Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Peuples autochtones
Fascicule 4 - Témoignages
OTTAWA, le mardi 28 avril 1998
Le comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui à 10 h 11, pour étudier le projet de loi C-6, Loi constituant certains offices en vue de la mise en place d'un système unifié de gestion des terres et des eaux de la vallée du Mackenzie et modifiant certaines lois en conséquence.
Le sénateur Charlie Watt (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Notre premier témoin est M. Dunlop, du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. La parole est à vous, monsieur Dunlop.
M. Will Dunlop, directeur, Direction de la politique des ressources et des transferts, ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien: Permettez-moi de vous présenter les témoins qui comparaissent aujourd'hui au nom du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. D'abord, Suzanne Grenier, qui est avocate à Justice Canada et nous guide dans l'élaboration du projet de loi. Puis, Margaret Gray et Jacques Denault qui sont deux spécialistes des politiques et qui ont rédigé bon nombre des dispositions du projet de loi.
L'entente sur la revendication territoriale globale des Gwich'in et l'entente sur la revendication territoriale globale des Dénés et des Métis du Sahtu ont été ratifiées par le Parlement, respectivement en décembre 1992 et en juillet 1994. Ces ententes, qui créent des droits ancestraux contemporains et bénéficient d'une protection constitutionnelle, oblige le Canada à légiférer en vertu des dispositions de ces ententes sur la gestion des ressources, qu'on trouve dans les chapitres traitant de la réglementation des terres et des eaux.
Le projet de loi C-6 marque l'aboutissement d'un long et stimulant processus d'innovation. Le ministère a reçu l'autorisation d'utiliser les ébauches du projet de loi comme outil de consultation. Depuis 1993, 35 versions du projet de loi ont été utilisées dans des ateliers, des réunions publiques, des groupes de discussion et des séances de rédaction, ou on fait l'objet d'envois postaux. Nous avons rencontré des représentants de l'industrie, des groupes environnementaux et des Premières nations pour en discuter.
L'élaboration proprement dite du projet de loi a mis à contribution un groupe de travail formé de représentants de notre ministère, du conseil tribal des Gwich'in, du secrétariat du Sahtu et du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, auxquels sont à l'occasion venus se greffer des représentants des Dogrib et d'autres ministères fédéraux et territoriaux. Nous avons aussi bénéficié de la collaboration des rédacteurs législatifs du ministère de la Justice qui nous ont épaulés de façon imaginative et énergique.
Tout ce travail a abouti au projet de loi C-6 que vous avez devant vous aujourd'hui, soit le projet de loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie, qui contribuera à créer un régime intégré de cogestion. Ce projet de loi témoigne de notre volonté d'appuyer la stratégie ministérielle en matière de développement durable que la ministre a déposée à la Chambre des communes avant Noël.
Le projet de loi traite toute la vallée du Mackenzie comme une seule entité écologique et crée trois institutions de gouvernement populaire chargées de réglementer l'utilisation des terres et des eaux, de dresser des plans régionaux d'aménagement du territoire et de procéder à l'évaluation environnementale des projets de développement.
Chacune de ces institutions aura un rôle à jouer dans la gestion des terres et des eaux. Cette approche de cogestion est conforme au guide de la politique fédérale sur l'autonomie gouvernementale des autochtones.
Les offices seront composés à 50 p. 100 de représentants des Gwich'in, des Dénés et Métis du Sahtu et d'autres Premières nations, et à 50 p. 100 de représentants des gouvernements fédéral et territoriaux. Toutes les nominations seront faites par la ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien. Chaque organisme recevra son budget de la ministre fédérale, à laquelle il soumettra son rapport annuel, assujetti aux vérifications du vérificateur général.
Les plans d'aménagement du territoire exigent l'approbation finale de la ministre. L'Office d'examen des répercussions environnementales fait ses recommandations à un ministre fédéral. Les plus importants permis d'utilisation des eaux, ceux de type «A», exigent l'approbation de la ministre, tandis que l'Office des terres et des eaux reçoit de celle-ci des directives d'orientation générale.
L'actuelle Loi sur les eaux des Territoires du Nord-Ouest demeure en vigueur tandis que le présent Règlement sur l'utilisation des terres territoriales servira de modèle pour l'élaboration du Règlement sur l'utilisation des terres de la vallée du Mackenzie. Les inspecteurs restent les mêmes.
La mise en place de ce régime de gestion des ressources annonce une diminution du rôle de notre ministère. Ainsi, le rôle de l'actuel Office des eaux des Territoires du Nord-Ouest sera absorbé par le nouvel Office des terres et des eaux, tandis que le rôle du ministère en matière de délivrance des permis d'utilisation des terres cessera et que notre rôle de coordination et d'exécution des évaluations environnementales sera assumé par l'Office d'examen des répercussions environnementales.
Ce renforcement du partenariat avec les Premières nations s'inscrit concrètement dans la foulée des engagements de «Rassembler nos forces», le plan d'action du Canada pour les questions autochtones.
Le projet de loi ne menace ni les droits ancestraux et issus de traités, ni la Loi sur les Indiens. Il évite le double emploi, fournit une certitude par la mise en place d'un régime familier, assure le transfert de responsabilités vers le Nord, donne aux gens du Nord une véritable voix en matière de gestion des ressources naturelles et, enfin, témoigne de la volonté du Canada de donner suite aux ententes sur les revendications territoriales.
Nous vous remercions de nous avoir donné l'occasion de vous aider dans vos travaux.
Le sénateur St. Germain: Avant de commencer à poser des questions, je voudrais dire que j'appuie le principe et le concept de l'autonomie gouvernementale des autochtones. Je fais partie de ce comité en grande partie parce que notre président est déterminé à élaborer un processus et un projet de loi qui, tôt ou tard, permettront aux peuples autochtones du Canada de réaliser leur rêve d'autonomie gouvernementale.
Cela dit, il m'apparaît quelque peu difficile d'approuver le genre de structures que le projet de loi C-6 propose de mettre en place. Pourquoi ne pas établir une seule tribune pour régir l'environnement, la planification et les eaux? Au lieu de toutes ces administrations différentes, pourquoi ne pas créer un organisme, un secrétariat avec un représentant de tous les groupes en cause, y compris les autochtones et les intérêts commerciaux visés? Envisageriez-vous cette solution pour simplifier les choses?
M. Dunlop: Je ne suis pas sûr que ça simplifierait les choses. En bref, ce n'est pas ce qui a été prévu dans les négociations sur les revendications territoriales. Le Canada a l'obligation de mettre en oeuvre le chapitre 24 de l'accord de revendication gwich'in et le chapitre 25 de celui du Sahtu. Ces chapitres, qui sont presque identiques, exigent la création de trois offices différents. Les offices se complètent et leurs rôles sont interreliés. Je ne suis pas sûr qu'un «super office» serait moins compliqué.
L'Office d'aménagement territorial va s'occuper des plans d'aménagement du territoire et décider de la conformité des plans présentés à l'Office des terres et des eaux qui, lui, est chargé de réglementer à ce sujet.
Actuellement, notre ministère délivre les permis d'utilisation des terres et l'Office des eaux des Territoires du Nord-Ouest, les permis d'utilisation des eaux. Quand le nouveau système sera en place, l'Office des terres et des eaux délivrera les deux genres de permis. Nous confions deux activités différentes à un seul office.
Actuellement, notre ministère s'occupe de l'évaluation environnementale des grands projets de développement, conformément à la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale. Nous nous retirons du tableau avec la création de l'Office d'examen des répercussions environnementales. Nous n'alourdissons pas le système. Nous nous faisons remplacer, dans certains cas directement, et nous regroupons deux activités qui relèveront de l'Office des terres et des eaux.
Le sénateur St. Germain: Si les négociations ont été faites en fonction des revendications territoriales, j'imagine que ce sera difficile de s'écarter des ententes de base. Cependant, il me semble qu'on crée une lourde administration dans le Nord.
Le projet de loi ne définit pas les qualités que doivent posséder les membres des offices. Il n'y a aucun moyen de déterminer la compétence de ceux qui peuvent en être membres. Pourquoi en est-il ainsi? Est-ce une lacune du projet de loi?
On pourrait en venir à ce que ce soit le favoritisme qui motive les nominations et non la compétence. Vous avez sûrement tous constaté comme moi, pour y être allé, que le Nord est un monde bien différent. La partisanerie n'y a pas sa place. Il vaut mieux que les membres s'intéressent davantage au territoire qu'aux tractations politiques d'Ottawa.
M. Dunlop: Quand les revendications territoriales ont été négociées, on s'est demandé s'il fallait fixer des critères et il n'a pas été question des membres que les bénéficiaires des revendications territoriales pourraient nommer. On a jugé qu'il n'était pas opportun que les groupes faisant l'objet d'une revendication territoriale fixent des critères, à la place des membres de l'Office. Cela nous ramène à la compétence, comme vous l'avez dit, et à la confiance. Faisons-nous confiance aux candidats proposés?
Je peux vous dire que notre ministère et le gouvernement territorial ont fait paraître des annonces dans les journaux pour solliciter la candidature des personnes intéressées à faire partie de l'Office. Notre ministre cherche des gens du Nord, comme son prédécesseur. C'est tout ce que je peux vous dire. Nous cherchons des gens en qui nous pouvons avoir confiance, des gens qui connaissent le domaine des terres et des eaux.
La participation à ces offices suscite pas mal d'intérêt. On se rend compte, je pense, que les offices vont être bien actifs et que leurs membres seront appelés à travailler fort.
Le sénateur St. Germain: La question est très délicate. Le projet de loi vise les terres des Gwich'in et des Dénés et Métis du Sahtu. Ces autochtones ont ratifié des ententes sur leurs revendications territoriales avec le gouvernement fédéral.
Le projet de loi vise également les terres des Premières nations du Deh Cho, des Dogrib, des tribus assujetties au traité 8 et des Inuvialuit. Je crois que ces groupes vont comparaître devant notre comité pour s'opposer au projet de loi. Comment pouvons-nous justifier la création des structures prévues dans le projet de loi malgré l'opposition de ces autochtones? Ils sont convaincus que le projet de loi va compromettre le règlement de leurs revendications territoriales. N'allons-nous pas causer des dommages inutiles?
M. Dunlop: Nous n'allons causer aucun dommage. En fait, nous annonçons que le Canada est déterminé à régler les revendications par une approche de cogestion. En 1990, l'entente de principe avec les Dénés et les Métis des Territoires du Nord-Ouest a échoué à cause de la clause d'extinction de la revendication territoriale.
Voulant poursuivre les négociations, les Gwich'in et les peuples du Sahtu ont engagé des pourparlers avec le gouvernement sur les revendications territoriales régionales. Les autres groupes se rendent compte que nous sommes prêts à négocier en vertu de l'entente de 1990.
Les éléments de réglementation des terres et des eaux prévus dans le projet de loi sont tirés de l'entente de 1990. Il n'y a rien de neuf et rien n'a été imposé. C'est uniquement ce qui a été négocié en 1990.
Le Canada annonce que les différents régimes de gestion des terres et des eaux dans la vallée du Mackenzie seront intégrés en un seul régime et que nous allons y participer. Les participants au régime seront représentés à 50 p. 100 par les gouvernements et à 50 p. 100 par les autochtones.
Actuellement, les peuples du sud de la vallée du Mackenzie et ceux assujettis aux traités 8 et 11 sont consultés sur l'aménagement des terres et des eaux, mais ils ne sont pas partie prenante au régime et n'ont pas de rôle à jouer dans le processus décisionnel. Le projet de loi les force-t-il à se joindre aux offices qui prendront les décisions sur l'utilisation des terres publiques et privées, avant un règlement sur les revendications territoriales? Je ne pense pas qu'il leur impose quoi que ce soit. En fait, nous leur lançons plutôt une invitation pour une réelle participation et une réelle cogestion.
Il est certain que nous contestons le sens des traités des autochtones assujettis aux traités 8 et 11. Nous avons commencé à négocier avec les peuples Akaitcho de Fort Smith assujettis au traité 8. Nous avons aussi commencé à négocier avec les Métis de South Slave près de Fort Smith, dans la région de l'Alberta, et avec le conseil tribal des Dogrib assujettis au traité 11, de la région de North Slave à l'extérieur de Yellowknife.
Nous ne négocions pas avec des autochtones du Deh Cho. Nous avons beaucoup de mal à discuter, ou même à trouver un terrain d'entente pour commencer les négociations. Le professeur Peter Russell discute avec les autochtones du Deh Cho pour essayer de trouver un terrain d'entente. Voilà où nous en sommes.
Le sénateur St. Germain: Les autochtones assujettis aux traités 8 et 11 ou les Dogrib vont-ils participer aux activités des ces offices? Peuvent-ils en être membres?
M. Dunlop: Oui, ils peuvent être membres des deux offices. La Chambre des communes a modifié l'article 112 de la partie 5, qui traite de l'Office d'examen des répercussions environnementales de la vallée du Mackenzie, de façon à prévoir le nombre minimum de ses membres, mais pas le nombre maximum. Nous aimerions que chaque région du Mackenzie, de South Slave, de North Slave et de la région du Deh Cho soit représentée au sein de l'Office.
Ils peuvent aussi faire partie de l'Office des eaux de la vallée du Mackenzie, et nous aimerions que les mêmes régions y soient représentées. Nous voulons qu'ils participent aux décisions sur la réglementation des terres et des eaux. Selon le projet de loi, sur la recommandation de la ministre, le gouverneur en conseil peut créer une formation régionale de l'Office des terres et des eaux dans chacune de ces trois régions. Les décisions ne seraient pas prises par l'office, mais par les formations régionales.
Si les autochtones du Deh Cho veulent créer une formation régionale, par exemple, il y en aura une. Ils y seront représentés à 50 p. 100. Ils seront représentés non pas par un membre, mais par la moitié des membres.
Le sénateur St. Germain: Alors, pourquoi s'opposent-ils avec autant de véhémence au projet de loi? Craignent-ils des chevauchements dans les négociations ou est-ce autre chose?
M. Dunlop: Je ne pense pas qu'ils veulent revoir l'accord de principe de 1990. Évidemment, le différend sur la signification du traité 8 persiste. À mon avis, ils veulent commencer leurs propres négociations, mais je suis certain qu'ils sont mieux placés que moi pour vous fournir des explications.
Le sénateur St. Germain: J'aimerais que vous expliquiez les dispositions de non-exemption prévues à l'article 5. Précisément, j'aimerais savoir si elles s'appliquent aux droits ancestraux qui peuvent exister actuellement mais qui ne sont pas prévus dans un accord de revendication. Pouvez-vous me répondre?
M. Dunlop: C'est une question difficile. Je pense qu'elles s'appliquent. Les droits ancestraux existants sont protégés. Dans le cas d'un droit ancestral contesté, cependant, je ne sais pas.
Nous ne proposons pas d'annuler des droits ancestraux ou issus des traités. Nous n'annulons ni ne violons aucun droit. Si, selon un tribunal, un droit ancestral existe, il est protégé. Si un accord de revendication prévoit un droit ancestral, il est protégé.
Le sénateur Chalifoux: J'ai entendu les déclarations de la North Slave Metis Alliance, dirigée par Clem Paul et Sholto Douglas, que j'ai rencontrés à plusieurs reprises. La participation des Métis de la région de North Slave les préoccupe beaucoup. Au moment de l'élaboration du projet de loi, a-t-on consulté la North Slave Metis Alliance, ou négocié avec elle? Pourquoi ces Métis ne sont-ils pas considérés comme des participants au régime dans le projet de loi?
Les Métis habitent la région depuis de nombreuses générations et il y a une différence entre South Slave et North Slave.
M. Dunlop: Nous n'avons pas négocié avec les Métis de la région de North Slave. Nous avons eu beaucoup de discussions avec eux, mais on ne peut les qualifier de négociations.
Les Métis de la région de North Slave sont dans une situation délicate. Ils approuvent certaines parties du projet de loi et ils ont même demandé à être représentés au sein de l'Office d'examen des répercussions environnementales. Nous devons commencer les négociations à ce sujet. Nous ne pouvons commencer à leur offrir des sièges au sein de l'office avant de négocier, même si nous sommes très heureux qu'ils veuillent en faire partie.
Les Métis de la région de North Slave ne sont pas visés par les négociations des Dogrib. Ils ne sont pas visés non plus par les négociations avec les Dénés de la région de South Slave, près de Yellowknife, qui sont assujettis au Traité 8. Franchement, je ne sais pas s'ils vont négocier pour eux seuls ou avec d'autres groupes de Métis. Nous négocions avec les Métis de South Slave, mais pas avec ceux de North Slave. Je ne sais pas si cela répond à votre question, mais je ne sais pas comment ils vont négocier.
Le sénateur Chalifoux: Accepteriez-vous que les Métis de North Slave participent aux négociations? Ils veulent s'assurer de faire connaître leurs préoccupations à tous les ministères fédéraux. Votre ministère accepterait-il de commencer à négocier?
M. Dunlop: Je ne sais pas ce que dit notre ministère aux Métis de North Slave au sujet des négociations sur les revendications territoriales. Je ne suis pas négociateur. Je sais qu'on a discuté pour savoir si ces Métis allaient participer aux négociations de l'Alliance des Métis des Territoires du Nord-Ouest, mais je ne crois pas qu'on sache encore qui négociera avec qui.
Le sénateur Chalifoux: Je ne parle pas du tout des revendications territoriales; je parle de la participation de ces Métis à ce que prévoit le projet de loi. Ce qui les inquiète, m'ont-ils dit, c'est que le projet de loi ne prévoit pas qu'ils peuvent participer aux activités des offices.
M. Dunlop: Ils sont visés par la définition de Première nation qui figure à la page 3 du projet de loi. Le comité de la Chambre des communes a fait ajouter les mots «organismes», pris dans son sens le plus large, et «autres» Dénés ou Métis. On a essayé d'inclure tout le monde.
Le sénateur Chalifoux: Comment les membres de l'office seront-ils choisis et qui approuvera les nominations en dernier ressort?
M. Dunlop: Les candidatures seront postées à la ministre qui annoncera les nominations.
Le sénateur Chalifoux: Combien de membres devraient faire partie de ces conseils?
M. Dunlop: Il ne peut y avoir moins de cinq membres: deux candidats des Premières nations, deux du gouvernement, et un président. C'est un minimum.
Le sénateur St. Germain: N'avez-vous pas dit que vous vouliez créer un office sans nombre minimum de membres? Il pourrait y avoir des centaines de membres.
M. Dunlop: j'ai dit dont le nombre minimum de membres serait fixé, mais pas le nombre maximum.
Le sénateur Chalifoux: Il ne pourrait y avoir moins de cinq membres.
M. Dunlop: Le plus gros comité sera probablement l'Office des terres et des eaux de la vallée du Mackenzie, dont il est question à la partie 4 du projet de loi. L'office comprendra des formations régionales dont les membres sont membres de plein droit de l'office. Les formations régionales s'occuperont du travail quotidien et se réuniront toutes ensemble une fois par année. Si chaque formation régionale est composée de cinq membres, et qu'il y a cinq régions, l'office réunira 25 membres, plus un président. Ce serait probablement le groupe le plus important.
Le sénateur Adams: Dans votre mémoire, vous dites que vous avez assisté à des audiences tenues dans les communautés de la vallée du Mackenzie. Quelle a été la réaction des gens qui ont assisté à ces audiences?
Pourquoi la ministre tient-elle soudainement à ce que le projet de loi C-6 soit approuvé avant le règlement des revendications territoriales? Est-ce à cause des intérêts de certaines entreprises? J'ai appris dans les médias que la vallée du Mackenzie est la plus importante réserve hydrique du monde. Certaines entreprises aimeraient peut-être s'établir avant que les revendications territoriales ne soient réglées.
En avril, j'ai rencontré des Dénés à Victoria. Le projet de loi les inquiétait beaucoup. Ils n'avaient jamais entendu parler des amendements apportés au projet de loi C-6. Ils aimeraient que les dirigeants aillent leur expliquer comment le projet de loi protégera les eaux de la vallée du Mackenzie.
J'ai la même inquiétude que le sénateur St. Germain. Le ministère ne peut s'attendre à ce qu'on lui renvoie le projet de loi la semaine prochaine. J'aimerais entendre des personnes touchées par le projet de loi, surtout des membres de la nation dénée et des Métis. Pourquoi la ministre tient-elle à faire adopter le projet de loi aussi rapidement?
M. Dunlop: Nous sommes déjà trois ans en retard. Le Canada n'a pas réussi à respecter l'engagement qu'il avait pris de créer dans les deux en suivant le règlement des revendications territoriales des Gwich'in et des Métis du Sahtu un régime de gestion des terres et des eaux. L'accord des Gwich'in a été ratifié en décembre 1992 et celui des Métis du Sahtu en juillet 1994. Ce projet de loi a été déposé pour la première fois en décembre 1996; c'était le projet de loi C-80 qui est mort au Feuilleton quand les élections ont été déclenchées.
Nous ne sommes pas allés si vite. En fait, nous sommes très en retard. Nous avons travaillé fort sur ce projet de loi, sans toutefois nous précipiter et nous en sommes à la trente-cinquième version du projet de loi C-6.
En 1994, mes collègues et moi-même avons visité les collectivités de la vallée en commençant par Inuvik et en finissant par Fort Smith, après quoi, nous avons envoyé des trousses d'information à tous les intéressés. Entre-temps, nous avons organisé beaucoup de séances dans diverses collectivités pour rencontrer tous ceux qui voulaient nous consulter. Les représentants de l'industrie ne sont que l'un des groupes auxquels nous avons parlé; ils n'ont pas exercé de pression pour que nous nous dépêchions et ne nous ont pas demandé non plus de changer le projet de loi de façon qu'ils puissent avoir accès à l'eau.
Le fleuve Mackenzie se classe au troisième rang des bassins hydrographiques d'Amérique du Nord. Les groupes autochtones, dont les Sahtu certainement, et les Gwich'in plus particulièrement, sont très préoccupés par la qualité de l'eau du fleuve. Ce sont les derniers à y avoir accès dans la région désignée des Gwich'in, avant qu'elle n'arrive à Inuvialuit. Ils s'intéressent à tout ce qui pourrait avoir un effet sur la qualité ou la quantité de cette eau.
L'article 130 de la partie 5 est l'un des éléments inclus dans le projet de loi avec l'accord des Gwich'in et des Sahtu. Il y est indiqué que certains projets de développement pourraient faire l'objet d'un examen conjoint effectué par l'Office d'examen des répercussions environnementales et sous le régime de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, dans les cas où l'intérêt national l'exige. Il s'agit pour nous d'une nouvelle expression.
Nous convenons que tout endiguement ou toute déviation du fleuve Mackenzie ou tout projet qui permettrait de vendre l'eau dans le sud présente un intérêt national. Personne ne s'est opposé à cette idée ou ne l'a repoussée. A notre avis, un tel intérêt existe à propos de l'eau; il s'agit d'une préoccupation dominante au sujet de l'eau et de la qualité de l'eau du fleuve Mackenzie et il en est fait état dans le projet de loi.
Le sénateur Adams: En attendant, quelle est la différence entre l'eau salée et l'eau douce du point de vue de la politique fédérale?
Le président: Le sénateur Adams veut dire que dans les Territoires du Nord-Ouest, tout relève de la compétence fédérale. Vous parlez d'une autonomie gouvernementale future. Pour l'instant toutefois, il s'agit seulement d'une autonomie gouvernementale partielle, l'autonomie de certaines régions devant encore être négociée.
Pour ce qui est des eaux intérieures, des eaux navigables, comment faites-vous la différence entre eaux navigables et non navigables? Comment allez-vous régler cette question?
M. Dunlop: Dans le nord, c'est notre ministère qui a compétence en matière d'eau, de la même façon que les provinces exercent cette compétence dans d'autres régions du Canada -- non pas les eaux navigables, les poissons, mais la qualité et la quantité de l'eau, qui peut l'utiliser, qui peut s'en débarrasser et qui peut y déverser des rejets. À l'heure actuelle, c'est l'Office des eaux des T.N.-O. qui en assure la réglementation. Ce projet de loi permet d'englober le mandat de l'Office des eaux des T.N.-O. dans celui d'un nouvel Office des terres et des eaux.
Le président: Allez-vous combiner les deux? Au lieu d'avoir deux offices distincts, l'un pour les eaux navigables et l'autre pour les eaux intérieures, n'y aura-t-il qu'un seul office?
M. Dunlop: Non. Nous combinons la réglementation des terres et la réglementation des eaux dans un seul Office des terres et des eaux et le projet de loi prévoit une éventuelle délégation des pouvoirs ministériels. Les nominations à l'Office des terres et des eaux pourraient se faire non pas par notre ministre, mais par un ministre territorial, ce qui rapprocherait cette façon de procéder de celle en vigueur dans les provinces. C'est un ministre territorial qui répondrait du fonctionnement de l'office, non un ministre fédéral. Bien des années peuvent se passer avant que cela ne se produise, mais c'est au moins ce que le projet de loi prévoit.
Le président: C'est intéressant surtout lorsque l'on sait que le chef du Parti réformiste a parlé d'un mouvement vers le concept provincial.
Êtes-vous en train de dire que le gouvernement du Canada effectue un transfert administratif, par opposition à un transfert de compétence?
M. Dunlop: Je ne vais pas entrer dans les détails techniques de la délégation. Pour l'instant, ce serait un transfert de responsabilités d'un ministre à un autre. Éventuellement, cela pourrait prendre la forme d'un transfert législatif, mais ce ne sont que des suppositions de ma part.
Le sénateur Adams: Je partage les inquiétudes du sénateur St. Germain. Les négociations relatives à des accords de revendication se poursuivent dans certaines collectivités et nous adoptons un projet de loi. Ce qui m'inquiète, c'est que je ne sais pas si le gouvernement va garantir à ces gens-là qu'ils vont récupérer leur fleuve ou leur lac, ou si le gouvernement ou quelqu'un d'autre en sera le propriétaire.
M. Dunlop: Je comprends pourquoi vous posez cette question, monsieur le sénateur. L'examen des répercussions environnementales prévu par ce projet de loi se rapproche beaucoup de celui du Nunavut. Vous n'avez pas encore vu ce projet de loi, mais je peux vous assurer que je reviendrai vous en parler.
Vous créez un office des eaux dont la compétence lui permet de considérer le fleuve Mackenzie comme un seul écosystème. Vous ne le divisez pas en plusieurs régions ni non plus en plusieurs compétences responsables des eaux. Il n'y a qu'une seule compétence, l'Office des terres et des eaux, qui s'appuiera sur la loi fédérale, cette loi, ainsi que sur la Loi sur les eaux des Territoires du Nord-Ouest, pour réglementer l'utilisation du fleuve. C'est un seul office.
L'Office a la capacité de coopérer outre-frontières avec n'importe quel office des eaux. Par conséquent, l'évaluation environnementale peut être partagée et l'évaluation d'un projet peut se faire en collaboration. Êtes-vous satisfait de ma réponse?
Le sénateur Adams: Légèrement. Si je comprends bien, c'est la ministre qui prendra la décision finale à l'égard de l'Office des eaux.
M. Dunlop: Ce ne sont que les gros permis d'exploitation hydraulique de type «A», les gros permis d'exploitation hydraulique industriels, qui sont émis par l'Office et qui sont approuvés par la ministre.
Le sénateur Adams: Dans le cas des demandes présentées par l'industrie minière, les forêts, ou autres, est-ce la ministre, et non l'office, qui prend la décision finale?
M. Dunlop: Non. L'office émet le permis, la ministre peut seulement l'approuver ou le rejeter; ce sont ses seules options.
Le sénateur Beaudoin: Un autre point me préoccupe. Vous avez dit que le projet de loi ne menace pas les droits ancestraux ni les droits issus de traités. J'aimerais en savoir un peu plus à ce sujet, car c'est fondamental. Votre conseillère juridique est là pour vous aider.
Chaque fois que le comité des affaires juridiques est saisi d'une loi, nous demandons si elle ne risque pas d'être contestée en vertu de la Charte canadienne des droits. Lorsque nous avons un projet de loi sur les droits indiens, nous devons demander s'il respecte l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. C'est une question très difficile, car cet article est absolument fondamental.
Je sais qu'une étude spéciale a été faite à ce sujet. Ce projet de loi respecte-t-il l'article 35?
Mme Suzanne Grenier, conseillère juridique, ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien: Tout d'abord, il respecte l'article 35, car il reproduit l'accord de revendication qui a été signé par les Gwich'in et les Sahtu, lequel est protégé en vertu de l'article 35. Dans un sens, nous transformons en loi ce qui se trouve dans l'accord de revendication.
Dans l'accord de revendication et dans la loi, nous avons une disposition non dérogatoire qui indique aux autres autochtones que nous ne porterons pas atteinte à leurs droits. S'ils ont un droit ancestral ou des droits issus de traités, ce projet de loi, au même titre que l'accord de revendication, ne devrait pas les toucher. C'est la raison pour laquelle nous avons insisté pour qu'une disposition non dérogatoire soit prévue.
Si un groupe vient nous dire qu'à cause d'un accord ou de cette loi, nous empiétons sur ses droits, nous devrons alors examiner la question. Nous modifierons la loi ou renégocierons l'accord pour faire en sorte que ses droits ne sont pas touchés.
C'est une disposition qu'un autre groupe peut invoquer.
Le sénateur Beaudoin: Qu'est-ce que vous appelez disposition dérogatoire? Est-ce que d'après vous, ce projet de loi est réputé ne pas aller à l'encontre de l'article 35? De toute évidence, nous n'en avons pas besoin, car nous ne pouvons jamais enfreindre la Constitution. La Charte des droits et libertés se trouve dans la Constitution et l'article 35 s'applique aux autochtones. Que vous disiez que vous avez une disposition dérogatoire ou non ne change rien au fait que c'est la Constitution qui, toujours, l'emporte.
Mme Grenier: C'est une répétition de l'article 35, rien de plus. Cette disposition sert uniquement à rassurer ceux qui s'inquiètent à propos de leurs droits. Nous avons prévu cette disposition en plus de l'article 35, de manière à les protéger. Vous avez parfaitement raison, nous n'en avions pas besoin; elle ne sert qu'à rassurer et à donner plus de certitude. Rien ne devrait et ne sera modifié; c'est la raison d'être de cette disposition.
Le sénateur Beaudoin: Vous êtes d'avis que le projet de loi, tel que libellé, ne va pas à l'encontre de l'article 35.
Mme Grenier: Il ne le devrait pas. Nous allons voir ce que les autres groupes vont négocier. Ils peuvent parvenir à une entente sur laquelle ce projet de loi pourrait influer; en pareil cas, nous reprendrons toute la question. Un autre groupe pourrait invoquer cette disposition afin de conserver les droits de chasse que nous n'avons pas pris en compte ou que nous supprimons. Ils ont parfaitement le droit de revenir vers nous et à ce moment-là, nous négocierons ou irons en cour. Il est à espérer que nous négocierons tout en convenant que nous avons retiré un de leurs droits. Nous réglerons la question. C'est notre objectif.
M. Dunlop: Je vais vous donner deux exemples sur la façon de traiter des droits ancestraux. L'un est dans la loi et l'autre dans les règlements sur lesquels nous travaillons. Les articles 73, 74 et 75 visent les droits des autochtones sur les eaux. Ils n'ont pas besoin de se trouver dans ce projet de loi; ils ont été créés, formés. Ces droits figurent dans les accords de revendication eux-mêmes. Il est toutefois très rassurant de savoir qu'en répétant ces droits ancestraux dans la loi, n'importe quel lecteur, n'importe quelle personne ayant besoin de la loi, en est ouvertement informé et n'a pas besoin d'aller vérifier l'accord de revendication. Ces droits n'ont pas besoin d'être spécifiés ici, mais il est rassurant de les y trouver.
Les règles d'utilisation du sol stipulent qu'elles ne doivent pas entraver les droits de chasse, de pêche, de trappage ou d'autres droits des autochtones sur les terres publiques ou les terres conférées par entente. Il est inutile d'avoir un permis pour s'adonner à des activités de cette nature. Vous avez parfaitement le droit de faire du trappage, sauf si bien sûr vous vous servez d'un bulldozer ou d'explosifs à cet effet. Vous n'avez pas besoin de faire une demande de permis ou de donner un préavis.
Le sénateur Andreychuk: Si je comprends bien, grâce à ce projet de loi, les Premières nations ont davantage voix au chapitre. Vous n'essayez pas d'empêcher les autochtones de continuer à négocier des accords de revendication.
M. Dunlop: Absolument.
Le sénateur Andreychuk: Ce qui m'inquiète, c'est que vous avez prévu tellement de dispositions non dérogatoires, de dispositions visant à rassurer les gens, que le projet de loi est très déroutant. D'un point de vue juridique, nous avons l'article 35 de la Constitution, nous avons des accords, nous avons d'autres projets de loi et ententes qui l'emportent. Vous a-t-on dit qu'aucune des dispositions que vous avez ajoutées dans l'accord retire ou, au contraire, ajoute des droits?
M. Dunlop: Je crois qu'il est clair que nous avons ajouté des droits. Nous avons certainement donné aux Premières nations qui n'ont pas encore négocié d'accord de revendication la possibilité de siéger au sein des offices et de prendre des décisions réglementaires au sujet des terres et des eaux. C'est nouveau.
Les accords de revendication l'emportent. C'est l'accord final de revendication conclu avec les Gwich'in et les Sahtu qui est protégé par la Constitution. Les droits découlant de l'article 35 ont été créés par ces traités modernes.
S'il y a divergence entre l'accord de revendication et le projet de loi, la loi de ratification de 1992 ou la loi ratifiant l'accord de revendication des Sahtu en 1994, c'est l'accord de revendication qui l'emporte. S'il y a incompatibilité entre l'accord de revendication et le projet de loi C-6, Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie, c'est l'accord de revendication qui l'emporte en vertu de la protection qui lui est conférée par l'article 35.
Le sénateur Andreychuk: Je vais vous demander maintenant d'essayer de me rassurer. J'examine l'article 8 du projet de loi C-6 qui oblige le ministre fédéral à consulter les Premières nations dans le cadre des négociations.
En vertu de l'article 35, les peuples autochtones doivent être consultés si un droit ancestral issu de traités est entravé de quelque façon que ce soit. L'article 35 ne définit pas leurs droits ni non plus le processus de consultation. Je crois que les tribunaux ont examiné les précédents, les traditions, les usages ainsi que des projets de loi comme celui-ci, pour arriver à la définition de la consultation juste et équitable.
En énonçant un moyen de consultation, n'êtes-vous pas en fait en train d'inviter les tribunaux à considérer que la consultation est suffisante, empêchant ainsi tout autre moyen de consultation en vertu de l'article 35?
M. Dunlop: L'article 8 reflète un engagement pris par le ministre, qui prend la responsabilité de consulter. Il ne précise pas comment. Il pourrait y avoir plusieurs moyens ou approches, mais ils doivent correspondre à la définition de consultation sur une revendication territoriale, telle que prévue par la loi.
Le paragraphe 5(1) aborde la question d'incompatibilité et précise ce qui l'emporte.
Le paragraphe 5(2) stipule qu'il n'est pas question de porter atteinte aux droits ancestraux existants ou issus de traités. Quels qu'ils soient, indépendamment de la contestation dont ils peuvent faire l'objet, qu'un tribunal conclue qu'ils existent ou en précise la portée, il n'était pas question pour nous d'y porter atteinte, quels qu'ils soient, et indépendamment de ce qu'ils peuvent devenir.
Contrairement à l'arrêt de la Cour suprême auquel vous pouvez penser, l'arrêt Sparrow, s'il y a atteinte à un droit ancestral existant, plusieurs critères permettent de savoir si une telle atteinte est justifiable ou non. Il existe plusieurs critères à cet égard, l'un d'eux étant que si le Parlement adopte une loi qui porte atteinte à un droit ancestral, il doit le faire sciemment. Nous disons juste le contraire. Nous ne cherchons pas à porter atteinte aux droits. Nous le disons franchement et il n'y a pas à s'y tromper; nous n'essayons pas de porter atteinte à un droit ancestral.
Le sénateur Andreychuk: En raison de la complexité du processus que vous avez prévu dans ce projet de loi, vous créez un précédent pour les négociations futures et peut-être les futurs accords de ce genre, surtout si les peuples autochtones l'acceptent. Vous pouvez alors leur dire: «Vous avez accepté ce processus; il est donc valide.»
M. Dunlop: À mon avis, la disposition non dérogatoire est un exemple. Ces sortes de dispositions étaient quelque peu nouvelles il y a cinq ou six ans, et nous en sommes arrivés au point où, si notre ministère présente ou rédige une loi sans disposition non dérogatoire, certains peuvent penser qu'on leur cache quelque chose. Nous sommes pratiquement tenus d'en prévoir, de faire en sorte que nous exposons tout ouvertement: nous n'essayons pas de déroger aux droits de qui que ce soit, de les entacher ou de les abroger.
Le processus de négociation continue de reposer sur deux politiques: la politique relative à la revendication territoriale globale et la politique du droit inhérent. Les négociations se poursuivent. Nous préférons toujours négocier les accords de revendication au lieu de nous en remettre aux décisions d'un tribunal, tout comme les peuples autochtones, je crois. Je ne pense pas que le processus ait changé.
Le sénateur Andreychuk: Vous a-t-on certifié que cette loi respecte la Charte des droits et libertés?
Mme Grenier: Je ne sais pas si nous avons un certificat.
Le sénateur Andreychuk: Mis à part la Charte des droits et libertés, comment les droits des peuples non autochtones qui vivent dans les régions visées sont protégés et comment seront-ils contactés?
Il y a des peuples autochtones qui ne croient pas au processus menant à la signature des accords. Sont-ils obligés de conserver le statu quo ou ont-ils un autre moyen de régler les questions de l'eau?
M. Dunlop: Je vais m'attaquer à la deuxième partie de votre question en premier lieu. Les autochtones disposent de deux moyens. Le premier consiste à devenir membres des offices et le deuxième à participer aux audiences publiques et à faire des interventions devant l'office au sujet de toute question relative à l'eau qui serait à l'étude.
Les non-autochtones sont libres de se porter candidats à ces offices. Ils sont aussi libres d'assister aux réunions et aux audiences publiques et de faire des interventions. La création de l'Office d'examen des répercussions environnementales ne change rien à l'accès au système et au processus.
Le sénateur Andreychuk: Par contre, rien n'exige que l'on communique avec eux si leurs droits ou l'aménagement territorial sont touchés.
M. Dunlop: Non. Les offices publient les avis dans un journal à grand tirage de la région, toutefois. Ils tiennent également un registre que le public peut consulter pour savoir quels permis ont été demandés ou pour obtenir un exemplaire des projets de développement. Ce sont là les deux moyens de se renseigner à l'avance sur toute audience, réunion ou examen tenu par des commissions régionales. La pratique ne change pas. Il faut tenir un registre auquel le public a accès et publier des avis.
Le sénateur Andreychuk: Est-il juste de dire que le projet de loi à l'étude délègue simplement le pouvoir de gestion de ces ressources du régime actuellement en place à de nouveaux offices? Ainsi, il suffirait d'adopter un autre projet de loi pour abolir ces droits.
M. Dunlop: Non. Il n'en est pas question. Le projet de loi à l'étude représente une substitution directe. Il remplace le régime actuellement administré par le ministère par un office de gouvernement populaire.
Le sénateur Andreychuk: Dans sa grande sagesse, le Parlement pourrait par la suite abroger le projet de loi C-6. Le système actuel serait-il rétabli ou le système en place, modifié?
M. Dunlop: Malgré tout le respect que j'ai pour le Parlement, il le ferait à ses risques et périls.
Le sénateur Andreychuk: Vous parlez de risques et périls sur le plan politique?
M. Dunlop: Non. Je parle de déboires juridiques, parce que l'office est prévu au chapitre 25 de la revendication territoriale que voici et au chapitre 25 de celle-là. Le régime de gestion des terres et des eaux et ces trois offices en sont l'aboutissement immédiat. Le Canada est obligé de les instituer par voie législative.
Le sénateur Andreychuk: Dans ces deux régions?
M. Dunlop: Oui.
Le sénateur Andreychuk: Qu'en est-il des autres régions?
M. Dunlop: L'Office d'examen des répercussions environnementales qui découle de ces deux revendications territoriales vaut pour toute la vallée. La fonction d'évaluation environnementale n'est pas répartie entre plusieurs offices distincts.
Il y a un seul écosystème dans la vallée. Il y a un seul fleuve. Je ne puis concevoir que l'on fasse marche arrière, que l'on ne respecte pas cette obligation. Il n'y a pas un tribunal au pays qui validerait une pareille décision. L'idée est si contraire et si pernicieuse que je n'arrive même pas à l'imaginer.
Le sénateur Taylor: Madame Grenier, comment définit-on les terres dans le projet de loi à l'étude? Comprennent-elles les droits pétroliers et gaziers?
Mme Grenier: Parlez-vous de ce qui se trouve à la surface de la terre?
Le sénateur Taylor: Je parle uniquement de ce qui se trouve à la surface. Le mot inclut-il les lits de pierre, le gravier et le charbon?
Mme Grenier: Cela ferait partie de la terre. La surface est définie dans l'entente, et ces choses en feraient partie.
Le sénateur Taylor: À quelle profondeur faut-il descendre avant que cela cesse d'être en surface? La question a été plutôt pertinente en Alberta. Il a fallu bien des poursuites judiciaires pour en arriver à une définition de la surface et du sous-sol.
M. Dunlop: Quelle est la différence entre retirer du gravier de votre terre et faire de l'extraction? Comment fait-on la distinction?
Le sénateur Taylor: Exactement. La question revêt beaucoup d'importance pour l'emploi et pour les redevances touchées par les personnes visées.
M. Dunlop: Il y a deux points à retenir. Quand les Gwich'in et les Sahtu ont choisi les terres, ils en ont choisi deux genres. Certaines terres comprenaient à la fois les droits de surface et les droits d'exploitation du sous-sol alors que d'autres ne donnaient droit qu'à la surface. Deux points entrent en ligne de compte lorsque les bénéficiaires détiennent les droits de surface et la Couronne, les droits rattachés au sous-sol. Tout d'abord, le Canada n'autoriserait pas la prospection sur ces terres sans l'approbation, le consentement et la participation du propriétaire des droits de surface. De plus, on est en train de rédiger une loi qui instituera un tribunal des droits de surface en vue de résoudre tous les litiges concernant l'accès qui surviennent entre une entreprise de prospection privée et le titulaire des droits de surface. Le tribunal s'inspirera en partie du modèle de l'Alberta et de la Saskatchewan.
Le sénateur Taylor: Il ne sert à rien d'acheter les droits d'exploitation du sous-sol du gouvernement fédéral si vous n'avez pas ceux de surface. La question pose des problèmes à bien des égards.
Je reviens tout juste d'Afrique où la vieille définition de la terre qu'avaient adopté les Britanniques ne tient plus. Les développeurs offrent souvent aux autochtones une redevance de 1 ou de 2 p. 100. Cela leur facilite la tâche, puisque les gouvernements ont tendance à prendre l'argent et à oublier ceux qui vivent sur ces terres. Ils sont en train de négocier plus de marchés du genre parce qu'ils profitent de la richesse minérale étant donné que la terre leur appartient.
Quand il est question d'aménagement territorial, le projet de loi à l'étude ne semble pas tenir compte de l'avenir. Est-ce que je fais erreur?
M. Dunlop: Oui. Les ententes conclues pour régler les revendications exigent que, plutôt que de toucher une part des redevances sur chaque parcelle, les Gwich'in touchent un pourcentage fixe de toutes les redevances tirées de l'exploitation du gaz, du pétrole et des minéraux de toute la vallée du Mackenzie. Si je ne m'abuse, les Gwich'in touchent 6 p. 100 et les Sahtu, 7 p. 100.
Le sénateur Taylor: Les Sahtu ont déjà signé un marché avec certains.
Quand on construit un barrage, il franchit la terre qui se trouve sous l'eau. Selon l'interprétation qu'en font les gouvernements de l'Alberta et de la Saskatchewan, la terre qui se trouve sous l'eau n'est pas visée par le traité territorial ou par la cession aux autochtones.
M. Dunlop: Nous avons réglé ce problème. Dans la revendication territoriale, on définit quelles sections incluent les nappes d'eau et lesquelles n'en incluent pas. La définition est claire, particulièrement dans le cas des Gwich'in du delta du Mackenzie où presque la moitié des terres se trouvent, en fait, sous l'eau. Quand ils ont choisi un ensemble de terres qui comprend un certain nombre de petits lacs, le lit des cours d'eau est inclus.
Le sénateur Taylor: Je persiste à avoir l'impression qu'Ottawa dirige tout. Ainsi, on peut lire à l'article 12 du projet de loi, c'est-à-dire dans la partie des dispositions générales concernant les offices:
Le ministre fédéral nomme le président de l'office parmi les présidents proposés par la majorité des membres de celui-ci.
Cela paraît fort bien, sauf que, si on poursuit la lecture:
À défaut, dans un délai suffisant, de propositions qu'il juge acceptables, le ministre fédéral peut d'autorité choisir le président.
Par conséquent, si la personne qui me semble acceptable n'est pas portée candidate, je peux faire comme il me plaît. C'est un droit fictif.
M. Dunlop: Pas du tout. C'est une main de fer dans un gant de velours, à un tout autre sujet. Il ne faut pas que l'inaction entrave le fonctionnement d'un office de gouvernement populaire. Il ne faut pas qu'il y ait d'impasses. Il ne faut pas que les gens se cantonnent dans des positions.
Le sénateur Forest: J'ai deux sources de préoccupation. Si j'ai bien compris, il faut que nous adoptions ce règlement en raison des ententes conclues dans le cadre des revendications territoriales avec les Gwich'in et les Sahtu. Ceux qui ne sont pas partie à ces ententes préféreraient qu'elles ne s'appliquent pas à eux jusqu'à ce qu'ils aient réglé leurs propres revendications territoriales. Par contre, les Sahtu et les Gwich'in disent qu'ils en ont assez et qu'il faut qu'il y ait un seul régime.
Vous en êtes arrivé à un stade où vous avez dit que chacun des groupes aurait son propre office des eaux. Je me demande comment cela cadre avec un régime unique et si cela ne va pas tout bousiller.
M. Dunlop: C'est effectivement un office des terres et des eaux. Prenons l'exemple du Deh Cho. Le gouverneur en conseil peut, s'il le souhaite, créer un office des terres et des eaux du Deh Cho. Du moment qu'il est créé, il devient d'office une commission permanente de l'Office des terres et des eaux de la vallée du Mackenzie. Si les projets de développement visent cette région, la commission tiendra des audiences. Elle prendra la décision, toujours en fonction du projet de loi à l'étude, de la Loi sur les eaux des Territoires du Nord-Ouest, de même que des lignes directrices et des orientations adoptées par l'office pour toute la vallée. Cette façon de faire est censée garantir la cohérence. Il n'y aura qu'un seul moyen de délivrer un permis d'eau, pas trois ou quatre. Nous n'allons pas découper l'eau en petites parcelles.
Le sénateur Forest: Si l'une des formations faisait une recommandation qui entrait en conflit avec la politique générale en matière d'eau, suite ne serait pas donnée à la recommandation.
M. Dunlop: Non, effectivement.
Le sénateur Chalifoux: Pour continuer dans la même veine que le sénateur Adams, le projet de loi à l'étude mettra-t-il en place un cadre qui permettra, en bout de ligne, le transfert total de la compétence à l'égard de cette ressource au gouvernement des Territoires du Nord-Ouest?
M. Dunlop: Il faut que le projet de loi soit adopté, que les offices soient en place et que l'on se familiarise avec leur fonctionnement. Il faut aussi que soient conclues les ententes concernant les revendications territoriales et l'autonomie gouvernementale. Il nous faut avoir un certain degré de certitude quant aux autres initiatives en cours.
Il faudrait ensuite avoir une petite idée du stade où en est le développement constitutionnel des Territoires du Nord-Ouest. Il faut d'abord mettre en place de nombreux accords de base. C'est alors que l'on pourra procéder à une dévolution avec une certaine assurance.
Le sénateur Andreychuk: Vous êtes en train de dire essentiellement que ceux qui ne signent pas des ententes de règlement des revendications territoriales, qui n'étaient pas satisfaits du processus à l'époque et qui poursuivent leurs revendications, se sont fait en réalité couper l'herbe sous les pieds par ceux qui ont signé les ententes.
M. Dunlop: Non, ce n'est pas ce que je dis du tout.
Le sénateur Andreychuk: Vous dites que la façon dont ils gèrent leurs eaux va en être affectée.
M. Dunlop: Comment le gouvernement envoie-t-il un message immédiat? Tout n'est pas sur la table. Nous allons suivre la politique des revendications territoriales globales, que tout le monde connaît depuis 10 ans.
Nous négocierons à la table. Si certains s'y intéressent, nous négocierons avec eux. S'ils ne sont pas intéressés, il n'y aura pas de négociations. Nous avons des pourparlers avec certains groupes au sujet de la négociation. Avec d'autres, nous sommes vraiment en train de négocier.
Nous mettrons en oeuvre les ententes conclues au sujet des terres. Nous prenons cette obligation au sérieux, même si nous avons peut-être tardé à le faire. Le Canada assumera les obligations qu'il a contractées.
Le sénateur Andreychuk: Ce n'est pas de cela que je parle. Nous avons signé deux ententes, et d'autres groupes ne l'ont pas fait. En signant ces ententes, nous changeons la façon dont ces groupes qui n'ont pas encore négocié gèrent leurs eaux et leurs terres. Nous avons élargi la portée des ententes d'un groupe aux activités d'autres groupes à déterminer. Vous m'avez dit que le processus était irréversible.
M. Dunlop: Il est irréversible pour les Gwich'in et les Sahtu. C'est leur revendication territoriale.
Le sénateur Andreychuk: Effectivement, et c'est bien ainsi puisqu'ils ont conclu des ententes. Cependant, vous dites que le processus est irréversible pour les autres qui n'ont pas signé d'ententes.
M. Dunlop: Ce n'est pas ce que j'ai dit. Je ne vois pas très bien où vous voulez en venir.
Le sénateur Chalifoux: Je puis peut-être vous aider à comprendre. Où se situe la North Slave Metis Alliance dans ce cadre, maintenant et à l'avenir? C'est exactement ce dont parle le sénateur Andreychuk. L'alliance n'a pas eu l'occasion d'entamer les négociations concernant ses propres revendications territoriales.
M. Dunlop: Nous aimerions qu'ils commencent au moins à négocier leur représentation au sein d'un Office des eaux et des permis pour la région de North Slave et au sein de l'Office d'examen des répercussions environnementales. J'ignore s'ils s'intéressent beaucoup à l'aménagement territorial.
Le sénateur Chalifoux: Oui, ils s'y intéressent.
M. Dunlop: Certains ne s'y intéressent pas. Ils n'ont pas manifesté le moindre intérêt. Il n'existe de pareils offices que pour les Gwich'in et les Sahtu pour l'instant.
Le sénateur Chalifoux: J'aimerais vous poser une brève question au sujet de l'environnement. Les articles 141 et 142 du projet de loi à l'étude portent sur les projets de développement réalisés à l'échelle de la région et à l'extérieur. Ces articles garantissent-ils l'exécution d'un examen global des éventuelles répercussions environnementales de ces projets, quel que soit leur emplacement?
M. Dunlop: Oui.
Le sénateur Chalifoux: L'examen relèverait-il de ces offices à ce moment-là? On s'apprête à réaliser beaucoup de projets de développement dans ces régions. Les études des répercussions environnementales relèveraient-elles des offices ou du gouvernement fédéral?
M. Dunlop: Pour ce qui est de l'examen des répercussions environnementales -- la troisième étape, c'est-à-dire la plus importante, celle des audiences publiques --, le mandat serait défini à la fois par les offices et par le ministre. Il faudra qu'ils s'entendent à ce sujet.
Quand le projet dépasse les limites territoriales, quand il porte sur une étendue plus grande que la vallée du Mackenzie, quand il déborde dans le Nunavut, au Yukon, dans la région d'établissement visée par le règlement de la revendication foncière des Inuvialuit ou dans une province, nous avons le choix soit de collaborer, de coopérer directement ou d'effectuer un examen conjoint.
Le sénateur Chalifoux: Je vous remercie.
Le sénateur St. Germain: Les sénateurs Andreychuk et Chalifoux ont posé la question que je souhaitais vous poser. Le fait de venir ici et d'affirmer que la loi est définie par ces deux documents, ne courrez-vous pas le risque que cela soit perçu comme un affront par les autres peuples qui n'ont pas signé d'entente? Ne croyez-vous pas que cela pourrait nuire à la bonne foi lors de futures négociations de revendications territoriales? Il me semble que ce serait le cas. Je ne cherche pas un affrontement. Je pose simplement la question.
M. Dunlop: J'espère qu'on ne le verra pas comme un affront, car ce n'est pas notre intention. En agissant ainsi, nous partons d'un bon principe et faisons de très sérieux efforts en vue de mettre en place un seul régime de cogestion pour toute la vallée du Mackenzie.
Le sénateur St. Germain: J'espère que les événements vous donneront raison, monsieur.
Le président: Il y a un point que j'aimerais aborder.
Je crois bien comprendre ce dont vous parlez. D'une part, il faut faire de votre mieux pour annoncer au nom du ministère l'intention du gouvernement et, d'autre part, il faut donner suite aux ententes déjà signées. Cela oblige le ministère à aller de l'avant avec le texte de loi. Par contre, un groupe de peuples n'a pas encore signé d'entente, et vous aimeriez les inviter à la table pour négocier un accord dans les trois domaines que vous avez mentionnés.
Toutefois, j'y vois un problème parce que, quelle que soit l'interprétation que vous faites de cette mesure législative, vous êtes en train de dire au public: voici ce que nous avons l'intention de faire et il faudrait que les autres groupes essaient maintenant de négocier avec nous.
Vous essayez de faire adopter une loi, une loi qu'il sera presque impossible de révoquer ou de modifier, une fois adoptée. Le sort de ceux qui ne sont pas visés par cette loi est vraiment préoccupant. Il faudra trouver une solution. Avec un peu de chance, avant d'en avoir fini avec ce texte de loi, nous aurons de véritables recommandations à faire.
Vous aurez de nos nouvelles, ou nous vous réinviterons peut-être à venir témoigner plus tard. Je vous remercie beaucoup.
La séance est levée.