Délibérations du comité sénatorial permanent des
Pêches
Fascicule 4 - Témoignages
OTTAWA, le jeudi 20 février 1997
Le comité sénatorial permanent des pêches se réunit ce jour à 9 h 30 pour examiner la privatisation et les permis à quota dans le secteur de la pêche canadien.
Le sénateur Gérald J. Comeau (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Ceci est notre première séance consacrée à la privatisation et aux permis à quota dans le secteur de la pêche canadien.
Avant de donner la parole aux témoins, j'aimerais aborder un problème qui intéresse les services de traduction du Sénat.
Avec votre permission, j'aimerais écrire au greffier du Sénat afin de voir si l'on ne pourrait pas accélérer la traduction des documents. Pour vous donner un exemple du retard avec lesquels les documents traduits nous parviennent, nous n'avons toujours pas la traduction du procès-verbal de notre réunion du 31 octobre 1996, ce qui signifie que nous ne pouvons distribuer ces documents aux personnes intéressées par nos travaux. Voilà un exemple des retards extrêmes qui s'accumulent dans le système.
Étant donné que le comité a décidé de diffuser les témoignages que nous entendons sur notre site Internet, je ne pense pas que des retards aussi importants soient acceptables. Avec votre autorisation, j'aimerais écrire au greffier à ce sujet.
Je vois des hochements de tête. Je vais donc envoyer cette lettre très bientôt. Pas mal de gens s'intéressent au sujet dont nous débattons et je ne pense pas qu'il soit convenable de les faire attendre pendant des mois.
Le sénateur Robertson: Monsieur le président, quel est le délai moyen?
Le président: De deux à trois mois. Le procès-verbal de notre réunion du 31 octobre n'est pas encore traduit.
Le sénateur Robertson: C'est inacceptable.
Le président: Nous nous penchons sur des sujets extrêmement importants et nous attendons encore le procès-verbal du 31 octobre, sur le projet de loi sur les océans. Or, des gens pourraient être intéressés par ce qui a été dit à notre comité. D'ici à que nous ayons la traduction, ce sera un joli document historique, mais qui ne servira plus à rien à ceux qui veulent savoir ce que nous faisons.
Nous recevons aujourd'hui M. Jacque Robichaud, du ministère des Pêches et des Océans.
Monsieur Robichaud, veuillez présenter vos collègues et nous faire votre exposé.
M. Jacque Robichaud, directeur général, Direction générale de la gestion des ressources: Je suis accompagné aujourd'hui de M. Leslie Burke, directeur de la Direction des analyses politiques et économiques (Région maritime); de M. Bob Huson, conseiller spécial auprès de la Direction générale de la gestion des ressources, et de M. John Gilmore, qui était jadis aux Communications et qui fait maintenant partie de la Direction générale des politiques.
Bon nombre des zones de pêche commerciale canadiennes sont situées dans des régions où existent peu d'autres possibilités d'emploi. La gestion de la pêche commerciale a souvent dû concilier les réalités économiques d'une industrie moderne s'inscrivant dans un marché mondial et d'autres considérations telles que l'emploi et le soutien des structures communautaires établies.
Les pouvoirs publics, à tous les paliers, ont cherché à utiliser la pêche comme un outil de développement économique. Ces efforts ont eu des succès mitigés et ont souvent entraîné une surexploitation qui n'est viable ni économiquement ni biologiquement.
La gestion de la pêche canadienne a considérablement évolué au cours des 30 dernières années. Jusqu'à la fin des années 60, l'accès à toutes les zones de pêche commerciale était libre. Depuis lors, presque toutes les pêcheries commerciales ont fait l'objet de restrictions d'accès, avec une limitation du nombre des permis et un contrôle de la taille et du remplacement des navires. Depuis 1977, date à laquelle le Canada a porté sa zone économique exclusive à 200 milles, divers régimes de gestion ont été appliqués à différentes pêcheries. Bien entendu, chacun comportait des restrictions d'accès et des limites applicables aux navires et aux agrès, de façon à contrôler la capacité de pêche, combinée à des mesures telles que la limitation des prises autorisées, des objectifs d'échappée ou des stratégies de recrutement de façon à limiter la prise et protéger la ressource. Ces mesures s'étant avérées insuffisantes, nous avons introduit progressivement davantage de restrictions de la capacité de pêche pour ralentir l'effort de pêche.
Dans de nombreux domaines, ces tentatives d'imposer l'inefficience par voie législative en vue de conserver les stocks se sont avérées futiles. Des mesures telles que la limitation de la longueur des navires, des agrès, des saisons et zones de pêche n'ont pas réussi à limiter la pression exercée sur le poisson. Les pêcheurs ont toujours une longueur d'avance dans la course à l'amélioration de leur efficacité. Dans une industrie concurrentielle, il y a une incitation permanente pour chaque pêcheur à investir continuellement dans la technologie et l'amélioration de la capacité afin de prendre le pas sur les autres pêcheurs.
Celui qui ne peut pas suivre dans cette course au poisson voit baisser sa part de la prise totale et essuie une perte de revenus. L'histoire montre que, dans la plupart des secteurs, la ressource de base n'augmente pas, étant soit stable soit en diminution. Par conséquent, si l'investissement des pêcheurs en matériel entraîne une augmentation des coûts d'exploitation, il n'en résulte pas d'augmentation générale de la production ou des profits.
Le résultat de cette course à l'investissement et à l'efficacité est devenu assez prévisible. Les conséquences comprennent une surcapitalisation et une capacité de pêche excessive largement supérieure à ce que la ressource peut supporter. Les populations de poisson en souffrent car il n'y a pas d'incitation à conserver la ressource, vu que tout poisson qu'un pêcheur laisse dans l'eau sera pris par d'autres. Le coût de la pêche devient inutilement élevé, car chacun cherche à construire des navires plus gros et meilleurs pour gagner la course au poisson. La réglementation devient excessivement contraignante, le gouvernement cherchant à mieux contrôler ce qui se passe sur le terrain. Les pêcheurs inventent sans cesse de nouvelles méthodes pour préserver et accroître leur efficacité, ce qui nécessite des mesures réglementaires encore plus nombreuses. Les pêcheurs privilégient le volume de production, ce qui entraîne une faible qualité, des périodes de saturation du marché et des baisses de prix. La pêche reste insensible aux besoins du marché, l'objectif étant le tonnage et non la valeur. Les règles de sécurité sont ignorées, chacun faisant la course pour arriver le premier sur le poisson. Au fur et à mesure que les coûts d'exploitation augmentent, la profitabilité dépend de plus en plus de la quantité de poisson disponible.
Notre expérience des méthodes de gestion traditionnelles de la pêche au long de cette période a validé la théorie de la «tragédie des communs», le fait que cette gestion favorisant la course au poisson conduit à une capacité et à un effort de pêche excessifs.
Pour remédier à ces problèmes, le ministère des Pêches et des Océans a prôné l'introduction de régimes de gestion autres pour un certain nombre de pêcheries caractérisées par la course au poisson. Ces mécanismes de remplacement ont pris la forme de quotas individuels, de quotas individuels transférables et d'allocations aux entreprises. Bien que chaque programme ait certaines caractéristiques propres, collectivement on les appelle programmes de QI.
Les QI limitent la quantité de poisson qu'un pêcheur peut prendre et lui enlèvent ainsi l'incitation à investir dans l'espoir d'accroître sa part de la prise totale. L'incitation, espère-t-on, ne sera donc plus de prendre le plus de poisson, mais plutôt de maximiser l'efficience et le rendement économiques d'un quota fixe.
Si les QI sont généralement perçus par les pêcheurs comme un droit de propriété ou un quasi-droit de propriété, il convient de clarifier cet aspect dans le contexte canadien. Au Canada, un permis de pêche émis en vertu de la Loi sur les pêches est un privilège qui autorise le détenteur à participer à la pêche. Il est émis à la discrétion du ministre des Pêches et des Océans et ne représente pas une concession de propriété, ni de la pêcherie ni du poisson.
Les QI, qui sont des conditions de permis, donnent simplement accès à un pêcheur à une quantité spécifiée de poisson. Ils sont un prolongement du système de permis limitant l'entrée et ne créent pas des droits privés au poisson ou à la pêche. Les quotas individuels ne sont pas une dérogation à la gestion de la pêche publique.
Les QI ont été introduits au Canada déjà en 1972, sur le lac Winnipeg, et même encore plus tôt dans certaines petites pêcheries du Nord. L'une des premières grandes pêcheries maritimes à introduire les QI était la pêche hauturière du poisson de fond de l'Atlantique, en 1982.
Ainsi que vous nous l'avez demandé, nous avons apporté une liste de toutes les pêcheries actuelles connaissant un régime de QI, indiquant le nombre des participants et la date d'entrée en vigueur. Nous avons ici des versions en langue anglaise et française de ce document à distribuer.
Notre expérience démontre, de façon générale, que les régimes de QI parviennent mieux que les méthodes antérieures à assurer la conservation et la réalisation des objectifs économiques. Depuis 1990, le ministère des Pêches et des Océans a mené deux études exhaustives des programmes de QI en cours, d'où il ressort que ces programmes offrent un large éventail d'avantages aux gestionnaires de la pêche et aux pêcheurs.
Ces avantages comprennent des campagnes de pêche mieux ordonnées, un approvisionnement plus stable des marchés et une meilleure qualité de produit; une meilleure sécurité pour les pêcheurs et les équipages qui ne sont plus poussés à pêcher dans des conditions dangereuses; moins de rivalités pour l'obtention de quotas entre différents secteurs et flottes de pêche; de meilleurs résultats financiers par suite de l'amélioration de la qualité; une meilleure satisfaction de la demande du marché et une réduction des coûts d'exploitation; et une stabilité à plus long terme pour les pêcheurs, ce qui leur permet de mieux planifier l'avenir. En outre, les transferts de quota peuvent représenter un mécanisme pour promouvoir les pratiques de pêche responsables dans les pêcheries mixtes où se produisent des prises fortuites.
En résumé, l'introduction des QI dans la pêche canadienne a apporté de nombreux bienfaits. Cependant, cette méthode de gestion n'est pas non plus exempte de problèmes. On peut citer les fausses déclarations de prises, les rejets en mer et les rejets sélectifs pour maximiser la valeur. Il s'agit de la pratique consistant à rejeter en mer les poissons d'une espèce qui n'ont pas la taille optimale, de façon à maximiser la valeur de la prise. Un autre problème sont les pertes d'emplois du fait qu'il y a moins de pêcheurs et que les équipages sont moins nombreux. Évidemment, si la flotte hauturière est réduite de 70 p. 100, il y a moins de marins pêcheurs embauchés.
Un autre problème est la concentration des quotas lorsque les QI sont transférables. Les pêcheurs craignent que la concentration n'entraîne une diminution du nombre des navires, des possibilités d'emplois réduites, une plus grande influence des sociétés de conditionnement, un moindre nombre d'exploitants indépendants, une baisse de leur pouvoir de négociation et des revenus moindres. D'ailleurs, lors d'une séance précédente du comité, le sénateur Rossiter a demandé s'il n'existe pas un mécanisme de plafonnement pour éviter la concentration. Le sous-ministre a répondu par lettre, indiquant que dans la plupart des pêcheries, il existe des modalités spécifiant combien une personne peut accumuler de contingents ou racheter à d'autres.
Un autre problème sont les gains fortuits réalisés par les détenteurs de quota. C'est un problème majeur dans plusieurs pêcheries sous régime de QI, où l'introduction des contingents individuels a considérablement fait augmenter la valeur globale des permis et les profits réalisés à la vente. Il y a également certains effets au niveau du conditionnement.
Dans l'ensemble, lorsque l'on considère les réactions aux QI et les deux études menées depuis 1990, ainsi que le nombre de pêcheurs qui se montrent intéressés, cette méthode de gestion de la pêche suscite manifestement un vif intérêt. Elle s'est avérée avantageuse. Cependant, il faut se montrer réaliste. Il ne faut jamais perdre de vue les écueils et prendre soin de les éviter.
Le sénateur Stewart: M. Robichaud a parlé de rejets sélectifs. Je vis dans une localité de pêche et j'ai entendu quelques récits pas mal horribles sur les rejets sélectifs. Y a-t-il des méthodes que l'on puisse utiliser pour prévenir cette pratique?
M. Robichaud: J'ai parlé des contrôles à quai où nous vérifions toutes les prises débarquées par les flottes. Lorsque nous soupçonnons des rejets sélectifs, un agent des pêches prélève des échantillons des prises. Par ailleurs, dans presque toutes les pêcheries, nous avons un certain pourcentage de couverture par des observateurs. Lorsqu'un observateur se trouve à bord d'un navire en mer, il n'y aura évidemment pas de rejet sélectif. Si nous constatons, lorsque les autres navires reviennent à quai, que toute la prise est faite de beaux gros poissons, c'est signe que quelque chose ne va pas. À 78 reprises, nous avons fermé la pêche et ne l'avons rouverte qu'une fois que les pêcheurs se sont amendés. Voilà une méthode que nous avons utilisée.
Les sanctions pénales en sont une autre.
Le sénateur Stewart: Avant de changer de sujet, on me dit aussi que lorsque ces observateurs vont en mer, ils ont grand sommeil et passent de longues heures dans leur couchette. Comment réglez-vous ce problème?
M. Robichaud: Si un observateur passe 24 heures à bord d'un navire, il faut bien qu'il dorme. Cependant, on ne relève pas les filets sans cesse. Il y a de longues périodes de chalutage. On peut attendre de l'observateur qu'il choisisse les bons moments pour dormir.
Chaque fois que l'on nous a signalé ce genre de comportement, nous avons pris des mesures. Un carnet de bord doit être tenu et aucune inscription ne peut y être portée s'il n'y a pas eu de chalutage. Par conséquent, il y a une façon de vérifier si l'observateur contrôlait bien le chalutage. Il y a des moyens de vérifier les rapports. Tout est informatisé.
M. Leslie Burke, directeur, Direction des analyses politiques et économiques (Région maritime), ministère des Pêches et des Océans: Parlez-vous de tromperie intentionnelle ou bien simplement de l'absence de l'observateur à un moment où il aurait dû être sur le pont?
Le sénateur Stewart: Je parle de la première.
M. Burke: J'ai vu hier soir au journal télévisé que le chef de la lutte anti-drogue au Mexique a été inculpé de complicité. Je suppose qu'un uniforme ne garantit pas l'intégrité de celui qui le porte. Tous ces observateurs ont reçu une bonne formation. Ils sont choisis pour leurs compétences et nous les renvoyons s'ils font preuve de négligence dans l'exercice de leurs fonctions.
Le sénateur Stewart: Avez-vous des chiffres sur le nombre des renvois effectués?
M. Burke: Je suis sûr que oui. Je ne pense pas que le nombre soit très élevé, mais nous avons congédié un certain nombre de personnes.
Le sénateur Stewart: Vous avez parlé de rationalisation de la flotte. Pourriez-vous nous expliquer ce que vous entendez par là?
M. Burke: Dans la plupart des pêcheries, il y a une tendance à investir au point que la capacité de pêche de la flotte devient excessive par rapport à la ressource halieutique disponible. La prise disponible ne parvient plus à faire vivre la flotte. En outre, plus la taille et la capacité de la flotte augmentent, plus il faut restreindre la durée pendant laquelle les navires peuvent sortir en mer pour pêcher. Dans certains cas, la saison a dû être ramenée de 200 jours à deux ou quatre jours, selon le rythme de croissance de cette capacité.
Par «rationalisation», nous entendons donc l'établissement d'un meilleur équilibre entre la taille de la flotte et les ressources disponibles pour la faire vivre.
L'octroi de quotas individuels est très efficace en ce sens qu'il permet aux pêcheurs individuels d'accumuler des quotas en fonction du niveau d'activité qu'ils veulent avoir. C'est dans ce contexte que l'on utilise le terme «rationalisation». Elle consiste pour les pêcheurs à acheter et vendre des quotas de façon à assortir leur niveau d'activité à la capacité de pêche qu'ils veulent déployer.
Le sénateur Stewart: Dites-vous que la rationalisation entraîne une concentration de la propriété?
M. Burke: L'un des résultats d'une flotte plus réduite peut être une diminution du nombre de propriétaires. Cependant, les pêcheurs individuels deviennent souvent de petites entreprises. Très souvent, pour des raisons fiscales ou d'autres, ils se constituent en société. Ils vont souvent exploiter plusieurs navires, dans des pêcheries différentes. Ils y sont souvent contraints par les divers plans de gestion et les calendriers des saisons de pêche.
Avec un régime de quotas individuels, ils peuvent déterminer eux-mêmes leur campagne de pêche, au lieu de pêcher en même temps que tout le monde. S'il y a deux saisons simultanées, ils ont autrement besoin de deux navires s'ils veulent participer. La rationalisation intervient lorsque les pêcheurs peuvent se départir d'une partie de leur capacité de pêche et se contenter d'un seul navire là où il leur en fallait auparavant deux.
Le sénateur Stewart: Vous semblez raisonnablement satisfait de cette approche. Se prête-t-elle mieux à certaines pêcheries qu'à d'autres? Par exemple, est-elle mieux adaptée à la pêche du poisson de fond qu'à la pêche de la pétoncle ou à celle du homard?
M. Robichaud: Nous avons constaté, dans nos études, que le système des QI ne convient pas à toutes les pêcheries. Par exemple, ce serait très difficile dans la pêche du saumon de remonte de la côte Pacifique. D'ailleurs, lors de la table ronde du Pacifique, on a discuté de la mesure dans laquelle les QI seraient praticables. Ce serait peut-être possible dans le cas de la pêche à la traîne. Dans le cas du homard, un tel système n'est peut-être pas nécessaire. Certaines pêcheries de poisson de fond ou de hareng ont besoin d'une flotte ayant une certaine homogénéité. Il faut que ce soit une pêcherie qui ait une prise totale autorisée -- un contingent global. La pêche d'échappée ou la pêche de recrue ne se prêtent pas nécessairement aussi bien.
Le sénateur Stewart: Pourriez-vous nous expliquer ces termes?
M. Robichaud: La pêche d'échappée est un type de pêche comme celle du saumon. Il faut qu'un certain nombre de poissons s'échappent pour remonter les cours d'eau et frayer, et on fait donc en sorte de laisser s'échapper cette quantité de poissons.
Un exemple de pêche de recrue est la pêche du homard, où l'on pêche un pourcentage des recrues au lieu de fixer une prise totale autorisée. Disons que l'on puisse prendre 40 p. 100 du recrutement.
Le sénateur Stewart: Le «recrutement» signifie quoi?
M. Robichaud: Le recrutement signifie le nombre d'individus qui parviennent à la taille où leur prise est autorisée. Un pourcentage de ce nombre peut être récolté dans une année donnée, le reste étant laissé dans l'eau pour grandir et se reproduire.
Le sénateur Jessiman: Vous avez parlé d'un quota individuel. Est-ce la même chose qu'un quota individuel transférable, sauf qu'il n'est pas transférable?
M. Robichaud: Exactement.
Le sénateur Jessiman: Beaucoup de quotas ne sont-ils pas transférables?
M. Robichaud: Je dirais que c'est le cas de la plupart.
M. Burke: L'approche canadienne de la mise en place de ces programmes a été de procéder à une concertation avec un groupe donné de pêcheurs, dans une pêcherie donnée, où les QI paraissent prometteurs. Nous élaborons avec ces pêcheurs les paramètres d'un programme tel que celui-ci. Les problèmes les plus difficiles tournent habituellement autour de la répartition du quota. C'est toujours le problème initial qui se pose. C'est toujours un sujet très litigieux, mais nous travaillons avec les pêcheurs pour élaborer un mécanisme qu'ils jugent équitable. C'est parfois un processus difficile.
En outre, les pêcheurs décident habituellement au début d'un programme qu'ils ne veulent pas la transférabilité.
Ils veulent que chacun ait un quota individuel qui ne puisse être transféré ou cédé à quiconque.
Ces règles sont souvent introduites au début d'un programme et certains de ceux que nous avons mis en place il y a des années continuent à être assortis de cette contrainte. Dans d'autres cas, au fur et à mesure de l'évolution du programme, les pêcheurs vont décider qu'ils veulent une certaine transférabilité. Parfois, ils veulent pouvoir transférer en cours d'année mais retrouver leurs quotas à la fin de l'année.
Le sénateur Jessiman: Les quotas sont-ils octroyés pour un an?
M. Burke: Les permis sont renouvelés chaque année et il y a quelques contraintes légales concernant la durée pour laquelle nous pouvons attribuer un quota. Je pense que la période ne peut dépasser neuf ans.
Le sénateur Jessiman: Un quota individuel transférable pourrait également être alloué pour neuf ans?
M. Burke: Oui.
Le sénateur Jessiman: Les quotas étant transférables, les pêcheurs peuvent donc les vendre?
M. Burke: Ils le pourraient.
Le sénateur Jessiman: C'est donc plus qu'un privilège. Le quota peut-il être repris?
M. Burke: Oui.
Le sénateur Jessiman: Peut-il être repris arbitrairement?
M. Burke: Pour certaines raisons seulement.
Le sénateur Jessiman: Il représente donc une certaine valeur.
M. Burke: Oui, mais c'est aussi le cas du permis initial. Le permis initial est pour du poisson de fond.
Le sénateur Jessiman: Si le quota n'est pas transférable, en quoi a-t-il une valeur, autre que la valeur d'usage? Est-il donné à une compagnie, qui ne peut pas décéder, ou bien est-il accordé à un particulier?
M. Burke: Il peut être octroyé à un particulier ou à une société. Traditionnellement, même avant que l'on ait des quotas individuels ou des quotas transférables, le permis lui-même, non assorti d'un quota, était transférable.
Le sénateur Jessiman: Ce ne sont donc pas des permis.
M. Burke: Ce sont des permis mentionnant un certain quota.
M. Robichaud: C'est un quota conditionnel à la détention d'un permis.
Le sénateur Jessiman: J'ai lu quelque part que 35 p. 100 de la prise débarquée totale est couverte par des quotas individuels, des quotas individuels transférables et des allocations d'entreprise. Ce chiffre est-il exact?
M. Robichaud: Il est probablement plus élevé que cela aujourd'hui.
Le sénateur Jessiman: Qu'en est-il du reste? Si c'est 35 p. 100, qui couvre les 65 p. 100 restants?
M. Robichaud: La pêche du homard dans l'Atlantique, par exemple, n'a pas de régime de quota individuel et il y a beaucoup de pêcheurs dans ce secteur.
Le sénateur Jessiman: Ne leur délivrez-vous que des permis?
M. Robichaud: Oui, pour un nombre donné de casiers.
Le sénateur Jessiman: Ils ont donc un nombre de casiers limité?
M. Robichaud: Oui, les conditions du permis spécifient le nombre de casiers et la saison.
Le sénateur Stewart: Mais l'accès à un permis n'est pas libre?
M. Burke: C'est juste. Il n'y a pas de libre accès. Le nombre des permis est limité.
M. Robichaud: Toutes les pêcheries ont maintenant un accès limité.
Le sénateur Jessiman: Tous les Canadiens ne peuvent pas demander un permis?
M. Robichaud: Non.
M. Burke: En fin de compte, la valeur du quota ou du permis -- en l'occurrence, le permis à quota -- varie en fonction de la valeur de la pêcherie sous-jacente. Par exemple, dans les régions où la pêche du homard, laquelle ne fait pas l'objet de quotas individuels, était très lucrative, un permis pouvait se négocier à 200 000 $, sans quota. Il s'agit là uniquement du droit de pêcher du homard.
Le sénateur Jessiman: Lorsque vous parlez de «pêcherie», parlez-vous d'un lieu?
M. Burke: Je parle d'un secteur géographique, dans ce cas-ci.
Le sénateur Jessiman: Il ne s'agit pas d'une espèce particulière?
M. Burke: C'est une espèce particulière dans un secteur géographique. C'est les deux.
Si vous montez plus haut sur la côte, dans un autre district de homard, où la pêche n'est pas aussi bonne, et où vous avez besoin également d'un permis, vous pourriez en acheter un pour peut-être 15 000 $ ou 20 000 $, car le gain que vous pouvez réaliser au moyen de ce permis sera nettement inférieur à ce qu'il est dans un meilleur district.
Le sénateur Petten: Est-ce qu'un non-pêcheur peut acheter un permis?
M. Robichaud: La politique de délivrance de permis établit certains critères qui déterminent qui peut acheter un permis.
Le sénateur Petten: Ces critères sont-ils rigoureux?
M. Robichaud: Ils sont pas mal rigoureux. Pour acheter un permis, vous devez avoir été pêcheur à temps plein pendant une certaine période, ou bien membre d'un équipage, ou ce genre de choses. Il y a tout un processus d'admissibilité.
Le sénateur Petten: Est-ce que cela s'est produit sur la côte ouest avec les permis de pêche du saumon? Est-ce que des non-pêcheurs ont acheté quantité de permis?
M. Robichaud: Pas à ma connaissance.
Le sénateur Jessiman: Je ne vois pas le saumon sur cette liste que vous nous avez distribuée.
M. Robichaud: Comme je l'ai expliqué, dans une pêcherie d'échappée, vous pouvez prévoir la quantité de saumon rouge ou de saumon quinnat, par exemple, qui va remonter une rivière. Cependant, il est difficile de prévoir le moment exact de cette remontée et le poisson est pris à différents endroits.
Le sénateur Jessiman: Comment donc gère-t-on cette pêche?
M. Robichaud: Il y a trois grands types de flottes: la pêche à la senne, la pêche à la traîne et la pêche au filet maillant.
Le sénateur Jessiman: Est-ce pareil sur les deux côtes?
M. Burke: Non. Il n'y a pas de pêche commerciale du saumon sur la côte est.
M. Robichaud: Il n'en reste que très peu.
Le sénateur Jessiman: Je mange du saumon de l'Est et on me dit qu'il est bien meilleur que le saumon de la côte ouest.
M. Robichaud: Il provient probablement de l'aquaculture.
M. Burke: Il provient d'un élevage.
M. Robichaud: Chaque flotte se voit attribuer un secteur et des dates d'ouverture et de fermeture de la saison. C'est ainsi que la pêche est gérée.
Le sénateur Petten: Monsieur Robichaud, nous savions il y a déjà des années que les rejets sélectifs se pratiquaient, et c'est pourquoi nous avons mis en place les contrôles à quai. Ensuite, nous avons placé des observateurs qualifiés sur les navires. Dans quelle mesure cela a-t-il amélioré la situation?
M. Robichaud: Les contrôles à quai n'ont été introduits qu'à la fin des années 80. Il y avait, à l'époque, quelques observateurs sur les navires, mais principalement sur les navires hauturiers. La surveillance et le contrôle ont été intensifiés au cours des années 90.
Deuxièmement, les sanctions visent maintenant le permis plutôt que d'être de nature pénale. La perte de quotas est plus dissuasive que l'autre type. Cette approche a également été introduite au début des années 90.
Enfin, les pêcheurs eux-mêmes ont vu les conséquences de l'épuisement des stocks. Nous avons introduit un plan de conservation que chaque flotte doit exécuter. Il englobe diverses mesures auxquelles les pêcheurs doivent souscrire pour que la pêche soit ouverte. Les pêcheurs participent donc davantage à la prise des mesures de conservation et jouent un plus grand rôle dans la conservation.
La combinaison de tous ces éléments a amené une grande amélioration par rapport au passé.
Le sénateur Robertson: J'aimerais revenir à la question des quotas transférables et non transférables. Au début de votre exposé, vous avez souligné l'effet des quotas transférables sur la réduction des flottes. J'en déduis que les quotas non transférables ne font rien pour faciliter la réduction des flottes. Est-ce exact?
M. Burke: Lorsque nous introduisons un quota même non transférable, les pêcheurs commencent à appliquer des raisonnements différents sur le plan de leur planification et de leur investissement. Très souvent, ils vont pouvoir commencer à pêcher à différents moments de l'année ou, s'ils ont plusieurs navires dans différentes pêcheries, ils peuvent rationaliser leur activité sans même procéder à des transferts de quotas. Par transfert, nous entendons la cession de quota par un exploitant à un autre. Si une personne ou une société de pêche a plusieurs navires, elle peut réduire le nombre de ses navires participant aux diverses pêcheries, par le seul fait de quotas individuels, même non transférables.
Si la personne songe à investir dans ses navires existants ou à acheter de nouveaux navires, ou à transformer son activité au fil du temps, sa planification financière peut être faite de façon plus réaliste, sur la base d'une quantité connue de poissons. Tous ces facteurs conduisent à une exploitation de taille plus optimale.
La transférabilité donne la plus grande flexibilité. S'il y a une capacité suffisante pour prendre la totalité du quota, deux exploitants peuvent combiner leur flotte et réduire ainsi le nombre de leurs navires.
Le sénateur Robertson: Y a-t-il plus de permis non transférables que de permis transférables?
M. Burke: À ce stade, je le pense.
Le sénateur Robertson: Est-il possible de changer cela?
M. Burke: Nous avons travaillé avec les pêcheurs flotte par flotte pour prendre ces décisions. Les pêcheurs eux-mêmes déterminent dans une très large mesure quand et si un programme va être transformé en programme à quota individuel transférable.
Le sénateur Robertson: Est-il possible de transférer un quota pour une saison seulement? Paie-t-on la prise ou bien le quota?
M. Burke: Tout comme les permis sans quota ont une valeur fondée sur le succès de la pêche, un quota qui peut être fractionné et transféré attire typiquement une valeur commerciale à l'intérieur de la pêcherie. Son coût dépendra de facteurs tels que le coût de l'activité de pêche requise pour prendre ce quota, de la valeur commerciale actuelle et future de la prise. La main invisible du marché fixe un prix pour le quota. De même, si un quota n'est acheté que pour une saison, le prix sera considérablement moindre que s'il est acheté pour une période pluriannuelle ou indéterminée.
Le sénateur Robertson: Un transfert temporaire peut donc être utile pour l'ajustement de la flotte d'un pêcheur.
M. Burke: Les pêcheurs procèdent à des transferts temporaires pour diverses raisons, l'une étant de régler le problème des rejets sélectifs. Très souvent, un pêcheur prend dans ses filets des poissons d'une espèce pour laquelle il n'a pas de quota, ou bien il prend plus d'une certaine espèce que ne l'autorise son quota.
La capacité à transférer le quota entre pêcheurs pour couvrir cette prise élimine la nécessité de rejeter le poisson en mer et fait que ce programme est beaucoup plus rationnel sur le plan de la conservation.
Le sénateur Robertson: Est-ce que les usines de conditionnement de poisson possèdent d'importants quotas?
M. Burke: Comme M. Robichaud l'a dit dans ses remarques liminaires, le quota individuel, le quota individuel transférable et l'allocation d'entreprise reposent tous sur le même concept.
Le sénateur Robertson: Une allocation d'entreprise n'est rien d'autre qu'un quota d'entreprise.
M. Burke: C'est un quota qui est souvent octroyé à de grosses entreprises qui peuvent être verticalement intégrées, c'est-à-dire avoir une activité de pêche et une activité de conditionnement. Pour la plupart des gens dont nous parlons, la pêche est une activité commerciale. Nous aimons dire que la pêche est plus qu'une activité commerciale, c'est un mode de vie. Cependant, si ce n'est pas d'abord une activité commerciale, elle ne peut rester longtemps un mode de vie.
Par conséquent, lorsque cela présente un intérêt pour eux, les pêcheurs vont souvent se livrer à une certaine forme de conditionnement et une certaine forme de commercialisation. Lorsqu'un pêcheur a la possibilité de contrôler toutes ses décisions commerciales, il sera très enclin à prendre des contacts, peut-être même sur le marché international, assurer un minimum de conditionnement de sa prise et maximiser son rapport en éliminant certains intermédiaires, et cetera. Il en résulte quantité de structures industrielles différentes avec une intégration verticale entre la pêche elle-même, différents niveaux de conditionnement effectué et de mise en marché.
J'ai l'impression que l'Internet améliorera la capacité des pêcheurs à faire cela. Les pêcheurs sont souvent très bien équipés et à la pointe de la technologie. Nous verrons émerger de nombreuses structures différentes, dans les années qui viennent, du point de vue de la gestion de leurs entreprises.
Le sénateur Robertson: S'ensuit-il que plus on est gros, et plus on est efficient?
M. Burke: Pas toujours. Les petites exploitations flexibles sont souvent hautement profitables.
M. Robichaud: Une grosse taille peut être une gêne.
M. Burke: Je ne pense pas que la taille soit une garantie d'efficience ou de réussite.
Le sénateur Robertson: Est-ce que le nombre des permis de pêche du homard a changé au cours des dernières années?
M. Burke: Pas depuis 1980, environ.
Le sénateur Robertson: On nous a vanté ici, à plusieurs reprises, la stabilité de la pêcherie canadienne du homard, le fait que notre système de permis fait de nous de bons gardiens du homard. On nous a dit que les Américains n'ont pas une aussi bonne conservation. Ils ne limitent pas le nombre des permis, ou ne le faisaient pas la dernière fois que l'on m'en a parlé.
Pourquoi fait-on tant de bruit autour de la taille des carapaces? Pourquoi y a-t-il tant de remous au sujet du homard dans le détroit de Northumberland et la région du Golfe? Bientôt, on va blâmer le pont de l'Île-du-Prince-Édouard ou quelque chose du genre.
Cela m'inquiète. J'aimerais savoir ce qui se passe. Est-ce qu'on nous a trompés par le passé?
M. Robichaud: Au cours des cinq à sept dernières années, la prise de homard a atteint des sommets jamais vus. Lorsqu'elle augmente, on ne sait jamais jusqu'où elle va monter. Au cours des années récentes, elle a rebaissé. Lorsque la prise a été importante et qu'elle baisse, il y a lieu de se demander pourquoi.
Le ministère a demandé au Conseil pour la conservation des ressources halieutiques de procéder à une évaluation de la pêche du homard dans l'Est. Dans son rapport, le conseil a préconisé d'augmenter la production d'oeufs de homard. Il a recommandé pour cela ce qu'il appelle une panoplie d'outils, c'est-à-dire de mesures différentes qui conduiraient à une augmentation des niveaux de production d'oeufs.
Par exemple, si un pêcheur trouve un homard femelle recouvert d'oeufs dans son casier, il peut le remettre à l'eau. Cela peut représenter plusieurs points de pourcentage.
Une mesure qui contribue à augmenter le nombre des oeufs déposés est de réglementer la taille de la carapace. Évidemment, les avis là-dessus divergent selon les régions. Dans certaines, on interdit la prise de homard en dessous d'une certaine taille de carapace. D'autres régions qui ne le font pas ont néanmoins obtenu de bons résultats.
L'année dernière, le ministère a ouvert un débat dans diverses régions de pêche du homard sur les mesures recommandées dans le rapport de façon à dégager un consensus en vue de l'adoption d'approches de conservation particulières. Cela continuera à se faire et on peut espérer que de plus en plus de mesures seront adoptées. Par exemple, dans certaines régions, on a arrêté de pêcher le dimanche. Beaucoup pensent qu'il faut des recherches plus poussées et investissent dans cela.
Les avis sont très partagés à l'heure actuelle, mais le ministère continue les discussions dans diverses régions sur cette panoplie pour essayer d'amener les pêcheurs à prendre des mesures additionnelles.
Vous avez peut-être entendu parler l'année dernière des casiers à ouverture rectangulaire, qui sont censés aussi contribuer à la production de homard.
Le sénateur Robertson: Est-ce que les permis de homard sont transférables?
M. Burke: Oui.
Le sénateur Robertson: Avec l'aval du ministre?
M. Burke: Oui. Dans tous les cas, le ministre, par le biais du ministère, doit donner son autorisation aux transferts. Cependant, l'autorisation n'est pas refusée tant que le pêcheur répond aux critères.
Le sénateur Rossiter: Est-ce que dans d'autres pays on trouve aussi les quotas individuels, les quotas individuels transférables et les allocations d'entreprise?
M. Burke: Oui.
Le sénateur Rossiter: Existent-ils aux États-Unis?
M. Burke: C'est la seule méthode utilisée aujourd'hui dans toutes les pêcheries de Nouvelle-Zélande et la plupart des pêcheries d'Islande. Les pays scandinaves y ont recours dans une certaine mesure, en particulier la Norvège. Certaines pêcheries américaines ont des programmes de type QI. Cependant, comme au Canada, ces programmes portent sur des pêcheries individuelles, plutôt que d'avoir une portée globale.
Le sénateur Rossiter: Apparemment, les États-Unis ont imposé récemment un moratoire de quatre ans sur l'introduction de nouveaux QIT.
M. Burke: Oui, effectivement.
Le sénateur Rossiter: Pourquoi cela?
M. Burke: C'est une industrie très politisée.
Le sénateur Rossiter: Était-ce parce qu'il s'agissait d'une année électorale?
M. Burke: C'est possible. Il y a beaucoup d'intérêts en jeu dans différentes parties du pays. En fait, il y a pas mal de conceptions erronées sur le fondement de la pêche et de l'accès au poisson. Il y a beaucoup de confusion dans les esprits. Beaucoup d'Américains considèrent comme une notion communiste l'idée d'avoir un quasi-droit de propriété sur le poisson. Or, si vous regardez ce qui est fondamental dans les économies de marché en place dans la plupart des pays démocratiques, si vous n'avez pas une forme de droit de propriété, vous n'avez pas réellement d'économie de marché. En l'occurrence, les Américains ont adopté le point de vue inverse. Ils ont cette conception erronée de ce qui est le plus conforme au type d'économie qu'ils privilégient autrement.
Voilà le genre d'émotion que l'on rencontre dans tous les cas dans le secteur de la pêche. Sur la scène politique américaine, il y a des régions où la pêche est très importante, telles que l'Alaska. Un sénateur militant peut avoir une influence déterminante. Tout d'un coup, vous verrez un moratoire sur une idée qui se profilait dans sa région et qui déplaisait à certains des joueurs importants dans sa région. C'est ce qui s'est passé dans le cas du moratoire américain. C'est un sénateur de l'Alaska qui a mis le frein.
Le sénateur Rossiter: Juste dans cette région?
M. Burke: Non. C'est une fédération. Comme ici, si vous imposez un moratoire, vous ne pouvez vous montrer sélectif. C'est toute la machine qui s'enraye tout d'un coup.
Le sénateur Petten: Vous dites que si un pêcheur, au moment du débarquement, a trop de poissons d'une certaine espèce, il peut puiser dans le quota de quelqu'un d'autre pour augmenter le sien?
M. Burke: Oui. Cela peut arriver.
Le sénateur Petten: Quelle en est la fréquence et est-ce que c'est une amélioration?
M. Burke: Au fur et à mesure que les pêcheurs acquièrent de l'expérience avec ces programmes, ils deviennent de plus en plus sophistiqués. Les échanges et transferts deviennent la façon normale de travailler. Les pêcheurs partent d'une certaine expérience et d'une certaine conception de ce qu'est le succès. Lorsqu'on leur présente un ensemble nouveau de réalités administratives, ils apprennent vite à les intégrer dans leur façon de travailler et très souvent apprennent vite à en tirer le meilleur profit.
Il y a des transferts complets ou bien des locations de quotas. En outre, les pêcheurs vont se grouper et pêcher avec un seul navire. Ils vont laisser un navire à quai, ce qui est une autre façon de régler ce problème. Auparavant, il leur fallait prendre les deux navires, à n'importe quel coût, et se faire concurrence pour prendre le poisson. Ils savent que s'ils coopèrent, ils peuvent laisser un navire à quai, car ils peuvent prendre tout leur quota avec la capacité d'un demi-navire. Ils gagneront beaucoup plus d'argent en réduisant le coût de la pêche du poisson.
Le sénateur Petten: Cela me ramène à ma question initiale. Est-ce que c'est raisonnablement fréquent et est-ce une pratique en hausse?
M. Burke: Oui. Les pêcheurs sont très rapides à apprendre à faire marcher les choses à leur avantage.
Le sénateur Petten: Je suis d'accord avec vous. Je viens de Terre-Neuve. On voit tellement de navires tirés à terre tout le long de la côte, que cela vous brise le coeur. Cependant, ceux qui continuent à pêcher sont très efficients. Je me demandais simplement comment les choses se passent.
Le sénateur Rossiter: Dites-vous qu'il n'est pas nécessaire que chaque pêcheur détenant un quota possède son navire?
M. Burke: Certainement pas.
Le sénateur Rossiter: Il n'y a donc aucune raison pour laquelle les gens qui ne possèdent pas de navire ne pourraient détenir des quotas et les distribuer à d'autres? Nous entendons dire aussi bien sur la côte ouest que sur la côte est que des gens achètent des quotas à tour de bras.
M. Burke: Il y a typiquement chez les pêcheurs une mentalité de guilde. J'emploie ce mot au sens traditionnel. Nous avons admis, en tant que ministère, que les pêcheurs ont formé certaines conceptions de l'expérience qui est nécessaire avant que l'on puisse participer à une pêcherie par le biais de l'achat d'un permis. Tout le monde peut le faire. N'importe qui peut travailler comme membre d'un équipage et apprendre le métier. Une fois que vous l'avez fait suffisamment longtemps, vous devenez un pêcheur admissible.
Le sénateur Rossiter: Un pêcheur professionnel?
M. Burke: On pourrait dire un pêcheur professionnel, entre guillemets.
Le sénateur Rossiter: Il n'y a pas d'autre définition de pêcheur professionnel?
M. Burke: Jadis, on les appelait pêcheurs «à temps plein». Il fallait remplir certains critères. Ils devaient avoir pêché pendant un certain temps et posséder une certaine expérience. Une fois qu'ils devenaient pêcheurs à temps plein, ils devenaient admissibles à acheter un permis ou, en l'occurrence, un permis à quota.
De fait, l'un des changements que nous avons apportés récemment à la politique d'octroi de permis sur la côte est, qui s'applique également aux pêcheries à quota, a été l'introduction de la politique du noyau de pêcheurs désignés, qui est une autre variante de la même idée. Dans la mesure où nous admettons que pour acheter un quota, il faut être pêcheur désigné ou pêcheur professionnel ou pêcheur à temps plein, vous ne pouvez avoir de gens de l'extérieur venant acheter des quotas.
Pour l'essentiel, nous laissons ces décisions être déterminées par la nature de la pêcherie. Prenez l'exemple de la pêche à la palourde hauturière qui a ouvert ces dernières années au large de la Nouvelle-Écosse. Vu qu'il s'agit d'une pêche en eau profonde, il faut un équipement de haute technologie qui peut coûter des millions de dollars. On ne peut administrer cette pêche de la même façon qu'une pêcherie plus traditionnelle et bien implantée.
Vous ne pouvez avoir les mêmes règles pour tout le monde. Dans les anciennes pêcheries établies, nous tendons à utiliser la notion de guilde comme fondement. Toutes ces décisions sont prises au cas par cas et elles peuvent changer. Je suis sûr que les pêcheurs eux-mêmes vont proposer une modernisation de ces règles à l'avenir, comme ils l'ont fait récemment. Nous essayons de laisser toutes ces décisions entre leurs mains dans toute la mesure du possible.
Nous essayons d'instaurer un cadre dans lequel les conceptions les plus récentes peuvent être légitimées, mais nous laissons les pêcheurs eux-mêmes façonner ces conceptions.
Le sénateur Jessiman: Les permis sont délivrés pour une espèce particulière de poisson et un secteur donné. Le nombre des permis émis est fondé sur l'impératif de la conservation. La quantité de poissons prise est limitée par le nombre des permis délivrés, de façon à assurer la préservation de stocks pour l'année suivante. Est-ce là le principe?
M. Burke: Oui.
Le sénateur Jessiman: Idéalement, cela devrait marcher.
M. Robichaud: Idéalement, oui, mais une vingtaine de pêcheries font l'objet d'un moratoire où seules les prises fortuites sont autorisées. Bien que l'on n'ait pas délivré de nouveaux permis depuis longtemps, le stock est en recul. Le système ne fonctionne pas nécessairement bien.
M. Burke: M. Robichaud a mentionné la partie de l'équation qui voit le stock baisser. L'autre aspect est ce que les économistes appellent le problème du bien commun.
Avec les progrès technologiques, la situation a changé. Même si nous avons pu parfaitement bien évaluer la situation il y a 20 ans en disant que le stock devrait supporter 100 permis, ce n'est plus forcément le cas aujourd'hui avec les technologies nouvelles.
Le sénateur Jessiman: Un pêcheur pourrait prendre tout ce poisson à lui seul.
M. Burke: La technologie est tellement avancée que c'est possible.
Le sénateur Jessiman: Qu'est-ce qu'un permis fractionnaire?
M. Robichaud: Les permis fractionnaires sont utilisés principalement dans l'Ouest. Un exemple est lorsque deux permis sont requis pour exploiter un navire. Ils deviennent un permis combiné.
M. Burke: Supposons qu'il y a 20 ans, on ait décidé que 100 permis étaient le chiffre parfait pour une pêcherie donnée. Avec la nouvelle technologie, le bon chiffre est maintenant de 50. Traditionnellement, on réémettait le même nombre de permis année après année et les gens avaient une garantie implicite, à long terme, de voir ce permis renouvelé.
Dans la plupart des pêcheries, nous n'avons pas de méthode pour combiner ou réduire ces permis. La solution la plus acceptable pour les pêcheurs est que le gouvernement les rachète. Chacun de ces permis a une certaine valeur.
Le sénateur Jessiman: C'est donc plus qu'un privilège.
M. Burke: Techniquement parlant, ce n'est qu'un privilège. Le ministre pourrait annuler ces 100 permis demain. Cependant, ce serait infliger une perturbation incroyable à ces 100 personnes, et on ne le fait donc pas.
La chose la plus favorable pour les pêcheurs serait d'avoir un programme de rachat par lequel on ajusterait continuellement le nombre des permis dans une pêcherie. Cependant, ce n'est pas très juste pour les contribuables qui font déjà beaucoup d'autres choses sur le plan de la gestion de ces ressources. Ils ne retirent pas grand-chose de cette ressource publique, en dépit de l'augmentation récente des droits de permis. Il est assez difficile de demander à un agriculteur de la Saskatchewan de payer de sa poche pour rationaliser la flotte de pêche.
L'approche des QI ou des QIT permet d'apporter ces ajustements au moyen des transferts entre particuliers prenant leurs propres décisions. Un autre mécanisme est la licence fractionnaire. Une année donnée, il peut falloir utiliser deux permis pour exploiter un bateau, ou bien encore le permis n'est émis que pour la moitié de la saison. On peut les diviser de toute façon qui soit efficace.
M. Robichaud: Dans certains cas, et bien que ce soit inhabituel, on n'a pas renouvelé les permis. Dans le cas du poisson de fond de l'Atlantique, le ministre a décidé de ne pas réémettre les permis qui n'étaient pas utilisés. Cela peut donc arriver et cela est arrivé.
Le sénateur Jessiman: Ces permis sont annulés à toutes fins pratiques?
M. Robichaud: Ils ont disparu et ne seront plus jamais réémis.
Le sénateur Jessiman: J'ai lu quelque chose au sujet de la protection de l'emploi local. Il s'agit de l'idée d'émettre des quotas communautaires ou des quotas d'usines de conditionnement. Faites-vous cela ou bien envisagez-vous de le faire? Dans la négative, cela se fait-il ailleurs dans le monde?
M. Burke: Ce sont des idées lancées en différents endroits. Je ne connais pas de pays qui ait déjà recours dans une large mesure à ce mécanisme.
Pour émettre un quota communautaire en un lieu où existe déjà une pêcherie établie, il faut enlever le quota aux pêcheurs qui le détenaient et le confier à l'ensemble de la collectivité, ce qui englobe le concierge et l'enseignant. Cela change la façon dont les pêcheurs prennent leurs décisions commerciales.
Notre expérimentation avec les approches communautaires en est encore au stade des balbutiements. Des groupes de pêcheurs sont venus nous dire qu'ils voudraient un «conseil de gestion communautaire local» dont ils respecteraient les décisions. Nous travaillons sur cette idée dans toute la Nouvelle-Écosse dans le secteur du poisson de fond. Dans sept régions, les pêcheurs se sont rassemblés et ont dit qu'ils formeraient un conseil de gestion communautaire. Ils vont établir leur plan de gestion, en tenant compte des répercussions qu'ils ont les uns sur les autres. Ils vont prendre leurs propres dispositions et s'imposer certaines limites et contraintes à leur fonctionnement.
Le sénateur Jessiman: Je crois savoir que la Nouvelle-Zélande est en avance sur tout le monde à cet égard. A-t-elle déjà introduit quelque chose de ce genre?
M. Burke: Pas au niveau communautaire.
Le sénateur Jessiman: Et l'Islande?
M. Burke: L'Islande a une contrainte communautaire pour ce qui est des transferts. Elle est un peu comme le Canada... une grande superficie avec un petit nombre de centres urbains à la périphérie. L'une des grosses craintes y était que les localités éloignées perdent tous leurs quotas au profit de Reykjavik, la capitale, et d'autres régions. Au lieu d'instaurer des quotas communautaires à proprement parler, on a utilisé la méthode de première option d'achat. Avant qu'un quota puisse être cédé à une autre localité, il devait être offert d'abord aux pêcheurs locaux.
Il est intéressant de signaler que l'on constate là-bas, en raison de la situation des zones de pêche, que les quotas fuient plutôt Reykjavik. C'est une particularité de l'Islande. Les quotas se concentrent dans les régions plutôt qu'à Reykjavik.
Le président: Nous allons en parler avec les Islandais.
Le sénateur Robertson: Existe-t-il un conseil ou un groupe de pêcheurs dans chaque région qui recommande au ministre d'autoriser ou non un transfert de quota, ou bien cela est-il entièrement décidé par les fonctionnaires? Est-ce que les locaux ont leur mot à dire?
M. Burke: Les pêcheurs auront approuvé les règles du programme au stade de la planification. Mais les transactions individuelles doivent intervenir très rapidement si l'on veut qu'elles soient efficaces. Les pêcheurs décident, en gros, si les transferts seront autorisés ou non, puis instaurent une façon efficiente et de faible coût d'exécuter ce choix.
Il n'y a pas de conseil qui examinerait les transactions individuelles et déciderait de les autoriser ou de les refuser.
Le sénateur Robertson: Combien y a-t-il de transferts de quota chaque année, approximativement?
M. Burke: Il y en a des milliers dans chaque programme. À l'échelle nationale, il y a des dizaines de milliers, voire des centaines de milliers de transactions.
Le sénateur Robertson: Avec un nombre de transferts aussi important, arrive-t-il que les pêcheurs des diverses localités écrivent au ministre pour s'opposer à un transfert à une personne donnée?
M. Burke: Cela peut arriver. Cela arrive plus souvent lorsqu'il y a une décision de concentration qui est prise, par exemple la fermeture d'une usine ou d'une compagnie. Même en l'absence d'un programme de quotas individuels, l'absence de poisson de fond ces dernières années aura entraîné la fermeture de toutes ces installations. Avec les fluctuations à la hausse et à la baisse des stocks dans une pêcherie, quantité de choses se passent de toute façon. Il y a là un élément dynamique.
Le ministre ne reçoit pas beaucoup de plaintes intéressant des transactions spécifiques. La plus grande partie du débat porte sur la question de savoir si on va autoriser ou non les transferts dans un programme, plutôt que sur des transactions individuelles.
M. Robichaud: Par exemple, dans le cas des pêcheries de Terre-Neuve, il n'y avait pas beaucoup de quotas individuels de ce type. Cependant, au cours des dernières années, on a vu démarrer la pêche au crabe, avec aucune possibilité de transfert. Il n'y a que des quotas individuels.
Le sénateur Robertson: Je songeais au homard.
M. Robichaud: On décide de cet aspect au début, et on prévoit des lignes directrices. Cela fait partie du plan de gestion. C'est un document public. Tout le monde peut voir les lignes directrices régissant ces transferts.
Le sénateur Robertson: Il a été question dans la presse de l'Est de l'ouverture de la pêche au saumon au large de Terre-Neuve. Est-ce que cela a eu lieu?
M. Robichaud: On a spéculé que cela se ferait parce que le moratoire devait prendre fin cette année. Cependant, nos scientifiques nous informent que l'on ne verra l'impact de la progéniture avant la saison prochaine ou peut-être la suivante.
Le sénateur Jessiman: Recommandent-ils de prolonger le moratoire?
M. Robichaud: Nos scientifiques sont d'avis qu'il vaut mieux attendre. Le ministre n'a pas pris de décision finale, mais une décision sera prise dans l'avenir proche avec le plan de gestion pour le Labrador, car il y a là encore une pêcherie commerciale, ainsi qu'une pêcherie sportive.
Le sénateur Robertson: Je vous en prie, conseillez-lui d'attendre encore un peu. C'est une question importante, comme vous le savez.
Veuillez nous parler de l'effet de l'imposition de redevances de service. On en a beaucoup parlé dans les journaux et la presse. Parlez-nous également des changements apportés à l'assurance-emploi. Ces deux éléments, en particulier, se répercutent sur les permis.
J'aimerais savoir également s'il y a des subventions publiques qui influencent la conservation ou la vente de permis. Je suis sûr que tous ces facteurs jouent un rôle dans tout cela.
M. Burke: Pour ce qui est des subventions, je vais en donner une définition théorique. On pourrait qualifier de subvention tout ce qui est injecté dans une économie en provenance de l'extérieur. Des prestations d'assurance-emploi supérieures au montant des cotisations prélevées dans une région donnée peuvent être considérées comme une subvention versée aux bénéficiaires.
Un rapport récent de M. Cashin sur le déclin de la pêche à la morue de l'Atlantique a indiqué que l'assurance-emploi représente une importante subvention donnée aux pêcheurs du Canada Atlantique. Le rapport Cashin isole également quelques crédits de l'APECA et quelques programmes provinciaux destinés à aider les pêcheurs qui veulent construire des navires comme forme de subvention à l'industrie.
Il n'y a pas de programme direct ou de subvention que le gouvernement fédéral ou les gouvernements provinciaux appliquent explicitement aux permis eux-mêmes, qu'ils soient assortis ou non de quotas. Cependant, il y a certainement d'autres programmes que l'on pourrait considérer comme des subventions. Chaque fois qu'une subvention réduit un coût, cela confère un avantage à ceux qui en bénéficient par rapport à ceux qui doivent assumer le coût eux-mêmes.
Le sénateur Robertson: Si, par exemple, mon voisin et moi décidons de collaborer en pêchant ensemble et en laissant mon navire à terre, il n'y a aucun programme pour m'aider à le faire.
M. Burke: Non, pas plus qu'il n'y a de prestation ou de pénalité particulière associée à l'accès à des choses comme l'assurance-emploi.
M. Robichaud: La seule chose qui me vienne à l'esprit, c'est l'idée préconisée par le groupe qui a examiné le programme de rationalisation dans le cas du saumon, et peut-être dans le cas de ceux qui ont acquis l'accès à un autre secteur. Il pourrait y avoir une compensation pour le coût de cet accès.
M. Burke: M. Robichaud fait état indirectement de quelques programmes de rachat que nous avons lancés. On pourrait les placer dans cette catégorie, bien qu'il ne s'agisse pas de subventions à proprement parler.
Dans le cas du poisson de fond de l'Atlantique, un volet du programme TAG prévoyait le rachat de permis. Environ 450 permis ont été rachetés. Sur la côte ouest, nous avons racheté environ 30 p. 100 de la capacité par le biais d'un mécanisme financé par le gouvernement visant à réduire le nombre des permis. C'était une subvention aux pêcheurs restants plutôt qu'une subvention destinée à aider quelqu'un à acquérir un permis. Ce sont les citoyens et les contribuables qui payaient. Les bénéficiaires étaient les pêcheurs restants et ceux dont les permis étaient rachetés.
Le sénateur Robertson: Comment avez-vous choisi les 450 licences rachetées?
M. Robichaud: Il y a eu des enchères à l'envers.
Le sénateur Robertson: Est-il exact que des redevances ont été imposées pour diverses choses dans le secteur de la pêche?
M. Burke: Oui.
Le sénateur Robertson: Y en a-t-il parmi elles qui se répercutent sur le processus de délivrance des permis?
M. Burke: La principale est le droit d'accès au poisson. Les droits de permis n'avaient pas changé pendant 15 ans. Si vous étiez pêcheur de homard dans un secteur très lucratif où vous pouviez gagner 200 000 $, le droit de permis était de 30 $. Si vous étiez dans un secteur où vous pouviez gagner 10 000 $, le droit était aussi de 30 $. Si vous étiez dans une pêcherie de poisson de fond où vous ne gagniez rien du tout, le droit était toujours de 30 $.
En cherchant à percevoir des revenus par le biais des permis, nous avons décidé qu'il nous fallait introduire plus d'équité dans ce processus. Nous avons décidé de calibrer le coût du permis en fonction des gains potentiels. Le tarif est calculé en fonction de la valeur brute de la prise. Un nombre important de permis sont restés à 30 $. Cependant, certains permis de pêche hauturière coûtent maintenant 130 000 $ par an.
Le sénateur Robertson: C'est lié à la valeur de la prise.
M. Burke: Cet argent va au gouvernement.
Le sénateur Jessiman: C'est sélectif, mais cela semble juste.
M. Burke: Les entreprises dans les pêcheries très lucratives, qui ont des revenus très élevés, ont les moyens de payer des droits plus élevés.
Le président: Je serais intéressé à un autre moment à parler de la notion voulant que l'AE soit une subvention, c'est-à-dire des transferts d'argent d'autres secteurs vers celui de la pêche. Nous pourrions essayer de voir si la pêche retire un plus grand avantage de l'AE que, par exemple, l'industrie de la pomme de terre, l'exploitation forestière ou le tourisme. Ce serait une discussion intéressante, mais qui n'est pas tout à fait notre sujet d'aujourd'hui.
J'aimerais revenir à la question des quotas communautaires et de l'idée que les concierges, médecins et infirmières ne devraient pas avoir leur mot à dire sur les quotas communautaires. Vous avez donné à entendre que les non-pêcheurs ne portent pas d'intérêt à la question.
Mais n'ont-ils pas un intérêt dans l'avenir de la pêche dans leur localité? Si une décision est prise qui modifie l'activité de pêche dans la localité, est-ce que cela ne se répercute pas sur le concierge, le médecin et le chantier de réparation de navire, les fournisseurs de carburant et cetera? Ce me paraît faire preuve de myopie que de balayer ainsi d'un revers de main la collectivité.
A-t-on jamais cherché à mesurer les effets sociaux des QIT, des QI et des AE dans les collectivités locales?
M. Burke: Il y a eu quelques études anthropologiques et certaines études sociales des programmes de QI au Canada et à l'étranger. Il y en a eu plusieurs, par exemple, sur le programme de QIT du poisson de fond dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse et la région de Scotia Fundy.
Lorsque vous menez une analyse sociale ou économique, il est très difficile de distinguer les effets des QI d'autres facteurs. La pêche est déjà une activité économique très complexe. Les facteurs biologiques font évoluer les stocks de poisson dans un sens ou dans un autre. Parfois, même s'il y a beaucoup de poisson, le marché est mauvais. Le prix du poisson peut être entièrement indépendant d'un programme QI ou bien en dépendre beaucoup, selon les circonstances.
Il peut y avoir beaucoup d'autres éléments de l'économie d'ensemble qui provoquent des changements. Il est très difficile d'attribuer des taux de criminalité ou d'autres indicateurs sociaux à un programme de QI. Je ne veux pas minimiser les effets, je dis simplement qu'ils sont difficiles à mesurer. On a essayé dans certaines régions, mais ce n'est pas une science exacte.
Le président: À ma connaissance, personne n'a cherché jusqu'à présent à orchestrer un débat public sur le concept des QIT, de la privatisation et des problèmes qui en résultent. Il n'y a pas eu de débat public objectif sur le sujet.
M. Burke: Il n'y a probablement pas eu de débat public, mais il y a certainement eu un grand nombre d'ateliers.
Le président: Pour ce qui est de ma première remarque, le public ne se limite pas au MPO, au Conseil des pêches du Canada, au Conseil canadien des pêcheurs professionnels et à quelques universitaires. Je parle de la collectivité elle-même qui se ressent en bout de chaîne des décisions d'introduire ou non les QIT.
M. Burke: J'ai passé deux jours cette semaine à un atelier sur le hareng qui réunissait des pêcheurs, des conditionneurs et d'autres intéressés par la gestion des pêches. Bien que les QIT n'aient pas été à l'ordre du jour, on en a parlé.
Pour en revenir à votre première remarque, je ne voulais nullement ridiculiser ou diminuer l'idée que d'autres ressentiraient les effets de changements de cette sorte dans la société. Cependant, si vous me permettez une analogie, lorsqu'on construit un mégasupermarché à Halifax qui va modifier les caractéristiques du commerce de détail dans un rayon de 60 milles, on n'organise pas souvent une série de débats et de discussions sur les changements qui vont intervenir. Je pense que cela s'applique tout autant aux changements survenant dans l'agriculture, l'exploitation forestière et la plupart des autres secteurs.
Le président: Je pense que l'on n'a pas encore établi à qui appartient le poisson. Nous avons peut-être une divergence d'opinion sur la propriété du poisson.
M. Robichaud: Le poisson appartient aux Canadiens.
Le président: Oui, aux Canadiens. À ma connaissance, cela remonte à la Grande Charte. C'est une situation très différente de celle où quelqu'un possède un terrain à la périphérie de Halifax et décide d'y construire un horrible bâtiment en poutrelles d'acier dont nul ne veut. C'est la propriété privée de cette personne et si les règlements de la municipalité de Halifax l'autorisent, elle peut faire ce qu'elle veut. Avec le poisson, c'est sensiblement différent. C'est pourquoi j'essaie de discerner les aspects sociaux de la pêche.
Je lisais l'autre jour un document de discussion du Conseil canadien des pêcheurs professionnels disant que les ministres des Pêches fédéraux ont réaffirmé de façon répétée l'importance qu'il y a à préserver l'assise sociale de la pêche. Voyez-vous des raisons de croire que tel n'est plus le cas?
M. Burke: Je pense que le ministre des Pêches fédéral veut toujours assurer une assise sociale solide pour la pêche. Toute la question est de savoir si c'est une assise autosuffisante ou une assise subventionnée.
Le président: Est-ce que le MPO a arrêté à ce stade une politique sur la privatisation, sur le désir de privatisation de la pêche, ou bien va-t-il laisser la collectivité décider? En d'autres termes, le MPO a-t-il une politique interne privilégiant les QIT, les QI et les AE dans les pêcheries du Canada?
M. Robichaud: Non. De fait, nous reconnaissons que les QI et les QIT ne sont pas adaptés à toutes les pêcheries. Il y en a beaucoup qui ne s'y prêtent pas.
Chaque flotte ou secteur peut décider par lui-même s'il en veut. Nous travaillons avec eux pour faire avancer le processus. Parfois, comme je l'ai indiqué, il faut recourir à des conditions de permis, pour donner effet au système.
Le président: Il n'y a donc pas de politique du MPO.
M. Robichaud: Il n'y a pas de politique favorisant le recours universel aux QI ou aux QIT.
Le président: Une AE est en place depuis 1982 ou 1983 dans la région de Scotia Fundy. Les stocks de poissons de fond ont été carrément scindés en deux parties. Cinquante pour cent sont allés aux compagnies hauturières -- National Sea et d'autres -- et les autres 50 p. 100 ont été alloués à ce que l'on pourrait appeler une pêcherie commune, ce qui a changé ultérieurement. Pendant pas mal d'années, il y a eu d'un côté la pêcherie non concurrentielle et l'AE de l'autre côté.
A-t-on cherché à déterminer lequel des deux secteurs était le plus efficient? Vous avez là un laboratoire vivant sous la main.
M. Burke: Du point de vue de l'efficience, il ne fait aucun doute que les approches quasi-QI et AE sont les plus efficientes.
Le président: Vous dites qu'il ne fait aucun doute.
M. Burke: Aucun doute.
Le président: Est-ce que le MPO a fait une étude?
M. Burke: Oui.
Le président: Laquelle a établi que c'est plus efficient?
M. Burke: De nombreuses évaluations montrent que ces programmes sont supérieurs du point de vue de l'efficience.
Le président: Est-ce que les résultats de ces études du MPO ont été publiés?
M. Burke: Ces conclusions ne figurent pas dans une seule étude. Elles ressortent de nombreuses études comparatives différentes.
Vous avez mentionné le poisson de fond. Comme vous l'avez fait remarquer, cette industrie a radicalement changé. Le partage 50-50 instauré en 1982 en Nouvelle-Écosse et la région de Scotia Fundy n'est plus du tout le même aujourd'hui.
Le président: Avez-vous des données empiriques montrant que le système AE pour la pêche hauturière est meilleur ou plus efficient?
M. Burke: Gardner Pinfold a effectué, il y a quelques années, une étude de l'efficience de ces programmes. Nous avons mené d'autres travaux depuis sur des programmes similaires.
Le président: Nous vous serions reconnaissants de nous communiquer tous les renseignements que vous pourrez qui traitent de l'efficience, qui nous montrent si ces programmes sont plus favorables ou moins favorables aux contribuables canadiens.
M. Burke: Permettez-moi de définir le terme «efficience», dans le sens où je l'utilisais. Efficience signifie pour moi que la pêche est plus profitable, que les pêcheurs ont des coûts d'exploitation moindres et sont à même de faire meilleur usage de la ressource qui leur est confiée par le public canadien.
Le président: Si l'un de ces détenteurs de permis concentrant les quotas en ses mains décide de fermer son exploitation dans une localité, il y a un coût pour le contribuable canadien. Voilà les indicateurs que je recherche.
M. Burke: Je recherche des indicateurs d'efficience. Vous recherchez autre chose.
Le président: Si vous admettez ma définition de l'efficience, lequel des deux systèmes est-il meilleur pour le contribuable canadien?
M. Burke: Pour déterminer cela, il faudrait considérer tous les autres programmes, y compris l'assurance-chômage. On pourrait élargir le champ d'étude au nombre de jeunes gens dans les localités côtières qui n'ont pas fait d'études parce qu'ils pensaient pouvoir gagner leur vie sur place sans études poussées. Maintenant qu'ils n'ont pas fait d'études, ils n'ont pas réalisé tout leur potentiel et ne peuvent contribuer de manière constructive à l'économie canadienne.
Le président: Ce sont des questions très intéressantes.
M. Burke: Mais auxquelles il est impossible de répondre.
M. Robichaud: Monsieur le président, nous pourrions avoir un avis sur le programme et nous pourrions l'évaluer. Cependant, le plus parlant est la liste qui vous a été distribuée. Il faudrait voir combien d'autres groupes estiment qu'une telle approche vaut mieux que se battre les uns contre les autres.
Le président: Je suppose que cela prête à débat.
M. Robichaud: Il faudrait demander leur avis à tous les intéressés.
Le président: Nous le ferons certainement. Nous n'avons encore rien décidé.
Je lisais l'autre jour un article de l'Atlantic Institute for Market Studies dont vous, monsieur Burke, êtes coauteur. L'article est intitulé Derrière le rideau de morue. Il compare la pêche concurrentielle du Canada Atlantique avec les derniers jours du régime soviétique. C'est presque une satire.
Y a-t-il une politique du ministère des Pêches et des Océans qui vous permette de dire que l'assurance-chômage est une mauvaise chose ou lequel des deux systèmes est le meilleur?
Dans le sommaire de l'article, on lit:
[...] Burke et Brander proposent deux changements déterminants à la politique publique. Premièrement, ils disent qu'il faut régler le problème de la propriété commune.
Je précise que ce n'est pas la «question de la propriété commune» mais «le problème de la propriété commune». Plus loin:
Les propos des auteurs ici vont dans le même sens que l'article d'Elizabeth Brubaker publié plus tôt cette année dans la série des commentaires de l'AIMS sur l'importance d'un régime de droit de propriété robuste en matière de pêche [...]
À la page 9 vous écrivez:
Quels sont donc les parallèles entre l'économie soviétique et la pêche? La similitude fondamentale tient au fait que les deux systèmes de propriété reposaient sur la propriété commune.
En Union soviétique, de nombreux facteurs étaient à l'oeuvre pour affaiblir le rideau de fer et saper l'État totalitaire.
L'article contient d'autres propos démolissant la propriété commune de la ressource par opposition à la propriété privée, laquelle est présentée comme le sauveur de la pêche de l'Atlantique.
Exprimez-vous là la politique du MPO ou bien vos opinions propres?
M. Burke: L'avertissement dans le préambule indique que ce sont là mes opinions personnelles. Je pense que le ministère souhaite un débat vigoureux sur les questions en jeu ici et sur les facteurs économiques et la dynamique qui sous-tendent les décisions à prendre.
Le président: Est-ce que le ministère a publié des opinions inverses? Y a-t-il des personnes au ministère des Pêches et des Océans qui ont une opinion contraire à la vôtre? Le ministère les a-t-il encouragées à les exprimer pour équilibrer ce débat?
M. Burke: Il y a certainement quantité de textes du ministère qui continuent à militer en faveur de notre politique d'octroi de permis antérieure et de l'approche «corporative». Il subsiste quantité de pêcheries à propriété commune dont les plans de gestion ont été officiellement approuvés par le ministère.
Cet article a été publié initialement dans une revue de l'Université Dalhousie pour laquelle on m'avait demandé de le rédiger. Je l'ai soumis préalablement à mes collègues à Ottawa et leur ai demandé si je franchissais une ligne invisible.
Le président: Vous a-t-on dit que vous pouviez le publier?
M. Burke: On m'a dit qu'un débat de cette sorte est sain dans le contexte canadien et que les gens doivent pouvoir cerner les forces à l'oeuvre.
Le président: Votre supérieur a-t-il donné son feu vert?
M. Burke: Oui.
Le président: Je ne pense pas que le ministre ait choisi un camp.
M. Burke: Mon supérieur non plus. Le fait que l'on m'ait autorisé à publier ne signifie pas que mes supérieurs sont d'accord avec moi. Ils m'ont simplement remercié de les avoir informés et m'ont autorisé à publier si je voulais lancer ce débat.
Le sénateur Jessiman: La position américaine est-elle que la propriété commune est proche du communisme?
M. Burke: Je ne dirais pas cela. Quantité de perceptions ont cours qui ne vont pas dans ce sens.
Le sénateur Jessiman: Aux États-Unis?
M. Burke: Certainement.
Le président: Il y a dans l'article certaines affirmations dont les habitants de la région Atlantique pourraient s'indigner, par exemple que les pêcheurs vivent des produits et des services du reste du pays.
M. Burke: Bon nombre de ces conclusions se trouvent dans l'étude de M. Cashin sur la pêche.
Le président: Cependant, on peut faire valoir ces arguments au profit des deux côtés. Certains pêcheurs à leur compte touchent l'assurance-chômage, mais des employés de National Sea aussi bénéficient de l'assurance-chômage. Cela est passé sous silence.
J'essaie d'introduire un peu d'équilibre là-dedans.
M. Burke: Certainement. C'est toujours une bonne chose.
Le sénateur Robertson: Je pense que cela ouvre un débat sain. Le public ne comprend pas suffisamment ces choses. Continuez à écrire et amenez d'autres à exprimer des positions contraires.
Le président: Nous allons probablement rechercher toute prise de position du ministère montrant que la pêche à propriété commune de la ressource n'est pas nécessairement un régime communiste totalitaire à l'agonie.
M. Burke: Mon article était destiné surtout à stimuler la réflexion.
Le président: Vous m'avez donné à réfléchir, monsieur.
Le sénateur Robertson: L'un d'entre vous pourrait-il demander aux fonctionnaires compétents du ministère de me remettre un profil de l'emploi dans la pêche? J'aimerais savoir ce qui se passe avec toutes ces coupures dans la région Atlantique, quelle était la situation il y a trois ou cinq ans, combien de gens ont été mis à pied et comment a été redistribué le personnel dans la région Atlantique. Cela me serait utile.
Le président: Messieurs, nous avons grandement apprécié votre exposé ce matin. Nous avons apprécié la franchise avec laquelle vous avez abordé la question importante que nous étudions. Nous vous sommes très reconnaissants de votre temps et de l'effort que vous avez consacré à cela, ainsi que des documents que vous nous avez remis.
La discussion a été si intéressante que le comité voudra peut-être s'entretenir de nouveau avec vous à l'avenir. J'en parlerai avec le comité directeur.
M. Robichaud: Nous vous remercions de votre invitation. Si vous nous réinvitez, nous reviendrons.
La séance est levée.