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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 61 - Témoignages - Séance du matin


OTTAWA, le mardi 22 avril 1997

Le comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui à 9 h 02 pour étudier le projet de loi C-55, Loi modifiant le Code criminel (délinquants présentant un risque élevé de récidive), la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, la Loi sur le casier judiciaire, la Loi sur les prisons et les maisons de correction et la Loi sur le ministère du Solliciteur général.

Le sénateur Sharon Carstairs (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Bonjour, chers collègues. Nous reprenons notre étude du projet de loi C-55. Nous vous écoutons.

Mme Tamra L. Thomson, directrice, Législation et Réforme du droit, Association du Barreau canadien: Tout d'abord, nos excuses pour ce léger retard. C'est que vos agents de sécurité vous protègent bien.

L'Association du Barreau canadien est heureuse de faire valoir ses vues sur le projet de loi C-55 que votre comité étudie ce matin. L'Association du Barreau canadien est une association nationale représentant plus de 34 000 juristes du Canada, et elle a pour objectif essentiel, entre autres, l'amélioration de la loi et de l'administration de la justice.

C'est dans ce contexte que l'ABC a analysé ce projet de loi et vous fait part de ses observations aujourd'hui. Notre mémoire a été rédigé par le Comité sur l'emprisonnement et la libération et la Section nationale de justice criminelle de l'Association du Barreau canadien. Ces deux derniers groupes représentent à eux deux tous les avocats de la défense et les procureurs de la Couronne du Canada, et le Comité sur l'emprisonnement et la libération comprend quant à lui plusieurs experts de ces questions.

J'ai avec moi aujourd'hui le professeur Manson de l'Université Queen's qui est membre du Comité sur l'emprisonnement et la libération. Ses observations porteront sur le fond du projet de loi.

M. Allan Manson, professeur, Université Queen's, membre, Comité sur l'emprisonnement et la libération, Section nationale du droit pénal, Association du Barreau canadien: Je tiens à exprimer les regrets du président de notre comité, John Conroy, d'Abbotsford en Colombie-Britannique, qui ne pouvait être ici aujourd'hui, ainsi que ceux du professeur Jackson de l'Université de la Colombie-Britannique et d'Helene Dumont de Montréal.

Notre message est simple: nous vous demandons d'assurer le second examen objectif. Ce n'est pas la première fois qu'on vous demande cela, j'en suis sûr. Et j'espère qu'après nous avoir entendus, vous allez comprendre pourquoi nous disons cela.

Cette loi fera du Canada le pays dont le régime de détention préventive est le plus opprimant du Commonwealth ainsi que des autres États du monde occidental. Nous pensons que ce serait une grave erreur que d'adopter ce projet de loi. Pour illustrer mon propos, j'aborderai trois questions distinctes.

La première tient à la naissance de ce projet de loi, à sa source originale, le meurtre tragique du jeune Christopher Stephenson. Les faits qui étaient pertinents dans cette affaire ont fait l'objet de plusieurs autres initiatives depuis, si bien que le motif original ne se pose plus à notre avis.

Deuxièmement, toutes les données empiriques prouvent que le régime actuel fonctionne, et ce régime est constitué par le régime des délinquants dangereux et les dispositions du Code criminel portant sur le prononcé de la sentence et l'article 810 du Code criminel. Rien ne prouve qu'il subsiste d'autres problèmes nécessitant intervention.

Troisièmement, cette loi va sans aucun doute susciter des controverses d'ordre constitutionnel. Chose certaine, le jugement de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Lyons, qui a maintenu la validité constitutionnelle du régime actuel, pourra être déchiré en mille morceaux et oublié à jamais. De nouveaux litiges surgiront, et l'on ne peut en imaginer les résultats, mais chose certaine, s'il y a contravention et que le gouvernement est forcé de justifier ces changements, nous pensons que la cour ne trouvera absolument aucune preuve motivant ce changement.

Mais revenons à la source originale. Je serai heureux de répondre aux questions que vous voudrez bien me poser au cours de mon exposé.

Le sénateur Jessiman: Parlez-nous de l'affaire Stephenson.

M. Manson: Je vais commencer par ça. Je ne parlerai pas des modifications techniques, corrélatives, car le projet de loi C-55 ne compte vraiment que trois parties. Il y a d'abord les modifications au régime des délinquants dangereux. Notre question est essentiellement celle-ci: pourquoi? Cette mesure est inutile et ces modifications sont problématiques.

Il y a ensuite ce nouveau véhicule qu'on appelle le régime des détenus purgeant une peine de longue durée, en vertu duquel les tribunaux, dans certaines circonstances, seront autorisés à condamner quelqu'un à une peine minimale de deux ans -- autrement dit, à l'envoyer au pénitencier -- et à ajouter à cela dix années de surveillance contrôlée assortie de châtiments très sévères. Nous en reparlerons aussi.

Il y a ensuite la troisième partie qui a été amendée depuis les audiences du comité de la Chambre des communes. Cet amendement est exprimé dans le nouvel article 810.2. Nos observations porteront essentiellement sur le traitement des délinquants dangereux et les détenus purgeant une peine de longue durée.

Le meurtre du jeune Stephenson, une tragédie épouvantable, a eu lieu en Ontario et a donné naissance à une très longue enquête du coroner. Le jeune garçon avait été enlevé et assassiné. L'enquête du coroner qui y a fait suite a permis de dégager deux grandes questions. La première était de savoir pourquoi l'assassin n'avait jamais été soumis au régime des délinquants dangereux. On a trouvé la réponse à cette question dans les diverses attitudes du ministère public, de la police et de la société au moment où les infractions originales ont été commises. Autrement dit, les victimes n'ont pas voulu témoigner, les procureurs de la Couronne n'étaient pas particulièrement zélés, et ils avaient accepté des plaidoyers de culpabilité pour d'autres infractions débouchant sur des peines d'emprisonnement d'une durée déterminée.

Le sénateur Jessiman: De quoi a-t-il été reconnu coupable? Il a assassiné ce garçon. Est-ce qu'il a été reconnu coupable de meurtre?

M. Manson: L'assassin a été tué en prison avant de subir son procès. Cependant, il ne subsiste aucun doute quant à l'identité de l'assassin du jeune Stephenson.

Le sénateur Jessiman: Vous dites qu'il a été assassiné, donc les nouvelles conditions ne pourraient pas s'appliquer. Cet assassinat était-il assorti d'un délit sexuel?

M. Manson: Si l'assassin du jeune Stephenson était en liberté, c'est parce qu'il avait été condamné à des peines d'une durée déterminée et n'avait pas auparavant été soumis aux procédures régissant les délinquants dangereux. Tout le monde admet aujourd'hui que l'attitude du ministère public est très différente, et que le partage des informations entre les diverses instances se fait beaucoup mieux. N'importe quel procureur de la Couronne vous dira, si jamais il était saisi d'une telle affaire aujourd'hui, qu'il considérerait cet homme comme un délinquant dangereux et qu'il n'accepterait de plaidoyer de culpabilité pour une infraction dont l'auteur serait passible d'une peine fixe de cinq ans.

Deuxièmement, l'assassin a été libéré et n'a pas été soumis aux dispositions régissant la détention que l'on retrouve dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, et les autorités fédérales ont admis que c'était là une erreur. L'homme s'est ainsi faufilé entre les mailles du filet. Ces dispositions étaient nouvelles, et les autorités ne les connaissaient pas. Elles ne savaient pas de quels pouvoirs elles disposaient. Encore là, on ne reverrait plus ce genre de chose aujourd'hui.

Notre intervention repose essentiellement sur les recommandations de l'enquête du coroner dans l'affaire Stephenson, où il était dit que pour assurer la sécurité des enfants, il fallait que le Canada adopte une loi sur les prédateurs sexuels comme celle qu'on trouve dans l'État de Washington. Le gouvernement a alors créé un groupe de travail fédéral-provincial-territorial qui a examiné cette recommandation et conclu avec bon nombre d'entre nous qu'une telle loi serait anticonstitutionnelle au Canada. D'ailleurs, cette loi avait déjà été déclarée anticonstitutionnelle aux États-Unis.

Ce sont les recommandations de ce même groupe de travail qui ont mené au projet de loi C-55, et j'y reviendrai.

Le groupe de travail avait essentiellement pour mission de s'interroger sur la constitutionnalité des mesures visant les prédateurs sexuels après la sentence. Le groupe de travail était d'accord pour dire que de telles mesures ne seraient pas conformes à la Constitution.

Ce que nous disons essentiellement au sujet de la tragédie du jeune Stephenson, c'est que le contexte qui l'a causée n'est plus le même depuis que le ministère public a changé d'attitude et depuis qu'on a adopté les recommandations du groupe de travail sur le partage des informations. Nous avons d'ailleurs adopté diverses lois sur les délinquants dangereux depuis 1947.

Il y a un autre aspect intéressant dans l'affaire Stephenson qui concerne l'assassin. L'assassin du jeune Stephenson était sous la garde des institutions de l'État depuis l'âge de cinq ans. Le danger que présentait cet homme, qui a fini par causer la mort d'un jeune garçon, est un danger que la société doit regarder bien en face. La société doit prendre une part de la responsabilité de ce danger.

Encore là, nous pensons que c'est le genre de projet de loi qui permet au législateur de dire: «Voyez, nous avons fait quelque chose», alors que cela ne fait que distraire notre attention des vraies causes et des vrais risques. Ce projet de loi détourne notre attention du fait que les enfants risquent d'être maltraités surtout par les membres de leur famille et les amis des membres de leur famille et non par des étrangers.

Le sénateur Jessiman: Mais ils n'entrent pas dans la définition de délinquant dangereux?

M. Manson: Peut-être que oui.

Le sénateur Jessiman: L'homme en question tombait-il dans cette catégorie?

M. Manson: Oui, sans aucun doute. S'il n'a jamais été poursuivi comme délinquant dangereux, c'est que la famille de l'enfant qui avait été agressé plusieurs années auparavant n'a pas voulu endurer les poursuites judiciaires. Je ne pense pas que c'est ce qui se passerait aujourd'hui. Un procureur principal irait voir la famille et lui expliquerait l'importance de sa collaboration. De nombreuses dispositions nouvelles du code facilitent le témoignage des enfants. Les choses se passent différemment qu'au début des années 80. Nous avons réglé ce genre de problème de diverses façons.

Également, nous bénéficions du paragraphe 810.1(1) du code, qui n'existait pas à l'époque:

810.1(1) Quiconque a des motifs raisonnables de craindre que des personnes âgées de moins de 14 ans seront victimes d'une infraction visée aux articles 151, 152, 155 ou 159 [...] ou 271 [...]

Ce sont les infractions d'agression sexuelle...

[...] peut déposer une dénonciation devant un juge d'une cour provinciale [...]

La personne peut faire l'objet de ce qu'on appelle couramment un engagement de ne pas troubler l'ordre public. D'ailleurs, le caractère constitutionnel d'une telle disposition est présentement soumis à l'attention des tribunaux dans le cadre de l'affaire Budreo. M. Budreo purgeait tout juste une peine de quatre ans et il a été détenu jusqu'à l'expiration du mandat. Au moment de sa libération, les services policiers estimaient d'après des preuves psychiatriques que M. Budreo représentait un risque pour les enfants. Il a donc été assujetti à l'obligation de ne pas troubler la paix publique et à des mesures de surveillance. Ainsi, de tels pouvoirs existent à l'heure actuelle, ce qui n'était pas le cas il y a 15 ans.

J'aimerais me pencher sur d'autres faits qui concernent le régime des délinquants dangereux. À l'heure actuelle, environ 100 délinquants dangereux sont incarcérés. La plupart d'entre eux proviennent de l'Ontario et de la Colombie-Britannique. C'est l'inverse de ce que l'on pouvait constater à l'époque du comité Ouimet, en 1969. À ce moment-là, la Colombie-Britannique était la capitale canadienne des récidivistes. C'est maintenant l'Ontario qui détient ce titre.

Le sénateur Gigantès: Voilà ce qui arrive lorsqu'on élit Harris.

La présidente: Sénateurs, vous êtes tout à fait libre d'intervenir mais je vous prierais de veiller à ce que vos microphones soient allumés.

M. Manson: Le Québec a désavoué les dispositions relatives aux délinquants dangereux et d'ailleurs une seule demande pour déclarer un délinquant dangereux a été faite dans toute l'histoire du Québec.

Le sénateur Gigantès: Que voulez-vous dire par là?

M. Manson: Au Québec, les procureurs, pour la plupart, n'envisagent pas de demander qu'un délinquant soit déclaré délinquant dangereux. Leurs poursuites sont fondées sur un délit particulier auquel correspond une peine bien précise. Ainsi dans toute son histoire le Québec n'a présenté qu'une seule demande de déclaration de délinquant dangereux et j'aimerais à cet égard vous lire un passage extrait du rapport du groupe de travail fédéral-provincial-territorial concernant l'approche du Québec.

Il s'agit du rapport qui a débouché sur le projet de loi C-55 en raison de l'importance des données statistiques sur la justice pénale au Québec en 1995. En 1995, le taux de criminalité avec violence au Canada a baissé de 4,1 p. 100. Au Québec, pour la même année, la baisse a été de 7,5 p. 100. Ainsi, la décision du Québec de ne pas s'appuyer sur les dispositions législatives visant les délinquants dangereux n'a pas entraîné un accroissement du taux de la criminalité avec violence.

Je vous lis donc le commentaire suivant du groupe de travail, au sujet du Québec:

[...] le recours aux dispositions relatives aux délinquants dangereux ne semble être ni suffisant, ni nécessaire. Ces dernières années, le Québec a mis au point un régime médico-juridique efficace destiné à la clientèle provenant du système judiciaire, y compris les délinquants dangereux. Les responsables québécois estiment que leur système fonctionne bien et que les patients qui souffrent de maladie mentale où qu'ils se trouvent, bénéficient de traitements psychiatriques qui leur sont nécessaires. Comme en font régulièrement foi les taux de criminalité publiés pour les provinces canadiennes, la criminalité dans l'ensemble et ce qui importe encore dans le cadre de la présente discussion, la criminalité violente, est plus faible au Québec que dans toutes les provinces situées à l'ouest de cette dernière.

Je tiens tout simplement à souligner que le Québec a affecté ses ressources ailleurs. Les responsables québécois n'ont pas fait appel aux dispositions relatives aux délinquants dangereux et pourtant, cette province semble être un endroit plus sûr. Or, le projet de loi C-55 ne fait pas que consacrer dans une loi les dispositions relatives aux délinquants dangereux. Il les rend plus rigoureuses et, à notre avis, critiquables sur le plan constitutionnel. J'aborderai cet aspect dans un l'instant.

J'aimerais citer un arrêté très récent de la Cour d'appel de la Saskatchewan, soit l'arrêt Pollock. Il ne s'agit pas d'une affaire de très grande importance sauf qu'elle nous montre exactement quel est le fonctionnement du système actuel et pourquoi la mesure législative à l'étude est contestable. Il s'agit d'un arrêt unanime de la Cour d'appel de la Saskatchewan intervenu le 4 décembre 1996. M. Pollock avait interjeté appel de la décision le déclarant un délinquant dangereux.

Durant le procès, un différend s'est élevé entre deux psychiatres, non pas sur la dangerosité de M. Pollock mais bien sur sa traitabilité et son aptitude au traitement. Adoptant une approche conservatrice, le juge s'est déclaré d'accord avec le psychiatre qui estimait ne pas être certain que Pollock réagirait favorablement au traitement.

Ayant déclaré Pollock délinquant dangereux, le juge était confronté à une question fondamentale: le délinquant dangereux devait-il être détenu pour une période indéterminée, et donc peut-être à perpétuité, ou devait-il être assujetti à une peine de durée définie? Le juge d'instance a déclaré qu'il allait se ranger du côté du psychiatre qui n'était pas certain du fait que Pollock puisse être traité. Il décida d'emprisonner Pollock pour une durée indéterminée, peut-être perpétuelle, au lieu d'une durée déterminée.

Quelle est donc l'importance de cette affaire? Quel sera l'effet du projet de loi C-55? Cette mesure enlèvera au juge toute discrétion. Le juge ne pourra plus décider si la durée de l'emprisonnement doit être déterminée ou indéterminée. La période de détention sera toujours indéterminée. La question principale dans l'affaire Pollock, qui a été tranchée dans l'intérêt de la sécurité publique, ne se posera même plus désormais.

Dans l'affaire Pollock, également, deux psychiatres débattent de l'aptitude au traitement du prévenu. Ils conviennent du fait que l'homme représente un danger, mais ils ne s'entendent pas sur son aptitude au traitement. Or, cela ne se reproduira plus. En effet, le nouveau projet de loi prévoit qu'il n'y aura plus de psychiatres nommés par la Couronne et par la défense mais qu'il y aura plutôt une évaluation de synthèse. Elle sera faite à la demande du juge et elle donnera le ton. Il n'y aura plus de débat entre deux experts, soumis à la médiation du juge.

Le sénateur Jessiman: L'accusé a bien droit à son propre psychiatre?

M. Manson: Vous avez tout à fait raison à ce sujet. Nous estimons que l'évaluation demandée par le juge sera d'une importance déterminante et qu'elle sera pratiquement impossible à contester. En effet, il s'agira d'une évaluation déterminante.

Deuxièmement, quant à la possibilité pour l'accusé de présenter ses propres preuves, on peut se demander d'où viendront les fonds? L'aide juridique s'en chargera-t-elle. On peut également se demander si les ressources nécessaires existent. Existe-t-il même suffisamment de ressources pour assurer cette évaluation déterminante dont il est question? D'après nous, la réponse est non, à l'échelle de diverses provinces.

Les auteurs du rapport du groupe de travail se sont rendus aux Pays-Bas où ils ont visité une clinique où les experts abordent dans une optique multidisciplinaire la question relative à la dangerosité et à la détention. C'est excellent, selon nous. Je suis convaincu qu'ils ont raison. Cependant, à notre avis, il se peut qu'une telle équipe multidisciplinaire d'experts, de psychiatres, de psychologues, de travailleurs sociaux, et de divers autres professionnels n'existe même pas au Canada. Existe-t-elle à Pinel? Existe-t-elle à Penetanguishene? Existe-t-elle au Centre d'expertise légale de la Colombie-Britannique? Elle n'existe nulle part ailleurs, et à notre avis, elle n'existe pas non plus dans les trois provinces auxquelles je viens de faire allusion.

Autre aspect important, est l'attitude de tolérance qui est indissociable de la démarche néerlandaise en matière de détention. Ce sont des experts dont l'attitude n'est pas du tout la même que celle des experts de nos établissements, qui adoptent essentiellement une approche à tendance conservatrice. Nous sommes d'avis que toute cette idée d'évaluation déterminante risque de rendre le processus moins équitable du fait de l'absence du débat entre deux psychiatres, comme ce fût le cas dans l'affaire Pollock.

Le projet de loi comporte également une autre lacune. À l'heure actuelle, toute personne accusée qui est déclarée délinquant dangereux peut demander la libération conditionnelle après trois ans. Ce qui ne veut pas dire que de telles personnes sont libérées après trois ans. Il n'y a qu'un seul cas, à notre connaissance, où un délinquant dangereux a été libéré après quatre ans. Dans la plupart des cas, ils purgent des sentences de plus de 10, 15 et 20 ans. En réalité, un seul délinquant dangereux est libéré par année et moins de 1 p. 100 des délinquants dangereux sont libérés en vertu d'une forme quelconque de libération conditionnelle. Et quel sera donc l'effet du projet de loi à l'étude? Il obligera désormais ces personnes à attendre sept ans.

Permettez-moi de vous dire ce qu'ont déclaré les juges de la Cour d'appel de la Saskatchewan dans l'arrêt Pollock, après avoir entendu le plaidoyer et après avoir déclaré qu'ils respecteraient le conservatisme du juge d'instance. Les deux psychiatres avaient présenté au juge d'instance deux opinions distinctes. Ce dernier, de part ses fonctions, pouvait privilégier l'une de ces opinions. Voici ce qu'ont déclaré en définitive les juges de la Cour d'appel de la Saskatchewan, à qui cette affaire causait certaines inquiétudes:

Nous exhortons donc ceux qui sont chargés du traitement de l'appelant d'effectuer un examen périodique et de s'intéresser tout particulièrement à cet aspect de son développement. Le tribunal aimerait avoir l'assurance que, si l'attitude ou la personnalité de l'appelant a évolué avec le temps, indiquant qu'il puisse profiter d'un traitement, il aura l'occasion de recevoir un tel traitement et d'être évalué par la suite aux fins de sa libération éventuelle.

Le tribunal s'inquiétait et voulait avoir l'assurance que toutes les mesures de protection voulues, y compris la possibilité d'une libération, soient appliquées.

Or, quel sera l'effet du projet de loi à l'étude? Elle obligera les intéressés à attendre sept ans au lieu de trois avant de se présenter devant la Commission des libérations conditionnelles. Or, aucun élément de preuve ne peut être cité à l'appui d'une telle disposition, d'autant plus que, dans toute l'histoire du Canada, une seule personne a été libérée sous condition avant sept ans.

Et quelle est donc l'importance de toute cette question? En 1987, la Cour suprême du Canada a déclaré constitutionnel le régime actuel.

Le sénateur Jessiman: S'agit-il de l'affaire Lyons?

M. Manson: En effet. Dans un jugement majoritaire, M. le juge La Forest a rejeté l'argumentation fondée sur les articles 11, 9 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés. Il s'agit, a-t-il dit pour l'essentiel, d'un processus défini avec soin qui vise un très petit groupe de personnes et qui, sans être parfait, comporte d'abondantes garanties procédurales.

L'une des plus importantes -- et je puis, si vous le souhaitez, vous donner les nombreuses citations -- est la discrétion que peut, en définitive, exercer le juge d'instance en s'appuyant sur les éléments de preuve, et notamment ceux qui ont trait à l'aptitude au traitement, pour déclarer si une personne doit être condamnée à un emprisonnement de durée indéterminée ou de durée déterminée. C'était là un facteur critique pour le juge La Forest car c'est justement autour de l'exercice d'une telle discrétion que gravite toute l'affaire Pollock.

Aux termes du projet de loi C-55, cette discrétion est abolie. Elle est supprimée complètement. Si l'accusé satisfait aux critères, la détention est nécessairement pour une durée indéterminée. Pourquoi?

Dans toute l'histoire du Canada, on me dit qu'il y a eu environ sept cas où un juge d'instance n'a pas imposé d'emprisonnement de durée indéterminée à une personne qu'il reconnaissait comme délinquant dangereux. L'une des affaires pertinentes, l'affaire Robideaux, est relatée dans notre mémoire. M. Robideaux, ayant purgé sa peine a été libéré et mène aujourd'hui une vie active et productive comme membre de la collectivité. Si on lui avait imposé une détention pour une période indéterminée, je puis vous garantir qu'il serait encore en prison aujourd'hui.

Le sénateur Jessiman: Vous êtes donc en train de dire que la mesure est inconstitutionnelle?

M. Manson: Ce que je dis, c'est que, pour cette seule raison, l'arrêt Lyons doit être revu. Lorsque le juge La Forest déclare que cet examen fait partie intégrante de l'adaptation minutieuse et de l'équité du processus, que peut-on faire d'autre? Le juge La Forest a parlé explicitement de l'examen aux fins de la libération conditionnelle après trois ans, recommandé par la Commission Ouimet en 1969. Le juge La Forest a déclaré que ce serait préférable mais que nous n'aspirions pas à la perfection. Une évaluation après trois ans est suffisamment équitable. Désormais, ce sera sept ans.

La libération conditionnelle, d'après M. le juge La Forest, est le secteur qui empêche le processus d'être qualifié d'anticonstitutionnel, tout au moins aux termes de l'article 12 qui concerne les traitements cruels ou inusités et vraisemblablement, de l'article 9. Permettez-moi de vous citer certains de ses commentaires au sujet de l'importance de l'examen aux fins de la libération conditionnelle:

[...] une telle possibilité [d'obtenir une libération conditionnelle] joue moins lorsqu'il s'agit de décider si une peine de durée déterminée est cruelle et inusitée que lorsqu'il s'agit d'apprécier la constitutionnalité d'une peine imposée en vertu des dispositions [...]

visant les délinquants dangereux.

Cela tient à ce que, dans un régime de peines d'une durée déterminée, la possibilité d'obtenir une libération conditionnelle représente une mesure surajoutée de protection des intérêts du délinquant en matière de liberté. Dans le présent contexte, cependant, une fois la peine imposée, elle constitue la seule mesure de protection des intérêts du délinquant dangereux en matière de liberté.

Et plus loin:

Toutefois, j'estime que le processus de la libération conditionnelle vient empêcher que les dispositions législatives en cause ne puissent être contestées avec succès en vertu de l'article 12, car ce processus est le gage d'une incarcération qui ne durera dans chaque cas que le temps dicté par les circonstances.

Voilà ce que visait la Cour d'appel de la Saskatchewan dans l'arrêt Pollock. Le processus de la libération conditionnelle évitera à cette personne de subir une incarcération trop longue. Or, le délai passe de trois à sept ans.

Également, dans sa caractérisation du caractère équitable du processus, M. le juge La Forest prend le soin de noter qu'il comporte la participation de deux psychiatres. Or, ils sont désormais exclus.

Pourquoi donc agissons-nous de la sorte? Pourquoi le Sénat est-il saisi de ce projet de loi? Cela me dépasse. Je ne vois pas d'explication. Les dispositions relatives aux délinquants dangereux telles qu'elles existent actuellement ont un effet aussi bien préventif que punitif qui correspond, comme la Cour suprême l'a elle-même reconnu, à ses objectifs «pénologiques».

Permettez-moi maintenant d'aborder un autre problème, soit celui de l'occasion d'une correction de tir. Le projet de loi C-55 vise en effet à résoudre une question soulevée par le groupe de travail, à savoir: qu'advient-il dans le cas où de nouveaux renseignements permettent de croire que la personne poursuivie il y a un an ou cinq ans est plus dangereuse qu'on ne l'avait cru auparavant?

Comme je l'ai déjà signalé, nous disposons désormais de l'article 810.1 qui vise l'obligation de ne pas troubler la paix publique, ce qui n'existait pas à l'époque. Que prévoit donc le projet de loi à l'étude dans le cas de renseignements qui ne seraient divulgués qu'une fois rejetée la possibilité d'une demande de déclaration de délinquant dangereux par la poursuite? Or, celle-ci n'empruntera pas cette voie mais visera une infraction particulière et demandera une peine bien précise. Ce projet de loi permet à la Couronne de présenter, six mois plus tard, une demande de déclaration de délinquant dangereux, même si la peine a déjà été imposée.

Et comment la Couronne peut-elle se ménager cette occasion de corriger le tir? Elle doit donner avis, à l'étape de la poursuite qu'elle a l'intention de le faire. Il me semble pour ma part que, si on a l'intention de le faire, qu'on le fasse tout simplement. Que l'on fasse l'enquête, et que l'on agisse en conséquence. Or, si la Couronne a signifié son intention, tout bon avocat dira à son client de ne parler à personne au cours des six prochains mois, de ne participer à aucun programme de traitement, de ne rencontrer aucun psychiatre ou psychologue. Pourquoi? Parce que tout ce que le client pourrait dire pourrait tomber dans la catégorie des nouveaux renseignements qui donneraient à la Couronne l'occasion de corriger le tir. L'avocat conseillera donc à son client de rester bien tranquille dans cellule durant six mois, jusqu'à ce qu'il vienne lui dire qu'il peut parler à nouveau. Autrement, le client risquerait de relater à quelqu'un un rêve qu'il a fait à l'âge de six ans, ce qui risquerait de lui valoir une demande de déclaration de délinquant dangereux.

Ainsi, de telles dispositions risqueraient de compromettre toutes possibilités de thérapie et de traitement, tout en étant très nettement attaquables sur le plan constitutionnel, compte tenu du libellé du paragraphe 11h) de la Charte. Le ministère de la Justice aura beau s'appuyer sur le libellé du projet de loi pour tenter de dissiper le problème, il n'en restera pas moins que le libellé du paragraphe 11h) me semble bien clair et qu'il l'est et qu'il l'est également pour vous:

Tout inculpé a le droit de...

h) d'une part de ne pas être jugé de nouveau pour une infraction dont il a été définitivement acquitté, d'autre part de ne pas être jugé ni puni de nouveau pour une infraction dont il a été définitivement déclaré coupable et puni [...]

Ainsi donc, comment se peut-il que, en janvier 1997, une personne soit punie pour l'infraction X et, six mois plus tard, être obligée d'y revenir à nouveau, compte tenu du paragraphe 11h)? Cela n'a pas de sens.

Nous vous demandons de jouer votre rôle en tant qu'assemblée de réflexion et de ralentir le processus. Pourquoi voulons-nous faire une telle chose relativement aux dispositions sur les délinquants dangereux? Pourquoi le Canada veut-il être à l'avant-garde de la détention préventive? L'Angleterre a aboli ce système en 1967. En Australie, où l'on s'inquiète de certains contrevenants particuliers, on a adopté des lois précises qui permettent aux juges de rendre des décisions sur le danger que représentent certains délinquants, tous les six ou 12 mois et exigeant que la loi soit revue par le Parlement et par les tribunaux parce que cela inquiète tout le monde.

Vous trouverez au début de notre mémoire une citation du juge Bazelon du United States Federal Circuit Court of Appeal. C'était l'un des juges le plus cités et il faisait autorité aux États-Unis en matière de droit pénal. La citation est tirée de son ouvrage Questioning Authority, où il parle de la détention préventive de la façon suivante. Il signale que, par sa nature même, la détention préventive soulève de «profondes questions à la fois morales et juridiques». Pourquoi? Parce que cela consiste à demander aux gens de faire une évaluation des risques futurs et d'imposer l'emprisonnement à partir de ces prédictions.

Nous avons maintenant au Canada un régime qui a été jugé conforme à la Constitution en 1987. Comme vous pouvez le voir, c'est un régime rigoureux. L'affaire Pollock le prouve. L'affaire Lyons le prouve. Lyons avait 16 ans. Le juge de première instance a déclaré aux procureurs qui songeaient à présenter une demande de déclaration de délinquant dangereux qu'ils auraient du mal à l'obtenir parce que les critères sont très stricts. Les critères étaient applicables même au cas d'un adolescent de 16 ans. Le régime est donc rigoureux. Pourquoi le gouvernement veut-il le rendre encore plus rigoureux en adoptant le projet de loi C-55 et pourquoi veut-il créer une nouvelle controverse constitutionnelle? Je l'ignore. L'affaire Lyons devra être réexaminée; c'est évident. Le projet de loi supprime entièrement les bases de cette décision.

Permettez-moi de parler un peu du régime pour les délinquants visés par une surveillance de longue durée. C'est la deuxième solution pour le procureur s'il ne pense pas pouvoir obtenir une déclaration de délinquant dangereux ou si sa demande ne satisfait pas pleinement aux critères.

La différence entre le régime pour délinquants visés par une surveillance de longue durée et le régime pour les délinquants dangereux a trait aux conséquences de la peine. Le juge de première instance impose une peine d'emprisonnement d'au moins deux ans et le juge peut ensuite imposer une période de surveillance d'un maximum de 10 ans. Puisque la décision se base sur les risques futurs, nous considérons que tous les juges de première instance imposeront une période de surveillance de 10 ans. Si je suis juge de première instance et que vous pouvez me convaincre que l'accusé représente un risque futur, est-ce un risque pour demain, la semaine prochaine ou l'année prochaine? Quelqu'un peut-il quantifier ce risque? Quelqu'un peut-il dire que l'accusé pose un risque seulement pour six ou neuf mois? C'est impossible. L'accusé présente un risque considérable de récidive. Voilà le critère.

Par conséquent, si je suis le juge de première instance, je devrais imposer une période de surveillance de 10 ans. Je ne peux pas dire que la période sera de trois ans ou de cinq ans. Ce serait impossible à justifier. S'il y a un risque, je dois imposer la période maximale.

La personne chargée de la surveillance pourra décréter la réincarcération de l'accusé s'il viole les conditions de sa libération, non pas nécessairement pour avoir commis un nouveau délit, mais simplement pour avoir violé cette condition. Si l'on dit au délinquant de voir son conseiller tous les mercredis et qu'il saute un mercredi, il pourra être réincarcéré et sa libération sera suspendue à peu près comme ce serait le cas pour un détenu qui a obtenu sa libération conditionnelle.

N'oubliez pas non plus que ceux qui obtiennent leur libération conditionnelle purgent leur peine en liberté. C'est une forme de surveillance supplémentaire.

Au moment de ces retours périodiques à l'incarcération, le détenu peut passer jusqu'à 90 jours en prison et cela peut durer pendant 10 ans. En outre, on peut lui intenter des poursuites pour avoir violé les conditions de sa libération. Il peut s'agir soit d'un nouveau délit ou bien simplement du fait que le détenu n'a pas vu son conseiller le mercredi précédent. Le détenu qui est poursuivi pour avoir violé les conditions de sa libération est passible d'une peine pouvant aller jusqu'à 10 ans. Est-ce conforme à la Constitution?

Dans sa décision sur l'affaire Lyons, la Cour suprême parle de la nécessité d'adapter soigneusement le processus à un groupe de personnes décrit de façon claire et précise. Quelle est la différence entre les délinquants qui purgent une longue peine d'emprisonnement et les délinquants dangereux? D'abord, la disposition relative aux délinquants dangereux entre en jeu parce que le prévenu a commis un délit grave causant des blessures personnelles. Si ce n'est pas le cas, on ne peut pas avoir recours à cette disposition.

On n'exige pas une telle chose dans le cas du régime relatif aux délinquants visés par une surveillance de longue durée. On prévoit plutôt certaines conditions qui s'appliquent à des délits comprenant toutes les agressions sexuelles, qu'elles soient graves ou moins graves, les attouchements sexuels et l'invitation à un attouchement sexuel. S'agit-il d'un processus soigneusement conçu pour s'appliquer à un groupe décrit de façon précise? Non.

Les dispositions relatives aux délinquants dangereux s'appliquent uniquement s'il y a eu menace à la vie, à la sécurité ou au bien-être physique ou mental d'une personne. Les dispositions relatives aux délinquants visés par une surveillance de longue durée s'appliquent si l'on peut simplement prouver des risques considérables de récidive.

Juge-t-on qu'il faut plus de surveillance dans certains cas? À l'heure actuelle, la liberté surveillée ne peut durer que trois ans au maximum et une violation des conditions de la libération n'entraîne qu'une peine maximale de deux ans de prison. Les dispositions pourraient être modifiées pour prévoir plutôt une peine d'emprisonnement de trois, quatre ou cinq ans, mais nous avons simplement un nouveau régime qui décrète tout de suite une peine de dix ans.

Je voudrais dire une dernière chose à propos des délinquants visés par une surveillance de longue durée. L'un des arguments du ministère de la Justice à propos de la justice et de la souplesse de ce système, c'est que le détenu peut toujours demander qu'on modifie cette période de dix ans.

J'ignore de quelle province vous êtes originaires, sénateurs, mais cela m'étonnerait beaucoup d'apprendre que vous veniez d'une province où le régime d'aide juridique finance une demande par un tel délinquant qui a obtenu sa libération sous surveillance à un juge de la Cour supérieure. Les régimes d'aide juridique sont en état de crise. C'est très bien d'inclure de telles dispositions dans le Code et d'offrir aux délinquants le droit de se présenter de nouveau devant les tribunaux pour faire une telle demande, mais les régimes d'aide juridique ne financeront pas ces demandes; c'est un droit illusoire.

C'est un peu comme certains des examens qui sont faits selon les modalités de la Loi sur les jeunes contrevenants. Tout le monde dit que le jeune contrevenant peut demander au tribunal de réexaminer son cas. Qui paiera pour l'avocat? Pensez-vous que les contrevenants vont le faire eux-mêmes? Je répondrai volontiers à vos questions à ce sujet.

Nous vous exhortons à réfléchir de nouveau et sérieusement à tout cela et à signaler à vos collègues du Parlement de ne pas trop se hâter à adopter cette mesure. Il faudrait vraiment qu'on se penche sérieusement sur ces dispositions.

Le sénateur Gigantès: Vous dites qu'un seul contrevenant a été libéré après moins de sept ans d'emprisonnement.

M. Manson: C'est le seul à ma connaissance. Je vois qu'il y a des fonctionnaires du ministère de la Justice ici et ils pourront me reprendre si je me trompe. Ces renseignements sont tirés d'une étude menée par le ministère de la Justice il y a quelques années.

Le sénateur Gigantès: La norme semble être de sept ans, mais vous vous opposez à une période de sept ans. Cela me laisse un peu perplexe. L'argument que vous avez invoqué à la fin de votre exposé correspond au critère de Solon, qui avait dit qu'il ne faut pas voir de la logique dans la force. Je ne sais donc pas comment vous répondre.

Vous dites que le juge de première instance ne pourra plus prendre lui-même de décision, mais ce sera pourtant un juge qui fera ce que vous appelez une évaluation déterminante, n'est-ce pas?

M. Manson: Le juge ordonnera l'évaluation déterminante. Il s'agit de l'avis des experts et du rapport psychiatrique unique. Le juge prendra ce rapport en compte.

Le sénateur Gigantès: Nous devons supposer que le juge examinera le rapport attentivement, qu'il a entendu parler ou qu'il a lu des choses à propos des cas que vous avez mentionnés comme les affaires Pollock et Lyons et qu'il agira en conséquence. Il ne présentera pas de rapports frivoles basés sur cette évaluation déterminante. Je ne suis pas non plus convaincu que le juge choisira nécessairement une période de surveillance de dix ans, surtout s'il est possible de réincarcérer le délinquant.

Ce que vous dites me laisse perplexe. D'une part, vous dites qu'il doit y avoir une évaluation et que vous aimez bien ce qu'il se passe lorsqu'il y a un débat entre deux psychiatres. D'autre part, vous ne semblez pas croire que les juges seront aussi sensibles, aussi bien renseignés et aussi préoccupés par le bien-être de la communauté et des détenus que vous l'êtes vous-même.

Il y a des juges sans merci, mais il y en a d'autres qui, comme vous l'avez montré vous-même, notamment le juge La Forest et d'autres, qui se préoccupent du système pénitentiaire et du sort des détenus.

M. Manson: Ce qui m'inquiète, c'est que l'on aille supprimer le pouvoir discrétionnaire du juge, lorsqu'on lui présente une demande de déclaration de délinquant dangereux, d'imposer une peine d'emprisonnement déterminée plutôt qu'une peine indéterminée. Le juge n'aurait plus ce pouvoir discrétionnaire et ne pourra plus évaluer les preuves. Je m'inquiète aussi qu'on supprime le débat entre deux psychiatres. En plus des autres preuves qui peuvent être présentées, le juge se trouvera devant l'évaluation déterminante qui, d'après le groupe de travail, proviendra d'une équipe multidisciplinaire, s'il a même accès à cette évaluation.

Ce qui nous inquiète, ce n'est pas que les juges n'examinent pas ces preuves attentivement et équitablement, mais plutôt le fait que les psychiatres et psychologues ne s'entendent pas sur les possibilités de prédiction exactes, même dans les années 80, l'American Psychiatry Association, dans un mémoire d'Amis du tribunal déposé auprès de la Cour suprême des États-Unis, disait ceci: ne laissez pas les psychiatres faire de prédictions au sujet de risques futurs dans les cas de crimes capitaux, parce que c'est impossible de faire de telles prédictions; elles seront erronées deux fois sur trois.

Je reconnais que nos moyens scientifiques s'améliorent. Même dans les documents les plus récents, les gens disent que nous faisons maintenant des évaluations plus exactes. Cependant, les experts américains Monahan et Steadman ont encore des doutes là-dessus.

Nous croyons que le juge devrait entendre le débat au lieu de recevoir une évaluation unique d'une personne qui peut représenter une école de pensée ou une autre. Peu importe de quelle école de pensée, cette personne fait partie, elle peut avoir ses propres préjugés disciplinaires. Pourquoi ne pas avoir un débat?

Le sénateur Gigantès: Vous dites qu'il y aura une équipe multidisciplinaire qui examinera la question et qui fera un rapport au juge. Ce rapport mentionnera, j'imagine, toutes divergences de vue possibles, au sein de l'équipe multidisciplinaire et, si le juge est un bon juge, ce que nous devons supposer, il demandera si l'opinion est unanime. Le juge aura entendu parler de ce mémoire d'Amis du tribunal présenté par l'American Psychiatric Association.

Il me semble que n'importe quel juge qui a un peu d'expérience ne fera pas confiance aux psychiatres. Il est impossible de faire confiance au pouvoir de prédiction d'un psychologue ou d'un psychiatre. Tout le monde le sait. Les juges le savent. Pourquoi un juge qui sait tout cela, décréterait-il automatiquement une période de 10 ans?

M. Manson: Nous parlons maintenant de délinquants dangereux ou visés par une surveillance de longue durée. Vous avez tout à fait raison. Si nous avions l'évaluation multidisciplinaire qui existe dans les Pays-Bas d'après le groupe de travail, je serais davantage prêt à me ranger à votre avis. Ce n'est pas ce que prévoit le projet de loi. Il ne prévoit qu'une simple évaluation. Ce que nous disons, c'est que les ressources multidisciplinaires qui existent aux Pays-Bas et dont le groupe de travail a été témoin, n'existent pas nécessairement dans les provinces du Canada.

Je peux vous donner les noms de psychiatres dans chaque province à qui l'on demandera de faire ces évaluations et je peux vous dire quel genre d'opinion ils donnent, parfois en un sens et parfois dans l'autre.

La présidente: Monsieur Manson, nous pourrions certainement faire la même chose pour les juges. Pourquoi ne pas exiger une décision de trois juges pour tout? Je dois dire que je trouve l'attitude de l'Association du Barreau canadien insultante pour les psychiatres.

M. Manson: Tout ce que nous disons, c'est qu'il devrait y avoir un débat.

La présidente: Pourquoi pas un débat entre juges? Pourquoi seulement un débat entre psychiatres?

M. Manson: Peut-être que d'autres auront des conseils d'experts à fournir. Si nous parlons d'enfermer le reste de sa vie un de vos amis ou voisins parce que quelqu'un juge qu'il est dangereux, il me semble que vous allez vouloir que le juge entende les distinctions nuancées et subtiles qui peuvent ressortir d'un débat entre experts au sujet du danger que présente cette personne. Ce ne sont pas des questions sur lesquelles on peut trancher facilement puisqu'il peut s'agir d'un emprisonnement qui durerait toute la vie.

Le sénateur Gigantès: Si nous acceptons ce que vous dites, nous acceptons qu'aucun juge n'a réfléchi aussi sérieusement à toutes ces questions que vous et qu'aucun juge ne se préoccupe autant que vous du système judiciaire et de son fonctionnement et qu'aucun juge n'a entendu dire ou ne pense que l'incarcération à long terme sans traitement ne résoudra pas nécessairement tous les problèmes. Nous acceptons qu'aucun juge ne dira: «Je ne suis pas convaincu de l'évaluation que vous m'avez donnée. Faites une nouvelle évaluation ou bien présentez-moi le point de vue d'un psychiatre qui n'a pas la même opinion.» Le juge peut le faire, si j'ai bien compris. C'est son tribunal et il peut dire ce qu'il veut.

M. Manson: Sauf votre respect, je signale que les juges doivent rendre leurs décisions en fonction des preuves. Les psychiatres vont venir donner leur avis professionnel. Ce serait difficile pour moi, pour un juge ou pour un sénateur de dire: «Est-ce l'avis de tous les psychiatres?» C'est un avis d'expert.

Le sénateur Gigantès: Non. Ce que je veux dire, c'est que le juge peut déclarer: «Cette évaluation déterminante ne me satisfait pas. Je veux entendre un autre avis.» Il a le droit de le dire.

M. Manson: Les juges ont une marge de manoeuvre très limitée lorsqu'il s'agit de réclamer eux-mêmes des témoignages. Nous pouvons examiner la jurisprudence à ce sujet si vous voulez.

Le sénateur Gigantès: Vous voulez dire qu'on pourrait interjeter appel de la décision du juge s'il demandait d'autres témoignages?

M. Manson: La liberté d'agir du juge est restreinte. Le système de justice pénale du Canada se fonde sur le principe de l'établissement du dossier par la poursuite. C'est la poursuite qui prend l'initiative et l'accusé qui répond. Le rôle du juge consiste à faire respecter l'intégrité du processus.

Le sénateur Gigantès: Le juge peut dire que l'intégrité du processus a été violée parce que le témoignage est biaisé et qu'il veut entendre un autre avis. Le juge peut le faire et vous le savez.

M. Manson: Si je suis le juge, comment puis-je le savoir?

Le sénateur Gigantès: Si vous le savez, pourquoi le juge ne le saurait-il pas?

M. Manson: Ce n'est pas ce que je veux dire. Je ne veux pas dire que l'avis du psychiatre ne vaut rien. Ce que je veux dire, c'est qu'on devrait laisser le juge entendre le débat entre des experts qui peuvent avoir des opinions divergentes, comme dans l'affaire Pollock. Dans l'affaire Pollock, les opinions divergentes ne portaient même pas sur le danger présenté par l'accusé, mais plutôt sur l'impossibilité de le traiter.

Que le juge puisse entendre le débat. La plupart des experts sont des témoins très impressionnants à moins que quelqu'un d'autre ne puisse contester leur opinion. Je ne veux critiquer ni les juges ni les psychiatres. Il devrait y avoir un débat au sujet des aspects subtils et nuancés des preuves. C'est ce que prévoit le système de justice du Canada.

Le sénateur Milne: Le fait que l'accusé puisse réclamer son propre expert ne protège-t-il pas suffisamment ses droits? Est-ce que cela ne correspond pas au système que nous avons maintenant? Vous avez demandé dans votre exposé comment l'accusé pourra payer pour sa défense. Notre système d'aide juridique manque d'argent. Comment paie-t-on maintenant ces experts et qu'est-ce qui changera selon les dispositions du projet de loi C-55?

M. Manson: À l'heure actuelle, la poursuite et l'accusé doivent chacun choisir un psychiatre et c'est l'État qui paie pour ces services. Selon le projet de loi, il n'y aura qu'une seule évaluation déterminante. Vous avez tout à fait raison que l'accusé peut présenter ses propres preuves. Il faut cependant voir s'il aura les moyens de le faire. Les programmes d'aide juridique financeront-ils de tels témoignages et pourra-t-on vraiment s'attaquer à ce que l'on considérera comme étant l'évaluation appropriée si le projet de loi stipule que le juge doit demander à l'équipe locale d'experts légistes de faire cette évaluation?

Je suis d'accord avec vous, c'est un des droits de la défense. En jouera-t-elle ou non, nous ne le savons pas. Nous ne savons pas non plus si cela permettra de remplacer l'évaluation demandée par le juge.

Mais il y a quelque chose de curieux, pourquoi le groupe de travail a-t-il décidé de poser certaines de ces questions? Interrogez-vous sur le raisonnement qu'il a tenu. Dans ce cas c'est le voyage en Hollande qui a été déterminant, mais par ailleurs cette recommandation prend pour acquis que nous avons les moyens voulus. Comprenez-vous le raisonnement du groupe de travail, derrière cette recommandation demandant que le juge soit privé de ce pouvoir de décider d'une peine à durée déterminée ou indéterminée? Il faut en chercher la raison dans cette partie du rapport où l'on explique que bien des procureurs estiment qu'il est un peu décourageant après tout ce parcours, de constater que l'on avait effectivement affaire à un délinquant dangereux et de le voir ensuite bénéficier d'une peine à durée déterminée. C'est un petit peu comme si les procureurs, après avoir bien fait leur travail, et bien joué leur rôle, exigeaient une récompense. C'est le seul argument qui explique que l'on puisse demander la suppression du pouvoir discrétionnaire du juge, qui est pourtant un principe fondamental de notre Constitution.

Le sénateur Jessiman: Mais que l'on ait un seul psychiatre expert ne signifie pas nécessairement qu'il va prendre fait et cause pour l'une des parties plutôt que l'autre. Le psychiatre n'agit pas au nom de la Couronne, pas plus qu'au nom de la défense, et cela à la différence des avocats dans notre système de débats contradictoires, plaidoiries et réfutation. Ne peut-on pas imaginer que le psychiatre présente au juge les deux versants de la question, pour le laisser ensuite décider sur les faits?

M. Manson: Oui, mais on ne peut pas ensuite conserver deux façons de voir qui ne sont pas conciliables.

Le sénateur Jessiman: Le psychiatre pourrait dire: «Si je devais parler au nom de la défense, voilà ce que je dirais; et si je devais prendre la parole au nom du procureur, voilà quelle serait ma position. Voilà les faits, je vous ai donné les deux façons de voir, à vous de décider.»

M. Manson: Permettez-moi de vous dire un petit peu comment un juge de première instance procéderait. J'ai été juge de première instance, et je peux vous en parler. Le juge remercierait le psychiatre; après lui avoir demandé ce qu'il en pensait. Mais ensuite il faut revenir pour une véritable déposition, sinon ce n'est pas un élément de preuve. Ça ne serait qu'un avis.

Le sénateur Gigantès: Avez-vous été juge de première instance?

M. Manson: Oui.

Le sénateur Gigantès: Mais on a l'impression que si vous étiez juge, vous auriez les mêmes scrupules que vous avez maintenant, ce qui vous amènerait à requérir du procureur un autre avis. La défense serait représentée par un avocat.

M. Manson: On l'espère, mais on a au Canada de plus en plus d'accusés sans avocat. Leur nombre augmente de façon faramineuse.

Le sénateur Gigantès: Mais le juge peut imposer un avocat à la défense.

M. Manson: Et qui paiera les honoraires?

Le sénateur Gigantès: L'avocat de la défense, même s'il est fraîchement émoulu de la faculté de droit, comprendra la gravité de la situation et demandera une autre expertise psychiatrique. Et même le juge peut s'adresser au ministère de la Justice de la province en lui disant: «Peu importe, j'ai besoin d'une deuxième expertise. Allez me chercher un psychiatre qui me donne un autre son de cloche, j'ai besoin d'entendre les deux points de vue».

Je suis certain que vous le feriez.

M. Manson: La Cour d'appel de Colombie-Britannique récemment a confirmé que l'État n'a pas à payer les honoraires des avocats nommés par le juge. Dans certaines circonstances le Code autorise la désignation d'un avocat. Dans certaines circonstances, c'est laissé à la discrétion du juge, soit, mais il va falloir que l'avocat touche ses honoraires. Qui va les régler? C'est là que les choses ne sont pas très claires.

Le sénateur Gigantès: Et l'accusé qui n'en a pas les moyens, perd-t-il alors toute garantie d'être représenté au tribunal par un avocat?

M. Manson: Pour le moment rien au Canada ne précise que l'accusé ait droit à un avocat. Dans certaines décisions on rappelle que l'accusé a droit à un procès en bonne et due forme. S'il n'y a pas d'avocat, il arrive maintenant que les tribunaux décident d'une «suspension de procédure due aux circonstances». C'est-à-dire que l'on suspend la procédure jusqu'à ce qu'un avocat ait été trouvé, et s'il n'y en a pas, rien ne se fait. Rien au Canada cependant ne dit qu'une représentation par un avocat vous est absolument garantie.

Le sénateur Gigantès: Voilà ce qui confirme ce que je pensais. Mais vous, en tant que juge, empêcheriez le procès d'avoir lieu tant que l'accusé n'aurait pas d'avocat.

M. Manson: Probablement.

Le sénateur Gigantès: J'imagine que la plupart des juges seraient aussi consciencieux et respectueux des droits de l'accusé que vous.

Le sénateur Jessiman: Vous savez sans doute que les Canadiens trouvent odieux ces crimes et agressions sexuelles, mais qu'ils sont également scandalisés par les décisions des tribunaux. Nous devons faire quelque chose contre ces criminels dangereux. Beaucoup de Canadiens, certainement au sein du Parti réformiste mais, je suppose, dans d'autres partis également, estiment certainement que six mois sont loin d'être suffisants, et que cette période devrait s'appliquer à l'ensemble de la durée de la peine. Si quelqu'un est condamné pour infraction grave à, disons, six ans de prison, certains estimeront que l'on devrait accorder au procureur de la Couronne le droit de présenter une demande jusqu'au dernier jour où la peine est purgée. C'est peut-être en contradiction avec la Charte des droits.

Le gouvernement pourrait alors simplement déclarer qu'il n'a pas toute l'information voulue au moment du procès, mais qu'après préavis il présentera une requête dans les six mois. D'après vous l'avocat de la défense conseillera à son client de la boucler. Mais on peut toujours imaginer que d'autres éléments de preuves et faits viendront s'ajouter au dossier dans les six mois. Le détenu peut effectivement suivre le conseil de son avocat, refuser toute déclaration pour éviter de nuire à sa propre cause; mais on peut toujours imaginer que certains éléments de preuves soient alors connus d'ailleurs, et que toute cette manoeuvre tombe à l'eau.

D'après certains experts, il n'y a pas à craindre que ce genre de décision soit remis en cause par une invocation de la Charte, puisque la Couronne doit donner un préavis, et que, lorsqu'il présente sa requête le procureur doit convaincre le tribunal qu'au moment du procès cette nouvelle information n'était pas disponible, même si on avait tout fait pour chercher à l'obtenir. À votre avis cela ne pourra être contesté en vertu de la Charte. En tout cas j'ai l'impression que la première proposition est raisonnable, je serais tout à fait disposé à ce que l'on allonge les six mois prévus.

M. Manson: L'étude du groupe de travail a au moins permis quelque chose d'intéressant, à savoir la mise en place d'un système pancanadien d'échange d'informations. Un procureur qui craint avoir affaire à un délinquant qui pourrait se révéler dangereux, en raison de certains antécédents sur le plan sexuel, va pouvoir maintenant faire une recherche d'information dans toutes les provinces, où l'on va pouvoir l'informer plus complètement sur le cas de cet individu. Ça n'est pas comme il y a 10 ou 15 ans, lorsque l'accusé pouvait rapidement plaider coupable, alors que un mois plus tard le procureur découvrait quels étaient ses réels antécédents. Voilà donc une initiative tout à fait digne d'éloges. Elle a été d'ailleurs appuyée par tous les ministères de la Justice du pays.

Mais regardez ce que l'on nous demande ici. Il s'agit d'éléments de preuves pertinents qui n'étaient pas disponibles à la poursuite, mais dont entre-temps elle a pu être informée. Ça n'est pas du tout le critère appliqué par les cours d'appel, lorsqu'il est question d'éléments de preuves complètement nouveaux. La Cour d'appel demande qu'une preuve qui n'était matériellement pas disponible au moment du procès, soit présentée, et qu'il s'agisse d'une preuve qui modifie profondément la façon dont l'affaire doit être traitée. Le critère est beaucoup plus exigeant. Avec ce projet de loi nous nous trouvons bien au-dessous de ce qu'exige le droit actuel en matière de présentation d'un nouvel élément de preuve en appel. On ne voit d'ailleurs pas comment cela pourrait se justifier aux termes de l'article 1.

Mais vous avez tout à fait raison de dire que c'est ce que demandent beaucoup de gens des divers partis politiques.

Le sénateur Jessiman: Ce ne sont pas tellement les partis politiques que la population elle-même, qui le demande.

M. Manson: Il ne s'agit pas ici d'éléments de preuves concrets. Or, selon l'article 1, le gouvernement doit fournir une justification.

Le sénateur Jessiman: On ne peut pas juger à coup de sondages, ni en suivant les réactions de la foule. Pourtant, on a le sentiment au Canada que les tribunaux, et que certaines personnes comme vous, qui en défendent d'autres, sont un peu laxistes face au crime, et c'est pour cela qu'on en vient à de telles mesures. Cela ne fait aucun doute.

M. Manson: C'est ainsi qu'on en arrive à de telles mesures, je suis d'accord.

Le sénateur Jessiman: En ce qui concerne les délinquants à contrôler, il ne fait aucun doute que certains agresseurs sexuels récidivent; pourtant on ne peut les ranger dans la catégorie des délinquants dangereux, sous prétexte qu'il ne s'agit pas d'un crime de violence. On les inculpe, on les condamne et ils écopent d'au moins deux ans. Le tribunal peut ensuite ajouter jusqu'à 10 ans de période de surveillance. D'après vous, tous les tribunaux appliquent cette durée de 10 ans de surveillance. Ce n'est pas vrai. Dans beaucoup de cas, là un crime aurait pu donner lieu à une peine d'emprisonnement allant jusqu'à 10 ans, les juges n'imposent qu'une peine de six mois; dans certains cas, même, ça se limite à une peine de liberté surveillée.

Nous avons vu l'autre jour le cas de ces proxénètes, qui auraient pu être condamnés pour une affaire de prostitution d'enfants. Ils auraient pu en prendre pour 10 ans, mais les tribunaux ont décidé de se limiter à trois ou six mois de liberté surveillée; voilà pourquoi on en arrive à prendre des mesures législatives particulières, pour répondre précisément à ce genre de situation.

Nous sommes dans une situation tout à fait similaire. Je ne pense pas -- je me trompe peut-être, je m'en apercevrai plus tard -- que les juges appliqueront systématiquement la pleine durée des 10 ans. Le juge écoutera les témoignages. Il écoutera les psychiatres, et les personnes qui présenteront l'accusé comme réformable après traitement; à savoir qu'après un traitement de six ou sept mois, ou de deux ans dans une institution appropriée, on peut penser qu'il y aura guérison. Je ne pense pas que le juge, en dépit de ce témoignage, exige alors une période de surveillance de 10 ans.

Et de toute façon, on peut toujours représenter une requête. Vous dites que c'est difficile.

M. Manson: Je pense que vous avez tout à fait raison. Lorsque le Code parle d'un maximum de 2 ou 5 ou 10 ans, ou de perpétuité, ce sont des maximums. Les juges ne vont pas jusqu'au maximum. Il y a certains grands principes en matière de sanction pénale, et notamment le principe de proportionnalité de la sanction à la gravité de l'infraction.

Mais ici les choses sont différentes puisqu'il s'agit de surveillance, et il n'est pas question de proportionnalité. Pour la période d'incarcération décidée au moment de la sentence on entre dans ce genre de considérations, mais pour la décision de la durée de la surveillance c'est le risque qui est évalué.

Le sénateur Jessiman: Le psychiatre peut décider que l'on a affaire à un risque de récidive, mais qu'un traitement suffisamment long devrait permettre une guérison. Espérons alors qu'il y aura effectivement guérison. Dans certains cas il faudra peut-être recommencer. Je l'ignore.

M. Manson: La période d'incarcération ne doit jamais être allongée, du simple fait que le juge puisse estimer qu'une plus longue incarcération offrirait une meilleure possibilité de traitement. C'est un des grands principes de l'application de la peine au Canada. Cela veut dire que si le crime doit être puni de six mois d'incarcération, le juge ne doit pas envisager une peine de deux ans s'il estime que l'accusé a besoin d'être soumis à un traitement d'une durée de deux ans. Ce sera une peine de six mois, calculée en fonction de la gravité de l'infraction et cetera.

On est en train de donner aux juges une nouvelle fonction, puisqu'ils auront le pouvoir d'imposer des contrôles en fonction des chances de réussite d'un traitement. Si l'on demande au juge de rendre une décision en fonction d'une notion de risque, celui-ci, à notre avis, préférera se montrer extrêmement prudent, parce qu'il ne saura jamais si la durée de risque doit être évaluée à un ou deux ans.

Peut-être nous trompons-nous là-dessus. Nous verrons comment les choses évolueront. Mais je serais prêt à parier que dans la majorité des cas la période imposée se rapprochera des 10 ans.

Le sénateur Jessiman: Vous avez dit que certains agresseurs sexuels n'entrent pas dans la catégorie des délinquants dangereux.

M. Manson: Oui.

Le sénateur Jessiman: Parce qu'à ce moment-là une autre partie du Code criminel s'applique. Et dans ce cas, la surveillance que nous cherchons à imposer ici, n'est pas prévue. C'est bien cela?

M. Manson: Oui.

Le sénateur Jessiman: Certains Canadiens, et à juste titre, s'inquiètent des récidives possibles. Cette nouvelle disposition sur les délinquants à contrôler est donc quelque chose d'étranger au Code criminel, en ce moment. Il peut y avoir une inculpation, mais ce n'est pas la même chose...

M. Manson: Cette disposition est en train de faire du Canada un de ces pays, comme c'est la tendance dans le monde entier, où l'on «criminalise l'autre». Nous sommes en train de diaboliser la différence, et de traiter en monstres tous ceux qui ont l'air un petit peu bizarre, et nous prenons des dispositions pour les boucler à vie. C'est ce qui se passe dans le monde entier. On donne à la population l'impression fausse que l'on fait ce qu'il faut pour traiter le problème, alors que l'on ne fait que marginaliser ceux qui sont différents. Le Canada ne devrait pas s'engager sur cette voie.

Le sénateur Gigantès: Que voulez-vous dire par «différents»?

Le sénateur Jessiman: Est-ce que les pédophiles entrent dans votre catégorie? Pensez-vous qu'un pédophile soit simplement différent?

Le sénateur Milne: Ce sont des criminels d'un genre assez particulier.

M. Manson: Je veux parler de la façon différente dont on traite le cas du Canadien de classe moyenne, grand et beau garçon, et celui du petit homme étrange comme dans l'affaire Budreo. Il a l'air un peu bizarre, il a une intelligence au-dessous de la moyenne. Il a l'air excentrique. Et dans un parc, il jouait à palper les habits des enfants. Voilà des années qu'il le faisait. C'est tout à fait dégoûtant. Nous allons le boucler.

Et puis d'un autre côté, il y a le cas de ce chef de chorale, instruit, de classe moyenne, pour lequel nous avons de la sympathie et dont nous disons «qu'il a un problème».

Le sénateur Milne: Ça ne concerne certainement pas le cas de Bernardo.

M. Manson: Ce n'est pas ce qui est en cause ici.

Le sénateur Doyle: Il s'agit du chef de choeur de Kingston.

M. Manson: Il n'a pas été incarcéré. Dans son cas il n'a pas été question du tout des dispositions sur la détention, alors qu'elles ont été appliquées dans le cas Budreo. Voilà exactement un exemple classique de ce que j'appelle «criminaliser l'autre».

Le sénateur Jessiman: Voulez-vous dire que le chef de choeur s'en tire à bon compte?

M. Manson: Non, ce n'est pas ce que je dis, je dis simplement qu'il ne devrait pas être traité différemment. C'est peut-être rassurant pour nous de constituer cette catégorie d'individus que nous rangeons dans la classe des monstres, parce qu'ils ont l'air différent, et qu'ils se livrent à certaines activités qui nous déplaisent. Nous les jugeons malsains. Cependant, et du point de vue de l'intérêt de nos enfants, ce n'est pas la source de problèmes la plus grave. Nous sommes en train de vouloir créer une fausse impression de sécurité.

La source de problèmes la plus grave, comme je l'ai dit à propos des statistiques, elle n'est pas du côté des membres ou des amis de la famille. Ce qui est en cause c'est ce que nous faisons pour nos enfants, dans les écoles, dans les hôpitaux et dans les collectivités. Nous sommes en train de les priver des ressources qui étaient à leur disposition. Et d'un autre côté nous sommes heureux parce que nous croyons avoir traité «le problème». Nous sommes en train de nous donner une fausse impression de sécurité avec des projets de loi comme le C-55. Ça n'est qu'une illusion.

Le sénateur Gigantès: Vous dites que nous sommes en train de priver nos enfants des ressources qui leur sont dues dans les hôpitaux et les écoles? C'est ce que vous avez dit?

M. Manson: C'est effectivement ce que font tous les paliers de gouvernement dans le pays.

Le sénateur Gigantès: Oui, mais est-ce que ces ressources permettraient de protéger nos enfants contre les pédophiles?

M. Manson: Ce sont des ressources qui devraient permettre aux enfants d'avoir confiance en eux, de se sentir forts et d'avoir confiance dans le monde environnant.

Le sénateur Gigantès: Vous ne répondez pas à ma question. Est-ce que ces ressources dont on prive les hôpitaux et les écoles sont celles qui à l'heure actuelle protégeaient les enfants contre la pédophilie?

M. Manson: Dans certains cas cela peut éviter que certaines personnes ne deviennent pédophiles. Éviter que certains ne glissent dans la déviance sexuelle à l'avenir, en disposant de meilleures ressources pour traiter le problème. Je n'aime pas revenir à l'affaire Fredericks, l'assassin du jeune Christopher Stephenson. Voilà un homme qui a été de façon quasi permanente sous garde depuis l'âge de cinq ans. C'est un produit de la collectivité.

Alors, précisément, que faisons-nous de ce genre de cas? Que fait-on dans les institutions d'État? Nous les privons des ressources dont elles ont besoin, et nous contribuons à produire ce genre de monstruosités?

Le sénateur Gigantès: Vous ne pouvez pas prouver, pas plus que le psychiatre, que le comportement de Fredericks est la conséquence d'une institutionnalisation depuis l'âge de cinq ans. Il est regrettable que certains se trouvent dans ce genre de situation; cependant, seule une minorité d'entre eux s'adonnent par la suite à la pédophilie.

M. Manson: Oui.

Le sénateur Gigantès: Sur le plan de la logique, vous faites un bond important. Vous parlez comme un psychiatre ou un juge.

M. Manson: Je ne suis ni psychiatre ni juge. J'essaie simplement de faire comprendre qu'il est trop facile pour un législateur d'affirmer que grâce à l'adoption du projet de loi C-55, le problème sera réglé. Cela distrait notre attention des autres sources du problème et d'autres façons d'y répondre. Voilà l'argument que j'essayais d'apporter.

Évidemment, les psychologues en développement humain vous diront que si l'on prend un groupe d'enfants de six à neuf ans et qu'on évalue leur rendement scolaire, leur comportement à l'école et la qualité de l'éducation parentale qu'ils reçoivent ou ne reçoivent pas, on peut faire des prédictions assez précises au sujet de leur criminalité ou de leur conduite antisociale future. Pour aider ces enfants, il faut intervenir à tous les niveaux, au niveau du développement cognitif, des résultats scolaires, du comportement et de l'éducation parentale. Si vous n'intervenez pas à l'un ou l'autre de ces trois niveaux, vous ne faites pas ce qu'il faut.

Nous savons déjà toutes ces choses-là au sujet des jeunes et nous reléguons au second plan ce que nous savons et ce que nous pourrions faire en discutant d'une mesure qui ne donnera rien.

La présidente: Je voulais vous poser une question supplémentaire au sujet du fait que l'on marginalise les personnes qui sont différentes. C'est tout à fait juste. On croyait que le comportement déviant était le fait de gens qui avaient l'air étrange mais notre perception s'est transformée de façon radicale au pays. Nous voyons maintenant sous un autre oeil l'entraîneur de hockey, le chef de choeur, le professeur d'université ou d'école secondaire. Ils sont considérés eux aussi comme déviants, même s'ils ont l'air en forme et que, dans la plupart des cas, ils ont une intelligence supérieure à la moyenne.

Le sénateur Gigantès: Les entraîneurs de hockey sont un peu trop grassouillets, mais elle a raison.

La présidente: Êtes-vous d'accord avec moi pour dire que l'on est en train de cesser de marginaliser les gens qui ont l'air un peu bizarre pour enfin reconnaître que la déviance transcende les couches socio-économiques et la beauté physique?

M. Manson: Je pense que vous absolument raison. Quant à savoir quel effet cela produit sur la collectivité, je n'en sais trop rien, mais c'est précisément pourquoi tous les soirs, on nous parle aux actualités du cas de cet entraîneur de hockey car la collectivité ne sait pas comment réagir à cela. S'il s'agissait d'un bonhomme bizarre, la collectivité n'aurait aucune difficulté.

Vous avez tout à fait raison. Quant à savoir ce que cela signifiera à l'avenir, je n'en sais rien, mais encore une fois, c'est pour cela que nous souhaitons protéger les enfants. Des enfants sûrs deux, bien dans leur peau et qui ont une bonne estime de soi rentreront chez eux et confieront à leurs parents que quelque chose de très étrange leur est arrivé.

La présidente: Ayant déjà travaillé dans ce domaine, je voudrais que vous ayez raison, mais je sais que ce n'est pas le cas.

M. Manson: J'essaie de répondre au sénateur Gigantès au sujet des ressources et de la différence qu'elles peuvent entraîner à l'avenir à mesure que notre collectivité acquiert de la maturité. Comme je l'ai dit, 80 p. 100 des auteurs de sévices contre les enfants ne sont pas des étrangers. Il ne faut pas se laisser distraire de ces vérités par une mesure comme le projet de loi C-55 qui est fondé sur la notion de «criminaliser l'autre».

Je suis d'accord avec vous. En tant que communauté nous apprenons et nous acquérons de la maturité. Il ne faut donc pas se laisser distraire de ce processus de maturation. Cherchons d'autres façons de protéger les enfants, puisque c'est là notre premier souci.

Le sénateur Milne: Je suis d'accord avec vous pour dire que l'on draine les ressources dans de nombreux domaines. Malheureusement, le financement des écoles dépasse la portée du projet de loi dont nous sommes saisis. J'aimerais revenir sur ce que vous avez dit au sujet du fait que l'on prive le juge de son pouvoir discrétionnaire.

N'est-ce pas le juge qui, au bout du compte, détermine, à sa discrétion, si la personne en question est un délinquant dangereux? N'est-ce pas le juge qui prend cette décision et ce, en se fondant sur les résultats de l'évaluation obligatoire qu'on lui aura communiqués au tribunal et sur la défense qu'invoquera l'accusé. Le juge conserve ce pouvoir discrétionnaire. C'est lui qui décide si une personne est un délinquant dangereux, sauf que cela se produit un peu plus tôt dans le processus que la détermination de la peine.

M. Manson: Voyez la disposition actuelle. Elle est très mal formulée en ce sens qu'elle comporte deux «peut».

À la fin de la rubrique «Demande de déclaration -- délinquant dangereux», la disposition de l'article 753, se lit ainsi:

[...] le tribunal peut déclarer qu'un délinquant est un délinquant dangereux et peut lui imposer, au lieu de tout autre peine qui pourrait lui être imposée pour l'infraction dont il a été déclaré coupable, une peine de détention dans un pénitencier pour une période indéterminée.

Il y a donc deux «peut».

Le sénateur Milne: On passe donc du deuxième «peut» au premier «peut».

M. Manson: Permettez-moi de vous dire ce qu'ont dit les tribunaux canadiens. On pourrait parler de cas factuel, mais je vais essayer d'accélérer. Le premier «peut» est en fait un «doit». Si les critères sont respectés, si la preuve démontre un comportement répétitif et que l'accusation porte sur des sévices corporels graves, le tribunal est tenu de déclarer cette personne délinquant dangereux.

Le sénateur Jessiman: Il le devrait, mais en pratique, est-ce le cas?

M. Manson: Il «doit». C'est exact, pour le moment. On passe ensuite au «peut». Après avoir acquis la conviction que cette personne est un délinquant dangereux, le juge peut, à sa discrétion, choisir une période d'emprisonnement fixe ou indéterminée et l'un des facteurs cruciaux est la possibilité de réformer le perpétrateur grâce à un traitement.

Le projet de loi, enlève au juge le pouvoir discrétionnaire d'imposer une sentence fixe ou indéterminée. Si l'accusation concerne des sévices corporels graves et traduit un comportement répétitif qui colle à l'une des diverses descriptions, à notre avis, le «doit» s'appliquera. D'ailleurs, vous pouvez lire le projet de loi. Les cours d'appel diront ceci: monsieur le juge de première instance, vous vous êtes surtout soucié de la possibilité de réformer l'accusé grâce à un traitement et on vous a enlevé cette responsabilité. Vous auriez dû qualifier cette personne de délinquant dangereux et désormais, vous n'avez plus de pouvoir discrétionnaire en ce qui a trait à l'application de la peine.

Un juge de première instance ne peut pas dire à la Couronne: «Vous avez satisfait aux critères, vous avez présenté des preuves, mais je ne suis pas convaincu. La demande de déclaration est rejetée.» Le cas se retrouvera en cour d'appel avant que le juge n'ait quitté le tribunal, et la cour d'appel annulera la décision. Si la preuve est faite, la déclaration s'impose. Voilà comment j'ai interprété votre question.

Si vous lisez le rapport du groupe de travail, aucun argument ne justifie que l'on prive le juge de son pouvoir discrétionnaire, si ce n'est que certains procureurs de la Couronne ont dit qu'ils avaient du mal à accepter au bout du compte, d'obtenir uniquement une peine fixe.

Le sénateur Gigantès: Il n'est pas nécessaire que ce soit 10 ans.

M. Manson: Non, ce peut être deux, quatre ou cinq ans.

Le sénateur Gigantès: Le juge conserve son pouvoir discrétionnaire.

M. Manson: Non, absolument pas en ce qui concerne la demande de déclaration de délinquant dangereux. À cet égard, il n'y a aucune discrétion qui s'applique. Je ne parle pas des délinquants à contrôler, je parle des délinquants dangereux. Il n'y a pas de discrétion qui soit, et rien ne justifie cela dans le rapport du groupe de travail. C'est crucial. Je peux vous lire les dispositions de l'arrêt du juge La Forest, dans lequel il dit plusieurs fois que c'est là l'une des questions fondamentales pour assurer la constitutionnalité.

Le sénateur Corbin: C'est celui que vous avez lu tout à l'heure?

M. Manson: C'est l'arrêt où il énonce les multiples raisons qui font qu'il s'agit d'un processus soigneusement adapté et valable. Il dit qu'au bout du compte, le tribunal a le pouvoir discrétionnaire de ne pas désigner le délinquant comme délinquant dangereux ou d'imposer une peine d'emprisonnement indéterminée, même dans les cas où tous les critères sont respectés. D'ailleurs, il répète cette observation un certain nombre de fois. Je pourrais retrouver les passages en question.

À ses yeux, ce pouvoir était crucial pour garantir la constitutionnalité. Maintenant il n'existe plus. Comment le gouvernement va-t-il justifier cela? Quelle sera la preuve aux termes de l'article 1? Le rapport du groupe de travail? Certains procureurs de la Couronne acceptent mal au bout du compte d'obtenir uniquement une peine de prison de quatre, cinq ou dix ans, et non pas à perpétuité. Cela ne relève pas de l'article 1. Il n'y a aucune justification.

Cette partie de projet de loi sera abrogée par la Cour suprême du Canada. Je serais prêt à le parier.

Pourquoi? Parce que dans sept ou huit cas, les juges ont dit: «Je pense que cette personne est réformable grâce à un traitement.» J'ai travaillé sur le cas de Marlene Moore, détenue à la prison des femmes. Elle a écopé d'une peine d'emprisonnement de moins de deux ans même si elle a été déclarée délinquante dangereuse. D'ailleurs, c'était la première femme à faire l'objet d'une demande de déclaration. Il y en a maintenant une autre, en Alberta, qui a été déclarée délinquante dangereuse.

Le sénateur Jessiman: Avant de mourir, a-t-elle fait quelque chose de répréhensible?

M. Manson: Elle s'est tuée à la prison des femmes.

Le sénateur Jessiman: Elle ne s'est attaquée qu'à elle-même.

M. Manson: Oui, mais son comportement répondait aux critères. Le juge Ewaschuk, qui a travaillé au ministère de la Justice pendant de nombreuses années et qui a aussi été procureur longtemps, n'a pas jugé qu'elle méritait une peine indéterminée. Il l'a déclarée délinquante dangereuse. C'était l'un des cas où l'on a utilisé le terme «doit».

On ne peut pas dire: «Les critères ont été respectés, mais je ne vous déclarerai pas délinquant dangereux.» Selon la Cour d'appel, si les critères sont respectés, le terme «doit» s'applique au lieu de «peut», mais le pouvoir discrétionnaire intervient au moment de la décision d'un pourvoi.

Il y a eu sept ou huit cas de ce genre seulement, mais maintenant cette possibilité n'existe plus. Nous décrivons l'un de ces cas, l'affaire Robideaux, dans notre mémoire. L'homme en question est maintenant un notable de la collectivité. Ce genre d'occasion n'existera plus. Nous posons la question aux législateurs: pourquoi? Qu'est-ce qui justifie que l'on prive les juges de ce pouvoir discrétionnaire tellement important sur le plan de la constitutionnalité? Rien dans le rapport ne préconise cela.

Peut-être le sénateur Jessiman a-t-il raison. Il y a eu des plaintes à ce sujet. Cependant, le fait qu'il y ait eu des plaintes ne montre nullement que le pouvoir en question ait été mal exercé. Il n'y a pas un seul argument en ce sens.

L'affaire Pollock montre à quel point les juges sont prudents. Le juge de première instance entend un psychiatre dire que l'accusé est traitable, et un autre dire qu'il ne l'est pas. Alors il opte pour la prudence. Vous avez pu constater à quel point les juges de la Cour d'appel avaient du mal à accepter cette conclusion, mais ils ont quand même dit qu'ils n'interviendraient pas. La balance penche en faveur d'une approche conservatrice dans ce genre de cas. Pourquoi enlever au juge ce pouvoir discrétionnaire?

Le sénateur Doyle: Nous pensons que les personnes qui tombent sous le coup de la loi dans notre pays ont davantage de droits, de protection et de garantie que tout autre accusé n'importe où dans le monde, mais on lit dans les journaux que ce n'est pas nécessairement le cas. Vous avez évoqué l'un des principaux problèmes de l'heure, soit l'effondrement de l'aide juridique. Comme le sénateur Milne a tout à fait raison de le signaler, cela relève de la compétence des provinces, mais ce n'est pas une question d'ordre provincial lorsque cela influence la façon dont les tribunaux eux-mêmes s'acquittent de leur tâche.

Pourriez-vous nous dire ce qu'il en est? Y a-t-il un règlement en vue? Quelqu'un se soucie-t-il de la lamentable situation de l'aide juridique dans tout le pays?

M. Manson: Pendant de nombreuses années, le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux se partageaient le financement de l'aide juridique, mais récemment, cela a changé. Maintenant, si j'ai bien compris, on procède sous forme de transferts globaux et les autorités provinciales ont davantage d'autorité par rapport à l'époque où le gouvernement fédéral souhaitait garantir aux citoyens, dont la liberté était en jeu, qu'ils recevraient une forme d'aide juridique pour les aider.

En Ontario, les compressions ont été énormes, probablement de l'ordre de 30 ou 40 p. 100. À l'heure actuelle, l'ex-président de la Commission de réforme du droit, M. McCamus, effectue une étude sur l'avenir de l'aide juridique en Ontario. Son rapport devrait être rendu public au cours de l'été.

D'autres provinces ont réduit le nombre de certificats, réduit la capacité d'embaucher des experts, des assistants avocat. Certaines provinces se dirigent vers le modèle du défenseur public. D'autres soumettent des blocs de cas à des appels d'offres. Un avocat peut soumissionner tant de dollars sur un bloc de 100 ou 200 cas. Il y a toutes sortes de mécanismes dictés par les exigences budgétaires.

Quand je lis les arrêts de la Cour suprême du Canada, je m'inquiète énormément de l'avenir. Je me demande ce qui arriverait si une personne n'était pas représentée?

Permettez-moi de vous donner un exemple. Au Canada, les procureurs de la Couronne sont maintenant assujettis à l'obligation de divulgation. Bon nombre de personnes font valoir que c'est la réponse à la condamnation erronée de Donald Marshall en Nouvelle-Écosse. Si la Couronne avait divulgué tous ses documents et que la défense avait pu en prendre connaissance, l'affaire aurait tourné autrement. Dans l'affaire Stinchecombe, la Cour suprême du Canada a établi clairement que la Couronne devait divulguer toute l'information dont elle dispose, que cela relève du droit à un juste procès et à une défense pleine et entière.

J'ai été juge et observateur dans bien des salles de tribunal et voir des accusés non représentés par un avocat. Le juge demande aux avocats de la Couronne s'ils ont divulgué toute l'information, et ceux-ci répondent que oui, ils ont livré une liasse de documents à l'accusé. Le juge regarde alors l'accusé qui est là, avec la liasse de documents, en se demandant s'il existe une façon polie de lui demander s'il ou elle sait lire. L'analphabétisme est un problème. Comment poser cette question en public sans humilier la personne? Une fois que le juge a trouvé, d'une façon ou d'une autre, un moyen de poser la question, il doit déterminer si l'accusé est en mesure de comprendre la teneur des documents.

D'après notre système, le juge a l'obligation de s'assurer que l'accusé bénéficie d'un juste procès, mais il ne peut prendre part aux délibérations. Le juge ne peut intervenir et dire: «J'ai déjà été avocat; je vais me charger du contre-interrogatoire pour vous.»

Ces droits sont conférés à l'accusé, et, vous avez raison de le signaler, ce sont des droits importants, mais ces derniers y peuvent-ils véritablement les exercer? Les pauvres, les analphabètes, ont-ils accès à ces droits? Voilà les questions que nous devons constamment poser.

Je lisais dernièrement un jugement de la Cour suprême du Canada où il était question des jeunes délinquants, de la détention et de la souplesse de la mesure législative qui autorise le jeune délinquant à retourner devant le tribunal. Voilà pourquoi j'ai dit tout à l'heure qu'il fallait que les délinquants à contrôler puissent revenir devant le tribunal. Comment rédiger une demande? Comment présenter un avis de motion si vous n'avez pas d'avocat? Qui va fournir l'avocat? Les responsables de l'aide juridique, ne feront rien, même si vous leur écrivez pour leur expliquer votre situation en faisant valoir les changements survenus et que vous demandez de retourner devant le tribunal pour présenter une demande.

Ces domaines discrétionnaires ont fait l'objet d'énormes compressions. Il y a eu des réductions dans le domaine de l'aide juridique offerte aux personnes poursuivies en justice. Mais dans les domaines discrétionnaires, les compressions sont encore plus lourdes.

C'est un problème énorme, sénateur Doyle. Je n'ai pas de solution à offrir. Les mesures prises sont dictées par les déficits et les budgets. Il existe des modèles où l'on instaure de nouveaux régimes. Le moteur de tout cela est l'argent. Voilà la situation actuelle. Il y a lieu d'être très inquiets au sujet de droits illusoires, de droits impossibles à exercer. Le juge regarde l'accusé qui a en main sa liasse de documents et il essaye de déterminer s'il sait suffisamment lire pour en comprendre le contenu. Les nobles déclarations des juges de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Stinchecombe ne font pas le poids lorsqu'on essaye de demander à quelqu'un: «Monsieur, pouvez-vous lire ces documents»?

Le sénateur Doyle: Pensez-vous qu'un citoyen accusé aux termes du projet de loi C-55 devrait se présenter au tribunal sans avocat?

M. Manson: Certainement pas. Cela ne signifie pas pour autant, pour répondre au sénateur Gigantès, que ces accusés risqueront de ne plus avoir accès au programme d'aide juridique. Je suis persuadé qu'ils continueront à y avoir accès; cependant, une fois qu'ils auront été déclarés dangereux ou à contrôler, quelle assistance leur restera-t-il?

Voyez le cas des récidivistes chroniques qui écopent de condamnation sur condamnation. En 1969, le comité Ouimet a déclaré qu'il y avait trop de personnes emprisonnées à vie pour simple cause de nuisance sociale. Elles finissent par ne plus sortir, par purger des peines d'emprisonnement indéterminées et pourtant elles ne sont pas dangereuses. Le Parlement a écouté ces arguments avec attention.

La Cour suprême a aussi prêté attention à ces arguments en 1976 dans l'affaire Hatchwell et décrété qu'un comportement asocial ne pouvait être assimilé à de la récidive. Peu importe que vous en soyez à votre quarantième délit de vol à l'étalage, vous n'êtes pas un récidiviste mais une nuisance sociale. Ce qui compte avant tout c'est le danger pour la société.

Le Parlement a réagi en créant une nouvelle catégorie de délinquants dangereux. Quel sort réserver alors aux vieux récidivistes chroniques? Mon collègue, Michael Jackson, a réalisé une étude intitulée «Sentences That Never End» (Des peines sans fin) qui a abouti à la nomination de la Commission Leggatt chargée des dossiers d'environ 87 vieux récidivistes qui étaient en prison depuis des décennies. Soixante-treize ont bénéficié d'une grâce.

Pourquoi ces gens restent-ils en prison pendant des décennies? Parce qu'on les a oubliés. Au départ ce sont déjà des marginaux. Ils ont peu de contacts avec la collectivité. Ils n'ont pas de famille, ils n'ont pas de ressources. Parce qu'ils comparaissent devant la Commission de libération conditionnelle et qu'elle leur demande où ils comptent vivre, ils ne savent pas quoi répondre. «Où travaillerez-vous?» Ils ne savent pas. «Avez-vous déjà eu un emploi?» Ils en ont peut-être eu un il y a 20 ans. La libération conditionnelle est refusée.

Ce sont des gens qui, sans accès à l'assistance juridique après leur condamnation, traînent en prison et finissent par être oubliés, surtout s'ils sont «l'autre» et non le chef de choeur. Personne ne va leur chercher d'avocat pour les représenter devant la Commission de libération conditionnelle. Je crains énormément que nous ne soyons en train de créer une nouvelle catégorie d'oubliés, condamnés à perpétuité.

Le sénateur Gigantès: Vous avez parlé d'illettrés. Il faudrait que le juge soit inhumain pour ne pas réclamer un avocat pour cette personne. Sans avocat, elle risque de rester en prison très longtemps. Ensuite, vous avez fait la comparaison avec les récidivistes chroniques qui prennent condamnation sur condamnation. C'est comparé des pommes et des oranges.

D'un côté, vous avez des délinquants qui sont dangereux et de l'autre des voleurs de tablettes de chocolat. À mon avis, il n'y a pas de comparaison. Je regrette qu'il y ait des récidivistes chroniques qui sont simplement coupables de comportements asociaux et qui ne savent pas comment s'en sortir. C'est un autre problème. Ce ne sont pas du tout eux que vise le projet de loi C-55. Il vise les délinquants dangereux.

Le juge jouit toujours d'un pouvoir discrétionnaire puisqu'il peut dire: «Je suspends la procédure jusqu'à ce que ce pauvre malheureux, illettré, puisse être correctement défendu».

M. Manson: Je crois que je me suis mal fait comprendre. Je ne dis pas que c'est la conséquence d'une absence de représentation. Ce n'est pas ce que je suggère.

Le sénateur Gigantès: Mais vous sautez d'une catégorie à une autre.

M. Manson: Je dis que cette nouvelle catégorie de délinquants à contrôler étend spectaculairement le filet du contrôle de l'État pour des motifs très minimes. C'est créer une nouvelle catégorie de délinquants qui risqueront en permanence d'être réincarcérés pour des périodes maximums de 90 jours, et en cas de non-respect d'une condition --, pas en cas de délit, mais en cas de non-respect d'une condition -- ils risqueront une nouvelle condamnation pouvant aller jusqu'à 10 ans. C'est donc créer une nouvelle catégorie qui aura d'énormes difficultés à s'en sortir puisqu'à cette étape ils ne seront pas représentés. Cela n'a rien à voir avec la condamnation initiale.

Le sénateur Gigantès: Vous dites que le non-respect d'une condition de libération vaut dix ans?

M. Manson: Non, je n'ai pas dit ça. C'est le maximum.

Le sénateur Gigantès: On doit leur dire qu'ils doivent respecter ces conditions. Ce sont des délinquants dangereux. Ça peut être un pédophile.

M. Manson: Ce sont des délinquants à contrôler qui n'ont pas été déclarés dangereux. Il n'y a pas de sévices graves à la personne en cause et cette période de 90 jours n'est pas sans conséquences. Si un agent de libération conditionnelle décide de suspendre la probation d'un délinquant à contrôler ou de le réincarcérer parce qu'il veut discuter avec lui, il peut le faire jusqu'à concurrence de 90 jours. Et il peut le faire autant de fois qu'il le veut pendant dix ans. C'est un pouvoir de contrôle énorme.

Le sénateur Gigantès: Vous voulez insinuer que tous ces agents sont des sadiques en puissance?

M. Manson: Ils pensent à leur carrière. C'est encore une nouvelle responsabilité qu'on leur impose. D'après les dernières statistiques que j'ai vues, le nombre de détenus fédéraux en libération conditionnelle a augmenté entre 1990 et 1994 de 36,9 p. 100. On dit à ces agents: nous avons augmenté votre charge de 36,9 p. 100 en cinq ans et maintenant, en plus, vous aurez la responsabilité des délinquants à contrôler.

Ces agents sont surchargés de travail. Ils ne veulent pas lire dans le journal qu'une de leurs ouailles a commis une infraction hier soir. Si un libéré conditionnel rate son rendez-vous, il est suspendu. C'est ainsi.

La présidente: Je suis originaire du Manitoba où le programme d'aide juridique a été gravement comprimé. À moins de constat de violence, il n'y a pratiquement plus de certificats pour les divorces ou les séparations. C'est incontestable.

Il semble que le domaine pénal n'ait pas encore été aussi touché. Quelques changements ont été apportés. Par exemple, dans les tribunaux pour petites créances le seuil qui était de 2 000 $ à 5 000 $ est maintenant passé à 10 000 $.

Est-ce que d'après vous, à l'échelle du pays, les certificats d'aide juridique sont toujours relativement faciles à obtenir pour les affaires pénales?

M. Manson: Non. Je ne prétends pas bien connaître la situation au Manitoba. Je crois que c'est la première province qui a institué un système d'appels d'offres pour les dossiers. Ce qui m'inquiète surtout c'est la qualité des prestations.

Désormais un avocat pourra avoir des clients qui paient ses services et une centaine de dossiers qui lui sont payés X dollars. Il touche cet argent, qu'il expédie le dossier en plaidant coupable ou qu'il le défende devant un jury pendant deux semaines. J'ai des craintes au sujet de ce système d'appels d'offres... et c'est simplement mon intuition, je n'ai pas de données pour la corroborer. Je l'ai vu appliqué dans une juridiction et j'estime que la qualité des services juridiques en pâtit énormément.

En Ontario, jusqu'à présent, la règle voulait qu'un avocat soit commis dans toute affaire pouvant aboutir à une incarcération. Aujourd'hui ce n'est plus tout à fait la règle. Il faut que le risque d'incarcération soit très fort pour qu'un certificat soit accordé; autrement, non. Résultat, un très grand nombre de demandes de certificats est refusé.

Il y a ensuite ce qu'on appelle la réduction de l'augmentation discrétionnaire qui permet de payer les avocats pour du travail dépassant le tarif. C'est plus difficile à obtenir et c'est l'argent qui sert à embaucher des experts. Voyez l'affaire Morin à Toronto. Voyez ce qu'on peut lire tous les jours à propos des expertises décisives, sénateur Gigantès, et du travail du centre médico-légal.

Pas plus tard que ce matin, le Globe and Mail citait un expert britannique qui se plaignait d'une interprétation totalement erronée de sa documentation et qui pour commencer n'aurait jamais dû être utilisée par un tribunal. C'est une des craintes que font naître ces expertises déterminantes réalisées par des institutions d'État sans contradiction possible. Sans contre-expertise, l'expert peut rendre sur la base de son travail une opinion définitive.

Ce sont des gens sérieux. Je ne critique pas les psychiatres mais il y en a d'autres qui peuvent avoir des opinions différentes. Il faut qu'il y ait d'autres gens qui puissent dire qu'ils ont fait aussi un travail sérieux et qu'ils ont une autre opinion. Ensuite c'est au juge de décider. C'est le système canadien, chacun présente les résultats de son travail et le débat peut commencer. Le projet de loi C-55 met fin à cette tradition en ne faisant plus appel qu'à l'expertise d'un seul psychiatre.

La présidente: J'ai l'impression que ces dispositions concernant les délinquants à contrôler viseront principalement les délits sexuels sans violence comme par exemple les attouchements ou l'exhibitionnisme. Personnellement je n'aime pas beaucoup qu'un projet de loi tende à rendre plus sévère le Code criminel pour des gens déjà condamnés mais je dois dire que la protection accrue des enfants qu'il offre dissipe mes scrupules. Chaque mesure législative doit être jugée en fonction de sa valeur. À mon avis, si ce projet de loi peut, d'une manière ou d'une autre, en créant cette catégorie de délinquant à contrôler, protéger les enfants d'expériences traumatisantes pour le restant de leur vie, je considère l'argument inattaquable.

À mon avis, cette nouvelle condition de délinquant à contrôler et cette nouvelle surveillance obligatoire donneront les résultats recherchés. On ne verra plus ces individus dans les parcs ou près des écoles puisqu'ils seront sous surveillance obligatoire. Ne pensez-vous pas que ces circonstances le justifient?

M. Manson: Je suis d'accord avec pratiquement tout ce que vous dites et je tiens à revenir à l'article 810.1 du Code criminel car, à mon avis, il répond à toutes ces attentes et ajoute même une disposition supplémentaire. L'ordonnance est de 12 mois et doit être renouvelée. La demande peut être faite par n'importe qui, par un agent de police, par un psychiatre, par un voisin qui a des motifs raisonnables de craindre qu'une personne ne commette une des infractions sexuelles visées aux articles cités contre des personnes âgées de moins de 14 ans. Le risque est soigneusement ciblé. Les infractions sont précisées. L'âge des victimes est précisé, moins de 14 ans. Si un juge est convaincu que les craintes du dénonciateur sont fondées sur des motifs raisonnables, il peut:

810.1(3) [...] ordonner que le défendeur contracte un engagement assorti des conditions que le tribunal fixe, y compris celle interdisant au défendeur de se livrer à des activités qui entraînent des contacts avec des personnes âgées de moins de 14 ans et de se trouver dans un parc public ou une zone publique ou donc se baigner s'il y a des enfants ou s'il est raisonnable de s'attendre à ce qu'il y en ait, une garderie, un terrain d'école, un terrain de jeu ou un centre communautaire.

La présidente: N'est-ce pas de cela qu'il s'agit? C'est ce qui se passe au moment de la sentence. Il s'agit de ce qui peut arriver et de ce qu'il faut faire après la libération. Après la libération, rien n'est prévu; ils ne sont plus contrôlés.

M. Manson: Je crois que l'affaire Budreo est un exemple parfait. La police de Toronto a fait une demande et il a été assujetti à une ordonnance de type article 810.1 et depuis on n'a plus jamais entendu parler de lui.

C'était en réponse à la décision de la Cour suprême dans l'affaire Heywood lorsque cette dernière a décrété que le pouvoir antérieur qui permettait d'imposer ces restrictions au moment de la sentence, était inconstitutionnel pour toutes sortes de raisons.

Le Parlement a alors proposé cette solution de laisser la possibilité à quiconque a des motifs de craintes de déposer une dénonciation. Si le juge de la cour provinciale est convaincu que les craintes du dénonciateur sont fondées sur des motifs raisonnables, il peut imposer un engagement assorti de conditions pour une période de 12 mois maximum qui peut être renouvelée.

Quiconque viole l'engagement est coupable d'une infraction passible d'un emprisonnement pouvant aller jusqu'à deux ans ou d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. Toute personne qui refuse de signer un engagement ou de le respecter peut être incarcérée.

C'est un pouvoir énorme. L'avantage, selon moi, par rapport à la disposition de déclaration de délinquant à contrôler est son renouvellement tous les 12 mois.

Le sénateur Gigantès: Kristen French et Leslie Mahaffey avaient plus de 14 ans. Quatorze ans, ce n'est pas assez.

La présidente: C'est une question totalement différente.

Je vous remercie de votre témoignage. Vous nous avez donné amplement matière à réflexion.

Le sénateur Corbin a demandé à ce que des représentants du ministère comparaissent.

Le sénateur Corbin: J'ai simplement demandé s'ils recomparaîtraient.

La présidente: Les membres du comité souhaitent-ils que les représentants du ministère reviennent à la table des témoins? Avez-vous des questions à poser aux représentants du ministère?

Le sénateur Milne: Oui.

La présidente: Honorables sénateurs, les fonctionnaires sont installés. Veuillez poser vos questions.

Le sénateur Milne: Vous avez entendu les témoins exprimer leurs craintes que cette loi ne soit rejetée par la Cour suprême pour cause de violation de la Charte. J'aimerais connaître votre avis sur ce point.

M. Dave Whellams, conseiller juridique, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice: L'Association du Barreau canadien a abordé plusieurs questions en rapport avec l'affaire Lyons et le caractère constitutionnel de cette loi. Tout d'abord, la question de la discrétion judiciaire. Maintenant que la loi impose de prononcer une peine à durée indéterminée, je ne suis pas du tout d'accord avec M. Manson lorsqu'il dit que le tribunal n'a pas de pouvoir discrétionnaire pour déterminer si oui ou non le délinquant est dangereux.

Au bas de la page 3, le paragraphe 753(1) du projet de loi C-55 précise que: «... le tribunal peut déclarer qu'un délinquant est un délinquant dangereux s'il est convaincu que...», suivi d'une liste de critères. Selon M. Manson, le «peut» est en vérité un «doit».

Il a raison lorsqu'il dit qu'il y a deux éléments. Premièrement, le tribunal doit déterminer si le délinquant est dangereux ou non. Ensuite, il prononce la peine. Nous avons supprimé le pouvoir discrétionnaire au niveau de la peine. M. Manson essaie de faire croire que le «peut» dans le premier cas, à savoir le statut de délinquant dangereux n'est plus discrétionnaire.

Il y a plusieurs raisons de croire que c'est toujours discrétionnaire. C'est une question de preuve. Le tribunal doit être convaincu; ce sont les termes que nous utilisons. Que se passe-t-il si le tribunal n'est pas convaincu? Le tribunal statue simplement que le délinquant n'est pas un délinquant dangereux.

Comme je l'ai dit hier, il peut y avoir des circonstances, en fonction des délits et des autres critères mentionnés, amenant à ne déclarer le délinquant que de délinquant à contrôler. Cependant, au niveau du simple pouvoir discrétionnaire, les juges le conservent. L'article dit «peut».

Deuxièmement, les critères doivent être satisfaits. Le cas doit être prouvé. Regardez ces critères; ils sont nombreux et détaillés. Il doit y avoir répétition des actes. Par-dessus tout, il faut démontrer que l'intéressé est irrécupérable et posera toujours un risque. En d'autres termes, s'il est avéré que l'intéressé peut être réadapté socialement, une peine à durée déterminée est inappropriée. C'est la conclusion des tribunaux.

Des tribunaux ont décrété que si l'intéressé est récupérable, j'ai dit réadaptable, il est possible d'imposer une peine à durée déterminée ou de ne pas le considérer comme un délinquant dangereux.

Il y a une autre raison de penser que nous n'avons pas éliminé le pouvoir discrétionnaire. La Cour suprême du Canada dans l'affaire R. c. Baron a décrété qu'il était impossible d'éliminer complètement tout pouvoir discrétionnaire du tribunal dans des ordonnances judiciaires de ce genre, dans des déclarations de cette nature. Ce cas était quelque peu différent; il s'agissait d'un mandat de perquisition délivré par un tribunal pour une enquête fiscale. Cependant, ce cas a fait jurisprudence. Ce pouvoir discrétionnaire existe et il est très réel.

En fait, il faut déterminer ce qu'est cette loi. La procédure vise à déterminer si le délinquant est extrêmement dangereux. S'il satisfait à tous ces critères, le tribunal rendra probablement cette décision. Ensuite, à notre avis, il faudrait exiger que le tribunal impose une peine d'emprisonnement à durée indéterminée.

Voilà ma réponse à votre question. Je ne crois pas que ce serait jugé inconstitutionnel.

Le sénateur Gigantès: Pendant la procédure, le juge aura-t-il le droit, le pouvoir discrétionnaire, de demander un avis autre que l'évaluation obligatoire déterminante par M. Manson?

M. Whellams: C'est une question de droit difficile. Le tribunal n'aura peut-être pas le pouvoir d'entendre toutes sortes de témoins, mais n'oubliez pas qu'il s'agit d'une audience pour déterminer si le délinquant est dangereux, une audience très spécialisée et très structurée. Le tribunal sera toujours conscient de ce que le délinquant pourrait être emprisonné pendant très longtemps. Dans cette audience spéciale axée sur le risque, il insistera pour avoir des preuves.

Je n'ai pas compris ce que disait M. Manson au sujet des évaluations et deux psychiatres. Nous croyons que, de par sa structure, cette loi améliore les renseignements servant l'évaluation. C'est de risque qu'il est question. Nous avons maintenant structuré la loi de façon à ce que le tribunal doive renvoyer le délinquant sous garde et déterminer quels experts doivent être consultés si le délinquant est jugé dangereux ou à contrôler.

Le sénateur Gigantès: Vous dites que le tribunal doit rendre une décision?

M. Whellams: Oui, mais il le fera sans doute à la demande de la Couronne.

Le sénateur Gigantès: M. Manson a dit qu'il pouvait même nommer les psychiatres de chaque province qui s'occuperont des évaluations.

M. Whellams: Je crois qu'il se vantait dans ce cas-là, mais le tribunal peut néanmoins entendre ces gens.

Le sénateur Gigantès: Il a également laissé entendre que ces psychiatres, qu'il peut nommer, ont tendance à faire des évaluations défavorables.

M. Whellams: Nous manquons malheureusement de psychiatres qualifiés et expérimentés pour traiter ces cas, mais la plupart du temps, la Couronne et la défense s'entendent sur le choix d'un psychiatre. C'est ainsi que l'on procède.

En ayant recours à des experts plutôt qu'à des médecins, nous espérons... je ne dis pas que ce soit obligatoire, mais nous espérons que les évaluations seront meilleures. Le tribunal décidera de quels experts il a besoin pour faire l'évaluation du risque. À mon avis, c'est une amélioration.

Le sénateur Gigantès: Est-il vraisemblable qu'une telle audience puisse être tenue devant un juge sans que le défendant soit représenté par un avocat?

M. Whellams: Je ne crois pas que M. Manson ait dit qu'une telle situation puisse se produire. Cela ne s'est jamais fait par le passé et je ne vois pas pourquoi cela se ferait maintenant. Il est évident que le délinquant a droit à une aide juridique dans les audiences visant à déterminer s'il est dangereux. Les peines qui sont imposées dans ces cas-là sont parmi les plus rigoureuses.

Le sénateur Gigantès: Que se produit-il plus tard, si ce délinquant, bien des années plus tard, demande un réexamen de son cas?

M. Whellams: Eh bien, il devra présenter une demande au tribunal. Je ne puis pas vous dire avec certitude s'il aura droit à l'aide juridique. Comme l'a admis M. Manson, c'est aux provinces surtout qu'il revient de décider ce qui est financé et ce qui ne l'est pas. C'est une nouvelle disposition de la loi. Je suppose que le délinquant y aurait droit, mais cela peut varier.

Le sénateur Doyle: M. Manson semble dire qu'il y aurait double incrimination si la demande est présentée une fois que le délinquant a commencé à purger sa peine. Les représentants de la Couronne pourraient-ils indiquer dès le départ s'ils ont l'intention de présenter une demande pour que soit déterminé si le délinquant est dangereux ou à contrôler, au lieu d'attendre l'issue du procès et de décider ensuite que ce délinquant pose un risque pour le public?

M. Whellams: Pour répondre à votre question et à la critique de M. Manson, il existe une mesure de sauvegarde selon laquelle la Couronne doit donner avis de son intention au moment où la peine est imposée. De cette façon, on peut savoir qui fera plus tard l'objet d'une demande et éviter ainsi les abus. À mon avis, le fait de donner avis de la demande évite la double incrimination. Il ne s'agit que d'une période de six mois.

Comme vous le savez peut-être, et le sénateur Jessiman l'a également mentionné, certains ont réclamé une loi sur la détention subséquente à la peine afin que la demande puisse être présentée durant les six derniers mois de la peine. La mesure actuelle ne vise que les six premiers mois, et il importe de remarquer que l'avis doit être donné au moment de la condamnation et, bien sûr, se fonder sur de nouvelles preuves. La Couronne doit donner avis de la possibilité qu'elle présente une demande après que la personne ait été condamnée et avant que la peine ait été imposée.

Le sénateur Doyle: Vous dites qu'il ne s'agit pas de double incrimination?

M. Whellams: Oui.

Le sénateur Doyle: Après le début du procès?

M. Whellams: D'après la Charte, l'accusé a le droit de connaître les accusations qui sont déposées contre lui, d'être condamné et de purger sa peine. L'accusé n'est pas incriminé à vie. La Couronne dispose d'une période de six mois et elle doit également donner un avis. D'après nous, nous n'imposons pas une double peine.

Le sénateur Doyle: Où cette période est-elle précisée? Si je lis l'article 4, on dit que la demande est présentée une fois que le délinquant commence à purger sa peine... pas avant l'imposition de la peine, non plus qu'au moment où elle est imposée, mais après que le délinquant ait commencé à la purger.

M. Whellams: C'est exact. Autrement, aucune peine ne serait imposée si la période de six mois est expirée. Vous avez tout à fait raison, la demande est faite après l'imposition de la peine, mais l'avis doit être donné avant que la peine ne soit imposée. C'est une sorte de peine provisoire. Elle expire après six mois.

Le sénateur Doyle: Où trouve-t-on ce détail?

M. Whellams: Laissez-moi trouver l'article.

La présidente: Au bas de la page 4 du projet de loi, on peut lire:

753(2) [...] a) avant cette imposition, la poursuite avise celui-ci de la possibilité qu'elle présente une demande en vertu de l'article 752.1 [...]

Le sénateur Jessiman: Des accusations sont déposées contre le délinquant en application d'autres articles du Code criminel, puis le délinquant est condamné.

M. Whellams: C'est exact.

Le sénateur Jessiman: Il est condamné, mais avant qu'on lui impose sa peine, on lui dit que même s'il est condamné en vertu de ce chef d'accusation et en application de cet article, il est possible que, d'ici six mois, on présente contre lui une demande pour déclarer s'il est un délinquant dangereux.

M. Whellams: C'est tout à fait exact. Évidemment, il doit s'agit d'une condamnation pour sévices graves à la personne.

Le sénateur Gigantès: Pourquoi ne pas le faire plus tôt?

Le sénateur Jessiman: Parce que la Couronne n'a peut-être pas toutes les preuves nécessaires.

M. Whellams: Cet article sera sans doute utilisé rarement et de façon très limitée. Il s'agira de quelques rares cas dans lesquels on ne pourrait raisonnablement s'attendre -- je crois que c'est d'ailleurs ce qu'on dit dans l'article -- à ce que la Couronne, même si elle agit avec toute la diligence nécessaire, ait toutes les preuves en main. La Couronne a bien sûr besoin de preuves pour entamer un procès, mais c'est de nouvelles preuves qu'il s'agit ici. On pourrait trouver les victimes de nouveaux crimes ou de crimes antérieurs.

Le sénateur Doyle: Dans ce cas-là, je suppose que de nouvelles accusations seraient portées.

M. Whellams: C'est possible, je suppose, mais nous parlons des conséquences du statut de délinquant dangereux, c'est-à-dire d'une peine de durée indéterminée plutôt que d'une peine d'emprisonnement fixe.

Le sénateur Doyle: Vous savez ce que nous cherchons dans tout cela -- nous voulons voir s'il existe une certaine logique, de la justice, dans cette mesure législative. Vous dites que cette disposition ne sera pas appliquée très souvent, mais d'habitude ces choses-là suscitent la controverse.

M. Whellams: Nous avons consulté les provinces à maintes reprises au sujet de ce projet de loi. Nous avons consulté les procureurs, plus particulièrement ceux qui ont l'expérience de ces cas de délinquant dangereux. D'après eux, cette disposition pourrait s'appliquer dans un certain nombre de cas.

C'est vraiment à la Couronne qu'incombe le fardeau. La Couronne doit démontrer qu'elle a agi avec toute la diligence nécessaire lors du procès initial. Elle doit prouver qu'elle n'aurait pu trouver d'autres preuves, des preuves probantes et pertinentes aux normes applicables au statut de délinquant dangereux.

Le sénateur Doyle: Je cherche où il est mentionné qu'il doit s'agir de nouvelles preuves.

M. Whellams: Cela découle du paragraphe qu'a cité le sénateur Carstairs. C'est à la page suivante, en haut:

753(2) [...] b) [...] il est démontré que la poursuite a à sa disposition des éléments de preuves pertinentes qui n'étaient pas normalement accessibles au moment de l'imposition.

Le sénateur Jessiman: Les procès n'ont pas tous lieu à Toronto, à Vancouver, ou dans de grandes villes. Il y en a aussi dans de petites localités. Malgré le télécopieur et les autres moyens de communication, il est possible que la Couronne n'ait pas tous les renseignements.

M. Whellams: M. Manson a raison sur un point: il faut améliorer le flux de l'information, de même que la tenue des dossiers, et sensibiliser les diverses autorités chargées des dossiers. On croirait que tout cela se fait déjà, que cela se trouve au CIPC, mais le système comporte de nombreuses lacunes, du côté non législatif, pour toutes sortes de raisons.

M. Manson a mentionné le système de repérage. Grâce à ce système, les procureurs et les policiers peuvent maintenant repérer les délinquants dangereux potentiels. Les renseignements sur ces délinquants peuvent être versés au CIPC de façon à ce que les procureurs puissent avoir accès à ces renseignements lorsqu'ils traitent avec ce délinquant. C'est une façon d'améliorer l'information entre paliers de compétence. Ce n'est qu'un tout petit élément du point de vue juridique.

Le sénateur Gigantès: Lorsque la Couronne donne avis, avant que la peine ne soit imposée, qu'elle entend se prévaloir de la période de six mois, doit-elle expliquer au juge les motifs pour lesquels elle croit pouvoir produire plus tard de nouvelles preuves qui ne sont pas encore disponibles.

M. Whellams: La loi n'est pas très claire à cet égard. La Couronne n'a pas à donner d'explications à ce moment-là. Elle n'a pas à démontrer la possibilité de preuves ultérieures. Cela se fera plus tard, lorsqu'elle produira les nouvelles preuves.

Ces nouvelles preuves sont essentielles. La Couronne ne peut simplement donner avis qu'elle présentera une demande. Elle doit prouver que les preuves sont nouvelles et pertinentes par rapport au type de délit correspondant aux normes de comportement brutal. Je ne crois pas que la Couronne ait à justifier l'avis qu'elle donne au moment de l'imposition de la peine.

Le sénateur Milne: C'est l'exemple de M. Manson, le cas où l'on impose une peine au délinquant Smith avant que le procureur se rende compte qu'il s'agit de la même personne qu'un même délinquant Smith. Il a lui-même expliqué pourquoi cette loi est nécessaire.

M. Whellams: Il a également dit qu'on conseillerait au délinquant de se taire pendant six mois. C'est une possibilité. D'après moi, la validité de la demande sera déterminée en fonction des nouveaux délits et des nouvelles victimes que l'on découvrira. M. Manson a dit qu'un accusé pourrait être incriminé s'il révélait un rêve qu'il a fait lorsqu'il avait six ans. Nous ne fondons pas de procès sur des rêves, mais sur des actes criminels. Lorsqu'une fantaisie est réalisée, ce n'est plus un rêve, mais un crime.

Le sénateur Jessiman: Ces nouvelles preuves que l'on trouve dans les six mois, peut-il s'agir d'actes commis par le délinquant auparavant, mais dont la Couronne n'était pas au courant? Il n'est pas nécessaire qu'il s'agisse d'un délit commis durant ces six mois, n'est-ce pas?

M. Whellams: Il est peu probable que l'on trouve de nouvelles preuves d'actes commis durant la période de six mois.

Le sénateur Jessiman: Par conséquent, le fait que le délinquant se comporte bien pendant la période de six mois n'est pas pertinent. Il s'agit de preuves d'actes commis par le délinquant que la Couronne n'avait pas découverts auparavant.

M. Whellams: Ce qui inquiète M. Manson, c'est que la conduite du délinquant ou ses activités pendant la période de six mois puissent devenir des preuves relativement à la demande. À mon avis, il y a des facteurs plus importants que ce que le délinquant révèle à son avocat ou à d'autres personnes dans les six premiers mois où il purge sa peine.

Le sénateur Doyle: Ce qui me préoccupe, ce ne sont pas les nouvelles preuves. Ce qui m'inquiète, c'est qu'on puisse se servir de preuves à partir desquelles le délinquant a déjà été condamné et pour lesquelles il purge une peine et qu'on vienne lui dire que de nouvelles accusations sont déposées contre lui.

M. Whellams: Je conviens avec vous qu'il faudrait éviter cela. Lorsqu'on parle de nouvelles preuves, c'est à la Couronne qu'il incombera de démontrer que la preuve est nouvelle et qu'il ne s'agit pas des mêmes faits qui ont mené à la condamnation.

Le sénateur Doyle: Ce n'est pas précisé dans le libellé actuel de la loi.

La présidente: Mesdames et messieurs du ministère, je vous remercie. Vous nous avez apporté des précisions sur ces points.

Honorables sénateurs, nous avons discuté hier des effets, sur la politique correctionnelle, du passage de trois ans à sept ans. Nous avions remarqué que, précédemment, on attendait souvent que la période de trois ans soit à peu près écoulée avant d'offrir un traitement. Le sénateur Jessiman a demandé si le passage de trois ans à sept ans signifiait que l'on attendrait maintenant que la période de sept ans soit presque écoulée pour offrir le traitement.

J'ai demandé à notre recherchiste de la Bibliothèque du Parlement de rédiger une observation dans notre rapport. Je vais vous la lire pour savoir si vous l'approuver.

Le comité croit savoir que, vu les ressources limitées dont dispose le système correctionnel, les traitements sont offerts de façon prioritaire aux délinquants qui seront prochainement admissibles à une libération conditionnelle. Par conséquent, le comité craint que le traitement des délinquants présentant un risque élevé de récidive ne soit retardé sous le régime du projet de loi C-55, ce qui rendrait ces délinquants inadmissibles à une libération conditionnelle pour une période de trois à sept ans. Le comité exhorte donc le solliciteur général à examiner les effets du projet de loi C-55 de façon à veiller à ce que les ressources suffisantes soient en place pour que les délinquants présentant un risque élevé de récidive puissent recevoir, en temps opportun, le traitement dont ils ont besoin.

Êtes-vous d'accord avec cette observation?

Le sénateur Corbin: Devrions-nous demander l'avis des fonctionnaires?

Mme Jennifer Trottier, analyste principale, Politiques correctionnelles, Solliciteur général du Canada: Cette recommandation serait très appréciée.

La présidente: Honorables sénateurs, passons maintenant à l'examen article par article du projet de loi C-55. Je suis prête à recevoir les motions.

Le sénateur Lewis: Je propose que nous fassions rapport du projet de loi sans amendement, mais en ajoutant l'observation que la présidente a lue au comité.

Des voix: D'accord.

Le sénateur Jessiman: Avec dissidence.

La présidente: La motion est adoptée à la majorité des voix.

La séance est levée.


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