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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 7 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 26 mai 1998

Le comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui à 10 heures pour étudier le projet de loi C-6, Loi constituant certains offices en vue de la mise en place d'un système unifié de gestion des terres et des eaux de la vallée du Mackenzie et modifiant certaines lois en conséquence.

Le sénateur Charlie Watt (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Nous recevons ce matin deux groupes de témoins. Comme c'est notre première expérience avec la téléconférence, nous vous prions d'être indulgents.

M. Bill Erasmus, chef national, nation des Dénés des Territoires du Nord-Ouest: Bonjour, honorables sénateurs.

Le président: Le sénateur St. Germain a déjà une question. Je vais lui permettre de la poser.

Le sénateur St. Germain: Monsieur le président, avant de commencer, j'aimerais saluer ce matin le groupe à Yellowknife. Monsieur Erasmus, c'est un plaisir que d'être en communication avec vous et votre délégation par le biais de cette nouvelle technologie.

Voici ma question, monsieur le président: J'ai appris que le ministère est déjà en train de publier des avis de concours en vue de combler les postes aux offices proposés qui découleront de cette mesure législative. Si c'est vrai, je trouve cela très insultant pour le processus parlementaire. Je suis d'avis que c'est manquer d'égard envers ces gens et envers tous les témoins qui ont comparu devant nous, si le gouvernement est déjà en train d'aller de l'avant, supposant que le projet de loi va être adopté sous sa forme actuelle.

Dans cet esprit, je vous demande, monsieur le président, de vérifier si l'information que j'ai reçue est véridique. Si elle l'est, je crois que le ministère des Affaires indiennes et du Nord et le gouvernement en général sont vraiment présomptueux et irrespectueux envers le Parlement dans son ensemble. Je crois que nous devrions suivre l'affaire. Je vous demande de considérer ma requête.

Le sénateur Andreychuk: J'ai moi aussi un problème qui a trait à certains documents qui nous ont été envoyés par télécopieur. Je crois comprendre qu'ils nous ont été transmis par le comité des affaires autochtones. Il y avait une lettre du Aboriginal Affairs Group Inc. de même qu'une note d'information. J'aimerais savoir de qui nous vient la note d'information et comment elle est parvenue à notre bureau. Elle semble avoir été envoyée à partir du télécopieur du comité des affaires autochtones.

M. Tõnu Onu, greffier du comité: De quel document s'agit-il? Quel est le titre du document?

Le sénateur Andreychuk: Il est intitulé: «Briefing Update on Dogrib Proposal to Amend C-6» (Mise à jour sur la proposition des Dogrib en vue d'amender le projet de loi C-6).

M. Onu: Non, cela n'a pas pu venir du comité.

Le sénateur Andreychuk: Le numéro de télécopie qui figurait sur le document était le (613) 236-9837. Pourriez-vous trouver l'origine de ce document pour les membres du comité? Ce qui me préoccupe, c'est que tant la lettre que la note d'information font des suppositions à propos de ce comité, lesquelles, à mon avis, sont erronées. Le comité n'a pas accepté la proposition du sénateur Austin. En fait, nous avons discuté de cette proposition avant même que le sénateur Austin assiste à une de nos séances. La proposition est venue d'autres sources. Même si elle traduit peut-être bien ce que nous entendons peut-être vouloir faire, la lettre laisse supposer que notre idée est déjà faite sur la question. Pour ma part, comme le sénateur St. Germain l'a dit, je m'inquiète de ce que notre impartialité soit compromise par des négociations entre les Dogrib et les négociateurs fédéraux.

J'aurais aimé que le sénateur Austin soit ici pour nous expliquer s'il en sait plus à ce sujet. Il n'a pas participé à nos séances antérieures. Il a assisté à une séance du comité, proposé une proposition valable, et je présume qu'il l'a fait de son propre chef et non pas pour le compte de quelqu'un d'autre. J'aimerais en savoir plus.

Je tiens également à préciser que je ne pense pas que nous puissions faire d'arrangements spéciaux avec les Dogrib. Nous évaluons la mesure législative et son bien-fondé. Personnellement, j'aimerais entendre tous les groupes et garder l'esprit libre quant à nos choix relativement à la mesure. Je ne me ferai une idée que lorsque nous aurons entendu tout le monde.

Il n'y a pas de consensus dans ce groupe; nous sommes encore en train d'étudier toutes les options, du moins de mon point de vue, sur le projet de loi C-6. Je veux que cela soit clairement noté. Avant la fin de nos audiences, j'aimerais connaître la source de ces documents, avant d'aller plus loin.

Le président: Sénateur, nous finirons par trouver la source des documents et comment ils nous sont parvenus. En outre, il est vrai que nous n'avons encore rien décidé à propos du projet de loi. Il nous faut entendre tous les exposés et tous les points de vue. À cet égard, je crois que le sénateur Forest a un argument à faire valoir.

Le sénateur Forest: J'ai moi aussi des questions concernant ces documents qui m'ont également été envoyés par télécopieur. Je crois comprendre qu'il y a eu des négociations entre le ministre des Affaires indiennes et les Dogrib et qu'ils s'attendaient à ce que quelque chose soit conclu avant aujourd'hui. Quelqu'un en sait-il plus à ce sujet?

Le président: Pas que je sache. Je sais de façon certaine que plusieurs négociations se tiennent avec le ministère, pas seulement avec ce groupe particulier mais également avec d'autres groupes. Quant à savoir quelle orientation prendront ces négociations, relativement à ce projet de loi, cela reste à voir. Nous n'en sommes pas encore au point de pouvoir conclure quoi que ce soit.

Le sénateur Forest: Non, bien entendu. Je me demandais seulement si l'on en savait davantage sur l'état des négociations.

Le président: Pas que je sache, à moins que certaines de nos personnes-ressources aient d'autres renseignements. Le sénateur Andreychuk a mentionné que cette option ne vient pas nécessairement du sénateur Austin. À notre première réunion, nous en avions parlé en termes généraux entre nous. Nous l'avions incluse au nombre des options possibles que nous pourrions envisager -- après avoir demandé à la ministre de voir si elle pouvait faire preuve d'une certaine flexibilité dans ce domaine.

Jusqu'ici, nous sommes encore loin d'en être arrivés à une conclusion. Chef Erasmus, la parole est à vous.

M. Erasmus: Merci, monsieur le président. Je vais vous présenter les membres de notre délégation et vous donner ensuite l'ordre dans lequel les exposés seront faits. Du territoire des Akaitchos et du Deh Cho, l'aîné Leo Norwegian de Fort Simpson, le grand chef Mike Nadli du Deh Cho, le chef Lloyd Chicot de la communauté de Kakisa du Deh Cho, le chef Greg Nyuli de la communauté de Fort Providence et le grand chef Felix Lockhart du territoire des Akaitchos. Il se peut qu'un certain nombre d'autres représentants se joignent à nous un peu plus tard.

Dès le départ, j'aimerais vous parler de ce qui se passe dans le Nord, dans ce que nous appelons Denendeh. Au début des années 70, les Dénés ont contesté les traités 8 et 11. Le Canada nous avait signalé que nous avions cédé nos terres et que nous avions perdu nos droits ancestraux et issus de traités. Nous étions évidemment d'un avis différent et, finalement, nous nous sommes retrouvés devant les tribunaux. Le juge Morrow, qui a entendu l'affaire, après avoir étudié la preuve et entendu les deux parties, a décrété que le titre était toujours en vigueur, et que nous avions encore un intérêt dans la terre. Si vous vous rappelez, cela s'est passé à peu près au même moment que l'affaire Calder en Colombie-Britannique.

Donc, le gouvernement de l'époque, qui était un gouvernement libéral dirigé par le premier ministre Trudeau, et dont Jean Chrétien était le ministre, a commencé à élaborer une politique de revendications territoriales pour traiter avec des gens comme nous qui n'avaient jamais réglé la question des terres et des ressources.

Nous avons alors commencé à négocier avec le Canada. Le gouvernement a également invité d'autres peuples à la table des négociations, les peuples inuits du Yukon, les Nishgas, et cetera. Nous avons pas mal négocié jusqu'en 1990, date à laquelle nous avions paraphé un accord final et exercions de fortes pressions sur le gouvernement, insistant sur le fait que nous ne renoncions d'aucune façon à nos droits par le biais de ce processus.

N'étant pas d'accord avec cela, le Canada a fini par changer le processus de négociations. Il a refusé de négocier avec nous. À la place, plutôt que de nous réunir tous à une seule table, il a mis au point un nouveau processus par lequel nos organismes régionaux seraient les interlocuteurs pour la négociation. C'est pourquoi il y a maintenant pour la vallée du Mackenzie cinq discussions territoriales régionales différentes en cours. Les Gwich'in et le Sahtu ont conclu leurs accords en matière de terres et de ressources.

Cela nous amène au projet de loi C-6, qui découle des accords conclus par les Gwich'in et le Sahtu. On cherche à élaborer un système de gestion des terres et des eaux pour régir leur territoire de même que les territoires situés au-delà. Ce qui inquiète ceux qui habitent la vallée hors des régions désignées, c'est que cela empiétera sur les droits des peuples représentés à cette table. Nous aimerions vous en parler. Nous évoquerons nos préoccupations lors des exposés.

Nous pourrions peut-être faire tous les exposés avant de passer ensuite aux questions.

J'invite le chef Greg Nyuli à commencer.

Le président: Le sénateur Taylor aimerait poser une question avant que vous ne fassiez votre exposé.

Le sénateur Taylor: J'aimerais que vous me nommiez ce que vous considérez être les cinq parties en cause. Vous avez mentionné les Gwich'in le Sahtu et les Akaitchos. Quelles sont les deux autres?

M. Erasmus: Il y a les Gwich'in, le Sahtu, le Deh Cho, le territoire des Akaitchos de même que les Dogrib du traité 11.

M. Greg Nyuli, chef, Conseil des Dénés Deh Gah Got'ie: Bonjour. Je m'appelle Greg Nyuli. Je suis le chef du Conseil des Dénés Deh Gah Got'ie, situé à Fort Providence dans les Territoires du Nord-Ouest. Je suis présent sur la scène politique depuis 1988 environ, quand le contrat global qui comprenait l'accord de principe a été présenté à la population.

C'est autour de 1988 également que nous nous sommes réunis à Hay River pour étudier l'accord de principe. Même à cette époque, le régime de gestion des terres proposé n'était pas vraiment acceptable pour la population. À cette époque-là, nous avons exprimé nos préoccupations dans une vaste motion énonçant ce que nous envisagions comme développement à l'intérieur de nos terres.

Depuis, j'ai également participé au niveau local, pas comme chef mais comme président de l'Office de gestion des ressources de Fort Providence. Essentiellement, cet office en particulier est chargé d'élaborer un plan de gestion intégré des ressources fondé sur les valeurs et principes des Dénés, les Dénés étant les propriétaires.

Comme chef, en 1994-1995, je n'ai jamais appuyé la mesure législative visant la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie. En fait, durant les négociations du traité numéro 8, nous nous sommes fortement opposés à cette mesure. Il en va de même des Premières nations Deh Cho dont je suis également le chef et un membre. Nous croyons que des ententes de revendication ne devraient pas être imposées à un groupe non partie à la revendication. Au Deh Cho, nous essayons toutefois avec le gouvernement fédéral de trouver un terrain d'entente pour ce qui est d'un gouvernement du Deh Cho, comprenant la gestion des ressources, des eaux et des terres.

Cela dit, je vous proposerais un changement tout simple: excluez-nous. J'aimerais vous dire Mahsi-cho et merci. J'espère que le Sénat prendra en compte nos préoccupations et suggestions. Mahsi.

M. Erasmus: L'intervenant suivant est le chef Lloyd Chicot.

M. Lloyd Chicot, chef, Première nation Ka'a'gee Tu: Bonjour. Je suis actuellement le chef de la Première nation Ka'a'gee Tu, située au sud du Grand lac des Esclaves. Nous appartenons aux Premières nations Deh Cho. Je suis honoré d'être ici ce matin pour faire un exposé au nom de nos dirigeants, qui sont réunis cette semaine à Fort Simpson dans le cadre de notre rassemblement des chefs qui se tient au printemps. À cette occasion, nous en profitons occasion pour discuter de tous les problèmes auxquels nous faisons face dans notre région. Je suis honoré d'être ici pour faire un exposé au comité en leur nom.

Comme le chef Nyuli l'a mentionné, nous étions opposés à cette mesure législative. Nous ne voulions pas y être partie. Nous sommes allés jusqu'à proposer des amendements en vue non pas de nous exclure mais d'inclure dans la mesure des éléments qui, nous le pensions, nous toucheraient. Nous voulions proposer des amendements. C'était il y a quelques mois.

Ce n'est pas notre premier exposé. Notre grand chef, accompagné d'une délégation, en a déjà fait pour notre compte.

Je suis de Kakisa, une petite communauté très traditionnelle, fondée sur les valeurs et les principes exposés dans notre proposition du Deh Cho. Comme nous sommes traditionnels, nous sommes des gens de la terre. Notre relation à la terre est sacrée. C'est l'un des principes que nous suivons.

Notre relation avec le gouvernement fédéral n'a pas été aussi bonne qu'elle aurait dû l'être. Par le passé, bien des décisions ont été prises au niveau fédéral sans que nous soyons consultés. Ils pensent avoir notre consentement et pouvoir aller de l'avant avec des décisions prises en notre nom, alors que ce n'est pas le cas. C'est là un des sujets de préoccupation sur lesquels nous avons insisté ces dernières années.

Je vais vous donner un exemple. À l'heure actuelle, avec deux autres collectivités, nous demandons une injonction de la cour contre le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, le ministre chargé du Développement économique renouvelable. Une de nos préoccupations, c'est que nous ne disposons d'aucun mécanisme pour en appeler des décisions qu'ils prennent. Ils prennent ces décisions en notre nom sans notre consentement ou sans avoir consulté nos collectivités. C'est une des raisons pour lesquelles nous demandons cette injonction du tribunal contre les Territoires du Nord-Ouest.

Comme je l'ai déjà dit, nous avons proposé des amendements au projet de loi à l'étude. Nous ne l'appuyons pas. Il va à l'encontre de tout ce que nous avons essayé d'accomplir dans notre région depuis l'accord de principe. Il supplante tout ce que nous avons essayé de faire ces dernières années. Il nous met dans la position de devoir réagir à des situations plutôt que d'être proactifs.

Si je suis ici ce matin, c'est pour que vous vous rendiez compte que nous sommes contre ce projet de loi, que nous ne l'appuyons pas. Notre grand chef vous donnera de plus amples détails. Je serai heureux de répondre aux questions que vous pourriez avoir. Mahsi.

M. Erasmus: Vous entendrez maintenant le grand chef Mike Nadli. Je crois que son exposé a été envoyé par télécopieur au comité hier de sorte que vous devriez l'avoir avec vous. La présentation du grand chef Felix Lockhart vous a également été envoyée.

M. Michael Nadli, grand chef, Premières nations Deh Cho: Honorables sénateurs, je vous dis bonjour depuis Yellowknife. Il fait beau ici aujourd'hui. C'était plutôt chaud hier. Nous nous attendons à ce que ce soit pareil aujourd'hui.

Comme le chef Erasmus l'a indiqué, je suis le grand chef des Premières nations du Deh Cho. Mahsi -- bonjour. Je vous demande d'écouter ce que nos coeurs ont à vous dire de même que nos préoccupations au sujet de ce projet de loi.

Comme les dirigeants et l'aîné respecté qui m'accompagnent, c'est la troisième fois qu'en ma qualité de grand chef du Deh Cho, je me présente devant l'État du Canada pour parler du projet de loi C-6. Nous ne pouvons donc pas assister à la première journée du rassemblement printanier des chefs à Fort Simpson. J'espère pouvoir rapporter un message positif avec moi quand je retournerai au Deh Cho et assisterai à notre réunion.

En ma qualité de grand chef m'exprimant au nom des Premières nations Deh Cho, je remercie les membres du comité de me donner cette occasion de faire un exposé sur la loi proposée sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie. Nous avons témoigné devant le comité permanent des affaires autochtones de la Chambre des communes sur cette question. Ce comité n'a pas tenu compte de nos préoccupations et c'est pourquoi nous demandons à la Chambre de réflexion d'étudier notre cas et notre désir de faire inclure nos amendements dans le projet de loi.

Avant d'entrer dans le détail des amendements proposés, je vais faire à l'intention des membres du comité un petit rappel historique de sorte que le contexte de nos amendements soit clairement compris et, je l'espère, évalué à sa juste valeur par les membres du comité.

Le Deh Cho est un vaste territoire de l'ouest de l'Arctique. Comme peuple du Deh Cho -- peuple de la rivière -- nous vivons sur nos territoires depuis des milliers d'années et nous continuons à vivre sur notre territoire et à l'utiliser. Jusqu'à la conclusion d'un traité avec la Couronne britannique, nos peuples étaient les seuls à occuper et à utiliser notre territoire. Nous n'avons jamais cédé nos terres à qui que ce soit, y compris la Couronne britannique. Quand le commissaire pour la Couronne britannique est arrivé dans notre territoire, notre souveraineté sur nos terres et nos territoires n'a pas été remise en question. La commission du traité a reconnu que nos ancêtres étaient les seuls propriétaires et occupants de notre territoire.

Compte tenu de ces faits, le commissaire aux traités a demandé à nos ancêtres de conclure des traités de paix et d'amitié avec la Couronne. Nous sommes les descendants des Dénés qui ont conclu un traité avec la Couronne britannique en 1899, 1900, 1921 et 1922. Nous, les Dénés, nous occupons nos terres depuis des milliers d'années et nous en tirons notre subsistance. Le commissaire aux traités a reçu de la Couronne le pouvoir de conclure des traités de paix et d'amitié pour que le règlement se fasse de façon pacifique. C'est une obligation qui a été définie dans la Proclamation royale de 1763, et le Canada a hérité de cette obligation lorsque la Grande-Bretagne a créé l'État du Canada en 1867.

C'est ainsi que le commissaire aux traités a demandé à nos ancêtres de conclure un traité de paix et d'amitié. Nos ancêtres ont accepté. Pendant la négociation du traité, le commissaire aux traités a assuré nos ancêtres que le mode de vie que nous connaissions depuis toujours continuerait. Nous ne devions pas être dérangés ou malmenés dans notre territoire. Nous avons accueilli chaleureusement les colons qui sont venus dans le Nord et dans notre territoire. Voilà un point qu'il faut souligner: nos peuples n'ont jamais porté atteinte aux droits des colons issus des traités, par lesquels ils pouvaient vivre en paix dans notre territoire. Nos peuples ont confirmé et accepté les droits des colons issus des traités. Nous aimerions pouvoir en dire autant des sujets de Sa Majesté. Nous avons dû mener une lutte incessante pour que le Canada respecte nos traités. Cette lutte se poursuit encore aujourd'hui.

Nous sommes d'avis que la mesure législative proposée modifiera notre relation établie par traité. Nous refusons que des changements soient apportés aux traités et à notre relation établie par traité.

Au début des années 70, les chefs et les autorités dénés se sont présentés devant les tribunaux canadiens pour faire clarifier les traités. Le Canada prétendait que les traités étaient des traités de cession de terres; nos ancêtres et nos aînés étaient convaincus que les traités étaient des traités de paix et d'amitié. Dans la désormais célèbre affaire Paulette, les tribunaux ont confirmé l'interprétation de nos ancêtres et de nos aînés; en d'autres mots, le Canada a reconnu que les traités étaient des traités de paix et d'amitié.

Les mêmes tribunaux ont exhorté l'État du Canada d'ouvrir des discussions avec les Dénés du Mackenzie afin de régler les questions en suspens concernant les terres et les ressources. Les négociations Dénés-Métis -- c'est ainsi qu'on les a appelées -- se sont poursuivies pendant des années. Ce processus s'est soldé par un échec au début des années 90, lorsque le gouvernement fédéral a refusé de retirer une disposition concernant l'abandon et la cession de nos droits de propriété à l'État du Canada. Lorsque les Dénés ont demandé que cette clause soit modifiée dans l'entente, le Canada a mis fin aux discussions et a quitté la table.

Depuis que l'État du Canada a quitté la table de négociation, les Dénés ont proposé différentes options pour que les discussions reprennent. À l'automne de 1993, l'ancien ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, Ronald Irwin, a demandé aux peuples autochtones de présenter des propositions visant à régler les questions en litige se rapportant aux traités, et c'est ainsi que les dirigeants Deh Cho ont soumis la proposition Deh Cho au début de 1994. Le but de cette proposition était de faire amorcer les discussions avec l'État du Canada sur les questions en litige se rapportant aux traités.

En juillet 1995, à l'occasion de la visite de la reine Élizabeth à Yellowknife, les dirigeants dénés ont présenté des instances à Sa Majesté relativement au défaut de l'État du Canada de s'occuper des questions en litige se rapportant aux traités. Pas plus d'une semaine suivant ces instances, le ministre des Affaires indiennes a fait des démarches pour trouver des moyens de résoudre l'impasse. Ces pourparlers ont permis de tirer au clair plusieurs points importants dont il fallait discuter, mais le processus n'a pas donné de résultats.

Selon nous, le fonctionnement du MAINC est ce qui explique surtout cette situation. Les responsables du MAINC insistent auprès des peuples autochtones pour qu'ils cèdent leurs droits à leurs terres et leurs territoires. Cette politique va à l'encontre de nos droits issus des traités. Elle va également à l'encontre de nos obligations à l'égard de nos ancêtres et des générations futures, par lesquelles nos terres et nos ressources seront protégées. La position du MAINC porte directement atteinte aux valeurs des Dénés et à nos liens spirituels avec nos terres et nos ressources. Les discussions de l'été de 1995 n'ont mené nulle part, car l'État du Canada, qui a des visées sur le Deh Cho, n'était pas prêt à changer ses politiques et ses programmes.

Si nous mentionnons les politiques et les programmes, c'est parce que l'État du Canada est tenu par la loi d'entamer avec nous des discussions sur nos terres et nos ressources. Si le Canada cherche à obtenir quelque chose du Deh Cho, il y a une procédure qu'il doit respecter. L'État doit passer par un forum public pour s'adresser à nous et pour nous présenter ses propositions dans le but d'obtenir notre plein consentement, accordé en connaissance de cause. L'État n'a pas respecté ses propres obligations légales à cet égard et par rapport au projet de mesure législative que nous examinons.

Les pourparlers qui ont commencé à l'été de 1995 n'ont pas été productifs. Pendant plus de deux ans, l'État du Canada a refusé de parler au Deh Cho. Il ne s'est rien passé jusqu'à l'automne de 1997. Le nouveau ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, Jane Stewart, a fait des démarches dans le but de répondre à notre proposition. Le ministre a nommé un envoyé pour discuter de la proposition Deh Cho avec les dirigeants et les citoyens du territoire Deh Cho. Ce travail se poursuit en ce moment dans le Deh Cho. Nous espérons qu'il pourra être terminé dès le début de juillet 1998.

Si nous retraçons l'histoire de la proposition Deh Cho et de nos rapports avec l'État du Canada, c'est pour bien situer le processus actuel. Pendant que nous étions là à attendre que commencent les pourparlers avec le Canada au sujet de ce qu'il veut et de ce qu'il lui faut dans le territoire Deh Cho, les fonctionnaires du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien étaient là à élaborer cette législation derrière notre dos. Le projet de loi C-6 ne jouit pas de l'aval de nos dirigeants et de nos citoyens, même si les responsables du ministère veulent faire croire que c'est le cas.

À l'été de 1997, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien nous a envoyé un exemplaire du projet de loi par poste prioritaire. Nous n'y voyons pas une méthode de consultation acceptable. Aux termes de la Proclamation royale de 1763, les changements qui visent les terres doivent être effectués par le biais d'un forum public où la population peut participer. L'assemblée annuelle du Deh Cho a eu lieu à la fin d'août 1997 et aucun représentant de l'État du Canada ne s'y est présenté pour déposer le texte de loi proposé ou pour communiquer des renseignements à nos dirigeants. Ils ont choisi plutôt de procéder de façon cavalière et sans même respecter leurs propres obligations légales.

Dans la lettre d'accompagnement signée par Gary Nicholl, directeur intérimaire de la Politique des ressources et des transferts au MAINC, on affirme que le document est envoyé «dans le but de poursuivre la consultation avec vous sur la législation proposée». De plus, on nous dit dans la lettre que si nous avons d'autres observations que nous aimerions leur présenter, nous devrions les leur envoyer directement.

Il y a plusieurs choses à noter ici: premièrement, la réception d'une enveloppe par poste prioritaire dont le contenu est inconnu ne constitue en aucune façon un accusé de réception de documents servant à la consultation. Cette façon de procéder ne respecte aucune norme juridique en matière de notification, à moins que nous ayons une réponse à la question suivante: le ministère des Affaires indiennes pratique-t-il une norme de notification inférieure à ce qui est accepté aujourd'hui dans notre système juridique? Pour nous, la poste prioritaire n'est pas une méthode acceptable.

Deuxièmement, nous tenons à faire remarquer que le Deh Cho a un droit issu de traité par lequel il doit donner son consentement à tout changement apporté à la relation définie par traité. L'envoi d'une enveloppe par poste prioritaire ne répond pas au critère, énoncé dans la Proclamation royale de 1763, selon lequel il doit y avoir un plein consentement formulé en connaissance de cause à l'occasion d'une assemblée ouverte et publique des citoyens du Deh Cho.

Troisièmement, l'État du Canada n'est pas propriétaire des terres et des ressources de la région du Deh Cho et n'a pas de compétence législative lui permettant de légiférer ou d'adopter des lois visant un territoire qui ne relève pas de lui.

Quatrièmement, les dirigeants du Deh Cho n'ont jamais reconnu que d'autres dirigeants -- Gwich'in et Sahtu -- avaient le droit de donner leur consentement au nom du Deh Cho.

En réalité, cette législation est une méthode de pleutre pour régler les questions concernant les terres et les territoires du Deh Cho. Le Canada cherche à éviter de discuter des vraies questions entourant l'application des traités.

Les dirigeants du Deh Cho sont parfaitement au courant de l'histoire législative de la mesure proposée. L'État du Canada a des obligations légales à respecter à l'égard des Gwich'in et du Sahtu. Lorsque les Gwich'in et les peuples du Sahtu négociaient avec le Canada, nos chefs ne les avaient pas autorisés à inclure nos peuples dans les discussions. Au fait, les accords qu'ils ont conclus se rapportent très précisément à leur territoire. Nous n'avons rien à redire au sujet des obligations du Canada aux termes de ces ententes de règlement de revendications territoriales. Toutefois, le Deh Cho a de vives réserves lorsque l'État du Canada essaye de bousculer les choses et de faire adopter cette mesure législative touchant notre territoire sans obtenir le consentement de nos peuples.

Comme nous l'avons mentionné tout à l'heure, nous avons essayé au fil des ans d'entreprendre des pourparlers avec l'État. À l'heure actuelle, il n'y a pas d'accord conclu avec le Deh Cho; toutefois, le ministère des Affaires indiennes essaye d'utiliser le Parlement pour imposer la législation à notre territoire. Nous tenons à préciser aux fins de votre compte-rendu que nous n'avons jamais donné notre consentement -- implicite ou explicite -- à la législation. Nous refusons de donner notre consentement à ce processus.

Le projet de mesure législative visant la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie constitue une violation des traités. L'État du Canada ne peut pas imposer une mesure législative qui modifie fondamentalement sans notre consentement notre relation avec nos terres et nos ressources et nos relations établies par traité. Comme l'a affirmé Lord Denning dans l'affaire R.c. le Secrétaire d'État aux relations du Commonwealth et aux Affaires extérieures et l'Association des Indiens de l'Alberta, les peuples autochtones ont

... des droits et des libertés qui leur ont été garantis par la Couronne, originalement par la Couronne au nom du Royaume-Uni, et aujourd'hui par la Couronne au nom du Canada, mais toujours par la Couronne. Aucun Parlement ne doit compromettre d'une manière quelconque la valeur de ces garantis. Ceux-ci devraient être respectés par la Couronne au nom du Canada «tant que le soleil se lèvera et que les rivières couleront». Cette promesse ne doit jamais être brisée.

L'importance de cette décision tient au fait qu'elle a été prise avant que la Constitution ne soit envoyée de la Grande-Bretagne au Canada. Cette décision est exécutoire pour le Parlement du Canada, qui ne peut pas modifier unilatéralement les traités sans le consentement des signataires originaux du traité. Le ministre des Affaires indiennes ne peut pas prétendre que le fait que les Gwich'in et les peuples du Sahtu aient conclu un accord avec le gouvernement fédéral puisse influencer d'une manière quelconque les droits des peuples autochtones de toute la région de la vallée du Mackenzie.

Lorsque les responsables du ministère essayent de donner une tournure particulière à la mesure législative proposée en en limitant l'application aux Gwich'in et aux territoires du Sahtu, il suffit de lire le texte même du projet de loi pour constater qu'ils font erreur. Si les membres du comité se reportent aux dispositions interprétatives du projet de loi, ils y trouveront une mention précise de l'autorité Deh Cho:

«Première nation» Outre la Première nation des Gwich'in ou celle du Sahtu, tout organisme représentant les Dénés ou les Métis des régions de North Slave, South Slave ou Deh Cho de la vallée du Mackenzie.

Le Deh Cho n'a jamais consenti à ce qu'il figure ainsi dans cette définition. De plus, dans l'article des «définitions», on voit que cette mesure législative est censée s'appliquer à la région définie comme suit:

«Vallée du Mackenzie» La partie des Territoires du Nord-Ouest située au nord du 60e parallèle, à l'est de la frontière du Yukon, au sud de la frontière de la région inuvialuit désignée -- au sens de l'accord mis en vigueur par la Loi sur le Règlement des revendications des Inuvialuit de la région ouest de l'Arctique -- et à l'ouest de la frontière de la région du Nunavut, au sens de la Loi concernant l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut. Est exclu le parc national Wood Buffalo.

Si l'on examine une carte des Territoires du Nord-Ouest, on voit que la zone visée comprend le Deh Cho. Pour nous, cela est inacceptable. Contrairement aux dispositions du préambule, il n'y a aucune intention de limiter l'application de la mesure législative proposée aux Gwich'in et aux peuples de la région du Sahtu. Dans l'article des «définitions», on peut voir clairement que le gouvernement fédéral veut que cette mesure législative s'étende au Deh Cho.

À l'article 3 du projet de loi C-6, il est question de la consultation effectuée sous le régime de cette loi. Nous tenons à faire un commentaire sur le libellé. «Consulter» ne signifie pas «consentir». Lorsqu'une entité s'adresse à un groupe pour obtenir son opinion, il s'agit d'une consultation; mais si le groupe n'aime pas le projet, il n'y a aucune disposition lui permettant de refuser son consentement pour que l'affaire n'aille pas plus loin. L'article 3b) précise que la consultation comprend une étude approfondie des vues présentées. En l'absence d'une autre disposition qui permet au groupe de refuser son consentement, le fait de recevoir un colis par la poste pourrait être considéré par le ministère comme étant une consultation et pourrait être utilisé par lui comme élément de preuve dans une action ou une audience pouvant avoir lieu par la suite.

Il est essentiel que le Deh Cho maintienne sa relation avec la terre pour qu'il puisse fixer clairement la nature et l'étendue de toute activité entreprise sur son territoire et sur ses terres et mettant ses ressources en cause. Dans les accords conclus avec les Gwich'in et les peuples du Sahtu, il est dit clairement que ces ressources sont confiées au gouvernement fédéral. Le gouvernement fédéral n'a pas conclu d'accord de cette nature avec le Deh Cho. La consultation ne suffit pas pour répondre aux besoins des peuples autochtones et de leurs rapports avec leurs terres.

Un des événements les plus importants de ces derniers temps a été l'enquête fédérale visant l'aménagement d'un pipeline dans la vallée du Mackenzie. M. le juge Thomas Berger a été désigné par le gouvernement fédéral pour entreprendre l'enquête. Il a parcouru la vallée du Mackenzie et s'est rendu dans les communautés pour obtenir les vues des peuples autochtones. Dans sa démarche, M. le juge Berger s'est inspiré de la tradition britannique, car il a consulté les peuples autochtones, conformément à la Proclamation royale de 1763. Comme à l'époque de l'établissement des traités, il y a eu des assemblées publiques ouvertes dans la collectivité et il n'y avait pas d'intention cachée. Les négociations n'étaient pas assujetties à un délai et les questions qui pouvaient être discutées n'étaient pas limitées. Les témoignages ont permis ainsi d'avoir un compte rendu détaillé des négociations et leurs effets sur les droits de propriété.

D'après les témoignages présentés aux audiences de la vallée du Mackenzie, il est très clair que les peuples autochtones n'ont pas renoncé à leur compétence sur leurs territoires, leurs terres et leurs ressources.

L'un des grands problèmes que présente la mesure législative est les hypothèses qu'elle contient. Le texte est rédigé à partir de la prémisse que le droit de propriété sous-jacent est dévolu à la Couronne britannique et que par la suite, par un coup de baguette magique, le droit sous-jacent est passé à l'État du Canada. Le souverain d'Angleterre n'était pas autorisé à penser que le droit sous-jacent pouvait être dévolu à la Couronne sans le consentement des peuples autochtones qui occupaient légitimement les terres qui leur appartenaient.

La Couronne est encore moins autorisée à transférer par la suite ces terres et ces ressources au nouvel État du Canada. Il ne peut pas y avoir de transfert sans le consentement des peuples autochtones. Le gouvernement fédéral doit mettre à la disposition des chefs et des dirigeants des documents démontrant que les peuples autochtones ont transféré librement et en connaissance de cause leurs droits de propriété sous-jacents à l'État du Canada. C'est là une condition préalable pouvant établir le pouvoir législatif du Parlement du Canada d'adopter une loi visant des terres et des ressources à l'égard desquelles il n'a pas compétence.

Si l'État du Canada voulait vraiment faire preuve d'honnêteté à l'égard de cette mesure législative, il modifierait le paragraphe 5(2) pour qu'il soit formulé comme suit:

La présente loi s'applique aux régions désignées des Gwich'in et des Dénés et Métis du Sahtu, ainsi que ces régions sont définies dans leurs accords de règlement avec l'État du Canada.

Cette modification mettrait en oeuvre les obligations légales du gouvernement du Canada à l'égard des Gwich'in et du Sahtu et serait conforme au préambule de cette mesure législative. Toute autre façon de procéder constitue une violation de nos droits et est susceptible de devenir une source de difficulté.

En ma qualité de grand chef du Deh Cho, je vous remercie d'avoir pris le temps d'écouter mon exposé. S'il y a des questions, je serais heureux d'y répondre. Mahsi-cho.

En guise de résumé, je tiens à dire que cette mesure législative est pour nous une source de préoccupation parce qu'elle vise précisément à nous assujettir aux mêmes dispositions qui s'appliquent aux Gwich'in et aux peuples du Sahtu. Il s'agit d'une mesure d'application générale. On nous met dans la catégorie d'une région désignée, et d'une région visée par une revendication territoriale, ce qui n'est pas le cas.

Nous avons raison de nous inquiéter de nos droits issus de traités et de nos droits autochtones qui ne sont pas encore reconnus. Nous disons que nous n'avons jamais renoncé à nos terres. De plus, la jurisprudence qui vient d'être établie dans l'affaire dont a été saisie la Cour suprême de la Colombie-Britannique est très importante. Il en découlera peut-être les mesures qu'il faut pour que le gouvernement fédéral en tienne compte, car elle présente un grand intérêt pour les Premières nations de toutes les régions du Canada. Nous poursuivons à l'heure actuelle des pourparlers avec l'envoyé du ministère. Ceux-ci durent depuis quatre mois. Avant, c'était l'impasse. Les Premières nations du Deh Cho et le gouvernement fédéral ne se parlaient pas. Il n'y avait pas de dialogue. Au cours des quatre derniers mois, avec la nomination par le ministre Jane Stewart d'un envoyé au Deh Cho, je crois que nous avons fait des progrès. Après quatre mois de discussions avec M. Peter Russell, j'ai bon espoir qu'il en résultera peut-être un rapport définitif qui nous permettra de présenter nos conclusions à notre assemblée générale.

La chose qui m'inquiète est ce que disent nos gens: s'il y a ce processus qui se poursuit avec le gouvernement fédéral et le MAINC, pourquoi le gouvernement fédéral adopte-t-il cette mesure législative en même temps? Cela ne tient pas debout. Voilà ce que nous disent nos gens ici dans le Deh Cho.

De plus, le ministre Jane Stewart nous a envoyé une lettre en date du 8 mai 1998 dans laquelle elle nous rassure que nos droits issus de traités et nos droits autochtones ne seront pas touchés. Notre peule se demande, justement dans ce contexte, s'il est tout à fait vrai de dire que nos droits issus de traités et nos droits autochtones ne seront pas touchés. C'est difficile à croire.

Je vous remercie d'avoir écouté mon exposé. Je crois que l'aîné Leo Norwegian, de la Première nation Liidli Koe, va maintenant prendre la parole.

M. Erasmus: L'aîné va parler dans sa langue autochtone et nous allons interpréter pour lui.

M. Nadli: Je vais traduire pour l'aîné, M. Leo Norwegian.

M. Leo Norwegian, aîné, Première nation Liidli Koe: [Note de la rédaction: M. Norwegian parle dans sa langue autochtone]

M. Nadli: Il tient à vous remercier. Il sait à qui il s'adresse, c'est-à-dire au comité sénatorial à Ottawa, et il exprime sa reconnaissance à l'égard de ce groupe à Yellowknife. M. Norwegian dit qu'il est un aîné et que les aînés ont leur place parmi les chefs, surtout lorsque ceux-ci sont jeunes, afin de les orienter et de les aider à prendre des décisions concernant notre peuple.

La présente mesure législative l'inquiète. Du point de vue du traité de 1921, le traité 11, qui est le fruit des lois telles qu'elles existaient à l'époque, si des changements doivent être apportés, les deux parties doivent y consentir, soit le gouvernement fédéral et les Premières nations du Deh Cho. Nous poursuivons des pourparlers depuis quatre mois avec l'envoyé du ministre Jane Stewart. M. Norwegian craint beaucoup que si ce projet de loi est adopté, on pourra douter de la sincérité du gouvernement fédéral qui, d'une part, mène des discussions avec nous et, d'autre part, adopte une loi qui aurait de profondes conséquences pour nous. Il vous remercie de l'avoir écouté.

M. Norwegian: [Note de la rédaction: Le témoin parle dans sa langue autochtone]

M. Nadli: L'aîné Leo Norwegian aimerait ajouter quelque chose. Il est heureux que quelqu'un puisse traduire pour lui de manière que vous puissiez le comprendre.

Ce matin, il y a un exposé du grand chef du Deh Cho et il va également y avoir un exposé du grand chef du territoire des Akaitcho et des deux chefs du Deh Cho. Leurs exposés illustrent bien ce qui a été dit, c'est-à-dire que les aînés du Deh Cho travaillent avec leurs chefs, et qu'ils ne prennent pas les décisions seuls. Les aînés aident à guider le processus de prise de décision pour que leurs dirigeants reçoivent de l'aide sur cette question précise. Essentiellement, ce qu'il dit est que nos jeunes chefs sont comme nos meilleurs chasseurs: ils apportent ce qu'il nous faut pour assurer la subsistance de nos communautés et de nos familles.

Il tient à vous remercier de l'avoir écouté et il espère qu'un jour il aura l'occasion de rencontrer les sénateurs du comité qui examinent le projet de loi C-6. Mahsi.

M. Erasmus: Merci, aîné Leo Norwegian. Nous allons écouter maintenant le grand chef Felix Lockhart. Je crois que vous avez également son mémoire sous les yeux.

M. Felix Lockhart, grand chef, Conseil tribal du territoire Akaitcho: Bon avant-midi honorables sénateurs. Après mon exposé, je serai heureux de répondre à vos questions.

Je suis sûr que les honorables sénateurs sont au courant des autres exposés présentés par d'autres groupes -- par les peuples du Sahtu, par les Gwich'in, par les Dogrib, tous des peuples de notre territoire. Mon exposé vous est présenté au nom des chefs.

J'aimerais signaler en passant qu'il y a eu des élections dernièrement dans la bande de la rivière Salt et le chef Jerry Paulette a été remplacé par le chef Nora Beaver. Les autres chefs sont toujours là. Le chef Florence Catholique, de la bande Lutsel K'e, le chef Don Balsillie, de la bande Deninu K-ue, le chef Magloire Paulette, de la Première nation Fitzgerald, Smiths Landing, le chef Fred Sangris, de la bande Ndilo et, enfin, le chef Jonas Sangris, de Dettah.

Je suis sûr que notre position et celle du territoire de Deh Cho présentent de nombreux points en commun.

Je participe également au Sommet autochtone ici, à Yellowknife. Nous nous penchons essentiellement sur les questions entourant l'autonomie gouvernementale. Nous discutons de la politique des droits inhérents à l'autonomie gouvernementale qui a été lancée en 1995 avec le gouvernement fédéral, et nous présentons notre point de vue sur cette politique.

Nous abordons de nombreux dossiers entourant la création de deux territoires dans notre région. Vous savez tous qu'en 1999, les Territoires du Nord-Ouest seront divisés en deux, le Nunavut à l'est et le territoire ouest, où nous habitons. Nous avons de nombreuses préoccupations, comme les chefs qui ont parlé tout à l'heure l'ont mentionné, à propos de ce qui se passe ici et des offices qui, selon nous, vont être établis de manière désordonnée. Si ces offices et tous ces systèmes sont établis sans que nous soyons consultés, il n'y a pas de doute qu'une telle façon de procéder menace nos langues, notre mode de vie et l'image que se font nos aînés de ce que la vie devrait être ici.

Honorables sénateurs, en ma qualité de grand chef des Dénés Akaitcho, je tiens à vous remercier de nous donner l'occasion de prendre la parole sur cette très importante question. Le projet de loi C-6, la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie, est en train de franchir les étapes législatives sans notre consentement.

Permettez-moi d'abord de vous décrire rapidement notre territoire. En gros, il est situé autour des bras nord, sud et est du Grand Lac des Esclaves, dans le Denendeh. En ma qualité de grand chef du territoire des Akaitcho, je suis responsable d'un territoire d'une superficie d'environ 100 000 milles carrés. Le Dénés Akaitcho savent que cette séance se poursuit par téléconférence, mais je tiens à vous souhaiter quand même la bienvenue dans notre territoire.

C'est dommage que vous n'ayez pas pu venir ici, pour voir l'immensité et la splendeur de ce pays. Ce dont nous allons parler aujourd'hui, c'est de notre vie. Quand nous parlons de notre territoire, nous parlons des générations à venir. Nous portons une lourde responsabilité, celle de prendre les bonnes décisions. Voilà les choses auxquelles je pense en vous présentant cet exposé.

Dans le passé, nous avons eu de nombreuses discussions avec l'État du Canada à propos de nos droits. Vers le milieu des années 70, M. le juge Morrow, dans l'affaire Paulette, a établi que les terres et les ressources appartenaient aux Dénés. Les traités que nous avons conclus avec la Couronne britannique n'ont pas éteint nos droits à l'égard de nos terres et de nos ressources. Dans ce jugement célèbre, le juge Morrow a incité le Canada à entamer des discussions avec nous au sujet de la nature de nos terres et de nos territoires. Pendant les audiences, M. le juge Morrow s'est rendu compte que pour se renseigner pleinement sur l'histoire de l'établissement du traité, il fallait qu'il aille écouter les gens qui étaient présents au moment de l'établissement du traité. C'est ainsi qu'il s'est rendu dans les communautés de la vallée du Mackenzie, le Deh Cho, pour entendre lui-même les gens. Il a procédé ainsi en s'inspirant du précédent créé dans la Proclamation royale de 1763 qui interdit à quiconque de venir dans nos territoires autochtones sans que nous y consentions pleinement en connaissance de cause. Ces dispositions s'appliquent également à toute modification que l'on voudrait apporter au traité: «... dans un forum public sans ingérence.» On n'a pas procédé ainsi dans le cas du présent projet de loi. Nous tenons à ce que la marche à suivre soit respectée.

Nos ancêtres ont conclu des traités de paix et d'amitié avec la Couronne britannique en 1899 et en 1900. C'est ce que confirme la décision Paulette. Il n'y a pas eu abandon, extinction ou aliénation de nos terres et de nos ressources au profit de la Couronne ou de l'État du Canada. Nos peuples ont participé aux discussions entreprises avec l'État du Canada dans le cadre des négociations Dénés-Métis, qui se sont soldées par un échec lorsque le Canada a quitté la table de négociation au début des années 90.

Les chefs Dénés Akaitcho sont au courant de l'histoire législative du projet de loi C-6. Nos chefs savent que pendant les négociations, les Gwitch'in et les peuples du Sahtu ont conclu un accord avec le Canada, par lequel le Canada s'est engagé à adopter certaines mesures législatives. Il est ressorti des négociations que le Canada devait prendre certaines mesures. Voici donc la réponse de l'État: la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie.

Les chefs des Gwitch'in et des peuples du Sahtu savent que les chefs des Akaitcho n'étaient pas présents pendant leurs négociations. Il n'y avait aucune forme de mandat implicite ou explicite qui autorisait les Gwitch'in et les peuples du Sahtu à négocier en notre nom. Dans toutes les discussions qui ont eu lieu dans le passé, aucune organisation n'a été autorisée à négocier au nom d'une autre. Lorsque les Gwitch'in et les peuples du Sahtu travaillaient aux accords qu'ils ont signés, les chefs Akaitcho ne se sont pas ingérés dans les négociations. Pour cette raison, cela nous surprend et nous trouble que le Canada essaie unilatéralement d'étendre cette législation à notre territoire sans que nous y consentions.

Cela nous trouble également de voir que cette mesure législative s'étend par ses dispositions mêmes à notre territoire. En ce moment, les chefs et les responsables Akaitcho sont occupés individuellement à l'affaire Delgamuukw. Selon le tribunal, les négociations constituent «une base constitutionnelle solide à partir de laquelle d'autres négociations peuvent avoir lieu». Le tribunal ajoute également ceci: «Ces négociations devraient comprendre également les autres nations autochtones pour qui le territoire revendiqué présente un intérêt certain.» La décision de la Cour suprême du Canada confirme ce que nous disons: aucune nation ne peut négocier au nom d'une autre nation. Nous savons que les Gwitch'in et les peuples du Sahtu n'avaient pas reçu des chefs Akaitcho le mandat de parler en leur nom pendant les négociations.

À cet égard, nous voulons poursuivre les discussions avec la Couronne dans un esprit de respect et de confiance mutuels. L'affaire Delgamuukw dit également que:

... la Couronne a l'obligation morale, sinon légale, d'entreprendre et de mener ces négociations de bonne foi. Au bout du compte, c'est par des règlements négociés de bonne foi et dans un esprit de compromis de la part de toutes les parties, renforcés par la décision de cette cour, que nous parviendrons à la «réconciliation».

Si les Gwitch'in et les peuples du Sahtu ont réussi à conclure leurs négociations, ce n'est pas le cas des Dénés Akaitcho. Nous sommes d'avis que la législation proposée a des conséquences pour notre position relativement aux terres et aux ressources. Si l'État du Canada nous impose unilatéralement un régime, il y a violation de nos droits par l'État. Pour cette raison, nous implorons les membres du Sénat de nous aider. Notre peuple est soumis à une grande injustice de la part de l'État. Nous n'avons pas les ressources nous permettant d'aller nous défendre à Ottawa. Les membres du comité peuvent se rendre compte de notre situation économique en voyant qu'il a fallu procéder par téléconférence. Les compagnies minières et d'autres parties intéressées ont pu témoigner directement devant vous parce qu'elles veulent avoir accès à nos terres et à nos ressources sans que nous ayons notre mot à dire.

Pendant que nous cherchions à poursuivre les discussions et à parvenir à un terrain d'entente avec le négociateur du MAINC, ce ministère a procédé à la rédaction et à la promotion de ce projet de loi -- qui va à l'encontre de l'esprit et de l'objet des discussions ouvertes que nous voulons avoir. Il n'y a ni équité ni ouverture lorsque l'une des parties se sert de sa position de confiance pour agir d'une manière contraire à nos intérêts. Le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien est toujours tenu à une relation de confiance avec nos peuples fondée sur les traités. Nous n'avons pas modifié cette relation et le Canada ne peut pas modifier unilatéralement cette relation sans notre consentement.

Tant que nous n'aurons pas mené à bon terme nos discussions sur la nature et l'utilisation des terres faisant partie du territoire des Akaitcho, nous sommes prêts à accepter la structure actuelle. Nous voulons parvenir à une entente avec l'État du Canada qui constituera une amélioration par rapport à la législation proposée. Il y a moyen de parvenir à quelque chose qui répondra à nos attentes. Nous avons intérêt à continuer le dialogue avec le Canada dans ce dossier. Nous n'avons jamais renoncé à nos droits à l'égard de nos terres et de nos territoires. Dans le processus qui est proposé, nous voulons mettre en oeuvre un système de gestion de nos terres qui soit fondé sur les valeurs et les lois des Dénés. Il nous faut du temps pour mener à bien nos discussions. Le projet de loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie compromettra notre position à l'égard de plusieurs points. Nous voulons profiter de l'occasion pour porter ces aspects à votre attention. Nous voulons également vous expliquer brièvement notre position.

L'État du Canada a des obligations légales à respecter à l'égard des Gwich'in et des peuples du Sahtu. Nous tenons à préciser que nous n'avons rien à redire aux obligations du Canada à l'égard des Gwich'in et des peuples du Sahtu. Toutefois, nous nous inquiétons lorsque notre territoire est visé sans qu'il y ait eu accord avec nos peuples. D'après nous, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien a rédigé un projet de loi qui vise des régions à l'extérieur de celles des Gwich'in et des peuples du Sahtu. Nous aimerions que ce problème soit réglé avant l'adoption du projet de loi C-6. Il s'agirait d'apporter trois amendements importants au projet de loi. Nous aimerions profiter de l'occasion pour vous expliquer ces points.

Dans le préambule du projet de loi, il est question des ententes conclues avec les Gwich'in et les peuples du Sahtu, que l'État du Canada doit respecter. La mesure législative proposée visant l'établissement d'offices s'étendrait au-delà des régions désignées. Dans l'article des dispositions interprétatives du projet de loi, il est question précisément des groupes dirigeants. On y lit notamment:

«Première nation» Outre la Première nation des Gwich'in ou celle du Sahtu, tout organisme représentant les Dénés ou les Métis des régions de North Slave, South Slave ou Deh Cho de la vallée du Mackenzie.

Le projet de loi devrait être amendé pour supprimer les passages où sont mentionnés les Dénés des régions de North Slave, de South Slave et de Deh Cho. Le texte devrait être modifié et formulé ainsi:

«Première nation» la Première nation des Gwich'in et la Première nation du Sahtu.

Avec un tel libellé, il serait clair que les Dénés des autres parties de la vallée du Mackenzie ne sont pas visés par la mesure législative. Comme vous pouvez le constater, la définition proposée applique l'expression «Première nation» à toutes les régions de la vallée.

Plus loin dans l'article des définitions, il est question de la région suivante à laquelle cette loi est censée s'appliquer:

«Vallée du Mackenzie» La partie des Territoires du Nord-Ouest située au nord du 60e parallèle, à l'est de la frontière du Yukon, au sud de la frontière de la région Inuvialuit désignée -- au sens de l'accord mis en vigueur par la Loi sur le règlement des revendications des Inuvialuit de la région ouest de l'Arctique -- et à l'ouest de la frontière de la région du Nunavut, au sens de la Loi concernant l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut. Est exclu le parc national Wood Buffalo.

Cet article devrait être amendé lui aussi. Il devrait être clair que la loi proposée s'applique aux régions des Gwich'in et du Sahtu. La définition de «Vallée du Mackenzie» devrait donc être la suivante:

«Vallée du Mackenzie» La partie des Territoires du Nord-Ouest définie et ratifiée dans l'accord gwich'in et dans l'accord du Sahtu.

Un autre amendement devrait être apporté au paragraphe 5(2), qui serait formulé comme suit: «La présente loi s'applique aux régions désignées des Gwich'in et des Dénés et Métis du Sahtu, ainsi que ces régions sont définies dans leurs accords de règlement avec l'État du Canada». Cette modification permettrait d'exécuter les obligations légales du gouvernement du Canada à l'égard des Gwich'in et des peuples du Sahtu et serait conforme au préambule de cette mesure législative.

En apportant ces trois amendements, on établirait clairement que cette mesure législative s'applique aux régions désignées, sans s'étendre aux autres peuples Dénés qui poursuivent en ce moment des négociations avec l'État du Canada. C'est pour cette raison que nous tenons à corriger la législation proposée. Il n'est pas nécessaire que celle-ci s'applique à nos peuples. Il faut corriger la mesure législative avant son adoption, faute de quoi nous devrons prendre des mesures pour protéger nos intérêts.

Nous sommes convaincus que les difficultés que présente pour nous la législation peuvent être aplanies si les amendements nécessaires y sont apportés avant son adoption par le Sénat.

Je vous remercie de l'attention que vous accorderez à nos demandes. Voilà qui met fin à mon exposé. Je vais maintenant céder la parole au chef national Bill Erasmus pour qu'il puisse situer davantage le débat et nous aider à passer aux questions.

M. Erasmus: J'aimerais ajouter quelques observations, pour que la position exprimée ici soit parfaitement claire. Vous devez savoir que ce dont il est question ici est extrêmement important. Les communautés des Gwich'in et du Sahtu forment huit communautés dans la vallée du Mackenzie. Ce qui nous préoccupe est le fait qu'il y a 20 communautés à l'extérieur de leurs régions désignées qui seront visées. Cette législation s'étendra bien au-delà de leurs territoires et touchera 20 autres communautés dûment établies. À mon avis, ce n'est pas du tout ce que l'on a voulu faire au moment de la négociation de l'accord. C'est comme si la province de Terre-Neuve négociait avec le gouvernement fédéral un accord dont la portée s'étendrait au reste de l'Atlantique et peut-être même au Québec, et demandait ensuite au Parlement et au Sénat de l'adopter. Cela ne tient pas debout. Les gens n'ont pas d'affaire à intervenir ainsi dans les territoires d'autres peuples.

De toute évidence, les gens ne disent pas être opposés aux accords de règlement des revendications territoriales; ils estiment que ces accords devraient s'appliquer aux frontières définies expressément dans leurs accords. Le projet de loi tente d'aller au-delà de ce que les accords de revendications considèrent comme un tout. Ce qui les inquiète énormément, c'est que le projet de loi C-6, s'il est adopté, modifiera, et c'est vrai, leur relation par rapport au traité, la façon dont on comprend actuellement le traité, entre les Dénés et la Couronne.

En outre, le projet de loi entravera un certain nombre de développements en cours dans le Nord. Le Nunavut deviendra une formalité en avril prochain, mais en même temps, au Denendeh, le processus constitutionnel en cours étudie chacun de nos territoires respectifs en voie d'élaborer un système d'administration. Nous participons à ces discussions avec toutes nos collectivités, ce qui comprend les Gwich'in et le Sahtu. Ces dernières années, nous avons commencé à établir une relation de travail avec eux. Si le projet de loi C-6 est adopté sous sa forme actuelle, il créera de toute évidence encore plus de divisions entre nous, et cela inquiète non seulement nos aînés mais également toute la population. Nous vous demandons donc d'être sensibles à cet état de fait.

Les présentateurs ont fait mention de la récente décision de la Cour suprême en Colombie-Britannique. L'arrêt Delgamuukw a été rendu au début de décembre. J'estime important de souligner certaines des réalités que comporte ce jugement. Les Gitksan Wet'suwet'n de Colombie-Britannique sont dans une situation semblable à celle des Dénés. Ils n'avaient jamais cédé leurs droits territoriaux, et leur cause a été portée devant la Cour suprême du Canada. Dans ce jugement, la Cour a précisé que les Gitksan Wet'suwet'n possèdent un titre ancestral et que ce dernier constitue un droit inhérent. Ce titre est protégé aux termes de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Ce titre leur revient du fait qu'ils ont été les premiers à habiter le territoire, à l'intérieur de limites clairement définies. Leur titre comporte des droits de surface et tréfonciers sur les terres et les ressources, lesquels ont également été étendus de façon à inclure l'espace aérien.

Ce titre est unique. Il est classifié comme charge ultime pour la Couronne, ce qui signifie que la Couronne doit tenir compte de leur titre avant de statuer. Voilà ce que disent les gens ici. La Couronne a l'obligation de négocier en toute bonne foi et de résoudre les conflits. Le jugement a également reconnu que l'histoire orale est légitime et ne peut plus être mise de côté sous prétexte qu'il s'agit de ouï-dire. Enfin, le jugement établit clairement que la Couronne a le devoir de consulter d'une façon significative et que le consentement des propriétaires est requis si l'on entend inclure une renonciation à un droit.

Comme je l'ai dit auparavant, les Gitksan Wet'suwet'n sont dans une situation presque identique à celle des Dénés, et nous estimons que le jugement s'applique donc également à nos terres au Denendeh. Donc, quand le projet de loi sera adopté ou appliqué dans le Nord, il faudra tenir compte des circonstances établies dans le jugement Delgamuukw. Nous voulions attirer votre attention sur ce fait.

Nous tenons également à vous faire savoir que nous avons communiqué avec les Gwich'in et les gens du Sahtu. Nous leur avons présenté les amendements proposés pour commentaires. Nous leur demandons de nous appuyer, et il se peut qu'ils vous présentent quelque chose à cet effet. Comme je l'ai dit, nous demandons trois amendements précis: un qui redéfinirait qui est la tête dirigeante. Il y aurait également une redéfinition de la vallée du Mackenzie de même qu'une définition du champ d'application du projet de loi. Les gens précisent qu'ils veulent que le projet de loi s'applique aux régions du Sahtu et des Gwich'in.

Si vous regardez le paragraphe 5(2), nous proposons le libellé suivant: «La présente loi s'applique aux régions désignées des Métis et des Dénés du Sahtu et aux Gwich'in tel que précisé dans leurs accords de revendication avec le Canada.» Cela signifie que si vous vous en tenez strictement aux accords de revendications territoriales du Sahtu et des Gwich'in et que vous n'étendez pas la définition de la vallée du Mackenzie comme on a essayé de le faire dans le projet de loi, nous n'avons pas de problème. Si vous vous en tenez strictement à leur accord de revendications territoriales, cela confinera leurs décisions et leur application à la région désignée, et c'est cela que veut la population.

Voilà donc clairement en quoi consiste l'amendement de ce côté-ci.

C'était mes commentaires. Nous sommes très heureux d'être ici. Nous vous remercions de cette occasion. Les gens sont prêts pour les commentaires, les questions, et cetera.

Le président: Merci, monsieur Erasmus. Avant d'entamer la période de questions, j'aimerais vous présenter les sénateurs qui sont ici: le sénateur Andreychuk, le sénateur St. Germain, le sénateur Forest, le sénateur Taylor et le sénateur Adams. Nous vous remercions des exposés qui, à mon avis, reflétaient vos arguments. Comme on l'a dit plus tôt, rien n'a encore été décidé sur la façon de traiter de la question. Cela reste à déterminer.

Le sénateur St. Germain: Chef national, je suis heureux de vous rencontrer à nouveau. Je porte encore la casquette bleue que vous m'avez donnée lors du congrès auquel j'ai assisté. Je crois qu'il s'agissait du 25e anniversaire du Denendeh. Vous m'aviez donné une casquette bleue. Vous la portiez pour aller à la chasse, et j'ai eu de la chance chaque fois que je l'ai mise.

De toute façon, je vous remercie de vos exposés de ce matin. Je crois qu'ils ont été excellents. Ils énoncent clairement votre position.

Ma première question s'adresse à vous, chef Erasmus. Avez-vous entendu dire que le ministère des Affaires indiennes et du Nord affiche déjà des avis de concours pour combler les postes des offices qui découleront du projet de loi C-6?

M. Erasmus: D'après ce que nous avons compris, on est en train d'afficher ces avis. Nous avons copie d'une lettre envoyée à certains de nos dirigeants qui nous demande de proposer des noms pour cet office de gestion des eaux et des terres; de même, un office est établi à Yellowknife. Je crois qu'il a déjà du personnel, de sorte que le projet de loi est prêt à être appliqué. C'est la meilleure réponse que je puisse faire.

Le sénateur St. Germain: Ma question s'adresse à quiconque désire y répondre. Convenez-vous tous que l'adoption de ce projet de loi sous sa forme actuelle empêchera de façon certaine la tenue de futures négociations visant le règlement de vos revendications?

M. Lockhart: Je crois que ce régime, ce projet de loi dont il est ici question, influera sûrement sur nos négociations avec le gouvernement du Canada. Je sais qu'il fait allusion à deux régions désignées, mais nous croyons comprendre qu'il s'agit d'un office public qui sera mis sur pied pour un régime public applicable au territoire. Des négociations sont néanmoins en cours avec le gouvernement du Canada sur les terres et les ressources de même que sur nos accords d'autonomie gouvernementale. Nous aimerions disposer de la même occasion de négocier ces points très précis dans notre territoire des Akaitcho de façon à nous assurer que nos peuples dans les collectivités, qui veulent savoir ce qui se passe, seront bien représentés.

Nous avons parfois de la difficulté avec les offices en place. À de nombreuses reprises, il y a eu confusion entre consultation et consentement. Quand les fonctionnaires viennent dans nos collectivités, ils considèrent cela comme de la consultation. Ils se servent du fait qu'ils nous ont consultés pour prouver que nous avons consenti à ces questions ou à ces mesures législatives, quelle que soit la question sur laquelle ils nous consultent. Je crois que cela doit changer. Cette façon de faire doit changer. Il est temps que nous ayons l'impression d'appartenir réellement au Canada, réellement à notre territoire. Nous voulons pouvoir nous promener sur nos terres avec le sentiment d'avoir véritablement le droit d'occuper notre territoire et de prendre les bonnes décisions concernant nos terres et nos ressources. Nous ne voulons pas les remettre uniquement entre les mains de tiers ou de fonctionnaires gouvernementaux.

J'estime très important qu'on nous donne dès le départ l'occasion de négocier les questions qui concernent notre territoire. La ministre des Affaires indiennes a déclaré qu'elle voulait que nous puissions participer aux discussions qui pourraient modifier le projet de loi après son adoption. Nous ne voulons pas vraiment être placés dans cette situation. Nous voulons pouvoir nous assurer que nous avons commencé à négocier en toute bonne foi dès le départ. C'est de cela qu'il s'agit.

Nous parlons de gens qui travaillent ensemble. Nous parlons des Gwich'in et du peuple du Sahtu. Nous respectons leur position. Nous respectons le fait qu'ils disposent d'un texte de loi pour leur revendication dans leur région, mais ils ne s'attendaient pas à ce que ce régime s'applique à la grandeur de la vallée du Mackenzie.

M. Erasmus: Le grand chef Mike Nadli aimerait également faire un commentaire.

M. Nadli: J'ai indiqué que dans notre région nos chefs participent à des discussions avec Peter Russell, l'envoyé de la ministre Jane Stewart pour le ministère des Affaires indiennes et du Nord. On s'est retrouvé dans une impasse, pendant une période d'environ trois ans, à partir de 1994, quand le ministre précédent, Ron Irwin, a eu l'occasion l'élaborer toute la proposition du Deh Cho sur la foi de pourparlers officiels avec les Premières nations du Deh Cho. Pour l'essentiel, cependant, son attitude a montré qu'il ne voulait pas réellement aller de l'avant. Donc, pendant une période de trois ans, il y a eu impasse -- pas de vraies discussions, très peu de communications et beaucoup de gesticulation politique par le biais des médias. Le gouvernement fédéral s'est fait traiter de dinosaure quand les Premières nations ont tenté d'obtenir l'autodétermination, ont essayé de réaliser leurs aspirations pour l'avenir.

Si le projet de loi C-6 est adopté, ce sera un pas en arrière. Comme je l'ai indiqué, je suis très optimiste face aux discussions que nous tenons depuis février. Nous avons couvert beaucoup de terrain en tenant un dialogue très direct avec Peter Russell, au cours duquel nous évaluons vraiment certaines des questions essentielles et les valeurs fondamentales que nous avons et examinons les diverses politiques poursuivies par le gouvernement fédéral pour essayer d'en arriver à une résolution sur les questions d'administration et de gestion des terres du Deh Cho.

Je suis vraiment persuadé que nous pourrons en arriver à un rapport concluant, que nos peuples qui sont mandatés pour tenir des discussions avec M. Russell proposeront le rapport à notre assemblée générale. Comme l'a indiqué notre aîné, il nous faut bien entendu travailler ensemble. Nous devons nous écouter les uns les autres. Des membres de nos collectivités nous ont demandé pourquoi nous étions en pourparlers avec le gouvernement fédéral, avec Peter Russell, alors que le projet de loi est en voie d'être adopté. Il y a par exemple le cas de la nation Ka'a'gee Tu qui ne dispose d'aucun mécanisme d'appel dans le cas des règlements pour l'utilisation des terres de Churchill. Le chef de Kakisa, qui est une petite collectivité, a parlé du dépôt d'une injonction pour le compte de deux collectivités voisines pour obtenir du ministre des Ressources, de la Faune et du Développement économique des Territoires du Nord-Ouest qu'il explique pourquoi un permis d'exploitation forestière a été octroyé malgré l'opposition de nos collectivités.

Il s'agit là de quelque chose qui préoccupe beaucoup notre peuple. Ils nous ont demandé pourquoi nos discussions avec le gouvernement fédéral, par l'entremise de l'envoyé de la ministre, devraient se poursuivre si cette mesure législative est adoptée.

M. Erasmus: J'aimerais ajouter un bref commentaire. Les négociations pour le territoire des Akaitcho sont un peu plus avancées que celles concernant le Deh Cho. Il y a, pour les Akaitcho, un négociateur fédéral. On est en pleine négociation. Ils sont près de signer un accord-cadre qui orienterait toutes les discussions. L'accord-cadre comprend un volet autodétermination, s'appliquant aux ressources en terres et en eaux. Il traite des droits inhérents. Il traite d'une approche très vaste au règlement des questions en suspens avec le Canada.

Ils craignent que si ce projet de loi est adopté tel quel, il entravera leur capacité de négocier leur juridiction sur leur territoire de même que la partie concernant les ressources en terres et en eaux. Même s'il était dit dans le projet de loi qu'un accord conclu dans le futur avec le Canada s'appliquera, rien ne garantit que le Canada sera enclin à s'asseoir avec ces gens pour discuter une fois ce projet de loi adopté. Cela fait, le Canada ne voudra rien changer, ne permettra pas à ces gens de conclure leurs propres accords. Le Canada dira qu'il y a statu quo et que s'il ouvre la porte pour eux, il va devoir l'ouvrir pour tout le monde, pas seulement au nord du 60e mais également au sud du 60e, de sorte que nous sommes pris dans le jeu de la négociation. Les gens sont très conscients du fait qu'ils doivent négocier leurs propres accords.

Le sénateur Forest: Nous vous remercions de vos exposés. Vous avez formulé des arguments très convaincants. On a dit qu'il était malheureux que nous n'ayons pu nous rendre visiter la vallée. Je suis d'accord avec vous. Je m'y suis rendue un certain nombre de fois dans le cadre de mon travail avec le comité des transports pour le Nord et j'ai visité la plupart des communautés de Hay River à Inuvik. Je comprends vos préoccupations.

Nous parlons ici de juridiction. Vous avez tous fait valoir à juste titre que, bien que ce projet de loi soit approprié pour les Gwich'in et le Sahtu, il ne devrait pas s'appliquer à vos régions et à vos ententes. Vous dites que bien que vous ayez reçu de la ministre l'assurance que cela n'allait pas avoir d'effet sur vos droits issus de traités, vous n'en êtes pas encore persuadés.

Il était bien entendu, quand nous avons commencé nos audiences, que cela n'aurait pas d'effet sur vos droits issus de traités. Supposons que vous en êtes persuadés ou que vous vous sentiez rassurés à ce sujet. Êtes-vous surtout préoccupés par le projet de loi parce qu'il s'applique à vos régions désignées ou est-ce plutôt que vous craignez que si le projet de loi va de l'avant, comme l'a dit le premier intervenant, personne ne viendra à la table pour négocier vos traités en toute bonne foi? J'aimerais savoir tout d'abord si c'est la principale préoccupation.

Deuxièmement, si d'autres préoccupations spécifiques concernent le projet de loi, devriez-vous recevoir l'assurance qu'il n'aura aucun effet sur vos droits issus de traités et sur vos droits à la négociation?

M. Erasmus: Permettez-moi de répondre rapidement. Une fois le projet de loi adopté, il reste un grand nombre de sujets de préoccupation. Vous devez comprendre que nous n'avons pas participé à l'élaboration du projet de loi. Si nous l'avions fait dès le début, nous y aurions apporté des changements majeurs.

Premièrement, il y a le fait que les offices sont publics. Ils comprennent tous les résidents du Nord qui ont leur mot à dire sur nos terres et nos ressources. Le projet de loi retire aux chefs et à leurs conseils la juridiction sur leurs terres. Au bout du compte, il accorde un pouvoir discrétionnaire au ministre responsable, ce qui signifie que les peuples du Nord ne décident pas vraiment, et que le ministre a un droit de veto sur les décisions. Encore une fois, c'était l'une des principales raisons d'en venir à un règlement -- retirer à Ottawa, si ce n'est à Yellowknife, le pouvoir et le contrôle. Cela ne satisfait pas les gens.

Il y a un grand nombre de préoccupations. Je sais que les Métis ont également indiqué qu'ils ont des problèmes. Nous n'avons jamais parcouru le projet de loi précisément pour relever les zones qui font problème. Si vous voulez que nous le fassions, nous prendrons peut-être le temps de vous donner une meilleure idée des autres zones qui font problème. Nous avons trouvé plus facile de proposer ces trois amendements qui nous excluraient, et nous aimerions procéder comme nous l'avons fait jusqu'à présent jusqu'à ce que nous puissions mettre au point quelque chose de différent.

Le sénateur Taylor: Je vous remercie également pour un très bon exposé. Je n'accepterai pas votre invitation à me rendre dans votre coin de pays. Si je me rappelle bien, les moustiques y sont assez gros pour faire décoller les 737 à ce temps-ci de l'année. J'aimerais mieux attendre au gel de septembre pour vous rendre visite.

Vous dites, et je pense que c'est très clair, ne pas être satisfaits du paragraphe 5(2) qui stipule: «Il est entendu que la présente loi ne porte pas atteinte à la protection des droits existants -- ancestraux ou issus de traités -- des peuples autochtones du Canada découlant de leur reconnaissance et de leur confirmation au titre de l'article 35». Autrement dit, vous dites que cet article pourrait ne pas être suffisant. Qui plus est, j'ai l'impression que vous essayez de garder prise sur le gouvernement et que vous craignez, si le projet de loi C-6 est adopté, de perdre un moyen d'exercer toute la pression que vous devez mettre sur le gouvernement pour faire bouger les choses ou en arriver à des règlements.

Un problème, c'est que j'ai l'impression que, si le projet de loi C-6 n'est pas adopté et qu'il n'y a donc pas de gestion intégrée de l'eau de la vallée, on laissera peut-être tomber plusieurs projets, dans le secteur minier entre autres, dans les régions que vous habitez. Vous perdriez vos emplois. Vous auriez les mains vides. Supposons, un instant, que le projet de loi à l'étude est mis en veilleuse parce que vous y êtes opposés. Ne craignez-vous pas d'étouffer le développement qui donnerait de l'emploi à vos membres? En d'autres mots, pourquoi vouloir préserver le statu quo, qui pourrait se prolonger d'année en année? Ne vaudrait-il pas mieux prévoir, dans le projet de loi, que le gouvernement règle la question dans les trois prochaines années, par exemple, plutôt que de simplement rejeter le projet de loi?

Ma question s'adresse à M. Erasmus.

M. Erasmus: Si le projet de loi à l'étude est adopté et qu'il ne s'applique pas à notre région, l'actuel régime d'office des eaux et des évaluations environnementales et tout le reste serait maintenu. On n'arrêterait pas de demander des permis d'exploitation de mines de diamant et de vouloir exécuter des travaux de développement. Nous disons que nous préférons un pareil cadre, que nous savons pouvoir modifier plus tard, à ce régime auquel nous n'avons rien contribué.

Le développement ne cesserait pas de se faire. La vie continuerait, et nous pourrions prendre part à un processus qui inclurait nos peuples dans le régime de réglementation, et ainsi de suite.

Le sénateur Taylor: J'ai des entreprises là-bas, dans le secteur minier. Je crois que vous êtes un peu trop optimiste. Si rien n'est réglé, nul ne sera assez fou pour investir des millions de dollars dans une entreprise sans connaître à l'avance les règles du jeu.

M. Erasmus: J'aimerais répliquer à ce que vous venez de dire et dire pourquoi, selon moi, le développement ne cesserait pas. Idéalement, nous travaillerions de concert avec le Canada et nous aurions consenti à tout genre de développement qui serait amorcé. Par exemple, les mines de diamant de cette région continueraient d'être exploitées en l'absence de cette loi. La Terre ne s'arrêterait pas de tourner. On investit dans le Nord, même si les revendications ne sont pas réglées, en dépit du fait que l'on négocie depuis le début des années 70. Jusqu'ici, nous nous en sommes tirés en nous asseyant avec les investisseurs et les développeurs pour tenter d'en venir à une entente provisoire ou à court terme, jusqu'à ce qu'ait été réglée la question à long terme.

Le sénateur Andreychuk: J'aimerais faire écho à ce qui a été dit au sujet de vos mémoires. Votre position est très claire. Nous avons bien compris.

Le gouvernement a-t-il communiqué avec vous au moment où les Sahtu et les Gwich'in ont signé leur entente? Lorsque le projet de loi franchissait les étapes aux deux Chambres du Parlement, étiez-vous conscients que vos droits relatifs aux eaux seraient affectés? Vous a-t-on consultés à ce moment-là?

M. Erasmus: Quand les Gwich'in et les Sahtu ont commencé à négocier, nous nous sommes entendus avec eux pour ne pas intervenir dans les négociations les uns des autres. Ils nous ont envoyé un communiqué pour nous dire qu'ils négociaient et nous ont demandé de ne pas nous en mêler. Nous avons respecté leur requête. Nous ne nous sommes pas présentés à la table de négociations. Nous ignorions la nature de leur entente. Le projet de loi a ensuite été adopté. Nous n'avions pas fait d'exposé aux comités permanents parce que nous estimions que cette entente ne nous concernait pas.

Si vous examinez toutes les autres ententes relatives aux terres conclues au Canada -- celle des Inuvialuit, celle des Cris de la Baie James --, elles ne touchent pas aux terres situées au-delà des limites territoriales respectives; les ententes s'appliquent uniquement aux terres visées par les revendications. Nous avons donc supposé que ce serait à nouveau le cas. Ce n'est que beaucoup plus tard que nous avons appris ce qu'il en était. C'est à ce moment-là que nous avons commencé à nous inquiéter.

Les comptes rendus vous révéleront que ce n'est qu'en 1994 ou en 1995 que nous avons commencé à nous faire entendre sur la question. Depuis lors, nous avons toujours eu la même approche. C'est tout le processus qui est injuste. Justice n'est pas rendue!

Le sénateur Andreychuk: Si j'ai bien compris votre position, vous êtes en train de dire que les Gwich'in et les Sahtu sont libres d'agir comme bon leur semble, à condition de ne pas toucher à vos droits et à vos terres. Si c'est le cas, croyez-vous qu'il y ait tout de même moyen d'adopter le projet de loi à l'étude, parce qu'il est en réalité impossible de départager des cours d'eau et des bassins hydrographiques?

M. Erasmus: Je crois qu'on peut aller de l'avant avec ce projet de loi. La situation est très similaire à ce qui se passe à la frontière de l'Alberta et des Territoires du Nord-Ouest. Le régime albertain est différent de celui des Territoires. Il existe une autre limite territoriale, juste au nord de chez nous. Grâce à elle, ils bénéficieront d'un très bon régime. Ils seront les seuls visés. Ils auront leur propre processus qu'ils auront négocié, ce qui est bien. Notre régime serait un peu différent, mais il continuerait de cadrer avec le processus de réglementation qui a été élaboré ici. J'estime que c'est parfaitement possible.

Cela changerait toutefois les plans du Canada parce que, comme vous l'avez entendu dire par les témoins, le gouvernement fédéral fait déjà de la publicité à ce sujet. Il a installé un bureau à Yellowknife et mis la machine en branle. En fait, cela lui ferait probablement économiser de l'argent puisque moins de territoires et moins de gens seraient touchés.

Le sénateur Andreychuk: Si je vous ai bien compris, cet office des eaux pourrait être créé de manière à ne toucher que les Sahtu et les Gwich'in; puis, si cette entente violait de quelque façon que ce soit vos droits relatifs aux eaux ou à votre bassin récepteur, il faudrait qu'ils viennent entre temps négocier avec vous jusqu'à ce que vous ayez réglé une fois pour toutes vos revendications territoriales et d'autres questions.

M. Erasmus: C'est bien cela. Ils pourraient participer au régime en ce qui concerne leurs propres terres et décider des activités qui s'y déroulent.

Examinons un scénario tout à fait plausible. Supposons que la Daishowa veuille construire une autre usine de pâte à papier en Alberta. Nous serions tous touchés, dans la vallée du Mackenzie. Nous pourrions prendre part au processus et faire connaître nos réactions par la voie de tout régime mis à notre disposition. Nous passerions par le gouvernement fédéral et par l'office des eaux des Territoires du Nord-Ouest. Les autres le feraient par l'intermédiaire du processus de règlement des revendications territoriales, dans le cadre de ce régime des terres et des eaux et du processus fédéral en matière d'environnement. Nous pourrions donc tous y prendre part.

Le sénateur St. Germain: J'aurais un bref commentaire à faire. Je suis vraiment scandalisé que la ministre Stewart, pour qui j'ai beaucoup de respect -- à mon avis, elle est un excellent ministre --, ait permis à ses fonctionnaires d'aller de l'avant dans ce dossier à ce stade-ci. J'estime que c'est mépriser le Sénat et le régime parlementaire que d'agir avec autant de présomption. Je puis seulement offrir l'assurance aux témoins de ce matin que nous ferons de notre mieux pour que l'on tienne compte de leurs positions. Avec un peu de chance, nous pourrons faire modifier la loi.

Je remercie à nouveau les témoins de leur excellent exposé.

Le sénateur Forest: Je puis comprendre vos préoccupations concernant l'évolution en parallèle des deux processus. J'ajouterai simplement, en tant que nouvelle venue aux affaires gouvernementales, qu'à la vitesse à laquelle progresse ce projet de loi -- censé avoir été adopté en 1994 --, je ne m'inquiéterais pas outre mesure.

M. Nadli: Avant de terminer, j'aimerais ajouter quelque chose à ce que j'ai dit plus tôt, soit que le projet de loi à l'étude, d'un simple coup de pinceau, pourrait nous mettre dans une situation précaire. Avant même que la ministre actuelle, Jane Stewart, prenne en charge le portefeuille, toute cette initiative avait déjà commencé à prendre forme, dans la foulée de l'entente de principe intervenue en 1990 avec les Dénés et les Métis. Je tenais à le souligner.

Une chose que je prends vraiment à coeur, c'est la raison d'être et l'objet de la déclaration faite récemment par la ministre dans laquelle elle fait état d'une réconciliation et du plan d'action à l'égard des autochtones du Canada. On cherche vraiment à niveler le terrain de jeu pour les Premières nations. Le gouvernement fédéral, lui, va à l'encontre du principe même que la ministre et, peut-être, ses fonctionnaires déclarent vouloir appliquer aux Premières nations non seulement ici, dans la région du Deh Cho et dans le Denendeh, mais partout au Canada.

Le sénateur Adams: Pour les trois groupes qui n'ont pas encore réglé leurs revendications territoriales, la ministre choisissait leurs représentants au sein de l'office des eaux et de l'office des répercussions environnementales. Je sais que vous êtes contre le projet de loi. Si l'on vous demandait de choisir un membre de l'office après l'adoption du projet de loi C-6, que feriez-vous?

M. Nadli: Dès le début de notre exposé, je crois avoir dit qu'il est très présomptueux d'adopter le projet de loi au moment même où des mesures sont prises en parallèle même de la discussion que nous avons aujourd'hui. Il serait plutôt présomptueux de notre part de dire même que nous nommerions un membre de l'office. J'ai l'impression que, non, nous n'en nommerions pas.

M. Lockhart: Sénateur Adams, je vous remercie d'avoir posé la question. Compte tenu de ce qui s'est passé en 1990 dans le cadre des négociations avec les Dénés et les Métis, nous n'avons pas accepté la composition moitié-moitié de l'office ni le droit de veto conféré à la ministre. Nous n'avons pas donné notre consentement à l'extinction des droits. Nous touchons maintenant à un point au sujet duquel je crois que la collaboration est possible.

Nous nous entendons pour dire qu'il faudra en venir à une entente négociée. À la lumière surtout de la décision rendue dans l'affaire Delgamuukw, nous estimons que des droits applicables seront reconnus partout au Canada et que le ministère fédéral de la Justice sera en mesure d'y donner suite bientôt. Il est à peu près temps que nous en ayons l'occasion. Même si le projet de loi à l'étude est adopté -- et nous espérons le contraire --, nous ne pourrons pas soumettre des candidats à cet office parce que cela irait à l'encontre de notre position. Pour respecter ce que nous avons dit aujourd'hui, il faut que nous puissions continuer de négocier avec les gouvernements jusqu'à ce que nous nous sentions à l'aise avec la situation et en sécurité. Voilà ma réponse.

Je sais que, pour notre région aussi, le South Slave Métis Council a présenté des mémoires au nom de ses membres. Je crois que nous nous entendons tous là-dessus. Ce qu'il faut, c'est de pouvoir en discuter davantage.

Je crois qu'il est possible d'en arriver à une entente qui convienne à nos membres, du territoire Akaitcho comme du Deh Cho. La possibilité existe. Les honorables sénateurs ont beaucoup d'influence sur ce qui se passe à Ottawa et au Canada. Les projets de loi vont être adoptés. L'issue repose, en grande partie, sur vos délibérations. J'espère certes que l'on tiendra vraiment compte de toutes nos préoccupations. Je vous remercie.

Le président: Je tiens à remercier tout le monde de ces excellents exposés. Vous aurez de nos nouvelles.

M. Erasmus: C'est nous qui vous remercions de votre patience.

Le président: Je commence moi aussi à avoir le mal du pays, car je sais quel temps il fait là-bas, dans le Nord. Je ne peux pas quitter Ottawa pour l'instant. J'espère pouvoir me rendre dans le Nord bientôt. À nouveau, je vous remercie. Avec un peu de chance, nous trouverons le moyen d'aller vous rendre visite un de ces jours.

La séance est levée.


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