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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 54 - Témoignages - Séance de l'après-midi


OTTAWA, le jeudi 3 avril 1997

Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-71, réglementant la fabrication, la vente, l'étiquetage et la promotion des produits du tabac, modifiant une autre loi en conséquence et abrogeant certaines lois, se réunit aujourd'hui à 12 h 30 pour en faire l'examen.

L'honorable Sharon Carstairs (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Chers collègues, nous sommes de retour pour notre séance de l'après-midi. Nous avons un certain nombre de témoins qui comparaîtront cet après-midi. Nous accueillons d'abord des représentants d'organisations sportives.

Nous demanderons à M. Scrimshaw de commencer sa présentation.

M. Brent Scrimshaw, président, Molstar Sports & Entertainment: Honorables sénateurs, je tiens à vous remercier de cette occasion de prendre la parole devant vous au sujet du projet de loi C-71 et de vous présenter ce que vous considérerez, du moins je l'espère, comme une proposition responsable et raisonnable d'amendement très précis.

Je suis père de deux adolescents de 13 et 16 ans. Je partage l'objectif du gouvernement de réduire la consommation du tabac chez les Canadiens mineurs.

Je ne suis pas ici pour débattre du bien-fondé du projet de loi car nous estimons que le ministre Dingwall et ses collaborateurs ont créé ce projet de loi en ayant comme unique objectif d'assurer la santé des Canadiens; nous n'avons pas l'intention non plus d'amoindrir l'impact du projet de loi par l'amendement que nous proposons. La requête que nous vous adressons est simple -- que le Sénat adopte un amendement qui appuie l'objectif du gouvernement tout en permettant aux Canadiens d'un océan à l'autre de continuer à profiter de l'un des événements sportifs pour adultes le plus populaire au pays.

Plus précisément, nous proposons d'amender le paragraphe 18 (2) pour redéfinir ce que l'on entend par «promotion.» Nous demandons qu'on y ajoute l'alinéa d) afin que ces dispositions se lisent comme suit:

La présente partie ne s'applique pas:

d) au matériel ni aux vêtements des coureurs et des participants utilisés lors d'une course automobile internationale qui s'inscrit dans le cadre d'une série de courses où plus de 75 p. 100 d'entre elles se déroulent ailleurs qu'au Canada.

Le ministre Dingwall a déclaré que le projet de loi C-71 n'est qu'un projet de loi sur la santé, mais en réalité, ce projet de loi va beaucoup plus loin. C'est sans doute le texte de loi concernant les sports le plus important jamais présenté au Parlement.

On a décrit ce projet de loi comme un moyen de restreindre la promotion du tabac au Canada. Le ministre n'a cessé de répéter que le projet de loi C-71 contrôle la commandite du tabac sans toutefois l'interdire. Cependant, lorsqu'il s'applique aux sports automobiles d'envergure internationale, le projet de loi C-71 interdit complètement et absolument la commandite.

Une lettre que je viens de recevoir du président-directeur général de la série CART/Indy Car, l'organisme qui sanctionne les courses d'Indy Car au Canada, vient renforcer ce fait. Elle énonce en partie:

Je tiens à confirmer que sans un amendement à la loi canadienne permettant le déroulement d'événements internationaux comme la série CART/Indy Car au Canada tels qu'ils se dérouleraient dans n'importe quel autre pays, nous ne serons pas en mesure de tenir notre événement au Canada.

La lettre est signée par Andrew Craig.

Suite à cet avis officiel, j'ai le regret d'annoncer aujourd'hui à tous les Canadiens que sans un amendement au projet de loi, la dernière course Molson Indy de Vancouver aura lieu cette année la fin de semaine de la Fête du travail. La course Molson Indy de Toronto disparaîtra après juillet 1998.

Des initiatives récentes à Vancouver rendent cette disparition encore plus décourageante. Le mois dernier, le conseil municipal de Vancouver, sous la direction du maire Owen, a approuvé à l'unanimité un nouveau site pour la tenue de la course Molson Indy de Vancouver. Cependant, il est tout à fait insensé d'engager les capitaux importants qu'exige l'installation d'un nouveau site si on prévoit tenir cet événement seulement un an de plus. Permettez-moi de préciser pourquoi le projet de loi actuel nous oblige à accepter la décision d'Indy Car.

En tant que promoteur des courses Molson Indy de Toronto et de Vancouver, Molstar Sports & Entertainment contrôle certains des droits commerciaux qui se rattachent à ces événements, y compris les ventes de billets, le marchandisage et la commandite sur place qui comprend l'affichage sur la piste.

Le projet de loi C-71 contrôlera la taille et l'emplacement des annonces sur le tabac sur place et éliminera la commandite des compagnies de tabac en dehors du site, minimisant ainsi la valeur de toute commandite de la part des compagnies de tabac.

Pour Molstar, les répercussions financières seront importantes; en fait, elles seront énormes. Ce n'est toutefois pas le problème qui nous préoccupe le plus. Pourquoi? Parce que même si les compagnies de tabac du pays étaient disposées à poursuivre leur commandite jusqu'à un certain point après octobre 1998, il n'y aurait plus de courses à commanditer. Vingt pour cent des équipes d'Indy Car portent des logos de compagnies de tabac dans les 17 courses auxquelles elles participent.

Le projet de loi C-71 dans sa forme actuelle interdit que le matériel et le personnel portent les logos de compagnies de tabac. Il est assez difficile d'organiser une course sans voiture. La période d'application progressive de deux ans offerte par le gouvernement telle qu'elle s'applique au sport automobile est en fait une période d'élimination progressive de deux ans.

Même si les courses canadiennes d'Indy Car sont considérées parmi les meilleures, les interdictions prévues par le projet de loi C-71 empêcheront la tenue de courses au Canada. La lettre de M. Craig était très claire à ce sujet.

Compte tenu de ce facteur et de l'information qui nous a été fournie lors de nos discussions avec des hauts fonctionnaires de Santé Canada, un scénario plus réaliste pour Molstar consisterait à organiser une course Molson Indy à Buffalo. À Buffalo, nous pourrions organiser une course qui aurait beaucoup de succès sans imposer de restrictions aux équipes participantes ou sans limiter l'affichage sur la piste et cette course pourrait être retransmise intégralement au Canada, sur les réseaux de télévision CBC et ABC sans être assujettie aux dispositions du projet de loi C-71. Par conséquent, au lieu de produire plus d'une vingtaine de millions de dollars en retombées économiques directes pour Toronto, cet événement relancerait l'économie d'une ville-frontière américaine et permettrait aux amateurs de courses canadiens de faire une excursion d'un jour assez agréable. Selon un tel scénario, le gouvernement a-t-il réalisé autre chose que la perte d'emplois canadiens?

L'ironie est évidente: le projet de loi C-71 crée des règles du jeu inégales qui avantagent manifestement les entrepreneurs américains et n'atteignent pas les objectifs visés par le gouvernement.

L'amendement que nous proposons permettra de s'assurer que les courses continuent à se tenir au Canada et que le gouvernement atteint ses objectifs. Prenez en considération les facteurs suivants: les commanditaires appuient des événements non pas tant au niveau de ce qui se passe sur la piste que de ce qui se passe en marge de la course. Comme nous l'avons entendu hier, la publicité télévisée, l'appui d'événements promotionnels et la publicité sur le lieu de vente en sont des éléments clés. Le gouvernement a fermé la porte à ces médias. L'amendement que nous proposons ne touche pas ces dispositions.

Le projet de loi C-71 restreindra l'affichage sur place de la publicité des produits du tabac au moyen de règlements qu'il reste à définir. Bien que l'âge moyen de notre auditoire sur place soit de 31 ans, nous ne demandons aucun changement à l'affichage sur place.

L'article 31 porte sur la radiodiffusion. Elle prévoit la continuation de la transmission d'émissions de l'étranger au Canada, y compris de la promotion non limitée des produits du tabac, à condition que les courses ne se déroulent pas au Canada. Cette position a été confirmée dans les discussions que nous avons eues avec Santé Canada.

Cela vous laisse-t-il perplexes? Nous, oui. Selon A.C. Nielsen, nos téléspectateurs sont en majeure partie des adultes. Par conséquent, nous comprenons que le gouvernement ne s'intéresse pas à la retransmission d'émissions de radio et de télévision. Pourquoi alors interdire uniquement les émissions qui proviennent du Canada? Est-ce parce que des voitures de course qui roulent à des vitesses de 200 milles à l'heure portent des logos de compagnies de tabac dans un environnement qui autrement contrôle la promotion des produits du tabac? Cela n'a pas beaucoup de sens. Donc, les courses d'Indy Car, Daytona et U.S. 500 survivront au Canada grâce à la télévision mais les courses Molson Indy disparaîtront. L'industrie du tabac, dans un environnement non contrôlé, prospère; et on refuse la représentation responsable du produit.

Honorables sénateurs, le secteur de la course automobile au Canada est dans une situation tout à fait unique. Nous demandons un amendement qui permettrait à toutes les équipes de courses internationales d'amener leurs voitures au Canada et de les utiliser sur des pistes canadiennes et qui les autoriserait à avoir sur leurs voitures, leurs transporteurs et leurs vêtements des logos qui désignent l'ensemble de leurs commanditaires.

Nous sommes disposés à accepter toutes les autres restrictions imposées par le gouvernement pour ce qui est de la promotion du tabac sur place et à l'extérieur du site sans aucun changement malgré les conséquences financières très réelles que cette mesure aura sur nos activités.

Nous estimons qu'il est possible d'atteindre les objectifs de Santé Canada sans sacrifier ce que certains considéreraient comme une source de fierté nationale. Vous pouvez contester les mérites d'invoquer l'unité nationale pour défendre un sport national, mais je pense que vous comprendrez l'argument que je vais vous présenter et qui devrait d'ailleurs être évident pour tous.

Des champions canadiens de course automobile comme Jacques Villeneuve, Patrick Carpentier, Paul Tracy, David Empringham, Greg Moore et bien d'autres ont contribué à notre identité canadienne. Ces athlètes ont été des facteurs d'unification au Canada. Ils ont rapproché les Canadiens enthousiasmés par leurs victoires sur les meilleurs coureurs automobiles au monde simplement parce que les coureurs automobiles canadiens sont les meilleurs au monde.

Sénateurs, aidez-nous à garder les courses automobiles au Canada. J'aimerais terminer par un très court vidéo qui présente ce à quoi ressemblerait une course Molson Indy selon l'amendement que nous proposons. N'oubliez pas que l'affichage sur la piste qui est visible dans ces clips serait considérablement réduit par suite de l'adoption du projet de loi C-71.

Je vous demande de vous concentrer sur les voitures et de juger par vous-mêmes si ces moyens publicitaires ambulants sont suffisamment importants pour justifier la disparition des courses automobiles Indy au Canada.

Je vous remercie d'écouter notre appel.

(Présentation du vidéo.)

M. Rick Dearden, conseiller juridique, Molstar Sports & Entertainment: Honorables sénateurs, nous avons le rare luxe d'avoir un jugement récent de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt RJR-Macdonald qui est tout à fait pertinent et qui peut vous servir de guide quant à la validité constitutionnelle des dispositions de la partie IV du projet de loi C-71.

Ce jugement a posé des balises destinées à vous orienter sur la voie de la validité constitutionnelle. Je tiens à en signaler cinq à l'intention du comité. Je vous invite à les examiner soigneusement et à en tenir compte lorsque vous déciderez s'il y a lieu de recommander d'accepter les amendements proposés par M. Scrimshaw.

Tout d'abord, en ce qui concerne la violation de l'alinéa 2b) de la Charte, qui garantit la liberté d'expression, vous venez d'entendre M. Scrimshaw vous dire que quatre équipes sur 20 qui participent à la série Indy sont commanditées par une compagnie de tabac. Le commanditaire veut que ces équipes participent à toutes les courses, y compris les deux qui se déroulent au Canada.

Le projet de loi C-71 interdit absolument que les voitures ou les uniformes des équipes qui participent aux courses Molson Indy portent les logos de compagnies de tabac. J'ai fait circuler une lettre que nous avons reçue le 17 mars dernier de Santé Canada après avoir rencontré ses représentants pour connaître leur interprétation des dispositions de la partie IV. Après cette réunion, nous avons reçu la lettre en question qui corrige une erreur commise dans l'interprétation qu'ils nous ont donnée lors de cette réunion.

Brièvement, selon l'interprétation du projet de loi faite par Santé Canada, la présence de logos ou d'éléments de marque de tabac sur les voitures de course et les insignes faisant partie d'un événement qui se déroule au Canada sera interdite, peu importe si ce produit est vendu ou non au Canada. C'est la position adoptée par Santé Canada.

Le projet de loi C-71 interdit absolument à Molson Indy d'afficher le logo de Player's ou de toute autre compagnie de tabac sur les billets. J'ai des billets des événements des années passées que je vous laisserai et sur lesquels figure un coureur dont le casque arbore la marque «Player's». Ces billets, dont plus de 90 p. 100 sont achetés par des adultes, sont absolument interdits. J'ai des brochures qui renferment de l'information assez importante à propos de l'événement. Elles renferment une photo d'une voiture automobile ou d'un coureur dont l'uniforme porte un logo d'une compagnie de tabac. Il est absolument interdit de distribuer cette brochure dans un kiosque touristique, dans les hôtels ou les restaurants.

Le projet de loi C-71 interdit toute la marchandise vendue dans le cadre d'un événement comme une casquette de baseball qui porte le logo «Marlboro Team Penske» ou «Player's Forsythe Racing Team». Si nos coureurs automobiles canadiens, comme Greg Moore ou Paul Tracy, gagnent une course, il leur est impossible de remercier le commanditaire d'une compagnie de tabac. Cela est absolument interdit. Il leur est impossible de remercier le commanditaire de leur équipe. Cela est également absolument interdit.

Chacune de ces interdictions absolues, madame la présidente, est une violation de l'alinéa 2b) et personne ne le conteste. L'argument consiste à déterminer si la violation est justifiable en vertu de l'article premier de la Charte.

Selon le raisonnement de la majorité des juges de la Cour suprême du Canada concernant les cinq critères que je vais vous présenter, j'estime qu'il faut conclure que les articles 19, 21, 22, 24 et 27 sont anticonstitutionnels. Ils ne sont pas justifiables en vertu de l'article premier de la Charte.

Nous savons tous que c'est au gouvernement qu'il incombe de prouver que ces mesures attentatoires constituent une limite raisonnable, prescrite par la loi, dont la justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. C'est à lui qu'incombe ce fardeau.

Comme premier point, la juge McLachlin a affirmé que:

[...] pour s'acquitter du fardeau que lui impose l'article premier de la Charte, l'État doit établir que la violation comprise dans une loi se situe à l'intérieur de limites «dont la justification puisse démontrer». Le choix de l'expression «puisse se démontrer» est important. Il ne s'agit pas de procéder par simple intuition, ou d'affirmer qu'il faut avoir de l'égard pour le choix du Parlement. Il s'agit d'un processus de démonstration [...]

À notre avis, on ne vous a présenté aucun élément de preuve qui démontre que les interdictions absolues que je viens de vous décrire sont nécessaires et qu'elles remplissent le critère de justification en vertu de l'article premier.

L'article premier dispose que les moyens choisis pour atteindre un objectif doivent être proportionnels à l'objectif et à l'effet de la loi. Il faut d'abord considérer les objectifs. Le deuxième point mentionné par la juge McLachlin est que l'objectif pertinent, aux fins d'une analyse fondée sur l'article premier, est celui de la mesure attentatoire puisque c'est cette dernière que l'on cherche à justifier.

Vous devez analyser les dispositions du projet de loi C-71 qui imposent les interdictions absolues que je viens de décrire, et déterminer si elles respectent les critères définis par la loi, qui sont le lien rationnel, l'atteinte minimale et la proportionnalité globale.

Est-ce que l'interdiction absolue quant à l'usage, sur les voitures et les uniformes, des marques non vendues au Canada réduit la consommation de tabac? Existe-t-il des preuves qui démontrent que les autres interdictions absolues que j'ai mentionnées réduisent la consommation de tabac? Voilà la question que doit se poser le comité.

Il doit exister un lien rationnel entre les mesures choisies et l'objectif. Le troisième point est important. Le Sénat doit en tenir compte au moment d'examiner l'amendement proposé par Molstar.

Comme l'a indiqué la juge McLachlin:

Il ne paraît pas y avoir de lien causal entre l'objectif de diminution de l'usage du tabac et l'interdiction absolue quant à l'usage des marques sur des articles autres que les produits du tabac [...] Il n'existe ni lien causal fondé sur une preuve directe, ni lien causal fondé sur la logique ou la raison.

Et voici le passage qui est important:

Il est difficile de s'imaginer comment la présence d'un logo sur un briquet, par exemple, permettrait d'accroître l'usage du tabac, mais pourtant, cette pratique est interdite. À mon avis, l'article 8 de la Loi ne satisfait pas au critère du lien rationnel.

L'interdiction relative à l'utilisation du logo «Player's» sur un briquet est inconstitutionnelle. Qu'en est-il des logos sur les voitures et les uniformes? Si le logo Player's peut figurer sur un briquet, pourquoi ne peut-il pas figurer sur une voiture?

Le ministre de la Santé a admis au comité, le 19 mars, que le jeune qui voit le logo Rothman's sur la personne de Jacques Villeneuve ne courra pas s'acheter un paquet de cigarettes. À mon avis, les jeunes ne courront pas s'acheter des cigarettes s'ils voient ce logo sur sa voiture ou sa combinaison. Il n'y a pas de différence entre les autres produits que j'ai mentionnés, comme les casquettes de base-ball et les briquets.

Le projet de loi vise même les marques de tabac. Comme l'indiquait la lettre de Santé Canada, datée du 17 mars, que je viens de vous lire, l'interdiction s'applique même aux marques de tabac qui ne sont pas vendues au Canada. Est-il illogique d'interdire l'usage d'un logo sur un produit qui ne peut être acheté au Canada sous prétexte que cela va réduire la consommation de tabac? Bien entendu que c'est illogique.

Une fois satisfait le critère du lien rationnel, le gouvernement doit s'attacher à démontrer que le projet de loi remplit l'exigence de l'atteinte minimale, autrement dit, que les atteintes ont été modulées de manière à respecter la liberté d'expression. Le projet de loi C-71 fait l'inverse. Il interdit les commandites par les compagnies de tabac, sauf dans certains cas, et ces exemptions sont minimales. L'arrêt RJR stipule que ce sont les restrictions, pas les exemptions, qui doivent être minimales.

Le gouvernement s'est engagé, dans son plan directeur de lutte contre le tabagisme, à imposer des restrictions globales aux commandites.

L'approche et la méthode utilisées sont toutes deux à proscrire. On ne peut pas commencer par imposer une interdiction absolue, et ensuite prévoir des exemptions minimales.

Existe-t-il des éléments de preuve qui démontrent que les interdictions absolues vont davantage contribuer à réduire l'usage du tabac que l'interdiction partielle proposée par Molstar?

Existe-t-il des éléments de preuve qui démontrent qu'une mesure moins attentatoire ne permettrait pas d'atteindre l'objectif visé de manière aussi efficace? C'est la question que vous devez vous poser.

Nous savons que le Ralliement pour la liberté de commandite a proposé des modifications. Nous ne savons pas pourquoi elles ont été rejetées.

La compagnie Molson a proposé une modification. Le comité n'a reçu aucun élément de preuve lui démontrant l'inefficacité de cette mesure moins attentatoire. Le groupe CART a lui-même proposé au ministre de la Santé une exemption qui s'appliquerait aux événements internationaux. Nous ne savons pas pourquoi cette exemption ne permettrait pas d'atteindre l'objectif visé de manière aussi efficace.

Enfin, sur la question de l'atteinte minimale, il convient de se rappeler que la Cour suprême du Canada a jugé légale la publicité préférentielle. La présence du logo Player's sur une voiture ou sur une combinaison constitue une forme de publicité préférentielle qui est jugée légale par la Cour suprême du Canada, mais qui est considérée comme étant illégale en vertu du projet de loi C-71. Or, cette position ne concorde absolument pas avec le cinquième point soulevé par Cour suprême du Canada.

La juge McLachlin a déclaré que:

L'interdiction vise toute publicité purement informative, les simples notes quant à l'apparence d'un emballage, la publicité en faveur de nouvelles marques et la publicité indiquant le contenu relatif de goudron des différentes marques de tabac. Fumer est une activité légale; cependant, le consommateur est privé d'un moyen important de se renseigner sur l'offre de produits susceptibles de satisfaire à ses préférences [...]

[...] rien n'indique que la publicité purement informative ou de fidélité aux marques [...]

[...] aurait pour effet d'accroître la consommation.

[...] bien que l'on puisse conclure, de façon rationnelle et logique, que la publicité de style de vie vise à accroître la consommation, rien n'indique que la publicité purement informative ou de fidélité aux marques aurait cet effet. Au moment où il a adopté l'interdiction totale de la publicité, le gouvernement disposait de toute une gamme de mesures moins attentatoires: une interdiction partielle qui aurait permis la publicité informative et de fidélité aux marques [...]

Honorables sénateurs, la publicité préférentielle est légale. C'est ce que vous voyez dans ces brochures, sur les billets, les voitures et les combinaisons. Cette forme de publicité est légale.

Le dernier critère qui doit être rempli est celui de la proportionnalité, et je vais conclure là-dessus. Il faut démontrer que les effets bénéfiques des mesures l'emportent sur les effets préjudiciables de celles-ci.

La majorité de la Cour suprême n'a pas eu à se prononcer sur ce point dans l'arrêt RJR. C'est donc à vous que je pose la question: dans ce cas-ci, quels sont les effets préjudiciables du projet de loi? Vous venez d'apprendre que la course automobile à Indianapolis va être annulée. Il s'agit là d'une forme de divertissement qui est protégée par l'alinéa 2b) de la Charte. Les amateurs ne pourront plus assister à cette course en direct. Ils vont pouvoir la suivre à la télévision si elle est déplacée à Buffalo ou à Seattle, mais ils ne pourront plus y assister en direct à Toronto et à Vancouver. Priver les amateurs de course canadiens de cette forme de divertissement, de retombées économiques, ainsi de suite. Est-ce que les effets préjudiciables l'emportent sur les effets bénéfiques? Oui.

Vous pouvez sauver les courses automobiles commanditées par Molson à Toronto et à Vancouver en recommandant l'adoption de l'amendement proposé par M. Scrimshaw. Nous vous encourageons à le faire.

Merci beaucoup.

[Français]

M. Léon Méthot, président et directeur général, Grand Prix Player's Ltée de Trois-Rivières: Je vous remercie beaucoup de nous donner l'opportunité de nous faire entendre. Je suis ici pour représenter un événement qui nous tient à c<#0139>ur et qui a reçu beaucoup de nos énergies au cours des 27 dernières années: le Grand Prix Player's de Trois-Rivières. Il constitue le plus vieux circuit en Amérique du Nord.

Il existe trois gros événements dans le marché canadien: le Grand Prix du Canada à Montréal et les Molson Indy de Vancouver et de Toronto. Vous ignorez peut-être que Le Grand Prix Player's de Trois-Rivières est reconnu comme étant le quatrième plus gros événement au Canada.. Il s'agit du plus vieux circuit urbain en Amérique du Nord. Nous avons lancé la mode chez nous, à Trois-Rivières, l'année de l'Expo 67.

Trois-Rivières a vu défiler les plus grands noms du sport automobile, à savoir ceux qui, aujourd'hui se présentent en Indy Car, Bobby Rae, Al Unser, James Hunt, le champion du monde en 1977, Allan Jones et les autres.

Tout le monde connaît Jacques Villeneuve aujourd'hui, vedette de la Formule 1; savez-vous que Jacques Villeneuve a fait ses débuts à Trois-Rivières en 1992? Cette idée, qui avait germé dans la tête des promoteurs, a réussi à se réaliser, avec l'appui de Player's. Le circuit de Trois-Rivières fut sa première course professionnelle en sol nord-américain et nous savons tous aujourd'hui où cela l'a mené.

Plus récemment, Patrick Carpentier, qui évolue aujourd'hui en Indy Car, a lui aussi été une des grandes vedettes à Trois-Rivières.

Le Grand Prix de Trois-Rivières attire 85 000 personnes dans une région qui en compte 48 000; l'événement amène plus de gens de l'extérieur que la population qui y habite. 800 bénévoles prennent part, année après année, à la présentation de cet événement.

Les retombées économiques sont de l'ordre de 10 millions de dollars et bénéficient beaucoup à l'industrie touristique régionale. La télédiffusion des courses du Grand Prix de Trois-Rivières dans plus de 141 pays représente un impact majeur. Plusieurs millions de téléspectateurs sont à même de connaître et apprécier Trois-Rivières, ce qui contribue à promouvoir la ville au-delà de ses propres frontières. Il s'agit là de la vitrine par excellence pour la promotion de la région.

J'en arrive au coeur du sujet, la commandite des manufacturiers de produits du tabac. Le Grand Prix de Trois-Rivières n'a pu avoir lieu durant les années 1986, 1987 et 1988 vu la perte d'un commanditaire en 1985. En 1989, avec l'appui des gens de la Chambre de commerce, nous avons fait revivre le Grand Prix. Player's fut le seul commanditaire qui s'est intéressé au projet et nous a prêté main forte. Grâce à cet appui, le gens de la région ont pu relancer le Grand Prix, pour en faire le succès qu'il connaît aujourd'hui.

La commandite de Player's est fondamentale pour la survie du Grand Prix de Trois-Rivières. Le projet de loi C-71, tel que rédigé actuellement, va anéantir tous les efforts que les gens de notre région ont investi dans cet événement et qui ont fait en sorte qu'il se poursuive d'année en année.

La raison pour laquelle le projet de loi C-71 anéantira tous ces efforts, c'est que l'événement s'appelle le Grand Prix Player's de Trois-Rivières. De façon à toujours connaître le même succès par la promotion de l'événement, nous devons pouvoir bénéficier de la publicité dans les médias comme la télévision, la radio, les affiches dans les endroits publics comme les dépanneurs, et ceatera.

Le projet de loi C-71 bannit l'utilisation d'un commanditaire manufacturier des produits du tabac dans les médias. Les organisateurs du Grand Prix devront laisser tomber son commanditaire en titre pour continuer à promouvoir l'événement sur les marchés extérieurs, en utilisant des médias efficaces comme la radio et la télévision.

Ceci nous amène au problème fondamental, à savoir quelle valeur aura la commandite si le nom du commanditaire est enlevé de notre raison sociale et le problème contractuel qui s'y rattache.

Notre commandite est reliée au fait que le nom de Player's se retrouve dans notre raison sociale. Il y a un problème de contrat avec lequel nous allons devoir traiter. Le nom de Player's n'ayant plus de visibilité, la valeur devient tout à fait banale quant à la commandite. Player's n'est pas notre seul commanditaire, nous avons 12 commanditaires d'importance à Trois-Rivières comme Firestone, General Motors du Canada, Unipro, qui nous supportent énormément.

Nous effectuons des démarches année après année pour conserver, renouveler et trouver de nouvelles commandites. 500 000 $ de commandite, pour un marché comme celui de Trois-Rivières, cela n'existe pas au sein des grandes entreprises canadiennes actuellement.

Les amendements qui ont été présentés par l'alliance, régleraient nos problèmes. Spécifiquement, ils nous permettraient de continuer à inclure le commanditaire Player's dans notre raison sociale et continuer d'utiliser les médias, qui sont nécessaires pour notre promotion, comme la radio et la télévision. Ceci est fondamental et ces amendements doivent être adoptés pour assurer la survie d'un événement tel le Grand Prix. L'autre point soulevé par M. Scrimshaw concerne le problème qui existe en rapport avec les séries de courses. Les sanctions imposées aux Molson Indy de Toronto et Vancouver s'appliquent à Trois-Rivières. Ce qui s'applique, tel que rédigé par M. Andy Craig de CART, s'applique tout aussi bien pour une des séries tenues à Trois-Rivières qui s'appelle l'Indy Lights.

La série Indy Lights comporte 12 équipes commanditées par des manufacturiers du tabac internationaux: Marlboro du Brésil, Cool des États-Unis et Player's. Toutes ces équipes ne pourraient plus venir au Canada, donc il n'y aurait plus d'intérêt pour eux de tenir la série Indy Lights à Trois-Rivières.

La série Atlantique, à travers laquelle les noms que je vous ai mentionnés tout à l'heure ont fait leur marque, est commanditée par la compagnie Cool, une compagnie de tabac des États-Unis, chaque voiture doit comporter le logo du manufacturier; ce sera alors terminé pour le Canada dès le moment de l'adoption du projet de loi C-71.

Nous avons donc plusieurs problèmes sur les bras, et c'est pour cela qu'on avait à coeur de venir vous les exprimer.

Les dernières semaines, nous avons pris connaissance d'un amendement, l'article 66, qui régit la date d'entrée en vigueur de l'événement. Cet amendement s'applique strictement aux articles 24 (2) et (3). Il n'englobe aucun autre article, il est rédigé de telle sorte que ces articles n'entreront en vigueur qu'à compter du premier octobre 1998 ou à une autre date ultérieure décrétée par le gouverneur en conseil.

Ces dernières années, il y a des choses qui se passent; on entend des choses et concrètement, on se rend compte que la réalité est différente. Il serait peut-être rafraîchissant de s'assurer que lorsque l'on dit que les amendements n'affecteront pas les courses avant le premier octobre 1998, on le rédige de la même manière. On le dit, mais on écrit autre chose. Il faudrait s'assurer que ce qui est dit soit respecté dans le cadre de la loi; un amendement est requis en ce sens.

Le ministre a témoigné à l'effet que cet amendement s'appliquait au sport automobile au complet. J'aimerais attirer votre attention, puisque l'on est devant le comité des affaires juridiques et constitutionnelles, sur le fait que le ministre a déclaré que l'article 24 (2) couvre tout ce qui s'appelle commandites, la commandite des voitures et des équipes. Lorsqu'on lit la loi, l'article 24 (2) s'applique à la commandite des événements. Quant à l'article 27, je vous le lis pour les fins de la discussion, il est des plus nébuleux. Je cite:

Il est interdit de fournir ou de promouvoir un produit du tabac si l'un de ses éléments de marque figure sur des articles autres que des produits du tabac [...] ou est utilisé pour des services et que ces articles ou ces services... sont associés aux jeunes ...

En d'autres termes, il s'agit ici de la définition de «lifestyle» qu'on a défini dans la loi.

Je vous soumets respectueusement que lorsque l'on parle d'une voiture de course, on parle certainement d'un «article autre qu'un produit du tabac». L'amendement apporté par le ministre ne couvre pas l'article 27. Il n'y a aucune espèce de garantie que les voitures seront couvertes par cet amendement. On peut dire une chose, mais on écrit différemment. Je ne suis pas réconforté par le libellé de l'article 27.

L'argument du ministre est que l'article 24 est plus spécifique, donc devrait avoir préséance sur l'article 27. Si tel est le cas, je vous demande donc de l'écrire. Cela est tout à fait conforme à la volonté du ministre et du projet de loi.

Je suis le père de trois jeunes filles, j'ai été fumeur, mais maintenant je ne fume plus. Mon choix est très personnel et est beaucoup rattaché au fait que j'ai des enfants. Je crois qu'en donnant l'exemple, je peux influencer mes enfants à ne pas commencer à fumer. Les témoignages que j'ai entendus au cours des dernières semaines ne permettent pas de croire que le fait d'avoir un logo d'un manufacturier va endiguer de quelque façon que ce soit le problème du tabagisme au Canada. Cela est fondamental. Il n'y aura pas moins de fumeurs lorsque tous les panneaux des manufacturiers disparaîtront de nos événements. Il y aura autant de fumeurs le lendemain que la veille de l'entrée en vigueur de la loi, c'est certain. Mais ce qui est aussi certain, c'est qu'il n'y aura plus d'événements.

La décision de la Cour suprême du Canada a été rendue dans le but de s'assurer que les mesures adoptées par le législateur atteignent les objectifs recherchés. Je vous soumets respectueusement que ce test n'est pas rencontré ici. La seule chose que l'on va créer au Canada, c'est le chaos et le marasme au sein des événements et il y aura toujours le même nombre de fumeurs. De l'avis du professeur Luik, ce n'est pas par ces moyens que l'on réussira à réduire le tabagisme au Canada. Cela complète ce que j'avais à vous dire.

M. Richard Legendre, directeur, Tennis Canada (Montréal): Madame la présidente, au nom de Tennis Canada, j'aimerais vous remercier de nous donner l'occasion aujourd'hui de vous dire qui nous sommes, ce que nous faisons et surtout ce que nous ne pourrons plus faire à l'avenir suite à l'adoption du projet de loi C-71.

J'aimerais souligner la présence de ma collègue directrice de tournois à Montréal, Mme Jane Wynne, et de notre conseiller légal, M. Brian Flood. Je suis le directeur de l'Omnium du Maurier à Montréal. Notre président, M. Moffatt, retenu à l'extérieur du pays, ne peut être avec nous aujourd'hui.

Tennis Canada existe depuis 106 ans et est responsable de la promotion et du développement du tennis à travers le pays.

Nous représentons ici nos dix associations provinciales ainsi que le Yukon et les Territoires du Nord-Ouest, les 75 employés à temps plein et à temps partiel de nos bureaux de Montréal et Toronto, les milliers de bénévoles qui organisent nos événements internationaux et des centaines de tournois seniors et juniors à travers la pays, plus de 4 000 entraîneurs certifiés par Tennis Canada qui enseignent le tennis à travers le pays, 3 000 juniors qui s'entraînent et qui tentent de devenir de meilleurs athlètes, environ 3, 5 millions de joueurs récréatifs -- plus de 10 p. 100 de la population -- qui bénéficient du leadership de Tennis Canada, et, enfin, nos joueurs d'élite qui représentent avec distinction le Canada sur la scène internationale.

[Traduction]

La première chose que je tiens à vous dire aujourd'hui, c'est que, au cours des 20 dernières années, Tennis Canada a contribué de façon très significative à améliorer la forme et la qualité de vie des Canadiens. Bien entendu, nous attachons beaucoup d'importance à la santé. En fait, elle constitue pour nous une priorité.

Comment sommes-nous parvenus à le faire? En réussissant avec succès à promouvoir et à développer le sport du tennis à travers le pays. Comment? En devenant une organisation de plus en plus solide et pleine de ressources. Comment? D'abord et avant tout, à l'aide des profits de nos deux championnats canadiens internationaux, les Omniums du Maurier, lesquels nous ont permis, depuis 18 ans, de réinvestir 22 millions de dollars dans le développement du tennis auprès des hommes et des femmes de tout âge, partout au Canada.

En 1996, pour vous donner un exemple, les omniums nous ont permis, en tant qu'association nationale sportive sans but lucratif, de générer des profits de 2,5 millions de dollars. Que faisons-nous avec cet argent? Nous le réinvestissons dans le sport et dans divers programmes qui n'ont aucun lien avec la source de ces fonds. Pendant ce temps, Sports Canada nous érigeait en modèle auprès des autres associations sportives nationales sur la manière de s'autofinancer et d'être virtuellement indépendant des ressources gouvernementales.

Comment avons-nous réussi à augmenter nos profits au fil des ans, alors que nos dépenses augmentaient? Notre commanditaire en titre, du Maurier, a continuellement augmenté sa contribution, jusqu'à ce qu'elle atteigne 8 millions de dollars pour les deux tournois cette année. C'est précisément cette qualité de commandite qui nous permet et de présenter nos tournois et de financer le développement du sport au Canada.

Le tennis et le tabac sont peut-être un paradoxe, mais pas une contradiction, parce que le résultat de cette association a jusqu'ici été des plus bénéfiques aux Canadiens.

Et voilà que survient le projet de loi C-71. Quelles en seront les conséquences pour nous s'il est adopté dans sa forme actuelle? Il est clair que les dures restrictions du projet de loi C-71 excluent toute possibilité de commandite en titre avec une compagnie de tabac. Le ministre de la Santé prétend que le projet de loi C-71 n'élimine pas la commandite. Il a peut-être raison. Toutefois, il éliminera les commanditaires. Il éliminera notre commanditaire.

[Français]

Toute la valeur d'une commandite en titre réside essentiellement dans l'utilisation du nom de l'événement, dans notre cas «l'Omnium du Maurier».

Si ce nom ne peut être utilisé dans la publicité à la télévision et à la radio, si un dépliant de vente de billets ne peut pas être utilisé dans un club de tennis, à l'extérieur de notre site, si ce même nom ne peut apparaître sur des panneaux bus ou des affiches publicitaires à l'extérieur du site, alors la commandite n'est plus un outil de communication valable.

Ce que le projet de loi C-71 nous dit c'est que l'on peut avoir une automobile, mais qu'il faut la laisser dans le garage. La qualité de notre tournoi souffrira irrémédiablement de perdre le soutien exceptionnel de notre commanditaire en titre. Nous ne pourrons plus offrir des bourses de niveau international. Nous ne pourrons plus attirer les meilleurs joueurs du monde et nous cesserons d'être un tournoi de niveau international.

En conséquence, nos tournois ne généreront plus les mêmes profits et nous ne pourrons plus les réinvestir dans le développement de notre sport. Cela élimine 75 p. 100 de tous nos revenus discrétionnaires et empêche toute subvention de Tennis Canada aux provinces, fait disparaître les activités pour les vétérans, les juniors et les athlètes internationaux, à qui on devra évidemment donner moins.

Cela va nous confiner à une totale dépendance à l'égard du financement gouvernemental, qui ne représente actuellement dans notre budget que 25 p. 100 des argents discrétionnaires.

[Traduction]

Le projet de loi C-71 n'aurait pu arriver à un pire moment de notre histoire. Nous venons tout juste d'apprendre que, d'ici deux ans, le circuit de tennis international, entreprendra une restructuration complète de ses principaux événements. Cinq tournois dans le monde auront la chance de former une super série comparable à ce que sont actuellement les tournois du Grand Chelem -- le U.S. Open, les Internationaux de France et Wimbledon.

Pendant dix jours, ces super tournois mettront en vedette toutes les meilleures raquettes du monde, hommes et femmes réunis, dans des endroits de choix pour le tennis. Trois de ces endroits sont déjà choisis et le Canada est dans la course pour l'une des deux places qui restent, en compétition avec une grande ville américaine. En fait, nous avions entendu dire, il y a deux semaines, que le Canada était exclu de la course. Les premières questions qu'on nous a posées lorsque nous avons cherché à savoir pourquoi le Canada serait exclu étaient les suivantes: qu'arrive-t-il avec le projet de loi C-71? Aurez-vous toujours un commanditaire en titre?

Nous devons pouvoir démontrer, entre autres, aux organismes internationaux responsables, que notre stabilité financière pour l'avenir est assurée. Croyez-vous que le projet de loi C-71 peut nous aider à garantir notre stabilité financière pour l'avenir?

La question qu'il convient de se poser est évidemment la suivante: Pouvons-nous remplacer du Maurier comme commanditaire en titre? Pouvons-nous trouver une autre corporation qui peut dépenser annuellement près de 8 millions de dollars pour commanditer du tennis? Franchement, nous ne le savons pas. C'est douteux et très risqué. Nous ne savons vraiment pas si nous pouvons trouver un autre commanditaire en titre prêt à s'engager à un tel niveau, à ce niveau d'engagement qui nous permet de financer notre sport au Canada.

Comme nous le savons tous -- du moins, j'espère que vous le savez --, il est difficile de trouver des commanditaires, même dans les circonstances les plus favorables. C'est maintenant que nous avons besoin d'argent, et nous en avons un besoin pressant si nous voulons relever ce nouveau défi. Imaginez ce qui se passera quand on sera à la recherche de commanditaires pour ces 250 événements et plus! Il nous faut plus d'argent. Nous en avons besoin maintenant, et il y en aura 300 autres dans la même situation que nous.

[Français]

Que proposons-nous comme solution? Il est clair qu'en tant que membres du Ralliement pour la liberté de commandite, nous appuyons depuis le tout début l'ensemble des amendements déjà proposés en février dernier au projet de loi C- 71.

Les amendements, dont vous allez prendre connaissance, sont raisonnables et représentent la solution adéquate pour atteindre les objectifs du gouvernement et du ministre et une solution pour nous permettre de continuer d'exister et d'atteindre nos objectifs.

[Traduction]

Cependant, la situation de Tennis Canada est très unique. Cet organisme à but non lucratif est propriétaire d'un bien qui offre au Canada l'occasion rêvée de présenter un événement de calibre mondial aux Canadiens, qui a d'énormes retombées sur le tourisme et qui fait connaître le Canada au petit écran dans plus de 125 pays. De plus, il est la source de la plupart des fonds consacrés à la promotion du tennis au Canada.

Si le projet de loi C-71 est adopté tel quel, nous aurons des ennuis. Nous avons besoin de votre aide. Si les amendements que nous proposons ne sont pas adoptés, il faudra que le Canada trouve une solution, comme d'autres l'ont fait, par exemple en Australie, qui nous permette de profiter des nouvelles possibilités internationales qui nous attendent et de conserver cet événement prestigieux qui, faute d'action, se déplacera aux États-Unis.

Si les amendements proposés ne sont pas acceptés, il conviendrait, selon nous, d'envisager sérieusement la possibilité de prévoir une exemption spéciale restreinte qui s'appliquerait aux événements internationaux pour éviter que le Canada ne les perde à cause du projet de loi C-71.

[Français]

En terminant, madame la présidente, je voudrais insister à nouveau sur le fait que chez Tennis Canada, nous contribuons largement au mieux-être et à la santé de la société canadienne. Le législateur se doit de trouver une solution qui va nous permettre de continuer.

[Traduction]

La présidente: Monsieur Legendre, je vous remercie.

Vous avez tous, à l'exception peut-être de M. Méthot, dit que ces événements se déplacent vers les États-Unis. Je crois savoir que la Food and Drug Administration des États-Unis restreindra la commandite encore plus que nous l'avons fait au Canada. Même les affiches seront interdites.

Pourquoi craignez-vous tant que ces événements passent aux États-Unis si la FDA a déjà annoncé qu'elle interdira la commandite sous toutes ses formes?

M. Scrimshaw: Nous sommes conscients du règlement que projette de faire adopter la FDA, aux États-Unis. Nous sommes aussi conscients des poursuites entamées devant les tribunaux actuellement à cet égard. Nous croyons savoir qu'il est loin d'être assuré que cette loi sera adoptée. Mes collègues sont peut-être d'un avis différent à cet égard.

Nous avons dit, dans notre exposé, que nous avons besoin de règles du jeu uniformes. Si quelqu'un peut nous garantir que les règles du jeu seront les mêmes pour tous, la situation est peut-être différente de ce que nous envisageons actuellement. Toutefois, selon nos meilleures sources, ce ne sera pas le cas, du moins pas à court terme.

M. Méthot: Il est vrai que M. Clinton a demandé à la FDA de rédiger un règlement qui entrerait en vigueur en 1998. Les pourparlers et les poursuites portent sur deux points. D'une part, on conteste la compétence de la FDA dans ce domaine et, d'autre part, une fois que la question de compétence sera réglée, on invoque la liberté d'expression. Il faudra passer là-bas par le même processus qu'au Canada.

Aux États-Unis, quand on conteste le règlement d'un organe administratif devant les tribunaux, on peut immédiatement demander un sursis. Jusqu'à ce que la Cour suprême des États-Unis se soit prononcée au sujet de la liberté d'expression, aucune des règles ne s'appliquera aux États-Unis.

Quant à la durée du processus, vous en savez autant que moi. Tout comme pour le dernier projet de loi contesté au Canada, il faudra au moins six ans et, au pire, 10 ans. Durant cette période, on continuera d'organiser des courses comme cela se fait aujourd'hui. Par contre, au Canada, les courses cesseront, parce que la loi, si elle est adoptée, s'appliquera dès le 1er octobre 1998.

M. Legendre: La situation de notre tournoi de tennis est différente, parce que nous rivalisons avec une ville des États-Unis pour laquelle le commanditaire en titre n'est pas un fabricant de produits du tabac. Par conséquent, il se peut fort bien que nous perdions l'événement si nous ne pouvons pas offrir aux organes internationaux la garantie que nous avons l'assise financière voulue pour demeurer dans le peloton, si vous me passez l'expression.

Le sénateur Maheu: Ma question porte sur le rapport que nous a soumis la Société canadienne du cancer, le 10 février, et dans lequel elle prétend, en fait, que les États-Unis adopteront la loi en août 1998.

Monsieur Scrimshaw, je me permets de ne pas partager tout à fait votre avis quand vous dites que la course automobile est essentiellement un sport d'adultes. J'ai un petit-fils de 12 ans qui insiste pour que nous regardions tous ces courses à la télévision. Il ne fume pas et, en fait, il déteste l'odeur de la fumée. Je suis d'accord avec vous que l'affiche de Rothman's ne dérange pas Jean-Philippe.

Le sénateur Kenny: Nous avons entendu les arguments juridiques. Je n'ai donc pas l'intention d'y revenir. Des témoins nous ont dit que le projet de loi à l'étude satisfera à tous les critères imposés par la Cour suprême. Mettons cela de côté et voyons ce qui se passe. On nous dit que, quoi qu'il en soit, les tribunaux seront saisis de la question. Par conséquent, attendons de connaître la suite des événements.

Des économistes nous ont aussi affirmé que les conséquences économiques sont très exagérées et que la mesure obligera simplement certains fonds à se déplacer d'une ville du Québec à une autre du Québec. Je leur ai demandé particulièrement si les dépenses touristiques ont beaucoup d'influence. Ils m'ont répondu qu'elles avaient de l'importance, mais qu'elles n'étaient pas un facteur déterminant.

Comment pouvez-vous nous dire que vos événements ont plus d'importance que les 44 000 Canadiens qui mourront l'année prochaine à cause des produits dont vous faites la promotion? Comment pouvez-vous nous affirmer que vos événements ont plus d'importance que les 3 milliards de dollars en coûts directs de santé et les 7 milliards de dollars en coûts indirects que ces produits entraînent au Canada? Pourquoi venez-vous ici porter l'étendard des fabricants de produits du tabac qui tueront des Canadiens?

M. Méthot: Sauf votre respect, sénateur, je suis ici pour le compte de la population de Trois-Rivières et pour les 10 millions de dollars en retombées économiques que lui rapporte cet événement. Je suis également ici pour répondre aux questions concernant ces 40 000 Canadiens. Si j'étais convaincu que l'interdiction de toutes les affiches sur les lieux de l'événement et l'abolition de l'événement même changeraient quelque chose, je serais le premier à les réclamer. Toutefois, ce n'est pas le cas. Dans tout ce qui s'est dit jusqu'ici, rien ne montre que pareilles mesures auront une quelconque influence sur le tabagisme au Canada. Le jour où le projet de loi à l'étude entrera en vigueur, il y aura autant de fumeurs que la veille.

M. Luik l'a bien fait comprendre hier. Il a bien dit que c'est en prêchant par le bon exemple que nous empêcherons les jeunes de commencer à fumer. Il vous a parlé des pressions exercées par les pairs et de tout le reste.

Si le projet de loi exigeait qu'à tous les événements commandités par des fabricants de produits du tabac, des stands soient installés pour distribuer de l'information au sujet des dangers du tabagisme, je serais entièrement d'accord. Ce serait très avantageux parce qu'il y a foule à ces événements. De telles initiatives seraient peut-être avantageuses sur le plan de la santé. L'interdiction des affiches ne le serait pas. Elle nous ruinera sans changer quoi que ce soit au phénomène du tabagisme.

Le sénateur Kenny: Je conviens avec vous et avec M. Luik que la publicité, à elle seule, n'est pas une panacée. Le remède le plus efficace se trouve probablement dans un mélange d'informations et de mesures fiscales.

Je n'ai entendu aucun d'entre vous parler du problème du tabagisme. Je ne vous ai pas entendu dire quoi que ce soit au sujet d'information.

Si vos événements sont si bons, pourquoi ne peuvent-ils pas s'autofinancer? Si vos événements sont si merveilleux, pourquoi les spectateurs refusent-ils de payer le prix réel d'admission, de sorte que vous pourriez vous passer de commanditaires? Si vos événements sont si utiles, comment se fait-il que les fabricants de produits du tabac sont les seuls à vouloir les commanditer? Pourquoi ne pouvez-vous pas trouver d'autres commanditaires, si vos événements sont si merveilleux?

M. Scrimshaw: Je vois que nous avons une divergence d'opinions.

Nous ne sommes pas ici pour débattre des 40 000 vies. Vous citez ce nombre depuis quelques jours. Qu'il soit exact ou faux, c'est ainsi.

Le sénateur Kenny: Donc, vous l'admettez?

M. Scrimshaw: Je n'en sais rien. Pour moi, c'est sans rapport. Ce que je dis, c'est que le projet de loi à l'étude, tel qu'il est actuellement rédigé, n'est pas efficace. Il crée un environnement qui permettra aux courses que nous tenons de se déplacer aux États-Unis et d'être rediffusées au Canada à un plus grand nombre de spectateurs. Le projet de loi éloigne les spectateurs des événements -- des spectateurs dont l'âge moyen est de 31 ans. De plus, il incite les organisateurs à les tenir aux États-Unis où le tabac n'est pas réglementé, d'où ils seront rediffusés aux Canadiens.

L'amendement que nous proposons fait en sorte que, si ces événements ont lieu dans nos villes, ils seront diffusés aux Canadiens selon certaines règles bien définies. C'est l'essentiel.

Le sénateur Kenny: Parlons tennis. J'ai devant moi un article paru dans le Montreal Gazette. On y voit une photographie de Monica Seles campée entre deux policiers de la Gendarmerie royale. Elle vient tout juste de gagner, s'il faut en croire la manchette, l'Omnium du Maurier.

Quand j'ai vu la photo, je me suis demandé que diable faisaient deux policiers de la Gendarmerie royale en train de faire la publicité de cigarettes au Canada? Pour quelle raison ces gars-là se trouvaient-ils à l'événement? Ils représentent une institution canadienne de valeur. Que faisaient-ils là?

Le sénateur Nolin: Il faudrait poser la question au gouvernement, sénateur Kenny.

Le sénateur Kenny: J'ai appelé le commissaire Murray et lui ai demandé pourquoi des policiers de la Gendarmerie royale faisaient la promotion de cigarettes qui tuent des Canadiens. Voici la réponse: «Non; ils ne font pas la promotion de cigarettes; ils sont présents au Championnat mondial de tennis pour femmes du Canada.»

J'ai rétorqué: «Vous plaisantez sûrement. Avez-vous regardé la télévision? Avez-vous lu les journaux? Avez-vous vu les photos? Est-il question quelque part du Championnat mondial de tennis pour les femmes au Canada?» Cette mention ne figure nulle part. On parle de l'Omnium du Maurier.

M. Legendre: C'est le nom de l'événement.

Le sénateur Kenny: C'est effectivement le nom de l'événement. Comme par hasard, c'est aussi ce qu'achètent les jeunes. Ne croyez-vous pas que les jeunes s'intéressent au tennis? Bien sûr, qu'ils s'y intéressent!

M. Legendre: Nous faisons la promotion du tennis. Les spectateurs qui assistent à nos événements sont aussi d'avis qu'il s'agit de tennis. Je ne crois pas que, lorsqu'ils viennent au stade, ils ont le goût d'acheter des cigarettes. Non. L'événement leur donne plutôt le goût de jouer au tennis.

La meilleure façon d'encourager la santé -- je fais peut-être erreur -- demeure la pratique d'un sport. Quand j'entends le gouvernement dire qu'il accorde la priorité à la santé, je suis d'accord. Le tennis, le sport et la santé sont toute ma vie. Où se situe le sport actuellement sur la liste des priorités du gouvernement? Pouvez-vous me dire de quel ministère relèvent les sports? Le sport est au bas de la liste des priorités. Pourtant, la santé est importante.

Oui, nous croyons que la santé est importante. C'est ce dont nous faisons la promotion. Vous nous dites que nous ne faisons rien pour faire diminuer le tabagisme, mais que sommes-nous en train de faire ici? Nous demandons des amendements. Nous ne sommes pas opposés à l'idée de légiférer. Nous n'affirmons pas que le projet de loi à l'étude est sans valeur. Nous disons plutôt qu'il faut en modifier une partie. Le ministre de la Santé a lui-même déclaré qu'il ne souhaitait pas interdire la commandite de notre événement.

Le sénateur Kenny: Je ne suis pas ministre de la Santé et je ne parle pas en son nom.

M. Legendre: Nous sommes ici pour régler un problème avec lequel est aux prises le Canada. La solution consiste à trouver un terrain d'entente. Hier, j'ai entendu dire que les amendements étaient un écran de fumée. C'est un beau jeu de mots. Les avez-vous lus, les amendements? Certains des points que nous proposons ont des conséquences autrement plus graves sur nous que ce que prévoit actuellement le projet de loi. Revenons à l'essentiel, soit de trouver une solution équitable. C'est tout ce que nous demandons.

Le sénateur Kenny: Quand il y a une annonce, on est libre de la regarder ou pas. On se dit: «Encore une annonce! Je n'ai pas à la regarder; rien ne m'y oblige». Quand les fabricants du produit du tabac se lancent dans la promotion, chaque fois que l'on regarde une image à la télévision, on voit une mention du produit. Chaque fois que l'annonceur parle de l'événement, le nom du produit est mentionné. Le lendemain, quand on ouvre le journal, il n'y a rien au sujet de l'omnium de tennis des femmes. Par contre, le produit est constamment mentionné.

Je crains de le mentionner ici parce qu'il en sera question ce soir, à la télévision. Il ne faudrait pas que votre produit soit mentionné comme cela parce que c'est son omniprésence à l'actualité et le mode de vie véhiculé qui incite nos jeunes à fumer. Vous prétendez que le seul enjeu concerne les courses automobiles ou les tournois de tennis, mais ce n'est pas vrai. Le véritable enjeu est la santé et la sécurité des Canadiens. La question est de savoir si nous allons permettre que l'on tue ces personnes. L'enjeu est le coût de la santé qu'il faut assumer. Seuls les résultats financiers de vos événements semblent vous préoccuper.

Le sénateur Nolin: Ce ne sont pas eux, mais vous qui le dites.

Le sénateur Kenny: Je l'affirme volontiers.

M. Dearden: On nous accuse de jouer la comédie. La juge McLachlin ne faisait pas semblant quand elle a déclaré qu'il lui était difficile d'imaginer comment la présence du logo d'un fabricant de produits du tabac sur un briquet pouvait inciter à consommer davantage de tabac. C'est la norme à respecter, en tant que Comité des affaires juridiques et constitutionnelles. Vous êtes obligé de vous y conformer, monsieur.

Le sénateur Kenny: Nous verrons ce qui se produira quand le tribunal sera appelé à trancher.

M. Dearden: Placez le logo d'un fabricant de produits du tabac sur une automobile et prouvez qu'il a les effets dont vous venez de parler. La juge McLachlin, au nom de la majorité des juges de la Cour suprême, a statué qu'il n'aura pas cet effet et que de prétendre autrement défie la raison.

Le sénateur Kenny: Madame la présidente, j'ai fait valoir un point au début...

La présidente: Sénateur Kenny, c'est maintenant au tour du sénateur Pearson.

Le sénateur Kenny: Madame la présidente, je vous remercie.

Le sénateur Pearson: L'enjeu -- vous êtes probablement d'accord avec moi -- est de savoir comment diversifier vos sources de financement. Je n'ai pas entendu un seul d'entre vous affirmer qu'il était satisfait d'avoir pour seuls commanditaires des fabricants de produits du tabac. Naturellement, j'aimerais bien que les fabricants de ces produits consacrent leur temps, leur énergie et leur argent, du moins en partie, à trouver un autre produit tout aussi attrayant, mais moins nocif. Ce serait merveilleux s'ils mettaient au point un produit qui a l'air du tabac, qui dégage l'odeur du tabac et ainsi de suite, mais qui ne tue pas. Ce serait mon choix à long terme.

J'ai toujours aimé regarder les tournois de tennis, mais je suis également consciente que ces fabricants y sont associés. Je sais qu'il est impossible d'établir un lien direct entre la présence d'un logo et la décision d'un jeune de fumer. Toutefois, les jeunes décident de fumer, entre autres nombreuses raisons, parce que le produit est associé à tant de prestige, d'aventures et de vie trépidante.

Je ne crois pas qu'il soit possible de départager les responsabilités. C'est un dilemme. Vous avez un important programme en place et vous faites beaucoup de bonnes choses. Durant notre examen du projet de loi à l'étude, nous essayons de voir ce qui est le plus avantageux et le moins nocif. En dépit des avertissements de l'Organisation mondiale de la santé et des pressions exercées aux États-Unis, on pourrait effectivement retarder l'entrée en vigueur de toutes sortes de mesures législatives, entre autres, mais certains États ont aussi commencé à traîner les fabricants de produits du tabac devant les tribunaux. Vous ne voudriez pas que les organisateurs d'un de vos événements soient tenus responsables parce qu'ils étaient associés à un fabricant de produits du tabac. Le monde entier est en train de prendre conscience du fait que le tabac tue. Nous essayons tous de trouver un moyen de réduire l'attrait qu'exerce ce produit sur les jeunes.

Si nous trouvons un moyen efficace, les fabricants de produits du tabac achèteront moins de commandites, et il faudra alors trouver d'autres commanditaires. Il nous faut donc tenir compte, en partie, des autres sources éventuelles. Je sais que cette situation pose un problème pour vous.

M. Legendre: Madame la présidente, je précise que les fonds versés directement par du Maurier pour un seul tournoi représentent 2,5 millions de dollars. Nous avons essayé de trouver d'autres commanditaires. Nous comptons 30 grands commanditaires à Montréal. Leur contribution totale atteint 1,3 million de dollars. La plus importante commandite, parmi ces 30 commanditaires, est de 200 000 $. Que ferons-nous si nous perdons ces 2,5 millions de dollars? Faudra-t-il rencontrer un de ces commanditaires et lui dire qu'il faut qu'il paie 10 fois plus?

Il y a effectivement foule à ces événements. Oui, nous faisons de notre mieux pour être rentables. Le résultat financier est ce qui permet aux jeunes de jouer au tennis. Si c'est mal, alors, je ne comprends plus.

M. Scrimshaw: Notre préoccupation à l'égard du projet de loi va au-delà des avantages financiers directs que nous pourrions tirer d'un fabricant de produits du tabac. De toute évidence, nous sommes opposés au projet de loi parce que notre produit, la course automobile, deviendrait illégal si le projet de loi était adopté.

Les automobiles de course qui font actuellement partie de la série Indy et qui seraient visées par le projet de loi sont essentiellement, exception faite de celles de Player's, commanditées par des fabricants de produits du tabac des États-Unis qui ne vendent pas de produits au Canada, soit Malboro et Cool. Le troisième est en réalité brésilien.

Par conséquent, nous risquons de perdre ces courses automobiles essentiellement pour des marques qui ne sont même pas vendues ici. Nous avons dit que nous accepterions un règlement établissant une distinction entre la promotion sur place et à l'extérieur. Tout ce qu'il nous faut, ce sont les automobiles. La question déborde largement du cadre économique.

Le sénateur Beaudoin: J'aimerais revenir sur l'excellente question que vous avez posée au début. Je n'ai pas encore entendu la réponse, madame la présidente. Les témoins nous disent que ces événements se déplaceront aux États-Unis. Ensuite, quelqu'un leur a répondu qu'aux États-Unis, la loi sera contestée devant les tribunaux.

[Français]

Le Sénat est une chambre législative, nous devons adopter, rejeter les projets de loi ou nous devons les amender. Nous sommes conscients que quelqu'un pourrait soulever l'inconstitutionnalité d'un projet de loi et nous faisons de notre mieux pour adopter des lois qui sont constitutionnelles, respectueuses des droits et libertés, tout en sachant très bien que cela pourra toujours être soulevé devant les tribunaux.

Je me demande, M. Méthot, si nous pouvons répondre que ce n'est pas important parce que, aux États-Unis, cela sera entendu devant la Cour Suprême dans un délai qui peut varier de 6 à 8 ans ? La même chose peut arriver au Canada. Comme Chambre législative, nous nous devons de prendre une décision tout de suite, nous ne pouvons attendre la décision des tribunaux. Nous essayons de ne pas voter des lois illégales ou inconstitutionnelles, mais nous ne pouvons pas empêcher les gens de se présenter devant les tribunaux; au contraire. C'est la règle de droit.

Comment répondez-vous à l'argument de notre présidente à l'effet que cela ne résout pas la situation de dire que chez les Américains, tout sera possible, parce que ces questions seront devant les tribunaux américains pendant six, sept ou huit ans? La même chose peut arriver au Canada, le projet de loi pourrait être contesté. À prime abord, le projet de loi est bon, nous sommes d'accord avec ses principes généraux, mais il peut toujours être contesté.

Je ne crois pas que ce soit une solution de dire que ce sera contesté et que l'on peut agir en attendant. Vous avez évoqué aussi «la règle du stay» pour les tribunaux administratifs. J'aimerais vous entendre là-dessus.

M. Méthot: Sans vouloir me constituer expert en droit américain, je suis tout de même avocat, membre du Barreau du Québec. Il me fait plaisir d'aborder cette question d'un angle juridique. Je vais être obligé de vous faire un parallèle. Lorsque l'on me pose la question au sujet de la réglementation de la FDA, qui doit entrer en vigueur au mois d'août 1998 aux États-Unis...

Le sénateur Beaudoin: Seulement les règlements?

[Traduction]

La présidente: Aux États-Unis, ils n'adoptent pas un projet de loi.

Le sénateur Nolin: C'est l'argument invoqué.

La présidente: On prend plutôt un règlement.

[Français]

M. Méthot: Ces règlements vont entrer en vigueur en 1998. Il y a deux aspects: l'aspect juridique interprété strictement et l'aspect commercial du commerce en Amérique du Nord.

Lorsque nous discutons avec les gens qui se sont vu imposer des sanctions, CART, par exemple, et qu'on leur parle des lois qui s'en viennent aux États-Unis, ceux-ci ne semblent pas contrariés par ce projet de réglementation. Ils savent très bien que lorsque le FDA vote des règlements, s'ils sont contestés par injonction, il n'y a rien qui s'applique tant et aussi longtemps qu'une cour de dernière instance n'aura pas tranché.

Le sénateur Beaudoin: Est-ce une injonction?

M. Méthot: Oui, c'est une injonction.

Le sénateur Beaudoin: C'est automatique?

M. Méthot: C'est automatique lorsqu'il s'agit d'un «administrative governing body», ce que constitue la FDA. Ils ne sont pas contrariés tant et aussi longtemps que la Cour suprême des États-Unis n'aura pas tranché sur l'aspect de la liberté d'expression commerciale. Nous entendons souvent cela. Ils se disent que s'ils ont cinq, six à sept ans...

Le sénateur Beaudoin: ... de liberté provisoire.

M. Méthot: Oui, de liberté. On ne connaît pas à l'avance la décision de la Cour suprême. Je ne sais pas si vous êtes un amateur de cinéma; dans le film The People versus Larry Flynt, on y voit l'interprétation très libérale qu'accorde la Cour suprême des États-Unis à la liberté d'expression.

Le sénateur Beaudoin: Oui, oui, c'est sûr.

M. Méthot: Nous ne pouvons présumer de ce que la Cour suprême américaine fera, mais ce que l'on sait par contre, c'est que sur une base pratico-pratique, il y aura un délai passablement long avant qu'ils soient fixés là-dessus. Cette réglementation n'aura pas d'application tant et aussi longtemps que cela ne sera pas déterminé. Nous n'avons pas le même système de droit, nous savons que dès le moment où le projet de loi C-71 sera en vigueur et que les articles de mise en vigueur seront en force, il sera appliqué. Vous savez aussi bien que moi que nous ne demandons pas d'injonction quant à l'application d'une loi lorsqu'on la conteste. Il y a un débat là-dessus, mais ce n'est pas clair. Pour nous, le projet de loi C-71 serait applicable et les Américains bénéficieront d'un délai. S'ils ne peuvent pas courir avec leurs équipes et leurs équipements, ils vont abandonner le Canada. C'est clair! C'est une décision d'affaires pour eux. C'est devant cela que nous sommes actuellement.

[Traduction]

Le sénateur Beaudoin: Vous dites qu'en raison du cadre juridique et constitutionnel des États-Unis, toutes les mesures seraient suspendues pour un certain temps pouvant s'étirer jusqu'à six, sept ou huit ans. Entre-temps, naturellement, vous êtes libres de faire comme bon vous semble. Est-ce bien votre argument?

M. Méthot: Dans l'intervalle, au Canada, les mesures seraient en vigueur. Les Américains se retireraient donc de l'événement.

Le sénateur Beaudoin: C'était là ma question.

La présidente: Pour bien répondre à cette question, il faudrait entendre un expert du droit constitutionnel américain.

Le sénateur Beaudoin: Pourquoi pas?

La présidente: En réalité, le droit américain établit une nette différence entre la liberté d'expression commerciale et la liberté d'expression tout court. Aux États-Unis, les tribunaux ont tracé une nette ligne de démarcation entre les deux.

Le sénateur Nolin: Nos tribunaux aussi!

Le sénateur Beaudoin: Cette question est réglée au Canada. La liberté d'expression s'applique au droit commercial.

[Français]

Le sénateur Nolin: Messieurs, vous représentez le monde des courses automobiles au Canada. Il m'aurait fait plaisir d'entendre les gens du Grand Prix de Montréal, mais nous étions convaincus que vous seriez capables de défendre leur point de vue.

Est-ce que vous avez été consulté par Santé Canada tout au cours de la préparation de cette mesure législative? Est-ce que vous avez demandé ou offert des avis?

M. Méthot: La proposition qui, au départ, avait été faite par le ministère de la Santé, de donner notre point de vue à l'étape préliminaire du projet de loi...

Le sénateur Nolin: En janvier 1996.

M. Méthot: C'est ça. Nous avions écrit à ce moment-là pour dire que cela aurait des impacts pour nous, dépendamment de comment cela se traduirait concrètement. Nous voulions être entendus pour faire valoir le point de vue du monde des courses et faire valoir comment nous pourrions circonscrire cela afin de conserver une viabilité à l'événement tout en rejoignant les objectifs de la loi et du ministère de la Santé.

Le sénateur Nolin: Vous leur avez dit cela par écrit?

M. Méthot: Par écrit. Il y a eu des lettres pour dire que nous voulions faire valoir notre point de vue, mais nous n'avons pas eu de réponse. Tout ce que nous avons reçu, ce sont des commentaires de l'un et de l'autre. C'est à ce moment que l'alliance s'est regroupée pour essayer de comprendre ce qui se passait et de connaître l'information disponible.

Il n'y a pas eu de rencontre concrète non plus jusqu'à ce que nous en arrivions à l'étape du projet de loi C-71 qui a été déposé en novembre dernier, où à ce moment nous avons rencontré des gens. J'ai toujours demandé à rencontrer les gens du ministère de la Santé, mais cela n'est pas arrivé. Nous n'avons pas eu droit à une rencontre pour faire valoir notre point de vue. Nous avons rencontré beaucoup de gens durant les derniers mois, et il nous est apparu clairement que l'on ne pouvait présumer des effets que cette loi, telle que rédigée, pourrait avoir sur les événements, il y avait une incompréhension. Plus nous avancions dans le dossier, plus cela nous est apparu clairement. C'est pour cette raison que nous avons suivi l'étape du système législatif afin de faire valoir notre point de vue.

Aujourd'hui, il y a une meilleure compréhension. Cela a des impacts tout à fait importants.

Le sénateur Nolin: Est-il exact de dire que le débat législatif actuel crée un problème? Qu'en est-il au niveau du tennis, par exemple?

M. Legendre: Sur la scène internationale, c'est la première question que nous nous sommes fait poser: que va-t-il vous arriver avec ce projet de loi? Vous allez perdre votre commanditaire en titre. Êtes-vous capables de suivre la parade internationale? Êtes-vous capables d'être un ces super 7-là?

Le sénateur Nolin: Monsieur Legendre, vous êtes plus facilement en contact avec les gens de Sport Canada; avez-vous discuté avec eux des effets du document déposé en janvier 1996? Vous ont-ils écouté? Est-ce qu'ils ont entrepris à tout le moins des discussions avec vous?

M. Legendre: Il faut comprendre qu'il y a des éléments bien précis du projet de loi qui nous étaient inconnus avant novembre dernier. C'est ce qui fait qu'il devenu problématique.

Nous devons bien prendre le temps de comparer le projet de loi C-71 et les amendements, parce que ce n'est pas si simple à comprendre. Ce n'est pas tout le monde qui est familier avec la «business» de la commandite et encore moins avec la «business» de la commandite en titre.

Si nous disons à un commanditaire en titre que nous ne pourrons pas afficher son nom à la télévision et à la radio et que leurs dépliants ne pourront être distribués dans les clubs de tennis; cela devient un problème majeur. Peut-être que le législateur n'a pas compris cela. Il y a actuellement un énorme malentendu, un énorme fossé entre les deux clans. Le projet d'amendement est un compromis raisonnable qui réunirait tout le monde. Pourquoi ne pas le regarder attentivement? Je ne crois pas qu'il y aura plus de décès et plus de tabagisme si l'on accepte le projet d'amendement que l'on propose et qui réglerait le sort de tout le monde.

Le sénateur Nolin: Vous parlez de l'amendement déposé hier par l'alliance?

M. Legendre: Tout à fait.

[Traduction]

La présidente: Sénateur Nolin, je vous remercie. J'aurais deux brèves questions à poser.

Je m'adresse d'abord à vous, monsieur Legendre. Le fabricant du Maurier vous a-t-il précisé, d'une manière ou d'une autre, s'il avait l'intention de continuer à faire de la commandite, à la suite de l'adoption du projet de loi C-71?

M. Legendre: Il nous a affirmé que, si le projet de loi est adopté tel quel, il ne renouvellera pas sa commandite.

La présidente: Monsieur Scrimshaw, j'avoue ne pas être une experte de la course automobile. Cependant, je crois savoir qu'en France, toutes les commandites sont interdites depuis 1993, y compris l'affichage, la présence de logos, soit tout ce que prévoit le projet de loi à l'étude. L'industrie française du sport automobile en a-t-elle souffert?

M. Scrimshaw: Il ne faudrait pas oublier certaines choses quand il est question de l'exemple français. La plus importante peut-être, selon nous, est le fait qu'il s'agit de deux séries très distinctes. La Formule 1 est un championnat mondial alors que, le plus souvent, les courses tenues dans certains autres pays sont des courses nationales.

Quand les organisateurs de la Formule 1 se sont pliés aux exigences de la loi en France, il serait juste de dire qu'il s'agissait du pays le plus important pour eux, en termes de courses. Leurs principales sources d'appui étaient Peugeot, Elf et Renault. Je ne suis pas sûr qu'ils accepteraient ces conditions aujourd'hui.

Fait plus important encore, il faut tenir compte de la structure des courses CART/Indy. À toutes fins pratiques, il s'agit d'une série de courses américaine. Il y a 17 courses: une au Brésil, une en Australie, deux au Canada et 13 aux États-Unis. Dans le cas des courses automobiles Indy, les organisateurs sont beaucoup plus libres de les déplacer vers d'autres centres des États-Unis. Pour tout vous dire, c'est justement la possibilité qu'ils envisagent actuellement.

Nous savons, par exemple, qu'un certain nombre de villes américaines, dont Houston, lorgnent du côté de Vancouver et attendent que la loi soit adoptée. Alors que les organisateurs de la Formule 1 auront de la difficulté à tenir la course ailleurs, ceux des courses automobiles Indy peuvent plier bagages du jour au lendemain.

La présidente: Je vous remercie de vos exposés.

Honorables sénateurs, le prochain panel comprend des représentants de la Société canadienne du cancer, de l'Institut canadien de la santé infantile et de l'Association médicale canadienne.

Je vous souhaite la bienvenue. Vous avez la parole.

Mme Jenny Tipper, coordonnatrice de la recherche, Institut canadien de la santé infantile: J'aimerais tout d'abord vous remercier de nous avoir invités à donner notre opinion au sujet du projet de loi C-71 et de son incidence sur la santé et le bien-être futurs de nos enfants.

Depuis 20 ans, l'Institut canadien de la santé infantile oeuvre dans le domaine de la promotion de la santé et de la prévention en vue de favoriser un sain développement de tous les enfants. À cette fin, il s'inspire de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant dont le Canada est signataire.

Je suis sûre que vous connaissez tous les droits fondamentaux de la personne que garantit la convention à tous les enfants et à tous les jeunes. L'article 17, qui encourage l'élaboration de lignes directrices pertinentes visant à protéger les enfants de l'information et du matériel pouvant nuire à leur bien-être, est d'une importance toute particulière, tout comme l'article 24, qui reconnaît à l'enfant le droit de jouir des meilleures normes de santé possibles.

Je ne saurais trop insister sur l'importance du projet de loi C-71 pour la santé et le bien-être de tous les Canadiens, mais plus particulièrement des enfants et des jeunes. L'adoption du projet de loi à l'étude offre au Canada l'occasion rêvée d'assumer un peu mieux ses obligations à l'égard de nos jeunes.

Un des objectifs énoncés du projet de loi C-71 est de protéger la santé des Canadiens, compte tenu des preuves établissant, de façon indiscutable, un lien entre l'usage du tabac et de nombreuses maladies débilitantes ou mortelles.

Les enfants sont particulièrement vulnérables aux effets du tabac. Le drame est que, chaque jour, on estime à 2,8 millions le nombre d'enfants canadiens de moins de 15 ans qui sont exposés à la fumée du tabac dans leur foyer. Des millions d'autres enfants sont obligés de respirer la fumée du tabac dans les écoles, les restaurants, les garderies, les automobiles, les bus et les endroits publics. Les enfants sont particulièrement vulnérables aux effets du tabac parce qu'ils sont plus petits. Leur corps absorbe proportionnellement plus de substances que celui des adultes. Leur respiration est plus rapide et ils inhalent plus d'air et de polluants par kilogramme de poids. Le développement physique des enfants est moins avancé. Leur système immunitaire les protège donc moins. Les cellules de leur corps sont en pleine croissance et sont peut-être plus vulnérables aux attaques chimiques que les cellules d'adultes qui ont atteint la maturité.

Les effets nocifs du tabac sur la santé des adultes sont bien connus et bien documentés. La façon dont le tabac nuit à la santé des enfants est peut-être moins bien connue, mais les faits scientifiques sont tout aussi convaincants. Parmi les effets sur la santé et la vie des enfants, on inclut un risque accru de faible poids à la naissance. Les femmes qui fument ont en effet deux fois plus de chances au moins de donner naissance à un enfant de faible poids, c'est-à-dire de moins de 2 500 grammes. Ces enfants sont également plus susceptibles de mourir au berceau. En effet, la femme qui fume pendant sa grossesse accroît le risque que son nouveau-né soit frappé par la mort soudaine du nourrisson.

Les bébés exposés à la fumée du tabac sont au moins deux fois plus susceptibles que les autres de mourir au berceau. Les enfants eux risquent davantage d'avoir une fonction pulmonaire réduite. Les symptômes d'affections des voies respiratoires comme la toux, la mucosité et la respiration sifflante sont chez eux de 1,2 à 2,4 fois plus fréquents. Ils ont plus souvent des otites, le nez qui coule et des infections de la gorge. Ils sont plus souvent hospitalisés pour des bronchites et des pneumonies. Ils sont plus susceptibles d'être asthmatiques que les enfants de non-fumeurs. Les enfants asthmatiques exposés à la fumée du tabac ont des attaques plus fréquentes et plus graves. Ils éprouvent plus souvent des maux d'yeux, de nez et de gorge. Ils sont plus susceptibles d'être irritables et, en tant que bébés, plus susceptibles de refuser la tétée et de régurgiter le lait.

Les enfants qui vivent avec des fumeurs courent également un risque accru. Ceux dont les parents fument courent un plus grand risque de mourir ou d'être blessés dans un incendie causé par la cigarette. Les enfants qui grandissent auprès de parents fumeurs sont plus susceptibles de devenir eux-mêmes des fumeurs. Le lait de mères fumeuses peut parfois contenir plus de cinq fois le niveau de nicotine que l'on retrouve dans le lait maternel d'une non-fumeuse.

Ce sont là des problèmes de santé directement attribuables à l'exposition à la fumée de tabac. La preuve en est faite. Il faut limiter la mesure dans laquelle les enfants sont exposés, soit directement soit indirectement, aux effets nocifs du tabac. Compte tenu de ces faits, l'institut soutient que la réglementation visant la vente et la promotion des produits du tabac est cruciale pour protéger la santé et le bien-être futurs de tous les Canadiens, plus particulièrement des enfants et des jeunes.

Les ventes de tabac menacent directement les enfants. La statistique sur l'usage du tabac chez les jeunes est alarmante. Depuis 1994, il est passé de 21 à 29 p. 100 chez les jeunes de 15 à 19 ans. Les fabricants de produits du tabac prétendent qu'ils sont contre la vente de tabac à des mineurs. Pourtant, on estime qu'en 1991, la vente de cigarettes au détail à de jeunes Canadiens âgés de 12 à 19 ans leur a rapporté 450 millions de dollars. Il est nécessaire d'adopter de stricts règlements concernant la publicité du tabac pour protéger les enfants parce que, disons-le franchement, la publicité est efficace. Elle fait exactement ce qu'elle est censée faire. Elle vend des cigarettes.

Plusieurs études ont révélé que les enfants sont capables d'identifier la marque des cigarettes et les slogans dans des annonces dont ont été retirées ces mentions. Cette association est encore plus forte chez les mineurs qui ne fument pas.

La publicité menée par les fabricants de produits du tabac s'adresse directement aux enfants. Dans un document confidentiel de stratégie de marketing de 1988, Imperial Tobacco reconnaît que les entreprises qui répondent le mieux aux besoins des jeunes fumeurs domineront le marché. En raison de la vulnérabilité des enfants et des jeunes et du fait qu'il est impossible de les protéger complètement des annonces destinées à la population adulte, l'Institut canadien de la santé infantile appuie les restrictions qu'impose le projet de loi C-71 sur la promotion du tabac et des produits du tabac.

Il faut aussi restreindre la commandite de l'industrie du tabac en vue de protéger la santé des enfants. L'industrie utilise depuis longtemps des façades, c'est-à-dire des raisons sociales et des logos presque identiques à la marque du produit du tabac pour faire du marketing dynamique sans restriction auprès de groupes de consommateurs particulièrement ciblés dont bon nombre sont des jeunes.

À titre d'exemple, Imperial Tobacco a fait la promotion de ses cigarettes de marque Matinée, une marque populaire destinée aux femmes, grâce à une société fictive, Matinée Limited Fashion Foundation. Cette fondation de la mode a ostensiblement été créée pour octroyer des subventions à de jeunes dessinateurs de mode canadiens. Cependant, elle fournit aussi à Imperial Tobacco un moyen d'associer les cigarettes Matinée à une industrie qui attire les jeunes, plus particulièrement les jeunes femmes et les adolescentes.

Les commandites associent le tabac au prestige et à la vie trépidante des événements sportifs et culturels. Elles sont en contradiction directe avec les messages de santé et de sécurité que reçoivent les enfants à l'école. La subtile distinction entre la publicité par commandite et la publicité de produits du tabac n'échappe pas à la plupart des jeunes canadiens. Lors d'une étude effectuée récemment, 53 p. 100 des jeunes interrogés ont déclaré que le sujet d'une affiche annonçant une course commanditée par Player's Limitée était la cigarette. Seulement 4 p. 100 d'entre eux ont répondu qu'elle faisait la promotion d'une course commanditée par Player's.

L'Institut canadien de la santé infantile ne dit pas que les compagnies de tabac n'ont pas de rôle à jouer dans le financement des manifestations sportives et culturelles. En fait, il est important de préserver les avantages que procure la commandite aux enfants et aux jeunes. Il n'y a rien dans le projet de loi qui empêche cette industrie de financer les activités sportives et culturelles auxquelles participent les Canadiens.

Je tiens à dire, pour terminer, que nous avons tous un rôle à jouer dans l'éducation de nos enfants et de nos jeunes. Toutefois, les Canadiens doivent être informés des risques que courent nos enfants lorsque nous les exposons à la fumée du tabac ou lorsqu'ils ont facilement accès à des produits du tabac.

Le projet de loi C-71 permet au gouvernement canadien de réglementer de manière efficace la fabrication, la vente, l'étiquetage et la promotion des produits du tabac. L'Institut canadien de la santé infantile prie les membres du Sénat du Canada de respecter leur engagement de protéger et de promouvoir la santé et le bien-être des enfants et des jeunes de ce pays, et d'adopter sans délai le projet de loi C-71. Merci.

[Français]

Mme Judith Kazimirski, présidente, Association médicale canadienne: Madame la présidente, au nom des médecins du Canada, l'Association médicale canadienne remercie le comité de lui permettre de présenter son point de vue sur le projet de loi C-71.

[Traduction]

Je suis la présidente de l'Association médicale canadienne. Je suis aussi médecin de famille à Windsor, en Nouvelle-Écosse. Le conseiller juridique de l'Association est présent dans la salle. Si le comité désire poser des questions juridiques détaillées, je demanderai, avec votre permission, au conseiller juridique d'y répondre.

L'Association médicale canadienne est le porte-parole national de la profession médicale. Notre mission est de jouer un rôle de chef de file auprès des médecins et de promouvoir les normes les plus élevées de santé et de soins de santé pour les Canadiens.

Au nom de ses 45 000 membres et de la population canadienne, l'Association médicale canadienne remplit divers rôles: elle préconise notamment l'adoption de politiques et de stratégies de promotion de la santé et de prévention des maladies et des accidents. C'est à ce titre que nous comparaissons devant vous aujourd'hui.

Le projet de loi C-71, la Loi sur le tabac, représente une nouvelle attaque contre la principale cause de décès et de maladies évitables au Canada. Il y a longtemps que les médecins et l'Association médicale canadienne sont aux premières lignes de la lutte contre le tabac. L'Association médicale canadienne a en fait diffusé son premier avertissement public sur les dangers du tabac en 1954 et prend position contre le tabac depuis.

Permettez-moi d'être très claire: le tabac est mortel et toxicomanogène. Il tue plus de 40 000 personnes par année et coûte 3,5 milliards de dollars par année en dépenses directes au système de soins de santé du Canada. Ce montant ne tient même pas compte des coûts liés aux incapacités, de la perte de productivité, des douleurs et des souffrances humaines.

Comme médecins, nous traitons de nombreux patients qui souffrent des effets d'un tabagisme prolongé et nous sommes témoins du carnage que cette substance dangereuse cause dans les familles du Canada.

Comme le ministre de la Santé, l'Association médicale canadienne est d'avis que le tabac constitue un grave risque pour la santé de nos jeunes. En tant que médecin, je sais que beaucoup de jeunes commencent à fumer à 12 ou 13 ans. Quelque 250 000 jeunes âgés entre 10 et 19 ans commenceront à fumer cette année. Le tiers de ces jeunes finiront par mourir de maladies liées au tabac.

Les adolescentes constituent actuellement le segment du marché du tabac qui connaît la croissance la plus rapide. Personne ne niera qu'il faut réglementer cette substance mortelle.

Mesdames et messieurs, la controverse suscitée par le tabac depuis quelque temps ne porte pas sur la nécessité de protéger les jeunes contre le tabac. Elle porte plutôt sur les propositions contenues dans le projet de loi C-71 pour restreindre la publicité et la mesure dans laquelle les producteurs de tabac peuvent utiliser leurs marques de tabac dans le contexte d'événements commandités.

La question de savoir si la publicité et la commandite augmentent la consommation de tabac a suscité beaucoup de discussions. Nous sommes d'avis qu'il y a un lien de cause à effet. C'est pourquoi l'Association médicale canadienne recommande officiellement d'interdise complètement toute publicité sur le tabac et toute commandite.

De plus en plus d'études établissent un lien entre la publicité sur le tabac et la consommation. Une étude documentaire détaillée effectuée récemment par l'Institut national du cancer du Canada a conclu que le lien est réel, surtout chez les jeunes. Nos jeunes réagissent davantage à la publicité que les fumeurs âgés. Nos jeunes sont trois fois plus susceptibles de changer de marque que les adultes qui fument depuis longtemps et préfèrent une marque en particulier.

Une étude importante publiée dans le Journal of American Medical Association a révélé que les cigarettes Camel occupaient la deuxième part de marché en importance chez les jeunes, une part qui a augmenté de plus de 200 p. 100 depuis que le fabricant a repositionné son produit en présentant Joe Camel, beau parleur bien connu des amateurs de bandes dessinées.

L'industrie du tabac vend très habilement son produit. Dans une affaire qui a établi un précédent aux États-Unis, le fabricant de produits du tabac Liggett a admis non seulement que les produits du tabac sont toxicomanogènes, mais aussi, ce qui est plus important, que l'industrie du tabac en fait la commercialisation auprès des jeunes. Cet aveu confirme ce que l'on soupçonnait depuis des années et ce que des preuves scientifiques démontrent maintenant. De nouvelles preuves surgissent d'ailleurs tous les mois.

Réduirait-on la consommation en interdisant la publicité? En 1992, le ministère de la Santé du Royaume-Uni a étudié les tendances mondiales et relevé une baisse de 2,8 p. 100 de la consommation de tabac au Canada, diminution qu'il a attribuée à l'interdiction de la publicité imposée en 1988. Ce chiffre représente plus de 200 000 fumeurs de moins au Canada.

L'industrie du tabac a commandité récemment d'innombrables événements sportifs et culturels. Elle se sert souvent de ces événements comme occasion d'afficher une marque, un logo ou une autre caractéristique identifiable. Cette commandite constitue-t-elle une forme de publicité? Oui, pour les jeunes.

Dans le cadre de l'enquête de 1994 sur l'usage du tabac chez les jeunes menée par Santé Canada, presque tous les répondants, fumeurs et non-fumeurs, ont considéré la commandite comme une façon d'annoncer certaines marques de cigarettes en particulier. La moitié des jeunes répondants étaient d'avis que la commandite était une façon d'encourager les jeunes à fumer.

L'année dernière, dans le mémoire qu'elle a soumis à Santé Canada au sujet du plan directeur, l'Association médicale canadienne a recommandé d'interdire l'utilisation des noms, des logos et des couleurs associés à des produits du tabac au cours d'événements publics commandités par des fabricants de tabac. La promotion du tabac n'est qu'un des nombreux facteurs qui poussent les enfants à commencer à fumer. Parmi les autres facteurs importants, mentionnons les influences sociales, la pression des pairs et le prix. On commence à fumer non pas à cause d'un seul facteur en particulier, mais plutôt d'une puissante combinaison de nombreux facteurs.

Nous recommandons l'adoption d'une stratégie détaillée qui comprend des restrictions relatives à la publicité et à la promotion, des taxes et des prix élevés, l'interdiction de vendre aux mineurs, des campagnes d'éducation du public afin de décourager le tabagisme et des conseils par les médecins et d'autres professionnels de la santé afin d'aider les fumeurs à cesser de fumer. Le programme complet d'activités, qui s'appuiera sur une mesure législative rigoureuse, est essentiel si l'on veut avoir un impact global sur le début du tabagisme et l'abandon de la cigarette.

Jumelé à une augmentation des taxes et aux conseils de professionnels de la santé, le projet de loi C-71 est une puissante mesure antitabac. En partenariat avec Médecins pour un Canada sans fumée et Santé Canada, l'Association médicale canadienne et ses associations médicales provinciales contribuent à ces efforts dans le cadre du projet Mobilisation des médecins pour des interventions cliniques antitabac.

Il est important de savoir que 70 p. 100 des Canadiens consultent leur médecin chaque année. Les sondages effectués auprès des Canadiens révèlent que ceux-ci estiment que leurs médecins leur fournissent des renseignements scientifiques valables et sûrs. Ce programme d'intervention permet de déceler les problèmes, de proposer des moyens de cesser de fumer et de fournir des services d'entraide. Tous les membres de la profession sont encouragés à l'appliquer.

L'année dernière, dans le mémoire que nous avons présenté au Comité permanent de la santé de la Chambre des communes au sujet du plan directeur de Santé Canada, nous avons préconisé l'établissement et la mise en oeuvre de mesures législatives antitabac rigoureuses afin de remplacer le plus rapidement possible la Loi réglementant les produits du tabac.

Nous reconnaissons que le projet de loi C-71 ne va pas aussi loin que l'association le souhaiterait. Toutefois, jumelée à des règlements rigoureux et applicables, cette mesure représente une attaque nouvelle et importante dans la lutte constante contre le tabac. Nous l'appuyons afin d'améliorer la santé des Canadiens et de mettre fin à la mort inutile de plus de 40 000 personnes par année au Canada.

L'objet du projet de loi C-71, ce n'est pas l'économie, la culture ou les sports. C'est une question de vie ou de mort. Comme médecin, et au nom des membres de l'Association médical canadienne, je vous exhorte à adopter la loi antitabac sans tarder.

[Français]

Je vous remercie, madame la présidente. Nous sommes prêts à répondre aux questions des membres du comité.

[Traduction]

La présidente: Merci, madame Kazimirski. Je demanderais maintenant à Mme Bedford-Jones de s'approcher, au cas où il y aurait des questions juridiques.

Monsieur Cunningham, vous avez la parole.

[Français]

M. Rob Cunningham, analyste principale des politiques, Société canadienne du cancer: Je travaille comme analyste principal des politiques pour la Société canadienne du cancer. Je suis avocat de profession. De plus, je suis auteur de ce nouveau livre, La guerre du tabac: l'expérience canadienne.

[Traduction]

-- Smoke and Mirrors, the Canadian Tobacco War, et j'ai des copies que je compte laisser aux membres du comité.

[Français]

Je vous remercie au nom des milliers de bénévoles qui travaillent pour la société, de l'Atlantique au Pacifique. Des groupes, qui n'étaient pas des témoins, ont demandé à ce que je communique leur appui à ce projet de loi: la Fondation des maladies du coeur, l'Association pulmonaire et le Conseil canadien sur le tabagisme et la santé.

[Traduction]

Avril étant le mois du cancer, et c'est pour cette raison d'ailleurs que j'arbore une jonquille, je trouve opportun que le comité examine un projet de loi qui réduira la consommation de tabac, la principale cause de décès par cancer évitable au Canada.

J'ai ici deux produits qui contiennent de la nicotine et qui sont dans une certaine mesure légaux. Un est un timbre à la nicotine, l'autre, un paquet de cigarettes. Ces deux produits sont assujettis à des règlements différents. Le timbre à la nicotine, utilisé à des fins de santé, ne peut être obtenu que sur ordonnance. Ce produit est réglementé de façon très stricte en vertu de la Loi sur les aliments et drogues. Il ne peut faire l'objet de publicité auprès des consommateurs, ou encore de publicité de commandite. Il n'y a pas de «Festival des arts Habitrol», tout comme il n'y a pas de «Championnat de tennis Prozac» ou de «Grand Prix Valium».

Les cigarettes, elles, constituent la principale cause de maladie, d'invalidité et de décès évitables au Canada. Le tabac tue 40 000 personnes par année. Il est responsable de 30 p. 100 des décès par cancer, et de plus de 85 p. 100 des décès par cancer pulmonaire. Le cancer du poumon est mortel. Si vous êtes atteint de cette forme de cancer, vous avez moins d'une chance sur deux de vivre pendant douze mois. Le nombre de décès attribuables au cancer pulmonaire chez les femmes dépasse maintenant le nombre de décès attribuables au cancer du sein. Il s'agit là d'une tragédie nationale et d'une épidémie.

Or, malgré les nombreuses preuves scientifiques accumulées pendant 45 ans, le tabac n'est toujours pas assujetti à une réglementation rigoureuse. Nos règlements sont dépassés. Le projet de loi C-71 constitue un pas dans la bonne voie, en ce sens qu'il nous permettra de supprimer la commercialisation d'un produit dangereux, et de faciliter la vente de produits assurant un apport de nicotine qui sont bons pour la santé.

Les fabricants de ces produits se livrent concurrence. Lorsque l'industrie du tabac -- c'est-à-dire, les producteurs de nicotine -- cherche à s'accaparer une part du marché, elle se trouve à livrer concurrence aux fabricants de timbres de nicotine, qui sont utilisés au cours du processus de sevrage. Les documents internes de la compagnie Philip Morris indiquent que l'industrie considère ce produit comme faisant partie intégrante du marché de la nicotine. Nous avons en notre possession des documents internes des compagnies Imperial Tobacco et BAT. Cette dernière avait envisagé d'acheter une entreprise qui fabrique des timbres de nicotine et de l'ajouter à sa gamme de produits. Lorsque nous parlons de part du marché, parlons bel et bien de part du marché.

Nous appuyons ce projet de loi. Il contribuera à réduire la consommation de tabac chez les adultes et les enfants, à court et à long terme. Il protégera les jeunes contre la publicité et la promotion des produits du tabac. Toutefois, ce projet de loi ne va pas assez loin. Des compromis ont déjà été faits. Le gouvernement fédéral a fait marche arrière par rapport à ce qu'il proposait dans son plan directeur, que nous avons appuyé d'emblée. Le projet de loi n'interdit pas la publicité des produits du tabac, comme le recommande l'Organisation mondiale de la santé. Une douzaine de pays ont d'ailleurs déjà interdit la publicité. Le projet de loi ne prévoit que des restrictions partielles. Il n'interdit pas totalement la promotion de la commandite -- même si les États-Unis, eux, ont adopté une loi en ce sens. Oui, le projet de loi prévoit une période de transition de deux ans, sauf qu'il ne propose pas une telle mesure. Il l'impose. Certaines dispositions de la loi qui traitent de la vente des produits du tabac sont déjà entrées en vigueur le 28 février 1996. Il n'y a pas de sursis, pas d'injonctions. Nous pourrions même nous retrouver avec une décision défavorable de la part des tribunaux, mais je ne m'attends pas à ce que cela se produise, étant donné qu'une cour d'appel a déjà confirmé la constitutionnalité d'une ordonnance émise par un tribunal de Baltimore en vue de restreindre la publicité des produits du tabac sur les panneaux-réclame.

Nous avons même un président qui est prêt à opposer son veto à toute loi adoptée par le Congrès. Le lobby du tabac n'est pas aussi puissant qu'il l'était aux États-Unis, mais il opposera son veto à toute loi adoptée par le Congrès si ce dernier décide d'annuler les dispositions de la FDA.

La France et d'autres pays ont interdit la publicité de commandite. Le projet de loi n'interdit pas complètement la présence d'éléments de marques sur les articles autres que les produits du tabac, comme c'est le cas dans d'autres pays. L'Organisation mondiale de la santé prône l'interdiction totale de toute publicité indirecte. Le projet de loi ne préconise pas l'utilisation d'emballages neutres. Il prévoit toutefois l'adoption de règlements sur l'utilisation de ces emballages, mais le gouvernement n'a pas l'intention d'intervenir dans ce domaine. Nous trouvons cela regrettable. Le Comité de la santé a mené une étude exhaustive sur cette question et a recommandé la mise en oeuvre de cette mesure.

Nous savons tous à quel point les éléments de preuve sont importants. La semaine dernière, six associations ont remis au comité des boîtes contenant des documents qui avaient été déposés en preuve lorsque l'ancien projet de loi a été contesté devant les tribunaux. Il s'agit des documents présentés par le procureur général du Canada, et des documents internes fournis par les compagnies de tabac.

Vous avez devant vous une liste des documents qui ont été déposés auprès du greffier, et que vous pouvez consulter. Les six associations -- la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac, la Société canadienne du cancer, la Fondation des maladies du coeur du Canada, l'Association pulmonaire, le Conseil canadien sur le tabagisme et la santé et l'Association médicale canadienne -- ont fourni ces documents pour votre information.

De plus, sept boîtes de documents ont été remises au comité de la santé de la Chambre des communes. Ces documents portaient non seulement sur les risques pour la santé que présente l'usage du tabac, mais également sur l'impact de la commercialisation des produits du tabac. Ces documents ont été déposés auprès de ce comité. Nous vous avons distribué une bibliographie de ces documents. Les titres indiquent les ouvrages qui ont été publiés sur le sujet.

Pouvons-nous déposer ces deux résumés auprès du comité?

La présidente: Oui.

M. Cunningham: Merci.

Avant de passer aux questions, j'aimerais aborder deux points. D'abord, j'aimerais répondre à certains des arguments des détracteurs du projet de loi. Deuxièmement, j'aimerais vous parler de certaines études portant sur les conséquences de la publicité et de la commandite.

D'abord, je vais m'attaquer à la question de la liberté d'expression, qui est garantie par l'alinéa 2b) de la Charte. Il est clair que le législateur a pris tous les moyens nécessaires pour se conformer au jugement de la Cour suprême du Canada. À notre avis, le législateur est allé trop loin dans certains domaines. Les juges de la Cour suprême ont indiqué, dans un jugement majoritaire, que l'interdiction de la publicité de style de vie était justifiée. Il y a deux types de publicité: la publicité qui diffuse de l'information, et la publicité qui diffuse des images.

La diffusion de l'information est au coeur de la liberté d'expression commerciale qui est garantie par la Constitution. Nous avons vu des cas où les consommateurs avaient accès à des renseignements qui portaient sur la nature des services juridiques ou dentaires qui leur étaient fournis. L'image n'a rien à voir avec la diffusion de l'information.

La publicité de commandite tourne autour des images. C'est la meilleure forme de publicité de style de vie qui existe. Le Parlement aurait pu, avec l'autorisation de la Cour suprême du Canada, interdire totalement la publicité de commandite, comme l'ont fait les États-Unis, et ainsi se conformer à la Charte et au jugement de la Cour suprême. Toutefois, le projet de loi ne va pas aussi loin.

Le projet de loi vise plusieurs objectifs, dont celui de réduire la consommation de tabac. L'alinéa 4b) précise que le projet de loi a pour objet notamment de préserver les jeunes des incitations à l'usage du tabac et du tabagisme qui peut en résulter. Il s'agit là d'un objectif distinct qui doit être examiné à la lumière de l'article premier de la Charte et du critère formulé par l'arrêt Oakes. S'agit-il d'un objectif valable dans une société démocratique? À mon avis, oui. Le jugement rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Irwin Toy montre à quel point il est important de ne pas exposer les jeunes à la publicité. Nous pouvons utiliser cela comme point de départ. Nous devrions protéger les jeunes contre la commercialisation d'un produit qui est hautement toxicomanogène, mortel et carcinogène.

Lorsque nous examinons à fond le critère formulé dans l'arrêt Oakes, existe-t-il un lien rationnel? Tout à fait. Est-ce que ce bill préserve les jeunes des incitations à l'usage du tabac? Oui. Si nous jetons un coup d'oeil à l'atteinte minimale, si nous devions recourir à des dispositions moins strictes ou moins contraignantes, nous y perdrions en efficacité. Il est clair que les jeunes seraient exposés à davantage de publicité. Nous pouvons satisfaire au critère de l'atteinte minimale et je dirais à l'exigence du critère de la proportionnalité dans son intégrité en ce qui a trait à l'arrêt Oakes.

Nous avons entendu parler du risque éventuel de pertes d'emplois. Il vaut la peine de signaler que, en 1987, le Conseil canadien des fabricants des produits du tabac avait parlé de la perte possible de 25 000 emplois si le projet de la loi C-51 était adopté. Il avait fait part de cette inquiétude dans son mémoire présenté à un comité de la Chambre des communes. Cela ne s'est jamais produit. La lutte suprême a repris toutes les fois qu'il a été question de légiférer sur le tabac, que le Parlement étudie la question en 1903, en 1996 ou en 1997.

En ce qui concerne la consultation, le gouvernement a reçu entre 2 000 et 3 000 mémoires relativement à son plan directeur. Tout le monde a eu l'occasion de le commenter. Le gouvernement s'en est inspiré dans la rédaction de son projet de loi.

Certains témoins ont dit que ce projet de loi interdit totalement la publicité étant donné l'étendue de la définition donnée à la publicité de style de vie. Je ne suis pas d'accord. Je peux vous donner un grand nombre d'exemples de publicité informative qui peut être communiquée: «Les cigarettes du Maurier: 24,95 $ la cartouche.» Cette publicité est permise tout comme: «Les cigarettes du Maurier sont offertes en deux longueurs -- 75 et 85 millimètres» ou «Les cigarettes du Maurier contiennent deux additifs: la glycérine et l'ammoniaque» ou «Les cigarettes du Maurier ne contiennent que du tabac canadien» et cetera. Si vous voulez parler de la protection demandée par la Cour suprême du Canada en ce qui a trait à la diffusion de l'information auprès des consommateurs, cette protection est maintenue.

Nous avons entendu des témoins de l'industrie dire -- et en toute franchise, ce témoignage m'a stupéfié -- qu'elle ne fait pas de publicité auprès des jeunes. Au cours des dernières semaines, nous avons entendu le groupe Liggett avouer le contraire aux États-Unis; nous avons aussi un jugement de la Cour suprême du Canada qui a examiné des documents internes des compagnies de tabac. Vous les avez maintenant aux fins d'examen.

La Cour suprême en est venue à la conclusion que l'industrie du tabac avait ciblé les jeunes pour sa publicité et a déclaré que, plus particulièrement pour certaines marques, non seulement les groupes cibles incluent des adolescents aussi jeunes que 12 ans, mais que les jeunes entre 12 et 17 ans comptent beaucoup plus que les groupes plus âgés.

Je renvoie les sénateurs aux pièces, y compris les documents ITL-13, AG-223, AG-35, AG-224 ainsi que d'autres.

Nous avons entendu certaines personnes parler de leur campagne visant à convaincre les détaillants de cesser de vendre du tabac aux mineurs. Elles ne font que reprendre une campagne qui a déjà été menée à plusieurs reprises au cours des 10 dernières années, plus particulièrement lorsqu'on les menace d'imposer une loi. C'est un bon outil de relations publiques, mais cela ne contribue pas à faire baisser les ventes de tabac aux mineurs.

Des campagnes semblables ont été organisées et financées aux États-Unis par l'industrie du tabac. Elles n'ont toutefois pas réussi à diminuer le nombre de magasins qui vendent des cigarettes aux mineurs comparativement à ceux qui ne participent pas au programme. Nous ne pouvons pas nous en remettre aux bonnes relations publiques, surtout lorsque nous constatons que les bénéfices après impôt que l'industrie du tabac retire des ventes qui un jour ou l'autre finissent entre les mains de mineurs oscillent annuellement autour de 17 millions de dollars. Le bénéfice comptable est encore plus élevé. Pourtant elle ne consacre à ces campagnes annuellement qu'un peu plus d'un million de dollars. Où est son engagement si elle n'est pas vraiment déterminée à ne pas vendre de tabac aux jeunes?

Nous avons entendu dire que le taux de consommation du tabac au Canada était resté stable lorsque la Loi sur le contrôle des produits du tabac était en vigueur. Même si la loi limitait en partie la promotion, parce que les compagnies ont transféré à la commandite l'argent qu'elles consacraient à la publicité directe -- 10 millions de dollars en 1987 et 60 millions de dollars en 1995 et 1996 -- nous devons examiner les taux de très près.

Vous avez un document photocopié que j'ai tiré du livre. Il se fonde sur des données de l'industrie du tabac. La peut se mesurer de diverses façons. Il y a la prévalence, le pourcentage de fumeurs adultes. Il y a ensuite la consommation individuelle qui considère non seulement le pourcentage de fumeurs adultes mais aussi la quantité de tabac consommée quotidiennement.

En ce qui a trait à la consommation individuelle, vous constatez qu'elle a diminué nettement entre 1988 et 1993. Il faut noter qu'en 1994 la taxe a été réduite et que la tendance s'est modifiée.

Imperial Tobacco publie annuellement des données sur la prévalence. On y remarque une baisse importante qui a été plus forte entre 1989 et 1993. Nous n'avons aucune donnée d'Imperial Tobacco après cette date et je vous rappelle cette réduction de la taxe.

M. Potter a reconnu qu'Imperial Tobacco fait des enquêtes sur les adolescents de 15 ans. Elle le fait depuis des décennies et a caché cette information aux parlementaires, aux ministères de la Santé de même qu'aux organismes comme le nôtre qui s'occupe de sensibilisation. J'invite les membres de ce comité à demander à Imperial Tobacco de lui fournir les résultats de ces enquêtes.

En ce qui concerne les articles relatifs au contrôle de l'application, certains des autres pays du circuit du Grand Prix disposent de lois interdisant l'utilisation des noms commerciaux. Lorsque Jacques Villeneuve participe au Grand Prix en Grande-Bretagne, en Allemagne ou en France, il ne peut arborer le sigle «Rothman's» sur son chandail. Le Canada serait le quatrième pays à adopter cette disposition. Le cinquième, la Belgique, a adopté un projet de loi à la chambre des députés, qui se trouve maintenant devant le Sénat, et qui interdirait totalement la publicité directe et indirecte.

Une observation a déjà été faite au sujet des États-Unis et du circuit de course automobile Indy. C'est étonnant qu'il n'ait même pas été fait mention de l'existence de cette règle dans le témoignage original avant les questions de ce comité.

Si les compagnies de tabac veulent utiliser leur désignation sociale, elles peuvent recourir à un nom comme Imasco Limited qui ne renferme pas de nom commercial et faire ainsi la promotion illimitée d'événements sportifs. Imasco pourrait ainsi remonter sa cote d'estime. L'objection porte sur l'utilisation du nom commercial, l'association avec le produit du tabac.

Dans le jugement de la Cour suprême du Canada, le tribunal a reconnu que la norme de preuve exigée varie selon les circonstances. Étant donné l'importance du tort, la norme de preuve que doit respecter le gouvernement est moindre que dans d'autres cas. Il en est ainsi parce qu'il s'agit d'une expression commerciale strictement à des fins de profits. Comme l'a dit le juge Iacobucci, Il n'y aurait pas à faire de très importantes adaptations pour rendre la loi constitutionnelle.

La Société canadienne du cancer travaille en première ligne pour lutter contre le tabagisme. Elle offre des programmes éducatifs dans les écoles et des services aux patients. Des décennies de travail lui ont permis de se spécialiser sur les messages qui influent sur le comportement des fumeurs. Nous n'avons aucun doute que la publicité, la commandite et d'autres formes de promotion incitent les gens à accroître leur consommation. Elle a adopté cette position en 1969 avant le Comité sur la santé de la Chambre des communes et elle la maintient.

Nous avons entendu dire que la Cour suprême du Canada n'en était pas venue à la conclusion que la publicité avait une incidence sur la consommation. Dans l'arrêt rendu à la majorité, voici ce qu'a dit le juge La Forest:

[...] il est difficile de croire que les compagnies de tabac canadiennes dépenseraient plus de 75 millions de dollars chaque année pour la publicité si elle ne savait pas qu'il en résultera une augmentation de l'usage de leur produit [...] Cette preuve peut commodément se diviser en trois catégories: le document interne de commercialisation des produits du tabac, les rapports d'experts et les documents internationaux [...]

Bien que les appelants...

les compagnies de tabac

...affirment résolument que leurs efforts de commercialisation sont orientés seulement vers la préservation et le renforcement de la fidélité des fumeurs adultes à des marques, ces documents témoignent du contraire.

[...] les compagnies de tabac comprennent que, pour maintenir le nombre total des fumeurs, elles doivent rassurer les fumeurs actuels et rendre leur produit attirant pour les jeunes et les non-fumeurs; elles reconnaissent aussi que la publicité est essentielle au maintien de la taille du marché parce qu'elle sert à renforcer l'acceptabilité sociale de l'usage du tabac en l'identifiant au prestige, à la richesse, à la jeunesse et à la vitalité.

Les documents de commercialisation internes déposés lors du procès donnent fortement à entendre que les compagnies de tabac perçoivent la publicité comme la pierre angulaire de leur stratégie visant à rassurer les fumeurs actuels et à étendre le marché en attirant de nouveaux fumeurs, principalement chez les jeunes.

Au Canada, des monopoles ont continué à faire de la publicité -- Rogers Cable TV et Bell Canada, avant qu'il y ait de la concurrence sur le marché de l'interurbain. Ils n'avaient aucun concurrent pour leur part de marché. Si la publicité avait uniquement un impact sur leur part de marché, pourquoi ces monopoles en feraient-ils? Dans certains pays, il existe des monopoles du tabac et pourtant ils continuent à faire de la publicité.

Dans le contexte canadien, nous avons constaté la façon dont l'éducation a contribué à réduire le tabagisme. Cela a été un facteur contributif. Nous avons entendu un aveu très important de M. Robert Parker, du Conseil canadien des fabricants des produits du tabac, qui a déclaré que la publicité destinée à décourager le tabagisme peut contribuer à diminuer le tabagisme chez les jeunes.

Comment peut-on prétendre que la publicité antitabac fonctionne mais que la publicité des produits du tabac, qui coûte vingt fois plus cher et qui est beaucoup plus sophistiquée et conçue par les esprits les plus créatifs de l'industrie, est inefficace? Cet argument n'a aucun sens. Les deux types de publicité peuvent avoir une influence.

D'après notre expérience quotidienne, nous savons que la vente suggestive fonctionne. Dans un bar, on nous demande: «Aimeriez-vous un autre verre?». Au McDonald, on nous demande: «Aimeriez-vous des frites avec ça?» C'est le type de publicité qui stimule encore plus les ventes.

En 1969, le comité de la santé de la Chambre des communes a recommandé que la publicité soit interdite. Cette conclusion a été réitérée par un comité sénatorial et un comité de la Chambre des communes en 1988, un comité de la Chambre des communes en 1997 et un comité de la Chambre des communes sur l'emballage neutre des paquets de cigarettes en 1994. Chaque fois, ces questions ont donné lieu à un débat important, et les mêmes arguments que vous entendez depuis des dizaines d'années ont été repris. Les parlementaires ont conclu qu'il fallait adopter des mesures restrictives, comme l'ont fait des douzaines de pays dans le monde.

L'industrie du tabac a fait des études de marché internes exhaustives sur l'influence de la commandite. Aucune de ces études n'a été déposée auprès de votre comité. J'estime que c'est une omission. Si elle voulait présenter toutes ses preuves au comité, elle aurait dû déposer ces études.

En ce qui concerne l'autoréglementation de l'industrie du tabac, nous constatons qu'elle ne fera pas de publicité dans un périmètre de deux cents mètres d'une école. Même les modifications proposées par divers groupes reconnaissent qu'il ne faut pas faire de publicité près d'une école, tout comme en 1961 elle a déclaré qu'elle ne ferait pas de publicité à la télévision avant 21 heures. Il s'agit d'un aveu implicite que les jeunes sont influencés par la publicité du tabac. Pourquoi autrement prévoir des restrictions destinées à protéger les jeunes contre ce genre de publicité?

Bien sûr, comme nous le savons, la vie des jeunes ne se restreint pas à un petit périmètre de 200 mètres autour de leur école. Dans leur vie de tous les jours, ils sont exposés à la publicité. Certains documents déposés devant le comité renferment des aveux en ce sens de la bouche même des représentants des compagnies de tabac. Nous avons entendu le Surgeon General des États-Unis conclure que la publicité peut accroître la consommation. En 1996, la Food and Drug Administration a terminé une étude exhaustive dans le cadre de laquelle elle a reçu 700 000 commentaires. Elle a tenu un vaste débat à ce sujet et a étudié toute la documentation disponible. Vous pouvez être sûrs que l'industrie du tabac a présenté des mémoires exhaustifs et très approfondis. La Food and Drug Administration a conclu que la commandite augmentait la consommation et devait être complètement interdite.

Le sénateur Doyle: Je tiens à remercier chacun d'entre vous pour vos mémoires. Je les ai trouvés extrêmement utiles, surtout après une journée où on nous a plus ou moins induit en erreur sur l'intention ou l'absurdité des objections au projet de loi.

Combien d'argent la Société canadienne du cancer reçoit-elle des compagnies du tabac?

M. Cunningham: Nous ne recevons aucune aide financière de leur part. En fait, nous avons pour principe de n'accepter aucune aide financière de ces compagnies.

Le sénateur Doyle: Voulez-vous dire que vous avez refusé de l'argent de ces compagnies?

M. Cunningham: Je ne suis pas sûr de la réponse à cette question. Il s'agit assurément de la politique en vigueur à l'heure actuelle chez nous. Je ne sais pas s'ils nous en ont offert.

Le sénateur Doyle: L'Association médicale canadienne peut-elle nous indiquer combien d'importants contrats de recherche sont commandités par cette industrie qui est un gros commanditaire?

Mme Kazimirski: L'Association médicale canadienne n'a reçu aucune commandite de l'industrie du tabac pour exécuter des projets de recherche. Nous avons collaboré de façon importante avec Santé Canada à de nombreuses initiatives de recherche que nous avons prises en ce qui concerne le tabac mais pas avec l'industrie.

Le sénateur Doyle: Êtes-vous au courant de projets de recherche sur le cancer en cours dans d'autres institutions financées par l'industrie du tabac?

M. Cunningham: L'industrie du tabac a subventionné la recherche sur le cancer dans les années 50 au Canada. Une grande partie de cette recherche a été faite par l'intermédiaire du Council for Tobacco Research aux États-Unis, dont les conclusions minimisent la possibilité d'un lien entre le tabagisme et le cancer du poumon ou la fumée secondaire et le cancer du poumon.

Le sénateur Jessiman: Madame Kazimirski, vous avez indiqué que l'Association médicale canadienne irait plus loin que le projet de loi. Iriez-vous aussi loin que le propose M. Cunningham?

Mme Kazimirski: Oui, je le crois. Je crois également que ce projet de loi est essentiel aujourd'hui si nous voulons effectivement avoir une influence sur les jeunes qui fument au pays. Oui, nous maintenons notre position et nous préférerions qu'on interdise complètement la publicité de tous les éléments que je vous ai indiqués dans ma présentation. Cependant, nous considérons maintenant ce projet de loi comme un instrument essentiel qui nous permettra d'entreprendre d'autres activités qui réduiront le tabagisme au pays. Si ce projet de loi meurt, 40 000 Canadiens mourront avec lui.

Le sénateur Jessiman: En tant que présidente de l'association et que médecin, croyez-vous que le tabac devrait être vendu de la même façon que l'alcool, c'est-à-dire qu'il devrait être réglementé et vendu par des magasins de l'État? Avez-vous envisagé cette possibilité?

Mme Kazimirski: Il faut maintenant présenter une preuve d'âge pour acheter de l'alcool. Je crois que ce projet de loi n'obligera personne à présenter une preuve d'âge. C'est un complément précieux dans la lutte contre le tabagisme au pays.

Le sénateur Jessiman: Je vous demande si le tabac pourrait être vendu de la même façon que l'alcool, c'est-à-dire dans un magasin de cigarettes?

Mme Kazimirski: Personnellement, c'est ce que je préconiserais. Mon association n'a toutefois pas envisagé cette possibilité.

M. Cunningham: Nous serions partisans d'une telle initiative.

Le sénateur Jessiman: Est-ce que vous envisageriez de rendre le tabac illégal?

M. Cunningham: Cela serait impossible et ne marcherait pas. De trop nombreux Canadiens ont développé une accoutumance au tabac et la contrebande s'installerait du jour au lendemain. Si nous interdisions les produits du tabac, cela n'aiderait d'aucune façon les groupes qui reçoivent à l'heure actuelle des commandites parce qu'il n'y aurait plus d'argent de toute façon.

Le sénateur Pearson: Madame Kazimirski, beaucoup d'entre nous s'intéressent à la question de l'accoutumance. Je fais appel à vous ici en votre qualité de médecin. Ceux qui veulent minimiser l'importance de la chose disent qu'on peut développer une accoutumance pour toutes sortes de choses, comme entre autres le chocolat. D'autres ont l'impression que les cigarettes occupent une place à part. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à propos de l'accoutumance? Est-ce que les enfants et les adolescents sont plus vulnérables et plus susceptibles de développer une accoutumance physique que les adultes?

Mme Kazimirski: Je vous remercie de la question. Le rapport sur l'accoutumance à la nicotine préparé par le Surgeon General des États-Unis en 1988 indique que les processus pharmacologiques et comportementaux qui déterminent l'accoutumance au tabac sont analogues à ceux qui déterminent l'accoutumance à l'héroïne et à la cocaïne. L'accoutumance au tabac est tout à fait réelle. Elle est chimique, elle est comportementale et elle est également le résultat d'une certaine altération génique. Je suis sûre que votre comité a déjà pris connaissance des preuves les plus récentes présentées à l'automne de 1996. Les chercheurs ont découvert le composé de la fumée de cigarette qui endommage le gène censé empêcher le développement de tumeurs autant chez les fumeurs que chez les non-fumeurs. Il existe de plus en plus de preuves scientifiques qui expliquent pourquoi le tabac cause le cancer et également de plus en plus de preuves sur la composante du tabac qui engendre une accoutumance.

Le sénateur Pearson: En raison de leur immaturité physique, les enfants sont-ils plus susceptibles de développer une accoutumance?

Mme Kazimirski: Oui, les enfants sont plus susceptibles de développer une accoutumance, en partie à cause de leurs réactions métaboliques immatures. Nous avons déjà entendu mon collègue parler des effets accrus de la nicotine sur les enfants à cause des réactions immatures dans leurs poumons, qui entraînent un plus grand risque d'infections et de problèmes. Oui, ils courent effectivement plus de risques de développer une accoutumance à ce produit chimique.

Le sénateur Beaudoin: Monsieur Cunningham, vous avez dit que même si l'interdiction avait été complète, elle demeurerait constitutionnelle. Vous faites allusion à l'arrêt RJR-Macdonald où quatre juges ont déclaré qu'une interdiction totale n'est pas anticonstitutionnelle. Si mon interprétation des causes est correcte, un juge ou plus aurait ajouté qu'une interdiction totale est possible s'il existe des preuves directes selon lesquelles il est nécessaire d'aller jusqu'à l'interdiction totale. Est-ce bien ce que vous avez dit?

M. Cunningham: Pas tout à fait. Je parlais plutôt de la publicité de style de vie. Nous pourrions interdire complètement la publicité de style de vie qui, à mon avis, inclut la commandite, en fonction uniquement de ce jugement. Si vous me demandez s'il est possible d'interdire complètement la publicité, cela est clairement impossible en fonction uniquement de ce jugement. Nous aurions besoin de preuves pour le faire. J'estime que ces preuves existent. Nous pourrions retourner devant les tribunaux et présenter des arguments justifiant une interdiction totale. Cela n'est pas prévu dans le projet de loi. Je pense que nous pourrions avoir gain de cause devant les tribunaux. Je pense que l'arrêt RJR-Macdonald fait autorité pour ce qui est d'interdire la publicité de style de vie.

Le sénateur Beaudoin: Le style de vie est clairement défini.

M. Cunningham: C'est exact et c'est l'argument que j'ai fait valoir.

Le sénateur Beaudoin: Mais le projet de loi C-71 ne prévoit pas une interdiction totale.

M. Cunningham: C'est exact.

Le sénateur Beaudoin: Bien entendu, certains témoins qui ont comparu devant nous ont indiqué que c'est l'équivalent d'une interdiction totale mais à mon avis, cela est discutable. N'est-ce pas ce que vous dites?

Supposons que le gouvernement avait choisi un autre moyen. Supposons que le gouvernement adoptait aujourd'hui comme position que le tabagisme est tellement dangereux qu'il doit interdire toute publicité. Par conséquent, vous considérez que cela serait possible, sur le plan constitutionnel, à condition que le gouvernement arrive à prouver que c'est une mesure nécessaire.

M. Cunningham: Elle doit être justifiée, c'est exact.

Le sénateur Beaudoin: C'est également mon interprétation de l'arrêt RJR-Macdonald.

[Français]

Le sénateur Nolin: Je n'ai entendu que la première partie du témoignage du docteur Luik, je vais le lire plus tard aujourd'hui. Il nous a dit quelque chose d'assez énorme lorsqu'il a dit que, finalement, tous les pays qui avaient entrepris et fait passer des lois formulant une interdiction presque complète de publicité sur le tabac n'étaient arrivés qu'à une interdiction cosmétique; qu'il s'agissait beaucoup plus d'un débat politique que d'un débat médical grave. Il a reconnu, et d'ailleurs nous l'avons tous reconnu, nous, l'importance du problème médical. M. Luik nous a dit que bannir la publicité sur la tabac n'atteint pas l'objectif recherché. Depuis trois jours que nous entendons des témoins, l'objectif que l'on recherche est clairement établi dans le projet de loi, à l'article 4. On semble diverger sur les moyens à employer pour atteindre cet objectif. Il n'y a pas de doute que notre comité recherche cette fameuse solution. Est-ce qu'on va la trouver? Je l'espère.

Avez-vous pris connaissance du témoignage de M. Luik? Êtes-vous d'accord avec lui? Quels sont les points sur lesquels vous avez des divergences?

M. Cunningham: Je rejette la conclusion du docteur Luik. Le docteur Luik, à plusieurs reprises au cours des dernières années, a travaillé comme consultant pour les fabricants de tabac.

Le sénateur Nolin: Il nous a avoué cela.

M. Cunningham: Je sais qu'il l'a dit. Il est toujours possible d'avoir un expert pour dire quelque chose. En 1969, une équipe d'experts a comparu devant un comité de la Chambre des communes pour nier que le tabac causait le cancer et les maladies du c<#0139>ur.

Le sénateur Nolin: On ne questionne pas l'aspect des maladies.

M. Cunningham: C'est de cette façon que les fabriquants opèrent, ils créent des doutes. Les fabricants présentent souvent des experts qui défendent leur point de vue. Il y a beaucoup d'exemples dans plusieurs pays où le niveau de tabagisme est moindre qu'avant le contrôle. En France, par exemple, on a entendu des témoignages qu'après la loi de 1993, il n'y a pas eu de changement.

Le sénateur Nolin: Exact, nous avons entendu ces témoignages. On avait d'ailleurs demandé des données à ce sujet.

Le sénateur Beaudoin: Quelle est la situation en France?

M. Cunningham: Il y a deux façons de mesurer les effets du tabagisme: premièrement, par l'incidence, c'est-à-dire le pourcentage de la population de fumeurs; l'autre façon, c'est de mesurer leur consommation. Il y a toujours les deux versions de l'histoire, comme vous le savez, donc nous sommes chanceux et nous apprécions l'opportunité de témoigner devant votre comité.

Un autre aspect important est celui des analyses financières ou des stratégies des compagnies. Imperial Tobacco dépense environ 100 millions de dollars par année pour la publicité et la promotion. M. Parker est d'accord avec l'affirmation selon laquelle chaque pourcentage représente 20 millions de dollars d'augmentation; mais c'est moins que cela, si on considère le tabac que l'on doit acheter et la fabrication, ce chiffre est plus près des 10 millions de dollars pour chaque pourcentage du marché. Donc, pour arriver à 100 millions de dollars par année, Imperial Tobacco a besoin d'augmenter son pourcentage du marché de 5 à 10 p. 100. Imperial Tobacco n'a jamais fait cela. Le plupart des gens qui changent de marque de cigarettes, changent pour une marque d'une même compagnie, par exemple, de Player's légère à Player's ultra-légère. Donc, si cela avait un effet sur le marché, ils seraient très contents d'augmenter leurs bénéfices et d'éliminer toutes leurs dépenses. Dans une bonne année, Imperial Tobacco a augmenté son pourcentage du marché de 2 p. 100; son objectif est de 1 p. 100 par année.

Si on regarde les deux autres compagnies, qui sont moins importantes, elles dépensent leur argent et perdent leur pourcentage du marché. Pourquoi dépenser de l'argent pour perdre leur pourcentage du marché s'il n'y a pas d'effets sur la consommation globale? On peut donc, par une simple analyse financière, lancer tous leurs arguments par la fenêtre.

Le sénateur Nolin: Si je regarde votre diagramme et celui auquel vous avez fait référence tout à l'heure, il y a définitivement une contradiction entre le vôtre et ceux que nous avons étudiés depuis le début de la semaine. J'aimerais qu'on l'étudie d'un peu plus près. Prenons le tableau 2: fréquence du tabagisme chez les adultes de 15 ans et plus chez les hommes, les femmes et le total des deux, hommes et femmes de 1958 à 1993. Après cela, vous identifiez vos sources. De 1958 à 1970, c'est telle source, de 1971 à 1989, Imperial Tobacco et 1990 à 1993, Imasco. On a examiné les données de Statistique Canada, est-ce que vous les contestez?

M. Cunningham: Oui, il y a trois sources, mais cela provient de Imperial Tobacco. Imasco est une compagnie associée à Imperial Tobacco, M. Rose était un employé d'Imperial Tobacco. D'après les études d'Imperial Tobacco, nous avons des statistiques pour chaque année. Si on étudie les statistiques qui viennent du gouvernement, en général, elles sont similaires. Le problème, avec les statistiques du gouvernement, c'est que l'on n'a pas les statistiques pour toutes les années, donc on n'a pas les statistiques pour 1982 et 1993, mais on les a pour 1991 et 1994.

Le sénateur Nolin: M. Paker parle plus particulièrement des années 1986 à 1995, soit une période de 10 ans. Dans votre tableau, vous fournissez des données pour les années 1988 à 1993.

M. Cunningham: L'année 1993 est la dernière année pour laquelle ils ont publié leurs chiffres; ils ne les ont plus publiés par la suite.

Le sénateur Nolin: Avez-vous examiné ce tableau?

M. Cunningham: Oui.

Le sénateur Nolin: Comment se fait-il que ce soit différent? Le tableau nous donne des points de repère pour toutes les années.

M. Cunningham: La méthodologie est différente pour les enquêtes du gouvernement.

Le sénateur Nolin: Autrement dit, selon vous il y a une diminution et selon eux, les chiffres sont stables?

M. Cunningham: Oui. Avec les chiffres d'Imperial Tobacco il est clair qu'il y a une diminution. À la page 11 de la version anglaise de notre mémoire, on voit qu'il y avait une accélération du déclin pendant la période de 1989-1993, comparé à la période précédente de 1971 à 1988 avant la loi.

Le sénateur Nolin: Je me pose quand même des questions. Comment se fait-il que Statistique Canada, qui nous coûte quand même quelques millions de dollars par année n'ait pas de bonnes méthodes de calcul? Nous allons les questionner sérieusement lorsqu'ils nous demanderont autant d'argent pour faire un aussi piètre travail. Je comprends qu'il peut y avoir différentes façons d'analyser des statistiques, mais pas au point d'en tirer des conclusions contradictoires. On pourrait ne pas s'entendre sur une variation de 0,5 pour cent sur une période de 10 ans, peut-être. Mais de là à conclure dans un cas que c'est stable et que dans l'autre, il y a diminution...

M. Cunningham: L'autre diagramme au verso de cette page est instructif.

Le sénateur Nolin: Oui, celui-ci. C'est pour une plage de temps beaucoup plus longue.

M. Cunningham: Ces chiffres viennent de l'industrie; chaque mois, les entreprises communiquent leurs chiffres de vente à Statistique Canada. De plus, pour la période où il y avait beaucoup de contrebande, on a ajouté le montant estimé par les fabricants du montant obtenu par la vente en contrebande. Si on regarde le pourcentage de la population qui fume plus le nombre de cigarettes qu'elle fume par jour...

Le sénateur Nolin: C'est la consommation par personne?

M. Cunningham: Oui.

Le sénateur Nolin: Ce n'est pas le nombre de consommateurs en pourcentage?

M. Cunnningham: Non.

Le sénateur Nolin: Autrement dit, quelqu'un pourrait fumer plus de cigarettes mais c'est toujours la même personne qui fume. On ne compare pas des pommes et des pommes, on parle de deux choses différentes.

Cunningham: C'est une autre manière.

Le sénateur Nolin: J'essaie de me concentrer sur une information que nous avons obtenue en début de semaine qui nous dit que sur une période de 10 ans, incluant la période d'entrée en vigueur de la loi de 1989, la consommation est restée stable.

M. Cunningham: Il y a une différence entre incidence et consommation.

Le sénateur Nolin: Vous nous dites qu'il y a eu une diminution.

M Cunningham: Oui.

Le sénateur Nolin: J'essaie de comprendre où se trouve l'erreur. Selon moi, c'est encore une erreur. Il n'y a pas de mauvaise foi.

M. Cunningham: Dans le cas de la consommation per capita, les fabricants n'ont pas présenté ces nombres. Si on leur demande si ces nombres sont corrects, ils vont répondre que oui, parce que ce sont leurs nombres. L'autre manière de mesurer cela, c'est qu'il manque quelques années aux chiffres du gouvernement et que nous avons des méthodologies qui sont bonnes mais qui ne sont pas constantes. Vous avez des sondages visant un objectif quelconque qui incluent des questions sur le tabagisme, et les méthodologies de Statistique Canada sont bonnes, mais si on regarde les chiffres de Imperial Tobacco, il est clair qu'il y a une diminution.

Le sénateur Nolin: Revenons, monsieur Cunningham, à l'expérience des pays européens. On nous a dit en début de semaine que, dans le meilleur des scénarios, la consommation était demeurée stable, et que dans le pire des scénarios, celui de la Norvège, il y avait une augmentation de 30 à 45 p. 100, entre 1989 et 1995 de la prédominance du tabac. Qu'avez-vous à répondre à cette affirmation?

M. Cunningham: Je connais plusieurs pays européens où on a obtenu un déclin de la consommation per capita. Je peux vous faire parvenir les documents le confirmant.

Le sénateur Nolin: S'il vous plaît. J'en viens à ce document que vous venez de nous distribuer, qui concerne plus spécifiquement l'expérience française. Est-ce que c'est un document qui émane de l'État ou d'une agence?

M Cunningham: Ce document a été préparé par le comité national contre le tabagisme. Je suppose qu'ils ont préparé ce sommaire en utilisant les chiffres du gouvernement.

Le sénateur Nolin: D'après ce document, il semble y avoir une diminution importante.

M. Cunningham: Oui. Vous êtes au courant que d'après la courbe du diagramme, il y a une diminution importante. Mais si on avait la courbe de zéro à cent, ce ne serait pas si dramatique. C'est juste pour la présentation.

Le sénateur Nolin: Je vais relire l'information que nous avons sur la France. L'information provient du comité français d'éducation pour la santé. Ces informations sont contradictoires.

M. Cunningham: Avec les deux façons de mesurer le tabagisme, on peut obtenir des résultats différents. Si un fumeur fume 10 cigarettes par jour plutôt que 20, c'est un progrès parce que les risques pour la santé diminuent. Donc, même si on a le même pourcentage de fumeurs et si les fumeurs fument moins, c'est fantastique comme résultat.

Le sénateur Nolin: Je comprends. Finalement, c'est cela qui différencie vos données de celles que nous avons obtenues en début de semaine?

M. Cunningham: D'après moi, pour la période 1989 à 1993, il y a eu une diminution de l'incidence et de la consommation de tabac au Canada. Même dans le rapport annuel de la compagnie Imasco, on le constate. Ils se plaignaient des taxes trop élevées. Maintenant, ils ont besoin d'un autre point de vue pour des raisons politiques, donc ils donnent un autre point de vue.

[Traduction]

Le sénateur Nolin: Après le dépôt des «bleus», en janvier 1996, on a manifestement consulté votre association et elle a offert de donner des conseils au gouvernement pendant toute la durée du processus?

Mme Kazimirski: Oui.

Le sénateur Nolin: Ou cela s'est-il produit uniquement lorsque le projet de loi a été déposé en décembre?

Mme Kazimirski: Nous avons effectivement répondu par écrit et fait une présentation au moment où les «bleus» ont été déposés.

Je pourrais peut-être répondre au commentaire du sénateur Nolin. Il est important de reconnaître que les preuves qui vous ont été présentées sont valides et indiquent une augmentation de la fréquence et de la consommation. Revenons toutefois au Canada. Au Canada, depuis que des changements ont été apportés en ce qui concerne les taxes et la publicité, nous avons constaté une augmentation de la fréquence du tabagisme et de la consommation du tabac chez les jeunes. Nous avons constaté une augmentation de la fréquence et de la consommation chez les femmes. Nous savons maintenant que le cancer du poumon est la principale cause des décès attribuables au cancer, avant le cancer du sein, chez les femmes au pays.

C'est un problème national, canadien. C'est un problème auquel s'attaque efficacement ce projet de loi comme première étape destinée à établir le fondement d'une vaste stratégie antitabac.

Le sénateur Nolin: Le graphique que nous avons ici est donc incomplet car il n'indique qu'une diminution. Ne devrait-il pas indiquer une augmentation à l'autre bout?

M. Cunningham: C'est ce à quoi je m'attendrais, selon les sondages Gallup. J'aimerais beaucoup qu'Imperial Tobacco présente ses données au comité.

Le sénateur Kenny: Je voulais vous demander d'abord si l'un d'entre vous connaît la proposition 99 en Californie.

M. Cunningham: Oui.

Le sénateur Kenny: J'ai accepté les arguments présentés plus tôt par les participants précédents et selon lesquels il est très compliqué de convaincre les gens d'arrêter de fumer. Il existe de nombreux indices utiles, comme le fait de finir ses études, l'estime de soi et la pression des pairs. Cependant, il doit exister bien d'autres facteurs en plus du prix et de la publicité. La proposition 99 en Californie portait sur le prix et la publicité et semble pourtant, si on en croit l'étude faite à Berkeley, avoir eu une influence assez importante.

Considérez-vous qu'une proposition comme la proposition 99 est un point de départ raisonnable? Je ne veux pas dire qu'il faudrait exclure tous les autres éléments de motivation, mais si le gouvernement doit commencer quelque part, il me semble que le prix et un programme d'éducation seraient un bon point de départ.

Mme Kazimirski: Je ne connais pas la proposition 99, mais pour répondre à votre question, j'estime effectivement que toutes les mesures prises par le gouvernement actuel, entre autres ces mesures législatives qui sont la pierre angulaire de cette stratégie et tous les autres éléments tels que le prix et les taxes, contribueront considérablement à contrôler l'accoutumance au tabac.

Vous avez indiqué qu'il s'agit d'un problème très complexe et vous avez tout à fait raison. Je peux vous en donner un exemple. La plupart de mes patients sont des femmes et je me spécialise dans la santé des femmes. Je vois de jeunes adolescentes qui viennent pour leur première consultation gynécologique et pour discuter de contraception et nous parlons du tabagisme. Elles me disent: «Je ne suis pas une fumeuse. Je fume seulement trois cigarettes par jour.» Je leur demande: «Pourquoi fumez-vous?» Elles répondent: «C'est cool. C'est ce que je vois dans les revues. Je fume seulement trois cigarettes par jour; ne vous inquiétez pas, docteur.» L'année d'après, quand elles viennent me consulter, elles fument un demi-paquet par jour. L'année qui suit, elles fument un paquet par jour. J'essaie de les suivre durant leur grossesse et de les encourager à cesser de fumer, mais c'est impossible, elles n'y arrivent pas. C'est un réel problème d'accoutumance.

Je pense que ce cadre législatif, cet ensemble détaillé de mesures, est absolument essentiel pour tâcher de résoudre le problème avec lequel sont aux prises les jeunes qui viennent me consulter.

Le sénateur Kenny: La proposition 99 ne prévoyait pas une interdiction de la publicité ou de la promotion. C'est donc un autre élément si vous voulez l'ajouter à votre réponse.

M. Cunningham: Je pense que le prix est très important pour les jeunes et je pense que les campagnes antitabac par les mass-médias peuvent être efficaces. Les preuves en provenance de la Californie indiquent que ces deux facteurs ont contribué à réduire le tabagisme beaucoup plus rapidement que dans le reste des États-Unis. Le même phénomène s'est produit au Massachusetts. Cet État a augmenté modérément les taxes tout en faisant une vaste publicité dans les médias pour décourager le tabagisme. La consommation par habitant a diminué plus rapidement parmi les fumeurs adultes au Massachusetts que dans l'ensemble des États-Unis.

Pourrions-nous en faire plus en matière de publicité antitabac? Est-ce que le gouvernement pourrait en faire plus au Canada? Absolument. Malheureusement, lorsque cette stratégie législative a été annoncée, le financement de la stratégie antitabac du gouvernement a été incroyablement réduit. Cinquante millions de dollars sur cinq ans, c'est tout ce qui reste.

Le sénateur Kenny: Je suis d'accord avec vous lorsque vous dites que les mesures prises sont insuffisantes. À cet égard, je voulais vous poser la question suivante. L'un des aspects difficiles de ces audiences, du moins pour moi, a été d'entendre ceux qui dépendent effectivement de la commandite de l'industrie du tabac, jouer le jeu des compagnies de tabac et présenter des arguments selon lesquels le projet de loi n'est pas satisfaisant.

Avez-vous des solutions? Avez-vous des idées sur la façon dont nous devrions traiter avec ces groupes? Existe-t-il, à votre avis, des initiatives que notre comité pourrait recommander au gouvernement à l'égard de ces groupes qui reçoivent de l'argent de l'industrie du tabac depuis un certain temps et qui ont maintenant l'impression d'être menacés?

M. Cunningham: Oui. Je pense que la santé publique doit passer en premier et que ce projet de loi ne devrait pas être affaibli. Il devrait être adopté tel quel. Deuxièmement, quand ce comité rédigera son rapport au Sénat, il pourrait recommander au gouvernement, de même que l'adoption de ce projet de loi, d'envisager la mise sur pied d'un fonds de remplacement qui serait instauré avant le 1er octobre 1998 avec l'argent versé par les fabricants de tabac.

Tout le monde y gagnerait, sauf les fabricants de tabac, mais ils ont des tas d'argent de toute façon -- un rendement de l'actif avant impôt de 90 p. 100. C'est une option que le comité pourrait envisager dans son rapport.

Mme Kazimirski: Permettez-moi de répondre à cette même question. Ayant entendu une partie du témoignage précédent, j'estime que les sports et les événements sportifs sont extrêmement importants pour ce qui est de leur contribution à la santé des Canadiens. Le présent texte législatif porte sur la santé, et il devrait être adopté sous sa forme actuelle maintenant. S'agissant des événements culturels ou sportifs, l'histoire a montré que si l'événement a une valeur en soi, sa commandite est souvent reprise par d'autres.

J'aimerais mentionner la commandite d'un événement très important, le championnat de tennis féminin qui a déjà été parrainé par Virginia Slims. Qui a repris le flambeau maintenant que Virginia Slims s'est retirée? Corel.

Je pourrais également mentionner le championnat de l'Omnium de golf canadien pour hommes. Qui le commanditait jadis? Du Maurier. Qui le commandite maintenant? Bell Canada. Quand l'événement a une valeur intrinsèque, il s'en trouve d'autres prêts à assumer le coût de ces événements.

La présidente: J'ai une courte question. M. Cunningham et Mme Tipper ont tous deux mentionné une étude d'Imperial Tobacco. Parliez-vous tous les deux de l'étude Viking? Dans l'affirmative, est-ce celle qui a été déposée avec les autres documents?

Mme Tipper: Je devrai vérifier.

M. Cunningham: Je peux vous assurer que l'étude Viking est au nombre des documents déposés auprès du comité.

La présidente: Merci beaucoup.

Honorables sénateurs, nous accueillons maintenant notre prochain groupe.

Vous avez la parole, monsieur Hagen.

M. Les Hagen, directeur exécutif, Action on Smoking and Health: Merci de permettre à une représentation régionale de la communauté de la santé de se faire entendre sur cet important projet de loi.

Notre organisme, Action on Smoking and Health (ASH), est le chef de file de l'Ouest du Canada en matière de lutte contre le tabagisme. Depuis notre siège social à Edmonton, nous fournissons un leadership régional et provincial sur la question du tabagisme depuis 15 ans. Au nom de ASH, j'aimerais féliciter le gouvernement et le Parlement de faire de la réduction du tabagisme une priorité en présentant un projet de loi pour enrayer l'épidémie. Nous applaudissons aux efforts déployés par le gouvernement pour s'assurer le contrôle d'une industrie dont les produits sont responsables de plus de décès que toutes les autres formes de maladies évitables combinées.

Bien que le projet de loi C-71 soit loin d'être parfait, nous aimerions exprimer notre appui en principe au projet de loi et à l'intention du gouvernement de s'attaquer à cette question d'une façon globale et effective.

Nous avons déjà déclaré devant le comité de la santé que nous estimions que le prédécesseur du projet de loi, la Loi réglementant les produits du tabac, était à ce point imparfait qu'il ne permettait pratiquement pas de restreindre la promotion du tabac au Canada. Profitant de l'échappatoire sur la commandite figurant dans ce projet de loi, l'industrie du tabac a continué de faire la publicité de ses produits dans la presse écrite et électronique et sur les supports publicitaires extérieurs de milliers de façons et dans des millions de publications dans tout le pays. La vérité, c'est qu'il n'y a jamais eu d'interdiction de la publicité dans ce pays ni quelque chose d'approchant.

Cette chambre a l'occasion de tirer la leçon de l'expérience vécue avec la Loi réglementant les produits du tabac et d'élaborer un projet de loi qui atteindra son but avoué et empêchera l'industrie du tabac de contourner ses dispositions.

Le projet de loi C-71 met en place un pouvoir de réglementation crucial qui aidera à empêcher les compagnies de tabac d'exploiter les échappatoires. Cette démarche est conforme à la réglementation de centaines de produits et substances visés par la Loi sur les produits dangereux et la Loi des aliments et drogues. Nous savons que l'industrie trouvera des échappatoires dans le projet de loi, et la portée réglementaire de ce projet de loi permettra de les supprimer d'une façon rapide et efficace qui n'exigera pas du Parlement de longues approbations.

Bien que nous aurions aimé prendre au préalable connaissance de tous les détails des règlements, nous ne croyons pas que la rédaction des règlements devrait ralentir l'adoption de cet important texte législatif en matière de santé. Nous croyons comprendre que l'adoption d'autres projets de loi de cette nature, y compris la Loi sur les produits dangereux, a accéléré l'élaboration de règlements subséquents.

Plus de 100 000 jeunes ont commencé à fumer depuis le jugement de la Cour suprême de septembre 1995. Il est très difficile de justifier de tout nouveau délai avec ce projet de loi. Nous sommes déçus que le projet de loi C-71 ne reflète pas toutes les propositions contenues dans le plan directeur de lutte contre le tabagisme, en particulier la demande d'interdiction totale de la publicité. Cependant, du point de vue de notre organisme, nous pensons que le projet de loi comporte les avantages suivants.

Premièrement, le projet de loi prévoit la communication de renseignements et la réglementation du produit. J'ai ici avec moi un produit qui est très présent sur le marché albertain. Il s'agit de paquets aromatisés de marque Skoll. Ils illustrent clairement la nécessité de réglementer le produit au Canada. Ils sont offerts à saveur de menthe et de cannelle et sont même enrobés de sucre. Il s'agit essentiellement de nicotine enrobée de sucre. Je vais les faire circuler parmi les membres du comité. Nous croyons que ces produits sont des produits d'initiation qui ne visent pas seulement à recruter de nouveaux adeptes mais à aider ceux-ci à s'habituer à des marques plus fortes.

Ce genre de produit doit être interdit. Les compagnies de tabac ne devraient pas avoir le droit de mettre sur le marché des boîtes de tabac à priser attrayantes pour les enfants. En Alberta, l'usage du tabac à chiquer constitue un vrai problème. Chez les jeunes albertains, le taux d'utilisation de ce genre de tabac représente plus du double de la moyenne nationale. Ces genres de produits d'initiation doivent être interdits et nous estimons que le projet de loi C-71 fournit le pouvoir de réglementation nécessaire pour le faire.

Le projet de loi C-71 interdit également l'utilisation de messages trompeurs ou erronés sur les emballages des produits, bien que la définition de ces termes doive être précisée. Le projet de loi confère le pouvoir d'interdire la majorité des formes de publicité directe et de publicité de commandite, bien que ces exemptions doivent être mieux définies. Les ventes par correspondance et les promotions de vente interprovinciales sont interdites. Les présentoirs libre-service sont également interdits. Pour ce qui est de l'accès des jeunes aux produits, la réglementation est améliorée et comprend entre autres l'identification photographique et la possibilité d'interdire la vente du produit sur condamnation. La communication, par l'industrie du tabac, de renseignements concernant la fabrication, la distribution et la promotion des produits est améliorée.

Le projet de loi est limité en ce sens que nous estimons qu'il constitue un retour à une pleine publicité de commandite du produit dans des publications dont les lecteurs sont des adultes. J'espère que nous ne pensons pas à cet égard à des magazines comme le Reader's Digest et le TV Guide. Les enfants lisent des journaux et des magazines et devraient être encouragés à le faire au cours de leur apprentissage et de leur croissance. Ce serait une honte de voir ce genre de publicité paraître dans des publications auxquelles les enfants ont facilement accès.

Autre importante limite du projet de loi, il sanctionne expressément des promotions destinées aux jeunes. Voici l'exemple d'un événement à Calgary -- Little Orphan Annie -- qui était parrainé par du Maurier le printemps dernier. Il s'est tenu pendant le congé de Pâques. Les enfants et leur famille ont été invités à y participer. Est-ce le genre de promotion que le Sénat et le Parlement voudraient sanctionner? C'est ce qu'actuellement le projet de loi C-71 autoriserait.

Dans son libellé actuel, le projet de loi permettrait également les promotions associées à une marque sur des établissements. On pourrait se retrouver avec le Bar des sportifs Player's ou le Grand Saloon de Skoll, et cetera. Il s'agit là d'une très grave exemption qui pourrait sérieusement compromettre l'intention du projet de loi.

La définition même de publicité de style de vie contenue dans le projet de loi C-71 contredit les publicités de commandite précisées dans le projet de loi.

Regardez attentivement la publicité de commandite. Elle est présente dans les magasins de tout le pays. Voici ce que dit la définition contenue au paragraphe 22(4) du projet de loi C-71:

[...] «publicité de style de vie» Publicité qui associe un produit avec une façon de vivre [...]

tels le prestige, les loisirs, l'enthousiasme, la vitalité, le risque ou l'audace [...]

[...] ou qui évoque une émotion ou une image, positive ou négative, au sujet d'une telle façon de vivre.

Voilà le genre de publicité que le projet de loi C-71 tente de régir par le biais des dispositions sur la publicité de style de vie. La présence continuelle et l'autorisation de la publicité de commandite entreront directement en conflit avec cette définition.

En somme, la publicité de commandite est de la publicité du tabac. Un sondage national effectué auprès de jeunes fumeurs âgés entre 10 et 19 ans mené en 1994 a révélé que 84 p. 100 des jeunes gens croyaient que la publicité de commandite est une façon de faire la promotion de marques particulières de cigarettes. La majorité de ces jeunes a également reconnu que ces annonces sont une façon d'encourager les gens à fumer.

Comme l'a dit précédemment M. Cunningham, la publicité de commandite est la forme de publicité la plus pure. Les images projetées dans les annonces des marques de tabac sont identiques à celles projetées dans les annonces de commandite de tabac. On retrouve le raffinement, la minceur, l'acceptabilité sociale, l'attrait sexuel et la position sociale. Si des jeunes de 10 ans peuvent comprendre cela, alors, nos décideurs canadiens peuvent sûrement le faire eux aussi.

La publicité de commandite est une forme de marketing d'affinité, qui gagne rapidement en popularité en matière de consommateurs. Les compagnies de tabac se rendent compte qu'en associant leurs produits à des événements prestigieux et des organisations respectées, elles obtiennent en prime qu'elles n'auraient pas toutes seules. De même, ce qui est tout aussi important, elles se bâtissent de solides appuis pour la promotion continue des produits du tabac. Elles gagnent sur tous les tableaux.

Par le biais des promotions de commandite, les compagnies de tabac obtiennent aussi accès aux émissions de télévision et de radio pour leurs marques. Ces émissions sont vues ou entendues régulièrement par des millions de jeunes.

Les groupes de défense et de promotion de la santé, les organisations culturelles et sportives portent un intérêt commun à nos efforts en vue d'améliorer et de promouvoir la qualité de vie des Canadiens. Toutefois, cet intérêt commun est compromis quand des groupes culturels et de soutien contribuent à la promotion de la principale cause de décès évitable.

Il existe une nette distinction entre les produits du tabac et d'autres produits de consommation. Le tabac est dangereux, quel que soit le niveau de consommation. Il engendre une forte dépendance et il est le seul produit légal connu pour tuer quand il est utilisé exactement comme le proposent ses fabricants.

Les membres de ce comité ne doivent pas se laisser prendre par les arguments de l'industrie selon lesquels des restrictions de la commandite entraîneront des restrictions semblables pour d'autres produits de consommation. Cette sombre prédiction ne s'est tout simplement pas réalisée.

Le plan directeur de lutte contre le tabagisme promettait de redonner au Canada sa position de chef de file mondial en matière de réduction du tabagisme. Malheureusement, le projet de loi C-71 ne respecte pas cette promesse et ne redonne même pas au Canada sa position de chef de file sur le continent en la matière.

La Food and Drug Administration des États-Unis prend des mesures beaucoup plus vastes que le gouvernement canadien dans le domaine. En déclarant que la nicotine est une drogue, la FDA a décidé d'éliminer les activités de commandite associées à une marque de produits du tabac et d'imposer d'autres contrôles à la vente et à la promotion du tabac.

Outre les restrictions de la commandite, les règles de la FDA comprennent également: une vérification de l'âge des acheteurs des produits du tabac; une interdiction des ventes par correspondance, des distributrices, des échantillons gratuits et des présentoirs libre-service; une interdiction de la publicité sur support extérieure dans un rayon de 1 000 pieds des écoles et des terrains de jeux. La publicité en noir et blanc seulement sera autorisée sur les affiches et les voussoirs de publicité aux points de vente. La publicité de Joe Camel de même que la publicité de style de vie seront donc ainsi éliminées. La vente ou le don de sous-produits de Camel et Marlboro seront également interdits.

En outre, les compagnies de tabac devront financer une campagne de prévention du tabagisme de plusieurs millions de dollars. Bien que certains membres du comité puissent trouver que les restrictions américaines sont excessives, j'aimerais fournir une certaine perspective sur d'autres produits qui sont soumis à une réglementation semblable au Canada. M. Cunningham en a parlé précédemment.

Quand avez-vous été invités pour la dernière fois à un festival de jazz de Prozac ou à un jamboree de Ritalin? Ces genres de promotion pour des médicaments brevetés sont strictement et à bon droit interdites par la loi canadienne. Cependant, ironie suprême, ces Prozac, Ritalin et autres médicaments d'ordonnance ont précisément été mis au point pour améliorer la santé et non la détruire. On ne saurait évidemment dire la même chose du tabac, un produit qui tue quand il est utilisé conformément aux instruction de ses fabricants.

Si le Parlement a le pouvoir constitutionnel et la détermination d'imposer ces restrictions promotionnelles aux médicaments d'ordonnance, il a alors sûrement le pouvoir de contrôler les activités de commandite associées aux marques des produits des compagnies de tabac.

L'industrie du tabac veut vous faire croire que sa publicité n'a aucun effet sur les enfants et que les promotions de commandite ne sont pas un bon moyen publicitaire. Nous avons cependant la preuve du contraire. Voici les résumés de plusieurs rapports qui font autorité sur le lien entre la publicité du tabac et la consommation chez les jeunes.

Premièrement, le Journal of the American Medical Association a révélé en 1994 que les campagnes de publicité du tabac adressées aux femmes avaient correspondu à une importante augmentation du nombre de nouveaux fumeurs notamment chez les femmes n'ayant pas l'âge légal d'acheter des cigarettes.

La deuxième étude, du Tobacco Control en 1995, a révélé que les changements historiques observés dans le nombre de nouveaux fumeurs et leur lien temporel avec les activités de promotion et de commercialisation visant un sexe en particulier permettent de croire à l'existence d'un lien entre le tabagisme et ces activités de promotion et le fait pour des adolescents et de jeunes adultes de commencer à fumer.

En 1995, le Department of Health and Human Services des États-Unis a révélé que l'augmentation du nombre de nouveaux fumeurs chez les adolescents entre 1985 et 1989 peut refléter une augmentation des dépenses réelles au titre de la promotion et de la publicité des cigarettes. Cette augmentation s'est produite au cours d'une période où les dépenses réelles consacrées à la promotion et à la publicité des cigarettes ont doublé et où celles pour la promotion des cigarettes ont plus que quadruplé.

Il existe plusieurs autres exemples et ils figurent dans le mémoire.

Il y a longtemps que l'industrie du tabac au Canada exploite la santé publique pour son profit économique. Ce n'est pas par hasard que les marques les plus publicisées au Canada sont également les marques que choisissent les adolescents. Les compagnies de tabac ont réalisé depuis longtemps que leur prospérité économique dépend de leur capacité de recruter de nouveaux consommateurs et la grande majorité de ces nouveaux clients sont des enfants et des adolescents.

Au nom de ASH, j'invite instamment les membres du comité à saisir cette occasion de promouvoir et de protéger la santé publique au Canada en appuyant le projet de loi C-71 sans délai ni dilution cette fois-ci.

[Français]

M. Louis Gauvin, coordonnateur, Coalition québécoise pour le contrôle du tabac: Permettez-moi de vous présenter la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac, car il s'agit d'une première au Québec. À l'origine, la coalition a été lancée par huit groupes de santé au mois de juin 1996. Son objectif était alors et est toujours de faire adopter des mesures législatives antitabagiques efficaces et vigoureuses.

Le 9 décembre dernier, lors de notre comparution devant le comité permanent de la santé, nous étions 312 organismes. Aujourd'hui, on en compte près du double, soit 617, provenant de toute les régions du Québec.

Je vous cite quelques exemples: l'Association des cardiologues et l'Association des pédiatres du Québec, le Collège des médecins du Québec, l'Institut de cardiologie, la Fédération des CLSC et plus de la moitié des CLSC, des hôpitaux, des centres pour personnes âgées, l'Association pulmonaire, la Société canadienne du cancer, les groupes scout, les associations d'étudiants, les maisons de jeunes; les cégeps, les commissions scolaires, 225 villes et municipalités, des groupes écologiques, communautaires et le Musée du Québec.

Pourquoi ai-je énuméré cette liste? Vous avez à l'esprit tout ce concert d'opposants au projet de loi C-71 dont les médias ont abondamment rapporté les propos et les gestes, il y a quelque temps, dont une manifestation à Montréal.

Si j'ai pris quelques instants pour présenter plus en détail notre coalition, c'est justement pour témoigner d'une autre réalité qu'on a moins vue mais qui est tout aussi présente, celle d'un large appui pour des mesures antitabagiques comme celles contenues dans le projet de loi, et plus particulièrement concernant l'interdiction de vente aux mineurs, les restrictions à la promotion et le contrôle de la fabrication des produits du tabac.

Une dernière précision concernant notre membership. Pour chacune des 617 organisations membres de la coalition, nous détenons une résolution officielle d'adhésion proposée et appuyée en bonne et due forme, votée par le conseil d'administration ou le conseil de ville, lorsqu'ils s'agit de municipalités. Pourquoi un tel engagement public alors que le Québec s'est toujours fait plutôt discret sur la question du tabac?

C'est qu'associés aux organismes que nous représentons se trouvent des parents, des médecins, des éducateurs et des responsables de jeunes dont plusieurs nous ont fait part à maintes reprises de leur profondes inquiétudes devant la si forte progression du tabagisme chez des enfants de 9 ou 10 ans et chez des adolescents.

Quatre autres motifs ont également amené plus de 600 organismes à intervenir publiquement. Il s'agit d'aspects qui singularisent le tabac au Québec par rapport à l'ensemble canadien. Et ce ne sont pas des aspects dont nous avons lieu d'être fiers.

Le premier est celui de la mortalité et de la souffrance. Le Québec paie un très lourd tribut à l'usage du tabac. Selon les données les plus récentes, le tabac est responsable du décès de près de 12 000 Québécois à chaque année. Si tous les décès étaient localisés dans un même lieu, ce serait l'équivalent de Joliette et Val d'Or rayés de la carte en un an et demi; Rouyn-Noranda et Baie-Comeau en 2 ans; Chicoutimi et Hull en 5 ans; Sherbrooke, 6 ans. À tous les 2 ans, ce serait l'équivalent d'un quartier de Montréal qui disparaîtrait.

Vient en second lieu le niveau de consommation du tabac. Vous le savez probablement, la plus récente étude de Santé Canada nous a révélé que c'est au Québec que le taux de tabagisme est le plus élevé au Canada, non seulement chez les jeunes de 11 à 14 ans et ceux de 15 à 19 ans, particulièrement chez les jeunes filles. Nos propres observations confirment également cette triste réalité. Il suffit d'observer le comportement des jeunes dans les lieux qu'ils fréquentent pour en voir parfois jusqu'à un sur deux avec une cigarette à la main.

Il s'agit ensuite de la vente de tabac aux mineurs. Deux enquêtes nationales indépendantes réalisées à l'automne de 1995, l'une pour le Bureau de contrôle du tabac de Santé Canada, l'autre pour la Société canadienne du cancer, en sont arrivées aux mêmes conclusions: de toutes les provinces canadiennes, c'est au Québec que les jeunes se procurent des cigarettes avec le plus de facilité. Selon l'étude à laquelle on se réfère, les proportions de commerçants varient de 75 p. 100 à presque 100 p. 100.

Enfin, le Québec est certainement l'un des endroits au Canada où la commandite de l'industrie du tabac est la plus présente. On en parle beaucoup ces temps-ci.

Plusieurs de nos membres sont inquiets de voir un produit aussi toxique promu au rang de parrain des arts et des sports, associé aux vertus de la beauté, de la force et du courage.

La commandite d'événements culturels et sportifs incite-t-elle les jeunes à commencer à fumer? La question a été posée. Les manufacturiers de tabac répliquent que la publicité n'est pas destinée aux jeunes. Tout au plus vise-t-elle à amener des fumeurs à changer de marque, prétendent-ils. Par ailleurs, lorsqu'on leur demande s'ils ont fait des études sur la question, ils répondent par l'affirmative, mais ils refusent de faire part de leurs résultats. C'est ce que rapporte un journaliste de La Presse, édition du 5 mars dernier; cet article est annexé dans notre mémoire.

Nous connaissons tout de même deux caractéristiques importantes concernant les fumeurs. Les fumeurs sont très fidèles à leur marque de cigarettes; dès l'âge de 15 ou 16 ans, un jeune a déjà adopté sa marque de cigarettes. Il va la conserver tant et aussi longtemps qu'il demeurera fumeur. Secundo, de 70 à 80 p. 100 des fumeurs adultes aujourd'hui le sont devenus avant l'âge de 18 ans.

L'industrie du tabac n'a donc pas le choix. Si elle veut survivre, elle doit cibler et recruter des jeunes. La commandite est un excellent véhicule pour ce faire et l'industrie ne lésine pas sur les moyens.

Dans l'annexe B, dans la deuxième chemise que je vous ai fait distribuer, vous y retrouverez une annonce qui a paru dans le Tobacco Reporter. C'est une revue adressée à l'industrie du tabac. Que dit cette page de publicité? On y voit une voiture de Formule 1. Ce qu'elle dit, elle décrit le placement de commandite sur une voiture de Formule 1 comme étant l'espace publicitaire le plus puissant au monde. Le nom d'une marque rejoint 18 milliards de téléspectateurs dans 102 pays à travers le monde. L'investissement minimal, je ne dis pas modeste, est de 50 000 $ et peut aller jusqu'à 40 millions et davantage si l'on commandite une voiture ou une écurie à chaque année. Ceci était pour inviter l'industrie du tabac à commanditer les voitures de Formule 1.

Plusieurs spécialistes de cette question ont bien décrit ce qui se passe avec la commandite. Messieurs Claude Cossette, un pionnier de la communication, très bien connu au Québec, Vincent Fischer, que plusieurs considèrent comme un gourou de la commandite et Normand Turgeon, professeur de marketing à l'École des hautes études commerciales sont d'accord pour affirmer que les fabricants de tabac n'investissent pas 60 millions par année en commandites pour nos beaux yeux, mais bien parce que cela rapporte. Leur opinion est sans équivoque. La commandite fait mousser les ventes et encourage les jeunes à fumer. Un document est annexé cet effet. Claude Cossettee nous dit:

Au primaire, on a lavé le cerveau des jeunes, on leur a dit que la cigarette, c'était mauvais. Mais quand ils sont dans des événements culturels ou sportifs qui sont intéressants, le tabac, qui était un produit mal vu, finit par acquérir des qualités positives.

Ailleurs, Cossette explique que la commande est intéressante pour les fabricants de tabac parce qu'elle associe des noms de marque de cigarettes à des grands noms et que le tabac tire prestige de ces vedettes. Jacques Villeneuve valorise Player's et son Grand Prix. Steffi Graff ennoblit du Maurier et ses Internationaux de tennis à Montréal. D'encrasse-poumons, le tabac devient ainsi subtilement dans la tête des jeunes synonyme de performance sportive, de force et de courage. Et Cossette de conclure:

Cette forme de persuasion sournoise qu'est la commandite atteint le destinataire au moment où il est le plus vulnérable, le plus réceptif: il se détend, il ressent du plaisir et il se laisse imbiber par l'image de marque du commanditaire dont les produits finissent par acquérir les qualités de l'événement ou de ses héros.

Pour Claude Cossette et pour nous, la commandite, c'est de la publicité qui influence les jeunes et en le niant, le lobby pro-tabac fait de la désinformation.

D'ailleurs, pour Normand Turgeon, professeur aux HÉC, qui a réalisé une enquête auprès de quelque 150 entreprises commanditant des événements sportifs et culturels, dont les industries du tabac, les commandites visent aussi à augmenter les ventes. Quand on lui dit que ce n'est pas ce que prétendent les manufacturiers de tabac, il affirme qu'ils ne disent tout simplement pas la vérité. L'article de presse qui cite les paroles de M. Turgeon est annexé à la documentation que je vous ai laissée.

Les mesures énumérées dans le projet de loi correspondent dans une très large part à celles que nous prônons à la coalition. Nous les considérons comme d'énormes gains pour la santé publique. Certes, elles ne vont pas aussi loin que nous l'aurions souhaité, mais cela n'affecte en rien notre appui.

Les représentants de la Fédération québécoise du sport étudiant nous ont fait part de leur appui aux restrictions imposées, en particulier, aux événements sportifs.

Selon eux, la commandite des événements sportifs par l'industrie du tabac est une aberration. Le sport exalte la performance physique, est un stimulant pour la santé et augmente la qualité de vie. L'usage du tabac, au contraire, diminue la performance, détruit la santé, réduit la qualité de vie.

Vous serez intéressés de savoir que pour toutes ces raisons, le sport étudiant au Québec a fait le choix de ne jamais accepter de commandite de compagnies de tabac.

En terminant, la Coalition est convaincue que cette loi est loin d'être une loi extrémiste qui irait à l'encontre de la Charte des droits et libertés, comme le prétend l'industrie. En réalité, cette loi donne le même pouvoir au gouvernement et impose le même cadre réglementaire à l'industrie du tabac que ceux dont s'accommodent très bien depuis des années l'industrie pharmaceutique et celle de l'alimentation, par exemple.

Dans les faits, ce sont les manufacturiers de tabac qui ont toujours bénéficié d'un traitement d'exception compte tenu de la toxicité de leur produit.

Par son projet de loi sur le tabac, le gouvernement met enfin les pendules à l'heure en ce qui concerne le tabac et confère à ce produit un statut conforme à sa nocivité.

C'est pourquoi nous vous demandons de ne pas concéder à l'industrie du tabac de nouveaux délais et de faire en sorte que ce projet de loi puisse recevoir la sanction royale le plus rapidement possible.

[Traduction]

M. Eric LeGresley, conseiller juridique, Association des droits des non-fumeurs: Madame la présidente, je me rends compte qu'il se fait tard. Comme tel, j'ai l'avantage de pouvoir m'en remettre à bien des déclarations qui ont été faites par mes collègues de ce groupe et des groupes précédents. Je serai donc extrêmement bref. Je n'ai que trois points à faire valoir dans mes remarques d'introduction.

Tout d'abord, le projet de loi C-71 n'a été imposé à personne à toute vitesse et sans consultation. Nous n'avons qu'à nous rappeler ce qui s'est passé en matière de lutte contre le tabagisme. En 1987, il y a environ 10 ans, le gouvernement a déposé un projet de loi dans l'intention d'interdire de nouvelles commandites par les compagnies de tabac. Celles-ci ont contourné la disposition, comme les sénateurs le savent. Player's Limitée, Matinée Limitée, du Maurier Limitée et du Maurier Council for the Performing Arts ont toutes été incorporées le 28 décembre 1988. L'affiche de la cigarette Player's a été enlevée pour être remplacée par celle de Player's Limitée. L'interdiction de commandite n'a eu aucun effet.

Cependant, tous ces groupes sportifs et artistiques ont su que l'intention du gouvernement était de mettre fin à l'utilisation par les compagnies de tabac de ces organisations pour faire la promotion de leurs marques. C'était il y a 10 ans. Elles ont été prévenues il y a longtemps.

Le jugement de la Cour suprême a été rendu il y a 18 mois. Il établit l'avenue que le gouvernement entendait emprunter pour riposter à la suppression de la Loi réglementant les produits du tabac. Les compagnies de tabac savaient clairement qu'une nouvelle mesure législative serait présentée. Elles avaient une bonne idée de ce qui s'en venait compte tenu du commentaire du jugement de la Cour suprême. Pendant 18 mois, les compagnies de tabac ont su de quoi aurait l'air ce texte législatif.

Si elles n'avaient pas encore compris ce qui s'en venait, elles l'ont compris quand la ministre Marleau a déposé le plan directeur il y a 15 mois. Le projet de loi C-71 ne va pas aussi loin que ce que promettait le document. Bon nombre d'entre nous doivent accepter le fait que nous n'avons pas obtenu ce que nous voulions du côté de la santé. Cependant, aucun de ces groupes ne peut venir devant vous et dire: «Nous ne nous attendions pas à cela».

Avec tout cela, nous sommes encore ici en train d'étudier ce texte législatif. Dans le processus politique, nous avons donné à certains des groupes sportifs et artistiques une prolongation à l'autre endroit.

Je ne pense pas que quiconque ici s'imagine qu'une fois la période de transition terminée, ces mêmes groupes ne vont pas venir demander une nouvelle fois une autre prolongation ou d'autres changements. Vous ne faites que reporter la décision de sévir à ce sujet. Le moment viendra. Vous ne faites que reporter la décision à une autre fois.

Au cours des dix dernières années, quand bon nombre de ces groupes artistiques ont commencé à accepter l'argent des fabricants de tabac, alors qu'ils auraient dû savoir que la source de ce financement viendrait à se tarir à un moment donné, les compagnies de tabac ont continué de leur accorder encore plus d'argent. Cela n'a servi qu'à accroître l'ampleur du problème politique et à augmenter le nombre d'enfants qui sont victimes du tabagisme et qui finalement en meurent.

Cette mesure législative n'est pas extrême, pas du tout. Peut-être les groupes de défense et de promotion de la santé n'ont-ils pas suffisamment réagi et ne sont-ils pas venus exprimer certaines de leurs préoccupations au sujet de dispositions dans cette mesure qui ne vont pas aussi loin que l'aurait permis la Cour suprême à notre avis. L'autre camp a pu qualifier cette mesure d'extrême.

Étant donné que je m'occupe de lutte contre le tabagisme dans de nombreux pays du monde, je peux vous dire sans hésitation qu'au mieux, cette mesure législative est moyenne. Nous nous situons dans la moyenne des pays industrialisés ici. Dans bien des pays, les restrictions imposées aux produits du tabac sont plus sévères. Dans une trentaine de pays, la publicité du tabac est complètement interdite. Nous ne sommes pas près d'une interdiction totale avec le projet de loi C-71.

Des restrictions à la commandite, des contrôles du contenu du produit et des exigences en matière d'étiquetage honnête sont toutes des choses que le projet de loi C-71 fait ou peut faire avec la réglementation. Toutes ces mesures existent dans d'autres pays.

Mon troisième point concerne les procédures juridiques utilisées dans le projet de loi C-71. L'industrie vous a exposé ses préoccupations au sujet de ces procédures. Il y a la disposition portant inversion du fardeau de la preuve, le cadre permissif sur lequel elle s'appuie. Des dispositions en matière de restrictions de la publicité et de perquisitions et de saisies -- chacune d'entre elles existe dans d'autres lois canadiennes. Elles existent dans des lois qui concernent des produits beaucoup moins mortels que le tabac.

Rien n'est nouveau ici. C'est juste que nous commençons à les appliquer à l'industrie du tabac. L'industrie a de l'argent et le bras long et elle fera flèche de tout bois.

Pour ce qui est de la commandite, à mon avis, les promotions de commandite sont des publicités du tabac, point à la ligne. Je suis d'accord avec les commentaires formulés précédemment voulant qu'il s'agisse de publicité de style de vie. Vous n'avez pas besoin de me croire. Demandez aux enfants. Des études menées par l'Université de Toronto et l'Université de l'Illinois montrent que les enfants considèrent le matériel de commandite comme des annonces de produits du tabac.

C'est mieux que cela. Vous n'avez même pas à écouter les enfants bien que ceux-ci soient les spécialistes. Les enfants sont ceux dont nous nous préoccupons le plus ici. Ce qui importe, c'est leur perception et non pas celle des adultes. Il importe également de comprendre que les compagnies de tabac les perçoivent comme des annonces.

J'ai avec moi le rapport annuel de cette année de Richemont, qui est la société qui contrôle en bout de ligne Rothmans. Concernant cinq ou six de leurs grandes marques dans le monde, il est indiqué dans le rapport annuel de cette année que la compagnie commandite un événement. Les termes qu'ils utilisent pour décrire leurs commandites dans le monde sont évocateurs. Ils disent:

La commandite de la ligue de football malaysienne est le pivot du soutien au marketing pour la Dunhill King Size.

Au sujet de leur commandite de l'émission Today's Country de Craven «A», ils disent:

Cela fournit à cette importante marque un soutien au marketing moderne et vivant.

Les compagnies de tabac disent que les commandites sont des annonces. En fait, elles disent depuis longtemps que les commandites sont plus importantes que les formes traditionnelles de publicité.

Aux États-Unis, où il y avait dans le passé -- et où il continue d'avoir -- de la publicité et des commandites sans restrictions, il y a eu une transition. Le budget consacré aux annonces traditionnelles a été réduit alors que celui de la commandite augmentait. Il existe au sujet des commandites une authenticité qu'ils ne peuvent pas créer avec les annonces. C'est pourquoi ils les préfèrent, à mon avis.

Enfin, j'aimerais adresser le commentaire suivant expressément à ceux d'entre vous qui n'ont cessé de demander plus de preuves. Je comprends cette demande. Je crois que même si la Cour suprême a dit que nous pouvons agir en nous fondant sur la raison et la logique sur certaines de ces questions, il est juste de demander plus de preuves. Si nous en avons, nous devrions vous les fournir. Quiconque est juste et a l'esprit ouvert acceptera des preuves scientifiques à titre de preuve. Les aveux des compagnies de tabac qui, après tout, connaissent davantage leurs produits et leur marketing que n'importe qui d'autre, sont une autre forme de preuve.

J'aimerais vous lire deux phrases enfouies dans un rapport financier très ennuyeux et monotone d'une compagnie de tabac. Ce rapport, rédigé par le Imperial Tobacco Group (PLC) du Royaume-Uni, figurait dans un prospectus destiné à d'éventuels investisseurs. Quiconque induit des investisseurs en erreur s'expose à des poursuites. Les compagnies ne veulent donc pas induire en erreur d'éventuels investisseurs.

La première phrase paraît sous l'intitulé «Restrictions imposées à la publicité, à la commandite et à la conception des produits»:

En 1971, l'industrie du tabac au Royaume-Uni a négocié un accord volontaire avec le gouvernement de Sa Majesté concernant la publicité, la commandite et la conception des produits.

À la page suivante, ils parlent de l'effet des restrictions sur la commandite et la publicité. À mon avis, c'est là la preuve. On y dit:

Les membres du conseil d'administration estiment que les divers règlements et les diverses restrictions, conjugués aux augmentations substantielles des taxes d'accise imposées aux produits du tabac, ont eu, et continueront d'avoir, un effet néfaste sur la taille du marché.

C'est un effet sur la taille du marché du tabac, et non pas sur la part de marché. Ces règlements, ces restrictions, s'appliquent à toutes les compagnies présentes sur le marché du tabac britannique. Les membres du conseil d'administration disent que les restrictions imposées à la commandite réduisent la taille du marché. En langage clair, cela signifie qu'elles réduisent le nombre d'enfants attirés sur le marché. Comme nous le savons tous, les enfants sont essentiellement les seuls nouveaux venus sur le marché.

Si vous avez gardé un esprit ouvert au sujet de la question, c'est là votre preuve. Les représentants de l'industrie du tabac rétorqueront que cette opinion ne vaut que pour cette seule compagnie de tabac quelque part au Royaume-Uni. C'est ce qu'ils disent à propos de Liggett. Ils disent cela chaque fois qu'une information vient d'une compagnie de tabac.

À mon avis, il y a des limites au nombre de fois où vous pouvez le dire. En fin de compte, les aveux des compagnies de tabac doivent avoir une certaine crédibilité.

Ces gens ne sont pas prêts à dire que la commandite n'a aucun effet sur la taille du marché. Ils disent que la commandite a effectivement un effet sur la taille du marché et que si vous la restreignez, vous réduisez la taille du marché. C'est tout ce que j'ai à dire sur la commandite.

Je ne vais pas parler des questions constitutionnelles en détail ici avec vous bien que je serai ravi de répondre de mon mieux à toute question que vous pourriez avoir à ce sujet. Je remarque que la plupart des avocats qui ont comparu devant vous et qui n'étaient pas des employés d'une compagnie de tabac ont dit que cette mesure législative est bien adaptée à la décision de RJR-Macdonald. Je suis d'accord avec cela. Je crois qu'elle a été adaptée de façon conservatrice à cette décision.

Certains d'entre eux s'inquiètent peut-être d'un point particulier, mais bon nombre ont dit estimer que cela relève du domaine constitutionnel. Les avocats des compagnies de tabac ne sont pas d'accord. Pas étonnant. Ils sont dans ce domaine. Ils représentent les mêmes compagnies qui vous disent que leurs produits ne causent pas de tort aux consommateurs, que cela n'a pas été prouvé.

Il n'y a qu'un point fondamental sur lequel je ne suis pas d'accord avec la Cour suprême dans cette décision. Il se peut que j'aie lu les choses différemment, mais Mme la juge McLachlin s'est trompée sur un point, et c'est relativement à l'utilisation des marques de commerce de tabac sur des produits non dérivés du tabac. C'est le seul que je vais illustrer dans mes commentaires d'ouverture.

Tout le monde connaît la marque Marlboro. C'est la marque la plus connue au monde. C'est une publicité de style de vie, je crois, selon la décision de Mme la juge McLachlin. Ces annonces ne vous donnent pas d'information sur le produit; elles essaient d'associer le produit avec un style de vie, l'imagerie du cow-boy.

Ceci, cependant, n'est pas une annonce de tabac. C'est une annonce pour une marque de commerce de tabac apposée sur un produit non dérivé du tabac. C'est une annonce pour un briquet. Pour Mme la juge McLachlin, cette publicité serait permise parce qu'elle est pour un briquet, mais si on la mettait sur un paquet de tabac, on ne pourrait pas la limiter. Elle n'a pas vu le lien logique.

Je dirais que les gens qui conduisent leur auto et les enfants qui marchent sur la rue ne remarquent pas qu'il s'agit d'une publicité pour un briquet. Combien d'entre vous ont remarqué qu'il s'agissait d'une publicité pour un briquet avant que je vous le dise? À l'heure actuelle, en France, ils font passer des publicités où le mot «Marlboro» n'est même pas mentionné. Ils disent «Un pas de plus vers l'Ouest». L'imagerie est là et vous avez l'impression qu'il s'agit d'une annonce de tabac.

Pour ce qui est des questions constitutionnelles et de répondre aux préoccupations de l'industrie, vous pouvez amender cette mesure législative jusqu'à ce que les poules aient des dents, les compagnies de tabac continueront de la contester. Elles la contesteront pour deux raisons. Tout d'abord, elles peuvent, comme elles l'ont fait au Canada, retarder l'application de certains des règlements au cours de la contestation judiciaire. C'est d'une valeur inestimable pour elles, même si elles perdent. Cela ne leur coûte pas beaucoup d'argent d'entreprendre une contestation judiciaire. C'est une somme dérisoire pour elles. Si elles retardent l'entrée en vigueur des règlements, elles ont gagné.

Deuxièmement, et ce qui est des plus importants pour moi parce que je travaille souvent dans d'autres pays du monde, dans le cadre de la stratégie globale, la compagnie de tabac ira de par le monde dire: «Ne faites pas attention à ce qui se passe au Canada parce que cette loi est encore devant les tribunaux». Je les ai vues le faire avec le jugement de la Cour suprême. Quelques semaines plus tard, on les retrouvait partout dans le monde, en Mongolie, aux îles Fidji, en Israël, influant sur la lutte contre le tabagisme.

Vous avez pour mandat de voir ce qui se passe au Canada. Malheureusement et heureusement, les effets débordent nos propres frontières. Simon Potter, qui a comparu devant vous l'autre jour pour le compte d'Imperial Tobacco, est souvent envoyé dans les pays du tiers monde pour montrer aux gens comment s'y prendre pour contester la législation en matière de tabac. Donc, ce qui se passe ici a des répercussions dans le monde en développement, et c'est là que l'industrie concentre son attention.

Je veux conclure en faisant appel aux meilleurs instincts de chacun. Pour faire ce qui est bien pour les enfants du Canada, chacun d'entre nous doit mettre de côté son esprit de clocher. Nous devons mettre les enfants au centre et à l'avant-scène, et cela comprend les groupes de défense et de promotion de la santé. Ceux-ci doivent se mordre la langue et accepter que la mesure législative n'aille pas plus loin que nous le voulions, n'aille pas aussi loin qu'on avait promis qu'elle irait et qu'elle soit encore diluée par un lobby du tabac très bien nanti financièrement. Nous devons accepter cela et régler tout problème que cela pose une autre fois.

Après bien des années, les groupes culturels et artistiques devront finalement faire face à la réalité qui leur a été présentée en 1987, à savoir que des restrictions raisonnables, dans ce cas-ci -- pas une interdiction, mais des restrictions raisonnables -- à l'utilisation par les compagnies de tabac de leurs commandites pour promouvoir les produits du tabac deviendront réalité. Ils ont eu beaucoup de temps. Ils ne peuvent pas seulement penser à leurs propres petits intérêts.

Je crois comprendre que certaines gens s'inquiètent de certaines régions du pays. Les leaders communautaires, qu'ils soient élus ou non, devront regarder plus loin que leur propre arrière-cour. Ils devront se demander si la vie des enfants, que nous nous attendons qu'ils protègent en leur qualité de citoyens publics, vaut qu'on se donne la peine de coincer l'industrie du tabac sur ces questions. Nous devons considérer la totalité des enfants du Canada, et non pas seulement un effet présumé qui pourrait se produire en un endroit ou en un autre.

Enfin, je ferai appel aux meilleurs sentiments de l'industrie du tabac. Elle devra accepter qu'elle est dans une nouvelle ère maintenant; que les intérêts de la santé publique, et non pas ceux des actionnaires, dicteront comment leurs produits sont faits, commercialisés et vendus. Essentiellement, elle doit accepter que ses produits soient traités comme tout autre produit de consommation et, notamment, comme le produit dangereux qu'ils sont.

La présidente: Merci, monsieur LeGresley.

Monsieur Gauvin, pour la première fois cet après-midi, j'ai vu ce que je crois être une corrélation entre la quantité énorme de commandites au Québec vis-à-vis du reste du pays et les statistiques sur le tabagisme au Québec. Personne n'a relevé ce point jusqu'à présent.

Pensez-vous que l'industrie du tabac a délibérément tenté de financer davantage de commandites au Québec compte tenu du nombre élevé de fumeurs dans cette province?

[Français]

M. Gauvin: Le Québec est la cour arrière, «le backyard» de l'industrie. C'est au Québec qu'il y a le plus d'emplois manufacturiers. Vu de l'extérieur, c'est comme ceci que je l'interprète, lorsqu'il s'est agi, par exemple, de débalancer les politiques canadiennes à l'égard du tabac, l'industrie s'est efforcée dans sa stratégie, à faire porter le chapeau par le Québec. Si on prend l'exemple de la grande cause qui a commencé avec le juge Chabot en 90 ou 91 et qui a défait en Cour Suprême la loi interdisant la publicité, elle a été instruite au Québec; c'est là que cela a commencé. La contrebande, qui a mené à la modification en 1994 du système de taxation du tabac, a également débuté au Québec. Vous avez raison de le mentionner, il y a une vulnérabilité. Je n'ai pas vu, à moins que je ne me trompe, dans d'autres provinces canadiennes, des gens, des artistes, des chauffeurs de taxi, des restaurateurs, aller dans les rues soi-disant de façon spontanée pour s'opposer au projet de loi C-71. Ce mouvement spontané s'est effectué au moins dans deux villes, le même jour et à la même heure au Québec: ça sent un peu l'organisation.

L'industrie du tabac est très forte au Québec. Le maire de Montréal est venu ici; le maire de Toronto n'est pas venu ici, je crois, ni celui de Vancouver, mais le maire de Montréal est venu. Il y a deux usines à Montréal, il y en a une à Québec. Nous avons un gros problème sur les bras; vous avez raison.

[Traduction]

Le sénateur Kenny: Monsieur Gauvin, est-ce que j'exagérerais, à votre avis, si je disais que les compagnies de tabac jouent ce que j'appellerais la «carte du Québec»? C'est-à-dire qu'elles se rendent compte que dans la politique nationale actuelle, il existe des vulnérabilités concernant le Québec et que si le gouvernement fédéral cause du mécontentement au Québec, cela aura d'autres répercussions?

[Français]

M. Gauvin: Ce sont des gens très habiles. Ils ont un bon pouls du Québec par rapport à certaines questions délicates ou sensibles. Ils ont cette capacité de mobiliser l'opinion en leur faveur à l'encontre de ce projet de loi. Nous n'avons pas eu cette capacité. Les groupes qui sont membres de notre coalition, il y en a environ 620 maintenant, lorsque l'on essaie d'avoir, par exemple, accès aux médias, c'est plus difficile pour nous que pour les organismes commandités par le tabac ou tout autre groupe qui se dit en faveur de l'industrie du tabac. L'industrie du tabac sait probablement très bien que si elle essayait de faire la même mobilisation dans d'autres provinces, elle serait incapable de le faire, pour toutes sortes de raisons. C'est au Québec, il me semble, que l'industrie du tabac devra frapper si elle souhaite faire obstacle au projet de loi du gouvernement fédéral. Je n'ai pas vu ailleurs au Canada d'autres manifestations, comme nous en avons eues chez nous. Est-ce que cela répond à votre question?

[Traduction]

Le sénateur Kenny: Oui.

Monsieur LeGresley, vous nous avez parlé d'un prospectus d'Imperial Tobacco. Vous ne nous avez pas montré un prospectus canadien, mais je suppose que les autres fabricants au Canada doivent s'adresser de temps en temps au marché pour obtenir du financement. J'imagine que les actions sont échangées à la bourse américaine, et qu'ils doivent probablement déposer un 10K ou quelque chose de ce genre. Avez-vous eu l'occasion d'étudier des dépôts de prospectus canadiens pour voir si l'on y trouve des aveux comparables? La loi s'appliquerait avec la même rigueur s'ils admettaient cela au Canada.

M. LeGresley: Vous avez raison. Deux compagnies canadiennes sur trois sont cotées à la bourse au Canada. RJR-Macdonald est possédée à 100 p. 100 par RJR. Je n'ai vu aucun aveu semblable dans un rapport financier des compagnies canadiennes cotées en bourse.

Le sénateur Kenny: Quand RJR Nabisco dépose un prospectus, quand les barbares étaient à la barrière, ou quand ils ont dû déposer leurs 10K à New York, quels renseignements ont-ils donnés?

M. LeGresley: Pour ce qui est du litige -- et c'est le seul dont je peux me rappeler -- ils ont émis une déclaration type disant qu'ils ne pouvaient prédire l'issue des poursuites, mais qu'ils avaient gagné dans le passé. Ils essaient de se couvrir. Je ne les ai pas vus faire un aveu sur ce point non plus. J'aimerais qu'on me prouve que j'ai tort. Honnêtement, je n'ai pas examiné ces documents en détail.

Le sénateur Kenny: C'est étrange parce que les normes dans ce domaine deviennent de plus en plus sévères et que les autorités de réglementation exigent plus d'information. Ces gens s'exposent évidemment à des poursuites en recours collectif. On penserait qu'à un moment donné un actionnaire qui n'a pas aimé la performance de son bloc d'actions dirait: «Regardez, j'ai acheté une action ou deux de votre compagnie, et j'ai ici le prospectus. Pourquoi ne m'avez-vous pas prévenu que ces choses pouvaient arriver?»

M. LeGresley: Vous avez tout à fait raison. Je crois que ce genre de chose se produira.

Le sénateur Kenny: Devrions-nous charger des attachés de recherche de vérifier cela ce soir?

M. LeGresley: Je ne le sais pas. J'aimerais pouvoir y répondre. Ce n'est pas le genre de documents que les gens lisent habituellement. Les gens lisent les documents tape-à-l'oeil.

Le sénateur Kenny: Habituellement, les gens n'ont pas à lire ce genre de documents. Seuls certains d'entre nous y sont obligés. Nous pouvons alors les brandir devant la caméra et tout le monde sera au courant.

M. LeGresley: Pour répondre à votre question, je ne connais pas d'autres compagnies qui ont fait des aveux de ce genre mis à part Imperial Tobacco. Je n'ai vu personne d'autre faire ce genre d'aveu de cette façon là. Il existe certainement des documents internes de certaines compagnies de tabac portant sur leur stratégie de commercialisation, qui indiquent que les commandites peuvent être axées sur les jeunes. Certains de ces documents sont devant vous mais il s'agit d'un aveu d'une forme différente.

Le sénateur Kenny: Vous avez présenté certains arguments convaincants à propos de la façon dont elles utilisent la promotion non seulement pour augmenter leur part du marché mais pour attirer de nouveaux fumeurs. Un économiste a comparu devant nous hier. Il a laissé entendre qu'à bien des égards, certaines de ces promotions n'augmentent pas vraiment les recettes dans l'ensemble du pays. En fait, elles peuvent être localisées dans une région. Les gens dépenseraient l'argent de toute façon. S'ils ne dépensent pas cet argent pour aller au Festival de jazz, ils le dépenseront pour aller jouer aux quilles à Sherbrooke ou pour aller voir un film à Magog. Ils sont allés au Festival de jazz parce qu'il se trouvait qu'un festival avait lieu. Il n'y a pas eu de retombées économiques nettes pour Montréal, si vous voulez, parce que dans l'esprit des gens, c'était de l'argent déjà réservé aux loisirs.

Si c'est effectivement le cas, on pourrait en conclure que les compagnies de tabac avaient d'autres raisons de faire ces promotions, entre autres de créer une coalition politique pour influencer les assemblées législatives.

M. LeGresley: Je suis tout à fait d'accord avec vous. Il existe diverses raisons pour lesquelles l'industrie du tabac fait ce genre de commandites. En ce qui concerne certains grands événements, l'une des raisons est la reconnaissance d'une marque. Elle le fait pour des raisons commerciales. Cependant, soutenir le petit théâtre de Magog, verser quelques dollars au Témiscamingue et appuyer une association bénévole quelconque de Red Deer ne sont pas des initiatives qui attireront les gens. C'est, à mon avis, une façon de se faire du capital politique. C'est une forme de régime d'assurance et le moment est venu pour elle de réclamer son dû.

Nous avons vu la procession qui a défilé devant non seulement votre comité mais devant le Comité de la santé. J'ai téléphoné à certaines de ces organisations et chaque fois j'ai abouti au même endroit. J'ai téléphoné à l'une de ces organisations il y a quelque temps et le téléphone sonne au Conseil canadien des fabricants des produits du tabac. L'organisation porte un autre nom. Ce sont des groupes de façade. Je n'ai aucune hésitation à le dire. Un grand nombre de ces organisations -- et certaines d'entre elles l'ont admis -- sont payées par l'industrie du tabac. Elles sont là pour cette raison. C'est la raison pour laquelle l'industrie commandite ce genre d'événements, à mon avis.

[Français]

Le sénateur Pearson: J'ai été très frappée lorsque vous avez dit que des jeunes de l'Association du sport étudiant au Québec ont fait le choix de ne jamais accepter de commandites de tabac. Savez-vous s'il existe d'autres groupes qui ont eu le même courage?

M. Gauvin: Il n'y a pas d'autres groupes au Québec qui nous ont manifesté publiquement leur appui et qui se sont affichés publiquement. Un exemple dont je me rappelle à cet égard est celui de M. Steve Podborsky, il y a plusieurs années, qui refusa de participer à la Coupe du trophée de Ski Export du Canada, justement pour les mêmes raisons.

Le sénateur Pearson: Je trouve qu'il s'agit quand même là d'une bonne nouvelle.

Le sénateur Beaudoin: M. Gauvin, je voulais revenir sur le point que madame la présidente a soulevé, que je trouve extrêmement important dans le débat actuel. Mon impression, c'est que les gens à Montréal et au Québec en général sont attirés par des événements culturels -- et partout au Canada, bien sûr -- mais prenons le cas du Québec. Je pense au Festival de jazz, au Festival des films du monde au mois d'août à Montréal. Je pense également à Jacques Villeneuve, mais c'est dans le domaine sportif et c'est un peu plus international, plus canadien.

Les compagnies de tabac ne seraient pas là qu'il y aurait quand même un très grand engouement pour ces événements culturels. Autrement dit, je me demande si les compagnies de tabac n'ont pas rempli un certain vide en intervenant dans ces domaines. Je ne dis pas que c'est bien ou mal. Je n'interroge pas leurs motifs, mais ces compagnies sont intervenues. Elles ne seraient pas intervenues que les Québécois auraient eu le même engouement pour le théâtre, le cinéma, le jazz et les sports en général, que ce soit le tennis, le hockey, et cetera. Je fais toujours le parallèle avec Radio-Canada, qui a été instaurée dans les années 1930 au Québec, où je connais mieux le contexte. Cela a été une révolution complète. Cela a été un moteur culturel qui a changé le visage du Québec dans une très grande mesure et du Canada aussi, bien sûr, et du Canada francophone hors Québec. Radio-Canada a fait peut-être plus encore pour la culture que bien d'autres organismes d'éducation. Je me demande si ce n'est pas un événement qui se serait produit de toute façon, et sans l'apport des compagnies de tabac. Nous aurions peut-être obtenu les mêmes résultats. J'aimerais avoir votre opinion là-dessus. Je ne connais pas les raisons profondes de l'intervention de ces compagnies, mais je pense que les événements culturels se seraient développés quand même si d'autres les avaient financés.

M. Gauvin: La culture n'est certainement pas le véhicule d'affaires, entre guillemets, le plus facile à supporter. L'État la subventionne abondamment. Les arts et les lettres sont abondamment subventionnés, sinon ils auraient énormément de difficultés à vivre d'eux-mêmes dans notre société. C'est comme si les secteurs privé et public décidaient de collaborer pour venir en aide à des personnes, à des initiatives, à des groupes, des festivals, des troupes de théâtre qui font la promotion de la culture sous différentes formes. Cela fait partie du contrat dans lequel notre société vit.

Au sujet des événements de Montréal ou des événements au Québec, je réponds à votre question par la fin, du moins de mon point de vue; on sonne l'alarme en disant que le projet de loi actuel signifie la mort d'artistes ou de groupes ou d'événements, de festivals de toutes sortes, d'événements culturels et artistiques auxquels la population tient, et avec raison. J'appelle cela des tactiques de peur; on sonne une sonnette d'alarme, mais les preuves ne sont pas là. On a beaccuoup parlé de preuves devant ce comité, mais les preuves ne sont pas là que ces événements vont disparaître. Personnellement, je ne le crois pas. Personne n'a fait la preuve que ces événements allaient disparaître parce que le projet de loi allait restreindre et non interdire une commandite qui est en moyenne de 4 à 5 p. 100. Je dis en moyenne, il y en a qui ont plus et il y en a qui ont beaucoup moins. Comme le disait mon collègue Eric LeGresley, on dissémine un peu partout des petits montants. Je suis loin d'être convaincu que cela signifie la mort de ces événements.

Vous avez cité l'exemple de Radio-Canada qui continue encore. Je suis un auditeur très fidèle de Radio-Canada, sur une base quotidienne. On vient de changer considérablement la programmation FM, en particulier en soirée, à cause d'une réorganisation demandée par des coupures budgétaires. Je ne suis pas la situation financière de Radio-Canada, je ne suis pas un spécialiste, mais il me semble que les coupures ont été abondantes ces dernières années. On parle de plusieurs dizaines de points de pourcentage. Radio-Canada est encore là, à ce que je sache. Et à la télévision, je reçois encore la couleur chez moi et non le noir et blanc!

Le sénateur Beaudoin: Lorsque dites que même si la loi est appliquée, cela ne prouve pas que les commandites ne continueraient pas, je suis porté à être d'accord avec vous. Je pense que cela continuerait, qu'il y aurait peut-être des substituts. Je suis d'accord avec vous, il n'y a pas de preuve. Ce qui m'a toujours frappé dans le débat actuel, c'est que les gens disent qu'ils aiment le jazz, qu'ils aiment ceci ou cela, X, Y, Z sont prêts à le financer, et les gens se disent tant mieux. C'est la réaction des gens, il ne faut pas chercher midi à quatorze heures. L'État le ferait à la place des compagnies et les gens seraient très contents, à mon avis. Si le financement venait de d'autres entreprises privées, si le financement venait du Québec, d'Ottawa ou de la Ville de Montréal, et si les gens recevaient autant de millions de dollars qu'ils en reçoivent, ils seraient très contents; ils n'auraient rien contre le projet de loi C-71.

Autrement dit, je me demande si ce n'est pas le fait qu'un vide a été rempli parce qu'il y avait des besoins et que d'autres pourraient combler ce vide demain; ce serait une toute autre situation.

Mais je trouve votre intervention intéressante quand vous dites que même si la loi est adoptée, cela ne veut pas dire du tout que ces événements disparaîtraient. Il n'y a pas de preuve de cela non plus.

M. Gauvin: Pour ajouter un commentaire à votre question: le tabac a-t-il rempli un vide?

Le sénateur Beaudoin: Je me pose la question.

M. Gauvin: Moi aussi, car c'est une question pertinente. Je peux dire deux choses là-dessus: l'industrie du tabac était intéressée à s'assurer la visibilité. Des experts nous ont dit, et je ne suis pas un expert en marketing, que la commandite était un phénomène en croissance et on ne parle pas juste du Canada, on parle aussi des États-Unis. Le déplacement des budgets de publicité traditionnels vers des budgets de commandites est un phénomène nord-américain qui va en croissant. Ce qui a accéléré ce processus au Canada, c'est la loi de 1989 interdisant la publicité. Les gens se sont retrouvés à commanditer des événements sous leur nom de marque associé à une autre compagnie. Comme M. LeGresley le disait tout à l'heure, la marque de cigarettes de Player's a disparu pour renaître sous le nom de Player's Limited en s'associant à un événement.

L'industrie du tabac n'a peut-être pas rempli un vide, mais lorsque vous êtes organisateur d'événements et qu'on vous offre 100 000 ou 1 million de dollars pour que le nom d'une compagnie soit associé à un événement, que la compagnie demande de mettre ses couleurs associées à l'événement, de mettre le nom de la marque de cigarettes... Je suis originaire de Québec; le Festival d'été de Québec, je l'ai vu naître. Il est devenu le Festival international d'été de Québec, puis le Festival international du Maurier d'été de Québec. Ce n'est plus remplir un vide, c'est se servir d'un événement pour faire la promotion de sa marque de cigarettes. Je ne cherche pas à vous convaincre, je vous donne mon avis là-dessus.

Le sénateur Maheu: Vous avez fait un commentaire que j'ai trouvé très choquant, en tant que fédéraliste et Québécoise. Lorsque l'on dit que peut-être un projet de loi fédéral peut créer du mouvement au Québec, sans vraiment le mentionner, le mot «politique» pourrait presque être utilisé. Et il a été presque mentionné, sans toutefois le dire, je le répète. Cela m'a beaucoup choquée. Je voulais faire ce commentaire parce que, comme Québécoise et représentante du Sénat, ayant été députée auparavant, je n'accepte pas que l'on tente de faire une nuance à l'effet qu'il s'agit d'un projet de loi politique, et que pour cette raison, nous comme Québécois et Québécoises pourront peut-être aller un peu plus loin pour faire valoir nos opinions sur la cigarette et les dangers de la cigarette ou la fidélité ou l'honnêteté des compagnies de tabac.

Vous avez dit deux autres choses, monsieur Gauvin. Vous avez dit que la contrebande a commencé à Montréal. La contrebande n'a-t-elle pas commencé à Cornwall, en Ontario, et non pas au Québec? Je vous demande votre avis là-dessus. Vous avez employé trois mots et j'aimerais que vous me disiez ce que vous voulez dire par «la cour arrière»; en anglais, c'est le «backyard». Qu'entendez-vous par là? Je trouve cela moins acceptable. Québec n'est pas la cour arrière de rien, surtout pas dans notre pays. J'aimerais entendre vos commentaires.

M. Gauvin: Je vais commencer par le projet de loi fédéral, entre guillemets. Je n'ai certainement pas voulu insulter quiconque. J'ai voulu simplement rapporter qu'il y a un mouvement d'opinion qui s'est traduit par des interventions, en particulier du Bloc québécois au Parlement canadien, à la Chambre des communes, qui ont fait de ce projet de loi un projet de loi qui visait le Québec à cause d'événements particuliers et pour toutes sortes de raisons.

Je ne vous dis pas que je partage cette analyse, mais c'est une analyse qui a été rendue publique et qui peut avoir influencé l'opinion. C'était le sens de mon intervention. Je ne voulais pas pour dire qu'il s'agit d'un projet de loi fédéral, entre guillemets, et que cette caractéristique peut avoir des impacts. Je suis désolé que mon intervention vous ait choquée.

L'autre élément dont je parlais était la contrebande. Je n'ai pas cherché à placer une date en particulier ou un moment précis. Cependant, ce qu'on a pu constater dans l'évolution de la contrebande, c'est que c'est au Québec qu'elle a pris des proportions extrêmement importantes qui ont amené le gouvernement provincial à intervenir et à prendre des décisions qui ont ensuite produit un effet domino. Ces décisions ont semblé produire un effet sur les décisions du gouvernement fédéral, sur celles de l'Ontario, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick, qui baissaient leurs taxes sur les cigarettes parce qu'il y avait chez eux aussi de la contrebande. Ce que je voulais dire, c'est que c'est au Québec que le problème semblait prendre des proportions extrêmement importantes.

Parlons maintenant du troisième élément, qui est l'expression, «la cour arrière de l'industrie». Il y a quatre usines principales au Canada, et il y en a trois au Québec. Il y a quelques milliers d'emplois. Je crois que c'est de 2 000 à 3 000 emplois. Je n'ai pas les chiffres exacts sous les yeux. Il s'agit de 2 000 ou 3 000 emplois directs, sans compter les emplois indirects. C'est au Québec où le taux de tabagisme est le plus élevé chez les jeunes, le plus élevé chez les très jeunes, les adultes, les jeunes femmes et les femmes.

Lorsque je dis que nous avons un grand travail à faire, c'est que je pense à tout cet ensemble; c'est autant au niveau de la santé qu'au niveau de l'industrie qui est très présente.

J'imagine que si l'industrie du tabac avait des usines de transformation, par exemple, en Colombie-Britannique et qu'il n'y en avait aucune au Québec, la problématique serait tout à fait différente. C'est dans ce sens que je dis que le Québec est la cour arrière. C'est que l'industrie a des ressources considérables qui sont concentrées dans deux villes du Québec en particulier.

Le sénateur Maheu: Parlons maintenant des retombées économiques. Je sais que vous venez de Québec. Québec et Montréal, c'est loin d'être la même chose au niveau de l'impact économique. Si nous parlons des retombées économiques pour la ville de Trois-Rivières, nous parlons de 10 millions de dollars. Je n'ai aucune idée du nombre d'emplois et des retombées économiques que cela représente pour Montréal. Il ne s'agit pas juste de 2 à 4 p. 100. Ce sont des millions de dollars qui sont rattachés au niveau de l'industrie secondaire et au niveau de l'industrie en général.

Votre perception de l'impact pour Montréal n'est peut-être pas aussi profond que la nôtre qui venons de Montréal parce que vous êtes natif de Québec. Est-ce que les retombées économiques pour Montréal ne vous semblent pas sérieuses? J'aimerais entendre vos commentaires.

M. Gauvin: Non, je travaille à Montréal. Je réside dans cette région depuis plusieurs années. L'impact économique des événements culturels est considérable. À mon point de vue, l'impact économique va être maintenu avec l'adoption du projet de loi C-71. Il n'y aura pas de changement à cet égard. C'est ce que je fais valoir. Je sais que l'industrie du tabac a encore une marge de manoeuvre pour continuer à commanditer. Je ne suis pas convaincu qu'elle va se retirer de la commandite.

D'ailleurs, au comité permanent de la santé, en décembre dernier, le docteur Hill, qui était le porte-parole du Parti réformiste sur cette question, a posé la question à chaque représentant des arts et des sports qui comparaissait devant le comité: «Vous nous dites que votre événement est menacé; avez-vous reçu des nouvelles d'une entreprise qui vous a dit qu'elle ne vous commanditera plus?» Il a posé la même question à tout le monde. M. Richard Legendre, de Tennis Canada, était présent. Le Festival de Jazz était représenté, M. Andy Nolman, du Festival Juste pour rire. Tous ont dit ne pas avoir reçu d'avis à cet effet.

Le sénateur Maheu: Peut-être pas à ce moment-là.

M. Gauvin: Il y a encore de la marge de manoeuvre pour l'industrie. C'est du moins mon opinion. Il y a encore de la marge de manoeuvre dans les restrictions. Si nous envisagions la pire situation, advenant le cas où l'industrie se retirerait, ce qui n'est pas certain, à mon avis, les événements continueraient quand même avec des ajustements, parce que ce ne serait probablement pas facile ; des ajustements seraient nécessaires, mais l'événement continuerait et ne serait pas compromis.

Le sénateur Maheu: Je le souhaite.

M. Gauvin: Je le souhaite aussi.

[Traduction]

Le sénateur Doyle: Je pensais peut-être que nos témoins partageaient notre intérêt pour les affiches Marlboro. J'estime qu'elles sont un bel exemple d'art américain primitif et je suis habituellement fasciné par leur évolution.

Lorsque j'ai voyagé aux États-Unis un peu plus tôt cette année, j'ai vu une affiche que je n'avais jamais vue auparavant. Je pense qu'elle était au moins deux fois plus haute que cette pièce. Elle était très étroite, pas plus large que la partie éclairée de notre plafond. Tout ce qu'on pouvait voir d'un côté de l'affiche était l'arrière de la tête du cavalier et les boucles qui s'échappaient de son foulard. En dessous, on voyait le formidable arrière-train du cheval et ses deux sabots arrière qui ne touchaient pas le sol. Plus loin, il y avait un arbre. On pouvait voir au haut de l'affiche, dans le style classique, les lettres «M» et «A» qui donnaient l'impression d'être à moitié formées. J'ai été frappé de constater que c'est toute l'information dont j'avais besoin. Ce n'est peut-être pas minimaliste et ils devront peut-être éliminer le «M» ou ne dessiner qu'à moitié la lettre «A». Ils n'ont toutefois pas besoin d'indiquer «lighter,» «cigarette,» «Marlboro,» ou «country». L'utilisation de la couleur et des images suffit -- cela donne une idée de ce qui nous attend.

M. LeGresley: Pendant la guerre du Golfe, des réfugiés kurdes ont dû se déplacer vers le nord de l'Irak. Philip Morris, dans sa sagesse, a envoyé des colis de secours aux Kurdes. Ces colis sont arrivés dans des boîtes rouges et blanches qui portaient le logo que l'on connaît bien. Ces boîtes n'indiquaient pas «Marlboro» ou «tabac». Elles ne contenaient pas de produits du tabac. C'était une forme de publicité institutionnelle. La compagnie avait eu tellement de succès avec ces éléments de marque que c'est tout ce dont elle avait besoin. Elle était en train de préparer le terrain en vue de ventes futures. C'est une stratégie à long terme. Ce que vous avez constaté s'applique partout dans le monde.

La présidente: J'ai une dernière question. Mis à part l'information que vous nous avez donnée, est-ce qu'il y en a parmi vous qui connaissez des groupes artistiques ou sportifs qui ont pris des mesures pour ne plus accepter la commandite ou la promotion de compagnies de tabac au cours de cette période de neuf à dix ans lorsqu'ils ont appris qu'ils finiraient par y être obligés? Je sais qu'il y a deux ans, le Royal Winnipeg Ballet a pris délibérément la décision de ne pas être commandité par du Maurier parce qu'il organisait un événement en plein air destiné surtout aux enfants, appelé Ballet dans le parc. Il ne voulait tout simplement pas être associé à une compagnie de tabac.

Avez-vous d'autres exemples de ce genre?

M. LeGresley: Mes collègues peuvent peut-être ajouter d'autres commentaires mais je ne peux pas vous fournir une liste des organisations qui ont décidé de ne plus se faire commanditer parce qu'elles savaient qu'elles finiraient par ne plus pouvoir compter sur la commandite des compagnies de tabac et voulaient donc d'abord régler leurs problèmes financiers. Il existe d'autres organisations qui décident, en fonction de l'éventail des produits par exemple, qu'il ne serait pas indiqué qu'elles soient associées à une compagnie de tabac ou qui décident par principe que cela serait déplacé.

Sénateur Kenny, vous avez parlé plus tôt de fonds de remplacement pour les organisations qui acceptent à l'heure actuelle d'être commanditées par l'industrie du tabac. Je craindrais que les organisations qui rejettent la commandite de compagnies de tabac se voient en quelque sorte pénalisées si des fonds de remplacement étaient distribués, car nous nous trouverions à les pénaliser pour avoir choisi de faire preuve d'un esprit civique.

Le sénateur Kenny: Êtes-vous au courant de ces soi-disant fonds mutuels éthiques qui refusent d'investir dans les produits du tabac?

M. LeGresley: Je crois qu'il en existe certains. Nous ferons le nécessaire pour vous communiquer cette information. Je ne peux pas vous en fournir les noms pour l'instant.

M. Hagen: Ethical Fund en est un, le Ethical Group of Funds.

Le sénateur Kenny: Je suis au courant de plusieurs campagnes de financement scolaires qui ont refusé l'argent des compagnies de tabac.

La présidente: Si vous pouviez nous donner plus de renseignements à ce sujet, nous vous en serions reconnaissants.

M. Hagen: Pour ce qui est de savoir si des groupes ont décidé volontairement de ne plus être commandités par des compagnies de tabac, il y a environ trois ans à Edmonton, le conseil municipal envisageait d'interdire la commandite des compagnies de tabac sur toutes les propriétés de la ville. Il aurait été par conséquent impossible de continuer à tenir deux ou trois événements sur les propriétés de la ville. La motion n'a pas été adoptée à cause des pressions exercées par l'industrie et ses partisans mais, en fait, les organisations qui se sont battues le plus fort semblent avoir été récompensées les années suivantes en bénéficiant d'une commandite accrue. Par la suite, elles sont devenues plus dépendantes de la commandite des compagnies de tabac.

[Français]

M. Gauvin: Pour répondre à une question antérieure, un organisme, le Cirque du soleil, a déjà déclaré publiquement, il y a quelques mois, qu'il refusait toute commandite de la part de l'industrie du tabac.

[Traduction]

La présidente: Merci beaucoup.

Chers collègues, nous terminons notre journée en accueillant un groupe intéressant. Nous avons demandé à deux professeures de droit de nous parler des instances de réglementation et des pouvoirs réglementaires. Je leur demanderais de se joindre à nous maintenant.

Mme Ruth Sullivan, professeure, faculté de droit, Université d'Ottawa: Je vous remercie. Il n'y a pas grand-chose à dire sur le sujet que je vais aborder, à savoir les contraintes légales dont fait l'objet la délégation et, plus particulièrement, la légalité du régime de délégation proposé par le projet de loi C-71.

La délégation de pouvoirs par le Parlement ne fait pas l'objet de nombreuses contraintes légales. Le Parlement ne peut déléguer que les pouvoirs qu'il possède, ce qui signifie qu'il ne peut pas déléguer le pouvoir d'adopter une loi qui relève de la compétence des provinces. Il ne peut pas déléguer le pouvoir d'adopter une loi qui viole la Charte. Ces contraintes mises à part, il peut déléguer ses pouvoirs comme il l'entend. Il est vrai qu'il ne peut pas déléguer de pouvoirs à une assemblée législative provinciale. Il peut uniquement déléguer ses pouvoirs à ses subordonnés et la seule entité au Canada qui n'est pas subordonnée au Parlement est une assemblée législative provinciale. À part cela, il peut déléguer ses pouvoirs à qui il veut.

Enfin, le Parlement doit observer la forme et les modalités prescrites en matière de délégation.

Je considère qu'aucune de ces restrictions légales ne s'applique aux délégations prévues dans le projet de loi C-71, c'est-à-dire qu'aucune d'entre elles ne prétend déléguer un pouvoir que le Parlement ne possède pas. Aucun de ces pouvoirs délégués ne viole la forme et les modalités prescrites. Aucune de ces délégations ne permet de déléguer de pouvoir à une assemblée législative provinciale. Sur le plan strictement légal, je considère qu'il n'y a rien à redire au sujet des délégations prévues par le projet de loi. Il est vrai qu'un certain nombre d'entre elles sont assez vastes. En particulier, les délégations prévues à la partie I et à l'article 7 du projet de loi délèguent au gouverneur en conseil le pouvoir très vaste d'établir des normes applicables aux produits du tabac, ce qui pourrait choquer sur le plan politique. Nous pourrions considérer qu'il s'agit d'une disposition antidémocratique à certains égards, mais elle n'est pas illégale. Le Parlement est habilité à déléguer de vastes pouvoirs de décision et il n'existe aucune raison légale qui l'en empêche.

De même, certains des pouvoirs délégués prévus par le projet de loi pourraient sembler violer la primauté du droit en ce sens qu'ils autorisent le gouverneur en conseil à établir des exceptions pour certaines personnes. La primauté du droit veut que tout le monde soit régi par les mêmes règles. Ce projet de loi habilite le gouverneur en conseil à exempter certaines personnes en fonction des circonstances. À première vue, cela va à l'encontre de la primauté du droit, mais le Parlement est lui-même habilité à aller à l'encontre des principes de common law portant sur la primauté du droit. Le Parlement n'est pas lié par les principes de common law portant sur la primauté du droit et peut autoriser son délégataire à agir de même.

À mon avis, ces délégations ne présentent aucun problème sur le plan légal. Elles peuvent paraître choquantes sur le plan politique et peu appropriées sur le plan stratégique mais elles ne sont pas, à mon avis, illégales.

Enfin, vous constaterez que de nombreuses parties du projet de loi se terminent par de vastes délégations de pouvoirs, qui autorisent le gouverneur en conseil à adopter tout règlement qu'il juge nécessaire à l'application de la partie en question. Les universitaires en particulier s'opposent vivement et constamment à ce type de délégation parce qu'elle est très vaste, mais ici encore, elle est tout à fait légale.

Cela ne veut pas dire qu'il n'existe pas de contraintes. Cela veut uniquement dire qu'il n'existe pas de contraintes légales en ce qui concerne la délégation. Les pouvoirs délégués sont contrôlés principalement par le biais de la révision judiciaire. Il existe un certain nombre de contraintes qui doivent être observées. Tout d'abord, les règlements mêmes ne peuvent pas violer la Charte des droits. Les règlements mêmes ne peuvent pas être incompatibles avec les dispositions de la Loi constitutionnelle.

Tout comme le Parlement ne peut pas, dans la loi même, violer la liberté d'expression, les règlements ne le peuvent pas non plus. Toute contrainte constitutionnelle qui s'appliquerait au corps législatif s'appliquerait également à son délégataire. C'est une contrainte rassurante.

Deuxièmement, la forme et les modalités prescrites par la loi doivent être respectées. La Loi sur les textes réglementaires en énonce un nombre assez important, ce qui permet de s'assurer que les règlements en voie de préparation font l'objet d'une certaine publicité et d'un certain examen.

De plus, les amendements proposés au projet de loi ajoutent une disposition supplémentaire en matière de forme et de modalités, à savoir l'examen parlementaire. Si cette mesure était incluse dans le projet de loi, il s'agirait d'un mécanisme de protection supplémentaire et aucun règlement promulgué ne serait valide à moins qu'il respecte cette disposition particulière.

Enfin, les règlements ne sont valides que s'ils ont été autorisés expressément ou implicitement par la disposition habilitante prévue par le projet de loi. Cela bien sûr est une question d'interprétation. Une personne qui n'aime pas un règlement donné pourrait soutenir que le règlement n'a pas été autorisé par le projet de loi habilitant et qu'en fait, il va au-delà des pouvoirs conférés au gouverneur en conseil.

À cet égard, les tribunaux peuvent en fait prendre indirectement un certain nombre d'initiatives qu'ils ne seraient pas autorisés à prendre directement. Même si les tribunaux ne peuvent pas dire que le Parlement est lié par la primauté du droit, ni que le Parlement ne peut autoriser son délégataire à violer la primauté de droit, les tribunaux peuvent dire: Nous sommes persuadés que le Parlement n'agirait jamais ainsi car cela serait tout simplement choquant et le Parlement ne voudrait sûrement pas se comporter de cette façon.

L'interprétation permet d'accomplir beaucoup de choses que ne permet pas d'accomplir le droit constitutionnel en tant que tel. Par conséquent, l'important, pour le Parlement, c'est d'être clair. S'il veut violer la primauté du droit, il doit indiquer très clairement dans sa loi habilitante que telle est son intention. J'estime que le projet de loi est assez clair. Il énonce clairement que le gouverneur en conseil est autorisé à promulguer des exceptions spéciales et ainsi de suite.

Je ne sais pas à quel point on peut trouver ces principes d'interprétation rassurants. Je dirais que le Parlement a clairement prévu comment un tribunal réagirait à ce type de règlement. Il a clairement exprimé son intention d'autoriser le gouverneur en conseil à agir ainsi, même si nous pouvions nous y opposer en déclarant que cela va à l'encontre de la primauté du droit.

L'autre aspect du projet de loi C-71 sur lequel on m'a demandé de me pencher concerne les amendements proposés prévoyant un examen parlementaire. Cette disposition vise à rendre les règlements plus démocratiques. Les règlements sont pris par le gouverneur en conseil, en privé. Si le Parlement peut se voir confier un rôle quelconque dans la promulgation de ces règlements, le processus pourrait paraître alors plus démocratique.

Je ne veux offenser personne mais il n'est pas évident que ce raisonnement puisse s'appliquer au Sénat, qui n'est pas un corps élu. On peut du moins soutenir que la Chambre des communes est une instance plus démocratique que le Sénat puisqu'elle représente la population.

L'autre observation peut-être cynique que je pourrais faire, c'est qu'il existe d'autres moyens sans doute beaucoup plus efficaces de s'assurer que la teneur des règlements est portée à l'attention de ceux qu'ils visent. Il y aurait peut-être lieu d'adopter une procédure de préavis et de réception de commentaires selon laquelle l'auteur des règlements serait tenu d'annoncer la préparation des règlements et d'offrir l'occasion aux intéressés de faire des commentaires et de participer à l'établissement des règlements en question.

L'inconvénient avec l'examen parlementaire, c'est qu'il intervient trop tard. Cet examen intervient une fois que le règlement a été établi. Tout ce que le Parlement peut faire, c'est soit tenir des propos édifiants sur le projet de loi, soit dire oui ou non. Le Parlement n'a pas vraiment l'occasion de participer à la révision des règlements pour s'assurer qu'ils tiennent compte des préoccupations exprimées par certains commettants.

À mon avis, les dispositions relatives à l'examen parlementaire sont plutôt une façade, surtout lorsque nous parlons des résolutions du Sénat par opposition aux résolutions de la Chambre des communes, qui ont tendance à être prises en privé et sans représentants élus.

Malgré mes remarques cyniques -- et assez bizarrement les professeurs de droit ne semblent pas diriger le monde --, ces dispositions relatives à l'examen parlementaire sont assez courantes dans le Commonwealth. Elles semblent plaire aux législateurs même si elles déplaisent aux professeurs de droit.

Il existe trois types d'examens. L'un consiste à transmettre le règlement au Parlement simplement pour que les parlementaires puissent se tenir au courant. En règle générale, on convient que cela est assez inefficace. Si on se contente de les déposer devant le Parlement, ces règlements ont tendance à être ensevelis sous la paperasse.

La deuxième méthode consiste à renvoyer le règlement à un comité qui fait ensuite rapport au Parlement. Cette méthode vise principalement à donner au comité l'occasion de constater si le règlement comporte des aspects inhabituels, choquants ou inadéquats, puis de signaler au Parlement ou au public qu'il y aurait peut-être lieu d'y remédier. Dans certains cas, il serait peut-être même justifier de rejeter complètement le règlement. C'est le principal objectif de la deuxième méthode.

La troisième méthode permet au Parlement d'adopter une résolution pour approuver ou désapprouver le règlement. Le Parlement, c'est-à-dire la Chambre ou le Sénat ou les deux à la fois, peuvent décider d'accepter le règlement ou de le rejeter, ce qui équivaut effectivement à exercer un droit de veto.

Ce qui m'a surpris au sujet des processus d'examen parlementaire proposés par les libéraux, le Parti réformiste et le Bloc québécois, c'est qu'aucun d'entre eux n'est conforme au modèle normalisé que je viens juste de vous expliquer. Il s'agit de variantes dans tous les cas et de variantes très intéressantes dans le cas des propositions du Parti réformiste et du Bloc québécois. Nous avons la transmission habituelle au Parlement suivie d'un renvoi à un comité qui n'est toutefois pas tenu de faire rapport au Parlement. C'est le comité qui approuve ou rejette le règlement. C'est la première fois que je vois cela et je trouve cette variante intéressante.

Dans le cas de l'amendement proposé par les Libéraux, je dois dire que je ne le comprends pas vraiment. Je ne trouve pas le paragraphe 4 très clair et je ne saisis pas exactement l'idée. J'avais certaines réserves à cet égard simplement parce que je n'ai pu dire dans quelles conditions les projets de règlement seraient autorisés et quand ils seraient abandonnés. Voilà ce que j'avais à dire sur ces deux sujets.

La présidente: À des fins d'éclaircissement, nous devrions indiquer laquelle de ces propositions a été retenue et intégrée à la loi. C'est la proposition de Rose-Mary Ur, si je ne m'abuse, qui a finalement été retenue dans la version finale et qui vous pose un problème?

Mme Sullivan: Il s'agit de la proposition faite par les Libéraux.

La présidente: Oui.

Le sénateur Beaudoin: S'agit-il du paragraphe 4?

Mme Sullivan: Je ne pourrais dire d'après mes notes laquelle a été adoptée. Oui, j'ai du mal à comprendre ce paragraphe. Je le répète, je ne comprends pas très bien le paragraphe 4. Il dispose que le projet de règlement peut être pris à l'expiration des 30 jours -- ce qui est suffisamment clair -- ou si, en ce qui concerne chaque chambre du Parlement, le comité fait rapport à la Chambre ou décide de ne pas effectuer une enquête ou de ne pas tenir des audiences publiques. À tout le moins, il faut ajouter la date la plus reculée ou le premier des deux prévalant.

La présidente: Il semble que ce ne soit pas l'amendement qui ait finalement été adopté. Je peux vous remettre immédiatement celui qui a finalement été retenu. Pendant que vous y jetez un coup d'oeil, nous pourrions passer à la professeure Salter.

Mme Liora Salter, professeure, Faculté de droit, Osgoode Hall Law School: Je vous remercie de votre invitation. Vous savez que j'enseigne à la faculté de droit Osgoode Hall. Cependant vous ignorez peut-être que je suis l'un des trois professeurs de la faculté Osgoode qui ne pratique pas le droit et que je suis une spécialiste de la réglementation et non de la législation. Je m'y connais plus particulièrement en ce qui a trait à la responsabilité en matière de réglementation, à l'utilisation des sciences de même qu'à l'élaboration des décisions et de la réglementation. La science est revenue souvent sur le tapis au cours de vos délibérations. Vous avez abordé différentes questions, dont certaines très controversées, que soulève ce projet de loi. En dernière analyse, nous nous soucions de la réussite de tout ce qui doit être fait. Ces problèmes en ce qui a trait à la responsabilité et à la réglementation ont beaucoup à faire avec la question de savoir si les décisions prises apporteront en fin de compte des résultats.

Laissez-moi commencer par deux ou trois observations. Je ne suis pas spécialiste de ce projet de loi et ce n'est pas mon domaine de compétence, mais après l'avoir lu plusieurs fois, j'en conclus que la partie la plus intéressante, ce sont les articles 5 à 7 qui ne sont pas nouveaux, je suppose, mais qui confèrent le pouvoir d'établir des normes applicables aux produits du tabac. Cela permet à Santé Canada d'intervenir et de dire: «Telle quantité de ces ingrédients, dans ces conditions, sera autorisée.» Cela permit aussi à Santé Canada de demander aux fabricants de tabac de lui transmettre des renseignements. On y précise également que des méthodes d'essai seront prévues pour évaluer ces renseignements.

Je soulève cette question ici non pas parce qu'il y a beaucoup à dire à ce sujet, mais parce qu'il serait très facile, si l'on considère la portée réglementaire de ce projet de loi -- surtout en raison de la controverse qu'il suscite -- de perdre de vue certaines de ses parties les plus importantes, c'est-à-dire celles qui nous permettent de recourir à différents leviers pour contrôler l'effet néfaste sur la santé des gens qui ne cesseront pas, malgré ce que vous faites ici, de fumer demain après-midi.

Ma deuxième observation que vous avez déjà faite à maintes reprises, j'en suis convaincue, c'est que dans le domaine scientifique, la certitude n'existe pas. Il est et sera toujours possible d'affirmer devant les tribunaux que le tort n'a pas été entièrement prouvé. Pensez à tout le temps qu'il a fallu pour en arriver au point où il est maintenant possible d'apposer une mise en garde sur un paquet de cigarettes. Combien d'études? Combien de recherche? Combien de démarches dans le cadre de la recherche? L'incertitude est pour ainsi dire tenue pour acquise et tout avocat ou autre personne habile, selon le cas, peut s'en servir pour affirmer que le bien-fondé de la cause n'a pas été prouvé.

En ce qui concerne ce projet de loi, nous avons affaire à un domaine scientifique qui est encore plus incertain que celui qui s'attache aux dangers du tabac. Il s'agit des sciences sociales. Nous cherchons à trouver pourquoi les gens fument et à déterminer le rôle que jouent la publicité et les images qui incitent les gens à fumer. Je pourrais être intransigeante et dire que si nous avons besoin d'une certitude au sujet de l'effet de la publicité ou des images sur le comportement des gens, nous ne l'obtiendrons pas. Si c'est là-dessus que ce projet de loi doit être jugé, on peut alors le jeter à la poubelle. Il est impossible d'en arriver à ce niveau de certitude à partir du domaine scientifique qui intervient ici.

Les avocats promettent la certitude ou à tout le moins un grand soulagement en ce sens que vous obtenez une opinion dont vous pouvez vous accommoder. Cependant, la loi est un instrument aussi peu tranchant que les sciences. Elle risque toujours d'être contestée. Une mesure législative à l'épreuve de la Charte, ça n'existe pas. Vous pouvez faire une terrible erreur de jugement et vous exposer à une poursuite fondée sur la Charte. Vous ne pouvez toutefois éliminer le risque d'une contestation fondée sur la Charte peu importe le soin que vous prenez à mettre la dernière main à une mesure législative.

De même, il peut arriver que vous soyez poursuivi en justice mais il n'y a rien que vous puissiez faire pour l'empêcher. Si nous nous fions à ce qui se passe chez nos cousins américains, c'est un domaine qui fait l'objet de nombreuses contestations et la situation ne changera vraisemblablement pas dans un proche avenir.

La troisième observation, avant d'en arriver à la responsabilité en matière de réglementation, c'est que peu importe la rigueur que l'on met à rédiger un projet de loi ou un règlement, il y a toujours des zones où un pouvoir discrétionnaire doit être exercé. C'est peut-être la preuve que les professeurs de droit ne sont pas toujours d'accord ou il s'agit peut-être d'un point subtil sur lequel nous sommes en fait d'accord. Le pouvoir discrétionnaire fait partie intégrante de l'exercice de la compétence législative. Quand appliquez-vous la loi? Quand faites-vous preuve d'intransigeance en ce qui a trait au contrôle d'application? Comment contrôlez-vous la conformité? Jamais une règle ne pourrait être assez claire ou précise pour vous éviter d'avoir à exercer un jugement ou un pouvoir discrétionnaire. Jamais un gouvernement ne pourrait disposer d'assez de ressources pour contrôler tous les cas possibles de non-conformité, pour être là au bon moment et pour poser le geste approprié conformément à une règle ferme prévoyant exactement ce qui doit être fait.

Le pouvoir discrétionnaire peut poser un problème. C'est peut-être quelque chose dont nous voudrions nous passer, mais c'est bel et bien une réalité en fait et en droit. Le pouvoir discrétionnaire est la raison d'être du règlement. Par opposition aux lois ou aux mesures législatives, le règlement précise quand et où le pouvoir discrétionnaire peut être exercé, qui peut s'en charger, quelles lignes directrices générales devraient s'appliquer aux personnes qui peuvent exercer ces jugements et quel genre de recours sera prévu si quelqu'un prend une décision injuste ou que sais-je encore.

Vous pourriez définir le règlement comme étant les lignes directrices qui permettent l'exercice du pouvoir discrétionnaire. Comme vous ne pouvez probablement avoir une loi qui entre en vigueur sans une certaine forme de réglementation et que vous ne pouvez exercer un pouvoir discrétionnaire sans décision, le règlement fait donc partie intégrante de ce à quoi nous serons toujours confrontés.

Si c'est le cas, alors la question de la responsabilité prend une importance énorme. S'il y a un message qui se dégage de ce que les professeurs d'université, le public et les politiciens disent depuis 15 ans, c'est que les organismes de réglementation ont tendance à ne pas rendre compte de leurs décisions et qu'ils devraient peut-être le faire.

Passons maintenant à la question de la responsabilité, qui est un principe ambigu. Les critères que vous appliquez en matière de responsabilité diffèrent de ceux qu'applique ce sénateur-ci. De plus, la nature de la responsabilité varie en fonction des règlements -- et il est question de plusieurs types de règlements dans le projet de loi.

Il est très difficile de définir clairement le principe de «responsabilité» et de savoir comment l'appliquer. Nous savons très bien ce qui mène à l'absence de responsabilité. Permettez-moi de vous donner des exemples qui, je crois, vous seront très utiles.

Il y a absence de responsabilité quand vous n'avez pas suffisamment de renseignements, c'est-à-dire quand il n'y a pas de dossier public, de ressources pour surveiller l'impact de vos décisions, de dispositions prévoyant une période de préavis et de réception des commentaires. Voilà pour la première règle.

Deuxièmement, il y a absence de responsabilité quand vous n'avez pas les ressource voulues pour appliquer la loi et remplir les fonctions de surveillance qui, dans ce projet de loi-ci, sont confiées principalement aux comités parlementaires.

Si vous ne pouvez pas atteindre les objectifs que vous vous êtes fixés, alors vous avez une loi purement symbolique. Le symbolisme est quelque chose de très puissant. Par exemple, nous pourrions adopter cette loi, mais sans nommer d'inspecteurs. La loi aurait quand même une valeur symbolique, parce que les Canadiens verraient que le gouvernement s'intéresse à cette question.

C'est un facteur important, mais ce n'est pas ce à quoi s'attendent les simples citoyens quand nous adoptons un projet de loi comme celui-ci, à savoir qu'il aura tout simplement une valeur symbolique. Ils s'attendent non seulement à ce qu'on adopte des règlements, mais aussi à ce qu'on désigne quelqu'un pour vérifier qu'ils sont bien appliqués et pour prendre les mesures qui s'imposent.

S'il n'y a pas suffisamment de ressources pour atteindre les objectifs fixés par le projet de loi, et si le public s'attend à ce que le projet de loi soit mis à exécution, il y a alors absence de responsabilité.

La troisième règle Salter est la suivante: ceux qui surveillent l'application des règlements doivent faire en sorte que les organismes de réglementation rendent compte de leurs décisions. Ceux qui prennent les règlements doivent éviter de se retrouver dans une situation de conflit d'intérêt.

Je vais vous donner un exemple d'un autre type de règlement, le règlement sur l'usage de pesticides, que je connais un peu mieux. Si le ministère de l'Agriculture réglemente l'utilisation des pesticides mais, en même temps, fait tout en son pouvoir pour accroître la production de nos exploitations agricoles, ce qui implique l'utilisation de pesticides, il y a là un problème de responsabilité parce que vous devez trouver un moyen de bien faire comprendre au public et au Parlement laquelle de ces deux priorités aura préséance. Laquelle est plus importante? Est-ce que la sécurité est plus importante que l'augmentation de la production alimentaire, ou est-ce que la production alimentaire est plus importante que de vagues préoccupations concernant la sécurité?

Le fait est que si les personnes chargées de prendre les règlements ou de surveiller leur mise en application se trouvent dans une situation où leurs priorités sont en conflit, qu'elles prennent des décisions en fonction des ressources disponibles et qu'elles ne sont aucunement tenues de rendre compte de leurs décisions au public, il y a là absence de responsabilité.

Je voudrais maintenant terminer mon exposé par une constatation, un adage et une mise en garde. D'abord, les véritables questions concernant la réglementation n'ont pas été abordées dans le projet de loi. Il y a encore beaucoup à faire à ce chapitre. La controverse et l'attention ont porté sur autre chose, ce qui est fort bien, mais il conviendrait de souligner qu'il reste encore beaucoup de questions importantes à régler si l'on veut que ce projet de loi, s'il est adopté, soit efficace. Ces questions n'ont pas été abordées parce qu'on s'est attardé sur d'autres points.

L'adage, lui, est bien connu: le mieux est l'ennemi du bien. Ce qui m'amène à vous faire une mise en garde. Si l'on essaie de régler toutes les questions que j'ai soulevées aujourd'hui, le projet de loi ne passera pas. Ce projet de loi équivaut à un geste de volonté politique, à une décision de faire quelque chose. Il n'est peut-être pas parfait. Il passe sous silence certaines des questions que j'ai abordées, et en effleure à peine d'autres. Toutefois, s'il fallait reprendre tout le processus, le projet de loi ne passerait pas. Voilà pour la mise en garde.

J'aimerais ajouter que, même si le Sénat, dans sa grande sagesse, décidait d'aller de l'avant avec ce geste de volonté politique, aussi imparfait soit-il, il y a toute une série de questions qui resteraient en suspens. Merci.

La présidente: Avant de passer aux questions, madame Sullivan, aviez-vous un commentaire à faire au sujet du paragraphe 42(1)?

Mme Sullivan: Oui. Ce paragraphe est très bien rédigé et répond à bon nombre de mes préoccupations. Il est très clair et constitue une amélioration par rapport à l'ébauche que j'avais vue.

Le sénateur Beaudoin: Je suis d'accord avec tout ce que Mme Sullivan a dit au sujet de la délégation de pouvoir.

Je voudrais savoir si vous avez eu l'occasion d'examiner les autres dispositions du projet de loi, par exemple, celles qui traitent du renversement de la présomption d'innocence. D'après les jugements de la Cour suprême, l'article 23 ne pose pas de problème. Mais comme vous êtes ici et que vous connaissez bien le sujet, j'aimerais savoir ce que vous en pensez.

Mme Sullivan: Ma réaction est nuancée en partie par mes croyances politiques. Cet article ne pose aucun problème. Il soulève, bien entendu, des réserves. Il pourrait être contesté. On ne connaît pas la réponse, mais selon l'opinion généralement répandue, cette disposition est constitutionnelle, si l'on se fie aux décisions qui ont été rendues récemment. Toutefois, il s'agit là d'une opinion politique et non juridique, non pas que les deux soient dissociées.

Il faudrait effectuer une analyse fondée sur l'article premier afin de déterminer si l'objectif visé est urgent et réel, et si le critère de la proportionnalité est rempli. Il s'agit là d'une question très difficile à trancher pour les tribunaux. Mais à mon avis, l'article est constitutionnel, mais c'est tout juste.

Le sénateur Beaudoin: Nous avons eu une longue discussion hier et avant hier sur ces deux points. Évidemment, lorsqu'un problème difficile se pose, nous pouvons toujours recourir aux tribunaux. Nous ne pouvons pas y échapper. Toutefois, comme nous devons prendre une décision au sujet de ce projet de loi, nous devons aller de l'avant avec celui-ci.

Vous dites que ce projet de loi est probablement et sûrement constitutionnel?

Mme Sullivan: Oui.

Le sénateur Beaudoin: Après tout, compte tenu de la façon dont il est libellé, il suffirait peut-être que le gouvernement dise tout simplement que cette exemption est raisonnable dans une société libre et démocratique, et qu'il n'est pas nécessaire de fournir des éléments de preuve hors de tout doute raisonnable. Il suffit tout simplement de démontrer que cette mesure est raisonnable.

Mme Sullivan: Oui, je suis d'accord avec ce que vous dites. Le Parlement a également pris les moyens nécessaires pour que le projet de loi résiste à une analyse de l'article premier. C'est ce qu'avait en tête le rédacteur. Par conséquent, nous avons un préambule très clair qui définit l'objectif urgent que vise ce projet de loi. On peut voir, d'après le libellé du projet de loi, que le rédacteur savait très bien que cette mesure fera l'objet d'une contestation devant les tribunaux. Il a bien préparé sa défense. Il est donc clair que le gouvernement sera prêt à défendre le projet de loi dans le cadre d'une analyse fondée sur l'article premier, et qu'il fournira de nombreux éléments de preuve pour démontrer que chaque disposition susceptible d'être contestée est nécessaire.

C'est ce qui influence, en partie, ma réponse. Le gouvernement a probablement très bien fait ses devoirs relativement à l'article premier.

Le sénateur Beaudoin: Nous avons entendu dire, hier, que même si ce projet de loi ne prévoit pas une interdiction totale -- dans lequel cas il aurait été contraire à la Charte ou à la décision rendue dans l'affaire RJR-Macdonald --, il équivaut dans les faits à une interdiction totale. C'est la première fois que j'entends un tel argument. À mon avis, ce projet de loi ne correspond pas à une interdiction totale. Il vise plutôt à restreindre la liberté d'expression. Si c'est le cas, alors il faut se demander s'il est justifié en vertu de l'article premier de la Charte. Bien entendu, il y a des gens qui ne seront pas d'accord. Il se peut que le projet de loi soit contesté. Toutefois, les restrictions imposées semblent être raisonnables. Quel est votre avis là-dessus?

Mme Sullivan: J'ai pensé exactement la même chose quand j'ai lu le projet de loi. Si l'on jette un coup d'oeil sur la façon dont la restriction est formulée, les affiches peuvent être uniquement placées dans des endroits où elles ne sont pas susceptibles d'être vues par les jeunes. Je suppose qu'on parle ici des bars. On pourrait dire que cela équivaut à une interdiction totale. Cette restriction est très sévère, à mon avis.

Toutefois, je crois que la Cour suprême du Canada va l'accepter. Elle n'appuiera pas l'argument selon lequel ce projet de loi équivaut à une interdiction totale.

Le sénateur Beaudoin: Nous avons déjà le cas du droit de vote. Nos lois précisent que si vous n'avez pas 18 ans, vous ne pouvez pas voter. Dans un sens, cela équivaut à une interdiction totale. Toutefois, cette interdiction ne s'applique qu'à ceux qui ont moins de 18 ans.

Mme Sullivan: La différence, c'est qu'en interdisant aux moins de 18 ans de voter, on n'empêche pas les personnes qui ont plus de 18 ans d'avoir accès à la machine à voter. Cette interdiction-ci, dont le but est de protéger les moins de 18 ans, empêchera de nombreux jeunes d'avoir accès à la publicité. En effet, bon nombre des endroits que fréquentent les adultes ne pourront plus faire de la publicité sur les produits du tabac parce que les jeunes ont eux aussi accès à ces endroits. Il sera interdit de faire de la publicité sur les produits du tabac dans presque tous les lieux publics. Il y a très peu d'endroits auxquels les enfants n'ont pas accès dans notre société. C'est peut-être pour cette raison qu'on soutient que le projet de loi équivaut à une interdiction totale.

Le sénateur Beaudoin: Il n'y a pas beaucoup d'endroits comme cela, sauf les bars.

Mme Sullivan: La publicité sera permise dans ces endroits.

Le sénateur Beaudoin: Elle sera restreinte, mais non pas complètement interdite.

Mme Sullivan: C'est exact.

Le sénateur Pearson: Madame Salter, j'ai trouvé votre exposé fort intéressant. Personnellement, j'estime que nous ne consacrons pas suffisamment de temps à la question de la réglementation, nous qui passons beaucoup de temps à examiner un grand nombre de projets de lois. Au bout du compte, s'il y a des problèmes, c'est parce que les règlements sont mal conçus.

Je viens d'assister à une conférence sur le travail des enfants dans le contexte de l'ALÉNA, et nous avons examiné les problèmes qui existent à ce chapitre au Canada. Les règlements sont bien structurés, mais personne ne vérifie s'ils sont appliqués. Par conséquent, il y a toutes sortes de dérogations qui sont commises. Nous devrions toujours nous attarder sur ce point quand nous sommes saisis d'un projet de loi. Nous devons nous demander, comment procéderons-nous? Comment pouvons-nous améliorer la mise en oeuvre de cette mesure législative?

Mme Salter: C'est très simple. Nous devons mobiliser des ressources chaque fois qu'un projet de loi, comme celui-ci, présente un important volet réglementaire. Or, tous les gouvernements cherchent à réduire leurs dépenses, non pas à les augmenter. Si de nouvelles lois sont proposées et qu'elles comportent, comme dans ce cas-ci, un important volet réglementaire, alors le Parlement doit être conscient du fait qu'il devra mobiliser des ressources. À défaut de cela, le projet de loi ne sera qu'une simple mesure symbolique, qui aura une certaine valeur, mais qui ne comportera aucun mécanisme de responsabilité.

Nous dénonçons tous vivement, moi-même y compris, les règlements qui entraînent des dépenses élevées, les dépenses publiques excessives, les programmes gouvernementaux souvent inefficaces. Nous sommes rendus très loin. Je crois qu'il est de notre devoir de prendre des mesures afin de rétablir l'équilibre. Si nous ne sommes pas prêts à le faire, alors nous devrions tout simplement adopter le projet de loi tel quel, sans prévoir de mécanisme pour en assurer la mise en application.

Nous devrions surveiller la situation de près afin de voir si les dispositions sont efficaces. Nous devrions pouvoir prendre les mesures qui s'imposent, puisque nous n'aurons pas les ressources nécessaires pour intervenir dans tous les domaines. Il s'agit là d'un point important si nous voulons atteindre l'objectif du projet de loi.

Le sénateur Nolin: Madame Salter, vous avez fait un commentaire intéressant à la fin de votre exposé. Pouvez-vous nous dire de façon plus précise quelles sont les dispositions du projet de loi qui présentent des lacunes sur le plan de la réglementation?

Mme Salter: La remarque que j'ai faite à la fin de mon exposé constituait une mise en garde.

Le sénateur Nolin: Du genre, «faites bien votre travail.»

Mme Salter: C'était plus que cela.

Le sénateur Nolin: Je parle du comité.

Mme Salter: J'aimerais croire que les rédacteurs du projet de loi, et les ministères qui l'ont produit, ont analysé ces questions. Mais je n'en suis pas convaincue. Je ne crois pas qu'on puisse atteindre l'objectif visé avec ce projet de loi, dans sa forme actuelle. Il y a certaines questions qui exigent un examen plus approfondi et une approche différente.

Comme mécanisme de responsabilité, on a prévu confier à un comité parlementaire la tâche de surveiller la mise en application de la loi. Il arrive parfois qu'un comité parlementaire, comme un comité sénatorial, soit débordé de travail et qu'il n'ait pas suffisamment de ressources à sa disposition. Ce n'est pas que cette tâche ne devrait pas être confiée à un comité parlementaire. Toutefois, ce n'est peut-être pas suffisant. Il n'y a rien à ce sujet dans le projet de loi. On peut apporter toutes les modifications qu'on veut au projet de loi, cela ne réglera pas le problème.

Je ne sais pas si j'ai répondu à votre question.

Le sénateur Nolin: Non, pas vraiment. Mais ce n'est pas moi qui parraine ce projet de loi.

Mme Sullivan: Vous avez parlé plus tôt de l'importance du pouvoir discrétionnaire et je suis tout à fait d'accord avec vous sur ce point. Dans une certaine mesure, la loi doit être appliquée de façon discrétionnaire. Ce pouvoir doit être exercé par quelqu'un d'autre qu'un comité parlementaire. Vous êtes trop éloignés de ce processus pour pouvoir prendre le genre de décisions éclairées que mentionnait Mme Salter. C'est pour cette raison que nous avons des règlements.

Vous déléguez le pouvoir de décision, de réglementation et de décision ponctuelle, ainsi que le pouvoir discrétionnaire de poursuivre, parce qu'il est impossible d'appliquer vous-mêmes la loi à ceux qui offrent d'acheter des cigarettes au dépanneur. Cela est tout simplement impossible.

En un certain sens, je suis tout aussi pessimiste que vous. Toutefois, il n'y a rien, selon moi, dans la façon dont est conçu le projet de loi à l'étude qui en prévienne l'application réussie. Étant donné les très vastes délégations de pouvoirs qu'il prévoit, le ministère pourrait trouver un moyen d'assurer un suivi raisonnable et de mettre en place des mécanismes de contrôle. Savoir s'il réussira à le faire, naturellement, est une autre paire de manches, et c'est là que je partage votre pessimisme. Toutefois, je ne crois pas qu'il soit impossible d'appliquer ce projet de loi du simple fait que les délégations de pouvoirs sont si vastes.

Mme Salter: Ce n'est pas l'esprit du projet de loi qui cloche, mais plutôt le fait que les moyens prévus ne permettront pas d'atteindre les objectifs visés.

Le sénateur Nolin: Nous l'affirmons depuis le tout premier jour.

Mme Sullivan: Cela ne veut pas dire pour autant qu'il ne doive pas recevoir le feu vert. Voilà ce que je voulais dire quand je disais qu'il fallait agir avec prudence. Il y a autre chose à faire, et un comité sénatorial aurait une contribution utile à faire quant à la façon de s'y prendre.

La présidente: Par l'amendement qu'elle a ajouté au projet de loi à l'étude, c'est-à-dire le paragraphe 42(1), la Chambre des communes a renvoyé le règlement au comité d'une seule Chambre. Ainsi, le projet de loi n'a pas été renvoyé à un comité mixte de la Chambre des communes et du Sénat.

Je peux comprendre la raison pour laquelle elle ne voudrait pas que le projet de loi soit étudié par un comité de la Chambre des communes et par un comité du Sénat, parce qu'il pourrait alors y avoir désaccord entre les deux. Estimez-vous qu'il serait raisonnable, plutôt que de le confier à une seule chambre du Parlement, de le renvoyer à un comité mixte de la Chambre et du Sénat?

Mme Sullivan: Faisons un petit retour en arrière. Durant les deux décennies qui ont précédé les cinq dernières années environ, la tendance était de cesser d'examiner les règlements derrière des portes closes, dans les ministères, et d'en faire l'examen public si possible. On a beaucoup insisté sur le dépôt d'un avis, sur la possibilité de commenter les dispositions, d'en faire l'examen public, de faire circuler de l'information et d'encourager la participation publique.

Depuis trois ou quatre ans, cependant, la tendance s'est inversée. Elle est troublante parce qu'elle ne satisfait pas à l'obligation de rendre compte, pour les raisons que j'ai décrites dans mon exposé.

Que le règlement pris au terme du projet de loi à l'étude soit étudié par un comité mixte ou par un autre comité, du moment que l'examen est public, c'est valable. Il faudrait que suffisamment d'informations à son sujet circulent, qu'il y ait assez de comptes rendus publics, d'avis et de temps pour commenter, et cetera, pour que l'on puisse savoir ce qui est vraiment projeté. C'est la seule façon, en fin de compte, d'éviter la controverse qu'il susciterait autrement.

Le sénateur Beaudoin: Le problème est extrêmement intéressant, et il est dommage qu'on en parle à ce moment-ci de la journée.

Le sénateur Nolin: Les questions intéressantes sont toujours soulevées trop tard, par le dernier témoin.

Le sénateur Beaudoin: Il existe un comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes, mais son examen a toujours lieu après coup.

Le sénateur Kenny: Cela peut changer.

Le sénateur Beaudoin: Nous assistons à une multiplication des règlements, non seulement au Canada, mais également aux États-Unis. Le Parlement ne peut pas légiférer plus qu'il ne le fait déjà et il doit donc déléguer ses pouvoirs. Il faut donc prendre certains règlements. Le hic, c'est que le nombre de règlements a tant augmenté qu'il pose problème. Quand le comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes examine un règlement, il le fait après coup.

Faudrait-il que le comité mixte intervienne avant que le Cabinet ne prenne le règlement? Il est difficile de répondre à cette question. Je doute que le gouvernement en vienne à accepter cette solution. Toutefois, il faut trouver un moyen d'exercer un meilleur contrôle dans les deux chambres du Parlement.

Le sénateur Kenny: Madame la présidente, j'avais décidé de me tenir loin de ce débat, mais je me sens obligé d'intervenir. J'ai rencontré brièvement trois greffiers au bureau hier, dont l'un de la Chambre des communes. Nous avons justement abordé ce point. Faire examiner les règlements avant leur entrée en vigueur relève certes de notre compétence, et rien ne nous empêche de le faire faire par un comité mixte. Il existe des précédents.

Le sénateur Beaudoin: Avant leur entrée en vigueur?

Le sénateur Kenny: Oui, avant leur entrée en vigueur. Cela s'est déjà vu. Nous avons le temps d'examiner ces questions, alors que l'autre endroit ne l'a pas. Il jouit peut-être d'une légitimité démocratique selon vous, madame, mais cette légitimité n'est pas très utile si elle ne peut être exercée.

L'un des grands avantages de la visibilité que nous obtenons aujourd'hui, c'est qu'elle fournit une rétroaction instantanée. Chaque fois que je commets une erreur quand je prends la parole ici, mon bureau est inondé d'appels téléphoniques avant même mon retour. Si ce n'est pas une forme quelconque de reddition de comptes, j'ignore ce que c'est. Nous en avons l'occasion, madame la présidente, et je crois qu'il faudrait que le comité creuse cette question.

La présidente: Notre greffière vient tout juste de revenir d'une visite à la Chambre des lords, où il existe une procédure fort intéressante. Le comité qui examine les dispositions réglementaires d'un projet de loi doit se prononcer à leur sujet avant d'entamer l'examen du projet de loi comme tel. Ainsi, chaque projet de loi est soumis au comité de la réglementation de la Chambre des lords qui en examine uniquement les dispositions réglementaires. Si cette partie du projet de loi est réputée comporter des pouvoirs trop vastes ou trop limités, le comité en fait immédiatement rapport au ministère. De plus, si j'ai bien compris, ses recommandations sont en règle générale mises en oeuvre.

Le sénateur Beaudoin: La méthode est efficace.

Le sénateur Kenny: La Chambre des lords a-t-elle aussi l'occasion d'examiner le règlement au moment de son dépôt?

La présidente: Je ne pourrais pas vous le dire, sénateur Kenny. Il faudrait peut-être poser la question à notre légiste.

Mme Salter: J'ai un autre point à faire valoir en ce qui concerne tout ce qui pourrait émaner de votre comité concernant les questions à l'étude. Actuellement, lorsqu'un règlement est examiné, on cherche le plus souvent à en peser les coûts contre les avantages, à se demander s'il est vraiment essentiel, et ainsi de suite. J'aimerais qu'on s'interroge aussi sur la disponibilité des ressources voulues pour bien l'appliquer. On ne se pose bien souvent pas la question. Si le comité étudie la question, il faudrait qu'il se demande non seulement si les pouvoirs sont trop vastes, trop limités, trop nombreux, pas assez, mais également s'il est possible d'appliquer le règlement d'une manière conforme aux attentes du public.

Le sénateur Kenny: Madame, on pose régulièrement cette question au Sénat, et je dois vous dire que les réponses font peur. Par exemple, quand la Loi canadienne sur la protection de l'environnement a été adoptée, nous avons demandé combien d'inspecteurs étaient prévus pour la faire respecter. On en prévoyait 28. Nous en avons conclu qu'il y avait 2,8 inspecteurs par province pour appliquer une loi fort volumineuse. C'est l'éternel dilemme du législateur. Une loi est peut-être sensée et elle envoie peut-être le bon signal, mais, si le gouvernement n'a pas les moyens de l'appliquer, le législateur doit décider s'il rejette le projet de loi à cause d'un manque probable de ressources ou s'il l'adopte parce qu'il lui semble bien fondé et que l'on trouvera peut-être, à un certain moment donné, les ressources requises pour atteindre les objectifs visés.

Mme Sullivan: J'aimerais faire une observation quant à votre idée de confier un rôle plus grand au comité mixte. Je suis entièrement d'accord avec vous que, pour être efficace, il faut examiner le règlement avant sa mise en application. L'une des vertus de la procédure d'examen parlementaire est qu'elle accomplit justement cela.

Je ne crois pas qu'un comité mixte conviendrait. Le comité mixte examine la légalité d'un règlement. Il ne se préoccupe pas de questions comme l'efficacité. De toute façon, il lui serait impossible de le faire. En pratique, il ne semble pas beaucoup s'intéresser à cette partie. Ce qui le préoccupe, c'est la règle du droit.

Le sénateur Kenny: Excusez-moi. Vous parlez de l'examen de la réglementation qui est effectué par un comité mixte.

Mme Sullivan: Je croyais que c'était ce dont parlait le sénateur Beaudoin.

Le sénateur Kenny: Il y a effectivement fait allusion, mais ce n'est pas de ce comité que le sénateur Carstairs et moi parlions.

Le sénateur Beaudoin: C'est le meilleur, selon moi.

Le sénateur Kenny: Le comité d'examen de la réglementation se demande simplement si le règlement est applicable. Il faut bien que quelqu'un le fasse, et ce n'est pas un travail facile. Toutefois, le genre de comité dont nous parlons est tout à fait différent. Ce serait un comité qui se demanderait combien d'inspecteurs sont prévus pour faire le travail.

Mme Sullivan: À mon avis, pour bien le faire, il faut que le comité examine non pas la réglementation, mais le sujet visé.

Le sénateur Kenny: Exactement.

La présidente: Je vous remercie tous deux de votre exposé de cet après-midi. Il a été très utile.

Le sénateur Nolin: Madame la présidente, le premier jour d'audience, vous avez demandé au ministère de nous fournir l'ébauche du règlement. Il en manque une partie, soit la partie IV, c'est-à-dire tout ce qui concerne la publicité et les restrictions qui s'y appliquent. Nous avons besoin de cette partie.

La présidente: Je demanderai au ministère de nous la fournir au plus tôt.

La séance est levée.


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