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Délibérations du comité sénatorial permanent des
transports et des communications

Fascicule 2 -- Témoignages


Ottawa, le mardi 30 avril 1996

Le comité sénatorial permanent des transports et des communications auquel a été renvoyé le projet de loi C-14, Loi maintenant l'Office national des transports sous le nom d'Office des transports du Canada, codifiant et remaniant la Loi de 1987 sur les transports nationaux et la Loi sur les chemins de fer et modifiant ou abrogeant certaines lois, se réunit aujourd'hui, à 16 h 30, pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Lise Bacon (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, c'est un groupe important que nous accueillons aujourd'hui.

C'est avec plaisir que nous vous accueillons pour que vous nous parliez du projet de loi C-14. Je crois qu'une personne a été chargée de nous présenter les participants et de nous lire une déclaration commune. Nous nous attendons à ce que cela prenne une dizaine de minutes, après quoi chaque association aura la parole pendant cinq minutes.

Pouvez-vous commencer, monsieur Doyle?

M. Kevin Doyle, Western Canadian Shippers' Coalition: Merci, madame la présidente. Au nom du groupe, je tiens à vous remercier de nous avoir invités à comparaître pour présenter nos opinions au sujet de ce projet de loi très important. J'ajouterais que nous apprécions vivement la tenue d'audiences sur cette question.

Comme vous l'avez mentionné, madame la présidente, plusieurs associations comparaissent devant vous aujourd'hui. Je ferai d'abord une déclaration au nom de tout le groupe, après quoi un représentant de chaque association fera quelques observations.

Nous sommes ici aujourd'hui pour exprimer notre appui à cette nouvelle mesure, le projet de loi C-14. Le gouvernement a entrepris de régler, par voie législative, certains des problèmes que connaissent les chemins de fer du Canada. Nous approuvons le principe.

Ce projet de loi contient toutefois de sérieux défauts qui, avec le temps, vont sérieusement limiter la concurrence dans le transport ferroviaire. Je veux parler des paragraphes 27(2) et (3) ainsi que de l'article 112.

Mais surtout, les Canadiens sont des exportateurs. Nos emplois et notre prospérité économique dépendent de notre capacité à soutenir la concurrence internationale. À l'heure actuelle, nos exportations représentent environ 38 à 40 p. 100 de notre produit intérieur brut. Ce pourcentage est le plus haut du monde industrialisé et il est nettement supérieur à celui des autres pays occidentaux. Les États-Unis, par exemple, exportent environ 6 p. 100 de leur PIB. Comme vous le voyez, la différence est énorme entre nos deux pays. Dans l'Ouest, la région où je travaille, ce pourcentage est encore plus élevé. Il dépasse 50 p. 100 du PIB.

Les marchés d'exportation ont été bénéfiques pour le Canada en ce sens que nous pouvons généralement vendre tout ce que nous pouvons produire. Le problème que les producteurs canadiens ont dû affronter ces dernières années est que le marché international détermine les prix que nous obtenons en fonction de la concurrence internationale. Ces prix n'ont généralement pas avantagé le Canada et, abstraction faite de l'inflation, nos prix à l'exportation ont baissé régulièrement depuis 20 ans. Les statistiques de la Banque de Nouvelle-Écosse sur le prix des marchandises, qui portent sur une période de plus de 25 ans, en témoignent.

Nous ne voyons pas comment cette tendance à la baisse des prix pourrait changer dans un avenir prévisible. Pour cette raison, on construit moins d'usines au Canada pour la fabrication de produits destinés à l'exportation et, même si les exportateurs canadiens ont augmenté leurs exportations, le Canada continue à voir diminuer sa part du marché pour de nombreux produits.

Les matières premières canadiennes ont largement besoin du transport ferroviaire pour accéder aux marchés canadiens et étrangers. La majorité de nos matières premières n'ont d'ailleurs pas d'autre mode de transport et les tarifs-marchandises constituent une proportion importante de leur coût. Par exemple, pour le soufre canadien, le coût du transport ferroviaire représente actuellement 50 p. 100 de sa valeur F.A.B. Pour le charbon, il s'agit de 35 p. 100 ou plus.

Récemment, un porte-parole de CP Rail a laissé entendre, à la blague, que les expéditeurs n'avaient qu'à envoyer leurs marchandises par camion jusqu'au chemin de fer américain le plus proche. Je voudrais vous donner un exemple de ce que cela voudrait dire.

Le Canada exporte, chaque année, environ 6 millions de tonnes de soufre. Cela représente 250 000 chargements de camions à 25 tonnes par chargement ou 1 000 camions par jour et le chemin de fer américain le plus proche est à environ 400 kilomètres de distance. Rien qu'avec ce produit, vous pouvez imaginer la congestion que cela créerait sur le réseau routier. La production de potasse atteint à peu près 17 millions ou 18 millions de tonnes par an; la production canadienne de charbon est d'environ 34 millions de tonnes par an et celle de céréales et de produits agricoles est encore beaucoup plus importante. Comme vous pouvez le voir, le camionnage ne peut pas concurrencer le rail dans la plupart des cas.

La Loi sur les transports nationaux de 1987 a créé, pour la première fois, un climat concurrentiel pour les expéditeurs captifs. Lorsqu'un d'entre eux n'était desservi que par un chemin de fer, la Loi lui donnait accès à une autre compagnie ferroviaire gråce à une interconnexion élargie ou à des prix de ligne concurrentiels.

Ces dispositions ont eu pour effet d'amener le transporteur et les expéditeurs à négocier sérieusement des accords au lieu de faire appel à l'Office des transports du Canada. Ces dispositions n'ont fait l'objet d'aucun abus depuis huit ans. L'Office des transports n'a reçu que quelques demandes au cours de cette période et rien n'indique qu'il soit nécessaire de dresser de nouvelles barrières empêchant les expéditeurs de se prévaloir des dispositions qui favorisent la concurrence.

Les obstacles dressés par les paragraphes 27(2) et (3) ainsi que l'article 112 auront un effet dissuasif énorme sur les expéditeurs, car ils exigeront du temps et de l'argent et créeront de l'incertitude. On nous a dit que l'Office appliquerait les nouvelles dispositions cas par cas. Cela se traduira par moins de négociations commerciales entre les expéditeurs et les transporteurs et une intervention beaucoup plus importante des avocats dans le processus. À l'avenir, les chemins de fer seront beaucoup plus libres d'imposer leurs tarifs et les expéditeurs auront de gros obstacles à surmonter vu la perte de temps et d'argent et l'incertitude que cela représente, ou ils seront forcés d'accepter les conditions des chemins de fer.

Tout cela ira à l'encontre de la portée de la Loi sur les transports nationaux qui favorisait la concurrence. Cela aura des effets négatifs sur la compétitivité internationale du Canada. Il faut que nos chemins de fer cherchent à réduire leur prix de revient et à améliorer leurs services pour accroître la compétitivité du Canada au lieu de chercher surtout à accroître leurs recettes.

Comme notre pays compte énormément sur les exportations, nous ne pouvons pas nous permettre d'avoir une infrastructure de transport qui va nuire à la concurrence. Nous tenons à souligner que ce projet de loi risque de nous faire perdre des emplois en nous rendant moins concurrentiels. Cela va à l'encontre de la politique énoncée par le gouvernement, y compris la politique des transports définie à l'article 5 du projet de loi C-14.

Notre politique nationale des transports exige clairement un juste équilibre non seulement entre les intérêts commerciaux concurrents, mais entre les intérêts commerciaux des expéditeurs et des transporteurs et l'intérêt économique national sur le plan de l'emploi, des exportations et de la prospérité économique du pays.

En outre, les pertes d'emplois que le monopole des compagnies ferroviaires risquent d'entraîner à cause des mauvaises dispositions du projet de loi C-14 sont d'autant plus déplorables qu'elles peuvent être évitées et qu'elles sont inutiles.

Pour résumer, je voudrais citer la réponse que le premier ministre a donnée au discours du Trône du 27 février 1996 et dans laquelle il réaffirmait le mandat de son gouvernement:

Nous avons été élus pour restaurer la santé économique du Canada. Le chômage a beaucoup baissé depuis que nous avons pris le pouvoir en 1993, mais il n'est pas assez bas à notre goût, ni au goût des Canadiens. Trop de Canadiens sont encore sans travail. Beaucoup trop de Canadiens craignent encore de perdre leur emploi...

Aucun bilan fidèle ne peut ignorer les coûts élevés et croissants du chômage chronique. C'est mauvais du point de vue humain. C'est mauvais du point de vue économique et c'est mauvais du point de vue commercial. C'est mauvais du point de vue moral.

Pour toutes les raisons que je viens de mentionner, nous exhortons le comité à recommander au Sénat de modifier le projet de loi C-14 en supprimant les paragraphes 27(2) et (3) ainsi que l'article 112 du projet de loi sur les transports au Canada.

Voilà qui termine ma déclaration liminaire. Si vous le permettez, je voudrais maintenant céder la parole à M. Leroy Larsen qui parlera au nom des Syndicats du blé des Prairies.

M. Leroy Larsen, Syndicats du blé des Prairies: Madame la présidente, membres du comité, je suis accompagné aujourd'hui de Charlie Swanson, président de Manitoba Pool Elevators.

Au nom des Syndicats du blé des Prairies, je tiens à remercier le comité de s'être engagé dans un examen approfondi des répercussions que le projet de loi C-14 pourrait avoir pour les expéditeurs canadiens. Nous nous réjouissons de pouvoir discuter avec vous.

Je voudrais vous présenter les Syndicats du blé des Prairies. Alberta Wheat Pool, Saskatchewan Wheat Pool et Manitoba Pool Elevators constituent les plus grandes coopératives d'agriculteurs de l'Ouest. Ensemble, les trois pools manutentionnent au nom de leurs membres et propriétaires agriculteurs près de 60 p. 100 du grain et des oléagineux livrés aux établissements détenteurs de licence dans les Prairies par l'entremise de plus de 800 silos de collecte.

Les pools possèdent, seuls ou en partenariat, des terminaux d'exportation aux ports de Vancouver, de Prince Rupert et de Thunder Bay. Ils emploient globalement plus de 5 000 Canadiens et accumulent chaque année des recettes supérieures à 3 millions de dollars.

Chapeautés par les Syndicats du blé des Prairies, ils s'occupent de questions d'envergure régionale, nationale et internationale concernant leurs propriétaires et membres agriculteurs et leurs activités en tant que coopératives.

Les agriculteurs des Prairies spécialisés dans les grains et les oléagineux produisent chaque année plus de 50 millions de tonnes de céréales, d'oléagineux et de récoltes spéciales. Moins de 25 p. 100 de la production des Prairies est consommée au Canada.

L'industrie a fait des pas de géant au chapitre de la transformation ultérieure et les exportations demeureront sa principale source de revenu. Plus de 30 millions de tonnes de grain et d'oléagineux sont exportées chaque année.

Un millier de centres de collecte reçoivent le grain produit par plus de 100 000 agriculteurs des Prairies. Pour répondre à la demande des marchés d'exportation, il faut que ces silos puissent être remplis et vidés cinq fois par an. Pour ce faire, il faut pouvoir compter sur un réseau de transport efficace.

La base de production de la région des Prairies est enclavée. L'éloignement des voies routières et fluviales empêche la concurrence. Il n'existe pas dans les Prairies de voies navigables conduisant aux ports d'exportation, et le transport par camion n'est pas rentable pour des raisons économiques et matérielles.

Le prix du transport routier est beaucoup plus élevé que celui du transport ferroviaire. Par exemple, le transport par camion de Calgary, en Alberta, jusqu'au port de Vancouver, coûte 10 $ à 15 $ de plus la tonne que le chemin de fer. Plus la distance à parcourir jusqu'au port est grande, plus le prix du transport routier est élevé.

Même si les obstacles économiques étaient aplanis, le transport par camion ne serait pas rentable. Pour transporter vers le port de Vancouver autant de produits pour l'exportation qu'on en a acheminés en moyenne par voie ferroviaire au cours des dernières années, il faudrait un camion «super B» chargé à plein qui descendrait sur la rue Hastings à Vancouver toutes les deux minutes, 24 heures sur 24, chaque jour de l'année, l'équivalent d'un camion par feu rouge. Même si un tel flot de circulation était possible sur la rue Hastings, les installations portuaires ne sont pas conçues pour recevoir un grand nombre de camions.

Le gouvernement a mis sur pied, en novembre et en décembre 1993, un programme d'urgence afin de subventionner le camionnage de façon analogue au transport ferroviaire. Malgré une pénurie aiguë de wagons et une demande qui a atteint des niveaux critiques, seulement 270 tonnes de grain ont été acheminées par camion à Thunder Bay et 600 tonnes vers la côte ouest, soit l'équivalent de dix wagons de chemin de fer.

En moyenne, on décharge chaque semaine sur la côte ouest environ 5 000 wagons de chemin de fer. De toute évidence, le train est le seul mode de transport possible, du point de vue économique et matériel, pour les céréales et les oléagineux des Prairies.

Il n'existe que deux transporteurs ferroviaires nationaux au Canada et, dans les Prairies, ils sont clairement séparés. Dans une bonne partie du nord de la région, le CN est le seul transporteur présent. Dans de bonnes parties du sud, c'est le CP qui monopolise le marché.

Les prix d'encouragement accordés par les compagnies de chemin de fer illustrent on ne peut mieux cette absence de concurrence. Les deux compagnies de chemin de fer s'en sont tenues à ces prix d'incitation pour se faire concurrence sur le marché du transport du grain. Pourtant, entre 1988 et 1995, pendant que le système devenait plus efficace, les taux d'encouragement des deux compagnies ont diminué. En outre, en 1995, non seulement leurs taux d'incitation étaient-ils de beaucoup inférieurs, mais ils étaient identiques.

Les taux d'encouragement accordés par les deux compagnies n'ont pas changé depuis 1991 pour les convois de 51 à 100 wagons et ceux de plus de 100 wagons. Le CN et le CP ont offert des taux d'encouragement supplémentaires aux volumes jusqu'en 1995, année où ils les ont abandonnés parce qu'un trop grand nombre d'expéditeurs profitaient des rabais, ont-ils confié.

L'industrie du grain doit donc composer avec un tel contexte de concurrence limitée. À beaucoup d'endroits dans les Prairies, les expéditeurs n'ont accès qu'à une compagnie ferroviaire. À High Level, en Alberta, les expéditeurs de grain sont situés à plus de 500 kilomètres de la ligne de rechange la plus proche.

À notre avis, l'article 5 du projet de loi C-14 a été rédigé pour des situations comme le transport du grain et des oléagineux en vrac. Cet article reconnaît la nécessité d'une réglementation économique lorsque les expéditeurs ne profitent pas de la concurrence au sein du marché.

Jusqu'au 1er août 1995, les expéditeurs de grain et d'oléagineux exerçaient leurs activités en application de la Loi sur le transport du grain de l'Ouest, qui prévoyait une aide pour les taux de fret, une réglementation des taux de fret, une protection pour les embranchements tributaires des Prairies et un mécanisme d'établissement des prix transparent fondé sur des examens des coûts.

Lorsque la Loi sur le transport du grain de l'Ouest a été abrogée, les expéditeurs de grain ont reçu la garantie qu'ils jouiraient intégralement de l'effet des dispositions protégeant les expéditeurs aux termes de la Loi de 1987 sur les transports nationaux. On leur a indiqué que ces dispositions leur garantiraient qu'ils ne seraient pas défavorisés à cause du manque de concurrence dans l'industrie du transport du grain.

Si ce projet de loi est adopté sous sa forme actuelle, contrairement à ce que prévoyait la Loi de 1987, les chemins de fer exerceront une influence excessive sur nos décisions commerciales et sur la configuration du système de collecte du grain, ce qui réduira notre compétitivité sur le marché international.

L'abrogation de la Loi sur le transport du grain de l'Ouest et des dispositions de la Loi sur les transports nationaux qui protègent les embranchements obligeront notre secteur à agir plus rapidement pour consolider le réseau de collecte du grain. Nous allons devoir prendre des décisions quant au nombre d'installations que nous exploiterons et l'endroit où elles seront construites. L'accès aux services de transport des deux compagnies ferroviaires, qu'il soit soumis au jeu de la concurrence ou à une réglementation, aura un effet sur ces décisions.

Les expéditeurs de grain conviennent que les transporteurs ferroviaires devraient être exemptés des règlements superflus et pouvoir réduire avec plus de facilité leurs coûts, pour devenir plus efficaces. Le projet de loi C-14 permet d'atteindre ce but. C'est pourquoi les Syndicats du blé des Prairies appuient la plupart des dispositions du projet de loi. Cependant, nous avons beaucoup de réserves au sujet des paragraphes 27(2) et 27(3) ainsi que de l'article 112. Nous estimons que ces dispositions vident pratiquement de tout leur sens les clauses devant assurer la protection des expéditeurs.

M. Doyle: Je voudrais demander à David Finlayson, puis à Terry Park, de parler au nom de l'Association canadienne des fabricants de produits chimiques.

M. David Finlayson, Association canadienne des fabricants de produits chimiques: Madame la présidente et membres du comité, l'Association canadienne des fabricants de produits chimiques (ACFPC) représente 70 fabricants qui produisent environ 90 p. 100 de la production totale de produits chimiques du Canada. L'industrie de la fabrication des produits chimiques joue un rôle clé dans l'économie canadienne, car elle fournit des matériaux et des technologies essentielles à de nombreux autres secteurs industriels. Nos membres recourent au réseau de transport canadien pour expédier sur les marchés intérieurs et étrangers des chargements dont la valeur s'élève à presque 12 milliards de dollars par année. Cela se traduit par environ 30 000 emplois directs.

La facture annuelle de transport de ces chargements dépasse largement le milliard de dollars et pour plusieurs produits chimiques, les coûts de transport occupent la deuxième place dans le prix de la marchandise livrée, après le coût des matières premières.

Nos membres doivent avoir accès à un réseau de transport sécuritaire, souple, efficace et économique qui les aidera à demeurer compétitifs sur les marchés nord-américain et mondial. Pour nos membres, la concurrence dans le secteur ferroviaire revêt une importance toute particulière, car environ 45 p. 100 de leurs chargements sont transportés par train. Dans notre évaluation du projet de loi, nous avons donc attaché une importance particulière à l'intensification de la concurrence dans le secteur ferroviaire, car sur tous les marchés, celle-ci assure la discipline voulue pour modifier comme il se doit les taux et les services.

Nous nous sommes attachés en particulier aux para- graphes 27(2) et 27(3) et à l'article 112, qui ne figurent pas dans la Loi de 1987 sur les transports et qui affaibliront la concurrence en permettant aux expéditeurs de recourir librement aux dispositions visant l'accès aux autres transporteurs ferroviaires. Nous vous prions donc instamment de recommander le retrait de ces dispositions du projet de loi C-14.

Dans bien des cas, le volume de produits chimiques à expédier rend l'usine captive du transport ferroviaire, car il n'est pas possible ou rentable de transporter la production par camion. Même si ces obstacles pouvaient être surmontés, l'augmentation du nombre de camions sur les routes, surtout celles à destination des villes portuaires, susciterait d'autres inquiétudes relatives à la sécurité.

Les questions relatives à la sécurité et au volume sont complexes et nous craignons qu'elles ne soient pas toujours bien comprises. Étant donné que les compagnies de chemin de fer accordent une grande importance à leur point de vue sur la situation de captivité, nous croyons que si l'Office n'accepte pas les arguments de sécurité et de volume, il y a peu de chances que les demandes des expéditeurs soient acceptées.

Je vais maintenant céder la parole à M. Terry Park. Il est directeur de la logistique chez Novacor et président du comité de logistique de notre association. Il va vous décrire brièvement les répercussions des articles 27 et 112 du projet de loi C-14 sur les plans d'investissement de sa compagnie au Canada.

M. Terry Park, Association canadienne des fabricants de produits chimiques: Madame la présidente et membres du comité, c'est un honneur pour moi que d'être ici aujourd'hui. Je voudrais vous parler de notre expérience relative à l'ancienne loi et des conséquences que ce projet de loi aura, selon nous, pour l'industrie pétrochimique de l'Ouest.

Comme certains d'entre vous le savent peut-être, Alberta Gas Chemicals a été la première entreprise à demander un prix de ligne concurrentiel en 1988. Je peux vous expliquer pourquoi. Cela n'avait rien de frustratoire; c'était pour nous une question de survie. Il était clair que sans cette aide, notre compagnie aurait fait faillite.

Je voudrais parler du «préjudice commercial important» dont il est fait mention au paragraphe 27(2). J'ignore ce que cela veut dire et c'est là le problème. Dans le cas de la compagnie de méthanol, nous aurions pu prouver qu'un «préjudice important» risquait de nous conduire à la faillite. Je ne sais toujours pas ce que cela veut dire.

On peut avoir bien des raisons de vouloir un prix de ligne concurrentiel. Certaines sont d'ordre économique mais d'autres purement stratégiques. Je ne vois aucune raison d'imposer des restrictions à l'égard de dispositions aussi équitables pour les expéditeurs. C'est insensé.

Je voudrais également vous parler des investissements de Novacor Chemical en Alberta. Nous avons l'intention de construire une usine d'éthylène d'une valeur d'un milliard de dollars et des installations connexes qui devraient entrer en service d'ici l'an 2000, à Joffre, en Alberta. À elle seule, cette usine représentera 20 000 chargements de plus par an. Cet investissement s'éloigne de la norme habituelle, car c'est le premier investissement pétrochimique important qui sera fait en Alberta depuis 15 ans. Il nous semble très important pour l'infrastructure et la prospérité du pays qu'il y ait d'autres investissements du même genre.

Nous craignons toutefois qu'en raison de ce projet de loi qu'étudie le comité, notre investissement se trouve compromis. Rien n'empêche les transporteurs de nous imposer des tarifs- marchandises ridicules et excessifs, ce qui menace cet investissement. Nous sommes coincés.

Contrairement à mes concurrents américains du golfe du Mexique où l'industrie pétrochimique des États-Unis est regroupée en majeure partie, nous n'avons pas de solutions de rechange. Comme mes collègues l'ont souligné, le camionnage n'est pas une option concurrentielle. Les distances sont trop grandes et les volumes trop importants. Il s'agit de produits pétrochimiques dangereux que vous ne voudriez pas voir sur les routes.

Nous n'avons pas le choix. Nous ne comprenons pas que vous vouliez nous imposer de nouvelles restrictions alors que la réglementation donne de bons résultats depuis 1987.

Nous espérons que vous comprendrez notre point de vue et que vous accepterez de modifier le projet de loi et de laisser la réglementation telle qu'elle était. Mesdames et messieurs, vous n'avez pas à y changer quoi que ce soit.

M. Émile Dubois, Western Canadian Shippers' Coalition: Madame la présidente, membres du comité, Luscar Ltd. exploite huit mines en Alberta et en Saskatchewan. En 1994, nous avons expédié 6,4 millions de tonnes de charbon par chemin de fer, ce qui représente environ 20 p. 100 de tout le tonnage transporté par chemin de fer au Canada. Depuis 25 ans, nous avons expédié 95 millions de tonnes de charbon par ce mode de transport.

En 1995, la production houillère totale du Canada était de 75 millions de tonnes. Les exportations totalisent 34 millions de tonnes. L'industrie houillère fournit des emplois directs à 8 400 personnes.

Nos marchés sont mondiaux et nos concurrents sont répartis autour du globe. Notre principal concurrent, l'Australie, est en train de déréglementer et de restructurer ses chemins de fer. Au Queensland, cette restructuration se traduira par une réduction des tarifs-marchandises de 8 $ la tonne d'ici la fin de la décennie.

Au Canada, une réduction de 8 $ la tonne représenterait une diminution de 35 à 40 p. 100 des tarifs-marchandises. C'est une baisse très importante que nous trouvons inquiétante.

Les compagnies ferroviaires privées de la Nouvelle-Galles du Sud vont pouvoir faire circuler leurs trains sur des voies appartenant à l'État. Nous estimons que la réduction de 3 $ des tarifs-marchandises augmentera les exportations australiennes de 15 p. 100. Cela représente un investissement de 500 millions de dollars dans les mines, ce qui va créer 2 500 emplois.

Le projet de loi canadien va dans la direction diamétralement opposée. Luscar a de gros intérêts en jeu compte tenu du projet d'aménagement de la mine Cheviot qui doit remplacer la mine Luscar et qui va coûter 250 millions de dollars. Si les chemins de fer canadiens ne donnent pas la réplique à ces initiatives australiennes, la mine Luscar pourrait n'être pas remplacée. Environ 450 employés seront sans travail et des centaines d'emplois dans le secteur de la construction ne se matérialiseront pas.

Au Canada, le gouvernement dresse des obstacles en proposant les paragraphes 27(2) et (3) et l'article 112. En Australie, il abaisse les barrières. Luscar recommande que ces articles soient supprimés du projet de loi C-14.

M. Doyle: Je céderai maintenant la parole à David Church, de l'Association canadienne des påtes et papiers qui fera le dernier exposé.

M. David Church, Association canadiennes des påtes et papiers: Je suis accompagné de Mel Nunweiler, de Canfor Corporation, à Vancouver. Il est président de notre section du transport et de la distribution. M. Russ Lewis, de Stone Consolidated, de Montréal, est également avec moi. Il est président de notre comité sur la politique nationale des transports qui a élaboré la position de notre association sur le transport.

L'ACPP est une association nationale qui regroupe 52 sociétés membres de partout au Canada. Un bon nombre de leurs 150 usines sont situées dans des régions isolées du pays où elles représentent souvent la seule grande industrie. Ce secteur et les industries connexes emploient environ 240 000 travailleurs dont l'emploi dépend de la compétitivité de notre secteur sur les marchés mondiaux.

L'industrie des påtes et papiers se classe au premier rang pour son apport à la balance des paiements du Canada. L'année dernière, sa contribution nette a atteint 22,4 milliards de dollars et les exportations nettes d'autres produits forestiers en ont porté le total à 37,2 milliards de dollars.

Le Canada est le plus grand exportateur de påtes et papiers au monde. L'année dernière, il en a vendu 29 millions de tonnes à 70 pays. Dans chacun de ces pays, le Canada n'est pas le principal fournisseur de påtes et papiers. Nous arrivons seulement deuxième ou troisième derrière les autres pays producteurs qui sont plus rapprochés de ces marchés. Ce sont les clients de ces marchés qui fixent les prix auxquels nous pouvons vendre nos produits.

L'un des principaux facteurs qui déterminent notre capacité d'exporter vers ces marchés est le coût du transport. Dans le cadre de la loi actuelle, notre production est passée de 24 millions de tonnes en 1987 à près de 29 millions de tonnes en 1995, ce qui donne un taux de croissance de près de 25 p. 100 en huit ans.

La croissance que notre secteur a enregistrée au cours de cette période est menacée par les obstacles inutiles que le gouvernement envisage d'imposer aux expéditeurs, sous la forme des paragraphes 27(2) et (3) et de l'article 112, dans le but de négocier des ententes commerciales satisfaisantes avec les chemins de fer.

En conclusion, j'aimerais faire un commentaire au sujet des propos tenus par M. Stan Keyes, secrétaire parlementaire du ministre des Transports, quand il a comparu devant votre comité le 23 avril. Il a mentionné que les expéditeurs pouvaient répondre à l'évolution des conditions du marché en déplaçant leur production dans un autre pays ou en fermant une usine en perte de vitesse.

En disant cela, il laisse entendre que ces deux dispositions du projet de loi sont plus importantes pour le Canada que les 240 000 Canadiens que nous employons dans notre secteur et dans les autres industries représentées à cette table. Nous ne devrions pas promouvoir des mesures législatives qui déplaceront les emplois à l'étranger.

M. Tom Culham, Western Canadian Shippers' Coalition: J'aimerais insister sur ce qu'a dit M. Church. J'ai du mal à croire que Stan Keyes, qui parlait au nom du ministre des Transports, ait pu laisser entendre que peu importe que les exportateurs ferment leurs usines et quittent le pays si c'est dans l'intérêt des chemins de fer. Cela va certainement à l'encontre des déclarations que le premier ministre a faites quant à l'importance des emplois créés par les exportations. C'est également contraire aux intérêts du Canada.

Nous ne devrions épargner aucun effort pour préserver et accroître les emplois au Canada. Ce n'est pas ce que fait ce projet de loi. Il débarrasse les chemins de fer de certaines restrictions aux dépens des expéditeurs. C'est inacceptable.

M. Doyle: Voilà qui termine les déclarations que nos divers groupes souhaitaient faire aujourd'hui. Je voudrais répéter une chose que j'ai dite. C'est pour toutes ces raisons que nous exhortons le comité à recommander au Sénat de modifier le projet de loi C-14 en supprimant les paragraphes 27(2) et (3) ainsi que l'article 112.

Nous nous ferons un plaisir de répondre à vos questions.

La présidente: Monsieur Doyle, au nom du comité, je tiens à vous remercier de nous avoir fait parvenir à l'avance le texte de vos déclarations. Cela nous a aidé à mieux prendre connaissance de vos préoccupations.

Vos objections semblent surtout porter sur les paragraphes 27(2) et (3) et l'article 112. J'ai cru comprendre que vous étiez d'accord avec de nombreux aspects du projet de loi en dépit des objections que vous avez exprimées.

Vous semblez trouver inacceptable l'expression «commercialement équitables et raisonnables» qui figure à l'article 112. N'est-ce pas sur cette base que toute transaction commerciale devrait se faire?

M. Doyle: Madame la présidente, je vais répondre à votre première question et je demanderai ensuite à Russ Lewis de répondre à celle qui porte sur l'expression «commercialement équitables et raisonnables».

Nous appuyons la portée générale du projet de loi C-14 à l'exception des deux dispositions mentionnées. Cela ne nous empêche pas d'avoir nos propres inquiétudes. Et croyez-moi, nous en avons. Nous pensons que les chemins de fer seront libres d'abandonner une usine ou de la céder à un chemin de fer d'intérêt local. Nous avons entendu dire que le tiers de leurs voies pourraient être ainsi cédées au cours des cinq prochaines années.

Pour la plupart, nous avons des usines qui se trouvent sur des lignes secondaires ou des embranchements. Nous savons que nous pourrions être sérieusement menacés; mais nous savons également que les chemins de fer du Canada ont des difficultés et qu'il faut les résoudre. Nous sommes prêts à assumer certains risques pour les aider.

L'article 112 et les paragraphes 27(2) et (3) vont bien au-delà de ce que nous sommes prêts à accepter.

La présidente: Même si la Chambre des communes a modifié ces deux articles, vous estimez que ce n'est pas suffisant?

M. Doyle: Si ces articles étaient supprimés, je pense que nous pourrions tous appuyer le projet de loi. Je peux le déclarer au nom de ma société. Avec les réserves que j'ai indiquées, je peux appuyer ce projet de loi. Je crois que les opinions exprimées par mes collègues vont dans le même sens. Ce n'est pas sans certaines inquiétudes que nous le disons.

M. Russ Lewis, Association canadienne des påtes et papiers: Si l'article 112 n'est pas supprimé du projet de loi C-14, il va faire la fortune des avocats. Il empêchera les expéditeurs de faire appel à l'Office. C'est la nécessité d'établir ces seuils subjectifs au cas par cas qui nous inquiète et l'article 112 nous paraît inutile.

L'article du projet de loi C-14 qui concerne les tarifs d'interconnexion et les prix de ligne concurrentiels garantit déjà aux chemins de fer que ces tarifs doivent être compensatoires. Les dispositions du projet de loi sur le niveau de service obligent les compagnies de chemin de fer à fournir des services raisonnables. Par conséquent, l'article 112 n'a aucune raison d'être et va seulement entraîner des litiges inutiles et des conditions disparates.

En outre, pour que l'Office puisse établir si les prix sont commercialement équitables et raisonnables au cas par cas, il devra analyser la viabilité financière et la taille de l'entreprise. Ces considérations n'ont rien à voir avec la politique énoncée dans le projet de loi selon laquelle une concurrence est souhaitable.

Transports Canada et les rédacteurs de cette mesure n'ont pas l'habitude de négocier avec les chemins de fer. Ils n'ont jamais expédié la moindre tonne de marchandises, négocié un tarif ou payé une facture de transport. Ils n'ont tout simplement pas compris les préoccupations des expéditeurs quant aux répercussions de l'article 112.

Je demanderais aux sénateurs de réfléchir à ce qui suit. Je représente 10 usines de papier du Canada. Nous expédions environ 3,5 millions de tonnes de påtes et papiers, surtout par chemin de fer. S'il y a une véritable concurrence, je vais m'en servir. Si la concurrence n'existe pas, je ne peux pas négocier avec les chemins de fer à moins d'avoir accès à l'Office. Si les obstacles ne sont pas éliminés, je n'aurai plus accès à l'Office et mon pouvoir de négociation se trouvera diminué. Je serai obligé de me battre devant l'Office et de passer mon temps devant les tribunaux au lieu de négocier avec les chemins de fer.

La même chose s'applique aux paragraphes 27(2) et (3) en ce qui concerne le «préjudice commercial important».

Le sénateur Roberge: Avez-vous la preuve que les chemins de fer cherchent à profiter de leur monopole? Pour en revenir à ce que vous venez de dire, j'ai l'impression qu'ils n'ont pas intérêt à nuire au marché ou à trop exiger de lui, car personne n'y gagnerait. Ne soupçonnez-vous pas les chemins de fer d'être de mauvaise de foi?

M. Doyle: Je voudrais vous parler de mon expérience personnelle. Avant la Loi de 1987, je représentais la même industrie que maintenant. Nous étions des expéditeurs captifs. Les chemins de fer nous rencontraient régulièrement pour nous dire quels seraient les tarifs pour nos marchandises. Nous pouvions ou bien les accepter ou bien faire appel en vertu de l'article sur l'intérêt public qui existait avant la Loi de 1987. C'était une source d'ennuis, car cela coûtait des centaines de milliers de dollars et pouvait durer des semaines ou des mois. C'est une solution que les expéditeurs hésitaient à choisir et nous finissions par accepter le prix des chemins de fer. On peut sans doute prouver que ces derniers ont souvent accaparé une part plus grande des coûts de production que les producteurs.

À compter de 1988, quand les dispositions sur les prix de ligne concurrentiels ont été incluses dans la loi, la réaction des chemins de fer a été absolument sidérante. Ils se sont mis à négocier sérieusement avec nous et la plupart des autres expéditeurs du pays. En général, nous avons réussi à conclure des ententes acceptables. C'est seulement dans de très rares cas, sur des dizaines de milliers, que nous n'y sommes pas parvenus. C'est le libre accès aux dispositions visant à venir en aide aux expéditeurs qui ont amené les chemins de fer à négocier sérieusement.

Ce que proposent les paragraphes 27(2) et (3) et l'article 112 est un retour à la situation antérieure à 1987. Les chemins de fer nous demandent de leur faire confiance, mais nous n'avons pas confiance en eux.

Ce qu'il y a d'intéressant, au Canada, c'est que le gouvernement essaie d'instaurer la concurrence et de supprimer les monopoles dans le secteur du téléphone. Pourquoi va-t-il dans le sens opposé dans ce projet de loi? Je n'arrive pas à comprendre.

Le sénateur Roberge: Ne pensez-vous pas que la façon de voir des compagnies de chemin de fer pourrait être différente dans les années 90 de ce qu'elle était dans les années 70?

M. Doyle: Devons-nous risquer notre avenir économique en leur faisant confiance ou ne faudrait-il pas simplement modifier le projet de loi afin d'avoir des certitudes?

M. Larsen: Vous avez un bon exemple de monopole dans le secteur du grain qui a été réglementé jusqu'à maintenant. Les chemins de fer pouvaient accorder des prix d'encouragement à ce secteur. Dans ma déclaration, j'ai mentionné que les prix d'encouragement qu'ils offraient à leurs clients étaient similaires. Ils étaient à peu près identiques et ils ont fini par être abandonnés. Ce qui s'est passé pour le grain dans l'Ouest constitue un excellent exemple.

Le sénateur Roberge: Tout à l'heure, vous avez parlé des prix. Vous avez mentionné que, dans votre secteur, les prix avaient généralement baissé depuis 20 ans. D'après les chiffres que j'ai vus, ils sont restés stagnants de 1988 à 1991 et à compter de 1992 ils ont nettement augmenté.

M. Doyle: Je parlais de prix n'incluant pas l'inflation. La Banque de Nouvelle-Écosse publie, sous deux formes différentes, les indices des prix des marchandises à l'exportation. Une de ces listes donne les prix incluant l'inflation. Le taux d'augmentation des marchandises d'exportation canadiennes n'a cessé de ralentir depuis 20 ans. Les prix fluctuent à la hausse et à la baisse mais en moyenne, les augmentations n'ont cessé de diminuer depuis une vingtaine d'années. En dollars constants, ils n'ont pas cessé de fléchir. Les prix en dollars constants suivent une courbe descendante depuis 1972 environ.

Le sénateur Roberge: Nous obtenons le même genre de renseignements de la Bourse de Toronto. On constate une légère différence entre le prix des marchandises et les tarifs ferroviaires. Les courbes vont dans une direction différente. Étant donné que le prix des marchandises a augmenté, même de façon minime, dites-vous, tandis que les tarifs ferroviaires ont nettement diminué depuis 10 ans, avez-vous cherché à négocier avec les chemins de fer pour trouver une autre formule?

M. Culham: Pour répondre à cette question, je voudrais vous parler des marchés du transport. Il y a d'importantes fluctuations dans le prix de nos produits. C'est le cas pour la påte et le bois d'oeuvre. Notre marché est international. Si nous examinons le marché du chemin de fer et du transport - et la comparaison me paraît plus raisonnable - depuis 10 ans, nous avons assisté une baisse du prix du transport, des frais de terminal et des tarifs ferroviaires au Canada et aux États-Unis de même que des tarifs de camionnage dans l'ensemble de l'Amérique du Nord. Je crois que c'est vrai également pour le transport aérien.

Le prix du transport à l'unité a baissé. Si vous examinez ce marché, c'est sans doute ce que vous constaterez. Par conséquent, je crois plus équitable de comparer nos tarifs de chemin de fer par rapport à ceux des chemins de fer des États-Unis.

M. Robert Renwick, président, Western Canadian Shippers' Coalition: J'ajouterais que pendant une bonne partie de la période dont nous parlons, le Canada a connu la récession. Tout le monde était poussé à baisser ses prix pour rester concurrentiel. Les chemins de fer devaient normalement se trouver dans la même situation que toutes les autres entreprises.

Le sénateur Roberge: Ma dernière question s'adresse aux représentants du secteur des påtes et papiers. Je crois que vous transportez actuellement vos marchandises par camion jusqu'aux centres de rechargement des États-Unis. Votre transport par camionnage a-t-il diminué par rapport au reste?

M. Church: Le camionnage répond à environ 30 p. 100 des besoins de transport du secteur des påtes et papiers. Il ne faut toutefois pas oublier que nous avons de nombreuses usines dans des centres urbains comme Montréal et Toronto qui sont plus proches de la frontière américaine. D'autre part, un bon nombre de nos principaux producteurs de påte et de papier journal sont situés dans des régions isolées du pays. C'est surtout par chemin de fer qu'ils transportent leurs produits jusqu'aux marchés.

Oui, nous faisons un peu de camionnage, sans aucun doute. Cela dépend toutefois de la capacité des chemins de fer à fournir le service là où se trouvent les usines, les marchés et les clients. Dans l'ensemble, notre secteur a besoin du chemin de fer pour répondre aux besoins de sa clientèle étant donné les volumes que nous expédions et l'emplacement de nos usines.

Le sénateur Spivak: J'étais là pendant le débat de 1987, comme le sénateur Forrestall. À l'époque, j'ai cru comprendre qu'on voulait surtout assurer une concurrence. Nous voulions établir un juste équilibre entre les intérêts des chemins et ceux des expéditeurs. Nous voulions établir un juste équilibre entre ces intérêts commerciaux et les intérêts économiques de l'Ouest et cela, gråce à la concurrence.

Je ne comprends pas la raison d'être de cette mesure. Dans votre témoignage détaillé et complet, vous nous avez dit que la Loi de 1987 donnait de bons résultats, alors pourquoi la changer? Selon vous, pour quelles raisons veut-on la modifier? Je n'ai pas lu les témoignages présentés au comité de la Chambre. La seule raison que je puisse voir c'est que les compagnies ferroviaires pensent que la loi sert trop les intérêts des expéditeurs.

Je ne devrais pas le dire, mais je crois que le mémoire du CN laissait entendre qu'il faudrait peut-être rééquilibrer les intérêts des expéditeurs et des chemins de fer. Je peux seulement supposer que ce sont ces derniers qui ont demandé cette mesure.

Mon autre question est un peu plus précise. D'après certains renseignements que nous avons sous les yeux, le libellé du paragraphe 27(2) qui parle d'un «préjudice commercial important» ne vise pas à empêcher les expéditeurs d'avoir accès à l'Office; c'est une simple ligne directrice qui aidera l'Office à déterminer si un expéditeur risque de subir un préjudice commercial important, ce qui ne peut être défini étant donné que chaque cas est différent. Qu'en pensez-vous? Je vois que vous avez un conseiller juridique avec vous.

J'ai constaté qu'on ne pouvait pas toujours obtenir tout ce qu'on veut au Sénat et au Parlement.

Des deux articles auxquels vous voyez des objections, je suppose que le paragraphe 27(2) vous déplaît davantage que l'article 112, même si vous voudriez qu'ils soient supprimés tous les deux.

Comme je suis de l'ouest du pays, je sympathise énormément avec vous. J'ai vécu dans une ferme la majeure partie de ma vie. Mon père produisait des céréales, entre autres choses.

M. Doyle: D'abord, sénateur Spivak, nous estimons que la Loi de 1987 donnait de bons résultats. Elle n'était pas parfaite ou idéale, mais elle était satisfaisante.

Il n'y a pas de véritable concurrence dans la majeure partie de l'ouest du pays ou même ailleurs au Canada. Nous sommes presque tous desservis par une compagnie ferroviaire et non pas deux. En l'absence de concurrence, la Loi de 1987 contenait des dispositions visant à venir en aide aux expéditeurs. Si j'étais desservi par une compagnie ferroviaire qui ne pouvait pas me donner satisfaction, je pouvais alors, au moyen d'un prix de ligne concurrentiel, avoir accès à un autre chemin de fer qui pouvait m'offrir un tarif raisonnable.

Les prix d'interconnexion offraient la même possibilité de façon plus limitée. Si ces solutions n'étaient pas possibles, on pouvait toujours faire intervenir un tiers qui arbitrait le différend entre les parties.

La Loi de 1987 n'était peut-être pas parfaite, mais elle donnait de bons résultats. Ce projet de loi semble changer énormément les choses.

Les paragraphes 27(2) et (3) ainsi que l'article 112 empêcheront les expéditeurs de se prévaloir de ces dispositions. Ils constitueront des obstacles. Ces mots d'une signification plutôt générale ne sont pas définis. Les chemins de fer ont tout intérêt à contester l'interprétation que l'Office en fera dans chaque cas.

Nous avons constaté par le passé qu'en vertu de la clause d'intérêt public qui figurait à l'article 23 de la loi antérieure à 1987, les chemins de fer défendaient leurs intérêts économiques tout comme nous le faisons. Nous devons nous attendre à de terribles batailles juridiques qui ne serviront pas les intérêts économiques du pays.

Le sénateur Spivak: Diriez-vous que la situation est équilibrée entre les expéditeurs et les chemins de fer? Diriez-vous qu'il ne faut pas menacer cet équilibre?

M. Doyle: Cet équilibre me paraît aussi raisonnable qu'il peut l'être dans un pays aussi diversifié que le nôtre. Le parfait équilibre n'est pas possible. La plupart des gens reconnaîtront toutefois que, dans l'ensemble, il est assez raisonnable.

Les compagnies ferroviaires ont dit que la loi penchait en faveur des expéditeurs. Si la loi dit qu'en l'absence de concurrence vous pouvez vous adresser à un autre transporteur, c'est peut-être le cas.

M. Lewis: Les dispositions de ce projet de loi concernant l'abandon de lignes ouvrent une nouvelle voie pour les chemins de fer et leur permettent de rationaliser leur infrastructure. Nous savons que cette mesure va placer certains d'entre nous dans une situation difficile, mais nous l'appuyons parce qu'il est bon pour le Canada, bon pour les chemins de fer et bon pour nous que cette rationalisation ait lieu. Toutefois, l'idée d'avoir à affronter tous ces obstacles si nous devons faire appel à l'Office ne nous plaît pas.

Le sénateur Spivak: J'aimerais parler de l'abandon de lignes. Je crois que nous nous concentrons sur les deux grandes questions qui vous préoccupent. Elles me préoccupent aussi. Peut-être que quelqu'un soulèvera cette question-là plus tard.

M. Jim Foran, conseiller juridique, Western Canadian Grain Shippers' Coalition: Nous parlons dans notre mémoire de la question d'équilibre. En 1993, voici ce que le comité permanent des transports a déclaré au sujet de dispositions relatives à l'accès concurrentiel à propos du rapport du comité d'examen de la Loi sur les transports nationaux:

Toute tentative visant à alourdir ces dispositions par des exigences supplémentaires et des éléments de subjectivité incitera inévitablement les expéditeurs à n'y pas avoir recours.

Et il a ajouté:

La Loi sur les transports nationaux de 1987 a constitué une tentative visant à établir un certain équilibre entre les intérêts de l'expéditeur et ceux des chemins de fer gråce à la mise en vigueur de ces dispositions visant l'accès aux autres transporteurs ferroviaires. Nous sommes convaincus, à la suite des propos que nous avons entendus, que ce fragile équilibre ne devrait pas être perturbé.

Telle était la recommandation unanime du comité permanent des transports. Stan Keyes en était le vice-président. Nous ignorons ce qui a pu se passer en trois ans pour changer la situation.

À quel point la loi a-t-elle été satisfaisante? Comme le dit le vieux proverbe, «le mieux est l'ennemi du bien».

La LTN de 1987 a eu ceci de remarquable que, depuis huit ans, des milliers de contrats confidentiels ont été conclus avec les chemins de fer à la suite de négociations et de concessions mutuelles. L'Office n'a reçu que quelques demandes parce que les expéditeurs ont pu utiliser efficacement les clauses relatives à l'accès concurrentiel.

Les expéditeurs avaient la possibilité de s'adresser à l'Office pour obtenir un prix de ligne concurrentiel ou une interconnexion s'ils se trouvaient dans un rayon de 30 kilomètres. Le gouvernement a dit qu'il ne comptait pas modifier ces dispositions.

Ce qu'on ne vous dit pas c'est que ces dispositions contiennent déjà des garanties. Vous ne pouvez obtenir un prix de ligne concurrentiel que si vous êtes captif d'un chemin de fer. Vous devez donc être desservi par une compagnie ferroviaire pour l'obtenir. La loi dit également que le prix doit être compensatoire. Cela veut dire que la compagnie ferroviaire doit récupérer le coût du transport et une contribution à ses frais fixes. Les chemins de fer ont déjà la garantie qu'ils n'auront pas à transporter des marchandises à un tarif inférieur à leur prix de revient. La loi contient une formule pour le calcul du prix de ligne concurrentiel. C'est ainsi que l'Office doit procéder.

Pour ce qui est des interconnexions, l'Office doit, chaque année, établir les prix d'interconnexions pour l'ensemble du système et ces prix doivent surpasser les coûts variables moyens des chemins de fer. Ces dispositions leur donnent donc déjà des garanties.

Je voudrais ajouter une chose au sujet du niveau de service, des obligations du transporteur. La loi stipule déjà très clairement que les chemins de fer ont seulement l'obligation de fournir un service raisonnable. La loi comme les tribunaux les obligent seulement à offrir des services raisonnables. Pour en revenir aux autres questions qui vous ont été posées, à quoi sert-il alors d'inclure les mots «commercialement équitables et raisonnables»? C'est déjà prévu. Pourquoi ajouter ces mots alors que les dispositions offrent déjà ces garanties?

Nous pouvons seulement conclure que ces mots sont là pour dresser des obstacles ou des barrières qui empêcheront les expéditeurs d'avoir accès à l'Office, car il faudra que ce dernier se prononce cas par cas. Comme l'a dit Russ Lewis, si vous voulez négocier avec les chemins de fer, ces derniers vous disent: «Voilà ce que nous vous proposons». Vous répondez alors: «Cela ne nous satisfait pas. Nous allons nous adresser à l'Office». Jusqu'ici, ce recours ne posait aucun problème. Il faudra maintenant surmonter ces obstacles, obtenir une décision cas par cas et, comme ils le faisaient avant 1988, les chemins de fer diront: «Nous nous reverrons au tribunal».

Nous allons donc passer d'un régime de négociations commerciales à un règlement cas par cas des litiges. Comme l'a dit Tom Culham, on débarrasse les chemins de fer des inconvénients de la réglementation aux dépens des expéditeurs. Ces articles n'ont aucune utilité et vont constituer de véritables obstacles pour les expéditeurs. Il faut les supprimer afin de préserver les effets positifs constatés depuis huit ans.

Le sénateur Spivak: Si je comprends bien, vous ne partagez pas le point de vue du comité permanent de la Chambre des communes qui considérait que les mots «préjudice commercial important» n'empêcheraient pas de faire appel à l'Office et qu'ils serviraient plutôt de guide. Je sais quelles sont les conséquences que vous prévoyez et je suis d'accord avec vous, mais c'est ainsi que le comité a vu les choses. Êtes-vous d'accord ou non avec cette interprétation?

M. Foran: Non, je ne suis pas d'accord. Cela obligera l'Office à tirer ses conclusions, mais il n'a pas besoin de ces mots pour le guider si toutefois ils peuvent servir de guide.

Le sénateur Forrestall: Je me demande pourquoi ces deux articles sont là. Je voudrais aussi que les témoins ou la présidente me disent pourquoi ce n'est pas le gouvernement ou l'Office qui a proposé ces changements. Pourquoi le comité permanent l'a-t-il fait, en principe de son propre chef?

M. Renwick: Nous ne le savons pas non plus. Nous ignorons pourquoi il a proposé quelque chose qui va modifier l'équilibre actuel et compliquer autant la situation pour les expéditeurs. Nous nous posons cette même question depuis le mois de juin.

Le sénateur Forrestall: Pouvons-nous demander aux témoins s'ils ont eu l'occasion de contester ces amendements. Les avez-vous contestés devant le comité permanent?

M. Renwick: Oui, sénateur. Pratiquement toutes les associations d'expéditeurs qui ont comparu devant le comité permanent les ont contestés. Je ne peux pas vous dire, de mémoire, combien de groupes ont témoigné. Je crois qu'il y en a eu 60 ou 70. Chaque groupe a dit au comité permanent: «C'est une mauvaise chose. Cela va nous empêcher d'être concurrentiels. C'est une mauvaise chose pour le Canada». Mais le comité l'a fait quand même.

Le sénateur Forrestall: Peut-on m'expliquer vraiment pourquoi il a jugé bon d'apporter ces changements? A-t-il expliqué aux témoins pourquoi il l'a jugé nécessaire en dépit des témoignages et des mémoires qu'il a reçus?

M. Renwick: À ma connaissance, on n'a pas dit aux expéditeurs pourquoi ces mesures ont été laissées dans le projet de loi.

Le sénateur Forrestall: Par conséquent, nous ne savons pas ce qui a incité le comité à apporter ces deux changements. Il est pour le moins inhabituel que le comité prenne l'initiative d'apporter des modifications qui semblent importantes et qui changent peut-être l'intention du projet de loi. Je me demande d'abord comment on a pu l'autoriser à le faire et sur quelle raison légitime il s'est fondé.

Deuxièmement, comment puis-je obtenir la réponse à ce genre de question? J'ai l'impression qu'on nous a expliqué pourquoi il faudrait supprimer ces dispositions, mais pas pourquoi il faudrait les laisser. J'ai eu l'occasion de lire le témoignage du secrétaire parlementaire, mais il ne dit pas grand-chose quant aux raisons pour lesquelles ces mesures ont été insérées. Pourriez-vous m'aider, madame la présidente? Pourquoi une telle situation?

La présidente: Nous allons devoir poser la question au ministre lorsqu'il comparaîtra devant le comité.

Le sénateur Forrestall: Cela me paraît nécessaire.

M. Doyle: Permettez-moi de faire une observation personnelle, à titre d'expéditeur, quant à la façon dont les choses se sont déroulées devant le comité permanent de la Chambre? L'atmosphère était très hostile, plus que pour tout témoignage auquel j'avais participé avant.

Le sénateur Forrestall: Qui étaient les adversaires?

M. Doyle: Certains membres du comité semblaient dressés contre les expéditeurs et semblaient leur dire: «Comment osez-vous nous présenter de telles opinions?» Aucun des membres du comité ne m'a dit pourquoi il procédai ainsi. À mon avis, cela avait beaucoup à voir avec la privatisation du CN, car on voulait s'assurer que les actionnaires, dont un bon nombre sont Américains, obtiendraient un rendement satisfaisant sur leur investissement. C'était très inquiétant pour nous, les expéditeurs, qui étions les clients du CN.

Le sénateur Roberge a dit tout à l'heure que nous devrions songer à faire confiance aux chemins de fer et que nos objectifs sont peut-être les mêmes. Le problème est qu'ils doivent rendre des comptes à leurs actionnaires. Si je suis le président d'une compagnie de chemin de fer et si j'ai à choisir entre un rendement satisfaisant pour mes actionnaires ou les intérêts d'un expéditeur, je pourrais très bien décider de satisfaire mes actionnaires.

Le sénateur Forrestall: Je m'arrêterai là. J'ignore si cela visait ou non à rendre la privatisation du CN plus acceptable. Je n'ai aucun moyen de le savoir, à moins que le ministre ou un autre représentant du gouvernement ne soit prêt à m'éclairer. Si c'est le cas, c'est une accusation très grave qui pèse sur tout le processus.

Vous comprendrez que non seulement je tiens beaucoup à entendre ce que le ministre aura à nous dire, mais que je demanderais à la présidence d'interpeller officiellement le gouvernement quant à l'origine de toute cette histoire. Je voudrais des réponses.

Je n'ai aucun désir de retarder le projet de loi ou de faire quoi que ce soit de ce genre. Quand nous nous sommes penchés, il y a quatre ans, sur les changements qui s'imposaient à la Loi sur les transports nationaux, nous n'avions pas prévu qu'on la retoucherait ainsi. Nous ne pensions pas non plus que le processus d'examen mis en place conduirait le gouvernement à faire ce qu'il a fait. Je dois dire qu'à mon avis il a réalisé un bon travail. J'en étais satisfait jusqu'à maintenant. Je ne sais toujours pas ce que cela veut dire. Je voudrais y voir plus clair.

Si ces dispositions sont là pour de mauvaises raisons ou s'il y a des manigances quelconques, je voudrais le savoir.

Le sénateur Perrault: Des renseignements importants nous ont été communiqués aujourd'hui. Ils sont très intéressants et représentent des recherches approfondies.

Tout d'abord, monsieur Doyle, vous avez fait une déclaration qui a semé un certain désarroi dans la salle. Vous avez dit que malgré les efforts déployés par tout le monde, notre compétitivité internationale était en baisse. Il est sidérant de penser qu'avec un dollar aussi faible nous ne puissions pas être plus concurrentiels. Cette situation ne peut certainement pas être entièrement attribuée au transport et ce n'est pas non plus ce que vous avez dit. Les exportateurs canadiens sont sans doute confrontés à un problème plus fondamental si nous perdons notre part du marché. Quel est ce problème?

M. Doyle: Je ne crois pas qu'il soit facile de répondre à cette question. Pour la plupart des matières premières, si vous examinez leur part du marché international au cours des années - et c'est certainement vrai pour le soufre, le charbon et divers autres produits - nous avons augmenté, d'une année à l'autre, le tonnage de nos exportations.

Le sénateur Perrault: Votre part du marché est en baisse, n'est-ce pas?

M. Doyle: Oui, elle est en baisse. Je crois que nous avons de plus en plus de difficultés à soutenir la concurrence aux prix que le marché international est prêt à payer pour un bon nombre de nos produits. Dans les années 80, le produit dont je m'occupe se vendait à 90 $ US la tonne ou même plus. Dans les années 90, nous le vendons à 35 $ la tonne environ. Nous nous souvenons de l'époque, et il y a 10 ans et plus, où le charbon se vendait entre 80 $ et 90 $ US la tonne.

Le sénateur Perrault: Je me souviens de ces négociations. J'ai participé à certaines d'entre elles.

M. Doyle: Le prix du charbon se rapproche maintenant davantage de 50 $ ou 60 $ la tonne. Selon moi, c'est surtout dû à la technologie qui a des effets insidieux et généralisés. C'est une situation à laquelle nous devons face sur la scène internationale. D'autre part, les sources de concurrence sont plus nombreuses.

Le sénateur Perrault: Les pays sous-développés arrivent sur le marché avec divers produits.

M. Doyle: En effet. Nous n'attribuons pas toute la responsabilité aux chemins de fer.

Le sénateur Perrault: Il y a d'autres raisons.

M. Doyle: Mais nous disons que les frais de transport ferroviaire représentent une bonne partie de nos coûts.

Le sénateur Perrault: Vous devez parvenir au maximum d'efficacité sur tous les plans, que ce soit la main-d'oeuvre et tout le reste.

M. Doyle: C'est exact.

Le sénateur Perrault: Depuis quelque temps, les Américains se montrent prêts à s'attaquer à nous sur les marchés du transport du Canada. Quelle est la possibilité que les chemins de fer américains comme Great Northern, si c'est toujours son nom, acheminent le grain canadien par Portland, Seattle et San Francisco? Est-ce faisable? Cela devrait-il nous inquiéter? Ou est-ce une option que vos membres envisagent?

M. Larsen: Les tarifs ne sont pas concurrentiels lorsque vous allez jusqu'à la côte ouest uniquement par chemin de fer. Vous obtenez des tarifs concurrentiels des chemins de fer lorsqu'ils sont en concurrence avec le Mississippi et d'autres modes de transport.

Le sénateur Perrault: Le transport est largement subventionné malgré les protestations des Américains, n'est-ce pas?

M. Larsen: Le camionnage du grain canadien jusqu'au réseau ferroviaire américain n'est pas une option viable.

Le sénateur Perrault: Ce n'est pas rentable?

M. Larsen: Non.

Le sénateur Perrault: La voie du Mississippi est-elle rentable?

M. Larsen: Cela donne un tarif concurrentiel. Les prix sont certainement concurrentiels pour la commercialisation du grain une fois que le chargement arrive au port. Dans cette région du Mississippi, les chemins de fer sont concurrentiels. Si je me rends directement par chemin de fer jusqu'à la côte ouest, je n'ai pas avantage, en tant qu'expéditeur de grain, à utiliser le réseau américain.

Le sénateur Perrault: Je viens de la région de Vancouver. L'autre jour, j'ai parlé à un membre du syndicat des travailleurs du grain. Il m'a dit qu'il était impossible de s'entendre avec les compagnies céréalières, les terminaux. Ils sont prêts à offrir des règles très souples et ils voudraient qu'une entente soit conclue. Voyez-vous une possibilité de règlement pour bientôt?

M. Larsen: Parlez-vous de la situation syndicale là-bas?

Le sénateur Perrault: Oui.

M. Larsen: J'espère que oui. Certaines conventions collectives datent de plusieurs années. Sur la côte ouest, nous essayons d'assurer l'opération continue du terminal. Nous ne pouvons pas nous permettre d'ajouter au prix d'une tonne de céréales le taux élevé de rémunération des heures supplémentaires prévu dans les contrats actuels. Nous devons assurer une exploitation continue à un taux de rémunération plus raisonnable afin de pouvoir fonctionner sept jours sur sept plutôt que cinq.

Le sénateur Perrault: Cette observation se rapporte à nos coûts de production. Ce syndiqué m'a dit: «Pour que le secteur céréalier reste concurrentiel, nous devons nous montrer plus souples et plus coopératifs. Nous voudrions négocier rapidement une entente pour régler cette question.» N'est-il pas temps de reprendre le dialogue avec les syndicats?

M. Larsen: En fait, certains de nos représentants rencontrent les syndicats aujourd'hui et demain. Ils vont parler de la situation sur la côte ouest.

Le sénateur Perrault: De nombreuses déclarations ont été faites aujourd'hui autour de cette table. Je sais que vous souhaitez l'élimination pure et simple des paragraphes 27(2) et (3) et de l'article 112. Pensez-vous qu'ils peuvent être modifiés, qu'un compromis soit possible ou que les pouvoirs de l'Office puissent être décrits de façon plus explicite?

M. Doyle: Sénateur, plusieurs groupes sont présents ici. Nous n'avons pas eu l'occasion de discuter de ces possibilités entre nous. Il faudrait que nous puissions vous en reparler.

Le sénateur Perrault: Nous ne voulons pas que qui que ce soit se trouve à la merci des compagnies ferroviaires ou d'un autre secteur de l'économie. Les opinions que vous avez exprimées nous intéressent. En tout cas je parle pour moi.

La présidente: Si vous avez d'autres recommandations à faire au comité, peut-être pourriez-vous me les faire parvenir avant la fin de notre examen de ce projet de loi.

Monsieur Doyle, dans votre déclaration, vous mentionnez le risque de perte d'emplois. Avez-vous des chiffres ou une idée quant aux pertes d'emplois que cela pourrait représenter?

M. Renwick: Il est très difficile de répondre à cette question. Il y a deux façons de considérer les choses. Premièrement, c'est une nouvelle loi. Si ces dispositions sont maintenues, aucun expéditeur ne peut dire quand les chemins de fer vont décider d'en profiter.

Deuxièmement, nous avons appris aujourd'hui qu'au moins deux grands projets devaient être construits dans l'Ouest du pays. Si ces deux dispositions restent dans le projet de loi, quelles conséquences cela aura-t-il pour ces deux compagnies? Nous l'ignorons.

Personnellement, je crois que si on se contente de modifier le libellé de ces articles, ils constitueront quand même un obstacle et poseront pour les expéditeurs les mêmes problèmes que le libellé initial.

Pour éviter des pertes d'emplois, s'il n'est pas possible d'effectuer une entente avec le transporteur, il faudra ou bien aller devant les tribunaux ou bien céder et payer aux chemins de fer ce qu'ils exigeront au risque de se faire exclure du marché à cause d'un prix trop élevé. Votre question est complexe, car cela présente de nombreux inconvénients pour les entreprises canadiennes. Nous ne voyons pas un seul avantage.

La présidente: Quand vous mentionnez les pertes d'emplois, vous avez sans doute une idée de ce que cela représente, n'est-ce pas?

M. Renwick: Non, nous savons que les emplois seront compromis et souvent fortement compromis. Nous ne pouvons pas quantifier ces pertes, car nous ignorons ce que les chemins de fer vont faire dans les diverses situations.

M. Park: C'est une question de choix. Les gens font des choix économiques en fonction des probabilités et d'un certain raisonnement. Si vous avez à choisir entre ce genre de restrictions et la construction d'un établissement dans une autre région, vous choisirez sans doute la deuxième solution.

Il est difficile de prévoir le nombre d'emplois perdus. Cependant, comme je l'ai dit dans ma déclaration, il n'y a pas eu d'investissement dans la pétrochimie en Alberta depuis 15 ans. Nous avons maintenant des possibilités d'investissement alors encourageons-les au lieu du contraire.

La présidente: Les emplois qui existent aujourd'hui pourraient être perdus et de nouveaux emplois risquent de ne pas être créés, est-ce bien ce que vous voulez dire?

M. Park: Tous les emplois seront touchés, que ce soit dans la construction ou dans l'industrie proprement dite au cours des années.

M. Doyle: Notre industrie ne représente qu'un petit secteur de l'activité industrielle dans l'ouest du pays. Nous employons environ 20 000 travailleurs, directement et indirectement. Si nous ne pouvons pas expédier et exporter - et j'ai mentionné tout à l'heure que nous exportons environ 6 millions de tonnes en moyenne par an - ces 20 000 personnes seront sans emploi.

Il nous est difficile d'imaginer que nous cesserions d'exporter, mais je peux vous dire une chose. Dans les années 60 et 70, notre industrie n'exportait qu'une partie de sa production. Dans les Prairies, nous avons accumulé jusqu'à 23 millions de tonnes métriques de soufre que nous n'avons pas pu vendre.

Dans les années 80, dans un climat plus concurrentiel, nous avons pu en vendre la majeure partie. Nous recommençons à stocker du soufre dans les Prairies. Il est possible que, dans des circonstances économiques difficiles, avec des coûts trop élevés, certaines de ces 20 000 personnes se retrouvent sans emploi. Nous sommes déjà passés par là.

M. Renwick: Je voudrais mentionner une chose que j'ai oubliée tout à l'heure.

Dans le discours du Trône qui ouvrait la deuxième session de cette législature, le gouvernement fédéral s'est engagé une nouvelle fois à préserver les emplois et à en créer de nouveaux. Il a aussi reconnu que la croissance des emplois au Canada dépendait largement de nos exportations en déclarant que chaque fois que nous exportions pour un milliard de dollars de produits, cela représentait 11 000 emplois pour les Canadiens.

Le sénateur Perrault: Les renseignements concernant l'Australie m'intéressent beaucoup. Les Australiens rendent leur réseau ferroviaire beaucoup plus efficace.

Le sénateur Forrestall: Je reste très hésitant. Comment les chemins de fer pourraient-ils vous empêcher de vendre, vous forcer d'arrêter votre production et de mettre des travailleurs à pied? Le feraient-ils en exigeant un tarif déraisonnable ou juste un peu trop élevé pour vous?

En tant qu'expéditeur, seriez-vous forcé d'entamer toute la procédure prévue qui pourrait prendre six jours, six mois ou deux ans? Quelle est la pire situation qui pourrait se produire si vous deviez recourir à l'Office? Après vous être adressé à l'Office, vous pourriez toujours faire appel aux tribunaux. Pendant combien de temps les chemins de fer pourraient-ils suspendre vos activités? Pourraient-ils vous causer autant de tort?

M. Foran: Le scénario que vous avez décrit, sénateur Forrestall, est tout à fait plausible. Les chemins de fer pourront imposer un tarif et une fois qu'il entrera en vigueur, ce sera le tarif légal.

L'expéditeur devra alors ou bien accepter ce tarif ou bien entamer une procédure. S'il opte pour un prix de ligne concurrentiel et décide de s'adresser à une autre compagnie ferroviaire, il doit faire sa demande à l'Office, prouver qu'il subira un préjudice commercial important si l'on n'accède pas à sa demande et prouver aussi que le tarif qu'il demande est juste et raisonnable pour tout le monde.

Il faut pour cela que l'Office tienne des audiences et examine le cas. La loi lui accorde 45 jours pour prendre une décision au sujet d'un prix de ligne concurrentiel. L'Office doit donc prendre cette décision. Cependant, si l'expéditeur obtient gain de cause, on fera sans doute appel à la Cour d'appel fédérale en alléguant que l'Office a mal interprété la loi. Ce sont des questions de droit.

Comme cette affaire ferait jurisprudence, elle pourrait aller devant la Cour suprême. Nous risquerions d'avoir à attendre plus de deux ans avant que la question ne soit réglée. La loi permettrait également d'interjeter appel auprès du gouverneur en conseil. La durée du processus dépendrait entièrement de lui.

Au bout d'un certain temps, tout pourrait être à recommencer, car l'Office doit prendre sa décision en fonction des faits, cas par cas. Nous pourrions être impliqués dans toute une série d'appels et de procédures devant les tribunaux. Les décisions de l'Office pourraient rester longtemps en suspens. Les premiers cas au moins pourraient prendre deux ans ou plus.

Le sénateur Forrestall: Je vois pourquoi il est important de savoir d'où viennent ces deux modifications.

La présidente: Nous n'avons pas encore fini.

Le sénateur Forrestall: C'est sidérant.

Le sénateur Spivak: Je voudrais poser ma question au sujet de l'abandon de lignes de chemin de fer. Pourquoi cela ne vous inquiète-t-il pas davantage? Est-ce parce que vous pensez que, dans bien des cas, des chemins de fer d'intérêt local verront le jour et seront viables?

De toute évidence, ce projet de loi libéralise beaucoup l'abandon des lignes. Êtes-vous prêts à l'accepter? Vous ne semblez pas trop vous en plaindre. Qu'en pensez-vous?

M. Doyle: Nous nous inquiétons beaucoup de la façon dont cela fonctionnera. Cependant, en tant qu'expéditeurs, nous reconnaissons que les chemins de fer canadiens connaissent des difficultés économiques. Le principal critère permettant d'établir ces difficultés économiques est le revenu par voie ou par tonne-mille.

De toute évidence les chemins de fer canadiens ont beaucoup plus de voie que ce n'est nécessaire compte tenu du tonnage à transporter. Ils doivent résoudre ce problème. Cela peut présenter des risques pour nous, et nous avons des inquiétudes bien réelles à ce sujet, mais nous reconnaissons que les chemins de fer doivent pouvoir apporter certains changements pour résoudre leurs problèmes économiques.

Voilà, en quelques mots, ce que j'en pense à titre d'expéditeur. Je demanderais à mes collègues de vous donner leur opinion, s'ils le désirent.

M. Larsen: Pour ce qui est des chemins de fer d'intérêt local, ils conviendraient mieux au système de collecte du grain des Prairies. Même si nous mettons en place un chemin de fer d'intérêt local, il sera toujours captif du transporteur national, le CN ou le CP et il devra surmonter les mêmes obstacles pour parvenir à la rentabilité requise. Sinon, il ne sera d'aucune utilité pour le système de collecte du grain.

Le sénateur Spivak: C'est très intéressant.

M. Culham: Nous pourrions vous envoyer la copie d'un document préparé à l'intention du ministre Axworthy sur la compétitivité du système de transport dans l'Ouest. Il y est question des répercussions des tarifs de transport ferroviaire sur l'emploi et d'autres sujets de ce genre. Cela répondra peut-être à certaines de vos questions. Je m'engage à vous faire parvenir ce document.

La présidente: Merci beaucoup, monsieur. Nous apprécions la façon dont vous avez abordé le sujet cet après-midi. C'était très intéressant pour les membres du comité.

M. Doyle: Au nom de mes collègues, je vous remercie beaucoup de nous avoir invités à comparaître aujourd'hui pour vous faire connaître nos opinions. Nous vous souhaitons bonne chance dans vos délibérations.

La séance est levée.


Ottawa, le jeudi 3 mai 1996

Le comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 9 heures, pour étudier le projet de loi C-14, Loi sur les transports au Canada.

Le sénateur Lise Bacon (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président: Je voudrais vous souhaiter la bienvenue, M. Tellier, et vous remercier d'être venu ce matin. Je sais que les membres du comité son intéressés à vous entendre et surtout à vous poser des questions par la suite. Normalement, il y a une période de 45 minutes pour votre présentation suivie de la période des questions. Nous vous laissons un 10 à 15 minutes pour votre présentation. Par la suite, nous aimerions que les membres posent des questions. La parole est à vous M. Tellier.

M. Paul M. Tellier, président-directeur général, Canadien national: Je vous remercie, madame la présidente, de votre invitation.

[Traduction]

Je suis accompagné aujourd'hui de Gerald Davies, notre premier vice-président, Marketing; de notre avocat général, Serge Cantin et, de notre bureau d'Ottawa, Dave Todd, vice-président; et encore de Sandra Wood, directrice générale, Relations gouvernementales.

Ce projet de loi revêt pour nous une grande importance. Un grand nombre de choses ont été dites à ce comité ces derniers jours et j'aimerais faire un certain nombre de mises au point. Tout le monde dans cette salle conviendra qu'il importe de ne pas perdre de vue l'objectif de ce projet de loi.

Ce projet de loi représente une tentative partielle de régler certains des problèmes ferroviaires actuels. Ces problèmes sont réels. Vous savez combien les marges bénéficiaires sont faibles dans le secteur ferroviaire. Le taux de rendement de l'investissement tournait autour de 6 p. 100 au cours de la période 1988-1993. Ce faible rendement est un réel obstacle.

Je ne pense pas qu'aucun expéditeur ayant comparu ici ait réclamé que nous achetions de nouvelles locomotives ou que nous remplacions notre matériel roulant. Pour cela, il nous faudrait un rendement sur l'investissement décent. Nous sommes aujourd'hui une société appartenant à ses actionnaires. Par conséquent, nous ne pouvons signer des contrats de 300 millions de dollars pour l'achat de locomotives comme je l'ai fait il y a quelques mois avec General Motors, en l'absence d'un rendement décent, lequel n'existe pas à l'heure actuelle. Notre ratio d'exploitation reste supérieur de huit à dix points à celui de sociétés ferroviaires américaines comparables.

Il convient de signaler surtout que ceux qui ont examiné la loi de 1987, tels la Commission d'examen de la Loi sur les transports nationaux et les commissions royales, dont l'une était présidée par Lou Hyndman, ont confirmé que ces problèmes sont sérieux et exigent une solution. Aussi n'avons-nous pas attendu le Parlement pour agir. Nous avons nous-mêmes pris quantité de mesures pour rectifier cette situation. Le Canadien National a connu la plus importante mutation de toute sa longue histoire, qui remonte à 1919.

Du côté des coûts, nous avons réduit nos effectifs de 11 000 personnes au cours des trois années et demie écoulées, mesure douloureuse et pénible. Cette année, nous comprimerons nos effectifs de 1 500 personnes encore. Je le déplore, mais nous n'avons pas le choix. De ce fait, nos frais salariaux sont tombés d'environ 48 p. 100 des recettes à environ 34 p. 100 aujourd'hui, ce qui reste néanmoins un chiffre supérieur à celui des chemins de fer américains.

En ce qui concerne la rationalisation du réseau, nous nous sommes défaits de 2 700 milles de voies. C'est une tendance que nous poursuivrons. Ce projet de loi nous aidera à le faire.

Nous avons renégocié les conventions collectives. Nous avons connu une grève l'année dernière. Les négociations ont été difficiles. Cependant, aujourd'hui nous avons des conventions collectives bien plus favorables.

Nous avons réduit nos frais généraux. L'une des premières choses que j'ai faites en prenant mes fonctions de PDG il y a trois ans et demi a été d'abolir une demi-douzaine de postes de vice-président, de façon à réduire les frais généraux et déstratifier la pyramide hiérarchique.

Côté recettes, nous avons pris un certain nombre de mesures de façon à privilégier davantage la clientèle. Par exemple, nous venons d'investir 100 millions de dollars dans un nouveau système d'information de façon à pouvoir mieux retracer les envois et mieux servir nos clients. L'année dernière, nous avons achevé le tunnel Sinclair qui a réduit de 24 heures la durée du trajet entre Halifax et Chicago pour les trains à deux niveaux. Entre Halifax et Vancouver, nous avons construit le réseau intermodal le plus étendu de toute l'Amérique du Nord.

Ces mesures ont produit quelques résultats concrets. Par exemple, il y a trois ans et demi, la société avait un déficit de 100 millions de dollars. Au cours des trois premiers mois de cette année, nous avons affiché un bénéfice net de 82 millions de dollars. Ce n'est pas suffisant. Pour dégager un taux de rendement gérable, nous devons dégager un bénéfice d'au moins 500 millions de dollars, année après année. Comme les membres du comité le savent, nous en sommes loin.

Nous faisons tout notre possible pour régler les problèmes. Cependant, nous pensons que la réforme réglementaire est indispensable. Le projet de loi dont le comité est aujourd'hui saisi reste en deçà de ce que nous espérions, comparé à la déréglementation du secteur ferroviaire américain qui a été un succès retentissant. Ce projet de loi reste loin de la Staggers Act adoptée par le Congrès en 1981. Il représente un changement modeste. Il continue à protéger les expéditeurs. Il offre aux usagers du mode ferroviaire la protection la plus grande de tous les modes de transport de toute l'Amérique du Nord.

Pour vous rafraîchir la mémoire, je rappelle nos obligations de transporteur public. En tant que chemin de fer, le Canadien National n'a pas le choix - il est obligé d'accepter les chargements des expéditeurs. Les prix de ligne concurrentiels sont réels. Les expéditeurs disent qu'ils ne sont jamais utilisés, mais le fait n'en demeure pas moins que ces dispositions existent.

Si vous êtes un expéditeur situé à 200 milles de la jonction de nos voies avec celles de CP, si vous n'aimez pas notre tarif, vous pouvez passer par CP.

L'interconnexion obligatoire est une autre disposition tout à fait exceptionnelle. Si l'usine de GM n'est pas satisfaite des services de CP à Ste-Thérèse, elle peut venir nous voir, si le point de correspondance est situé à moins de 30 kilomètres, et nous demander un tarif. CP n'aura alors d'autre choix que de nous permettre de transporter ce fret sur sa ligne.

Enfin, il y a l'arbitrage des offres finales. Si un expéditeur et une société ferroviaire ne peuvent s'entendre sur un barème tarifaire - encore une fois, c'est une mesure très exceptionnelle - ils peuvent demander un arbitrage sur leur offre finale.

Permettez-moi de passer en revue brièvement certaines des préoccupations exprimées par les expéditeurs. Ils ont beaucoup parlé du paragraphe 27(2). Ils n'aimaient pas l'expression «préjudice important». Ils ont demandé un nouveau libellé, que le comité de la Chambre des communes leur a accordé. Ensuite, ils sont venus ici hier pour dire qu'ils n'aiment pas le nouveau non plus.

L'un d'entre vous a demandé hier pourquoi l'on avait inscrit cela dans le projet de loi. La raison en est que les expéditeurs l'ont réclamé. Lorsque le projet de loi leur demande d'établir l'existence d'un «préjudice commercial important», il ne faut pas perdre de vue qu'il s'agit là d'une mesure exceptionnelle. Cela signifie que l'on suspend le jeu du marché. Un expéditeur va voir l'Office et invoque un recours exceptionnel. Le projet de loi demande à l'expéditeur de prouver à l'Office que si ce dernier n'accède pas à sa requête, il subira un préjudice commercial important. J'ai bien du mal à comprendre ce que les expéditeurs reprochent à cette disposition.

Les expéditeurs se sont lamentés au sujet de l'article 34. Ils n'appréciaient pas l'expression «frivole et vexatoire». Que s'est-il passé à la Chambre des communes? L'expression a été rayée du projet de loi.

L'article 112 dit que les tarifs, s'ils sont imposés par l'Office, «doivent être commercialement équitables et raisonnables vis-à-vis des parties». Encore une fois, c'est là un recours tout à fait exceptionnel. Au lieu de laisser les forces du marché déterminer la valeur de nos services, il faut s'adresser à un organisme gouvernemental, l'ONT, et lui demander de fixer les prix. Le libellé de l'article 112 dit que ces prix doivent être «commercialement équitables et raisonnables». Pour répondre aux doléances exprimées par les expéditeurs, le comité de la Chambre des communes a ajouté «vis-à-vis des parties».

À mon sens, les chemins de fer paient aujourd'hui très cher les erreurs du passé. Je reconnais que, par le passé, le client comptait peu. Nous avions tendance à gérer les chemins de fer et à nous occuper du client quand nous en avions le temps. Je reconnais que, par le passé, ces entreprises ont été mal gérées. Je reconnais que, par le passé, la profitabilité ne nous préoccupait guère. Je reconnais que notre style de gestion était du type impérial. Cependant, au cours des cinq dernières années, les chemins de fer ont énormément changé. Aujourd'hui, c'est un partenariat.

J'ai du mal à comprendre que les PDG prétendent, comme ils l'ont fait hier, que des emplois seront perdus si le projet de loi est adopté tel quel. Pour des raisons de confidentialité, je ne peux citer de noms, mais il y a dix jours, M. Davies et moi-même avons rencontré l'un des plus gros fabricants de produits chimiques du monde. Ces gens disent qu'ils vont construire une usine en Alberta à cause de la haute qualité du service ferroviaire que nous leur offrons.

Encore une fois, je ne peux vous donner le nom de la société, mais un producteur de charbon de l'Alberta traversait une très mauvaise passe il y a cinq ans. Nous nous sommes assis avec ses dirigeants et avons décidé de réduire nos tarifs. Cela a permis à cette société de s'en sortir. M. Davies et moi sommes allés à Calgary pour une réunion avec les producteurs de charbon et avons rendu une visite personnelle au PDG de cette compagnie, et il a remercié le Canadien National de l'avoir aidé pendant une période difficile. Aujourd'hui, l'entreprise est en expansion. Sa production est passée de 2 millions de tonnes par an à 3 millions de tonnes.

Je comprends les préoccupations des expéditeurs. Il y a une vieille habitude mentale, particulièrement dans l'ouest de l'Ontario, qui fait que lorsqu'on se lève le matin et que le temps est mauvais, on blåme le CN ou le CP. Par le passé, ils n'avaient peut-être pas tort. Cependant, ce que je veux vous faire saisir est que notre société, le Canadien National, a considérablement changé. Je ne veux pas parler au nom du CP car il est assez grand pour se défendre tout seul.

Regardons donc les chiffres. Les expéditeurs pensent que nous allons leur imposer des tarifs abusifs si ce projet de loi est adopté. Mais regardons ce qu'il est advenu des tarifs-marchandises au cours des dix dernières années. En termes réels, hors inflation, les tarifs ferroviaires ont diminué de plus de 3 p. 100 par an. Cela fait au total plus de 30 p. 100. Le montant de la baisse est même plus proche de 35 p. 100 au cours des dix dernières années. Nous avons accru la productivité de notre main-d'oeuvre de 45 p. 100 au cours des trois années et demie écoulées. Chaque fois que nous réduisons nos frais d'exploitation, les expéditeurs sont les premiers à en bénéficier. Nous établissons aujourd'hui des partenariats. Pourquoi irions-nous augmenter les tarifs pour nuire à un producteur?

Prenons le charbon comme exemple. La plus grande partie du charbon de l'ouest du Canada est exportée en Asie, en particulier au Japon, et est en concurrence avec le charbon australien. Pourquoi augmenterions-nous nos tarifs alors que nous savons que près de 50 p. 100 du prix au détail de ce charbon à Tokyo se compose des frais de transport, ferroviaire et maritime? À l'évidence, si le producteur de charbon de l'Alberta ou de Colombie-Britannique ne vend plus son charbon en Asie, nous n'aurons plus de charbon à transporter sur nos trains.

Honorables sénateurs, je pense que le projet de loi que vous avez devant vous est un compromis. Voilà ce que je dis aux expéditeurs. Je n'en suis pas particulièrement satisfait et je sais qu'ils n'en sont pas particulièrement satisfaits non plus. Le Parlement en débat depuis presque un an. C'est pourquoi je vous exhorte de l'adopter aussi rapidement que possible.

Nous serons ravis de répondre à vos questions.

La présidente: Nous avons entendu Halifax Grain Elevators Ltd. se plaindre du manque de concurrence dans les Maritimes. Que pouvez-vous leur répondre?

M. Tellier: Halifax Grain Elevators Ltd. est une entreprise de manutention de céréales. Tout ce que je puis dire, c'est que nous n'avons pas à nous excuser de bien servir nos clients. Nous offrons aux agriculteurs, aux éleveurs de boeuf de la vallée de l'Annapolis, un meilleur tarif gråce, en partie, au fait que nous contournons l'élévateur à grain de Halifax pendant l'hiver. Ce dernier n'est pas ravi, mais, comme je l'ai dit, nous n'avons pas à nous excuser d'offrir des céréales fourragères à meilleur prix à ces producteurs de la vallée de l'Annapolis.

M. Gerald Davies, premier vice-président, Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada: Il s'agit pour nous de faire en sorte que les producteurs et consommateurs canadiens restent compétitifs sur le marché mondial. Voilà le facteur en jeu dans la vallée de l'Annapolis. Leur compétitivité sur le marché dépend en partie de la disponibilité de céréales fourragères de faible prix. Tant que nous pourrons transporter ces céréales fourragères de la Saskatchewan ou du Manitoba jusque dans la vallée de l'Annapolis avec un profit, nous continuerons à le faire.

La présidente: Est-il juste de dire que ce projet de loi est déterminant pour votre avenir, d'un point de vue financier?

M. Tellier: Oui. La loi de 1987 a représenté une amélioration considérable par rapport à celle de 1967. La Loi sur les transports de 1987 était un pas dans la bonne direction. Nous espérions que, suite à l'étude après cinq ans, ce projet de loi irait plus loin qu'il ne le fait, mais il est toujours un pas dans la bonne direction. Il représente le minimum dont nous avons besoin pour fonctionner en tant qu'entreprise nord-américaine. Je vous rappelle que nous sommes une entreprise nord-américaine, puisque 38 p. 100 de nos recettes proviennent soit des États-Unis soit du trafic transfrontalier.

Le sénateur Spivak: Monsieur Tellier, on ne peut qu'admirer ce que vous avez fait du CN ces derniers temps. Vous énoncez la politique de façon très convaincante. Cependant, je dois dire que vous avez, d'une certaine façon, ajouté avec beaucoup d'éloquence de l'eau au moulin des expéditeurs. Vous avez fait remarquer combien les tarifs ont baissé au cours des dix dernières années. Les expéditeurs disent la même chose. «Pourquoi réparer quelque chose qui n'est pas cassé?», disent-ils.

Je voudrais revenir au paragraphe 27(2). Vous parlez des forces du marché. Mais ils disent que, particulièrement dans l'Ouest, il n'y a pas de forces du marché parce qu'il n'y a pas de concurrence. Les producteurs de grain, par exemple, ne peuvent recourir au camionnage. Ils l'ont démontré de façon très parlante. Je suis sûr que vous avez lu leurs explications montrant pourquoi ils ne peuvent utiliser les camions. Il n'y a donc pas là de forces du marché.

Vous dites: «Pourquoi augmenterions-nous les tarifs?». C'est l'argument du «faites-moi confiance». Je ne doute pas que vous soyez digne de confiance. Cependant, dans une situation comme celle-ci, cet argument ne convainc pas. Ils disent que cela va donner lieu à toutes sortes de litiges, et je n'en doute pas non plus.

Pourquoi les termes «subir un préjudice commercial important» sont-ils si importants à vos yeux? Les expéditeurs voudraient qu'on les supprime. Pourquoi ne pourriez-vous accepter, du point de vue de votre profitabilité et productivité, que ces mots soient rayés et donc que la situation reste telle qu'elle était auparavant? Cela marchait bien. Vous trouvez d'autres avantages dans ce projet de loi. Par exemple, vous avez une procédure très rapide d'abandon de voies ferrées.

J'aimerais que vous nous parliez du problème de l'absence de concurrence et de l'absence de forces du marché. Les forces du marché ne peuvent jouer lorsque les expéditeurs n'ont pas d'autre option de transport. Pourriez-vous nous dire pourquoi ces termes sont si importants pour vous et pourquoi vous considérez qu'il n'y aura pas quantité de litiges, lesquels ne sont productifs pour personne, hormis les avocats?

M. Tellier: Je peux vous dire pourquoi ces termes doivent rester, et M. Davies vous parlera de la concurrence.

S'il ne tenait qu'à nous, toutes les protections qui existent dans la loi seraient supprimées. Nous pensons que ce sont des mesures exceptionnelles. Je vous rappelle que l'arbitrage des offres finales et les prix de ligne compétitifs et cetera n'existent nulle part ailleurs en Amérique du Nord. Ce sont donc des mesures tout à fait exceptionnelles. Notre préférence, celle que nous avons exprimée aux parlementaires comme vous, était que ces mesures de protection soient supprimées. Nous avons perdu cette bataille, les expéditeurs l'ont gagnée.

Donc, pour ce qui est de la protection des expéditeurs, le statu quo est maintenu. Si ces mesures très exceptionnelles restent dans la loi, il n'est que logique que lorsque l'Office intervient, par exemple, le fardeau de la preuve appartienne à l'expéditeur, qu'il ait à démontrer que si sa demande d'allégement des tarifs n'est pas acceptée, il en résultera pour lui un préjudice commercial important. Je veux vous faire comprendre qu'il s'agit là d'un recours très inhabituel et exceptionnel.

Le sénateur Spivak: Voyons ce que signifient réellement les termes «mesures de protection des expéditeurs». Le chemin de fer a un monopole. Il n'y a pas de concurrence. S'il y avait concurrence, il n'y aurait pas besoin de protéger les expéditeurs.

Je suis sûre que vous avez foi en les forces du marché. Moi aussi, dans une certaine mesure, mais pas autant que vous. Cependant, lorsqu'il n'y a pas de forces du marché, il faut bien faire quelque chose. Nous ne pouvons nous comparer aux États-Unis. Là-bas, les expéditeurs sont beaucoup plus proches de leurs marchés. Que proposez-vous pour les régions isolées qui n'ont qu'une seule voie d'accès?

M. Tellier: Tout d'abord, il y a concurrence...

Le sénateur Spivak: Pas pour les producteurs de céréales.

M. Tellier: Si, il y en a.

Le sénateur Spivak: Ils ne peuvent recourir au camionnage.

M. Tellier: Je ne suis pas d'accord avec vous. Vous connaissez aussi bien que moi, sinon mieux, la géographie des Prairies. À Winnipeg, nous-mêmes et CP sommes en concurrence directe. À partir de Saskatoon, sa ligne file en ligne droite jusqu'à la côte ouest. Dans le nord et la partie méridionale extrême des Prairies, il n'y a pas de concurrence directe. Cependant, partout ailleurs, il y a concurrence directe.

Prenons, par exemple, le processus de rationalisation en cours qui s'accompagne de la construction d'élévateurs à haute capacité. Nous avons remporté sept des huit derniers projets. Dans chaque cas, notamment à Camrose, il y avait concurrence directe avec CP. Par conséquent, il existe un certain degré de concurrence dans ce corridor nord-sud.

M. Davies: Le facteur qui impose une discipline au marché de transport canadien est le marché mondial sur lequel les producteurs canadiens doivent écouler leurs produits, et ce marché mondial est très concurrentiel. Les producteurs de soufre, de charbon, de céréales, de produits forestiers et pétrochimiques livrent tous concurrence sur ce marché mondial. Les produits doivent être acheminés à leur destination ultime à un prix mondialement compétitif. Voilà la principale discipline commerciale.

Il ne sert à rien d'avoir huit chemins de fer desservant chaque localité, ni même deux. De fait, lorsque nous voulons écouler sur le marché américain des produits forestiers de Colombie- Britannique, du Québec, de l'Ontario ou de l'Alberta, nous sommes en concurrence avec des producteurs américains qui peuvent approvisionner ces marchés avec les mêmes fibres. Si nos prix ne sont pas compétitifs, ce marché s'approvisionnera auprès de fournisseurs américains ou peut-être même chiliens, et si c'est à cause de nous, nous n'aurons tout simplement plus de fret à transporter.

La seule chose que le Canadien National fournisse c'est du transport ferroviaire, et c'est pourquoi nous devons collaborer très étroitement avec les producteurs pour veiller à ce que leurs produits parviennent à destination à un prix qui soit compétitif et rentable pour le producteur, car celui-ci doit faire un profit, de même que nous.

Le sénateur Spivak: Je comprends ce que vous dites. Cependant, j'ai siégé à ce comité pendant de nombreuses années et entendu des producteurs parler du handicap que représente leur isolement. Il ne fait pas de doute que les frais de transport sont déterminants pour eux.

Revenons-en à l'essentiel, et je vais reformuler ma question. Quel était le libellé précédent? Le ministre n'a pas déposé le projet de loi sous cette forme. Il a été modifié en comité, si j'ai bien suivi ce qui a été dit à la réunion d'hier. Je me trompe peut-être.

Quelle est la différence primordiale? Pourriez-vous la quantifier? Puisque cela ne marchait pas si mal auparavant, selon les expéditeurs, pourquoi était-il si important d'ajouter ces termes à la disposition? Est-ce que la bonne entente avec les expéditeurs n'est pas tout aussi importante? Ils sont radicalement opposés à cela.

M. Davies: À mon sens, l'un des grands impératifs est d'inscrire la relation entre les chemins de fer et leurs clients dans un cadre commercial. Nous n'avons pas besoin du gouvernement au milieu.

S'il arrive qu'un expéditeur considère que le gouvernement doive intervenir, pourquoi ne devrait-il pas être tenu de prouver l'existence d'un préjudice potentiel important avant de pouvoir jouir de ce remède exceptionnel? Il y a toute une série d'autres remèdes auxquels il peut recourir avant d'en venir là.

Le sénateur Spivak: Pourquoi le libellé précédent ne suffisait-il pas? L'expéditeur doit démontrer quelque chose. Ce sont des instructions données à l'Office. Pourquoi faut-il l'inscrire dans la loi? À l'évidence, l'Office n'accorderait pas un redressement sans bonne raison.

M. Tellier: Le gouvernement cherche à avancer dans la voie de la déréglementation en demandant à l'expéditeur d'établir la nécessité de ce genre de redressement.

Je suppose que cela revient à une question de principe. Nous sommes profondément convaincus que la valeur des services ferroviaires devrait être déterminée par les forces du marché et rien d'autre. Par conséquent, chacune de ces mesures est de nature exceptionnelle. N'est-il pas raisonnable, dans ces conditions, sachant que ce sont des mesures exceptionnelles, d'exiger de l'expéditeur qu'il démontre un préjudice commercial potentiel motivant sa demande?

Pour revenir à votre argument précédent, lorsque l'ancien ministre des Transports a introduit le projet de loi il y a presque un an, le paragraphe 27(2), dans sa version anglaise, parlait de significant prejudice. Les expéditeurs ont dit que le terme n'était pas clair et posait des problèmes en droit. Après un long débat, le terme a été remplacé à leur demande par l'expression substantial commercial harm. Maintenant, ils veulent revenir au statu quo et ne rien avoir du tout. Non seulement cela, mais la Chambre des communes, dans sa sagesse, a décidé d'ajouter le paragraphe 27(3), qui énonce une série de lignes directrices que l'Office devra suivre à l'égard de tout redressement.

Je suppose que la divergence de vue entre nous est due au fait que vous ne considérez pas que ces mesures ont un caractère extraordinaire; par conséquent, il n'est pas nécessaire d'ajouter ce genre de garde-fou. C'est peut-être là le point de désaccord. Nous pensons que ces mesures sont extraordinaires. Elles n'existent nulle part ailleurs. Rail-Tex est l'exploitant de chemins de fer d'intérêt local le plus prospère des États-Unis. Vous pouvez lui demander si ces mesures existent au sud de la frontière.

Le sénateur Spivak: Nous ne sommes pas au sud de la frontière.

M. Tellier: Non, mais n'oubliez pas que nous sommes en concurrence pour attirer les investissements. Le taux de rendement sur l'investissement est un facteur important. Chaque mois, lorsque nous avons une réunion du conseil d'administration, nous devons tous justifier les dépenses d'immobilisations que nous demandons.

Que se passera-t-il si la viabilité financière des chemins de fer n'est pas assurée au moyen d'une déréglementation plus poussée? D'une façon ou d'une autre, nous ne pourrons pas réinvestir dans l'infrastructure. Il y aura davantage de ruptures de rail l'hiver prochain lorsque la température restera à moins 30 degrés pendant 19 jours de suite, comme c'est arrivé l'hiver dernier. Nous aurons davantage de déraillements et davantage de problèmes. C'est une difficulté réelle.

Nous devons parvenir à accroître notre taux de rendement. Par conséquent, de plus en plus, la relation entre un expéditeur et un transporteur doit être régie par la valeur réelle des services. Il n'est en aucune façon dans notre intérêt que cette relation se dégrade.

[Français]

Le sénateur Poulin: M. Tellier, j'ai particulièrement aimé votre présentation. C'est une situation extrêmement complexe. Les journalistes en font état régulièrement. Vous avez réussi, en quelques minutes, à nous présenter les problèmes clés, le sérieux de l'étude apporté à la situation des chemins de fer et du transport au Canada depuis plusieurs années et les décisions que vous avez prises dans le passé, les résultats concrets atteints.

Mais, si je comprends bien, vous nous ramenez toujours à l'objectif. Pour continuer, nous avons besoin au pays d'une réglementation allégée et mise à jour en fonction du contexte et des objectifs.

J'aimerais revenir aux problèmes. Vous avez dit dans votre présentation que vous seriez prêt à répondre à certaines questions. Quand vous parlez de «low rate of income», pouvez-vous nous expliquer pourquoi?

M. Tellier: Le retour sur le capital engagé se situe à peu près aujourd'hui à 8 p. 100. C'est à peu près la moitié de notre coût de capital. Depuis la privatisation du Canadien national, l'on a deux sources de capitaux: on a le marché de l'équité, les actionnaires et le marché de la dette.

Le rapport de dette-équité, dans le cas du Canadien national, est de 39 p. 100. Pour faire un chiffre rond, disons que 40 p. 100 de notre capital vient du marché de la dette. Ce sont des dettes qu'on a contractées au cours des années. Le coût de cette dette est d'à peu près 8.1 p. 100 par année. Ce sont les intérêts que l'on paie sur la dette. Le reste, l'équité, on est allé la chercher chez les actionnaires, les gens qui ont voulu investir dans le Canadien national. On leur paie un dividende.

Notre coût de capital, tel que reflété dans la décision d'avant-hier par l'Agence nationale des transports sur le blé, se situe à 16.1 ou 16.2 p. 100 selon cette agence. Donc, si on n'est pas capable d'avoir un retour valable sur nos investissements, à ce moment-là, l'on ne peut pas justifier cela à nos actionnaires qui sont des citoyens et des institutions. Par conséquent, on est obligé de réduire notre budget d'investissement.

Le Canadien national, cette année, dépense 400 millions de dollars dans son budget d'investissement pour acheter des locomotives, pour améliorer la voie, nos ponts. Donc, si le retour sur les investissements n'est pas suffisant, il va falloir réduire ce budget et finalement, cela devient un cercle vicieux. La qualité du service se détériore et l'on perd une part du marché.

Un chiffre très important qu'il faut garder à l'esprit est le suivant. Quand vous regardez la totalité des revenus de l'industrie du transport au Canada, en 1970, nous les chemins de fer, on avait à peu près 70 p. 100 de ces revenus. Aujourd'hui, l'on est tombé en bas de 30 p. 100. Qui a gagné? Les camionneurs.

Il faut, d'une part, avoir un retour sur nos investissements qui va justifier ces investissements et nous permettre d'améliorer la qualité du service et, d'autre part, mettre fin à cette érosion de notre part du marché et reprendre le dessus, par exemple, sur l'industrie du camionnage. Tout cela se tient.

Le sénateur Poulin: D'ici 3 ans, quels seraient les chiffres que vous aimeriez voir, comme PDG, à un conseil d'administration?

M. Tellier: Je pense que l'on devrait avoir un retour sur notre capital égal à notre coût de capital. Comme je l'ai dit, dans leur décision, hier, l'Agence nationale des transports reconnaissait que notre coût de capital était à 16 p. 100. Autrement, la situation continue empirer au lieu de s'améliorer.

La présidente: Vous avez des choses à ajouter M. Davis?

[Traduction]

M. Tellier: Nous avons proposé dans notre mémoire plusieurs amendements à ce projet de loi. Si cela vous faciliterait les choses, madame la présidente, à vous et à vos collègues, que nous retirions ces amendements pour assurer que ce projet de loi reçoive la sanction royale aussi rapidement que possible, nous sommes disposés à le faire.

Nous pensons que ce projet de loi est un compromis. Comme vous pouvez le voir, nous n'en sommes pas satisfaits à 100 p. 100. Cependant, il représente un pas dans la bonne direction. Je vous exhorte, ainsi que vos collègues du comité sénatorial, à adopter ce projet de loi aussi rapidement que possible.

La présidente: Nous entendrons maintenant M. Bruce Flohr, directeur général de Rail-Tex. Vous avez la parole, monsieur Flohr.

M. Bruce M. Flohr, directeur général, Rail-Tex: La dernière fois que j'ai pris la parole à votre comité, c'était en 1992, avant la vente de la ligne de Canadien National en Nouvelle-Écosse. Votre comité, sous la présidence du sénateur Finlay MacDonald, a passé à la loupe toute cette transaction. Nous avons fait beaucoup de chemin depuis la dernière fois que j'ai comparu ici.

Nous sommes pleinement en faveur du projet de loi C-14. À notre avis, on met aujourd'hui davantage l'accent sur la façon de sauver le service ferroviaire dans le Canada rural.

Aujourd'hui Rail-Tex est la première compagnie ferroviaire de ligne courte d'Amérique du Nord. Notre société exploite aujourd'hui 25 chemins de fer, totalisant 3 475 milles de voies, dans 20 États, deux provinces canadiennes et au Mexique. Notre chiffre d'affaires en 1995 était de 108 millions de dollars US, avec un bénéfice après impôt de 8,3 millions de dollars. Nous avons un actif de 205 millions de dollars US. Notre société, au cours des cinq dernières années, a enregistré un taux de croissance composite de son chiffre d'affaires de 41 p. 100 par an.

Nous gagnons de l'argent avec le transport ferroviaire. En Ontario, nous avons racheté au Canadien National, en 1992, la ligne Goderich-Exeter. En Nouvelle-Écosse, nous exploitons une ligne de 245 milles, le Cape Breton and Central Nova Scotia Railway, rachetée à CN en octobre 1993. Tout récemment, nous avons acquis les voies du Central Vermont Railway, une ancienne ligne de CN, d'une longueur de 326 milles reliant East Alburg, au Vermont, c'est-à-dire à proximité de la frontière canadienne, au sud de Montréal, et New London, au Connecticut.

Au total, nous avons 650 employés. Le personnel de trois de nos 25 chemins de fer est syndiqué.

Nos états financiers sont déposés auprès de la United States Securities and Exchange Commission parce que les actions de notre société sont cotées à la Nasdaq. D'ailleurs le cours des actions de Rail-Tex est publié chaque jour dans le Globe and Mail, et je l'ai vérifié ce matin.

Dans les documents que je vous ai remis figure une brochure décrivant les 25 chemins de fer que nous possédons actuellement.

Comme je l'ai mentionné, nous avons acheté trois lignes du Canadien National. Il s'est agi chaque fois d'une transaction sans lien de parenté, dans le cadre d'un appel d'offres. L'offre comprenait un prix d'achat et un droit par wagon, c'est-à-dire le montant que Canadien National nous paie pour couvrir nos frais d'acheminement du wagon depuis le point de chargement jusqu'à la ligne principale de Canadien National.

Nous avons payé comptant au Canadien National 100 p. 100 du prix d'achat de chaque ligne, et le Canadien National ne garantit aucun de nos emprunts. Nous avons pris des crédits auprès de la Banque nationale du Canada pour nos lignes canadiennes. Nous n'avons pas de garantie de revenu minimal de CN, pas plus que pour nos autres lignes. Nous ne bénéficions pas de garanties de prêt fédérales ou provinciales, ni d'allégements fiscaux, ni de subventions gouvernementales pour aucune de nos lignes canadiennes. Nous aimons faire affaire au Canada.

Je suis profondément préoccupé de voir que maintes parties intéressées, et particulièrement les expéditeurs, ne comprennent pas les raisons véritables qui poussent les grosses sociétés ferroviaires d'Amérique du Nord à se défaire de leurs embranchements à faible volume de trafic. La capacité de vendre ces lignes est un autre gros volet de ce projet de loi.

Ce processus est parallèle à celui qui s'est déroulé pendant des années dans le secteur des transports aériens d'Amérique du Nord. Les grosses compagnies cèdent la desserte des localités plus petites à des compagnies régionales ou de troisième niveau qui peuvent l'exploiter à moindres frais avec des avions de plus petite taille, tout en continuant à offrir le service aux régions rurales du Canada et des États-Unis.

Les grandes sociétés ferroviaires vendent leurs embranchements afin d'accroître leurs profits. Les chemins de fer d'intérêt local ont des frais salariaux moindres, mais le plus gros avantage est une meilleure organisation du travail car ils échappent à la structure syndicale par métier. Dans une grande compagnie comme CN, un conducteur de locomotive ne peut même pas laver le pare-brise de sa locomotive. C'est le travail d'un autre employé, une personne qui appartient à un syndicat différent. L'absence de séparation du personnel en corps de métier autorise de grosses économies, en réduisant le nombre d'employés travaillant sur une ligne.

Par exemple, sur notre ligne du Cap-Breton, 47 employés expédient aujourd'hui un volume supérieur de 20 p. 100 à ce que le CN traitait avec 110 employés. Lorsque nous avons racheté la ligne Central Vermont à Canadien National, elle comptait 161 employés. Aujourd'hui, nous exploitons la même ligne avec 95 employés.

Les grandes compagnies vendent également pour améliorer le retour sur l'investissement, ainsi que l'a expliqué Paul Tellier dans son exposé. Elles peuvent ainsi améliorer le taux d'utilisation de leur infrastructure, et elles obtiennent un meilleur service du petit chemin de fer d'intérêt local. C'est tout ce que nous avons à leur vendre.

Sur notre ligne de Goderich, Canadien National desservait Stratford avec trois trains par semaine. Le gros expéditeur sur cette ligne est la compagnie Sifto Salt, avec sa grosse mine de sel de Goderich. Nous la desservons aujourd'hui avec cinq ou six trains par semaine, comparé à trois pour CN.

Nous avons amélioré l'offre de wagons. Rail-Tex compte aujourd'hui 3 480 wagons. La plupart d'entre eux sont mis en service au Canada pour transporter du grain. Je vous en dirai plus à ce sujet tout à l'heure.

Nous offrons une meilleure gestion des activités. Nous avons certainement sauvé la ligne qui, sans nous, aurait été fermée. Nous engendrons en fait davantage de volumes. Les grosses compagnies, pas seulement CN ou CP mais toutes les grosses sociétés ferroviaires d'Amérique du Nord, vendent aujourd'hui leurs services selon la règle des 80/20, c'est-à-dire que 80 p. 100 du fret provient de 20 p. 100 des clients. Les compagnies sont très à l'écoute de gros clients comme les Ford Motor Company de ce monde, mais le petit expéditeur n'a même plus droit à un appel téléphonique de nos jours. C'est là où nous intervenons.

Au cours des trois premiers mois de cette année, notre volume a augmenté de 8 p. 100 par rapport à l'année dernière, alors que le volume des grosses compagnies ferroviaires au cours du premier trimestre est en baisse de 3,2 p. 100. Voilà qui montre à quel point nous travaillons fort pour ramener le fret au rail.

Nous nous spécialisons également dans le transport sur courte distance.

Nous avons remporté le prix du Wagon d'or en 1982 pour un transport d'acier sur une distance de 14 milles, entre un expéditeur et un destinataire. Ce service a déchargé le réseau routier de 35 camions par jour.

Sur notre ligne de Goderich, nous sommes arrivés et avons offert aux expéditeurs de la région de Centralia - les petits élévateurs de cette région - un tarif inférieur d'un cent le boisseau à celui des camionneurs. Pour chaque saison de transport, généralement d'août à septembre, nous avons déchargé la route qui traverse le centre-ville de Goderich pour desservir le silo à grain de 900 camions par jour, pendant la haute saison touristique. L' exploitant du silo a fait passer la capacité de sa voie de chargement de deux wagons à 25 wagons.

Nous avons placé des wagons à copeaux de bois et des wagons à grumes en Nouvelle-Écosse. Nous étions étonnés de voir que les deux usines à papier de Nouvelle-Écosse ne transportent pas du tout de fibre de bois par rail. Tout était acheminé par camion. Nous transportons aujourd'hui du bois à påte et des copeaux de bois pour ces usines à papier. Nous avons fait disparaître ces camions des routes. Nous pouvons battre le camionnage, même sur de courtes distances.

Qu'en pensent les expéditeurs? En 1989, la Interstate Commerce Commission des États-Unis a mené une enquête auprès des expéditeurs qui étaient précédemment desservis par une grosse compagnie ferroviaire avant que celle-ci ne vende la ligne à de petites compagnies comme nous. Que disaient les expéditeurs? Sur les 382 réponses, seuls 5 p. 100 faisaient état d'une dégradation de service et 52 p. 100 signalaient une amélioration. Pour ce qui est des tarifs, 12 p. 100 ont signalé une hausse et 20 p. 100 une baisse. Les gros expéditeurs ont vu peu de changements, mais les petits ont constaté une amélioration sensible.

Beaucoup de gens ne réalisent pas que les embranchements sont pris dans une spirale de mort. Si une grosse compagnie ne veut pas maintenir le service dans une région rurale du Canada ou des États-Unis, elle va couper sur l'entretien des voies et réduire la vitesse des trains. Ensuite elle ramènera le service quotidien à un service hebdomadaire. Elle ne fournira pas les wagons. Elle va littéralement faire périr l'embranchement. Il faut que des compagnies comme la nôtre puissent se substituer à elle très vite, avant que tous les clients n'optent pour le camionnage, si nous voulons avoir une chance de nous en tirer.

Nous avons essayé de racheter une ligne en Ontario pendant plus de quatre ans. Elle relie Stratford à Owen Sound. C'était à l'époque où le NPD était au pouvoir et où les obligations de successeur étaient en vigueur en Ontario. Cela signifiait que nous devions assumer toutes les conventions collectives du CN. Nous avons travaillé très diligemment pour essayer de conclure une entente avec les syndicats ferroviaires. Nous n'y sommes pas parvenus et tous ces rails ont maintenant été arrachés. Nous aurions continué à exploiter environ 150 milles de cette voie au nord de Stratford et aurions pris le restant des rails pour construire une ligne jusqu'à Kincardine, où est située la centrale énergétique de Bruce. Il existe autour de celle-ci toute une activité industrielle qui récupère la chaleur de la centrale pour toutes sortes d'activités, depuis la transformation de la luzerne jusqu'à la transformation du soja. On y cultive des tomates en serre. Toutes ces entreprises auraient pu disposer d'un service ferroviaire, mais tout est perdu à cause du problème des obligations de successeur.

J'ai mentionné précédemment notre chemin de fer Cape Breton-Central Nova Scotia et indiqué que nos effectifs y sont passés de 110 à 47. Sur les 47, 45 sont d'anciens employés du Canadien National qui étaient tous syndiqués. J'ai inclus dans mon mémoire un article d'une revue où sont interviewés des employés de ce chemin de fer, tous anciens du Canadien National, qui disent leur satisfaction de travailler pour une nouvelle compagnie. L'un d'eux est l'ancien président de la Fraternité des ingénieurs de locomotive, c'est-à-dire le syndicat des conducteurs de locomotive. Il y dit combien il aime son nouveau travail. Il lui arrive maintenant de descendre de la locomotive pour actionner les aiguillages. Il appelle même les clients. Nous donnons une carte de visite à tous nos employés. Il apprécie la variété du travail. Je pensais que s'il y avait une catégorie de personnel dont les habitudes de travail seraient difficiles à changer, ce seraient les conducteurs de locomotive. Ils sont accoutumés à ne pas bouger du siège de leur locomotive, bien au chaud. Cependant, ce monsieur adore faire d'autres choses. Il dit également qu'il n'a pas besoin d'une garantie d'emploi dans sa convention collective lorsqu'il voit les nouveaux propriétaires s'efforcer de ramener du trafic au rail. Voilà sa garantie d'emploi. Il voit notre trafic augmenter plutôt que de rétrécir comme peau de chagrin.

On peut lire la même chose dans un article du numéro de novembre 1995 du Reader's Digest canadien. Je n'en ai pas apporté de copie avec moi, mais je l'enverrai au comité, car il raconte les entretiens tenus par des gens de l'extérieur avec nos employés et donne, je pense, une image très impartiale de la manière dont les choses fonctionnent.

Le problème que nous rencontrions par le passé et que le projet de loi cherche à rectifier est la lenteur du processus d'agrément. Lorsque nous avons signé l'accord avec CN pour racheter la ligne de Goderich, il nous a fallu 19 mois, plus d'un an et demi, entre la signature de l'accord et l'agrément final. Il nous a d'abord fallu l'autorisation fédérale, puis provinciale. Il en a été de même dans le cas de la ligne de Nouvelle-Écosse, mais le délai a pu être ramené à 12 mois.

Ce projet de loi supprime l'intervention fédérale dans la vente d'une ligne de chemin de fer. Nous sommes certainement en faveur de cette suppression, car il n'est pas juste pour les expéditeurs d'être tenus en suspens pendant si longtemps.

Bien que l'agrément pour le rachat de la ligne de Nouvelle-Écosse ait été donné en 12 mois, nous avons été en procès au Canada pendant plus de deux ans, d'abord devant le Conseil des relations de travail, puis en Cour d'appel. Ce n'est qu'il y a trois mois que nous avons enfin obtenu gain de cause en Cour suprême. Nous n'avons pas à appliquer l'ancienne structure syndicale. C'est la Fraternité des préposés à l'entretien des voies qui s'était opposée à cela.

Il existe toujours une législation imposant les obligations de successeur en Colombie-Britannique et en Saskatchewan. Il y avait les obligations de successeur en Ontario jusqu'à récemment. Cependant, ce projet de loi ne règle pas la question des obligations de successeur concernant les voies ferrées sur lesquelles circule VIA ou les voies ferrées qui franchissent les frontières provinciales.

Dans les provinces des Prairies particulièrement, les conditions locales font que ces voies ferrées traversent des frontières provinciales et nous ne pourrons acquérir aucune de ces lignes tant qu'une loi impose les obligations de successeur aux compagnies fédérales dont les lignes franchissent des frontières provinciales. Nous n'achetons que des lignes entièrement situées à l'intérieur d'une province.

Nous ne sommes pas anti-syndicats. J'ai déjà indiqué que nous avons trois chemins de fer dont les employés ont choisi de se syndiquer, l'un étant celui de Goderich. Cependant, nous sommes opposés à une structure syndicale par corps de métier car nous pensons que la personne qui conduit le train peut aussi laver le pare-brise.

Nous sommes déçus de voir que le projet de loi ne touche pas aux obligations de successeur. J'ai été l'un des intervenants consultés lors de la rédaction du projet de loi, et c'est là un domaine où nous n'avons pas prévalu.

Je répondrai volontiers à vos questions sur les expéditeurs captifs, mais je pense que vous avez eu un bon dialogue à ce sujet avec Paul Tellier.

J'aimerais aborder deux autres questions. L'une concerne les témoignages faits au comité de la Chambre des communes.

Les expéditeurs ont dit qu'ils n'aiment pas la disposition voulant qu'un chemin de fer d'intérêt local ait pour seul débouché une seule grosse société ferroviaire, et ils réclament des droits d'accès ou des droits de circulation jusqu'au point de correspondance avec un autre gros chemin de fer. Si CN nous vendait une ligne, nous aurions le droit de circuler sur la ligne du CN jusqu'au point de raccordement avec CP. Le projet de loi ne prévoit rien de tel et je suis totalement opposé à toute disposition qui l' imposerait, même si les expéditeurs le réclament.

Sur nos 25 chemins de fer, seuls dix sont raccordés à un seul transporteur, mais deux d'entre eux sont parmi nos plus importants. Nous avons volontairement négocié cet accord. Nous sommes en partenariat avec la grande société. Elle veut le trafic, mais elle veut qu'il lui soit acheminé de manière plus efficiente qu'elle ne pouvait le faire elle-même. Nous avons une excellente relation avec CN. Il ne domine pas ce que nous faisons.

Les préoccupations des expéditeurs ne sont tout simplement pas justifiées et je vous invite à prendre langue avec ceux desservis par nos lignes pour déterminer s'ils considèrent que CN nous domine en quoi que ce soit. Ce n'est tout simplement pas le cas.

Nous achèterons volontiers d'autres lignes qui ne sont raccordées qu'à un seul grand chemin de fer. De fait, aux États-Unis, la United Transportation Union cherche à obtenir des droits de circulation similaires. L' UTU le réclame parce qu'elle sait que si une telle mesure était jamais promulguée, les grands chemins de fer cesseraient de vendre leurs embranchements pour éviter de céder ce trafic longue distance à un autre gros transporteur. L'UTU fait cela pour enrayer la vente d'embranchements, ce qui revient en fait à condamner ces embranchements à la spirale de mort dont j'ai parlé.

Je pense que ce projet de loi fait beaucoup pour préserver le service ferroviaire dans les campagnes canadiennes. Il crée une situation similaire à celle des États-Unis. Les lois provinciales assurent une protection dans le cas de la vente-achat d'une ligne de chemin de fer, mais elles ne vont pas assez loin sur le plan des obligations de successeur. Le Canada va devoir s'attaquer à ce problème à un moment donné.

Je répondrai volontiers aux questions que vous pourriez avoir.

La présidente: Monsieur Flohr, quel est, à votre avis, le marché potentiel total des chemins de fer d'intérêt local au Canada?

M. Flohr: À l'heure actuelle, nous discernons environ 10 000 milles d'embranchements à faible densité de trafic. D'ailleurs, je prends la parole devant de nombreux groupes d'expéditeurs ici, au Canada. Je suis prêt à déposer un billet de 20 dollars canadien sur le podium.

La présidente: Nous voulons un billet américain.

M. Flohr: C'est vrai, il vaut plus. Je leur parie 20 dollars que si leur usine est aujourd'hui desservie par une ligne où circule un train par jour, dans les cinq prochaines années elle sera desservie par un chemin de fer d'intérêt local, car c'est la tendance qui se fait jour partout en Amérique du Nord.

Les grandes compagnies ferroviaires s'en tirent le mieux en accrochant 100 wagons derrière quatre locomotives pour un long trajet. Les petites s'en tirent le mieux en acheminant ce trafic jusqu'à la ligne principale. Au Canada, j'anticipe que les deux grandes lignes principales seront tout ce qui restera aux mains de CN et de CP, et que tout le reste partira à des petits exploitants, des sociétés comme la mienne, ou celle de Tom Payne et Central Western.

Le sénateur Atkins: J'ai assisté aux audiences concernant la ligne de Truro à Sydney. L'un des grands points d'interrogation était l'entretien. Lorsque vous parlez de ramener les effectifs de plus de 100 employés à 42, je suis surpris que vous soyez en mesure d'assurer le niveau d'entretien dont il était question dans ces audiences. Est-ce que le niveau d'entretien est aussi élevé, ou peut-être même plus élevé?

M. Flohr: Nous pensons que la norme est aussi élevée, et dans certains cas, même plus élevée qu'auparavant. Nous réalisons de grosses économies dans les situations comme celle-ci: un équipage de train prend son service à Sydney et conduit le train jusqu'à Havre Boucher, soit environ 120 milles. Il descend du train, se repose, et le lendemain, emmène un autre train sur le chemin du retour jusqu'à Sydney. Il travaillait environ quatre heures et demie, mais était payé l'équivalent de 10 heures.

Aujourd'hui, nous emmenons le train de Sydney jusqu'au bout de la ligne, à Stellarton, avec un même équipage, soit 200 milles. On leur paye neuf heures de salaire. Ils travaillent plus pour le même montant. Ils se reposent à Stellarton et retournent à Sydney. Nous avons littéralement réduit de moitié les coûts salariaux. Nous leur payons huit à neuf heures de travail, et ils nous donnent effectivement huit à neuf heures de travail.

Pour ce qui est de l'entretien des voies, nous faisons appel à quelques sous-traitants pour les gros travaux. Ils arrivent et remplacent un grand nombre de traverses. Mais il faut dire que Canadien National nous a laissé cette voie en très bon état. Nous ne faisons maintenant que l'entretien de routine.

Le sénateur Atkins: Avez-vous réduit le nombre de personnes travaillant sur la ligne?

M. Flohr: Non. Le résultat net est que nous n'avons pas réduit le nombre de personnes travaillant sur la ligne. Nous avons simplement modifié l'organisation de leur travail. Nous avons actuellement davantage de gens travaillant sur les locomotives que lorsque CN exploitait la ligne.

Le sénateur Atkins: Si ce projet de loi est adopté, il ouvrira tout grand la porte à la multiplication du nombre de chemins de fer d'intérêt local dans ce pays.

M. Flohr: Disons qu'il facilitera les choses. Nous avons racheté des lignes sous le régime de la loi actuelle, et cela marchait. Il fallait simplement être très patient et attendre les 19 mois et 12 mois requis. Ceci va simplifier le processus. Nous restons intéressés, mais les audiences fédérales et les audiences provinciales sous le régime précédent étaient sources de grande angoisse. Et c'était tout à fait inutile, à mon avis. Le nouveau régime va simplifier immensément le processus.

Le sénateur Atkins: Il existe la notion existe que le CN doit rendre des comptes à son conseil d'administration et à ses actionnaires. Le CN va vendre davantage de lignes.

M. Flohr: Oui, je suis d'accord.

Le sénateur Atkins: Est-ce une bonne chose?

M. Flohr: Oui, et c'est pour nous une perspective très favorable. Nous voulons acheter davantage de lignes de chemin de fer au Canada.

Le sénateur Atkins: Est-ce que les expéditeurs le voient également d'un bon oeil? Je sais que cela s'est avéré sur la ligne Truro-Sydney, mais qu'en est-il de ces lignes de l'Ouest?

M. Flohr: Nous ne sommes pas d'accord avec certaines choses que Canadien Pacifique a dites concernant ses lignes des Prairies. CP a déclaré publiquement qu'il préférerait concentrer tout le grain dans les gros élévateurs efficients qui existent déjà sur sa ligne principale. Il pourrait alors fermer tous les embranchements desservant les petits élévateurs.

Nous préférerions que les petits élévateurs subsistent, afin que l'agriculteur puisse disposer à proximité d'un silo où il peut déposer rapidement le grain à la sortie de sa moissonneuse, ensuite de quoi nous transporterions le grain à partir de ces petits élévateurs, à raison de cinq ou six wagons à la fois, jusqu'au gros élévateur. Là, le grain restera entreposé pendant six à neuf mois jusqu'à ce qu'il soit vendu sur le marché mondial.

Aujourd'hui, à Goderich, nous transportons ce grain jusqu'aux gros élévateurs pour un demi-cent par boisseau de moins que les camionneurs. C'est devenu une solution très populaire pour les agriculteurs de Goderich. Nous faisons la même chose dans l'État du Kansas. Canadien Pacifique laisse passer une occasion. Il va rencontrer beaucoup d'opposition de la part des agriculteurs. Il vaudrait beaucoup mieux pour lui vendre ses embranchements céréaliers à des compagnies comme la nôtre et nous laisser transporter le grain jusqu'au gros élévateur avec des convois faisant la navette.

Nous amenons ici un certain nombre de nos wagons à trémie couverts. L'année dernière, nous en avons placés 60 à Goderich, rien que pour cette période de deux mois, en août et septembre, pour acheminer le grain de localités comme Centralia jusqu'à Goderich. Dès que ce transport est terminé, nous ramenons au Michigan ces mêmes wagons pour transporter des fèves comestibles depuis les petits élévateurs ruraux jusqu'aux gros élévateurs. C'est le même principe. La politique d'abandon dans les provinces des Prairies est donc le sujet sur lequel nous ne sommes pas d'accord avec le Canadien Pacifique.

Le sénateur Atkins: Pensez-vous, comme CN, que le libre jeu du marché sera dans le meilleur intérêt et de CN et des expéditeurs?

M. Flohr: Effectivement. Je ne pense pas qu'il y ait véritablement d'expéditeurs captifs, en dépit de l'éloquence de vos propos à ce sujet.

Nova Scotia Power possède deux centrales thermiques sur notre ligne de Nouvelle-Écosse. Elles sont entièrement alimentées par le charbon actuellement extrait par Devco, à Sydney. Maintenant que Nova Scotia Power a été privatisée, elle fait vraiment pression sur Devco pour faire baisser le prix du charbon, pour les raisons que tout le monde ici connaît.

Nova Scotia Power cherche à acheter du charbon sur le marché mondial pour alimenter ses centrales. La compagnie peut sembler aujourd'hui captive du charbon et de notre voie ferrée, mais dans trois ans elle pourrait bien commencer à acheter du charbon en Pologne ou en Australie. Nous avons acheté 140 wagons pour assurer le transport de ce charbon pour Nova Scotia Power, et elle n'est pas du tout captive de notre ligne car elle pourrait très bien acheter son charbon à l'étranger.

Dans le cas du grain, avec la concurrence sur le marché mondial, si le rail ne maintient pas ses prix de façon à rendre ses clients compétitifs, il n'y aura pas de grain à transporter.

Avec notre ligne, l'ancien chemin de fer Central Vermont, nous déployons des efforts pour acheminer davantage de produits chimiques de la région de Montréal jusqu'en Nouvelle-Angleterre, produits chimiques qui provenaient auparavant de Houston, au Texas, sur le Golfe du Mexique. Depuis l'entrée en vigueur de l'ALÉNA, les fabricants de produits chimiques de Montréal ont des prix très compétitifs. De ce fait, il y a un plus gros volume de produits chimiques qui est transporté entre le Canada et la Nouvelle-Angleterre qu'il n'en vient de Houston. Lorsque les fabricants disent qu'ils sont captifs du rail, c'est peut-être vrai dans l'ensemble, mais ils peuvent changer leur source d'approvisionnement et se fournir à Montréal au lieu de Houston. Un chemin de fer sera perdant et un autre sera gagnant. C'est le jeu du marché tel qu'il est censé fonctionner.

Le sénateur Atkins: Est-ce que ce projet de loi, à votre avis, va engendrer davantage d'abandons de lignes?

M. Flohr: Non. Il va plutôt sauver des lignes car il facilite le processus de rachat par des compagnies comme la nôtre. Il établit également un processus tel que, si une collectivité locale ou une province veut racheter la ligne, il existe un mécanisme autorisant diverses parties à faire une offre. Certes, j'aurais préféré que certaines choses soient un peu différentes, mais elles ne valent pas vraiment la peine qu'on les conteste. Le projet de loi érige un mécanisme acceptable pour la vente d'embranchements et protège toutes les parties.

Le sénateur Spivak: Je m'intéresse particulièrement à la situation de l'Ouest. Je suis ravie d'entendre ce que vous dites car, dans bien des régions, le coût du camionnage n'est pas seulement celui du transport lui-même, mais aussi le coût de l'infrastructure routière. Le contribuable assume le coût de routes qui n'ont jamais été conçues pour recevoir ce genre de trafic lourd. Il y a également des considérations de sécurité en jeu.

Vous avez mentionné les difficultés dans les provinces de l'Ouest. Disposerez-vous d'assez de temps pour racheter ces voies avant qu'elles soient arrachées? Pourquoi les arrache-t-on? S'il existe aujourd'hui des lignes à Owen Sound, vous pourriez les utiliser plus tard. Je ne comprends pas. Que faudrait-il faire pour que vous ayez le temps d'intervenir?

Je comprends le problème des obligations de successeur. Je pense qu'il serait très bénéfique pour les céréaliers de l'Ouest d'avoir l'option d'utiliser les petits élévateurs au lieu de devoir transporter tout leur grain sur 100 milles de distance. Cela paraît tellement plus rationnel. J'imagine que c'est la raison pour laquelle cela ne se fera jamais.

M. Flohr: Il se peut qu'il faille assister à l'arrachage de quelques autres lignes avant que la réalité ne pénètre vraiment dans les esprits. Nous avons eu plusieurs réunions avec la Rural Municipal League de Saskatchewan. Celle-ci nous a d'ailleurs accordé deux heures, lors de son congrès semi-annuel de l'automne 1995, pour faire un exposé sur la nécessité pour la Saskatchewan de supprimer les obligations de successeur, du moins dans le secteur ferroviaire. Si elle veut le faire dans d'autres secteurs encore, très bien.

Nous avons même proposé en Ontario que les toutes petites exploitations, à tout le moins, fassent l'objet d'une catégorie à part, les petites lignes comptant moins de 50 employés. On y parlait beaucoup de la détérioration des routes si davantage de camions transportant des céréales les empruntent. Mais il faudra attendre l'arrachage d'encore quelques lignes avant que la réalité ne pénètre.

Le sénateur Spivak: Êtes-vous allé au Manitoba?

M. Flohr: Il n'y a pas de problème au Manitoba. Canadien National ou Canadien Pacifique n'y ont pas encore mis de lignes en vente.

Le sénateur Spivak: Cherchez-vous activement à vous y implanter?

M. Flohr: Oui. Nous travaillons en Alberta. Je me suis personnellement rendu à Edmonton plusieurs fois. J'ai rencontré le vice-président de Canadien National responsable de la région ouest. Il réfléchit à plusieurs des lignes de l'Alberta et du Manitoba. Il subsiste toujours le problème, si vous regardez une carte ferroviaire, que nombre de ces lignes suivent davantage un axe est-ouest et franchissent des frontières provinciales. Il y a toujours le problème des obligations de successeur dans le cas des lignes qui franchissent les frontières provinciales.

Le sénateur Spivak: Pour ce qui est du charbon étranger, il ne faut pas oublier que nous devons nous efforcer de conserver les emplois chez nous. Si nous ne pouvons plus vendre le grain de nos provinces de l'Ouest, notre économie sera laminée. L'intérêt public ne nous laisse pas d'option.

Le sénateur Adams: Selon vos chiffres, là où CN avait 160 employés, vous n'en avez plus que 92. Vous dites que vos employés sont heureux et ne sont pas syndiqués. Il y a quelques années, M. Tellier nous a parlé ici de règlements syndicaux qui autorisent les conducteurs de locomotive à travailler seulement huit heures par jour. Entre Montréal et Ottawa, bien que ce ne soit qu'un trajet de quatre heures, ils étaient payés huit heures.

Les chemins de fer d'intérêt local n'ont pas des trajets très longs. Vous avez indiqué que certains conducteurs travaillent huit heures, d'autres dix. Est-ce que vous leur payez des heures supplémentaires ou bien est-ce le taux simple?

M. Flohr: Nous les payons à l'heure. Après 40 heures dans une semaine, nous les payons au tarif des heures supplémentaires. Parfois, ils assurent un trajet en cinq ou six heures, et nous leur payons ce nombre d'heures. Cependant, nous leur garantissons 40 heures par semaine, sur une semaine de cinq jours. Tout travail effectué un sixième jour ou tout ce qui dépasse 40 heures est rémunéré au tarif des heures supplémentaires.

Le sénateur Adams: Selon vos chiffres, un conducteur de locomotive gagne environ 80 000 dollars par an.

M. Flohr: C'est exact.

Le sénateur Adams: Vos employés sont plus heureux. Ont-ils une pension de retraite garantie? Comment fonctionne le système des retraites?

M. Flohr: C'est le même système que celui en vigueur chez Canadien National. Il n'a rien de particulier. Nos employés ont également un intéressement aux bénéfices, qui représente environ 15 p. 100 de leur salaire de base.

Le sénateur Adams: M. Payne était ici la semaine dernière et a dit que le rachat d'une voie ferrée abandonnée pouvait coûter 30 000 dollars par mille. Est-ce vrai?

M. Flohr: S'il s'agit d'une ligne en très mauvais état avec des rails légers - c'est-à-dire des rails de petite section - le prix peut tomber à 15 000 dollars par mille. Si c'est du rail plus lourd et en bon état, c'est environ 30 000 dollars canadiens par mille.

Le sénateur Adams: Est-ce que ce genre de prix vous cause des difficultés? Êtes-vous toujours intéressés à racheter d'autres lignes courtes?

M. Flohr: Non, nous n'avons pas de difficulté à payer un tel prix. Le gros problème est, tout d'abord, de trouver suffisamment d'expéditeurs sur la ligne qui veuillent continuer à l'utiliser. Une fois que nous déterminons qu'il y aura un volume suffisant, nous examinons l'état de la voie et des ponts, et déterminons un prix d'achat. Un tel prix de vente ne pose pas de problème.

Le sénateur Adams: Vous n'avez pas de ligne sur longue distance. Si vous recevez une commande pour un gros transport en vrac, avez-vous des accords avec CN ou CP pour qu'ils effectuent le transport pour vous au prix de revient?

M. Flohr: Un expéditeur peut venir nous voir pour un transport commençant sur notre ligne. En Nouvelle-Écosse, nous pouvons transporter ce fret sur 240 milles de distance. Ensuite, il sera transféré à CN à Truro, qui l'acheminera jusqu'à destination, même dans l'ouest du Canada. Le CN, nous-mêmes et l'expéditeur conviendrons d'un tarif, par exemple 4 000 dollars. C'est ce que verra l'expéditeur, et il recevra la facture en provenance de Canadien National. Ce dernier nous reversera, mettons, 500 dollars pour acheminer le wagon depuis l'usine jusqu'au point de correspondance à Truro. Cela fait l'objet d'un accord distinct entre CN et nous-mêmes.

Dans nos accords avec lui, nous avons une division standard des revenus pour l'acheminement de wagons individuels, le genre de choses qui ne se présente pas très souvent. S'il s'agit de mouvements plus importants, tels que le fret en provenance de Michelin, de Scott Paper, et cetera, nous avons des ententes spéciales de répartition des recettes, selon que nous fournissons les wagons ou selon que Canadien National les fournit, mais il y a un partage des revenus.

Le sénateur Adams: Vous êtes une société américaine. Vous pouvez avoir un conflit d'intérêt et souhaiter ne pas répondre à la question que je vais poser. Quelle est la ventilation de vos actionnaires, entre Canadiens et Américains?

M. Flohr: Je ne sais pas. C'est la réponse facile. Je sais que certains de nos employés canadiens possèdent des actions Rail-Tex, et la cote de ces actions est publiée dans le Globe and Mail, mais pour ce qui est du nombre d'actionnaires canadiens, nous ne cherchons même pas à le savoir.

La présidente: Avez-vous des problèmes sur le plan de l'assurance-responsabilité?

M. Flohr: Elle coûte cher, mais nous en trouvons. En fait, nous sommes assurés aujourd'hui pour 50 millions de dollars par accident, mais c'est principalement pour des déraillements majeurs touchant des wagons de produits chimiques, qui peuvent exiger l'évacuation de toute une ville. Notre franchise est de 250 000 dollars. À un moment donné, elle n'était que de 50 000 dollars, mais nous l'avons augmentée au fur et à mesure que la société s'est développée. Nous n'avons pas de difficulté à obtenir une assurance-responsabilité.

La présidente: Je vous remercie infiniment de votre exposé

Notre prochain témoin représente le Syndicat national des cultivateurs. M. Boehm est le président de son comité des transports.

M. Terry Boehm, président, comité des transports, Syndicat national des cultivateurs: Avant de commencer mon exposé, j'aimerais exprimer la gratitude de mon organisation pour l'invitation à comparaître aujourd'hui et particulièrement pour l'ordre dans lequel les témoins comparaissent aujourd'hui. Je n'aurais pu rêver mieux que de suivre M. Tellier et M. Flohr.

Je suis un céréalier de la Saskatchewan. Nous portons un vif intérêt à la décommercialisation des embranchements, en particulier, et nous considérons que ce projet de loi ne règle pas ce problème. La décommercialisation, la spirale de mort dont a parlé le témoin précédent, est un phénomène très réel.

Le projet de loi ignore une réalité, celle qu'un producteur et un expéditeur sont deux entités tout à fait différentes. On semble partir du principe que les intérêts des expéditeurs et ceux des transporteurs coïncident, alors qu'il n'en est très souvent rien, particulièrement vis-à-vis de la décommercialisation.

Les expéditeurs et les transporteurs de grande ligne des provinces des Prairies s'accordent dans une large mesure pour souhaiter une rationalisation aussi rapide et aussi compacte que possible du réseau. Mais les embranchements ne font pas partie de ce tableau. La reprise d'un embranchement par un chemin de fer d'intérêt local ne se fera pas si les compagnies ont ralenti le service sur un embranchement, si elles n'attribuent pas de wagons à un élévateur ou à un point de ramassage, ou si elles ont établi des écarts de tarif qui découragent les cultivateurs de livrer leur grain à l'élévateur local. Les expéditeurs ou compagnies céréalières finiront par fermer ces petits élévateurs afin de regrouper l'activité dans des centres plus grands, ce qui revient à éliminer toute reprise éventuelle par un chemin de fer d'intérêt local.

En tant que représentant du Syndicat des cultivateurs, je considère que le projet de loi ne règle pas ce problème. Nous recommandons dans notre mémoire qu'il le soit.

M. Tellier a dit que la législation canadienne devrait chercher à émuler la Staggers Act américaine de 1980. Cela m'inquiète. Lorsqu'on considère le marché du transport ferroviaire au Canada, on ne peut s'inspirer du modèle américain. En effet, on constate toutes sortes de distorsions.

Par exemple, Burlington Northern dessert les expéditeurs captifs du Montana, et aussi des agriculteurs du Nebraska. Les agriculteurs du Montana paient des tarifs de fret sensiblement supérieurs, bien qu'ils jouissent de l'avantage concurrentiel naturel d'être situés 500 milles plus près du port. Cependant, ils sont à la merci de Burlington Northern, et ils paient donc un tarif supérieur à celui des cultivateurs du Nebraska, situés 500 milles plus loin sur la même ligne.

Nous ne voyons rien dans ce projet de loi qui empêche ce genre de choses. Il est une tentative de déréglementer le transport ferroviaire et, à mon avis, aucune de ses dispositions ne peut empêcher une situation comme celle-ci. Théoriquement, c'est le résultat de la main invisible du marché dont on parle dès qu'il est question du marché nord-américain.

Le sénateur Spivak a fait état des coûts. Une fois que les expéditeurs et transporteurs de grande ligne auront rationalisé et amputé le réseau, l'infrastructure routière se détériorera dans les provinces des Prairies car la loi ne contient aucune disposition permettant de considérer les flux de trafic ou la planification régionale. Dans l'État du Maine, on a intégré à la loi des considérations intermodales qui permettent de tenir compte des flux de trafic et de l'effet de la disparition d'un mode de transport donné. La législation canadienne ne tient nullement compte des coûts d'ensemble pour l'économie canadienne, au-delà du seul tarif ferroviaire.

On a vu un bon exemple en Saskatchewan avec les inondations récentes. Il a fallu détourner le trafic de camion sur une route secondaire. En l'espace de deux jours, cette route s'est détériorée au point de devenir impassable. Cela se produira très couramment si l'on restructure le réseau ferroviaire sans tenir compte des flux de trafic.

On peut avoir un déficit infrastructurel qui coûtera très cher ultérieurement, ou bien un déficit financier. Le projet de loi se préoccupe principalement du déficit financier du gouvernement.

Parallèlement à cette mesure, on a abrogé la LTGO. Nous, les producteurs, avons dû encaisser coup sur coup le choc de deux étapes de déréglementation - la LTGO et la LTN. Aujourd'hui, nous devons encaisser celui de la Loi sur les transports au Canada, le projet de loi C-14.

Nous sommes très préoccupés par le manque de concurrence dans le secteur ferroviaire. Nous sommes en faveur de la création de chemins de fer d'intérêt local qui reprendraient les lignes abandonnées par les grandes compagnies. Cependant, nous pensons qu'il n'y a pas de concurrence dans le secteur ferroviaire. Les dispositions sur l'accès concurrentiel présentes dans ce projet de loi montrent bien que le législateur estime qu'il n'y a pas de concurrence entre les deux grandes sociétés ferroviaires.

M. Tellier s'est dit préoccupé. Il s'est dit disposé à retirer les amendements proposés par CN si le projet de loi est adopté tel quel. Les compagnies ne seront plus assujetties à des analyses de coût. Sans les analyses de coût menées par l'Office, nous craignons que les gains de productivité ne profitent pas aux usagers. Les compagnies tiennent beaucoup à échapper à ce genre de contrôle. Par le passé, aux termes de la LTGO, il y avait un partage des gains de productivité à raison de moitié-moitié.

Beaucoup pensent que les tarifs de transport vont suivre une courbe ascendante graduelle. Mais en réalité, s'il y avait concurrence et si l'on tenait compte des gains de productivité, on devrait voir une courbe descendante. On pourrait dire que la LTGO reproduisait plus fidèlement des conditions de concurrence que ne le fait ce projet de loi, avec seulement deux transporteurs ferroviaires.

Il faudrait reconnaître les producteurs comme l'une des parties prenantes principales, mais ce n'est pas le cas. Il y a une relation directe entre les expéditeurs et les compagnies ferroviaires. C'est le producteur qui, en bout de chaîne, paie le prix, soit sous la forme de la détérioration de l'infrastructure soit sous la forme des tarifs de transport qui leur sont imposés.

L'intérêt public, je pense, devrait être une considération.

La possibilité d'établir l'existence d'un préjudice commercial important n'est pas une mesure aussi vexatoire que le prétend M. Tellier. À cet égard, si une grosse entreprise expéditrice est pénalisée par des tarifs différentiels au départ de certains points de chargement, elle ne pourra prouver l'existence d'un préjudice commercial important car l'ensemble de l'entreprise ne souffrira pas. Je ne vois pas en quoi cette disposition serait particulièrement paralysante pour les compagnies ferroviaires.

Il n'y a aucun mécanisme permettant aux producteurs d'interjeter appel auprès de l'OTC. Même s'il en existait un, ils devraient en assumer les frais. Nous nous considérons comme exclus du processus.

Je viens d'une localité ayant pour nom Allan, en Saskatchewan. L'année dernière, on y a chargé 55 000 tonnes métriques de grain. Avec la suppression de la LTGO, nos tarifs de transport ont augmenté d'environ 56 <#00A2> le boisseau. Étant donné que le cours des céréales est plutôt bon en ce moment, cela n'a pas entraîné trop de récriminations. Le transport de ce grain coûte environ 33 dollars la tonne. Il y a deux ans, je vendais le blé sur le marché cyclique au prix de 64 dollars la tonne. Le prix a été gelé, mais c'est le genre de chose qui arrive. Il me semble que mon rendement sur l'investissement est tout aussi important pour l'économie nationale que celui des chemins de fer.

Le sénateur Spivak: Bravo, bravo!

M. Boehm: La concurrence pourrait être engendrée par des droits de libre circulation sur une infrastructure ferroviaire publique.

Nous cherchons toujours des modèles au sud de la frontière, mais il y a aussi des exemples européens, comme la Suède, où les voies sont propriété publique. N'importe qui, en payant un droit d'abonnement ou un droit ponctuel, peut assembler un train et le faire circuler. Nous pensons qu'un tel système engendrerait de la concurrence dans les transports.

Nous sommes réellement captifs des sociétés ferroviaires. Nous pensons que les chemins de fer secondaires sous régime provincial - s'il s'en crée et si nous pouvons éviter que la décommercialisation interdise leur apparition - devraient également jouir des dispositions sur l'accès concurrentiel que ce projet de loi réserve aux chemins de fer sous régime fédéral.

Les compagnies de ligne courte disent vouloir devenir des partenaires des grandes sociétés, pas des concurrents, et c'est précisément ce que ces dernières souhaitent. C'est très bien si on leur permet d'acquérir des lignes avant qu'elles soient arrachées. En tant que producteurs, nous ne voulons pas de l'arrachage de rail. La Saskatchewan Association of Rural Municipalities ne veut pas voir de rails arrachés. Nous ne sommes pas particulièrement opposés à des mesures qui garantiraient l'exploitation d'embranchements.

Notre mémoire contient quelques erreurs typographiques. J'espère que vous n'en tiendrez pas compte.

J'aimerais dire quelques mots au sujet de l'arbitrage des offres finales dans le projet de loi. Nous pensons que cet arbitrage devrait intervenir à l'égard des rachats d'embranchements. Lorsque les deux parties ne peuvent s'entendre ou lorsqu'une grande compagnie choisit de ne pas exploiter une ligne et que le maintien de celle-ci est jugé être dans l'intérêt général, l'offre d'un chemin de fer d'intérêt local ou d'une collectivité locale devrait être acceptée par le biais d'une procédure d'arbitrage des offres finales.

L'intérêt général est une considération importante en matière de transport. Le Canada exporte 38 p. 100 de son produit intérieur brut. Je crois que ce chiffre est de l'ordre de 5 p. 100 aux États-Unis. On ne peut, de ce fait, comparer l'économie canadienne à l'économie américaine. La Staggers Act donne peut-être d'assez bons résultats aux États-Unis, mais autorise néanmoins des distorsions. En tant que producteur, je ne veux pas devenir victime du genre de distorsions dont souffrent les producteurs du Montana.

Toutes sortes de frais accessoires peuvent être encourus par les producteurs, notamment pour le placement des wagons, les droits d'immobilisation, les redevances de stationnement, et cetera. Le projet de loi n'en fait aucunement état. Les producteurs sont intéressés à acquérir le parc de wagons de chemin de fer fédéral. Nous sommes extrêmement désireux de disposer de ce levier dans nos négociations avec les transporteurs. Il y a déjà des précédents puisque, par exemple, les producteurs de potasse et de soufre possèdent leurs propres wagons. Nous tenons à ce que les gains de productivité soient pris en considération dans le calcul des tarifs de transport.

Voilà qui résume ce que j'avais à dire et je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.

La présidente: Savez-vous dans quelle mesure les cultivateurs sont à la merci du transport ferroviaire?

M. Boehm: Dans les Prairies, étant donné notre éloignement des ports, il n'y a pas d'autre moyen efficace de transporter une marchandise en vrac et à faible densité telle que la nôtre. Le camionnage ne peut concurrencer le transport ferroviaire. C'est possible sur de courtes distances jusqu'à des points de convergence, mais c'est exclu sur des distances plus longues. Il n'y a pas d'infrastructure routière suffisante pour transporter 37 millions de tonnes métriques de grain des provinces des Prairies jusqu'au littoral.

Nous n'avons pas d'autre choix. Nous n'avons pas de canaux. Les producteurs américains de certaines régions peuvent recourir au transport fluvial par barge, mais pour nous, le rail est la seule option.

Il n'y a qu'un seul transporteur dans le nord de l'Alberta et le nord de la Saskatchewan. Les dispositions sur l'accès concurrentiel du projet de loi apportent une certaine garantie, mais pas aux producteurs directement, uniquement à l'expéditeur - c'est-à-dire à une compagnie céréalière - agissant en son nom. Il faut souligner que les intérêts des deux ne sont pas toujours identiques. Ils peuvent même parfois être assez contradictoires.

Le sénateur Spivak: Quelle serait pour vous une mesure législative efficace pour redresser l'équilibre entre les camionneurs et les chemins de fer d'intérêt local? Je pense que le camionnage accapare maintenant 60 p. 100 du volume du transport du pays, et la part des chemins de fer diminue. Par exemple, dans l'Ouest, si vous vouliez équilibrer la balance, quelle serait une mesure appropriée? Il n'y a rien dans le projet de loi.

M. Boehm: Je ne pense pas que ces chiffres soient vrais, s'agissant du grain de l'Ouest. Nous souhaitons avant tout un mécanisme qui empêche la décommercialisation des embranchements, qui s'accompagne de la fermeture des points de regroupement le long d'une ligne, ce qui signifie qu'un chemin de fer d'intérêt local n'aurait plus rien à transporter.

Le sénateur Spivak: C'est ce qui se passe.

M. Boehm: Exactement. Les grands transporteurs ferroviaires de l'Ouest et les compagnies céréalières travaillent main dans la main à cette concentration. Ils ne font que se décharger de leurs coûts sur les producteurs. Ces derniers finissent également pas payer le coût du réseau routier.

Il faut bien que le grain soit transporté d'une façon ou d'une autre. On dit bien que l'on va davantage transformer la matière première chez nous, mais pour le moment nous exportons tout simplement la plus grande part de la production. Le transport est un élément absolument essentiel au maintien d'une agriculture viable et d'une économie viable dans l'Ouest du Canada.

Le sénateur Spivak: Dans le débat sur une nouvelle politique nationale des transports, il a été question de l'incidence que ceci exercerait sur la configuration de l'économie de l'ouest du Canada. Rien dans cette loi ne semble pouvoir atténuer d'éventuelles conséquences imprévues, notamment sur les producteurs de céréales. Selon vous, il n'y a rien dans cette loi.

Est-ce que le plafonnement des tarifs ferroviaires n'existera que jusqu'en 1999?

M. Boehm: Oui, c'est ce qui est prévu.

Le sénateur Spivak: Le gouvernement est-il censé revoir cela, ou bien le plafonnement va-t-il être automatiquement supprimé?

En parcourant votre mémoire, je vois que vous y dites que le partage des gains d'efficience est l'une des choses qui a été perdue avec l'abrogation de la LTGO.

M. Boehm: Exactement.

Le sénateur Spivak: Si l'objectif est de rendre les chemins de fer plus efficients, il n'y a rien à redire. C'est une chose merveilleuse. Mais s'il en résulte des coûts plus élevés pour les producteurs, où est l'efficience?

M. Boehm: Exactement.

Le sénateur Spivak: On ne fait que transmettre les coûts à un palier inférieur. Cela ne rend pas le système de transport plus efficient. Il ne s'agit pas simplement d'avantager les chemins de fer, il faut avantager toute l'économie canadienne, et pas non plus seulement celle de l'Ouest. Le transport est tellement vital pour l'Ouest du Canada.

M. Boehm: La LTGO imposait un partage 50-50 des gains d'efficience. Les chiffres que je possède montrent que les chemins de fer, par le passé, obtenaient environ 2 p. 100 par an de gains d'efficience. Le Canadien National dira que c'est 1,7 p. 100; des experts indépendants chiffrent les gains de productivité ou d'efficience plutôt à 2,7 p. 100.

Comme je l'ai dit, la LTGO imposait un partage moitié-moitié. Cela se répercutait directement sur les tarifs de transport - les producteurs. Les compagnies ferroviaires étaient autorisées à garder 50 p. 100 des gains de productivité, 50 p. 100 étant reversés aux producteurs. Ces gains étaient déterminés tous les quatre ans par une analyse de coût menée par l'Office. C'est ce qui donnait cette courbe irrégulière de hausse des tarifs ferroviaires.

La nouvelle loi ne prévoit plus d'analyses de coût. Or, nous jugeons qu'elles sont importantes. Il y a un petit changement par rapport au projet de loi C-101 qui a pour effet d'incorporer les gains de productivité dans le barème tarifaire. Cependant, nous estimons que cette formule ne donne pas grand-chose aux producteurs.

Le plafonnement des tarifs, si les gains d'efficience antérieurs se maintiennent, n'accomplit rien. Il est fixé à un niveau d'inflation prédéterminé. En l'absence d'analyses des coûts, il autorise des hausses sensiblement supérieures à celles qui interviendraient si les gains de productivité historique des chemins de fer intervenaient. S'il y avait un mécanisme pour en tenir compte, les tarifs de transport seraient inférieurs à ce qu'autorise ce plafonnement.

Il n'y a pas eu d'analyse des coûts depuis 1992. Cette disposition a disparu avec l'abrogation de la LTGO.

On commence avec une nouvelle formule à partir de la date d'entrée en vigueur de ce projet de loi-ci. Cela permet aux chemins de fer d'engranger l'avantage de ces gains de productivité, qui sont substantiels, sans rien en reverser.

Le sénateur Spivak: Que pensez-vous de l'argument que font valoir les sociétés ferroviaires, à l'instar de Paul Tellier aujourd'hui, voulant qu'il soit dans l'intérêt des chemins de fer d'avoir une relation avec les expéditeurs - il a mentionné les expéditeurs mais n'a pas parlé des producteurs - telle que le Canada puisse rester compétitif sur le marché international? À mes yeux, c'est un argument du type «faites-moi confiance». Pensez-vous que l'argument prévaudra? Qu'en pensez-vous?

M. Boehm: J'ai trouvé qu'il se contredisait directement lui-même, car il a avoué que les chemins de fer avaient un comportement impérial sous le régime précédent, qu'ils ne faisaient rien de toutes ces choses et qu'ils pouvaient d'une façon ou d'une autre contourner la loi et se montraient insensibles aux intérêts des producteurs et des expéditeurs.

Le sénateur Spivak: Il n'a pas mentionné les producteurs - ou bien l'a-t-il fait?

M. Boehm: Ou des expéditeurs.

Aujourd'hui, tout d'un coup, s'il y a déréglementation, et peut-être parce qu'ils sont maintenant une société privée, il dit qu'ils vont se montrer plus sensibles.

Les compagnies ferroviaires parlent de partenariat avec leurs expéditeurs. C'est vrai, dans une certaine mesure. Les chemins de fer veulent accroître leur retour sur l'investissement jusqu'au point maximal où l'expéditeur peut continuer à produire du fret à transporter. Évidemment, ce point sera aussi haut que possible. Moi, en tant que producteur, j'aimerais que ce point soit aussi bas que possible.

Le sénateur Spivak: Il n'y a pas vraiment un partage; c'est plutôt une situation d'affrontement.

Le sénateur Adams: Je ne connais pas grand-chose en matière de transport. Êtes-vous un céréaliculteur?

M. Boehm: Oui.

Le sénateur Adams: Je crois savoir que pas mal de sociétés de camionnage vont maintenant voir les agriculteurs pour leur offrir d'acheminer leur grain jusqu'aux silos. Comment ce système fonctionne-t-il? Est-ce qu'ils vous facturent un tarif pour l'acheminement, ou bien vous achètent-ils le grain pour le revendre à l'élévateur?

M. Boehm: Non. Nous payons le coût du transport jusqu'à l'élévateur. Évidemment, nous absorbons le coût nous-mêmes si nous le faisons nous-mêmes. Nous payons également le tarif plein pour le transport de l'élévateur jusqu'au port. Au bout du compte, c'est nous qui payons la facture. Cependant, avec la nouvelle loi, nous les petits producteurs n'avons plus aucun organisme auquel exprimer nos doléances.

Le sénateur Adams: Le projet de loi C-14 semble instaurer un marché plus ouvert. Si une société de camionnage pouvait vous offrir un prix pour acheter votre grain et le revendre ensuite à l'élévateur, est-ce que le système fonctionnerait mieux? À l'heure actuelle, il semble qu'avant de vendre votre grain, il doit être acheminé FAB à Thunder Bay ou Vancouver. Comment ce système fonctionne-t-il?

M. Boehm: Nous avons deux systèmes. La Commission canadienne du blé vend le grain. Nous le livrons à un élévateur et la Commission du blé rédige un chèque à la compagnie d'élévateur. Les paiements ultérieurs, si le prix de vente du grain en autorise, sont effectués aux producteurs.

La deuxième forme est le marché libre. Nous pouvons vendre directement à une compagnie céréalière ou un agent. Une composante de ce prix couvre les tarifs de transport et d'entreposage en silo. Nous touchons un certain montant, qui est fonction de ces coûts, lesquels sont variables.

Si je comprends bien votre question, vous demandez si une société de camionnage pourrait offrir un prix «X» pour le grain, si bien que nous n'aurions plus à nous inquiéter de rien une fois qu'il a quitté l'exploitation?

Le sénateur Adams: Si j'étais une société de transport, j'offrirais d'acheter votre grain pour le revendre moi-même. Ainsi, vous n'auriez pas à trouver un camionneur pour acheminer votre grain jusqu'à l'élévateur. Vous n'auriez plus à vous inquiéter d'aucun autre paiement.

M. Boehm: Il y en a qui aimeraient cela. Personnellement, je pense que la majorité des cultivateurs de l'Ouest n'aimeraient pas cela. Nous apprécions la Commission canadienne du blé. Nous apprécions ce système qui répercute directement les prix de vente sur le marché mondial et qui joue le rôle d'agent commercial. Nous couvrons nous-mêmes le coût du transport et de l'entreposage. Ainsi, nous avons une prise directe sur les frais de transport et d'entreposage.

En fin de compte, je suis autant dans les affaires que les chemins de fer, sauf que nous sommes très nombreux. Sans nous, il n'y a pas de chemin de fer. Ne nous oubliez donc pas.

La présidente: Je vous remercie de votre exposé.

Honorables sénateurs, nous avons deux motions que nous devons expédier aujourd'hui.

La première concerne l'étude spéciale sur les communications. Quelqu'un voudrait-il proposer une motion à l'effet que:

L'étude spéciale sur les communications confiée au comité par le Sénat le 1er mai 1996 soit renvoyée, conformément au règlement du Sénat, au Sous-comité des communications de ce comité.

Voilà la motion que j'ai présentée au Sénat hier.

Le sénateur Spivak: Je propose la motion.

Le sénateur Adams: Je l'appuie.

La présidente: Tous ceux en faveur de la motion?

Des voix: Adopté.

La présidente: La motion est adoptée.

La deuxième motion intéresse la demande du représentant du Syndicat national des cultivateurs de se voir rembourser ses frais de voyage. Cela comprend des frais raisonnables de voyage et de séjour.

Le sénateur Atkins: Je propose la motion.

La présidente: Est-ce convenu, honorables sénateurs?

Des voix: Adopté.

La présidente: Cette motion est également adoptée. Je vous remercie.

La séance est levée.


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