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BORE

Sous-comité de la Forêt boréale

 

Délibérations du sous-comité de la Forêt boréale
du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 8 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 24 avril 1997

Le sous-comité de la forêt boréale du comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 16 h 41 pour poursuivre ses travaux sur l'état actuel et les perspectives d'avenir des forêts au Canada par rapport à la forêt boréale.

Le sénateur Doris Anderson (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, en premier lieu, nous accueillons Elizabeth May, directrice administrative du Sierra Club du Canada.

Je vous en prie, madame May.

Mme Elizabeth May, directrice administrative, Sierra Club du Canada: Je tiens à remercier les membres du comité permanent de l'agriculture et des forêts d'examiner la question très importante de la forêt boréale. Il est extrêmement difficile au niveau fédéral ou national de bien saisir les questions qui touchent aux forêts, puisque la gestion de celles-ci, comme vous le savez, relève de la compétence provinciale. Néanmoins, seul le Parlement du Canada, par l'entremise de la Chambre des communes et du Sénat, peut vraiment traiter de certaines questions très importantes d'envergure nationale. Les possibilités de traiter ces questions sont extrêmement rares.

Le Sierra Club rédige depuis deux ans un livre sur les forêts du Canada intitulé The Cutting Edge, livre qui sera publié par Key Porter à l'automne.

Je n'ai pas apporté de mémoire aujourd'hui, mais si cela peut être utile à vos attachés de recherche, je vous donnerai le manuscrit de ce livre, qui sera prêt la semaine prochaine. Vous pourrez voir les renvois en bas de page et vous saurez quelles sont nos sources.

Je vais commencer par une perspective globale, et je vous laisserai ce document. Je ne sais pas si vous le connaissez. Il s'agit d'un rapport récent du World Resources Institute de Washington, D.C. Il s'agit d'une étude globale très intéressante sur les dernières forêts pionnières, c'est-à-dire les forêts qui comportent des zones intactes suffisamment considérables de forêts vierges pour être considérées comme d'importantes forêts pionnières. Dans cette catégorie, le Canada possède actuellement 25 p. 100 des forêts pionnières importantes que le World Resources Institute considère comme en péril. Ces 25 p. 100 au Canada se composent presque exclusivement de forêts boréales.

Il vous intéressera de savoir que les autres grandes forêts boréales, en Russie et en Alaska, sont considérées comme en péril, ce qui ne fait que rehausser le rôle du Canada. Je suis persuadée que vous avez entendu dire ad nauseam que le Canada possède 10 p. 100 des forêts mondiales de tous les types. Toutefois -- et c'est plutôt important -- nous possédons 25 p. 100 des grandes zones intactes de forêts en péril à l'échelle mondiale, ce qui fait que nous sommes les gardiens d'un pourcentage encore plus élevé de la richesse mondiale en forêts.

La forêt boréale constitue un écosystème important et fascinant que nous connaissons vraiment très peu. Vous avez probablement entendu dire au cours de vos séances qu'il s'est fait plus de recherches scientifiques sur les régions tropicales, telles que l'Amazonie, que sur les forêts boréales. Nous connaissons très peu la composition et le fonctionnement de cet écosystème. Nous connaissons très peu le rôle des divers lichens dans la forêt boréale et leur mode d'adaptation aux conditions climatiques extrêmement variées que nous avons au Canada. La forêt s'étend jusqu'à la limite forestière au Nord, en fait jusqu'à la toundra. À l'extrême sud, le système de la forêt boréale survit malgré des écarts considérables entre la chaleur et le froid, entre l'hiver et l'été. C'est un écosystème fascinant que nous connaissons à peine.

Je sais que vous avez déjà entendu le témoignage de M. Mike Apps sur les changements climatiques et le rôle que joue la forêt boréale dans la séquestration du carbone, mais je tiens à le souligner encore, car nous, du Sierra Club du Canada, nous préoccupons de l'incidence des changements climatiques et, évidemment, des politiques du Canada sur l'utilisation des combustibles fossiles. Nous avons tendance à ignorer le rôle de nos forêts comme puits de carbone sur le plan de leur valeur économique et de leur importance pour d'autres industries au Canada et ailleurs dans le monde.

L'ensemble de la zone boréale de la planète renferme environ 65 millions de tonnes de carbone dans ses troncs, ses branches et ses feuilles et encore 270 milliards de tonnes de carbone dans ses sols et sa matière en décomposition. C'est là une séquestration de carbone très considérable. Les chercheurs ne savent pas tout à fait où disparaît tout ce carbone, mais les deux plus grands puits de carbone semblent être les océans et les forêts, particulièrement les forêts boréales du Nord. Tous les ans, la zone de la forêt boréale absorbe entre 0,4 et 0,6 milliard de tonnes de carbone de l'atmosphère, ce qui est considérable.

Évidemment, en utilisant des combustibles fossiles, nous modifions l'équilibre mondial du carbone. Les émissions de dioxyde de carbone continuent à augmenter, au Canada et partout dans le monde. On peut constater ce que cela signifie notamment en consultant le tableau préparé par Apps et Rizzo. Vous l'avez probablement vu au cours de son témoignage. On peut y voir les répercussions éventuelles si le dioxyde de carbone doublait dans l'atmosphère. On constate que les résultats concernant notre forêt boréale sont plutôt surprenants.

La forêt boréale actuelle s'étend de Terre-Neuve jusqu'à un point plus éloigné de la Colombie-Britannique qu'on ne le voit sur cette carte. L'incidence du doublement du dioxyde de carbone ne se manifesterait pas du jour au lendemain, évidemment, mais la réduction de la zone où les conditions climatiques sont appropriées à la forêt boréale entraînerait sa disparition partout, sauf dans certaines régions du Labrador et du Québec et du nord des Prairies, mais il n'y en aurait pratiquement plus dans le sud du Canada. Il y aurait donc une réduction considérable des régions de forêt boréale au Canada. Dans le Nord, la température et les précipitations pourraient convenir à la forêt boréale, mais les sols ne peuvent pas alimenter une telle forêt. Vous comprendrez que les changements climatiques menacent de façon marquée notre forêt boréale.

En même temps, notre forêt boréale se transforme en source de carbone plutôt qu'en puits de carbone. L'augmentation marquée des incendies de forêt en est responsable. Ceux-ci sont l'une des incidences que les chercheurs tentent de prédire dans le contexte des changements climatiques. Je ne sais pas comment Mike Apps a abordé cet aspect lorsqu'il vous a adressé la parole, mais depuis 1970 les perturbations naturelles, particulièrement les insectes et les incendies, ont doublé dans nos forêts. C'est en grande partie dû aux changements climatiques.

Depuis 1980, le Canada a connu cinq des sept pires incendies de forêt de son histoire. Pendant la même période, le Canada a également connu huit des années les plus chaudes jamais enregistrées. Il faut noter aussi que 1995 est au deuxième rang pour le nombre d'incendies de forêt au Canada. Au total, il y a eu presque 8 500 incendies au Canada qui ont détruit plus de sept millions d'hectares de forêt. La situation a été particulièrement grave au Yukon, où nous avons perdu plus de trois millions d'hectares de forêt.

Il y a des facteurs qui rendent difficile l'établissement d'un lien entre les incendies de forêt et les changements climatiques, et je tiens à le reconnaître d'emblée. Il y a évidemment le fait que nous luttons contre les incendies de forêt. Parce que la forêt boréale est un écosystème alimenté par le feu, où le feu entraîne une succession de forêts différentes, l'intervention humaine visant à supprimer les incendies de forêt entraîne peut-être des incendies beaucoup plus dramatiques lorsqu'ils se produisent. Néanmoins, les changements climatiques créent des conditions plus propices aux incendies. Les incendies de forêt des dix dernières années signifient que les forêts canadiennes ont cessé d'être une force de séquestration globale, un puits de carbone, pour devenir une source nette de carbone dans l'atmosphère.

D'une certaine façon, le modèle de changements climatiques entraîne un effet de rétroaction néfaste pour les forêts du Canada, puisqu'il entraîne une augmentation des émissions de carbone dans l'atmosphère, comme nous l'avons constaté, menaçant nos écosystèmes et du point de vue écologique et du point de vue économique.

Le sénateur Taylor: Avez-vous dit que l'augmentation du nombre d'incendies de forêt signifie que nos forêts sont devenues une source de carbone plutôt qu'un puits de carbone?

Mme May: En effet, et c'est un développement plutôt surprenant.

Quoi qu'il en soit, je veux consacrer plus de temps cet après-midi à la question de la gestion de nos forêts. Veuillez intervenir si vous avez des questions.

Le sénateur Taylor: Cela m'amène à poser ma deuxième question. Vous ne voulez sûrement pas dire que les feux de forêt aujourd'hui sont plus nombreux ou plus importants qu'il y a 50 ans?

Mme May: En fait, oui. Nous vivons les pires années de feux de forêt de notre histoire -- et nous tenons des dossiers depuis très longtemps déjà. La question se pose donc: les feux de forêt sont-ils plus graves qu'autrefois parce que nous les avons empêchés ou sont-ils plus graves parce que le climat a changé? Le phénomène de réchauffement dans le nord du Canada dépasse largement la tendance moyenne à l'échelle du globe que constatent les chercheurs.

Lorsqu'il a conclu que les êtres humains exerçaient une influence perceptible sur le climat du globe, le groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat s'est fondé tout particulièrement sur les faits démontrant que les changements de température dans le bassin Mackenzie étaient bien supérieurs à la moyenne mondiale. Les deux régions qui ont le plus influencé le GIEC dans ces constatations sont l'Antarctique et le bassin du Mackenzie. Quant à la cause exacte de l'augmentation des feux de forêt, je ne voudrais pas l'attribuer uniquement au changement climatique, puisque la situation se complique du fait que les humains répriment les feux de forêt depuis de nombreuses années. Nous avons connu les années les plus chaudes et les feux de forêt les plus importants de notre histoire, ce qui laisse supposer que le changement climatique entraînera un climat peu favorable aux régions traditionnelles des écosystèmes qu'a occupés la forêt boréale. Parallèlement, ces forêts émettent de plus grandes quantités de carbone dans l'atmosphère, ce qui accélère le changement à un climat inhospitalier.

Il serait naïf de ne pas déterminer la valeur économique pour le Canada du maintien de nos puits de carbone. Nous avons agi comme si la séquestration du carbone dans nos forêts boréales constituait un avantage intangible, mais lorsque nous songeons que nous devons réduire les émissions globales de carbone à cause du changement climatique, nous comprenons que nos forêts sur pied comportent un avantage économique considérable. Pourtant, au fil des ans, nous avons augmenté de façon marquée la coupe de bois permise dans nos forêts boréales.

Vous savez probablement que la coupe à blanc représente 90 p. 100 de toute l'exploitation forestière au Canada. En Colombie-Britannique, ce chiffre atteint 95 p. 100. Plus surprenant encore, 90 p. 100 des arbres abattus au Canada chaque année proviennent de forêts où il n'y a jamais eu de coupe auparavant. En d'autres termes, 90 p. 100 de l'exploitation forestière annuelle se fait dans des forêts vierges.

Lorsque l'on songe à ces deux statistiques sur la forêt boréale, on comprend qu'essentiellement, nous effectuons une vaste expérience de coupe à blanc dans un écosystème que nous connaissons très peu. Je vous rappelle, pour vous donner un aperçu global de la situation, que nous possédons 25 p. 100 des forêts pionnières qui restent au monde dans l'écorégion boréale.

En passant, ces statistiques sont tirées du Rapport sur l'état de l'environnement d'Environnement Canada. Je voulais simplement indiquer l'ampleur de l'exploitation de nos forêts. Nous avons tendance à voir le Canada comme une nation forestière. Cela fait des centaines d'années que nous exploitons nos forêts et, à notre avis, rien n'a changé. Comme vous pouvez le constater, ce tableau présente les données de 1920 à 1994. Nous constatons une augmentation marquée du nombre de régions exploitées. Ce tableau indique où se font les coupes annuelles; l'échelle sur le côté est en milliers d'hectares. Les zones d'exploitation forestière augmentent de façon marquée à chaque année, bien qu'il y ait eu une petite diminution au cours de la crise économique du début des années 90. Au cours de cette même période, le volume total, en millions de mètres cubes, a également augmenté de façon soutenue. Encore une fois, une grande partie de cette augmentation se situe de la région boréale du Canada, car nous poussons de plus en plus vers le nord.

Au cours des deux ou trois derniers siècles, presque toute l'exploitation forestière s'est faite dans le sud de l'Ontario et le sud du Québec, les régions les plus rentables -- bien que je n'aime pas utiliser cette expression, car elle ne fait pas partie du vocabulaire écologique --, telles que celles des forêts de pins blancs, et l'écosystème forestier des Grands Lacs et du Saint-Laurent où la coupe se faisait surtout pour du bois de sciage. Progressivement, nous sommes passés à une économie de pâtes et papiers, ce qui signifie que nous avons pu passer à la forêt boréale où les arbres sont moins utiles pour le bois de sciage, mais ont une valeur quand même comme matière ligneuse courte. Ces arbres continuent à être très utiles dans l'industrie des pâtes et papiers. Nous nous sommes étendus plus au nord, surtout ces 20 dernières années.

Pour conclure, j'aimerais parler de notre possibilité de coupe annuelle, qualifiée dans certaines provinces de possibilité annuelle de coupe. D'après ce tableau, nous aurions un peu de jeu et nous semblons savoir ce que nous faisons. Il y a une possibilité de coupe annuelle que l'on calcule au moyen d'un certain processus scientifique, et il y a le taux de coupe qui, tout en augmentant, demeure en deçà du niveau prédéterminé permis. Voilà le sujet auquel j'aimerais consacrer le temps qu'il me reste.

La possibilité de coupe annuelle dans chaque province est déterminée, comme vous le savez, par les ministères provinciaux des Forêts. Il s'agit d'une décision extrêmement importante. Puisque nous ne connaissons pas grand-chose au sujet de l'écosystème que nous exploitons, compte tenu du fait que 90 p. 100 de toute l'exploitation se fait en forêts vierges et compte tenu du fait que 90 p. 100 de l'exploitation se fait par coupe à blanc, nous devons être très vigilants pour nous assurer que sur le plan économique, nous pouvons maintenir nos approvisionnements à long terme.

La question de l'approvisionnement est l'un de nos sujets de recherche au Sierra Club. Il est tout à fait surprenant de constater à quel point la possibilité de coupe annuelle, la PCA, partout au pays, repose sur de fausses hypothèses. D'abord, il y a la question de l'inventaire. Aucune province au Canada ne peut dire exactement quel est son volume forestier, quelles sont les espèces qui s'y trouvent et quel est son taux de croissance. On a l'impression, à partir des documents gouvernementaux, que ces facteurs sont des quasi-certitudes, mais la question de base, à savoir combien de forêts nous avons, pour nous permettre de décider combien nous pouvons couper d'arbres, repose sur des hypothèses.

Dans chaque province, l'inventaire forestier repose sur des photographies aériennes que l'on doit analyser. On doit donc deviner, d'après la photographie, les espèces au sol. Toutes les provinces ont des parcelles d'échantillon permanentes, certaines plus grandes que d'autres, servant à confirmer les conclusions tirées des photographies. Ce processus est chargé d'incertitudes même lorsque l'échantillon nage au sol se fait dans les parcelles d'échantillon. De nombreux documents de l'industrie forestière révèlent que les techniciens forestiers peuvent en arriver à des estimations extrêmement différentes. En d'autres termes, la marge d'erreur est énorme lorsqu'un technicien forestier se rend sur place pour déterminer la hauteur des arbres et leur diamètre à hauteur de poitrine. Les techniciens forestiers tirent des conclusions très différentes même dans une même parcelle d'échantillon, même lorsqu'ils se rendent sur place pour vérifier. Ensuite, on procède à des extrapolations sur tout le territoire. L'incertitude est donc très grande en ce qui concerne le nombre d'arbres qui existent vraiment.

Fondé sur cet inventaire, on tente ensuite de déterminer la vitesse de croissance de la forêt et où on peut l'exploiter et à quel rythme. C'est à ce point-ci que la possibilité de coupe annuelle se prête à de nombreuses manipulations. Nous avons conclu qu'au Canada, la possibilité de coupe annuelle est essentiellement un chiffre politique. C'est un chiffre ni scientifique ni objectif. Il y a manipulation vers le haut de ces chiffres dans toutes les provinces afin d'augmenter la matière ligneuse à destination des usines de pâtes et papiers. Lorsqu'il y a une nouvelle usine dans une province, on trouve moyen d'augmenter la possibilité de coupe annuelle et d'augmenter l'inventaire afin de servir cette usine.

Il y a plusieurs façons de manipuler cette notion de coupe annuelle autorisée. Dès l'époque de Gifford Pinchot à la fin des années 1800, et de Bernard Fernow, qui était le premier doyen de l'École de foresterie de l'Université de Toronto, le principe d'une exploitation forestière renouvelable était largement reconnu. C'est un principe selon lequel vous ne coupez pas plus que ce que vous voyez pousser.

Par la suite, on s'est livré à des manipulations sur cette notion, en décidant de façon arbitraire du rythme à laquelle la forêt se renouvelait. C'est-à-dire qu'il faut effectivement savoir de combien de temps la forêt aura besoin pour se renouveler, avant d'autoriser une autre campagne d'abattage.

Le sénateur Taylor: Avez-vous une idée de l'influence des intérêts politiques et des manipulations dans la fixation de cette coupe annuelle autorisée?

Mme May: Je dirai que cela représente, pour tout le Canada, 30 p. 100. C'est-à-dire que l'on manipule les classes d'âge. Les responsables peuvent effectivement décider que la forêt est arrivée à maturité au bout de 70 ans, si bien que ce qui était à une certaine époque un roulement de cent ans va être ramené à la durée d'une génération.

La façon la plus importante de manipuler ces notions, mais également la plus dangereuse, consiste à recourir à la notion d'effet tolérable de coupe. Il s'agit en fait de parier sur la politique de sylviculture du lendemain. La planification des coupes au Canada se fait en fonction d'une hypothèse de sylviculture intensive, où l'on prévoit, après la coupe à blanc, que l'on plantera, et que, parallèlement, on pulvérisera des herbicides, des insecticides, et on éclaircira, et cetera.

Il y avait, comme vous le savez, un programme fédéral-provincial des forêts qui finançait une partie importante de cette sylviculture. Depuis l'abandon de ce programme, l'effort de sylviculture n'est plus le même. Cependant, rien n'a été changé au calcul de la coupe annuelle réalisable. Par ailleurs, il n'est pas certain non plus que la sylviculture, si elle était pratiquée jusqu'au bout, permettrait effectivement d'augmenter le rendement d'une forêt comme certains le prévoient. Autrement dit, on table sur le fait qu'une forêt de deuxième croissance devrait produire un volume de bois plus important que celle qu'on est en train d'abattre. N'oublions pas que 90 p. 100 de la coupe annuelle se fait dans des forêts de première croissance. Ces forêts au cours des générations ont pu accumuler une biomasse qui est maintenant exploitée, et l'on prévoit que d'ici 60 à 70 ans, selon la province, on pourra y retourner et en obtenir un volume de coupe encore plus important que la première fois.

Cette notion d'effet de coupe acceptable a été critiquée par de nombreux spécialistes, y compris M. Peter Pearse, qui s'occupe d'économie de ressources naturelles, lorsqu'il présidait la Commission royale de la Colombie-Britannique sur les forêts. Il a fait remarquer que cette notion d'effet de coupe acceptable était si fausse, qu'on est surpris de voir à quel point elle est largement utilisée. On peut dire effectivement que depuis lors elle a été acceptée à peu près partout.

La croyance selon laquelle le reboisement qui fait suite à la coupe à blanc résout le problème, a permis à Forêts Canada, suite à une étude portant sur 11 années de statistiques sylvicoles, de faire remarquer que l'on doute de plus en plus au Canada de la possibilité d'évaluer la régénération forestière à partir d'un simple calcul de densité ou de surface occupée. Par ailleurs, l'on semble de plus en plus pouvoir douter de l'idée selon laquelle la forêt de remplacement sera en volume au moins égale à la première futaie.

Aux services des forêts, aux paliers fédéral et provincial, de nombreux ingénieurs savent qu'en dépit d'une politique de sylviculture intensive et de reboisement, nous ne pourrons pas nous attendre à un rendement comparable à celui de la forêt naturelle. Pourtant, toutes les provinces ont adopté cette notion d'effet de coupe acceptable. C'est de la foresterie vaudoue. Ça revient à hypothéquer gravement l'avenir. De leur côté, les provinces permettent aux gens d'augmenter l'abattage dans l'immédiat, en partant du principe qu'un jour ou l'autre quelqu'un va déployer des efforts considérables de sylviculture, et que grâce à celle-ci le rendement sera mirifique. Comme je l'ai déjà dit, c'est un véritable château de carte, la situation est grave, et notamment partout où l'on abat du bois.

Le graphique précédent vous montrait qu'à l'échelle nationale, nous restons en-dessous du seuil de la coupe annuelle possible. Dans certaines provinces par contre, le Nouveau-Brunswick et Terre-Neuve par exemple, on dépasse ce seuil. Dans le cas du Nouveau-Brunswick, si l'on laissait de côté la notion d'effet de coupe permis, il faudrait réduire de 30 p. 100 l'abattage.

Voilà donc un certain nombre d'éléments dont il faut tenir compte pour savoir si nos forêts sont gérées de façon à se renouveler. Étant donné que dans les régions de forêts boréales, le climat est plus dur, les possibilités de régénération en sont d'autant diminuées. Le Sierra Club propose que tous les gouvernements du Canada, par l'intermédiaire du conseil canadien des ministres des Forêts, procèdent à un examen exhaustif des réserves canadiennes et du rythme de l'abattage.

En ce qui concerne l'examen annuel de la coupe autorisée, seule la Colombie-Britannique fait un effort sérieux dans cette direction. Il y a également dans cette province une certaine étendue de forêt boréale. L'on n'exploite pas cette forêt boréale en Colombie-Britannique, à l'exception du nord de la province, dans la région des Cassiars, où l'on vient de multiplier par 4,6 le facteur de coupe autorisée le long de la frontière du Yukon. La province procède régulièrement à un examen des réserves forestières sur pied, et le forestier en chef doit faire un rapport public sur les quantités autorisées à l'abattage et la façon dont elles sont calculées. Pourtant cela n'a pas permis de réduire de plus de 1 p. 100 le contingent général de coupe annuelle autorisée, mais au moins l'on peut constater que la province fait un effort pour déterminer si la forêt est exploitée de façon durable.

En Colombie-Britannique, et parce que la forêt primaire y est si considérable, notamment dans les régions côtières à climat tempéré, l'on sait très bien qu'une fois abattue cette forêt naturelle, la coupe annuelle autorisée devra chuter de 20 p. 100. C'est le calcul de l'ingénieur en chef des forêts de la province, et non pas de notre club. Je pense que cela vaut pour l'ensemble du Canada, mais la question n'est pas à l'étude.

Cela pose aussi un certain nombre de questions inquiétantes sur le plan économique, car l'on construit des scieries à un rythme qui aboutira à la disparition de toute la forêt naturelle, au lieu de prévoir qu'il faudra réduire les volumes de coupe une fois cette forêt disparue.

Comme dans le cas de la pêche à la morue, on voit ici à l'oeuvre une tendance de la nature humaine. Effectivement, lorsque vous avez toutes ces usines à poisson, il faut les alimenter en matières premières. C'est exactement la même chose qui se produira pour les forêts canadiennes, à moins qu'un réexamen à l'échelle de la nation puisse à temps freiner le développement des scieries. Il est temps d'évaluer de façon réaliste la capacité de rendement de nos forêts, et prendre des décisions sur ce qu'un rythme d'exploitation durable peut être, afin de ne pas répéter dans ce secteur -- je pense plus particulièrement aux forêts boréales -- ce que nous avons connu à propos de la morue.

Je vais rapidement aborder la question des conséquences pour les écosystèmes canadiens du rythme actuel de l'exploitation forestière. Il est clair que la politique actuelle aboutira inévitablement à la disparition des forêts de vieux peuplements. Au fur et à mesure que nous exploitons les forêts primaires, nous adoptons un système de rotation qui laisse de moins en moins de temps entre la coupe à blanc et la coupe suivante. Cela fait que nous détruisons pour toujours cette diversité structurelle des écosystèmes des forêts les plus anciennes. Or, sans ces écosystèmes, de nombreuses espèces canadiennes vont disparaître. Il s'agit d'espèces qui ont besoin de ces forêts de vieux peuplements. Il se trouve que nous ne mettons pas suffisamment en réserve des zones de forêts anciennes qui permettraient de maintenir cette diversité de l'éventail des espèces.

Pour ce qui est des espèces tributaires d'une forêt boréale de vieux peuplements, la marte de pins du Canada est déjà menacée. À Terre-Neuve, il en reste déjà moins de 300, et c'est une espèce qui a besoin d'une forêt de vieux peuplements. C'est la même chose pour le caribou des forêts. Dans le nord de l'Ontario et au Manitoba, celui-ci a besoin des forêts de vieux peuplements. Il a notamment besoin en hiver de lichen qui ne s'accumule que sur l'écorce d'arbres très vieux. Au fur et à mesure que cette forêt ancienne disparaît, l'habitat et la subsistance de la marte des pins et du caribou des forêts sont menacés. Cette forêt ancienne est particulièrement importante pour tous les oiseaux qui ont besoin de faire leur nid dans des cavités, mais également pour les ours. Certaines espèces de ces derniers ont absolument besoin de l'écosystème d'une forêt ancienne.

Je ne voudrais pas que cette analyse donne l'impression que notre objectif unique est la préservation de l'industrie forestière canadienne; pourtant, si nous ne pouvons pas assurer une gestion forestière capable d'alimenter l'industrie, cette gestion ne permettra pas non plus d'entretenir la diversité biologique qui reste solidaire de l'écosystème de la forêt boréale.

Je vais en rester là, et nous allons pouvoir répondre aux questions si je n'ai pas toujours été très claire.

La présidente: Vous dites que chaque province inclut un facteur d'effet de coupe permis.

Mme May: Exactement.

La présidente: Ce facteur table sur des prévisions en matière de sylviculture intensive, en tenant compte des diverses espèces d'arbre, n'est-ce pas?

Mme May: Oui.

La présidente: Est-ce que vous pourriez développer un petit peu ce point?

Mme May: Pour moi, c'est une découverte sans précédent. Je savais que dans ma province d'origine, la Nouvelle-Écosse -- et je croyais que c'était peut-être unique à la Nouvelle-Écosse -- notre ministère des Ressources naturelles autorisait les compagnies de pâtes et papiers provinciales à augmenter leurs coupes si elles présentaient des plans de pulvérisation d'herbicide. Il semble en fait que ce soit quelque chose de tout à fait répandu. En fait, avec l'adoption cette année en Colombie-Britannique d'un amendement à leur loi sur les forêts, le projet de loi 7, cette condition vient d'être intégrée à leur planification également. C'est-à-dire que l'on détermine la coupe annuelle possible dans chaque province en tenant compte de ce facteur, à l'exception de l'Île-du-Prince-Édouard, si je ne me trompe.

Cela a permis, en Nouvelle-Écosse, à un moment où l'on craignait une pénurie de bois, de déclarer que l'on allait pouvoir doubler les quantités abattues, en passant à une gestion de sylviculture intensive. Chaque province a maintenant adopté ce modèle, grâce auquel les quantités abattues sont maintenant supérieures à ce qu'elles auraient été, sans ce facteur. En réalité, vous n'avez même pas besoin d'un contrat garantissant qu'une politique sylvicole sera mise en place; on suppose simplement qu'un jour où l'autre, on pratiquera une sylviculture intensive, et à partir de là on permet une augmentation des quantités abattues dans l'immédiat. Cela représente à peu près 30 p. 100 de plus dans l'ensemble du Canada.

Cela n'est pas une gestion durable, et ce que je viens de dire est suffisamment éloquent. Le président de la commission royale, Peter Pearse, avait déjà alerté l'opinion il y a quelque temps. C'est exactement ce qui s'est passé avec la morue à Terre-Neuve, où l'on appliquait au large des côtes le principe de la prise totale autorisée, notion qui semblait donner toutes les garanties voulues d'objectivité scientifique puisque l'on avait présenté tous ces modèles merveilleux, mais qui en réalité pouvait être manipulée à volonté.

En réalité, l'idée que nous avons du nombre d'arbres dont nous disposons encore au Canada n'est pas beaucoup plus précise que celle que nous avions des réserves de poisson au large de Terre-Neuve, et notre estimation de ce que nous pouvons abattre n'est pas non plus beaucoup plus fiable. Ce qui manque à la gestion de nos ressources renouvelables, c'est ce principe de prudence, auquel le Canada avait pourtant souscrit au Sommet de la Terre de Rio. Puisque nous ne savons pas forcément tout des conséquences de nos actes, et qu'il y a une sérieuse possibilité d'erreur grave, lorsqu'il est question d'exploitation d'une ressource naturelle renouvelable, nous devrions faire preuve de prudence, et nous protéger contre nos propres erreurs et notre faillibilité. Cependant, exactement comme pour la morue, je prétends que nous nous en tenons à de simples estimations de ce que nous avons à notre disposition; les chiffres sont ensuite gonflés, on fait des projections optimistes, on fixe des limites à l'abattage à partir de cela, et c'est pourquoi, comme sur le graphique que je vous ai montré tout à l'heure, on arrive à des chiffres d'abattage inférieurs à la coupe annuelle possible. Mais les courbes se rapprochent.

Une autre chose qui fait que la coupe annuelle possible dépasse encore pour le moment la coupe effective, c'est qu'il y a dans chaque province des zones forestières importantes qui sont incluses dans le calcul, et qui pour le moment sont inaccessibles à l'exploitation commerciale. Cela donne l'image fausse que nous savons exactement quelles sont les réserves, que celles-ci sont largement suffisantes et que donc le rythme d'abattage peut se poursuivre, puisque nous n'atteignons toujours pas le seuil de la coupe annuelle possible.

Cette notion devrait donc être réexaminée de fond en comble. J'adorerais constater, au bout du compte, que nous nous sommes trompés dans notre analyse; mais nous avons utilisé les statistiques officielles, et rien ne prouve que l'on fasse preuve de prudence en matière d'exploitation forestière au Canada.

La présidente: Vous demandez que toutes les provinces fassent une étude globale du rythme d'abattage?

Mme May: Oui. Et dans ce domaine, nous avons besoin que le palier fédéral prenne l'initiative. Il serait bon que votre comité fasse des recommandations au gouvernement fédéral à cet effet. Une des meilleures choses jamais entreprises par le palier fédéral, s'est faite dans le domaine des forêts; je veux parler du travail scientifique du Service canadien des forêts. Certains centres canadiens, tels que celui de Petawawa, ont fait un travail remarquable, qui a permis aux provinces de mieux comprendre ce qu'elles font. Malheureusement, les coupures budgétaires sont en train de nous faire perdre l'acquis scientifique du Service canadien des forêts. Étant donné l'importance économique de nos forêts pour le pays, c'est une politique de courte vue.

Le Service canadien des forêts, et le gouvernement fédéral, devraient ouvrir la voie dans ce travail d'évaluation de la coupe. Un simple calcul serait déjà utile, c'est quelque chose que personne n'a jamais fait. Personne ne s'est jamais donné non plus une vision globale de la question: quel est le nombre total de scieries, par exemple? Quel est le nombre de mètres cubes de bois dur ou de bois d'oeuvre dont nous avons besoin pour maintenir en service les scieries qui existent déjà? Que se passera-t-il lorsque les nouvelles scieries qui doivent être construites, entreront en service? Chaque province dresse des plans mirifiques de développement industriel. La Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick et Terre-Neuve admettent l'existence d'un déséquilibre déjà important entre la capacité de production des scieries et celle des forêts; pourtant, la Colombie-Britannique et les Prairies parlent encore d'augmenter le volume d'exploitation forestière. Nous avons besoin d'une perspective à l'échelle nationale. Il faut donc savoir quelles sont les réserves, et de quoi sera faite une exploitation durable. Nous devons également savoir jusqu'où tiendra l'écosystème, à partir de quand il y aura une surexploitation de la ressource, ne lui permettant plus de se renouveler, ce qui en dernière analyse se traduira par des pertes d'emplois et une régression économique dans les localités qui dépendent de l'exploitation forestière. Étant donné ce que je vous ai dit en préambule sur le changement climatique, cette analyse serait extrêmement utile. Mais étant donné également par ailleurs les risques que nous faisons courir à nos écosystèmes, le fait que nous les sollicitons jusqu'à un point de rupture par la coupe à blanc, par une extension de l'abattage vers le Nord, à un moment où l'ensemble de cet écosystème est menacé par le changement climatique, tout cela manque de vision. Malheureusement, personne ne prend un point de vue holistique en matière de politique forestière.

La présidente: Vous dites aussi que nous devons surveiller la capacité de production de scieries. Dans l'Ouest, nous avons entendu dire que certaines scieries d'Alberta sont déjà obligées d'importer des grumes de Saskatchewan, et qu'une usine du nord de l'Alberta est insuffisamment alimentée.

Mme May: Effectivement. Les scieries de la Colombie-Britannique ont besoin de bois qui vient d'aussi loin que la Saskatchewan et du Yukon. Dans la partie continentale de Terre-Neuve, certaines scieries manquent de bois, et espèrent une coupe à blanc dans tout le Labrador. Or, voilà des écosystèmes et des forêts dont personne n'aurait pu imaginer il y a 10 ans que l'on pourrait les exploiter commercialement. Or, on se heurte déjà à des pénuries d'approvisionnement. L'industrie de la scierie dans le sud du Canada a du mal à s'alimenter en bois de scierie de qualité; en même temps l'industrie des pâtes et papiers ne trouve pas non plus les qualités de bois dont elle a besoin en quantités suffisantes. Cela montre que l'ensemble de l'écosystème est exploité jusqu'à un point de rupture, mais personne ne semble s'en rendre compte au Canada.

Même dans les provinces où il y a une pénurie à l'approvisionnement, on a tendance à minimiser le phénomène et à n'y voir qu'un problème local. Si vous prenez un point de vue pancanadien, en constatant qu'il y a un peu partout des pénuries locales, vous serez peut-être alors amenés à constater que nous avons besoin d'une vision nationale. Le gouvernement fédéral pourrait peut-être aider les provinces à évaluer le caractère durable de leur gestion, non seulement d'un point de vue économique, mais également en tenant compte d'autres valeurs telles que le cycle du carbone et la protection de la diversité biologique.

Le sénateur Taylor: Revenons aux incendies de forêt, j'ai un petit peu de mal à comprendre. Vous aimez l'idée selon laquelle la forêt devrait être un puits de carbone. Vous pensez que c'est bon?

Mme May: Oui.

Le sénateur Taylor: Mais vous dites qu'en raison des incendies de forêt répétés, la forêt ne joue plus ce rôle, puisqu'elle est en train au contraire de produire du carbone. Vous dites également que nous devrions laisser les forêts en paix. Recommandez-vous également que pour en faire un puits de carbone, nous devrions faire plus pour éviter les incendies de forêt?

Mme May: Cette valeur de puits de carbone de nos forêts n'est jamais évaluée sur le plan économique, lorsque les provinces discutent de leur domaine forestier. Je prétends qu'il faut faire tout ce que nous pouvons pour conserver cette valeur d'absorption du carbone de nos forêts boréales, ce qui signifie au moins que toute coupe à blanc dans la forêt boréale ancienne devrait être évaluée en fonction de l'importance pour le Canada, et pour d'autres pays, de ce puits de carbone. Cela ne veut pas dire non plus que les incendies de forêt soient inévitables dans la forêt boréale. Mais, comme je le disais, c'est un écosystème qui fait sa place à l'incendie de forêt. Il n'est pas facile de répondre simplement à votre question, étant donné que l'on procède à des coupes à blanc massives dans la région boréale et que parallèlement les incendies de forêt augmentent en nombre, soit du fait du changement climatique ou de l'action combinée du changement climatique et de ce que jusqu'ici certains incendies de forêt ont pu être évités. Je ne veux certainement pas laisser entendre que l'on peut facilement résoudre le problème. L'incendie fait partie de l'écosystème de la forêt boréale, mais il se trouve que le nombre d'incendies augmente, en même temps que les superficies de forêts détruites. C'est peut-être à mettre en rapport avec le changement climatique. De ce fait, et pour répondre au problème climatique, nous devrions nous assurer, pour protéger l'avenir de nos forêts, que l'on constitue des réserves de forêts boréales de vieux peuplements, que l'on entretiendrait comme puits de carbone.

Le sénateur Taylor: Étant donné le changement climatique, auquel nous ne pouvons pas grand-chose, ces forêts de vieux peuplements seront la cible privilégiée des incendies. De ce fait, nous devons prendre des mesures de sécurité renforcées pour préserver cette forêt de vieux peuplements. Cela paraît logique, en l'occurrence, puisque l'incendie qui est parfois d'origine naturelle est dans ce cas-ci la conséquence d'une ingérence des hommes dans le cycle de la nature.

Je voulais ensuite poser une question sur la coupe à blanc et le puits de carbone. J'avais l'impression qu'après une coupe à blanc il y a une plus grande consommation de carbone que dans une forêt de vieux peuplements.

Mme May: Vous voulez parler de la forêt de remplacement?

Le sénateur Taylor: On a alors des millions de petits organismes qui se battent pour survivre, alors qu'il n'y a plus rien à brûler en sous-bois, si bien que l'on aboutit au bout du compte, là où il y avait une forêt de vieux peuplements, à la création d'un puits de carbone plus important.

Mme May: Je sais que l'industrie forestière a essayé de dire que ces jeunes pousses, au moment du reboisement, absorbent en réalité le carbone plus vite que les vieux arbres, et que l'on a un meilleur puits de carbone. Il y a un excellent article dans Science -- j'en indiquerai la référence à vos attachés de recherche -- selon lequel, après une coupe à blanc et un reboisement, il faudrait attendre au moins 200 ans pour avoir une capacité de stockage comparable à ce qu'elle était avant. Même si le carbone emmagasiné dans les édifices de bois est inclut dans nos modèles de calcul, l'exploitation forestière aboutit à une augmentation nette du gaz carbonique dans l'atmosphère.

Il est clair que la seule biomasse, le poids de ce carbone emmagasiné dans une forêt ancienne, est plus importante que celle d'une forêt de reboisement. Même s'il est vrai que la croissance d'un vieil arbre est ralentie, et qu'il ne consomme pas autant de carbone qu'une jeune pousse, si l'ont tient compte de la taille et de la capacité d'absorption, c'est cependant la forêt de vieux peuplements qui constitue à tout coup le puits de carbone le plus important. L'industrie forestière a essayé de jouer de cet argument à son avantage, mais ça ne résiste pas à l'analyse.

Le sénateur Taylor: Vous avez mentionné la possibilité de coupe annuelle, mais je n'ai pas tellement entendu parler de la biodiversité dans votre exposé. Vous avez abordé le fait que les forêts boréales à vieux peuplements pourraient être aussi utiles que les forêts tropicales dans les domaines bactériologiques et pharmaceutiques, même si, en tant que pays, nous n'avons pas fait beaucoup de recherches en la matière. Nous devons aussi nous rappeler que 400 de nos 500 bandes autochtones au Canada vivent dans la forêt boréale et que, dans bien des cas, elles en ont besoin pour survivre, non seulement pour la foresterie mais, qui plus est, pour la chasse, le piégeage et ainsi de suite. Ne devrions-nous pas réserver une grande partie de la forêt boréale pour que les Autochtones y chassent du gibier, après quoi nous pourrons travailler sur la PAC. Avez-vous étudié cette question?

Mme May: C'est une excellente idée. Je conteste la façon dont les gouvernements provinciaux fixent la PAC, et vous avez parfaitement raison de souligner qu'ils n'ont jamais tenu compte du fait que les Premières nations comptent sur la même forêt pour subsister, à moins que cette forêt ne se trouve littéralement dans leur réserve. La question concernant les 400 communautés des Premières nations qui comptent sur la forêt boréale est excellente, surtout quand on pense que la coupe à blanc menace pratiquement toutes les forêts boréales accessibles aux exploitants. Les routes ne cessent de s'étendre vers le nord pour faciliter l'accès à toutes ces forêts. Autant que je sache, aucun gouvernement provincial ne réserve de vastes étendues forestières pour maintenir les activités traditionnelles des Premières nations ou leur capacité de survivre. Évidemment, il y a souvent des conflits. Par exemple, la marte des pins est une espèce tributaire des forêts anciennes, mais c'est aussi un mammifère à fourrure. Certaines Premières nations, surtout au Yukon, dépendent du piégeage, et la marte des pins fait partie de leurs assises économiques. À mesure que cette espèce disparaît à cause de la disparition des forêts de vieux peuplements, les Premières nations sont confrontées à un problème immédiat. Je ne connais aucune province qui, en fixant le rythme d'exploitation des forêts, tient compte du fait que les Premières nations dépendent de ces forêts.

Le sénateur Spivak: En fait, c'est tout à fait le contraire qui se produit. Partout, on néglige complètement tout ce qui se rapporte aux peuples autochtones. Les gouvernements provinciaux n'en tiennent même pas compte. Les Cris, par exemple, ne s'en plaignent-t-ils pas? Ils ont le droit de chasser et de pêcher, mais s'il n'y a ni forêt ni cours d'eau, comment exerceront-ils ces droits? Tous les paliers de gouvernement s'en fichent complètement.

Le sénateur Taylor: Quel pourcentage des forêts anciennes devrions-nous préserver?

Mme May: C'est une question très difficile. Dans ses publications, le gouvernement fédéral véhicule actuellement un mensonge éhonté. Je n'ai pas l'habitude de traiter un gouvernement de la sorte, mais c'est tellement clair que je dois dire que c'est un mensonge.

Le gouvernement dit dans ses publications qu'il protège, avec ses politiques ou ses lois, 12 p. 100 des forêts canadiennes. En réalité, la proportion réelle des forêts que le Canada protège actuellement d'une façon ou d'une autre, que ce soit dans un parc national ou provincial, est inférieure à 4 p. 100. Bien entendu, on avance le chiffre de 12 p. 100 pour se rapprocher de l'objectif fixé par le Fonds mondial pour la nature en ce qui concerne les espèces menacées, et l'on obtient ce chiffre en additionnant toutes les zones tampon que l'on est censé laisser le long des cours d'eau et des autoroutes; ainsi, en mettant tout cela ensemble, on est censé obtenir comme par magie le chiffre de 12 p. 100. Il est vraiment très troublant de constater que l'on brandit ce chiffre dans le monde entier comme si cela représentait les véritables réalisations du Canada, parce qu'il y a tout un tas de petites bandes ça et là, alors que, même si elles existaient, cela ne nous permettrait pas de conclure que nous avons 12 p. 100 de forêts protégées.

Pour ce qui est de la quantité de forêts anciennes qu'il faudrait réserver, nous avons besoin d'un ensemble représentatif des différents paysages et proche des conditions naturelles. Dans la mesure du possible, il faut permettre aux forêts de peuplements vieux de suivre leur cours normal et aux forêts plus jeunes de parvenir à la maturité. Il est très difficile de fixer un pourcentage. Je préconiserais que l'on réexamine les méthodes d'exploitation forestière afin que la coupe à blanc ne touche pas 90 p. 100 de toutes nos forêts. Il est tout à fait possible d'avoir une exploitation forestière durable et économiquement rentable dans une forêt de peuplement vieux tout en conservant cette forêt pendant longtemps en pratiquant de la coupe sélective. C'est la coupe à blanc qui nous met dans cette situation délicate où nous devons décider de réserver une certaine proportion des forêts afin de les protéger. La création de petites enclaves écologiques dans les forêts anciennes ne fonctionnera pas. Cela ne suffira pas pour créer des couloirs de migration de la faune. Par exemple, le caribou des bois a besoin de vastes zones forestières pour ses migrations, et ces forêts doivent avoir assez de vieux arbres pour sa subsistance. Je suis désolée, mais il n'est pas facile de fixer un pourcentage.

Le sénateur Spivak: Vous ne parlez pas des forêts tempérées?

Mme May: Non, je parle des forêts boréales anciennes. La statistique du gouvernement du Canada est fondée sur toutes les forêts, et quand je parle du taux de coupe à blanc et de la superficie de forêts anciennes qu'il faut conserver dans la zone boréale, il faudrait reproduire autant que possible les conditions du paysage naturel, qui varient d'un endroit à l'autre.

Le sénateur Taylor: Dans le cadre de notre étude, j'ai été frappé par la quantité de bois et de pâtes que produit la Suède, par exemple, et qui proviennent presque entièrement des plantations d'arbre. Il y a quelques années, ce pays a reconnu que la forêt boréale abritait les Sami, et pourtant, il continue à produire une quantité phénoménale de bois et de pâtes. En fait, la technologie suédoise dans ce domaine est parmi les meilleures au monde.

Je pense que bon nombre d'entre nous soupçonnent que nous avons déjà surexploité nos forêts. Votre groupe a-t-il examiné la possibilité que le gouvernement envisage un programme dynamique de création de plantations forestières, peut-être sur des terres qui sont déjà assez marginales et qui ne sont donc pas utilisées pour la production agricole?

Mme May: C'est une question très difficile, parce qu'une plantation forestière n'est pas une forêt du point de vue écologique. Les différences sont énormes quant à la biodiversité qui peut être entretenue dans une plantation par opposition à une forêt naturelle. La Nouvelle-Zélande est un autre pays qui a suivi une voie semblable. Elle a décidé de créer et d'exploiter à fond des plantations d'eucalyptus, afin de conserver définitivement une grande partie de ses forêts primaires et de les soustraire à l'exploitation. C'est une décision controversée au sein du mouvement écologiste dans ce pays. À certains égards, c'est peut-être la solution idéale. Il existe un certain nombre de moyens par lesquels le Canada peut tenter de perpétuer la biodiversité naturelle de ses forêts, de protéger la séquestration du carbone de nos forêts boréales et d'avoir une industrie forestière.

Évidemment, certaines provinces ont déjà décidé de convertir leurs forêts en fermes ligneuses. Le Nouveau-Brunswick est le chef de file en la matière. Comme l'affirme le président de la New Brunswick Forest Products Association, chaque arbre dans la province porte une date à laquelle il sera coupé et le nom de l'usine où il sera transformé. Au Nouveau-Brunswick, aucune forêt n'est éloignée de plus de 100 km de l'usine la plus proche, et il y a un réseau de routes permettant d'y accéder. Les forêts sont gérées de façon intensive et elles ont perdu bien des espèces. Si ce modèle était adopté dans toutes les régions du Canada, nous serions tous plus pauvres.

Il serait intéressant d'avoir une certaine quantité de plantations mixtes, tout en conservant les forêts naturelles et en recherchant d'autres sources ligneuses, surtout pour la fabrication du papier. Bien des gens proposent que l'on utilise les régions tabacoles du sud de l'Ontario pour cultiver du chanvre sans THC destiné à la production de papier. De plus, l'augmentation du recyclage de papier devrait en principe réduire la pression sur les forêts primaires du Canada.

L'étude du World Resources Institute a proposé une prévision intéressante relative à l'augmentation future de la consommation des produits du bois dans le monde. En effet, d'ici l'an 2010, la consommation de bois augmentera de 56 p. 100 à l'échelle mondiale.

Étant donné que le Canada est le plus grand exportateur mondial de produits forestiers et d'articles en papier, nous contribuerons largement à cette augmentation; par conséquent, il est important pour nous de décider maintenant du niveau de production que nous pouvons soutenir, du nombre d'usines que nous pouvons avoir et du niveau d'exploitation que nous devrions permettre. Je suis très satisfaite de la teneur de vos questions, car cela signifie que vous réfléchissez effectivement pour voir ce qui est durable et les limites que nous devons nous fixer. Actuellement, la politique forestière des provinces consiste à vendre le tout dernier rouleau de pâte brute et à expédier le dernier billot, peu importe si cela va détruire nos forêts.

Le sénateur Spivak: Qu'avez-vous constaté en ce qui concerne l'application de la loi? C'est bien beau de parler des possibilités de coupe et de toutes les règles, mais au Manitoba, on ne les respecte pas du tout. Je suis sûre que l'intention existe, et je n'accuse pas la province de ne pas vouloir appliquer ses propres lois; mais le fait-elle?

Mme May: Non.

Le sénateur Spivak: Dans les provinces, combien de personnes s'occupent-elles de l'application de la loi?

Mme May: Vous savez tous, j'en suis sûre, que nous traversons une période de ce qu'on appelle par euphémisme «compression». Les réductions d'effectif dans les ministères provinciaux des Ressources naturelles sont énormes. J'ai déjà mentionné les coupures que le gouvernement fédéral a effectuées dans des services de recherche forestière qui étaient excellents.

Récemment à Radio-Canada, en parlant d'autre chose, Andrew Nikiforuk a dit que le fait de perdre notre capacité scientifique de comprendre l'environnement qui nous entoure, c'est un peu comme si on enlevait à un aveugle son chien guide. C'est exactement ce qui va nous arriver en ce qui concerne nos forêts. Nous ne serons pas en mesure de comprendre ce que nous faisons parce que nous supprimons la recherche fondamentale. En même temps, nous enlevons aux ministères provinciaux des Ressources naturelles la capacité d'appliquer les lois relatives notamment à l'établissement d'une zone tampon autour des cours d'eau, au respect des normes de construction des routes ou à une exploitation forestière durable.

L'Ontario et l'Alberta s'engagent dans la voie de l'autoréglementation de l'industrie. Ainsi, cette dernière rédigera ses propres rapports et informera le gouvernement sur ses activités. Même à l'époque où nous avions du personnel dans les ministères provinciaux des Forêts ou des Ressources naturelles, on ne respectait pas tellement les règlements et les lignes directrices en matière de forêts. Dans bien des provinces, il n'y a que des lignes directrices, et non pas des règlements, sur la superficie d'une coupe à blanc, sur la possibilité de couper du bois le long des rivières, sur l'obligation de construire une route d'une certaine largeur et le genre de caniveaux qu'il faut y installer.

L'ensemble le plus impressionnant de lignes directrices relatives aux forêts est le Forest Practices Code of British Columbia, mais le fait qu'il ne soit pas appliqué ni respecté sur le terrain constitue un véritable problème, car il s'agit du document le plus important et le plus sérieux. Je tiens à reconnaître l'effort du gouvernement de la Colombie-Britannique: je pense qu'à l'origine au moins, il s'agissait d'une initiative sérieuse visant à contrôler les pratiques de coupe. Ces lignes directrices ne sont pas appliquées.

L'autre problème grave réside dans le fait que, dans bien des cas, la coupe de bois sur les terrains privés n'est pas du tout contrôlée. D'une province à l'autre, la coupe complètement anarchique sur les terres privées peut entraîner des conséquences environnementales assez graves. Dans les Maritimes, le phénomène de la «coupe de liquidation» est de plus en plus problématique. Il s'agit d'un phénomène intéressant que je vais vous expliquer brièvement. Il touche certaines forêts boréales au Nouveau-Brunswick et dans la région acadienne de la Nouvelle-Écosse.

Bien des entrepreneurs ont acheté d'énormes abatteuses-empileuses, ou abatteuses-porteuses, et c'est du matériel très coûteux, ce qui veut dire qu'ils ont des prêts à rembourser. Par la suite, ils ont perdu du travail sur les terres fédérales au profit des grandes sociétés; c'est ainsi que les entrepreneurs de l'Atlantique vont littéralement de porte à porte et téléphonent aux propriétaires de boisés privés. Au Nouveau-Brunswick, un tiers des terres appartiennent aux petits propriétaires de boisés privés. En Nouvelle-Écosse, c'est près de 70 p. 100. Les entrepreneurs appellent les propriétaires et leur offrent de liquider entièrement leurs boisés. Ceux qui ont des problèmes financiers se voient offrir peut-être 30 000 $ qui sont versés directement dans leur compte en banque. Ils demeurent propriétaires de leurs terres; ils se débarrassent simplement de tous leurs arbres. Étant originaire de l'Atlantique, le sénateur Anderson sait que ce n'est pas une pratique normale. Ce sont des boisés qui appartiennent aux familles depuis des générations.

Le problème est devenu si grave que le premier ministre McKenna a pris des mesures fiscales sanctionnant les propriétaires de boisés privés qui coupent plus de 10 p. 100 de leurs arbres au cours d'une année. Le gouvernement se demande s'il doit imposer aux entrepreneurs l'obligation d'obtenir un permis, car ils ne sont assujettis à aucun règlement actuellement.

C'est un problème énorme et, évidemment, les grandes sociétés sont préoccupées parce qu'elles savent que les ressources forestières s'épuisent et qu'elles auront besoin des boisés privés pour assurer l'approvisionnement de leurs usines de pâtes et papiers. En même temps, une grande quantité de bois quitte le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse à destination du Maine et du Québec. On n'a aucune idée de la quantité exacte. Personne ne contrôle le phénomène. Il n'y a absolument pas de règlement.

Un phénomène semblable se produit dans certaines terres privées et même dans des terres appartenant aux Premières nations en Alberta, où le bois est coupé pour approvisionner des usines en Colombie-Britannique. Quand on sait qu'il y a déjà des pénuries de bois, des coupes d'une telle ampleur et d'un tel type ne sont pas durables.

Le sénateur Spivak: Des représentants de l'Institut des pâtes et papiers ont comparu ici et ils semblaient penser que la réponse à tous ces problèmes passe par l'Association canadienne de normalisation, l'ISO et ainsi de suite, qui assureront ce que les provinces n'assurent pas actuellement, c'est-à-dire l'application de la loi et l'amélioration des normes d'abattage. Qu'en pensez-vous?

Mme May: Je ne savais pas que le système de gestion durable des forêts de l'Association canadienne de normalisation vous avait été présenté, et je profite de l'occasion pour dire qu'il ne garantit pas du tout une exploitation forestière durable. Il existe plusieurs systèmes d'homologation. Nous travaillons avec un organisme appelé Forest Stewardship Council, qui est un programme international d'homologation. Actuellement, cet organisme a deux programmes en cours au Canada. Je suis désolée, mais aucun des deux ne travaille sur des normes pour la forêt boréale. L'un travaille sur la forêt acadienne au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse, et l'autre sur une forêt côtière tempérée en Colombie-Britannique. Le Forest Stewardship Council existe au Canada.

La démarche de cet organisme peut être comparée à celle de l'Association canadienne de normalisation. Le Forest Stewardship Council homologue les produits forestiers en y apposant directement une étiquette, ou plutôt une éco-étiquette. Il surveille la production depuis le boisé jusqu'au marché. Cela est conforme aux exigences de bien des acheteurs au Royaume-Uni et aux États-Unis. Des sociétés comme Home Depot recherchent des articles produits de façon durable et dont la production a été surveillée depuis les opérations de coupe.

Le Forest Stewardship Council se charge d'homologuer l'organisme d'homologation; ainsi, du moment que l'on atteste que ce dernier comprend les principes écologiques du conseil, on lui permet de fournir une éco-étiquette à une entreprise approuvée par le conseil.

Contrairement au FSC, dont la démarche est axée sur la performance, la CSA a une démarche fondée sur les systèmes qui est assez semblable au programme d'assurance de la qualité ISO 9000. D'aucuns considèrent ce programme comme une norme permettant d'homologuer certains produits. Prenons l'exemple d'un préservateur de béton. Le fait qu'il s'agisse du béton n'empêche pas qu'on l'homologue comme un produit ayant un système de qualité. L'homologation fondée sur les systèmes signifie que la société productrice, plutôt que le produit même, a accepté une série de systèmes de gestion conformes soit à l'ISO, soit, en l'occurrence, aux normes de la CSA.

La procédure de l'Association canadienne de normalisation, que je connais assez bien, est difficile à expliquer, mais elle consiste essentiellement à consulter publiquement un certain nombre de groupes. Par exemple, une société forestière s'engage à énoncer les objectifs de ses activités. Ensuite, on consulte les décideurs au sein de l'entreprise, par exemple le gérant des activités forestières, sur la façon d'atteindre ces objectifs. Si, au cours de la consultation, la collectivité estime que son objectif est la biodiversité, il serait tout à fait normal pour le gestionnaire des activités forestières de dire que la société atteindra l'objectif de la biodiversité grâce à la coupe à blanc, parce que certains soutiennent que la coupe à blanc améliore d'une certaine façon la biodiversité.

Une fois que l'on examine le système et les modalités de gestion, qui ne sont pas nécessairement axés sur la performance, on peut choisir n'importe quel produit au sein de la compagnie; c'est le droit des dirigeants.

Le sénateur Spivak: Quand j'ai demandé aux représentants de l'industrie des pâtes et papiers quelle était la différence, ils ont affirmé de façon absolue -- vous pouvez le voir dans le procès-verbal -- que les deux démarches sont axées sur la performance.

Mme May: C'est ça le problème. Même si une démarche est fondée sur le système, les entreprises disent qu'elle est fondée sur la performance parce que ces entreprises et leurs systèmes font l'objet de vérifications. Cependant, leurs activités sont vérifiées par des vérificateurs indépendants à la lumière du plan qu'elles ont choisi pour elles-mêmes. On ne les vérifie pas pour voir si elles ont amélioré la biodiversité; on les vérifie pour déterminer si les entreprises ont fait ce qu'elles ont promis de faire. Si elles disent qu'elles feront de la coupe à blanc, on peut les homologuer comme faisant de la gestion forestière durable du moment qu'elles font de la coupe à blanc. Cependant, si elles décident que la coupe à blanc n'est pas conforme à leurs objectifs en matière de biodiversité, si elles veulent être plus écologiques et utiliser des chevaux, elles pourraient perdre leur homologation parce qu'elles ont cessé de couper à blanc.

Il s'agit d'une combinaison de la démarche axée sur la performance et de la démarche axée sur les systèmes, mais ces démarches ne visent pas à améliorer la situation écologique. C'est un débat dans lequel on pourrait trouver une solution de compromis. Les agents d'homologation du Forest Stewardship Council et les agents de gestion forestière durable de la CSA sont en train de discuter pour voir si un compromis est possible. Il se pourrait que le système du Forest Stewardship Council récompense les meilleurs et que le système de la CSA améliore le reste, mais en même temps, la CSA en soit ne cherchera en aucune manière à offrir une garantie de durabilité.

La présidente: Merci.

Les témoins suivants représentent Pêches et Océans Canada. Je vous souhaite la bienvenue. Allez-y.

M. Gerry Swanson, directeur général, Gestion de l'habitat et des sciences de l'environnement, Pêches et Océans Canada: Merci. Ma déclaration durera à peu près 15 minutes, et ensuite, je pourrai répondre à vos questions ou m'engager à y répondre plus tard.

Je crois que l'on a demandé si le M. Parsons, mon patron, allait comparaître avec nous aujourd'hui. M. Parsons est le premier vice-président du Conseil international pour l'exploration de la mer, et il se rend en Europe ce soir dans le cadre de ses responsabilités au sein de cette organisation; je vais donc essayer de le remplacer ici ce soir.

Malheureusement, je ne pourrai pas discuter de l'ouverture et de la fermeture de la pêche à la morue dans l'Atlantique, car cela ne relève pas de mes compétences.

Aujourd'hui, je vais me concentrer sur les responsabilités du ministère en matière de gestion de l'habitat des poissons en vertu de la Loi sur les pêches. Je ferai aussi quelques observations sur certaines dispositions de la loi portant sur la prévention de la pollution et les rapports entre la Loi sur les pêches et la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, qui a été proclamée en 1995. Je pense que vous vous intéressez à une proposition sur laquelle nous travaillons en ce moment et qui vise à déléguer certaines de nos responsabilités en matière d'habitat du poisson aux gouvernements provinciaux. J'en parlerai dans ma déclaration liminaire.

En vertu de la Constitution, le gouvernement fédéral est responsable de la pêche côtière et continentale. Le Parlement fédéral a exercé la responsabilité fédérale en la matière en adoptant la Loi sur les pêches. Cette loi comporte des dispositions précises visant à protéger l'habitat du poisson de toute perturbation. Il s'agit surtout de l'article 35, qui interdit la destruction ou la perturbation de l'habitat du poisson à moins que cela ne soit autorisé par le ministre des Pêches et Océans. D'autres dispositions de la loi assurent le passage du poisson en toute sécurité à travers les barrages et d'autres obstacles et exigent qu'il y ait suffisamment d'eau pour que les poissons puissent vivre.

En ce qui concerne l'habitat du poisson, notre rôle principal consiste à évaluer les projets de développement susceptibles d'avoir une incidence négative sur cet habitat, et à trouver ou recommander des moyens de réduire au minimum ou d'éviter les conséquences. Notre travail consiste à protéger la pêche et l'habitat dont le poisson est tributaire.

Comme vous le savez sans doute, les gouvernements provinciaux sont généralement chargés de la gestion des ressources naturelles, y compris les forêts. Vous savez peut-être aussi que le gouvernement fédéral a délégué à de nombreux gouvernements provinciaux certaines de ses responsabilités en ce qui concerne la gestion des pêches en eau douce.

Le sénateur Spivak: Pourriez-vous nous dire lesquelles?

M. Swanson: Le Québec gère ses ressources en eau douce en vertu d'un accord. Nous avons un accord semblable avec l'Ontario et les provinces des Prairies, ainsi qu'avec la Colombie-Britannique, pour les cours d'eaux où il n'y a pas de saumon et qui se trouvent généralement dans l'est de la province.

Nous avons délégué la responsabilité de gérer la pêche aux gouvernements provinciaux, mais certains dispositions de la Loi sur les pêches ne peuvent pas être déléguées à l'heure actuelle. Ce sont celles qui exigent que le ministre des Pêches et des Océans exerce des pouvoirs discrétionnaires. Il s'agit notamment de l'article 35 de la Loi sur les pêches qui porte que seul le ministre peut autoriser la destruction de l'habitat du poisson.

Le sénateur Spivak: Vous dites que c'est le cas à l'heure actuelle. Ce n'est donc pas définitif?

M. Swanson: En effet, et j'y reviendrai plus tard, madame le sénateur. Il y a actuellement, à la Chambre des communes, un projet de loi modifiant la Loi sur les pêches qui pourrait modifier cette disposition.

En général, les provinces de l'intérieur dont j'ai parlé gèrent l'habitat du poisson dans le cadre de leurs responsabilités à l'égard de la gestion des pêches. Les ministères provinciaux gèrent la pêche sportive et même parfois la pêche commerciale à l'intérieur de leurs frontières. Dans le cadre de cette gestion générale, ils exercent également des pouvoirs d'application, en vertu de la Loi sur les pêches, y compris des dispositions concernant l'habitat. Le ministère continue toutefois à gérer la pêche tant en eau douce qu'en mer dans les provinces côtières et aussi dans les deux territoires, dans une large mesure.

Mon sujet suivant est le lien entre l'exploitation forestière et la gestion de l'habitat du poisson. Les gouvernements provinciaux renvoient généralement au ministère des Pêches et des Océans les projets de mise en valeur qui risquent d'avoir des répercussions inévitables sur l'habitat du poisson. C'est à cette occasion que le ministère participe à l'examen des projets de mise en valeur.

Lorsque nous examinons ces projets, nous regardons si la perte de couverture végétale le long du cours d'eau peut entraîner un changement dans le régime hydrologique. Nous voyons si la machinerie lourde qui traverse les cours d'eaux risque de perturber le fond ou détruire l'habitat du poisson. Pour certains projets, nous devons voir si la perte de couverture végétale en bordure du cours d'eau risque d'entraîner une hausse de la température de l'eau ou d'augmenter les charges sédimentaires.

Nous collaborons également avec les provinces à l'établissement des lignes directrices visant à atténuer les incidences des exploitations forestières sur la pêche et l'habitat du poisson. Le témoin précédent a mentionné le code de pratiques forestières de la Colombie-Britannique. Nous avons travaillé en collaboration très étroite avec la province à l'établissement de ce code, et il y en a également d'autres.

Mon sujet suivant concerne les parties de la Loi sur les pêches qui sont administrées par le ministère de l'Environnement. Il y a notamment l'article 36 qui interdit d'immerger ou de rejeter une substance nocive, sauf conformément à la réglementation. C'est généralement ce qui sort des tuyaux, comme les canalisations d'évacuation d'usines de pâtes et papiers, par exemple. Il y a des règlements qui ont été adoptés en vertu de la Loi sur les pêches, comme le règlement sur les effluents des fabriques de pâtes et papier, qui sont administrés par le ministère de l'Environnement.

Nous travaillons toutefois avec le ministère de l'Environnement en lui fournissant un soutien scientifique quant aux effets des divers effluents sur le poisson et son habitat. Nous collaborons aussi de très près avec ce ministère à un programme de suivi des effets sur l'environnement établi en application du règlement sur les effluents des usines de pâtes et papiers.

Je voudrais également mentionner la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale. Cette loi, que la bureaucratie connaît sous le sigle LCEE, s'applique aux projets de mise en valeur qui sont financés par le gouvernement fédéral; qui se trouvent sur un territoire domanial; dont le gouvernement fédéral est le promoteur ou qui exigent une approbation réglementaire fédérale comme le prévoit l'article 35 de la Loi sur les pêches qui prévoit que le ministre doit autoriser la destruction de l'habitat du poisson.

À la page 8 figurent un certain nombre d'éléments déclencheurs de la «liste des dispositions législatives et réglementaires désignées». Il s'agit de la réglementation adoptée en application de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale. J'ai énuméré les diverses circonstances relevant du gouvernement fédéral qui déclencheraient l'application de la loi. Les autres éléments déclencheurs relatifs à la Loi sur les pêches sont indiqués ici.

Je voudrais maintenant vous décrire très brièvement le processus que nous suivons lorsqu'un projet nous est renvoyé. Nous commençons par examiner la proposition pour voir si elle a ou non des incidences sur l'habitat du poisson. Nous discutons ensuite avec le promoteur des mesures propres à atténuer ou à éliminer entièrement tout effet sur l'habitat du poisson. Si l'atténuation ou l'élimination de ces effets est possible, nous le confirmons en envoyant au promoteur une lettre disant: «Si vous faites les choses ainsi, vous n'endommagerez pas l'habitat du poisson et vous n'enfreindrez pas la Loi sur les pêches».

Si l'atténuation est impossible, l'article 35 de la loi entre en jeu et si le promoteur veut donner suite à son projet sans se mettre à dos le ministère des Pêches et des Océans ou ceux qui sont chargés d'appliquer la loi, il peut avoir à obtenir une autorisation. Nous partons du principe qu'il ne peut y avoir de perte nette. Chaque fois que le ministre ou ses représentants émettent une autorisation, nous exigeons que le promoteur compense la perte d'habitat résultant du projet. Si vous détruisez un nombre X d'acres ou de mètres carrés d'habitat du poisson à un endroit, vous devez le remplacer par la même superficie ailleurs, dans le même écosystème.

Lorsqu'une autorisation est exigée pour un projet, la LCEE est déclenchée et nous devons alors examiner non seulement les incidences que ce projet aura sur la pêche en question, ce que nous aurions fait, de toute façon, dans le cadre de notre propre loi, mais aussi les incidences environnementales et sociales plus générales.

La façon dont le processus a été suivi jusqu'ici, en ce qui concerne la Loi sur les pêches, a posé certains problèmes aux promoteurs, aux provinces et aux autres intervenants. C'est surtout parce que le déclencheur se trouve en bout de ligne. La LCEE n'est déclenchée officiellement qu'après un long dialogue entre nous, le promoteur et le gouvernement provincial. Cela crée de l'incertitude pour les autres intervenants. Le processus d'examen peut être déjà bien engagé lorsque nous devons dire au promoteur que la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale a été déclenchée et que nous ne nous intéressons plus uniquement aux pêches, mais aussi à des questions comme celle des oiseaux migrateurs. Entre-temps, la province peut avoir mis en branle son propre processus d'examen, cela dès le départ. Il est alors très difficile d'harmoniser les évaluations fédérales et provinciales.

Je voudrais maintenant parler des questions forestières. Les plans de récolte forestière ne déclenchent pas, à eux seuls, un examen en application de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale. Il se peut toutefois que certains aspects d'un plan de coupe ou d'une activité proposée exigent une autorisation. Cet élément de la proposition peut ensuite exiger une autorisation en vertu de la Loi sur les pêches ou même un permis en vertu de la Loi sur la protection des eaux navigables, ce qui déclenchera une évaluation en application de la LCEE.

Une proposition qui a été faite pourrait modifier cette façon de procéder. Il s'agit de déléguer aux provinces certains pouvoirs discrétionnaires que le ministre fédéral est seul à posséder actuellement. Comme je l'ai déjà dit, les gouvernements provinciaux examinent déjà de nombreuses propositions du même genre et c'est souvent le début d'un examen de la réglementation. Les provinces ont leur propre législation en ce qui concerne l'utilisation de l'eau et d'autres aspects et elles doivent donc examiner la plupart des projets que nous examinons de notre côté.

Le ministre a proposé, dans le projet de loi C-62 dont la Chambre est saisie actuellement, que certaines des dispositions concernant l'habitat du poisson soient modifiées. Nous voudrions inclure dans la loi un nouvel article exigeant un permis fédéral pour certains projets susceptibles d'avoir une incidence importante sur l'habitat du poisson. Les projets qui exigeraient ce permis fédéral seraient énumérés dans un règlement qui serait mis au point avec la participation des parties prenantes.

Ces permis énonceraient, lors de leur émission, les conditions à respecter en ce qui concerne l'atténuation, la surveillance et le reste. La demande de permis déclencherait un examen en application de la LCEE, mais ce serait dès le départ, au moment de la demande.

Le fait d'énumérer dans la réglementation les projets qui exigent ce genre de permis offre également un autre avantage. Cela éliminerait l'incertitude dont j'ai parlé lorsque nous devons négocier avec un promoteur pour nous apercevoir beaucoup plus tard qu'un examen doit être fait en application de la LCEE.

En même temps, nous proposons de déléguer aux provinces les projets qui ne sont pas énumérés dans la réglementation et nous pourrions négocier avec elles des ententes à cet égard. Ces ententes préciseraient que le gouvernement provincial doit exercer le pouvoir qui lui est délégué par le gouvernement fédéral conformément aux normes établies ou acceptées par le ministre fédéral.

Je voudrais parler maintenant des principaux amendements qui sont proposés dans le projet de loi C-62, la nouvelle Loi sur les pêches. Soit dit en passant, le projet de loi C-62 est une révision complète de la Loi sur les pêches. Un bon nombre des dispositions de la loi actuelle existent depuis 1868. C'est la première fois qu'on revoit la loi de fond en comble et le projet de loi en est actuellement à l'étape de la deuxième lecture.

Si vous avez des questions, je tâcherai d'y répondre.

La présidente: Quand vous avez parlé de l'industrie forestière et de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, vous avez dit que les plans de récolte forestière ne déclenchaient pas à eux seuls un examen aux termes de la LCEE. Je voudrais savoir pourquoi.

M. Swanson: Il faut examiner le cadre de la LCEE. La loi n'entre en jeu que si certaines conditions sont présentes. Le gouvernement fédéral doit avoir à prendre une décision sur le plan de la réglementation. Dans la majorité des cas, ces projets ne visent pas le territoire domanial, si bien que le gouvernement fédéral ne se charge pas de la récolte. Il n'a donc pas à prendre de décision sur le plan de la réglementation et cela ne déclenche pas d'évaluation aux termes de la LCEE.

La présidente: Je vois. Je me demandais où en était la nouvelle Loi sur les pêches. Je ne pense pas en avoir entendu parler.

Le sénateur Spivak: Elle est toujours à la Chambre.

La présidente: Elle est toujours à la Chambre?

M. Swanson: Oui.

Le sénateur Spivak: Merci de votre exposé; il nous a beaucoup éclairés. Combien d'employés du ministère des Pêches participent au processus d'examen en vertu de l'article 35?

M. Swanson: Je vais essayer de vous citer un chiffre de mémoire.

Le sénateur Spivak: Il n'est pas nécessaire de répondre maintenant. Vous pouvez nous envoyer la réponse. Mes questions sont très précises: combien d'employés travaillent-ils actuellement dans ce secteur et combien y en avait-il en 1993?

M. Swanson: Je vais vous fournir les chiffres pour 1993-1994 de même que le nombre d'employés actuels.

Le sénateur Spivak: La troisième étape du processus d'examen en vertu de l'article 35 consiste à émettre des lettres d'avis. D'après les chiffres que j'ai ici, vous semblez en avoir émis beaucoup. En 1991, 12 000 autorisations pouvaient déclencher une évaluation. Comment procède-t-on à l'émission de ces lettres d'avis? Qui prend la décision au ministère? Est-ce vous? Est-ce Scott Parsons? Est-ce le ministre? Le Canada est un grand pays. Qui s'en charge? Comment procède-t-on?

M. Swanson: Ces lettres d'avis sont émises au niveau régional.

Le sénateur Spivak: Par les employés des bureaux régionaux?

M. Swanson: Oui. Nous avons des biologistes chargés de la gestion de l'habitat du poisson dans nos bureaux régionaux et c'est à ce niveau que sont émises les lettres d'avis. Ce sont ces personnes qui traitent quotidiennement avec les promoteurs.

Le sénateur Spivak: Je sais qu'il y a des lignes directrices pour le déclenchement de la LCEE, mais le ministère a-t-il aussi des lignes directrices indiquant quand il y a lieu d'émettre ces lettres d'avis, de donner une autorisation, et ainsi de suite, et si elles doivent être suivies?

M. Swanson: Oui, elles le sont.

Le sénateur Spivak: Pourrions-nous en obtenir copie?

M. Swanson: Certainement.

Le sénateur Spivak: Comment prend-t-on la décision d'émettre une lettre d'avis? L'initiative vient-elle de la province? Envoyez-vous vos gens sur le terrain tout examiner? Prenons un exemple. Louisiana-Pacific a 20 p. 100 du Manitoba, n'est-ce pas?

M. Swanson: Oui.

Le sénateur Spivak: Il y a là de nombreux cours d'eau, de nombreuses routes en construction, beaucoup de poisson, et cetera. Comment les responsables de vos bureaux régionaux en entendent-ils parler?

M. Swanson: Nous fournirons des chiffres plus précis ultérieurement. Le Manitoba se trouve dans notre région du Centre et de l'Arctique. Cette région comprend tous les Territoires du Nord-Ouest, le nord du Yukon, l'Alberta, la Saskatchewan, le Manitoba et l'Ontario.

Le sénateur Spivak: Et vous avez cinq personnes là-bas?

M. Swanson: Nous avons sept personnes en Ontario, à Burlington. Nous avons environ 15 à 20 personnes à notre bureau régional de Winnipeg. Nous n'avons personne en Saskatchewan ou en Alberta. Nous avons un biologiste de l'habitat à Yellowknife et un autre à Inuvik.

Le sénateur Spivak: Comment savez-vous dans quels cas vous pouvez avoir à émettre une lettre d'avis? Comment êtes-vous informés?

M. Swanson: Ces lettres d'avis résultent d'un renvoi du gouvernement provincial. Le guichet dont j'ai parlé, pour utiliser une autre expression bureaucratique, est le gouvernement provincial.

Le sénateur Spivak: Vous ne savez pas s'il y a lieu d'émettre ou non une lettre à moins que la province ne vous renvoie le projet, n'est-ce pas?

M. Swanson: Dans la majorité des cas, en effet.

Le sénateur Spivak: Comment la province le sait-elle? Qui lui dit qu'un cours d'eau aura besoin de mesures d'atténuation? Est-ce la compagnie forestière?

M. Swanson: Le promoteur s'adresse à la province parce que la loi provinciale exige un permis. Les biologistes du ministère des Ressources naturelles de la province examinent la demande et déterminent que le projet risque d'avoir une incidence sur la pêche.

Le sénateur Spivak: Mais vous comprenez ma question. Parlons de Louisiana-Pacific. Elle a 20 p. 100 de la province et elle a un projet. Elle sait précisément quel bois elle va couper et elle veut faire un bon travail. Qui va examiner son plan et déterminer qu'un problème risque de se poser et qu'il faut entamer le processus de renvoi? Voilà la question. Qu'arrive-t-il au départ?

M. Swanson: Les employés de notre ministère ne vont pas sur le terrain faire appliquer la loi.

Le sénateur Spivak: Je le sais.

M. Swanson: Ce genre de décision émane des autorités provinciales, mais c'est au promoteur qu'il revient de signaler le projet à l'attention du gouvernement, que ce soit le gouvernement fédéral ou provincial.

Le sénateur Spivak: Louisiana-Pacific. Je veux être certaine de bien comprendre. Vous me dites que la décision de soumettre un projet aux autorités pour qu'elles déterminent s'il risque d'avoir ou non une incidence revient à la société forestière? Qui est au courant?

M. Swanson: La Loi sur les pêches n'exige pas de permis. Nous avons ce qui s'appelle une autorisation. En fait, vous pouvez détruire l'habitat du poisson, mais vous le faites à vos propres risques, car c'est une infraction à la Loi sur les pêches, mais le fait de ne pas avoir de permis ne constitue pas une infraction. C'est au promoteur de décider s'il veut ou non la certitude que ses activités n'enfreignent pas la Loi sur les pêches.

Le sénateur Spivak: Autrement dit, c'est le promoteur qui décide au départ si son projet risque d'enfreindre ou non une loi?

M. Swanson: Oui, je dirais que c'est exact.

Le sénateur Spivak: Ce doit être exact, car il semble que personne d'autre ne le fasse.

M. Swanson: Les provinces ont peut-être des agents chargés de faire appliquer la loi.

Le sénateur Spivak: Non, tous ces postes ont été supprimés. De toute évidence, c'est un processus très encombré au sommet et où il n'y a absolument rien à la base. Il n'y a aucune supervision si ce que vous me dites est exact.

Je veux être certaine d'avoir bien compris, car c'est important et les Canadiens ont l'impression que toute une structure est en place. Les sondages récents indiquent tous que les gens se soucient beaucoup de la protection de l'eau et du poisson. C'est important.

À la page 6 de votre exposé, vous dites que l'article 36 de la Loi sur les pêches interdit le rejet d'une substance nocive, sauf si c'est conformément à la réglementation, par exemple, le règlement sur les effluents des fabriques de pâtes et papiers. En Alberta, les gens sont très fiers des progrès réalisés pour réduire la réduction des effluents des usines de pâtes et papiers. Où est le règlement à cet égard?

M. Swanson: Le règlement sur les effluents des fabriques de pâtes et papiers découle de la Loi sur les pêches, au niveau fédéral.

Le sénateur Spivak: Le ministère de l'Environnement est chargé de l'administrer?

M. Swanson: Oui, c'est exact.

Le sénateur Spivak: Ce règlement contient-il une définition d'une substance nocive incluant les substances à effet estrogénique, ou ces substances ne posent-elles aucun problème?

M. Swanson: Le règlement en vigueur prévoit, en fait, les exceptions à la loi. Il permet le rejet de substances qui risquent d'être nocives pour le poisson, seulement en certaines quantités. Si vous ne dépassez pas une quantité X, vous avez le feu vert.

Le sénateur Spivak: Qui prend cette décision? Est-ce le ministère des Pêches et des Océans?

M. Swanson: Elle est prise en appliquant le règlement.

Le sénateur Spivak: D'accord, et c'est par l'entremise du ministère des Pêches?

M. Swanson: C'est dans le cadre du processus normal de prise des règlements. Nous travaillons en collaboration très étroite avec le ministère de l'Environnement en ce sens que nous faisons des recherches. Vous avez parlé des substances à effet estrogénique. Nous étudions la question et même s'il n'est jamais possible d'obtenir toutes les réponses à une question scientifique, nous savons que certaines substances ont des effets.

Le règlement sur les effluents des fabriques de pâtes et papiers ne couvre pas toutes les substances. Il est question de limiter la DBO, un terme sur lequel vous êtes peut-être tombés dans le cadre de vos études. Ce règlement ne réglemente que deux ou trois choses. À part cela, tout ce qui est nocif pour le poisson est interdit par la loi.

Le sénateur Spivak: Cela me ramène à ma question initiale. Il semble que l'initiative soit laissée aux sociétés forestières. Qui va vérifier? Est-ce le ministère de l'Environnement?

M. Swanson: Des ententes ont été conclues entre le ministère de l'Environnement fédéral et celui des provinces pour l'inspection des usines qui rejettent ce genre de substances.

Le sénateur Spivak: Pourriez-vous nous indiquer le nombre d'employés qui font cette vérification dans chaque province? Je voudrais savoir qui le fait, comment c'est fait et quel est le processus suivi.

M. Swanson: Je ne pense pas qui nous puissions vous donner ce renseignement.

Le sénateur Spivak: Pouvons-nous l'obtenir du ministère de l'Environnement?

M. Swanson: Ce serait l'endroit logique où commencer.

Le sénateur Spivak: Encore une fois, vous dites que toutes les substances nocives, qui doivent être définies quelque part dans la réglementation, sont interdites, mais que nous ignorons si ce règlement est enfreint?

M. Swanson: La question de savoir si une substance est nocive ou non doit être déterminée par les tribunaux lors de l'examen de la preuve. Si une accusation est portée contre quelqu'un qui a rejeté une substance nocive, la Couronne fera témoigner des experts qui diront: «Si vous rejetez cette substance dans l'eau, voici quels seront ses effets sur le poisson».

Le sénateur Spivak: Ce n'est pas défini?

M. Swanson: Non, c'est exact.

Le sénateur Spivak: Je comprends ça, mais même si ces substances sont prohibées, on ignore si elles sont là ou non. Qui vérifie? Qui monte la garde? Vous dites que les gens du ministère de l'Environnement et les responsables provinciaux vérifient. N'est-ce pas la responsabilité des entreprises forestières elles-mêmes?

M. Swanson: J'ai la certitude qu'il existe des programmes obligeant les entreprises forestières à analyser leurs effluents de temps à autre et à conserver des registres, en vertu de la loi provinciale et peut-être aussi de la loi fédérale.

Le sénateur Spivak: Le ministère de l'Environnement posséderait ces informations aussi?

M. Swanson: C'est exact.

Le sénateur Spivak: Vous dites que les plans de récolte forestière ne sont pas suffisants en soi pour déclencher des études en vertu de la LCEE. Pouvez-vous m'expliquer la loi? Je ne connais pas de projets qui ont des effets aussi délétères sur l'environnement que les activités d'exploitation forestière. On bâtit des routes, on franchit des cours d'eau. Je ne me rappelle pas comment fonctionne le processus de révision que prévoit la LCEE. J'en connais les restrictions -- il faut que l'exploitation ait lieu sur le territoire domanial, il faut qu'interviennent des crédits fédéraux --, mais je parle d'éléments déclencheurs comme les cours d'eau navigables, les oiseaux migrateurs et le reste. Tout le monde sait que toutes ces activités se poursuivent, car elles sont inévitables. On ne cesse de franchir des cours d'eau et d'installer des buses, et c'est dans la forêt que nichent les oiseaux, et tout le monde sait que ces activités auront des effets. Pourquoi ces plans de récolte forestière ne déclenchent-ils pas automatiquement des études environnementales? Après tout, la question la plus importante est la suivante: quelles seront les conséquences pour l'environnement? Il n'y a pas que l'habitat du poisson qui est touché. Il y a toutes sortes d'autres choses qui sont touchées aussi.

M. Swanson: Nous avons peut-être nous-mêmes causé une certaine confusion ici en employant le terme «plans de gestion forestière».

Le sénateur Spivak: Vous dites «plans de récolte forestière».

M. Swanson: Plans de récolte forestière. Souvent, ces plans sont écrits en termes très généraux. L'entreprise peut simplement dire qu'elle opérera des coupes dans tel secteur cette année et dans un autre secteur l'an prochain. Cependant, dès que la récolte commence, les activités que vous mentionnez sont souvent entreprises. Par exemple, le plan pourrait nécessiter la construction d'un pont. Et j'imagine que les plans de récolte forestière vont indiquer cela aussi. Mais la nécessité de franchir un cours d'eau pourrait déclencher le processus de la LCEE. Ce ne serait pas le plan de récolte forestière lui-même qui le déclencherait, mais le fait de franchir un cours d'eau en particulier pourrait déclencher une évaluation environnementale en vertu de la Loi sur les pêches ou de la Loi sur la protection des eaux navigables. Une fois qu'on a décidé qu'il existe un élément déclencheur en vertu de la LCEE dans une situation donnée, il se pose alors toutes sortes de questions complexes relativement à l'ampleur du projet.

Le sénateur Spivak: Je connais cet aspect-là. Je ne parle que de la façon dont les choses commencent. Je sais par exemple que dans le cas des usines de panneaux à copeaux orientés qui ont été ouvertes près de la frontière de la Saskatchewan, le ministre fédéral a dit qu'il ne pouvait pas intervenir et se pencher sur l'effet cumulatif des usines, et les ministres provinciaux ne lui ont pas demandé d'intervenir, si bien qu'on n'a pas étudié la question.

Dans ma province aussi, on a fait les choses à l'envers. On n'a pas examiné le plan d'exploitation forestière, on s'est contenté d'examiner l'aménagement de l'usine. Une fois qu'on a approuvé l'usine et qu'on a dit qu'elle était acceptable sur le plan environnemental, on a examiné le plan d'exploitation forestière. Je pense que ça a été fait par la Commission de protection de l'environnement.

De toute manière, ce que vous dites, c'est que la loi ne permet pas au ministre d'intervenir.

M. Swanson: C'est exact.

Le sénateur Spivak: Avez-vous une opinion juridique sur cette question?

M. Swanson: Oui. Nous avons examiné cette question sous toutes ses coutures.

Le sénateur Spivak: Pouvons-nous en prendre connaissance?

M. Swanson: De nos opinions juridiques?

Le sénateur Spivak: De vos textes concernant la LCEE.

M. Swanson: Oui, je vais vous faire parvenir les documents que nous avons mentionnés.

La présidente: Croyez-vous que de manière générale l'exploitation forestière et les activités relatives à la fabrication de produits forestiers posent une menace à l'habitat du poisson?

M. Swanson: De manière générale, oui, je crois que c'est le cas, et nous avons pour fonction d'atténuer les effets possibles.

La présidente: Comment faites-vous?

M. Swanson: Nous avons mentionné déjà certaines choses que nous faisons. Nous travaillons en étroite coopération avec les gouvernements provinciaux, comme nous l'avons fait par exemple lors de l'élaboration du Code des pratiques forestières de la Colombie- Britannique. Ce code est considéré comme un modèle. Il fait encore l'objet d'un débat vigoureux, non pas le texte lui-même mais bien son application. Nous faisons des recherches sur les effets que ces diverses activités peuvent avoir sur le poisson, et nous arrêtons nos propres lignes directrices relativement à la conduite de certaines activités. Nous avons défini diverses lignes directrices pour toutes les régions du pays, par exemple, sur l'installation des buses. L'habitat du poisson peut souffrir énormément du fait que les machineries lourdes traversent des cours d'eau, mais il y a moyen d'installer des buses lorsqu'il y a récolte forestière, si bien qu'il n'y a pas d'effets sur l'habitat du poisson ou que ceux-ci sont négligeables. C'est le genre de choses que nous faisons.

Dans certaines régions du pays -- j'ai mentionné les régions côtières --, des membres de notre personnel sont présents sur le terrain pour faire respecter la loi. Pour protéger l'habitat du poisson, il faut faire plus que faire respecter la loi, mais c'est sûrement un outil dont nous pouvons nous servir dans ces régions.

La présidente: Dans ma province, au cours des deux dernières années, nous avons été témoins de deux incidents très tragiques où des saumons ont été tués dans des cours d'eau et dans des petits lacs parce qu'un fermier avait, disait-on, arroser ses pommes de terre dans un champ qui bordait un cours d'eau.

M. Swanson: Il y a une autre loi qui s'appliquerait dans un cas comme celui-là, la Loi sur les produits antiparasitaires, qui vise non seulement l'agriculture mais aussi l'exploitation forestière. Si les pesticides ne sont pas appliqués d'une manière sécuritaire, de vrais problèmes peuvent se poser. Le pesticide peut entrer dans l'eau directement lorsqu'il y a arrosage ou il peut entrer dans l'eau par le sol.

Nous travaillons en étroite coopération avec le nouvel organisme fédéral qui a été créé pour gérer cette loi, et ainsi, nous nous assurons qu'il est fait mention des effets possibles sur le poisson et sur l'habitat du poisson dans toutes les directives qui sont émises relativement à l'emploi de ces produits.

La présidente: Combien de plaintes relatives à la destruction de l'habitat du poisson ont été portées contre les entreprises forestières en vertu de la Loi sur les pêches au cours des dix dernières années?

M. Swanson: Il me faudra faire un peu de recherche pour que je puisse vous répondre.

La présidente: Pensez-vous qu'il y en a eu beaucoup?

M. Swanson: Je dois savoir ce que vous entendez par «beaucoup».

La présidente: Le sénateur Spivak parlait des effluents des usines que nous avons visitées, particulièrement dans le nord de l'Alberta. On nous a dit que l'on trouve des milliers de produits chimiques dans ces effluents et qu'il y en a des centaines qu'on ne connaît toujours pas. Comment allez-vous assurer la protection de l'habitat du poisson dans de telles conditions?

M. Swanson: Encore là, la responsabilité incombe ici en premier lieu au ministère de l'Environnement. Il ne fait aucun doute que les effluents des usines peuvent contenir un grand nombre de produits chimiques. Le règlement sur les effluents des fabriques de pâtes et papiers, qui a été modifié au début des années 90, oblige les entreprises à mettre sur pied des programmes de contrôle des effluents, et ces programmes de contrôle font intervenir des échantillonnages exhaustifs des diverses espèces de poisson à diverses distances des points de déversement. Les résultats de ces programmes de contrôle nous diront dans quelle mesure notre règlement est efficace.

Le sénateur Spivak: Le fait est que vous ne savez pas ce que vous devez surveiller. Comment pouvez-vous surveiller quand vous ne savez même pas ce que vous devez surveiller?

M. Swanson: On peut chercher à savoir quels sont les effets sur les poissons. On peut aussi prélever divers échantillons de tissu de poisson pour déterminer si des choses inhabituelles se sont produites.

Le sénateur Spivak: Combien de systèmes fermés y a-t-il au Canada?

M. Swanson: Je l'ignore.

Le sénateur Spivak: Il nous faut cette information, mais nous ne l'obtiendrons peut-être pas de vous.

M. Swanson: Encore là, vous devriez peut-être vous adresser au ministère de l'Environnement. C'est son domaine.

Le sénateur Spivak: J'ai une question au sujet du nouveau projet de loi. Pouvez-vous nous dire exactement quelle délégation de pouvoirs il y aura relativement aux effets des activités d'exploitation forestière sur la gestion de l'habitat du poisson? Vous n'aurez plus à émettre de permis pour quoi que ce soit? Est-ce que les provinces vont émettre tous les permis?

M. Swanson: Je ne peux pas vous le dire exactement, et la raison en est que le nouveau projet de loi délègue la préservation de l'habitat du poisson. Le projet de loi prévoit essentiellement deux choses.

Le sénateur Spivak: Vous parlez de la gestion de l'habitat du poisson et non de l'habitat du poisson?

M. Swanson: Le projet de loi prévoit la délégation du pouvoir réglementaire relativement à l'habitat du poisson. Le projet de loi prévoit deux changements essentiels par rapport à ce que nous avons aujourd'hui. Premièrement, il prévoit la création d'un nouveau permis fédéral obligatoire qui n'existe pas aujourd'hui. Dans certaines des situations dont nous avons discuté aujourd'hui qui ne font pas nécessairement intervenir le gouvernement fédéral à l'heure actuelle, l'entreprise sera obligée d'obtenir un permis. C'est comme le jeune de 16 ans qui veut conduire une voiture. Il ou elle a besoin d'un permis de conduire.

Le sénateur Spivak: Autrement dit, les entreprises forestières devront obtenir un permis?

M. Swanson: Je n'ai pas encore dit ça. Un règlement fera état des situations où l'on sera obligé d'obtenir un permis. Ce règlement n'a pas encore été élaboré.

Le sénateur Spivak: C'est toujours la même vieille histoire. C'est ce qui s'est produit dans le cas de la LCEE.

M. Swanson: C'est un changement important. L'autre changement important, c'est que dans les situations qui ne nécessitent pas ce genre de permis, le ministre peut déléguer son pouvoir. Mais ce n'est pas automatique. Le pouvoir dont le ministre dispose en vertu de la loi peut être délégué à un ministre provincial.

Le sénateur Spivak: Cela me dérange parce que tout le monde cherche à céder des pouvoirs fédéraux. Cela n'est pas très rassurant parce que les provinces n'ont pas les ressources nécessaires. Qui va se charger de la surveillance? Les entreprises forestières?

M. Swanson: Je vais vous communiquer les données sur les ressources dont nous disposons à l'échelle du pays, et vous serez à même de voir ce que nous avons.

Le sénateur Spivak: J'ai la certitude qu'il subsiste encore au ministère des Pêches toute une masse critique de compétences qui n'ont pas encore été supprimées par les récentes compressions, compétences qui n'existent pas au niveau des provinces. Pourquoi songe-t-on même à cette délégation? Je peux comprendre que le ministère veuille déléguer la maîtrise d'oeuvre de petits projets, pour éviter toute la paperasserie, mais comment peut-il même songer à déléguer dans le cas de ces vastes entreprises, alors que les provinces ne disposent pas des compétences voulues

M. Swanson: Il y a deux problèmes ici. Tout d'abord, la capacité de recherche que vous mentionnez existe à l'intérieur de l'administration fédérale, tout particulièrement au sein du ministère des Pêches et Océans, même si cette capacité a été quelque peu amoindrie par l'examen des programmes. On ne parle pas de céder cet aspect particulier de notre programme aux gouvernements provinciaux. Ce dont il est question, c'est de parvenir à des accords avec eux relativement à notre rôle réglementaire, et dans les cas dont nous parlons, même si les gouvernements provinciaux ont subi les mêmes pressions financières que nous, ils disposent quand même des compétences voulues.

Le sénateur Spivak: Les gouvernements provinciaux?

M. Swanson: Oui. Les gouvernements provinciaux ont des gens qui étudient ce genre de projets pour en déterminer les effets possibles sur l'eau, le poisson et tout le reste. Nous songeons à conclure ces arrangements uniquement avec les provinces dont les gouvernements gèrent déjà les pêches et disposent des biologistes et des moyens d'exécution voulus.

Le sénateur Spivak: Quand va-t-on dresser la liste complète des activités qui formeront le cadre où se partageront les obligations réglementaires fédérales et provinciales relativement à la gestion de l'habitat du poisson? Est-ce que ce sera fait après que le projet de loi aura été adopté? C'est ce qui s'est fait dans le cas de la LCEE: le projet de loi a été adopté, et le règlement a été établi par la suite.

M. Swanson: Chose certaine, vous ne verrez le règlement qu'après que le projet de loi aura été adopté, mais il est parfaitement concevable que l'élaboration du règlement commencera tout de suite après que le projet de loi aura été adopté.

Le sénateur Spivak: Je constate que ce processus est de plus en plus répandu, et parfois ses résultats sont bons, parfois ils sont moins bons. Par exemple, le règlement relatif à la nouvelle loi sur le tabac ne sera pas communiqué aux parlementaires avant qu'il ait été établi, et après, il est trop tard pour le faire modifier. Seul le ministre peut intervenir par après. Pour la même raison, il y a des tas de choses que nous pensions obtenir dans le cas de la LCEE et que nous n'avons pas obtenues.

Pouvez-vous nous dire à tout le moins quels types des projets d'exploitation forestière figureront dans cette liste?

M. Swanson: Je ne me rappelle pas si on a mentionné expressément des activités forestières, mais les projets dont nous parlons de manière générale sont ceux qu'on considérerait comme de grands projets, par exemple l'exploitation d'une mine qui consommerait beaucoup d'eau. Si les mines sont sur la liste, je pense que la construction d'une fabrique de pâtes et papiers, où il pourrait y avoir des effets considérables sur l'eau et l'habitat du poisson, figurerait aussi sur la liste.

Le sénateur Spivak: Ce serait automatique, donc dans cette mesure, on consoliderait la capacité qu'a le gouvernement fédéral d'exiger une étude environnementale?

M. Swanson: Oui, mais encore là, on n'a pas encore établi de listes définitives.

Le sénateur Spivak: Madame la présidente, je propose que les questions que les attachés de recherche nous ont proposées soient adressées au témoin. Ensuite, s'il a l'obligeance d'y répondre pour nous, l'attaché de recherche pourrait exiger de plus amples détails s'il y a des choses qui ne sont pas compréhensibles.

Je ne connais pas du tout ce projet de loi, je n'en sais que ce que la rumeur en dit, il ne me reste donc qu'une seule question. Les accords fédéral-provinciaux seront-ils suffisamment souples pour permettre aux provinces dans certains cas de dire au gouvernement fédéral: «C'est vous qui avez les compétences nécessaires, c'est à vous de régler la situation», ou toute la délégation se fera-t-elle dans un sens seulement? Est-ce que c'est mentionné dans le projet de loi?

M. Swanson: Non, ce n'est pas mentionné dans le projet de loi. Je ne dis pas que c'est tout à fait hors de question, mais l'une des choses que nous essayons de faire ici, c'est de donner aux gens un certain degré de certitude.

Le sénateur Spivak: Je pense que c'est très important.

M. Swanson: Si on propose un projet, on devrait savoir à quel palier de gouvernement s'adresser.

Le sénateur Spivak: Je comprends cette préoccupation, mais il y a une fine distinction entre l'incertitude et le laissez-faire total, et aucun n'est acceptable.

M. Swanson: Quand l'on a le genre de cadre dont nous parlons, il y a habituellement une certaine souplesse dans le processus de réglementation qui permet d'ajouter des choses à la liste réglementaire au fur et à mesure, ou d'en retrancher. Cela vous donnera peut-être le genre de souplesse que vous envisagez.

La présidente: Je vous remercie de votre témoignage. La greffière vous transmettra les questions supplémentaires. Nous vous saurions gré d'y répondre.

La séance est levée.


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