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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule 17 - Témoignages - Séance du matin


OTTAWA, le lundi 21 avril 1997

Le comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 9 h 09, dans le but d'examiner le projet de loi C-32, Loi modifiant la Loi sur le droit d'auteur.

Le sénateur Lise Bacon (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, comme nous l'avons convenu il y a une semaine, nous tenons aujourd'hui notre dernière réunion sur le projet de loi C-32. Nous avons jusqu'ici consacré plus de 15 heures aux témoignages de groupes d'usagers et de créateurs. Nous avons encore sept heures de travail devant nous. Nous aurons, en tout et pour tout, entendu 13 groupes, en plus de la Commission du droit d'auteur. La ministre et ses fonctionnaires ont comparu devant nous à deux reprises.

[Français]

Je profite de l'occasion pour remercier tous les membres du comité pour leur travail assidu et l'esprit de coopération dont ils ont fait preuve tout au long des travaux.

[Traduction]

J'aimerais porter à votre attention certains messages que nous avons reçus par courrier électronique. Je vais demander au greffier de faire circuler les messages à tous les membres du comité. Je tiens à remercier tous ceux qui ont pris le temps d'exposer leurs vues aux membres du comité, que ce soit au moyen de lettres, de fax, de mémoires, d'appels téléphoniques ou encore par courrier électronique.

[Français]

Je remercie tous ceux et celles qui ont pris la peine de communiquer avec nous au sujet de ce projet de loi.

Ce matin, nous avons devant nous, les représentants de l'Association québécoise de l'industrie du disque, du spectacle et de la vidéo, Canadian Independant Record Production Association et l'Association de l'industrie canadienne de l'enregistrement.

Je pense que plusieurs d'entre vous sont familiers avec ce genre de rencontre. Vous avez certainement dû faire des ententes entre vous. Nous avons ce matin, une heure trente pour vos présentations et la période de questions des sénateurs.

[Traduction]

M. Brian Robertson, président, Association de l'industrie canadienne de l'enregistrement: Je suis accompagné aujourd'hui de mes collègues, Robert Pilon et Solange Drouin, de l'ADISQ, et de Brian Chater, de la Canadian Independent Record Production Association.

Nous savons que le temps est précieux, surtout cette semaine, et que chaque minute est importante. Cela fait plus de 20 ans que je milite en faveur de changements à la Loi sur le droit d'auteur. Il s'est agi pour moi d'une expérience tout à fait personnelle et je suis heureux de me retrouver à l'aube d'une semaine qui pourrait s'avérer historique au chapitre de la réforme du droit d'auteur. Je vous remercie d'avoir mis votre savoir et votre expérience au profit de ce processus fort important.

Le projet de loi C-32, s'il est adopté, aura pour effet d'adapter la Loi sur le droit d'auteur aux réalités non pas de l'an 2 000 -- c'est la troisième phase de la réforme qui nous permettra d'atteindre cet objectif --, mais des années 90. Les neuf années consacrées à la deuxième phase de la réforme, qui a mené au projet de loi C-32, ont contribué à moderniser notre loi, qui datait des années 20. Le fait que l'on parle encore dans celle-ci de l'utilisation de rouleaux perforés pour produire des sons montre qu'une mise à jour s'impose.

La réforme du droit d'auteur est un processus laborieux. Certains d'entre vous se souviennent peut-être d'un document intitulé «De Gutenberg à Telidon», qui a été publié en 1984. La première phase de la réforme est devenue loi en 1988. La deuxième phase devait débuter l'année suivante. Cela se passait il y a neuf ans. Le Canada accuse maintenant un retard de 10 ans par rapport à la plupart des pays industrialisés dans le domaine de la réforme du droit d'auteur, et traîne loin derrière de nombreux pays du tiers monde. Or, si nous avons été en mesure de faire des progrès dans le domaine de la réforme du droit d'auteur, c'est uniquement parce que nous avons accepté de faire des compromis.

En effet, à cause des retards, notre loi devenait de plus en plus désuète. La seule solution était d'entreprendre un processus de rattrapage où presque tous les intervenants, aussi bien les titulaires de droits d'auteur que les usagers, ont dû accepter de faire des concessions. Toutefois, personne, à mon avis, n'est sorti perdant de cette réforme.

Le processus de consultation a également été laborieux. Les ministères du Patrimoine et de l'Industrie ont commandé des études et tenu des consultations pendant plusieurs années. De plus, le Comité permanent du patrimoine a examiné au-delà de 170 mémoires.

L'industrie de l'enregistrement peut témoigner des concessions et des compromis qui ont été faits. Comme vous l'indiquera M. Pilon, les artistes et les producteurs canadiens perdront, en raison de ces concessions, jusqu'à deux tiers des redevances auxquelles ils ont droit. Par exemple, nous avons toujours été disposés à exempter du régime de tarification les petites stations de radio. Or, au cours de nos discussions avec l'Association canadienne des radiodiffuseurs, nous avons constaté que les recettes, dans le cas de ces stations, sont passées de 500 000 $ à 750 000 $, et ensuite de 1 million à 1,25 millions dans le cadre du projet de loi actuel.

Malgré que nos artistes aient perdu des dizaines de millions de dollars en redevances légitimes par suite des retards occasionnés par la seconde phase de la réforme et des concessions qu'ils ont accepté de faire, nous vous demandons, honorables sénateurs, de tenir compte des sacrifices qu'ils doivent faire et d'assurer l'adoption du projet de loi.

Ceux qui ont participé au processus, aussi bien les usagers que les titulaires de droits d'auteur, ont encore beaucoup de travail à accomplir dans le cadre de la seconde phase de la réforme. Vous pourriez peut-être encourager le gouvernement à procéder à un examen de la loi dans les deux ans qui suivent la date de son entrée en vigueur au lieu des cinq que prévoit le projet de loi.

Je vous remercie de votre attention. Je cède maintenant la parole à M. Chater, mon collègue de la CIRPA.

M. Brian Chater, président, Canadian Independent Record Production Association: Comme l'a mentionné M. Robertson, le concept du droit d'auteur est simple. Il s'agit d'un cadre juridique qui permet aux créateurs et à leurs agents d'exercer un contrôle sur le fruit de leur travail. Il s'agit aussi d'un contrat conclu entre les usagers et les créateurs, qui prévoit le versement de redevances pour l'utilisation des oeuvres du créateur. Les industries modernes de la culture et du savoir, qui reposent sur la création intellectuelle, dépendent de ce droit pour exercer leurs activités.

Bien que la question de la copie pour usage privé n'ait pas soulevé autant d'attention que d'autres aspects du projet de loi, il ne faudrait pas sous-estimer l'importance qu'elle revêt pour les compositeurs et l'industrie de la musique. Un droit sur la copie pour usage privé d'enregistrements sonores a été proposé pour la première fois dans le rapport «De Gutenberg à Telidon», déposé par le ministre Francis Fox, au début des années 80. Je me souviens avoir longuement témoigné là-dessus devant un comité de la Chambre des communes en 1985. Cette question n'est pas nouvelle, et n'intéresse pas uniquement le Canada. Ce droit existe dans plus de 40 pays, et son application y est bien rodée.

La copie pour usage privé constituait le premier cas où les titulaires de droits d'auteur ne pouvaient transiger directement avec l'usager. Il n'existe aucun moyen efficace de vérifier l'usage que l'on fait des oeuvres protégées, et même si la production de copies pour usage privé est une pratique illégale, il est impossible de surveiller les usagers et donc d'obtenir un juste dédommagement pour les créateurs. La loi actuelle n'est pas efficace. La seule solution pratique à ce problème, c'est d'imposer un droit sur les supports audio vierges au niveau du fabricant ou de l'importateur.

Nous tenons à être bien clairs: non seulement les copies pour usage privé coûtent-elles des millions de dollars à l'industrie depuis près de 20 ans, mais les consommateurs témoignent tellement peu de respect pour le principe du droit d'auteur et les droits des créateurs que cela constitue maintenant une préoccupation majeure pour certains tenants de la réforme du droit d'auteur. Or, leur préoccupation semble avant tout politique, puisqu'ils veulent éviter d'indisposer les consommateurs plutôt que de chercher à faire en sorte que les créateurs reçoivent un juste dédommagement pour leur travail.

La question de la copie pour usage privé nous inquiète beaucoup, en raison de ses implications actuelles et futures. Il s'agit de la première violation de contrat entre l'usager et le créateur, et ce ne sera certainement pas la dernière.

L'accès illimité aux nouvelles techniques, s'il n'est pas contrôlé, risque bientôt de compromettre le bien-être des créateurs et d'une industrie dont l'existence est liée au principe du droit d'auteur. Si nous autorisons l'utilisation généralisée des nouvelles techniques, sans dédommagement aucun et sans l'adoption de lois sévères destinées à protéger les droits des créateurs, il sera difficile, sinon impossible, pour ces créateurs de vivre de leurs oeuvres.

Il en va de même pour les droits relatifs à la copie pour usage privée et à l'enregistrement. Les créateurs ont fait des concessions énormes dans ce projet de loi. Par exemple, au début du processus, on avait prévu imposer un droit sur le matériel, c'est-à-dire l'équipement, et le logiciel, comme on le fait dans les principaux marchés européens, par exemple en Allemagne, en Italie et en Espagne. Or, il n'est pas question de ce droit dans le projet de loi. Il s'agit là d'une concession majeure par rapport à notre position originale.

De plus, le projet de loi ne prévoit l'imposition d'aucun droit sur les bandes vidéo, contrairement à ce qui se fait dans plusieurs grands marchés, comme ceux de la France, de l'Allemagne et de l'Espagne. En tant que créateurs et titulaires de droits d'auteur, c'est quelque chose que nous aurions aimé voir paraître dans le projet de loi. Or, il n'en est rien. Voilà une autre concession majeure qui a été faite dans le but d'assurer l'adoption du projet de loi C-32.

Nous souhaitons aborder certains points que d'autres groupes ont soulevés devant le comité. D'abord, l'ACSE a déclaré que faire des enregistrements chez soi n'est pas un «acte illégal». Le fait est que cet acte est jugé illégal en vertu de la loi actuelle. Toutefois, comme nous l'avons expliqué plus tôt, il est impossible, pour l'instant, de percevoir des redevances là-dessus. La nouvelle loi va permettre la tenue de négociations et le versement de redevances pour la production de ces enregistrements.

Nous tenons également à signaler que, dans bon nombre des pays où ce droit existe, les hausses de prix ont été minimes ou même inexistantes. Toute redevance négociée est absorbée par le fabricant de cassettes ou par le détaillant.

Même s'il est vrai qu'un faible pourcentage des cassettes vendues sont utilisées à d'autres fins, les commerçants n'hésitent pas à promouvoir leur utilisation pour l'enregistrement de disques compacts. En tant que créateurs, nous sommes conscients du fait que les cassettes peuvent être utilisées à des fins légitimes par certains groupes défavorisés, comme les aveugles, et nous tenons à dire que nous sommes entièrement d'accord avec les dispositions spéciales qui s'appliquent aux personnes ayant des déficiences perceptuelles.

Encore une fois, l'expérience dans les autres pays montre que les exceptions et les exemptions peuvent être négociées, et que des régimes peuvent être mis en place pour venir à bout de ces préoccupations sans trop nuire au marché. À notre connaissance, le régime de copie privée ne pose pas de problème majeur dans les pays où il est déjà en vigueur.

Nous tenons également à signaler que ce nouveau droit équivaut en fait à une redevance qui sera versée pour l'utilisation de nos oeuvres. Il ne s'agit pas d'une taxe. Nous retrouvons regrettable que d'autres intervenants utilisent ce terme péjoratif. Nous tenons à ce que la situation soit bien claire. Il s'agit d'un paiement qui est versé pour l'utilisation d'une oeuvre créée par une autre personne. En effet, si ce n'était de la musique qui est enregistrée sur ces bandes, il y aurait très peu de cassettes vierges qui seraient vendues.

Enfin, je tiens à mettre l'accent sur le rôle central que jouera la Commission du droit d'auteur dans le processus, advenant l'adoption de ce projet de loi. Si les créateurs et les usagers ne s'entendent pas sur le montant de la redevance, la Commission agira en qualité d'arbitre, entendra les arguments des deux parties et tranchera la question. Il convient également de mentionner que la Commission a pour mandat de protéger l'intérêt du public dans toutes ses délibérations et dans toutes ses décisions.

Nous estimons que la Commission a rendu des décisions justes et équitables au fil des ans. Elle possède indubitablement des compétences et des connaissances dans le domaine du droit d'auteur.

Nous sommes convaincus que si la Commission est appelée à se prononcer sur la question des redevances qui doivent être versées dans le cas des copies pour usage privé, elle rendra une décision juste, dans l'intérêt du public. Nous sommes prêts à aller défendre notre cas devant la Commission, si besoin est, et d'accepter sa décision à cet égard.

Madame la présidente, honorables sénateurs, je tiens à vous remercier pour votre temps et pour votre attention.

[Français]

M. Robert Pilon, vice-président, Association québécoise de l'industrie du disque, du spectacle et de la vidéo: Nous représentons ma collègue Solange Drouin et moi, les producteurs de disques indépendants du Québec qui sont regroupés au sein de l'ADISQ. L'ADISQ estime que les audiences du comité sénatorial sont extrêmement importantes. Ma collègue et moi avons assisté la semaine dernière à toutes les audiences. Ce qui se passe ici est déterminant.

Essentiellement, nous appuyons le passage du projet de loi sans amendement. Bien sûr, dans d'autres circonstances, éventuellement, si le monde était parfait, nous aurions souhaité un bon nombre d'amendements. Nous allons concentrer notre présentation ce matin sur ce que nous estimons être les faiblesses du projet de loi. Non pas que nous pensons que le projet de loi ne comporte pas de points forts. Le projet de loi essentiellement crée pour nous deux nouveaux droits, un régime sur la copie privée dont vient de parler mon collègue Brian Chater et un régime sur les droits voisins dont je vous entretiendrai dans quelques minutes. Ce sont deux grandes premières en Amérique du Nord, c'est fondamental.

Cependant malgré tout, le projet de loi contient un certain nombre d'exceptions, notamment en ce qui concerne l'utilisation de la musique dans les écoles. Ma collègue vous entretiendra de ces exceptions et de quelques autres dans quelques minutes et aussi d'un niveau d'exceptions à l'égard du régime de droits voisins qui est considérable. Mon collègue Brian Robertson a mentionné que 66 p. 100 des stations de radio seront exemptées. Je passe la parole à Mme Solange Drouin qui vous entretiendra des exceptions.

Mme Solange Drouin, directrice générale et conseillère juridique, Association québécoise de l'industrie du disque, du spectacle et de la vidéo: Madame la présidente, je tenterai maintenant de vous faire apprécier dans toute son ampleur les énormes concessions imposées, deux termes contradictoires mais choisies, par le législateur dans le projet de loi C-32 par le biais des exceptions.

Pour bien saisir l'ampleur de ces concessions qui nous ont été imposées dans le projet de loi C- 32 par le biais des exceptions, il nous est apparu important dans un premier temps de vous rappeler les fondements du droit d'auteur et des droits voisins. Mon collègue Brian Chater l'a rappelé rapidement. J'insisterai un peu plus sur les fondements de ces notions.

Ceci nous est apparu d'autant plus important qu'au cours des audiences à laquelle nous avons assisté au cours des dernières semaines, comme M. Robert Pilon vous le rappelait, vous avez entendu des affirmations comme nous, quelque fois choquantes, souvent douteuses et même quelques fois trompeuses. Du genre l'affirmation qui dit que j'ai acheté un disque, j'ai acheté un livre, maintenant je peux faire ce que je veux avec. Nous avons entendu cela ici. Nous considérons qu'il existe une confusion pour certaines personnes dans les notions de droit d'auteur et de droits voisins. Ce sont des notions difficiles à cerner parce que c'est intangible. En simplifiant au maximum, nous pouvons dire que le droit d'auteur et les droits voisins sont fondamentalement des droits de propriété qui s'exercent sur une oeuvre, une interprétation ou encore un enregistrement sonore selon le cas. L'auteur d'une oeuvre ou l'artiste qui fait une interprétation ou le producteur d'un enregistrement sonore exerce son droit de propriété de manière pleine et entière, à l'instar de celui que vous exercez chacun d'entre vous sur votre maison ou votre auto. Tout comme vous qui pouvez choisir à quel moment, à qui et à quelle condition vous prêtez votre maison ou votre auto, l'auteur d'une oeuvre, l'artiste et son interprétation, le producteur et son enregistrement sonore, peut également choisir quand, à qui et à quelle condition il prête ou il accorde l'utilisation de son oeuvre.

Ce n'est pas parce qu'un auteur, à un moment donné, a décidé d'autoriser la fixation sur un support, par exemple, d'une oeuvre musicale fixée sur un enregistrement sonore, d'une oeuvre littéraire dans un livre ou sur un enregistrement sonore ou d'une oeuvre sur un tableau, ce n'est pas parce qu'il a autorisé la fixation d'une oeuvre sur un tel support qu'il perd pour autant son droit d'exercer son droit de propriété.

Du seul fait qu'une personne achète ce support ne fait pas pour autant d'elle la nouvelle titulaire de droits d'auteur. Ces droits d'auteur et droits voisins demeurent en tout temps rattachés à la personne de l'auteur, de l'artiste ou du producteur de l'enregistrement sonore, à moins bien entendu que cette personne ait cédé ou accordé une licence à une autre personne qui pourra l'exercer en son nom.

Maintenant les exceptions, je voudrais en rappeler la définition en deux mots. Une exception est un mécanisme prévu dans la Loi qui permet à certains utilisateurs d'exploiter une oeuvre, une interprétation ou un enregistrement sonore sans avoir à obtenir l'autorisation des ayants droit concernés. Quel est l'effet de ces exceptions prévues dans la Loi sur le droit de propriété qu'exercent les auteurs, les artistes et les producteurs.

Les exceptions privent les ayants droit de l'exercice de leur droit de propriété et dans certains cas, des rémunérations qui en découlent. Les exceptions sont autant d'expropriation du droit de propriété. Vous comprenez la frustration que certaines personnes ont pu vivre en se faisant exproprier de leur maison pour construire un aéroport. Cela s'est passé au Québec, à Mirabel.

Pour chaque exception que le législateur édicte dans la Loi, les auteurs, les artistes et les producteurs ressentent exactement le même sentiment de dépossession. La Loi actuelle prévoit déjà certaines exceptions, par exemple, un nombre plus limité, mais des exceptions en faveur des écoles et des bibliothèques?

J'aimerais insister plus particulièrement sur une exception en vigueur présentement dont nous n'avons pas beaucoup parlé ici mais qui touche plus particulièrement le monde canadien de la musique. Cette exception permet aux bibliothèques qui louent sans l'intention de faire un gain, un enregistrement sonore sans avoir à obtenir l'autorisation du producteur. Ce droit de location a été introduit dans la Loi canadienne du droit d'auteur en 1994 à la suite de l'ALÉNA. Depuis janvier 1994, les entreprises commerciales doivent demander l'autorisation du producteur pour obtenir son autorisation pour louer un enregistrement sonore. Étant donné l'impact négatif indéniable que la location a sur les ventes de disques, il y a eu un sondage fait à l'échelle internationale qui prouve que 94 p. 100 des disques loués sont également copiés. À cause de cet impact négatif sur les ventes, les producteurs ont décidé d'interdire la location et de ne pas accorder l'autorisation pour louer un disque aux entreprises commerciales. La loi leur a enfin accordé le pouvoir de contrôler cette utilisation. Malheureusement, la Loi canadienne ne leur a pas accordé ce plein pouvoir. Il y a encore, par le biais d'une exception dans la loi, certains établissements qui peuvent toujours continuer à louer des enregistrements sonores sans obtenir l'autorisation des producteurs.

Nous l'avons dit en 1994, nous l'avons encore répété devant le comité parlementaire et nous vous le disons encore aujourd'hui, cette exception nous apparaît complètement déplorable. Nous croyons sincèrement que pour consommateur qui loue d'une entreprise commerciale ou d'une bibliothèque sans but lucratif, les effets pour l'industrie canadienne du disque sont les mêmes. Le disque que la personne va louer sera copié. Pour nous cette exception ne devrait pas être évidemment dans le projet de loi. Malheureusement, cette exception est maintenue dans le projet de loi C-32.

Le projet de loi C-32 crée aussi de nombreuses autres exceptions en faveur des écoles et des bibliothèques, mais aussi maintenant en faveur des musées, des centres d'archives et des radiodiffuseurs. Je ne passerai pas en revue la liste très longue des exceptions qui sont incluses dans projet de loi C-32. Vous les avez d'ailleurs dans un document que nous vous avons transmis. Ce n'est pas une liste exhaustive mais cela vous montre quand même un petit peu l'ampleur ou le nombre de ces exceptions.

J'insisterai sur le fait que les exceptions qui sont prévues dans le projet de loi C-32 auront un impact sur le droit de propriété qu'exercent les auteurs, les interprètes et les producteurs dans le monde de la musique. Vous avez accueilli des gens qui vous ont beaucoup parlé des oeuvres littéraires. L'exception qui permet aux écoles de reproduire un livre pour des fins d'examen ou de contrôle, cette école pourra également reproduire un enregistrement sonore pour fins de contrôle. Un centre d'archives ou un musée qui peut reproduire un livre pour la gestion de ses collections permanentes pourra également reproduire un enregistrement sonore pour les mêmes fins.

Finalement, la dernière exception que je citerai et non la moindre, évidemment vous l'avez entendue: les radiodiffuseurs pourront faire une reproduction éphémère des oeuvres, des interprétations et des enregistrements sonores pour fins de diffusion ultérieure. La liste est fort longue. De manière très étonnante, les utilisateurs ne sont toujours pas satisfaits et veulent des amendements au projet de loi C-32 pour augmenter le nombre et élargir même la portée de certaines exceptions.

L'ADISQ ne nie pas qu'il y a certaines causes comme l'éducation, la muséologie, la conservation des oeuvres qui sont des causes fort estimables. Nous ne comprenons pas pourquoi ce devrait être les ayants droit qui subventionnent ces causes ou ces établissements à titre individuel. Par exemple, si une école veut se procurer de l'électricité, on ne demande pas aux compagnies d'électricité de les subventionner. La même logique devrait s'appliquer dans le domaine de la propriété intellectuelle. Si le Parlement décide que l'accès à l'éducation est une cause fort estimable, pourquoi ce devrait être les ayants droit qui en fassent les frais?

C'est pourquoi la position de base de l'ADISQ a toujours été de demander le retrait de toutes les exceptions dans le projet de loi C-32, de façon à permettre aux sociétés de gestion pleinement habilitées à négocier des ententes avec certains utilisateurs.

Par conséquent l'ADISQ ne peut se réjouir du nombre considérable d'exceptions que le comité parlementaire a maintenu dans le projet de loi C-32. Nous devons quand même souligner le travail remarquable accompli par le comité parlementaire entre le 25 avril et le 13 décembre, après avoir fait son travail, pour rééquilibrer la portée de ces exemptions de façon à refléter un équilibre plus adéquat entre les utilisateurs et les ayants droit. Il n'en demeure pas moins que chacune de ces exceptions est une concession imposée très importante pour les ayants droit. Nous comptons sur le processus de révision qui est prévu dans la loi, qui a été invoqué par mon collègue M. Brian Robertson pour réévaluer toute cette situation.

M. Pilon: Je vais centrer mon intervention sur les droits voisins et les exceptions que comporte le projet de loi C-32 à l'égard du régime de droits voisins. Qu'est ce que c'est les droits voisins? À ce jour, on en a peu parlé lors des audiences. On a beaucoup parlé du milieu scolaire, mais on ne peut parler des droits voisins comme tels. Ce sont des droits assez fondamentaux. Littéralement, les droits voisins, c'est au sens de voisin du droit d'auteur. Les auteurs ont des droits. Lorsqu'un disque est utilisé à la radio, par exemple, l'auteur reçoit une rémunération par l'intermédiaire de la SOQUAN. Pour la plupart des stations de radio, cette rémunération équivaut à 3, 2 p. 100 du chiffre d'affaires de la station de radio. Cela s'en va à la SOQUAN, c'est redistribué aux auteurs.

Par ailleurs, à l'heure actuelle les deux autres grandes catégories d'artisans qui sont nécessaires pour faire un disque, en plus de l'auteur, c'est-à-dire les interprètes, chanteurs et musiciens et les producteurs, d'autre part, ne reçoivent aucune rémunération pour l'exécution publique d'un disque à la radio, dans une discothèque, ou ailleurs.

Il faut reconnaître qu'il y a une situation assez spéciale ici parce que à l'heure actuelle, il y a déjà 52 autre pays dans le monde qui sont adhérants à la Convention de Rome, Convention qui date de 1961, ce n'est pas d'hier, et qui offre un régime de protection non seulement de droits d'auteur mais également de droits voisins.

L'adoption du projet de loi C-32 est quand même une première importante, il faut le réaliser malgré les critiques qu'on va faire tantôt. C'est une grande première au Canada et en Amérique du Nord puisque cela va permettre au Canada de se joindre à ce groupe de 52 pays. Le dernier pays en date qui a adopté un régime de droits voisins et qui a adhéré à la Convention de Rome l'an passée, c'est la Moldavie. Il y a quelque chose d'un peu honteux quand la Moldavie a un régime de droits voisins et que le Canada n'en a pas encore. Ce régime est assez important.

On a entendu toutes sortes de choses depuis plusieurs années sur les droits voisins. On nous dit que les stations radio n'auront pas les moyens de payer cela et ainsi de suite. Il faut comprendre et cela existe, le Canada n'invente rien, cela existe dans 52 autres pays à travers le monde; un droit c'est une propriété. Lorsque la radio fait passer un disque, elle utilise une propriété. Ils ont depuis des décennies donné une petite rémunération aux auteurs, ils vont donner maintenant encore une plus petite rémunération aux interprètes, musiciens et producteurs.

En anglais on dit: «It's a normal cost of doing business». C'est tout à fait normal, cela existe d'ailleurs. C'est aussi une dépense qui est relativement minime comme on peut s'y attendre.

Je vais poursuivre mon exposé à l'aide de tableaux. Comme c'est un peu compliqué au niveau de la traduction lorsque l'on utilise des tableaux, si vous n'y voyez pas d'objection je vais procéder en anglais directement. Le dernier document que vous avez dans la pochette qu'on vous a donnée, s'intitule: «Des exemptions des paiements de droits voisins extrêmement généreuses pour les stations de radio», et les tableaux qui les accompagnent. Malheureusement, on n'a pas pu traduire les documents mais nous avons traduit les tableaux. En suivant les tableaux vous allez facilement pouvoir suivre mon exposé.

Le projet de loi C-32 prévoit deux types d'exemptions bien distinctes pour toutes les stations de radio. D'abord, une exemption qui va s'appliquer à toutes les stations radio, quel que soit leur chiffre d'affaires, sur le premier 1,250 million dollars de recettes publicitaires. Les stations de radio ne paieront pas de droits voisins. Enfin, ils vont payer 100 $ par année, une somme symbolique. On peut dire que c'est une exemption totale de base, et cela s'applique à toute les stations.

Deuxièmement, il y a une exemption sur les recettes au-delà de 1,250 million de dollars qui est une exemption partielle pour une période d'introduction de trois ans. Pour comprendre cela facilement, prenons l'exemple d'une station de 3 millions de dollars de recettes annuelles. Je prends l'exemple sur une période de cinq ans puisque l'on parle d'une revue du projet de loi au bout de cinq ans, donc le projet de loi prévoit une mise en oeuvre sur une période introductive de cinq ans. Prenons l'exemple d'une station radio sur cinq ans, qu'est ce qui va se passer? Vous allez constater que l'exemption pour une station de radio qui a des recettes de 3 millions de dollars -- c'est une station de radio quand même assez importante -- est très généreuse. D'abord, cette station à chaque année, première, deuxième, troisième, quatrième et cinquième et en moyenne pour les cinq ans va bénéficier sur 1,250 million dollars, c'est-à-dire 42 p. 100 de ses recettes n'auront pas de droits voisins, du tout.

[Traduction]

La station de radio qui réalise des revenus de 3 millions de dollars par année bénéficiera d'une exemption totale sur le premier 1,25 millions de recettes publicitaires. Elle n'aura aucun droit voisin à payer sur 42 p. 100 de ses revenus. De plus, les recettes au-delà de 1,25 millions de dollars, soit 1,75 millions de dollars, la différence entre 3 millions et 1,25 millions de dollars, seront elles aussi exemptées à 66 p. 100 la première année. Par conséquent, au cours de la première année, si la station réalise des recettes de 3 millions, 2,4 millions des recettes seront exemptées du paiement de droits voisins, sauf pour ce qui est des 100$ qui doivent être versés. Autrement dit, 81 p. 100 de ses recettes seront exemptées.

La deuxième année, la station bénéficiera toujours d'une exemption de base sur ces recettes de 1,25 millions de dollars. Le tiers de la différence de 1,7 sera exemptée, de sorte qu'elle aura droit à exemption de base de 42 p. 100 conjuguée à une exemption graduelle de 19 p. 100, ce qui équivaut à une exemption totale, la deuxième année, de 61 p. 100. La troisième année, l'exemption graduelle disparaît, mais l'exemption de base reste.

En moyenne, au cours des cinq premières années, cette station bénéficiera d'une exemption de base de 42 p. 100. De plus, si l'exemption est échelonnée sur cinq ans, elle aura droit à une exemption moyenne annuelle de 12 p. 100. Par conséquent, au cours des cinq premières années, plus de 50 p. 100 des recettes de la station seront exemptées de tout paiement de redevances.

Si l'on prend l'ensemble de l'industrie, on compte 495 stations privées au Canada. Nos données financières les plus récentes sont périmées. Elles datent de 1995. Les nouveaux chiffres doivent paraître dans un mois ou deux. En 1995, ces 495 stations ont réalisé des recettes publicitaires de 754 millions de dollars.

Jetons un coup d'oeil sur ce qui se passe. Je vous renvois au graphique II du mémoire. L'industrie de la radio bénéficiera d'une exemption la première année, et 84 p. 100 de ses recettes seront exemptées du paiement de droits voisins. La deuxième année, elle bénéficiera d'une exemption de 69 p. 100. Au cours des trois années qui suivent, et peut-être de façon indéfinie si nous ne parvenons pas, à la fin du processus de réforme, à éliminer cette exemption de base, l'industrie de la radio bénéficiera encore d'une exemption de 53 p. 100. En moyenne, au cours des cinq premières années, 62 p. 100 des recettes, ou 471 millions de dollars sur 754 millions, seront exemptées de tout paiement de redevances. Il s'agit là d'une exemption énorme qui se traduit par des pertes importantes pour les artistes et les producteurs.

Jetons maintenant un coup d'oeil sur l'ensemble du tableau. Ce graphique représente chacune des 495 stations de radio au Canada. Nous avons demandé à Statistique Canada de préparer un graphique spécial et de répartir les stations de radio en groupes. Nous allons commencer par les petites stations, c'est-à-dire le groupe 1, qui réunit les stations dont les recettes publicitaires sont inférieures à 500 000$, et ensuite celles dont les recettes se situent entre 500 000 et 1 million de dollars, ainsi de suite.

Nous voyons, ici, que 327 stations ont enregistré des recettes inférieures à 1,25 million de dollars, ce qui veut dire que deux tiers des stations réalisent des recettes de moins de 1,25 million de dollars. Ces 327 stations bénéficieront d'une exemption, mais devront quand même payer les 100$ de redevances. Il s'agit là d'une exemption énorme.

Nous savons que la situation financière de bon nombre de ces stations n'est pas reluisante. Nous avons toujours dit qu'il fallait venir en aide à certaines stations, mais nous estimons que ce projet de loi va trop loin. Nous avons proposé plus tôt que seules les stations dont les recettes sont inférieures à 750 000$ bénéficient d'une exemption.

Le gouvernement a décidé de porter l'exemption à 1,25 million de dollars, et nous sommes d'accord avec sa décision. Nous voulons vous faire prendre conscience de l'importance de l'exemption. Soixante-six pour cent des stations comptent pour 25 p. 100 des recettes totales qui bénéficieront d'une exemption.

Cette partie-ci représente les stations plus grosses, dont les recettes annuelles se situent entre 1,25 et 15 millions de dollars. C'est cet aspect du projet de loi que nous trouvons le plus inquiétant. La plupart des grosses stations, sinon toutes, sont fort rentables. Elles bénéficieront également d'une exemption de base, ce qui signifie qu'elles ne paieront rien sur la première tranche de 1,25 million de dollars.

Prenons l'exemple de la station qui réalise des recettes publicitaires de 3 millions de dollars par année. Elle entre dans cette catégorie. La première année, comme nous pouvons le voir sur l'autre graphique, la station bénéficiera d'une exemption de base et ensuite d'une exemption graduelle. Elle ne paiera aucune redevance sur cette partie de ses recettes la première année.

Globalement, aucun droit voisin ne sera versé au cours de la première année. Tout cela sera exempté. Cela représente 84 p. 100 des recettes. Seulement cette partie-ci des recettes seront assujetties à un droit voisin la première année, et cette partie-ci, la deuxième année. Il s'agit là d'une exemption énorme.

Il faut bien se rendre compte que les plus avantagées par cette exemption sont les grandes stations. Comme vous avez pu le voir, la valeur de l'exemption accordée aux petites stations représente 25 p. 100 des recettes. Toutefois, elle grimpe, dans le cas des grandes stations, à 28 p. 100, auxquels il faut ajouter une autre exemption de 9 p. 100 durant la période d'entrée en vigueur graduelle, soit au total 37 p. 100. Par conséquent, dans l'ensemble, 60 p. 100 de la valeur totale de l'exemption reviendra aux grandes stations alors que les petites, elles, ne bénéficieront que de 40 p. 100.

Nous aurions pu augmenter l'exemption accordée à la petite station en échange d'une diminution de celle de la grande station. Pourtant, on ne l'a pas fait parce qu'on ignore le tarif que fixera la commission du droit d'auteur. Ce tribunal décidera en fonction d'un exposé économique auquel nous assisterons. Le titulaire du droit pourra dire à combien il évalue son droit, et le radiodiffuseur pourra répliquer. La commission sera tenue d'inclure dans ses calculs la capacité de payer du radiodiffuseur. Enfin, la commission rendra sa décision.

Pour illustrer les avantages que peut avoir ce processus, supposons que la moitié seulement du répertoire utilisé par les stations de radio soit visée par le projet de loi C-32, étant donné que le répertoire américain n'est pas inclus. Bien des personnes croient que nous ne pouvons pas nous attendre à plus de la moitié du tarif existant, soit 1,5 p. 100 par année. S'il n'y avait pas d'exemption et si la commission appliquait un tarif équivalant à 1,5 p. 100 des recettes publicitaires de la station pour la collecte des droits voisins, cela donnerait 1,5 p. 100 de 754 millions de dollars ou 11,3 millions de dollars par année. Évidemment, tout cela repose sur l'hypothèse que les recettes sont constantes. En fait, je présume que les recettes augmenteront de 1, de 2 ou de 3 p. 100 peut-être par année. Toutefois, par souci de simplicité, nous avons décidé d'utiliser des recettes constantes dans notre exemple.

Sans exemption, nous aurions touché 11,3 millions de dollars par année. Au bout de cinq ans, cela reviendrait à 56,5 millions de dollars. Toutefois, durant la première année, une exemption de 84 p. 100 signifie que les droits ne seront versés que sur 16 p. 100 des recettes publicitaires. Nous récupérerons donc 16 p. 100 des éventuels 11,3 millions de dollars.

Durant la première année, nous obtiendrons peut-être, au mieux, 1,8 million de dollars de toutes les stations de radio du Canada. Durant la deuxième année, ce montant pourrait s'élever à 2,5 millions de dollars. Durant les troisième, quatrième et cinquième années, il pourrait bien atteindre 5,3 millions de dollars. Au total, cela fait en moyenne 4,2 millions de dollars par année, ce qui est très peu. En cinq ans, nous toucherons 21,2 millions de dollars en tout.

Donc, nous obtenons 21,2 millions de dollars par rapport à des droits réels de 55 millions de dollars, ce qui veut dire que nous avons perdu 35 millions de dollars. Le niveau élevé de l'exemption accordée aux radiodiffuseurs revient donc à leur faire cadeau de 35 millions de dollars, montant qu'ils estiment insuffisant.

Au dernier tableau, on peut constater à quel point le projet de loi est raisonnable. En fait, nous l'estimons trop raisonnable. Voyons ce dernier tableau. Si nous touchons 1,8 million de dollars par année par rapport à des recettes de 754 millions de dollars, cela donne 0,2 p. 100. C'est 1/5 de 1 p. 100 des recettes totales de la première année. L'année suivante, le pourcentage grimpe à 0,5 p. 100 et, durant la troisième année, à 0,7 p. 100. En moyenne, nous obtiendrons environ un demi de 1 p. 100 des recettes publicitaires totales des stations de radio privées du Canada. Disons-le franchement! Il n'y a pas de quoi ruiner les grandes stations. Ce n'est pas sérieux!

Voilà qui met fin à mon exposé. Si vous avez des questions...

[Français]

La présidente: Je vous remercie beaucoup. J'aurais une première question à vous poser. Vous avez parlé de concessions que vous avez faites. Quelle est la concession qui vous coûte le plus? Qu'est ce que vous avez gagné dans toute cette négociation à la Chambre des communes?

M. Pilon: La concession la plus importante et la plus inacceptable, c'est celle-ci: c'est d'avoir donné aux plus grosses stations, qui sont en bonne situation financière, la même exemption de base qu'aux petites stations.

Je ne sais pas si certains d'entre vous ont pu prendre connaissance d'un très gros mémoire que nous avons déposé au comité parlementaire l'automne passé où nous avons proposé plusieurs solutions, dont certaines qui existent déjà à l'égard d'autres tarifs. Ce sont des solutions en escalier ici: nous donnons un «break» au complet aux petites stations et, à mesure, nous donnons un peu moins aux stations intermédiaires et, les grandes stations n'ont pas d'exemption, peut-être une exemption d'introduction graduelle qui est normale, mais pas d'exemption permanente.

[Traduction]

J'ignore si mes amis sont d'accord avec moi, mais accorder une exemption permanente à de grandes stations rentables est absolument scandaleux.

La présidente: Y avez-vous gagné quelque chose?

M. Pilon: Oui. Nous y avons gagné la reconnaissance de nos droits.

M. Robertson: Nous avons gagné la reconnaissance des droits, essentiellement. À l'origine, c'était notre objectif, tant immédiat qu'à long terme. Les droits ont perdu du terrain, comme vous avez pu le voir. Le fait que la Moldavie ait déjà en place un régime de pareils droits montre bien à quel point le Canada accuse du retard par rapport au reste du monde civilisé. À ce stade-ci, nous sommes reconnaissants du simple fait de pouvoir un jour faire respecter nos droits.

M. Chater: Madame la présidente, l'essentiel pour nous était de faire reconnaître nos droits. Il fallait passer par là avant de faire le reste. Nous estimons être avantagés par la loi. Comme vous avez entendu mon collègue, M. Pilon, le dire, nous estimons que le projet de loi, tout comme la vie, n'est pas parfait.

La présidente: Vous avez proposé que la loi soit réexaminée tous les deux ans. Qu'arrivera-t-il aux droits voisins? On nous a dit, si ma mémoire est fidèle, qu'ils étaient censés être en place au bout de deux ans.

Accepteriez-vous que les examens aient lieu tous les trois ans?

M. Robertson: On recommande l'introduction graduelle des droits voisins sur une période de trois ans. Dans ma déclaration liminaire, je faisais allusion à l'examen quinquennal du Parlement qui est recommandé dans le projet de loi.

La présidente: Que penseriez-vous d'un examen triennal?

M. Robertson: Un examen aux trois ans représenterait certes un compromis. Il nous permettrait de passer à la phase III de la réforme qui, comme je l'ai déjà dit, aurait dû être amorcée depuis longtemps déjà. Il existe de nombreux aspects des nouvelles communications et des nouvelles technologies qui ne sont pas inclus dans la loi et au sujet desquels il faudra tôt ou tard légiférer.

La présidente: Plus nous en apprenons à ce sujet, plus nous prenons conscience que la phase III de la réforme tarde vraiment.

M. Robertson: La communication sur Internet n'est pas réglementée, ce qui entraîne une exploitation de nos produits. Il faudrait régler cette question au plus tôt.

[Français]

Mme Drouin: Pour le «review process» prévu à l'article 92, on dit bien «within five years». On croit qu'il n'y a rien dans la Loi qui prohibe le fait que la réévaluation de la loi puisse commencer avant. On n'a pas à attendre cinq ans, c'est «within five years», dans les cinq ans.

Le sénateur Grimard: Je vous remercie, madame la présidente. Je veux excuser l'absence de mes collègues. Je me demande s'il n'y a pas eu une erreur. Vendredi après-midi, j'ai reçu un avis du comité vers la fin de l'après-midi nous disant que la réunion devait avoir lieu aujourd'hui, mais à deux heures. C'était l'avis que j'ai reçu. J'ai communiqué personnellement avec le greffier qui m'a dit que c'était une erreur, et que c'était bien 9 heures. Je ne sais pas si l'absence de mes collègues est due à l'avis que nous avons reçu. D'un autre côté, vous pouvez être assuré que si vous n'avez pas la quantité de ce côté-ci de la table, vous avez la qualité.

Je veux remercier ceux qui ont présenté des mémoires. C'était très intéressant. J'aurais quelques questions à poser par ordre des intervenants.

[Traduction]

Monsieur Robertson, votre exposé était fort intéressant. J'aurais une question à vous poser. Tous semblent avoir l'impression que le projet de loi C-32 n'est pas parfait, mais qu'il représente tout de même un pas dans la bonne voie. Seriez-vous d'accord pour que le comité adopte le projet de loi sans amendement, en dépit de son imperfection?

M. Robertson: Oui, sénateur, nous le serions. Nous sommes conscients des lacunes du projet de loi et des compromis et concessions qui ont été faits, mais nous continuons de recommander que le projet de loi soit adopté sans amendement.

M. Chater: J'aimerais appuyer M. Robertson. Nos membres aussi aimeraient que le projet de loi soit adopté tel quel.

[Français]

M. Pilon: Sénateur Grimard, je ...

Le sénateur Grimard: Je connais votre réponse. Vous pouvez l'exprimer quand même mais pour les autres.

M. Pilon: Je ne vous le cache pas que pour nous à l'ADISQ, avant Noël nous avons eu un conseil d'administration qui a été houleux. Il y a eu un débat, un long débat. Est-ce que, à ce niveau de conception et, en particulier, avec le maintien d'une exemption de base pour les grosses stations, nous devions continuer d'appuyer le projet de loi?

Nous en sommes arrivés à la conclusion que malgré tout, il y avait la création d'un droit important, que le Canada allait enfin rejoindre les rangs de la modernité et que l'on travaillera, après l'adoption du projet de loi, dans le processus de revue pour tenter de faire disparaître cette chose inacceptable. Il nous apparaît important que le projet de loi soit adopté et sans amendement.

[Traduction]

Le sénateur Grimard: Monsieur Chater, à la page 2 de votre mémoire, vous mentionnez une déclaration de l'Association canadienne des supports d'enregistrement et vous ajoutez que la nouvelle loi changera la position en droit et ouvrira la porte aux négociations et à la collecte de droits d'utilisation. J'aimerais en savoir davantage à ce sujet.

M. Chater: Sénateur, comme je l'ai fait remarquer, sous le régime actuel, il est, sur le plan technique, illégal de faire une copie privée. Je vous ai dit aussi qu'il n'est pas vraiment possible de faire respecter cette disposition. La nouvelle loi -- je ne suis pas avocat, de sorte que Mme Drouin me corrigera peut-être -- confère le droit d'utiliser le produit à condition de verser des droits au créateur. En fait, elle autorise une transaction commerciale qui, si elle était théoriquement possible auparavant, n'était pas dans les faits réalisable. Désormais, elle pourra se concrétiser, et le créateur sera payé par toute une gamme de consommateurs pour l'utilisation de son oeuvre.

[Français]

Mme Drouin: Je n'ai pas à modifier la réponse de mon collègue M. Chater. Ce que la loi va permettre à la société de gestion ou à l'organisme de perception qui percevra les droits ou les redevance à ces fins, le régime de copie privé, c'est qu'elle pourra tenter de négocier avec les utilisateurs et ceux qui doivent payer la redevance, les manufacturiers et les importateurs de cassettes vierge. Si nous ne pouvons pas nous entendre, nous irons à la Commission pour fixer le tarif.

[Traduction]

Le sénateur Grimard: Monsieur Chater, à la dernière page de votre mémoire, vous semblez avoir une grande confiance dans la Commission du droit d'auteur. Vous dites que d'après votre expérience, la Commission du droit d'auteur a rendu des jugements justes et équitables.

Ici même dans cette salle, il y a quelques jours, nous avons entendu un témoin qui s'opposait tout à fait au pouvoir conféré à la Commission du droit d'auteur parce qu'il estime que le gouverneur en conseil, selon le paragraphe 66.91 du projet de loi, aura de trop nombreux pouvoirs. Cet article énonce que le gouverneur en conseil peut prendre des règlements pour donner des instructions sur des questions d'orientation à la Commission. Vous ne semblez pas craindre les pouvoirs que le paragraphe 66.91 du projet de loi conférera à la Commission. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi?

M. Chater: Ici encore, sénateur, comme je l'ai fait remarquer, idéalement, j'aurais préféré que le paragraphe 66.91 ne figure pas dans le projet de loi. Il s'y trouve et il nous inspire certaines réserves mais d'un autre côté nous considérons qu'il offre certaines possibilités. Il ne s'agit pas d'une position entièrement unilatérale de la part du gouvernement.

Est-ce que nos membres sont totalement satisfaits de ces dispositions? Non, nous ne le sommes pas. Nous aurions préféré une Commission du droit d'auteur impartiale ou non réglementée, devant laquelle les deux camps pourraient défendre leur position.

Si nous avions trois mois de plus, nous serions probablement tous d'avis que ces dispositions ne devraient pas figurer dans le projet de loi. Or, elles s'y trouvent et même si elles risquent de causer des problèmes, nous ne voulons pas retarder l'adoption du projet de loi à ce stade. Comme nous l'avons dit, veuillez l'adopter tel quel.

[Français]

Le sénateur Grimard: Vous vouliez ajouter quelque chose?

Mme Drouin: Le libellé de l'article 66.91 et de plusieurs autres aurait pu être retravaillé. L'article 66.91 n'est quand même pas parfait. Il encadre le pouvoir du gouverneur en conseil de donner des instructions à la Commission. L'ADISQ ne serait pas d'accord si ce pouvoir n'était pas si bien encadré et permettrait au gouvernement de se substituer à la Commission. On ne croit pas que c'est le cas.

Si nous le relisons, on dit carrément à l'article 66.91:

Le gouverneur en conseil peut, par règlement, donner des instructions sur des questions d'orientation à la Commission et établir les critères de nature générale ...

Nous restons dans le très général.

Dans la loi actuelle, il y a une disposition qui existe déjà qui dit que le gouverneur en conseil peut fixer par règlement des critères dans le régime de la retransmission. Nous n'avons pas nommé des critères de nature générale. Le gouverneur en conseil aurait pu décider n'importe quoi, c'est encore plus dangereux. Cela n'a pas été le cas. Ce pouvoir a été utilisé une fois par le gouverneur en conseil en 1991. J'ai copie du règlement. Cela reste quand même des critères d'application générale et dans le résumé de l'impact de cette réglementation, on dit clairement que les critères ne contraignent pas la Commission à une conclusion particulière.

La Commission a toute discrétion pour attribuer respectivement à chaque critère, à l'ensemble d'entre eux, à la preuve et aux arguments des parties leur poids spécifique.

Le gouvernement a déjà été soucieux, malgré qu'il n'était pas forcé par le libellé de l'article de donner des critères de nature générale. Maintenant que c'est consigné dans 66.91, on croit qu'il continuera dans cette veine.

Le sénateur Grimard: Vos précisions sont à point. C'est à vous que je voudrais adresser mes prochaines questions. Votre présentation a consisté surtout à nous parler des exemptions.

Lors de la dernière session du comité à l'autre endroit, il y a eu 67 amendements. Est-ce que parmi ces 67 amendements, il y a eu beaucoup de ces exceptions dont vous nous avez parlé?

Mme Drouin: J'étais à l'autre endroit, le 12 décembre. Le gouvernement a déposé son projet de loi le 25 avril et les travaux du comité se sont évidemment tenus pendant l'automne et se sont conclus le 12 décembre. Le comité a publié son rapport le 13. Entre la version de certaines exceptions dans le projet de loi initial, tel que déposé le 25 avril et la version du comité, il y a certaines modifications.

Ces modifications ont été proposées par plusieurs groupes au comité pendant ces six semaines d'audience. Ce sont des modifications que l'un ou l'autre groupe a demandé. L'ADISQ a demandé certaines modifications. Notre principe de base était le retrait. Si vous ne retirez pas toutes les exceptions, nous avions une liste d'épicerie aussi. Plusieurs d'entre elles ont été demandées pendant les travaux du comité. Il a reçu 170 mémoires et entendu 68 témoins. Au terme de ces audiences, il y a eu des modifications. Cela a été plus précipité au cours de la dernière journée. Tout avait été dit avant et nous devions prendre des décisions. Voilà ce qui s'est passé.

Le sénateur Grimard: Je suis content d'entendre vos propos parce que d'autres intervenants sont venus nous dire que la grande majorité de ces amendements de dernière minute était sortie d'une boîte de surprises alors que tel ne semble pas être le cas.

Mme Drouin: Pas du tout, pour vous donner un exemple, une exception mentionnait que les écoles peuvent reproduire des disques, des livres ou tout objet du droit d'auteur, en vue d'un exercice scolaire, d'un contrôle ou d'un examen. Nous avions demandé dans notre mémoire le retrait de ces mots, «exercice scolaire». Nous ne l'avons pas dit devant le comité. C'était trop large. Cela pouvait comprendre tout ce que pouvait faire une école, un exercice scolaire, on en a à tous les jours. On avait demandé le retrait de ces mots.

Cela a été entendu pour équilibrer cette exception entre les intérêts de l'un et de l'autre, le comité a décidé d'enlever ces mots. Nous l'avions demandé. C'est sorti le 12 décembre et cela a été demandé bien avant.

Le sénateur Grimard: Une objection entendue à plusieurs reprises de la part des diffuseurs est à l'effet que le nouveau projet de loi les obligerait à effacer leur enregistrement dans un délai de 30 jours. Cette objection a été répétée à plusieurs reprises. J'aimerais avoir vos commentaires à ce sujet.

Mme Drouin: L'exception prévue dans le projet de loi leur permet de garder l'enregistrement pendant 30 jours. Les radiodiffuseurs vous ont cité à l'appui de l'exception pour l'enregistrement éphémère que cela était justement permis dans les conventions internationales de Berne et de Rome. Cela est très vrai. Ces conventions internationales parlent d'enregistrement éphémère. On ne permet pas une exception pour l'enregistrement permanent. Je pense que c'est dans la Convention de Berne, je me trompe toujours, que si les radiodiffuseurs sont capables de prouver qu'il y a un intérêt exceptionnel à garder cet enregistrement, ils pourront le faire dans des archives officielles.

C'est la seule raison qui permet un enregistrement permanent. La Loi le prévoit. Le délai est de 30 jours dans la plupart des pays, ce délai de conservation varie entre 30 et 90 jours. Mais de toute façon, n'eût été du délai, n'importe quel délai n'aurait pas satisfait les radiodiffuseurs. Même si cela avait été de 90 jours, ils vous auraient dit que ce n'est pas assez parce qu'ils veulent une exception pour un enregistrement permanent, ce qui est très différent.

[Traduction]

M. Chater: En ce qui concerne le délai de 30 jours, j'ai fait une observation à ce sujet devant le comité de la Chambre des communes. L'expression utilisée dans la loi est «sauf autorisation à l'effet contraire du titulaire du droit d'auteur». Jusqu'à présent, nos membres n'ont pas invoqué cette disposition, ni n'ont l'intention de le faire à l'avenir. Nous serons probablement disposés à accorder une licence moyennant un paiement symbolique.

En réalité, les radiodiffuseurs pourront continuer à s'en prévaloir. Ils ont des obligations commerciales, ce que nous comprenons bien. Ce n'est pas un grave problème à notre avis. Il s'agit uniquement d'un compromis pour tâcher d'arranger les choses.

Les radiodiffuseurs quant à eux veulent s'assurer que leurs activités ne seront pas indûment interrompues. Nous ne voyons pas pourquoi il serait impossible de trouver un moyen facile de les accommoder et nous le ferons avec plaisir.

M. Robertson: Nous possédons ce droit depuis plusieurs dizaines d'années. Nous ne l'avons jamais exercé et nous n'envisageons pas de le faire. Cela semble un processus d'atermoiement plutôt qu'un argument pratique.

[Français]

Le sénateur Grimard: Je vous remercie. Avant de poser quelques questions à M. Pilon, j'aimerais vous dire madame Drouin que j'ai bien aimé votre comparaison lorsque vous parlez de l'expropriation d'une propriété. Je pense, et il est vrai que les gens ne sont pas assez conscients, lorsque que nous regardons les revendications des musées, des université ou autres, nous ne réalisons pas que si on ne paie pas de droits, on se trouve à les exproprier aux auteurs. J'ai vivement apprécié.

Passons maintenant à M. Pilon. Vous avez parlé longuement des droits voisins. Je ne pense pas que l'on puisse s'objecter à ce que des droits voisins soient accordés. On sait qu'auparavant, il y avait le compositeur de musique et le parolier qui bénéficiaient de droits. Maintenant vous ajoutez les interprètes, les musiciens et les producteurs. Dans l'ensemble, c'est très bien. J'aimerais vous poser quelques questions sur les droits voisins.

Nous sommes d'accord pour dire que ces droits voisins n'existent pas aux États-Unis et que ce serait plutôt de conception européenne. Est-ce que je me trompe? Si vous avez des explications, je vous en donne l'opportunité.

M. Pilon: Parfois nos amis radiodiffuseurs ont essayé un peu malicieusement de dire: cela est un truc français, cela vient de la France. Il y a 52 pays, pas seulement les Français, il y a les Britanniques, les Australiens, les Japonais, les Allemands, tous les pays nordiques qui sont là. Ce n'est pas juste la France ou les pays latins, que l'on se comprenne bien. Il est vrai que les Américains n'ont pas un régime de droits voisins qui couvre l'ensemble des stations de radio. Ils ont un faux régime de droits voisins puisqu'il exclut toutes les stations de radio conventionnelles. Ils ne touchent en réalité que les «subscription pay audio», les services sonores spécialisés vendus par abonnement sur le câble.

De tous les pays de l'OCDE, deux pays n'ont pas de droits voisins, la Turquie et les États-Unis, en présumant que le Canada va adopter le projet de loi, bien sûr.

Le sénateur Grimard: Quel sera l'impact du régime des droits voisins au Canada si l'on pense qu'il est fort possible que les radiodiffuseurs ou encore ceux qui utilisent la musique vont plutôt préférer jouer de la musique américaine où il n'y a pas de droits voisins. J'ai lu dans leur mémoire que si l'on ne peut pas s'entendre, nous allons jouer de la musique américaine. J'aimerais vous entendre à ce sujet.

M. Pilon: La Loi de la radiodiffusion dans sa version de 1991, prévoit à l'article 3(1)e) je crois, que toute entreprise de radiodiffusion licenciée, télévision ou radio, a des obligations de faire une utilisation maximum de contenu canadien. Contrairement à cet article de la Loi de la radiodiffusion, c'est traduit dans le règlement de la télévision et de la radio du CRTC par des articles qui ont établi des quotas.

À la télévision, il y a un quota de 60 p. 100 d'émissions canadiennes et 50 p. 100 aux heures de grande écoute. Depuis 1971, à la radio, toutes les stations de radio au Canada sont tenues par un quota de 30 p. 100 de contenu canadien minimal. Nous n'avons pas le choix. C'est en obligation. Nous ne pouvons pas penser que ce quota va disparaître demain matin. Pour ce faire, il faudrait amender la Loi de la radiodiffusion. C'est quelque chose de considérable. Ce n'est pas une politique épisodique du CRTC, c'est un règlement du CRTC.

En ce qui concerne les stations de langue française, elles ont en plus un quota concurrent de 65 p. 100 de contenu francophone. L'existence du quota de contenu canadien de 30 p. 100 applicable à toutes les stations de radio va faire en sorte que, soyons réaliste, à l'heure actuelle, à part quelque très rares exceptions, au Canada anglais, à tout le moins, il n'y a pas une station radio qui joue plus que son obligation minimale de 30 p. 100. Si certaines étaient à 50 p. 100 et qui diraient que désormais elles réduiraient jusqu'à 30 p. 100, on pourrait dire qu'il y aura un impact négatif comme vous le laissez entendre.

Mais comme ils sont tous au strict minimum de 30 p. 100, ils vont y rester parce que le règlement les oblige. Je ne pense pas que cela aura un impact.

[Traduction]

M. Robertson: Sénateur, les stations de radio de langue anglaise jouent déjà jusqu'à 50 p. 100 de musique américaine de toute façon. Je ne crois pas que la situation changera parce qu'en raison de leur caractère commercial, les stations de radio diffuseront de la musique qui permet de vendre de la publicité et d'attirer des auditeurs. Je pense qu'ils seront attirés par la musique populaire peu importe d'où elle vient. Je ne crois pas que la dynamique changera vraiment.

M. Chater: Manifestement, selon l'opinion de nos membres et en tant qu'entreprises canadiennes, nous sommes inquiets. Ce n'est pas un énorme sujet de préoccupations car, comme MM. Robertson et Pilon l'ont dit, la Loi sur la radiodiffusion et les règlements sur le contenu canadien établis par le CRTC prévoient certaines obligations, entre autres, selon le libellé de la loi, faire une utilisation maximum du contenu canadien qui est dans l'intérêt des Canadiens.

Comme on l'a dit, en réalité, les stations de langue anglaise diffusent 30 p. 100 de contenu canadien. Comme il y a 50 p. 100 de contenu américain, il reste évidemment 20 p. 100. Ce 20 p. 100 peut être de la musique britannique, australienne, allemande ou quoi que ce soit. Les stations de radio diffusent de la musique pour attirer des annonceurs. À notre avis, elles ne laisseront pas passer l'occasion de diffuser d'importants artistes britanniques, australiens, allemands ou français qui chantent en anglais, ce qui leur permettrait de grossir leur auditoire.

Il n'est pas logique que pour un petit montant d'argent, on risque de nuire à une base de revenu publicitaire beaucoup plus importante.

[Français]

Le sénateur Grimard: Monsieur Pilon, je reviens à ce que vous avez dit. Il me reste une autre question après celle-ci. Si je suis propriétaire d'un bar ou d'une discothèque, je ne serais certainement pas régie par la Loi de la radiodiffusion. J'aimerais que vous répondiez à ma question à l'effet que, si je suis propriétaire d'une discothèque ou d'un bar, je vais jouer de la musique américaine. J'aimerais vous entendre.

M. Pilon: Dans les bars et les discothèques, en général, si l'on regarde au Québec, vous n'avez pas beaucoup de musique québécoise. C'est malheureux mais c'est ainsi. Je ne pense pas que cela va changer beaucoup. Ce qui s'applique dans les bars et discothèques, c'est le principe général que mon collègue M. Robertson vient de soulever: ils vont jouer ce que les gens veulent entendre, la musique de danse et de la musique très populaire. C'est souvent de la musique américaine. Il peut s'agir de musique britannique, australienne, canadienne, canadienne-anglaise et quelquefois québécoise. Je ne pense pas que les choses vont changer. La quantité de musique, notamment québécoise, qui est déjà utilisée est tellement faible qu'ils ne peuvent pas la réduire encore plus.

D'un autre côté, il faut aussi penser que si -- vous allez entendre nos amis les restaurateurs tantôt -- ces gens décident, à un moment donné, de jouer «hard ball» et de faire des campagnes et de dire: nous allons systématiquement boycotter les artistes et les musiciens canadiens, bien, il faut voir que les artistes et les musiciens canadiens sont aussi des gens qui vont dans les restaurants et les bars et qui ont beaucoup d'amis qui vont dans les restaurants et dans les bars. Ce genre de jeux se joue à deux. La poussière va finalement retomber là-dessus. Cela va se placer.

Le sénateur Grimard: Dans certains milieux, on dit que l'introduction des droits voisins crée un régime qui est spécialement taillé à la mesure pour les artistes québécois. J'aimerais avoir vos commentaires à ce sujet.

M. Pilon: Je vous avouerai, sénateur Grimard, que je n'ai jamais compris cela.

Le sénateur Grimard: Elle ne vient pas de moi.

M. Pilon: Je le sais et je l'entends depuis 10 ans. Il y a toujours eu, ici, au Canada, et c'est malheureux, des gens qui ont voulu exciter le Québec versus le Canada anglais et le Canada anglais versus le Québec. Cela fait partie de cette petite «game cheap». Il n'y a aucune raison ou justification à cela. Les artistes canadiens anglais vont bénéficier autant, sinon plus, parce qu'ils sont plus nombreux, du régime que les artistes québécois. Il n'y a aucune différence.

Mme Drouin: Je veux ajouter un complément à votre question sur les restaurateurs, les discothèques et cetera. Vous allez les recevoir tout à l'heure. Je vous inviterais à leur poser la question en termes de redevances ce que cela signifie. Le tarif qui paie déjà à la SOCAN pour les auteurs, le tarif prévu par la Commission dit que ce doit être un minimum de 90 dollars par année pour tout le répertoire de la SOCAN, donc le répertoire mondial, la SOCAN représentant tout le monde. Cela fonctionne par pied carré. C'est 11 cents le pied carré. Un restaurant grand comme cette salle ici, environ 150 pieds carrés, paie donc 150 dollars. Si on prend la même hypothèse pour les droits voisins, ce sera la moitié d'après certains. Ils paieraient un 100 dollars de plus pour tout le répertoire des artistes et des producteurs des pays membres de la Convention de Rome. Je pense que ce sont des tarifs très minimes.

Le sénateur Grimard: Je ne sais pas, madame Drouin, si je vais poser des questions aux restaurateurs. Je suis un gourmet. J'aime bien boire. J'aime bien manger. Je ne voudrais pas me les mettre à dos.

Le sénateur Poulin: J'aimerais remercier nos représentants des trois groupes pour leur excellente présentation. Cela a été extrêmement instructif. La présence de M. Pilon et de Mme Drouin m'a frappée depuis le début. On reconnaît l'intérêt et le sérieux que vous apportez à la revue que nous faisons présentement. On vous remercie. Vous faites des recommandations tout en reconnaissant que dans un monde parfait, il aurait des concessions que vous aimeriez revoir. Étant donné que vous assistez à l'étude du projet de loi C-32 depuis le début, vous avez donc eu l'occasion d'entendre tous les témoignages.

Si vous étiez à la place du sénateur Bacon et que vous aviez à répondre aux inquiétudes que nous avons entendues dans peu de temps, qu'est-ce que vous diriez pour reconnaître l'importance que nous voulons porter non seulement aux écrivains et aux auteurs mais aussi aux étudiants d'aujourd'hui. Qu'est-ce que vous répondriez?

M. Pilon: Vous voulez dire en termes d'amendements possibles ou de corrections? Là-dessus, on a entendu effectivement plein de groupes qui sont venus ici. On a assisté aussi régulièrement aux audiences du comité parlementaire. Ma collègue le rappelait tantôt, il y a eu 190 mémoires déposées et 68 témoins ont été entendus. Il y a cette thèse qui circule depuis quelques jours encore dans le Financial Post, en fin de semaine mon ami M. McCabe suggère un ou deux petits amendements rapides peuvent être apportés rapidement.

D'abord, ces un ou deux petits amendements ne sont pas si petits que cela pour le CAB. Mais, pourquoi pas pour les universités, les libraires, les restaurateurs et pourquoi pas pour nous qui avons cédé 62 p. 100 de nos revenus potentiels de droits? Si on commence ce jeu-là, on en a pour un autre cinq ans. Il y a un processus qui est prévu pour cela. Faisons-le dans ce processus. À ce moment-là, on va en faire des suggestions. On veut la faire disparaître cette exemption pour les grosses stations et peut-être plus. D'autres vont vouloir suggérer d'autre chose. On le fera dans les formes et non pas à la vitesse.

[Traduction]

M. Chater: Puis-je répondre, sénateur? Je m'excuse d'avoir été absent la semaine dernière. J'étais au CRTC. Malheureusement, je n'ai pas le don d'ubiquité.

Mme Drouin et M. Pilon nous ont très bien représentés. Ils nous ont fait un compte rendu détaillé chaque soir. En fait, je suis convaincu que ma présence aurait été superflue.

Je suis d'accord avec M. Pilon lorsqu'il dit qu'on pourrait réclamer amendement après amendement. Nous aimerions tous que des amendements soient apportés au projet de loi mais je ne mâcherai pas mes mots. Si nous en accordons un, on en demandera d'autres et le processus risque de s'éterniser. Nous soutenons que le projet de loi devrait être adopté tel quel.

Nous travaillons en étroite coopération avec l'ADISQ. Nous disons parfois en blaguant que nous avons une langue -- elle est verte.

[Français]

Le sénateur Pépin: Je voulais bien m'assurer que le «boycott» des enregistrements sonores canadiens ne nous préoccupe pas outre mesure, comme vous l'avez dit tantôt.

M. Pilon: Le «boycott» éventuel par les restaurants, je ne crois pas à ces choses. Ce gens-là sont en affaires, ce sont des gens sérieux On peut voir certains de leurs représentants. Les membres chez nous connaissent des restaurateurs et lorsque nous allons parler à ces gens -- écoutez, nous parlons de quoi? Nous parlons pour la plupart des restaurants de 15, 20 ou 25 dollars de plus par année avec les droits voisins. Est-ce que ces gens vont dire pour 25 dollars de plus par année, j'entreprends dans une campagne où Céline Dion ne jouera plus jamais dans mon restaurant ou dans mon bar? Vont-ils courir ce risque de se mettre à dos toutes les fans de Céline Dion pour 25 dollars de plus par année? Pour un hôtel comme le Château Laurier pour 180 dollars qu'ils paient à la SOCAN, ils vont payer 60 dollars de plus en droits voisins, vont-ils courir le risque de ne plus jamais recevoir Céline Dion et tous ses amis descendre à l'hôtel Château Laurier? Je pense que ces gens ne courront pas ce risque. Je pense que l'on va trouver un modus vivendi avec eux très rapidement.

Le sénateur Pépin: C'est parfait. Je vous remercie.

La présidente: Je vous remercie beaucoup monsieur Robertson, monsieur Chater, madame Drouin et monsieur Pilon de votre présentation et de votre présence au comité. Nous allons maintenant emtemdre l'Association canadienne des restaurateurs, des services alimentaires et l'Association canadienne des distributeurs de films.

[Traduction]

Nous accueillons maintenant M. David Frith et Mme Susan Peacock, de l'Association canadienne des distributeurs de films. M. David Harris comparaîtra au nom de l'Association canadienne des restaurateurs et des services alimentaires.

M. David Frith, président, Association canadienne des distributeurs de films: Je suis accompagné aujourd'hui de Susan Peacock, vice-présidente de notre service du contentieux. Nous représentons essentiellement sept studios d'Hollywood: Columbia Pictures Industries Inc., Buena Vista International Inc., Metro-Goldwyn-Mayer Inc., Paramount Pictures Corporation, Twentieth Century Fox International Corporation, Universal International Films Inc. et Warner Bros. International. Il s'agit tous de studios à intégration verticale.

Nous avons comparu devant le comité de la Chambre des communes et avons indiqué de façon générale les aspects qui nous inspirent certaines réserves. Je reconnais la difficulté que représente pour le Sénat ce projet de loi très complexe. Même si nous avons des réserves à propos d'un certain nombre d'aspects du projet de loi, ce matin nous restreindrons nos commentaires au paragraphe 58.1 du projet de loi.

Vous avez entendu récemment les témoignages de plusieurs groupes visés par la Loi sur le droit d'auteur. Ils ont aussi traité de ce paragraphe. Il s'agit entre autres de l'Association du Barreau canadien, du comité mixte de la loi sur le droit d'auteur et de l'Institut des brevets et des marques de commerce du Canada. Ces groupes avaient eux aussi des réserves. Ces deux groupes en question ont indiqué être surtout préoccupés par l'article 58.1 du projet de loi.

Je sais que cela est difficile pour les sénateurs maintenant que vous procédez à l'étude du projet de loi, article par article.

J'invite Susan Peacock à vous exposer certaines des répercussions qu'aurait l'article proposé, non seulement en ce qui concerne notre industrie mais également d'autres secteurs.

Mme Susan Peacock, vice-présidente, Service du contentieux, Association canadienne des distributeurs de films: Au cas où vous n'auriez pas mémorisé le projet de loi en entier, je répéterai brièvement ce que prévoit le paragraphe 58.1 du projet de loi. Il traite de la cession d'un droit d'auteur ou de droits de rémunération conférés pour la première fois par cette loi.

J'utiliserai peut-être l'expression «nouveaux droits» dans mes remarques et c'est ce dont traite le paragraphe 58.1 du projet de loi. Le paragraphe 58.1 invaliderait de telles cessions ou de telles licences si elles étaient conclues avant le 25 avril 1996 et si les nouveaux droits étaient transférés de manière générale et non précise. Par exemple, quelqu'un pourrait conclure un contrat dont la partie 5 indiquerait: «Je vous cède par la présente tous mes droits dans cet enregistrement, maintenant connus ou qui le deviendront par la suite». Le libellé général n'énumère pas de façon précise les nouveaux droits prévus par le projet de loi. Si l'entente était signée avant avril 1996, il y a 5, 10 ou 25 ans, les droits conférés en vertu de cette entente, dans la mesure où les nouveaux droits sont touchés, deviendraient invalides.

On veut ainsi s'assurer que les propriétaires de nouveaux droits, particulièrement les artistes-interprètes, en profitent même s'ils ont cédé des droits par inadvertance à quelqu'un d'autre. C'est un objectif louable mais le paragraphe 58.1 est susceptible de causer plus de tort que de bien.

Tout d'abord, il y a les endroits où l'on veut qu'il s'applique, mais cela risque d'avoir des résultats imprévus et injustes. La réserve exprimée par l'Association du Barreau canadien et l'Institut des brevets et des marques de commerce porte sur le fait que cet article ne se limite pas aux contrats régis par le droit canadien. Les contrats régis par le droit étranger peuvent être interprétés différemment par un tribunal étranger qui ne tiendra aucun compte de ces dispositions, tandis qu'un tribunal canadien peut les appliquer, peu importe si l'entente relative au droit d'auteur même est régie par le droit canadien. Des interprétations divergentes de la même entente risquent d'aboutir à des résultats douteux.

Comme l'indique le mémoire de l'Association du Barreau canadien, cette disposition ne tient aucun compte de la réalité et constitue une intrusion injustifiée dans les contrats. Le paragraphe 58.1 aura pour conséquence de permettre une intrusion rétroactive dans des ententes commerciales en vertu desquelles le titulaire de l'intérêt concédé a acquis tous les droits du cédant ou du concédant, indépendamment des événements futurs. C'est un libellé courant dans ce genre d'ententes.

Il ne faut pas oublier qu'une cession ou une licence feront souvent partie d'un contrat. Lorsqu'elle a trait aux nouveaux droits des artistes-interprètes, par exemple, ou lorsqu'il s'agit du tout premier contrat qui régit la création et l'exploitation d'une oeuvre, cette entente est la première dans une longue série d'autres ententes. L'entente initiale risque d'être invalidée par le paragraphe 58.1.

Lorsque vous avez interrogé les deux groupes en question, vous leur avez demandé de vous donner un exemple. Ils ont donné un exemple qui nous tient à coeur, à savoir les films distribués sur cassettes vidéo. La distribution de cassettes vidéo est la plus importante source de revenus de nos membres. C'est une source de revenus beaucoup plus importante que le cinéma ou la télévision.

Le comité de l'Association du Barreau canadien et de l'Institut des brevets et des marques de commerce a proposé que le sous-alinéa 15.(1)b)(ii), qui crée un nouveau droit, conjugué au paragraphe 58.1, pourrait invalider certaines licences d'utilisation d'enregistrements sonores dans des longs métrages en ce qui concerne la distribution sur cassette vidéo du film qui renferme cet enregistrement sonore. Si le producteur d'un enregistrement sonore avait conclu une entente initiale avant que la distribution vidéo domestique devienne connue, l'article 15, en conjugaison avec l'article 58, pourrait nuire à la distribution du film sur cassette vidéo. Le film peut être nouveau mais si l'enregistrement sonore fait l'objet d'une entente conclue avant 1980, avant que sa distribution sur cassette vidéo soit connue, cela pourrait en empêcher la distribution sur cassette vidéo.

Les producteurs de films payent pour la licence les autorisant à inclure les enregistrements sonores dans la piste sonore de leurs films. Le montant versé pour l'obtention d'une pleine licence se situe souvent entre 10 000 $ à 20 000 $. Il peut varier, mais ce serait un montant moyen. Cette somme représente une proportion relativement faible du coût total de la production et de la distribution du film. Nos membres distribuent des films dont les coûts de production et de diffusion en salle s'élèvent en moyenne entre 50 000 $ et 100 000 $ pour chaque film.

De nombreuses licences d'enregistrements sonores prévoient également que le titulaire de la licence doit recevoir des redevances en fonction du nombre de cassettes vidéo vendues. Le distributeur paye le producteur du film. Le producteur paye le titulaire de la licence de l'enregistrement sonore qui comporte dans bien des cas une redevance pour la distribution sur cassettes vidéo.

Les années 1964, 1965 et 1967 ont été des années importantes pour les enregistrements de musique. Ces enregistrements sonores sont très populaires et sont utilisés dans de nombreux films. Prenons comme exemple une entente conclue avec un artiste-interprète en 1964. Si cette entente ne prévoyait pas expressément la distribution sur cassette vidéo d'un film renfermant l'enregistrement sonore -- et cela est extrêmement improbable -- cela perturbe toute la chaîne des redevances. On se trouve ainsi à compromettre la possibilité de récupérer entre 55 et 60 millions de dollars à même la plus importante source de revenus.

Le libellé très général du paragraphe 58.1 est le deuxième aspect qui suscite des réserves car il risque d'avoir des répercussions sur des secteurs qu'il n'avait pas l'intention de viser. Il n'est pas précisé qu'il porte uniquement sur les nouveaux droits des artistes-interprètes; il est indiqué tous les nouveaux droits d'auteur et tous les nouveaux droits de rémunération. Nous doutons que l'intention soit de priver les titulaires de droits d'auteur de nouveaux droits de rémunération, surtout lorsque la rémunération vise à indemniser les titulaires pour une nouvelle exception à un ancien droit. Cela risque toutefois d'être le résultat auquel on aboutit.

Mon exemple porte sur le droit d'enregistrement d'antenne sur cassette d'un film ou d'une émission de télévision. Ce droit est protégé depuis de nombreuses années par la Loi sur le droit d'auteur. Dans le projet de loi C-32, l'ajout d'une nouvelle exception à ce droit permet aux établissements d'enseignement de reproduire le film en un seul exemplaire. Cet acte ne constitue pas une violation du droit d'auteur, mais les établissements sont tenus d'acquitter des redevances en vertu d'un nouveau régime dont l'administration sera confiée à la Commission du droit d'auteur.

Dans une décision rendue relativement aux droits à payer pour la retransmission, la commission a conclu que le droit à des redevances aux termes d'un régime de redevances prévu par la loi, plutôt qu'aux termes d'un contrat, est différent de celui qui est l'objet de l'exception qui a donné lieu à la mise en place du régime statutaire en premier lieu.

Si le droit de recevoir ces redevances associées à l'enregistrement d'antenne se distingue du droit autorisant l'enregistrement magnétoscopique, on peut aussi présumer qu'il s'agit d'un nouveau droit, un droit à la rémunération. Par conséquent, le titulaire d'un droit d'auteur relatif à un film ou à une émission enregistrée au magnétoscope par un établissement d'enseignement peut ne pas avoir droit aux redevances s'il est un cessionnaire. Ils sont titulaires d'un droit d'auteur parce qu'on leur a cédé un droit dont il est question à l'article 58.1, et que cette cession ne leur a pas précisément donné le droit de toucher des redevances des établissements d'enseignement conformément à une exception au droit d'auteur.

Je peux pour ainsi dire certifier qu'aucun contrat, aucune cession d'un droit d'auteur, ne précise ce droit restreint. Si la Commission des droits d'auteur a raison dans la décision qu'elle a rendue précédemment et s'il s'agit d'un nouveau droit distinct, un droit à la rémunération, ce n'est pas le titulaire du droit d'auteur qui y aura droit, mais l'auteur. Cependant, il est beaucoup plus difficile de découvrir et de repérer un auteur que les titulaires ou les détenteurs de licence. Si l'on tient compte du temps et du mal qu'il faudrait se donner pour découvrir et repérer les auteurs, il s'ensuivra que la plupart sinon la totalité de ces redevances seront consacrées à des audiences devant la commission et à des frais d'administration pour les sociétés de gestion. Ainsi, personne n'en profitera.

Les cessions et les licences exclusives des exécutions et des autres oeuvres des artistes-interprètes sont assorties de nouveaux droits, et les droits de rémunération sont tous des contrats commerciaux sur lesquels les sociétés se sont fiées en toute bonne foi, peut-être pendant des décennies. N'importe quelle de ces cessions peut avoir servi de fondement à des dizaines de transactions se chiffrant à des millions de dollars.

Invalider de façon rétroactive une partie importante de contrats commerciaux dans un certain domaine est une chose extraordinaire pour n'importe quelle mesure législative. Les précédents législatifs dans ce domaine sont rares et il y a une bonne raison à cela. Dans ce cas, les répercussions seront profondes, injustes et imprévues.

M. Frith: Je termine en disant que l'article 58.1 était complètement inattendu. Il a surgi le dernier ou l'avant-dernier jour des audiences du comité de la Chambre des communes. Aucun des groupes qui avait comparu devant le comité n'était au courant du dépôt de cet amendement.

Je reconnais le problème qui se pose au Sénat. Cette loi sur le droit d'auteur est en chantier depuis de nombreuses années et vous entendrez des gens qui la défendront et d'autres qui la condamneront. Laissez-moi supposer que, aujourd'hui ou dans les deux prochains jours, ce projet de loi sera adopté au Sénat sans amendement. Par conséquent, il ne retourne pas à la Chambre des communes et ne risque pas de susciter un problème législatif si des élections sont déclenchées. Cependant, vous pouvez faire des recommandations à l'égard de certains articles de cette mesure législative. Le projet de loi peut être promulgué ou non ou certaines de ses parties peuvent être mises de côté tant qu'un meilleur libellé n'aura pas été trouvé. Je suis sûr que si vous interrogiez les rédacteurs de la mesure législative que vous examinez, ils reconnaîtraient qu'ils ont ouvert des portes sans prévoir toutes les conséquences.

Dans ma vie, je n'ai vu qu'une seule fois une disposition avec effet rétroactif et elle portait sur le Programme énergétique national. Vous pourriez recommander que le gouvernement réexamine à fond certains articles et en retarde la proclamation tant qu'on ne se sera pas entendu sur le libellé ou la rédaction de la mesure législative. Vous en avez le pouvoir et cela n'exige pas un amendement. Il s'agit simplement de proposer au gouvernement de revoir certains articles et d'en retarder la promulgation.

Je vous remercie de nous avoir donné l'occasion de comparaître devant votre comité pour vous faire part de la grande inquiétude que cet article suscite chez nos membres.

M. David Harris, vice-président principal, Association canadienne des restaurateurs et des services alimentaires: Madame la présidente, au nom de nos 13 000 membres, je vous sais gré de l'occasion que nous offre le comité de vous faire part des répercussions du projet de loi C-32 sur notre industrie et sur la culture canadienne. Je m'attarderai aux conséquences de l'imposition d'une redevance supplémentaire à la musique enregistrée exécutée ou produite par un artiste canadien.

Je vais faire mes remarques dans le contexte de la performance de l'industrie et de la mentalité de la petite entreprise avant de parler du projet de loi C-32. Ces renseignements généraux devraient vous aider à bien comprendre notre position.

En ce qui concerne la performance de l'industrie, les cinq dernières années n'ont pas été faciles. Les faillites ont atteint des niveaux records et les ventes sont faibles. Pour être exact, les ventes totales de l'industrie n'ont augmenté que d'un piètre 7 p. 100 et d'à peine de 0,3 p. 100 l'année dernière.

Lorsqu'on jette un coup d'oeil aux ventes dans l'industrie de la restauration, c'est encore plus décourageant. Depuis 1990, la baisse est générale. À l'heure actuelle, dans l'industrie de la restauration, la concurrence est serrée. La capacité de restaurateurs à contrôler leurs coûts est leur seule arme contre la faillite. Dans cet environnement, chaque restaurateur du pays scrute ses dépenses d'un regard d'aigle. Pour un établissement, le contrôle et le maintien des coûts fait la différence entre le succès et la faillite. Les exploitants intelligents cherchent tous les jours à faire des économies et tirent une fierté de repérer les obstacles cachés à la rentabilité.

Introduisons dans ce scénario le projet de loi C-32 et la notion des droits voisins qui augmenteront les coûts de tous les exploitants, sans avantages correspondants. Ne nous y trompons pas, le projet de loi augmentera les coûts de l'industrie, mais personne ne sait dans quelle mesure. Il incombe à la Commission canadienne du droit d'auteur d'établir le barème des droits et cela ne se fera pas tant que le projet de loi n'aura pas force de loi.

Le projet de loi C-32 prévoit ajouter un droit voisin aux droits musicaux existants. À l'heure actuelle, l'industrie verse un droit pour l'utilisation de la musique de fond. Ce projet de loi ajoutera une deuxième redevance si la musique est exécutée ou produite par un artiste canadien. Présentement, l'établissement moyen doit verser annuellement 200 $ pour utiliser de la musique enregistrée. Selon le meilleur des scénarios, avec le projet de loi C-32, ce droit augmentera d'environ 50 $ en ce qui a trait à l'utilisation de matériel canadien. Une fois établi, ce droit est là pour rester. Il ne fera qu'augmenter par la suite.

Pour placer ce droit dans ce contexte, vous devriez comprendre toute l'importance des redevances payées par les restaurateurs. Un exploitant qui utilise des disques compacts devra payer trois droits pour la même pièce musicale. En effet, il verse un premier droit lorsqu'il achète le disque et il en acquitte un deuxième lorsqu'il l'utilise à des fins commerciales dans un restaurant. En vertu du projet de loi C-32, il verse un troisième droit si la pièce est exécutée ou produite par un artiste canadien.

J'aimerais insister quelques instants sur l'augmentation du coût associé à l'utilisation de musique canadienne aux termes du projet de loi C-32. Comme je l'ai dit, cela pourrait coûter 50 $ de plus. Ce montant peut ne pas sembler considérable pour le grand public, mais aucun restaurateur n'est là pour augmenter ses coûts.

Si un restaurateur achète des serviettes et peut épargner 50 $ sur des produits de qualité égale, ne le ferait-il pas? S'il achetait de la crème glacée et pouvait épargner 50 $ pour un produit d'aussi bonne qualité, ne serait-il pas logique qu'il le fasse? Si cette personne achète des disques compacts et peut épargner 50 $, ne serait-il pas logique qu'elle le fasse?

Ce coût se multiplie dans les grandes chaînes de restauration. Une entreprise de ce genre comportant 100 restaurants pourrait avoir à faire face à une augmentation de 5 000 $. C'est un montant considérable. Cela n'échappera pas au directeur financier de l'une ou l'autre de ces entreprises qui, pour maintenir son intégrité financière, devra examiner attentivement les solutions de rechange dont je vous parlerai dans quelques instants.

Notre industrie ne demande pas d'exemption. Elle verse déjà 8 millions de dollars en droits musicaux, soit 11 p. 100 de la totalité des droits d'auteur. Seules la télévision et la radio versent des droits plus importants. Nous payons déjà des droits d'auteur pour les prestations musicales en direct, la musique enregistrée au cours de réceptions, la musique de fond, la musique enregistrée pour la danse et la musique karaoke. Le projet de loi C-32 aura une incidence sur les coûts de la musique de fond et de la musique enregistrée pour la danse qui pourraient augmenter encore de 25 p. 100. Des hausses aussi importantes ne passent pas inaperçues dans un contexte économique comme le nôtre.

Il y a une anomalie dans ce projet de loi, dont vous devez être conscients. Cette anomalie, c'est qu'il n'existe pas de droits voisins aux États-Unis. Ainsi, si nous faisons jouer de la musique exécutée ou produite par un Américain, nous ne payons qu'une seule redevance, tandis que la musique enregistrée par des artistes canadiens exigerait le paiement de deux redevances. C'est donc dire que l'industrie devra débourser plus pour faire jouer de la musique canadienne.

L'exploitant qui peut faire jouer des chansons de Céline Dion ou de Madonna est donc pénalisé financièrement s'il choisit de faire entendre la chanteuse canadienne parce qu'il a une redevance de plus à payer. Étant donné que l'objectif du projet de loi est d'encourager la production canadienne, ne serait-il pas plus sage de faire payer plus cher pour faire jouer de la musique américaine?

Aujourd'hui, une des lois fondamentales du marché veut qu'une hausse des prix entraîne une baisse des ventes. Le projet de loi C-32 augmente le coût de la musique canadienne et, dans ce contexte, les ventes ne peuvent que baisser.

Je vous ai dit qu'une chaîne de 100 restaurants pourrait avoir à subir une hausse de coûts de 5 000 $? Ce réseau d'entreprises a le choix de payer des droits plus élevés ou de faire jouer de la musique américaine. Je vous ai également parlé d'un restaurateur indépendant à l'affût d'économies sur l'achat de serviettes de table et de crème glacée. C'est la même chose pour la musique. S'il est possible de réaliser des économies en faisant jouer de la musique américaine, il est certain que beaucoup de nos membres s'en rendront compte.

Ce n'est pas toute l'industrie qui boycottera la musique canadienne à cause d'une hausse des coûts. À mon avis, certains exploitants vont faire jouer de la musique canadienne ne sachant pas qu'ils ont des droits plus élevés à payer, et d'autres devront en faire jouer pour plaire à leur clientèle. Par contre, des milliers d'exploitants opteront exclusivement pour la musique américaine pour réduire leurs coûts, ce qui fera baisser la vente de musique canadienne. Est-ce avantageux pour la culture canadienne?

Le projet de loi vise à assurer des droits additionnels aux artistes et producteurs canadiens, mais seulement deux secteurs de l'économie en supportent le fardeau, les radiodiffuseurs et les restaurateurs, qui sont tous les deux pénalisés financièrement par le projet de loi C-32. Ne vaudrait-il pas mieux répartir le fardeau plus également? D'infimes droits devraient être imposés sur le prix de toutes les ventes libres. Les consommateurs de musique paieraient ainsi leur juste part.

L'industrie des services alimentaires n'est pas obligée de faire jouer de la musique canadienne. Le CRTC ne lui impose rien à ce sujet. Les restaurateurs font jouer seulement la musique qui convient à leur établissement et qui est la plus avantageuse sur le plan des coûts. Dans ce contexte, les restaurateurs devront bien réfléchir avant de faire jouer de la musique canadienne.

Honorables sénateurs, je comparais devant vous ce matin parce que 13 000 membres de l'Association canadienne des restaurateurs et des services alimentaires estiment que ce projet de loi est une mesure gouvernementale néfaste. Elle augmente des coûts sans compensation. Elle pénalise financièrement quelques malheureuses industries, au lieu de répartir équitablement le fardeau. Elle augmente le coût de la musique canadienne par rapport à la musique américaine, ce qui fera baisser les ventes et va complètement à l'encontre de l'effet recherché par le projet de loi.

Ce projet de loi sur lequel on travaille depuis huit ans comporte des lacunes. Il n'était pas prêt quand on l'a présenté. Il a fait l'objet de 120 amendements devant le Comité permanent du Patrimoine canadien de la Chambre des communes qui l'a examiné à la hâte. Maintenant, à la veille d'élections générales, le Sénat veut l'adopter à la vitesse de l'éclair. Après huit ans d'attente, le Canada ne mérite-t-il pas que le droit d'auteur soit modifié de façon sensée.

Vous avez le pouvoir de veiller à faire corriger les lacunes du projet de loi C-32. L'industrie des services alimentaires espère que vous exercerez pleinement ce pouvoir. Je vous remercie.

La présidente: Monsieur Harris, nous avons entendu des témoignages sur le sujet toute la semaine dernière et nous en entendons encore aujourd'hui, toute la journée. Je crois que nous y avons consacré assez de temps. Ceux qui n'ont pas comparu devant nous ont pu nous envoyer des mémoires que nous avons lus. Nous en savons davantage sur la question que lundi dernier.

M. Harris: J'en suis sûr.

Le sénateur Grimard: Monsieur Harris, combien de membres votre association représente-t-elle?

M. Harris: Nous représentons 13 000 membres, monsieur.

Le sénateur Grimard: Quels services offrez-vous à vos membres?

M. Harris: Nous offrons des services d'information et de représentation et nous nous occupons de foires commerciales et de programmes d'économie.

Le sénateur Grimard: N'y a-t-il rien d'avantageux pour votre association dans le projet de loi C-32?

M. Harris: Non, rien.

Le sénateur Grimard: Rien?

M. Harris: Non.

Le sénateur Grimard: Quel est le pourcentage de musique canadienne que font jouer actuellement les restaurants membres de votre association?

M. Harris: Je ne peux vous répondre, mais je présume que la proportion est représentative.

Le sénateur Grimard: Si vous ne connaissez pas le pourcentage de musique canadienne jouée dans votre établissement aujourd'hui, comment pouvez-vous dire que vous en ferez jouer moins?

M. Harris: Nous avons effectué un sondage auprès de nos membres. Plus de 1 000 d'entre eux y ont répondu, ce qui est remarquablement élevé dans le cas de nos sondages. Les réactions ont été massivement négatives.

Le sénateur Grimard: Puis-je vous rappeler, monsieur, que les restaurateurs vont faire jouer la musique qui plaît à leurs clients, et pas celle qui va leur coûter moins cher. Ils tiennent à satisfaire leurs clients. Qu'en pensez-vous?

M. Harris: Je vous répondrai en relatant la conversation que j'ai eue la semaine dernière avec un restaurateur. Je lui ai demandé ce qu'il ferait si ce scénario devenait réalité. Il m'a répondu que personne ne fréquentait son restaurant pour la musique, mais pour le service, l'ambiance, la nourriture. La culture lui importe peu. Il ne voit aucune différence entre Anne Murray et un artiste américain mais, s'il doit acheter de la musique, il pensera à acheter ce qui est plus économique pour lui.

Le sénateur Grimard: Votre réponse ne me satisfait pas tout à fait. C'est le point de vue d'un seul restaurateur.

M. Harris: Il y a 1 000 répondants qui ont réagi massivement de façon négative à l'audition de musique canadienne dans ces conditions.

Le sénateur Grimard: Vous avez dit dans votre déclaration que, s'il était adopté, le projet de loi C-32 entraînerait une augmentation moyenne de 50 $.

M. Harris: Dans le meilleur des cas.

Le sénateur Grimard: Divisé par 365 jours, ce 50 $ représente environ 13 cents par jour. Pensez-vous que c'est suffisant pour faire toute une histoire du projet de loi C-32?

M. Harris: Comme je l'ai dit, de nos jours, aucune entreprise ne veut augmenter ses dépenses. Si elle peut économiser et maintenir sa rentabilité, elle va le faire.

Le sénateur Grimard: L'article 58.1 est-il le seul élément du projet de loi qui est injuste pour l'Association canadienne des distributeurs de films?

Mme Peacock: Il y a d'autres dispositions qui nous préoccupent. Nous l'avons expliqué. Comme la ministre l'a signalé quand elle a comparu devant vous, nombreux sont ceux qui ont mis de l'eau dans leur vin, et notre association fait partie du nombre.

Nous nous sommes limités à l'article 58.1 parce que votre comité n'a pas beaucoup de temps pour étudier le projet de loi C-32 et parce que nous croyons qu'il existe des solutions commerciales aux autres aspects épineux. Si nous avions un voeu à formuler, ce serait qu'on modifie l'article 58.1.

M. Frith: Monsieur le sénateur, prenons le cas précis des nouvelles techniques de l'audionumérique. Je ne nommerai pas de film pour m'éviter tout ennui avec les studios. Disons qu'une chanson a été enregistrée en 1968, lors d'un spectacle des Rolling Stones au Forum de Montréal ou au Maple Leaf Gardens. Avec l'audionumérique, on peut maintenant mettre ce spectacle sur vidéo. Aux termes du projet de loi, la diffusion du vidéo pourrait être reportée jusqu'à ce qu'on ait trouvé le titulaire du droit d'auteur ou l'auteur de la chanson. S'il s'agissait d'une manifestation de soutien regroupant 28 artistes, par exemple, chacun des artistes pourrait nuire à la diffusion de la bande vidéo.

Il y en a, dans cette salle, qui ont participé à la rédaction de cette disposition et qui admettent aujourd'hui qu'ils en modifieraient peut-être le libellé si c'était à recommencer. C'est pourquoi j'ai dis que l'article 58.1 est plus problématique que tous les autres amendements. L'Association du Barreau canadien et l'Institut des brevets et des marques de commerce du Canada ont tous les deux signalé qu'il y avait là sujet à controverse.

J'ose espérer que, dans vos recommandations, vous indiquerez au gouvernement que ces aspects vous préoccupent. En fait, un groupe a indiqué qu'il n'était pas nécessaire de promulguer le projet de loi dans sa totalité, et qu'il faudrait prendre le temps d'en réécrire certaines dispositions. Il y a d'autres mesures législatives qui peuvent être prises. Une autre étape est prévue à la question du droit d'auteur. Une mesure toute simple comme un projet de loi sur la propriété intellectuelle pourrait suivre la filière législative et prévoir d'autres définitions pour qu'il y ait consensus sur le texte de loi. C'est l'aspect le plus préoccupant.

Le sénateur Grimard: Vous avez dit tout à l'heure que l'article 58.1 ne figurait pas dans la première version du projet de loi et qu'il a été ajouté à la toute fin des audiences du comité.

J'aimerais savoir si l'article 58.1 a été discuté ou proposé par des représentants du gouvernement ou d'autres avant d'être ajouté à l'actuel projet de loi C-32?

M. Frith: Pas à ma connaissance, mais je laisserai Mme Peacock vous répondre. Nous l'avons étudié dans le cadre de notre travail, comme nous avons lu les témoignages tous les jours pour connaître le point de vue d'autres groupes.

Il faut dire que Mme Peacock et moi-même avons comparu devant le comité de la Chambre des communes. Nous avons dit qu'il fallait effectivement moderniser le droit d'auteur. C'est ce qui nous préoccupait. L'article 58.1 n'était pas du domaine connu.

Mme Peacock: Cette disposition nous a pris par surprise. On ne nous a pas consultés à ce sujet et, autant que je sache, il n'en a pas été question non plus dans les discussions publiques devant le comité de la Chambre.

Le sénateur Grimard: Exception faite de l'article 58.1, pensez-vous que le Sénat devrait approuver le projet de loi pour que vous puissiez entamer la phase III le plus tôt possible?

Mme Peacock: Nous sommes tout à fait d'accord pour nous attaquer à la phase III le plus tôt possible. Je crois comprendre que vous vous interrogez sur le coût de l'opération. D'autres groupes, en particulier l'Association canadienne des radiodiffuseurs et l'Institut canadien des brevets et marques, ont formulé des observations sur la définition du mot «planche» et sur d'autres sujets.

Pour ce qui est des questions de principe sur lesquelles nous nous sommes prononcés devant la Chambre, nous croyons avoir été entendus. Nous avons essayé d'être convaincants, mais sans succès. C'est franc jeu.

Il y a trois aspects à l'article 58.1. Pour ce qui est des questions de principe, nous avons déjà exposé notre point de vue sans réussir à être assez convaincants. Soit! Quant aux questions d'ordre technique, soulevées pour la plupart par l'Association du Barreau canadien, nous accepterions que le projet de loi soit adopté tel quel, avec la possibilité que les changements demandés soient apportés dans le projet de loi sur la propriété intellectuelle attendu prochainement. Comme pour l'article 58.1 ce ne sont pas seulement les aspects techniques qui sont en cause, mais aussi la question de principe relativement à la façon dont il est libellé, nous voudrions que cette disposition ne soit pas promulguée. Nous voudrions qu'une loi modificative soit promulguée en même temps pour corriger le projet de loi avant son entrée en vigueur et non une fois qu'il aura été en vigueur depuis disons quelques mois.

Le sénateur Pépin: Comme je ne suis pas très forte en chiffres, je ferai donc appel à vous. Vous avez dit qu'un certain groupe de restaurants devra payer 5 000 $ de plus chaque année, mais ce groupe réunit 100 restaurateurs. Paient-ils 5 000 $ en tant que groupe?

M. Harris: Non. Il s'agirait de frais supplémentaires qui seraient imposés à une compagnie.

Le sénateur Pépin: Qui représente le groupe?

M. Harris: C'est moi. Cela s'applique à tout le groupe de 100 restaurants. Ce sont des frais annuels.

Le sénateur Pépin: De 5 000 $.

M. Harris: Oui.

Le sénateur Pépin: Si je divise ce chiffre par 100, cela fait 50 $ par restaurant.

M. Harris: C'est exact. Je procède selon le principe de la base du prix de revient et ce que cela représente dans le monde d'aujourd'hui. Comme la concurrence est extrêmement féroce, si on a la possibilité d'économiser 50 $ et de garder ses employés, il est fort possible qu'on saisisse cette occasion.

La présidente: Je vous remercie beaucoup. Chers collègues, nous accueillons maintenant des représentants de l'Association of Canadian Publishers, le Canadian Publishers' Council et le Committee of Major Legal Publishers.

Vous pourriez peut-être vous présenter aux membres du comité.

M. Glen Bloom, Committee of Major Legal Publishers; Osler Hoskin, Barristers & Solicitors: Madame la présidente, je suis ici aujourd'hui à titre de porte-parole du Committee of Major Legal Publishers. Je suis accompagné de Geralyn Christmas qui fait partie de Canada Law Book, l'un des membres du «committee». Il a été décidé que le «committee» fera sa présentation en premier et sera suivi des deux autres groupes.

Le Committee of Major Legal Publishers a fourni un mémoire écrit au comité qui est, dans une large mesure, très technique. Je me contenterai de vous résumer nos préoccupations. Je serai relativement bref afin que vous ayez le temps de poser des questions sur les aspects qui vous préoccupent.

Le comité se compose de quatre éditeurs de publications juridiques au Canada. Il s'agit de Butterworths Canada Ltd., de Canada Law Book Inc., de Carswell Thomson Professional Publishing et de CCH Canadian Limited. Les activités de ces éditeurs sont décrites en détail dans notre mémoire écrit. Je n'ai pas l'intention d'en traiter pour l'instant.

Nous sommes ici pour discuter avec vous de certaines dispositions du projet de loi qui créent une échappatoire pour les avocats. Nous aimerions donc traiter de cet aspect.

Vous ignorez peut-être à quel point les avocats font des photocopies. Les avocats photocopient des articles de périodiques, des extraits de traités de droit et des recueils annotés de décisions judiciaires. Les avocats photocopient ces documents pour diverses raisons: pour examiner le droit, pour les joindre au courrier expédié aux clients, ou pour les rassembler dans des recueils de jurisprudence à l'intention des tribunaux. Les éditeurs de publications juridiques permettent cette dernière activité sans imposer de frais.

Ce qui inquiète les éditeurs de publications juridiques, c'est la mesure dans laquelle les avocats font des photocopies dans l'exercice de leur travail et en particulier des photocopies, pour leurs clients, des ouvrages juridiques publiés par les éditeurs en question. Bien entendu, les avocats exercent ces activités dans un but lucratif.

Si on n'amende pas le projet de loi C-32, comme nous le recommandons dans notre mémoire, la viabilité financière d'une industrie canadienne indépendante de l'édition de publications juridiques sera minée. Voici ce qui se produira: tout d'abord, les avocats établiront des bibliothèques à but non lucratif, contrôlées collectivement par les avocats. C'est ce qui se passe essentiellement dans certaines bibliothèques, comme la bibliothèque de droit à Osgoode Hall et celle dont s'occupe à l'heure actuelle l'Association du Barreau de Calgary.

Deuxièmement, ces bibliothèques achèteront un exemplaire de divers périodiques juridiques, traités de droit et recueils de jurisprudence.

Troisièmement, ces bibliothèques photocopieront des extraits de ces publications juridiques et les transmettront par courrier ou par voie électronique aux avocats qui ont besoin de photocopies dans le cadre de leur travail.

Quatrièmement, les bibliothèques imposeront des frais pour les photocopies à un taux qui leur permettra de récupérer une partie importante, sinon la totalité, des coûts de fonctionnement de la bibliothèque, y compris les coûts d'achat des publications juridiques.

Cinquièmement, les avocats constateront que ces services seront profitables sur le plan financier. Ils n'auront plus besoin de leur propre bibliothèque mais utiliseront les ressources de la bibliothèque de partage des ressources. Ils agiront ainsi pour économiser de l'argent. Les frais imposés pour la photocopie de documents feront partie des dépenses imputées aux clients. Les avocats n'auront plus à assumer de frais généraux pour le fonctionnement de leur propre bibliothèque de droit. Toutes ces mesures seront prises sans l'autorisation des éditeurs de publications juridiques et sans indemniser les titulaires de droits d'auteur à moins que le projet de loi C-32 soit amendé.

Que deviendront les éditeurs de publications juridiques? Ces activités risquent de nuire sérieusement au marché des publications juridiques. À l'heure actuelle, le Canada dépend du secteur privé pour la publication et la distribution de traités de droit et de périodiques juridiques. Le Canada dépend en particulier du secteur privé pour annoter, rassembler et publier des recueils de jurisprudence. La viabilité financière de ces activités sera gravement compromise par l'érosion du marché et du nombre d'abonnements qui peuvent être vendus.

À la Chambre des communes, le projet de loi C-32 a été amendé pour tenir compte de certaines préoccupations exprimées par diverses parties, y compris le Committee of Major Legal Publishers. Cependant, ces amendements ne donnent suite qu'en partie aux préoccupations légitimes du «committee». La Chambre n'a pas amendé la définition de bibliothèque, musée ou service d'archives, qui figure à l'article 2 du projet de loi, pour en exclure une bibliothèque contrôlée et exploitée par plus d'un avocat, c'est-à-dire une bibliothèque comme la bibliothèque de droit de Osgoode Hall ou celle dont s'occupe l'Association du Barreau de Calgary.

De plus, certains amendements apportés par la Chambre des communes au projet de loi C-32 exacerbent les préoccupations du Committee of Major Legal Publishers et élargissent la portée de l'échappatoire offerte aux avocats. Au paragraphe 29.3, la Chambre des communes a indiqué clairement qu'une bibliothèque de droit peut se prévaloir des exceptions prévues par le projet de loi C-32 si la bibliothèque ne fait que recouvrer les coûts, y compris les frais généraux, liés au fonctionnement de la bibliothèque. Cela laisse une grande marge de manoeuvre pour ce qui est d'imposer des frais destinés à recouvrer les coûts liés au fonctionnement de la bibliothèque au-delà de ceux qui sont directement liés à la photocopie.

La Chambre des communes a amendé le paragraphe 30.2(5) pour faciliter la reproduction sous forme numérique dans le cadre de prêts entre bibliothèques. Or, cet amendement se trouve à restreindre la reproduction sous forme numérique dans le cadre de prêts entre bibliothèques. Malheureusement, et probablement sans que ce soit le résultat visé, la Chambre des communes indique désormais clairement que la reproduction sous une forme numérique est autorisée en vertu d'autres exceptions. Ces autres exceptions ne prévoient aucune restriction ni aucun mécanisme de contrôle visant la reproduction sous une forme numérique.

Pour illustrer nos préoccupations, nous aimerions porter à votre attention une circulaire récente de l'Association du Barreau de Calgary qui décrit ses activités en cours. Cette circulaire se trouve à l'Annexe B de notre mémoire.

À la page 2 de cette circulaire, on décrit brièvement la bibliothèque du palais de justice dont s'occupe l'Association du Barreau de Calgary. L'élément important se trouve à la page 5. Il s'agit d'une déclaration de l'Association du Barreau de Calgary, faite par l'entremise de son président:

Cette année encore, les frais d'adhésion ne sont que de 25 $, plus la TPS, malgré la hausse des coûts liés à l'organisation de nos événements et au soutien de nos programmes. Nous sommes en mesure d'assurer le même niveau de services à nos membres sans augmenter les frais d'adhésion grâce aux recettes provenant des services de photocopie du palais de justice de Calgary. Nous espérons que ces faibles frais d'adhésion encourageront tous les avocats et les étudiants en droit de la ville à se joindre à l'Association du Barreau de Calgary. Il s'agit d'une véritable aubaine.

Nous vous demandons ici d'amender le projet de loi C-32 afin de supprimer cette échappatoire pour les avocats. Nous nous ferons un plaisir de répondre à vos questions.

Mme Christmas est ici pour vous fournir tous les renseignements supplémentaires dont vous pourriez avoir besoin. Elle peut vous décrire certains projets en cours au Canada pour faciliter la livraison de documents dans le cadre des prêts entre bibliothèques.

La présidente: Nous vous laisserons faire vos présentations, après quoi les sénateurs pourront poser des questions à tout le monde.

M. Paul Davidson, directeur exécutif, Association of Canadian Publishers: Madame la présidente, je suis accompagné ce matin de Jackie Hushion, mon homologue au Canadian Publishers Council, de Diane Wood, présidente du Canadian Publishers Council et présidente de John Wiley and Sons Canada Ltd.; et de Jack Stoddart, président de l'Association of Canadian Publishers et président de Stoddart Publishing. Jack Stoddart et Diane Wood ont récemment été nommés «éditeurs de l'année» par la Canadian Booksellers Association.

Nous sommes ici ce matin pour parler du projet de loi C-32 et nous avons fourni au comité des copies de notre présentation dans les deux langues officielles.

M. Jack Stoddart, président, Association of Canadian Publishers, président, Stoddart Publishing: Madame la présidente, pour certains d'entre nous, ce processus se poursuit depuis une quinzaine d'années. Je pense que la dernière ébauche est morte en 1988. Un grand nombre d'entre nous avons consacré beaucoup de temps et d'argent à travailler à ce processus et nous sommes retrouvés au bout du compte les mains vides. Nous espérions que ce processus serait repris quelques années plus tard. Il a été repris en 1997. Il est important que nous soyons ici aujourd'hui. Nous tenons à vous remercier de nous avoir offert l'occasion de vous parler de ces questions.

À bien des égards, le libellé de ce projet de loi et la question du droit d'auteur sont sans doute plus complexes que la création d'une constitution pour un pays. Il existe de nombreux intérêts divergents que nous n'arriverons jamais à concilier. Le contrôle de la propriété intellectuelle est une question d'une extrême importance qui nous oblige à comparaître devant vous aujourd'hui pour vous présenter nos recommandations et nos observations.

Nous sommes ici aujourd'hui pour vous exprimer le point de vue des éditeurs et recommander que le projet de loi C-32 soit adopté tel quel. L'Association of Canadian Publishers et le Canadian Publishers' Council, ensemble, représentent 150 éditeurs partout au pays. Nos membres publient des ouvrages dans tous les domaines et pour tous les âges. Littéralement, il n'existe aucune catégorie que nous ne publions pas. Ensemble, nos membres emploient plus de 7 500 personnes et publient plus de 95 p. 100 de la totalité des ouvrages de langue anglaise publiés au Canada. Nous travaillons également en collaboration avec l'ANEL, l'association des éditeurs de langue française du Québec, qui n'a pas d'objection majeure aux arguments que nous allons présenter aujourd'hui.

Il est crucial que le Canada entreprenne une réforme du droit d'auteur en ce qui a trait aux droits électroniques et à l'autoroute de l'information. Cela ne peut se faire qu'après l'adoption du projet de loi C-32. Si le Canada veut profiter de la nouvelle économie de l'information et y participer, il est essentiel qu'il se dote d'une loi efficace et moderne sur le droit d'auteur.

M. Davidson: On a beaucoup parlé du processus et du temps qu'il a fallu pour que le projet de loi en arrive à ce stade, mais il est important que vous compreniez bien à quel point les avantages du projet de loi C-32 sont réels.

Les éditeurs s'intéressent surtout à deux aspects du projet de loi. Le premier traite des droits de reprographie. À ce chapitre, le projet de loi assure une mesure de compensation au créateur et au titulaire du droit d'auteur sur les copies qui sont faites. Cela procurera un avantage économique direct aux auteurs et aux éditeurs. Il y aura toujours des divergences d'opinion entre les utilisateurs et les créateurs au sujet de la mesure de compensation fournie, mais nous considérons que ce projet de loi représente une nette amélioration par rapport au statu quo.

Les dispositions du projet de loi relatives à l'importation parallèle donnent suite au problème de longue date, celui des «achats parallèles», lorsque les bibliothèques et les librairies, entre autres, court-circuitent les contrats exclusifs des distributeurs en achetant de sources étrangères, ce qui diminue les revenus des éditeurs et nuit à leur capacité de publier au Canada. En donnant suite à l'importation parallèle, le projet de loi consolidera de façon importante la rédaction et l'édition d'ouvrages canadiens.

M. Stoddart: Contrairement à de nombreux témoins que vous avez entendus, nous estimons que ce projet de loi a fait l'objet d'un processus d'examen et de consultation en profondeur. Comme j'ai eu l'occasion de participer au déroulement de ce processus depuis plusieurs années au sein de comités, j'en connais bien les aspects qui se rapportent à l'écriture, à l'édition et à la vente au détail. Les consultations ont été exhaustives, tant auprès de l'industrie en général que de nos membres qui ont fait des présentations officielles devant différents comités. Il y a pratiquement eu dix ans de discussions, de débats et de présentations. Si d'autres aspects n'ont pas été examinés comme ils auraient dû l'être, je ne peux pas l'expliquer. Il ne fait aucun doute que notre secteur a fait l'objet d'un examen exhaustif.

Lorsqu'on rédige un projet de loi de cette nature, il faut reconnaître également qu'il existe de nombreux intérêts divergents et qu'il est tout simplement impossible qu'un tel projet de loi fasse l'unanimité. Au bout du compte, c'est l'équité qui doit primer. Des questions peuvent se poser par la suite, mais il ne s'agit pas d'une situation où tout le monde y gagne ou tout le monde y perd. Un processus de réduction a eu lieu et on a tâché, dans la mesure du possible, d'en arriver à un consensus. Les rédacteurs du projet de loi ont ensuite pris la relève et ont essayé de faire en sorte que le projet de loi soit juste et équitable. Nous estimons que dans l'ensemble on y est parvenu, malgré les changements que nous aimerions y voir apporter.

Tous les intéressés, c'est-à-dire les écrivains, les libraires, les éditeurs, les détaillants, ont fait des compromis. De nombreuses questions sont restées en suspens, et certains groupes ont dû faire des concessions importantes. Mentionnons, par exemple, l'exemption relativement à l'importation de livres qui a été accordée aux gouvernements fédéral et provinciaux. En tant qu'éditeurs, nous trouvons cette exemption illogique. Or, ce compromis était jugé nécessaire pour faire avancer le processus.

Il faut noter aussi que ce projet de loi est différent de celui qui a été présenté dans les années 80 et qui était plus favorable aux producteurs. Le nouveau projet de loi est beaucoup plus axé sur les utilisateurs. Un changement important s'est opéré entre les années 80 et 90, l'utilisateur occupant une plus grande place dans ce projet de loi.

Les éditeurs canadiens ont convenu de participer à l'établissement d'un système de prix et de normes de service pour assurer la mise en oeuvre du projet de loi. Aucun autre pays n'oblige ses éditeurs, qui possèdent des droits de publication et de distribution, et il s'agit d'une seule et même chose dans la plupart des cas, à démontrer que leurs prix sont moins élevés, dans ce cas-ci, qu'aux États-Unis ou qu'en Grande-Bretagne, et que le service qu'ils offrent est unique. Toutefois, les éditeurs estiment que les droits de distribution prévus par la Loi sur le droit d'auteur sont tellement importants qu'ils ont accepté de se plier à ce compromis.

Certains ont laissé entendre qu'il n'y avait pas eu de consultation. Or, au cours des trois dernières années, les libraires, les bibliothécaires, les détaillants et les éditeurs se sont réunis pour fixer, ensemble, les règles auxquelles l'industrie serait assujettie si le projet de loi était adopté. Beaucoup de concessions qui ont été faites de part et d'autres et le projet de loi est prêt à aller de l'avant.

M. Davidson: M. Stoddart a mentionné certains compromis qui ont déjà été faits par les éditeurs. Il convient de souligner que les éditeurs et les écrivains bénéficient, en vertu de ce projet de loi, des recettes générées par l'intermédiaire de la CANCOPY pour la gestion collective de droits d'auteur. Toutefois, dans notre exposé devant le comité de la Chambre, nous avons noté que les exceptions visant les utilisateurs étaient trop généreuses. Des améliorations ont été apportées dans le cadre des audiences publiques du comité de la Chambre, mais les écrivains et les éditeurs ont fait des compromis d'envergure. De nombreux éditeurs sont mécontents des concessions faites à l'égard des exceptions visant les copies uniques, que ce soit dans les dispositions concernant la reproduction ou l'importation, les dispositions régissant les prêts entre bibliothèques et la reproduction de documents à des fins pédagogiques. Ils reconnaissent malgré tout que le projet de loi doit aller de l'avant.

M. Stoddart: Le projet de loi prévoit la tenue d'un examen obligatoire cinq ans après l'entrée en vigueur de la loi. Nous sommes d'accord avec cette disposition. Ce mécanisme utile permettra d'apporter à la loi les changements qui s'imposent, dans un délai raisonnable.

Comme les écrivains et les créateurs, nous croyons que les exceptions sont d'une portée trop vaste, et que le non-respect des droits d'auteur demeure un sujet d'inquiétude. Toutefois, si nous retardons l'adoption du projet de loi, nous risquons de compromettre les progrès accomplis et de retarder la tenue de discussions fort importantes concernant les droits en matière électronique. Le Canada accuse un sérieux retard par rapport aux autres pays à ce chapitre.

Deux préoccupations particulières soulevées au cours des audiences doivent être réglées: les dispositions visant les livres d'occasion et la capacité des libraires d'effectuer des «commandes spéciales» au nom de clients.

Mme Wood: Les librairies situées sur les campus universitaires et les étudiants ne sont pas d'accord avec l'amendement apporté à l'alinéa 45(1)e) visant les livres d'occasion. Les éditeurs canadiens ont discuté de cette question avec les libraires au cours des cinq dernières années. Ils sont favorables au développement du marché canadien du livre d'occasion. Ils ne s'opposent pas à ce que des commerçants américains fassent affaire au Canada. Toutefois, les livres d'occasion vendus au Canada devraient provenir du Canada. Les éditeurs ne veulent pas que les commerçants américains expédient au Canada des livres d'occasion obtenus auprès d'étudiants sur les campus américains.

L'alinéa 45(1)e) est un mécanisme de sauvegarde, conçu pour être utilisé dans l'éventualité où des changements soudains ou dramatiques se produiraient dans le marché du livre d'occasion au Canada. Lors d'une rencontre le 24 mars 1997, les fonctionnaires du ministère du Patrimoine canadien ont tenu à préciser aux étudiants, aux libraires et aux éditeurs que, avant l'adoption de tout règlement, une étude indépendante sera entreprise dans le but de déterminer la nature précise du marché du livre d'occasion au Canada, et que tous les intéressés auront leur mot à dire au sujet des objectifs de l'étude.

Il est important de noter que, contrairement à ce que laissent entendre les libraires, les livres d'occasion ne seront pas interdits en vertu du projet de loi.

Il n'y a aucune raison pour que le marché du livre d'occasion disparaisse. Le prix des livres ne sera pas touché par l'alinéa 45(1)e). Cette disposition vise à assurer le respect des ententes de publication et de distribution des éditeurs, et à faire en sorte que les efforts importants qu'ils consacrent au développement du secteur du livre d'occasion, en donnant de l'emploi aux Canadiens et en servant tous les aspects du marché, ne soient pas anéantis par l'arrivée massive, sur le marché canadien, de livres d'occasion américains.

M. Stoddart: Les libraires ont laissé entendre qu'ils ne pourront plus, en vertu du projet de loi, placer des commandes spéciales et se procurer, pour leurs clients, des copies provenant d'autres pays. Ceci n'est tout simplement pas vrai. Le projet de loi prévoit l'établissement de règlements pour les commandes spéciales, qui auront pour but de répondre aux besoins des libraires et des clients et de protéger les droits des éditeurs et des écrivains.

Nous savons que plusieurs autres groupes vous ont fait part de leurs préoccupations concernant ces deux questions. Nous espérons avoir clairement exposé les enjeux dans notre mémoire.

Jack McClelland, le doyen des éditeurs contemporains au Canada, a déjà dit des droits d'auteur qu'ils constituaient le sujet le plus ennuyeux du monde. Ce sujet est peut-être aride, mais les droits de propriété intellectuelle sont essentiels à notre industrie, à l'économie du savoir et à l'épanouissement de la culture canadienne. C'est la culture de notre pays qui est au coeur de ce débat. Nous semblons, dans nos discussions sur les aspects techniques du projet de loi, accorder une large place à l'épanouissement de la culture canadienne.

Nous devons nous pencher sur les questions de droit d'auteur qui concernent les droits en matière électronique, l'Internet et l'autoroute de l'information. Toutefois, avant de le faire, nous devons absolument adopter ce projet de loi, qui se veut une mesure rationnelle et équilibrée. Le moment est venu d'adopter ce projet de loi. Les éditeurs demandent qu'on en fasse rapport sans amendement.

Le sénateur Grimard: Monsieur Bloom, je ne sais pas si je suis prêt à appuyer votre cause. J'ai pratiqué le droit dans le nord-ouest du Québec pendant 44 ans. J'étais à la tête d'un grand cabinet d'avocats. J'ai versé des centaines de milliers de dollars à Butterworths, Carswell et CCH. Même si vos clients m'ont coûté beaucoup d'argent, je vais essayer d'être indulgent avec vous.

Je sais que le projet de loi n'est pas parfait. Comme il est très important, pour tous ceux qui ont participé à l'étude du projet de loi C-32, que l'on commence à songer à la troisième phase de la réforme, croyez-vous que le projet de loi, quoique imparfait, devrait être adopté?

M. Bloom: Même si le projet de loi C-32 n'apporte pas grand-chose aux membres du Committee of Major Legal Publishers, le comité appuie sans réserve le processus de réforme du droit d'auteur, et donc l'adoption de ce projet de loi. Il préférerait, bien entendu, que le projet de loi soit modifié. Toutefois, si ce n'est pas possible de le faire, pour des raisons politiques, alors il propose qu'on adopte le projet de loi.

Si le projet de loi C-32 est adopté, il faut que les problèmes soulevés par notre comité soient réglés dès le début de la prochaine phase de la réforme, afin de boucler les échappatoires pouvant être exploitées par les avocats.

Le sénateur Grimard: Vous avez parlé, dans votre mémoire, de ce qui est en train de se faire au Osgoode Hall. Croyez-vous qu'on pourrait faire la même chose au Québec et dans les autres provinces?

M. Bloom: Mme Christmas va répondre à cette question. Je crois qu'elle a des renseignements à ce sujet.

Mme Geralyn Christmas, Committee of Major Legal Publishers, Canada Law Book: Je n'ai pas de renseignements précis sur ce qui se fait au Québec. Toutefois, je peux vous donner des exemples de services de livraison de documents qui risquent de prendre de l'expansion si ce projet de loi est adopté sans amendement.

Par exemple, la bibliothèque de droit du palais de justice de la Colombie-Britannique, qui est exploitée par la Law Society of British Columbia, a réalisé ces dernières années des profits de plus de 600 000$ grâce à la photocopie. Pour citer un autre exemple, le Barreau du Haut-Canada a vendu, en 1994, 105 500 pages de documents aux avocats, sans verser de redevances aux titulaires de droits d'auteur et sans obtenir leur consentement. En fait, l'énoncé de mission de la bibliothèque, en 1994, indiquait que la livraison de documents faisait partie de son mandat.

La bibliothèque de droit de l'Université York impose des tarifs différents pour la vente de photocopies aux avocats, et pour les services de prêts aux bibliothèques sans but lucratif.

Le seul autre exemple que je désire porter à votre attention est le projet intitulé Répertoire canadien de la mise en commun des ressources. Diverses associations de bibliothèques essaient de se regrouper pour partager leurs abonnements, ainsi de suite. La bibliothèque de droit de l'Université de Calgary, la bibliothèque de droit de l'Université de l'Alberta et la Law Society of Alberta essaient de faciliter les prêts entre les trois établissements.

Mme Bloom: Pour revenir au Québec, Yvon Blais, des Éditions Yvon Blais Inc. de Montréal, a comparu devant le comité permanent de la Chambre des communes. Je ne sais pas si c'est au cours de cette audience ou dans le cadre d'autres discussions que M. Blais a parlé du service de photocopie qui existe au palais de justice de Montréal. Ce service pose les mêmes problèmes que ceux qu'a mentionnés Mme Christmas.

Le sénateur Grimard: Je voudrais adresser ma prochaine question au Canadian Publishers Council. Les livres d'occasion représentent quel pourcentage de vos activités?

Mme Jacqueline Hushion, directrice exécutive, Canadian Publishers Council: Les éditeurs au Canada ne s'occupent pas de la vente de livres d'occasion.

L'amendement proposé à l'alinéa 45(1)e) avait pour but d'éviter que l'importation de livres d'occasion ne mine le marché, et d'encourager les investissements dans l'industrie canadienne de l'édition. Si les livres d'occasion posent un problème, c'est parce qu'ils compromettent la viabilité de l'industrie de l'édition. Nous ne sommes pas contre l'utilisation de livres d'occasion, comme nous l'avons clairement indiqué au début de notre exposé. Les étudiants, les libraires, les détaillants affirment que les livres d'occasion représentent entre 8 et 10 p. 100 du marché. Nous continuons d'entendre ces chiffres, qu'ils représentent en moyenne entre 8 et 10 p. 100 du marché. Or, les livres d'occasion pourraient représenter 70 ou 75 p. cent des livres qui sont utilisés dans une discipline en particulier, un cours ou un sujet d'étude.

Mme Wood va vous expliquer ce que signifie ce pourcentage.

Mme Wood: Je vais vous donner un exemple concret de l'impact qu'ont les livres d'occasion sur nos activités. Nous vendons des manuels d'introduction à la physique, dont un en particulier qui est très recherché. Nous envoyons aux bibliothèques universitaires, la première année de publication d'une nouvelle édition, environ 7 500 copies de ce livre. Durant l'année, les libraires vont nous renvoyer environ 25 p. 100 de ces copies, sans frais, c'est-à-dire sans pénalité. Environ 5 200 copies vont donc être revendues sous forme de livres d'occasion au Canada. Si nous tenons compte des chiffres qui ont été cités ici la semaine dernière, soit entre 25 à 30 p. 100 de ces livres sont achetés par des vendeurs de livres d'occasion ou par des étudiants, environ 1 400 copies seront revendues au Canada à des étudiants.

La même chose se produit aux États-Unis, où le marché, disons, est 10 fois plus grand que le nôtre. Les 7 000 copies au Canada représentent 70 000 copies aux États-Unis, et c'est 10 fois les 1 300 copies revendues au Canada qui vont être disponibles sur le marché américain. À l'heure actuelle, n'importe quel pourcentage de ces livres pourrait se retrouver au Canada si aucun amendement n'est apporté à l'alinéa 45(1)e).

En même temps, nous investissons entre 250 000 et près de 500 000 dollars dans la publication d'un manuel de comptabilité à l'intention des étudiants canadiens. Ce manuel d'un auteur canadien dispose d'un marché exclusif ici parce qu'il porte sur les pratiques comptables de notre pays. Les étudiants qui suivent des cours de comptabilité doivent avoir des manuels avec un contenu canadien. La perte de revenus qu'essuie mon entreprise en important ces livres qui n'étaient pas vendus au Canada en premier lieu complique les choses en qui a trait à mes investissements dans mon programme d'édition canadien. C'est probablement vrai pour tous les éditeurs qui oeuvrent dans le marché postsecondaire.

Mme Hushion: En effet, même si les livres d'occasion peuvent représenter entre 8 et 10 p. 100 du marché, dans le cas d'un cours particulier pour lequel vous pourriez avoir un livre concurrent, cela pourrait être 75 p. 100 des livres achetés par les élèves inscrits.

Mme Wood: Tout à fait. Ce n'est pas rare.

Le sénateur Grimard: Je vous remercie de votre bon exposé.

J'aimerais faire des observations sur deux préoccupations qu'ont formulées d'autres éditeurs qui ont comparu devant nous. D'une part, ils s'inquiètent du fait qu'un exemplaire pourrait être commandé par le client directement d'un éditeur aux États-Unis. Je suis sûr que vous comprenez le problème qui se pose ici.

D'autre part, ils s'inquiètent de Book Depot, qui vend des livres américains après l'expiration des premiers 60 ou 90 jours. Le projet de loi C-32 empêchera-t-il Book Depot d'importer des livres des États-Unis? Peut-on justifier que le projet de loi empêche cette pratique?

M. Stoddart: Le projet de loi de la façon dont il est structuré aujourd'hui modifie tout.

Il n'empêche pas de commander un seul exemplaire en vertu du droit à la distribution, sauf dans un cas. La plupart des importations d'exemplaires uniques par des libraires se poursuivront parce que le projet de loi ne s'applique qu'aux livres qui sont publiés et officiellement distribués au Canada et qui sont facilement accessibles en vertu des lignes directrices que nous avons établies relativement au service et à l'établissement des prix. Il n'existe aucune restriction pour vraisemblablement 90 p. 100 de toutes les commandes spéciales mentionnées. Nous avons donc affirmé en termes sentis que les déclarations qui ont été faites dans l'exposé précédent étaient fausses.

En ce qui concerne 10 p. 100 des ouvrages qui ont déjà été publiés dans ce pays ou que l'on peut s'y procurer, si les éditeurs en fixent le prix et offrent le service en respectant les lignes directrices qu'a acceptées l'industrie, il est alors raisonnable que les libraires ne puissent importer ces livres qu'il est possible de se procurer facilement à un prix convenable. S'ils ne sont pas disponibles, le libraire a le droit, en vertu de la loi actuelle, d'importer ces livres directement des États-Unis, de Grande-Bretagne, de France ou d'ailleurs. C'est seulement pour 10 p. 100 de toutes les commandes spéciales peut-être, s'il est difficile de se procurer les livres à prix abordable. Cela fait baisser le pourcentage à probablement 2 ou 3 p. 100 de tous les livres susceptibles de faire l'objet d'une commande spéciale dans une librairie. Il ne s'agit pas d'un problème important et je crois que nous l'avons réglé de façon appropriée.

Mme Hushion: Le projet de loi dispose que le gouverneur en conseil peut déterminer, par règlement, les conditions et les modalités pour l'importation de certaines catégories de livres et les commandes spéciales sont parmi les cinq qui y sont énumérées.

À une réunion des libraires le 3 février, on a dit que nous étions nous aussi des consommateurs. Nous comprenons la situation d'un consommateur qui a besoin d'un livre rapidement. Si vous pouvez, document à l'appui, démontrer que l'entreprise de M. Stoddart ne peut fournir le livre rapidement, dans un ou deux jours, sentez-vous alors libre de vous adresser à l'extérieur. Les libraires ont dit qu'ils croyaient que c'était satisfaisant et nous ont remercié de notre compréhension.

En ce qui concerne votre deuxième question concernant les soldes d'éditeurs, cette même disposition s'applique. En fait, par voie de règlement, le gouverneur en conseil déterminera les conditions et modalités pour l'importation des soldes d'éditeurs. Book Depot n'aura pas beaucoup plus de difficultés qu'un autre libraire qui vend des soldes d'éditeurs. Nous avons décidé que si un livre que vend M. Stoddart au Canada a été soldé au Royaume-Uni ou aux États-Unis, un libraire qui vend des stocks restants doit attendre 60 jours pour importer ce livre au Canada. C'est le créneau sur lequel compte l'agent exclusif canadien, le créneau de 60 jours, parce que le livre peut continuer à être vendu comme une nouveauté dans ce marché. L'éditeur a 60 jours pour faire de son mieux. Aucun libraire qui vend des soldes d'éditeurs ne peut importer l'édition étrangère d'un livre canadien, qu'il ait été soldé hier ou il y a six mois, parce que cela contrevient à d'autres articles de la loi.

Je sais que des réserves ont été faites au sujet de Book Depot. Notre groupe de travail a consulté notamment des libraires, des grossistes, des responsables de bibliothèque et des éditeurs ou nous pensions l'avoir fait. Je m'excuse auprès de Book Depot. Nous collaborons avec tous les principaux vendeurs de soldes d'éditeurs pour déterminer quel traitement leur sera en fait accordé en vertu de la nouvelle loi. Ça ira.

La présidente: Monsieur Bloom, nous avons reçu un mémoire de la Fédération des professions juridiques du Canada. Selon elle, les États-Unis peuvent copier l'organisme d'octroi des licences pour mettre en place un régime d'octroi de licences imposant des redevances de 30 $ aux avocats. Est-ce que ce sera suffisant pour régler vos problèmes?

M. Bloom: La capacité d'offrir un moyen de paiement reçoit certes l'appui du Committee of Major Legal Publishers. Le problème c'est que, en cas d'exception, nul n'est tenu d'obtenir la permission ou d'effectuer quelque paiement que ce soit. L'existence de CANCOPY est utile à condition que la reproduction soit protégée par le droit d'auteur. Nous avons fait des réserves ce matin au sujet des exceptions qui permettront que la reproduction se fasse sans paiement.

M. Stoddart: Pour continuer en ce qui a trait à la question sur les manuels d'occasion, je vous signale que dans le cadre du processus, dans les cinq dernières années, nous avons rencontré, à titre de comités, les libraires, les libraires universitaires, les librairies et ainsi de suite. La question des livres d'occasion, même si elle n'est d'importance majeure, a été abordée. Elle n'est certes pas négligeable, mais elle n'était pas perçue, jusqu'à tout récemment, comme une question d'une importance exceptionnelle.

L'entreprise qui a fait l'exposé est la Follet Book Company of Chicago. Les étudiants n'ont pas cru que la question était importante jusqu'au moment où Follet a embauché des avocats et des lobbyistes. Ce qui est intéressant, c'est que les libraires ne pensaient pas qu'il s'agissait d'un problème sérieux. C'est à la suite de déclarations inexactes que le problème s'est posé.

Il est très important que nous comprenions que Follet essaie de déloger la librairie de l'Université McGill telle qu'elle est structurée aujourd'hui. L'entreprise a tenté de louer ce magasin, ce qui va à l'encontre de la loi canadienne telle que nous l'interprétons. Je suppose qu'on a affirmé que toute la question des manuels d'occasion a quelque chose à voir avec la protection de grandes entreprises solides financièrement qui oeuvrent dans l'édition et qui veulent protéger leur marché.

Ces entreprises dont on a parlé produisent les manuels. Elles sont peut-être solides financièrement à certains égards, mais elles exercent leurs activités dans un secteur qui n'est pas de tout repos à l'heure actuelle. Si nous ne voulons que des manuels américains ou français dans nos écoles et nos universités, nous disposons là d'un moyen rapide d'y parvenir. Je dirais que toute la question a été soulevée, non pas pour protéger les étudiants mais Follet, la seule entreprise qui domine le marché des livres d'occasion.

Il n'y aura pas de marché canadien du livre d'occasion tant que Follet tiendra le haut du pavé ici. Il est important de ne pas toucher à la loi pour l'instant et de laisser l'industrie évoluer au Canada. Agir autrement, c'est ouvrir le marché à ces entreprises qui tireront parti de la situation.

Certaines des observations que ces entreprises ont faites auparavant n'étaient pas pertinentes. Nous devrions nous attaquer directement au problème.

Le sénateur Grimard: En fait, la question des manuels d'occasion n'est pas réglée. Comme vous le savez, le ministère a décidé de ne pas appliquer l'article 45.1. Je crois comprendre que les étudiants, Follet et d'autres personnes en cause en sont arrivés à un certain consensus au milieu du mois de mars de cette année. En effet, si les éditeurs américains continuent d'exercer leurs activités de la même manière, l'article 45.1 ne s'appliquera pas. Je crois qu'il s'agissait du consensus. J'aimerais que vous me disiez si vous étiez partie à cet accord.

Mme Wood: Nous l'étions en effet. Il est important de reconnaître qu'il s'agit d'une disposition de sauvegarde. Rien ne changera tant qu'une étude ne sera pas faite par le gouvernement pour évaluer et comprendre le marché du livre d'occasion. Les conclusions de cette étude permettront un jour ou l'autre de réglementer le marché du livre d'occasion.

Nous avons participé à cette réunion, avec les libraires, les grossistes de livres d'occasion et les étudiants. Il a été bien établi que le recours à cette disposition de sauvegarde avait pour but de faire face à une situation qui risque de chambarder le marché. La double activité de ces grossistes de livres d'occasion qui achètent de plus en plus les magasins sur les campus d'un bout à l'autre du pays a suscité une crainte partagée. Cette question sera examinée par le biais du programme de recherche de l'étude.

M. Stoddart: Personne d'autre ne pourra louer les librairies des universités si un monopole est exercé sur les manuels d'occasion. Nous ne croyons pas qu'il s'agit d'une question légale. L'Université McGill a déjà fait des recherches sur le sujet. Elles ont été suspendues sous prétexte que le moment est mal choisi pour accepter l'arrangement de location avec une entreprise américaine. Cela ne veut pas dire que la question est réglée.

Cependant, si Follet, qui dirige des librairies universitaires, contrôle aussi nos librairies universitaires, les chances seront bien minces pour les manuels canadiens et les écrivains canadiens dans ces endroits.

Mme Hushion: J'aimerais ajouter quelque chose rapidement. D'un point de vue un peu plus personnel, mon fils de 26 ans vient de terminer l'université dans un domaine très spécialisé à l'Université de Waterloo. Il poursuit ses études supérieures. Contrairement à l'opinion populaire, il n'a pas pu obtenir tous ses manuels gratuitement. Il a utilisé beaucoup de manuels d'occasion. En tant que parent, je m'opposerais tout à fait à ce qu'on interdise les manuels d'occasion, ou toute mesure qui en précipiterait l'épuisement sur le marché.

Dans des discussions récentes avec des représentants d'étudiants, la question a été soulevée au sujet d'un livre pour lequel il n'existait pas d'exemplaires d'occasion. Qu'arrive-t-il s'il y a 1 300 étudiants canadiens qui suivent un cours et qu'on ne peut se procurer d'exemplaires d'occasion au Canada? Tous ces étudiants ne peuvent se permettre d'acheter des livres neufs, sans compter que ce ne sont pas tous les étudiants qui achètent des livres, neufs ou d'occasion. Que ferons-nous alors?

Après avoir parlé à nos collègues de l'industrie, nous avons reconnu qu'il faudrait certes encourager les éditeurs à discuter de cette question avec les libraires. Un libraire pourrait peut-être appeler un éditeur pour lui dire qu'il n'y a pas un seul exemplaire d'occasion de ce livre dans tout le pays et que ce n'est pas normal. Si, dans l'ensemble, il est question de 8 à 10 p. 100, nous pourrions alors importer 10 p. 100 des 1 300 livres dont nous avons besoin.

Il est peu vraisemblable que l'éditeur refuse. D'après nos prévisions, il devrait toujours y avoir des exemplaires d'occasion des ouvrages inscrits aux programmes scolaires des établissements postsecondaires du Canada. Si ce n'était pas le cas, nous sommes prêts à faire notre part pour régler le problème.

Comme vous l'avez dit, l'alinéa 45(1)e) n'entrera pas en vigueur tant que la recherche ne sera pas terminée. Si elle révélait que l'industrie et le marché ne sont pas menacés pour l'instant, nous conserverons l'article en guise de protection.

La présidente: Je vous remercie beaucoup d'être venus témoigner devant notre comité.

La séance est levée.


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