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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 15 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 4 décembre 1996

Le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, à qui a été renvoyé le projet de loi C-41, Loi modifiant la Loi sur le divorce, la Loi d'aide à l'exécution des ordonnances et des ententes familiales, la Loi sur la saisie-arrêt et la distraction de pensions et la Loi sur la marine marchande du Canada, se réunit aujourd'hui à 15 h 05 pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Mabel M. DeWare (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Je vous souhaite la bienvenue à la séance d'aujourd'hui. C'est la première que nous consacrons au projet de loi C-41, puisque nous venons de recevoir ce mandat. Nous avons pensé qu'il serait utile d'entendre les représentants du ministère pour commencer. Qui va prendre la parole en premier?

Mme Murielle Brazeau, avocate-conseil et chef d'équipe intérimaire, Équipe sur les pensions alimentaires pour enfants, ministère de la Justice: C'est moi.

La présidente: Voudriez-vous nous présenter vos collègues? Sur ce, je vous souhaite la bienvenue et je vous invite à commencer.

Mme Brazeau: Les trois autres dames qui m'accompagnent aujourd'hui travaillent elles aussi pour le ministère de la Justice. Mme Lise Lafrenière Henrie est chargée de l'élaboration de la politique relative à la réforme de la Loi sur le divorce. Mme Marilyn Bongard travaille depuis quelques années à la préparation des mesures législatives visant l'application des ordonnances alimentaires. Et enfin, Mme Wendy Bryans s'est occupée surtout de la réforme de la Loi sur le divorce; elle prépare en ce moment les lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants qui seront déposées dans le cadre du processus de réglementation après l'entrée en vigueur de la loi.

Je vais vous faire une présentation sur le projet de loi et sur certaines des interrogations qu'il a soulevées. Ensuite, si vous avez des questions, nous sommes toutes prêtes à y répondre.

[Français]

Il me fait plaisir de vous parler aujourd'hui du projet de loi C-41. Lors des dernières six années, nous avons travaillé avec les provinces et les territoires au sein du comité fédéral provincial territorial sur le droit de la famille afin d'étudier les pensions alimentaires pour les enfants.

[Traduction]

Les membres de votre comité avaient conclu il y a un certain temps que l'élaboration de lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants serait l'élément le plus utile de la réforme. Le projet de loi établit donc le cadre général des lignes directrices qui seront promulguées par réglementation dès que le projet de loi aura été adopté. Par conséquent, même si ces lignes directrices ne sont pas incluses dans le projet de loi, elles constituent un élément tellement important de la réforme que nous allons vous expliquer en quoi elles consistent. En gros, elles permettront de fixer le montant des pensions alimentaires pour enfants selon des paramètres plus précis que l'approche fondée sur les ressources et les besoins, dont les tribunaux se servent actuellement.

Il existe des lignes directrices de ce genre dans tous les États américains, en Australie et en Nouvelle-Zélande, au Royaume-Uni, en Allemagne et dans d'autres pays d'Europe de l'Est. L'élaboration de lignes directrices appropriées pour le Canada s'est avérée un processus long et ardu. Il a fallu six ans de recherche, de consultations et de négociations entre les gouvernements pour en arriver à une série de lignes directrices adaptées aux réalités canadiennes.

Nous avons envisagé différentes formules pour le calcul du montant de base des pensions, dont certaines qui tenaient compte des revenus des deux parents. Cependant, le comité du droit de la famille s'est rendu compte que le modèle à pourcentage fixe permet aux enfants de bénéficier des pensions alimentaires les plus appropriées, tout en reflétant la capacité de payer des parents.

Ce modèle est simple à appliquer parce qu'il ne tient compte que du revenu du parent qui n'a pas la garde des enfants, sauf lorsqu'il y a des dépenses extraordinaires auxquelles les deux parents doivent contribuer. Les enfants peuvent ainsi profiter des hausses de revenu de leurs deux parents. Cette formule reconnaît en même temps que le parent qui paie une pension n'aura pas une plus grande capacité de payer si celui qui a la garde des enfants voit son revenu diminuer.

[Français]

En travaillant de concert avec les provinces et les territoires au développement de lignes directrices, nous espérions améliorer les chances que la plupart des provinces adoptent des lignes directrices semblables. De cette façon, nous obtiendrons une certaine consistance au niveau national. Toutefois, le Québec avait annoncé, dès le début de ce projet, qu'ils développaient leurs propres lignes directrices et qu'ils désiraient que celles-ci s'appliquent à toutes les ordonnances alimentaires pour enfants. Quelques autres provinces pourraient aussi suivre la voie du Québec.

[Traduction]

Le gouvernement fédéral est d'accord. Le projet de loi prévoit que le gouverneur en conseil peut autoriser l'application des lignes directrices provinciales dans les actions en divorce lorsque les deux parents résident dans la même province. Le gouverneur en conseil doit toutefois s'assurer que ces lignes directrices provinciales sont complètes et qu'elles ne contiennent pas de lacunes par rapport aux lois fédérales. Lorsque les deux conjoints ne résident pas dans la même province, ce sont les lignes directrices fédérales qui s'appliquent. Une des raisons de cette décision, c'est qu'en cas d'ordonnance provinciale ou d'ordonnance de confirmation, les tribunaux n'auraient qu'à interpréter les lignes directrices fédérales et celles de leur propre province plutôt que d'avoir à appliquer celles de toutes les provinces et des territoires.

Le comité du droit de la famille s'est également rendu compte, au cours de ses consultations sur la question des pensions alimentaires pour enfants, que les gens avaient des opinions beaucoup plus arrêtées sur le traitement fiscal des pensions alimentaires pour enfants et sur l'application des ordonnances alimentaires que sur le détail des lignes directrices. Les recommandations qu'il a soumises ont donc incité le gouvernement à annoncer dans son budget du printemps dernier des mesures détaillées sur le calcul et l'application des ordonnances alimentaires.

Cette initiative comporte quatre éléments: l'introduction de lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants; l'amélioration des méthodes relatives à l'application des ordonnances touchant ces pensions; l'adoption de nouvelles règles fiscales sur les pensions alimentaires pour enfants et l'amélioration de la prestation fiscale pour enfants, le supplément au revenu gagné ayant été doublé.

Le projet de loi C-41 établit le cadre nécessaire à l'élaboration des lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants par la voie du processus réglementaire. Dans toute la mesure du possible, les lignes directrices seront incluses dans le règlement, pour trois raisons. Il y a premièrement la question de la lisibilité. Deuxièmement, il faut pouvoir effectuer plus rapidement les modifications qui pourraient s'avérer nécessaires, et troisièmement, il faut permettre aux provinces d'adopter leurs propres lignes directrices et de faire en sorte qu'elles les appliquent aux ordonnances alimentaires pour enfants prises en vertu des lois provinciales et aux ordonnances prises en vertu de la Loi sur le divorce.

À l'heure actuelle, on s'attend à ce que la majorité des provinces adoptent les lignes directrices fédérales et les intègrent à leur propre cadre législatif.

Le projet de loi C-41 supprime l'ancien article 15 qui portait à la fois sur les pensions alimentaires pour les enfants et pour le conjoint, et crée des articles distincts pour les ordonnances visant les enfants et pour celles qui concernent le conjoint. Ces deux types de pensions seront maintenant calculées selon des critères différents et seront également imposées différemment. Essentiellement, le nouvel article 15.1 prévoit que les ordonnances alimentaires provisoires et définitives au profit des enfants seront établies conformément aux lignes directrices.

L'autre disposition importante se trouve au paragraphe 15.3(1), qui ordonne aux tribunaux de donner la priorité à la pension des enfants lorsqu'ils examinent une demande portant à la fois sur une pension pour les enfants et sur une pension pour le conjoint.

Le paragraphe 15.3(2) proposé stipule que, lorsque le tribunal a accordé la priorité à la pension alimentaire pour enfants et qu'il ne reste pas suffisamment de fonds pour assurer le versement d'une pension suffisante au conjoint, toute réduction ou suppression subséquente de la pension alimentaire pour enfants constitue un changement de situation pour les fins de l'application d'une ordonnance de modification touchant la pension alimentaire du conjoint. Cette disposition vise à faire reconnaître davantage les pensions alimentaires pour le conjoint, tout en donnant la priorité aux pensions pour les enfants.

L'autre disposition sur laquelle je voudrais attirer votre attention porte sur les ordonnances de modification; il s'agit de l'article 17. Les ordonnances de modification provisoires et définitives devront être prises conformément aux lignes directrices applicables. Les changements de situation pouvant justifier une ordonnance de ce genre seront précisés dans les lignes directrices; j'y reviendrai dans quelques minutes.

Le projet de loi contient deux autres dispositions dont je tiens à vous parler au sujet des pensions alimentaires pour enfants. La première se trouve à l'article 10 du projet de loi, qui porte sur l'article 25.1 de la Loi. Cet article permettra aux gouvernements fédéral et provinciaux d'établir des services provinciaux des aliments pour enfants, qui seraient chargés d'aider les tribunaux à fixer le montant des pensions alimentaires pour enfants et à les recalculer périodiquement en fonction de l'évolution du revenu des parents. Ce ne serait pas obligatoire, mais les provinces pourraient décider de mettre sur pied des services de ce genre si elles le voulaient.

Je voudrais vous signaler aussi une autre disposition, qui modifie l'article 26.1. Si un gouvernement devait décider d'adopter ses propres lignes directrices, l'article 26.1 contient toute une liste de domaines et de critères dont il devrait tenir compte. Cet article permettra de s'assurer que les lignes directrices qu'une province décidera d'adopter sont complètes et qu'elles ne créent pas de lacune législative. Par exemple, ces lignes directrices devront prévoir dans quelles circonstances les ordonnances pourront être modifiées, puisque cela ne fait plus partie de la loi, mais bien de la réglementation.

Les lignes directrices elles-mêmes se composent de trois éléments: des tables, placées en annexe, sur les montants des pensions pour chaque province, par tranche de revenu et par nombre d'enfants; des règles sur l'application de ces tables, sur les montants pouvant s'y ajouter ou sur les possibilités de s'en écarter, ce qui constitue essentiellement le corps des lignes directrices; et enfin, une grille d'application facultative permettant de comparer les niveaux de vie et d'apporter des modifications pour les cas de difficultés excessives, dont il est aussi question dans l'annexe.

Ces lignes directrices ne font pas partie du projet de loi. Elles seront déposées dans le cadre du processus de réglementation une fois la loi en vigueur.

La première règle d'application est de nature présomptive. À moins que les lignes directrices ne disent le contraire, le montant des pensions alimentaires pour enfants doit être fixé selon les tables, sous réserve de l'ajout d'un montant supplémentaire pour dépenses extraordinaires, le cas échéant. La seule situation dans laquelle il serait possible de s'éloigner de ces tables, c'est si le montant prévu entraînait des difficultés excessives pour l'un ou l'autre des parents, ou encore pour les enfants. Cependant, les lignes directrices ont un caractère indicatif, et non présomptif, dans quatre situations.

Ce sont les suivantes: lorsque le parent qui paie la pension alimentaire gagne plus de 150 000 $ par année; lorsque les enfants sont majeurs; lorsque la garde physique est partagée de façon substantiellement égale entre les deux parents; et lorsqu'il y a une ordonnance par consentement.

Une fois que le tribunal a fixé le montant en fonction des tables, il peut également tenir compte de la nécessité et du caractère raisonnable de cinq types de dépenses à la demande de l'une ou l'autre des parties. C'est ce qu'on appelle les dépenses extraordinaires. La liste en est exhaustive, et contient les dépenses suivantes: les frais de garderie; les dépenses exceptionnelles liées aux soins médicaux ou aux soins de santé; les dépenses exceptionnelles pour l'éducation primaire ou secondaire, ou pour tout programme d'éducation répondant aux besoins particuliers de l'enfant; les dépenses d'éducation postsecondaire; et les dépenses exceptionnelles pour activités extrascolaires.

Ces dépenses extraordinaires sont courantes dans les lignes directrices américaines et représentent des coûts supplémentaires par rapport aux montants prévus dans les tables.

Après l'application des montants prévus dans les tables et l'examen des dépenses extraordinaires, le cas échéant, l'un ou l'autre des conjoints, ou un des conjoints au nom des enfants, peut alors demander que le tribunal s'écarte du montant prévu dans les lignes directrices en soutenant qu'il connaîtrait des difficultés excessives si la pension alimentaire pour les enfants était fixée à ce niveau-là.

Contrairement à la liste des dépenses extraordinaires, la liste des situations pouvant entraîner des difficultés excessives n'est pas exhaustive. Elle inclut: un niveau d'endettement exceptionnel, résultant de dépenses raisonnables visant à soutenir la famille ou à gagner sa vie; des dépenses exceptionnellement importantes pour exercer un droit de visite; et l'obligation juridique, en vertu d'une ordonnance judiciaire ou d'une entente de séparation, d'assurer la subsistance de quelqu'un d'autre, par exemple d'autres enfants.

L'article 11 des lignes directrices prévoit deux critères de modification. Premièrement, lorsqu'une ordonnance aurait été prise conformément aux lignes directrices, tout changement de situation qui entraînerait l'établissement d'une pension différente justifierait une modification. Deuxièmement, lorsqu'une ordonnance aurait été prise en vertu des lois existantes, c'est-à-dire en fonction du critère des ressources et des besoins, l'entrée en vigueur des lignes directrices et la modification du traitement fiscal réservé aux pensions alimentaires seraient considérées comme un changement de situation.

Le paragraphe 11b) prévoit un changement de situation présumé, qui fait que toutes les ordonnances existantes prises en vertu de la Loi sur le divorce relativement aux pensions alimentaires pour enfants pourront faire l'objet d'une modification conformément aux lignes directrices et au nouveau traitement fiscal qui entrera en vigueur le 1er mai 1997.

Les parents visés par des ordonnances dépassées, prévoyant des montants trop peu élevés, pourront donc obtenir le montant prévu dans les lignes directrices et bénéficier du nouveau traitement fiscal s'ils le désirent. Cependant, conscient des pressions que cette mesure pourrait imposer aux tribunaux, le gouvernement a mis à la disposition des provinces et des territoires un fonds de 50 millions de dollars pour les aider à trouver les moyens de faire face à l'augmentation possible du nombre de demandes de modification.

[Français]

Tel que mentionné plus tôt, le Québec a développé ses propres lignes directrices. L'été dernier, celles-ci ont été rendues publiques et des consultations ont été effectuées. Après avoir examiné ce modèle, il apparaît qu'il pourrait rencontrer tous les critères qui sont établis à l'article 26.1.

[Traduction]

Le modèle québécois et le modèle fédéral sont similaires dans leur application. Chacun doit être appliqué de façon présomptive, et il est possible de modifier le montant fixé selon les tables en ajoutant d'autres dépenses ou en plaidant les difficultés excessives. Cependant, les formules permettant de calculer les montants de base sont très différentes. Le Québec a un modèle fondé sur la part du revenu, qui oblige à calculer le revenu des deux parents. Les lignes directrices fédérales sont fondées pour leur part sur un modèle à pourcentage fixe qui présume que le parent ayant la garde des enfants contribue au montant de base en fonction de ses moyens, selon un pourcentage de son revenu similaire à celui du parent qui n'a pas la garde. Le revenu, c'est-à-dire le revenu réel du parent qui a la garde, doit cependant entrer en ligne de compte lorsqu'il est question de dépenses extraordinaires et de difficultés excessives.

La comparaison de différentes situations révèle que les lignes directrices fédérales sont moins généreuses, mais pas de beaucoup... et seulement lorsque le parent qui a la garde des enfants a un revenu nul ou modeste, et où celui qui paie une pension a lui aussi un revenu peu élevé. Cela ne tient pas compte des situations dans lesquelles il pourrait y avoir un montant ajouté au montant de base pour couvrir des dépenses extraordinaires. Autrement, les montants fédéraux sont plus élevés, de beaucoup dans certains cas.

À part le cadre des lignes directrices, le projet de loi C-41 introduit essentiellement de nouveaux mécanismes visant à faciliter l'application des ordonnances alimentaires, application qui relève d'abord et avant tout des provinces. Le gouvernement fédéral joue un rôle de soutien important dans ce domaine en finançant les programmes provinciaux d'application des ordonnances alimentaires, en permettant la saisie-arrêt de certaines sommes fédérales en vertu de ses lois et en aidant à retracer les mauvais payeurs grâce aux banques de données fédérales. La Loi d'aide à l'exécution des ordonnances et des ententes familiales et la Loi sur la saisie-arrêt et la distraction de pensions sont les deux lois sur le sujet. Elles sont toutes les deux en vigueur depuis les années 80.

Le mécanisme fédéral de recherche qui permet de retracer les gens qui ne paient pas leur pension alimentaire sera rendu plus efficace grâce à l'ajout des banques de données de Revenu Canada aux banques d'information qu'il est possible de consulter pour obtenir de l'information sur l'adresse d'un débiteur. Ces banques de données contiendront certains des renseignements les plus récents et les plus complets qui soient disponibles.

Il est important de préciser toutefois que l'adresse est le seul renseignement divulgué et qu'il existe des dispositions permettant de protéger la vie privée des citoyens dans le cas de la divulgation d'information aux responsables des autorités provinciales. Ce mécanisme de recherche va être encore amélioré -- ou «modernisé», devrais-je dire -- parce qu'il va permettre aux autorités provinciales de demander l'accès aux banques de données, par voie électronique, sans avoir à fournir une copie des dispositions de l'ordonnance alimentaire visant une famille. Le traitement des demandes sera donc plus efficace et moins coûteux.

La partie III de la Loi d'aide à l'exécution des ordonnances et des ententes familiales contient un outil d'application innovateur que les provinces utilisent actuellement, ou qu'elles envisagent d'utiliser, à savoir un programme de refus d'autorisation. Plusieurs provinces ont commencé à suspendre le permis de conduire des parents qui ne paient pas la pension alimentaire de leurs enfants.

Le gouvernement fédéral compte introduire cette nouvelle mesure pour aider les provinces et les territoires dans leurs propres efforts pour exécuter les ordonnances alimentaires. Le refus d'autorisation sera accessible non par les particuliers, mais plutôt par une demande officielle et un affidavit d'une autorité ou d'un agent provincial ou territorial. Le gouvernement reconnaît ainsi que toutes les provinces et tous les territoires ont déjà un programme d'application ayant le mandat et l'expérience nécessaires pour faire le meilleur usage possible de ce nouvel outil d'application.

Quand cette mesure sera en vigueur, le gouvernement fédéral suspendra ou refusera de délivrer ou de renouveler les passeports et les permis particuliers prévus dans la Loi sur l'aéronautique et la Loi sur la marine marchande du Canada.

Pour le moment, cette mesure ne s'appliquera qu'aux passeports fédéraux et aux permis de transport fédéraux, dont la liste figure en annexe du projet de loi. Cependant, le gouvernement continue d'examiner les moyens d'inclure d'autres permis et certificats délivrés au niveau fédéral.

Le projet de loi C-41 prévoit que le débiteur doit être en défaut de façon répétée avant qu'une autorité provinciale ou territoriale puisse présenter une demande de refus d'une autorisation fédérale. L'expression «être en défaut de façon répétée» est d'ailleurs définie dans le projet de loi. Il faut soit que le débiteur n'ait pas versé la pleine somme requise pendant trois périodes de paiement -- par exemple, dans le cas d'une pension de 300 $ par mois, il s'agirait de trois mois de pension -- soit que l'arriéré accumulé s'élève à 3 000 $ au moins. Par exemple, un parent n'ayant pas la garde des enfants qui devrait faire des paiements mensuels et qui ne paierait pas pendant trois mois pourrait être visé par cette mesure, tout comme un débiteur qui ne ferait que des paiements partiels ou intermittents et dont l'arriéré s'élèverait à 3 000 $.

Cette définition constitue une norme raisonnable qui reflète le genre de défaut de paiement important justifiant une mesure aussi sérieuse que le refus d'autorisation. Cette mesure vise surtout à inciter les mauvais payeurs à respecter leurs obligations plutôt qu'à continuer de les négliger. La loi accorde une importance particulière aux avis qui doivent être envoyés au débiteur pour s'assurer qu'il ou elle a la possibilité d'éviter ce refus d'autorisation en prenant avec l'autorité compétente les dispositions nécessaires pour effectuer les paiements prévus.

Le projet de loi prévoit que les mesures de refus d'autorisation doivent être suspendues lorsque le débiteur n'est plus en retard ou qu'il respecte un échéancier de paiement raisonnable; lorsque le maintien du refus d'autorisation ne serait pas raisonnable dans les circonstances; ou lorsque l'autorité compétente cesse d'appliquer l'ordonnance alimentaire ou les autres dispositions visant le débiteur.

Le projet de loi prévoit également la création d'une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité lorsqu'un débiteur ne retournerait pas son passeport ou qu'il s'en servirait après avoir été averti de sa suspension en vertu des dispositions sur le refus d'autorisation. Le Bureau des passeports du ministère des Affaires étrangères a indiqué que cette disposition était mécanisme supplémentaire nécessaire pour effectuer un suivi si le détenteur du passeport révoqué ne le rendait pas volontairement.

En cas d'infraction de ce genre à la Loi d'aide à l'exécution des ordonnances et des ententes familiales, un agent de la paix pourrait, si le passeport n'était pas retourné, entreprendre une enquête et demander un mandat conformément à l'article 487 du Code criminel afin de pouvoir saisir un passeport suspendu.

La saisie-arrêt des salaires payés par le gouvernement fédéral sera par ailleurs simplifiée grâce à la suppression de l'exigence selon laquelle un avis devait être déposé au bureau de la paie du débiteur. Cette modification est conforme aux pratiques des gouvernements provinciaux et de l'entreprise privée, qui n'exigent pas de préavis en matière de saisies-arrêts.

Les modifications proposées à la Partie II de la Loi vont supprimer l'exigence actuelle selon laquelle le demandeur doit être domicilié au Canada ou y résider habituellement. Ce changement était nécessaire parce que certains ex-conjoints, surtout des femmes, ne pouvaient pas invoquer les dispositions législatives sur la distraction de pensions contenues parce qu'elles avaient déménagé à l'extérieur du pays.

Ces changements vont également donner aux tribunaux le pouvoir d'ordonner la distraction de certaines prestations de retraite versées en vertu de la Loi sur la pension de la fonction publique afin qu'il soit possible de distraire le plus rapidement possible la pension d'un fonctionnaire qui serait en retard dans le versement de sa pension alimentaire. À l'heure actuelle, les anciens fonctionnaires ayant droit à une pension avant l'âge de 60 ans peuvent demander d'être payés immédiatement, moyennant une réduction, ou reporter leur pension à l'âge de 60 ans, ce qui leur permet en réalité de suspendre toute mesure de distraction de leur pension visant à assurer le respect de leurs obligations en matière de pension alimentaire.

Les nouvelles dispositions du projet de loi vont mettre fin à cette échappatoire. Elles vont permettre aux créanciers d'une ordonnance alimentaire de demander au tribunal une ordonnance selon laquelle la pension du mauvais payeur lui serait versée immédiatement et serait par conséquent passible de distraction. On reconnaît que cette nouvelle disposition supprime en réalité le droit de choisir quand on veut recevoir un revenu de pension et qu'elle entraînera le versement d'une pension réduite. Pour cette raison, lorsqu'elle prend cette ordonnance, la cour doit être convaincue que les paiements accusent un retard substantiel et que diverses autres mesures visant à faire appliquer l'obligation de soutien ont été appliquées sans succès.

Le projet de loi permet également aux administrateurs de caisses de retraite de distraire plus que le maximum actuel de 50 p. 100 d'une prestation de pension nette lorsque aucune limite provinciale ne prévoit le versement de l'arriéré. La règle du maximum de 50 p. 100 avait été adoptée à l'origine pour mettre une partie de la pension à l'abri en reconnaissance du fait que les pensions sont des droits reconnus par la loi et sont souvent la principale source de revenu, sinon la seule, après la retraite.

Cette règle est encore appropriée dans les cas ordinaires de distraction de pension. Cependant, conformément au principe selon lequel le soutien alimentaire à la famille doit être une obligation primaire, cette nouvelle modification reconnaît que la protection assurée jusqu'ici n'est pas justifiée dans les cas où le bénéficiaire de la pension n'a pas respecté ses obligations en matière de pension alimentaire et qu'il a laissé s'accumuler un important arriéré.

Enfin, le projet de loi C-41 modifie l'alinéa 203(1)a) de la Loi sur la marine marchande du Canada de manière à supprimer la restriction actuelle qui empêche la saisie-arrêt du salaire des marins pour l'application d'une ordonnance de soutien familial.

En gros, le projet de loi introduit donc de nouveaux mécanismes permettant de fixer le montant des pensions alimentaires pour enfants de façon juste et uniforme, grâce à des lignes directrices précises, et de mettre en place des mesures plus efficaces pour l'application des ordonnances alimentaires.

Je voudrais maintenant vous parler de quelques-unes -- et d'une en particulier -- des questions soulevées par le grand public et par certains des témoins qui ont comparu devant la Chambre des communes, ainsi que pendant le débat sur la deuxième lecture du projet de loi au Sénat.

La question dont je veux vous parler tout particulièrement est celle de la garde et du droit de visite. Certaines personnes ont demandé pourquoi le projet de loi C-41 ne contenait rien sur cette question, ni sur les droits des parents qui n'ont pas la garde des enfants. La réponse, c'est que la question du droit de visite fait déjà l'objet de l'article 16 de Loi sur le divorce, selon lequel un tribunal peut prendre une ordonnance visant une ou plusieurs personnes relativement à la garde du ou des enfants issus du mariage, et au droit de rendre visite à ces enfants, et imposer les conditions qu'il estime justes et raisonnables. Cet article précise que les intérêts des enfants doivent être la seule considération à retenir, en fonction de la situation, des moyens, des besoins et des autres circonstances de la vie de l'enfant.

En vertu de l'article 16 de la Loi sur le divorce, les tribunaux accordent un droit de visite équitable aux parents qui n'ont pas la garde des enfants. Malheureusement, il peut arriver, après l'ordonnance du tribunal, que des conflits rendent les visites difficiles.

La Loi sur le divorce prévoit qu'il est possible de présenter une demande de modification lorsque la situation change, mais cette disposition n'est généralement pas pertinente, et le vrai problème réside dans l'application de l'ordonnance existante, ce qui est avant tout de compétence provinciale.

On peut donc se demander pourquoi le gouvernement fédéral ne pourrait pas aider les provinces à appliquer les ordonnances touchant le droit de visite, puisqu'il peut prendre des initiatives pour les aider à exécuter les ordonnances alimentaires. Mais l'application des ordonnances de visite est fondamentalement différente de celle des ordonnances alimentaires. Il existe en effet différents moyens pour recouvrer des sommes d'argent. Il est possible de saisir un salaire ou des biens, mais pas un enfant. Dans la plupart des cas, il n'est pas bon de faire intervenir la police pour aller chercher un enfant. Ce n'est pas dans ses meilleurs intérêts.

Il faut reconnaître qu'il n'existe pas de réforme législative simple qui permettrait de veiller, en vertu de la Loi sur le divorce, à ce que les enfants reçoivent ce dont ils ont besoin et ce qu'ils méritent, c'est-à-dire l'affection et l'amour constants de leurs deux parents, à l'abri de tout conflit.

Ce qu'il faut, c'est trouver des réponses aux conflits relatifs au droit de visite de manière à tenir compte de façon juste et équitable des préoccupations de toutes les parties en cause, mais surtout à faire en sorte que les intérêts des enfants passent en premier. À cet égard, le gouvernement fédéral continue à travailler de concert avec les provinces et les territoires pour mettre en place une approche multidisciplinaire qui pourrait reposer sur des outils comme le counselling, la médiation et l'éducation des parents.

Le sénateur Jessiman: À l'heure actuelle, la loi stipule que les tribunaux doivent reconnaître que les anciens conjoints sont tous deux financièrement responsables des besoins des enfants, et qu'ils doivent répartir cette obligation entre les deux en fonction de leur capacité relative de subvenir à ces besoins. Est-ce que cette notion est supprimée?

Mme Brazeau: En un sens.

Le sénateur Jessiman: En un sens?

Mme Brazeau: L'obligation est maintenue.

Le sénateur Jessiman: Je veux parler du paragraphe 17(8).

Mme Brazeau: Cette disposition elle-même est supprimée, mais les parents gardent la même obligation.

Le sénateur Jessiman: Il est précisé dans les lignes directrices qu'elles visent à établir une norme juste pour le soutien alimentaire des enfants de façon à veiller à ce que, après un divorce, les enfants continuent de bénéficier des moyens financiers des deux anciens conjoints. Je me demande si cela doit compléter ou remplacer ce que la loi contient actuellement.

Mme Brazeau: La loi contient un guide qui permet aux tribunaux de déterminer le montant de la pension à verser. Ce qui se passe quand on applique le critère des ressources et des besoins, c'est que le tribunal ordonne au parent qui n'a pas la garde des enfants de verser quelque chose à celui qui l'a. La répartition des coûts de subsistance des enfants entre les deux parents n'est qu'une façon de déterminer la part du parent qui n'a pas la garde et le montant de la pension.

Le sénateur Jessiman: Je n'en suis pas certain. Permettez-moi de vous donner deux exemples. Dans le premier scénario, il y a une mère, un père et trois enfants. La mère ne travaille pas, mais le père gagne 65 000 $ par année. S'ils divorcent, elle obtient la garde des enfants et il doit payer une pension en vertu des lignes directrices.

Dans le deuxième scénario, la mère travaille et gagne 75 000 $ par année, mais elle obtient quand même la garde des enfants. En vertu des lignes directrices, comme vous l'avez expliqué, son revenu n'entrerait pas en ligne de compte. Le père devrait payer la même somme que si la mère ne gagnait rien, alors qu'elle pourrait faire par exemple 15 000 $ de plus que lui. Ce n'est tout simplement pas juste.

Mme Brazeau: Je vais vous expliquer pourquoi c'est juste. Dans la famille où le père gagne 75 000 $ par année et où la mère ne gagne rien, toute la famille vivait avant le divorce avec 75 000 $ par année. La mère donnait son temps aux enfants, mais elle n'apportait pas de contribution financière à la famille. Mais dans la famille où la mère travaille, où elle contribue financièrement à la vie de la famille, elle contribue aussi à subvenir aux besoins des enfants.

Le sénateur Jessiman: Ce n'est pas certain. Elle pourrait se servir de son revenu exclusivement pour elle-même. Je connais des cas où la femme travaille, où elle met l'argent à la banque et où c'est le salaire du mari qui sert à subvenir aux besoins de la famille.

Mme Brazeau: C'est une hypothèse, et les économistes s'entendent pour dire que, plus le revenu familial est élevé, plus la famille dépense d'argent pour les enfants. On présume donc que, dans une famille où les deux parents travaillent, si la mère cesse de travailler, la famille dépensera moins pour les enfants à cause de la baisse du revenu familial.

Lorsqu'ils examinent le revenu familial, les économistes présument -- et je pense que cela reflète la réalité des familles canadiennes -- que les deux parents subviennent aux besoins de leurs enfants en fonction de leur capacité respective de payer.

Le sénateur Jessiman: Vous avez expliqué pourquoi un parent pourrait ne pas avoir à contribuer, et je ne suis pas d'accord avec vous. Vous dites que, dans certaines provinces, il n'est pas nécessaire de tenir compte de cet aspect, même si c'est nécessaire au Québec, n'est-ce pas?

Mme Brazeau: Oui.

Le sénateur Jessiman: Aux États-Unis et en Grande-Bretagne, est-ce qu'on tient compte des deux revenus?

Mme Brazeau: Les lignes directrices varient selon les endroits, aux États-Unis. En Australie, il existe des lignes directrices sur le pourcentage du revenu, qui ressemblent aux lignes directrices fédérales que nous proposons. Et aux États-Unis, il y a des lignes directrices de ce genre dans beaucoup d'États.

Le sénateur Jessiman: Prenons un couple dans lequel les deux conjoints travaillent; si la femme gagne 75 000 $ et l'homme, 60 000 $, il devra quand même payer. Elle n'aura rien à payer, mais elle aura la garde des enfants. Et lui, il lui versera ce qu'il doit lui verser en vertu des lignes directrices. S'il épouse ensuite une femme qui a un revenu, est-ce que cela entre en ligne de compte dans le calcul du montant qu'il doit verser à la mère de ses enfants?

Mme Brazeau: Non. Nous ne tenons pas compte du revenu du nouveau conjoint, sauf en cas de difficultés excessives.

Le sénateur Jessiman: Cela entre en ligne de compte. Les gens doivent divulguer combien d'argent entre dans leur ménage.

Mme Brazeau: Le seul moment où nous tenons compte du revenu du ménage, c'est lorsque la mère ou le père invoque des difficultés excessives. Autrement, nous ne tenons pas compte du revenu du nouveau conjoint. Ce n'est pas dans les lignes directrices.

Le sénateur Jessiman: D'après ce que je peux voir, vous pouvez tenir compte du revenu global du ménage. Si vous regardez la grille, il n'y a qu'une série de chiffres au sujet du revenu; c'est celui du parent qui n'a pas la garde. Vous considérez le revenu et le nombre d'enfants pour déterminer le montant de la pension.

Mme Lise Lafrenière Henrie, conseillère juridique, Section de la famille, des enfants et des adolescents, ministère de la Justice: Où est-ce que vous voyez cela? Je ne vous suis pas, et mes collègues non plus, je pense.

Le sénateur Jessiman: C'est dans l'annexe.

Mme Lafrenière Henrie: Cela ne s'applique qu'aux cas de difficultés excessives.

Le sénateur Jessiman: On tient compte du revenu de tous les membres de chaque ménage.

Mme Lafrenière Henrie: Seulement en cas de difficultés excessives.

Le sénateur Jessiman: Qu'est-ce que vous entendez par «difficultés excessives»?

Mme Brazeau: Quand nous avons rédigé ces lignes directrices, nous avons travaillé en collaboration avec des économistes et des chercheurs, et nous avons établi une grille contenant les montants que la plupart des Canadiens sont capables de payer.

Mais, comme cette grille sera appliquée dans la majorité des cas, nous sommes bien conscients qu'il pourrait y avoir des situations exceptionnelles dans lesquelles ces montants ne seraient pas appropriés. Par conséquent, nous avons prévu une certaine marge de manoeuvre afin d'établir un équilibre entre la justice pour les individus et la justice pour la moyenne des gens, ce que représentent les montants figurant dans ces tables. Nous avons établi cet équilibre de deux façons. Nous avons tenu compte des dépenses extraordinaires, par exemple des frais de garderie ou des frais médicaux importants, qui font que les montants prévus dans les tables pourraient être insuffisants et qu'il pourrait être nécessaire d'augmenter la pension pour tenir compte de ces dépenses extraordinaires. Si les parties demandent un montant spécial pour les frais de garderie, leur revenu à toutes les deux va entrer en ligne de compte.

Cependant, au-delà de ces dépenses extraordinaires, il peut toujours y avoir des cas où une des parties se trouve dans une situation particulièrement difficile. Il peut arriver par exemple qu'une femme ayant la garde de deux enfants ait un revenu très confortable et qu'elle ait épousé un millionnaire. Son ex-mari peut avoir eu deux autres enfants, il peut être pauvre, sa femme peut avoir perdu son emploi et il peut être incapable de payer le montant prévu dans les tables. Dans ce cas, il pourra faire valoir qu'il connaît des difficultés excessives. Il pourra démontrer que son niveau de vie est plus bas que celui de sa première famille et obtenir par conséquent une baisse de la pension alimentaire qu'il doit verser à ses enfants.

Le sénateur Jessiman: Les lignes directrices tiennent compte des cas où les deux conjoints partagent la garde physique des enfants de façon à peu près égale. Il peut y avoir garde conjointe lorsque la mère vit avec les enfants, mais qu'ils vont voir leur père par exemple le mardi, le jeudi et toutes les deux fins de semaine, ce qui correspond à environ 30 p. 100 du temps.

Mme Brazeau: Trente pour cent, ce n'est pas «à peu près égal».

Le sénateur Jessiman: En supposant qu'il s'agit de 30 p. 100, je sais que les coûts sont importants, mais cette contribution n'est pas reconnue dans les lignes directrices. Je pense qu'elle devrait l'être.

Mme Lafrenière Henrie: Il serait malheureux qu'on doive accorder un crédit au père parce qu'il passe du temps avec ses enfants.

Les dépenses que le parent qui a la garde doit assumer pour les enfants ne diminuent pas du simple fait que les enfants passent 30 p. 100 de leur temps avec l'autre parent.

Le sénateur Jessiman: La mère peut faire ce qu'elle veut de l'argent supplémentaire. Si le père doit verser une certaine somme pour les enfants et qu'il les a avec lui 30 p. 100 du temps, la mère, qui a la garde des enfants, touche 30 p. 100 de plus que ce dont elle a besoin et elle peut s'en servir pour faire ce qui lui plaît. Je sais que cela se produit, et ce n'est pas bien.

Mme Lafrenière Henrie: Les 30 p. 100 que les enfants passent avec leur père ne lui coûtent peut-être pas très cher.

Le sénateur Jessiman: Ils peuvent coucher chez lui toutes les deux fins de semaine et deux soirs par semaine.

Mme Lafrenière Henrie: Mais le parent qui a la garde doit quand même entretenir une maison pour les enfants et c'est lui qui est le principal responsable de l'achat des vêtements et de toutes les dépenses importantes. C'est pour cela que nous ne pouvons pas réduire le montant de la pension en proportion.

Si nous faisions cela, nous augmenterions les risques de litiges sur les questions de droit de visite, et nous voulons éviter cela. Nous ne voulons pas lier le droit de visite et la pension alimentaire. Ce sont deux choses distinctes. Il ne faut pas mêler tout cela.

Le sénateur Jessiman: Et si les enfants passaient 40 ou 45 p. 100 de leur temps chez leur père? Jusqu'où faudrait-il aller avant de lui accorder un crédit?

Mme Lafrenière Henrie: À 50 p. 100.

Le sénateur Phillips: Je dois dire que le témoin n'a pas beaucoup ajouté à la discussion en nous donnant des réponses aussi évasives.

Dans le troisième scénario qu'a évoqué le sénateur Jessiman, celui où la deuxième femme a un revenu et où la première femme soutient que les enfants ont besoin, disons, d'un traitement d'orthodontie qui coûtera 8 000 $ ou 10 000 $, est-ce que le revenu de la deuxième femme va entrer en considération à ce moment-là?

Mme Brazeau: Non. Il s'agit de dépenses extraordinaires, et le revenu de la deuxième femme n'entrera pas en ligne de compte, d'après les lignes directrices.

Le sénateur Phillips: Qu'est-ce qui se passe quand une femme revient devant les tribunaux et affirme qu'elle a besoin d'une pension plus élevée? Quand le deuxième revenu entre-t-il en ligne de compte?

Mme Brazeau: Il entre en ligne de compte quand le couple veut s'éloigner du montant prévu dans les tables et qu'il y a des dépenses extraordinaires. Il faut alors présenter une demande. Le principe, c'est qu'on ne peut s'éloigner du montant prévu dans les tables et demander une modification que si le ménage qui présente la demande a un niveau de vie moins élevé que l'autre.

Le sénateur Phillips: Et les études universitaires?

Mme Brazeau: Elles pourraient être considérées comme une dépense extraordinaire, mais il est probable que l'enfant sera majeur quand il en sera rendu là, auquel cas les lignes directrices ne sont qu'indicatives.

La présidente: Nous adoptons un règlement au lieu de laisser les décisions à la discrétion des tribunaux, n'est-ce pas? Quand le règlement sera en place, les tribunaux devront l'appliquer?

Mme Brazeau: C'est exact.

La présidente: Ce règlement pourra être modifié n'importe quand par décret du conseil, n'est-ce pas?

Mme Brazeau: Oui.

Le sénateur Bonnell: Je remarque que tous les gens qui sont ici aujourd'hui au nom du ministère de la Justice sont du même sexe. Y a-t-il une raison à cela? Les avocats du ministère sont-ils tous des femmes?

Mme Brazeau: Il y a plus de femmes qui pratiquent le droit de la famille, de façon générale. Je ne sais pas pourquoi. Nous avons aussi des avocats masculins.

Le sénateur Bonnell: Je sais qu'il y a certainement plus de femmes qui se lancent dans la pratique du droit.

Pour en revenir au règlement, est-ce que nous allons le voir avant qu'il soit adopté, pour que nous sachions ce qui est proposé? Il y a des gens qui disent que c'est bien beau d'adopter les lois, mais que tout le sale boulot se fait par réglementation.

Mme Brazeau: Le règlement a été rendu public le 28 juin.

Le sénateur Bonnell: L'avez-vous en main?

Mme Brazeau: Oui, nous l'avons ici.

Le sénateur Bonnell: Vous pourriez peut-être en déposer un exemplaire avant l'adoption du projet de loi.

Mme Brazeau: Depuis la publication du règlement en juin, nous avons consulté longuement les juges, les avocats, les parents qui ont la garde des enfants et les autres parents, de même que différents autres groupes de tout le pays, au sujet des lignes directrices.

Le sénateur Bonnell: Avez-vous entendu le point de vue des hommes divorcés?

Mme Brazeau: La plupart des parents qui n'ont pas la garde des enfants sont des hommes, et nous en avons consulté beaucoup.

Le sénateur Cools: Avez-vous découvert pourquoi c'est le cas?

Mme Brazeau: Nous n'étions pas là pour examiner pourquoi ces gens-là n'avaient pas la garde de leurs enfants. Nous étions chargés d'étudier la question des pensions alimentaires pour enfants.

Le sénateur Bonnell: Quel est le pourcentage des hommes et des femmes parmi les gens qui paient une pension alimentaire pour leurs enfants?

Mme Brazeau: Est-ce que c'est pertinent?

Le sénateur Bonnell: Est-il vrai que seulement 20 p. 100 des femmes paient une pension alimentaire à leurs enfants et à leur mari, quand c'est lui qui a la garde des enfants?

Mme Brazeau: Plus de 90 p. 100 des pensions alimentaires sont versées par des hommes, à des femmes.

Le sénateur Bonnell: Et les 10 p. 100 qui restent? Est-ce qu'il y a des femmes qui paient une pension alimentaire à un homme?

Mme Brazeau: Parfois, mais c'est rare. Je pense que les hommes ont la garde de leurs enfants dans 20 p. 100 des cas. Il est rare que leur ancienne femme leur verse une pension alimentaire.

Le sénateur Cools: Nous devrions avoir des chiffres à ce sujet-là.

Mme Brazeau: Nous pouvons vous les fournir.

Le sénateur Cools: Tout cela semble très vague. Ce n'est pas la première fois que les membres du comité se penchent sur cette question, et sur ce projet de loi en particulier.

J'aurais cru que les témoins du ministère pourraient nous donner des réponses plus précises et nous fournir des chiffres exacts en réponse à nos questions. Il me semble que la première question à se poser est la suivante: qui a la garde des enfants? Je m'attendais à ce que vous puissiez nous donner ces chiffres.

Mme Brazeau: Nous avons entrepris ce projet par suite de l'évaluation de la Loi sur le divorce qui a été terminée en 1990; au cours de cette évaluation, nous avons établi des statistiques sur le nombre d'hommes et de femmes qui ont la garde de leurs enfants, ainsi que sur les montants des pensions.

Le sénateur Cools: Vous pourriez peut-être nous les communiquer maintenant.

Mme Wendy Bryans, conseillère juridique, Section de la famille, des enfants et des adolescents, ministère de la Justice: Les femmes ont la garde des enfants 80 p. 100 du temps, et les hommes, dans 20 p. 100.

Le sénateur Cools: Et les grands-parents, et les autres? Quand vous parlez des «hommes», vous voulez parler des pères?

Mme Bryans: Oui.

Le sénateur Cools: Quel pourcentage la garde partagée représente-t-elle?

Mme Bryans: Elle représente 14 p. 100.

Le sénateur Cools: Vous voyez à quel point ces chiffres sont capricieux? Vous venez de dire que 80 p. 100 des parents ayant la garde de leurs enfants étaient des femmes et que 20 p. 100 étaient des hommes. J'aurais cru que l'équation aurait également tenu compte des autres personnes. J'aimerais savoir combien de pères ont la garde de leurs enfants, et combien de mères, combien de parents se partagent la garde et combien d'autres personnes ont la garde.

Mme Bongard: La question de la garde partagée est difficile à cerner parce qu'elle fait l'objet d'une terminologie différente. Il y a parfois une garde physique conjointe, par opposition à une garde légale conjointe. Dans les cas de garde légale conjointe, il y a souvent un arrangement qui peut sembler, pour bien des gens, une garde exclusive avec un droit de visite généreux, mais on appelle cela une «garde conjointe». D'après ce que je sais, ces statistiques sont recueillies par le biais d'un formulaire du Bureau d'enregistrement des actions en divorce, et elles résultent en gros de l'interprétation du commis qui coche une case plutôt qu'une autre.

Le sénateur Cools: De quel bureau voulez-vous parler?

Mme Bongard: Du Bureau d'enregistrement des actions en divorce.

Mme Bryans: Quand je vous ai parlé de 80 et de 20 p. 100, cela excluait les cas de garde conjointe consignés sur les formulaires du Bureau d'enregistrement des actions en divorce.

Le sénateur Cools: On dirait bien que nous ne savons pas ce que le mot «garde» veut dire.

La présidente: Sénateur Cools, nous devrions demander ce renseignement.

Le sénateur Cools: Je viens de le faire.

Le sénateur Bonnell: Est-ce que les enfants sont représentés par un avocat devant les tribunaux, tout comme les parents? Est-ce qu'ils perdent des droits?

Mme Bongard: Les enfants ne sont pas des parties en présence en vertu de la Loi sur le divorce. Les deux seules parties sont les conjoints qui demandent le divorce.

Le sénateur Bonnell: Mais les enfants devraient être inclus, n'est-ce pas?

Mme Bongard: Cela pose certains problèmes. Ce dont il est question ici, ce sont les mesures accessoires prévues dans la Loi sur le divorce; il ne s'agit pas de savoir si les parties devraient ou non être autorisées à divorcer. Dans l'examen des motifs du divorce ou de l'opportunité d'accorder un divorce, les enfants n'entrent pas en ligne de compte. Mais pour les décisions relatives aux mesures accessoires, les enfants ont plus d'importance.

Traditionnellement, la loi a toujours été axée sur les meilleurs intérêts de l'enfant, plutôt que sur ses droits. C'est le critère principal de la Loi sur le divorce. C'est aussi le critère international. C'est celui qui est prévu dans la convention de l'ONU sur les droits de l'enfant. L'article 16 de la Loi sur le divorce, qui évoque l'intérêt de l'enfant, doit être pris en considération dans les décisions relatives à la garde.

Mais il peut être compliqué d'entendre le point de vue d'un enfant, surtout s'il est tout jeune. Il est difficile de savoir comment un enfant pourrait donner des instructions à son avocat s'il était une des parties en cause, et s'il était représenté par un avocat, et de savoir si ce serait vraiment dans son intérêt de l'obliger à décider, devant le tribunal, avec quel parent il voudrait vivre.

Le sénateur Bonnell: Je pense au moins que les enfants devraient pouvoir exprimer leur préférence.

Je suis peut-être en conflit d'intérêts parce que, quand mon fils et sa femme ont divorcé, le juge a décidé que les enfants devraient être avec leur mère parce que, apparemment, c'est toujours ce qui se fait. Mais les enfants ne voulaient pas être avec leur mère. Elle n'est jamais à la maison. Les enfants ont signalé aux autorités qu'ils avaient été victimes d'abus, et même qu'ils avaient été battus, mais personne n'a voulu les croire au téléphone. Les autorités sont donc allées les voir et ont constaté qu'ils étaient couverts de bleus. On dirait qu'il faut toujours des preuves de ce genre avant qu'un juge change d'avis.

Les enfants devraient être représentés devant les tribunaux et avoir leur mot à dire sur l'endroit où ils vont vivre. Souvent, les juges ne sont pas au courant des faits.

Le sénateur Forest: Quelles statistiques avez-vous au sujet des gens qui ne paient pas leur pension?

Mme Brazeau: Il n'y a pas de données nationales sur l'application des ordonnances alimentaires au Canada. Chaque province a son propre service d'application et recueille ses propres données en fonction de la façon dont son système est organisé. Par exemple, en Colombie-Britannique, les gens doivent présenter une demande pour que la province applique l'ordonnance qui les vise. En Ontario et au Québec, toutes les ordonnances sont exécutées automatiquement dès qu'elles sont prises. Par conséquent, chaque province a une base différente pour l'établissement de ces statistiques, parce qu'elles ne reposent pas sur la même information.

En plus, les provinces ne mesurent pas toutes de la même façon les défauts de paiement. Dans une province, par exemple, on peut considérer qu'il y a défaut de paiement si la pension n'a pas été payée pendant trois mois. Mais cela peut être différent ailleurs.

Nous avons essayé récemment d'établir des critères précis pour mesurer le défaut de paiement au niveau national. Dans le cadre de cette initiative sur les pensions alimentaires pour enfants, nous essayons notamment d'établir une base de données nationales pour mesurer l'application et le non-respect des ordonnances au Canada.

Le sénateur Forest: Si je vous pose cette question-là, c'est parce qu'on entend souvent des statistiques incroyablement élevées au sujet du nombre de mauvais payeurs. Je me demande d'où elles viennent.

Mme Brazeau: J'ai entendu des statistiques récentes au sujet de l'Ontario. Je pourrais vous fournir des chiffres. Le nombre des mauvais payeurs était élevé, mais il s'agissait de cas où la pension avait été payée en partie. Toutes les provinces ont leurs propres statistiques. Le nombre des cas où la pension est versée en entier est très bas.

Nous devons tenir compte de l'effet qu'auront les lignes directrices sur le versement des pensions. À l'heure actuelle, il peut y avoir deux familles qui vivent une à côté de l'autre, deux hommes qui travaillent à la même usine et qui gagnent le même revenu, mais qui pourraient avoir à verser des pensions alimentaires très différentes pour leurs enfants, selon leur avocat et selon le juge devant lequel ils ont comparu.

Cela pourrait influer sur leurs intentions au sujet du versement de la pension qui leur est imposée. Ces deux hommes pourraient juger qu'ils n'ont pas été traités de façon équitable. Les lignes directrices vont établir la norme selon laquelle la plupart des gens vont être jugés. Ce sera un peu comme dans le domaine fiscal. Vous savez que tous les contribuables qui gagnent le même revenu paient le même pourcentage d'impôt. Grâce aux lignes directrices, ce serait la même chose pour les pensions alimentaires.

Quand nous avons commencé à discuter de ces lignes directrices, nous ne nous sommes pas demandé si leur introduction était une bonne chose, mais plutôt en quoi elles devraient consister.

Le sénateur Jessiman: Avez-vous examiné s'il fallait tenir compte du revenu de l'autre conjoint?

Mme Brazeau: C'est une autre histoire.

Le sénateur Jessiman: Selon un article publié dans le Globe and Mail en août 1995, il y avait en Ontario 66 000 femmes à qui on devait plus de 700 millions de dollars de pensions en retard.

Le sénateur Cools: Les projets de loi sont souvent renvoyés en comité, et c'est seulement à ce moment-là qu'on nous dit par exemple, comme c'est le cas aujourd'hui, qu'on ne sait pas combien de gens sont en retard dans le paiement de leur pension et que personne ne peut définir la garde de façon précise, et ainsi de suite.

Commençons donc par le commencement. J'aimerais que les témoins me disent sur quels principes le ministère s'est appuyé, à notre époque où les femmes sont financièrement plus indépendantes que jamais auparavant, pour proposer l'abrogation de la disposition de la Loi sur le divorce selon laquelle l'enfant a droit au soutien financier. Je ne veux pas parler de soutien affectif, ni des autres devoirs et des autres droits de n'importe quel enfant. Je veux parler simplement de soutien financier.

Nous avons déjà examiné la question quand Mark McGuigan a cru pouvoir révolutionner le divorce en 1984. Puis, il est parti, et John Crosbie a continué en 1985.

À ce moment-là, nous aurions tous été scandalisés si le gouvernement avait déposé au Parlement un projet de loi contenant une disposition comme celle-là. C'est un recul très net et je pense que nous devons le dire au ministre; cela nous ramène au IXe siècle.

Mme Bryans: Le principe, c'est que les pensions alimentaires doivent être établies conformément aux lignes directrices et que les objectifs seraient contenus dans ces lignes directrices plutôt que dans la loi.

Le sénateur Cools: Vous dites que les décisions des tribunaux au sujet du soutien financier à accorder aux enfants n'auraient plus à s'appuyer sur la loi.

Mme Bryans: Les lignes directrices reposent sur le principe selon lequel les deux parents doivent assurer la subsistance de leurs enfants.

Le sénateur Cools: Je ne vous parle pas du principe sur lequel reposent les lignes directrices, je vous parle de la loi. Ce qui nous intéresse ici, au Parlement, c'est la loi. J'aimerais bien que quelqu'un m'aide à comprendre au nom de quel raisonnement le gouvernement demande au Parlement d'approuver une disposition comme celle-là.

Mme Bryans: Les objectifs sont énoncés dans les lignes directrices.

Le sénateur Cools: Il y avait eu un progrès majeur grâce à une mesure prise par M. Trudeau en 1968.

Je veux parler de modifications à la Loi sur le divorce que le Parlement du Canada peut voir et sur lesquelles il peut voter, pas de lignes directrices.

Mme Brazeau: Ce projet de loi renforce les droits des enfants au sujet du soutien que leurs parents doivent leur accorder.

Le sénateur Cools: Ce n'est pas dans la loi. Vous ne pouvez qu'affaiblir la loi en supprimant ses dispositions les plus fortes. J'y travaille depuis 30 ans.

Mme Lafrenière Henrie: Vous voulez parler de l'obligation de payer imposée aux parents ayant la garde des enfants?

Le sénateur Cools: Non. Je veux parler des dispositions de la Loi sur le divorce. La loi, c'est que les parents doivent soutenir financièrement leurs enfants. Depuis quelques générations maintenant, le gouvernement a toujours défendu le principe selon lequel les deux parents doivent soutenir financièrement leurs enfants.

La présidente: Maintenant que c'est inscrit au compte rendu, pouvons-nous continuer?

Le sénateur Cools: Je veux entendre leur réponse.

La présidente: Ce n'est pas une réponse facile.

Le sénateur Cools: Le ministère travaille à ce dossier depuis un certain temps. Pourquoi est-ce que ce serait difficile?

Mme Bryans: L'objectif énoncé à l'alinéa 1a), c'est l'établissement d'une norme juste et équitable au sujet des pensions alimentaires pour enfants de manière à ce que les enfants puissent continuer à bénéficier des moyens financiers des deux parents. C'est certainement ce que nous essayons de dire.

Le sénateur Jessiman: Mais ce règlement pourrait être modifié demain.

Le sénateur Cools: Les comités sénatoriaux passent beaucoup de temps à examiner la réglementation. C'est une question que nous connaissons bien.

Le sénateur Losier-Cool: Nous n'avons peut-être pas besoin de témoins pour ceux qui savent tout. Vous posez des questions et, quand les témoins répondent, vous dites que vous n'êtes pas d'accord.

Le sénateur Bosa: Vous pourriez peut-être m'éclairer parce que je n'ai pas d'enfants qui sont divorcés, et quand j'entends citer tous ces chiffres, je perds moi-même tout appétit pour le divorce.

Est-ce que j'ai raison de dire que c'est le gouvernement fédéral qui adopte cette loi, mais que ce sont les provinces qui l'administrent? Est-ce que le gouvernement fédéral surveille ce qui se passe par la suite?

Mme Brazeau: Le projet de loi prévoit que nous devons suivre l'évolution de la situation et évaluer les effets de la loi. Nous avons un programme de recherche complet visant à déterminer les conséquences des lignes directrices au cours des cinq prochaines années, après quoi nous allons soumettre un rapport au Parlement au sujet des effets, voulus ou non, de ces lignes directrices.

Le sénateur Bosa: Allez-vous obtenir vos statistiques des provinces ou si vous allez les recueillir vous-mêmes?

Mme Brazeau: Nous allons travailler avec les provinces, mais ce sera un projet de recherche fédéral.

Le sénateur Bosa: Allez-vous étudier tous les cas un à un?

Mme Brazeau: Non, mais nous allons examiner la situation dans certains tribunaux.

Le sénateur Bosa: Si vous n'avez pas de statistiques exactes en main, est-ce parce que vous êtes mal informées ou parce que vous n'avez pas obtenu des provinces les renseignements les plus récents?

Mme Bryans: Les renseignements essentiels sur les divorces sont inscrits sur un formulaire envoyé au Bureau d'enregistrement des actions en divorce, mais il n'y a rien sur leurs conséquences économiques. Quand nous avons besoin de renseignements détaillés sur les conséquences économiques des divorces, nous devons faire un échantillonnage en examinant les registres des tribunaux. Nous devons communiquer avec les parties et les interviewer, et nous le faisons. Nous avons évalué les effets de la Loi de 1986 sur le divorce. Nous avons à notre disposition des sommes substantielles pour évaluer cette loi également, parce qu'il faut beaucoup de monde pour le faire.

Le sénateur Losier-Cool: Je suis très heureuse d'avoir parrainé ce projet de loi parce que je pense qu'il aurait dû être adopté il y a longtemps.

Le problème, c'est qu'il y a des milliards de dollars en pensions alimentaires qui ne sont pas versés, dans l'ensemble du Canada. Quatre-vingt-quinze pour cent des bénéficiaires de ces pensions sont des femmes et, quand elles ne reçoivent pas leur pension alimentaire, leurs enfants se retrouvent parfois dépendants de l'aide sociale. Je pense que ce projet de loi est vraiment orienté vers les enfants.

Mais beaucoup de Canadiens travaillent à l'étranger. Y a-t-il dans les lignes directrices des dispositions de portée internationale au sujet des mauvais payeurs?

Mme Brazeau: Le problème se pose si la province dans laquelle la personne réside n'a pas conclu d'entente avec le pays où habite l'autre parent. Les provinces ont chacune leurs propres ententes avec différents pays. Il s'agit de lois d'exécution réciproque. Cependant, il y a des pays où c'est très difficile à appliquer.

Le sénateur Losier-Cool: Cela se fait par l'entremise des Nations Unies?

Mme Bryans: Oui. Nous continuons à travailler à cette question. Nous avons une personne qui cherche à établir des contacts avec d'autres pays dans le but de conclure des ententes avec eux pour mettre en place des mécanismes d'exécution réciproque.

Mme Brazeau: Souvent, quand quelqu'un demande au gouvernement provincial s'il y a une entente de réciprocité avec un pays donné, et qu'il n'y en a pas, le gouvernement provincial va entreprendre des démarches pour obtenir cette réciprocité. Il n'essaiera pas de conclure une entente de réciprocité tant qu'une situation précise ne sera pas portée à son attention.

La présidente: Quand vous parlez de la liste non exhaustive des lignes directrices que le Cabinet pourrait adopter au sujet des ordonnances alimentaires, vous nous donnez l'impression qu'il serait possible d'y ajouter des éléments au besoin. Ce serait en quelque sorte un pouvoir illimité accordé au gouvernement fédéral. Cela m'inquiète un peu de voir qu'on pourrait toujours ajouter quelque chose au sujet des ordonnances alimentaires. Je veux parler de l'article 26.1, à l'article 11 du projet de loi.

Mme Bryans: L'article 11 du projet de loi, qui porte sur l'article 26.1 de la Loi, décrit dans quelle mesure nous serions autorisés à adopter des lignes directrices par règlement; il énumère les domaines qui seraient couverts -- ce sont les mêmes que ceux qui sont visés par les lignes directrices provinciales.

La présidente: Est-ce que tout doit être précisé ou si vous pourriez ajouter des éléments n'importe quand?

Mme Bryans: Dans ces domaines-là. Nous ne pouvons rien ajouter à la liste contenue dans le projet de loi.

Le sénateur Jessiman: Bien sûr que vous le pouvez. Le projet de loi dit:

Le gouverneur en conseil peut établir des lignes directrices à l'égard des ordonnances pour les aliments des enfants, notamment pour...

Et les lignes directrices sont ensuite énumérées. Mais ce n'est pas limitatif.

Mme Bryans: Non.

Le sénateur Jessiman: Vous pourriez prendre ces lignes directrices et les jeter par la fenêtre pour en adopter de nouvelles, et nous n'aurions rien à dire.

La présidente: C'est comme cela que j'interprète cette disposition.

Le sénateur Phillips: À la page 6 du document de travail, au paragraphe (3), seriez-vous prête à employer le terme «parent» ou «conjoint» plutôt que «ménage»? Ce paragraphe prévoit que le niveau de vie doit entrer en ligne de compte. À mon avis, il faudrait enlever le terme «ménage» et le remplacer par «parent».

Mme Bryans: Vous voudriez remplacer le mot «parent» par «ménage» ou «conjoint»?

Le sénateur Phillips: Je voudrais enlever complètement le mot «ménage» de ce paragraphe pour laisser uniquement le mot «conjoint».

Mme Bryans: En cas de difficultés excessives, nous avons jugé qu'il était important de tenir compte du revenu de l'ensemble du ménage, et pas seulement des deux parents. C'est l'effet qu'aurait le remplacement du mot «ménage» par «parent».

Le sénateur Phillips: Vous proposez une pension mensuelle. Comment se compare-t-elle aux pensions mensuelles fixées actuellement par les tribunaux?

Mme Brazeau: Tout dépend des tribunaux, et tout dépend des avocats. Nous avons consulté l'Association du Barreau canadien, ainsi que des avocats et des groupes juridiques de tout le pays; certains avocats ont jugé ces montants un peu trop bas, et d'autres les ont trouvés trop élevés, surtout dans les tranches supérieures. Ceux qui disent que les lignes directrices sont trop généreuses veulent parler des sommes les plus élevées. Mais ce n'est pas le cas.

Je pense que la majorité jugent que les montants sont très bas, et non qu'ils sont trop élevés.

Le sénateur Jessiman: Même si vous ne tenez pas compte de l'autre revenu?

Mme Brazeau: Oui. Parce que ces lignes directrices peuvent également servir à déterminer la contribution du parent qui a la garde des enfants, et qui est censé payer une part similaire de son revenu.

Le sénateur Jessiman: À quel article en est-il question?

Mme Brazeau: Il n'y a pas d'article à ce sujet.

Le sénateur Jessiman: Ce n'est pas dans les lignes directrices?

Mme Brazeau: Non. On suppose que le parent qui a la garde des enfants contribue proportionnellement à son revenu, en fonction des besoins des enfants, parce que le niveau de vie des enfants et celui du parent sont indissociables. Ils vivent ensemble, ils mangent la même chose et ils partagent la même maison. Le parent qui a la garde des enfants contribue à la subsistance de ses enfants. Même si la loi tient compte de son revenu, il ne sera jamais obligé de payer. Il n'y aura pas de versement comme tel. La loi suppose que ce parent paie. Peut-être que vous, vous supposez que non.

Le sénateur Phillips: Je pense que nous sommes peut-être en train de créer une situation très dangereuse. Cela devrait être dans la loi. Comme l'a dit le sénateur Cools, nous connaissons la différence entre les lois et les règlements.

Quand vous avez rédigé ce projet de loi, avez-vous pensé à la question du droit de visite des grands-parents? Est-ce que les féministes pensent aux grands-parents?

Mme Bongard: Ce projet de loi porte sur les pensions alimentaires, et sur l'article 17 de la Loi sur le divorce. Les dispositions de la Loi sur le divorce portant sur la garde et le droit de visite, comme nous l'avons mentionné dans nos remarques préliminaires, font l'objet de l'article 16 et ne sont pas visées par le projet de loi. Ce qui ne veut pas dire que nous n'en tenons pas compte, mais cela ne fait pas partie du projet de loi. Il est dangereux de lier le droit de visite et le soutien alimentaire. Je pense que nous avons encore beaucoup de chemin à faire avant d'en arriver à une réforme des dispositions relatives au droit de visite.

Le gouvernement s'est engagé à poursuivre la discussion. Cette question est à l'ordre du jour des rencontres de notre comité fédéral-provincial du droit de la famille et nous allons continuer à y travailler. Une fois que ce projet de loi sera adopté, une bonne partie des avocats qui y ont travaillé, y compris moi-même, pourront consacrer leur attention à ces autres questions.

Comme vous le savez peut-être, le droit de visite des grands-parents a fait l'objet de projets de loi privés à la Chambre, et nous sommes encore en train d'examiner comment nous pourrions aborder cette question dans la Loi sur le divorce. Il y a aussi une autre question distincte, à savoir la façon de tenir compte davantage du rôle des grands-parents dans l'examen des intérêts de l'enfant; il y aura donc des consultations à ce sujet. Nous envisageons différentes options.

Cependant, cette question ne fait certainement pas partie de ce projet de loi-ci, et ce n'était d'ailleurs pas notre intention. Elle fera l'objet d'une autre réforme.

Le sénateur Robertson: Est-ce que le ministre doit comparaître devant notre comité?

La présidente: Il n'était pas libre aujourd'hui.

Le sénateur Bonnell: S'il veut que nous adoptions ce projet de loi, il devrait se libérer.

Le sénateur Phillips: Je pense que nous allons empiéter sur les libertés civiles de bien des gens si nous commençons à intervenir au sujet des passeports. Si je comprends bien, la seule raison qui justifie la saisie d'un passeport à l'heure actuelle, c'est si son titulaire a commis un acte criminel.

Mme Bongard: Non, c'est dans le projet de loi.

Le sénateur Phillips: Je n'aime pas beaucoup que nous traitions le défaut de paiement comme un acte criminel.

Mme Bongard: Cela fait partie des mesures de refus d'autorisation. Le passeport et les autres types de permis énumérés en annexe au projet de loi peuvent être révoqués, ou encore ne pas être délivrés, dans le cas d'un débiteur qui serait en défaut de façon répétée, et seulement à la demande d'une autorité provinciale.

Ce n'est pas une infraction au Code criminel; c'est une infraction à la Loi d'aide à l'exécution des ordonnances et des ententes familiales. Il n'y a pas d'aspect criminel. La façon la plus facile de répondre à cette question c'est que, si quelqu'un ne veut pas se faire retirer son passeport, il doit s'entendre avec l'autorité provinciale pour payer l'arriéré de sa pension. Et le processus de demande sera alors interrompu.

S'il est nécessaire de prévoir une infraction à cet égard, c'est simplement parce qu'on nous a signalé que, lorsqu'un passeport est révoqué, il n'y a aucun moyen de faire appliquer cette décision; les gens peuvent continuer à voyager et à se servir de leur passeport. Pour essayer de faciliter l'application de cette mesure, nous avons donc indiqué que le fait de ne pas retourner son passeport immédiatement constitue une infraction, qui peut donner lieu à une enquête policière et à l'obtention d'un mandat. À l'heure actuelle, lorsqu'un passeport est révoqué, ce n'est ni clair ni évident, et il peut arriver que la personne faisant l'objet de cette révocation se serve quand même de son passeport.

Le sénateur Lavoie-Roux: Avez-vous pensé au permis de conduire?

Mme Bongard: Le permis de conduire est du ressort des provinces.

Le sénateur Lavoie-Roux: Et aux licences d'aviation?

Mme Bongard: Elles font partie des autorisations -- et plus précisément des certificats -- mentionnées à l'annexe qui se trouve aux deux dernières pages du projet de loi.

Le sénateur Lavoie-Roux: Quels sont les recours à la disposition des gens dont le passeport ou un autre type d'autorisation serait révoqué?

Mme Bongard: Toute cette histoire vise à motiver les gens à payer un arriéré important. Avant de pouvoir nous présenter une demande, l'autorité provinciale devrait avertir le débiteur à l'avance pour lui signaler qu'il doit payer le montant en souffrance, et l'informer qu'une demande de révocation d'autorisation va être présentée et que cette demande peut être suspendue s'il paie en entier la somme qu'il doit, ou du moins s'il prend des dispositions à cette fin.

Ce que nous espérons, c'est que ces mesures inciteront les gens qui n'ont jamais tenu compte de leur obligation alimentaire à prendre au moins des dispositions pour commencer à payer leur pension.

Le sénateur Lavoie-Roux: Je sais qu'il en est question au Québec, mais je ne sais pas si c'est en vigueur ou non.

Mme Bongard: Beaucoup de provinces ont fait quelque chose du même genre au sujet des permis de conduire.

Le sénateur Lavoie-Roux: Si une personne née à l'étranger se faisait retirer son passeport et qu'elle devait retourner dans son pays d'origine, par exemple pour cause de maladie dans sa famille, qu'est-ce qu'elle pourrait faire pour ravoir son passeport? Vous avez dit que cette personne aurait toujours son passeport en sa possession, mais qu'elle pourrait avoir des problèmes si elle s'en servait.

Mme Bongard: Son passeport serait révoqué.

Le sénateur Lavoie-Roux: Donc elle ne l'aurait pas en main?

Mme Bongard: Non.

Mme Brazeau: Elle aurait reçu auparavant de nombreux avertissements. Quand elle en arriverait là, elle saurait qu'on cherche à l'épingler.

Le sénateur Lavoie-Roux: Mais cette personne ne pourrait pas prévoir qu'il y aurait par exemple une crise dans sa famille et qu'elle aurait besoin de son passeport de toute urgence. Combien de temps lui faudrait-il pour le ravoir?

Mme Lafrenière Henrie: Il s'agit d'une mesure de dernier recours, qui serait appliquée une fois que tous les autres recours pour faire appliquer une ordonnance alimentaire auraient été vains. C'est une demande que les autorités provinciales pourraient présenter au gouvernement fédéral pour inciter les gens qui ne paient pas à se décider à le faire.

Il faudra respecter des critères stricts. Il faudra que le débiteur soit en défaut de façon répétée et que toutes les autres avenues aient été explorées, ce qui inclut la possibilité que le débiteur n'ait pas d'emploi et qu'il ne puisse pas payer. Si le défaut de paiement n'est pas intentionnel, si le débiteur ne peut tout simplement pas payer, cette mesure ne s'appliquera pas.

Elle vise uniquement les gens qui refusent de payer et qui, essentiellement, ont l'argent nécessaire quelque part. Quand un passeport est révoqué, il n'y a pas d'infraction sauf si la personne s'en sert ou si elle ne le retourne pas. Bien sûr, à ce moment-là, elle n'a plus de passeport et ne peut pas voyager à l'étranger. Mais en cas d'urgence, elle n'a qu'à payer, et elle obtiendra rapidement un nouveau passeport.

Le sénateur Lavoie-Roux: Dans la mesure où elle trouve les 20 000 $ nécessaires pour payer l'arriéré de sa pension.

Mme Bongard: C'est exact. Mais c'est son obligation. Elle peut négocier des facilités de paiement. Nous ne nous attendons pas à un paiement intégral de 20 000 $.

Mme Lafrenière Henrie: La personne doit montrer qu'elle a l'intention de payer, après quoi la mesure sera suspendue et son passeport lui sera retourné.

Le sénateur Lavoie-Roux: Vous ne tenez pas compte des cas d'urgence?

Mme Lafrenière Henrie: Cela peut se faire à peu près du jour au lendemain. Ce n'est pas très long.

Le sénateur Lavoie-Roux: Les fonctionnaires vont aller plus vite que d'habitude.

Le sénateur Jessiman: Aux États-Unis, il existe une loi sur le recouvrement des pensions alimentaires pour enfants; les gens qui ne paient pas leur pension peuvent être emprisonnés. Est-ce qu'il est question actuellement de considérer le défaut de paiement des pensions alimentaires comme un acte criminel?

Mme Bryans: Je pense que votre prochain témoin va parler de cet aspect-là de la question.

Le sénateur Cools: Y a-t-il d'autres catégories de débiteurs au Canada qui peuvent se faire confisquer une autorisation ou un passeport? Si le sénateur Robertson me devait 20 000 $ et qu'elle ne me remboursait pas, est-ce que je pourrais faire confisquer son passeport et son permis de conduire?

Mme Bryans: Non.

Le sénateur Cools: Voilà où je voulais en venir. Il s'agit d'une catégorie particulière de débiteurs?

Mme Bryans: Oui.

Mme Lafrenière Henrie: C'est la subsistance des enfants qui est en jeu. Dans les autres cas, il peut s'agir simplement d'ententes commerciales.

Le sénateur Cools: Il arrive tous les jours que des gens ne paient pas leurs dettes, et il y a parfois des sommes considérables en cause.

Si quelqu'un est reconnu coupable d'un crime haineux au Canada, est-ce que son passeport ou un autre permis va lui être confisqué? Par exemple, quand Karla Homolka sera libérée en janvier, est-ce qu'elle aura le droit de détenir un permis de conduire ou un passeport, ou si cette mesure s'applique exclusivement aux hommes? C'est très discriminatoire, vous savez.

Mme Lafrenière Henrie: Je ne pense pas qu'elle voyage à l'étranger si elle est en prison.

Le sénateur Cools: Elle doit sortir en janvier. La mesure qui est proposée dans le projet de loi ne sera même pas appliquée à la pire criminelle du pays.

Mme Bongard: Il existe une disposition prévoyant la révocation du passeport délivré à une personne reconnue coupable d'un acte criminel.

Le sénateur Cools: Quand a-t-elle été appliquée pour la dernière fois?

Mme Bongard: Je ne sais pas.

Le sénateur Cools: En droit de la famille -- et c'est une pratique qui a entraîné des problèmes énormes chez les immigrants, et surtout chez les immigrants non blancs de Toronto -- beaucoup d'avocats ont pris l'habitude de retirer leur passeport aux gens. C'est une question qui pose un problème et que nous devrions examiner très attentivement.

La présidente: Nous tenons à vous remercier d'avoir comparu devant nous aujourd'hui. Ce sera peut-être votre seule comparution, mais peut-être pas.

Le sénateur Phillips: Je pense que nous devrions réinviter les témoins à une date ultérieure, ou alors convoquer le ministre, surtout quand nous aurons lu les bleus et que nous aurons eu la chance d'interpréter certaines des réponses évasives qui nous ont été données au début de la séance.

Le sénateur Bonnell: Nous devrions entendre le point de vue du ministre puisque c'est lui qui est responsable de ce projet de loi devant le Parlement. Nous devrions également demander à nos témoins si elles pourraient revenir un peu plus tard parce qu'il reste encore beaucoup de questions sans réponse au sujet de ce projet de loi. Je pense qu'il serait suffisant d'inviter un ou deux conseillers juridiques du ministère. Par souci d'égalité, nos témoins pourraient peut-être envisager d'amener un homme avec elles la prochaine fois.

La présidente: Vous suggérez que nous convoquions le ministre devant le comité.

Le sénateur Bosa: Nous pourrions peut-être décider plus tard s'il est nécessaire de convoquer des témoins supplémentaires, que ce soit le ministre ou des fonctionnaires.

Le sénateur Jessiman: J'ai une liste de 20 témoins potentiels. Nous devrions au moins leur demander de nous aider. Ils connaissent bien le domaine.

La présidente: Laissez-nous votre liste, et nous allons prendre une décision à ce sujet-là quand nous aurons progressé un peu.

Merci encore une fois.

Nous entendrons maintenant Mme Elizabeth Beattie. Je pense que certains d'entre vous ont déjà entendu parler d'elle et que vous avez reçu son mémoire. Elle a comparu devant le comité de la Chambre des communes.

Elizabeth, nous avons hâte d'entendre ce que vous avez à nous dire. Allez-y.

Mme Elizabeth Beattie: Ma présentation sera un peu moins technique que celle que vous venez d'entendre. Mais je pense pouvoir vous donner une bonne idée d'un cas bien précis.

Pour commencer, madame la présidente, honorables sénateurs, je suis vraiment très heureuse d'avoir pu venir ici vous dire un dernier mot sur le sujet. Je suis la bête noire de M. Rock depuis quelques années déjà. Comme vous allez le constater, je vais vous parler surtout de ce qui n'est pas dans le projet de loi, plutôt que de ce qui s'y trouve; il ne sera pas débarrassé de moi de sitôt.

J'ai comparu récemment devant le comité de la justice de la Chambre des communes. Sur le plan personnel, ces comparutions sont pour moi la fin d'une bataille très longue, très difficile et, la plupart du temps, très solitaire au cours de laquelle j'ai remué ciel et terre pour faire exécuter les ordonnances alimentaires visant mes enfants, et pour mettre ensuite cette expérience à profit pour inciter le gouvernement fédéral à agir et à faire preuve de leadership dans le domaine de l'application des pensions alimentaires.

Quand je parle de «nous», j'aimerais que vous vous imaginiez ma fille et mes deux fils assis à mes côtés parce que c'est pour eux que je suis ici; c'est eux qui sont en cause. Pendant 15 ans, mes enfants et moi avons vécu ce qu'on peut appeler le pire scénario possible. C'est le genre de cas pour lequel tout le monde convient qu'il faut faire quelque chose. Un des nombreux juges qui ont entendu ma cause a parlé de l'interminable saga d'une ex-épouse tentant désespérément d'obtenir des recours contre un ex-mari récalcitrant et buté, qui a esquivé ses obligations sans le moindre remord.

En cherchant à obtenir justice pour mes trois enfants, je me suis fait le défenseur des autres enfants qui se trouvent dans la même situation. Les mesures d'application prévues dans ce projet de loi nous intéressent donc personnellement. C'est l'aspect que je connais le mieux. Même si j'ai une opinion sur les autres questions, les dispositions sur l'application sont celles qui nous intéressent tout particulièrement.

Premièrement, nous n'avons rien à gagner sur le plan financier de tout ce que je vais vous recommander. Nous avons épuisé tous nos moyens de lutte; nous n'avons plus aucun recours. Ce n'est pas une question d'argent pour nous, c'est une question de principe. Croyez-moi, je ne me serais pas battue autant pour de l'argent. Je ne me donnerais pas tant de mal si c'était uniquement une question d'argent. Nous voulons une réorientation profonde et équilibrée pour que les autres enfants n'aient pas à vivre ce que mes propres enfants ont souffert.

J'ai attaché ici, à l'onglet 1, une lettre qu'une femme a écrite au journal The Ottawa Citizen pas plus tard qu'en septembre 1996. Elle en est là où j'étais il y a 15 ans. Si vous lisez la réponse que lui a donnée un des avocats de la ville, vous comprendrez comment nous nous retrouvons dans des situations aussi difficiles, parce que sa réponse n'est pas très éclairée. Après avoir parlé à cette femme, je suis encore plus convaincue que ma bataille est vraiment importante parce que je vois qu'elle se trouve au point où j'en étais il y a 15 ans; je ne veux pas que d'autres vivent ce que j'ai vécu.

Deuxièmement, nous ne sommes pas ici pour mettre en lumière nos propres difficultés. Nous sommes la preuve vivante de ce qui peut se passer quand les choses tournent mal. Les personnes en cause et les détails de l'histoire ne sont pas importants, mais les grandes questions le sont. Et il me semble que ces grandes questions ne sont pas soulevées dans ce projet de loi; c'est pour cela que je vais continuer de houspiller Allan Rock.

Troisièmement, mes recommandations reflètent notre expérience personnelle. Je veux vous parler des cas particulièrement difficiles. Si certaines de mes recommandations vous semblent draconiennes, n'oubliez pas qu'elles portent sur les scénarios les plus désastreux.

J'ai constaté que mes recommandations étaient parfois rejetées parce que les gens disaient que notre cas était unique. Mais il ne l'est pas. Le système contient des lacunes qui favorisent le pire... qui garantissent presque qu'il va se produire; dans mon cas, nous nous sommes rendu compte que plus mon mari était arrogant, moins le système pouvait faire quelque chose. Plus la situation s'éloigne de la normale, moins le système est efficace.

Je vais vous citer des statistiques qui vont vous donner une idée de mon histoire personnelle. Nous nous battons depuis 15 ans. Mes parents et moi avons dépensé 350 000 $ en frais juridiques. Et bien sûr, nous avons payé rubis sur l'ongle. Nous avons obtenu 40 ordonnances des tribunaux pour l'exécution de l'ordonnance alimentaire visant mes enfants. Nous avons obtenu 14 citations pour outrage au tribunal, dont 10 pour des questions sérieuses qui ne sont pas de nature financière, par exemple parce que mon ex-mari ne s'est pas présenté devant le tribunal. Trois de ces citations portent sur cette infraction en particulier.

Nous avons aussi un mandat d'arrestation en suspens, et j'ai porté des accusations au criminel à titre privé parce que je n'avais pas réussi à convaincre notre cher procureur de la Couronne qu'il s'agissait d'une question sérieuse. Nous avons obtenu la suspension du passeport de mon mari. J'ai bien peur que ce soit mon cas qui est à l'origine de cette disposition du projet de loi, même si je ne suis pas d'accord quant à la façon dont les choses ont été faites. Apparemment, c'était la première fois qu'un passeport était suspendu dans un cas de ce genre; notre situation a fait découvrir au Bureau des passeports que ce n'était pas une infraction de ne pas rendre son passeport, même si le Décret sur les passeports prévoit que la personne à qui on ordonne de retourner son passeport doit le faire immédiatement.

Cet homme a toujours son passeport. Il a été révoqué depuis deux ans maintenant, ce qui veut dire qu'il a été «annulé». Un des témoins précédents a parlé constamment de «révocation». Elle aurait plutôt dû parler de «suspension» parce que cela signifie que le passeport est encore valide, en un sens. S'il est «annulé», cela signifie qu'il y a une marque quelconque apposée sur le passeport.

Cet homme peut toujours revenir au Canada avec son passeport. Nous n'avons pas encore gagné sur ce plan-là. Son passeport a été révoqué en réponse à des accusations criminelles. Ce n'est pas dans le contexte de ce que propose M. Rock. Pour répondre à la question de la sénatrice Cools, j'ai bien peur d'être la dernière personne à avoir fait révoquer un passeport en raison d'accusations criminelles.

L'arriéré s'élève maintenant à plus de 410 000 $. C'est beaucoup d'argent. La moitié environ de ce montant concerne la pension alimentaire, et l'autre moitié vient des coûts liés à cette affaire, des frais juridiques. L'homme dont nous parlons était un haut fonctionnaire fédéral qui a eu la chance de travailler avec des organismes de l'ONU à l'occasion d'un programme d'échange de cadres, auquel il a commencé à participer lorsqu'il travaillait pour le bureau du Conseil privé. Il n'est plus à l'emploi du gouvernement, ni de l'ONU.

Soyons réalistes: nous savons que nous n'avons plus aucune chance de récupérer cette somme, malgré toutes les ordonnances que nous avons obtenues.

Si nous racontons notre histoire, c'est pour montrer au gouvernement qu'on ne peut pas demander tout simplement à quelqu'un de retourner son passeport et s'attendre à ce qu'il le fasse.

En ce qui concerne les lacunes du projet de loi au sujet des pensions alimentaires pour enfants, l'application des ordonnances relatives à ces pensions est la question qui préoccupe le plus les parents seuls. Lorsque le ministre des Finances a présenté son budget en mars dernier, nous avons eu l'impression que le gouvernement s'était finalement réveillé et qu'il s'était rendu compte qu'il fallait agir de façon décisive. Mes enfants l'ont entendu dire: «À notre avis, les enfants doivent passer en premier. Le soutien des enfants est la première obligation des parents. (...) Les enfants ne bénéficieront de pensions alimentaires plus équitables que si ces dernières sont versées intégralement et à temps.» Mes enfants n'en revenaient pas. Ce discours nous apportait l'espoir que le ministre Rock avait pris au sérieux le jugement qui avait été rendu dans mon propre cas. Vous le trouverez à l'onglet 2. J'ai bien peur que ce soit ce jugement-là qui a déclenché le processus de réforme des pensions.

Le procureur général du Canada est intervenu contre nous dans cette cause, et nous avons perdu. Mes enfants ont suivi le procès, et ils ont vu les quatre avocats du gouvernement de l'autre côté de la salle. Leur bonne vieille maman était la seule personne de leur côté.

Quoi qu'il en soit, les bureaucrates ont essayé de nous expliquer qu'ils étaient avec nous, en réalité. Mais mes enfants savaient bien ce qui se passait. Ils ont entendu beaucoup de choses; ce qu'ils attendaient, c'étaient des mesures concrètes. Ils ne sont pas très contents de ce projet de loi.

Dans le dernier paragraphe de ses motifs de jugement, M. le juge Rutherford a décrit la situation comme ceci:

Son ancien mari, le répondant, s'est privé lui-même par son comportement méprisant, arrogant et irresponsable du droit à toute considération que le gouvernement aurait pu accorder autrement à son bien-être financier et à la sauvegarde des sommes qui pourraient lui être dues à l'avenir. Le Parlement a évolué considérablement au cours des dernières années pour tenter d'établir un équilibre entre les droits des personnes pouvant recevoir de l'argent de la Couronne et ceux de leurs créanciers légaux, mais il est clair dans ce cas-ci qu'il faut de nouvelles modifications. Les Canadiens qui sont à la charge d'une personne qui élude ses responsabilités financières devraient avoir accès de façon plus immédiate et plus complète à toutes les sommes que le gouvernement peut avoir en sa possession et auxquelles le débiteur délinquant a droit ou pourrait avoir droit. Cependant, étant donné le cadre législatif actuellement en place, il s'agit d'une question à laquelle le Parlement doit remédier.

Nous avons eu l'impression que ce juge envoyait un message très clair à M. Rock. Nous essayions à ce moment-là d'avoir accès à la pension qui nous revenait. J'aimerais vraiment pouvoir vous dire que ce projet de loi sera efficace, mais ce n'est pas vrai. Il ne sera pas efficace pour les gens comme moi qui ont vécu le pire scénario possible.

Ce dont les parents seuls ont besoin, c'est d'une révolution dans la stratégie d'application des ordonnances alimentaires. Malheureusement, le ministère de la Justice a plutôt mis l'accent sur les lignes directrices et sur les questions fiscales, qui sont controversées et, à mon avis, critiquables. Je ne tenais pas particulièrement à ces deux aspects et je vais d'ailleurs comparaître devant le comité des finances pour parler de la question fiscale.

Quoi qu'il en soit, je pense que le gouvernement a mis la charrue avant les boeufs parce que, s'il est impossible de faire exécuter les ordonnances, toutes les lignes directrices du monde ne réussiront pas à mettre de l'argent dans nos poches, et les questions fiscales sont alors purement théoriques. Tant et aussi longtemps que le gouvernement ne pourra pas dire que 90 ou 95 p. 100 des ordonnances sont respectées et que l'argent est versé, il ne devrait pas perdre son temps à jongler avec des concepts comme ceux-là dans sa tour d'ivoire.

Après avoir comparu devant le comité de la justice de la Chambre des communes, je suis restée là toute la semaine à écouter les nombreux juristes qui sont passés après moi. Un certain nombre de membres du comité leur ont demandé ce qu'ils pensaient de l'application des ordonnances. J'ai été la seule à soulever cette question-là, et c'est probablement la même chose aujourd'hui. Tous ces savants avocats se sont dits d'avis que les lignes directrices étaient tellement justes que l'application ne poserait pas de problème. Certains d'entre eux ont dit qu'ils n'avaient même pas réfléchi à la question. C'est bien ce qu'il me semblait. Nous avons des problèmes parce que la question de l'application n'est pas prise au sérieux. C'est cela, le véritable problème.

Les mesures d'application prévues dans le projet de loi C-41 sont de nature bureaucratique, et nous n'avons pas besoin d'une bureaucratie plus lourde. Il y a deux mesures concrètes qui sont importantes parce qu'elles se rattachent à nos luttes contre la bureaucratie. Ce sont les modifications qui permettent la distraction des pensions fédérales dans un plus grand nombre de cas et celles qui prévoient la suspension des passeports.

Je n'approuve pas ces dispositions et je n'appuierai le projet de loi que si elles sont modifiées. M. Rock ne sera pas content de moi. Ce qu'il se propose de mettre en place, c'est une disposition qui donne l'impression qu'il fait quelque chose, alors qu'il ne fait rien. Il ne fait rien dans le sens de mesures largement applicables, immédiates et sensées. Il y aura tout simplement beaucoup plus d'avocats et de bureaucrates entre nous et la justice.

Je vais vous parler un peu plus tard de la question des pensions de retraite. Je n'en ai pas discuté avec le comité de la justice parce que ce qui m'intéresse au premier chef, c'est la question dont je vais vous parler maintenant et qui concerne la principale lacune de ce projet de loi. C'est le fait que notre gouvernement national ne reconnaît pas la véritable nature de la question et qu'il n'a pas montré le leadership nécessaire, qu'il n'a pas eu le courage de prendre l'initiative de mettre en pratique tous ces beaux principes dans la mesure où ses pouvoirs le lui permettraient. Les demi-mesures ne sont pas satisfaisantes. Il ne faut pas dire que les enfants passent en premier et les laisser ensuite à l'arrière-plan.

Il y a environ un an et demi, quand M. Rock a évoqué pour la première fois la possibilité de révoquer les autorisations fédérales, j'ai eu l'impression qu'il sondait le terrain sur la question des passeports parce que je faisais des pressions sur lui à ce moment-là. La directrice de la section du droit de la famille, à l'Association du Barreau canadien, était à la radio un matin et elle était toute surprise que le ministre fédéral s'aventure sur le terrain des ordonnances alimentaires. La plupart des gens semblent penser que, puisqu'il s'agit d'une responsabilité provinciale, cela ne peut pas être aussi une question nationale. Je ne suis pas d'accord.

Tous ceux qui sont ici sauront sûrement qui a dit que «les poissons nagent». Je ne me rappelais pas que Brian Tobin avait dit cela au sujet des pouvoirs relatifs à la pêche. Mais quoi qu'il en soit, les mauvais payeurs se défilent, et les principales difficultés que nous connaissons viennent souvent du fait que les gens traversent les frontières. Quand un débiteur traverse une frontière, qu'elle soit provinciale ou nationale, il n'y a pas seulement un problème pratique d'application, mais aussi une possibilité de conflit de compétences et de lois.

J'en ai fait l'expérience personnellement. J'ai entamé des actions parallèles en modification en Ontario et au Québec. Il y a des différences essentielles entre ces deux provinces dans le domaine du droit de la famille, et lorsqu'il y a deux actions parallèles, que faut-il faire quand les juges prennent des ordonnances différentes parce qu'ils vivent dans un environnement juridique différent?

Il y a des problèmes quand on invoque les ententes réciproques. Par exemple -- et c'est de cette façon-là que je me suis retrouvée dans ce pétrin -- les gens du Régime des obligations alimentaires envers la famille, en Ontario, ont décidé dans leur grande sagesse de ne pas tenir compte de l'actif qui se trouvait en Ontario et de se tourner plutôt vers un petit compte en banque au Québec. Personne ne vivait là-bas, il n'y avait rien dans ce compte, et il n'y avait pas d'action en cours dans cette province. En acceptant cette procédure, les tribunaux du Québec ont en fait consenti au transfert de l'action dans cette province, en mon nom. J'étais coincée. Je me serais contentée des actions que j'avais déjà entamées, sans m'embarquer dans une autre affaire. Quand ils ont invoqué les ententes réciproques, ils n'ont pas demandé à ces gens-là de les appliquer pour eux. Ils ont transmis le dossier. Si vous transmettiez le dossier à la France, vous seriez soumis aux procédures de modification en vigueur en France en cas d'action en modification, et les Français pourraient très bien décider qu'en transmettant le dossier, vous avez accepté que toute la cause soit entendue là-bas. C'est cela le danger, quand il y a des transferts de dossiers au-delà des frontières. L'Ontario devrait assurer l'application de ses propres ordonnances.

En juin 1995, le Globe and Mail a publié la déclaration suivante, contenue dans un rapport provisoire sur la stratégie fédérale relative aux pensions alimentaires pour enfants:

Il reste encore à établir un système national uniforme pour l'application des ordonnances alimentaires afin que les parents délinquants ne puissent pas trouver refuge dans les provinces plus clémentes.

Dans la même veine, voici ce qu'écrivait Carol Curtis, qui va comparaître ici demain, dans un article publié dans le Law Times:

Ce qu'il faut au Canada, c'est une stratégie nationale, une norme uniforme pour l'ensemble du pays... Il faut attirer l'attention des gens; nous n'en faisons pas assez. C'est vraiment une question de responsabilité, et le manque de responsabilité au Canada est inacceptable. L'éducation du public et la subtilité ne suffisent plus. Le non-respect des ordonnances alimentaires doit devenir socialement inacceptable, il doit avoir des conséquences, ce qui n'est pas le cas jusqu'ici.

Je pense qu'elle parlait des cas où tout le monde reconnaît que le débiteur a de l'argent et que le défaut de paiement est délibéré.

La présidente: Je dois intervenir pour vous faire remarquer que vous suivez votre texte. Il compte 18 pages, et vous en êtes à la page 4.

Mme Beattie: Je ne vous lirai pas les 18 pages. Je vais faire une déclaration préliminaire, après quoi je veux vous parler brièvement de la question des pensions de retraite et des passeports.

La présidente: Nous aimerions entendre vos commentaires sur les modifications que vous suggérez pour que nous puissions en discuter.

Mme Beattie: Oui. Je vais sauter une partie de mon texte.

La présidente: Je vous en serais reconnaissante.

Mme Beattie: Le projet de loi C-41 n'est qu'un remaniement bureaucratique, qui ne va pas assez loin pour répondre à nos préoccupations.

Je suis convaincue depuis longtemps que la mesure la plus importante que le gouvernement pourrait prendre pour faire passer le message, c'est d'inclure le défaut de paiement délibéré dans le Code criminel. J'invoque un certain nombre de raisons dans mon mémoire, que vous pourrez peut-être parcourir par vous-mêmes.

La principale raison, c'est probablement que cette mesure reconnaîtrait que le défaut de paiement délibéré n'est pas simplement une question d'argent; c'est un abus commis contre les enfants, un abandon, une négligence. Le défaut de paiement est d'ailleurs considéré de cette façon au niveau international. Étant donné tous les grands principes sur la nécessité de mettre nos lois à jour, il devrait être inclus dans le Code criminel. Cela permettrait d'envoyer un signal très clair aux enfants comme les miens, pour leur dire que le gouvernement prend vraiment la chose au sérieux. À l'heure actuelle, il y a une échappatoire flagrante. Et le nombre de gens qui vont profiter de cette échappatoire va monter en flèche. Si vous pouvez régler les cas difficiles, vous allez envoyer un message aux autres. Le Globe and Mail est implicitement de cet avis, comme le montre l'éditorial que j'ai joint à mon mémoire, à l'onglet 3.

J'ai mentionné la nécessité de moderniser le Code criminel. Si le défaut de paiement délibéré n'y est pas inclus, c'est parce que la disposition du Code criminel sur l'outrage au tribunal fait une exception pour les ordonnances relatives au paiement de sommes d'argent. Cette modification a été adoptée au siècle dernier parce qu'il était alors possible d'envoyer les gens en prison pour dettes. Bien sûr, il ne s'agit pas ici de ne pas rembourser une hypothèque ou emprunt à la banque, mais bien de ne refuser d'assurer la subsistance de ses enfants.

Il est très facile pour le procureur de la Couronne de dire qu'il s'agit simplement d'une question d'argent. Ce n'est pas vrai. Mes enfants n'auraient pas souffert si c'était uniquement une question d'argent parce que mes parents nous ont aidés. Nous ne sommes pas sur la paille. Mais mes enfants ont quand même souffert sur le plan affectif. Ils ont dû vivre avec un sentiment d'abandon, un manque d'estime de soi, en se demandant ce qu'eux ou leur mère avaient fait pour mériter cela.

J'ai soumis au sous-ministre ma proposition visant à modifier le droit criminel au mois d'avril 1994, et j'en ai parlé personnellement à M. Rock en février 1996. J'ai trouvé très curieux que le gouvernement juge nécessaire de créer une infraction dans le cas des gens qui ne retournent pas leur passeport alors qu'il n'est pas encore prêt à dire qu'il est grave de ne pas assurer la subsistance de ses enfants. C'est un peu comme une claque en plein visage quand on se fait dire que la situation est assez grave pour être prise au sérieux seulement quand le débiteur ne retourne pas son passeport.

Je suggère d'appliquer le Code criminel pour exécuter la révocation des passeports parce que le Décret sur les passeports en prévoit la révocation en cas d'acte criminel. La révocation du passeport n'est utile en fait que dans les cas où il est possible que la personne se sauve. Elle est prévue pour les pires cas, mais comme je l'ai dit, cette disposition existe déjà dans le Décret sur les passeports.

Toutefois, la révocation du permis de conduire toucherait beaucoup plus de gens parce que c'est un document bien plus important pour la plupart d'entre eux.

Ce que je suggère, c'est d'inclure le défaut de paiement délibéré dans le Code criminel. De cette façon-là, il sera possible de l'invoquer. En incluant cette infraction dans le Code criminel, il sera possible de s'attaquer aux gens qui aident à commettre un crime, en empêchant les créanciers de mettre la main sur l'actif. Nous avons un chalet de l'autre côté de la rivière. Le grand-père paternel des enfants l'a acheté pour un dollar. Nous ne pouvons donc pas mettre la main sur ce chalet et nous ne pouvons rien réclamer à ce sujet. Or, ce chalet vaut 50 000 $. Si cette disposition était incluse dans le Code criminel, les petites amies et les autres personnes de ce genre seraient moins tentées de cacher des éléments d'actif.

L'autre conséquence, évidemment, c'est que cela apporterait une reconnaissance internationale. Un des problèmes auxquels j'ai eu à faire face dans mes démêlés avec un homme qui vit à la frontière de la Suisse et de la France, c'est que personne n'est prêt à prendre une poursuite au civil au sérieux.

J'aimerais que les procédures d'extradition soient clarifiées. J'ai essayé de persuader le gouvernement fédéral de demander une extradition, mais la Couronne s'y refuse. On m'a dit qu'on ne pouvait présenter une demande d'extradition que dans le cas d'une fraude de plus de 100 000 $. Un arriéré de plus de 400 000 $ sur une pension alimentaire pour enfants ne répond pas au critère. Il faut faire comprendre à ce procureur de la Couronne et aux autres que, si les gens savent qu'ils peuvent accumuler un énorme arriéré et continuer quand même à voyager sans risque avec leur passeport, ils vont le faire.

L'autre obstacle, c'est que les provinces et le gouvernement fédéral ne travaillent pas ensemble. Il y a beaucoup de querelles de territoire. Il faut que quelqu'un fasse preuve de leadership, et tant que nous n'aurons pas de stratégie complète, sérieuse et coordonnée, il y aura toujours des gens qui essaieront de se faufiler.

J'ai demandé au ministre d'avoir le courage de prendre le taureau par les cornes. Il faut que quelqu'un s'attaque à ce problème. Si les provinces ne suivent pas l'exemple du gouvernement fédéral, personne ne pourra l'en blâmer. Mais elles peuvent suivre l'exemple des États-Unis, où le FBI applique la loi. À un moment donné, par exemple quand l'arriéré aurait atteint 50 000 $, vous pourriez envoyer la GRC.

La présidente: Pourriez-vous passer à vos recommandations et nous les expliquer?

Mme Beattie: Ma première recommandation porte sur la modification du Code criminel de manière à y inclure une infraction relative au non-respect délibéré des ordonnances alimentaires visant des enfants. Si j'ai fait une distinction entre les gens qui vivent à l'intérieur de la province et ceux qui vivent dans la province, c'est parce qu'ils devraient automatiquement tomber sous le coup des lois fédérales dès qu'ils traversent la frontière. Je suggère que, dès qu'un mauvais payeur traverse une frontière, il tombe sous le coup des lois fédérales.

Lorsqu'il reste à l'intérieur de la province, il est plus facile de mettre la main sur lui avant que l'arriéré soit trop élevé.

Si les tribunaux civils ne peuvent pas régler les cas qui leur sont soumis en un an, il faut certainement prendre des mesures plus sévères. Les causes criminelles doivent être entendues dans les neuf mois, sans quoi il est possible de déposer une motion Askov. Je ne vois pas pourquoi on permettrait à quelqu'un de ne pas payer sa pension pendant 15 ans.

Comme je n'ai aucune expérience de la rédaction de lois criminelles, le reste de ma suggestion est inspiré, en gros, de la loi américaine sur le recouvrement des pensions alimentaires pour enfants; j'ai pensé que je pourrais vous le proposer comme cadre de réflexion. Il me semble que la loi américaine fonctionne assez bien, du moins dans les cas particulièrement difficiles. Le dernier cas dont j'ai entendu parler était celui d'un homme qui devait 580 000 $. Dès qu'il a été arrêté, il a dit: «Je suis tout à fait prêt à conclure une entente.» Le facteur dissuasif est vraiment efficace. Quand les gens ont l'argent nécessaire, ils ne veulent pas aller en prison.

Cette modification vous donnera le moyen d'appliquer des recours. L'objectif, ce n'est pas la prison, c'est la restitution. Cette mesure vous permettra d'y arriver parce que la menace d'emprisonnement réveille bien vite les gens. Elle les incite à s'engager à respecter un échéancier de paiement, ou même à faire un paiement immédiat. On peut également révoquer leur passeport. Ils ne peuvent pas se sauver.

Vous pourriez nommer un syndic comme cela se fait dans les cas de faillite. Aux États-Unis, les mauvais payeurs se présenter devant les tribunaux tous les mois, ce qui est un peu comme une liberté conditionnelle. On les garde à l'oeil sans les incarcérer. Ce n'est pas une expérience agréable. Je pense que cela pourrait fonctionner.

La question de la pension des fonctionnaires fédéraux, qui représente une toute petite partie du projet de loi, est également importante pour nous. Cette disposition fait suite à une ordonnance que j'ai obtenue, et que vous trouverez à l'onglet 6. Il s'agissait d'une ordonnance très innovatrice prise en février 1994. Nous avions obtenu la nomination d'un syndic qui était autorisé à présenter une demande pour que nous ayons accès à la pension de retraite de mon ex-mari. Mais le procureur général du Canada a décidé que cela créerait un précédent; il nous a traînés en cour et nous a écrasés.

Néanmoins, à la suite de cette ordonnance, ce recours est maintenant prévu dans le projet de loi. Le problème, c'est que c'est bien beau d'inclure ce genre de chose dans la loi, mais si vous envisagez une réforme majeure de la politique, vous devriez vraiment aller jusqu'au bout.

En Saskatchewan et au Manitoba, c'est ce qu'ils ont fait dans le cas des pensions de retraite. Lorsqu'il y a défaut de paiement délibéré et qu'il s'agit du dernier recours possible, en ce sens que c'est le seul élément d'actif qui reste, la protection dont bénéficie le régime de retraite enregistré est supprimée, que la personne soit à la retraite ou pas. En fait, le capital -- ou encore un montant forfaitaire escompté représentant les crédits de pension -- peut être versé parce que, au sens de la loi fédérale, il n'y a pas «d'argent» versé. Il s'agit simplement d'une écriture comptable.

Nous ne pourrons pas avoir accès à cette mesure parce que nous ne pouvons pas obtenir une ordonnance qui nous permette de le faire. Dans la plupart des cas, ce recours arrive un peu trop tard pour la majorité des enfants parce que, si leur père a 50 ans et qu'il est à la retraite, ils sont souvent trop vieux pour en bénéficier.

C'est une approche minimaliste. J'aimerais que le gouvernement fédéral aille aussi loin que le Manitoba et la Saskatchewan. Il y a une foule de précédents dans les lois fédérales au sujet du versement de montants forfaitaires prélevés sur les pensions de retraite.

Le président du Conseil du Trésor a dit que le paiement de grosses indemnités de départ aux fonctionnaires fédéraux était le prix à payer pour la stabilité sociale. Je pense que le gouvernement devrait examiner la question de ce point de vue-là.

Le seul commentaire que je voudrais faire au sujet de la révocation des passeports, c'est que je n'aime pas la façon dont la loi doit être appliquée. Une modification apportée au Code criminel couvrirait cela. Les initiatives sur le plan international visent les cas comme le mien.

Le sénateur Phillips: Dans bien des cas, je pense qu'un débiteur qui serait incarcéré pourrait perdre son emploi; pour cette raison-là, j'ai bien peur de ne pas pouvoir être d'accord avec vous. S'il n'a pas d'emploi, je ne vois pas comment il pourrait payer.

Mme Beattie: Je dois vous rappeler qu'il n'est question ici que des cas les plus graves. Je pense que Carol Curtis va vous parler de son expérience à Toronto. Les détenus peuvent appeler leur banque depuis leur cellule de prison. L'argent leur arrive par Fedex, et ils peuvent sortir. C'est le genre d'hommes que vise cette proposition. Avec un peu de chance, il ne serait pas nécessaire d'appliquer le Code criminel s'il y avait d'autres moyens d'application. Ce serait en dernier ressort. Mais il faut une sanction ultime.

La présidente: Il faudrait que le non-respect de l'ordonnance dure depuis un certain temps et que le mauvais payeur ait été averti plusieurs fois, avant qu'on puisse en arriver là.

Mme Beattie: Dans notre cas, il est clair que les tribunaux civils ne peuvent pas s'occuper des hommes comme mon ex-mari, qui peuvent traverser facilement les frontières.

Le sénateur Phillips: Je pense que vous avez tort de croire que tous les gens qui sont en retard dans leurs paiements sont capables de payer. Il est probable que votre ex-conjoint puisse payer, mais vous savez sans doute que, dans un fort pourcentage des cas, l'ancien conjoint n'est pas en mesure de payer. Mais vous n'en tenez pas compte dans vos recommandations.

Mme Beattie: C'est peut-être implicite, mais ce que signifie vraiment la notion de «défaut de paiement délibéré», c'est que quelqu'un refuse délibérément de payer. Il est possible de prouver que cette personne a des biens et qu'elle ne veut tout simplement pas payer. Les seules personnes qui se retrouvent dans cette catégorie sont celles qui ont de l'argent; il faut pouvoir prouver qu'elles ont de l'argent, et qu'elles ne paient pas tout simplement parce qu'elles ont caché cet argent ou qu'elles l'ont remis à leur petite amie. Ma recommandation ne viserait certainement pas les gens qui sont au chômage ou ceux qui ont une excuse légitime et raisonnable.

Je ne dirais certainement pas qu'une bonne partie des gens qui ne paient pas la pension alimentaire de leurs enfants ont l'argent nécessaire. Mais mon expérience personnelle porte sur quelqu'un qui a des francs suisses au Luxembourg, et je propose de modifier le Code criminel pour s'attaquer aux gens comme ceux-là.

Le sénateur Bonnell: N'est-il pas vrai que, dans certaines provinces du Canada, on ne peut pas incarcérer les gens qui n'ont pas payé leurs dettes?

Mme Beattie: Oui, c'est exact.

Le sénateur Bonnell: Voudriez-vous que le gouvernement fédéral passe outre aux lois provinciales à cet égard?

Mme Beattie: Ce serait possible si le Code criminel était modifié.

Le sénateur Bonnell: C'est le projet de loi C-41 qui nous a été soumis, pas un projet de modification du Code criminel.

Mme Beattie: Je vous parle de ce qui n'est pas dans le projet de loi.

Le sénateur Bonnell: Vous voulez parler d'un autre projet de loi?

Mme Beattie: Non, je cherche à encourager M. Rock à inclure cette question dans le projet de loi. J'y travaille toujours. Nous pouvons discuter ici de mesures qui ne figurent pas dans le projet de loi. La question des passeports serait beaucoup moins difficile à gérer si le Code criminel était modifié. Si vous êtes accusé d'un acte criminel, on peut vous retirer votre passeport, probablement parce que le gouvernement ne veut pas que vous quittiez le pays avant d'avoir été jugé.

Le sénateur Bonnell: Je peux vous dire tout de suite que je ne voudrais pas d'une loi permettant d'emprisonner les gens pour dettes. Ce sont les contribuables comme moi qui devraient payer pour les garder en prison. Je n'ai rien fait de mal, mais c'est moi qui devrais payer pour eux. Je suggère plutôt de laisser ces gens-là continuer à travailler et de confisquer leur salaire.

Mme Beattie: Il n'est pas question de peines d'emprisonnement à long terme. C'est un moyen d'attirer l'attention. Dans mon propre cas, nous avons fait arrêter mon ex-mari. Il a craché 50 000 $, alors qu'il venait de dire au juge qu'il n'avait pas d'argent. Il n'était pas content d'être en prison et il n'allait certainement pas rester là puisqu'il avait l'argent nécessaire pour s'en sortir. Encore une fois, Carol Curtis a plus d'expérience que moi dans ce domaine.

Le sénateur Losier-Cool: Le Code criminel et la Loi sur le divorce sont deux choses différentes.

Mme Beattie: C'est quelque chose que je recommande et que je demande à M. Rock de faire. J'espérais qu'il serait ici et je suis très déçue qu'il n'y soit pas. Mais je ne lâcherai pas.

Le sénateur Losier-Cool: Vous ne suggérez pas d'inclure le Code criminel dans la Loi sur le divorce.

Mme Beattie: Non.

Le sénateur Losier-Cool: Je ne comprends pas votre position; est-ce que vous proposez des mesures plus sévères ou moins sévères? Vous ne semblez pas approuver la révocation des passeports. Aimeriez-vous mieux que les gens soient emprisonnés? Pensez-vous que ce serait plus dissuasif?

Mme Beattie: Pour les pires contrevenants, certainement. Il est évident que la révocation du passeport de ce monsieur ne l'a pas arrêté. Il l'a toujours. En fait, il est rentré au Canada avec son passeport révoqué. Pour une raison ou pour une autre, personne ne l'a intercepté.

Le sénateur Losier-Cool: S'il était en prison, il ne pourrait pas gagner d'argent et il ne serait pas en mesure de payer sa dette.

Mme Beattie: Vous devez vous rappeler qu'il s'agit de gens qui ont beaucoup d'argent en banque. Ils n'aiment pas aller en prison. Ce sont de véritables petits tyrans, qui vont faire tout ce qu'il faut pour se défiler.

Le sénateur Losier-Cool: Est-ce que l'homme dont nous parlons touche une pension?

Mme Beattie: Il a une pension fédérale, mais elle ne lui est pas versée pour le moment.

Le sénateur Losier-Cool: Est-ce qu'il perdrait sa pension en vertu du projet de loi C-41?

Mme Beattie: La disposition que contient le projet de loi à ce sujet-là est la suite directe d'une ordonnance que nous avons essayé d'obtenir. Elle a été annulée. Ce que cela me donnerait, si je pouvais obtenir une ordonnance me permettant d'invoquer cette disposition du projet de loi, ce serait une petite rente mensuelle. Cela ne me donnerait rien qui entamerait l'arriéré de 400 000 $. Ce serait une très petite somme mensuelle.

La présidente: Prélevée sur ses économies?

Mme Beattie: Oui. J'obtiendrais le montant habituel, et le problème, c'est premièrement que cela cesserait à sa mort et deuxièmement que, dans mon cas, le montant de l'arriéré est énorme. Si on nous versait un montant forfaitaire, par exemple...

Le sénateur Losier-Cool: Le projet de loi ne répond-il pas à certaines de vos préoccupations? Il n'est peut-être pas parfait, ni complet. Ce serait peut-être plus sévère si le débiteur défaillant devait aller en prison, mais est-ce que ce n'est pas un début?

Mme Beattie: C'est certainement un début, mais cela ne va pas assez loin. Cela ne m'aide pas. Je ne peux rien en faire. Je ne m'inquiète pas parce que je ne pourrai jamais obtenir une ordonnance qui me permettrait de faire quelque chose. Je ne sais même pas où est cet homme. Je ne peux pas mettre la main sur lui.

La présidente: Vous avez dit dans votre déclaration préliminaire que vous étiez consciente que ce projet de loi ne vous aiderait pas, mais que vous vous souciez des gens qui viendront après vous.

Mme Beattie: J'entends constamment le gouvernement dire que «les enfants passent en premier». Mais s'il y avait un arriéré, il serait impossible d'appliquer les dispositions du projet de loi relatives aux pensions de retraite tant que l'homme n'aurait pas 50 ans, premièrement, et qu'il ne serait pas à la retraite, deuxièmement, en supposant évidemment que la pension soit encore là. Il ne faudrait pas qu'il l'ait transférée dans un autre régime de retraite. Mais quand le père atteint 50 ans, les enfants ont déjà souffert longtemps. Je voudrais bien que le gouvernement traduise en gestes concrets les déclarations constantes qu'il faut au sujet de l'importance des enfants. Si cet homme -- mon ex-mari -- s'était remarié pendant qu'il était encore fonctionnaire et s'il avait divorcé de nouveau, sa femme aurait pu toucher un montant forfaitaire prélevé sur son fonds de pension.

Au cours de ma bataille judiciaire, j'ai fait référence à une entente selon laquelle le gouvernement aurait pu envoyer cet argent à l'étranger, à New York, il y a quelques années. Nous avons dû aller en cour pour l'empêcher de le faire. Toute cette pension aurait pu être rachetée et transférée dans la caisse de retraite des Nations Unies, à New York.

Si c'est possible pour le titulaire de la pension, pourquoi est-ce que je ne pourrais pas bénéficier d'une disposition selon laquelle je pourrais me faire verser 50 000 $ ou 75 000 $ en francs suisses, en dernier recours, puisque l'arriéré est de 400 000 $? Ce serait en dernier recours. Le gouvernement serait prêt à verser une partie de cet argent-là à une deuxième femme. Il était prêt à le lui remettre en entier, à lui, sans retenue d'impôt.

Au Manitoba, depuis le début de l'année, il y a eu 29 cas où le capital de la pension a été versé, en dernier recours, même si le débiteur n'était pas nécessairement à la retraite.

Le sénateur Losier-Cool: Si ce projet de loi avait été en vigueur quand vous avez divorcé, est-ce que cela vous aurait aidé?

Mme Beattie: Non, parce que mon mari n'avait pas 50 ans et qu'il n'était pas retraité. Il n'aurait probablement pas pris sa retraite avant l'âge de 65 ans.

La présidente: Ce projet de loi ne porte pas uniquement sur les pensions de retraite.

Le sénateur Forest: Que pensez-vous de l'ensemble du projet de loi? S'il avait été en vigueur, est-ce que cela aurait été préférable à la loi actuelle?

Mme Beattie: C'est difficile à dire parce qu'il vivait à l'étranger. Il n'y a rien dans ce projet de loi qui aurait pu m'être utile lorsqu'il travaillait à l'ONU.

Le sénateur Lavoie-Roux: Vos commentaires ajoutent une nouvelle dimension au problème. À la page 18, vous dites dans votre sixième recommandation que le gouvernement fédéral devrait tenter de renégocier ses traités d'extradition pour faire du défaut de paiement délibéré des pensions alimentaires pour enfants une infraction passible d'extradition. Il est très difficile actuellement de faire extrader même des criminels notoires. Je comprends votre point de vue, mais pensez-vous que ce soit une proposition vraiment pratique ou réalisable?

Mme Beattie: C'est très difficile parce qu'on a affaire aux avocats de la Couronne, qui choisissent ce qu'ils veulent. Je n'ai pas beaucoup d'espoir de ce côté-là. Après avoir parlé aux gens de l'ambassade de France, je sais qu'ils considèrent qu'il s'agit d'une question très sérieuse et que les magistrats français sont très occupés à examiner ces questions-là. En France, on met les gens en prison pour ce genre de chose. Ce serait la seule façon de faire revenir cet homme au Canada. Il est évident que la révocation de son passeport n'a rien donné.

Le sénateur Lavoie-Roux: Y a-t-il une certaine collaboration entre les provinces pour le recouvrement de l'argent, par exemple des sommes qu'un père habitant en Ontario doit verser à une mère qui vit au Québec?

Le sénateur Jessiman: Je pense que toutes les provinces ont conclu des ententes.

Le sénateur Lavoie-Roux: Je n'en suis pas sûre.

Mme Beattie: Je pense que la plupart d'entre elles en ont conclu. Mais encore une fois, lorsqu'il y a des cas difficiles, les gens vont automatiquement réagir à une saisie par une action en modification pour faire renvoyer la cause dans la province où la saisie a été faite. C'est ce qui risque de se produire.

Le sénateur Lavoie-Roux: Nous devrions essayer de rendre la loi aussi efficace que possible sans nous laisser arrêter par toutes sortes de considérations bureaucratiques ou politiques.

Merci beaucoup. Je vais lire votre mémoire en entier. Je sais que vous y avez beaucoup travaillé.

Le sénateur Bosa: Madame Beattie, vous avez mentionné M. Rock à plus d'une reprise et vous avez dit que vous étiez sa bête noire. Je sympathise avec vous et j'ai suivi très attentivement la description de votre cas. Je connais également très bien M. Rock. Je sais que c'est un homme juste, capable de compassion. Pourquoi pensez-vous qu'il n'a pas épousé votre cause? Quelle est à votre avis la raison pour laquelle il n'a pas adopté les différentes recommandations que vous avez suggérées?

Mme Beattie: Je pense qu'il est très occupé et que les enfants ne sont pas en haut de sa liste, si je puis dire. Il est très difficile pour les enfants de faire valoir leur point de vue. En réalité, c'est un problème qui touche mes enfants. Ce n'est pas mon problème. C'est leur subsistance qui est en cause. Il y a beaucoup d'autres gens qui crient plus fort, alors que je suis en quelque sorte la femme orchestre qui fait tout dans ce dossier.

Le sénateur Bosa: Pensez-vous qu'il y a un courant qui va dans le sens contraire de ce que vous proposez? Est-ce que M. Rock est plus sympathique à ce contre-courant qu'au vôtre?

Mme Beattie: Je pense que oui, parce qu'il prend les avis de ses fonctionnaires. Mon expérience des bureaucrates, c'est qu'ils n'aiment pas créer de précédents, qu'ils soient bons, mauvais ou neutres. Ils n'aiment pas les gens qui essaient de changer les choses. Il m'a fallu trois ans pour en arriver à quelque chose au sujet du passeport, même si je répondais à toutes les exigences. Il faut réorienter les attitudes des gens, en ce sens qu'il faut les convaincre que c'est un problème sérieux et pas uniquement une question de divorce.

Le sénateur Haidasz: Madame la présidente, allons-nous réinviter le témoin?

La présidente: Elle nous a remis un mémoire assez volumineux, et nous sommes prêts à l'examiner. Mais je ne pense pas qu'elle revienne.

Le sénateur Haidasz: Vous avez mentionné à quel point il était difficile d'empêcher un mauvais payeur de se servir de son passeport. Avez-vous déjà songé à demander au ministre des Affaires étrangères de modifier nos traités d'extradition pour permettre l'extradition de cette personne vers le Canada afin qu'elle y soit jugée?

Mme Beattie: C'est en fait une de mes recommandations. Vous mentionnez justement un élément qui se rattache à ma situation; mon ex-mari a invoqué l'argument selon lequel il ne pourrait pas travailler pour le bureau des relations fédérales-provinciales si son passeport était révoqué. Il a fait valoir également que ses parents étaient mourants et qu'il ne quitterait pas le pays à cause de cela. Le juge lui a redonné son passeport, et il est parti. Il faut se méfier des gens qui disent qu'ils ont besoin de leur passeport pour travailler. Nous avons donc dû révoquer son passeport pendant qu'il était à l'extérieur du pays. Il y a un problème avec l'immigration. L'extradition aiderait sûrement, mais nous devons avoir la Couronne de notre côté.

Le sénateur Haidasz: Qu'en dit le ministre des Affaires étrangères?

Mme Beattie: Encore une fois, l'extradition est du ressort d'Allan Rock. Je pense que ce n'est tout simplement pas une priorité. La modification que je propose au Code criminel nous rapprocherait un peu du but, parce qu'il est évidemment impossible de demander une extradition pour une poursuite au civil.

Le sénateur Haidasz: Vous voudriez que nous modifiions le projet de loi de manière à ce qu'il permette l'extradition?

Mme Beattie: Je ne suis pas sûre que vous puissiez modifier ce projet de loi. Mais vous pourriez examiner la question.

Le sénateur Jessiman: Je suppose que certaines des provinces du Canada n'ont pas d'entente d'exécution réciproque avec la France et la Suisse.

Mme Beattie: Je n'en suis pas sûre. Nous n'avons pas d'entente de ce genre avec la Suisse, mais je pense que nous en avons une avec la France. Encore une fois, ce que nous risquons si nous essayons cela, c'est qu'il déménage en Suisse et que nous devions tout recommencer à zéro. Personne ne veut d'une action en modification en Europe. Mon mari pourrait y échapper tout simplement en traversant la frontière pour se rendre dans un autre pays et nous serions encore une fois Gros-Jean comme devant; tous les gens qui travaillent pour l'ONU sont à peu près intouchables. L'ONU ne veut rien savoir.

La présidente: Madame Beattie, je vous remercie beaucoup de votre présentation. Nous comprenons ce que vous endurez depuis très longtemps.

Mme Beattie: J'espère vous avoir fait réfléchir à certaines des questions qui ne sont pas soulevées dans le projet de loi.

La présidente: Nous apprécions vos efforts.

La séance est levée.


OTTAWA, le jeudi 5 décembre 1996

Le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, auquel a été renvoyé le projet de loi C-41, Loi modifiant la Loi sur le divorce, la Loi d'aide à l'exécution des ordonnances et des ententes familiales, la Loi sur la saisie-arrêt et la distraction de pensions et la Loi sur la marine marchande du Canada, s'est réuni ce jour à 11 h 40 pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Mabel M. DeWare (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Madame Curtis, bienvenue à la séance de notre comité portant sur l'étude du projet de loi C-41. La parole est à vous.

Mme Carole Curtis, membre du groupe de travail, Association nationale de la femme et du droit: Je pratique le droit de la famille depuis 18 ans à Toronto. Je vais vous faire part non seulement des points de vue de l'Association nationale de la femme et du droit sur ce sujet mais également de ma propre expérience en pratique du droit.

Il y a quatre ou cinq ans, le comité fédéral-provincial-territorial du droit de la famille a commencé à se pencher sur les pensions alimentaires pour enfants. Dans son premier rapport, il a constaté que les montants des pensions alimentaires pour enfants n'étaient pas uniformes dans l'ensemble du Canada, étaient difficilement prévisibles et insuffisants.

Je partirai de ce principe car, de l'avis de l'Association nationale de la femme et du droit, si l'objectif de la réforme consiste à s'assurer que les montants des pensions alimentaires pour enfants seront plus uniformes et plus élevés, alors nous devons garder cet objectif à l'esprit.

Sur la page arrière de notre mémoire, figure une liste des quatre points les plus importants. Les deux ou trois dernières pages énumèrent nos recommandations.

Le premier point important que nous soulevons précise que, si les lignes directrices ne permettent pas d'atteindre l'objectif visant à augmenter les pensions alimentaires pour enfants, elles seront considérées comme un échec. Cette réforme est l'une des plus importantes jamais réalisées en droit de la famille et elle aura certes certaines conséquences très lourdes pour les enfants.

Le deuxième domaine de préoccupation concerne le mode de structuration des lignes directrices. Bon nombre de mes commentaires ne traiteront pas du projet de loi lui-même, mais des lignes directrices qui figurent dans l'ébauche du règlement.

Le point suivant concerne le traitement accordé dans l'ébauche du règlement à une catégorie de dépenses appelées «dépenses spéciales ou extraordinaires». Dans l'ébauche du règlement, elles figurent à l'article 4, page 4. Le projet et le règlement fournissent une table et, en outre, une liste des «autres» dépenses. Le premier problème concernant ce groupe de dépenses découle de leur description inadéquate comme des «dépenses spéciales ou extraordinaires». On peut les trouver à l'article 4(1) de l'ébauche du règlement.

À franchement parler, une partie du problème résulte du fait que certains des aspects les plus importants de cette réforme ne sont pas contenus dans le projet de loi, mais dans le règlement. Je suis persuadée que cette mesure est intentionnelle de la part du gouvernement car elle permet de les modifier plus facilement.

L'article 4(1) du règlement permettra au tribunal d'ajouter des montants supplémentaires aux pensions alimentaires pour enfants si ces montants entrent dans l'une quelconque de ces quatre ou cinq catégories. Elles comprennent les frais de garde d'enfants, les frais médicaux et relatifs aux soins de santé, les frais relatifs aux études primaires, secondaires et post-secondaires et les frais pour activités parascolaires, qui sont des éléments essentiels dans la plupart des familles. De fait, il serait difficile de trouver une seule famille qui n'encourt pas au moins l'une de ces dépenses. Il est primordial que ces catégories ne soient ni supprimées ni modifiées. Il aurait été préférable que ces catégories s'ajoutent obligatoirement et non volontairement à la grille des pensions alimentaires pour enfants.

Le sénateur Jessiman: Ces dépenses sont-elles partagées?

Mme Curtis: Oui. Elles sont partagées par le parent ayant la garde de l'enfant.

Le sénateur Jessiman: Elles sont partagées par les deux parents. Les autres dépenses sont toutes payées par le parent n'ayant pas la garde de l'enfant.

Mme Curtis: Les autres dépenses ne sont pas toutes payées par le parent n'ayant pas la garde de l'enfant. Les portions figurant sur la grille sont toutes celles qui sont payées par le parent n'ayant pas la garde de l'enfant. Par exemple, si le hockey coûte 2 000 $ par an, ce qui est le cas, et si la pension alimentaire qui est versée pour l'enfant n'atteint que 800 $ par an, alors le parent ayant la garde de l'enfant doit trouver l'argent ailleurs. Une partie pourrait provenir du montant de 800 $ mais il est plus vraisemblable que le parent ayant la garde de l'enfant devra trouver les 2 000 $ auprès d'autres sources.

En tout cas, l'existence des ajouts est cruciale pour empêcher que les lignes directrices ne deviennent un plafond plutôt qu'un plancher pour les pensions alimentaires. L'ANFD est d'avis que les lignes directrices, la grille elle-même, devraient constituer un plancher et non pas le plafond.

Le sénateur Jessiman: C'est le cas.

Mme Curtis: Oui, mais ces catégories ne sont pas obligatoires. Les tribunaux ont le pouvoir discrétionnaire de décider si ces catégories sont accordées.

L'autre problème résulte du fait que, si ces catégories ne sont pas comprises dans la grille, toutes les personnes qui s'assoient à la table de la cuisine et tentent de négocier un règlement sans la participation des avocats -- et c'est parfaitement acceptable et convenable -- regarderont la grille et négocieront le montant d'après cette grille. Elles ne négocieront pas en fonction du contenu du règlement car, franchement, ce genre de documentation n'est pas accessible au citoyen moyen.

Le troisième domaine qui nous préoccupe énormément est la définition du «revenu». Elle est trop restrictive et inappropriée pour le calcul des pensions alimentaires pour enfants. La définition utilisée se trouve dans l'ébauche du règlement aux articles 13 et 14 à la page 9. La définition utilisée est celle que l'on trouve dans la Loi de l'impôt sur le revenu. Une considération générale très différente entre dans la liste des déductions du revenu qui seront permises aux fins du calcul de l'impôt et dans la liste des déductions qui devraient être permises pour étudier les pensions alimentaires pour enfants. L'aspect le plus important, c'est qu'il s'agit d'un changement sensible dans la méthode de calcul des pensions alimentaires pour enfants.

Le quatrième point concerne l'application des lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants. La mise en oeuvre des lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants et des modifications à la Loi de l'impôt sur le revenu est réputée constituer un changement important de circonstances pour les ententes et les ordonnances en vigueur. Quiconque a un montant qui diffère de celui figurant sur la grille a le droit de le renégocier. Cette personne peut soit retourner devant les tribunaux, soit entreprendre des négociations.

Il s'agit d'un droit plutôt creux pour la plupart des femmes étant donné qu'il est difficile, à notre époque de compressions dans l'aide juridique civile, de retourner devant les tribunaux. Bon nombre de provinces, dont l'Ontario, ont un système d'aide juridique civile très mauvais ou inexistant. À l'heure actuelle, en Ontario, ces sortes d'applications modificatrices ne sont pas couvertes par le régime d'aide juridique.

Voilà un résumé des principaux points.

Le sénateur Jessiman: En ce qui concerne votre dernier point, voulez-vous dire que la définition n'est pas convenable?

Mme Curtis: Lorsque les lignes directrices seront déposées et que les modifications à la Loi de l'impôt sur le revenu seront adoptées, quiconque souhaite le faire aura le droit de retourner devant les tribunaux et de demander une modification. L'accès aux tribunaux est difficile sans avocat, surtout pour aborder un sujet nouveau et complexe.

À l'heure actuelle, la plupart des femmes n'ont pas accès à un tribunal en raison des compressions appliquées aux régimes d'aide juridique à travers le pays. Le droit de la famille a été soit éliminé complètement, soit restreint considérablement. Même l'Ontario, qui se vantait habituellement d'avoir la Cadillac des régimes d'aide juridique, ne couvre plus ce genre de demande devant les tribunaux. En Ontario, une femme n'obtiendrait pas d'aide juridique pour se présenter devant un tribunal pour demander ce genre de modification.

Le sénateur Jessiman: Où précise-t-on que vous devez aller devant un tribunal?

Mme Curtis: Rien ne dit que vous devez aller devant un tribunal. Toutefois, toute personne qui ne peut pas négocier directement et fructueusement avec son conjoint ou sa conjointe doit rechercher l'aide d'un avocat ou se présenter devant le tribunal. Un certain nombre de gens pourront s'asseoir et régler la question. Si les gens pouvaient régler leurs affaires de droit de la famille, je serais sans travail.

Le sénateur Jessiman: J'aimerais avoir des éclaircissements sur les propos du témoin.

La présidente: Elle pourrait peut-être terminer d'abord son exposé.

Le sénateur Jessiman: Si je ne comprends pas ce qu'elle veut dire, alors c'est difficile. Êtes-vous en train de dire que l'article 14 devrait faire partie de la grille? Êtes-vous en train de dire qu'en ce qui concerne le calcul du revenu annuel, le libellé est injuste?

Mme Curtis: La définition du «revenu» est injuste. Il s'agit d'un changement radical par rapport à la méthode actuelle de calcul des pensions alimentaires pour enfants, à savoir que le soutien alimentaire pour enfants est calculé d'après des ressources et des besoins: les ressources des parents et les besoins de l'enfant. Pour déterminer le revenu d'un travailleur indépendant, on tiendrait compte du revenu provenant de toutes les sources. Si un médecin ou un avocat indépendant a assisté à un congrès à Hawaii et veut déduire 6 000 $ de son revenu à cette fin, ce serait acceptable pour Revenu Canada mais, à l'heure actuelle, ce n'est pas acceptable aux fins du calcul du soutien alimentaire des enfants. Un tribunal pourrait inclure cette somme dans les montants disponibles pour le soutien alimentaire des enfants. Avec cette définition donnée à l'article 14, on risque de ne pas inclure ce montant de 6 000 $. Il faudrait prendre en considération des éléments différents pour savoir ce qui est admissible comme dépenses d'affaires ou dépenses autorisées aux fins de l'impôt sur le revenu par rapport à celles qui devraient s'appliquer pour calculer le montant disponible dans une famille pour le soutien alimentaire des enfants.

Le sénateur Jessiman: Avez-vous une idée de la façon de libeller le texte pour répondre à vos préoccupations?

Mme Curtis: Il faudrait supprimer cette définition. Nous ne devrions pas utiliser du tout la définition figurant dans la Loi de l'impôt sur le revenu pour le soutien alimentaire des enfants.

Le sénateur Cools: Quelle définition devrions-nous utiliser?

Mme Curtis: Il faudrait continuer à utiliser la structure actuelle pour calculer le revenu d'un conjoint aux fins du soutien alimentaire des enfants. Il s'agit d'un changement radical dans le droit de la famille.

Le sénateur Cools: Voulez-vous dire que nous devrions abandonner la grille et les lignes directrices et laisser le soin à un juge de fixer le montant?

Mme Curtis: Non.

Le sénateur Jessiman: Elle souhaite voir figurer un montant supérieur dans la grille.

Mme Curtis: C'est exact. Je vais parler des problèmes concernant la grille.

La présidente: Je comprends pourquoi vous voulez questionner le témoin à ce stade-ci, mais si nous continuons à le faire, nous n'arriverons jamais au bout. J'aimerais que vous notiez les points sur lesquels vous souhaitez poser des questions au témoin et je vous laisserai ensuite à chacun le temps de poser vos questions. Voulez-vous continuer s'il vous plaît?

Mme Curtis: Merci. Je vais laisser de côté les quatre points principaux et souligner certains des éléments contenus dans notre mémoire.

Je voudrais revenir à la raison de notre action. Le groupe de travail fédéral-provincial-territorial a reconnu qu'il y avait un problème au niveau des pensions alimentaires pour enfants et qu'il fallait y remédier. La question consiste à savoir si c'est la bonne solution à un problème dont tout le monde reconnaît l'existence. Les chiffres figurant à l'Annexe constituent un problème en eux-mêmes et par eux-mêmes. Ils constituent un problème pour les familles dont le revenu est inférieur ou égal à 40 000 $, c'est-à-dire les familles à revenu modeste ou bas. Il s'agit précisément des familles que toute cette réforme était supposée aider. Ces chiffres sont franchement trop faibles. Ils sont inférieurs aux montants accordés à l'heure actuelle par les tribunaux, pas seulement à Toronto où je pratique, mais partout au Canada.

En outre, il faut réviser régulièrement les chiffres figurant à l'Annexe. Le projet de loi prévoit un réexamen quinquennal. Cette attente de cinq ans est trop longue pour les enfants canadiens en vue de savoir si ces montants sont convenables et s'ils répondent à leurs besoins fondamentaux. Les montants devraient être révisés chaque année ou au moins tous les deux ans.

Les montants figurant à l'Annexe ne tiennent pas compte du fait qu'il en coûte des sommes différentes pour élever des enfants à des âges différents. Par exemple, deux pères qui gagnent 40 000 $ par année doivent verser le même montant en pension alimentaire pour un enfant de 14 ans et pour un enfant de trois ans. Cela fait partie des inconvénients de la grille pour calculer le soutien alimentaire des enfants.

Nous nous inquiétons également de la façon dont sont traitées les ordonnances alimentaires au profit d'un époux. Le soutien alimentaire des époux est relégué à un rang inférieur. En général, les pensions alimentaires pour époux sont plus controversées que les pensions alimentaires pour enfants, malgré les décisions rendues par la Cour suprême du Canada, au début des années 90, qui précisent clairement le rôle des pensions alimentaires pour époux et la façon dont les tribunaux devraient en fixer les montants. Tous les changements que le projet de loi apporte en ce qui concerne l'aptitude des femmes à obtenir une pension alimentaire pour époux qu'elles méritent seraient préjudiciables et entraîneraient d'autres litiges.

Nous sommes inquiètes de constater que le projet de loi accorde cette priorité aux pensions alimentaires pour enfants, ce qui rabaisse les pensions alimentaires pour époux.

J'aimerais aborder brièvement les modifications et leurs conséquences pour les personnes qui ont réglé leurs problèmes ou qui disposent d'une ordonnance d'un tribunal qui a été rendue il y a plusieurs années. On assistera à une augmentation du nombre de demandes de rajustement d'ordonnances antérieures devant les tribunaux. Bon nombre d'ordonnances de soutien alimentaire qui ont été rendues il y a 10 ans prévoient 25, 30 ou 40 $ par semaine. Elles ont pu être rendues alors que la femme recevait des prestations d'aide sociale ou des allocations familiales. Des demandes pourraient être présentées en vue de modifier ces ordonnances. Le montant mis de côté par le gouvernement fédéral pour la mise en application des lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants est totalement inadéquat. Le montant disponible est de 50 millions de dollars pour les dix provinces et les deux territoires sur une période de cinq ans. La seule province de l'Ontario prévoit que le coût atteindra 30 à 40 millions de dollars au cours de la première année. Il s'agit là d'une solution totalement inadéquate à un problème très délicat.

La question de l'accès aux tribunaux -- que j'ai soulevée plus tôt dans le contexte de l'aide juridique -- qui n'est pas disponible pour de nombreuses femmes qui en auront besoin, est distincte de la question de la demande imposée aux tribunaux.

Je voudrais aborder brièvement les objectifs énoncés dans l'ébauche des lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants. Ils se trouvent à la page 1 du règlement. L'objectif manquant est celui qui aurait dû avoir la priorité, c'est-à-dire de garantir un niveau de soutien qui réponde aux besoins fondamentaux des enfants. Pourquoi faisons-nous tout cela si la réforme n'apportait pas un niveau de soutien répondant aux besoins des enfants?

Les objectifs sont beaucoup plus importants que vous pourriez le penser à ce stade-ci. Il s'agit d'une nouvelle mesure législative qui modifiera radicalement la façon dont celles d'entre nous qui se trouvent en première ligne abordent le soutien alimentaire des enfants, nos clients et les juges. Des objectifs énoncés convenablement nous aideront à convaincre les juges de la façon d'interpréter la loi et le règlement. L'absence de cet objectif est cruciale.

Le système devrait également être axé sur l'enfant et non sur le conjoint ou le parent. Nous avons été assez déçues de constater que l'objectif énoncé au paragraphe 1d) montre que le gouvernement se préoccupe d'assurer un traitement uniforme aux débiteurs alimentaires qui se trouvent dans des situations semblables. Il faudrait modifier cet objectif pour dire qu'il vise à assurer un traitement uniforme aux enfants qui se trouvent dans des situations semblables.

Je voudrais revenir à la catégorie des dépenses spéciales à l'article 4. J'ai commencé en disant qu'il ne s'agit pas de dépenses «spéciales ou extraordinaires» et que ce libellé devrait être éliminé de l'article 4. Il prête à confusion et n'est pas utile et il servira à limiter le montant mis à la disposition des enfants pour les catégories de dépenses qui font partie de la routine quotidienne de la plupart des familles. Je ne parle pas uniquement de familles moyennes ou riches. Il existe beaucoup de familles pauvres dont les enfants participent à des activités parascolaires, que ce soit le hockey, les leçons de piano ou les leçons de natation, et elles seront exclues parce que le mot «extraordinaires» est utilisé. La mère au travail qui gagne 15 000 ou 20 000 $, dont les enfants participent à un programme de natation qui coûte 20 $ à l'école locale ou au Y, ne pourra peut-être pas obtenir ce montant supplémentaire de 20 $ en raison de l'utilisation de l'expression «dépenses extraordinaires». Il y a quelque chose de fondamentalement injuste avec cette notion.

Je vais maintenant décrire brièvement l'origine de cette échelle, parce que j'estime que la «grille», comme je l'appelle, provoque une grande confusion. En fait, la grille n'est pas une estimation précise de ce qu'il en coûte pour élever un ou plusieurs enfants, mais il s'agit plutôt d'un outil limité conçu à l'origine pour fournir des comparaisons grossières du bien-être relatif des ménages dont la composition et les revenus sont différents, et elle s'inspire des données courantes sur la consommation recueillies dans le cadre de l'Enquête sur les dépenses des familles et d'une échelle d'équivalence 40/30. Je vais vous décrire brièvement le fonctionnement de l'échelle d'équivalence 40/30. On examine les dépenses d'une personne seule. Pour calculer ce qu'un couple dépenserait, on ajoute 40 p. 100 aux dépenses de la personne seule. Pour calculer ce que le couple dépenserait pour ses enfants, on ajoute encore 30 p. 100. C'est l'une des bases sur lesquelles la grille a été structurée.

Les données sur la consommation, qui en constituent la base, ne tiennent pas compte de certains coûts non monétaires ou des manques à gagner. Il y a également des dépenses que bon nombre d'entre vous, ici présents dans cette salle, jugeraient normales et qui ne sont pas incluses dans ces données. Je veux parler, par exemple, des versements au titre du principal hypothécaire, des pensions, des assurances et de ce genre de choses.

La grille constitue un compromis assez équitable. C'est une base de travail qui, à mon avis, doit être rajustée en fonction des besoins précis de chaque enfant. Je crois comprendre que les catégories ajoutées sont apparues parce que l'Association du Barreau canadien refusait d'appuyer les lignes directrices car elles étaient trop basses. L'Association du Barreau canadien, parmi d'autres groupes, dont l'ANFD, a déclaré que si cette grille était utilisée, avec des montants aussi faibles, alors il faudrait offrir des catégories supplémentaires et des montants supplémentaires.

J'estime que cela complique la situation. Bon nombre de couples vont s'asseoir à la table de la cuisine et essayer d'en arriver à une entente en se basant sur la grille. Ils négligeront les catégories supplémentaires. Les femmes ne sont pas en mesure de négocier avec leurs conjoints à propos des catégories supplémentaires. Bon nombre d'entre elles se considéreront chanceuses de pouvoir obtenir ce qui figure sur la grille sans devoir embaucher un avocat ou se présenter devant un tribunal. Il n'est pas convenable que le gouvernement laisse entendre que tout le monde est protégé parce qu'il y a une grille, plus les catégories supplémentaires, et que tout le monde peut obtenir les suppléments. Mes clientes pourront obtenir les dépenses supplémentaires parce qu'elles m'ont consultée. Je négocierai pour elles. Toutefois, ces dépenses supplémentaires ne seront pas à la portée de bien des femmes.

L'une des dépenses supplémentaires concerne les frais de garde d'enfants. Il est trompeur et inapproprié de dire que les frais de garde d'enfants constituent des dépenses extraordinaires ou spéciales et ce qui arrivera c'est que ce coût capital pour le parent ayant la garde de l'enfant sera probablement supporté par elle seule.

Les données tirées de l'Enquête sur les dépenses des familles, dont s'inspire l'échelle, ont été recueillies auprès de toutes les sortes de familles, pas seulement de celles ayant des frais de garde d'enfants. Une partie du problème découle du fait que bon nombre de familles ont des services de garde gratuits. De fait, 46 p. 100 des familles biparentales n'ont pas de frais de garde d'enfants à payer parce qu'un membre de la famille fournit ces services. C'est soit la mère elle-même qui fournit ce service, soit le père, ou possiblement une tante, une grand-mère ou un autre membre de la famille.

Par contre, seulement 26 p. 100 des mères monoparentales réussissent à obtenir des frais de garde gratuits.

Le sénateur Cools: Pourquoi cela? D'après ce que vous dites, pourquoi une personne voudrait-elle divorcer?

Mme Curtis: Ce n'est pas du tout le but de l'exposé que je fais ici aujourd'hui. Comme je l'ai déjà mentionné, si tel était le cas, je n'aurais pas de travail.

Le sénateur Cools: Bon nombre d'entre nous aimeraient que les avocats du droit de la famille soient au chômage, mais c'est une autre question. Pourquoi les mères monoparentales n'ont-elles pas accès à des services de garde gratuits?

Mme Curtis: Parce que les mères monoparentales gagnent beaucoup moins que les familles biparentales, même s'il s'agit d'une famille à revenu unique. Elles ne peuvent donc pas se permettre de payer pour des services de garde.

Le sénateur Cools: Vous dites que la plupart des gens mariés obtiennent davantage de services de garde gratuits.

Mme Curtis: C'est soit parce que la mère reste à la maison pour offrir ces services, soit dans certains cas le père. Autrement, ces services peuvent être offerts gratuitement par un parent.

Le sénateur Cools: Lorsqu'un couple est séparé, est-ce que les tantes et les grands-mères disparaissent du paysage?

Mme Curtis: Lorsque la séparation est effective, la mère, qui est la principale source de services de garde, est moins disponible si elle doit aller travailler pour faire vivre sa famille.

Le sénateur Cools: Ce que je recherchais, c'était des renseignements sur tout le contexte du réseau de soutien.

Mme Curtis: Je ne dispose pas de telles données pour votre gouverne.

Le sénateur Cools: Je le sais. Toutefois, il y a beaucoup de renseignements disponibles à ce sujet.

Mme Curtis: Les données de l'Enquête sur les dépenses des familles ne concluent pas que les frais de garde d'enfants représentent une dépense importante pour les jeunes enfants. Je sais que cela ressemble à une lapalissade mais c'est une dépense importante pour les jeunes enfants et elle diminue à mesure que les enfants grandissent. Il est évident que cette dépense décroissante n'est pas prise en considération lorsque vous disposez d'une grille qui ne donne qu'un seul montant pour un enfant, quel que soit son âge.

Les autres catégories de dépenses ajoutées concernent les soins médicaux et les soins de santé, les frais pour études et les activités parascolaires. Même si vous envisagez seulement ce que cela implique pour un adolescent, vous constaterez les insuffisances de la structure actuelle. Bon nombre de dépenses spéciales qu'entraînerait un adolescent ne sont pas incluses, qu'il s'agisse des frais d'activités scolaires, d'uniformes de sport, de location de casiers, de participation à une chorale ou à un orchestre et des frais de cours de conduite automobile. Ils relèveraient de l'article 4, c'est-à-dire de la catégorie des dépenses scolaires extraordinaires qu'il faudrait négocier ou demander à titre de dépenses supplémentaires au tribunal.

Lorsque les parents vivent ensemble, ils paient ces dépenses à même leur revenu ou leur capital, s'ils jugent que ces dépenses sont prioritaires. Je ne parle pas de voyages à Paris pour l'enfant. Je parle de choses que bien des familles jugent importantes pour leurs enfants.

Je vais aborder brièvement l'analyse des difficultés excessives. À l'article 5 du règlement, les juges sont autorisés à accorder des montants différents de ceux de la grille s'il en résultait des difficultés excessives. La structure de cet article pose à notre avis deux problèmes. Le premier est l'existence d'une méthode de comparaison des niveaux de vie pour déterminer s'il existe ou non des difficultés excessives. Or cette méthode n'est pas obligatoire mais facultative. Elle figure à l'Annexe II du règlement, à la page 55.

Il y a quelques semaines à Toronto, ainsi que dans le reste de l'Ontario, un programme d'éducation permanente destiné aux avocats et aux juges a été organisé pour leur enseigner comment fonctionner dans le cadre de ces lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants. On a non seulement conçu un programme informatique pour nous aider à informer nos clients sur les changements au niveau des répercussions fiscales, mais un autre pour nous aider à calculer si nos clients répondent ou non à cette norme de comparaison des niveaux de vie. C'était très complexe. Le citoyen moyen sera incapable de faire cela, même si nous installons un ordinateur dans chaque palais de justice en Ontario en expliquant la façon d'accéder au programme. Ce n'est pas un calcul facile.

L'autre problème concerne le test des difficultés excessives qui permet aux tribunaux d'accorder la priorité aux dettes, au détriment de la responsabilité à l'égard des enfants. L'ANFD estime que les pensions alimentaires pour enfants ne devraient pas être abaissées en deçà du montant nécessaire pour répondre aux besoins fondamentaux des enfants, sous prétexte de l'existence de dettes familiales. Dans les cas graves où cela est autorisé, il faudrait instaurer une structure très particulière pour le remboursement de la dette dans un délai fixé pendant que le montant de l'ordonnance alimentaire est réduit et, pour prolonger cette réduction, il faudrait des motifs spéciaux.

Le test des difficultés excessives n'accorde pas la priorité à la première famille d'un débiteur alimentaire. Nous le mentionnons à la page 12 de notre mémoire. Il faudrait accorder la priorité à la première famille pour une foule de raisons. Il n'est pas justifiable de permettre aux parents d'abandonner leurs responsabilités à l'égard de leur première famille pour créer une seconde famille. Il y a une dizaine d'années, un juge provincial de l'Ontario a rédigé un document sur ce problème. Il a commencé par dire que, pendant qu'il siégeait sur le banc, il avait remarqué que les hommes étaient disposés à assumer le soutien alimentaire des enfants avec lesquels ils vivaient, que ce soit les leurs ou pas, et que c'était un élément du problème.

Beaucoup trop souvent, les débiteurs abandonnent leurs responsabilités à l'égard de leurs enfants. Si l'on regarde le niveau de pauvreté infantile au Canada, c'est une évidence, en particulier face aux niveaux élevés des arrérages de pension alimentaire au pays.

Ayant abordé brièvement le problème de la définition du revenu, j'aimerais passer à l'obligation de fournir des renseignements financiers qui est énoncée aux articles 19 à 24 de l'ébauche du règlement. La divulgation des renseignements financiers est absolument essentielle à un règlement du soutien alimentaire des enfants ou au déroulement de l'instance. Il est crucial que ces dispositions relatives à la divulgation des renseignements financiers soient obligatoires.

L'un des mécanismes contenus dans le règlement pour s'assurer que les ordonnances demeurent au niveau des besoins des enfants est une clause permettant au bénéficiaire de demander la divulgation annuelle obligatoire du revenu du payeur. Ceci devrait s'accompagner d'un simple mécanisme administratif permettant de demander et de fournir ces renseignements.

L'un des principes clés, si vous voulez, du droit de la famille au Canada au cours des 15 dernières années a été la théorie de la rupture nette qui est énoncée dans tous les tribunaux à tous les niveaux. Cette situation modifiera radicalement cette théorie d'une façon qui me semble, franchement, ne pas être inappropriée.

Toutefois, nous devons nous assurer de ne pas faire courir un risque aux femmes victimes de violence conjugale. Par exemple, elles ne devraient pas se retrouver dans l'obligation de rester en contact avec le conjoint qui les a agressées, menacées ou harcelées, dans le simple but d'obtenir des renseignements à jour pour recalculer les ordonnances alimentaires pour enfants.

L'Association nationale de la femme et du droit suggère que ce sont les tribunaux qui devraient s'en occuper dans chaque province ou que le programme d'application des ordonnances alimentaires -- lorsqu'il existe dans une province -- pourrait constituer la filière pour demander et fournir ces renseignements afin de pouvoir calculer un nouveau montant.

Le sénateur Jessiman: Pourriez-vous m'expliquer la théorie de la rupture nette?

Mme Curtis: Oui. Nos tribunaux ne cessent pas de répéter qu'après la dissolution de leur mariage, les époux devraient pouvoir mener leur vie, opérer une rupture nette et continuer à vivre. Cela ne signifie pas qu'il ne devrait y avoir aucune obligation de pension alimentaire mais que nous devrions structurer nos obligations de soutien alimentaire de façon à minimiser ou à réduire les contacts entre les époux ou les sujets de conflit.

Au fil des ans, nous avons appris que l'incidence négative du divorce sur les enfants n'est pas tant le divorce lui-même ou la séparation elle-même, mais la continuation du conflit. Nous devons envisager des façons de minimiser ou de réduire le conflit. Ce qui m'inquiète, c'est qu'en l'absence d'un mécanisme administratif pour fournir ces renseignements, nous ouvrirons la porte à des contacts annuels entre les époux et peut-être à un conflit dans les cas de séparation assortie d'une grave discorde.

Pour terminer, je voudrais aborder la notion de révision dans cinq ans. Peut-être qu'un examen quinquennal est approprié pour réviser le tableau d'ensemble. Toutefois, nous ne pouvons pas attendre cinq ans pour vérifier si les montants figurant sur la grille sont adéquats ou si les dépenses supplémentaires sont utilisées. Que se passe-t-il dans les négociations privées? Que se passe-t-il devant les tribunaux? Les juges comprennent-ils bien cette situation? Tout le monde peut-il avoir accès à la méthode de comparaison des niveaux de vie? Dans cinq ans, tous les enfants canadiens seront assujettis à des ententes ou à des ordonnances obtenues en vertu de ce régime. Il faut le réviser sur une base permanente. De fait, il faudrait le réviser après un an, deux ans ou trois ans. Nous devons comparer les montants accordés en vertu du régime proposé à ceux qui l'auraient été en vertu de l'autre régime.

J'ai passé en revue à toute vitesse les sujets abordés dans le mémoire. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

La présidente: Comment négociez-vous les calendriers de hockey et les études post-secondaires à l'âge de deux ans?

Mme Curtis: Cela ne se fait pas. Nous ne le faisons pas à l'heure actuelle. Nous essayons d'incorporer dans une entente de séparation une clause à l'effet que, lorsque ces dépenses surviendront, elles seront partagées proportionnellement au revenu des parents. Une partie du problème réside dans le fait que ce système exige un niveau de collaboration et de contact que certaines familles sont incapables d'atteindre, même si beaucoup en sont capables. Nous osons espérer que 10 ou 15 ans après la séparation, elles seront capables d'une telle collaboration et d'un tel contact. Toutefois, certaines familles sont vraiment incapables de le faire. Dans de tels cas, le parent ayant la garde de l'enfant s'assure généralement que ce dernier disposera de ce dont il a besoin. Le parent ayant la garde paie pour de telles dépenses à même ses propres ressources.

La présidente: Lorsque vous parlez d'études post-secondaires, il peut s'agir de quelque chose qui surviendra 15 ans plus tard.

Mme Curtis: C'est exact.

La présidente: La situation du conjoint ayant la garde de l'enfant peut changer de façon radicale durant ces 15 ans.

Mme Curtis: Absolument.

La présidente: Voulez-vous dire que, lorsque ce moment arrive, les parents s'assoient et négocient cette dépense particulière?

Mme Curtis: Si les parties signent une entente de séparation, cela est souvent inclus. Cependant, ce n'est pas toujours compris dans une ordonnance rendue par un tribunal. Cette dernière pourrait simplement stipuler un montant de 300 $ par mois à partir d'une date spécifique, avec une augmentation en fonction du coût de la vie. Cette somme est nettement insuffisante pour payer la part des frais de scolarité et des coûts universitaires du parent n'ayant pas la garde de l'enfant.

Les frais de scolarité et les coûts universitaires posent un problème. Ce ne sont pas tous les conjoints débiteurs, habituellement les pères, qui sont disposés à payer la moitié de ces dépenses ou une part proportionnelle. Certains parents déclarent à l'enfant: «Tu as 18 ans et tu dois te débrouiller».

La présidente: Nous connaissons tous des familles qui s'entendent assez bien, dont les deux parents travaillent, et qui ne peuvent cependant pas se permettre de payer des études collégiales à leurs enfants. Ces derniers doivent obtenir des prêts étudiants tout en travaillant.

Le sénateur Bosa: Madame Curtis, vous avez fait allusion aux anomalies contenues dans le projet de loi C-41 et au fait que certaines des dispositions qui y sont proposées n'envisagent ou n'englobent pas toutes les situations possibles. Est-ce que le règlement que le ministre se propose d'adopter à l'occasion couvrirait ces anomalies?

Mme Curtis: Certaines sont couvertes dans le règlement actuel et dans l'ébauche des lignes directrices que nous avons en main, mais certaines ne le sont pas. Un exemple parfait consiste à qualifier ces dépenses de «spéciales ou extraordinaires». C'est un véritable problème. C'est bien d'en faire mention, mais le fait de les appeler «spéciales» pose un problème. Je suppose que le ministre a choisi de les inclure dans le règlement et non dans le projet de loi parce qu'elles pourraient être modifiées plus facilement.

Le sénateur Bosa: Procéder à un examen annuel de la loi, comme vous le proposez, pourrait être souhaitable mais le gouvernement pourrait éprouver de graves difficultés à apporter des modifications chaque année. Il a la prérogative d'effectuer ces modifications au règlement. À la fin de la cinquième année, après avoir recueilli une énorme quantité de renseignements, le gouvernement pourrait peut-être proposer une modification en bloc pour refléter l'expérience acquise au cours des cinq années précédentes.

Vous avez fait allusion à l'anachronisme de deux conjoints qui gagnent 40 000 $ chacun. Dans la grille, on ne fait aucune distinction entre le montant qu'ils doivent payer pour le soutien alimentaire des enfants.

Mme Curtis: C'est exact.

Le sénateur Bosa: Un enfant pourrait avoir 14 ans et un autre 3 ans, d'après ce que vous avez dit.

Mme Curtis: C'est exact.

Le sénateur Bosa: Si le conjoint se plaint que le montant est insuffisant, les dispositions du projet de loi sont-elles suffisantes pour effecteur un ajustement?

Mme Curtis: Les dispositions du règlement permettent au conjoint qui estime que le montant figurant sur la grille n'est pas suffisant de demander davantage. Toutefois, il faudra que quelqu'un embauche un avocat. Il s'avérera très difficile pour les mères ayant la garde des enfants de s'asseoir à la table de la cuisine et de négocier cela. Ce ne sera pas le cas. Les femmes seront fortement désavantagées. Bon nombre de femmes sont incapables de négocier sur un pied d'égalité avec leurs partenaires. Si elles ont les moyens de m'engager, je serai heureuse de le faire pour elles. Toutefois, si elles n'ont pas les moyens d'embaucher un avocat ou de se présenter elles-mêmes devant un tribunal, elles se fieront à la grille. Dans le cas d'un revenu inférieur à 40 000 $, les montants figurant sur cette grille sont très faibles.

Le sénateur Bosa: Y a-t-il des bénévoles communautaires qui aident les personnes qui se trouvent dans une telle situation afin qu'elles n'aient pas besoin de se tourner vers un avocat?

Mme Curtis: J'ose espérer qu'il y en a, mais tous les services communautaires subissent des coupures.

Le sénateur Cools: Vous avez tendance à représenter les femmes; vous ne semblez pas représenter les maris ou les pères.

Mme Curtis: Je ne pourrais pas vivre en travaillant seulement pour les femmes. Je représente de nombreux hommes. En règle générale, les femmes n'ont pas assez d'argent à la dissolution de leur mariage, si bien qu'il est impossible de vivre en représentant uniquement les femmes.

Le sénateur Cools: Vos paroles traduisent la réalité. Il est dommage que ce projet de loi soit si «influencé par le sexe», tout comme l'ensemble du débat.

J'appartiens au groupe qui croit que le droit de la famille et les procédures de divorce ne sont pas un endroit pour les idéologues et les idéologies mais, au fil de vos paroles, vous ne semblez avoir rien dit qui représentait les intérêts d'un seul père parmi tous les cas dont vous avez parlé. Pouvez-vous apporter quelques éclaircissements sur la paternité dans le divorce?

Mme Curtis: Je représente aujourd'hui l'Association nationale de la femme et du droit et cela n'entre donc pas dans le cadre de mon mémoire, sénateur.

Le sénateur Cools: L'Association nationale de la femme et du droit ne s'intéresse-t-elle donc nullement à cet aspect?

Mme Curtis: Cela ne fait pas partie du mémoire que je présente aujourd'hui.

Le sénateur Cools: Vous êtes cependant une avocate et, à ce titre, vous pourriez peut-être répondre à une question. Je fais allusion tout particulièrement à la question de l'ordonnance alimentaire au profit d'un époux et à cette disposition du projet de loi C-41 qui refuse d'envisager la conduite d'un époux dans les montants accordés pour une ordonnance alimentaire au profit d'un époux.

Pouvez-vous me dire quelle serait la position de votre organisme dans un cas comme celui de M. Toby Mutka? Sa femme l'a blessé grièvement en le poignardant. Cependant, il doit continuer à payer une pension alimentaire pour son épouse. Combien de personnes doivent verser à leurs agresseurs une pension alimentaire au profit d'un époux?

Mme Curtis: Je n'ai jamais entendu parler de cette affaire.

Le sénateur Cools: Vous connaissez cependant la disposition contenue dans le projet de loi stipulant que l'on ne peut pas tenir compte de la conduite de l'un des deux époux dans les décisions concernant les montants accordés à titre d'ordonnance alimentaire au profit d'un époux.

Mme Curtis: Oui. La Loi sur le divorce énonce des critères très précis sur la façon de calculer l'ordonnance alimentaire au profit d'un époux et ils n'ont pas été modifiés par ce projet de loi.

Je ne suis pas certaine d'avoir bien compris votre question.

Le sénateur Cools: Dans les cas d'agression féminine extrêmement acharnée et féroce, quelle devrait être l'obligation d'un homme envers cette conjointe? Autrement dit, l'agression est-elle unilatérale?

Dans votre mémoire, vous précisez que les femmes violentées ne devraient pas se retrouver dans une situation les obligeant à garder un contact permanent avec leur mari. Qu'en est-il des hommes dont la vie a été menacée par leur femme? Seront-ils obligés de garder ce contact?

Mme Curtis: Non, ils ne devraient pas. Toutefois, les statistiques démontrent que ce sont surtout des femmes qui sont agressées. Les cas d'hommes agressés par leur femme sont statistiquement insignifiants.

Le sénateur Cools: Citez-moi une étude qui le prouve.

Mme Curtis: Sénateur, cela dépasse la portée du mémoire que je présente aujourd'hui. J'apporte ici une compétence et une expérience particulières, et cela ne relève pas de ma compétence.

Le sénateur Cools: Je me demandais ce que l'Association nationale de la femme et du droit estime être des obligations et des fonctions conjugales dans le cas d'un conjoint qui agresse très gravement son ou sa partenaire.

Mme Curtis: Il s'agit de questions très complexes qui ne font pas partie de ce mémoire.

Le sénateur Jessiman: Vous avez dit que vous représentez certains hommes, y compris des hommes qui sont assez aisés.

Mme Curtis: Oui.

Le sénateur Jessiman: Bon nombre de couples sont composés de deux membres de professions libérales qui gagnent 150 000 $ chacun. Je comprends qu'ils devront verser environ un tiers en impôt, si bien que chacun retirera un revenu net de 100 000 $. Si ce couple a trois enfants et se sépare, le parent n'ayant pas la garde des enfants devra verser 36 000 $, qui ne sont pas déductibles d'impôt. Par conséquent, après avoir payé la pension alimentaire pour les enfants, le parent n'en ayant pas la garde disposera de 64 000 $, soit 32 p. 100 de son revenu gagné. Le parent ayant la garde des enfants conservera ses 100 000 $ après impôt tirés de son emploi et recevra 36 000 $ à titre de pension alimentaire pour les enfants.

Mme Curtis: Où voyez-vous 36 000 $ sur la grille?

Le sénateur Jessiman: J'ai utilisé le Manitoba pour cet exemple. Le parent ayant la garde des enfants conserverait 100 000 $ tirés d'un revenu gagné de 150 000 $ et recevrait 36 000 $ à titre de pension alimentaire pour les enfants.

Mme Curtis: C'est pour le parent ayant la garde des enfants et les trois enfants.

Le sénateur Jessiman: C'est le soutien alimentaire aux enfants.

Mme Curtis: Le montant total dont vous parlez fait vivre un adulte et trois enfants?

Le sénateur Jessiman: Oui, cela fait 3 000 $ par mois pour les trois enfants. Le parent qui en a la garde dispose encore de 100 000 $, soit les deux tiers de son revenu gagné, et reçoit 36 000 $ pour s'occuper des enfants. Le parent n'ayant pas la garde des enfants conserve 32 p. 100 net de son revenu gagné.

Mme Curtis: Je ne peux pas faire ce calcul sans une calculatrice, le logiciel d'impôt sur le revenu de mon ordinateur au bureau et les données. En Ontario, le soutien alimentaire n'atteindrait pas 36 000 $ mais 26 000 $.

La comparaison que vous devriez faire se situe entre le nombre de personnes qu'il faut faire vivre dans chaque foyer. Vous devriez prendre en considération le montant disponible dans le foyer ayant un adulte et le montant disponible dans le foyer ayant un adulte et trois enfants. Le fait de se concentrer sur le pourcentage du montant gagné fausse le fait que les dépenses du foyer ayant un adulte et trois enfants sont nettement supérieures à celles du foyer ayant un adulte.

Le sénateur Jessiman: La grille détermine déjà leur montant. Le parent n'ayant pas la garde des enfants peut aussi demander des dépenses extraordinaires. Il conserve 32 p. 100 de son revenu gagné. C'est injuste.

Mme Curtis: Ce n'est pas vraiment le cas, monsieur, mais je ne me sens pas à l'aise pour répondre à votre question sans disposer de mes outils de travail. Le parent ayant la garde des enfants doit nourrir quatre personnes avec le revenu dont vous parlez: un adulte et trois enfants. Le parent n'ayant pas la garde des enfants doit nourrir un adulte. Si cette situation provoque des difficultés excessives et un niveau de vie différent, le projet de loi permet un calcul fondé sur le niveau de vie.

La présidente: Bon nombre de familles comptant un mari, une femme et quatre enfants vivent avec beaucoup moins de 36 000 $ par an.

Mme Curtis: Je me préoccupe rarement autant que le sénateur des familles citées dans son exemple. Je suis beaucoup plus préoccupée par les familles dont le débiteur gagne au maximum 40 000 $ par an. Les lignes directrices étaient destinées à aider ces familles, mais les montants sont trop faibles pour elles.

Le sénateur Bosa: Avez-vous comparu devant le comité de la Chambre des communes?

Mme Curtis: Oui.

Le sénateur Bosa: Des modifications ont-elles été apportées par suite de votre intervention?

Mme Curtis: Aucune modification n'a été effectuée par le comité de la Chambre par suite de mes commentaires, mais je sais que des fonctionnaires du ministère étudient très sérieusement la définition du revenu. Ils examinent également l'utilisation des termes «spéciales» et «extraordinaires» qui s'appliquent aux dépenses supplémentaires.

Le sénateur Bosa: Avez-vous été consultée avant le dépôt de ce projet de loi devant le Parlement?

Mme Curtis: Le groupe de travail fédéral-provincial-territorial, qui a été mis sur pied il y a trois ou quatre ans, a publié trois ou quatre rapports et l'Association nationale de la femme et du droit a réagi à ces rapports par un mémoire.

Le sénateur Bosa: Merci.

Le sénateur Cools: Vous avez parlé des dépenses spéciales. Que signifie l'expression «soutien alimentaire des enfants»? La pension alimentaire pour enfants est supposée couvrir quoi? Vous avez parlé du père prenant des vacances à Hawaii qui lui coûtent de 6 000 $. Je peux vous citer de nombreux cas de très jolies sommes versées comme pensions alimentaires pour des enfants.

Par exemple, je connais un cas où la mère a l'habitude de passer l'hiver aux Bahamas. En plus de cette dépense, le père doit également payer les frais de scolarité à l'université.

Il y a quelques semaines, j'avais dans mon bureau un père qui verse 3 600 $ de pension alimentaire par mois pour ses enfants. Il habite dans un petit studio. Ce projet de loi n'aborde pas les problèmes entourant le règlement des propriétés.

Mme Curtis: Cela relève de la compétence provinciale.

Le sénateur Cools: Je le sais mais d'autres revenus entrent également en jeu.

Mme Curtis: Vous avez soulevé deux points importants. Tout d'abord, que faisons-nous lorsque le montant de la pension alimentaire pour enfants est injuste?

Le sénateur Cools: Quelles sont les garanties que la pension alimentaire pour enfants sert à subvenir aux besoins de l'enfant? La législation est muette sur ces problèmes, tout comme les groupes de femmes.

Mme Curtis: Non, les groupes de femmes ne restent pas muets sur tous ces problèmes. Le Fonds d'action et d'éducation juridiques (FAEJ) pour les femmes est d'avis qu'il est impossible de faire la distinction entre le bien-être économique de l'enfant et celui de l'adulte avec lequel il vit. On ne peut pas dire que l'adulte mène un certain train de vie et les enfants un autre.

Si le montant est injuste -- et il peut très bien l'être dans les cas dont vous parlez -- c'est ce qui justifie la présence des juges et des avocats.

Le sénateur Cools: Ce n'est pas injuste. Il n'y a rien de mal à voir les gens élever leurs enfants convenablement. Ce qui est injuste c'est qu'un parent utilise cet argent à son propre avantage et non dans le meilleur intérêt de cet enfant. Si un père peut se permettre de verser 3 600 $, je dis «Bravo».

Comment le droit et les lignes directrices prennent-ils connaissance des besoins d'un enfant et quelles sont les protections et les garanties prouvant que l'argent sert, à vrai dire, à élever l'enfant et non à payer les vacances de 2 000 $ à Hawaii?

Mme Curtis: Le comité fédéral-provincial-territorial du droit de la famille a pris en considération ce montant et a constaté que les pensions alimentaires pour enfants sont trop faibles partout au Canada. Cela ne signifie pas qu'il n'existe aucun cas où un montant élevé n'aboutit pas à une circonstance comme celle que vous décrivez. Toutefois, ce n'est ni la moyenne ni le problème généralisé. Ce problème, c'est que nous avons des ordonnances qui sont beaucoup trop faibles pour couvrir le coût nécessaire pour élever des enfants et que les enfants grandissent dans la pauvreté ou dans des circonstances moins bonnes que celles du parent avec lequel ils ne vivent pas.

Le sénateur Cools: La grille envisage cette situation.

Mme Curtis: Le projet de loi et les lignes directrices mettent l'accent sur la résolution du problème qui a été identifié.

Les tribunaux et les avocats sont là pour modifier les montants qui sont trop élevés. La situation que vous décrivez n'est pas très répandue.

Le sénateur Cools: Ceux qui se trouvent à l'autre extrémité du spectre ne représentent pas non plus des situations «très répandues». La règle générale s'applique à tous les gens qui se trouvent au milieu. Bon nombre des gens qui se trouvent au milieu de la courbe souffrent durement dans ces genres de situations. Ils veulent tous savoir comment est dépensé l'argent.

Mme Curtis: Cela va à l'encontre de la théorie de la rupture nette, n'est-ce pas... c'est-à-dire de la responsabilité?

Le sénateur Cools: Non, cela alimente la théorie selon laquelle il ne s'ensuit pas nécessairement que chaque parent ne devrait pas entretenir une relation convenable avec l'enfant, parce que la relation entre les deux parents est rompue.

Ce qui m'inquiète, c'est qu'une grande partie de vos propos et des situations que nous vivons alimenteront une hostilité permanente entre les deux personnes.

Mme Curtis: Si les montants sont faibles, comme je le prétends, ils n'alimenteront aucune hostilité de la part des époux débiteurs. Ces derniers seront généralement satisfaits de cette grille, en particulier ceux qui gagnent 40 000 $ et moins.

Vous avez demandé: Qu'est-ce que le soutien alimentaire aux enfants? Qu'est-il censé couvrir? La grille est-elle censée inclure ces articles dans les dépenses supplémentaires? Aurais-je dû essayer de prévoir un montant pour en tenir compte ou bien ces dépenses ne sont-elles pas vraiment encourues dans la famille moyenne? Il s'agit de questions importantes.

Le sénateur Cools: Est-ce que le fait d'inclure ces dépenses dans le projet de loi constitue une façon de rouvrir la question du soutien alimentaire aux enfants? C'est un problème complexe.

Mme Curtis: Seulement si les gens peuvent se payer des avocats.

Le sénateur Jessiman: Au paragraphe 7 des lignes directrices à la page 7, la garde n'est considérée partagée que si elle représente 50 p. 100 du temps. Je connais un certain nombre de cas dans lesquels le parent n'ayant pas la garde de ses enfants passe trois jours par semaine avec eux. Ces derniers ont leur propre chambre dans sa maison. Cependant, il n'en obtient aucun crédit. Cette personne fait en réalité économiser un certain montant au parent ayant la garde des enfants.

Mme Curtis: La situation que vous décrivez pourrait assurément être qualifiée de garde partagée. L'article 7 précise: «Si les époux se partagent la garde physique d'un enfant en proportion sensiblement égale».

Le sénateur Jessiman: J'ai posé la même question aux représentants du ministère et ils m'ont répondu que cela ne s'appliquerait pas. Cela signifie que les systèmes de trois et quatre jours ne s'appliqueraient pas, mais la question serait différente si les parents se partageaient l'enfant à raison de trois jours et demi chacun.

Mme Curtis: Je serais heureuse d'amener n'importe quand en cour un dossier de trois jours par semaine pour obtenir un jugement de garde partagée.

La présidente: La plupart des appels téléphoniques que j'ai reçus à propos de ce projet de loi provenaient d'hommes. Les femmes se sont probablement rendu compte que leurs préoccupations sont prises en considération dans ce projet de loi.

Certains hommes m'ont dit que leur conjointe ne leur accorde pas le droit de visite même s'ils doivent payer la pension alimentaire de l'enfant. Ils m'ont également avoué qu'ils paient entre 80 et 90 p. 100 de la pension alimentaire. En outre, ils prétendent n'avoir pas été consultés à propos de ce projet de loi. Nos fonctionnaires nous disent le contraire. Ces hommes affirment également que les femmes ne peuvent pas entendre ce que les hommes n'ont pas eu la possibilité de dire.

Mme Curtis: J'espère que vous me laisserez aborder la question de l'accès qui a été soulevée lors des audiences de la Chambre.

Les querelles entourant l'accès ou son refus bénéficient d'une attention disproportionnée par rapport à leur importance. C'est un volet insignifiant du droit de la famille. Il est généralement résolu par les parties elles-mêmes ou par le biais de leurs avocats. C'est souvent le résultat d'une séparation récente par opposition à une séparation ancienne. Il naît généralement pendant les litiges et les négociations alors que les gens sont, très franchement, dans tous leurs états et en colère et ne sont pas encore arrivés à la phase d'acceptation. Une fois que la famille s'habitue après quelques années de séparation, cela arrive rarement.

Les querelles entourant l'accès ou son refus sont à mille lieux du problème de la pension alimentaire pour enfants -- pas devant les tribunaux, pas dans les cabinets des avocats et pas pour les médiateurs. Toutefois, l'un des aspects vraiment déplaisants de cette situation réside dans le fait qu'il existe certaines familles très conflictuelles pour lesquelles l'accès ne se fera jamais sans disputes, colère, hostilité, injures ou transferts désagréables. Ces familles qui entretiennent une grande animosité sont appelées par les avocats des «adeptes de l'hostilité». En général, elles sont très dysfonctionnelles -- c'est-à-dire l'un des parents ou les deux. Elles ne peuvent pas lâcher prise. Cette situation implique un très faible pourcentage de familles, probablement moins de 5 p. 100 et peut-être moins de 3 p. 100. Dans certaines de ces familles, cela ne marchera jamais. Ce n'est pas réparable. Le niveau de conflit qui existe est en permanence préjudiciable pour l'enfant qui souffre à chaque transfert de maison entraînant une dispute. Dans ces familles, il ne devrait probablement pas y avoir d'accès car ce n'est pas dans l'intérêt de l'enfant.

C'est regrettable, mais le système juridique ne résoudra pas ces situations. Nous ne pouvons pas concevoir un système judiciaire qui fonctionnera pour cette minorité. Toutefois, il existe des données empiriques assez intéressantes sur l'accès, même des données canadiennes. Il y a une hypothèse, lorsque l'accès diminue, à savoir que l'on pense que le parent ayant la garde des enfants a quelque peu entravé ou refusé l'accès. En réalité, les parents ayant accès aux enfants n'exercent pas forcément leur droit.

Un pourcentage surprenant de parents ayant accès à leurs enfants ne les voient que quelques fois par an ou une fois par mois. Les données révèlent que le principal problème d'accès est son application qui n'est pas uniforme conformément aux besoins des enfants. Ces derniers ont besoin de stabilité et d'uniformité dans ce contact.

La présidente: Il y a également la question de la commodité.

Mme Curtis: Les données sont tirées d'une étude du ministère de la Justice réalisée par M. James Richardson.

La présidente: Pourrions-nous en obtenir un exemplaire?

Mme Curtis: Elle a été publiée par le ministère de la Justice en 1988 par James Richardson. Il y avait deux études. Il en est également question dans le rapport sur la garde et l'accès rédigé par le comité fédéral-provincial-territorial du droit de la famille.

La présidente: Merci beaucoup.

Le sénateur Bosa: Les montants qu'un époux reçoit pour le soutien alimentaire des enfants sont-ils imposables?

Mme Curtis: Ils le sont actuellement mais les modifications apportées dans le budget en février dernier signifient qu'ils ne seront plus imposables après le 1er mai 1997. Ils ne seront pas déductibles par le parent payeur et ils ne seront pas considérés comme un revenu aux fins d'impôt par le parent bénéficiaire. Toutefois, la situation ne changera pas pour toutes les personnes qui ont des ententes ou des ordonnances en vigueur.

Le sénateur Jessiman: Ils peuvent demander une modification de l'ordonnance.

Mme Curtis: Oui, s'ils peuvent se permettre de payer un avocat.

Dans certains cas, cela s'appliquera. Lorsqu'un volet fiscal était incorporé dans le montant, le jeu pourrait en valoir la chandelle. Toutefois, dans de nombreux cas, aucune reconnaissance n'était accordée à ce montant.

La présidente: Au nom du comité, je vous remercie infiniment pour votre témoignage ce matin.

Sur un autre plan, chers sénateurs, je demande une motion en vue d'approuver le choix des sénateurs Perrault, Cools, Bonnell, Phillips et Cohen à titre de membres de notre sous-comité des affaires des anciens combattants.

Le sénateur Bosa: J'en fais la proposition.

La présidente: Est-ce que tout le monde est d'accord?

Des voix: D'accord.

La séance est levée.


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