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BORE

Sous-comité de la Forêt boréale

 

Délibérations du sous-comité de la
Forêt boréale
du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 2 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 20 mars 1997

Le sous-comité de la forêt boréale du comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 16 heures pour poursuivre son examen de l'état actuel et futur des forêts au Canada, notamment de la forêt boréale.

Le sénateur Doris Anderson (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Cet après-midi, nous entamons la seconde séance des audiences sur la forêt boréale du Canada et je vous souhaite la bienvenue. Jeudi dernier, nous avons entendu M. Jacques Carette, directeur général, Direction générale des politiques, de la planification et des affaires internationales, Service canadien des forêts, Ressources naturelles Canada, qui nous a donné le point de vue du gouvernement fédéral sur les forêts du Canada.

Nous avons le plaisir aujourd'hui d'accueillir M. Michael Apps, chercheur scientifique principal, Ressources naturelles Canada, qui nous parlera des changements climatiques à l'échelle de la planète, ce qui devrait s'avérer fort intéressant.

Monsieur Apps, vous avez la parole.

M. Michael Apps, chercheur scientifique principal, Ressources naturelles Canada: Madame la présidente, mesdames et messieurs, c'est un plaisir et un honneur pour moi de vous exposer certains des développements scientifiques concernant le rôle des forêts canadiennes et le changement de climat sur la planète.

Je vous parle en tant que scientifique. Le rôle de la science n'est pas de donner des conseils ou des orientations en matière de politique, mais de vous informer des conséquences des décisions et de vous éclairer sur le rôle qui peut être le vôtre pour déterminer l'avenir.

Toute information que je vous donnerais en matière de politique le serait à titre personnel plutôt qu'en tant qu'employé du gouvernement, car il ne m'appartient pas de m'occuper de politique. Je pense toutefois que ce que j'ai à dire aura des conséquences considérables pour les décisions d'ordre politique et j'espère que mon exposé vous sera utile.

J'ai grandi dans les forêts de la Colombie-Britannique et pour moi, les forêts représentent le Canada. Nous sommes définis par elles. C'est le monde dont nous sommes partie intégrante.

Je voudrais vous citer un extrait d'un exposé de M. D'Arcy Linklater, chef de la bande des Premières nations de Nelson House. Les sentiments qu'il exprime sont importants pour les forêts canadiennes. Il dit:

Les légendes de notre culture abondent d'images de gens, de plantes et d'animaux, qui, tous ensemble, façonnent l'environnement naturel et entretiennent la vie.

Pour moi, cette définition englobe ce que nous, Canadiens, sommes, qu'il s'agisse des Premières nations ou non. Les forêts font partie de notre environnement.

La citation continue:

Nous qui vivons en cette période de réchauffement planétaire, demandons au Créateur de nous accorder compréhension et sympathie, claire vision de l'avenir et sensibilité, sagesse, force et courage. Il nous incombe de nous respecter mutuellement, de nous traiter avec dignité pour nous donner la liberté, le droit et la possibilité d'enrichir notre vie au plan matériel, culturel et spirituel.

Commençons donc par reconnaître que les forêts font partie de l'image que nous avons de nous-mêmes et de celle que nous donnons au monde.

Le sénateur Spivak: Pouvez-nous nous indiquer le titre de ce document, s'il vous plaît?

M. Apps: Il est intitulé «Forêts boréales et changement planétaire». C'est un document très technique, et il donne des renseignements d'ordre scientifique sur l'impact des décisions humaines sur le sort de nos forêts.

Le sénateur Taylor: Traite-t-il uniquement du Canada?

M. Apps: C'est un ouvrage canadien, mais un grand nombre de savants russes y ont également contribué.

Je voudrais vous parler aujourd'hui de trois thèmes principaux. Le premier, à savoir, d'une façon générale, le rôle des forêts dans le climat et ses changements; le second, l'impact des changements climatiques sur les forêts canadiennes et nos prévisions sur ce qu'il adviendra d'elles; le troisième, l'établissement d'un lien entre le changement climatique, les forêts et le développement durable, pour définir quels sont, d'un point de vue scientifique, les rôles des forêts, du développement durable et du changement climatique.

Au fur et à mesure que je passerai en revue ces trois thèmes, j'aborderai des questions scientifiques et les problèmes qui se posent -- ce que nous savons et ce que nous ignorons -- les conséquences à envisager quand vous prenez des décisions, les problèmes qui risquent de se poser, toutes choses qui, d'un point de vue scientifique, ont de fortes chances de se produire et exerceront une influence sur la prochaine génération de décideurs.

Les forêts, par rapport au climat, servent essentiellement de filtre à l'air, à l'eau et à divers polluants. Elles font partie du cycle naturel de purification de l'air et de l'eau et fournissent ces ressources aux animaux et aux êtres humains. Elles échangent des gaz de serre autres que du gaz carbonique et jouent un rôle considérable dans le système climatique dont je vais parler. C'est ainsi que les incendies de forêt rejettent de la suie dans l'atmosphère sous forme de carbone et de particules. C'est là l'un des rôles naturels du cycle, et j'aborderai également ce sujet.

Je vais maintenant parler des changements climatiques et des forêts. Les trois diagrammes que je vais projeter vous expliquent l'importance du carbone et chacun contient un message important.

Le premier diagramme vous présente les changements qu'ont subis le climat et le gaz carbonique de l'atmosphère, il y a 160 000 ans. Ce sont des mesures faites sur des bulles de glace. L'une de ces lignes représente la température de la planète qui, par rapport à aujourd'hui, variait entre -10 degrés et +5 degrés. Ce sont là les fluctuations qui se sont produites quand on remonte 160 000 ans en arrière. Il y a eu deux grandes périodes de glaciation, puis un réchauffement.

Ce diagramme montre également le gaz carbonique de l'atmosphère, qui évolue parallèlement à la température. À l'époque, il s'établissait entre 180 et 280. Actuellement, il est de 360 et dépasse le sommet de la courbe.

Si le gaz carbonique et la température vont de pair et que la température présentait une variation pareille, il pourrait y avoir une conséquence et nous devons nous préoccuper des répercussions de la température actuelle.

C'est pourquoi la première information que nous devons en tirer, c'est que la température et le carbone vont de pair et que nous dépassons déjà de loin ce que le monde a vu au cours des 160 000 dernières années.

La deuxième information que nous en retirons, c'est la quantité de carbone qui, en raison de nos activités industrielles, a été rejetée dans l'atmosphère au cours des 100 dernières années. Vous trouverez sur ce tableau une illustration des rejets de gaz carbonique. Ce ne sont pas tellement les chiffres qui importent, que l'augmentation assez rapide et c'est cela qui a fait passer le gaz carbonique dans l'atmosphère de 280 à 360, comme le montre ce diagramme, et qui nous préoccupe à propos de la température. Vous voyez là, sous une forme très ramassée, le problème du changement climatique.

La troisième information, c'est la quantité de ces rejets qui restent dans l'atmosphère. Ce diagramme vous donne les mesures directes de gaz carbonique dans l'atmosphère, ce dernier étant le gaz de serre. Nous constatons son augmentation. Ce sont là des mesures directes, prises à Mauna Loa, à Hawaii, de 1955 à 1985, et ces fluctuations représentent les fluctuations réelles d'année en année. Je vous donnerai là-dessus quelques explications dans un instant.

Là encore, vous constatez à quel point le gaz carbonique dans l'atmosphère augmente: en 1985 il était déjà de plus de 340 particules par million.

Les autres courbes de ce diagramme illustrent le total des rejets, l'un étant d'origine fossile, l'autre dû au changement de l'utilisation des terres. Il y a un moyen d'additionner qui vous fait obtenir ce chiffre.

Le sénateur Spivak: Vous parlez seulement de gaz carbonique, mais est-ce là le seul rejet?

M. Apps: Il s'agit ici de carbone, non de gaz carbonique, mais il y en a d'autres, effectivement.

Le sénateur Spivak: Si vous introduisiez les autres gaz, ce graphique se présenterait-il différemment?

M. Apps: Non, la courbe serait exactement la même.

Ce graphique illustre la présence de gaz carbonique dans l'atmosphère et en montre les fluctuations d'une année à l'autre. Nous voyons d'abord un point à la surface, puis les données de toute la planète. Cette ligne montre le gaz carbonique dans l'atmosphère et celle-là montre la date, allant de 1981 à 1995, années record. Ce sont là les données du pôle Sud au pôle Nord, et vous comprendrez donc pourquoi j'appelle ce graphique le tapis volant.

Imaginez qu'un médecin, venu du cosmos, mette un masque sur notre planète pour mesurer sa respiration: vous avez là un graphique qui vous montre comment la planète inspire et expire du gaz carbonique.

Quand le niveau de gaz carbonique est élevé dans le Nord, nous sommes en hiver. La planète rejette du gaz dans le Nord. Les arbres y sont encore dormants, mais pendant ce temps, ceux du Sud inspirent du gaz carbonique, mais comme il n'y a pas beaucoup d'arbres là-bas, les hauts et bas ne sont pas très marqués. Tout ce que nous voyons dans les régions méridionales, c'est l'océan qui inspire et expire, mais les écarts ne sont pas aussi prononcés que pour les forêts septentrionales.

Ce graphique illustre donc la façon dont la planète inspire et expire et c'est ce qui cause cet effet d'entrée et de sortie.

Le sénateur Spivak: Est-ce que vous voulez dire qu'il y a beaucoup moins d'arbres dans le Sud?

M. Apps: La plus grande superficie de la planète, dans le Sud, est constituée d'eau. La principale façon, pour le carbone, d'entrer et de sortir est de passer par des cellules vivantes, et le processus en question est la photosynthèse. Celle-ci se produit dans l'océan avec le phytoplancton, mais ce n'est pas une méthode d'absorption aussi puissante que le sont les forêts et les herbages des systèmes terrestres.

Le sénateur Spivak: Est-ce que vous entendez par là que les forêts septentrionales sont plus importantes?

M. Apps: Ces données montrent qu'il y a plus d'échanges, dans un sens et dans l'autre, dans le Nord que dans le Sud, la principale différence entre ces deux zones étant qu'il y a plus de surface terrestre dans le Nord, et c'est ce qui explique le processus.

Un phénomène semblable se produit avec le méthane, autre gaz de serre, mais je n'en parlerai pas. C'est un problème, mais pas aussi important pour les forêts que le gaz carbonique.

Qu'est-ce qui cause l'accumulation de carbone dans l'atmosphère? Ce diagramme montre que la quantité totale de carbone qui reste dans l'atmosphère augmente également avec le temps. La ligne noire montre l'augmentation réelle de gaz carbonique dans l'atmosphère, quand on élimine les variations annuelles. Ce sont les données réelles montrant combien il y a de carbone dans l'atmosphère.

La ligne rouge est un ensemble indépendant de données, illustrant la quantité de carbone que nos activités industrielles rejettent chaque année dans l'atmosphère. Ce n'est pas de la biosphère, c'est du ciment de combustible fossile. La moitié du carbone reste là et il faut donc faire intervenir un facteur d'ajustement pour faire correspondre les deux lignes, à savoir une multiplication d'environ 0,4 pour les faire se rencontrer à ce point, mais vous constaterez qu'au-delà, sur la courbe montante, les deux lignes se rejoignent. L'explication, c'est que l'accumulation dans l'atmosphère est liée à la quantité de carbone que nous y rejetons.

Je vais vous expliquer dans quelques instants quel est le rôle des forêts dans tout cela. Vous constaterez qu'en certains endroits, la ligne noire ne recouvre pas exactement la ligne rouge. Quand cette aberration a été constatée, on a espéré que les choses allaient se corriger d'elles-mêmes. Certains pensaient même que le problème n'était que transitoire, mais des données plus récentes montrent que la ligne noire se rapproche de nouveau de la ligne rouge. Ces écarts montrent que le processus de respiration de la planète est différent, qu'il se produit un feedback biologique.

C'est donc par suite d'activités humaines que le gaz carbonique dans l'atmosphère augmente.

La prochaine diapositive vous présente les chiffres sous un éclairage légèrement différent: nous y voyons les rejets des combustibles fossiles et la production de ciment, des évaluations des changements d'utilisation des terres et la quantité de carbone que nous avons consommée avec le déboisement de diverses régions du monde, surtout les régions tropicales. Il s'agit là de sept gigatonnes au total, soit une quantité énorme que nous rejetons chaque année. Sept gigatonnes de carbone, c'est l'équivalent d'une combustion totale, chaque année, des forêts de la Colombie-Britannique, combustion qui ne laisserait aucun résidu de carbone. C'est là une quantité considérable.

Une moitié seulement reste dans l'atmosphère. Nous sommes relativement certains que le phytoplancton et les processus d'échanges, dans l'océan, consomment deux gigatonnes. Il en reste donc environ deux. Certains chercheurs ont fait des études qui les ont amenés à penser que le carbone, d'une certaine façon, s'accumule dans les forêts de l'hémisphère nord. Ces chiffres s'ajoutent à la respiration normale, inspiration et expiration, de la planète. Ce sont les unités supplémentaires de carbone que nous introduisons qui semblent disparaître. Or il nous est impossible de détruire ou de créer du carbone: il faut bien qu'il aille quelque part.

C'est pourquoi si les forêts reçoivent deux gigatonnes de carbone, pouvons-nous compter sur elles pour continuer à absorber cela?

Le sénateur Spivak: Si ce carbone ne disparaissait pas, suffirait-il à causer un réchauffement incontrôlable?

M. Apps: Ce n'est pas le réchauffement incontrôlable qui est tout à fait le problème, mais si les flèches descendantes ne fonctionnaient plus, les flèches ascendantes augmenteraient. C'est là que réside le problème des forêts.

Les forêts, avec la photosynthèse, absorbent le carbone et c'est la seule façon dont le carbone est absorbé. Les feuilles vertes inspirent le carbone sous forme de gaz carbonique. Cinquante pour cent de la matière sèche des arbres est de carbone; il ne provient pas des racines, mais de l'atmosphère.

Il y a toutefois de nombreux processus par lesquels le carbone retourne dans l'atmosphère. Les arbres respirent pendant l'hiver, de même que leurs racines, les détritus qui jonchent le sol des forêts et les matières que nous recueillons dans les forêts et transformons en produits. Il y a donc bien des façons dont le carbone peut être dégagé dans l'atmosphère, et une seule façon dont il peut être absorbé. C'est la raison pour laquelle les forêts sont importantes.

La question n'est pas de savoir combien de carbone il y a dans les arbres, le sol, la tourbe ou les produits forestiers, mais la différence nette entre toutes les flèches rouges et cette unique flèche verte. C'est le changement net qui est important. En l'examinant, nous pouvons effectivement évaluer comment le carbone change.

Le problème, c'est que les changements climatiques peuvent se répercuter sur les forêts. Cette diapositive montre la forêt boréale vue du Canada. Si le climat modifie ces forêts, celles-ci se transformeront en autre chose. Qu'adviendra-t-il alors des bassins de carbone et en quoi consistera le changement?

Comment les êtres humains, par leur action sur le climat, influent-ils sur les forêts? Au cours du prochain siècle les changements climatiques auront, chez les forêts canadiennes, un impact beaucoup plus grand que ne le soupçonnent la plupart des gens.

Le sénateur Taylor: Avez-vous fait une comparaison entre l'absorption de carbone par les forêts et l'absorption de carbone par les champs de céréales?

M. Apps: Oui, je vais en parler un peu plus tard, mais je peux déjà vous en donner une idée. Les arbres absorbent le carbone pendant 100 ans avant de le dégager. Ils inspirent lentement, le retiennent longtemps, puis l'expirent. Les céréales inspirent et expirent chaque année, et la quantité emmagasinée pendant cette période est relativement limitée.

Il y a deux méthodes principales de projeter comment les forêts changeront: l'une est dite biogéographique, et il s'agit là de modèles, car on n'a pas de chiffres sur ce qui se produira.

Comme le disait G. Baskerville: «Le dilemme de l'humanité, c'est que tous les faits appartiennent au passé, mais que les décisions doivent être prises pour l'avenir, pour lequel les faits ne sont pas encore connus.» Nous n'avons pas de données pour l'avenir, et c'est là la cause du dilemme dans lequel vous allez vous trouver.

Les méthodes biogéographiques s'efforcent de projeter les changements dans la répartition des forêts, la couverture de celles-ci, en quelque sorte, en faisant généralement une corrélation entre le climat et la végétation existante. Leur principale utilité, c'est d'examiner la sensibilité de la forêt aux changements climatiques. Ces méthodes ne prévoient donc pas ce qui sera, mais dans quelle mesure il pourrait y avoir changement. C'est une méthode bien imparfaite pour prédire ce que sera la forêt.

Les prémisses pour ces modèles, c'est que le climat et les forêts resteront stables et tels quels, mais aucune de ces prémisses ne sera valable avec les cas de figure que nous évoquons. Il est posé en hypothèse que l'avenir sera semblable au passé.

J.P. Kimmins a dit que l'utilisation de relations empiriques pour prédire la croissance future des arbres est comme conduire une voiture en utilisant le rétroviseur. Cela pourrait fonctionner dans les Prairies, mais ça ne marche pas très bien dans les Rocheuses, et ça ne fonctionnera pas non plus pour évaluer les changements climatiques futurs. Nous ne pouvons pas nous fier aux données antérieures pour prédire ce qui se passera à l'avenir.

J'en viens maintenant à la question de savoir quel serait l'impact possible des changements climatiques sur la forêt boréale. Pour ce faire, je me fierai à une très vaste communauté de scientifiques, le Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat. Ce groupe rassemble des milliers de scientifiques et de chercheurs universitaires travaillant pour les gouvernements et l'industrie. Ce groupe a produit un deuxième rapport d'évaluation en 1995. Les conclusions sur la forêt boréale sont les suivantes:

Premièrement, les changements climatiques sont susceptibles d'avoir l'impact le plus important sur les forêts boréales. Cette communauté de scientifiques estime que cette affirmation est tout à fait valable.

Deuxièmement, les limites forestières septentrionales vont probablement progresser très lentement vers la toundra. On croit également que cette affirmation est fort valable.

Troisièmement, une plus grande incidence d'incendies et de parasites -- c'est-à-dire les insectes, les maladies, et cetera -- va probablement réduire l'âge moyen, la biomasse et l'emmagasinage de carbone de cette forêt, ses conséquences se faisant notamment sentir à la limite méridionale.

C'est compréhensible, parce qu'à la limite méridionale, les choses meurent plus rapidement. Dans le Nord, les choses mettent beaucoup de temps à repousser, alors l'impact le plus vif se fera sentir dans le Sud, c'est-à-dire là où nous habitons. La confiance de ces scientifiques dans cette affirmation est moyenne. Il est très difficile de faire des projections avec l'information que nous détenons actuellement.

Quatrièmement, la productivité primaire nette -- c'est-à-dire le taux auquel la végétation pousse -- là où la pluie est suffisante, va probablement augmenter. Cependant, même là où elle augmente, il y aura probablement une perte nette de carbone parce que bien que les arbres poussent plus vite, il y a augmentation de la décomposition. Les plantes expirent l'air plus vite qu'elles ne l'inspirent. Or, même s'il y a amélioration à court terme, il y aura plus de carbone rejeté dans l'atmosphère. On a moyennement confiance en cette affirmation.

Ce sont des affirmations très percutantes.

Le sénateur Taylor: Pour ce qui est de ce que vous avez dit à propos du nombre accru d'incendies, lors de nos audiences partout au pays, nous avons entendu des gens se plaindre que le contrôle des incendies est si efficace qu'une masse est en train de croître sur le sol des forêts.

M. Apps: Je vais vous montrer des données à ce sujet dans quelques instants.

L'autre façon de projeter la réaction de la forêt est l'approche dite dynamique. Par cette approche, nous essayons de surveiller l'état des choses au fur et à mesure des changements. Nous estimons ce que seront les conséquences d'une action donnée. Nous n'essayons pas de faire de prédictions. Nous essayons d'évaluer comment la forêt réagira à certains comportements. C'est de loin la meilleure façon de procéder, mais c'est un problème scientifique très difficile. Ce n'est pas que nous n'avons pas suffisamment de connaissances; c'est que nous posons des questions qui n'ont jamais été posées auparavant. Au Canada, nous sommes aux prises avec ce problème tant dans le monde universitaire que dans les ministères gouvernementaux à vocation scientifique. C'est une tâche très difficile.

Une mauvaise utilisation de cette approche serait de faire des prédictions absolues.

M. J. Maini, un scientifique à la retraite du Service canadien des forêts, avait dit un jour que sans capacité de prédiction, nous sommes comme des voitures qui accélèrent la nuit sur une route pleine de courbes -- nous devons faire attention de ne pas aller plus vite que nos phares ne le permettent.

Nous devons utiliser nos meilleures connaissances dans notre regard vers l'avenir.

Je vais maintenant vous montrer l'état actuel des connaissances en matière de prédiction de réaction des forêts. Cette diapositive vous montre la forêt boréale du Canada telle qu'elle apparaît aujourd'hui. On a ombré la Colombie-Britannique parce que les données utilisées pour ce modèle particulier n'étaient pas suffisantes pour traiter de la Colombie-Britannique et ses montagnes. Ce travail a été fait par deux scientifiques d'Environnement Canada.

La deuxième illustration montre les forêts telles qu'elles seraient avec un climat comportant le double de CO2. Si le climat était en équilibre, et si on permettait aux forêts de pousser suffisamment longtemps pour leur permettre de trouver l'équilibre et si tout fonctionnait exactement de la même façon que par le passé, l'avenir ressemblerait peut-être à ceci.

Je ne suis pas en train de vous dire que c'est exactement ce qui se passera, mais là où il y a changement de couleur et de distribution des forêts, la forêt telle qu'elle existe aujourd'hui essaie de se transformer en un type différent parce qu'elle est stressée.

Il y a différentes sortes de stress. Si je vous donnais un million de dollars, vous seriez stressés, bien que ce serait bon pour vous d'une certaine façon. Si je vous enlevais tout votre argent, vous seriez également stressés. La même chose est vraie des forêts en ce sens qu'elles ne se comportent pas de la même façon selon la sorte de stress qu'elles subissent.

Il ne s'agit pas ici d'une prédiction de ce à quoi ressemblera la forêt. C'est une prédiction de la sensibilité d'une forêt. Il y a de gros changements à l'horizon ici, et ce n'est qu'un seul modèle.

Le sénateur Spivak: Je ne comprends pas ce que représentent les couleurs sur ce diagramme. S'agit-il de différentes sortes de forêts? D'herbages? Est-ce que ce serait un désert?

M. Apps: Nous voyons ici les herbages tels qu'ils existent maintenant, c'est-à-dire les Prairies. Dans ce scénario, elles auraient empiété sur presque toute la forêt boréale de la Saskatchewan et du Manitoba. Vous auriez beaucoup de difficulté à trouver de la forêt boréale dans les plaines centrales. Le peu qui resterait serait là-bas. Les arbres ne se déracinent pas d'eux-mêmes pour déménager. Si les modèles sont exacts, ce climat sera ici dans 100 ans. Les arbres ne se déplaceront pas d'ici à là en 100 ans.

Un autre aspect important de ce scénario est que les forêts de la zone tempérée se déplaceraient soudainement ici. Voilà l'ordre de grandeur des changements des conditions climatiques que nos forêts sont susceptibles de subir selon un scénario climatique particulier.

Le sénateur Taylor: Est-ce que cela tient compte des différentes conditions du sol?

M. Apps: Non.

Le sénateur Taylor: Après tout, cela suit le Bouclier canadien.

M. Apps: Non, ce n'est pas le cas.

Le sénateur Spivak: Il ne s'agit pas de pergélisol ou de toundra?

M. Apps: Non, pas du tout.

Le sénateur Spivak: Comment savons-nous que les forêts peuvent pousser dans ces endroits?

M. Apps: C'est exactement la bonne question. En fait, vous m'avez préparé le terrain.

Le premier diagramme nous montre où nous en sommes maintenant et le deuxième où les choses veulent aller dans les 100 prochaines années. Nous voulons pouvoir examiner le changement au fur et à mesure qu'il se déroule et changer cette flèche afin de nous assurer que nous nous dirigeons dans la bonne direction. Cependant, c'est un travail très difficile. C'est la tâche très épineuse de la science actuellement. C'est le défi qui se dessine à l'horizon.

Il ne s'agit pas simplement de la façon dont le climat change mais de la façon de traiter la forêt; notre façon de voir la forêt, de travailler avec elle, de l'utiliser pour notre bénéfice tout en la préservant pour le bien de nos enfants. C'est ce que signifie la gestion durable.

Le sénateur Spivak: Est-ce que quelqu'un s'intéresse à ce que nous devons faire afin de maintenir la forêt pendant 100 ans?

M. Apps: C'est une excellente question. Le groupe sur l'évolution du climat auquel je participe au sein du gouvernement travaille conjointement avec les universités justement pour s'attaquer à ce problème. L'Initiative sur la science du changement climatique du Service canadien des forêts essaie précisément de répondre à cette question, mais elle est très épineuse.

Le sénateur Spivak: Ce n'est pas l'impression que j'ai lorsque j'écoute les déclarations politiques qui semblent s'orienter vers une exploitation immédiate. J'espère que cette attitude atteint la surface. Je suis très contente de l'apprendre.

M. Apps: Je n'ai aucun intérêt personnel dans cette question, mais je crois qu'il y a des gens dans l'industrie et au gouvernement qui nous écoutent maintenant, et c'est parce que de nombreux scientifiques comme moi-même disent que nos enfants et nos petits-enfants seront touchés par ces changements. Nous disons que nous croyons qu'il y a quelque chose qui se passe et que nous devons y prêter attention. Les scientifiques au sein du gouvernement essaient certainement de le faire. Je suis fier de pouvoir vous dire que le groupe auquel j'appartiens travaille très fort en ce sens.

Pour réaliser les changements proposés, il nous faut considérer les facteurs dynamiques. Les changements sont causés par les perturbations que sont les incendies, les insectes, l'exploitation forestière, le bois chablis, les inondations et tout le reste.

Certains de ces phénomènes sont naturels et se produisent sans l'intervention de l'homme, mais ils subissent quand même l'influence de nos activités. L'exploitation forestière est une activité à peu près réservée à l'homme, mais ce n'est qu'une des nombreuses choses que nous faisons. Ce sont les effets directs.

Il ne s'agit pas de savoir si ces perturbations existent ou non; il s'agit de voir comment elles changent avec les années. Pour ce qui est du changement global, en général, et du changement climatique, en particulier, il s'agit de voir comment nous changeons ces facteurs et quelle influence nous exerçons sur eux.

Il s'agit d'établir la différence entre le changement climatique, car c'est cela que nous faisons, et le climat, qui se trouve tout simplement être là. Nous devrons savoir quelles sont les conséquences des gestes que nous posons.

Nous savons que le feu est une de ces perturbations, et le tableau que je vous présente maintenant est le compte rendu des superficies brûlées annuellement de 1930 à 1990.

Comme vous pouvez le constater, il n'y a pas de constante; les choses changent d'année en année. Pendant les décennies 80 et 90, il y a eu quelques énormes incendies. En 1994, il y a eu quelques gros incendies. En 1991, environ cinq millions d'hectares ont brûlé. C'est plus que la superficie de certains pays européens. Ces incendies n'ont pas été causés par la main de l'homme. Nous avons réussi à en éteindre quelques-uns, mais pas d'autres. Les incendies de forêt se produisaient bien avant que l'homme n'arrive sur la scène.

Le sénateur Taylor: Avez-vous des preuves qu'on a permis à certains incendies de se propager et que rien n'a été fait pour les arrêter?

M. Apps: Nous étudions déjà cette question. D'après mes renseignements, nous avons très bien réussi à défendre certaines superficies contre les effets d'incendies naturels, mais dans d'autres nous avons tout simplement manqué d'efficacité. Cinq p. 100 des incendies ont causé 95 p. 100 des dégâts. Nous pouvons éteindre 95 p. 100 des incendies, mais les 5 p. 100 d'incendies que nous n'arrivons pas à maîtriser causent des dégâts énormes.

Il ne s'agit pas de savoir si nous faisons bien ou mal les choses. Si la forêt doit brûler de toute façon, est-ce que nous avons raison d'essayer d'éviter la propagation de l'incendie? Il s'agit de savoir si nous augmentons la probabilité de feux de forêt à cause du changement climatique, en particulier.

Il n'y a pas que les incendies qui causent ces changements. Le diagramme que je vous montre maintenant est un peu différent du précédent. Beaucoup des grands pics constatés d'une année à l'autre tendent à se rapprocher d'une moyenne. On a ici la moyenne mobile sur cinq ans et c'est pour cela qu'on ne constate pas d'énormes fluctuations. Ici, ça va de 1920 à 1990. Nous y retrouvons la même moyenne qu'il y avait dans le graphique précédent pour les incendies. Quand on en fait une moyenne, ça aplanit un peu les hauts et les bas.

Comme je l'ai dit, il ne s'agit pas que d'incendies. Des forêts entières ont été détruites par des insectes. Les insectes ont fait la même chose à différentes époques en des endroits différents. Pendant les années 40 et vers la fin des années 70, il y a eu une énorme infestation de tordeuses de bourgeons de l'épinette dans l'Est du Canada. Les insectes ont réussi à tuer des forêts entières là où le feu n'était même pas un problème. Si l'on additionne ces deux facteurs, ça donne des superficies étonnantes.

Le troisième facteur c'est l'exploitation forestière par l'homme. La superficie exploitée offre des caractéristiques que l'on ne retrouve pas ailleurs. Elle augmente continuellement. On n'y trouve pas cette irrégularité que l'on constate dans le cas des perturbations naturelles. Cette exploitation a donc des répercussions sur la forêt et il y a deux facteurs très importants dans le cas des superficies touchées. Les fluctuations naturelles sont énormes comparées à ce qui est fait par l'homme. Deuxièmement, l'exploitation augmente sans cesse, mais pas aussi rapidement que les changements en général. D'après ces graphiques, il semble que l'exploitation a diminué entre 1920 et 1970, quelle que puisse en être la raison, pour ensuite augmenter énormément en 1970.

Ces données contiennent quelques incertitudes. Les chiffres sont peut-être plus élevés. Il y a eu un changement au niveau des perturbations. Il s'agit de savoir comment les perturbations dues à l'exploitation et aux phénomènes naturels se sont fait sentir sur la forêt. C'est là où la forêt globale et les changements climatiques prennent toute leur importance.

Dans un diagramme que je vous ai montré un peu plus tôt, on voyait combien de carbone nous rejetons globalement dans l'atmosphère. La moitié de ce carbone y demeure et de la moitié qui reste, il y en a qui se retrouve dans les océans et le reste s'en va ailleurs. Il s'agit donc de savoir si cette flèche commence à changer d'orientation.

Sur la prochaine diapositive, il y a un organigramme qui vous montre comment nous réussissons à pister tout ce carbone. La méthodologie a subi une révision par les pairs de la communauté scientifique. En jouant avec le diagramme sur les perturbations pour voir leur effet sur des bassins de carbone, voici ce que nous obtenons. C'est le taux d'absorption annuel du carbone par opposition à son taux d'évacuation. Lorsqu'on piste tout le carbone en milieu végétal, dans le sol, dans les produits forestiers, et ainsi de suite, il y a plus de carbone absorbé qu'il n'y en a d'évacué et c'est pour cela qu'on peut parler d'un puits. C'est une bonne chose. On retire du carbone de l'atmosphère.

Nous avions un puits d'environ 150 unités de carbone. Pour vous situer un peu dans le contexte, nous avons brûlé environ 100 unités de combustibles fossiles au Canada. Jusqu'en 1970, environ, tout laissait croire que le taux d'absorption des forêts était de 50 p. 100 supérieur à ce que nous émettions au Canada. Le ministre à cette époque, Frank Oberle, m'a dit: «C'est fantastique. La forêt règle notre problème de combustibles fossiles.» J'ai répondu: «Désolé, monsieur Oberle, je ne puis appuyer votre affirmation car je ne suis pas sûr que les choses continueront ainsi. Il n'y a aucune raison pour expliquer le phénomène.»

Il y avait donc un puits de carbone, mais à cause du changement dans les perturbations, la situation a changé et il semble maintenant que les forêts évacuent du carbone depuis les cinq dernières années. Nous n'en sommes pas absolument sûrs. Plus précisément, nous n'avons pas tenu compte de certains des autres changements qui se produisent. Cependant, en étudiant quels effets ont les perturbations sur l'emmagasinage du carbone par la forêt, tenant compte des incendies, des insectes et de l'exploitation forestière et pistant ce carbone que nous enlevons par l'intermédiaire de l'exploitation et que nous réintroduisons dans les produits du bois -- ce qui est bien, car le carbone reste sur terre et ne se retrouve pas dans l'atmosphère -- de bassin de carbone que nous étions, nous sommes devenus une source. Si c'est le fait du réchauffement climatique, cela signifie que la flèche de tout à l'heure, qui nous montrait où allait une partie du carbone, n'est plus orientée dans la même direction et pourrait peut-être même en changer. C'est l'effet d'emballement.

Le carbone soutiré de l'atmosphère se retrouve dans les arbres et dans les sols et, lorsque nous exploitons la forêt, il se retrouve dans les produits forestiers. À vrai dire, c'est très bien d'emmagasiner le bois de cette façon parce que c'est un stock de carbone que l'on retire de l'atmosphère et que l'on peut contenir. On peut décider si on veut laisser le matériau se décomposer. Quand on extrait un combustible fossile de la terre pour le remettre en circulation dans l'atmosphère, nous ne maîtrisons plus la situation.

Il s'agit de savoir ce que l'avenir nous réserve. Je vous ai décrit à quoi ressemblent les forêts maintenant et à quoi elles pourront ressembler un jour. Nous savons combien de carbone elles contiennent. En se fondant sur l'information des scientifiques travaillant pour le gouvernement et les universités, le Service canadien des forêts a calculé la quantité de carbone. La zone boréale, à elle seule, contient 7 000 millions de tonnes de carbone. Dans les sols, il y en a 30 000 millions de tonnes. Les produits forestiers n'en contiennent que 300 tonnes. Même si le chiffre n'est pas élevé, c'est du carbone sur lequel nous avons un total contrôle. Nous pouvons gérer la situation; nous pouvons contenir ce carbone. Nous ne pouvons assurer une gestion aussi serrée des autres ressources qui contiennent du carbone.

Quel sera l'effet du changement climatique sur ces bassins? Il n'est pas difficile de voir qu'ils changeront si l'on passe de cette situation à la suivante.

Comme je l'ai déjà expliqué, il est très difficile d'effectuer ce changement.

Le sénateur Spivak: Si c'est la conclusion à laquelle vous arrivez, quel devrait être le niveau d'activité humaine selon vos calculs?

M. Apps: Si vous permettez, j'essaierai de répondre à cette question dans quelques instants.

J'ai établi le lien entre les perturbations, le bilan du carbone et le climat. J'aimerais maintenant établir le lien entre le climat et les perturbations. Je vous ai déjà montré les données sur les incendies, les insectes et l'activité humaine. Je n'ai pas affirmé, et je ne peux pas l'affirmer, que cela résulte du changement climatique. Je ne dirai pas cela. Ce n'est pas à moi de prévoir le climat. Je suis un chercheur scientifique qui travaille pour le gouvernement sur l'élaboration de modèles de forêt. J'essaie de comprendre la forêt, et le Seigneur m'a dit «Mike, voici le bilan du climat. C'est à vous de me dire comment les forêts changeront.» Je ne suis pas ici aujourd'hui pour vous dire que le climat va changer. D'autres scientifiques vous ont déjà dit que le climat pourrait bien changer, et je peux vous dire que nous croyons que cela aura un effet important sur les forêts.

Pour ce qui est des perturbations, ce diagramme montre qu'en 1993 la température moyenne dans l'Ouest était de 4,5 degrés plus élevée au printemps qu'elle ne l'avait jamais été de 1950 à 1990. Autrement dit, ce fut une année chaude. C'est aussi pendant cette période qu'il y a eu de gros incendies de forêt. Nous voyons donc qu'avec des conditions plus chaudes et plus sèches, le risque d'incendie augmente.

On a fait d'autres prévisions grâce aux recherches de scientifiques gouvernementaux réalisées en coopération avec des collègues dans les universités et ailleurs. Si le climat change selon les scénarios présentés, dans quelle mesure le risque d'incendie augmentera-t-il? Ce diagramme expose la situation de 1980 à 1989. Le rouge signifie une plus grande probabilité d'incendie, alors que le vert signifie une probabilité moindre. L'augmentation du rouge dans ces divers modèles indique que la probabilité d'incendie augmente.

Dans chacune de ces circonstances, la probabilité d'incendie augmente avec les changements climatiques que vous voyez. Nous voyons que le risque augmente, non pas à cause de ce que nous faisons directement dans la forêt, mais plutôt en raison de ce que nous y faisons indirectement, et tout le monde devrait s'en inquiéter très sérieusement.

Mon dernier point concerne les forêts canadiennes, le changement climatique et le développement durable. La différence principale que j'ai vue au cours de la dernière décennie dans l'exploitation et les sciences forestières est la suivante: le rôle de la forêt et l'importance de la gestion forestière ont changé en ce sens qu'on ne regarde plus exclusivement la situation locale mais qu'on essaye plutôt d'avoir une vue d'ensemble. Cette question a fait les manchettes il y a quelques années. On voyait des titres comme «La revanche des arbres tueurs», «La pire des époques», et «La danse du carbone». Les experts forestiers se demandent maintenant ce qu'ils font pour résoudre ou aggraver le problème. Si la gestion forestière est bien faite, elle peut aider un peu. Si elle est mal faite, elle peut nuire un peu. En dernière analyse, la gestion forestière au Canada n'y changera pas grand-chose. Elle aura un effet important sur la qualité de vie dans la forêt, ce qui est différent, mais les changements résultant du climat sont beaucoup plus importants que ceux que nous pouvons effectuer directement sur la forêt.

En tant que spécialiste dans ce domaine, c'est tout ce que je peux dire pour l'instant. Cependant, cela ne signifie pas qu'on ne doive rien faire.

Le sénateur Taylor: Vous dites que la gestion forestière n'aura pas une grande incidence sur le climat. Cependant, est-ce que le changement climatique aura une incidence importante sur les forêts?

M. Apps: Oui, c'est exactement ce que je dis. Il n'y a pas une seule solution au problème du changement climatique. On ne peut désigner quelqu'un comme responsable de ce changement. Nous devons tous modifier un peu notre comportement. Il est certain que la gestion forestière peut, avec d'autres facteurs, contribuer à la résolution de ce problème. Cependant, on ne peut le voir comme le bouc émissaire ou la seule solution. Nous devons tous y participer.

Le mot à la mode dans le domaine des sciences et de la gestion forestières est le développement durable. Qu'est-ce que cela veut dire? Selon la Commission Brundtland, qui a inventé l'expression, le développement durable signifie «répondre aux besoins du présent, sans compromettre la possibilité pour les générations à venir de satisfaire les leurs.» Cette citation est tirée de la Commission mondiale sur l'environnement et le développement, la Commission Brundtland. Mais qu'est-ce que cela signifie si l'environnement de demain est différent de tout ce que nous connaissons? Je crois que nous ne pouvons gérer de façon durable cette forêt sans tenir compte de l'effet que le reste du monde a sur elle, ou le rôle qu'elle joue dans un environnement plus large. Ce n'est pas un processus à sens unique. Ce n'est pas seulement une question de connaître les erreurs que nous faisons; nous devons regarder la situation d'ensemble et essayer d'y voir l'incidence de nos erreurs.

L'autre élément dont il faut tenir compte est la Convention, cadre des Nations Unies sur les changements climatiques. En vertu de l'article 2 de cette convention, les 150 pays signataires appuient l'objectif suivant, concernant les émissions à effet de serre: «...de stabiliser... les concentrations de gaz à effet de serre dans l'atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique».

En d'autres mots, ils conviennent de gérer les affaires humaines et de traiter l'environnement de façon à empêcher la concentration de gaz carbonique ou d'autres gaz à effet de serre qui pourraient créer des perturbations dangereuses. On dit que c'est aux scientifiques de répondre à cette question. Ce n'est pas aux scientifiques d'y répondre, car le terme «dangereux» comporte un jugement de valeur. C'est autant votre décision que la mienne; c'est à la collectivité de décider ce qu'elle veut voir se produire.

Le sénateur Spivak: Oui, mais les scientifiques peuvent rétorquer par une stratégie sans regret.

M. Apps: Je ne crois pas qu'on puisse faire cela. Je crois que nous pouvons faire partie du processus, car le regret est une valeur humaine. Nous pouvons dire que si vous faites ceci, nous croyons qu'il y aura telle ou telle conséquence, et alors, vous et moi, en tant qu'êtres humains, disons «oui, je l'accepte», ou «non, je ne l'accepte pas.»

Le sénateur Spivak: La terre survivra, mais peut-être pas les êtres humains. C'est une question de survie.

M. Apps: J'aimerais expliquer cela très clairement. La science doit examiner tous les éléments pour prévoir des changements qui pourraient se produire dans l'environnement global. Si l'on veut gérer cette parcelle de terre, les scientifiques doivent essayer de prévoir quelle en sera l'incidence sur la situation d'ensemble. C'est aux responsables politiques de décider de la vue d'ensemble, mais pour le faire, il est essentiel d'avoir de bons indicateurs de notre rendement.

Par exemple, dans la gestion forestière, nous travaillons au niveau du peuplement et nous essayons d'évaluer l'incidence de ce dernier sur la région. La région a une incidence sur le pays, et le pays sur la planète. Nous passons donc d'une très petite échelle, où nous coupons ou cultivons des arbres, et d'un calendrier très restreint, au niveau régional, qui est plus grand, et finalement au niveau le plus grand, soit la planète.

La politique fonctionne dans l'autre sens. Nous déterminons nos objectifs et ensuite, nous revenons en arrière. L'objet de la politique est de trouver une façon d'atteindre l'objectif global et de répartir les tâches en aval.

Il y a une différence entre les deux choses. La science va du plus petit au plus grand. Quant à la politique, elle va du plus grand au plus petit. C'est une tâche très difficile. Pour nous aider à l'accomplir, nous nous servons d'indicateurs comme la quantité de carbone dans un peuplement forestier, dans un pays ou dans le monde. Ce sont là des indicateurs que nous pouvons suivre.

Je suis sûr de vous avoir convaincus que le changement climatique est un grand point d'interrogation. Je ne peux pas vous dire comment le climat va changer, mais je peux vous assurer qu'il va changer. Nous sommes en présence de quelque chose qui va changer, mais nous ignorons dans quelle mesure. Nous savons, par contre, que ce changement sera plus rapide et plus considérable que tout ce que nous avons connu jusqu'à maintenant. Nous faisons donc face à l'incertitude.

La science a pour mission de faire les meilleures projections possible des changements qui surviendront dans ces indicateurs. Pour sa part, la société doit y accorder une valeur. Trouvons-nous ce changement acceptable? Jugeons-nous les résultats satisfaisants? C'est là un jugement de valeur qu'il appartient à la société de porter. Dans le contexte de la politique, il appartient aux décideurs de réunir ces deux composants afin de faire un choix en se fondant sur ce que l'on croit être avantageux.

Nous pouvons donc faire trois choses. Nous pouvons exploiter la forêt, ne pas l'exploiter et faire pousser plus d'arbres. Et selon le choix que nous aurons fait, nous aurons trois avenirs possibles différents. La science a pour mandat de signaler les conséquences de chaque choix. Quant à la société, elle doit décider ce qui est le plus important -- plus d'arbres, moins d'arbres et plus de bois, ou encore un parc de stationnement. Ce sont là des jugements de valeur qui n'ont rien à voir avec la science. La politique doit faire un choix entre les deux en se fondant sur les résultats et les avantages escomptés.

Face à ces trois choix, une décision est prise et nous finissons par faire quelque chose. Une fois que nous aurons allié la science et la politique, nous en saurons plus long sur la façon dont le monde tourne. Si cet exercice est couronné de succès, nous tirerons des enseignements de cette intervention, quelle que soit la décision prise. La décision peut fort bien être de ne rien faire, et le monde va changer. La société, les décideurs et les scientifiques doivent tirer des leçons de cette expérience et déterminer la nature du changement.

Une fois que nous avons changé le monde, nous recommençons tout du début. Nous avons appris, et si nous avons fait une erreur, nous la corrigeons. Si nous la corrigeons, nous nous adaptons. Si nous nous adaptons, nous sommes en présence d'un nouveau monde et nous devons prendre de nouvelles décisions.

Étant donné que l'avenir est incertain, nous ferons des erreurs. Les scientifiques se tromperont dans leurs projections et la société dans ses jugements de valeur. Nous savons aussi que nous prendrons de mauvaises décisions politiques. Il faut aborder cette incertitude avec la conviction que nous collaborerons ensemble pour qu'une fois que nous aurons tiré une leçon d'une erreur, nous puissions prendre une meilleure décision la prochaine fois.

Plus particulièrement, le climat pourrait déjouer cet exercice de prospective. La science doit faire partie du processus décisionnel.

Même si nous savions à quoi ressemblera le monde dans 100 ans, nous passerons ce cap peu importe ce que nous faisons. On n'arrête pas le cours du temps. Il faut réunir la meilleure information scientifique possible et s'en servir pour prendre des décisions qui influeront sur les valeurs. Le rôle tout à fait particulier des scientifiques est d'informer les décideurs et la société dans son ensemble des conséquences possibles de leurs actes, et c'est ce que nous tentons de faire. Si nous y réussissons, nous pourrons sans doute imaginer un avenir favorable pour nos enfants et nos petits-enfants.

Le message à retenir est le suivant: premièrement, selon les meilleures données dont nous disposons à l'heure actuelle, le climat changera d'ici 100 ans.

Le sénateur Taylor: Avant que vous ne passiez à autre chose, c'est peut-être parce que je suis géologue, mais je crains que 160 000 ans ne soient qu'un instantané de notre climat. Je me demande si vous avez couvert une période assez longue. Si votre étude avait été plus vaste, cela aurait-il donné un graphique différent?

M. Apps: C'est possible. Comme vous le faites remarquer, il s'agit d'un tableau chronostratigraphique. Peut-être que si nous étions remontés jusqu'à la frontière entre la période crétacée et l'ère tertiaire, nous aurions relevé des niveaux de gaz carbonique plus importants. J'utilise le graphique, non pas pour prédire qu'il y aura des changements, mais pour illustrer qu'au cours de cette période, qui est beaucoup plus longue que l'intervalle dont nous parlons, nous avons déjà dépassé les limites.

L'activité industrielle humaine survient uniquement à la toute fin de ce graphique. Elle n'est pas illustrée sur le graphique. Nous parlons de processus différents. Les processus géologiques sont lents. En l'occurrence, nous parlons d'un changement rapide et les forêts n'affichent pas un comportement géologique. Elles réagissent aux changements dynamiques.

Par conséquent, même si j'apprécie votre argument au sujet d'un contexte plus vaste, je ne pense pas que la décision que nous prendrons comme peuple soit dictée par les mêmes paramètres que le bilan géologique.

Le sénateur Taylor: Cent soixante mille ans, ce n'est pas très long par rapport à l'âge de la terre, mais si ce qui nous intéresse ce sont les cent prochaines années et l'avenir de nos enfants et de nos petits-enfants, c'est le graphique que nous devrions utiliser, et il semble bien que nous soyons en présence d'un réchauffement.

M. Apps: Cela est à la fois positif et négatif. En fait, il y a davantage d'oscillations négatives en raison de l'époque glaciaire.

Le sénateur Taylor: Sauf qu'à l'heure actuelle, l'ère industrielle exagère le réchauffement. Le réchauffement donne-t-il toujours lieu à un excès de gaz carbonique?

M. Apps: Non, parfois il le précède et parfois il le suit. On ne peut affirmer qu'il y a une relation de cause à effet et dire que le gaz carbonique provoque le réchauffement ou vice versa car parfois, cela va dans un sens et parfois dans l'autre.

Le sénateur Taylor: À l'heure actuelle, c'est le gaz carbonique qui génère le réchauffement, n'est-ce pas?

M. Apps: Le processus est différent du diagramme. Nous savons que le gaz carbonique agit comme gaz à effet de serre. Je pourrais vous expliquer les lois physiques qui font qu'il en est ainsi, mais cela n'est pas pertinent. Nous avons des raisons de croire que la présence de gaz carbonique dans l'atmosphère provoquera un réchauffement cette fois-ci à cause du processus.

Il y a eu une réévaluation du caractère cyclique du phénomène à l'aide de nouvelles tranches de temps et un groupe de géologues estiment que nous nous dirigeons vers une autre période glaciaire, que nous allons vers un refroidissement. D'aucuns estiment que cet argument n'est pas fondé et qu'il s'agit sans doute de fluctuations naturelles.

Comme je l'ai dit, l'un des problèmes tient au fait que nous sommes en présence d'une nouvelle donne. Nous avons libéré davantage de carbone dans l'atmosphère. C'est un changement que nous avons causé. Il faut être très prudent lorsqu'on fait une corrélation parce que dès qu'on sort du domaine où cette corrélation s'applique, plus rien ne va. On n'a aucune raison de croire que cela va fonctionner.

Le sénateur Taylor: Je comprends, mais il est troublant de vous entendre dire que l'augmentation du carbone n'est pas nécessairement associée au réchauffement climatique. Je croyais qu'il y aurait toujours un réchauffement, et qu'en plus grande quantité, le carbone produit davantage d'effet de serre, ce qui se traduit par un réchauffement.

M. Apps: C'est exact, mais d'autres processus interviennent. Je ne pense pas que quiconque ait été en mesure d'expliquer pourquoi il arrive parfois que le gaz carbonique donne le ton et que parfois ce soit la température. Nous savons qu'il existe un rapport entre les deux, mais il y a des mécanismes différents qui s'appliquent.

Le sénateur Taylor: Les deux phénomènes ont toutefois tendance à aller de pair. Nous devrions surveiller le réchauffement car le niveau de carbone a augmenté.

M. Apps: Oui.

Le sénateur Spivak: Il y a donc deux éléments. Le premier est l'incertitude et l'autre l'activité humaine sans précédent. La prudence nous dicterait de faire en sorte de ne pas avoir de regrets si le scénario le plus pessimiste se concrétise. Si, au contraire, c'est le scénario optimiste qui devient réalité, on n'aura pas de regrets non plus.

Je pense que c'est la réponse pour bien des gens, mais peut-être pas pour les scientifiques, bien que je pense que la majorité d'entre eux se rallie maintenant à cette conclusion au sujet du changement climatique. Bien des gens se posent la question, à savoir pourquoi prendre des mesures aussi coûteuses alors que nous ne savons pas ce que nous faisons. À mon avis, l'important est de ne pas avoir de regrets. Pourquoi courir le risque de déboucher sur un avenir horrible si nous ne sommes pas forcés de le faire, surtout qu'il est efficient et avantageux sur le plan économique de prendre les mesures qui s'imposent de toute façon?

M. Apps: Je n'ai pas l'intention de faire de déclaration politique ou de principe. Cependant, je tiens à signaler que si vous n'acceptez pas qu'un changement va se produire, si vous n'intégrez pas cette notion dans votre vision de l'avenir, vous aurez une politique sans regret fondée sur l'information que vous acceptez maintenant, et vous aurez peut-être des regrets parce que vous n'avez pas envisagé cette question. Voilà pourquoi je dis que face à une telle incertitude, nous devrions tirer parti des connaissances les plus avancées que nous ayons sur d'éventuels changements climatiques tout en sachant que nous allons nous tromper, pour ne pas avoir de regrets à ce sujet également. Il faut que notre réflexion soit beaucoup plus vaste.

Le sénateur Spivak: Cette politique sans regret doit être intelligente, pas stupide.

M. Apps: Vous avez tout à fait raison. Je pense que c'est la façon d'aborder le problème. C'est d'ailleurs précisément ce que je préconise. Je vous renvoie à ce que j'ai dit dans ma déclaration liminaire sur la nature du développement durable dans le domaine forestier. Au début, nous nous préoccupions uniquement d'une petite parcelle de terrain, mais nous en sommes maintenant à nous soucier de l'effet de l'intervention humaine sur l'ensemble de la planète. C'est un aspect important.

En conclusion, premièrement, les données optimales indiquent un changement de climat résultant de l'activité humaine, mais à un rythme dont nous n'avons pas fait l'expérience jusqu'à maintenant. Certains scientifiques sont convaincus de déjà déceler ce changement. Ce qui est une déclaration très percutante.

Deuxièmement, les forêts canadiennes changeront. Je n'ai absolument aucun doute à ce sujet. Autrement dit, les effets indirects de l'activité humaine -- par indirects, j'entends que nous modifions le climat qui modifie la forêt --, seront plus importants que les effets directs, c'est-à-dire notre intervention dans la forêt.

Troisièmement, la plus importante industrie canadienne, l'exploitation forestière, changera. Cela aussi est indéniable. Il s'ensuit qu'au-delà de l'exploitation forestière, c'est tout le mode de vie du Canada qui changera. Nous serons tous touchés.

Quatrièmement, la science doit fournir les meilleurs indicateurs possible, la société doit accorder une valeur à ces indicateurs et les décisions doivent refléter à la fois les meilleures prévisions de changement et les valeurs. Ce n'est pas la science seule ou les valeurs seules, ce sont les deux ensemble qui doivent se combiner.

Cinquièmement, l'incertitude est là pour rester. Il n'y a pas à sortir de là. Nous-mêmes, nos enfants et nos petits-enfants n'en saurons jamais assez. Nous devons nous adapter et apprendre de nos succès et de nos erreurs.

Nous avons un choix à faire quant au sort que nous réserverons à nos forêts. La question est de savoir si nous tirerons parti des enseignements du passé. Pouvons-nous apprendre de nos erreurs à mesure que nous les commettons afin d'améliorer nos décisions? Pouvons-nous tirer les leçons du passé? Allons-nous faire un choix?

Nous savons que le climat change. Nous sommes capables de prendre des décisions. Si nous tirons les leçons du passé et que nous faisons preuve de prévoyance, nous pourrons peut-être éviter cela.

Le passé doit être notre maître, mais nous devons veiller à ne pas répéter nos erreurs.

Je vous remercie de votre temps et je répondrai volontiers à vos questions en me fondant sur les meilleures connaissances scientifiques dont je dispose. Je crois sincèrement que la science, les décideurs et la société doivent s'intéresser à ce problème dans l'intérêt de nos enfants. Si nous pensons qu'il est important de respecter la planète, nous devons faire attention aux changements que nous provoquons par nos interventions directes et indirectes dans les forêts.

Comme je l'ai dit au début de mon exposé, le chef D'Arcy Linklater a dit que nous devons travailler en harmonie avec les forêts. Nous les utilisons, nous les épousons, nous en faisons partie et elles font partie de notre patrimoine culturel. Elles doivent faire également partie du patrimoine culturel de nos enfants. Cela transcende la foresterie et toutes les autres activités. Pour nous-mêmes et notre société, nous avons le devoir de prendre les bonnes décisions.

Le sénateur Spivak: Vous avez parlé en termes macro. Je vais vous parler en termes micro. Compte tenu de ce qui se passe dans la forêt boréale au Canada, particulièrement dans l'Ouest où on a commencé à l'exploiter très récemment, pouvez-vous ou devriez-vous avoir votre mot à dire au sujet de la possibilité de coupe annuelle, et d'autres pratiques? D'après ce qui ressort de notre étude jusqu'à maintenant, il semble que l'exploitation soit dirigée par les autorités provinciales sous le thème du rendement soutenu. Autrement dit, le mot d'ordre est de couper le plus possible, sinon, merci et au revoir.

Compte tenu de l'information que vous avez, pouvez-vous calculer ce qui serait prudent?

M. Apps: Je commencerai par une perspective d'ensemble et, ensuite, j'entrerai dans les détails. Après une coupe ou un feu, on constate la mort des arbres, mais on ne voit pas la réaction lente à long terme. On ne voit pas souvent la forêt repousser. Cependant, c'est ce qui se produit après un incendie ou une coupe, à moins que l'assise foncière n'ait été détruite. La foresterie durable, ce n'est pas la même chose que le rendement soutenu.

Personnellement, j'ai l'impression qu'un plus grand nombre d'entreprises essaient d'adopter une approche davantage axée sur la durabilité. De façon générale, il reste des progrès à faire. Dans une perspective plus réduite, nous essayons d'appliquer les fruits de la recherche dont j'ai parlé tout à l'heure, qui s'effectue au niveau national et international, et au niveau local, pour que l'activité forestière puisse se comparer à l'action d'un feu de forêt. Nous essayons de faire cela en particulier dans la forêt modèle «Foothills». C'est un objectif réalisable et les divers intervenants sont à l'écoute et souhaitent apprendre comment contribuer à établir un meilleur équilibre pour ce qui est du gaz carbonique.

Le sénateur Spivak: Nous avons appris dans cette étude que tout le monde patauge. Les industries, les centres d'excellence et d'autres encore, ils disent tous cela.

Deuxièmement, les provinces ont autorisé la construction d'immenses usines où la demande est intrinsèque. Le plus grand obstacle n'est donc pas la science, mais les gens qui ne sont pas intéressés par la science.

Aux fins de notre étude, la vue d'ensemble étant exclue, il serait très utile pour nous de savoir ce qui est prudent pour évaluer ce qui se passe dans les faits sur le terrain.

M. Apps: C'est une préoccupation très valable. Vous avez parlé de politique sans regret et du fait qu'il fallait s'assurer que notre intervention était cohérente.

À mon avis, vous avez tort de dire que tout le monde patauge. Il est vrai que nous ne connaissons pas les réponses, mais nous essayons d'apprendre. Dans le réseau des centres d'excellence, on admet ne pas connaître les réponses, mais on essaie d'apprendre de l'expérience.

Ainsi, on s'inquiète énormément de la coupe à blanc. Cependant, il faut comprendre que les choses que nous utilisons en remplacement des produits du bois exigent aussi de l'énergie. Nous utilisons de l'aluminium pour les cadres de fenêtres. Or, l'aluminium est un minerai bauxitique auquel on ajoute de l'énergie habituellement tirée de combustibles fossiles. Par contre, les cadres de fenêtres en bois sont fabriqués à partir d'arbres qui peuvent repousser pourvu que nous appliquions de saines pratiques de gestion forestière.

Le problème n'est pas tellement la coupe à blanc ou la récolte. L'important est de ne pas détruire l'assise foncière pour permettre aux arbres de repousser. Je crois sincèrement que certaines des expériences courantes visent à trouver un moyen de mieux y arriver.

Ce que j'essaye d'expliquer, c'est que si l'on ne se sert pas de produits du bois, les gens continueront à avoir besoin de cadres de fenêtres et ils s'en procureront en aluminium, ce qui risque d'avoir une incidence encore plus grande sur l'environnement.

Le sénateur Spivak: Ce n'est pas du tout ce que je voulais dire. J'ai entendu ces gens-là admettre qu'ils ne savent pas du tout comment s'y prendre.

Si l'on examine l'autre volet de l'équation, je ne doute pas que les entreprises souhaitent faire une récolte plus durable. C'est dans leur intérêt. D'une part, elles ne savent pas trop comment s'y prendre et, d'autre part, elles ont ce monstre énorme qu'elles doivent alimenter et, sur le dos, les autorités provinciales qui leur disent: «Vous avez intérêt à faire ce qu'on vous demande, sinon nous supprimerons votre permis».

Ce qu'il faut vraiment savoir, c'est à quel stade il faut arrêter l'exploitation.

M. Apps: C'est précisément ce que certains chercheurs et intervenants de l'industrie essayent de faire au moyen de ces expériences. Ils essayent d'appliquer une gestion adaptative.

Dix ans de travail dans ce domaine m'ont convaincu qu'un grand nombre d'intervenants du secteur sont maintenant disposés à essayer de trouver une meilleure façon de faire les choses. D'ailleurs, cela est en partie attribuable aux pressions de la population, et c'est fort sain. En fait, peu importent les raisons qui les amènent à agir ainsi, c'est un changement et c'est déjà un progrès de prétendre appliquer des pratiques d'exploitation durable plutôt que de dire que l'on s'en fiche. Voilà le changement. Je crois sincèrement que les divers intervenants commencent à être plus sensibles à leurs responsabilités envers la planète.

Le sénateur Taylor: Je veux être certain d'avoir bien compris ce que vous avez dit au sujet du changement climatique. À votre avis, est-il souhaitable de réduire les émissions de gaz carbonique? Y a-t-il trop de carbone libéré dans l'atmosphère?

M. Apps: Comme je l'ai dit au début de mon exposé, c'est un jugement de valeur, et je peux vous donner mon opinion à ce sujet. Je peux vous dire, dans une perspective scientifique, quels changements surviendront. Si vous estimez que les changements que subiront les forêts seront néfastes et que vous ne souhaitez pas qu'ils se produisent, vous devez faire en sorte que le climat ne change pas de cette façon.

Le sénateur Taylor: Il faut stabiliser la situation.

M. Apps: Cela est très difficile car la science peut prévoir quelles seront les incidences du changement, mais c'est à vous et à moi, en tant qu'êtres humains, de décider si cela est acceptable, et c'est là que convergent la politique, la science et la volonté sociétale.

Le sénateur Taylor: Dans la province d'où nous venons, vous et moi, nombreux sont ceux qui estiment que le réchauffement de la planète n'est pas nécessairement une mauvaise chose, que nous pouvons apprendre à nous y adapter et que grâce à la science et à l'ingénierie, nous serons en mesure de survivre, voire même d'améliorer notre sort.

Cependant, selon une autre école de pensée, il n'y a pas d'asymptote à cette courbe, que nous allons continuer de bâtir à l'infini et ruiner la terre.

En tant que scientifique, entrevoyez-vous la ruine de la terre si les émissions continuent d'augmenter?

M. Apps: Je pense que le monde s'adaptera. La question est de savoir s'il s'adaptera d'une façon qui nous apparaît souhaitable à vous et à moi. Le monde survivra. Le monde et l'environnement sont indifférents. Selon l'hypothèse Gaia, le monde réagit à la façon d'un être animé. Gaia résoudra le problème. Le monde s'adaptera. Il évoluera. La question est de savoir si nous évoluerons avec lui ou si nous subirons le même sort que les dinosaures.

En tant que scientifique, je peux vous dire de quelle façon le monde se transformera sans doute, mais vous et moi devons ensemble décider si c'est un monde dans lequel nous pouvons vivre. Je ne peux pas décider moi-même si cela est acceptable. Je ne veux pas laisser un monde comme celui-là à mes enfants, mais c'est un jugement personnel.

Le sénateur Taylor: Vous êtes un scientifique, et moi un spécialiste des sciences appliquées. Après un événement, nous essayons de nous adapter.

M. Apps: Nous répondons aux questions, et vous appliquez les réponses. C'est ainsi que les choses doivent se passer.

Le sénateur Taylor: Je crois savoir que personnellement vous souhaiteriez que nous minimisions les émissions de gaz carbonique. Je me demande si vous n'êtes pas trop didactique dans votre interprétation de l'allure qu'aura la forêt si le réchauffement se poursuit. Vous n'êtes pas biologiste, n'est-ce pas?

M. Apps: Non, mais j'ai travaillé dans le domaine forestier pendant 15 ans.

Le sénateur Taylor: Je me demande simplement si, d'un point de vue biologique et botanique, le réchauffement du climat ne modifierait pas la forêt au lieu de la déplacer. Ainsi, on trouverait peut-être davantage de chênes et de hêtres que de peupliers, et plus de sapins que d'épinettes et de pins. Je ne pense pas qu'il y ait suffisamment de sol dans le Nord pour que les forêts s'y déplacent. Je me demande si nous ne nous retrouverons pas avec une forêt différente plutôt qu'avec ce que vous prévoyez.

M. Apps: J'ai ici un diagramme qui illustre comment les espèces se transformeront. Cela répond à la question de savoir comment le contexte changera et quels végétaux pourront y pousser. Nous nous penchons sur cette question. Tout ce qu'on peut voir là-dessus, ce sont les différences.

À l'heure actuelle, nous essayons de préciser tout cela. Vous avez raison, je ne suis pas biologiste, mais j'ai l'avantage de pouvoir tirer parti de l'expérience de nombreux biologistes des milieux universitaires et du Service canadien des forêts. C'est ensemble que nous examinons ces changements.

Ce qui se passe en 100 ans est bien différent de ce qui se passe en 1 000 ans, car il faut compter entre 20 et 50 ans avant qu'un arbre atteigne la taille et la maturité qui lui permettent de produire de nouvelles graines. Il faut s'entendre pour créer une nouvelle génération. Par conséquent, d'ici à ce que les jeunes pousses d'aujourd'hui soient prêtes à produire leurs propres graines, l'environnement ambiant aura changé. On ne peut modifier les espèces d'arbres plus vite. Cela prend 100 ans.

Si nous plantons aujourd'hui des arbres adaptés au climat qui régnera dans 100 ans, ils ne pousseront pas bien maintenant, et les arbres que nous plantons aujourd'hui et qui conviennent maintenant ne seront pas bien servis par les conditions qui existeront dans 100 ans. Voilà le dilemme.

Vous avez dit qu'il n'y a pas de raison de s'attendre à une ligne asymptote. Les illustrations relatives au changement des forêts que je vous ai montrées sont fondées sur deux fois les quantités actuelles de dioxyde de carbone. Autrement dit, nous comptons que nous ne serons pas en mesure de contrôler suffisamment nos émissions pour empêcher que ne double la quantité de dioxyde de carbone dans l'atmosphère. Il est prévu que cela surviendra dans une centaine d'années, mais il n'y a pas de raison de penser que cela s'arrêtera là. D'après les plus récentes projections, on ira au-delà de cela. À l'heure actuelle, nous n'atteignons pas nos objectifs de réduction d'émissions. Nous semblons incapables, à l'échelle mondiale, de prendre en compte les conséquences de ce phénomène. Il est donc probable que les quantités de gaz carbonique seront plus du double. On envisage maintenant qu'elles seront quatre ou six fois supérieures à ce qu'elles sont maintenant. Les changements n'en seront que plus considérables.

Il y a une ou deux choses que je tiens à dire, étant donné que j'ai dressé un tableau fort sombre. Certaines bonnes choses se produiront. Premièrement, si l'on libère davantage de carbone dans l'atmosphère, il y aura davantage de gaz carbonique pour les arbres, et étant donné qu'ils s'en nourrissent ils pousseront un peu mieux. Je n'ai pas tenu compte de ce facteur dans les équations que je vous ai montrées. Les résultats dont nous disposons pour la forêt boréale canadienne n'incluent pas cet effet.

Nous n'avons pas intégré ces données, car d'après tous les renseignements recueillis jusqu'à maintenant la prétendue fertilisation par le gaz carbonique reste sans effet dans la zone boréale. Elle n'intervient pas dans les écosystèmes de la forêt boréale. Cela ne veut pas dire qu'elle ne se concrétisera pas, mais elle ne s'applique pas encore.

Le sénateur Taylor: Les peupliers ne sont pas des orchidées.

M. Apps: Ce n'est pas tout à fait aussi simple que cela. De nombreux autres facteurs interviennent. Ce qui importe, ce n'est pas seulement comment les arbres respirent, mais comment ils distribuent le carbone dans l'écosystème, le tapis forestier et les sols. C'est un processus différent.

Il y aura des endroits au pays, particulièrement dans l'Est du Canada, où les arbres pousseront mieux et il n'y a pas de raison de croire que leur situation empirera. Il ne fait aucun doute qu'il y aura des endroits où les choses iront mieux, mais l'ensemble du système aura changé.

D'un point de vue scientifique, nous pouvons affirmer qu'il changera, même si nous ne savons pas où. Si vous voulez investir dans la plantation d'arbres, je ne peux pas vous dire où les planter, mais je peux vous dire qu'il y a des endroits vulnérables. En toute franchise, une grande partie de la forêt boréale est vulnérable au changement climatique.

Le sénateur Taylor: Je comprends ce que vous dites d'un point de vue scientifique. Cela m'a énormément éclairé. Cependant, je conteste votre affirmation selon laquelle le stockage de carbone des arbres, y compris les produits du bois, est plus considérable que celui des cultures. Un arbre doit pousser de 60 à 100 ans avant que nous puissions en faire un meuble, mais on plante de nouvelles cultures tous les ans.

J'aimerais savoir quelle quantité de carbone est stockée dans un mètre carré d'une surface terrestre ayant été cultivée pendant 60 ans. À cause des labours, la meilleure partie du carbone est de nouveau enfouie dans le sol, mais une partie sert à fabriquer du papier.

Y a-t-il des études sur la différence qui existe entre le puits de carbone de la forêt boréale et celui des cultures?

M. Apps: Oui. Les arbres inspirent et expirent lentement. Les prairies et les cultures aspirent et expirent rapidement. C'est ce qui fait la différence au fil des ans.

Nous sommes en mesure de le calculer, car dans une forêt typique le carbone est stocké dans le sol, la tourbe, les produits forestiers, la cime des arbres et les débris du tapis forestier. Nous pouvons mesurer combien de carbone se trouve dans le sol et dans les arbres. Pour ce qui est des terres labourables, il y a les céréales, mais elles sont habituellement consommées, et ensuite libérées relativement rapidement par la suite, de sorte qu'elles n'impliquent pas de stockage à long terme. Par comparaison, ce bassin est relativement restreint.

Nous pouvons mesurer la quantité de carbone dans le sol, et, de façon générale, le sol n'est pas un composant aussi important dans les systèmes agricoles qu'il l'est dans les forêts. Les quantités qui y entrent et en sortent chaque année sont plus considérables, pour la même région, mais les quantités retenues diffèrent. Nous pouvons mesurer cela et nous sommes relativement confiants à cet égard.

Le sénateur Taylor: La céréale n'est qu'une petite partie de la plante, le reste étant la racine et la paille. La plante a un cycle annuel qui se répète pendant une soixantaine d'années, alors que celui d'un arbre est unique.

M. Apps: Oui, mais réfléchissez à ce qu'il fait. Vous avez tout à fait raison de dire qu'il produit du carbone, mais ce carbone est puisé dans l'atmosphère. Il peut être relâché dans l'atmosphère à la suite de la décomposition ou se retrouver dans le sol sous la forme d'un autre produit décomposé.

La paille se décompose tous les ans. Les animaux, les microbes et les bactéries la grugent, y puisant l'énergie chimique qui y a été entreposée par la photosynthèse pour assurer leur survie, et lorsqu'ils respirent ils relâchent le carbone dans l'atmosphère. Ils ont puisé l'énergie photosynthétique produite par les feuilles vertes lorsqu'elles poussaient pour la remettre dans l'atmosphère sous forme de CO2. On se retrouve avec de l'acide humique ou un produit de décomposition qui reste dans le sol. Si les prairies emmagasinaient davantage de carbone que les arbres, la quantité de carbone dans le sol serait plus considérable, mais ce n'est pas le cas.

Le sénateur Taylor: Je voudrais voir les comparaisons scientifiques. Je suis votre raisonnement sur le plan théorique, mais j'aimerais savoir si on a fait des études sur des périodes de 50 ans comparant les terres labourables et les forêts afin de déterminer la différence qui existe en ce qui concerne l'absorption, la conservation et la réflexion du carbone.

M. Apps: Afin d'obtenir ces données il faut des terres labourables qui ont été transformées en forêts ou bien des forêts transformées en terres arables afin de faire les comparaisons avant et après.

Le sénateur Taylor: Ce qui m'intéresse, c'est de savoir quelle capacité nous perdons à cause de la transformation des forêts en terres cultivables. Le changement est peut-être minime. Je suis de la même école de pensée que vous; j'estime qu'il y a une grande différence entre les forêts et les terres labourables. Par contre, je réfléchis à l'effet qu'aurait la multiplication des terres arables par 50 ou 60. Cela représente beaucoup de fibres végétales. Je me demande quelle serait la véritable différence.

M. Apps: Même si la production annuelle est plus élevée, la quantité conservée ne semble pas l'être avec le temps. Nous pouvons vous obtenir la réponse.

Le sénateur Taylor: Je voudrais simplement avoir des données scientifiques pour justifier cette opinion.

M. Apps: Ces données sont détenues par des agronomes dans les universités et au gouvernement, et nous pourrons vous les obtenir.

On a fait des études sur d'anciennes forêts transformées en terres cultivables et ensuite redevenues des forêts. On a examiné le contenu du sol. Il semblerait que la transformation en terres arables représente une perte importante du carbone dans le sol par rapport à l'époque où c'était une forêt. Il y avait donc une baisse du contenu du sol, le labourage faisant en sorte que le carbone était davantage exposé à la respiration.

Lors de la reconversion en forêt, il y avait un changement des microconditions, et le carbone du sol commençait à augmenter encore une fois. Selon des expériences que je connais, lorsqu'il y a eu conversion de l'état de forêt à celui de terres cultivables et ensuite reconversion à l'état de forêt, le niveau est plus bas quand les terres sont cultivées.

Le sénateur Taylor: Cela représente la moitié de l'équation. Il reste à savoir si la récolte, qui a été emportée et consommée, a absorbé davantage de carbone de l'atmosphère lorsqu'elle était en train de pousser. On nous a signalé que les arbres absorbent davantage dans la première moitié de leur vie que dans la seconde.

M. Apps: Effectivement.

Le sénateur Taylor: Est-ce possible qu'un champ de maïs, de chanvre ou d'avoine en absorbe davantage de l'air qu'une pinède qui couvre une superficie équivalente?

M. Apps: Le concept est très difficile à expliquer, même si la réponse est simple. On parle ici de la rapidité de l'absorption de certaines substances et ensuite de leur rejet. Le problème concernant l'accumulation de carbone dans l'atmosphère, c'est la période pendant laquelle il y est conservé.

Comme je l'ai expliqué, les plantes cultivées dans l'agriculture respirent plus rapidement que les forêts. Les forêts conservent beaucoup plus de carbone pendant de plus longues périodes, mais elles respirent plus lentement. Dans le cas de l'agriculture, les changements sont importants et rapides. Quant aux forêts, les cycles sont plus lents. Mais elles ont conservé beaucoup plus de carbone dans différents éléments. Ces éléments pour la conservation du carbone ne se trouvent pas tous dans le système agricole et c'est là que se trouve la différence.

Les arbres inspirent plus lentement, mais ils expirent aussi plus lentement, et ce qui compte, c'est la différence entre les deux. C'est la différence entre le taux et la conservation.

Le sénateur Taylor: Je voudrais voir les comparaisons. D'après vous, les arbres en font plus. Est-ce que cela représente le double, le triple, ou est-ce qu'il faut multiplier par dix?

M. Apps: Je peux vous envoyer des renseignements à ce sujet. C'est une question de grande importance à l'échelle mondiale. J'essaie de réunir un groupe international pour venir travailler au Canada afin de comparer les différents endroits et les différents systèmes.

Il existe des renseignements à ce sujet; je ne les ai pas ici, mais je peux certainement vous les envoyer. Les scientifiques qui examinent cette question y accordent beaucoup d'attention.

La communauté scientifique est maintenant à l'aube d'une nouvelle ère. La science a toujours fait des expériences sur une petite échelle et a ensuite examiné les grandes conséquences. Nous sommes maintenant en train d'examiner les choses avec lesquelles nous n'avons pas eu d'expérience antérieure. Les agronomes, les spécialistes des sciences forestières, les écologistes, les économistes et les physiciens sont tous en train de travailler ensemble.

Les grandes percées sont généralement le résultat de rencontres entre des connaissances et des informations très différentes, où les gens apprennent les uns des autres. C'est un phénomène très passionnant dans une perspective scientifique parce que nous apprenons des choses des agronomes et des hydrologues. Encore plus important, nous partageons nos connaissances afin de créer de nouvelles connaissances ayant de larges retombées. C'est important et amusant. Les différentes sciences se rejoignent comme jamais auparavant dans l'histoire.

Nous constituons un groupe spécialisé en agriculture, en foresterie et en tourbières, et nous essayons de rassembler tous les éléments disparates pour déterminer ce qui va se produire lorsque ces changements auront eu lieu. Certains pensent que lorsque les forêts disparaîtront nous pourrons y faire de l'agriculture. Les cultivateurs savent qu'il est très difficile de s'installer dans une région boisée et d'y cultiver des céréales. Comme vous l'avez fait remarquer, sénateur Taylor, les sols ne permettent pas le maintien de cette culture.

Il en est de même des forêts. Certains qui ne connaissent pas les forêts du Canada et de la Russie prétendent que le réchauffement est une bonne chose parce que la forêt va envahir la toundra. Mais le pergélisol l'empêchera. Cela ne va pas se produire de cette façon-là, du moins à court terme.

Nous travaillons ensemble et nous apprenons les uns des autres. Le grand défi pour la science canadienne dans la fonction publique et dans les universités, c'est d'apprendre à franchir certaines des limites interdisciplinaires établies entre l'agriculture et la foresterie. Nous commençons à le faire maintenant. C'est très passionnant pour les scientifiques et pour les décideurs comme vous qui dépendent de ces renseignements.

Le président: Je vous remercie beaucoup, monsieur Apps, de votre exposé fort intéressant.

M. Apps: Nous sommes heureux de pouvoir vous être utiles.

La séance est levée.


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