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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Pêches

Fascicule 6 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 20 mars 1997

Le comité sénatorial permanent des pêches se réunit aujourd'hui à 9 h 30 pour étudier des questions de privatisation et d'attribution de permis à quota dans l'industrie des pêches au Canada.

Le sénateur Gérald J. Comeau (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Nous accueillons ce matin M. Quentin Grafton, professeur d'économie à l'Université d'Ottawa.

Allez-y, monsieur.

M. R. Quentin Grafton, département d'économie, Université d'Ottawa: Je tiens à remercier le Sénat de m'avoir invité aujourd'hui pour présenter un bref exposé sur les politiques en matière de pêches. Je parlerai aujourd'hui non seulement des permis assortis de quotas et de l'utilisation des droits à la propriété privée dans le secteur des pêches au Canada, mais également de la politique canadienne des pêches en général.

J'aimerais citer des experts bien connus du domaine des pêches. J'aimerais citer d'abord Peter Pearse. En 1982, il était le directeur de la Commission sur la politique des pêches du Pacifique, qui étudiait les problèmes que connaissait le secteur de la pêche au saumon au début des années 80. Permettez-moi de citer M. Pearse:

Nos ressources halieutiques, qui comptent parmi les plus précieuses du monde, peuvent fournir d'importants avantages économiques et sociaux; pourtant, un grand nombre de pêcheurs commerciaux et d'entreprises de pêche sont au bord de la faillite, les pêcheurs sportifs et les Indiens s'inquiètent du déclin des possibilités et les pêcheries représentent un lourd fardeau pour les contribuables canadiens.

J'aimerais citer un commentaire plus récent fait par Richard Cashin, directeur du Groupe d'étude sur les revenus et l'adaptation des pêches de l'Atlantique, groupe qui a été constitué à la suite de la crise créée par l'effondrement des stocks de poisson de fond dans l'Atlantique. Il a dit:

Nous sommes confrontés à une famine d'une taille comme celle dont on parlait dans la Bible [...] une destruction massive. Les répercussions économiques et sociales de cette destruction sont un défi que doit relever et un fardeau que doit assumer toute la nation.

Enfin, j'aimerais citer un extrait du rapport du comité d'examen public sur le saumon rouge du Fraser qui était présidé par M. John Fraser:

[...] une ouverture de pêche de 12 heures de plus aurait pu éliminer virtuellement toute la montaison tardive de saumons rouges dans la rivière Adams. Il en aurait résulté des conséquences dévastatrices pour la pêche dans le Pacifique [...] À moins que toutes les parties ne travaillent de concert pour gérer de façon beaucoup plus compétente, la tragédie dans laquelle a sombré la pêche à la morue de l'Atlantique se répétera sur la côte ouest.

Ces commentaires faits au cours des dernières années illustrent clairement la crise et les défis qui caractérisent les pêches au Canada. Je suis très heureux de vous rencontrer aujourd'hui pour discuter en plus amples détails de ce qu'on pourrait faire pour régler la crise et des problèmes qui existent dans les pêches au Canada.

J'aimerais signaler que le mémoire présenté aujourd'hui a été préparé par moi et par M. Daniel Lane de la Faculté d'administration de l'Université d'Ottawa.

Avant de parler des solutions, je crois qu'il faudrait d'abord étudier certains des principaux problèmes auxquels est confronté le secteur des pêches au Canada. Je sais que les sénateurs connaissent bien ces problèmes. J'aimerais les étudier, mais de mon propre point de vue. Tout d'abord, j'aimerais rappeler que les pêches sont très importantes au Canada. Pas simplement pour Terre-Neuve; elles sont importantes pour l'ensemble du pays. Elles emploient directement et indirectement quelque 165 000 personnes et génèrent près de 3 milliards de dollars au titre de la valeur totale des prises débarquées.

De plus, dans des petites collectivités de la côte ouest et de la côte est, les pêches sont un employeur très important. Je ne saurais trop insister sur l'importance que revêtent les pêches canadiennes pour l'ensemble du pays et pour ces collectivités.

Si on veut bien comprendre l'état des pêches en eau salée du Canada, il est très important de comprendre le problème de la ressource commune. Ce problème est le suivant: les débarquements ou les prises d'un pêcheur réduisent les débarquements ou les prises d'autres pêcheurs s'ils exploitent le même stock. Il existe donc une certaine concurrence entre les pêcheurs. Il existe une quantité donnée de poisson qui peut être pêchée et cela dépend évidemment de la nature. Les pêcheurs essaient d'obtenir les prises qui seront le plus à leur avantage. La concurrence qui existe donc entre les pêcheurs peut mener à une surexploitation de la ressource, et s'il n'existe aucun contrôle, il pourrait y avoir surexploitation économique et biologique.

On connaît le problème depuis déjà des décennies; le Canada a essayé d'y remédier en créant un système de pêche à accès limité, pour empêcher la surexploitation biologique. Malheureusement, la pêche à accès limité, même si elle arrive à limiter le nombre de pêcheurs et de bateaux de pêche, n'a aucunement dissuadé les pêcheurs d'exploiter la ressource au maximum. Ainsi, si le pêcheur veut pêcher plus de poissons, il doit faire quelque chose de façon plus efficace que son voisin. Comment? Il investit alors dans un bateau ou dans des engins ou peu importe qui lui permettront de mieux exploiter la ressource. Son voisin réagit de la même façon. La rivalité existe.

Tout cela n'entraîne pas nécessairement une surexploitation biologique s'il existe une limite au chapitre du total des prises. Le problème devient alors un problème de surexploitation économique parce que les coûts associés à la pêche augmentent en raison de la rivalité qui existe entre les pêcheurs; cependant, la récolte totale n'a pas augmenté. Elle n'augmentera que si la nature le veut bien. Au Canada, il existe dans le secteur des pêches un problème de surcapitalisation, de suremploi et de revenus faibles. C'est un des principaux problèmes auxquels le Canada est confronté. Je l'appelle le problème de la ressource commune.

Les politiques de gestion par accès limité au Canada n'ont pas été très très réussies. Ces politiques ont remporté un certain succès dans une certaine mesure, car elles ont su assurer que la récolte totale est respectée et qu'il n'y a pas surexploitation biologique. Cependant, elles n'ont pas du tout réussi à assurer que les pêcheurs ne surcapitalisent pas, qu'ils n'investissent pas trop, et qu'ils ont quand même un niveau de revenus acceptable. Il faut donc apporter des modifications au régime de gestion des pêches pour répondre aux problèmes de la ressource commune.

J'aimerais maintenant parler d'une question qui a eu un impact certain sur les politiques en matière de pêche, quoiqu'on l'ait souvent ignorée, soit le recours aux subventions. Depuis les années 70, on a consacré collectivement des centaines de millions de dollars aux paiements d'appoint du gouvernement fédéral, à des subventions visant à construire ou à mettre à niveau des navires ainsi que la radiation des dettes d'intérêts. De plus, il y a eu un mécanisme de soutien du revenu, soit l'assurance- chômage, qu'on appelle maintenant l'assurance-emploi. Permettez-moi de vous donner une idée de l'importance de ce soutien financier. En 1990, les prestations d'assurance-chômage des pêcheurs indépendants au Canada Atlantique s'établissaient en moyenne à plus de 80 p. 100 du revenu qu'ils tiraient de la pêche; dans certaines provinces, comme Terre-Neuve, les pêcheurs recevaient un montant plus élevé sous forme de prestations d'assurance-chômage qu'ils ne recevaient de l'exploitation des ressources halieutiques. Et je parle ici des pêcheurs indépendants. Il est évident que le niveau de soutien du revenu a encouragé les pêcheurs à continuer leurs activités dans ce secteur. Lorsque la ressource qu'on exploite est une ressource commune, lorsque plus de pêcheurs pêchent, chacun a donc une part plus petite du gâteau.

J'aimerais vous parler brièvement des pratiques de gestion parce qu'il s'agit là d'un aspect important des problèmes que connaissait le Canada dans le secteur des pêches. Il existe un problème de capitalisation excessive dans le secteur des pêches au Canada. Il y a trop de bateaux, les bateaux sont trop puissants, et les engins sont trop performants et peuvent donc capturer trop de poissons. Ainsi, lorsqu'il y a une diminution des stocks, il arrive que l'on échange les conséquences à long terme de la non-réduction immédiate des prises et ses conséquences pour la viabilité à long terme de la ressource contre des coûts d'ajustement à court terme pour éviter les pertes d'emploi et les faillites qui découleraient d'une diminution du total des prises admissibles. C'est un problème épineux, mais ce genre d'échange, de difficultés, est exacerbé par la surcapitalisation.

La surexploitation de certains stocks est à l'origine de la réduction de ces stocks. Un document a été publié en 1994 par Hutchins et Myers où l'on parle de la surexploitation de la morue du Nord; les auteurs soutiennent et démontrent que la surexploitation était la principale cause, sinon la seule cause, de l'effondrement de ce stock. La surcapitalisation accroît le problème et rend l'adoption de politiques en matière de pêche encore plus difficile.

Il est difficile de prédire l'abondance des stocks. C'est une science très difficile. Il faut au Canada un processus décisionnel qui tienne adéquatement compte de l'incertitude et des risques, ainsi que des renseignements fournis par les pêcheurs, et des conseils scientifiques. Malheureusement, ce genre de processus décisionnel n'existe pas au Canada.

Les avis scientifiques tendent à porter sur la quantité de poisson attrapée, le poids et moins sur le moment, le lieu et la façon de prendre ce poisson.

Pour finir de résumer les problèmes que rencontrent les pêches canadiennes, j'aimerais maintenant parler des stocks chevauchants et partagés. Le problème est en fait essentiellement l'activité des navires de pêche étrangers dans les zones canadiennes. Le problème est double. Le Canada partage des frontières avec les États-Unis, mais pour ces zones exclusivement économiques, il y a donc du poisson qui peut migrer des États-Unis dans les eaux canadiennes. Je pense en particulier au saumon. Il y a du saumon qui fraie dans les eaux canadiennes, dans les ruisseaux canadiens. C'est du saumon canadien mais il est intercepté par des pêcheurs américains. C'est le problème des stocks partagés.

L'autre problème est celui des stocks chevauchants, c'est-à-dire du poisson qui va et vient entre les zones canadiennes, la zone exclusivement économique et la haute mer. Le problème le plus remarquable est celui du nez et de la queue du Grand Banc, au large de la côte de Terre-Neuve. Le nez et la queue se trouvent à l'extérieur de la zone économique exclusive de 200 milles nautiques du Canada. Cela nous a causé des problèmes particuliers, vous vous souviendrez de l'incident de l'Estai en 1995, mais la question semble à peu près réglée. Voilà donc à mon avis un résumé de certains des problèmes des pêcheries du Canada.

Avant de parler des suggestions que j'aurais à vous faire pour régler ces problèmes, je reviendrai brièvement sur les pratiques et stratégies actuelles.

J'insisterai sur le fait qu'il y en a qui sont bonnes, qui représentent une amélioration pour les pêches canadiennes. La politique canadienne en matière de pêche s'est sensiblement améliorée au cours des 15 dernières années, mais il reste beaucoup à faire.

Tout d'abord, il y a la question de la gestion des pêcheries régies par des droits, terme général qui s'applique à l'utilisation de droits de propriété privée en général pour le contrôle ou la gestion des pêches. Cela se présente sous trois formes au Canada. D'une part, les quotas individuels non transférables; d'autre part, les quotas individuels transférables et en troisième lieu, les allocations à une entreprise qui ne sont pas directement accordées à un bateau mais à une entreprise.

La gestion fondée sur les droits s'est développée depuis 10 ou 15 ans. Cela a commencé sous une forme en 1976 et cela s'est répandu, en particulier à la fin des années 80 et des années 90. Il y a maintenant plus de 20 pêcheries régies par des droits au Canada. Cela va des coquillages et du poisson de fond en Colombie-Britannique au hareng et au poisson de fond hauturier et aux coquillages dans la région de l'Atlantique. Il y a énormément de pêcheries qui sont maintenant régies par des droits. Cela représente plus du tiers de la valeur totale du poisson au débarquement et cela représente de l'emploi pour des milliers de pêcheurs et d'employés du secteur de la transformation. Certains de ces programmes, comme celui de la pêche au flétan de la Colombie-Britannique, celui de la morue charbonnière de la Colombie-Britannique, le programme d'allocation d'entreprise pour les pétoncles, ont tous été des réussites.

Je ne veux pas terminer ce discours sur la gestion fondée sur les droits sans parler de certains problèmes. En particulier, le problème du dépassement des quotas et de la qualité. Et je pense à deux pêcheries en particulier. Pêches et Océans est au courant de ces difficultés et s'est efforcé ces dernières années d'y remédier en augmentant les pénalités imposées aux pêcheurs qui contreviennent aux règlements et en surveillant et contrôlant davantage les pêcheries. On a constaté une amélioration, mais je ne veux pas dire qu'il n'y a pas du tout de problèmes dans certaines pêcheries.

Un autre aspect des stratégies et pratiques actuelles du ministère des Pêches et des Océans est la politique de délivrance de permis. Elle avait été adoptée pour régir l'accès aux pêcheries. Comment contrôler cela? En attribuant un permis à un bateau puis en limitant le nombre de permis disponibles afin de limiter le nombre de bateaux dans une pêcherie donnée. C'est au coeur de la politique des pêches du Canada depuis le début des années 70.

Dans le cadre de la stratégie actuelle, le ministère des Pêches et des Océans accorde des permis «de base» aux pêcheurs qui répondent à certains critères d'admissibilité. Il a également modifié le barème des permis. La modification de la politique d'octroi des permis a entraîné une augmentation importante des frais de permis sur les deux cotes.

En ce qui concerne la pêche au saumon du Pacifique, des changements importants sont intervenus l'année dernière avec l'entrée en vigueur du plan Mifflin et des permis correspondant aux titres de navires. Le ministère a imposé des permis de zone aux pêcheurs qui utilisent trois engins, comme à ceux qui pêchent au filet maillant ou au chalut.

En outre, le gouvernement du Canada a entrepris de racheter des permis. Sur la côte du Pacifique, il a consacré environ 80 millions de dollars au rachat de permis et a racheté de 20 à 30 p. 100 de la flottille de pêche au saumon du Pacifique.

En ce qui concerne la pêche au poisson de fond de l'Atlantique, le gouvernement a consacré environ 60 millions de dollars dans le cadre du régime fiscal, pour racheter environ 450 permis et les navires correspondants.

J'aimerais conclure le chapitre consacré aux usages et aux stratégies actuelles en parlant de la cogestion, qui constitue actuellement un terme à la mode dans le domaine des pêches au Canada. Le manque de participation des pêcheurs et du public dans les prises de décision sur les pêches a été le principal signe d'échec dans la gestion des pêches au Canada jusqu'à maintenant; du reste, on constate la même chose dans d'autres pays. Le cas du Canada n'est pas particulier à cet égard. Mais à l'avenir, la pierre angulaire de la politique des pêches devra donc être une plus grande cogestion ou de meilleurs accords de partenariat entre le ministère des Pêches et des Océans, les pêcheurs et l'industrie de la pêche. L'évolution vers la cogestion est également justifiée par les compressions budgétaires auxquelles doivent faire face tous les ministères et d'après les chiffres dont je dispose, le ministère de Pêches et des Océans envisage effectivement de réduire ses effectifs d'environ un quart entre l994 et 1998, ce qui devrait de toute évidence l'inciter à opter pour la cogestion.

Dans certaines pêches régies par des droits transférables comme la pêche à la morue charbonnière en Colombie-Britannique et la pêche au flétan, les pêcheurs assument intégralement le coût de la gestion des pêches, y compris la surveillance, et participent activement aux prises de décision sur les pêches, qui figurent parmi les mieux gérées au Canada et qui sont parmi les plus rentables pour les pêcheurs.

Je pourrais vous parler brièvement de la cogestion par rapport au projet de loi C-62. Aux termes de cette mesure, le ministre des Pêches et des Océans va pouvoir autoriser un accès entraînant des obligations juridiques aux ressources halieutiques en échange de la prise en charge de responsabilités et de coûts plus grands touchant la gestion des pêches. J'estime que dans certaines pêches canadiennes, où les pêcheurs sont déjà bien organisés et bénéficient d'un rendement satisfaisant, ce changement devrait donner des résultats positifs, mais dans les pêches qui ont subi plusieurs décennies de faibles revenus et d'insuffisance des stocks, je ne pense pas que l'industrie soit actuellement en mesure d'assumer intégralement la responsabilité de services comme l'octroi des permis, la surveillance, la collecte des données, la recherche analytique, l'inspection et l'application de la loi. Ces fonctions vont nécessiter une aide de la part du ministère des Pêches et des Océans.

Finalement, je voudrais parler de la façon d'améliorer la politique canadienne des pêches, en mettant l'accent sur la pêche au saumon du Pacifique. Le plan de gestion actuel, appelé plan Mifflin, comprend le rachat de permis de pêche au saumon, la délivrance de permis visant un type d'engin particulier, qui cantonne les navires de pêche dans une zone désignée pendant quatre ans et, enfin, une disposition autorisant le cumul des permis de pêche au saumon. Autrement dit, un pêcheur peut acheter le permis d'un autre pêcheur.

Ce plan constitue un pas dans la bonne direction et une amélioration par rapport aux politiques antérieures, mais il ne règle pas le problème fondamental de la pêche au saumon du Pacifique, à savoir qu'il y a trop de navires et de capacité de pêche dans les secteurs où la pêche au saumon est autorisée.

Je vous ai cité un rapport du Fraser River Public Review Board qui insiste avant tout sur le fait que pour régler les problèmes de durabilité, il faut limiter le nombre des navires présents dans chaque secteur de pêche au saumon. Or, le plan actuel a pour effet de limiter le nombre total des navires dans l'ensemble des secteurs très vastes où la pêche est permise. Nous proposons une autre solution, qui serait sans doute plus efficace, à savoir un régime axé sur les droits pour la pêche au saumon du Pacifique. Il ne s'agit d'un contrôle de la production individuelle ni d'un système de quotas individuels transférables, qui ne conviendraient pas à la pêche au saumon du Pacifique, car il est très difficile de déterminer à l'avance les quantités que pourra prendre chaque pêcheur au cours de la saison. On fait des estimations qui sont mises à jour en permanence, mais pour qu'un système de quotas individuels transférables ou de contrôle de la production individuelle soit efface, il faut une certaine sécurité quant au droit de propriété; or, cette sécurité reste précaire si le pêcheur ne sait pas exactement quand la pêche va fermer ni combien de poissons il peut prendre.

La solution que je propose est celle des droits individuels de pêche au saumon, c'est-à-dire des droits de propriété transférables, épuisables chaque année mais renouvelables sous forme de soumission. Ces droits seraient accordés gratuitement aux pêcheurs et à l'ouverture de la pêche, qui interviendrait à des dates différentes selon le stock et le type d'engin utilisé. Le pêcheur soumissionnerait pour accéder au saumon dans un secteur désigné. Le ministère des Pêches et des Océans déterminerait à l'avance le nombre de navires autorisés à pêcher dans un secteur, mais c'est le régime de soumissions qui désignerait les pêcheurs autorisés à pêcher dans un secteur.

Il est donc possible de solutionner le problème de la durabilité tout en faisant intervenir un droit de propriété susceptible de régler certaines difficultés particulières à la pêche au saumon, dans la mesure où le droit de soumissionner serait transférable. Autrement dit, le pêcheur qui veut se retirer d'une pêche pourrait vendre son droit de soumissionner à un autre pêcheur.

Si le nombre des navires était correctement limité dans chaque secteur, les pêcheurs auraient tendance à coopérer entre eux plutôt que de se faire concurrence, comme ils le font aujourd'hui.

Cette formule a également pour avantage de permettre aux propriétaires de navires de pêcher où ils veulent en fonction de leur soumission. Dans le cadre de l'actuel plan Mifflin, les pêcheurs sont cantonnés à certains secteurs, ce qui pose un problème particulier dans le cas de la pêche au saumon, puisque l'importance des stocks varie d'une saison à l'autre. Un pêcheur se retrouve en difficulté s'il est cantonné dans un secteur où les stocks diminuent en fonction des fluctuations du cycle naturel; mais grâce au droit de soumissionner, il pourra aller pêcher ailleurs si sa soumission est acceptée.

Cette formule pourrait présenter un autre avantage pour les pêcheurs en ce sens qu'elle crée un droit de propriété susceptible d'apporter une réponse à un problème spécifique à la côte du Pacifique et que les membres du comité connaissent certainement, à savoir le conflit entre les pêcheurs commerciaux, les pêcheurs autochtones et les pêcheurs sportifs. Par l'attribution des droits de soumissionner, le gouvernement pourrait éventuellement régler ce problème en achetant les droits de soumissionner d'un groupe particulier et en les attribuant à un autre. On peut régler le problème de l'attribution par la création d'un droit de propriété.

Je voudrais parler d'une autre pêche importante qui fait les manchettes depuis plusieurs années, à savoir la pêche côtière au poisson de fond de l'Atlantique. Du fait de l'effondrement des stocks dans un certain nombre d'espèces -- et on n'a pas uniquement des stocks de morue --, on a imposé à partir de 1992 un moratoire sur la pêche au poisson de fond. En réponse à la crise évoquée par Richard Cashin dans le document que j'ai cité au début du présent exposé, le gouvernement du Canada a créé un programme d'aide d'une valeur de 1,9 milliard de dollars, appelé la stratégie du poisson de fond de l'Atlantique, LSPA, qui avait été précédé par l'octroi d'un montant de plusieurs centaines de millions de dollars. Ces fonds ont permis de verser une somme de 11 000 $ à 20 000 $ par année à certaines personnes, mais la stratégie doit se terminer au mois de mai de l'année prochaine. Elle a subi un certain changement en août 1996.

Cette stratégie du poisson de fond de l'Atlantique s'est révélée très efficace; elle a indiscutablement permis d'apporter un supplément de revenus aux pêcheurs, qui se sont dépêchés d'en profiter. Quarante mille personnes se sont inscrites au programme, qui donne donc lieu a des déboursés importants. De ce point de vue, la stratégie a remporté un succès indéniable. Cependant, elle n'avait pas pour seul objectif d'apporter un soutien du revenu aux pêcheurs nécessiteux. Elle devait également restructurer les pêches de l'Atlantique dans le but de résoudre les problèmes actuels et, éventuellement, de mettre en place une meilleure structure de pêche pour le cas où les stocks se rétabliraient.

Je tiens à préciser cependant que de ce point de vue, la stratégie a totalement échoué. Sur le montant total de 1,9 milliard de dollars du programme, 60 millions de dollars environ ont servi à racheter des permis à des propriétaires de navire. On a racheté environ 450 permis; il reste donc des milliers de navires dans l'Atlantique, dont les propriétaires et les équipages attendent de pouvoir pêcher de nouveau. Voilà le problème. Cette pêche est toujours surcapitalisée.

Alors, que faire? Je pense que pour restructurer la pêche avant le rétablissement des stocks, il faudrait attribuer des droits de propriété individuels, que j'appellerais quotas individuels transférables ou QIT, à ceux qui participent à la pêche côtière au poisson de fond de l'Atlantique. Ces droits seraient accordés gratuitement, en fonction des prises réalisées avant l'effondrement des stocks, ou éventuellement par une répartition égalitaire entre tous les pêcheurs qui ont déjà participé à cette pêche. Cette attribution serait effectuée par secteur, comme c'est le cas pour la plupart des QIT; le pêcheur qui obtiendrait un quota pour le sud de la Nouvelle-Écosse ne pourrait pas aller pêcher au nord-ouest de Terre-Neuve. Ce serait un système de QIT par secteur. Mais ces quotas seraient transférables, et le pêcheur qui voudrait aller pêcher dans un autre secteur pourrait acheter le quota d'un pêcheur de ce secteur.

Si les stocks se rétablissent, ils atteindront des niveaux d'abondance différents selon le secteur et le moment considéré. Grâce au système des QIT par secteur, les pêcheurs devraient pouvoir reprendre la pêche dans un proche avenir dans certains secteurs, alors que dans d'autres, ils ne pourront le faire qu'après une période d'attente de deux à six ans. Au fur et à mesure de la mise en place du programme, on pourrait améliorer les mesures de surveillance et de contrôle nécessaires pour assurer l'efficacité de ce système de quotas individuels transférables. On pourrait essayer différentes méthodes et techniques de surveillance et de contrôle du respect des règlements.

Tout programme de QIT mis en oeuvre dans les pêches au poisson de fond de l'Atlantique devra être doté d'une grande souplesse. Les pêches portant sur plusieurs espèces posent un certain nombre de problèmes et le programme doit être suffisamment souple pour permettre aux pêcheurs de débarquer légalement certaines quantités de poisson pour lesquelles ils n'ont pas de quotas et qu'ils pourront néanmoins se faire payer, même modestement. Voilà donc certains éléments à considérer. Si l'on crée un système de quotas individuels transférables pour les pêcheurs, on peut également envisager des coopératives de pêche dans les très petits secteurs. C'est là une autre possibilité qu'offre cette formule, dans la mesure où le programme sera suffisamment souple.

Mes propositions concernant l'amélioration de la politique canadienne des pêches comportent également des changements institutionnels. Le premier de ces changements porte sur la gestion des pêches. Je n'ai pas besoin d'insister sur cet élément. La simple création de droits de propriété en matière de pêche ne résoudra pas les problèmes de la politique canadienne des pêches. Il faut toute une gamme de changements dans différents domaines, et notamment un changement institutionnel dans la gestion des pêches. Dans les pêches canadiennes, la prise de décision est dominée par les biologistes, qui s'intéressent avant tout à l'évaluation de la ressource et des stocks, ainsi qu'à l'écologie des populations.

Pour améliorer la politique des pêches, il faut intervenir sur de nombreux fronts. Il faut comprendre les contraintes environnementales, sociales et économiques des pêcheurs. Il faut aborder le problème des pêches d'un point de vue totalement nouveau et multidisciplinaire. L'objectif fondamental est d'aboutir à une gestion opérationnelle des pêches. Nous proposons une gestion fondée sur le recours à des équipes interdisciplinaires d'experts qui décideront, selon une voie hiérarchique ascendante, de l'endroit et de la date où on pourra pêcher dans certaines conditions, en fonction de la disponibilité du poisson.

Nous proposons également de remplacer les directions générales des sciences, des opérations et des politiques au sein du ministère des Pêches et des Océans par ces équipes de gestion, auxquelles seront assignés des objectifs de gestion précis pour chaque stock de poisson à valeur commerciale. Ces équipes seront chargées de gérer les pêches à partir des opérations au jour le jour, d'entreprendre la planification stratégique à long terme et de prendre en considération les intérêts des pêcheurs, des collectivités et des autres intervenants. La recherche sur les pêches devra jouer un rôle important mais sera centrée sur la réalisation des objectifs des équipes de gestion des pêches.

La recherche à long terme doit être assurée par un organisme scientifique indépendant bénéficiant d'un financement distinct et doté d'objectifs à long terme. Trop souvent, les besoins du ministère des Pêches et des Océans en matière de recherche à long terme ont pris le pas sur les exigences opérationnelles des pêches.

Je propose également un changement institutionnel en matière d'assurance-emploi. Le poisson étant considéré comme une ressource commune, je ne pense pas qu'on puisse régler le problème des pêches au Canada sans modifier la nature de l'assurance-emploi. J'ai donné tout à l'heure des exemples de montants ou de mesures de soutien du revenu provenant de l'assurance-emploi.

À Terre-Neuve en 1990, le pêcheur autonome moyen recevait 6 900 $ de l'assurance-chômage, mais 6 412 $ de son emploi dans les pêches. L'assurance-emploi rapportait donc plus que la pêche, ce qui ne peut qu'inciter les Terre-Neuviens à continuer la pêche, même si les revenus directs qu'ils en tirent sont très modestes.

On a modifié récemment l'assurance-emploi au Canada, et en particulier en ce qui concerne les pêcheurs. Les différents changements apportés rendent la situation du pêcheur moins avantageuse qu'elle ne l'était précédemment, et le taux des prestations s'établit désormais entre 50 et 55 p. 100, selon l'intensité du recours à l'assurance-emploi. On a également modifié les conditions d'admissibilité. Celles-ci sont fondées sur les revenus dans la région, en fonction du taux de chômage. Par exemple, dans un secteur à fort taux de chômage, le pêcheur qui a gagné 2 500 $ ou plus grâce à la pêche a droit à des prestations d'assurance-emploi. À mesure que le taux de chômage diminue dans la région, il faut un niveau de revenu plus élevé pour en obtenir.

Malgré les améliorations apportées à l'assurance-emploi, celle-ci reste un revenu important pour les pêcheurs, et conserve le caractère de soutien permanent du revenu.

Que proposons-nous à cet égard? Nous proposons l'élimination du régime d'assurance-emploi des pêcheurs, qui existe sous une forme ou une autre depuis 1956. Notre but est non pas de provoquer une crise ou de créer des difficultés aux familles à faible revenu, mais au contraire de dissocier le soutien du revenu dans le secteur des pêches du soutien du revenu destiné aux familles nécessiteuses. Les deux doivent être séparés. C'est ce que nous préconisons.

Une fois l'assurance-emploi des pêcheurs éliminée, l'argent ainsi économisé par le gouvernement pourrait être consacré aux provinces défavorisées comme Terre-Neuve grâce à la formule du financement globale. De cette façon, la province recevrait autant d'argent après l'élimination de l'assurance-emploi. Elle pourrait constituer un régime supplémentaire de soutien du revenu pour les personnes qui en ont besoin, qui sera fondé sur les revenus et les besoins des personnes concernées.

Nous proposons également une réforme du régime général de l'assurance-emploi. L'assurance-emploi des pêcheurs est destinée aux pêcheurs autonomes. Très souvent, les travailleurs des usines de transformation et les salariés du secteur des pêches sont assujettis à l'assurance-emploi ordinaire. Il n'y a pas lieu de modifier leur statut. En revanche, au lieu de pénaliser les employés qui ont souvent recours à l'assurance-emploi, comme on le fait dans le système actuel, nous proposons de pénaliser les employeurs qui licencient régulièrement un trop grand nombre de travailleurs. Autrement dit, les taux de cotisation des employeurs augmenteraient en proportion du nombre des licenciements. On inciterait ainsi les employeurs à garder les employeurs au lieu d'essayer de se servir du système au profit de certaines personnes. Cette formule pourrait déboucher sur des gains de productivité dans l'industrie de la transformation.

La prise de décision de gestion. Nous en avons parlé brièvement dans le contexte des pratiques et stratégies actuelles du ministère des Pêches et des Océans. À l'heure actuelle, la prise de décision est fondée en bonne partie sur des principes normalisés relatifs au rendement viable et à la mortalité des poissons. Il s'agit là de repères biologiques normalisés qu'on a souvent confondus avec des objectifs de gestion. Au ministère des Pêches et des Océans, on a plutôt mis l'accent sur les tactiques et les méthodes que sur les stratégies et les plans. Un changement fondamental est nécessaire. Les aspects socio-économiques, dont l'importance pour les pêcheries canadiennes est reconnue depuis longtemps, ont généralement été laissés aux décideurs politiques au lieu d'être intégrés de façon explicite aux pratiques de gestion de la prise de décision. Jusqu'à maintenant, aucun cadre décisionnel intégré n'englobe l'examen et l'analyse des aspects socio-économiques et opérationnels aussi bien que biologiques.

Nous proposons une nouvelle approche. Il s'agirait de combiner la science des pêcheries et la science de la gestion en une science de la gestion des pêcheries, qui consisterait à appliquer la méthode scientifique pour élaborer et évaluer des solutions de rechange stratégiques en fonction d'objectifs englobant les facteurs biologiques, économiques, sociaux, opérationnels et autres pertinents à la prise de décision. La science de la gestion des pêcheries serait caractérisée notamment par des objectifs bien définis et mesurables, des indicateurs de rendement et une structure décisionnelle. Une telle structure ferait notamment appel aux équipes de gestion des pêcheries.

Le cadre décisionnel serait fondé sur la science de la gestion et de l'adaptation des opérations. La gestion par objectifs jouerait un rôle considérable. Il faudrait tout d'abord déterminer des objectifs et des points de repère précis. En deuxième lieu, il faudrait favoriser le travail d'équipe et la participation de tous les membres de l'équipe à la prise de décision. En troisième lieu, la rétroaction et l'évaluation du rendement et de la réalisation des objectifs seraient des aspects critiques du nouveau cadre décisionnel. C'est justement de cela qu'on parle dans le monde des affaires lorsqu'il est question de gestion de la qualité totale ou de gestion adaptative. Voilà la démarche générale qu'il faut adopter pour régler les problèmes des pêcheries du Canada et prendre les décisions qui s'imposent.

Pour terminer, j'aimerais parler de la gestion des stocks chevauchants. Les problèmes qu'ils posent ne sont pas faciles à résoudre et c'est d'ailleurs le cas de bon nombre des problèmes qui caractérisent les pêcheries au Canada. Ce qui est évident toutefois, c'est que le résultat qui débouche sur la coopération, à savoir que des étrangers ou des Américains pêcheraient du poisson canadien, pourrait être à l'avantage de tous. Ce qui importe encore davantage c'est que, en l'absence de toute coopération, il n'y aura que des perdants, et les pertes du Canada seront très considérables. Nous devons donc établir des mécanismes qui favorisent la coopération au sujet des stocks chevauchants.

Comment y arriver? On pourrait entre autres établir des paiements incitatifs ou dissuasifs. Dans ce dernier cas, il s'agirait de pénalités en cas de non-coopération. On peut donc établir des versements incitatifs, susceptibles de favoriser la coopération. Le Canada, tout comme d'autres pays, peut contribuer à établir ce genre de mécanismes. Il revient peut-être au Canada de le faire, puisque le poisson dont nous parlons est essentiellement du poisson canadien.

Comment procéder? Par le passé, le Canada a mis au point diverses modalités dissuasives visant les pêcheries du saumon du Pacifique. On a, entre autres, imposé des droits aux navires américains qui traversaient les eaux canadiennes, accru l'intensité de la pêche au saumon de la part du Canada, et songé à pénaliser certains États américains pour favoriser une forme quelconque de coopération. Malheureusement, dans le cas des pêcheries de saumon du Pacifique, peu de mesures incitatives ou dissuasives peuvent faire en sorte que l'État de l'Alaska se montre coopératif. Voilà l'essentiel du problème auquel le Canada fait face.

Pour ce qui est des stocks chevauchants, nous savons tous quels ont été les problèmes dans le cas du nez et de la queue des Grands Bancs et de l'arrestation du chalutier espagnol Estai en mars 1995. Le Canada et l'Union européenne ont fini par en arriver à une entente. Pour cela, le Canada a dû renoncer à du poisson. Voilà en quelque sorte le prix incitatif que le Canada a dû payer. Le Canada a accepté de réduire la récolte de turbots de 60 p. 100 à 15 p. 100 du total des prises admissibles, alors que dans le cas de l'UE, les prises sont passées de 13 p. 100 à 55 p. 100. En contrepartie du fait que le Canada renonce à des prises, l'UE collaborera à la mise en oeuvre avec le Canada d'un programme de contrôle par satellite des navires, d'observateurs à bord de navires et de vérifications à quai. Nous serons donc en mesure tout au moins de chiffrer les prises, ce qui n'a pas été nécessairement le cas par le passé, me semble-t-il. Voilà un résultat constructif, même si le Canada a dû en payer le prix.

Enfin, il y a la question de la Conférence des Nations Unies sur les stocks transfrontaliers et les poissons grands migrateurs. Elle offre la possibilité de résoudre certains des conflits auxquels le Canada fait face. Aux termes de l'accord, des organisations régionales auront le pouvoir d'imposer la réglementation relative aux pêches en haute mer. Le Canada a été l'un des membres fondateurs de l'Organisation des pêches de l'Atlantique nord-ouest, dont font partie les États-Unis, le Canada et certains autres pays. Par le passé, l'OPANO n'a pas réglé avec toute l'efficacité souhaitée les problèmes relatifs à la surpêche et à l'exploitation du plateau continental du Canada.

Grâce à cette conférence des Nations Unies, il est possible que l'OPANO devienne efficace, et ce à l'avantage de tous ses membres, y compris le Canada. Mais l'organisation ne sera efficace que dans la mesure où toute amélioration dans la gestion ne sera pas annulée par l'arrivée de nouveaux intervenants, de nouveaux pays qui viendraient récolter en eaux canadiennes et en haute mer sur le plateau continental canadien les avantages des accords conclus entre le Canada et d'autres pays. On doit donc prévoir un mécanisme d'exclusion de l'OPANO. Bien que rien ne soit prévu à cet effet dans le cadre de la conférence de l'ONU sur les stocks transfrontaliers, on pourrait limiter la participation à l'OPANO en imposant le paiement d'une cotisation à tout nouveau membre. Autrement dit, on ne laisserait un pays faire partie de l'Organisation que dans la mesure où il aurait acheté le droit de participation d'un membre. Ainsi, à l'arrivée de chaque nouveau membre correspondrait le départ d'un autre membre. C'est la notion des droits de propriété appliquée à l'organisation régionale des pêcheries qu'est l'OPANO.

Pour régler les problèmes relatifs aux stocks chevauchants, nous devons également appliquer la notion de droits de propriété non seulement à l'égard des pays, comme le Canada ou les autres membres, mais également à l'égard des pêcheurs individuels, sinon nous aurons les mêmes problèmes que ceux qui existent dans nos pêcheries intérieures, à savoir la surcapitalisation et la main-d'oeuvre excédentaire. Des quotas individuels transférables doivent s'appliquer aux pêcheries hauturières du plateau continental canadien. De tels quotas seraient administrés et contrôlés par l'OPANO ou une autre organisation régionale.

L'attribution des quotas se ferait en deux étapes: tout d'abord aux pays membres puis à chaque navire. Les quotas seraient transférables entre navires et entre pays. Le Canada serait en mesure de bénéficier de transferts de cette nature.

On pourrait tenter d'appliquer ce genre de démarches fondées sur les droits de propriété visant à favoriser la coopération avec les pêcheurs étrangers à des stocks chevauchants comme les stocks de saumon de la côte ouest. Par exemple, on pourrait attribuer des droits de soumissionner ou des droits individuels de pêche au saumon pour les eaux canadiennes aussi bien que pour les eaux américaines. Ainsi, les Canadiens pourraient participer à toutes les campagnes américaines, y compris la campagne de l'Alaska et bien entendu, les Américains pourraient en faire autant en eaux canadiennes. Les pêcheurs détermineraient eux-mêmes le contenu de leurs soumissions, le type de prise et l'endroit. Les attributions seraient fondées sur le pays ou l'État en fonction de la zone de frai. Voilà une autre façon possible de solutionner le problème des pêcheries chevauchantes.

J'ai maintenant terminé mon exposé. J'aimerais remercier le comité de sa patience et je serai heureux de répondre aux questions.

Le président: Vous avez signalé dans votre exposé que les QIT représentent environ le tiers de la valeur du total des prises canadiennes. Nous avons tenté, mais en vain, d'obtenir ce genre de chiffres du MPO. S'agit-il d'un chiffre estimatif?

M. Grafton: La difficulté a trait notamment à l'effondrement des stocks de poisson de fond de l'Atlantique. En effet, des allocations d'entreprise s'appliquent au secteur extracôtier et cela a une incidence considérable sur les prises totales et l'emploi également. Donc, à cause de l'effondrement des stocks, il était difficile d'aboutir à un chiffre. Celui que j'ai cité provient d'une source de 1996.

Le président: C'est donc un chiffre assez récent.

M. Grafton: Je pense aussi qu'il y a des fluctuations.

Le président: Mais cela nous donne une idée générale.

M. Grafton: Oui, et c'est une quantité qui augmente.

Le sénateur Landry: La rationalisation: il faut rationaliser les installations.

M. Grafton: Oui, je me suis surtout concentré sur la pêche elle-même. Mais il faut aussi rationaliser le secteur de la transformation, particulièrement dans le Canada atlantique.

Le sénateur Landry: Vous avez parlé de l'écrémage dans votre exposé; il joue d'ailleurs un rôle assez important sur la côte atlantique, et particulièrement dans le nord du Nouveau-Brunswick. Les pêcheurs propriétaires d'une usine et d'un permis sont ceux qui procèdent à ce tri sélectif. Il ne serait d'ailleurs pas difficile de savoir qui c'est, lorsque l'on sait que telle usine achète à 50 ou 60 p. 100 plus cher que les autres. On sait aussi que les Japonais mangent pour ainsi dire plus avec leurs yeux qu'avec leur bouche. Si le crabe est parfait, sans mousse par exemple, on va pouvoir le vendre plus cher. Ce ne sont pas forcément les propriétaires d'usine qui ont fait le pire de l'écrémage. S'il y a de la mousse, si une pince manque, s'il y a une marque noire, c'est rejeté à la mer. Il y a donc des tensions entre ceux qui pratiquent ce tri sélectif et les autres.

M. Grafton: Oui, l'écrémage pose des problèmes, comme vous l'avez fait remarquer à propos de la pêche au crabe, où cela se fait plus sentir que dans d'autres types de pêche car beaucoup de crabes continuent à vivre après avoir été rejetés à la mer. Pour la morue c'est différent, une fois qu'elle a été prise dans le chalut elle est morte, du point de vue de l'exploitation durable...

Le sénateur Landry: Vous avez également parlé des inspections à quai. Est-ce que ça permet de répondre au problème?

M. Grafton: Pas pour le tri sélectif, non. La surveillance à quai permet simplement de veiller à ce que les quotas soient respectés. Vous débarquez votre quota, c'est enregistré, et quelqu'un qui n'aurait pas de quota serait tout de suite repéré. Mais la surveillance à quai ne règle pas la question de l'écrémage, puisque celui-ci a lieu en mer.

Le sénateur Landry: Vous avez aussi parlé du homard. L'évent d'échappement est quelque chose de précieux, même si les petits homards restent pris. Beaucoup de pêcheurs me disent que souvent ces petits homards restent pris, une, deux ou trois heures, qu'on les rejette une fois que la pêche est finie, qu'ils sont à moitié morts, et qu'alors ce sont les morues qui vont les manger. Il se pourrait donc qu'un bon système d'échappement permette de sauver ces petits homards.

Il y a aussi la question de la taille de l'anneau, qui est normalement de cinq pouces et demi. Certains pêcheurs, et il n'y a rien sur le plan réglementaire qui s'y oppose, ont un anneau de sept pouces, et parfois même onze. Le résultat, et particulièrement dans le détroit de Northumberland où l'eau est chaude et où de ce fait la reproduction est particulièrement intense, les pêcheurs attrapent toutes les grosses femelles homard, ce qui en quelque sorte détruit le processus de reproduction. Nous avons essayé d'avoir un règlement à cet effet, mais cela n'a pas donné de résultat.

M. Grafton: C'est là que la façon et le moment où le poisson ou le crustacé est pris jouent un rôle important. Au Canada, et même ailleurs, on a trop accordé d'importance à la seule question de la quantité, c'est-à-dire du poids total de votre pêche, alors qu'il y a aussi d'autres éléments comme le moment de la pêche qui sont très importants.

Le sénateur Landry: Ce qui se passe pour beaucoup d'usines, c'est qu'elles emballent leur propre pêche. La pêche se fait en six à huit semaines maximum, et l'équipage, après la campagne, ne s'intéresse plus à ce qui se passe dans le secteur de la pêche. Voilà donc des équipages qui ne font enregistrer que huit semaines de travail. Mais les «vraies» usines à poisson continuent à transformer du poisson qui est pêché ailleurs, sur d'autres sites de pêche. En ce moment, nous avons du crabe qui vient du Rhode Island. Ils ne s'y intéressaient pas, toutefois, parce que ce n'est pas suffisamment lucratif.

Le sénateur Petten: La surveillance est en général confiée au secteur privé, et c'est lui qui finance l'opération. Comme pourrait le dire un de mes amis, c'est un petit peu comme si on demandait au lapin de surveiller les salades.

M. Grafton: Tout dépend de la pêche considérée. Pour la pêche au flétan de la Colombie-Britannique, c'est effectivement le secteur privé qui finance cette opération, mais elle est confiée à un organisme indépendant à contrat. Dans le cas de la pêche au flétan de Colombie-Britannique, chaque poisson débarqué est marqué. Cela ne se faisait jamais ainsi avant l'adoption du système des QIT. Je pense donc que cette surveillance est aujourd'hui bien meilleure que par le passé, depuis l'adoption du système des QIT.

Cela ne veut pas dire que ce sera aussi satisfaisant quel que soit le type de pêche considéré. Il y a eu des problèmes, et notamment dans le Canada atlantique, dans certains secteurs de pêche auxquels je peux penser, où l'on a eu des difficultés du côté de la surveillance et du respect du règlement. Tout cela c'est un petit peu une question de droit de propriété. D'une certaine manière, vous voulez que ce droit de propriété soit assorti d'un certain sentiment de sécurité. Et ensuite il faut évidemment une période d'ajustement; une période d'adaptation pour les pêcheurs, qui doivent apprendre à gérer le système. Avec le temps, à mon avis, vous verrez des améliorations. Vous pouvez évidemment souhaiter que ce soit les pêcheurs eux-mêmes, à condition que la pêche soit véritablement rentable, qui financent ce système. Alors vous pouvez très bien avoir une entité indépendante, une compagnie ou autre, qui fasse ce travail.

Le sénateur Marchand: Je remarque, monsieur Grafton, que vous avez obtenu votre Ph.D. à l'Université de la Colombie-Britannique. Je suis de Kamloops, je connais la rivière Adams, c'est là que nous élevons tout le poisson qui est ensuite pris par les pêcheurs professionnels. Mais en amont, plus haut, nous n'en profiterons pas beaucoup. C'est surtout une région d'élevage, mais il y a aussi beaucoup de poissons qui viennent frayer par chez nous. J'ai déjà entendu parler, d'une autre manière, des quotas individuels, à propos de la gestion des pêches. Il ne s'agissait pas à proprement parler de quota individuel, parce que nous avons beaucoup trop de problèmes pour cela.

Quelle est la part du saumon d'élevage par rapport au saumon sauvage, dans ce qui se retrouve ensuite sur le marché canadien?

M. Grafton: Je ne peux pas vous donner les chiffres. Excusez-moi. Je ne les connais pas. L'élevage de poisson, ou la pisciculture ou «mariculture», se sont développés au Canada, cela ne fait aucun doute. Mais les grands producteurs sont encore le Chili et la Norvège.

Le sénateur Marchand: Est-ce que cela offre des possibilités d'avenir, à votre avis?

M. Grafton: Il y a là tout un potentiel. C'est un secteur qui a connu une période d'ajustement à la fin des années 80. Beaucoup de gens qui avaient investi dans ce secteur ont fait faillite et ont perdu de l'argent. Il y a des problèmes de qualité de l'eau qui se posent, et pour le saumon d'élevage de l'Atlantique, des questions d'échappement et de mélange des populations de saumon, ce qui peut être un problème. Mais sur le plan des statistiques, et pour la pêche commerciale, si l'on s'en tient au nombre de saumons qui viennent frayer, c'est bien ce secteur qui est le premier fournisseur de saumon, mais je ne peux pas vous donner de pourcentage.

Le sénateur Marchand: Je me posais la question, car de toute évidence, cela a des conséquences pour l'ensemble du secteur des pêches, et de ce que vous voulez en faire.

M. Grafton: Ça a certainement des conséquences sur le plan des prix.

Le sénateur Marchand: Je vous ai écouté avec attention lorsque vous avez parlé des QIT et des QI, et de la façon dont le poisson devait être géré. Moi qui suis de Colombie-Britannique, voilà des années que j'entends les gens se plaindre que les pêches de Colombie-Britannique sont gérées d'Ottawa, qui se trouve à 3 000 milles de chez nous. Avez-vous quelque chose à ajouter à cela?

À mes moments de colère, et peut-être parce que je n'ai pas réfléchi jusqu'au bout au problème, j'ai des réactions d'habitant de Colombie-Britannique, et j'ai parfois le sentiment que nos pêches devraient être gérées localement plutôt qu'à Ottawa qui se trouve à 3 000 milles. Qu'est-ce que vous en pensez? Est-ce que la responsabilité des pêches devrait être transférée?

M. Grafton: Bien entendu, les océans et les ressources halieutiques sont gérés par le gouvernement fédéral. C'est prévu dans la Constitution. Il est vrai qu'Ottawa est très loin de la Colombie-Britannique. Je vous signale que les fonctionnaires du ministère des Pêches et des Océans à Vancouver et ailleurs dans la province sont originaires de la Colombie-Britannique et des autres régions du Canada, et ils prennent des décisions pour le compte de la Colombie-Britannique et de l'ensemble du pays. Ces décisions quotidiennes sont prises par des gens de la Colombie-Britannique, et non pas par les gens d'Ottawa. Par exemple, les pêcheries de flétan et morue charbonnière en Colombie-Britannique sont gérées par Bruce Terse, et ce depuis un certain temps. Il fait un excellent travail. Il vit et travaille en Colombie-Britannique. Je ne pense pas que ce soit nécessairement un handicap dans la gestion de nos pêches; je pense que tous les paliers de gouvernement font preuve de bonne volonté et essaient de faire de leur mieux pour les pêches.

Cependant, il pourrait y avoir effectivement des erreurs par commission, ou peut-être par omission, en ce qui concerne la politique des pêches. Mais cela ne résulte pas d'un manque de bonne volonté. Pourrait-on améliorer la prise de décision en transférant les responsabilités à Victoria? Je n'en sais rien. Tout dépend du personnel et de la façon de procéder.

Le sénateur Marchand: Vous n'avez pas analysé la situation ou vous ne voulez pas vous engager dans le débat politique parce qu'il est assez chaud et lourd ces derniers temps.

M. Grafton: Je ne partage pas l'opinion selon laquelle les pêches sont gérées à partir d'Ottawa sans égard aux intérêts de la Colombie-Britannique. Je ne pense pas du tout que tel soit le cas.

Le sénateur Marchand: Je vous le concède. Quant à l'efficacité globale de la gestion des pêches à long terme, ne pensez-vous pas qu'il soit avantageux qu'Ottawa en confie la responsabilité à la Colombie-Britannique?

M. Grafton: Je n'y vois pas grand avantage. Ce qui est important, et cela se passe actuellement, c'est de décentraliser autant que possible les responsabilités en matière de personnel et de gestion d'Ottawa vers les différentes régions. Je pense qu'il s'agit là d'une mesure très positive que j'appuie et qui améliore effectivement les pêches.

Le sénateur Marchand: Il s'agit de décentraliser au maximum.

M. Grafton: En ce qui concerne la gestion des pêches, je dirais oui. De toute évidence, nous avons besoin d'une politique globale en matière des pêches, et cette politique peut être élaborée à Ottawa; quant à la gestion opérationnelle proprement dite, elle doit se faire, et elle se fait déjà dans une grande mesure, dans les régions.

Le sénateur Marchand: Je ne pense pas que nous ayons fait pire que les provinces au cours des 30 dernières années en ce qui concerne la gestion de nos poissons sur les deux côtes. La situation sur la côte ouest n'est pas aussi mauvaise que dans l'Atlantique, en ce qui concerne la morue. Mais nous avons eu des difficultés un peu partout dans le cas du saumon rouge. Il est intéressant que vous estimiez que cela ne serait pas utile.

M. Grafton: Auparavant, cela aurait pu être utile d'une façon. Étant donné que les provinces, surtout celles de l'Atlantique, n'ont pas les ressources du gouvernement fédéral, le secteur des pêches aurait eu moins d'appui au cours des dernières années. Par conséquent, si la gestion des pêches avait incombé aux provinces, elles n'auraient pas pu accorder le même appui aux pêcheries. Cela est un peu moins vrai dans le cas de la Colombie-Britannique. Dans ce sens, la mesure aurait peut-être été bénéfique, mais évidemment, l'appui a été accordé pour diverses raisons.

Le sénateur Marchand: Surtout pour gérer la ressource au mieux possible. Bien entendu, si l'on dévaste la ressource, on supprime le revenu de bien des gens. En fait, c'est en ces termes que se pose le problème. Il faut s'occuper des pêches et nous ne l'avons pas fait. D'une manière générale, les gouvernements successifs n'ont pas fait un très bon travail, qu'ils soient conservateurs ou libéraux. Nous n'avons pas fait un bon travail.

Veuillez me rafraîchir la mémoire en ce qui concerne les QIT ou QI qui sont utilisés de par le monde, et ce faisant, pourriez-vous parler de la santé des ressources halieutiques dans les pays qui utilisent les QIT... la rentabilité des pêcheries, les opérations et ainsi de suite.

M. Grafton: La gestion fondée sur les droits est pratiquée dans un certain nombre de pays. L'Islande, par exemple, la Nouvelle-Zélande, l'Australie et même les États-Unis l'ont fait dans trois ou quatre pêcheries. L'efficacité de ce système dépend de la pêcherie et du pays. Dans l'ensemble, je dirais que les résultats sont positifs. Autrement dit, s'il fallait comparer la situation actuelle à celle qui a précédé la mise en oeuvre de la gestion fondée sur les droits, l'on constaterait une amélioration dans ces pêcheries. L'amélioration se manifeste sous diverses formes. Elle peut se traduire par la valeur du poisson débarqué. Les QIT ne modifient pas le débarquement total. Ils peuvent sans doute changer la valeur des débarquements.

Dans la pêche au flétan en Colombie-Britannique, il a été prouvé qu'en raison du fait que la saison a été prolongée de six jours et portée à plus de 180 jours, les pêcheurs pouvaient débarquer le poisson où ils voulaient, le débarquer frais et le vendre frais. Ils ont obtenu des prix beaucoup plus élevés. L'augmentation des prix a atteint probablement 55 p. 100, ce qui représente un avantage considérable.

Le fait de prolonger la période de pêche comporte des avantages au chapitre de la sécurité en mer. Ce sont là des avantages intangibles.

À terme, les pêcheurs bénéficient aussi de la rationalisation des pêches. Les QIT ou la gestion fondée sur les droits n'entraînent pas des ajustements instantanés. L'adaptation peut durer plusieurs années. On a aussi prouvé que le recours à un matériel plus efficace sur certaines espèces que sur d'autres permettrait également aux pêcheurs d'obtenir des prix plus élevés.

Les preuves divergent, mais dans l'ensemble, j'estime qu'il y a eu une amélioration dans la plupart des pêcheries dont la gestion était fondée sur les droits.

Le sénateur Marchand: Y a-t-il un rapport entre la gestion fondée sur les droits dans le secteur des pêches et la gestion de l'offre dans le secteur agricole, par exemple chez les aviculteurs? L'on a accordé des quotas à ces derniers et les Canadiens ont dû payer des prix beaucoup plus élevés que si nous avions permis l'importation de volaille des États-Unis. Dans une certaine mesure, ce n'est pas grave. Tout pays indépendant devrait être en mesure de se nourrir jusqu'à un certain point. En tant que consommateurs nous avons payé des prix élevés, mais nous avions aussi la qualité. Nous avions des aliments de bonne qualité. Ces quotas ont été attribués gratuitement à des particuliers et ils les ont vendus à des prix très élevés dans bien des cas. Certains particuliers ont gagné énormément d'argent en vendant un quota qu'ils ont obtenu gratuitement.

Pourriez-vous nous dire s'il y a un rapport entre les deux?

M. Grafton: Il y a un rapport dans ce sens que l'on alloue gratuitement un droit à la propriété privée d'une façon ou d'une autre. Il y a des différences importantes.

En ce qui concerne le secteur des pêches, il n'y a pas de gestion de l'offre. La quantité de poisson qui est pêchée et vendue dépend pour ainsi dire de la providence. Elle n'est pas déterminée par les organismes de réglementation ici à Ottawa ou ailleurs. Il y a là une grande différence.

L'autre différence tient au fait que l'on peut améliorer la qualité du poisson, et si les consommateurs paient davantage pour un poisson de bonne qualité, c'est très bien, car ils ne perdent pas au change. Dans ce sens, l'on n'attribue aux pêcheurs aucun pouvoir de commercialisation. J'ai pris bonne note de votre observation concernant l'attribution gratuite d'un droit à la propriété qui est très précieux, tout simplement parce que vous avez pêché par le passé. Cela comporte des avantages très substantiels, des gains en capital, pour les pêcheurs qui vendent leurs permis en même temps que leurs quotas. Ils peuvent gagner 250 000 $ ou 500 000 $ tout simplement parce qu'ils ont pêché au cours des années 1980. Je ne vois aucun inconvénient à ce que les gens gagnent de l'argent en pêchant; c'est une bonne chose. Je veux que les gens gagnent de l'argent en pêchant, mais je suis d'accord avec vous.

Le sénateur Marchand: Ce que je constate, c'est le fait d'obtenir quelque chose gratuitement et de le revendre au prix fort, en plus du fait que l'on n'est pas propriétaire de cette ressource. Cette ressource appartient à tous les Canadiens.

M. Grafton: Je suis tout à fait d'accord avec vous. En fait, j'ai rédigé plusieurs articles à ce sujet, car je pense que c'est important. J'ai proposé de plusieurs manières ce que l'on pourrait appeler capture de loyer; en effet, le loyer n'est pas celui que l'on paie pour une maison, c'est plutôt celui qui découle du fait qu'il y a une quantité limitée de poisson. C'est un loyer fondé sur la rareté du produit. Ils sont payés par les pêcheurs qui détiennent ces droits de propriété sans avoir pris de mesures particulières à cet effet. Étant donné que l'État est propriétaire de ce poisson pour le compte du peuple canadien, je pense que nous devrions en tirer un bénéfice. J'ai proposé à maintes reprises que l'on impose ce loyer à diverses pêcheries.

Maintenant, comment mettre en oeuvre cette mesure? L'on pourrait vendre aux enchères les droits de pêche, mais je ne pense pas que cela soit particulièrement faisable du point de vue politique. Les ventes aux enchères posent des problèmes particuliers. J'ai donc proposé que l'on crée un droit de propriété individuel, un QIT; simultanément, il faut mettre en oeuvre un système permettant de recueillir une partie des bénéfices des pêcheurs. Cela correspondrait à une redevance ad valorem sur la valeur du poisson débarqué et sur la valeur du quota même. On n'essaie pas de recueillir le loyer intégral. Il faut que cela profite également aux pêcheurs. On recueille une partie des bénéfices. Il y a quelques années, j'ai proposé 50 p. 100. Une redevance de 50 p. 100 pour le peuple du Canada est parfaitement raisonnable, et il faut l'imposer. Je suis d'accord avec vous.

Dans le cas des pêches du Pacifique, nous pourrions ainsi recueillir plusieurs millions de dollars par an pour tous les Canadiens. Je pense que l'industrie devrait payer cette redevance. Par conséquent, je suis tout à fait d'accord avec vous.

Le président: Je voudrais profiter de cette occasion pour présenter des visiteurs spéciaux que nous avons ce matin, un groupe du forum des jeunes Canadiens. Je crois qu'ils viennent tous de Terre-Neuve. Merci beaucoup d'être venus. Nous vous souhaitons la bienvenue et vous savons gré de votre intérêt.

Professeur Grafton, pourriez-vous vérifier pour nous... peut-être pas aujourd'hui... Dans votre discussion avec le sénateur Marchand, vous avez parlé des compétences fédérales et du manque de bonne volonté. Vous avez affirmé qu'il n'y a jamais eu de mauvaise volonté où que ce soit sur la côte ouest en ce qui concerne les quotas et ainsi de suite. Vous pourriez vérifier, et j'avalerai mes paroles si je me trompe, mais je crois qu'il y a eu récemment un procès où le juge a effectivement utilisé les mots «mauvaise volonté». Veuillez le vérifier. Le tribunal a estimé que le MPO a fait preuve de mauvaise volonté. Je ne pointe pas du doigt le gouvernement; c'est la faute aux hauts fonctionnaires du ministère.

Le sénateur Doody: Professeur Grafton, dans votre exposé, vous avez recommandé un système fondé sur le droit individuel de pêche au saumon, et je pense que je comprends la difficulté de transférer ce droit sur une ressource épuisable mais renouvelable, et ainsi de suite. Je voudrais que vous nous apportiez des éclaircissements sur l'idée de soumissions de la part des détenteurs de permis qui utilisent leur droit de pêche au lieu de l'argent. Comment cela fonctionne-t-il?

M. Grafton: J'avais envisagé que, si le ministère des Pêches et des Océans avait des places disponibles pour la pêche au saumon, ce qui est prévu dans les procédures de gestion aujourd'hui, il accorderait des autorisations à 20 navires. Il l'annoncerait par divers moyens de communication. Tout le monde accéderait à cette information. Les pêcheurs seraient en mesure de faire soumissionner par téléphone, par exemple, d'utiliser le courrier électronique, ou tout autre moyen. Le pêcheur pourrait téléphoner à un certain numéro, donner le numéro d'immatriculation de son navire de pêche commerciale, ou un autre numéro, afin d'accéder au système. Il pourrait ensuite indiquer, d'une manière ou d'une autre, qu'il aimerait participer à l'offre, donner son numéro et présenter sa soumission. Il pourrait offrir un montant X.

Le sénateur Doody: Que signifie X? Moi aussi, je peux soumissionner X.

M. Grafton: Il incomberait au pêcheur d'en déterminer le montant. L'on accorderait à chaque pêcheur de saumon du Pacifique quelques milliers de droits individuels de pêche au saumon. Ensuite, il prendrait ces unités enregistrées de soumission au ministère des Pêches et des Océans. Ils savent combien ils ont. Ils pourraient dire: «Je veux vraiment participer à cette ouverture et je vais donc offrir la moitié de mes unités de soumission pour cette ouverture pour m'assurer que je peux participer».

Le sénateur Doody: Ces unités de soumission représentent-elles des tonnes de prise?

M. Grafton: Non, ce sont des crédits. Aucun quota de poisson n'y est rattaché. Il s'agit simplement d'un droit de soumission, et si l'ouverture est limitée à 20 places alors que vous êtes parmi les 20 meilleurs offrants, vous participez. Si vous ne faites pas partie des 20 premiers, vous gardez vos droits de soumission, mais vous ne participez pas à l'ouverture relative au saumon. Votre soumission était insuffisante. C'est ainsi que le système fonctionnerait.

Le sénateur Doody: Avez-vous compris?

Le président: Je crois.

Le sénateur Doody: Ces droits ont-ils une valeur?

M. Grafton: Oui, une valeur financière.

Le sénateur Doody: Quel serait l'inconvénient de soumissionner tous vos droits si cela ne vous coûte rien?

M. Grafton: Vous pourriez vouloir participer à plusieurs ouvertures. Si vous soumissionnez tous vos droits pour une ouverture, il ne vous en reste plus et vous ne pouvez participer à aucune autre ouverture. Il faudrait donc décider du montant que vous voulez dépenser et choisir les ouvertures auxquelles vous voulez participer.

Le sénateur Doody: Ce système est-il utilisé quelque part en ce moment?

M. Grafton: Non.

Le sénateur Doody: S'agit-il d'un grand concept impérial?

M. Grafton: C'est une idée dont on peut débattre. Évidemment, avant de l'appliquer, il faudrait que les gestionnaires des pêches y réfléchissent de façon exhaustive et très attentivement. Je suis un universitaire d'Ottawa. Voilà l'idée. C'est ainsi que nous l'envisageons. Les détails de son fonctionnement seraient extrêmement importants.

Le sénateur Doody: Pensez-vous que ce système soit applicable dans une autre pêcherie, à part celle du saumon?

M. Grafton: On pourrait l'utiliser dans d'autres pêcheries. Il convient particulièrement aux pêcheries visant des stocks de remonte.

Le sénateur Doody: Pas au poisson de fond, par exemple.

M. Grafton: Non, parce que ce genre de problème ne concerne pas les poissons de fond.

Le sénateur Doody: Pourvu que je ne sois pas obligé d'expliquer le fonctionnement du système aux gens de ma collectivité, à Terre-Neuve.

M. Grafton: Je ne proposerais pas du tout ces droits de soumission dans le cas des poissons de fond. Je proposerais plutôt les quotas individuels transférables.

Le sénateur Doody: Au lieu des quotas communautaires.

M. Grafton: Les quotas individuels transférables ont été critiqués par certains, peut-être pour de bonnes raisons. Toutefois, les QIT n'excluent pas les droits communautaires. Ils vous assurent un certain pourcentage, un pourcentage peut-être réduit du total des prises admissibles dans une région donnée. On peut toujours se regrouper. Si la région est assez petite, les pêcheurs peuvent se regrouper et gérer, contrôler et réglementer la pêcherie de façon coopérative. Dans le cas des QIT, il est certain que ni la collectivité, ni quelqu'un d'autre ne peut modifier les règlements pour vous enlever ce droit. Ce droit vous appartient. Vous pouvez le vendre, le louer ou en faire tout ce que vous voulez; il est à vous.

La communauté qui veut établir des procédures de gestion pourrait certainement le faire, mais cela ne pourrait pas vous enlever ce droit. C'est important. J'estime qu'en créant ce droit, vous pourriez encourager davantage les pêcheurs à s'associer et à collaborer. Cela n'enlève rien à l'idée des droits communautaires.

Le sénateur Doody: Ou les quotas d'entreprise?

M. Grafton: Je serais plutôt pour les quotas individuels transférables. Il y a plusieurs raisons à cela. Il existe diverses formes de gestion dans la région de l'Atlantique. Il pourrait être utile de les abandonner en faveur d'un système de quotas individuels transférables.

Le sénateur Doody: Quand on parle de la pêche dans ma région, il s'agit non seulement d'une industrie, mais d'une situation sociale. Lorsqu'on modifie les quotas et le reste, il faut bien veiller à ne pas changer des localités entières. Il y a des centaines de petites localités qui dépendent de la pêche ou qui en dépendaient lorsque nous en avions une. Cela a donc d'autres répercussions. Il est relativement simple de gérer le stock de saumon ou de flétan sur lequel ces systèmes peuvent être concentrés.

M. Grafton: Je suis d'accord. Il ne fait aucun doute que les quotas individuels transférables modifieraient la structure de la pêche au poisson de fond de l'Atlantique. J'y ai bien réfléchi. Je me suis demandé quelle était la situation actuelle de la pêche? Elle est désastreuse pour ce qui est des stocks et de la surcapitalisation. Les revenus ne sont pas élevés. La situation est mauvaise à bien des égards. Je me suis demandé ce qu'il était possible de faire pour y remédier. Ces mesures vont certainement transformer la pêche. Mais à long terme, ce sera dans l'intérêt de tous les Terre-Neuviens et de tous les Canadiens.

Le président: Sénateurs, à compter d'aujourd'hui, nos délibérations seront accessibles à notre nouveau site web, sur l'Internet. Je n'ai pas l'adresse Internet sous les yeux, mais je crois que nous pourrons l'obtenir rapidement. Si vous voulez vous reporter aux travaux précédents du comité, vous les trouverez dans notre site web.

Nous avons réussi à intégrer dans notre site les trois grands rapports du comité, surtout les principaux, soit le rapport de 1991 sur la commercialisation du homard, celui de 1993 sur la pêche du poisson de fond et le rapport de 1995, de nouveau sur le poisson de fond. Ces trois grandes études du comité seront sur l'Internet.

Nous espérons également présenter, le plus tôt possible, sur l'Internet, les témoignages reçus dans le cadre de nos études.

Le sénateur Petten: Je me réjouis d'apprendre que vous n'appliqueriez pas ces soumissions au poisson de fond de Terre-Neuve. Voulez-vous dire que si l'année est bonne, si les pêcheurs ont obtenu de bons résultats, vous pourrez participer à la pêche, mais pas dans le cas contraire? Cela ne pose-t-il pas un problème à celui qui voudrait accéder à la pêche? S'il doit acheter le permis, cela nous ramène au problème évoqué par le sénateur Marchand, à savoir qu'il devra l'acheter à quelqu'un qui voudra en tirer le maximum. Que répondez-vous à cela?

M. Grafton: L'attribution initiale pose évidemment un sérieux problème pour l'établissement des quotas individuels transférables, et cela pour n'importe quelle pêche. Il faut que ce soit équitable. La façon dont on procède diffère d'une pêche à l'autre. Au Canada, nous nous sommes souvent servis des prix historiques et de la longueur du bateau. Vous pourriez prendre les prix historiques sur une période de cinq ans dans les années 80, ou dire que la quantité sera la même pour tout pêcheur à plein temps, qui pratique la pêche au poisson de fond sur le littoral atlantique. Mais il faut que ce soit jugé équitable.

Je ne pense pas que les prix seraient particulièrement élevés, du moins à court terme, pour ce qui est de la pêche au poisson de fond de l'Atlantique, étant donné l'état des stocks. Voilà pourquoi il est important de tenir compte du loyer, car c'est avantageux pour les Canadiens. Cela réduit également le prix d'accès, car si le prix antérieur était de 100 $, si vous tenez compte du loyer, vous n'aurez pas à payer 100 $ pour le quota étant donné que vous avez un certain montant à payer au gouvernement canadien. Cela va donc réduire les prix. C'est une façon de résoudre ce problème.

C'est une question importante, car nous savons que les marchés des capitaux sont imparfaits et que nous ne pouvons pas emprunter de gros montants d'argent pour nous lancer dans une entreprise. L'accès aux capitaux est limité et c'est pourquoi nous tenons à régler ces problèmes.

Le sénateur Petten: Comment réglez-vous le problème du sénateur Marchand en ce sens que si vous soumissionnez, cela va certainement atteindre des niveaux très élevés. La petite entreprise ne va-t-elle pas se trouver évincée du marché? Si quelqu'un obtient les droits, les conserve-t-il à perpétuité ou peut-il les vendre? Peut-il les transférer? S'il les vend, nous nous trouvons devant les problèmes évoqués par le sénateur Marchand.

M. Grafton: Pour ce qui est des droits de soumission dans le secteur de la pêche au saumon, ils sont transférables, si bien qu'un droit de soumission qui se fonde sur la participation passée à la pêche dans le Pacifique peut être vendu immédiatement à quelqu'un d'autre. Vous pouvez empocher l'argent et payer les impôts applicables. Voilà comment le système fonctionnera.

Pour ce qui est des soumissions, vous faites une offre pour un secteur de pêche, pour une période donnée, et cela variera pour ce qui est de la période et même de l'emplacement. Vos droits s'appliquent donc uniquement aux possibilités de pêche en question. L'année suivante, vous n'avez pas plus le droit que qui que ce soit d'autre de pêcher dans ce secteur à ce moment-là.

La concentration des droits de soumission pose certainement un problème. Les économistes et d'autres se préoccupent de la puissance commerciale si bien qu'il faudrait limiter la propriété de ces droits de soumission. Vous ne pourrez posséder qu'une partie de l'ensemble des droits. Je proposerais d'attribuer 40 p. 100 des droits de soumission à la même flotte, étant donné que cela représenterait les prises totales de saumon, et une certaine répartition au sein de la flotte.

Le président: Je voudrais en revenir à la question de l'assurance-emploi. Vous avez parlé de la possibilité de pénaliser des employeurs qui emploient des travailleurs saisonniers dans leurs usines. Comment cela s'appliquerait-il à une région comme celle du golfe, qui gèle pendant l'hiver et où vous ne pouvez donc pas jeter des filets ou pêcher? Cela se répercute sur plusieurs provinces comme Terre-Neuve, la Nouvelle-Écosse, l'Île-du-Prince-Édouard, le Nouveau-Brunswick et le Québec. Les usines de poisson ne peuvent pas fonctionner en hiver et les pêcheurs ne peuvent pas pêcher à cause de la glace. Vous allez pénaliser les employeurs qui font appel à des travailleurs pendant l'été en les empêchant d'employer des gens qui touchent l'assurance-emploi. Que va-t-on faire du poisson: l'envoyer dans une autre province?

M. Grafton: C'est certainement une question à laquelle je n'ai pas réfléchi. Néanmoins, les pénalités se baseront sur l'industrie. Nous n'allons pas pénaliser l'industrie de la pêche par rapport aux autres industries du Canada. Cela se fera au sein du secteur de la pêche et d'un groupe d'entreprises comparables. C'est au sein de ce groupe qu'on établira des comparaisons et que l'on imposera un système de pénalités.

Le président: Certaines régions de la Nouvelle-Écosse ont une pêche hivernale. Elles ne seront donc pas pénalisées parce que ces merveilleux quotas individuels transférables seront répartis sur toute la saison. Mais toutes les provinces tributaires de la pêche dans le golfe seront-elles pénalisées? Pour que votre système fonctionne, vous devrez pénaliser cet élément du secteur de la pêche.

Cela revient un peu à dire que les Canadiens de l'Atlantique tiennent à toucher l'assurance-emploi. C'est absolument faux. Personne ne le désire. Si vous ramassez les pommes de terre dans les champs de l'Île-du-Prince-Édouard, par exemple, vous ne pouvez certainement pas le faire en hiver, pas plus que nous ne pouvons pêcher en hiver. On s'imagine que les gens veulent toucher l'assurance-emploi, mais ce n'est pas le cas. Ne faudra-t-il pas soustraire à cela les provinces qui dépendent des emplois saisonniers?

M. Grafton: Il y a deux questions en jeu ici. Cela nous amène à parler du régime d'assurance-emploi général mais il y a aussi le régime d'assurance-emploi pour les pêcheurs. Il a été décidé d'assurer au Canada les pêcheurs qui sont des travailleurs saisonniers. Mais pour ce qui est des pêches, on veut éviter... ce secteur dépend d'une ressource commune à la différence de l'industrie touristique. Ainsi, on offre un soutien du revenu sous forme d'assurance-emploi et cela incite les gens à rester dans le secteur des pêches ce qui a des conséquences à long terme, comme nous le savons, étant donné la crise que traverse la région de l'Atlantique.

Je prétends que le régime d'assurance-emploi général est plus équitable que celui qui existe actuellement. Le chômeur qui fait des demandes à répétition est pénalisé actuellement et peut voir ses prestations réduites de 50 p. 100. Il y a des dispositions restrictives pour tenir compte de circonstances particulières. Cela pénalise le prestataire. Je prétends qu'il faudrait au contraire songer à pénaliser l'employeur.

Le président: Au risque d'insister, je vous rappelle qu'à certaines époques de l'année il y a des secteurs où on ne peut pas s'adonner à la pêche. Il n'y a rien à faire.

M. Grafton: C'est juste. Quoiqu'on y fasse, on ne peut pas pêcher à certaines époques de l'année. N'empêche que le pêcheur qui travaille 31 semaines et touche un revenu correspondant a droit à 26 semaines de prestations. C'est un soutien considérable au revenu des pêcheurs. Le secteur est encombré et on constate que les revenus sont faibles et les immobilisations démesurées. Les pêches de l'Atlantique traversent une crise. Il faut faire quelque chose et selon moi, il faudrait songer à supprimer le soutien du revenu accordé aux pêcheurs.

Cela ne veut pas dire que je préconise que les gens à faible revenu à Terre-Neuve et dans d'autres provinces soient jetés à la rue et qu'on les oublie. Toutefois, si l'on veut accorder un soutien du revenu aux Canadiens qui en ont besoin, et c'est un objectif valable dans la société civilisée qui est la nôtre, il faudrait songer à un mécanisme approprié, c'est-à-dire l'aide sociale. C'est ce que je propose dans le cas de l'assurance-emploi des pêcheurs.

Le président: Vous proposez des mesures comme des allocations aux entreprises, les contingents individuels transférables et d'autres encore pour résoudre une bonne partie des problèmes d'un secteur où les ressources sont communes. Si l'on pousse l'argument à sa conclusion logique, on doit en conclure que ceux qui détiennent un permis estiment en être les propriétaires et libres d'en disposer comme ils le souhaitent. Autrement dit, ils peuvent le vendre à un voisin, à quelqu'un du Cap-Breton qui à son tour le revend à quelqu'un de Halifax qui, les ayant accumulés, peut étaler sa saison de pêche sur l'année. On peut supposer qu'un pêcheur accumule assez de permis pour pouvoir s'adonner à la pêche de façon rentable. Quelle limite devrait-on imposer à l'accumulation de permis? Convient-il d'en imposer une?

M. Grafton: Absolument. Il faut imposer une limite. Comme je le disais tout à l'heure, il y a la possibilité de mainmise sur le marché, d'abus potentiel. Il faut imposer une limite. Il appartient aux gestionnaires des pêches de décider ce qu'elle sera car ils comprennent le domaine bien mieux que moi. Il existe déjà des limites. Pour certaines espèces pêchées, c'est 4 p. 100 du total des prises admissibles, ou à peu près tout dépend de l'espèce pêchée. Pour ma part, je pense qu'il faut imposer des limites.

Le président: Certains témoins ont fait devant nous des affirmations qu'il nous est difficile de confirmer. En effet, et apparemment il y a un texte écrit sur la politique du ministère des Pêches et des Océans à cet égard, on interdit la concentration au-delà de certains niveaux. J'oublie quels ils sont mais des gens qui connaissent très bien le domaine sont venus nous dire, de façon très claire, qu'il existe en fait une règle, appelons-la ainsi, mais qu'on l'enfreint constamment et totalement. Des témoins ont laissé entendre que le ministère des Pêches et océans ne s'en émouvait pas réellement et que de toute façon il n'y a pas de quoi s'alarmer. S'il y a concentration, soit.

On nous dit qu'actuellement la concentration résulte d'ententes administratives spéciales conclues par des avocats entre le propriétaire du permis et le pêcheur qui le loue, si l'on peut dire les choses ainsi, c'est-à-dire le pêcheur qui s'adonne à la pêche à bord d'un bateau dont le nom figure quelque part sur le document. Comme on passe outre à la règle, il en résulte une concentration très intense. On peut donc dire que les limites que vous préconisez ne sont pas imposées, ne sont pas respectées. Elles restent tout à fait théoriques. La réalité est autre.

Certains se sont inquiétés de la concentration. On s'est demandé jusqu'où cela pourrait aller? Peut-on concevoir d'éventuelles actions cotées en Bourse de Toronto? Les propriétaires se mettront-ils à aller de ville en ville pour trouver preneur pour leurs quotas, avec la surenchère que cela suppose dans les localités les plus démunies? Voilà le genre d'inquiétudes dont on nous a fait part et dont il faudrait parler. Qu'en pensez-vous?

M. Grafton: Tout dépend de l'espèce pêchée. Je ne peux pas me prononcer sur ce que vous ont dit d'autres témoins concernant la concentration en sous-main. Tout dépend de l'espèce. Il n'est pas dit qu'automatiquement une seule compagnie ou quelques-unes vont récolter tous les quotas. Dans d'autres pays, cela ne s'est pas produit, et il y existe encore une diversification de la propriété. Tout dépend des règlements.

Toute transaction dans un tel cas doit être faite au grand jour car on ne souhaite pas qu'il y ait échange de contingents dans les arrières-boutiques. L'échange doit se faire à un endroit déterminé, dûment enregistré. Ainsi, au risque de contrevenir aux règlements, il faudrait procéder ainsi. Tous les pêcheurs devraient savoir qui détient tel ou tel contingent, quand il l'a acheté, et cetera. Ce genre de renseignement devrait être du domaine public. Toutefois, le prix d'achat pourrait être considéré comme un renseignement confidentiel. N'empêche qu'il faudrait que chacun sache quels contingents et quelles quantités ont été échangés. Selon moi, c'est une condition essentielle. Je ne saurais vous donner les détails mais de telles transactions pourraient comporter certaines difficultés qu'il appartiendra à la gestion de surmonter.

Le président: La mesure de conservation la plus courante qu'utilise le ministère des Pêches et Océans, incontournable à mon avis, est l'imposition d'un total des prises admissibles pour le poisson de fond. Pour certaines espèces, il n'y a pas de TPA et il semble qu'on puisse s'en passer, dans le cas du homard par exemple. Pour ce qui est du poisson de fond, étant donné que les cycles se succèdent à une telle cadence... du reste, un témoin nous a dit qu'il était très difficile d'évaluer les stocks de poissons de fond. Le ministère des Pêches et Océans recueille des données et prend les décisions qui s'imposent avec diligence, et, à mon avis, dans le plus grand intérêt de la conservation. Toutefois, en 1989, dans la partie occidentale de la Nouvelle-Écosse, on a commencé à nous imposer un quota individuel transférable mais au milieu de la saison, le ministère s'est soudainement ravisé et il a fermé cette pêche parce que le TPA avait été atteint, ou encore parce qu'on avait refait les calculs.

N'y a-t-il pas une difficulté ici car ceux qui comptaient... le plus gros intérêt des QIT vient du fait que vous pouvez étaler sur un an vos montants disponibles. C'est probablement ce que l'on considère comme l'avantage le plus remarquable. Si on soupçonne que par souci de conservation le ministère risque de réduire le contingent au milieu de l'année, n'y aura-t-il pas quand même une ruée vers le poisson?

M. Grafton: Pour que le principe du droit de propriété s'applique bien, il faut qu'il soit durable et exclusif, car s'il y a des interruptions au milieu de la saison, l'incertitude s'installe et le mécanisme risque de s'effondrer. Cela peut poser un problème très épineux. Si l'on veut pouvoir modifier le total des prises admissibles au milieu de la saison, et cela peut s'avérer nécessaire comme on a pu le constater en 1989 sur la côte de Terre-Neuve, il faut prévoir un barème de dédommagement.

Les QIT ne sont pas fixes et peuvent être très souples. On peut limiter les transferts entre régions si l'on considère qu'une telle mesure est plus importante que d'autres facteurs. On peut adapter les QIT aux problèmes qui se présentent. Il va s'en dire que le problème est au niveau des détails. Cela peut conduire à la concentration, mais on peut prendre des mesures pour l'empêcher. Si vous vous inquiétez des transferts entre régions, il y a moyen de les limiter. Si vous vous inquiétez du changement du TPA au milieu de la saison, vous pouvez établir un système de dédommagement. Cela ne se produit pas très souvent, et on peut donc prendre diverses mesures pour régler le problème. Si l'on ne respecte pas les contingents établis, on peut établir au quai un système de contrôle. Pour assurer la qualité supérieure, on peut observer la flottille au large ou mettre un observateur sur chaque navire. Dans le cas d'un dragueur, on peut placer des caméras vidées. Ce genre de contrôle est possible et aidera même s'il ne règle pas tous les problèmes des QIT.

C'est une question de bonne volonté. Il faut réfléchir et essayer de trouver des solutions flexibles. Cela est important. Si vous avez un système doté d'équipes de gestion des pêches, des spécialistes interdisciplinaires et des contacts étroits avec les pêcheurs, il vous sera possible d'établir des systèmes de QIT souples, adaptés aux besoins des régions, aux conditions de pêche et aux circonstances.

Le président: La réunion de ce matin a été très importante. Au nom du comité, nous vous remercions d'avoir partagé avec nous votre expérience qui est reconnue dans tout le Canada, sur ce sujet primordial. Au nom du comité, nous vous remercions d'avoir comparu.

La séance est levée.


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