Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Banques et du commerce
Fascicule 24 - Annexe A - Témoignages de la réunion à Londres (Angleterre)
Réunion concernant la responsabilité solidaire et les professions libérales
LONDRES, ANGLETERRE, le jeudi 21 novembre 1996.
Le comité sénatorial des banques et du commerce se réunit aujourd'hui à 14 heures pour examiner l'état du système financier au Canada (responsabilité professionnelle).
Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Nous avons le plaisir d'accueillir au cours de cette séance le professeur Andrew Burrows, de la Commission britannique de réforme du droit.
Monsieur Burrows, notre comité, bien qu'il soit composé globalement d'un nombre égal de Conservateurs et de Libéraux, fonctionne de façon non partisane. Nous examinons les mesures législatives se rapportant aux entreprises et nous étudions les questions de nature commerciale à la demande du gouvernement. Vu que notre approche est politiquement indépendante, le gouvernement, quel que soit le parti au pouvoir, donne généralement suite à nos recommandations, essentiellement après que nous soyons parvenus à un consensus et, de toute façon, la plupart du temps les questions commerciales ne sont pas politiques. Nous avons ouvert le dossier de la responsabilité professionnelle pensant, en toute naïveté, qu'il s'agissait d'une question claire et nette. Après trois ou quatre jours d'audiences, nous avons tout d'abord conclu qu'aucun changement n'était nécessaire.
Nous avons entendu le témoignage de représentants de l'Association du Barreau canadien et de l'Institut canadien des comptables agréés. Nous avons eu quelques réunions avec des assureurs, pour tenter de déterminer s'il y avait effectivement un problème au niveau des assurances, plus précisément, au plan de leur disponibilité, ou si c'était tout simplement que les comptables n'aimaient pas dépenser beaucoup d'argent pour se faire assurer.
L'autre conclusion à laquelle nous sommes arrivés est que, en matière de responsabilité professionnelle, quelle que soit la solution que l'on adopte, elle doit s'appliquer à tout le monde. Bien que ce soit les comptables qui aient mis l'affaire sur le tapis, ils ne peuvent pas être traités différemment des avocats, des ingénieurs, des architectes ou de n'importe qui d'autre. Quel qu'il soit, le nouvel ensemble de règles devrait s'appliquer à tous ceux qui sont, en ce moment, soumis au principe de la responsabilité conjointe et solidaire.
Quand nous avons lu votre rapport, nous nous sommes instinctivement demandé: pourquoi changer quoi que ce soit? Le mieux serait sans doute de commencer par vous demander de nous éclairer sur ce qui fut à l'origine du rapport. Vous y formulez une série d'options et vous concluez en faveur du statu quo. J'aimerais que nous puissions explorer un peu les raisons pour lesquelles vous avez rejeté certaines de ces options, simplement du point de vue pratique, et que vous nous parliez ensuite du processus et de ce qui est advenu ensuite.
M. Andrew Burrows, professeur, équipe de la common law, Commission britannique de réforme du droit: Notre Commission de réforme du droit est, je pense, l'équivalent de la Commission de la réforme du droit du Canada. Nous sommes considérés comme des conseillers du gouvernement en matière de réforme de la législation et notre organe est autonome. La commission est composée de cinq juristes, deux universitaires, dont moi-même, un avocat en exercice détaché pour cinq ans, un avoué appartenant à une société de personnes londonienne détaché pour cinq ans, sous la présidence d'un juge de la Haute Cour.
Le président: Le juge retrouve-t-il son siège après son mandat?
M. Burrows: Oui.
La commission rassemble dans l'immeuble où nous nous trouvons de 35 à 40 avocats qui sont divisés en équipes. Celle que je dirige est l'équipe de la common law; nous examinons toutes questions se rapportant à la responsabilité contractuelle et délictuelle. On nous transmet évidemment de nombreuses demandes concernant des aspects particuliers du droit que certains voudraient voir réformer, et il n'est pas rare qu'en traitant ces dossiers, nous effectuions ce que nous appelons des enquêtes de faisabilité pour savoir si un dossier mérite effectivement d'être examiné par la commission toute entière. Ces demandes peuvent venir de n'importe qui, du gouvernement aussi bien que d'un simple citoyen.
Au bout du compte, tout ce que nous faisons doit être approuvé par un ministre, habituellement le lord chancelier.
Le président: Avant que vous décidiez d'entreprendre effectivement une étude en bonne et due forme?
M. Burrows: Avant que nous entreprenions effectivement un projet en bonne et due forme.
En ce qui a trait à la responsabilité conjointe et solidaire, nous recevons périodiquement de la correspondance depuis des années par l'intermédiaire de la commission. C'était l'un des dossiers qui figuraient sur la liste de ceux qui pouvaient faire l'objet d'une étude quand je suis arrivé ici. Peu après mon arrivée, le ministère du Commerce et de l'Industrie a exercé davantage de pressions, principalement en réaction au lobby des comptables et aux interventions du ministère de l'Environnement et de l'industrie de la construction.
Le sénateur Angus: Les comptables n'ont pas de lobby, n'est-ce pas?
M. Burrows: Non. La commission, le ministère du Commerce et de l'Industrie et le ministère de l'Environnement ont décidé que l'on devrait procéder à une enquête de faisabilité officielle. Au départ, il s'agissait simplement d'aviser le gouvernement et, en fait, mes collègues ici présents de ce qui devait être fait. Autrement dit, c'était un type d'enquête beaucoup plus formel que ce que nous faisons habituellement pour les dossiers concernant la réforme de la législation.
Le président: Au départ, vous vouliez simplement décider si une étude à part entière était nécessaire?
M. Burrows: C'est exact. Je pense que cela reflète le fait que, globalement, nous n'étions pas du tout convaincus que la chose était susceptible d'entraîner d'autres formes d'action; en revanche, il y avait manifestement des gens à l'extérieur qui pensaient qu'il fallait faire quelque chose. Par conséquent, nous avons produit un document un peu particulier à l'intention de la commission, lequel n'est pas, comme vous le constaterez, un document émis par la commission. Il a été réalisé par mon équipe, au sein de la commission, à l'intention du ministère du Commerce et de l'Industrie; ce n'est pas un rapport ni un document de consultation émis par la commission.
Manifestement, nous ne pensions pas que la commission devrait s'embarquer dans une étude en bonne et due forme. Une telle initiative nécessite des consultations massives, suivies de l'étape du rapport. Des avant-projets de loi sont généralement annexés à nos travaux. Un tel projet prend en moyenne trois ans et exige d'énormes sacrifices au plan du temps et des ressources que l'on doit y consacrer. En outre, nous ne voulions pas entreprendre un tel projet alors que nous considérions que notre conclusion finale serait qu'il ne fallait pas faire de changements. Voilà comment les choses ont commencé.
Je ne pense pas qu'il soit exact de dire que nous avons recommandé le maintien du statu quo. Ce que nous avons dit, c'est qu'il était possible d'arguer que ce que nous appelons en Angleterre l'article 310 de la Companies Act, qui empêche les vérificateurs de limiter leur responsabilité par contrat, devrait être réformé. Nous tenions à souligner que, selon nous, la meilleure façon de régler le problème était de recourir à des restrictions contractuelles, y compris dans le cadre de ce que l'on pourrait appeler des «clauses limitatives de responsabilité non contractuelles». Dans le droit anglais, les restrictions contractuelles exigeaient une réforme de l'article 310 de la Companies Act.
Nous avons également suggéré que la législation sur le dessaisissement de la responsabilité professionnelle, particulièrement pour ce qui est de notre Unfair Contract Terms Act, devrait être réformée. Il ne sert à rien de dire aux professions libérales qu'elles peuvent se soustraire à leur responsabilité ou la limiter alors qu'il existe une loi qui stipule que cela ne peut être fait que si c'est juste et équitable; or, personne ne sait ce que signifie «juste et équitable» et on ne sait pas trop bien si les dispositions limitatives seraient valides ou invalides dans un contexte professionnel.
Le sénateur Meighen: Monsieur Burrows, cela s'appliquerait-il uniquement aux parties contractantes?
M. Burrows: C'est la raison pour laquelle j'ai souligné l'expression «clauses limitatives de responsabilité non contractuelles». Dans notre pays, il y a une chose qui est absolument méconnue, comme c'est le cas ailleurs. Il n'y a en fait que de très rares situations où un tiers peut intenter un procès. D'après le jugement rendu dans l'affaire Capara and Dickman, un vérificateur n'a pas de responsabilité délictuelle à l'égard d'un tiers. Il y a manifestement des failles dans cet argument, mais c'est la position de base. Cela a coïncidé avec une mise au point, pour ce qui concerne le droit anglais, à propos du fondement possible d'une éventuelle responsabilité délictuelle pour négligence ayant entraîné une perte strictement économique, et c'est ce qui a été appelé la notion d'acceptation de responsabilité.
Tout cela mène à la conclusion que même s'il existait une responsabilité délictuelle à l'égard d'autrui, si vous déniez toute responsabilité, cela s'appliquerait aussi bien dans le cas d'une réclamation en responsabilité civile délictuelle engagée par un tiers que vis-à-vis les parties contractantes. C'est la raison pour laquelle je dis qu'il s'agit d'une clause limitative de responsabilité non contractuelle, mais elle relève en pratique du même type d'approche.
Le sénateur Angus: Si je vous ai bien compris, une action a été engagée par un tiers contre un vérificateur dans un cas où il existait une clause limitative de responsabilité contractuelle gouvernant la relation entre le vérificateur et son client, et le tribunal en a confirmé le bien-fondé. Est-ce ce sur quoi portait l'affaire Dickman?
M. Burrows: Non, je parle des recours de tiers contre des vérificateurs et de la façon dont on pourrait imaginer que cela puisse être endigué par une clause limitative de responsabilité non contractuelle. Le cas d'espèce en Angleterre soutient qu'il n'y a pas de responsabilité délictuelle d'un vérificateur à l'égard d'autrui. L'affaire Caparo and Dickman fait autorité à cet égard.
Le sénateur Angus: Le jugement établit qu'il n'existe pas de recours pour les tiers?
M. Burrows: Il n'y a pas de recours en responsabilité civile pour les tiers, l'argument étant que l'objet d'une vérification n'est pas de permettre à des tiers de prendre une décision concernant un éventuel investissement dans une entreprise. L'objet d'une vérification est de permettre aux administrateurs d'exercer un contrôle, et ce genre de chose.
Le sénateur Hervieux-Payette: C'est dans le recueil de jurisprudence de John Campion.
Le sénateur Angus: Autrement dit, ce serait une bonne raison pour ne pas se ranger à la position des comptables. Il n'y a pas de recours contre eux, et certainement pas de la part de tiers dans le cadre du droit des contrats?
M. Burrows: La plupart des plaintes contre les comptables sont d'ordre contractuel.
Le sénateur Angus: Mais il s'agit de parties de première part.
M. Burrows: Oui, mais le principe de responsabilité conjointe et solidaire s'applique également. Il y a toujours les recours dans le cadre du droit des contrats, et ils diraient que ce que proscrit le jugement Caparo n'est pas totalement clair, que la loi en laisse toujours une porte ouverte. S'il y a ce genre d'acceptation de responsabilité, la raison même pour laquelle vous fournissez un conseil peut donner lieu à un recours de tiers.
Manifestement, les tiers ont gagné certains procès, mais il s'agit en général d'affaires où quelqu'un a participé à une réunion portant sur une prise de contrôle. La personne sur le point de procéder à cette prise de contrôle demande: «Vous portez-vous garant de ces chiffres?», et la partie adverse répond: «Je me porte garant des comptes. Je sais que vous vous fiez à cela pour investir, et je m'en porte garant.» Dans cette situation, la responsabilité a été admise.
Le sénateur Angus: C'est ce dont il s'agissait dans l'affaire Binder Hamlyn?
M. Burrows: Oui, il s'agit d'un cas récent, qui va en appel. Il y en a plusieurs qui pensent que le jugement sera cassé, mais qui peut l'affirmer?
Le sénateur Angus: En l'occurrence, les comptables ont été jugés responsables?
M. Burrows: Effectivement.
Le sénateur Angus: Conjointement et solidairement?
M. Burrows: Oui.
Telle est en vérité ma réponse à l'observation que vous avez faite lorsque vous avez dit que notre rapport recommandait le maintien du statu quo. Je pense que ce que nous disons, en fait, c'est qu'une réforme très relative est nécessaire, mais que, de notre point de vue, rien ne justifie que l'on s'attaque au principe fondamental de la responsabilité conjointe et solidaire. Il y a une autre solution qui pourrait, selon nous, permettre de réaliser l'équité, laquelle est actuellement interdite aux vérificateurs.
Le président: Qui est la solution d'ordre contractuel?
M. Burrows: Qui est la solution d'ordre contractuel.
Le président: Dites-nous brièvement ce qui va se passer maintenant, et ensuite nous reviendrons sur ce point précis.
M. Burrows: La période de consultation a pris fin, je crois, au mois de mai.
Le sénateur Hervieux-Payette: Avec qui?
M. Burrows: Avec le ministère du Commerce et de l'Industrie. Comme je l'ai dit, il s'agissait d'une procédure inhabituelle du fait que le document n'est le fait que d'une équipe au sein de la commission. Toutes les réponses fournies dans le cadre de la consultation sont allées au ministère du Commerce et de l'Industrie. Bien que j'en aie reçu copie, le document n'avait formellement rien à voir avec nous. Il concernait le ministère du Commerce et de l'Industrie. Depuis la publication du document, je pense que la plupart des gens sont au courant qu'il y a en fait deux problèmes distincts. Le premier est celui dont nous venons de parler, celui dont nous nous sommes occupés, et au sujet duquel le ministère du Commerce et de l'Industrie n'a pas encore formé d'opinion. Le deuxième se rapporte aux sociétés à responsabilité limitée et à la réforme du droit des sociétés. Nous n'avons pas du tout abordé ce problème. Il n'a rien à voir avec le principe de responsabilité conjointe et solidaire de la common law; il concerne uniquement les sociétés de personnes. Il s'agit du principe selon lequel toute négligence ou équivalent de la part de l'un des associés rend les autres associés conjointement et solidairement responsables. Naturellement, le principe dont nous nous occupons ne concerne pas nécessairement les sociétés de personnes. Il pourrait s'agir d'un défendeur individuel, il pourrait s'agir d'une compagnie; il pourrait s'agir d'une société de personnes. Il faut faire la distinction entre la responsabilité conjointe et solidaire interne au sein de la société de personnes, sur quoi nous n'avons fait aucun commentaire et la responsabilité conjointe et solidaire externe, c'est-à-dire celle de toute la société de personnes avec les défendeurs qui n'en font pas partie. Ce sont deux questions très différentes.
Il est vrai que, dans une note en bas de page, nous avons fait remarquer que nous ne traitions pas de la responsabilité conjointe et solidaire au sein d'une société de personnes. Il est également vrai que le ministère du Commerce et de l'Industrie a saisi l'occasion pour faire figurer son questionnaire une question sur les sociétés à responsabilité limitée, en soulignant toutefois que nous ne nous en étions pas occupés. Certaines initiatives ont été prises à cet égard puisqu'il a été annoncé -- Andrew est le spécialiste de cette question -- qu'un document de consultation sera publié au printemps en perspective d'une éventuelle législation.
M. Andrew Scott, Commission britannique de réforme du droit: Je pense que des propositions détaillées seront soumises à législation avant Pâques.
Le président: Andrew, ces propositions viendraient de qui?
M. Scott: Du ministère du Commerce et de l'Industrie.
Le président: Ce serait l'équivalent d'un livre blanc ou d'un document de discussion du gouvernement du Canada que les gens seront appelés à commenter. Est-ce que cela inclurait un projet de loi?
M. Scott: Je crois comprendre que le document de consultation contiendra des propositions détaillées en vue de l'adoption d'une loi, mais pas de projet de loi proprement dit.
Le président: Ensuite, on le fera circuler en attendant que les élections aient lieu, puis on légiférera?
M. Scott: J'ignore quel sera l'échéancier.
Le président: On parle d'un processus d'une durée d'environ 12 mois?
M. Burrows: En vérité, nous ne sommes pas en mesure de discuter de cela. Ce n'est pas de notre ressort; ce n'est pas ce dont nous nous occupons.
Le président: Je sais. Mais je pensais simplement que vous aviez peut-être entendu des rumeurs.
M. Burrows: Non, ce n'est pas le cas.
Le président: Au sujet du futur document de discussion -- dont vous n'êtes pas responsable, si je comprends bien -- vous dites qu'il traite de différentes questions. Nous sommes d'accord. Est-ce également vrai que différents principes devraient s'appliquer? Dans un certain sens, on parle de solidarité dans les deux cas. Dans un cas il s'agit d'une responsabilité conjointe et solidaire parmi tous les défendeurs et dans l'autre, c'est en quelque sorte «intra» défendeurs?
M. Burrows: Oui.
Le président: Selon vous, des principes différents devraient-ils s'appliquer?
M. Burrows: Oui, je pense que ce sont des questions relativement différentes.
Le président: Pourquoi?
M. Burrows: Parce que dans la situation qui nous occupe, il y a deux entités juridiques.
Le président: Un demandeur et d'autres personnes, et les défendeurs; est-ce ce que vous voulez dire?
M. Burrows: Je parle en fait des défendeurs. Plus d'une seule entité juridique a causé un tort. Il n'est pas important de savoir en quoi consiste l'entité juridique. Il pourrait s'agir d'une société de personnes, d'une compagnie, ou d'un particulier, quel qu'il soit.
M. Burrows: Au sein de la société de personnes, il se peut qu'une seule personne ait causé le tort en question, mais on l'attribue à d'autres individus qui sont innocents. Cela fait penser au concept de responsabilité du fait d'autrui, en vertu duquel, manifestement, un employeur est tenu responsable du fait d'autrui car c'est quelqu'un d'autre qui est fautif.
Le sénateur Angus: Quelqu'un dont il est responsable.
M. Burrows: Oui. Il s'agit, selon moi, d'une question très différente, et je pense que quiconque l'a examinée a fait la distinction. Jim Davis déclare dans son enquête que cela n'affecte pas la responsabilité du fait d'autrui, et je suis à peu près sûr qu'il dira aussi que cela n'affecte pas les sociétés de personnes, ce que je considère comme une forme de responsabilité limitée.
Le sénateur Kenny: Les associés partageraient bien tous les bénéfices dans le cas d'une affaire qui tournerait particulièrement bien, alors, pourquoi ne partageraient-ils pas les responsabilités?
M. Burrows: Oui, effectivement.
Le sénateur Kenny: Alors, j'ai mal compris. Je pensais que vous prétendiez que c'était une situation différente.
M. Burrows: Non. Je disais que, quelle que soit la position que vous adoptiez vis-à-vis le droit des sociétés, que vous croyiez ou non que ce genre d'argument devrait rendre tout le monde responsable, il me semble qu'il s'agit d'une question fondamentalement différente de celle dont nous discutons ici.
Le président: On pourrait par exemple soutenir qu'il existe une responsabilité conjointe et solidaire entre les associés pour les raisons qu'a mentionnées le sénateur Kenny, tout en défendeur le principe d'une responsabilité proportionnelle ou d'une formule de responsabilité proportionnelle pour les autres.
M. Burrows: Tout à fait, et vice-versa.
Le président: Je veux simplement dire que telle serait la logique.
M. Burrows: Je pense que cela répond à la question qui a été posée: qu'allons-nous faire maintenant? Je ne le sais pas. Il faudrait que vous la posiez au ministère du Commerce et de l'Industrie. Il a annoncé qu'il se pencherait sur les sociétés à responsabilité limitée; mais il n'a pas annoncé ce qu'il avait l'intention de faire en ce qui concerne le principe général de la responsabilité conjointe et solidaire.
M. Scott: Vous le savez, j'en suis sûr, l'une des raisons pour lesquelles le gouvernement du Royaume-Uni a agi, par l'intermédiaire du ministère du Commerce et de l'Industrie, tient aux pressions exercées par les six grands cabinets comptables de Jersey. De fait, Price Waterhouse et Ernst & Young ont déclaré officiellement qu'étant assujettis à des contrats de sociétés de personnes, ils allaient se réenregistrer à Jersey...
M. Burrows: Cela concerne l'aspect responsabilité limitée.
M. Scott: ... ce qui, de l'avis général, serait respecté en Angleterre.
Le président: S'agit-il du classique: «Je peux avoir mieux au Delaware, et si vous n'avez rien à me proposer, je vais déménager au Delaware.»
M. Burrows: Il s'agit effectivement de l'option Delaware, au plan de la responsabilité sociale.
Le sénateur Meighen: Soyons clairs, le ministère du Commerce et de l'Industrie va probablement leur permettre de limiter la responsabilité de chaque associé vis-à-vis...
M. Burrows: D'établir un mécanisme appelé société à responsabilité limitée, dotée de toutes les particularités susceptibles de s'avérer nécessaires.
Le président: Nous allons entendre des représentants du ministère du Commerce et de l'Industrie plus tard dans la journée.
Le sénateur Meighen: Nous avons le grand plaisir, au Canada, de traiter de la question avec dix différentes administrations également compétentes.
Le président: La deuxième question dont nous avons discuté tombe en fait dans le champ des compétences provinciales et non fédérales. La constitution de sociétés de personnes relève des administrations provinciales et non de l'administration fédérale.
M. Burrows: Naturellement, nous convenons avec vous que pouvoir considérer le sujet globalement nous paraît, de prime abord, sensé, plutôt que de prendre un groupe en particulier et de le traiter différemment. Toutefois, je pense que vous avez dit que tous ceux qui sont actuellement assujettis au principe de la responsabilité conjointe et solidaire devraient être touchés par cette réforme, ou que sinon, personne ne devrait l'être.
Le président: Je m'excuse, j'aurais dû dire «n'importe quel membre des professions libérales.»
M. Burrows: J'allais dire qu'à mon avis, peu de gens souhaitent voir cela étendu au préjudice corporel, par exemple.
Le président: Non. Je voulais dire n'importe quel membre des professions libérales.
Revenons-en à la question de la responsabilité conjointe et solidaire des défendeurs. Votre document décrit un large éventail de solutions possibles. Vous mentionnez le plafonnement; la responsabilité proportionnelle; vous examinez diverses options. Serait-il juste de dire que le principe de droit fondamental sur lequel vous basez votre conclusion est que le demandeur est indivisaire et doit obtenir 100 p. 100 de ce qui lui a été adjugé et que tout autre arrangement exige manifestement qu'il assume une partie du risque? Est-ce la raison pour laquelle vous avez rejeté les autres options? Vous aviez des réponses plus détaillées, si je comprends bien. C'est peut-être mon côté universitaire qui fait j'essaie d'en arriver au principe de base et de partir de là pour mettre les choses en place.
M. Burrows: Je dirais que des arguments que nous avons formulés, il y en a deux qui sont plus essentiels que les autres. Premièrement, nous disons que le risque d'insolvabilité doit résider avec le défendeur, et non avec le demandeur, car c'est le défendeur qui a contrevenu à la loi, qui a causé le tort, alors que le demandeur, selon l'hypothèse que nous formulons, est légalement irréprochable.
Le président: Le défendeur, en l'occurrence étant un groupe de défendeurs conjointement et solidairement responsables?
M. Burrows: Le défendeur qui, autrement, aurait à payer la note.
Le président: Vous voulez dire 100 p. 100 de la responsabilité?
M. Burrows: Oui.
Le président: S'il s'agissait de moins de 100 p. 100, envisageriez-vous d'autres options?
M. Burrows: Oui, c'est l'un des éléments de l'argument. Le second est qu'il faut savoir exactement ce que l'on veut dire quand on déclare qu'un défendeur est tenu responsable à 100 p. 100. La grande erreur, selon nous, serait d'imaginer que «responsabilité conjointe et solidaire» signifie que les défendeurs qui ne seraient que responsables pour 1 p. 100 se retrouveraient avec plus que leur part équitable de la responsabilité finale.
Nous avons tenu à souligner que, lorsque nous disons qu'un défendeur est responsable, nous voulons dire que le défendeur en question a effectivement contrevenu à son obligation légale et qu'il est totalement responsable vis-à-vis du demandeur de la perte intégrale subie par celui-ci.
J'ai avec moi un document que j'ai utilisé récemment dans une conférence, je peux vous le donner si vous pensez qu'il pourrait vous être utile.
Le président: Effectivement, très utile.
M. Burrows: À la page 3 de ce document, les mots en caractères gras sont des citations textuelles du rapport. Au bas de la page 3, on soulève la question dont je vous parle.
C'est un mythe de dire que les défendeurs, dans le cadre de la responsabilité conjointe et solidaire, sont tenus d'assumer 100 p. 100 des dommages et intérêts bien que seulement 1 p. 100 de la faute leur incombe. Je cite à la page 4 un article du professeur Richard Wright où il déclare:
Si la responsabilité conjointe et solidaire aboutissait à ce que la défenderesse soit tenue responsable d'un préjudice dépassant la faute délictuelle dont elle était responsable, ou qu'elle soit tenue responsable des actes d'autres personnes plutôt que de ses propres actes, ce serait effectivement injuste. La prémisse toutefois est erronée. La responsabilité conjointe et solidaire s'applique uniquement aux dommages dont la défenderesse elle-même est totalement responsable. Elle est responsable de la totalité d'un certain préjudice uniquement si sa conduite délictuelle s'est avérée une cause réelle et immédiate du préjudice tout entier. Elle n'est pas responsable des préjudices, y compris des parties distinctes de ces préjudices, auxquels elle n'a pas contribué.
Je poursuis en expliquant que le problème surgit quand on compare la responsabilité entre les défendeurs plutôt que de comparer la responsabilité du défendeur vis-à-vis le demandeur.
Le sénateur Kenny: C'est au coeur de l'argument du ST qui est faible.
M. Burrows: Permettez-moi de vous donner un exemple. Beaucoup de gens ne comprennent tout simplement pas ce à quoi on veut en venir à moins qu'on leur donne des exemples. L'exemple que je donne à la page 5 est, selon moi, très évident et très simple.
Présumons que le demandeur, s'appuyant sur le conseil négligent de D1, investit dans une compagnie A et perd 10 000 o>, ou 10 millions de livres -- le montant n'a aucune importance. Le seul défendeur, D1, est 100 p. 100 responsable de cette perte, sous réserve des principes qui s'appliquent normalement tels que les critères déterminant l'étendue du préjudice, la négligence contributive, etc.
Présumons que le demandeur obtienne une seconde opinion et le même conseil négligent et que, se fiant aux deux sources, il investisse dans la compagnie A et perde ses 10 000 <#00A3> ou ses 10 millions de livres. Naturellement, on pourrait dire que D1 et D2 sont également responsables et condamnables chacun à 50 p. 100, mais c'est en ce qui les concerne, eux. En ce qui concerne le demandeur, il est ridicule de dire qu'ils ne sont pas chacun 100 p. 100 responsables vis-à-vis lui.
En vertu du système de responsabilité proportionnelle, si D2 était insolvable...
Le sénateur Kenny: Votre paragraphe 3 est formidable.
M. Burrows: P obtiendrait 5 000 livres en tant que victime de deux mauvais conseils plutôt que d'un.
Le sénateur Kenny: Il se retrouve perdant parce qu'il a consulté deux personnes au lieu d'une?
M. Burrows: Exactement. C'est un sophisme, mais les défendeurs peuvent dire: «Nous ne sommes qu'à 50 p. 100 condamnables.» Oui, vous l'êtes par rapport à l'autre défendeur, mais cela ne nous intéresse pas. Ce qui nous intéresse, c'est votre responsabilité vis-à-vis le demandeur, et vous êtes à 100 p. 100 responsable, mis à part la négligence contributive.
Le sénateur Kenny: Vis-à-vis le demandeur, chaque défendeur est 100 p. 100 responsable, et c'est à eux de s'entendre entre eux?
M. Burrows: En vertu du principe de contribution, qui est la loi qui nous gouverne.
Le président: Mais si D2 avait fait faillite, dans ce cas, D1 serait responsable à 100 p. 100?
M. Burrows: Oui, car c'est la loi qui les gouverne.
Le président: Permettez-moi de compliquer l'exemple que vous avez fourni en introduisant un élément susceptible de rendre la situation un peu plus réaliste.
Les vérificateurs ont fourni un état financier. Le conseil d'administration a supervisé la direction. La direction a fait son travail, et il y a deux ou trois autres intervenants qui sont impliqués. La compagnie fait faillite. Les administrateurs disparaissent. Les gestionnaires se perdent dans la nature et voilà que le seul groupe sur lequel on puisse mettre la main, ce sont les vérificateurs. Il me semble que votre exemple simpliste n'est pas tout à fait adapté à une telle situation. Serait-il juste de dire que les vérificateurs sont à 100 p. 100 responsables, que l'on s'est fié à eux et que l'on aurait agi autrement si seulement les vérificateurs nous l'avaient conseillé?
Supposons que l'on ait demandé conseil aux seuls vérificateurs. Naturellement, dans un cas semblable, on cherche à avoir plusieurs opinions. De fait, les vérificateurs auraient pu dire: «Ce que vous envisagez n'est pas ce qu'il faut faire», alors que tout le monde nous aurait dit le contraire et que c'est la raison pour laquelle on a agi ainsi.
M. Burrows: Pour commencer, on peut dire qu'il n'y a pas eu négligence de leur part.
Le président: Comprenez-vous ce que je dis?
M. Burrows: Non, en fait. Vous pouvez jouer avec cette situation autant que vous voulez, la compliquer, n'importe quoi. À quoi est-ce que l'on aboutit? À moins d'être prêt à dire que c'est une absurdité, il me semble que nous en sommes encore à la case départ, car toute variation des faits serait pure conjecture, la compagnie elle-même a peut-être fait preuve de négligence contributive; le demandeur lui-même était peut-être fautif; il peut y avoir contribution de la part d'autres défendeurs qui sont tout aussi responsables, et tant pis pour eux s'ils sont insolvables. Je ne peux convenir avec vous que plus l'exemple est simple, moins il est pertinent dans la réalité. Dans votre exemple, il me semble que le vérificateur est toujours pleinement responsable envers le demandeur pour la perte que celui-ci a subie à moins de changer les faits et de dire que le vérificateur n'a pas fait preuve de négligence du tout.
Le sénateur Oliver: Supposons que le demandeur n'ait pas fait preuve de diligence raisonnable et n'ait pas vérifié que le demandeur était assuré ou possédait la compétence nécessaire. Dans ce cas, envisageriez-vous une négligence contributive?
M. Burrows: Oui. En fait, le concept de la négligence contributive est un message que je prêche aux comptables. Il me semble que bien souvent, on doit considérer que les sociétés demanderesses ont fait preuve de négligence contributive car elles n'ont pas réussi à établir les structures permettant de détecter une fraude de la part des employés et des administrateurs.
Le rôle de la négligence contributive des demandeurs est appuyé par un jugement rendu en Nouvelle-Galles du Sud, dans l'affaire AWA c Daniels, à laquelle était partie Deloitte Touche, et dans une affaire semblable en Nouvelle-Zélande où l'on a déterminé, je crois, une négligence contributive à 40 p. 100 de la part de la compagnie.
Le président: Les 60 p. 100 restants ont été partagés conjointement et solidairement entre les défendeurs; est-ce exact?
M. Burrows: Oui.
Le sénateur Angus: Je pensais que si la faute du demandeur était estimée à 1 p. 100, il ne recouvrait rien. Est-ce une disposition qui n'a plus cours?
M. Burrows: Cela date d'avant 1945.
Le sénateur Angus: Quelle est la règle actuelle?
M. Burrows: Les dommages sont réduits d'un montant proportionnel à la contribution du demandeur. Je ne me rappelle pas de la formulation exacte, mais la loi prévoit une répartition proportionnelle entre le défendeur et le demandeur.
Le président: La responsabilité conjointe et solidaire entre les défendeurs existe-t-elle toujours?
M. Burrows: Oui.
Entre autres choses, nous avons examiné une question complexe, à savoir: une fois que la négligence contributive est établie, doit-on modifier la responsabilité conjointe et solidaire d'une façon ou d'une autre?
Le sénateur Meighen: C'est ce qu'a fait la Colombie-Britannique, mais selon vous, c'est une corruption des deux systèmes.
M. Burrows: Nous avons été attirés par l'idée mais nous l'avons abandonnée, car il nous est apparu évident que personne n'en voulait. Autrement dit, si la réforme signifiait simplement que, une fois la négligence contributive du demandeur établie, on commençait à jouer avec la responsabilité conjointe et solidaire, cela ne présentait aucun intérêt.
Le président: Pourquoi?
M. Burrows: Parce que c'est tout à fait futile. Ce qui est en cause, c'est la négligence contributive. Une fois qu'un vérificateur obtient une réduction de 50 p. 100, cela ne le dérange pas particulièrement qu'il y ait une petite disproportion ici ou là. Ce n'est pas vraiment la question.
Le président: C'est une proposition théorique solide, et à ce titre elle présente des avantages certains.
M. Burrows: Absolument. Je pense que nous en avons traité finalement dans notre première approche modifiée et, bien entendu, nous en avons parlé aux instances canadiennes qui l'ont adoptée. Finalement, nous l'avons abandonnée essentiellement du fait qu'à la suite du jugement rendu dans l'affaire Fitzgerald and Lane, le droit anglais dans ce domaine est devenu plutôt favorable au défendeur.
Le président: Contrairement aux États-Unis, où, selon moi du moins, la loi est plutôt favorable au demandeur.
M. Burrows: Lorsque plus d'un défendeur invoque la négligence contributive, on peut utiliser l'approche unitaire. Par exemple, l'affaire Fitzgerald and Lane impliquait deux conducteurs de voiture, D1 et D2, et un demandeur qui avait été blessé. On a soutenu que chacun était à blâmer également et la négligence contributive a été fixée à 50 p. 100 et non à 33-1/3 p. 100, les deux défendeurs étant considérés comme une unité contre le demandeur. La situation est en fait en faveur du défendeur.
C'est une question assez complexe, mais je veux simplement dire que la négligence contributive est une bonne façon de réduire la responsabilité du demandeur et que l'on devrait l'utiliser davantage, selon moi, dans le droit anglais.
Aucune décision n'a encore été prise en ce qui concerne la responsabilité des vérificateurs lorsqu'il a été établi que la compagnie avait fait preuve de négligence contributive. À mon avis, c'est quelque chose qui mérite d'être étudié. On l'a fait en Australie et en Nouvelle-Zélande, et je ne vois vraiment pas pourquoi les vérificateurs n'adoptent pas cette solution plutôt que celle de la responsabilité conjointe et solidaire.
Le sénateur Oliver: Le ministère du Commerce et de l'Industrie se penche-t-il sur cette question?
M. Burrows: J'en doute. Aucun précédent n'a été établi dans le droit anglais en ce qui a trait à la négligence contributive comme moyen de défense. Cependant, certaines complications à l'égard de la négligence contributive ont été éliminées par des jugements récents. Le recours à la négligence contributive comme moyen de défense ne devrait donc pas poser de problème, même si l'on intente une action pour rupture de contrat.
Le sénateur Oliver: Vous voulez dire que les avocats n'y ont même pas recours dans leurs plaidoiries?
M. Burrows: Ce que je veux dire, c'est que cela n'a pas été invoqué devant les tribunaux. Les vérificateurs semblent surpris lorsque je leur dis qu'ils peuvent probablement utiliser la négligence contributive, et les avocats ajoutent que, dans la mesure où il n'y a pas de précédent, personne ne sait ce qui arriverait.
Le sénateur Oliver: Les avocats devraient souscrire des assurances supplémentaires.
M. Burrows: La responsabilité du demandeur pourrait être réduite en vertu du principe de la négligence contributive et cela n'aurait pas de répercussion sur toute cette question de la responsabilité conjointe et solidaire.
Le sénateur Meighen: Avez-vous examiné d'autres arguments, auxquels vous avez trouvé un certain mérite, mais que vous avez finalement rejetés pour une raison ou une autre? Vous dites que vous avez pensé à un plafonnement, par exemple.
M. Burrows: En effet. Nous avons examiné le modèle des États-Unis en vertu de la Securities Exchange Act.
Le sénateur Meighen: Savons-nous déjà quels effets cela a eu pratiquement?
M. Burrows: Pas vraiment. Les gens à qui nous avons parlé aux États-Unis nous disent que, même si cela semble bien fonctionner, il est encore trop tôt pour en être certain. Je n'ai jamais réussi à savoir vraiment quels sont les effets de ce mécanisme sur les recours courants en matière de responsabilité contractuelle et délictuelle aux États-Unis, car ce texte de loi est conçu uniquement pour traiter les recours en vertu de la Securities Exchange Act. Nous ne sommes pas des experts en droit américain, je l'admets, mais je ne suis pas certain que cette législation ait une influence quelconque sur les recours en matière de responsabilité contractuelle et délictuelle aux États-Unis. Peut-être quelqu'un ici le sait-il; ce n'est pas mon cas.
Nous étudions effectivement la question du plafonnement. Bien entendu, nous présentons tous ces arguments pour adoucir le régime de la pleine responsabilité proportionnelle; à notre avis, cela n'empêche pas l'iniquité fondamentale du système à l'égard des demandeurs. Toutes les solutions cherchent à atténuer cela d'une certaine façon, mais nous restons alors avec les questions de principe ou les questions d'équité.
Le président: Mais la négligence contributive ne vous semble-t-elle pas atténuer le principe puisque vous avez traité de la question de la responsabilité du demandeur vis-à-vis la situation difficile dans laquelle il se trouve?
M. Burrows: C'est exact. Selon nous, cela ne fonctionne que si l'on a un demandeur irréprochable. Dans le cas contraire, il me semble que cela affecte le risque d''insolvabilité.
Le président: Lorsque vous avez un demandeur qui n'est pas irréprochable, certaines de vos autres options, comme le plafonnement, deviendraient inutiles puisque dès le départ, le montant du risque pour le défendeur serait nettement réduit, peut-être de 30, de 40 ou même de 50 p. 100.
M. Burrows: Nous avons avancé plusieurs autres raisons expliquant pourquoi nous n'aimions pas la responsabilité conjointe et solidaire, notamment les effets que cela aurait sur le plan du procès, des recours des demandeurs.
Le président: Si vous l'éliminez?
M. Burrows: Oui. Si nous passions à la responsabilité proportionnelle. J'en parle dans le document aux pages 6 et 7, où je cite notamment une déclaration de la Commission de réforme du droit de la Nouvelle-Galles du Sud qui résume certains des problèmes possibles. On intègre toutes les complications de la procédure concernant la contribution des défendeurs au recours déposé par le demandeur. C'est lui qui est alors confronté au problème du degré de responsabilité attribué à chaque défendeur.
Comme la Commission de réforme du droit de la Nouvelle-Galles du Sud l'a déclaré, dans la mesure où cette incertitude serait favorable à l'une ou l'autre partie, il est probable que la balance pencherait du côté des défendeurs et plus particulièrement de leurs assureurs, qui sont généralement en bien meilleure position que le demandeur pour assumer le risque d'une décision défavorable et attendre la décision du tribunal. Le même argument a été avancé dans la réponse de la Law Society à notre document, une autre bonne raison pratique de maintenir la responsabilité conjointe et solidaire. Si, à chaque fois, on devait faire face à ce problème, le droit deviendrait vraiment complexe et les règlements difficiles à obtenir.
Le président: Un certain nombre de gens, qui s'opposent au maintien de la responsabilité conjointe et solidaire, prétendent néanmoins que cela devrait s'appliquer dans le cas des préjudices corporels. Est-ce simplement une solution politique pratique ou existe-t-il un principe légal qui vous permettrait de faire la distinction entre la perte économique, d'une part, et le préjudice corporel, d'autre part?
M. Burrows: N'oubliez pas non plus qu'il existe un tort qui se range entre les deux, le dommage matériel. Je pense qu'il est vrai que le préjudice corporel a été mis de l'avant pour des raisons politiques.
Le président: Cela ne découle pas d'un principe légal.
M. Burrows: On peut dire que le préjudice corporel est beaucoup plus extrême et par conséquent devrait être assujetti à un régime différent. Cet argument est-il sans défaut? À mon avis, non, mais on peut toujours l'avancer.
Le président: Avez-vous le sentiment qu'il est essentiellement lié à des questions de politique pratique?
M. Burrows: Oui. Mais alors la difficulté est qu'il faut inclure le dommage matériel dans les réclamations pour perte économique. Dans le cas d'un accident de voiture, différents régimes s'appliquent aux blessures subies par le conducteur et aux dommages causés à la voiture, ce qui semble étrange, mais c'est le genre de chose que l'on devrait faire si l'on appliquait ce principe.
Le président: Par conséquent, aurait-on tendance à associer le dommage matériel et le préjudice corporel?
M. Burrows: Non, car dans l'industrie de la construction par exemple, il serait trop difficile de faire la distinction entre le dommage matériel et la perte économique; c'est impossible. Par conséquent, on met à part le préjudice corporel, et toutes les autres sortes de préjudice relèvent de la responsabilité proportionnelle.
Le président: Dans le cas de l'accident de voiture, les dommages causés à la voiture et le préjudice corporel sont traités en vertu de régimes différents?
M. Burrows: Personne ne l'a jamais dit, mais c'est sans doute la logique que l'on envisage d'appliquer. C'est sans doute ce que Jim Davis propose en Australie, car on y sépare le préjudice corporel mais pas les autres formes de préjudice.
Le sénateur Angus: Il me semble que si les principes de base sont bons, tout le reste tombe en place. Je ne pense pas que les comptables comprennent vraiment pourquoi la responsabilité conjointe et solidaire a été intégrée à la common law, ni même au droit civil, au départ. Nous parlons en réalité de concepts juridiques fondamentaux.
Pourriez-vous nous dire, aux fins du compte rendu, qu'elle en est la raison profonde. Vous avez parlé du principe d'équité et de la nécessité pour le demandeur d'obtenir pleinement restitution, de faire intégralement indemniser les dommages qu'il a subis, mais y a-t-il un motif plus théorique dans l'histoire juridique?
M. Burrows: J'ai bien peur de ne pas être en mesure de le dire, mais l'on peut imaginer que si l'on recommençait tout à zéro, c'est précisément le principe d'équité que l'on choisirait. En ce sens, je ne suis pas du tout surpris que cela soit profondément ancré dans la common law et dans le droit civil des juridictions que nous avons examinées.
M. Burrows: Certains semblent penser que tout cela est un nouveau phénomène puisque le droit de la responsabilité délictuelle n'avait jamais tenu compte auparavant de la perte économique et que le problème n'est apparu que depuis lors.
Le sénateur Meighen: C'est parce que vous avez entendu parler de Hedley Byrne.
Le président: C'est ce que je pensais.
M. Burrows: Dans un certain sens, il y a là un élément de vérité, mais dans le contexte anglais, la plupart de ces recours relèvent du droit des contrats et l'argument que l'on avance s'applique tout aussi bien aux contrats. Il est évident que depuis le début, les pertes économiques et leur recouvrement sont les tenants et les aboutissants de la législation contractuelle; c'est pourquoi on ne peut pas dire qu'il y a un problème simplement parce que le droit de la responsabilité délictuelle englobe un nouveau domaine. J'ai bien peur de ne pas avoir fait d'analyse historique, mais je peux dire que ce principe a toujours été le point de départ bien établi d'une approche équitable tant en common law qu'en droit civil, à ce que je sache.
Le sénateur Angus: C'est en effet la pierre angulaire de notre droit des dommages et de notre droit de la responsabilité délictuelle, et ce serait s'en démarquer considérablement que d'aller dans la direction dont parlent les membres de ces diverses professions.
Le président: Ou d'abandonner complètement la responsabilité conjointe et solidaire.
Le sénateur Hervieux-Payette: C'est la solidarité proportionnelle. Personne n'irait jusqu'à 100 p. 100, si on leur offrait 30, 40 ou 50 p. 100.
M. Burrows: Ce serait un changement fondamental. Ce serait aussi fondamental, mais pas plus, qu'un plafonnement. De même, nous pourrions avoir un plafond de 100 millions ou de 100 000 $ ou autre. C'est ce dont nous discutons.
Le sénateur Angus: Cela n'a aucun rapport avec ce problème, mais il y a également les aspects qui ont trait à l'assurance. Moi-même et, je crois, certains de mes collègues, estiment que tous les arguments qui ont trait à l'assurance équivalent à une diversion -- le fait que les six grandes compagnies ne puissent offrir de l'assurance; la difficulté d'obtenir de l'assurance; le coût élevé de l'assurance, disproportionné par rapport aux dépenses normales ou nécessaires pour faire des affaires. Pouvez-vous nous dire ce que vous pensez de tout cela? Est-ce que ce sont des arguments valides auxquels nous devrions nous intéresser?
M. Burrows: Je pense effectivement que ce sont des arguments valides dans la mesure où tous les arguments qui tendent à démontrer que la loi cause des difficultés dans la vie de tous les jours doivent être pris au sérieux. Il est évident que nous ne sommes pas ici pour établir des modèles purement théoriques. S'il est démontré qu'en modifiant la loi, on allégerait les problèmes auxquels certaines personnes font face pour s'assurer, je pense que nous devrions effectivement examiner cela de près. Mais il me semble que cela n'a pas été prouvé. Je n'ai pas l'impression que les marchés de l'assurance seraient touchés par ce genre de modification de la loi. Je ne vois pas non plus pourquoi les comptables, par exemple, ne pourraient pas prendre d'autres mesures qui régleraient tout aussi bien leurs problèmes et ne s'avéreraient pas inéquitables pour les demandeurs.
Je ne pense pas que ce soit une diversion, mais il est difficile d'évaluer l'importance d'un argument de ce genre. À mon avis, il incombe à ceux qui préconisent le changement de montrer très clairement pourquoi ce type de modification de la loi et non d'autres mesures éliminerait les problèmes dont ils parlent.
Le sénateur Kenny: Du point de vue de la politique gouvernementale, c'est essentiel, et cela n'a pas été fait, tout au moins chez nous, jusqu'à présent; on a simplement dit: «voilà la solution que nous préconisons».
Le sénateur Angus: Nous avons parlé plus tôt aujourd'hui à d'autres personnes qui ont plus ou moins laissé entendre qu'en présentant cet argument en faveur de la faute proportionnelle, ils se retrouvent au pied du mur. Les assureurs, les grandes compagnies, disent que quelle que soit la proportion -- 50, 20 ou 100 p. 100 -- dans le cas de sociétés internationales où il est impossible d'évaluer ou de prévoir les dommages, elles sont pratiquement inassurables. Par conséquent, l'argument de la proportionnalité ne va pas changer leur situation d'un iota. Éventuellement, ce sera une question de degré. Ils sont donc partis dans la mauvaise direction.
Nous en revenons à dire que s'il s'agit d'un problème commercial, la solution n'est pas d'abandonner la responsabilité conjointe et solidaire mais de trouver un autre moyen d'y faire face. Je pense que c'est ce que vous voulez dire et ce que nous avons entendu dire par d'autres personnes.
M. Burrows: Oui.
Le sénateur Angus: Dois-je comprendre qu'à votre avis, ce qui est bien pour les uns doit être bon pour les autres, et que ce ne serait pas un bon principe d'avoir des lois pour les comptables et de laisser les autres professions libérales se débrouiller.
M. Burrows: Absolument. Il y a cinq minutes, nous parlions de la difficulté de définir le type de préjudice subi.
Le président: Préjudice corporel ou dommages matériels causés à une voiture?
M. Burrows: C'est exact. Et c'est un autre problème du même ordre qui se pose quand on essaie de distinguer certaines professions. Je dirais qu'il serait extrêmement difficile de justifier cela. On établit cette distinction pour des raisons politiques, uniquement.
Le président: Malheureusement, à titre de politiciens, nous le faisons de temps à autre.
M. Burrows: Absolument, mais à mon avis, on ne cache rien lorsqu'on applique des principes de droit fondamentaux comme ceux-là. Il y aura immédiatement quelqu'un pour dire, à juste titre: «Cela est tout à fait injuste, je suis dans la même position», et ainsi de suite.
Le sénateur Angus: De même, un administrateur de société peut influencer l'orientation que prend une entreprise commerciale, ce qui l'amènera finalement à sa perte ou à un énorme procès. Pourquoi cet administrateur de société ne devrait-il pas avoir la même protection que le vérificateur ou toute autre personne en cause dans ce processus?
M. Burrows: En effet. D'une certaine façon, nous avons la possibilité de tourner cela à l'avantage des vérificateurs puisque l'article 310 de la Compagnies Act les empêche pratiquement, en tant que professionnels, de sous-traiter leurs responsabilités. En ce sens, on utilise des règles du jeu équitables.
Le président: En modifiant votre article 310.
M. Burrows: Oui, en faveur des vérificateurs.
Le sénateur Angus: Avons-nous quelque chose d'équivalent dans notre législation?
Le sénateur Meighen: Il me semble que sur le plan des assurances, le montant des indemnités est le vrai problème. Les Américains les montrent toujours du doigt en disant qu'elles sont la cause principale des problèmes, et il me semble qu'elles le sont. Pourtant, l'étude que vous avez faite au Royaume-Uni n'a pas été lancée parce que des indemnités comparables ont été accordées?
M. Burrows: Les vérificateurs diraient qu'il y a tellement de procès contre eux...
Le sénateur Meighen: Globalement?
M. Burrows: Il y a deux types de problèmes: il y a le problème du nombre de recours, et il y a le problème du montant d'un recours particulier. Dans les deux cas, ils diraient que leur position est devenue intenable; qu'ils ne peuvent pas obtenir d'assurance; que cela décourage les gens d'entrer dans cette profession; qu'ils ne peuvent plus être concurrentiels et qu'ils ne peuvent plus détecter correctement les fraudes -- ce genre d'arguments. Je ne pense pas que ces idées soient fondamentalement différentes de celles qui ont cours aux États-Unis.
Le sénateur Meighen: J'ai été ébahi d'entendre dire aujourd'hui que peu importe ce que vous faites dans votre propre juridiction, puisque les taux sont mondiaux.
M. Burrows: Oui, c'est ce qu'ils diraient également. Il est très difficile de savoir ce qui se passe ailleurs. Je dois dire que nous nous sommes d'abord fiés à ce que les vérificateurs nous disaient. Ils nous ont dit que l'Australie avait vraiment pris ce virage...
Le président: C'est ce qu'ils nous ont dit également.
M. Burrows: ... et qu'aux États-Unis, c'était chose faite, comme en France, et que le Canada était sur le point de le faire. On aurait pu croire que c'était un mouvement mondial. Mais lorsqu'on y regarde de plus près, on constate que les États-Unis en sont arrivés là seulement après force débats à la fin de décembre, après un veto sur un élément très limité. L'Australie en est encore loin. Le seul résultat, c'est dans l'industrie de la construction. L'enquête de Jim Davis, il me semble, n'approfondit pas ces questions comme elles méritent. J'ai l'impression qu'aucun gouvernement qui se respecte n'accepterait de mettre en oeuvre les dispositions provisoires qui ont été élaborées.
Le sénateur Meighen: Lesquelles?
M. Burrows: Les dispositions modèles qui s'appuient sur l'enquête de Davis et qui ont été distribuées en juillet de cette année.
Le président: Celles que les comptables préconisent partout.
M. Burrows: Toutes les professions, pas seulement les comptables. C'est un système extrêmement complexe, un cauchemar absolu. Il y a notamment le problème du délinquant absent par rapport au délinquant que vous poursuivez. Quel mécanisme utilisez-vous?
En Australie, on utilise un peu les deux. J'ai lu dans la presse que, d'après les comptables, l'Australie a trouvé un modèle très simple. Je pense que ceux qui ont dit cela n'ont pas bien lu le document.
Le président: Leur stratégie a été très intelligente. Ils sont venus nous voir et nous ont dit que l'Australie s'orientait dans ce sens, que personne n'était d'accord avec votre rapport et que ce n'était donc pas la voie à prendre.
M. Burrows: C'est peut-être vrai.
Le président: Puis le professeur Davis et le représentant du ministère qui est l'équivalent de votre ministère du Commerce et de l'Industrie nous ont dit: «Nous avons publié un document de travail mais nous ne savons pas vraiment ce que nous allons faire». Et ce, après que les comptables eurent tous fait le tour de nos bureaux respectifs pour nous dire catégoriquement que la réforme était chose faite en Australie. Cela a été plutôt intéressant. Ils ont essayé de mettre en marche leur rouleau compresseur en nous faisant croire que nous étions à la traîne, mais nous avons commencé à découvrir que tout le monde était dans la même situation. C'est du bon lobbying.
M. Burrows: Cela me fait plaisir d'entendre cela car je suis ici littéralement tout seul à travailler avec une petite équipe. Je n'ai aucun moyen de savoir ce qui se passe ailleurs. En ce sens, nous ne sommes même pas un organisme extérieur. Il est très curieux de se retrouver face à ce genre de pressions.
Le président: Nous y sommes habitués dans notre métier.
Le sénateur Angus: Étant donné que j'ai manqué la première partie de votre présentation, pourriez-vous nous dire à nouveau ce qu'est la Commission britannique de réforme du droit, et quelles sont vos fonctions au sein de cette commission?
M. Burrows: La commission a été établie en 1965 en vertu de la Law Commission's Act. Nous sommes les conseillers du gouvernement en matière de réforme du droit, nous nous informons sur ce que cela signifie, mais on admet normalement qu'il s'agit d'une réforme non partisane.
Le sénateur Angus: Êtes-vous rémunérés par le gouvernement?
M. Burrows: Nous sommes rémunérés et financés par le gouvernement. Nos travaux doivent être approuvés par un ministre, normalement le lord Chancelier. Nous sommes divisés en équipes.
Notre équipe s'occupe également d'un projet important sur les périodes de limitation, d'un autre sur toute la question des dommages, et d'un troisième sur les contrats primitifs. D'autres équipes s'occupent du droit pénal et d'autres encore du droit des sociétés en tant que tel. Il y en a aussi qui s'occupent de la propriété et des fiducies. Nous travaillons tous dans cet immeuble.
Le sénateur Angus: Conquest House.
M. Burrows: Oui.
Le sénateur Hervieux-Payette: Quelle est votre relation avec le Barreau? Au Canada, les comptables ne veulent pas s'allier au Barreau. En ce qui me concerne, nous avons entendu une présentation beaucoup plus perspicace de la part du Barreau que des comptables. Ces derniers ont présenté leur point de vue comme des gens d'affaires, alors que les avocats considèrent l'impact global de leur demande. J'ai l'impression que les comptables ne comprennent pas vraiment les conséquences de ce qu'ils nous demandent de faire. Ils veulent modifier tout le système du droit dans le monde entier, simplement pour résoudre leur problème. Nous devons certainement envisager d'autres solutions qui ne compromettraient pas le demandeur, par exemple. Il me semble que personne ne s'occupe du demandeur, à part le Barreau.
M. Burrows: Je suis tout à fait d'accord. Notre expérience est essentiellement la même.
Sur le plan de la terminologie, l'argument des comptables semble solide. Des termes comme «proportionnalité» et «part raisonnable» sont repris par la presse et les lobbyistes, d'une façon qui laisse à penser que les législateurs sont contre la proportionnalité et l'équité.
Je leur pose souvent cette question: dans un cas normal mettant en cause plusieurs défendeurs, à combien estimeriez-vous le pourcentage de la faute qui vous serait attribuable dans le cadre d'un régime de responsabilité proportionnelle? Je n'ai jamais reçu de réponse satisfaisante. Selon un point de vue, ce serait absolument négligeable.
Si l'on devait inclure les procédures portant sur la contribution à ce premier stade de l'établissement de la responsabilité, comme cela a été proposé, quelle est, proportionnellement, la différence de responsabilité entre un administrateur délinquant malhonnête et un comptable? Il est fort possible que cela soit absolument négligeable et on aurait alors un vérificateur qui aurait sous-traité une vérification et qui serait pratiquement non responsable. Bien entendu, ce n'est pas ce que nous souhaitons, mais c'est ce que l'on finirait par avoir.
Le sénateur Hervieux-Payette: Si une banque possède une compagnie d'assurance et qu'un demandeur fait valoir une perte à la suite de fausses déclarations par les vérificateurs, la compagnie d'assurance ou la banque assumera la perte, mais elle laissera les vérificateurs défendre leur cause dans une tribune publique.
J'ai une certaine sympathie pour les professionnels qui disent que nous leur avons imposé un lourd fardeau. Peut-être le fardeau est-il trop lourd et peut-être devrions-nous faire quelque chose. Comme vous l'avez dit, il est difficile d'évaluer la question de la proportionnalité. Même un juge aurait de la difficulté à le faire.
Le sénateur Angus: Le juge serait enclin à faire payer davantage les comptables s'il n'y a pas d'autres poches dans lesquelles il peut puiser. C'est humain.
Le sénateur Angus: J'ai une autre question qu'il n'est peut-être pas juste de vous poser. J'ai lu plusieurs articles dans la presse, ici, en Grande-Bretagne, de même que le sondage-questionnaire du ministère du Commerce et de l'Industrie qui porte sur quelque 120 sujets, et où l'on trouve des critiques de votre rapport. Pensez-vous que ces critiques sont justifiées, si l'on prend simplement ce dont nous parlons depuis une heure et demie?
Le sénateur Hervieux-Payette: Vous avez trois minutes pour vous défendre!
M. Burrows: À mon avis, une bonne partie de ces critiques sont injustes. Je pense que nous avons présenté un argument en faveur de la réforme de l'article 310 qui, associée à un examen de la Unfair Contract Terms Act, aboutirait à un régime équitable pour les délits de responsabilité contractuelle et non contractuelle. Je pense que les comptables pourraient beaucoup mieux utiliser la loi actuelle en matière de négligence contributive. À part cela, je ne vois pas ce qui justifierait une réforme fondamentale des dispositions sur la responsabilité conjointe et solidaire.
Le sénateur Meighen: Qu'est-ce qu'a donné la cohabitation des deux systèmes découlant de la Marine Conventions Act?
M. Burrows: C'est un scénario particulier car la plupart du temps, le demandeur a fait preuve de négligence contributive, puisque l'on parle d'abordage de navires. Nous n'avons pas encore fait de recherche là-dessus, surtout, je pense, parce qu'il y a presque certainement négligence contributive de la part du demandeur.
Le président: Professeur Burrows, au nom des membres du comité, je tiens à vous remercier d'avoir pris le temps de comparaître aujourd'hui. Vous nous avez été très utile.
Les témoins que nous accueillons maintenant représentent le ministère du Commerce et de l'Industrie.
Peut-être devrais-je vous donner quelques informations sur notre comité pour que vous puissiez mieux comprendre ce que nous faisons. Le comité sénatorial permanent des banques et du commerce compte six membres et se charge essentiellement d'examiner pour le gouvernement toute question concernant les affaires. On l'appelle souvent «le comité des banques», mais son nom officiel est le comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Il existe, à la Chambre des communes, un comité parallèle.
Le sénateur Meighen: Ce comité-là est loin d'être aussi distingué.
Le président: En vérité, il n'a pas l'influence du nôtre pour deux raisons: premièrement, les députés passent et changent mais les sénateurs, comme les membres de la Chambre des lords, sont nommés et, en règle générale, occupent leurs fonctions pendant plus longtemps; deuxièmement, tous les membres de notre comité ont fait carrière dans les affaires et ont donc, au départ, une bonne connaissance des questions qui touchent ce domaine.
Les six membres du comité sont les sénateurs Colin Kenny, Donald Oliver, Michael Meighen, Céline Hervieux-Payette, David Angus et naturellement, moi-même, qui suis président. Nous sommes accompagnés de Mme Margaret Smith, qui travaille au Service de recherche et de Mme Trish Harrison, du ministère de l'Industrie, l'équivalent de votre ministère du Commerce et de l'Industrie.
Pour situer nos travaux, je dirais que les comptables ont orchestré un si sérieux lobby du ministre, des simples députés et du ministère de l'Industrie à propos de la question de la responsabilité conjointe et solidaire que le ministre et les ministères ont décidé que la seule façon de régler le problème était de s'en décharger sur nous. On nous a donc demandé d'étudier la question de la responsabilité conjointe et solidaire, laquelle est soulevée suite aux demandes pressantes formulées par les comptables. Ce point est important.
En passant, les comptables ont également persuadé le comité de la Chambre des communes qui fait pendant au nôtre -- sans pour autant s'appuyer, de mon point de vue, sur quelques preuves que ce soit -- que leur opinion était tout à fait fondée. Entre parenthèses, on a laissé entendre que ce serait fantastique de mettre tous les comptables de notre côté alors qu'une élection se profile à l'horizon, dans huit ou neuf mois. La question a donc un aspect politique qui n'est pas sans importance. Et c'est ainsi qu'on en est venu à soumettre le problème à notre comité.
Jusqu'ici, nous avons évidemment reçu des mémoires transmis par les comptables. L'Association du Barreau canadien a également présenté un exposé qui était assez peu concluant. À leur avis, la question mérite d'être étudiée de façon approfondie et l'on ne devrait pas tout simplement passer à la responsabilité proportionnelle. Nous avons également tenu une téléconférence avec le professeur Davis et M. Govey, vos homologues australiens. Nous avons aussi entendu les représentants des ingénieurs-conseils ainsi que deux ou trois avocats canadiens spécialistes de ce domaine.
Ce que nous essayons essentiellement de comprendre, au départ, c'est dans quelle mesure cette question est politique ou d'intérêt public ou s'il y a un peu des deux. Est-ce un véritable problème?
Peut-être pourriez-vous nous dire à quels résultats on peut s'attendre, au Royaume-Uni, si l'on apporte des changements en ce domaine.
Les comptables nous ont dit qu'en Australie, on avait déjà décidé de modifier les dispositions à cet égard. Toutefois, au cours de nos discussions avec les Australiens, nous avons découvert que ce n'était pas tout à fait le cas. Ils nous ont également dit qu'aux États-Unis, la responsabilité proportionnelle prévaut absolument, mais nous avons découvert que cette solution est adoptée dans certains États, rejetée par d'autres, et que dans certains autres encore, c'est une variante qui a été retenue. Ils ont déclaré que lorsque le rapport Burrows a été publié en Angleterre, il a été tellement critiqué que le gouvernement a décidé de ne pas l'adopter et penche en faveur de la responsabilité proportionnelle. En réalité, ils procédaient comme tout bon lobbyiste, c'est-à-dire qu'essentiellement, ils nous amenaient à conclure que nous étions les seuls à ne pas être dans la course.
Nous aimerions comprendre votre position.
Vous devriez peut-être aussi savoir qu'au Canada, nous devons tenir compte d'une autre condition qui, d'après ce que je comprends, n'est pas un élément pertinent au Royaume-Uni. Le problème de la responsabilité conjointe et solidaire englobe la question de la responsabilité entre défendeurs. Il y a également la question de la responsabilité conjointe et solidaire entre associés lorsque l'un des défendeurs est une société de personnes. Au Canada, le droit qui concerne les sociétés de personnes entre dans le champ de compétences des provinces, et nous n'avons donc aucune autorité pour le modifier. Toutefois, il va falloir qu'éventuellement nous prenions position à cet égard, en partie parce qu'il y a maintenant au moins une possibilité, aussi infime soit-elle, que les procureurs généraux des provinces nous demandent d'examiner les dispositions qui entrent dans le champ de leurs compétences. Les ministres adjoints vont discuter de la question la semaine prochaine. Que l'on nous demande ou non de considérer la question, il serait bon que nous ayons une opinion en la matière.
Voilà où nous en sommes.
J'aimerais également mentionner que, lorsqu'on nous a transmis le dossier, le problème était posé de telle façon qu'il ne semblait y avoir que deux solutions, c'est-à-dire, la responsabilité conjointe et solidaire ou la responsabilité proportionnelle.
Le sénateur Angus: Ils ont révisé leurs batteries.
Le président: Nous avons maintenant au moins amené les vérificateurs à admettre qu'il y a tout un éventail d'options et nous leur en avons présenté quelques-unes.
Ce que nous voulons savoir, c'est quelle est l'orientation du processus qui a été lancé au Royaume-Uni. Sur le plan de la politique gouvernementale, quelles sont, à votre avis, les questions d'importance majeure qui devraient être réglées, et quelles seront, selon vous, les solutions qui pourraient être adoptées?
Le sénateur Angus: Peut-être pourrions-nous avoir un exemplaire de la législation que vous êtes en train de préparer.
Le président: Voilà une première question simple et brève, où je ne m'y connais pas!
M. David Love, directeur, Politique sur l'information financière, ministère du Commerce et de l'Industrie, Royaume-Uni: Nous avons heureux que vous ayez pris le temps de venir nous rendre visite. Une chose est sûre, plus les représentants des gouvernements entretiennent de relations, plus nous aurons une vue perspicace des choses.
Au sein du MCI, je suis chargé de la politique sur l'information financière relative à certains aspects de la réforme du droit. C'est le MCI qui a la responsabilité du droit des sociétés. Personnellement, je m'occupe de la politique sur l'information financière et de certains aspects de la réforme du droit commercial et financier, une des principales fonctions de notre MCI. M. Steve Whittington est notamment chargé des relations avec les professionnels qui offrent des services de comptabilité, et son rôle, si vous voulez, est de transmettre au gouvernement des informations sur la situation d'un des secteurs de l'industrie -- comme les services de comptabilité -- et, d'autre part, de tenir l'industrie au courant des orientations gouvernementales. Même si nous avons des responsabilités distinctes, nos fonctions se chevauchent dans certains domaines qui touchent le sujet que je viens d'évoquer. Un de ces domaines est la réforme du droit des sociétés en général, et plus particulièrement, les éléments qui ont trait à l'information financière. Par ailleurs, nous cherchons tous deux à évaluer la santé et la compétitivité du secteur économique constitué par les services de comptabilité. Steve s'intéresse particulièrement aux vérificateurs.
Nous pouvons vous parler un peu de ce qui forme la toile de fond de nos analyses, mais nous ne pouvons pas vous dire quelle est notre politique. Nous sommes encore en train de considérer le résultat des consultations qui ont abouti au rapport d'Andrew Burrow, et les ministres n'ont pas pris de décision à ce propos. Nous estimons que c'est en vous donnant la perspective qui est adoptée au Royaume-Uni que nous pouvons vous être le plus utiles.
Le sénateur Angus: Peut-être pourriez-vous indiquer dans quelle direction vous vous orientez et quand vous pensez arriver à une conclusion.
Le président: Peut-être pourriez-vous également nous parler des questions qui ont été soulevées à l'origine et dont vous tenez compte.
M. Love: Nous pouvons aller un peu plus loin que cela sur un sujet, la question de la responsabilité conjointe et solidaire dans le cadre d'une société de personnes et le droit qui s'applique à ce type de société, car c'est un des domaines dont nous nous occupons.
Mon patron, Ian Laing, qui est président de la Chambre de commerce, a annoncé il y a juste une semaine que le gouvernement avait l'intention de déposer un texte législatif afin de modifier le droit relatif aux sociétés de personnes du Royaume-Uni, et d'introduire la notion de responsabilité civile limitée qui s'appliquerait à des associés actifs. Cette idée a été lancée parce que, en vertu de la loi, les associés ont une responsabilité illimitée, sauf si, essentiellement, ce sont des commanditaires. Dans le cas des bailleurs de fonds, leur responsabilité civile est légalement limitée, mais uniquement s'ils ne participent pas du tout à la gestion de la société.
Le sénateur Meighen: Est-ce que cela s'applique uniquement à une société de personnes hors du secteur des professions libérales?
M. Love: Pour nous, «société de personnes» est un mot polyvalent qui désigne des gens qui font des affaires ensemble, sans avoir conclu d'accord; cela recouvre donc absolument tout.
Le sénateur Angus: Est-ce que cela comprend les coentreprises?
M. Love: Oui. Ce qui n'est pas compagnie ou entreprise individuelle est une société de personnes.
Le président: Cela ne se limite pas aux associations de professions libérales, vous donnez en fait à l'expression «société de personnes» l'interprétation la plus large?
M. Love: S'il s'agit de ce que la loi couvre actuellement, oui. S'il s'agit de ce que vise la modification de la loi, non. Cette modification a pour objet d'introduire une nouvelle forme d'association commerciale, qui s'ajouterait à celles dont j'ai parlée et dont pourraient user les professions libérales réglementées. Cela s'inscrit dans le contexte de l'évolution du droit des affaires dans d'autres juridictions, notamment aux États-Unis, mais également ailleurs, étant donné qu'un certain nombre de places extraterritoriales -- certaines tout près de chez nous, comme Jersey -- commencent à copier les dispositions législatives en vigueur dans certains États américains, lesquelles permettent à une entité de fonctionner beaucoup plus comme une société de personnes que comme une compagnie, mais assurent une responsabilité limitée à cette entité. Cela garantit, par conséquent, qu'un associé ne peut être tenu personnellement responsable que s'il a été impliqué dans la transaction qui est remise en cause. En ce qui a trait à sa responsabilité vis-à-vis les dettes et obligations sociales, cela se limite à ses apports.
Le sénateur Hervieux-Payette: Espérons que cela va mettre un frein à l'exode vers Jersey.
Le sénateur Oliver: La responsabilité sera limitée aux apports individuels. S'il y a dix vérificateurs dans une société et qu'un seul a été impliqué dans une transaction donnée, dans ce nouveau type de société à responsabilité limitée, seul cet associé sera responsable.
M. Love: Dans le cadre des nouvelles dispositions, si vous êtes le demandeur, vous pouvez alors poursuivre la société en tant qu'entité, ce qui est un nouveau concept pour le droit anglais. Je veux dire qu'à l'heure actuelle une société de personnes est simplement un collectif, un groupe d'associés.
Le président: Passons en revue les conséquences. Vous poursuivez la société qui est constituée de dix associés, dont un seul a travaillé sur votre transaction?
M. Love: Les autres s'occupent de dossiers différents. Ce sont des associés actifs.
Le président: Vous dites qu'un défendeur qui a eu gain de cause ne peut pas toucher aux biens personnels de l'associé. Le dédommagement maximal qu'il pourra obtenir se limitera aux apports de l'associé concerné. Un défendeur qui a gain de cause ne peut pas provoquer la faillite personnelle de l'associé.
M. Love: Vous pourriez également poursuivre l'associé qui s'est occupé du dossier en question.
Le président: Et ce serait une poursuite distincte?
M. Love: Oui. Le recours que vous auriez serait, essentiellement, les biens de la société, exactement comme s'il s'agissait d'une compagnie.
M. Steve Whittington, chef, Division de la réglementation des vérifications, ministère du Commerce et de l'Industrie: En échange de cette responsabilité limitée, la société de personnes, ou plutôt cette nouvelle entité, serait tenue de divulguer des informations que, traditionnellement, les sociétés de personnes n'avaient pas à fournir en Angleterre.
Le président: Pourriez-vous expliquer cela?
M. Love: C'est le revers de la médaille.
Le sénateur Kenny: Que signifie «divulguer»?
Le sénateur Meighen: Cela pourrait permettre, comme l'a brièvement indiqué plus tôt M. Burrows, de déterminer s'il y a eu négligence contributive. Si je porte précipitamment une accusation et si je réponds par l'affirmative à la question: «Avez-vous examiné les modalités selon lesquelles fonctionne la société avant d'engager ses services?» alors, je serais coupable de négligence contributive -- ou du moins, je pourrais l'être -- si ces informations ont été divulguées et si elles ont été rendues publiques.
Le sénateur Angus: En règle générale, en vertu du droit des sociétés, il y a diverses exigences qui touchent la fourniture d'informations. Ces messieurs ont une des responsabilités clés en ce domaine. Aujourd'hui, dans le cadre de la loi actuelle, les sociétés de personnes ne sont pas tenues de déposer des états financiers ni des relevés trimestriels.
Le sénateur Kenny: J'essaie de voir comment vous travaillez, vous, les avocats retors.
Le sénateur Angus: Est-ce ce que requièrent les gouvernements?
Le sénateur Kenny: D'après ce que j'entends dire, si cette disposition entre en vigueur, il sera possible de déterminer combien un avocat qui fait partie d'un cabinet gagne, et cette information sera publiée périodiquement?
Le sénateur Hervieux-Payette: Non.
Le sénateur Kenny: Ce n'est pas le genre de divulgation d'informations dont on parle?
Le sénateur Hervieux-Payette: Non. S'agirait-il du même régime que celui que vous appliquez à n'importe quelle autre firme ou entreprise ou d'un système distinct? Je veux dire, en vertu de la loi, des rapports doivent être déposés, mais s'il y avait négligence grave, est-ce que la même loi s'appliquerait? Dans quelle mesure la responsabilité limitée serait-elle effectivement limitée?
Le sénateur Meighen: Comme nous l'avons vu, vous pourriez poursuivre l'associé.
M. Love: Dans l'annonce que nous avons faite, nous déclarons simplement, de façon générale, que nous avons l'intention d'introduire des mesures législatives. Nous élaborons en ce moment des propositions détaillées qui seront publiées, de façon à ce que nous puissions consulter officiellement et publiquement tous les intéressés. Nous tiendrons compte des résultats de cette consultation et nous préparerons des propositions législatives.
Le sénateur Meighen: Quel est votre échéancier?
M. Love: Nous nous sommes engagés à préparer les propositions législatives détaillées qui serviront aux consultations avant Pâques. Nous nous attendons à ce qu'elles soient prêtes au cours du mois de mars. Après les consultations, ce sera évidemment aux ministres qui seront en place alors de décider quelle priorité ils souhaitent donner à ce dossier. Les ministres en place actuellement y accorderaient certainement une très haute priorité.
Le sénateur Kenny: Je ne comprends toujours pas très bien. Parlez-vous de la divulgation d'informations qui aurait lieu dans le cas où la somme en litige serait, disons, 10 000 $?
Le président: Cela ne serait pas aussi détaillé.
Le sénateur Meighen: Que serait-on tenu de faire conformément au droit des sociétés? À l'heure actuelle, il faut déposer un relevé sur neuf ans et, dans certaines circonstances, de publier des états financiers.
Le sénateur Hervieux-Payette: Il faut se rappeler aussi qu'il y a des compagnies privées et des compagnies publiques. Les informations qu'elles doivent divulguer ne sont pas les mêmes.
M. Whittington: La question de la divulgation d'informations reste à régler.
Le président: Si je vous entends bien, vous devez divulguer assez de renseignements pour permettre à la personne qui achète les services d'être raisonnablement bien informée sur la société, tout comme quelqu'un qui achète des actions d'une compagnie reçoit le prospectus et le rapport annuel. Vos consultations vont avoir pour objet de définir exactement ce en quoi ces informations doivent consister.
M. Love: C'est parfaitement exact. Ce que l'on cherche à faire par le biais de cette législation, c'est introduire la notion de responsabilité limitée dans le cadre de la nouvelle forme d'association commerciale, et ajouter à cette responsabilité limitée l'exigence de divulguer des renseignements financiers. Bien entendu, les textes de référence sont, d'un côté, le droit qui régit actuellement les sociétés et, de l'autre, la législation qui concerne aujourd'hui les sociétés de personnes. La question que l'on posera dans le cadre des consultations, étant donné la nature de cette nouvelle chose, sera: est-il plus approprié d'adopter, sur un point particulier, des dispositions analogues à celles que l'on trouve dans le droit des sociétés ou, sur d'autres points particuliers, des dispositions analogues à celles que l'on trouve dans le droit qui régit les sociétés de personnes?
Dans le droit régissant les sociétés de personnes, il n'y a pratiquement pas de dispositions qui vous obligent à révéler quoi que ce soit, sauf les noms de vos associés. Nous avons déjà déclaré que cela n'était pas approprié. Il va falloir exiger quelque chose de plus, pour que les intéressés puissent juger de la situation financière.
Le sénateur Angus: Quelles sont, ici, au Royaume-Uni, les professions libérales qui sont «réglementées»? C'est un adjectif intéressant.
M. Love: Cela fait également partie des consultations, car une des questions qui doit être réglée est la suivante: quel niveau de réglementation doit-on considérer suffisant pour accorder le privilège de responsabilité limitée?
Le sénateur Angus: Est-ce que cela comprend le secteur médical, les médecins?
M. Love: Non, cela vise essentiellement les entreprises commerciales.
Le président: Cela comprend sûrement les avocats et les comptables?
M. Love: C'est le principal secteur que l'on s'attend à voir examiner.
Le sénateur Hervieux-Payette: Et les ingénieurs et les architectes?
M. Whittington: Les propositions concerneront en effet diverses professions au sein de l'industrie de la construction.
Le sénateur Kenny: Qu'est-ce que cette nouvelle législation doit apporter à l'intéressé, selon vous? Dans quelle mesure allez-vous être mieux armé lorsque ce texte législatif aura été adopté?
M. Love: On a souligné aux ministres que le droit qui, actuellement, concerne les sociétés de personnes et qui, dans ce pays, renferme des dispositions qui datent de 1890 et de 1907, était tout à fait adapté à une société de personnes classiques du IXXe siècle où les associés, même s'ils ne travaillaient pas ensemble au même bureau, pouvaient très facilement se réunir dans la même pièce. On pouvait donc raisonnablement s'attendre à ce que chaque associé sache quelque chose sur les dossiers des autres, et réciproquement, ainsi que sur leurs compétences et ainsi de suite.
Si vous vous retrouvez, comme c'est le cas à l'heure actuelle, avec des cabinets de comptables qui comptent plus de 400 associés et des cabinets d'avocats qui en ont presque 500, un associé peut maintenant dire, comme on nous l'a souligné: «Franchement, je ne sais pas qui sont ces gens-là. Il se peut que parmi les décideurs il y en ait que je n'ai jamais rencontrés. Ils peuvent faire preuve de négligence, et tous mes biens sont en jeu.» C'est un des arguments qui a été avancé.
Ceux qui l'on fait valoir en ont appuyé le bien-fondé en disant que dans d'autres juridictions, on agit de façon différente. Ils ont souligné notamment l'évolution du droit que l'on a pu constater très récemment aux États-Unis. Ils ont mentionné la loi adoptée en 1993 dans le Delaware, qui est l'État où, à ce que nous sachions, la plupart des sociétés de comptables américaines choisissent d'enregistrer leur raison sociale. Ils disent que la position actuelle reflète si peu la réalité que des places extraterritoriales peuvent se développer pour répondre aux besoins de ce genre d'industrie. Ils ont posé la question suivante: «N'est-il pas extraordinaire que des sociétés de premier ordre, des associations professionnelles très sérieuses, envisagent d'enregistrer leur raison sociale à l'étranger?»
Mis à part la rhétorique qui se cache derrière ces arguments, il semble qu'il y ait deux ou trois points essentiels. Premièrement, le droit est effectivement fondé sur un modèle qui date de 1890, du IXXe siècle; deuxièmement, les entreprises qui sont créées dans d'autres juridictions pourraient sans doute bénéficier d'un avantage concurrentiel du fait de pouvoir s'organiser de façon plus moderne; et troisièmement, est-ce que cela ne signifie pas que nous sommes en retard par rapport à ce qui se fait sur la scène internationale sur le plan de la compétitivité?
Les ministres ont été persuadés que ces arguments étaient valides et par conséquent, que l'on devait faire quelque chose. Toutefois, il y avait une réserve importante: dans une certaine mesure, les arrangements possibles aux États-Unis et, dans une très large mesure, les arrangements possibles dans les places extraterritoriales prévoient une protection très limitée des créanciers. Celle qui existe est conçue de façon différente de celle que nous pourrions envisager. Si l'on prend, par exemple, la législation de Jersey, elle n'exige absolument pas la divulgation de renseignements financiers. Les autorités de Jersey vous diront que cela n'est pas non plus exigé des compagnies. Je pense que si nous voulons avoir quelque crédibilité aux yeux de ceux à qui nous nous adressons, nous devons prévoir des mesures vraiment convaincantes pour protéger les gens qui courent des risques, et nous avons déjà dit que ces mesures comprendront la divulgation de renseignements financiers. Cela fonctionnera de la façon que vous avez décrite.
Il y a évidemment d'autres possibilités qui doivent être prises en considération mais, en gros, telle est la toile de fond de la décision qui a été annoncée. Toutefois, cela s'applique uniquement à la responsabilité au sein d'une société de personnes.
Le président: Mettons cela de côté un instant. Qu'en est-il de la responsabilité conjointe et solidaire entre défendeurs? Peut-être devrions-nous examiner ce qui s'est passé il y a juste quelques années, car au cours de l'année qui vient de s'écouler, cela a eu un impact non seulement sur les vérificateurs, mais sur d'autres, notamment les professionnels de l'industrie de la construction. Est-ce que cette notion s'appliquerait à cette profession?
M. Love: Cela s'appliquerait aux ingénieurs, aux architectes et à tous ceux qui fournissent des services professionnels et qui tombent sous le coup de la loi qui, prise dans son ensemble et de la façon dont elle s'applique à l'heure actuelle, est injuste envers eux.
Je ne pense pas que leur première argumentation était très au point ni qu'ils avaient l'intention d'explorer plusieurs thèses. Au départ, ils en avançaient une qui, en gros, avait un caractère économique, c'est-à-dire que les affaires litigieuses leur posent de plus en plus de problèmes et qu'ils s'exposent à des règlements extrêmement élevés, et ainsi de suite. Les vérificateurs n'ont pas pu s'entendre pour fournir des chiffres démontrant dans quelle mesure les recours adressés contre eux augmentent dans ce pays, pour diverses raisons. Le secret des affaires, et aussi le secret qu'ils observent traditionnellement, les ont empêchés de nous donner des informations sur les règlements, qui représentent uniquement une petite fraction des recours. En ce sens, ces arguments ne les menaient pas très loin. Ils ont choisi plutôt de se concentrer sur la question de l'équité et de faire valoir, en ce qui a trait à la responsabilité conjointe et solidaire, l'argument suivant. Ils ont souligné l'iniquité d'une situation où quelqu'un, qui n'est qu'une des quelque 100 personnes associées à l'exécution d'un contrat, court le risque d'avoir à payer toute la facture, comme c'est actuellement le cas. Essentiellement, ils ont fait valoir que quelqu'un qui n'a que 1 p. 100 des torts est responsable à 100 p. 100 des dommages et intérêts.
Le sénateur Angus: C'est hautement théorique, n'est-ce pas? Qui a jamais été déclaré responsable à 100 p. 100?
M. Love: C'est une question d'équité, vous ne pensez pas? Cela repose sur une question fondamentale, soulevée par un principe juridique, et ce principe juridique se fonde sur une sorte de justice un peu sommaire. La question reste toujours: est-ce que justice est faite de la façon la plus équitable que possible dans le contexte contemporain? Ils ont convenu que c'est là la question importante. Nous leur avons fait remarquer que c'est une question qui se pose à propos d'un certain nombre d'autres professions, par exemple, celle de l'industrie de la construction, et que nous ne pouvons pas avoir une solution qui s'applique uniquement à une profession. Ils en ont convenu. Par conséquent, nous nous sommes adressés à la Commission de réforme du droit, plus particulièrement à Andrew Burrows, et il a accepté d'examiné la question essentielle de l'équité de la loi. Son rapport est le résultat de cette analyse.
Le sénateur Angus: Je suis sûr qu'il est votre nouveau meilleur ami.
M. Love: Comme vous pouvez le voir, il a fait un vrai travail de professionnel. Ce rapport a au moins le mérite d'avoir élevé le niveau de la discussion dans ce pays, car il a pour principal objet les questions de droit essentielles examinées, documents à l'appui, plutôt que de manière discursive. Sans me prononcer sur les conclusions, car les ministres en discutent encore, je pense qu'il a fait un travail absolument fantastique. Ce point de vue est aussi celui de nos ministres.
Ceux-ci ont estimé que la bonne façon de procéder était d'organiser une consultation publique, car il ne s'agit pas d'obscures questions de droit, comme on le prétend parfois, mais, dans l'ensemble, de questions fondamentales auxquelles on pourra ainsi apporter des réponses qui pourront être plus équitables pour arriver, en bout de ligne, à un résultat plus juste et plus raisonnable. Il a été convenu de tenir une consultation aussi large que possible. Tous les intéressés peuvent faire des observations. Nous avons essayé de nous concentrer particulièrement sur les utilisateurs de services professionnels, notamment ceux qui ont recours aux sociétés de personnes.
Le sénateur Angus: Est-ce que cette consultation a pris la forme d'un questionnaire?
M. Love: Nous avons effectivement élaboré une sorte de questionnaire dont vous voyez ici un exemplaire. Il ne s'agissait pas d'un questionnaire scientifique. Le document comportait essentiellement huit questions, dont six ou sept découlaient d'observations faites dans le rapport. Nous avons tenté le coup et décidé de tout simplement poser des questions sur la responsabilité d'une société de personnes. Une fois que nous avons eu en main les résultats de cette consultation, nous avons assuré un suivi avec les principales personnes concernées. Nous avons bouclé cette étape cet été.
À ce moment-là, les vérificateurs ont dit: «Bon, arrêtez, pourriez-vous attendre un petit peu? Nous vous avons présenté des arguments et, individuellement, nous avons fait d'autres observations en réponse au questionnaire de consultation. Avant que les ministres prennent une décision, nous aimerions réfléchir davantage sur les thèses que nous avons défendues dans les deux cas et déterminer ce que nous voulons réellement.» Ils ont donc approfondi la question et leur réflexion s'est matérialisée dans une lettre qui est arrivée cette semaine sur le bureau du président. Nous allons maintenant prendre cela en considération. Nous allons engager d'autres pourparlers avec eux, avec un ou deux de leurs lobbyistes, et ensuite, il y aura une discussion générale au niveau ministériel.
Le sénateur Oliver: Pouvez-vous nous donner une idée du nombre de réponses que vous avez reçues après avoir envoyé votre questionnaire?
M. Love: Environ 140, ce qui est un chiffre assez élevé pour une question concernant le droit des sociétés. Il y avait des réponses qui étaient aussi assez sibyllines. Nous avons communiqué à nouveau avec certains répondants et nous leur avons demandé d'apporter un complément d'information.
Le sénateur Oliver: Avez-vous contacté les ingénieurs, les avocats et les comptables?
M. Love: Il y avait trois ou quatre catégories.
Le sénateur Angus: Vous dites que le président vient de recevoir une lettre. S'agit-il d'un rapport provenant d'un groupe spécifique?
M. Love: Elle venait des six grandes sociétés.
Le sénateur Angus: Agissant ensemble?
M. Love: Oui, agissant ensemble.
Le sénateur Angus: Est-ce vous le président?
M. Love: Non, c'est le ministre dont je relève.
Le sénateur Angus: Le ministre du Commerce et de l'Industrie?
M. Love: Son titre est: président de la Chambre de commerce.
Le sénateur Meighen: Avançait-on dans la lettre de nouveaux arguments ou s'agissait-il de commentaires sur le rapport Burrows?
M. Love: Essentiellement, ils développaient les propositions qu'ils nous avaient présentées auparavant.
Le président: On nous a dit que les pressions qu'ils exercent ont une dimension internationale. C'est la première fois que je vois un lobby s'organiser pour intervenir à l'échelle mondiale. Quoi qu'il en soit, peut-on partir du principe que les documents qu'ils vous ont soumis récemment reprennent fondamentalement les arguments qu'ils ont déjà avancés?
M. Love: Oui.
Le président: Ils peuvent avoir énoncé différemment leurs arguments pour prendre en compte des gens comme nous qui remettent leur position en question, mais fondamentalement, cette position n'a pas changé. Est-il juste de résumer de cette façon ce qu'ils ont dit?
M. Love: C'est juste. S'il y a un point qui a été souligné davantage, c'est l'importance qu'ils attachent au règlement du problème de la responsabilité conjointe et solidaire, avant toute autre chose.
Le sénateur Meighen: La question de la responsabilité limitée?
M. Love: Dans le cadre de contrats, et ainsi de suite.
Le sénateur Meighen: C'est exactement ce que m'a dit un représentant des comptables qui se trouvait dans mon bureau il y a une semaine. Leurs interventions sont bien coordonnées.
Le président: Ce matin, Minet nous a donné copie des réponses qu'ils ont fournies sur votre questionnaire. Est-ce que, sur le plan de l'orientation qui est adoptée, la réponse des comptables est différente?
M. Love: La profession est un peu fragmentée dans ce pays, nous avons donc reçu des réponses de toutes les associations professionnelles qui sont au nombre de six. Il y a les réponses des six grandes associations, auxquelles s'ajoutent celles d'autres cabinets de comptables.
Le sénateur Oliver: Vous deviez nous donner un peu plus de détails sur les 140 réponses que vous avez reçues.
M. Love: Je vais les résumer en les classant dans de grandes catégories.
En ce qui concerne les associations professionnelles qui ont exercé des pressions, elles nous ont dit exactement ce que nous nous attendions à ce qu'elles disent, et c'est certainement ce qu'elles vous ont dit aussi. Elles ont rejeté les recommandations qui portaient sur la responsabilité conjointe et solidaire. Elles ont soit reconnu, soit accepté les suggestions supplémentaires d'Andrew Burrows.
Plusieurs, notamment celles qui représentent l'industrie de la construction, ont déclaré: «Ces recommandations ne nous concernent pas parce que le problème fondamental auquel nous faisons face est un déséquilibre au plan de la politique commerciale, vis-à-vis l'entrepreneur.» L'ingénieur, ou même l'architecte, considère qu'il n'est pas en position de se montrer extrêmement exigeant avec le principal entrepreneur.
Le sénateur Angus: Cherche-t-il du travail?
M. Love: Les grands travaux de génie civil sont des projets extrêmement complexes et pour cette raison, les modalités sont rarement consignées à un moment donné dans un seul document. Les intéressés n'ont pas la possibilité de savoir qui sont les autres conseils, ni si l'un d'entre eux a une réputation douteuse. Tel est le point de vue de certaines associations professionnelles.
Le sénateur Angus: Il ne leur est pas facile de se libérer des contrats.
M. Love: Absolument. Ces associations professionnelles ont essentiellement répété ce qu'elles avaient dit auparavant.
Quant aux juristes, dans pratiquement toutes les réponses que nous avons reçues, ils appuyaient fermement cette prise de position.
Le sénateur Angus: Cela comprend-il ceux qui pratiquent le droit des affaires ainsi que les spécialistes du droit des sociétés?
M. Love: Avec des réserves et des précisions, et ainsi de suite.
Le sénateur Meighen: Ont-ils dit: «C'est ce que nous avons connu jusqu'ici et c'est ce que nous voulons conserver»?
Le sénateur Oliver: Ne demandaient-ils pas d'inclure les sociétés de personnes à responsabilité limitée?
M. Love: Essentiellement, ils ont convenu que Burrows avait correctement décrit la loi actuelle, mais ils ajoutaient: «Et après?» La plupart d'entre eux nous ont dit: «De notre point de vue, il a raison lorsqu'il déclare que l'approche qui est définie assure, de façon générale, l'équilibre qui garantit l'équité».
Naturellement, il peut y avoir des variantes entre les opinions personnelles, mais c'est, en gros, ce qu'ont déclaré les corps de représentants. La réponse de la Law Society of England est arrivée plutôt tard. Cette société a eu l'avantage de pouvoir discuter de la question avec d'autres. La réponse qui a été fournie se concentrait particulièrement sur les moyens de modifier la loi sans toucher aux dispositions sur la responsabilité conjointe et solidaire.
Le président: S'agit-il d'un document public? Pouvez-vous nous en envoyer un exemplaire?
M. Love: Non, mais je pourrais demander à la Law Society de le faire.
Le président: Cela serait extrêmement utile.
Le sénateur Angus: Est-ce que Burrows l'a cité?
M. Love: Ces documents sont rendus publics en temps opportun.
Vous avez également posé une question à propos des sociétés de personnes dont la responsabilité est conjointe et solidaire.
Le sénateur Oliver: Vous avez résumé ce que les avocats ont dit, et je crains de ne pas avoir entendu vos observations.
M. Love: Ils ont déclaré: «Vous pourriez partir sur ces bases et développer la suggestion que l'on trouve dans le rapport, à savoir que la loi de ce pays pourrait être modifiée pour aider les professions libérales, mais concentrez-vous sur le droit régissant les contrats.»
Le président: Est-ce que cela pourrait aider les professions libérales si vous n'abandonniez pas le principe de la responsabilité conjointe et solidaire?
M. Love: Burrows a indiqué que, si on laisse la responsabilité conjointe et solidaire telle qu'elle est, il y a un certain nombre de mesures qui méritent d'être explorées, des mesures qui aideraient les professions libérales sans pour autant désavantager qui que ce soit. Ce à quoi il pensait, c'est aux diverses particularités ou bizarreries des dispositions concernant l'octroi des contrats qui empêchent les parties en cause de négocier librement et qui pourraient être modifiées. Il a mentionné notamment deux ou trois domaines.
Le sénateur Angus: Par exemple?
M. Love: Dans le cas des vérificateurs, il se pose un problème particulier car, à l'heure actuelle, il est interdit par la loi à un vérificateur de limiter sa responsabilité.
Le président: Par le biais d'un contrat.
Le sénateur Oliver: C'est l'article 310?
M. Love: L'article 310 qui ne s'applique pas au travail qu'il fait pour la société autrement qu'à titre de vérificateur, mais cela couvre naturellement une grande part d'activités. Les vérificateurs aimeraient simplement que cette disposition soit abrogée. Andrew Burrows a suggéré un certain nombre de moyens de régler ce problème, à part l'abrogation, et c'est également ce qu'a fait la Law Society of England.
Le sénateur Angus: On chercherait à faire en sorte que les règles du jeu soient équitables.
M. Love: Absolument, oui. Il y a toutefois une difficulté.
Le sénateur Angus: Est-ce que cela a trait au droit public?
M. Love: Par contrat public, on entend que les travaux sont réalisés au nom des actionnaires et que la direction est simplement leur agent.
Le président: Comment la direction pourrait-elle vous dégager d'un contrat dont vous vous déchargez au nom des actionnaires?
M. Love: C'est vrai, et cela les met dans une position difficile. C'est encore plus vrai lorsque vous avez un conseil d'administration puissant qui ne s'occupe pas trop de l'avis des actionnaires.
N'y a-t-il pas d'autres incitatifs, à part prévoir quelque chose qui est dans l'intérêt des actionnaires mais non dans l'intérêt de la société?
Cette disposition législative a été prise en 1928 parce que, dans les années 20, il y a eu un cas célèbre, une société qui avait plus ou moins dégagé de toute responsabilité envers elle ses administrateurs et ses vérificateurs. La disposition faisait partie des statuts constitutifs de la société, une pratique très répandue à l'époque.
Le sénateur Angus: C'est toujours le cas, pas pour les vérificateurs, mais pour les administrateurs.
M. Love: Notre disposition s'appliquerait aux administrateurs, aux cadres et aux vérificateurs.
Le sénateur Angus: Je n'ai jamais vu ce genre de disposition s'appliquer aux vérificateurs, mais aux administrateurs et aux membres de la direction, certainement. C'est tout à fait approprié, mais pas dans le cas des vérificateurs. Ce n'est pas approprié parce que vous les payez.
Le président: Peut-être pourriez-vous expliquer davantage le point de vue de la Law Association.
M. Love: Andrew Burrows s'est aussi intéressé au problème découlant de notre Unfair Contract Terms Act. Cette loi est fondée sur ce qu'on appelle le contrôle de vraisemblance, mais il est devenu tellement difficile -- à la façon dont le droit a évolué au cours des 20 dernières années --, de prévoir ce qu'un tribunal peut considérer comme étant raisonnable que cette disposition n'a plus une grande utilité.
Burrows recommande plusieurs façons d'aborder la chose. À plusieurs reprises, vous avez parlé de négligence contributive. Eh bien, c'est sans doute là une autre façon d'aborder le problème qui pourrait convenir tout à fait. Certes, le terrain est peu sûr, parce que si c'est l'administrateur qui a fraudé et que l'entreprise est le client, comment peut-on la tenir responsable? C'est d'ailleurs là l'argumentation généralement invoquée.
Il y a cependant d'autres aspects dont il faut tenir compte. Je pourrais vous citer des cas où les tribunaux australiens ont tranché dans un sens tout à fait opposé. Il semble qu'on soit généralement d'accord pour estimer que ce domaine du droit donne lieu à beaucoup d'incertitude. Il conviendrait de mieux le cerner, ce dont il est question dans le document de la Law Society.
J'aimerais revenir sur les résultats de la consultation. Comme vous pouviez vous y attendre, les avocats sont contre et penchent très nettement de l'autre côté. Nous avons essayé d'inciter le milieu des affaires à participer à nos consultations et nous avons surtout tenté de recueillir l'avis des investisseurs. Nous en avons conclu que les opinions sont partagées. Je ne nommerai ici personne qui n'aurait annoncé publiquement sa position, parce que nous n'avons pas diffusé les résultats de cette consultation. Cependant, sachez qu'un de nos deux investisseurs institutionnels, qui sont représentés par deux très grandes organisations, s'est opposé à ce qu'on fasse quoi que ce soit. L'autre, en revanche, s'est rangé très nettement du côté des vérificateurs, en précisant qu'il n'accorde, de toute manière, pas beaucoup d'importance aux rapports des vérificateurs.
Le milieu des affaires a eu beaucoup de difficultés à prendre position. Les membres de la principale organisation de gens d'affaires, la Confederation of British Industry, la CBI, étaient divisés, une partie étant tout à fait favorable aux lobbyistes et l'autre étant résolument contre leur position. Certains reconnaissaient qu'il fallait faire quelque chose, mais pas ce qu'on leur proposait. La CBI n'a pas dégagé de consensus.
Nous nous retrouvons maintenant avec une lettre adressée à nos patrons, émanant des grandes organisations professionnelles qui représentent les vérificateurs et l'industrie de la construction, ainsi que plusieurs autres institutions. Le dernier signataire en date de cette lettre est la CBI.
Le président: La CBI qui est le Council of British Industries?
M. Love: Oui, aux côtés des autres organisations représentant aussi le milieu des affaires. Les signataires de cette lettre déclarent être parvenus à s'entendre sur un point: ils voudraient que nos ministres demandent une étude plus poussée et conduite sous un angle plus économique. Autrement dit, les auteurs de la lettre estiment que cette question est affaire de spécialistes.
Parmi les signataires de cette lettre on retrouve des gens qui n'ont pas été convaincus par les suggestions des vérificateurs et d'autres. Ils sont toutefois prêts à suivre la CBI, à condition qu'on leur permette de jeter un nouveau coup d'oeil sur tout ce dossier. C'est la proposition que les ministres ont retenue.
Le président: Nous sommes à peu près dans la même situation que vous. Nous voulons élargir notre base de consultation pour dresser un portrait plus vaste de la situation. Nous voulons connaître toute la gamme des solutions possibles, pas seulement de celles qu'appuient les vérificateurs. Nous voulons savoir si nous avons affaire à un véritable problème économique ou simplement à des gens qui ne veulent pas payer de grosses primes d'assurance ou que sais-je encore. Il est intéressant de constater qu'après avoir suivi une démarche totalement différente, nous nous retrouvons dans une situation presque identique à la vôtre.
Le sénateur Kenny: Vous pourriez vous aborder la question sur les deux plans: d'une part, s'agit-il d'un problème d'ordre économique et, d'autre part, êtes-vous en présence d'iniquités auxquelles vous pourriez remédier d'autres façons?
Le sénateur Meighen: Il semble certain que nous avons affaire à un problème.
Le sénateur Kenny: Certes, mais il y a peut-être tout un ensemble de questions que nous pourrions régler.
Le sénateur Meighen: Beaucoup de gens entretiennent des doutes quant à la solution.
Le président: En avez-vous terminé avec votre aperçu?
Le sénateur Kenny: Il est très difficile de faire un choix à partir de ce qui se passe dans différents pays, parce qu'on se retrouve toujours aux prises avec des textes de loi qu'on ne comprend pas ou avec des problèmes d'instance que l'on ne connaît pas. Où en êtes-vous dans votre raisonnement?
M. Love: Tout ce dont nous pouvons véritablement parler aujourd'hui, au ministère, c'est du menu des possibilités s'offrant à nous. Il s'en trouve d'ailleurs plusieurs à propos desquelles nous ne nous sommes pas encore fait d'opinion. En un sens, nous en sommes presque au même stade que vous, si ce n'est que nous avons entendu un plus grand nombre d'argumentations.
Le sénateur Oliver: Vous avez reçu 140 réponses à votre questionnaire, ce qui n'est pas notre cas.
Le sénateur Kenny: Pouvez-vous nous dire ce que vous avez à ce menu?
M. Love: À une extrême, vous pourriez dire que nous devons faire quelque chose au sujet de la responsabilité conjointe et solidaire, telle qu'elle se présente à l'heure actuelle. À l'autre extrême, on pourrait conclure que, d'après l'étude conduite par Andrew -- et dont l'avis est, jusqu'à présent, partagé par la plupart des lobbyistes à l'étranger -- que la situation actuelle est injuste, pour dire le moindre.
Le sénateur Angus: Quelles sont les autres solutions?
M. Love: On s'est demandé jusqu'à quel point ces solutions seraient applicables. Le rapport Burrows fait état de quatre manières de modifier la responsabilité proportionnelle. Les États-Unis ont opté pour une de ces solutions dans le cas du contentieux des valeurs mobilières, à la fin de l'année dernière. Mais jusqu'ici, on manque de modèles et les avis juridiques que nous recueillons pour savoir si cette solution parviendrait aux fins voulues sont plutôt partagés, et il n'est même pas question du risque d'iniquité.
Le sénateur Oliver: La situation dans la Nouvelle-Galles du Sud est assez différente. Et puis, il y a l'approche retenue à Jersey, et celle adoptée dans les îles Anglo-Normandes.
M. Love: Il y a aussi la Nouvelle-Zélande.
Le sénateur Meighen: Il y a également l'approche adoptée en Colombie-Britannique qui consiste à faire intervenir la responsabilité proportionnelle dès qu'il y a négligence contributive.
M. Love: Comme vous le savez, la négligence contributive est injuste dans ce genre de situations, et elle soulève des questions plutôt épineuses. Avant de prendre une quelconque mesure à cet égard, il faudrait être certain que le genre de solution adoptée aura un effet pratique et ne désavantagera pas les personnes concernées. Jusqu'ici, on n'est pas parvenu à cette conclusion. À l'évidence, l'une des solutions possibles consiste à investiguer plus à fond cette formule ainsi que d'autres.
Une deuxième solution consisterait à étudier de plus près le modèle de la responsabilité proportionnelle. Cependant, quand il en a été question avec les lobbyistes britanniques, ils ne se sont pas montrés emballés par la possibilité de modifier la responsabilité proportionnelle, pour des raisons qui ne sont pas tout à fait claires.
Le président: Pourquoi?
M. Love: Je ne sais pas. Peut-être veulent-ils simplement jouer une carte à la fois, en attendant de sortir leur atout. Mais je crois qu'Andrew Burrows, lui aussi, précise qu'il reste à voir si ces solutions sont efficaces.
Le président: Quand vous explorez les différentes options modifiées, explorez-vous également toute la gamme des modifications envisageables? Burrows en propose quelques-unes et les États-Unis sont en train d'en envisager plusieurs qui sont à différents stades d'étude. Avez-vous effectivement envisagé plusieurs solutions avec les lobbyistes ou estiment-ils, a priori -- sans que cela soit dit bien sûr -- que tant qu'ils ne sont pas convaincus d'obtenir en totalité ce qu'ils recherchent, ils feront les difficiles? C'est cela leur position?
M. Love: Oui. C'est le fondement de la lettre que nous venons de recevoir.
Le sénateur Hervieux-Payette: Vous avez parlé de l'entrepreneur, de l'ingénieur et de l'architecte. Normalement, les entrepreneurs sont constitués en société et leur responsabilité est donc limitée, contrairement aux ingénieurs et aux architectes. Bien sûr, quand tout s'effondre, il y a sans doute lieu de blâmer un peu tout le monde. Dans ma province, les entrepreneurs doivent être cautionnés et, s'ils font faillite, les fonds déposés en caution permettent de rembourser une partie de leurs dettes. Certes, chaque participant pouvant avoir une responsabilité dans la faillite devrait normalement être appelé à assumer une partie de la responsabilité financière.
Pourquoi donc accorde-t-on un traitement différent aux vérificateurs?
M. Love: La constitution en société est une des facettes du problème. En Grande-Bretagne, il n'existe que deux types d'activités commerciales pour lesquelles on ne peut limiter la responsabilité par le biais d'un contrat. Il y a d'abord la vérification statutaire et les travaux du genre effectués par les vérificateurs. Il y a également le travail de l'avocat qui donne des conseils dans le cas d'un litige pouvant se trouver devant les tribunaux. Dans les deux cas, il y a restriction statutaire. Ce sont à peu près là les deux seules restrictions statutaires existantes. Dans le passé, il existait des règles stratégiques ou professionnelles interdisant à des professions libérales de se constituer en société mais, au fil des ans, celles-ci ont été abrogées. Ainsi, le vérificateur d'une société peut lui-même se constituer en société. Depuis 1989, les avocats, eux aussi, peuvent se constituer en société s'ils le désirent. Mais peu d'entre eux l'ont fait jusqu'ici.
Le sénateur Kenny: Pourquoi?
M. Love: Je crois que cela tient essentiellement à l'éthique qui caractérise les associations et aux modes de fonctionnement interne des sociétés de personnes, par rapport à celui des compagnies constituées en corporation. Dans les sociétés de personnes, les mécanismes d'admission et de départ des associés sont plus souples, parce qu'ils exigent une mise de fonds inférieure, et ainsi de suite.
Le président: Parlent-ils d'avantages fiscaux?
M. Love: Beaucoup.
Le sénateur Kenny: Si je me réfère à certains des échanges que nous avons eus plus tôt aujourd'hui, la passation de contrats ne protège pas vraiment l'individu, parce que d'autres parties pourraient être concernées sans être signataires du contrat et se trouver tout de même en position de fonder un recours. La seule véritable protection dont on pourrait disposer, serait celle offerte par une entreprise à responsabilité limitée. Disons les choses comme elles sont, soit vous constituez une société pour chaque projet, soit vous risquez, un jour, de perdre votre compagnie. Cela étant, vous ne perdriez pas pour autant votre maison. La société de personnes présente tout de même certains avantages. Mais à l'analyse des solutions possibles, j'ai l'impression qu'on pourrait être tenté par la constitution en corporation. Si l'on fait fi des possibilités sur le plan fiscal, s'il n'y avait pas de problème sur ce plan-là, je serais enclin à constituer une personne morale pour chaque projet.
Le sénateur Hervieux-Payette: Que voulez-vous dire par «chaque projet»?
Le sénateur Kenny: Pour chaque contrat, je constituerai une corporation.
Le sénateur Hervieux-Payette: Avec chaque nouveau client?
Le sénateur Angus: Oui, tout comme le fait le magazine Frank.
Le président: Le magazine Frank constitue une corporation pour chaque dossier qu'il traite et quand il perd un procès, le jugement ne concerne que les actifs de la société en question, soit ceux correspondant à un seul dossier et qui sont essentiellement inexistants. En fait, c'est très intelligent. C'est ce que fait le magazine Frank.
M. Love: Notre loi sur l'incorporation des sociétés et la nouvelle mesure que nous envisageons comportent des avantages en matière de protection du partenaire de bonne foi, tant dans le cas d'une société de personnes que dans celui d'une corporation. Reste à savoir si l'entreprise en tant que telle est exposée de façon déraisonnable, si le partage du risque est déraisonnable.
Cela nous ramène donc à la question fondamentale de l'équité, d'où le mandat de l'étude Burrows.
Et puis, il y aussi, bien sûr, la question de la compétitivité internationale. Nous voulons savoir ce qui se passe dans les autres pays, surtout parce que nous voulons être à la page, d'une façon générale, mais aussi parce que nous pourrions envisager une sorte de procès arbitraire. Nous avons suivi de très près ce qui s'est fait dans vos provinces, ce qui s'est fait en Australie et ce qui s'est fait dans les divers États américains. Nous avons même commandé notre propre étude pour connaître la position des autres pays d'Europe. Mais il semble que personne d'autre ne soit très en avance sur nos deux pays.
Le sénateur Kenny: Le problème ne tient-il pas en partie au fait que les compagnies font l'objet de pressions pour produire des rapports ne faisant état d'aucune réserve? Est-ce qu'une solution ne consisterait pas à permettre la production de rapports de vérification plus nuancés, ou comportant une opinion du vérificateur assortie de réserves, tout au début du rapport, à propos de tel ou tel point? Je ressens une certaine sympathie pour le groupe qui a déclaré ne pas trop prêter d'attention au travail des vérificateurs.
L'obligation d'information dans le cas d'une nouvelle émission pourrait donner lieu à des déclarations plutôt franches. Les vérificateurs auraient pratiquement à déclarer: «Vous risquez de perdre votre chemise avec cette affaire et, de plus, nous ne pensons pas qu'il soit prudent d'acheter ce produit. Les grands-mères et les pantouflards devraient se tenir loin de cette émission».
Le problème n'est-il pas en partie dû au fait que beaucoup trop de vérificateurs sont obligés de soumettre des rapports ne comportant aucune réserve? Faudrait-il leur dire: «Nuancez votre rapport de vérification et supportez-en les conséquences».
Le sénateur Meighen: Les vérificateurs risquent de ne plus être engagés l'année suivante.
Le sénateur Kenny: Peut-être, mais si on les met dans le même bateau que l'entreprise qu'ils vérifient, si tout le monde doit jouer le même jeu, les vérificateurs de l'année suivante pourraient être poursuivis et perdre leur entreprise. Peut-être alors formuleront-ils des avis plus précis sur leur vérification. Le fond du problème, c'est que nous nous rendons compte que les avis des vérificateurs ne sont que fiction.
Le sénateur Meighen: Est-ce que parce qu'ils devraient exprimer certaines réserves, ce qu'ils ne font pas, ou parce qu'en général ils ne répondent pas aux questions posées ou encore qu'ils n'effectuent pas le travail voulu?
Le sénateur Kenny: Peut-être devrait-on permettre la production de rapports de vérification qui soient moins tirés au cordeau.
Le président: La question est de savoir pourquoi nous devrions nous porter à la défense des vérificateurs. Peut-être sont-ils gentils avec leurs clients pour protéger leur contrat?
M. Love: Je crois que nous partageons l'avis des vérificateurs à ce propos, à savoir que les opinions du vérificateur, en Grande-Bretagne, comportent beaucoup trop de réserves, à cause des risques de poursuite, au point où nous aimerions leur permettre, d'une façon ou d'une autre, d'être plus solides envers l'entreprise, plus solides dans les opinions qu'ils expriment, et de couvrir un éventail de questions plus large. Le débat que nous tenons ici depuis deux ou trois ans a débordé sur certains aspects de la régie d'entreprise. Ce serait bien si les vérificateurs statutaires pouvaient émettre une opinion beaucoup plus ferme quant à la qualité des vérifications internes.
Le sénateur Kenny: Est-ce que cela atténuerait leur responsabilité?
M. Love: Certes, les gens ont peur que les opinions qu'ils émettent se retournent contre eux. Ils se sont montrés extrêmement prudents à ce sujet dans le passé, mais ce serait bien s'ils pouvaient faire plus. Il y a bien sûr la question des conséquences sur le plan statutaire à laquelle tout le monde s'intéresse. J'aurais pensé que, d'un point de vue plus général, notre débat n'aurait comporté que deux éléments susceptibles de présenter un certain intérêt. D'abord, le point de vue du consommateur, dont nous avons parlé plus tôt, et qui est ressorti à l'occasion de nos consultations. Deuxièmement, il y a la question de la solidité de l'avis du vérificateur. Nous avons spécifiquement demandé aux cabinets de réfléchir sur cette question. En fait, il y a quelques semaines, le Financial Times a soulevé la question dans un article: si la loi était modifiée selon les désirs des vérificateurs, est-ce que l'opinion des vérificateurs serait plus solide?
Le sénateur Meighen: C'est ce qu'ils prétendent?
Le président: Vous employez l'expression «plus solide» dans le sens de «plus bénéfique», pas de plus solide en faveur des entreprises qui les vérifient?
M. Love: Tout à fait. Ce serait une proposition fort intéressante.
Le sénateur Hervieux-Payette: Devraient-ils être nommés par quelqu'un d'autre?
M. Love: En théorie, ils sont nommés par les actionnaires.
Le sénateur Hervieux-Payette: Mais dans une entreprise publique, par exemple, ne seraient-ils pas nommés par la Commission des valeurs mobilières ou par une partie indépendante avec qui ils n'entretiendraient pas le même genre de rapport d'amitié? Je pousse peut-être la chose un peu loin, mais il est très difficile de voir une quelconque relation d'indépendance entre les vérificateurs et la direction de l'entreprise.
M. Love: De toute façon, ils craindraient encore d'être poursuivis et, bien sûr, de devoir verser des indemnités.
Le président: Vous avez demandé un rapport afin d'évaluer ce qui se passe au Royaume-Uni. Quand vous attendez-vous à le recevoir?
M. Love: En fait, nous sommes en train de vérifier la position des autres pays européens.
Le président: C'est-à-dire?
M. Love: Ce sera un rapport tout à fait officieux. On nous le remettra dans quelques semaines.
Le sénateur Angus: Et à partir de là? Éclairez ma lanterne! Vous en êtes au stade où vous devez répondre à la lettre vous invitant à tenir une étude plus large?
M. Love: Tout à fait.
Le sénateur Angus: Allez-vous englober l'étude Burrows?
Le sénateur Hervieux-Payette: On vous a demandé de rédiger un texte de loi obéissant à une orientation plus économique.
Le sénateur Angus: C'est cela.
Le président: Pourrait-on obtenir copie de cette lettre? Je ne vous demande pas de l'obtenir de façon clandestine, puisque nous vous avons déjà demandé de nous fournir la réponse de la Law Society.
Le sénateur Angus: Je pourrais vous prêter une enveloppe brune.
Le sénateur Kenny: C'est habituellement de cette façon qu'on obtient les informations, au Canada.
Le président: Habituellement, il s'agit d'une enveloppe brune anonyme, adressée aux membres de l'opposition.
M. Love: Il s'agit d'une lettre très courte.
Le président: Que s'attendent-ils à ce que l'étude produise?
M. Love: Si l'on était cynique, on dirait: «Tirer une conclusion différente de celle du rapport Burrows».
Le président: La lettre a-t-elle pour objet de vous autoriser à effectuer une autre étude en vue de parvenir à une conclusion différente?
M. Love: Officiellement, cette missive revient à dire que le rapport Burrows a abordé la question sous un angle particulier, l'angle juridique. Les signataires de la lettre estiment qu'il conviendrait d'effectuer une étude d'un point de vue plus large, comme ils le disent, sous un angle économique.
Le sénateur Kenny: Pour enchaîner sur ce qu'a dit la sénatrice Hervieux-Payette, la Commission de réforme du droit nous a déclaré que si la Commission des valeurs mobilières ou quelque autre commission réglementaire avait un mot à dire dans la vérification des entreprises, les rapports des vérificateurs ne seraient plus du tout les mêmes. Ce que je veux dire c'est qu'ils seraient tellement différents qu'on n'aurait plus l'impression d'avoir affaire à la même entreprise, parce qu'il s'agirait alors de dire la vérité alors que, pour l'instant, les rapports ne sont rédigés que pour la forme.
Le sénateur Oliver: Au Canada, nous avons entendu le témoignage de représentants de l'Association du Barreau canadien. Leur exposé a été très court et ils comptent le compléter plus tard. Ils nous ont instamment demandé de prendre le temps d'effectuer une étude complète.
Dans leur courte lettre, ils nous ont ensuite demandé, premièrement, de limiter l'étude à ceux envers qui il faut exercer un devoir de vigilance et, deuxièmement, aux services à qui incombent une responsabilité professionnelle. Pourriez-vous nous donner votre point de vue sur ces deux approches possibles?
M. Love: Nous nous sommes demandé si l'état du droit ne limite pas trop le devoir de vigilance du vérificateur. L'arrêt de principe, au Royaume-Uni, concerne une entreprise appelée Caparo Industries, dans une cause qui remonte à six ans environ. Mais vous en avez sans doute entendu parler.
Le sénateur Angus: On nous en a parlé aujourd'hui. Il y est question d'une tierce partie.
M. Love: Nous pourrions vous remettre la documentation concernant cette affaire. Depuis, le jugement a été repris dans plusieurs décisions de la Haute Cour, de la Cour d'appel et de la Chambre des lords. Il en découle que, compte tenu de la jurisprudence actuelle, le vérificateur -- en tant que vérificateur d'une entreprise -- est responsable envers l'ensemble des membres de l'entreprise, envers l'assemblée générale de la compagnie à qui il présente ses commentaires à la fin de son rapport comptable. Il n'est pas responsable envers les investisseurs à titre individuel, ni envers les investisseurs potentiels, comme l'acheteur de l'entreprise, sauf s'il a, d'une autre façon, contracté envers lui un devoir de vigilance.
Une décision vient d'être rendue au sujet de la plus importante demande en dommages-intérêts jamais lancée contre un cabinet d'experts-comptables au Royaume-Uni. Les vérificateurs d'une entreprise sur le point d'être achetée par une autre avaient été appelés à participer à une réunion avec l'acheteur. Celui-ci, qui connaissait bien la jurisprudence, s'est adressé au vérificateur pendant la réunion et lui a demandé: «À titre de vérificateur de l'entreprise, vous soutenez le rapport, n'est-ce pas?», ce à quoi le vérificateur a répondu oui. Malheureusement, la situation n'était pas parfaite et, à cause de cela, le cabinet de vérificateurs a été condamné à verser la somme de 100 millions de dollars; il s'est pourvu en appel. Voilà un cas où quelqu'un a établi un devoir de vigilance directe.
Le sénateur Oliver: Effectivement très direct.
Le président: C'était un acheteur éclairé.
M. Love: Normalement, c'est très limité. En général, au Royaume-Uni, on a tendance à se demander si le jugement Caparo ne définirait pas la chose de façon trop étroite. Partant, les jugements qui ont suivi n'ont pu que confirmer celui-ci.
Le sénateur Oliver: Et quelle différence font-ils avec les principes de Hedley Byrne?
M. Love: Les tribunaux ont soutenu que, tant en ce qui concerne la cause que je viens de vous mentionner que la cause Caparo, cette position est largement conforme aux principes de négligence de Hedley Byrne. La phrase employée -- et je crois qu'elle a été constamment reprise dans les autres causes --, c'est qu'il est déraisonnable d'imposer à quelqu'un une obligation indéterminée envers un groupe indéterminé de gens.
Le président: Pensez-vous que vous en aurez terminé après avoir effectué cette étude plus large, de nature plus économique? Permettez-moi de la baptiser d'étude «de nature commerciale».
M. Love: Je ne puis vous le dire. C'est une question à laquelle un ministre devra répondre.
Le président: Il semble, pour l'essentiel, que vous vous trouvez dans la même situation que nous, si ce n'est que nous faisons l'objet de pressions pour recommander une politique à notre gouvernement, sans doute en mai ou juin de l'année prochaine. Auriez-vous des conseils à nous donner sur la façon dont nous devrions procéder pour cela?
Mais, surtout, nous aimerions que vous nous teniez informés de ce qui se passe ici. Cela nous aiderait beaucoup de savoir ce qui se passe chez vous, pendant que nous poursuivons notre démarche qui devrait nous conduire à formuler une recommandation en mai ou juin.
M. Love: Nous en serions heureux. Quant à l'avenir, je ne puis vous dire si les ministres parviendront à s'entendre sur la teneur d'une annonce avant janvier, ou plus tôt.
Le sénateur Angus: Quand les élections seront-elles déclenchées?
M. Love: D'ici le début mai.
Le sénateur Meighen: Et la campagne dure 30 jours?
M. Love: Oui.
Le sénateur Angus: Vous ne changez pas quand le gouvernement change, n'est-ce pas?
M. Love: Non.
Le sénateur Angus: Donc, ce projet ne s'éteindra pas avec les élections?
M. Love: Non, et dans tous les cas l'initiative de l'extérieur, comme vous le savez, se poursuivra.
Le président: Donc le problème ne va pas disparaître?
Le sénateur Kenny: On dirait que vous envisagez un délai de plus d'un an.
M. Love: Pour l'instant, cette question ne fait pas l'objet d'un débat politique.
Le sénateur Angus: Mais c'est une question envers laquelle le Parti travailliste se montrera peu sympathique.
M. Love: Elle en irrite plusieurs ainsi que d'autres partis au Parlement, ceux qui n'ont pas de temps à consacrer aux professions libérales, mais pour l'instant, elle ne fait certainement pas l'objet de débat politique.
Le président: C'est la même chose chez nous.
Le sénateur Angus: Je viens juste de remarquer qu'il est indiqué, dans le rapport Burrows, qu'il s'agit d'une étude de faisabilité initiale.
Le sénateur Meighen: C'est d'ailleurs ce qu'il nous a déclaré ici. Il nous a dit que son étude avait simplement pour objet de déterminer si la question méritait une étude plus complète.
Le président: Et il en est arrivé à la conclusion très nette que ce n'était pas nécessaire d'aller plus loin.
M. Whittington: C'est ainsi que les choses ont débuté, mais quand nous nous sommes rendu compte à quel point cette étude permettait de faire avancer le débat, nous avons décidé de la publier pour consultation et le débat s'est poursuivi.
M. Love: La question est de savoir si nous répondons par l'affirmative ou la négative à cette lettre et de déterminer quelles possibilités nous pourrions explorer si nous ne refusons pas.
Le président: À l'évidence, vous espérez qu'une réponse sera fournie à cette lettre avant Pâques. Vous avez dit que vous ne vous attendiez pas à avoir quoi que ce soit avant janvier. Risque-t-on de mettre tout cela de côté jusqu'au lendemain des élections?
M. Love: Non, je crois que ce serait un peu long, si l'on envisage une élection en mai. Ici, on s'attend à ce qu'on fasse une annonce, à la suite de cette lettre collective et de celle des six grands cabinets comptables. Je ne sais pas jusqu'à quel point une telle situation peut être importante dans votre système, mais chez nous, les répercussions se font sentir sur un grand nombre de parties différentes du gouvernement, si bien qu'il y aura beaucoup de discussions entre les ministres.
Le président: Est-ce que je me trompe, madame Harrison, en disant que, chez nous, seul le ministère de l'Industrie et le ministère des Finances sont concernés?
Mme Trish Harrison, Industrie Canada: Le problème a été soulevé à l'occasion de la faillite de deux grandes institutions financières et en regard de toute la profession de vérificateur. Notre loi sur les sociétés par actions précise les responsabilités des administrateurs et des dirigeants d'entreprises, qui sont également visées par le droit provincial de la responsabilité délictuelle, qui correspond à une responsabilité conjointe et solidaire, si bien que les vérificateurs et les institutions financières ne sont pas les seuls concernés. Cela viserait beaucoup plus de personnes.
Le président: Traditionnellement, quand le droit fédéral change, le droit provincial change également, dans une grande mesure, à l'exception du Québec, parce que c'est un système de droit civil. Il y a donc un phénomène d'enchaînement. Ce n'est pas nécessaire, mais c'est ce qui se produit parce que les entreprises se tournent vers les provinces et réclament un seul régime à l'échelle du pays.
Mme Harrison: Je ne suis pas certaine de ce qu'est la situation ici, mais au Canada, le droit de la responsabilité délictuelle est régi par les provinces, et pas par le gouvernement fédéral, si bien qu'il y a une petite différence. Comme vous le savez certainement, le droit de la responsabilité délictuelle dans les provinces s'articule autour de la responsabilité conjointe et solidaire, ce qui n'est pas le cas à l'échelon fédéral. Il y a donc une différence.
M. Love: L'une des raisons pour lesquelles les signataires de la lettre ont demandé à ce qu'on effectue notre étude, c'est qu'ils voulaient garder le dossier ouvert, car les vérificateurs avaient vraiment peur qu'on conclue rapidement à l'encontre de leurs intérêts, et ils voulaient donc qu'on puisse en rediscuter après l'élection. Ce qu'ils voulaient, c'est qu'on ne ferme pas le dossier.
Le sénateur Oliver: Willard Estey, ancien juge de la Cour suprême du Canada, a employé le mot «d'équité» dans son exposé au nom des vérificateurs. Il nous a invités à envisager toute la question sous l'angle de la nouvelle doctrine d'équité. Celle-ci revient à dire qu'une personne ayant été trouvée responsable à 1 p. 100 ne doit pas devoir payer la totalité des dommages et intérêts. Il est intéressant qu'il ait employé ce terme dans un sens totalement contraire à celui que vous lui donnez et que lui a donné le professeur Burrows.
M. Love: Ce qu'il y a de merveilleux, dans le cas du projet du professeur Burrows, c'est qu'il nous a permis d'évoluer dans notre façon de voir les choses.
Le président: Nous serions très heureux d'être tenus au courant de vos progrès. Nous vous écrirons quand nous arriverons au Canada. Malheureusement, après une annonce par les ministres, il nous faudrait peut-être attendre deux, trois voire quatre semaines avant de faire le point sur cette annonce.
Le sénateur Meighen: N'est-ce pas là un travail que notre haut commissariat est censé faire?
Le président: Je ne suis pas un supporteur des affaires étrangères. Peut-être pourrions-nous nous entendre pour que quelqu'un nous envoie simplement une copie. Je pense qu'il est important que nous nous tenions au courant de ce qui se passe, tout au long de notre démarche.
M. Love: Nous le ferons avec plaisir. Nous serons très heureux de garder officieusement le contact avec vous, par le truchement de votre secrétariat. Le rapport de la Commission de réforme du droit de l'Ontario, publié en 1988, a été très utile à Andrew, dans son travail de réflexion, et nous tenons à ce que vos ministres prennent connaissance de votre évaluation dans les délais voulus.
Le sénateur Hervieux-Payette: Nous produirons peut-être un rapport avant qu'ils ne se prononcent.
Le président: Après que les comptables ont réussi à rallier les députés, ils pensaient que ce serait «partie gagnée» avec nous, parce que nous sommes tous des gens d'affaires et ils s'imaginaient donc que nous partagerions leur point de vue. Mais, tout de suite après la première partie de nos audiences publiques, il est devenu très clair que si nous avions dû voter à ce moment-là, ils auraient perdu par 12 voix à zéro. Nous leur avons alors indiqué qu'il nous fallait envisager tout l'éventail des options envisageables, ce avec quoi ils se sont soudainement dit d'accord, parce qu'ils se sont rendu compte que s'ils ne participaient pas au débat, ils seraient les grands perdants.
J'ai l'impression que nous appliquons la même stratégie, des deux côtés de l'Atlantique.
M. Love: Effectivement, je crois que nous sommes dans des situations tout à fait semblables.
Le sénateur Oliver: Je suis sûr que le sénateur Kirby va recevoir une lettre signée par les six grands cabinets comptables, à son retour.
Le président: Très franchement, nous craignions de nous faire damer le pion par ceux qui avançaient un argument que nous avons trouvé plutôt probant au début, à savoir que l'Australie l'a fait, que malgré le rapport Burrows, vous allez le faire également et que les États-Unis sont sur le point de le faire.
Quand le président de l'Institut canadien des comptables est venu nous rencontrer pour soutenir cette position, nous avons instinctivement cru que, pour des raisons de compétitivité commerciale, nous étions aux prises avec un problème et qu'il fallait le régler. Nous avons donc affaire à une stratégie intelligente qui consiste à mettre tout le monde sur les dents et à provoquer un effet de domino. Je ne blâme personne d'agir ainsi, mais je suis heureux d'avoir pu recueillir votre opinion. Nous disposons à présent de points de vue un peu plus équilibrés sur ce dont il en retourne.
M. Love: Bien sûr, vous en êtes encore à la moitié de votre enquête, mais, pour notre part, nous retiendrons que vous êtes assez sceptiques. Est-ce que je me trompe?
Le président: Pas du tout.
M. Love: Voilà une rencontre qui aura été fort utile.
Le président: Merci. Merci d'avoir pris le temps d'être venu nous rencontrer.
La séance est levée.