estiment à un million de dollars. J'ignore s'ils vous ont communiqué des chiffres. Cette question n'est pas de notre ressort. Le gouvernement fédéral établit essentiellement qui devra payer la taxe, qui est détaxé, et cetera. Je suis assez sympathique à leur position, mais nous ne pouvons pas intervenir directement là-dedans. Je pense que cela pose plus généralement la question de savoir quelles entreprises seront détaxées. Ils constituent l'un des groupes qui ne bénéficient pas vraiment de l'avantage des crédits de taxe sur les intrants parce qu'ils ne font pas payer la taxe de vente provinciale à leurs clients, même s'ils sont en fait des entreprises. Je suis donc sympathique à leur cause, mais je crois que c'est probablement M. Martin, ou le gouvernement fédéral, qui devrait se pencher sur cette question.

Le sénateur Angus: Il vient justement nous voir à 9 heures lundi matin, et il y aura quelques médecins dans la salle.

Le sénateur Rompkey: C'est arrivé en 1991, quand la TPS a été introduite. M. Martin n'était pas membre du gouvernement à l'époque.

Monsieur le ministre, je voudrais maintenant vous parler des logements neufs. Parmi les groupes qui ont comparu devant nous, ce sont à mon avis ceux qui construisent des maisons neuves qui ont apporté l'argument le plus convaincant. Que leur avez-vous répondu? À leur avis, les mises en chantier vont demeurer stagnantes, les prix vont monter, et tout cela aura une incidence négative sur l'économie et sur les consommateurs.

M. Dicks: Je pourrais vous répondre de plusieurs manières. Nous sommes en désaccord avec les constructeurs d'habitations quant à l'incidence éventuelle sur le prix des maisons neuves. D'après nous, ce sera de 0,9 p. 100. Ils ont pour leur part fait des études qui indiquent qu'il y aura une augmentation pouvant atteindre 5 p. 100. Plus récemment, ils se sont rapprochés de notre position, indiquant un chiffre variant entre 1,5 et 2,5 p. 100. La difficulté de leur position tient en partie à ce qu'ils affirment qu'il n'y aura aucun transfert de crédits de taxe sur les intrants directs. Je leur ai dit que je n'étais absolument pas sympathique à leur cause s'ils affirmaient que le prix des maisons neuves va augmenter parce qu'ils ne feront pas bénéficier leurs clients de l'avantage des crédits de taxe sur les intrants.

C'est notre position, et il nous a été impossible de résoudre ce différend. L'augmentation du prix d'une maison de 120 000 $ serait d'environ 2 400 $, et, normalement, cette somme serait amortie sur 20 ou 25 ans. Cela ajoute probablement une vingtaine de dollars, tout au plus, à un paiement hypothécaire.

Toutes les études que nous avons faites montrent que, dans toutes les catégories de revenu, les gens seront avantagés. Entre 70 000 $ et 100 000 $, l'avantage se chiffrera à environ 1 100 $. Même quelqu'un dont le revenu serait aussi bas que 10 000 $ en tirera un avantage de 182 $. Ces chiffres sont obtenus en appliquant le modèle de Statistique Canada à ce que les gens achètent.

Récemment, une femme m'a interrogé à ce sujet à Labrador City. Je lui ai dit qu'elle devrait calculer tout ce qu'elle a acheté au cours de l'année écoulée et qu'elle constaterait qu'elle économisera de l'argent. Elle est revenue cette année pour me dire qu'elle avait fait le calcul et que, d'après elle, elle économisera 1 000 $ quand nous mettrons en oeuvre le système.

Je réponds à l'association des constructeurs d'habitations que nous aurons une forte croissance à Terre-Neuve et au Labrador. Je ne pense pas que cela va influer sur le nombre de mises en chantier, et je m'attends à ce que le coût supplémentaire soit plus que compensé par les économies que les gens vont réaliser. Ce n'est pas beaucoup d'argent. J'ai plutôt des objections à la façon dont ils calculent l'augmentation. Quant à savoir s'il y a lieu d'accorder une aide, ce n'est pas à moi d'en décider, mais c'est une décision que nous prendrons d'ici à la présentation du budget le 20 mars.

Le sénateur Rompkey: Je voudrais que vous nous parliez des avantages de l'harmonisation pour les consommateurs, en particulier ceux qui ont un revenu faible ou fixe. Nous avons entendu divers groupes, depuis les médecins jusqu'aux groupes de lutte contre la pauvreté et les personnes âgées. Les gens qui ont un revenu faible ou fixe se sont dits très inquiets au sujet des avantages supposés de l'harmonisation. Qu'avez-vous à dire là-dessus?

M. Dicks: Comme je l'ai dit tout à l'heure, nous travaillons en étroite collaboration avec les services sociaux sur cette question. Nous avons commencé par appliquer le modèle de Statistique Canada quant à ce que les gens achètent. Si l'on examine la grande majorité des articles que les gens achètent, que ce soit des rasoirs, de la crème à raser, des lotions, des vêtements ou des pizzas, les gens qui ont un revenu faible achètent généralement la même chose que les autres. Ils en achètent plus ou moins, selon leur revenu. Si l'on accepte le modèle de Statistique Canada sur les achats habituels des gens de divers niveaux de revenu, on doit conclure que les gens qui gagnent seulement 10 000 $ économiseront en moyenne 182 $.

Cela dit, je ne dis pas que tout le monde se conforme à ce modèle, et je crains quelque peu que certaines personnes ne soient touchées de façon disproportionnée. Par exemple, une personne âgée qui ne sort pas tellement et qui habite dans une vieille maison pas très bien isolée pourrait être touchée de façon disproportionnée par l'augmentation du coût du combustible domestique. J'ai quelques craintes au sujet de ce groupe particulier, mais je crois que dans l'ensemble, même pour un niveau de revenu très bas, les économies obtenues grâce à la baisse du prix d'un grand nombre d'articles vont probablement plus que compenser le coût additionnel.

Par ailleurs, bien des gens qui ont un bas revenu ont des charges moins lourdes au chapitre des services, par exemple pour les comptables, avocats et autres professionnels bien rémunérés. L'augmentation du combustible domestique me préoccupe pour les gens à faible revenu, et, dans notre plan budgétaire général, nous verrons ce qu'il y a lieu de faire à ce sujet.

Le sénateur Rompkey: Pourriez-vous nous dire dès aujourd'hui en quoi cela pourrait consister?

M. Dicks: Je dois garder une surprise en réserve pour le budget, sénateur.

Le sénateur Cochrane: Je voudrais commencer mon intervention, monsieur le président, en posant une question qui fait suite à celle du sénateur Rompkey. Compte tenu du fait que la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick ont tous deux légiféré pour alléger le fardeau des pauvres et des gens à revenu fixe, votre province va-t-elle en faire autant?

M. Dicks: En Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick, le budget a été présenté à l'automne. Le cycle budgétaire de ces deux provinces est différent du nôtre. Habituellement, nous présentons notre budget à la fin de mars. S'il y a lieu de faire quoi que ce soit à ce sujet, je vais l'annoncer dans le budget. Nous sommes très conscients de cette question et nous verrons s'il y a lieu d'accorder une aide quelconque. Je n'ai rien d'autre à dire à ce sujet.

Le sénateur Cochrane: La province a négocié avec le gouvernement fédéral pour introduire cette taxe de vente harmonisée et, en retour, elle recevra cette année, si ce n'est déjà fait, la somme de 127 millions de dollars.

M. Dicks: Nous l'avons reçue, et je l'ai déposée à la banque le vendredi de l'Action de grâce; le mardi suivant, après le long week-end, la province s'était enrichie de 100 000 $.

Le sénateur Cochrane: La province touchera encore 127 millions de dollars l'année prochaine, n'est-ce pas?

Le sénateur Oliver: Non, nous avons reçu la somme totale de 348 millions de dollars en un seul paiement forfaitaire.

Le sénateur Cochrane: Si je comprends bien, c'est pour compenser les 105 millions de dollars que notre gouvernement provincial perdra en recettes, n'est-ce pas?

M. Dicks: Oui.

Le sénateur Cochrane: Cela étant le cas, comment la province va-t-elle s'adapter à cette perte?

M. Dicks: De plusieurs manières. Pendant l'année durant laquelle nous avons négocié cela, nos recettes de la taxe de vente provinciale étaient de 570 millions de dollars. À la suite du changement, cette taxe passant de 12 p. 100 à 8 p. 100 qui viennent s'ajouter à la TPS, notre taux est donc effectivement de 12,84 p. 100. Si nous n'avions pas fait de rajustements, nous aurions perdu 190 millions de dollars. Nous avons donc apporté des rajustements pour limiter nos pertes à 105 millions.

Nous avons fait plusieurs choses. Nous avons augmenté la taxe sur les polices d'assurance, qui est actuellement à 12 p. 100, pour la porter à 15 p. 100, et cette tranche additionnelle de 3 p. 100 nous donnera environ 25 millions de dollars. Nous taxerons la vente de véhicules d'occasion entre particuliers, au taux de 15 p. 100, ce qui est l'équivalent de l'autre taux. Cela donnera encore 25 millions, à peu près. Il y a pour environ 10 millions de dollars de rajustements institutionnels que nous pourrons décider de faire ou non, et nous neutraliserons l'effet de l'harmonisation sur le prix des boissons alcooliques et des cigarettes. Si nous ne rajustions pas nos prix à la hausse, ces prix baisseraient, et nous estimons donc que c'est une façon d'aller chercher sans douleur des recettes supplémentaires.

Une fois que nous aurons pris ces trois mesures principales, nous réduirons notre perte fiscale d'environ 105 millions de dollars et nous serons pleinement compensés pour cela pendant les deux premières années. La formule est que nous touchons 50 p. 100 de nos pertes durant la troisième année et 25 p. 100 durant la quatrième année; c'est ainsi que l'on calcule la somme de 348 millions. À la fin de cette période de quatre ans, car l'entente porte sur quatre ans, nous devrons choisir de poursuivre ou non, mais je prévois que la croissance du PIB suffira à compenser la majorité de la perte fiscale.

De façon simpliste, disons que nous toucherons environ 100 millions de dollars par année. Les 348 millions de dollars serviront à remplacer des emprunts que nous aurions dû contracter autrement à un taux de 8 p. 100, parce que nous émettons habituellement des obligations de 30 ans. Cette somme de 100 millions de dollars sera injectée dans notre économie chaque année, parce que l'on réduit le fardeau fiscal des gens.

Essentiellement, les gens auront environ 100 millions de dollars de plus par année à dépenser. Cela représente .875 p. 100 de notre PIB nominal. Chaque année, notre PIB est de l'ordre de 12 milliards de dollars, de sorte que 100 millions de dollars représentent un peu moins de 1 p. 100. La croissance annuelle devrait contribuer sensiblement à augmenter les recettes fiscales, et cela devrait augmenter durant les quatrième et cinquième années. Nos chiffres sur le PIB montrent qu'en 1999 nous connaîtrons une croissance spectaculaire dans la province. Nos recettes fiscales suffiront donc à compenser toute perte que nous pourrions subir à ce moment-là.

Maintenant, cela dit, il était simplement trop difficile de résister à la tentation de rationaliser ce qui était la charge fiscale la plus élevée au Canada, à 12 p. 100, pour la ramener à 8 p. 100 et, effectivement, de 20 p. 100 à 15 p. 100. Nous devions l'envisager, et nous l'avons fait. Il faut espérer qu'au cours des prochaines années nous pourrons en faire autant pour l'impôt sur le revenu. Il y aura de nombreux avantages pour les consommateurs, et je crois que les pertes fiscales peuvent être absorbées à court terme; à long terme nous allons compenser ces pertes.

Le sénateur Cochrane: En passant de 19 p. 100 à 15 p. 100, on réalise des économies de 4 p. 100, mais ce 4 p. 100 ne s'applique pas à tout. Les principaux articles qui augmenteront sont, comme vous le savez, l'électricité, l'essence et beaucoup d'autres produits essentiels, et c'est là qu'il y a problème. Même si la taxe passera de 19 p. 100 à 15 p. 100 sur les ventes de voitures, à quelle fréquence les gens achètent-ils des voitures?

M. Dicks: Bien des gens en achètent une tous les trois ans. En fait, sur un véhicule de 20 000 $, ce qui est à peu près le prix moyen, les gens économiseront quelque 2 000 $. Cela fera plus que compenser l'augmentation du prix de l'essence.

On peut surestimer l'incidence d'une manière ou d'une autre, mais j'ai toujours trouvé amusant que les gens font deux commentaires: ils demandent comment nous allons compenser les pertes et, du même souffle, ils se plaignent que nous allons taxer plus lourdement. Le plus difficile, c'est que nous devrons assumer une perte nette de 105 millions de dollars. Je ne suis pas économiste, mais je peux vous dire qu'à Terre-Neuve nous dépensons généralement tout l'argent que nous avons. Nous ne sommes pas de grands épargnants. La plus grande partie de cet argent va être réinjecté dans l'économie. Je reconnais que le prix du combustible domestique va augmenter quelque peu, de même que celui de l'électricité, mais à part cela il y a très peu d'achats ordinaires et quotidiens qui vont augmenter. Bien sûr, les honoraires des comptables ou des avocats seront taxés. La vérité, c'est que la plupart des entreprises vont absorber une partie ou la totalité de cette augmentation et vont transmettre les économies réalisées grâce aux crédits de taxe sur les intrants.

Le sénateur Cochrane: J'espère que vous avez raison quand vous prévoyez une reprise économique. Je la souhaite ardemment. Qu'arrivera-t-il s'il n'y a pas de reprise économique?

M. Dicks: Bien sûr, j'ignore où je serai dans quatre ans, mais je crois que, si l'on rationalise le régime fiscal de cette manière, il sera très difficile pour quiconque de faire machine arrière ou de relever les taxes. Je crois que nous ferions probablement ce que nous faisons depuis le début. Depuis bon nombre d'années, nous subissons des pertes de recettes et nous compensons en sabrant les dépenses. Je pense que c'est la chose à faire. Je ne suis pas vraiment en faveur d'augmenter les impôts.

C'est mon opinion personnelle. Quant à savoir si celui qui sera ministre des Finances dans quatre ans partagera ce point de vue, je l'ignore. Mais je crois qu'il faut voir les choses avec réalisme. Les perspectives de croissance de Terre-Neuve sont extraordinaires, surtout après l'année 1999. Nous avons les plus grands projets d'immobilisations au Canada, et ils se traduiront par une croissance spectaculaire de notre économie.

Je ne peux pas vous donner de chiffres précis, mais ils seraient assez importants. Nous aurons peut-être une croissance du PIB de plus de 10 p. 100 en l'an 2000. Malheureusement, nous ne pourrons tout garder à cause de la péréquation, qui en constituera une proportion, mais je suppose que cela est juste.

Le sénateur Hervieux-Payette: La fédération des municipalités nous a fait un exposé et s'est dite inquiète parce que dans cette province, contrairement à ce qui s'est produit en Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick, il y aura un fardeau supplémentaire sur le dos des municipalités. Avez-vous l'intention de vous pencher sur cette question? À quel degré la province contribue-t-elle au budget municipal? S'agit-il d'une contribution harmonisée, ou y a-t-il une autre formule de compensation?

M. Dicks: Je pense que vous soulevez la question des remboursements de la TPS aux municipalités. Nous fournissons un appui important au secteur municipal. Nous leur versons actuellement environ 33 millions de dollars en subventions d'exploitation municipales. Une des difficultés de la péréquation, c'est que Terre-Neuve a le plus bas niveau de taxe municipale au pays. Nous ne sommes qu'à 42 p. 100 du niveau fiscal national dans ce secteur. Cela touche la péréquation, mais c'est un secteur de revenu qui est en dehors de notre contrôle.

Le NMFC, l'organisme de financement qu'utilise le gouvernement pour fournir de l'argent aux municipalités pour la voirie, l'eau et les égouts, et cetera, accuse maintenant une dette de près de 600 millions de dollars. La province finit par en assurer le service à raison de 60 p. 100 environ. De nombreuses municipalités accusent un retard dans leurs obligations de partage des coûts. Je n'ai pas comparé notre situation avec celle des autres provinces, mais nous dépensons énormément d'argent dans le secteur municipal pour les routes, l'eau et les égouts, ainsi que les autres services semblables.

Dans beaucoup de cas, la capacité d'imposition des municipalités est très faible. Si vous connaissez Terre-Neuve vous saurez que nous avons eu des problèmes historiquement pour ce qui est du revenu et de la distribution ainsi qu'avec la pêche récemment; alors beaucoup de ces municipalités ne peuvent pas prélever beaucoup plus de fonds. Notre situation est différente de celle de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick. Ces provinces n'imposent pas le secteur municipal, et nous l'avons toujours fait. Nos municipalités payaient 12,84 p. 100. Les autres provinces leur donnent des remboursements. Cependant, tous nos chiffres indiquent que le secteur municipal profitera d'environ 4 millions de dollars. Il se portera mieux à cause de cette harmonisation, car au lieu de payer 20 p. 100 sur certains produits, il ne paiera que 15 p. 100.

Le seul domaine où cela ne sera peut-être pas le cas, c'est dans les marchés de services. Une municipalité près d'ici m'a dit que cela lui coûtera 150 000 $ de plus, tandis qu'une autre dans le centre de Terre-Neuve m'a dit qu'elle y gagnait 100 000 $. Ces 4 millions de dollars ne sont pas nécessairement distribués de façon égale dans tout le secteur municipal, mais il est difficile d'accorder un remboursement à un secteur qui bénéficiera de cette mesure. Il faudra prendre une décision à ce sujet d'ici le dépôt du budget.

Le sénateur Comeau: Parmi les nombreuses préoccupations qui ont été exprimées ici au cours des derniers jours, il y en a une que l'on retrouve souvent et pour laquelle il semble y avoir peu de justifications, et il s'agit du prix taxe incluse. Le sénateur Rompkey nous dit qu'un sondage démontre que 52 p. 100 des Canadiens veulent voir le prix final du produit, et ils sont catégoriques à ce sujet.

Le sénateur Hervieux-Payette: C'est 79 p. 100.

Le sénateur Comeau: Je n'ai pas étudié le libellé des questions de ce sondage ni comment cela a été présenté. Le raisonnement derrière les prix taxe incluse, c'est qu'un sondage indique que les consommateurs préfèrent voir le prix à la caisse sur l'étiquette. Cependant, à part un seul groupe que nous avons entendu au cours des derniers jours, tous les groupes représentant des détaillants s'opposent farouchement au prix taxe incluse. Y a-t-il une autre raison qu'un sondage qui explique pourquoi le prix taxe incluse figure dans ce projet de loi?

M. Dicks: Non. Cependant, je pense que la plupart des clients préféreraient avoir un prix taxe incluse. Du point de vue des affaires, je comprends les arguments que les détaillants pourraient présenter, parce qu'ils indiquent sur l'étiquette un prix de, disons, 1,99 $ ou 5,99 $, et s'ils doivent ensuite ajouter 15 p. 100, il y a distorsion du prix. Les gens d'affaires vous diront qu'ils ont besoin de ces points de prix. Ils sont peut-être obligés de redistribuer leur marge de profit sur différents articles afin de pouvoir accomplir cela. Je sympathise avec eux, mais du point de vue provincial ce n'est pas une question primordiale. Je pense que c'est une question de commodité pour le public. Je pense que les détaillants peuvent s'ajuster. Ils sont sans doute en mesure de le faire.

Le sénateur Comeau: Il est évident que lorsque vous entrez dans un magasin pour acheter un article vous voulez savoir exactement combien vous devrez sortir de votre portefeuille sans devoir faire de calcul mental. Cela dit, est-ce que les détaillants ne pourraient pas le faire de façon volontaire, étant donné les commentaires que nous avons entendus au cours des derniers jours?

Nous avons eu la même impression au Nouveau-Brunswick, c'est-à-dire que le gouvernement provincial du Nouveau-Brunswick n'a pas vraiment le goût d'imposer cette mesure. Je ne pense pas que le gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador ait fait preuve d'un grand désir d'avoir des prix taxe incluse. Nous poserons la même question aux représentants du gouvernement de la Nouvelle-Écosse, et s'ils partagent cette opinion, ce sera peut-être un domaine où nous pourrons satisfaire les Canadiens qui s'opposent à cette mesure. Bien que ce ne soit pas la seule inquiétude dont on nous a fait part, c'est certainement quelque chose qui a été soulevé souvent.

M. Dicks: Oui, et je pense que vous entendrez cela de la part du secteur des affaires. Je comprends leurs inquiétudes. Je pense que nous avons un peu compliqué les choses. Un très grand détaillant se préoccupait beaucoup de devoir mettre de nouveaux prix sur tous les articles dans son magasin, et je lui ai dit que je suis allé à son magasin bien des fois et que je n'ai pas pu trouver de prix, que ce soit sur le produit même ou sur la tablette. Si vous vous promenez dans la plupart des grands magasins où on dit s'inquiéter de cette question, je vous mets au défi de trouver un prix sur quoi que ce soit. Il serait peut-être utile pour le public de trouver au moins un ou deux prix sur les tablettes.

Comme le sénateur Angus l'a dit, je crois, cette question n'est pas primordiale, parce que, dans cette province, comme cette mesure représente une réduction de 5 p. 100, beaucoup de gens appuient la notion d'emblée.

Le sénateur Comeau: J'aurais une autre question à poser qui vient rejoindre celle de le sénateur Cochrane sur le manque à gagner. Vous avez dressé une liste de plusieurs points à cet égard. Je crois comprendre que les provinces du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse songent à instaurer une taxe sur le capital?

M. Dicks: Oui.

Le sénateur Comeau: Est-il trop tôt pour vous demander si vous allez inclure une telle mesure dans votre budget?

M. Dicks: Non. Au moment où nous avons fait cela, nous avons dit que nous ne compenserions pas le manque à gagner en imposant une taxe sur le capital des sociétés. Nous voulons donner à la communauté des affaires l'occasion de prendre de l'expansion. Cela devrait contribuer énormément à notre PIB et rendre nos entreprises plus concurrentielles. Terre-Neuve exporte une quantité considérable de ses produits: le poisson, les produits forestiers, le bois d'oeuvre, les minerais et cetera, et je pense que cela nous donnera un avantage concurrentiel. On ne veut pas immédiatement enlever cet avantage à notre secteur industriel, parce que nous misons entre autres sur la croissance de l'emploi dans le secteur industriel, comme je l'ai dit à le sénateur Cochrane, et nous espérons pouvoir compenser au moyen de l'impôt personnel, de l'impôt sur les sociétés, et cetera. Rien ne nous oblige à ce moment-ci à imposer une taxe sur le capital des sociétés. Nous n'allons pas compenser le manque à gagner de cette façon-là, ce qui ne veut pas dire qu'à un moment donné le gouvernement ne décidera pas, dans sa sagesse, d'imposer une taxe, mais cela ne fait pas partie de nos intentions pour le moment.

Le sénateur Comeau: Pourquoi se dépêcher tellement? Pourquoi en expédier l'adoption à l'assemblée législative? Pourquoi ne pas donner simplement aux citoyens de Terre-Neuve la possibilité d'exprimer leurs préoccupations à ce sujet?

M. Dicks: Je ne partage pas du tout cette opinion. Je me demandais pourquoi il y avait autant de retard. Normalement, on annonce immédiatement un changement fiscal. L'année dernière, nous avons annoncé une réduction de la taxe de vente sur les motoneiges, qui va passer de 20 p. 100 à 15 p. 100.

Le sénateur Comeau: Ce n'est pas simplement un changement fiscal, c'est un changement majeur.

M. Dicks: C'est exact, vous avez tout à fait raison. J'aurais été heureux de le faire l'été dernier. Cependant, nous avons consulté les gens d'affaires et d'autres personnes. En 1992, nous avons organisé des réunions avec le secteur des affaires, et cette idée a été sondée. Je l'ai soulevée lors des audiences sur le budget l'année dernière. Chaque fois qu'un groupe représentant le secteur des affaires est venu voir le gouvernement, cette question était à l'ordre du jour. Il y a même eu des éditoriaux dans l'Evening Telegram. La question a été étudiée en long et en large.

Je me demande jusqu'à quel point il serait possible de faire encore de la consultation. Nous en avons discuté dans les comités de la Chambre, et cetera. Ce n'est pas une mesure qui a été prise à la hâte, c'est une question qui est à l'étude depuis six ou sept ans, et on en a discuté à bien des niveaux.

Le sénateur Losier-Cool: M. Sullivan, le chef de l'opposition, a évoqué une perte d'autonomie provinciale, puisque cet accord vous lierait les mains. Que répondez-vous à cela?

M. Dicks: Oui, nous avons effectivement renoncé à notre autonomie dans ce secteur d'imposition pour une période de quatre ans pour les raisons que je vous ai données, et nous devons respecter les dispositions de l'accord concernant ce que nous pouvons et ne pouvons pas faire au sujet des changements de taux, des changements de base, et cetera. Nous avons perdu un certain degré d'autonomie, mais je pense que cela en vaut la peine. Nous avons limité nos pouvoirs concernant la taxe de vente au détail dans cette province pour quatre ans. Au-delà, il n'y aura pas de perte à long terme. L'accord expire après quatre ans, et c'est à ce moment-là que nous devrons décider si nous voulons le renouveler, et à quelles conditions. J'ai le sentiment que nous allons le faire.

Les avantages sont tels que je n'estime pas que la perte d'autonomie sera un désavantage.

Le sénateur Losier-Cool: Il y a de la confusion concernant les prix où la taxe est comprise. Comme vous le savez, tout le monde se sent mal à l'aise devant l'inconnu. Il incombe tout de même aux deux gouvernements, provincial et fédéral, d'expliquer ce que cela signifie.

M. Dicks: Nous avons essayé de le faire. Cette question a été soulevée pendant deux ans lors de l'examen budgétaire. Récemment, j'ai rencontré la Chambre de commerce de Goose Bay, au Labrador. J'ai envoyé un représentant de mon bureau rencontrer la Chambre le lundi suivant. J'ai également parlé à des clubs philanthropiques, et cetera. Souvent, le message n'est pas bien compris, ou les gens l'oublient. Par contre, certaines personnes ne s'en inquiètent pas du tout.

Dans la mesure où des groupes ont fait savoir qu'ils avaient besoin de plus de renseignements, nous avons répondu à leur demande. Nous avons travaillé avec différents groupes à Terre-Neuve. La plupart des entreprises connaissent le régime de la TPS. Au début, beaucoup ne comprenaient pas qu'ils allaient recevoir des crédits de taxe sur les intrants, et nous les avons informés à ce sujet.

Pour ce qui est des consommateurs, je pense qu'on comprend la mesure, mais on soupçonne aussi que c'est encore une fois le gouvernement qui essaie de soutirer de l'argent aux contribuables. Cela m'amuse toujours. Les gens montent toujours en épingle les quelques produits qui vont augmenter de prix et oublient tous les autres dont le prix va baisser. La nature humaine veut toujours insister sur les résultats négatifs.

Certains articles vont augmenter de prix, mais la grande majorité va baisser, du moins pour ce qui est de la taxe. En fin de compte, le coût des produits aussi devrait baisser, une fois que l'effet des crédits de taxe sur les intrants se sera fait sentir. Cela a certainement été l'expérience fédérale. On a constaté que l'effet des crédits de taxe sur les intrants s'est fait sentir à 100 p. 100 un an après l'entrée en vigueur de la TPS. Je n'y croyais pas au début, mais maintenant j'en ai la preuve, et j'y crois.

Je devrais mentionner que nous avons ajouté une explication à ce sujet dans notre RST de ce mois-ci. Nous avons fait notre possible pour atteindre les gens et faire connaître le système. Cela vous intéressera peut-être de savoir que la question qu'on me pose le plus souvent maintenant, c'est: quand le nouveau régime entrera-t-il en vigueur?

Le sénateur Oliver: Le Conseil économique des provinces de l'Atlantique a fait une étude sur la taxe de vente harmonisée dans la région de l'Atlantique et a signalé trois problèmes éventuels dans son bref rapport. Vous avez mentionné le premier, c'est-à-dire le prix taxes comprises, et vous nous dites que vous êtes plutôt neutre à ce sujet. J'aimerais entendre vos commentaires sur les deux autres problèmes, c'est-à-dire les effets de cette taxe sur la fraude fiscale et aussi les problèmes de financement créés par la nouvelle taxe. Qu'allez-vous faire à Terre-Neuve pour régler ces deux problèmes?

M. Dicks: Excusez-moi, je ne comprends pas le troisième problème concernant le financement.

Le sénateur Oliver: Les gens auront besoin d'emprunter de l'argent afin d'obtenir davantage de fonds de roulement pour payer la taxe. L'autre problème a été soulevé par les syndicats, qui ont fait remarquer que l'économie clandestine va prendre de l'expansion maintenant et que la province va perdre beaucoup plus de recettes fiscales relativement à la construction et à la rénovation de maisons.

M. Dicks: Je suis au courant de ce point de vue. On peut aussi adopter le point de vue contraire pour comprendre le problème de l'économie clandestine. Il s'agit essentiellement d'un problème d'application de la loi. Nos percepteurs ne vont pas vérifier si les gens effectuent leurs versements d'impôts. Notre personnel était très doué pour amener les gens à verser leurs taxes de vente au détail. Ils sont allés voir les commerces de Duckworth Street, près du Sir Humphrey Gilbert Building, et ils ont constaté que 75 p. 100 de ces commerces n'étaient pas inscrits pour la TPS. C'est une question de conformité. On peut se demander combien d'autres commerces on découvrirait si on allait de l'autre côté de la ville, ou, Dieu nous en garde, sur la côte ouest, où j'habite.

Cela dit, la TVH aura un effet dissuasif sur l'économie clandestine à cause des crédits de taxe sur les intrants. Afin de profiter de ces crédits de taxe, il faut être inscrit. Si vous êtes en affaires et que vous voulez rester concurrentiel, il faut s'inscrire pour obtenir les crédits de taxe sur les intrants. C'est un avantage considérable, qui représente 15 p. 100 du coût. Si vous n'êtes pas inscrit, le paiement en espèce compensera seulement une partie de ce montant.

On entend parler de l'économie souterraine surtout dans les métiers du bâtiment, mais je crois qu'encore là il sera probablement plus avantageux de s'inscrire que de ne pas le faire s'il s'agit d'une entreprise légitime.

Le sénateur Oliver: Ils doivent payer les 15 p. 100 au départ, et ils prétendent qu'ils vont devoir emprunter de l'argent à la banque afin de payer ce montant.

M. Dicks: Ils rentreront vite dans leurs frais.

Le sénateur Oliver: Il s'agit de 90 jours. Comment peuvent-ils le faire dans cette période de 90 jours?

M. Dicks: Ils peuvent l'avoir sur une base mensuelle. J'ai rencontré quelques entreprises importantes au Labrador. Vous comprenez sûrement qu'ils doivent constituer des stocks très importants. Nous avons dissipé leurs craintes. Ils peuvent commander des stocks, envoyer une déclaration immédiatement et recevoir le paiement dans les 30 jours.

Les entreprises obtiennent un avantage énorme avec les crédits de taxe sur les intrants: alors le coût du financement est infime quand on tient compte du fait qu'elles se font rembourser leurs intrants. Par exemple, sur les 570 millions que nous percevons, 170 millions proviennent des biens consommables des entreprises. Cela va représenter un avantage pour les entreprises. Même si une entreprise a un coût de financement à assumer, ce sera bien peu de chose par rapport à l'avantage qu'elle en retirera.

Je n'aimais pas beaucoup la TPS lorsqu'elle a été introduite, mais il est raisonnable pour nous au niveau provincial, et peut-être au niveau fédéral, d'essayer de rationaliser la taxe de vente au Canada. On s'inquiète beaucoup dans notre province au sujet de l'application ou non de cette mesure. Nous espérions que la date limite du 1er avril serait respectée. Un journaliste m'a demandé ce qui se passerait si le régime n'entrait pas en vigueur le 1er avril, parce que c'est la fin de notre année financière. Cela va causer beaucoup de confusion, et, pour vous parler franchement, je ne sais pas comment nous allons faire face à cette situation si elle se prolonge. Toutefois, je respecte votre décision en la matière et je partage certaines de vos inquiétudes concernant le prix taxes comprises.

Cela dit, je pense que cela représente une initiative très positive pour notre province. Elle aidera non seulement le secteur commercial, ce qui est déjà clair, mais aussi les consommateurs. J'espère que vous déciderez d'adopter ce projet de loi.

Le président: Sénateurs, nous avons deux témoins dont les noms ne sont pas inscrits sur la liste: M. Leonard Barron et M. Carl Powell.

M. Leonard Barron: Monsieur le président, si je suis venu aujourd'hui, c'est en partie parce que je voulais rencontrer les gens qui gouvernent le pays. En vous écoutant, j'ai décidé de demander à comparaître devant vous, car je crois sincèrement que la taxe ne devrait pas être incluse dans le prix. Cette conclusion découle des résultats d'un sondage. Vous devriez peut-être regarder le sondage pour voir quelles étaient les questions posées et les groupes ciblés. Comme vous le savez, il est très important de voir comment la question était structurée.

Je crois que dans tout système démocratique la population doit savoir ce qu'elle paie en impôts. Si la taxe est visible, les gens l'accepteront plus facilement que si elle est cachée. Cela explique pourquoi nous acceptons des taux d'imposition sur le revenu. Nous nous en plaignons beaucoup, mais ils sont lisibles et nous savons exactement combien nous payons. Nous savons combien le gouvernement coûte.

J'aimerais vous parler de l'histoire de la taxe sur les ventes des fabricants. Je crois qu'elle est entrée en vigueur peu de temps après la Confédération, au cours des années 1870, mais en raison des différentes modifications qu'avaient exigées divers groupes de pression, la taxe ne donnait plus les résultats escomptés, et le gouvernement a adopté la TPS. Il est important que la taxe soit visible pour empêcher les groupes de pression de la modifier, comme ils essaieront sans doute de le faire au cours des années à venir.

Les gens doivent savoir ce qu'ils paient sous forme d'impôts. J'ai travaillé dans divers pays et j'ai rencontré beaucoup de gens dont le niveau d'instruction variait. Monsieur le président, je peux vous assurer que l'intelligence des gens dans le monde ne varie pas beaucoup. Les gens sont intelligents et savent ce qu'ils paient en impôts. Ils ne le savent peut-être pas à un cent près, mais ils peuvent vous le donner à 10 cents près.

Je m'oppose à l'inclusion de la taxe dans le prix. Je pense qu'elle doit être séparée.

M. Carl Powell: Je suis ingénieur minier retraité. J'ai travaillé au Canada, aux États-Unis et en Amérique du Sud. J'aimerais vous parler de Voisey Bay et expliquer pourquoi nous avons tant de problèmes dans la province avec nos ressources naturelles. Si nous ne savons pas ce que nous faisons, et s'il n'y a rien à taxer, il n'y aura pas de recettes fiscales. M. Sullivan n'est pas très optimiste à l'égard de notre avenir. Mon non plus, mais j'aimerais vous expliquer l'historique du problème, tel que je le vois.

En 1994, je travaillais étroitement avec les gens qui exploitaient Voisey Bay et je n'en croyais pas mes yeux. À l'époque, il y avait aussi les mines de Falconbridge et de Diamond Fields, qui est devenu Inco. Nous avons une mine et une usine de broyage à Voisey Bay, au Labrador, et nous aurons une fonderie à Argentia. Avant de démissionner, M. Wells a présenté le projet de loi 43 pour modifier la Loi sur la taxe minière. Je connais assez bien la Loi sur la taxe minière, la Loi sur la sécurité des travailleurs des mines, la Loi sur l'environnement et tous les règlements. Ces mesures ne renferment aucune disposition sur l'utilisation de la technologie pour le traitement du nickel, du cuivre et du cobalt de notre province. Il faut tenir compte aussi de considérations environnementales.

Falconbridge disait à un moment qu'ils exporteraient le minerai sans le raffiner ou le broyer dans la province. Notre situation serait pire que celle des pays du tiers monde. Quand ils ont décidé de l'emplacement de la fonderie qu'ils allaient faire construire, ils ont préparé une liste de critères. Des gens associés au secteur minier, comme moi-même et d'autres ingénieurs, tels que M. Barron, se sont posé des questions sur ces critères. Je viens de lire le rapport du quatrième symposium sur l'exploitation minière dans l'Arctique. Il y en a eu quatre depuis les années 60, avec la participation de la Chine populaire, de l'Union soviétique, qui est maintenant la Russie, de la Finlande, du Danemark, de la Suède, de la Norvège, du Canada et des États-Unis, et au cours des 30 dernières années qui représentent l'histoire de ces symposiums, pas une seule mine, usine de concentration ou fonderie n'a adopté les critères que Inco a décidé d'appliquer à Terre-Neuve. Je deviens très méfiant lorsqu'une compagnie exige que nous ayons un port libre de glace, alors qu'on ne l'exige nulle part dans l'Arctique. De plus, aucune autre compagnie n'a jamais exigé qu'on mette en place une infrastructure qui a déjà fait ses preuves dans l'industrie.

Cette fonderie me cause de graves préoccupations sur le plan environnemental. Elle n'est pas au bon endroit. Le ministère de l'Environnement du Canada sait très bien ce qui se passera lorsque le vent soufflera du sud-ouest, étant donné que la charge de soufre dans la presqu'île Avalon est presque au maximum. Nous n'avons aucune énergie hydro-électrique sur l'île; donc on se hâte d'ériger des barrages sur les meilleures rivières à saumon et de construire des centrales thermiques qui ne feront qu'ajouter aux émanations de dioxyde de carbone, qui causent le réchauffement de la planète. Le Canada deviendra un des plus grands pollueurs d'ici à l'an 2000 s'il n'arrête pas maintenant. Nous ne respecterons pas les normes fixées pour l'oxyde azoteux et le dioxyde de soufre.

Le cuivre sort de Voisey Bay, nous avons un concentrateur de cuivre et une fonderie de cuivre, mais la raffinerie sera au Québec. Le cuivre sera raffiné à Noranda. Ils agrandissent déjà leurs installations pour se préparer.

Comment pouvons-nous taxer quelque chose sans savoir ce que nous avons? C'est ça, l'histoire de cette province. D'autres pourront sûrement dire la même chose pour l'industrie de la forêt, et pour l'industrie hydro-électrique. Cela détruit notre dernier espoir de développer le cours inférieur du fleuve Churchill. On n'a pas besoin de tout faire en même temps; il y a beaucoup de cours d'eau au Labrador.

La Transcanadienne ne traversera jamais le Labrador, et on ne construira jamais un tunnel sous le détroit. Il n'y aura même pas d'énergie hydro-électrique pour la mine et l'usine -- il y aura des turbines qui brûleront des carburants et rejetteront encore plus de dioxyde de carbone et de dioxyde de soufre dans l'air.

La province est confrontée à de très graves problèmes.

Le président: Honorables sénateurs, cela complète nos audiences à Terre-Neuve. La séance est levée jusqu'à demain après-midi à Halifax, à 13 heures.

La séance est levée.


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