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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 17 - Témoignages du 11 décembre


OTTAWA, le mercredi 11 décembre 1996

Le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, auquel a été renvoyé le projet de loi C-41, Loi modifiant la Loi sur le divorce, la Loi d'aide à l'exécution des ordonnances et des ententes familiales, la Loi sur la saisie-arrêt et la distraction de pensions et la Loi sur la marine marchande du Canada, se réunit aujourd'hui à 15 h 10 pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Mabel M. DeWare (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Nous allons poursuivre aujourd'hui notre examen du projet de loi C-41. Les représentants de la Equitable Child Maintenance and Access Society, que nous allons entendre cet après-midi sont Mme Marina Forbister et M. Michael LaBerge. Veuillez faire vos exposés, après quoi les sénateurs vous poseront des questions.

Mme Marina Forbister, présidente, Equitable Child Maintenance and Access Society: Je souhaiterais que notre mémoire écrit soit considéré comme faisant partie de notre exposé oral de manière à ce qu'il puisse être inscrit au compte rendu.

La présidente: Ce sera fait.

Mme Forbister: Nous représentons l'ECMAS, la Equitable Child Maintenance and Access Society, qui regroupe environ 1 500 familles de l'Alberta. Nous avons reçu des demandes de renseignements de la Saskatchewan, du Manitoba et de la Colombie-Britannique. Notre organisation commence à se faire un nom, en particulier dans l'Ouest du Canada. Elle est constituée de 60 p. 100 d'hommes et de 40 p. 100 de femmes. Certains des parents que nous sommes ont la garde de leurs enfants, d'autres pas. Il y a aussi parmi nous des grands-parents ainsi que d'autres membres de la famille élargie.

J'ai moi-même la garde de mes enfants et j'ai la chance de continuer à entretenir de bons rapports avec mon ancien compagnon. Je crois que c'est tout à l'avantage de notre fils.

Le système qui contrôle actuellement le droit familial nous préoccupe et nous souhaiterions aujourd'hui parler plus particulièrement des conséquences défavorables qu'aura, à notre avis, le projet de loi C-41 sur nos situations familiales. Que nous ayons ou non la garde de nos enfants, nous leur sommes dévoués et nous estimons que, ces dernières années, on a trop mis l'accent sur les considérations financières et en oubliant un peu trop tout ce qui a trait à l'accès et aux soins à nos enfants.

Nous vous demandons d'écouter attentivement et sans parti pris ce que nous avons à dire aujourd'hui car il s'agit de questions très concrètes pour nous, de situations que nous vivons quotidiennement. Nous les comprenons parfaitement et nous voudrions vous expliquer comment nous voyons les choses. Nous pouvons dire sans hésitation que nous représentons aujourd'hui de nombreux pères et mères qui n'ont pas la garde de leurs enfants et, aussi, comme je l'ai dit, des parents qui en ont la garde.

Le projet de loi a été déposé dans le but de mettre en oeuvre des mesures qui sont considérées comme étant dans l'intérêt de nos enfants. Cette formule, «dans l'intérêt des enfants», est fréquemment utilisée dans le système légal, et nous voudrions soulever un certain nombre de points qui nous amènent à nous demander si c'est vraiment là la réalité.

Le projet de loi vise à adopter des lignes directrices obligatoires permettant de fixer le montant de la pension alimentaire versée pour les enfants. Les motifs qui les inspirent sont sans doute très louables, mais le processus mis en oeuvre ne permettra pas d'atteindre les objectifs visés et accentuera encore la détresse des familles en difficulté. Pour être valable, une loi sur la famille doit être dans l'intérêt des enfants ou dans celui d'un des parents ou des deux sans causer de préjudice à l'autre parent. Nous allons maintenant vous exposer les raisons pour lesquelles nous croyons que le projet de loi C-41 n'est pas avantageux.

Le projet de loi est conçu pour changer l'infrastructure actuelle, d'où les modifications importantes qui vous sont soumises aujourd'hui. La Loi sur le divorce est en vigueur depuis de nombreuses années, et si le système légal ne fonctionne peut-être pas très bien, la loi elle-même a établi les règlements et les directives relatifs aux divorces. Aujourd'hui, vous avez à étudier les profondes modifications prévues dans le projet de loi C-41. Nous considérons que ces modifications ne devraient pas être présentées sous cette forme. Dans le nouveau système, les modifications seront présentées sous forme de règlements, au lieu d'être contenues dans le projet de loi lui-même, ce qui nous paraît particulièrement discutable car cela exclut la possibilité d'un véritable contrôle et examen par le Parlement.

Le Groupe de travail fédéral-provincial-territorial a été créé en 1990. Nous avons suivi l'évolution de ses travaux. J'ai lu bon nombre des mémoires qui lui ont été soumis, ainsi que tous les sommaires et tous les rapports préparés par le groupe de travail. Le groupe avait pour mandat d'étudier les questions relatives à la garde, au droit de visite et à l'entretien des enfants. Or, au bout de six ans, il n'a encore traité que la question de la pension alimentaire, ce qui ne représente qu'un tiers de son mandat, et bien que notre système légal repose sur le principe selon lequel l'entretien et l'accès sont des questions distinctes, dans le coeur et l'esprit des enfants et de leurs parents et, en fait, de toutes les personnes concernées, les deux questions sont indissociables. L'entretien d'un enfant n'est pas une simple question d'argent, ce qui compte aussi ce sont les soins et le contact quotidien entre parents et enfants. Nous considérons qu'en mettant l'accent sur l'entretien, on a réduit le parent au rôle de «portefeuille ambulant».

Je tiens à souligner que nous ne représentons pas les parents qui refusent de payer une pension alimentaire. Il y a une grosse différence entre la capacité de payer une pension alimentaire et la volonté délibérée de ne pas le faire. Nous savons faire la distinction entre les parents qui ne peuvent pas payer et ceux qui ne veulent pas payer. Nous ne défendons pas ceux qui se refusent à verser une pension alimentaire. N'oublions cependant pas qu'au Canada, ce n'est pas un crime d'être pauvre. Une enquête a montré que beaucoup de parents n'avaient pas les moyens de payer les pensions alimentaires qui leur avaient été imposées.

L'attribution de la garde des enfants à l'un des parents est le principe directeur de l'application du projet de loi C-41. Les enfants deviennent alors une sorte d'enjeu. Nous considérons que si le système était vraiment équitable, les deux parents devraient être considérés comme des partenaires égaux, ce qu'ils étaient avant la rupture. Ils devraient être placés à égalité, au départ. Nous estimons donc que le groupe de travail devrait réétudier les questions de garde et d'accès, car cela constitue un des éléments fondamentaux du système.

Les modifications proposées aujourd'hui auront une incidence sur la vie de nos enfants. Cela me concerne directement, puisque j'ai un petit garçon de 5 ans. Je ne veux pas, dans 20 ans, me retrouver dans l'horrible situation des grands-parents qui, aujourd'hui, se voient refuser l'accès à leurs petits-enfants. Je ne veux pas que mon fils vive sous mon toit parce qu'il n'a pas les moyens d'avoir un logement à lui. Je suis venue ici pour défendre nos enfants et leur avenir; n'oublions pas que les lois que nous adoptons aujourd'hui marqueront la vie de nos enfants.

Je crois que c'est la réponse à la question suivante qui nous donnera la véritable mesure du projet de loi C-41: est-ce que je voudrais que mon fils ou ma fille soit assujettie à ces lignes directrices sans qu'il soit tenu compte du droit de visite ou d'autres situations? La réponse est bien entendu négative. Nous pourrions d'ailleurs poser aussi la question supplémentaire suivante: pourrais-je, en tant que parent, d'un côté comme de l'autre, considérer qu'on me traite de manière équitable? Là encore, je crois que la réponse est négative.

M. Michael LaBerge, secrétaire, Equitable Child Maintenance and Access Society: J'ai un fils de 11 ans et une fille de 12 ans, dont je n'ai pas la garde. Je suis remarié et ma nouvelle épouse a elle-même deux enfants de 10 et 12 ans d'un mariage précédent. À nous deux, nous avons donc quatre enfants. Lorsque nous sommes tous ensemble, nous devenons de véritables chauffeurs de taxi et des cuisiniers, car ces enfants comptent plus que tout dans notre vie.

Comme beaucoup de parents qui n'ont pas la garde de leurs enfants, ces questions m'intéressent personnellement. La formule «qui n'a pas la garde» me déplaît d'ailleurs. Peu importe ce que peuvent dire les autres, je suis le père de ces deux enfants. «Ne pas avoir la garde des enfants» signifie que je n'en ai pas légalement la garde ou, en particulier, que mes enfants ne vivent pas sous mon toit.

Nos enfants sont porteurs d'un message des êtres humains que nous sommes, message qui parviendra en un lieu et à une époque que nous ne connaîtrons jamais. Ils grandiront en s'appuyant sur les lois, les principes et les valeurs que nous mettons en place aujourd'hui. Je ne veux pas que ces principes et ces valeurs soient déformés et créent la méfiance, le ressentiment et l'amertume à l'égard de ceux qui les ont établis.

Ni Marina ni moi-même ne sommes avocats, mais nous avons étudié un certain nombre des propositions contenues dans le projet de loi C-41. Marina est comptable agréée et je suis géologue. Je voudrais tout d'abord parler de l'article 2 et du paragraphe 7(3) du projet de loi C-41 portant création des articles 15.1, 15.2, 15.3 et du paragraphe 19(9) de la Loi sur le divorce. L'article 15.1 proposé porte que «Un époux est responsable du bien-être financier des enfants». «Un époux», pas deux, un seulement. Habituellement, c'est celui qui n'a pas la garde des enfants. Celui qui en a la garde peut donc envisager un gain financier. Un tel changement dressera la mère et le père l'un contre l'autre. Il aura un effet destructeur. Il créera de l'acrimonie entre les parents car il introduit l'idée d'un prix qui sera accordé au parent qui aura la garde des enfants. Si le projet de loi est adopté, le parent qui a la garde pourra prendre de l'argent à l'autre parent. Cette disposition a donc un caractère discriminatoire.

Si je remplaçais «un époux» par une catégorie de personnes de sexe, de préférence religieuse, de couleur ou de croyance déterminée, nous ne serions pas ici aujourd'hui car cela aurait été considéré comme discriminatoire. Actuellement, les parents qui n'ont pas la garde de leurs enfants sont traités comme les fumeurs ou les alcooliques -- nous les harcelons constamment, nous leur faisons les poches et nous leur faisons payer des taxes en conséquence. Eh bien, j'estime qu'il est injuste qu'on nous traite de cette manière. On me prend directement mon argent, ce qui fait qu'il m'est plus difficile de subvenir aux besoins de mes enfants et de participer à des activités avec eux. À cause des conflits que cela créera, le nombre des litiges augmentera. Les lignes directrices établies par le gouvernement visaient en général à réduire les conflits et les tensions et à améliorer l'efficience du processus légal. Cela n'arrivera pas, les deux parents s'affronteront car l'enjeu est important, puisqu'il s'agit des enfants.

Mme Forbister: Je voudrais maintenant parler de l'article 15.3(3) proposé qui donne la priorité aux aliments de l'enfant et précise que la suppression des aliments de l'enfant constituerait un changement dans la situation des ex-époux justifiant une augmentation de l'ordonnance alimentaire au profit de l'époux. C'est injuste car lors du paiement de la pension alimentaire, il a été établi que l'époux qui la verse dispose de moyens suffisants pour le faire. Cette modification signifierait que lorsque le parent cesse de devoir payer les aliments de l'enfant, il doit verser une pension alimentaire à son ex-époux. Cela revient à utiliser comme tremplin la pension alimentaire pour enfant.

Nous croyons également que cette disposition est en totale contradiction avec l'alinéa 15.2(6)d) proposé, qui vise l'indépendance économique. Le paragraphe 15.3(3) dispose qu'après la suppression des aliments de l'enfant, votre ex-époux peut réclamer la prise d'une ordonnance alimentaire à son profit. À notre avis, l'époux devrait être en mesure de subvenir à ses propres besoins.

En vertu du projet de loi, les paragraphes 15(8) et 17(8) de la Loi sur le divorce seront abrogés, ce qui éliminera le fait qu'on reconnaît que les deux parents sont financièrement responsables de leurs enfants. Autrement dit, c'est le parent qui n'a pas la garde des enfants qui sera à 100 p. 100 responsable, sur le plan légal, de subvenir aux besoins de ses enfants, même lorsque ceux-ci seront adultes. En procédant ainsi, vous enlevez aux femmes la responsabilité financière pour laquelle elles se sont tant battues. Cette mesure est discriminatoire à l'égard du parent qui a la garde des enfants, et des enfants eux-mêmes. Les enfants ont le droit de bénéficier de l'affection, des soins et du soutien financier des deux parents. Comment l'élimination de cette responsabilité conjointe pourrait-elle être dans l'intérêt des enfants?

La disposition qui serait ainsi supprimée stipule que «L'ordonnance... vise à prendre en compte l'obligation financière commune des époux de subvenir aux besoins de l'enfant». Comme je l'ai déjà dit, je ne suis pas avocate, je suis comptable agréée chez Price Waterhouse, mais j'ai consacré beaucoup de temps à l'aspect juridique de la question, qui est ici particulièrement important. Si vous êtes favorable à l'abrogation de cet article, vous partez du principe que le parent qui a la garde de l'enfant subvient à ses besoins par le simple fait qu'il vit avec lui. Comment cela serait-il possible? D'un côté, vous dites que le parent qui n'a pas la garde doit être légalement tenu de subvenir aux besoins de l'enfant et de l'autre, vous dites que la même obligation ne s'applique pas au parent avec qui vit l'enfant. Je ne crois pas que ce soit, ni ne devrait être l'objet de la loi.

En vertu du paragraphe 5(2), les juges seront tenus de fournir leurs raisons, par écrit, pour lesquelles ils dérogent aux lignes directrices. Aux termes du projet de loi C-41, l'observation de ces lignes directrices est obligatoire. Dans le cas contraire, les juges doivent fournir par écrit leurs raisons, ce qui impose une nouvelle obligation à notre système judiciaire.

En octobre, Mike et moi-même avons passé quelque temps à la cour du banc de la Reine à Calgary. Plus de 50 requêtes sont inscrites chaque jour au rôle des causes que les juges ont à traiter. Ils n'ont pas le temps de lire les documents ni, bien entendu, de fournir des raisons par écrit. Il leur sera impossible de respecter cette disposition.

L'article 11 adjoint l'article 26.1 à la Loi sur le divorce. Il prévoit l'établissement de lignes directrices concernant la pension alimentaire pour enfants. Le paragraphe 26.1 (1) dispose que le Gouverneur en conseil peut établir des lignes directrices à l'égard des ordonnances pour les aliments des enfants, régir les modalités de paiement, les changements de situation ainsi que la détermination et l'attribution du revenu. Cela signifie que si l'on estime que le montant du revenu indiqué est inexact, on peut fixer arbitrairement un montant. Des pouvoirs aussi vastes vont à l'encontre du processus habituel de l'établissement des lois canadiennes. Une modification des règlements permettra donc de rajuster les politiques budgétaires et bien que cela puisse se justifier dans certains domaines du droit canadien, ce n'est pas le cas dans celui du droit familial.

Nous croyons qu'aucun plafond ne sera fixé aux augmentations ou aux changements, et que si les parents ont l'obligation de subvenir aux besoins de leurs enfants ils doivent pouvoir le faire dans les limites de leurs moyens financiers. Comme le disait Mike tout à l'heure, leurs moyens ne sont pas illimités. Lorsque vous payez une taxe sur les cigarettes, vous êtes toujours libre de ne plus en acheter si la taxe devient trop élevée. Dans le cas qui nous concerne, un tel choix est impossible.

L'article 12 adjoint l'article 28 à la Loi sur le divorce. Il dispose que le ministre doit procéder à l'examen des lignes directrices et de leur application dans les cinq ans suivant l'entrée en vigueur de l'article. Les préjudices subis par les familles canadiennes au cours de cinq ans seront considérables. Nous dressons les pères contre les mères et faisons des enfants l'enjeu de cet affrontement. Où en serons-nous dans cinq ans?

M. LaBerge: J'ai dit tout à l'heure que, si le projet de loi est adopté, un seul époux sera obligé de payer pour les enfants. Pour aggraver encore la situation, les deux lignes directrices, 3.3 à la page 3 et 4.1d), et le paragraphe 1(2) du projet de loi C-41 modifient la définition d'«enfant à charge» et en prolongent l'application jusqu'à l'âge de 18 ans -- ce dont nous convenons car, dans la plupart des provinces, l'âge de la majorité est fixé à 18 ans --, mais les lignes directrices vont plus loin et s'appliquent également à l'enfant qui «poursuit des études raisonnables». Le ministre de l'Agriculture a déclaré publiquement qu'à son avis, des études postuniversitaires peuvent comprendre au moins l'obtention de deux diplômes postuniversitaires et que cela constitue «la poursuite d'une éducation raisonnable».

Autrement dit, vous versez une pension alimentaire au profit d'un enfant qui est déjà un adulte. L'annexe A de notre document est constituée par un extrait du rapport du conseil du premier ministre sur le soutien aux familles de l'Alberta. Ce document a été rendu public par le ministère de la Justice albertain en février 1993, juste avant l'Année de la famille, en 1994. Les pages 88, 89 et 90, en particulier, dressent un tableau des droits et des responsabilités conférés à un jeune adulte de 18 ans dans la province de l'Alberta. Il mentionne également les lois et les articles de ces lois qui confèrent ces droits et responsabilités.

Si vous parcourez la liste, vous verrez qu'un jeune de 18 ans peut être candidat à des élections, diriger une société, devenir administrateur et être poursuivi devant un tribunal pour adultes. Pourquoi cette personne ne serait-elle pas capable de discuter avec ses parents de ses projets d'études postsecondaires et des exigences financières que cela implique? Si l'enfant a été élevé dans un climat amical par les deux parents, de telles discussions ne devraient pas créer de problèmes. Or, le projet de loi C-41 l'interdit. Il dispose arbitrairement que le parent doit automatiquement accepter l'obligation de financer à 100 p. 100 l'éducation de l'enfant, selon la décision du parent qui a la garde.

J'ai fait mes études universitaires grâce à des prêts et à des bourses et, après la première année pendant laquelle mon père m'a aidé à payer une partie de mes frais d'études, j'ai pris des emplois d'été. Arrivé à l'âge adulte, j'avais pour objectif de faire des études universitaires. À toutes fins pratiques, le projet de loi impose aux parents l'obligation de payer les études universitaires de leurs enfants, mais ceux-ci ne sont pas tenus de discuter de leurs projets ou de participer financièrement à leurs études.

Nous considérons que ce changement en ce qui concerne l'âge de l'enfant du mariage est injuste et discriminatoire à l'égard du parent qui n'a pas la garde de l'enfant. Cette disposition réduit les responsabilités qui devraient être acceptées par les jeunes. Elle encourage la prolongation de l'aide alimentaire à l'époux car cela revient à verser à l'époux un revenu qui sera ensuite utilisé au profit de l'enfant.

Mme Forbister: Un des membres de notre groupe verse une pension alimentaire pour un enfant de 30 ans qui fréquente l'université. Quel âge faut-il donc avoir pour assumer ses propres responsabilités? Un autre de nos membres paie une pension alimentaire pour deux enfants. Ces enfants travaillent à plein temps et suivent des cours du soir. Il faut reconnaître, d'ailleurs, qu'ils le font pendant toute l'année. Le juge a décidé qu'ils fréquentent l'université à plein temps et qu'ils ont donc droit à une pension alimentaire.

Nous avons aussi le cas d'une pension alimentaire mensuelle de 850 $ dont 300 $ seulement sont dépensés pour l'enfant et le reste est déposé à la banque par le parent ayant la garde de cet enfant. Il faut que nous mettions fin à de tels abus. L'éducation est un privilège et aussi un droit, mais elle ne devrait pas être considérée comme une nécessité vitale en vertu de la Loi sur le divorce.

M. LaBerge: Je voudrais passer à l'article 22 du projet de loi C-41, qui porte sur l'article 62 de la Loi d'aide à l'exécution des ordonnances et des ententes familiales, en particulier la définition de «Être en défaut de façon répétée». Cette définition s'applique au parent qui n'a pas acquitté intégralement le montant correspondant à trois périodes de paiement, pas nécessairement consécutives, ou qui a accumulé des arriérés d'au moins 3 000 $. Lorsque vous considérez les montants qui devront être versés en vertu des lignes directrices, une personne pourrait être en défaut de façon répétée et devoir des arriérés supérieurs à 3 000 $ au bout de deux mois.

Si le parent qui verse la pension alimentaire perd son emploi et ne parvient pas à faire examiner très rapidement sa situation, il risque de se trouver en défaut de «façon répétée» selon la définition du projet de loi.

L'article 22 porte également sur l'article 69 de la Loi d'aide à l'exécution des ordonnances et des ententes familiales, qui a trait au refus d'autorisation. C'est peut-être là la manière la plus punitive et la plus efficace de traiter les arriérés. Je tiens encore une fois à préciser que nous n'approuvons pas le comportement des personnes qui négligent délibérément leurs obligations lorsqu'elles ont les moyens et la capacité de les respecter. Cette disposition n'aura aucun effet sur ce genre de personnes car vous ne réussirez pas à les retrouver. Ceux qui en pâtiront sont les gens respectueux des lois qui participent à la vie de leur famille et qui paient régulièrement leur pension alimentaire, mais qui connaissent parfois des difficultés financières lorsqu'ils perdent leur emploi.

Certains de nos membres sont chauffeurs de taxi. Ils pourraient perdre de l'argent pendant deux ou trois mois à cause de troubles sociaux dans leur collectivité. Si leur permis de conduire n'est pas renouvelé, ils se trouvent privés de toute source de revenu. Comment un chauffeur de taxi pourrait-il rembourser des arriérés sans même parler de faire les versements qu'il était prêt à effectuer, malgré toute sa bonne volonté? Ce serait tout simplement impossible.

La présidente: Cela relève de la compétence provinciale.

M. LaBerge: Oui, je le sais. Il n'en demeure pas moins que la mesure est punitive, rétrograde et qu'elle pourrait être une arme parfaite aux mains d'un époux vindicatif.

La présidente: Les représentants du ministère de la Justice nous ont dit que c'était uniquement une solution de dernier recours. Je comprends cependant vos inquiétudes.

M. LaBerge: La capacité de révoquer le permis existera et, avec ce règlement, la disposition pourra être modifiée n'importe quand.

L'article 22 porte également sur l'article 71 de la Loi d'aide à l'exécution des ordonnances et des ententes familiales. En vertu de cette disposition, il n'y a pas de droit d'appel si le refus d'autorisation entre en vigueur. Nous jugeons cela inacceptable, non démocratique et discriminatoire.

Mme Forbister: Je voudrais maintenant parler des lignes directrices. Pour bien comprendre les répercussions du projet de loi C-41, il importe de comprendre la valeur du «prix» créé par l'adoption de ces lignes directrices. Le projet de loi fait du temps que nous passons avec nos enfants un simple prix -- nous parlons bien d'un prix: 50 p. 100 vous gagnez, 49 p. 100 vous perdez. Nous pensons que le nombre des litiges relatifs au temps d'accès augmentera parce que l'augmentation ou la réduction de ce temps d'accès donnera lieu à une récompense financière.

La notion même de lignes directrices est tout à fait louable mais nous considérons que les méthodes qui les sous-tendent sont viciées. À la page 4 du sommaire du rapport du Groupe de travail fédéral-provincial-territorial, on peut lire que la méthode de calcul des coûts encourus pour les enfants aboutit à des estimations supérieures à celles d'autres méthodes, ce qui s'explique en partie par le fait que toutes les dépenses sont incluses, y compris les coûts de garderie, et qu'elles s'appliquent aux enfants de tout âge.

Le projet de loi C-41 prévoit des suppléments: la garde de jour, les frais médicaux, scolaires et extra-scolaires. Quelles autres dépenses peut-il bien y avoir? Le Groupe de travail a déclaré que les lignes directrices avaient été établies de manière à inclure ces dépenses, en particulier les frais de garderie. À notre avis, c'est une forme de double paiement; le parent n'ayant pas la garde assumera deux fois les mêmes dépenses.

Dans notre mémoire, nous avons donné des exemples qui montrent que les besoins des enfants varient selon leur âge. Un enfant d'âge préscolaire a besoin d'être gardé à plein temps, ce qui n'est pas le cas d'un enfant de 12 ans. Nous considérons que l'on ne peut pas fixer des lignes directrices applicables à tous les enfants, de la naissance à 18 ans.

On peut en conclure qu'il est difficile de calculer ce qu'il en coûte pour élever un enfant. Pourtant, Statistique Canada dépense des sommes énormes chaque année pour obtenir ces renseignements. Pourquoi ne pas les utiliser? Il serait certainement plus logique d'utiliser des chiffres réels plutôt que de s'appuyer sur une série normalisée de lignes directrices.

Je voudrais maintenant parler de la méthode de base utilisée pour calculer le montant de la pension alimentaire pour enfants. Ce montant est uniquement fondé sur le revenu brut du parent n'ayant pas la garde, habituellement le père. Comme je l'ai déjà dit, je suis comptable agréée, spécialisée dans le domaine de l'impôt sur le revenu, mais depuis quelques années je me spécialise également dans le partage des biens conjugaux et le calcul des pensions alimentaires. Il faut tout d'abord examiner la définition de «revenu». Un salarié et une personne travaillant à son compte peuvent gagner le même montant mais leurs dépenses sont différentes. Elles ne sont pas comparables. On ne tient pas compte des retenues obligatoires telles que les cotisations au Régime de pensions du Canada et à l'assurance-emploi ainsi que les versements au titre de l'impôt sur le revenu. Le revenu brut ne correspond pas au revenu disponible.

Ce calcul est particulièrement important dans le cas d'un second mariage. Il faut s'occuper d'un plus grand nombre d'enfants et tous les enfants d'un même parent devraient pouvoir bénéficier du même soutien. Pourtant, les lignes directrices dont nous parlons donnent priorité à la première famille. Rien n'est prévu pour les familles «reconstituées».

L'effet de ces lignes directrices sur les mères n'ayant pas la garde est particulièrement préoccupant. Actuellement, les pensions versées par ces mères sont très faibles. Cependant, si les lignes directrices sont appliquées de manière équitable, la situation financière de ces femmes deviendra catastrophique.

Dans notre mémoire, nous examinons la question des dépenses du parent qui n'a pas la garde de ses enfants, les coûts très importants d'accès, et les dispositions relatives aux difficultés excessives. Le nombre des litiges augmentera car tout le monde s'efforcera de prouver qu'il est exposé à des difficultés excessives. Je crois que les tribunaux hésiteront beaucoup à reconnaître l'existence de ces difficultés car, ne l'oubliez pas, ils devront fournir par écrit les raisons de leurs conclusions.

En particulier, une récompense financière s'attache au temps passé avec les enfants. Un parent ramène ses enfants le soir chez son ancienne épouse qui en a la garde et celle-ci se contente de les mettre au lit. Comment mesurer la qualité du temps passé avec les enfants? À qui va le crédit?

M. LaBerge: Mes enfants passent de 30 à 40 p. 100 de leur temps avec moi. Ils trouvent un véritable foyer chez moi. Lorsqu'un couple se sépare, on partage les meubles et tout le contenu de la maison de manière à meubler un second logement. Nous ne pouvons pas considérer seulement ce que coûte un logement, puisqu'il y en a deux. Mais si nous abordons la question comme il faut, les enfants auront deux foyers parfaitement normaux.

Nous considérons qu'un certain nombre des recommandations et des modifications sont inconstitutionnelles. Elles manquent d'équité et de justice. Elles sont discriminatoires.

Mme Forbister: Je suis maintenant prête à répondre à vos questions.

Le sénateur Bonnell: Je crois que, dans bien des divorces, les enfants devraient aussi avoir leur avocat. Ils devraient être protégés. Il se peut que l'enfant veuille vivre avec son père mais, parce que le juge a décidé que c'est la mère qui devrait avoir la garde, il est obligé de vivre avec elle. Pensez-vous que les enfants devraient avoir un avocat?

M. LaBerge: Au moment du divorce, un enfant éprouve parfois un sentiment d'abandon et d'insécurité. Nous prenons pour principe qu'il ne devrait pas être mêlé aux problèmes de ses parents. Nous ne pensons pas que ce soit une bonne idée d'avoir encore plus d'avocats. On verse déjà bien assez d'argent à des personnes qui n'apportent rien à la famille. Les avocats passent simplement à l'affaire suivante et il ne reste plus aux litigateurs qu'à panser leurs blessures. Je ne voudrais pas exposer les enfants à ce genre de situation.

Mme Forbister: Si nous prenons la garde partagée comme point de départ, c'est-à-dire une situation où la garde des enfants sera également partagée par chacun des parents, on crée un équilibre qui permet d'éviter le contrôle exclusif des enfants par un des parents.

M. LaBerge: Nous recommandons qu'on envisage la garde partagée au départ. Avant la rupture, les deux époux forment un partenariat et ont décidé de la manière dont ils fonctionneraient dans ce cadre. Les deux parents peuvent travailler, et les enfants n'ont pas nécessairement besoin d'être gardés. Lorsque le mariage éclate, les parents deviennent souvent très possessifs et les enfants entrent dans la catégorie de ce qu'ils considèrent comme ce qui leur appartient. On ne peut pourtant pas les traiter comme des meubles.

Les hommes ont tendance à dire que la femme est le principal dispensateur des soins dans la famille et beaucoup d'entre eux préfèrent donc que leurs enfants ne soient pas séparés de leur mère. Je considère cependant que nous devrions prévoir, au départ, la garde partagée.

[Français]

Le sénateur Losier-Cool: Madame la présidente, j'aurais plusieurs questions, mais je sais que d'autres membres du comité voudraient également poser des questions.

Votre groupe ECMAS représenterait, selon vos dires, 1 500 familles de l'Alberta. Avez-vous une association? Avez-vous du personnel à plein temps?

[Traduction]

M. LaBerge: Non, nous n'avons pas de personnel à plein temps.

Le sénateur Losier-Cool: Je tiens à vous féliciter d'avoir préparé un mémoire complet en aussi peu de temps, d'autant plus que vous n'aviez pas de recherchistes. Êtes-vous subventionnés sous une forme ou sous une autre?

M. LaBerge: Non, nous sommes obligés de gratter nos fonds de tiroir chaque fois que nous voulons tenir une réunion.

Le sénateur Losier-Cool: Avez-vous comparu devant le comité de la Chambre des communes?

M. LaBerge: Non, notre demande a été rejetée.

Le sénateur Losier-Cool: Ma question a trait à l'éducation et au moment où un enfant devient un adulte. Le Sénat étudie également la question de l'éducation postsecondaire, et les étudiants qui ont comparu devant notre comité apprécieraient certainement une aide financière. Je ne suis pas d'accord avec vous lorsque vous dites que l'éducation n'est pas une nécessité vitale.

Mme Forbister: Nous disons simplement que ce n'est pas une nécessité de la vie au terme de la Loi sur le divorce. À 18 ans, un enfant a atteint l'âge de la majorité.

Le sénateur Losier-Cool: Oui, mais vous êtes responsable de leur éducation même après leur majorité.

Mme Forbister: Nous maintenons que c'est une responsabilité morale et non légale.

Le sénateur Losier-Cool: Je n'avais pas bien compris votre raisonnement.

Mme Forbister: Nous demeurons moralement responsables de nos enfants comme c'est le cas au sein d'une famille intacte, mais il n'y a plus de responsabilité légale.

M. LaBerge: Quelles mesures prenons-nous au départ pour aider ces étudiants à se préparer aux responsabilités qui seront les leurs lorsqu'ils atteindront 18 ans et qu'ils entreront à l'université? Dire que le monde doit leur offrir tout cela sur un plateau n'est pas une façon de développer leur sens des responsabilités.

Le sénateur Losier-Cool: Vous ne considérez pas que le projet de loi C-41 est un pas sur la voie en ce qui concerne l'aide aux enfants?

M. LaBerge: Non.

Le sénateur Losier-Cool: Étant donné qu'il y a des milliards de dollars de pensions alimentaires impayées pour les enfants au Canada, que nous suggérez-vous de faire?

Mme Forbister: Nous avons rencontré des représentants du ministère de la Justice de l'Alberta afin de discuter d'un système qui permettrait aux parents, aux enfants et au gouvernement de former un partenariat pour assurer l'éducation nécessaire aux enfants. Ce système serait valable aussi bien pour les familles éclatées que pour les familles intactes. Il remplacerait le régime actuel de prêts aux étudiants. Ce serait en fait un accord négocié sur un pied d'égalité entre les deux parents, le gouvernement et l'étudiant afin de financer son éducation. L'idée a été bien accueillie par le gouvernement de l'Alberta.

M. LaBerge: Lorsque j'étais à l'université, le taux des prêts aux étudiants était très bas. Peut-être serait-il possible que les parents soient cosignataires de ces prêts afin qu'ils assument tous deux la responsabilité du remboursement en cas de nécessité.

Le sénateur Losier-Cool: J'espérais que vous nous suggéreriez un moyen de récupérer les pensions alimentaires pour enfants qui sont en souffrance. Si le projet de loi C-41 ne constitue pas un pas dans cette direction, selon vous, avez-vous une idée de la manière dont on pourrait procéder?

M. LaBerge: Je ne vois pas le rapport avec l'éducation postsecondaire.

Le sénateur Losier-Cool: Il n'y a pas de rapport. Vos avez parlé de prévention précoce -- du règlement de la question avant que les enfants ne parviennent au stade de l'éducation postsecondaire. Ces enfants ont droit à une certaine qualité de vie, et nous considérons que le projet de loi est un moyen de les aider.

Mme Forbister: S'il y a des arriérés lorsqu'ils atteignent 18 ans, la dette ne sera pas éteinte.

Le sénateur Cools: Je vous remercie d'avoir fait un exposé si mûrement réfléchi. Combien d'heures lui avez-vous consacré? On ne vous avait donné que quelques jours de préavis.

M. LaBerge: Nous avons commencé à le préparer vendredi après-midi.

Mme Forbister: Mike et moi l'avons préparé ensemble. Les membres de notre conseil d'administration sont tous des bénévoles qui font tout leur possible pour aider. Ils sont dévoués à leurs enfants et au système. Je tiens à remercier mon conseil de son assistance.

Le sénateur Cools: Vous avez manifestement lu le projet de loi article par article et examiné tous ses éléments. J'ai beaucoup de respect pour une telle approche.

Le sénateur Bosa: Je partage l'avis du sénateur Cools. Vous avez fait un excellent travail. Merci d'être venus de votre lointain Alberta pour témoigner devant nous avec si peu de préavis.

Je voudrais attirer votre attention sur les lignes directrices. Le projet de loi lui-même sera soumis à un examen dans cinq ans et d'autres modifications pourront alors être proposées, mais les lignes directrices seront examinées avant cette date.

Le sénateur Jessiman: Où dit-on cela?

Le sénateur Bosa: Il n'est pas nécessaire que l'examen du règlement soit fait par le Parlement.

Le sénateur Jessiman: Où dit-on cela?

Le sénateur Bosa: Ce sont les fonctionnaires qui nous l'ont dit. Je ne sais pas s'il en est fait mention dans le projet de loi.

Je vous remercie de nous avoir signalé quelques-unes des lacunes du règlement, par exemple, l'âge de la majorité et l'injustice du traitement auquel les parents qui n'ont pas la garde de leurs enfants peuvent être exposés. Vous n'êtes pas le seul groupe à avoir mentionné les lignes directrices. Le projet de loi sera bien sûr adopté, mais le gouvernement tiendra compte de certaines de ces anomalies.

Comme les lignes directrices l'indiquent, le gouvernement souhaitait obtenir des commentaires avant le 15 octobre. Cela n'exclut cependant pas que des mesures correctives puissent être prises dans un bref avenir.

Mme Forbister: Nous recommandons que les lignes directrices soient révisées avant la mise en oeuvre du projet de loi.

La présidente: Je vous remercie. Il est rare que des témoins fassent des recommandations. Il est donc très important et particulièrement satisfaisant pour nous que vous l'ayez fait.

M. LaBerge: Madame la présidente, Mme Forbister et moi-même tenons à vous remercier. Lorsque le groupe de travail a élaboré ces lignes directrices, on ne nous a pas permis de participer au processus, mais vous nous avez rendu foi dans le système en nous invitant à comparaître devant vous aujourd'hui.

Le sénateur Jessiman: Pour la gouverne du sénateur Bosa, il est indiqué que les lignes directrices seront examinées à nouveau dans les cinq ans qui suivront l'entrée en vigueur de cet article.

Le sénateur Bosa: Il s'agit du projet de loi.

Le sénateur Jessiman: Je crois qu'il s'agit des lignes directrices.

La présidente: Nous allons maintenant entendre les représentants de R.E.A.L. Women of Canada.

Mme C. Gwendolyn Landolt, vice-présidente nationale, R.E.A.L. Women of Canada: Madame la présidente, je vous remercie de nous avoir invités à comparaître devant vous aujourd'hui. Ce projet de loi nous inspire de sérieuses réserves. Tout document législatif doit avoir une qualité essentielle, la justice et l'équilibre. Or, il me semble que ce n'est pas le cas ici. Ce projet de loi semble considérer que les hommes qui, dans la plupart des cas, n'ont pas la garde des enfants, sont difficiles, intransigeants et peu dignes de confiance. Il présente au contraire les femmes comme des êtres toujours nobles et vertueux, ce qui n'est malheureusement pas le cas.

Vous noterez que ce projet de loi ne considère que le parent qui n'a pas la garde, c'est-à-dire, dans 85 p. 100 des cas au Canada, le père. En compensation, aucune responsabilité n'est imposée au parent qui a la garde des enfants, c'est-à-dire, presque toujours, la mère. Celle-ci n'a aucun compte à rendre. Toutes les dispositions visent les hommes, ces êtres méprisables qui répugnent manifestement à assumer leurs responsabilités à l'égard de leurs enfants.

Je tiens à souligner, dès le départ, que la plupart des parents, aussi bien les pères que les mères, aiment profondément leurs enfants et veulent assurer leur bien-être. Ce n'est pas du tout le tableau que brosse le projet de loi. Il représente les hommes comme les ennemis des mères et des enfants, des êtres bestiaux que l'on ne peut dresser qu'en mettant en place des dispositions très sévères qui les contraindront à payer.

Cette absence d'équilibre est une des principales critiques que nous inspire le projet de loi. Il ne prévoit aucune responsabilité comparable pour la mère, qui a habituellement la garde des enfants.

L'autre problème est que l'un des principaux objectifs du projet de loi est d'être universel et de fournir des lignes directrices équitables pour l'ensemble du pays. Pourtant, l'article 2 dispose que «l'enfant du mariage» sera défini en fonction de l'âge de la majorité en vigueur dans les différentes provinces. En Colombie-Britannique, il est de 19 ans. En Ontario de 16. Au Nouveau-Brunswick, l'âge de la majorité était autrefois de 14 ans. Je ne sais pas s'il a été changé.

Bien que la justice et l'égalité soient censées régner dans l'ensemble du pays, il demeure que ce sont les lois provinciales qui fixent l'âge de la majorité. Dans de nombreuses provinces, l'enfant atteint l'âge de la majorité à 18 ans mais pas dans toutes les provinces. En Colombie-Britannique, une mère touchera donc une pension alimentaire pour enfants plus longtemps qu'une mère de l'Ontario ou d'une autre province. Cette situation est, en soi, discutable.

L'autre problème que pose ce projet de loi est qu'il prévoit des lignes directrices qui seront fixées par règlement. En tant qu'avocate, je tiens à vous signaler que cela pose un problème car un pouvoir énorme est ainsi conféré par décret ou par un règlement qui ne figure pas dans le projet de loi.

Par exemple, l'article 11 du projet de loi porte que «Le Gouverneur en conseil peut établir des lignes directrices.» Si vous poursuivez la lecture de cet article, vous constaterez que le tribunal est autorisé à agir. Les lignes directrices énoncent ce que le tribunal doit faire. Autrement dit, on utilise des règlements pour contraindre le tribunal à prendre certaines mesures. Il est permis de se demander si une décision réglementaire devrait avoir une telle force exécutoire.

Je crois que c'est en 1972 qu'a été adoptée la Loi sur les textes réglementaires. C'est à cette époque qu'un comité mixte permanent du Sénat et de la Chambre des communes a été établi pour examiner les règlements et les textes réglementaires. Avant même d'aborder le fond du projet de loi, je crois qu'il serait bon de nous demander s'il est bon d'adopter un règlement qui permettrait d'ordonner aux tribunaux de faire certaines choses; la question se pose vraiment de savoir si l'on devrait adopter une loi qui dicte aux tribunaux ce qu'ils doivent faire.

Que se passe-t-il? Il semble y avoir une législation subordonnée qui contrôle les décisions de nos tribunaux au Canada en ce qui concerne la pension alimentaire pour enfants. Est-ce acceptable? Je crois que c'est une question qui devrait être soumise au comité dont je viens de parler. Cela ne ferait certainement pas de mal. Quelqu'un devrait soulever le problème car sa gravité est immédiatement apparente pour un avocat. Il est tout à fait anormal qu'il n'y ait pas de débat. Les questions se régleront dans une atmosphère de secret. Personne ne saura exactement ce qui se passe tant que le décret n'aura pas été promulgué. Chaque famille éclatée devra réagir immédiatement au règlement, et le tribunal devra en faire autant.

L'autre problème que pose ce projet de loi est qu'il vise uniquement le père, alors que, normalement, ce n'est pas lui qui a la garde, et qu'il ignore totalement la mère, qui a normalement le droit de garde. J'ai une longue expérience du droit familial et j'ai maintes fois entendu des parents, en particulier le père qui n'avait pas la garde de ses enfants, déclarer, «Chaque fois que je veux voir mon enfant, elle trouve une excuse pour m'en empêcher», car habituellement c'est l'ex-épouse qui a la garde. «Je ne réussis jamais à voir mon enfant. Je ne suis rien d'autre qu'un portefeuille ou un chèque de paie; je suis déshumanisé; on ne me donne aucune responsabilité et on ne me traite pas comme quelqu'un qui aime son enfant et veut être près de lui.» Ce projet de loi accuse encore la cassure et rend cette situation encore plus apparente, car il ne contient aucune disposition qui oblige la mère à honorer les ordonnances attributives de droit de visite prises au moment du divorce. Le tribunal se contente souvent de dire «Si vous ne réussissez pas à obtenir l'accès, retournez au tribunal», mais cela coûte très cher.

Le paiement de la pension alimentaire pour vos enfants est étroitement lié aux droits de visite du père. L'amour profond qu'il a pour ses enfants l'incite à vouloir jouer un rôle dans leur vie, au lieu d'être ce que l'on appelle avec beaucoup de désinvolture un père style Ronald McDonald, c'est-à-dire un père qui est autorisé à amener son enfant chez McDonald le samedi après-midi, mais qui ne peut jamais le voir autrement.

Le projet de loi renforce donc un grave problème de relations familiales ou de droit familial du fait qu'il ne fait aucune mention de l'accès. Apparemment, le ministre de la Justice aurait dit, «Oh, nous nous en occuperons plus tard.» «Plus tard» n'est pas satisfaisant, car la question fondamentale du partage de l'enfant entre le père et la mère demeure en suspens. C'est donc là un des défauts très graves de ce projet de loi.

D'autre part, aux termes de la Loi sur le divorce, les deux parents sont actuellement responsables de s'occuper de leurs enfants en fonction de leur situation financière. D'un seul coup, il ne reste plus rien de cela, et la femme qui a la garde de l'enfant n'a plus aucune obligation légale. Je ne prétends pas du tout que les mères ne se soucient pas de leurs enfants, mais il y a des exceptions, et, dans l'exercice de ma profession, j'ai vu des mères qui ne respectaient ni l'ordonnance d'accès ni leurs obligations de soins à l'égard de leurs enfants. Il n'est jamais question que l'argent ne soit pas utilisé pour les enfants, mais il est fréquent qu'il ne le soit pas totalement. La mère a aussi des moyens qui lui sont propres, mais elle n'a aucun compte à rendre. Dans la pratique, seul le père est obligé de payer. Aucune mention n'est faite de la mère. La plupart des femmes ne songeraient jamais à utiliser pour elles-mêmes une partie de l'argent destiné à leurs enfants, mais quelques-unes le font, et j'en ai vu. Rien n'oblige la mère de rendre compte de l'utilisation de l'argent ni de respecter les droits de visite du père.

La seule fois où le pauvre père, lorsqu'il n'a pas la garde, a la possibilité de s'exprimer est lorsqu'il fait une demande en vertu des dispositions relatives aux difficultés excessives, mais il faut, pour cela, qu'il aille au tribunal et qu'il prouve le bien-fondé de sa requête. Un des obstacles auxquels il se heurte est qu'il doit présenter un état financier indiquant non seulement son propre revenu et ses besoins financiers mais aussi la situation de sa seconde épouse, s'il s'est remarié. Le revenu de l'épouse d'un homme qui a des enfants d'un premier mariage entre donc en ligne de compte. On peut se demander si c'est justifié. Ce serait certainement une raison de ne pas se marier. Je crois qu'un plus grand nombre de couples se diraient, «Pourquoi nous marier? Ce que je gagne servira à payer la pension alimentaire des enfants de ton précédent mariage.»

Que se passe-t-il lorsqu'il y a aussi des enfants du second mariage? C'est une question que Salomon lui-même aurait bien du mal à trancher. Comment l'argent est-il réparti, lorsque les fonds sont limités? Est-il consacré aux enfants du premier mariage ou à ceux du second mariage? Loin de moi la pensée de dire que les enfants ne sont pas égaux. Il n'en reste pas moins qu'aux termes de ce projet de loi, c'est l'enfant du premier mariage qui a la priorité.

Peut-être est-ce juste, mais je ne le crois pas. Je tiens à vous faire observer que les enfants sont touchés par le premier et par le second mariage, et que les enfants du second mariage sont marginalisés. Leurs besoins et leurs préoccupations ne semblent pas être pris en compte dans ce projet de loi.

Nous avons aussi du mal à accepter le fait que la mère puisse demander des fonds supplémentaires en vertu de circonstances «extraordinaires», c'est-à-dire pour des dépenses de garderie, d'éducation et de soins médicaux. Nous trouvons cela tout à fait bizarre car, après tout, il s'agit bien là de problèmes quotidiens et de dépenses quotidiennes auxquels toute mère doit faire face lorsqu'elle s'occupe de ses enfants. Pourquoi donc avoir une disposition qui lui permet de demander des fonds supplémentaires pour assumer les dépenses normales de l'entretien quotidien de ses enfants?

Il semble bien que le parent qui a la garde des enfants est avantagé par ce projet de loi et qu'il lui est possible d'invoquer des circonstances extraordinaires, alors que l'autre parent ne peut faire état que de difficultés excessives et qu'il doit alors produire un état financier du second conjoint. Le parent qui n'a pas la garde est très vulnérable aux exigences et très exposé aux responsabilités que représentent les enfants du premier mariage, si bien que ses autres enfants et sa seconde épouse se retrouvent souvent marginalisés.

Incidemment, j'ai trouvé que la Loi de l'impôt sur le revenu était mauvaise, mais ce projet de loi ne vaut guère mieux; il est extrêmement complexe. Une de ses dispositions a trait à l'exécution. Il peut être décidé arbitrairement de refuser une autorisation à un homme qui doit 3 000 $ d'arriérés. Cette disposition ne s'applique qu'aux autorisations fédérales et peut toucher un pilote ou un marin. Il n'existe pas de responsabilité comparable pour la mère qui a la garde des enfants si elle refuse l'accès à ceux-ci. Seul l'homme soi-disant coupable perdra son autorisation.

Sur le plan pratique, comment justifier qu'on refuse à un homme une autorisation dont il a besoin pour gagner sa vie, sous prétexte qu'il n'a pas versé la pension alimentaire pour ses enfants? Cela évoque la prison pour dettes de l'époque victorienne, quand on enfermait ceux qui n'avaient pas payé leurs dettes. Cela ne servait à rien au créditeur que le débiteur soit emprisonné, puisqu'il ne pouvait pas payer de toute façon et qu'il perdait ainsi toute possibilité d'emploi et de sécurité. Il me semble que nous assistons à un retour à la prison pour dettes, et que l'homme qui ne paie pas sera voué aux gémonies parce qu'il ne s'est pas conformé au règlement.

En revanche, il n'y a pas de problème pour la mère. La loi l'isole et la protège totalement. Elle n'a aucune inquiétude à se faire. Si elle est pilote, elle n'a pas à craindre qu'une mesure d'exécution soit prise à son encontre si elle refuse l'accès aux enfants.

Ce manque d'équilibre général du projet de loi est profondément troublant. Comme je l'ai dit tout à l'heure, sur le plan constitutionnel, la question se pose de savoir si un règlement peut imposer aux tribunaux de prendre une mesure quelconque. Le projet de loi est injuste à l'égard du couple qui, manifestement, est profondément perturbé par l'éclatement de la famille qu'il formait, et par la peine profonde qu'il éprouve. Avant de commencer à travailler dans le domaine du droit familial et d'être témoin du chagrin éprouvé par la mère et le père, je ne m'étais jamais rendu compte à quel point leur peine pouvait être profonde. Mais tout ce que nous avons devant nous c'est un document totalement à sens unique et qui, sur ce point, est injuste à l'égard d'un des partenaires.

Le Sénat me paraît l'endroit où l'on peut se dire, «Quels changements et recommandations pourraient peut-être être apportés à l'aspect constitutionnel du projet de loi, mais aussi à son fond.» Sans cela, j'ai bien l'impression que si le projet de loi est adopté tel quel, il ne tardera pas à devoir être révisé, car je ne pense pas qu'il soit acceptable pour les hommes, pour les femmes et pour les familles. Il n'est pas pratique; il n'est pas juste; il n'est pas équilibré; il n'est pas utilisable. Tous ceux qui ont touché de près ou de loin à ce projet de loi comprendront qu'il ne s'agit pas d'un document de bon sens, qui traite des êtres de chair et de sang dans leurs rapports ordinaires. Je voudrais donc que ce projet de loi soit corrigé ici même.

Je reconnais effectivement que le délai de cinq ans dont dispose le ministre pour soumettre ses recommandations au Parlement sur le projet de loi, ainsi que le prévoit l'article 12, est beaucoup trop long. Bien trop de mal aura déjà été fait. Si vous ne rectifiez pas dès maintenant ce projet de loi, vous serez confrontés à un problème. Il faudrait que le projet de loi soit réexaminé au bout d'un an, si c'est nécessaire, mais si l'on attend cinq ans, tant de mal aura été fait, il y aura tant de litiges et tant de familles profondément perturbées que je ne pense pas que nous puissions offrir au ministre le luxe d'attendre cinq ans avant de présenter un rapport d'examen.

La présidente: Vous avez dit que ce projet de loi vous autorise à tenir compte du revenu de l'époux du second mariage, mais que le revenu de l'époux du premier mariage n'entre pas dans le calcul de la pension alimentaire pour enfants; est-ce bien cela?

Mme Landolt: Il tient compte du second mariage, et du revenu de l'époux, mais pas du tout de la situation de la première épouse. Celle-ci peut en fait avoir épousé un multimillionnaire, mais cela ne change rien. Aucune disposition ne prévoit qu'elle doive comparaître devant le tribunal et que son ex-mari puisse déclarer, «J'ai un salaire de 40 000 $, et elle a épousé un millionnaire. Pourquoi dois-je continuer à payer?»

Il importe de noter que tous les parents doivent s'occuper de leurs enfants, mais il pourrait certainement y avoir des problèmes. Lorsque la mère a la garde des enfants, elle n'est pas tenue de déclarer qu'il y a un changement de son mode de vie et qu'elle est maintenant multimillionnaire. Seuls le revenu du parent qui n'a pas la garde et celui du second époux entrent en ligne de compte.

Le sénateur Bosa: Je voudrais poser une brève question au sujet de l'article 12. Je suppose que vous étiez là lorsque j'en ai parlé tout à l'heure.

Mme Landolt: En effet.

Le sénateur Bosa: L'article prévoit un examen détaillé au bout de cinq ans, mais cela ne signifie pas qu'il faille attendre la cinquième année. L'examen pourrait avoir lieu au bout de six mois, d'un an ou de deux ans, selon le cas.

Mme Landolt: Vous savez aussi bien que moi que cela ne se passe jamais ainsi. Ils attendent toujours la 11e heure et la dernière minute. Ainsi va le monde. C'est comme cela qu'agissent les ministres, car nous sommes tous humains, après tout. Bien sûr, ils pourraient procéder à cet examen au bout de six mois, mais vous savez comme moi ou, du moins, vous vous doutez bien que cela ne se fera qu'au bout de la cinquième année. En l'an 2001, le ministre de la Justice présentera son rapport. Même s'il est dit qu'il s'agit d'«un maximum», dans la pratique, cela se fera en l'an 2001.

Le sénateur Bosa: Pratiquez-vous le droit de la famille depuis longtemps?

Mme Landolt: Je ne le fais plus depuis un certain temps mais je l'ai pratiqué pendant de nombreuses années. C'était mon domaine de spécialité.

Le sénateur Bosa: D'après votre expérience de la question, est-ce ainsi que le gouvernement procède?

Mme Landolt: D'après mon expérience, et pas seulement dans le domaine du droit de la famille, lorsqu'un ministre est censé présenter un rapport, il attend le dernier moment. Sur le plan pratique, il faut d'abord qu'il décide de s'y attaquer, alors que son calendrier de travail est déjà si chargé. Cela n'a rien à voir avec la loi, ce qui compte, c'est qu'il a un calendrier très chargé et que c'est un être humain comme tous les autres. Personne n'est plus occupé que le ministre de la Justice, par exemple.

Le sénateur Bosa: Avez-vous comparu devant le comité de la Chambre des communes?

Mme Landolt: Je n'étais pas libre, mais mes deux collègues ont comparu devant le comité.

Le sénateur Bosa: Ont-il fait les mêmes observations?

Mme Landolt: Nous en avons changé quelques-unes. Il y a des différences. Nous n'avons pas soulevé le problème constitutionnel de l'adoption d'un règlement qui permet de donner des ordres à un tribunal. Nous avons cependant discuté du fond du projet de loi devant le comité de la Chambre des communes.

Le sénateur Forest: Vous avez tout à fait raison de parler de manque d'équilibre. Je crois cependant aussi qu'il y a un manque d'équilibre lorsque l'on dit que le parent qui a la garde des enfants est toujours la femme, et l'autre parent, l'hoMme Certes, c'est le plus souvent le cas, mais pas toujours. Je ne trouve pas non plus que les hommes soient présentés comme des bêtes sauvages.

Je voudrais faire une remarque au sujet de la notion de défaut. Je ne sais pas si vous avez vu les récentes statistiques de l'Ontario, qui indiquent qu'il y a des millions et des millions de dollars d'arriérés, mais je voudrais souligner la différence entre ceux qui ne peuvent pas payer et ceux qui refusent de le faire. Les chiffres sont assez inquiétants et, en toute honnêteté, il faut faire quelque chose pour que les enfants reçoivent un soutien approprié.

J'ai récemment assisté à une conférence de M. Mustard sur la pauvreté chez les enfants. La situation est désastreuse au Canada. Tout aussi épouvantable est le nombre des familles monoparentales dans lesquelles les enfants vivent dans la pauvreté. La vaste majorité de ces familles ont une femme à leur tête. Cette situation est due en grande partie au non-paiement des pensions alimentaires. Il est donc juste que l'on veille à ce que l'argent soit effectivement versé pour les enfants.

Je suis d'accord avec vous lorsque vous dites, comme l'a d'ailleurs fait le témoin précédent, qu'il n'est pas raisonnable, à notre époque, de prendre pour base une accumulation d'arriérés de 3 000 $ et trois périodes de versement. Les paiements des pensions alimentaires peuvent atteindre 1 700 $ par mois. Il n'en reste pas moins qu'il faut faire quelque chose pour régler le problème des débiteurs qui sont en défaut de manière persistante.

En ce qui concerne le retrait ou le non-renouvellement du permis de conduire, ce sont des mesures que plusieurs provinces appliquent déjà. Mais cela ne relève pas de la compétence fédérale.

Mme Landolt: Vous avez tout à fait raison, mais la vaste majorité -- de 85 à 88 p. 100, selon l'étude -- des parents ayant la garde des enfants sont des mères; ces études indiquent que la mère a la garde des enfants parce qu'elle est le principal prestataire de soins. Je comprends votre remarque et elle est tout à fait valable. Dans la plupart des cas, cependant, il s'agit de pères qui n'ont pas la garde de leurs enfants.

Loin de nous l'idée de dire que ces pères n'ont pas de responsabilités à l'égard de leurs enfants. Cependant, une grande partie des cas de non-paiement sont liés à la question de l'accès. Lorsqu'on les empêche de voir leurs enfants, les parents se laissent aller au découragement.

Un des autres problèmes est dû au changement de l'économie, en particulier en Ontario, étant donné que certaines des ordonnances ont été prises il y a cinq, dix, voire 15 ans. Les pères n'ont pas suffisamment d'argent pour aller au tribunal. Il y a un sérieux problème en ce qui concerne l'aide juridique qui a été sensiblement réduite, en particulier en ce qui concerne les relations familiales ou le droit de la famille en Ontario. La plus grande partie de cette aide est réservée au droit criminel. Ce sont là des problèmes d'ordre humain.

Je reconnais avec vous qu'il faut faire quelque chose pour les enfants. L'éclatement des familles est la plus grande cause de pauvreté. Deux ménages ne peuvent pas fonctionner de la même façon qu'un seul. Cependant, il est difficile de trouver des réponses car c'est à des êtres humains que nous avons affaire. Peut-être devrait-on un jour rendre le divorce plus difficile à obtenir, ce qui obligerait peut-être les gens à faire un plus gros effort pour se réconcilier.

Le divorce sans notion de tort a certainement contribué à augmenter le nombre des divorces, et du même coup, des cas de pauvreté. Il y a là un enchaînement logique. Je ne prétends cependant pas que tout le monde devrait être obligé de demeurer marié. C'est une question d'équilibre.

Étant donné qu'il y a un lien étroit entre le non-paiement des pensions alimentaires et l'accès aux enfants, les dispositions concernant le retrait de passeport ou d'autorisation pourraient être compensées par des sanctions à l'égard de la femme qui refuse l'accès aux enfants.

J'ai poursuivi des maris d'un bout à l'autre du pays parce qu'ils refusaient de payer. Lorsque nous imposions une saisie-arrêt, nous apprenions aussitôt que l'intéressé avait quitté son emploi et était parti à Vancouver. Il y a des gens comme cela.

Je considère cependant que nous n'avons pas trouvé la bonne formule. Il faudrait de meilleures dispositions ou un meilleur équilibre, de manière à assurer un traitement équitable aux deux parties.

Le sénateur Forest: Je suis tout à fait d'accord en ce qui concerne l'accès, car tout le monde sait que, sauf s'il y a une relation de violence, les enfants s'épanouissent mieux lorsqu'ils peuvent entretenir des rapports avec leurs deux parents. C'est indiscutable.

Mme Landolt: Nous constatons que les familles sans père sont une importante cause de problèmes. Le père a vraiment un rôle très important à jouer. La mère aussi, bien sûr. En tant que mère de cinq enfants, j'en suis même tout à fait persuadée, mais j'estime que le père a également un rôle très important à jouer. Malheureusement, de nombreux pères ne peuvent pas tenir le rôle qu'ils souhaiteraient jouer à cause des obstacles que leur oppose une législation très sévère.

La présidente: Je vous ai posé une question au sujet de la seconde épouse. À la page 5 du document de travail, à la rubrique «Difficultés excessives», il est dit que le tribunal peut, sur demande de l'un des époux, fixer un montant pour l'ordonnance alimentaire, après quoi les conditions sont énumérées. Au haut de la page 6, on peut lire:

Le tribunal ne peut appliquer le paragraphe 1) s'il est d'avis que le ménage de l'époux qui invoque des difficultés excessives aurait, par suite de la détermination du montant de l'ordonnance alimentaire en application des articles 3 ou 6, un niveau de vie plus élevé que celui du ménage de l'autre époux.

Mme Landolt: Je l'avais oublié. Vous avez tout à fait raison. La question du niveau de vie est en effet incluse, si ce niveau est inférieur à celui du parent ayant la garde de l'enfant.

Le sénateur Bosa: Pouvons-nous joindre ce rapport au compte rendu?

La présidente: Bien sûr.

Le sénateur Jessiman: Que représentent les lettres R.E.A.L.?

Mme Landolt: Les R.E.A.L. Women of Canada. «R» pour réalistes. «E» pour égales; nous croyons en effet que les femmes devraient être les égales des hommes. «A» pour actives et «L» pour life, c'est-à-dire la vie, en anglais. Notre organisation défend les valeurs familiales. Nous croyons à l'égalité de toutes les femmes. Notre devise est «Equal rights for women, but not at the expense of human rights», c'est-à-dire les mêmes droits pour les femmes, mais pas au prix des droits de la personne. C'est la raison pour laquelle nous sommes ici. Nous sommes venus vous dire «Oui, nous croyons à l'égalité pour les femmes, mais pas aux dépens de quelqu'un dont on fera une victime parce que des droits supplémentaires auront été accordés à un seul élément de la société».

Le sénateur Cools: Combien de membres avez-vous?

Mme Landolt: Il y en a environ 55 000 au Canada; ce sont des familles, des particuliers et des groupes. Nous sommes interconfessionnels et non sectaires. Nous sommes constitués sous le régime de la loi fédérale depuis 1983 et avons toujours été financièrement autonomes. Nous n'avons pas eu autant de chance que les féministes plus radicales, qui obtiennent toutes des subventions fédérales. Nous devons donc pratiquer une bonne gestion. Nous sommes une organisation de base populaire composée de bénévoles et qui agit par souci de l'avenir de notre société.

Le sénateur Cools: Votre exposé était excellent, bien pensé et, si vous me permettez de l'ajouter, plein de bonté et de compassion. Je vous remercie de nous avoir signalé le risque que l'utilisation des lignes directrices ne compromette l'indépendance judiciaire. Ces lignes directrices sont en fait des instructions données aux juges en ce qui concerne leurs décisions et leurs conclusions.

J'aurais aimé poser cette question aux témoins précédents, mais le temps ne l'a pas permis. Peut-être pourriez-vous me répondre vous-même. Il s'agit de la définition des arriérés persistants. Selon le témoin précédent, c'est une situation dans laquelle on pourrait se retrouver très rapidement.

Avez-vous étudié cette question? Pourriez-vous ajouter quelque chose à ce sujet?

Mme Landolt: Si vous avez deux ou trois enfants, il est très facile d'accumuler 3 000 $ d'arriérés sans avoir la possibilité de demander au tribunal de réduire le montant. Il n'y a donc aucune échappatoire, et avant que vous ayez le temps de vous retourner, vous voilà privé de votre permis ou de votre passeport. C'est faire bon compte de la réalité.

Par exemple, il se peut qu'une ordonnance du tribunal ait été prise à votre égard en 1977, mais qu'à cause d'un changement de situation -- vous avez perdu votre emploi ou vous avez d'autres responsabilités ou des dettes, ou autre chose -- il vous est maintenant impossible de verser la pension alimentaire mensuelle pour vos enfants. Il suffit d'un arriéré de 3 000 $ pour que vous ayez immédiatement de graves difficultés. Il n'est pas possible de retourner devant le tribunal pour faire réexaminer le jugement ou le montant de la pension alimentaire. D'un seul coup, sans avoir le temps de faire le moindre geste, vous êtes en sérieuse difficulté. Cela exacerbe considérablement le problème pour le père car il se retrouve avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête avant de pouvoir chercher une solution au problème ou de demander au tribunal de réduire l'ordonnance ou de la modifier sous une forme ou sous une autre. Le point essentiel est que le père voudrait bien obtenir une révision de l'ordonnance mais qu'il n'a pas le temps de le faire ou de se présenter devant le tribunal pour obtenir un rajustement de sa dette.

Le sénateur Cools: Comment pourrions-nous améliorer ces articles du projet de loi?

Mme Landolt: En ce qui concerne l'exécution?

Le sénateur Cools: Oui, en ce qui concerne la définition des arriérés persistants.

Mme Landolt: J'ai du mal à accepter que le retrait de passeport ou d'autorisation constitue un élément important d'exécution dans ce projet de loi, car cela rappelle beaucoup la prison pour dettes. Cependant, si l'on veut maintenir cette disposition, il faudrait en adopter une autre qui donne au parent n'ayant pas la garde la possibilité, ou le temps, de demander une modification de l'ordonnance ou un rajustement de sa dette, afin de trouver une formule de paiement plus efficace.

À mon avis, il manque un article complet dans la partie réservée à l'exécution. En effet, rien n'est prévu pour tenir compte de la situation réelle des parents qui n'ont pas la garde de leurs enfants. Je n'ai aucune pitié pour celui qui n'a pas d'excuse et qui a les moyens, mais dans bien des cas, il s'agit de personnes qui sont incapables de payer et que viennent soudainement frapper les foudres de la justice. Nous souhaiterions qu'il y ait une disposition permettant de modifier les délais dans lesquels cette personne peut présenter une requête au tribunal, de manière à ce que le tribunal puisse régler la question sans lui enlever son permis ou son passeport, ce qui est horrible. Comme nous l'avons fait remarquer, il n'y a pas d'appel, et c'est terrifiant. S'il ne paie pas, le parent est perdu; il est coulé à tout jamais. Ce projet de loi ne prévoit pas de droit d'appel. Peut-être devrait-on prévoir que si l'autorisation a été retirée, il est possible d'interjeter appel de la décision. Ce serait peut-être une manière plus humaine de traiter la situation.

Le sénateur Cools: L'impossibilité de faire appel m'apparaît tout à fait extraordinaire. La délivrance d'un passeport est un acte entre Sa Majesté et un sujet de Sa Majesté. J'ai essayé de comprendre pour quelle raison un ministre ou un gouvernement, quel qu'il soit, s'aventurait dans un tel domaine, puisqu'il s'agit essentiellement de la prérogative royale. Avez-vous des idées là-dessus? Pourquoi nous attaquons-nous aux passeports?

Mme Landolt: Vous avez raison; c'est une question de prérogative royale; pourtant, aux termes de ce projet de loi, le gouvernement peut se contenter d'un règlement -- et non pas d'une loi -- pour supprimer ou modifier une prérogative royale, ce que je trouve inquiétant.

La mesure paraît tout à fait draconienne. Personne n'en aura connaissance avant qu'elle ne soit adoptée, car elle ne fait pas l'objet d'un débat et n'est pas rendue publique, et je doute que beaucoup d'entre nous lisent la Gazette pour découvrir ce que sont les règlements. Quatre-vingt-dix-neuf pour cent des Canadiens n'auront aucune idée de ce que le règlement contient jusqu'au moment où les agents d'exécution leur tomberont dessus. Il serait de loin préférable de pouvoir appliquer une loi. Cela permettrait aux gens d'être au courant puisque la question serait débattue par les deux Chambres.

Je tiens aussi à mentionner que, pour la première fois de notre histoire, les sénateurs et les députés seront touchés par les dispositions de ce projet de loi. Personne ne l'a jamais fait auparavant. Le salaire d'un sénateur ou d'un député pourra être saisi. Leurs droits sont donc compromis, mais encore une fois, ce sera par le jeu non pas d'une loi mais d'un simple règlement.

Le sénateur Cools: Je suis ravie que Mme Landolt nous ait amenés sur ce terrain, car ce projet de loi contient un certain nombre de points assez discutables. J'attendais que quelqu'un les relève. Je tiens à vous dire encore une fois combien j'ai été frappée par la qualité de votre étude et de vos recherches et par l'attention que vous avez accordée au projet de loi.

Je me demande, honorables sateurs, si ce projet de loi ne va pas avoir la distinction sans précédent de placer le Sénat et la Chambre des communes sous le coup d'une loi. C'est une question que je rabâche depuis des années.

Puisque Mme Landolt a soulevé la question, et que je le fais moi-même pour la première fois au sein de ce comité, nous pourrions peut-être demander à notre légiste ou au président de notre comité des privilèges d'étudier la question, mais il faudrait que quelqu'un au Sénat se penche sérieusement là-dessus. Je n'ai encore jamais vu de loi du Parlement dont l'application s'étendait au Sénat du Canada.

Le sénateur Phillips: Je crois que nous devrions consulter un juriste.

La présidente: Le ministre doit comparaître demain.

Le sénateur Cools: Peut-être découvrirons-nous qu'il ne sait pas grand-chose à ce sujet. S'il a pris l'initiative de placer le Sénat et la Chambre des communes sous son autorité, je doute qu'il nous donne un avis impartial sur les droits du Sénat qui font l'objet d'un empiétement.

La présidente: Pouvons-nous attendre demain pour consulter un juriste?

Le sénateur Cools: Oui, à condition de convenir d'étudier la question. Ce n'est pas la première fois que les ministères se livrent à ce petit jeu. Il faut les envoyer promener de temps à autre, et je n'hésiterai certainement pas à le faire pour ce ministère.

La présidente: Il sera inscrit au compte rendu que nous allons solliciter un avis juridique.

Le sénateur Cools: Je voudrais participer au choix de la personne à consulter. Il est regrettable que le sénateur Forsey ne soit plus avec nous.

[Français]

Le sénateur Losier-Cool: Je serai très brève. Je pense que vous avez répondu en partie à ma question, lorsque la présidente vous a questionné au sujet des deuxièmes mariages. La mère a la garde des enfants, elle se remarie avec quelqu'un qui est assez bien, un millionnaire, et je crois que vous avez utilisé le terme «well off».

Je n'ai cependant pas compris quelle serait la responsabilité du père des enfants? Je ne parle pas du père adoptif ou du père millionnaire, mais du père des enfants. Est-ce que vous accepteriez qu'il soit encore responsable financièrement ou s'il n'a pas besoin d'être responsable à ce moment-là? On lui enlèverait alors sa responsabilité d'être père.

[Traduction]

Mme Landolt: Je crois que le père est toujours responsable. Que la mère se remarie avec un millionnaire ou quelqu'un d'autre, cela ne fait aucune différence. Le père a toujours le devoir d'assurer aux enfants un niveau de soutien correspondant à sa capacité de payer. Toutefois, sa capacité est peut-être considérablement diminuée. Il a peut-être fondé une deuxième famille et il a d'autres enfants à entretenir. Je ne soutiendrai jamais qu'un homme n'est pas responsable des enfants qu'il a fait naître. Il est absolument essentiel que son soutien financier soit maintenu.

Le sénateur Losier-Cool: Est-ce que vous insinuez que seuls les hommes peuvent être titulaires de permis dans les listes de lois que vous fournissez?

Mme Landolt: Non, pas du tout.

Le sénateur Losier-Cool: C'est ce que j'avais cru comprendre de votre intervention.

Mme Landolt: Un des membres de notre association est pilote professionnel. J'ai fait valoir que la majorité des payeurs de pension récalcitrants sont des hommes, puisque la plupart du temps ils n'ont pas la garde. Je ne dis pas que les femmes ne peuvent pas être pilotes, par exemple.

Le sénateur Losier-Cool: La liste n'a pas été dressée pour régler la question des hommes, mais plutôt pour régler la question du non-paiement.

Mme Landolt: En l'occurrence, très peu de femmes seront concrètement touchées par cette mesure, sinon aucune.

Le sénateur Lavoie-Roux: J'ai cru vous entendre dire, à la fin de votre témoignage, que votre organisation était axée sur la famille?

Mme Landolt: En effet.

Le sénateur Lavoie-Roux: Je me rends compte que vous avez lu ce projet de loi plus attentivement que moi. L'un des principaux objectifs du projet de loi est de préciser les responsabilités financières du parent qui a la garde et celle du parent qui n'a pas la garde. Est-ce que le projet de loi propose aussi des mesures à l'appui de la famille, la médiation par exemple?

Mme Landolt: Le projet de loi est muet en ce qui concerne la médiation, les compromis ou d'autres mécanismes applicables à la situation. C'est un projet de loi dur, intransigeant, draconien. Il affirme simplement que si vous ne faites pas telle et telle chose, telle autre chose se produira. Il faudrait peut-être réviser le projet de loi et y inclure la médiation.

Je sais que certaines femmes s'opposent à la médiation obligatoire, parce qu'elles devraient alors rencontrer un conjoint auteur de mauvais traitements, par exemple. Toutefois, il est sans doute possible de prévoir une telle mesure. Si la médiation échoue ou si le couple refuse la médiation, d'autres dispositions pourraient être prises.

Le sénateur Lavoie-Roux: Madame la présidente, vous avez demandé au témoin si elle avait présenté le même témoignage à la Chambre des communes. Avant que la Chambre des communes ne nous envoie ce projet de loi, les députés ne doivent-ils pas tenir compte des témoignages qu'ils ont entendus?

La présidente: Le comité a fait certaines recommandations, mais aucune n'émanait d'un député. C'est le comité lui-même qui a fait les recommandations, avant l'adoption du projet de loi.

Le sénateur Lavoie-Roux: Mais il ne s'est rien passé, ou a-t-on fait quelque chose par la suite?

La présidente: Le projet de loi a été amendé.

Le sénateur Lavoie-Roux: A-t-il été amendé à votre satisfaction, madame Landolt?

Mme Landolt: Pas du tout. Lorsque nous avons comparu, nous avons contesté le fait que les lignes directrices s'appliquent uniformément aux enfants, quel que soit leur âge. Nous avons proposé des lignes directrices adaptées selon que l'enfant à trois ans ou 15 ans. Certains membres du comité ont jugé cette idée absurde, mais tous les parents savent bien que les besoins financiers d'un enfant de 16 ans sont beaucoup plus importants que ceux d'un enfant de trois ans. Ces députés ont cessé de nous attaquer parce que nous n'aimions pas le fait que les lignes directrices ne soient pas modifiées en fonction de l'âge. Ils ne semblent pas avoir compris les préoccupations que nous avons exposées, et ces préoccupations nous les exprimons de nouveau devant vous aujourd'hui. Les députés ne semblaient pas conscients du déséquilibre. Ils ne se souciaient pas du manque d'équilibre du projet de loi. Nous aurions aimé qu'ils soient plus ouverts à cet égard.

Le sénateur Lavoie-Roux: J'ai l'impression, madame la présidente, que tout cela va nous revenir. De nombreux témoins nous ont dit qu'ils avaient comparu devant le comité de la Chambre des communes. Pourquoi se plier à ce processus, si cela est inutile? Mais là n'est pas la question; il n'est pas nécessaire d'en parler maintenant, mais je crois que le comité devrait s'interroger à ce sujet.

La présidente: Nous espérons que cela sera d'une certaine utilité. Il est bon que nous entendions ces témoignages, et nous avons besoin d'entendre, nous-mêmes, ce que les témoins ont à dire.

Le sénateur Bosa: Nombre des anomalies du projet de loi sont liées au fait que certaines personnes ne respectent pas les règles. Ne croyez-vous pas qu'il est difficile de légiférer pour régir des comportements -- l'honnêteté et l'équité? N'est-ce pas là le noeud du problème pour une bonne partie de ce que l'on reproche au projet de loi, pour les mesures apparemment injustifiées?

Mme Landolt: Je crois que les comportements peuvent être modifiés par la loi. S'il n'y avait pas de loi qui interdit de tuer ses semblables, par exemple, tout le monde assassinerait sa grand-mère ou dévaliserait son voisin. Mais je crois que la loi peut être juste, elle peut être équilibrée. On peut y parvenir si l'on a à coeur l'intérêt de toutes les parties. Beaucoup de lois donnent d'excellents résultats et tentent de tenir compte des préoccupations de tous les intéressés.

Le sénateur Bosa: Je faisais plus précisément allusion à ce que vous nous avez dit au sujet du parent qui n'a pas la garde et qui, lorsqu'il veut exercer son droit de visite, s'entend répondre par l'autre parent, «Je suis occupé, j'ai un rendez-vous», ou une autre excuse de ce genre pour ne pas respecter les règles. Que peut faire la loi dans ces cas-là?

Mme Landolt: Ce que je recommanderais, c'est que la loi prévoie, d'une façon ou d'une autre, une responsabilité correspondante dans le cas des ordonnances attributives de droit de visite, afin que ces ordonnances soient respectées. S'il y avait une disposition exigeant le respect des ordonnances attributives de droit de visite et si le parent qui n'a pas la garde refusait toujours de payer, je pourrais comprendre que l'on veuille intégrer dans la loi ces dispositions sévères; toutefois, lorsque je vois qu'il n'y a aucune responsabilité n'est imposée au parent qui a la garde, je constate un déséquilibre. On pourrait ajouter une disposition équitable, et je crois que les parents s'y plieraient.

Là encore, comme je l'ai dit, la loi peut modifier le comportement. Si le parent qui a la garde sait que, s'il refuse à l'autre parent de visiter l'enfant, il risque d'avoir maille à partir avec la loi, je crois qu'il donnerait beaucoup plus souvent son consentement et qu'il n'invoquerait pas autant d'excuses pour expliquer que l'enfant ne peut être vu.

La présidente: Nous voulons vous remercier d'être venue témoigner aujourd'hui devant le comité. Nous vous en sommes très reconnaissants.

Nous allons maintenant entendre notre dernier témoin, M. Philip Epstein, avocat et ex-président de la section du droit familial de l'Association du Barreau canadien en Ontario. Il siège actuellement au comité mixte de la magistrature et du barreau chargé d'étudier le droit de la famille à la Division générale de Toronto. Il est en outre membre du comité des règles de pratique en droit de la famille à la Division générale de l'Ontario.

M. Philip Epstein: Honorables sénateurs, je me présente devant vous aujourd'hui à titre de particulier et de spécialiste du droit de la famille, parce que je suis inquiet, de ce que l'on dit au sujet du projet de loi, d'après les échos qui m'en sont parvenus à Toronto. Je crois qu'on interprète très mal le projet de loi. Comme il s'agit d'un projet de loi d'une importance extrême pour tous les Canadiens, j'ai pensé qu'il serait peut-être utile que je vienne vous en parler aujourd'hui.

Ces 13 dernières années, j'ai dirigé l'enseignement du droit de la famille aux avocats qui sortent des universités ontariennes; j'ai eu l'honneur de former environ 10 000 avocats en droit de la famille au cours de cette période. J'entretiens des contacts étroits avec les spécialistes du droit de la famille et l'appareil judiciaire. Je veux vous présenter un autre point de vue que celui exposé par certains des intervenants des deux ou trois derniers jours.

Vous constaterez que je m'écarte notablement de la position adoptée par les intervenants qui m'ont précédé et je dois ajouter, malgré le respect que je leur dois, qu'on comprend souvent très mal le projet de loi. Il n'est possible de bien saisir l'intérêt du projet de loi pour les Canadiens que si on a étudié à fond le document. J'ai été surpris par certains éléments de quelques questions et par certaines des réponses fournies, et je vais y réagir.

Premièrement, il faut bien comprendre que le projet de loi vise essentiellement à protéger les droits des enfants de notre pays. Il uniformise le traitement des pensions alimentaires pour enfants, une question qui a perdu tout intérêt dans des pays régis par la common law. Le Canada est l'un des derniers pays de ce type à adopter des lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants. Ce n'est plus un débat dans la plupart des pays régis par la common law parce que tous ont reconnu qu'on ne peut laisser les parties s'entre-déchirer au sujet de la question de la pension alimentaire pour enfants. Un gouvernement responsable se doit de rédiger un texte législatif qui permet aux parties de savoir dès les débuts du divorce quels sont leurs droits, leurs rôles et leurs responsabilités.

Si vous adoptez une formule pour le calcul de la pension alimentaire pour enfants, si cette formule est équitable, raisonnable et objective, si vous offrez certaines garanties légales pour qu'un juge puisse prendre une décision différente en cas d'aberration, vous facilitez le règlement rapide du conflit familial au sujet des enfants et du soutien aux enfants. C'est la mesure la plus importante que contient le projet de loi et c'est une mesure dont nous avons vraiment besoin dans notre pays.

L'Australie, l'Angleterre, la Nouvelle-Zélande et, surtout, les États-Unis reconnaissent depuis longtemps que c'est la façon d'aborder la question du soutien aux enfants: définir des lignes directrices et les appliquer. Qui en profite? Les parties, parce qu'elles disposent immédiatement d'une formule qui règle les questions des pensions alimentaires pour enfants. La population dans son ensemble, parce que l'on réduit ainsi le fardeau déjà trop lourd de l'appareil judiciaire et que l'on n'oblige plus les intéressés à s'adresser aux tribunaux pour régler des questions de soutien aux enfants. Les travailleurs du système judiciaire, parce qu'ils peuvent reporter toute leur attention sur les cas aberrants ou difficiles. La population, parce qu'il y a moins d'affaires matrimoniales soumises aux tribunaux de la famille.

Le sénateur Bosa a raison de dire que la loi peut modifier le comportement, mais dans le domaine du droit de la famille il est difficile d'élaborer des lois qui modifient les comportements en ce qui concerne la garde et les droits de visite. Aucun pays régi par la common law -- j'oserais même dire aucun pays au monde -- n'a réussi à concevoir une loi qui empêche tout litige entre les parties au sujet des droits de visite. Pour régler les problèmes liés aux droits de visite, on a recours à la médiation, à des méthodes de règlement extrajudiciaire des différends et à des campagnes d'information publique. Il faut aussi enseigner très tôt aux gens à aborder les problèmes sans acrimonie.

Permettez-moi de vous prévenir que vous courez à l'échec si vous tentez d'imposer une loi punitive qui fait peser la menace de sanction sur les personnes qui font obstacle aux visites. Vous ne saurez jamais pourquoi la visite a été refusée. Vous ne saurez jamais qui a commencé la querelle. C'est pourquoi, en 1968, le Canada a opté pour le divorce sans notion de tort avec beaucoup de sagesse.

Il y a des années de cela, un juge anglais très distingué a déclaré à un mari qui se plaignait de sa femme adultère qu'il fallait être trois pour qu'il y ait adultère. Certains ont cru qu'il parlait d'un ménage à trois, mais en vérité il faisait allusion au fait que le comportement d'une personne peut en pousser une autre à changer le sien.

Il n'est plus possible d'en revenir à la notion de tort en droit de la famille. Il faut prendre les questions comme elles sont et aider les parents à régler leurs différends. Une formule dont les parties peuvent s'inspirer constituerait un net progrès pour le règlement des conflits.

On parle beaucoup du fait que le projet de loi fait peut-être des hommes des boucs émissaires. À titre de spécialiste du droit de la famille, j'ai de la difficulté à accepter cette notion. En tout premier lieu, je considère le projet de loi équitable. Les législateurs ont tenu pour acquis ce qui est de toute évidence accepté par la société canadienne: le parent qui a la garde consacre les ressources qui sont mises à sa disposition pour veiller au bien-être des enfants. Toutes les études économiques réalisées par le comité du droit de la famille et Justice Canada à cet égard montrent que les parents qui ont la garde consacrent aux enfants les ressources qu'ils ont, sinon plus.

Le projet de loi stipule simplement que les parents qui n'ont pas la garde doivent faire leur part pour assurer un niveau de vie adéquat aux enfants. Dans les cas de garde partagée, et certains des intervenants qui m'ont précédé en ont parlé, il semble que l'on comprenne mal l'effet du projet de loi.

La garde partagée reçoit un traitement distinct des cas réguliers en vertu de cette loi et des lignes directrices. Dans les cas de garde partagée, le tribunal peut examiner la façon dont les responsabilités sont divisées entre les deux familles. Si la garde est partagée de façon à peu près égale, les lignes directrices ne feront de tort à aucun des deux parents. En fait, elles contribueront à déterminer le niveau approprié de soutien dans les cas de garde partagée.

Il convient de signaler que ces lignes directrices ont été émises par Justice Canada en 1995 sous forme d'avant-projet de loi. Elles ont été largement utilisées dans tout le pays, en particulier en Ontario, parce que les juges en sont très satisfaits, que les avocats en sont très satisfaits et que les clients les considèrent utiles pour régler leurs différends. On a constaté une accélération des règlements concernant les pensions alimentaires pour enfants. Les juges ont souvent ces lignes directrices à portée de la main sur leur bureau. Ils veillent bien à préciser que le document n'a pas encore force de loi, mais ils l'appliquent dans une large mesure partout au Canada pour fixer le niveau adéquat de soutien.

Il faut signaler que les législateurs ont prévu dans le projet de loi une période d'examen. Chaque fois que nous adoptons une loi de ce genre, il faut quelque temps avant de pouvoir établir si les lignes directrices ont exactement l'effet voulu. Il sera nécessaire, de temps à autre, de les modifier un peu. Toutefois, avant d'adopter et d'appliquer une formule dans l'ensemble du pays, il est très difficile de la modifier puisque nous ne savons pas exactement quels résultats elle donne.

Il est essentiel que le gouvernement fasse tout son possible dans le domaine du droit de la famille pour faciliter le règlement rapide des conflits. Les Canadiens n'ont rien à gagner des poursuites vindicatives et coûteuses dans le domaine du droit de la famille. Nous avons tous entendu des histoires d'horreur. Nous considérons tous que le divorce cauchemardesque est le pire malheur à souhaiter à une famille.

Il faut commencer par créer une loi juste, équitable et, surtout, prévisible. Si les personnes qui se séparent savent ce qui se passera lorsqu'elles se présenteront devant les tribunaux, elles ne s'adresseront pas aux tribunaux. Si les intéressés connaissent d'avance le résultat de poursuites coûteuses, ils n'entameront pas de poursuites coûteuses. S'ils savent à quoi s'attendre en cas de séparation, ils concluront des accords de séparation; ils élimineront cette question des négociations; cela réduira d'autant le nombre des questions au sujet desquelles ils peuvent livrer bataille.

Si vous réduisez progressivement le nombre des questions qui font l'objet de litiges, vous réduirez la charge de travail considérable des tribunaux et l'hostilité entre les familles.

Nous ne pouvons rien faire pour ce qui est du taux élevé des divorces au Canada ni dans les autres pays régis par la common law. Malheureusement, les taux de divorce resteront sans doute élevés.

Ce que nous pouvons faire, à titre de gouvernement responsable, c'est de chercher à définir par une loi un cadre prévisible, certain et objectif. La loi actuelle en ce qui concerne les pensions alimentaires pour enfants est tout simplement un désastre. La Cour suprême du Canada l'a déclaré en 1994, dans l'affaire Willick c. Willick. Elle a clairement dit qu'à son avis, les juges du pays s'acquittaient mal de leurs responsabilités en ce qui concerne l'imposition d'ordonnances de pension alimentaire appropriées.

Il a été suggéré de régler le problème en interdisant aux familles d'entamer des poursuites individuelles au sujet des pensions alimentaires pour enfants. Est-il vraiment logique que les centaines de milliers de Canadiens aux prises avec des questions de pensions alimentaires pour enfants livrent bataille pour chaque cas comme si chaque cas était différent? Oui, il y a des différences d'un cas à l'autre, mais elles ne sont pas importantes au point que des lignes directrices seraient impuissantes à aider la très grande majorité de ces personnes à parvenir à des solutions équitables et raisonnables.

Dans les cas aberrants, les lignes directrices sont soigneusement rédigées pour qu'il soit possible qu'un juge décrète des modifications. Grâce aux suppléments prévus pour les frais médicaux spéciaux, les frais d'instruction, les coûts de garderie, les tribunaux pourront définir un soutien adapté à chaque cas. Lorsque les intéressés sont incapables de verser les montants prévus dans les lignes directrices, un critère de «difficultés excessives» s'appliquera. Le projet de loi prévoit une latitude suffisante pour que des modifications soient faites suivant les besoins.

Les lignes directrices conviendront, toutefois à la très grande majorité des cas et la très grande majorité des Canadiens, et les montants fixés seront prévisibles et acceptables.

En ce qui concerne l'application, tout le monde sait que le défaut de paiement des parents représente des centaines de millions de dollars à l'échelle du pays. C'est une véritable honte nationale, au Canada et dans les autres pays régis par la common law.

Les États-Unis, en particulier la Californie, ont décidé d'autoriser la révocation pour tenter de faire mieux respecter les ordonnances alimentaires. Ils ont obtenu des résultats étonnants. La révocation des permis est une façon courante de faire respecter les ordonnances alimentaires au profit des enfants. En tant que gouvernement ou membre de l'opposition, vous devez à mon avis communiquer un message clair: la pension alimentaire pour enfants est considérée comme une obligation fondamentale dans notre société et les enfants ne peuvent pas être négligés.

Le sénateur Cools: À qui est-ce qu'il croit parler?

M. Epstein: Si vous pensez vraiment ce que vous dites, vous devez prévoir des mécanismes d'application appropriés. Ceux qui s'acquittent de leur obligation de pension alimentaire n'ont pas besoin de s'inquiéter de l'application de la loi. Ce sont les personnes qui ne versent pas les pensions alimentaires conformément aux ordonnances qui doivent s'en inquiéter.

Le projet de loi prévoit plusieurs mécanismes pour faire respecter les ordonnances. Il me semble raisonnable que le gouvernement fédéral et le gouvernement ontarien, qui s'engage sur la même voie en ce qui concerne l'application de la loi, reconnaissent que nous ne pouvons plus tolérer une société où les enfants ne sont pas adéquatement entretenus.

Il serait agréable, dans un monde parfait, de lier la pension alimentaire pour enfants et les droits de visite. D'autres gouvernements ont mis cette formule à l'essai et ils ont échoué; lorsque le gouvernement de l'Ontario a tenté l'expérience, il y a six ou sept ans, son projet a soulevé de telles protestations qu'il a fallu l'annuler avant même que la loi ne soit promulguée. Je ne crois pas, même dans un monde parfait, que l'on puisse lier les droits de visite à la pension alimentaire.

Le sénateur Cools: Qui propose cela?

Le sénateur Bosa: Laissez le témoin terminer son exposé.

M. Epstein: Je crois que R.E.A.L. Women of Canada en a fait mention pendant que j'attendais, sénateur.

Le sénateur Cools: Personne ici n'a proposé cela.

M. Epstein: C'est ce que j'ai entendu pendant les discussions.

En règle générale, les avocats, les juges et la majorité des clients des spécialistes du droit de la famille au Canada appuient le projet de loi et espèrent qu'il sera adopté. La plupart des 1 500 avocats qui ont participé au récent programme d'étude consacré aux lignes directrices en Ontario étaient certainement en faveur des lignes directrices et voulaient que le dossier progresse. Ils pourront alors clore le débat sur la formule et, au cours des prochaines années, nous verrons bien si nous avons adopté l'approche appropriée et s'il faut modifier les formules.

En ce qui concerne l'opportunité d'inscrire les lignes directrices dans la loi, je dois vous dire que si l'on procède ainsi, chaque fois que l'on voudra modifier ces lignes directrices, il faudra modifier la loi. C'est un processus difficile et long. Il vaudrait mieux adopter un règlement afférent, que l'on peut modifier de temps à autre lorsqu'on s'aperçoit que les lignes directrices ne donnent pas les résultats voulus.

Comme je l'ai dit, la plupart des pays régis par la common law ont adopté des lignes directrices et ils ont dû les modifier. Je ne crois pas qu'il en sera autrement au Canada.

Je sais que je vous présente un point de vue fort différent de celui des intervenants qui ont témoigné devant vous ces derniers jours. Toutefois, en raison de mon expérience dans ce domaine, j'ai jugé important d'au moins venir jusqu'ici. Je vous suis très reconnaissant de m'avoir donné l'occasion de vous faire part de mes vues.

Je répondrai maintenant avec plaisir à vos questions.

La présidente: Nous sommes inondés d'appels au sujet du projet de loi depuis vendredi. En fait, mon bureau a reçu 41 appels ce matin pendant que nous y étions. Pourquoi est-ce que le projet de loi suscite de telles préoccupations si vous croyez qu'il est valable?

M. Epstein: C'est une très bonne question. Premièrement, aucun projet de loi n'est jamais parfait. Vous avez reçu 41 appels, mais les millions de personnes qui croient que c'est un très bon projet de loi ne vous ont pas téléphoné.

Premièrement, il est normal que les parties qui verront les pensions modifiées s'inquiètent du projet de loi. Je ne vous cacherai pas que les pères canadiens qui versent une pension alimentaire en vertu d'une entente ou d'une ordonnance antérieure à 1994 ne paient sans doute pas assez. La Cour suprême du Canada l'a affirmé. D'autres tribunaux du pays, en particulier ceux de l'ouest du Canada, l'ont aussi déclaré. Les pères qui versent des pensions alimentaires en vertu d'ententes conclues en 1989 ou en 1991 devront payer plus à cause de ce projet de loi.

Le sénateur Jessiman: Cela ne sera pas déductible.

M. Epstein: Ces sommes seront déductibles si l'ordonnance n'est pas modifiée. Si elle est modifiée, le montant sera réduit. S'il n'est pas réduit, sénateur, c'est parce qu'il n'était pas adéquat au départ, auquel cas l'enfant et le bénéficiaire de la pension alimentaire pour enfants en ont souffert.

La question fiscale est difficile. À mon avis, il n'aurait pas fallu modifier les règles d'imposition. Les règles ont été changées à la suite de l'affaire Thibodeau et, pour tout dire, en raison des pressions exercées par les mouvements féminins du pays, qui ne voulaient pas que les femmes paient d'impôt sur les pensions alimentaires pour enfants. Par conséquent, il n'y aura pas de majoration ni de minoration. C'est le montant net qui sera calculé. L'effet sera neutre, au bout du compte.

Il va sans dire, honorables sénateurs, que de nombreuses personnes devront payer plus. Si vous augmentez les impôts, j'imagine que vous recevrez des milliers d'appels. Vous recevrez de nombreux appels de la part de parents qui n'ont pas la garde et qui devront verser plus d'argent.

La présidente: La majorité d'entre eux s'inquiétaient de devoir payer une pension alimentaire sans avoir de droits de visite. Rien, dans ce projet de loi, ne traite des droits de visite.

M. Epstein: Sénateur, ce problème existe depuis 200 ans. Le gouvernement de l'Ontario a essayé d'adopter une loi à ce sujet il y a sept ou huit ans. La critique a été tellement unanime qu'il lui a fallu retirer son projet. Il est difficile de légiférer en ce qui concerne les droits de visite parce que le père peut dire qu'on lui a refusé l'accès aux enfants, la mère réplique qu'elle lui refuse l'accès parce que ses visites créent de graves problèmes. Il est très difficile d'établir la vérité. Il est beaucoup plus facile de déterminer si quelqu'un ne verse pas la pension alimentaire pour enfants que d'établir pourquoi ce parent se voit interdire les visites.

La présidente: Croyez-vous que le barème est juste, il me semble qu'il double ou qu'il triple selon le nombre d'enfants que compte la famille.

M. Epstein: Je crois que le barème est équitable. Dans nos bureaux de Toronto, nous avons fait faire quelques projections par ordinateur, en nous basant sur un très grand nombre de cas en droit de la famille. Nous croyons que le barème donne maintenant les mêmes résultats, à peu de choses près, que ce que les tribunaux ordonnent depuis la publication de l'arrêt Willick par la Cour suprême du Canada. Je crois que les sommes pourraient être un peu plus élevées au point le plus bas. Bien sûr, en son milieu, là où se situent la plupart des Canadiens, le barème est sans doute tout à fait juste.

Comme nous le disons, dans environ un an, nous aurons une meilleure idée de la précision du barème.

Le sénateur Jessiman: Est-ce que vous convenez qu'un juge doit, lorsqu'il prononce une ordonnance, tenir véritablement compte du fait que les conjoints ont l'obligation financière d'entretenir les enfants? Est-ce que vous convenez que le montant à verser reflète les capacités respectives des conjoints de s'acquitter de cette obligation?

M. Epstein: Oui.

Le sénateur Jessiman: Est-ce que vous croyez que ces dispositions devraient demeurer dans le projet de loi?

M. Epstein: Ce dont vous parlez dans votre question, c'est du principe en vigueur au Canada lorsqu'il s'agit d'accorder une pension alimentaire pour enfants. C'est le principe de Paras. Les parties sont tenues de contribuer à l'entretien de leurs enfants en fonction de leurs moyens respectifs.

Le sénateur Jessiman: Est-ce que vous êtes d'accord avec ce principe?

M. Epstein: Évidemment. Quiconque a un grain de bon sens en conviendra. Le problème, c'est que le principe de Paras est impossible à appliquer avec certitude. C'est la raison pour laquelle les intéressés entament des poursuites pour chaque cas de pension alimentaire pour enfants, parce qu'ils ne s'entendent pas sur les frais d'entretien des enfants, sur leurs moyens respectifs et sur ce que devrait être leur contribution.

Le principe de Paras était utilisé dans tous les pays lui ont peu à peu préféré les lignes directrices en matière de pensions alimentaires pour enfants. Ces lignes directrices sont très différentes des autres parce que le barème ne tient compte que du parent qui n'a pas la garde. On pourrait procéder différemment. Toutefois, le parent qui n'a pas la garde, selon le barème, suppose que le parent qui a la garde utilise son revenu pour entretenir l'enfant. Dans la plupart des cas, sénateur, nous savons tous que les personnes qui ont des enfants les entretiennent de leur mieux.

Je ne crois pas que l'adoption de lignes directrices modifie le principe de Paras. Il transcrit simplement ce principe dans une formule afin d'éviter les désaccords au sujet des frais d'entretien d'un enfant donné.

Par exemple, sénateur, si vous et moi devons régler la question du soutien d'un enfant suivant le principe de Paras, nous discuterons de la quantité de nourriture que l'enfant consomme chaque semaine, de la portion du loyer qui devrait être attribuée à l'enfant et des frais d'entretien du véhicule qui peuvent être liés à l'enfant. Je suis abonné à la télévision payante. Est-ce qu'il faut en tenir compte dans le calcul des frais attribuables à l'enfant, même si je m'abonnerais à ce service de toute façon? Si l'on s'en tenait au principe de Paras, nous n'arriverions jamais à nous entendre sur les principaux chiffres.

Le sénateur Jessiman: Les lignes directrices pourraient avoir été établies sur le principe que les deux parents paient. N'est-ce pas exact?

M. Epstein: On pourrait procéder ainsi.

Le sénateur Jessiman: Il y a au Canada des lignes directrices qui utilisent ce principe, n'est-ce pas?

M. Epstein: Oui, à l'Île-du-Prince-Édouard.

Le sénateur Jessiman: Et au Québec?

M. Epstein: Le Québec n'en a pas encore adopté. Les responsables de cette province envisagent la mesure.

Le sénateur Jessiman: D'après ce que le ministère nous a dit, le Québec a adopté des lignes directrices.

M. Epstein: À mon avis, cette province n'a pas encore de lignes directrices obligatoires.

Il existe probablement 20 lignes directrices différentes, sénateur.

Le sénateur Jessiman: En toute honnêteté, vous avez convenu que les deux parents devraient être responsables des enfants.

M. Epstein: Cela ne fait aucun doute.

Le sénateur Jessiman: Vous avez aussi convenu que les deux revenus devaient entrer en ligne de compte.

Le sénateur Cools: Allez, dites-le-nous.

M. Epstein: Je ne suis pas d'avis que les deux revenus devraient entrer en ligne de compte lorsque l'on utilise ces lignes directrices.

Le sénateur Jessiman: Je n'ai pas parlé de ces lignes directrices. Je vous lis un passage de la loi en vigueur actuellement. C'est la loi. Vous avez expliqué son origine. C'est sur elle que les tribunaux se basent. Je crois que c'est une façon beaucoup plus efficace de procéder que ce que le gouvernement canadien propose maintenant.

M. Epstein: Je respecte votre opinion, sénateur. Vous me permettrez toutefois d'ajouter qu'à mon avis, cette formule ne donne plus les résultats voulus. Si elle était encore valable, je ne crois pas que les pays régis par la common law lui auraient préféré des lignes directrices. Je respecte votre opinion; c'est une opinion fort répandue.

Le sénateur Jessiman: Vous acceptez le principe, vous acceptez que les niveaux prévus dans les lignes directrices doivent englober une gamme réaliste de frais attribuables à l'enfant, compte tenu du niveau de revenu des deux parents?

M. Epstein: Oui, je crois que j'accepte ce principe.

Le sénateur Jessiman: Je l'espère bien, c'est la position de l'Association du Barreau canadien.

M. Epstein: L'Association du Barreau canadien et les avocats qui en sont membres ne sont pas toujours d'accord. Toutefois, j'accepte ce principe. Je crois que c'est précisément l'effet des lignes directrices.

Le sénateur Jessiman: Les lignes directrices, elles stipulent que le parent qui n'a pas la garde paiera la pension. C'est tout.

M. Epstein: Non, sénateur.

Le sénateur Jessiman: Oui. Elles tiennent compte des frais de l'un et du revenu de l'autre.

M. Epstein: Les lignes directrices sont fondées sur une hypothèse prépondérante que vous ne pouvez pas ignorer. Le parent qui a la garde utilise les fonds dont il dispose pour assurer l'entretien de l'enfant.

Le sénateur Cools: C'est l'hypothèse adoptée dans ce cas, mais il y a de nombreuses autres lignes directrices qui reposent sur des hypothèses différentes.

Le sénateur Jessiman: Pour ce qui est de la garde partagée, les familles où les conjoints travaillent tous les deux sont plus nombreuses aujourd'hui qu'il y a 20 ans. En cas de séparation, il n'est pas rare que si les deux parents partagent véritablement la garde ils la partagent dans une large mesure. Ce n'est pas nécessairement parfaitement égal, mais je sais que dans certains cas c'est sur une base de 40/60.

M. Epstein: Je considère qu'une garde partagée à 40/60 est pour ainsi dire partagée à parts égales.

Le sénateur Jessiman: Pas d'après le ministère. Lorsque j'ai posé la question aux représentants du ministère, ils m'ont dit que le partage égal était un partage à 50/50.

M. Epstein: Ce n'est certainement pas à 50/50, sinon la loi en aurait fait mention. Ce qui est inscrit dans la loi, c'est que le partage doit être «à peu près égal».

Le sénateur Jessiman: C'est l'opinion du ministère, et je soutiens qu'il faut modifier cela. C'est l'interprétation qu'en fait le ministère, et les responsables ont consulté certains spécialistes à ce sujet.

M. Epstein: Il faut interpréter ce genre de disposition avec prudence, parce qu'on ne veut pas encourager les intéressés à entamer des procédures au sujet de la garde simplement pour se soustraire aux lignes directrices. Vous ne voulez pas inciter les intéressés à revendiquer les droits de garde même s'ils ne les veulent pas vraiment, simplement pour ne pas avoir à payer ce que prévoient les lignes directrices. Je crois que l'expression «à peu près égal» a été retenue pour que les intéressés ne cherchent pas à obtenir un partage à 50/50 simplement pour échapper aux lignes directrices.

Le sénateur Jessiman: C'est exactement ce qui va se produire. Si l'on retranche ces mots, les tribunaux devront statuer. Lorsqu'un enfant est avec un parent un jour par semaine, ce parent devrait avoir droit à un crédit quelconque, en raison des coûts afférents. Les sommes que cette personne dépense sont des sommes que l'autre parent n'aura pas à dépenser. Le tribunal devrait statuer. Il décréterait peut-être que non, ce parent n'a droit à aucun crédit.

M. Epstein: Je respecte votre opinion, c'est le point de vue sur lequel nous nous fondons au Canada depuis 100 ans. Nous avons pris chaque affaire de pension alimentaire pour enfants et nous avons examiné les faits. Nous avons calculé les coûts de visite, les coûts de déplacement et les coûts en temps. Le problème, c'est que le système de justice est débordé. Il y a trop de querelles au sujet du soutien des enfants, on manque d'objectivité, l'issue est incertaine, les pensions accordées sont énormes à Toronto, modestes à Thunder Bay, élevées à Downsview, faibles à North York. C'est ce qui se passe lorsque l'on applique une approche au cas par cas.

Le sénateur Jessiman: Les parents n'auraient la garde conjointe que s'ils n'arrivent pas à s'entendre. Les parties savent aussi ce qu'il en coûte de se présenter devant les tribunaux ou de retenir les services d'un avocat. Si l'expression «à peu près égal» disparaissait, les intéressés sauraient qu'ils auront droit à certains crédits en cas de garde partagée. De toute façon, c'est mon opinion.

[Français]

Le sénateur Lavoie-Roux: Je vous remercie pour votre présentation. Dans un premier temps, je voudrais faire une petite rectification. L'opinion des sénateurs ici présents est que nous ne sommes pas contre un projet de loi qui va améliorer le support aux enfants et rendre plus facile les ententes entre les parents puis le soutien aux enfants, et cetera. Nous devons essayer d'examiner ce projet de loi de telle sorte que nous l'améliorions.

Après vous avoir écouté et lu votre mémoire, j'ai l'impression que vous le trouvez parfait. Est-ce que je me trompe, ou y a-t-il des choses qui pourraient être améliorées?

[Traduction]

M. Epstein: Je crois qu'il est possible d'améliorer toute loi, mais dans l'ensemble le projet de loi portant modification de la Loi sur le divorce est probablement aussi parfait qu'on peut l'espérer sur le plan des principes. Il reste à le mettre à l'épreuve.

Le règlement, très certainement, devrait être amélioré et précisé. Je crois savoir qu'à l'heure actuelle on s'efforce de le faire. Ce règlement peut être notablement amélioré dans un certain nombre de secteurs, mais pas pour ce qui est du barème. Je crois que le barème ne peut pas être amélioré. Toutefois, dans des domaines comme la garde partagée et le critère de difficultés excessives, il y a place pour une certaine amélioration.

Je ne vois pas pour l'instant quelles recommandations je pourrais faire en ce qui concerne le projet de loi sur le divorce comme tel. Je crois que les législateurs doivent parfaire le règlement.

[Français]

Le sénateur Lavoie-Roux: Nous avons quand même entendu, depuis deux semaines, plusieurs témoins qui ont, eux-mêmes, passé à travers les tribulations d'un divorce ou du partage de la garde des enfants. Il y a beaucoup d'inquiétude qui a été exprimée. Nous n'étions pas sûrs qu'il y ait une égalité entre les deux parents. Les gens qui ont vécu ce problème semblaient passablement inquiets quant à l'équilibre de la justice du projet de loi en ce qui concerne les deux parents.

[Traduction]

M. Epstein: Premièrement, sénateur, je vous demande de me pardonner le fait que je ne parle pas suffisamment bien le français pour pouvoir discuter avec vous dans votre langue. Permettez-moi de dire que je plaide devant les tribunaux de la famille depuis 25 ans et que j'ai mené des affaires de garde difficiles, je comprends donc l'angoisse des parties qui se disputent au sujet des enfants. Toutefois, la grande majorité des Canadiens, surtout depuis une dizaine d'années, se tournent vers des mécanismes bien plus efficaces que les tribunaux pour régler les conflits relatifs à la garde et aux droits de visite.

Dans notre pays, grâce aux lois adoptées par les provinces et le gouvernement fédéral, nous recourons maintenant à la médiation, au règlement extrajudiciaire des différends, aux évaluations psychologiques, aux procédures préalables à l'instruction et à de nombreux autres mécanismes pour régler les conflits en matière de garde.

À la Division générale de Toronto, par exemple, le tribunal de la famille le plus actif au pays, il n'y a eu l'an dernier pratiquement aucune affaire de garde. Cela montre une amélioration notable de la façon dont la société, la magistrature et le barreau ont collaboré pour aider les parties à régler les différends dans ce domaine.

En général, les gens trouvent une façon de régler les conflits au sujet de la garde, et ces affaires ne prennent maintenant que très peu du temps des tribunaux. En règle générale, on ne s'attarde guère à des poursuites au sujet de la garde et des droits de visite. C'était le cas autrefois, mais plus maintenant. Il y a cependant encore de nombreux cas difficiles, et lorsqu'un couple se sépare, les victimes les plus éprouvées sont les enfants. Si les parents ne parviennent pas à régler rapidement leur différend, les enfants en souffriront.

Il y a aussi dans notre pays de nombreux cas où un parent, par désir de vengeance, par dépit ou par manque de maturité, ne permettra pas à l'autre parent de jouer pleinement son rôle dans la vie de l'enfant, créera des obstacles aux visites ou fera tout son possible pouvoir pour compliquer la vie de l'autre parent. Il n'est jamais facile de trouver des solutions à ces situations.

Je crois que le gouvernement du Canada devrait, ultérieurement, envisager de revoir tout le concept de la garde et peut-être d'éliminer le terme «garde» dans la loi.

Le sénateur Cools: Je suis heureuse de vous l'entendre dire.

M. Epstein: J'en conviens, mais il n'est pas facile de concevoir un système qui incite les intéressés à agir de façon sensée dans ce domaine. Les conjoints sont blessés par l'échec de leur mariage. Je crois qu'il faut agir de façon progressive. J'aimerais que la loi de notre pays en matière de garde soit ultérieurement modifiée et je souhaite qu'elle fasse plus souvent appel à la médiation obligatoire dans certains secteurs, mais je crois que nous ne sommes pas encore prêts à évoluer en ce sens. Je ne crois pas que nous avons mené suffisamment d'études ou compilé suffisamment de données; nous devons agir avec prudence.

Toutefois, j'aimerais que l'on élimine l'une des questions à l'étude, celle du soutien des enfants, pour que le gouvernement puisse s'attaquer à d'autres problèmes. Votre argument a du bon.

Le sénateur Cools: Vous pourriez peut-être expliquer un peu pourquoi vous avez dit il y a un instant qu'il faudrait éliminer le terme «garde» de la loi. Cette question m'intéresse au plus haut point.

M. Epstein: Le terme «garde» est un mot extrêmement dangereux, sénateur. Dans le feu de l'action, on peut dire «Je veux la garde», on monte au combat. Il doit être possible de procéder autrement.

Lorsque les parties soumettent à la cour la question de la garde, ils se trouvent, concrètement, à laisser un étranger décider du sort de leurs propres enfants. N'est-il pas tout à fait bizarre de laisser un tiers décider du sort de vos enfants? Il faut que les Canadiens apprennent tout jeunes comment éviter ces différends; ils doivent apprendre qu'il existe des mécanismes de règlement des différends qui sont préférables. Nous devons chercher des façons d'aider les gens à régler leurs conflits sans faire appel à des juges qui agissent comme Salomon. Il n'y a pas de réponses simples, il n'y a pas de loi simple.

En effet, le terme «garde» véhicule des concepts qui hérissent tout le monde. Il suscite la colère chez les pères et il met les mères sur la défensive. En effet, nous devrions viser à éliminer entièrement ce type de processus.

Le sénateur Cools: Comment se fait-il qu'aujourd'hui, alors que la langue est non sexiste et que les expressions englobent hommes et femmes, le projet de loi C-41, ou tout autre projet législatif, soit si désuet?

M. Epstein: Je crois que la société évolue, sénateur. Dans 20 ans, on verra beaucoup plus de gardes partagées et de partage des responsabilités parentales. Aujourd'hui, les deux parents travaillent, mais nous devons encore régler les centaines de milliers d'affaires qui, dans tout le pays, touchent des personnes qui ne sont pas dans cette situation. Nous devons encore reconnaître que, quelle que soit notre position non sexiste, les hommes ont des revenus plus élevés que les femmes. Les hommes ont de meilleures perspectives de carrière que les femmes. Lorsque notre société sera vraiment égalitaire, nous serons peut-être en mesure d'adopter une autre loi. Pour l'instant, les hommes ont des salaires plus élevés que les femmes dans la plupart des cas. Pour diverses raisons, les femmes obtiennent plus souvent la garde. Par conséquent, nous devons adopter une loi qui tient compte de ce phénomène. J'espère qu'un jour cela ne sera plus nécessaire.

Le sénateur Cools: Certains disent -- mais pas moi -- que si les hommes gagnent plus d'argent, ils devraient plus souvent avoir la garde.

M. Epstein: Je sors d'un long procès où je représentais le mari, et il a obtenu la garde. Il est faux de dire que les hommes n'obtiennent jamais la garde. Toutefois, ce n'est pas une question d'argent, c'est une question de savoir qui est le principal fournisseur de soins, qui est le mieux à même d'élever les enfants et qui agit dans l'intérêt des enfants.

Le sénateur Cools: Vous vous adressez à des personnes qui ont des expériences différentes, mais votre enthousiasme, monsieur, à l'égard du projet de loi C-41, est louable.

Le sénateur Lavoie-Roux: Ou suspect.

Le sénateur Cools: Il éveille les soupçons chez certains, mais il force l'admiration.

M. Epstein: Mon seul intérêt est de voir cette question réglée.

Le sénateur Cools: La question ne s'enlise pas. Nous examinons le projet de loi depuis seulement quatre ou cinq jours.

M. Epstein: Je ne voulais pas dire au Sénat; je voulais dire pour les spécialistes du droit de la famille, qui n'ont aucun plaisir à régler des questions de garde et de visite ou des questions de pension alimentaire pour enfants. Il y a d'autres questions importantes à régler.

Le sénateur Cools: Vous avez tout à fait raison, mais nous devons examiner les questions qui nous sont présentées. Je peux comprendre votre impatience, mais je ne la partage pas.

M. Epstein: Bien sûr.

Le sénateur Cools: Je parlais de votre enthousiasme au sujet du projet de loi C-41, mais par ailleurs vous dites que vous n'auriez pas modifié le régime fiscal actuel. Vous appuyez sans réserve, pour ainsi dire, le projet de loi C-41. Pourriez-vous m'expliquer un peu pourquoi le gouvernement a préféré ces lignes directrices à d'autres qui sont en vigueur à l'heure actuelle. On me dit qu'il y a une vingtaine de modèles. Pourquoi ces lignes directrices précisément? Dites-moi pourquoi vous appuyez ce modèle.

M. Epstein: J'aurais appuyé n'importe quel modèle, si on avait pu me montrer qu'il donne des résultats satisfaisants sur le plan du règlement. D'autres modèles -- dans l'État de New York, en Californie et en Oklahoma -- donnent aussi des résultats assez satisfaisants.

J'ai suivi les travaux du comité du droit de la famille, composé d'éminents spécialistes, qui s'est penché pendant quatre ans sur cette question. Je connais les études économiques qui ont été réalisées et je suis au courant du travail qui a été consacré à la rédaction de ces lignes directrices. Quand j'ai reçu copie du règlement, j'étais sceptique, mais je l'ai examiné, je l'ai étudié et je l'ai utilisé, et je crois qu'il donne de bons résultats.

À mon avis, ce qui importe c'est qu'il y ait des lignes directrices. Je dirais que nous devons mettre à l'essai n'importe quelles lignes directrices susceptibles de donner les résultats voulus. Si les résultats sont décevants, essayons d'autres lignes directrices.

Aucune compétence n'a élaboré un ensemble parfait de lignes directrices. Depuis 10 ans, nous menons tous des expériences. À mon avis, nous devrions adopter des lignes directrices et voir si elles nous conviennent. Si elles ne nous conviennent pas, nous pourrions mettre à l'essai le modèle de l'Île-du-Prince-Édouard. Si ce modèle ne donne pas de bons résultats, nous pourrions essayer celui de l'État de New York.

Nous devons commencer quelque part, adopter des lignes directrices et espérer pouvoir les adapter au fil des ans. Je ne suis pas partisan de ce règlement particulier; je suis partisan du concept de lignes directrices.

Le sénateur Cools: Je suis heureuse que vous nous ayez fourni cette précision. Votre hypothèse, c'est qu'il faut adopter des lignes directrices. Je crois que beaucoup se rallieront à cette idée. Toutefois, je suis très contente que vous nous ayez précisé que votre remarquable enthousiasme ne venait pas de ces lignes directrices en particulier. Ce qui vous réjouit, c'est l'idée d'adopter des lignes directrices.

La présidente: Croyez-vous que cinq ans est la période qui convient?

M. Epstein: Je crois me souvenir qu'on parlait de quatre ans, et une période de quatre ans me semblait adéquate.

Il faut penser que les choses se précisent lorsque certaines de ces affaires parviennent devant la Cour d'appel de l'Ontario et la Cour d'appel du Québec. Quatre ou cinq ans, c'est à peu près le délai qu'il faut prévoir. Il faudra donner quatre ou cinq ans aux tribunaux pour bien appliquer la loi.

La présidente: Merci beaucoup, monsieur Epstein. Je crois que le comité a tiré profit de votre exposé.

Mes honorables collègues et moi-même allons maintenant passer aux affaires du comité. J'ai reçu un ordre de renvoi du Sénat qui autorise notre Sous-comité des affaires des anciens combattants à examiner certaines questions qui touchent le traitement accéléré des demandes de pension au ministère des Affaires des anciens combattants. Pour s'acquitter de ce mandat, le sous-comité demande que l'on approuve son budget. De toute évidence, il ne peut pas fonctionner sans budget.

Le sénateur Lavoie-Roux: Madame la présidente, je propose que nous approuvions le budget du sous-comité des affaires des anciens combattants.

La présidente: Êtes-vous d'accord, honorables sénateurs?

Les sénateurs: D'accord.

La séance est levée.


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