Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Peuples autochtones
Fascicule 9 - Témoignages
OTTAWA, le mardi 9 juin 1998
Le comité sénatorial permanent des peuples autochtones, a qui a été renvoyé le projet de loi C-6, constituant certains offices en vue de la mise en place d'un système unifié de gestion des terres et des eaux de la vallée du Mackenzie et modifiant certaines lois en conséquence et le projet de loi C-39, modifiant la Loi sur le Nunavut et la Loi constitutionnelle de 1867, se réunit aujourd'hui à 10 h 13 pour étudier les projets de loi.
Le sénateur Charlie Watt (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Nous allons commencer par le projet de loi C-6. J'espère que nous serons en mesure d'aborder le projet de loi C-9.
Peut-être devrions-nous débuter par la lettre de la ministre. Je ne sais pas si vous avez tous eu l'occasion de la lire.
Le sénateur St. Germain: Monsieur le président, j'ai lu la lettre. Monsieur, je vous pose la question suivante: avons-nous demandé à la ministre de comparaître devant nous? Il semble, à la lecture rapide de sa lettre, qu'elle fait complètement fi de l'argumentation des divers groupes dont les revendications territoriales n'ont pas encore été réglées dans les régions concernées. Comme tous les membres le savent, tous les groupes qui s'opposent à ce que le projet de loi C-6 soit adopté avant que la revendication territoriale n'ait été réglée ont défendu leur position avec vigueur. Pourquoi ne comparaîtrait-elle pas devant le comité pour que nous puissions lui demander pourquoi elle fait fi des Dogrib, des Premières nations du Deh Cho et de North Slave ainsi que d'autres groupes qui ont comparu devant nous.
Le président: Oui, nous lui avons indiqué que nous souhaitions qu'elle comparaisse devant nous. En fait, trois sénateurs -- le sénateur Forest, le sénateur Chalifoux et moi-même -- l'avons rencontrée. Nous avons insisté sur le fait qu'il est important qu'elle comparaisse devant le comité pour répondre à certains des problèmes critiques que vous avez soulevés. Le problème, c'est qu'elle n'est pas libre. Je ne crois pas qu'il soit utile de discuter plus avant du fait qu'elle ne comparaîtra pas. Elle sera peut-être en mesure de comparaître à l'occasion d'une réunion ultérieure portant sur l'autre projet de loi, mais, aujourd'hui, elle n'est pas libre.
En même temps, nous en sommes presque à la fin de la session. Si nous n'allons pas de l'avant et que nous ne nous occupons pas de ce projet de loi, nous allons au devant de certains problèmes.
Le sénateur St. Germain: Avec tout le respect que je vous dois, compte tenu des efforts que vous avez déployés, monsieur le président, je ne peux pas croire que la ministre responsable, si le projet de loi est important au point de devoir être adopté, puisse faire fi de la demande du comité et compter malgré tout sur son adoption. Le fait qu'un ministre adopte une telle position est un affront au comité et à tout le processus. Nous avons une obligation envers les personnes qui ont pris le temps de préparer et de présenter de très bons arguments pour montrer en quoi le projet de loi nuirait à leur capacité future de négocier leurs revendications territoriales.
Je trouve cela tout à fait inacceptable. Il s'agit d'un affront pour les personnes en question de même que pour le comité tout entier. Je ne puis le dire en termes assez véhéments. En faisant fi des plaidoyers et de l'argumentation des Métis et des autres groupes autochtones du Nord, le gouvernement fait preuve d'arrogance.
Le sénateur Chalifoux: Si vous lisez sa lettre datée du 9 juin 1998, vous constaterez que bon nombre de questions que vous avez soulevées ont été portées à l'attention de la ministre à l'occasion de notre rencontre. Je l'ai moi-même pressée de répondre à ces préoccupations. Elle était tout à fait dans l'impossibilité d'être ici aujourd'hui parce qu'elle s'occupe de négociations entourant des revendications territoriales. Voilà pourquoi elle a écrit cette lettre.
Dans sa lettre, elle affirme que des questions ont été soulevées à propos de la composition des offices de gestion des ressources. C'est là l'un des très importants enjeux qui préoccupent tous les intervenants. Ces derniers ont également fait part des préoccupations que leur inspire la négociation de leurs revendications territoriales, et elle en a dit un mot dans sa lettre. Elle présente ses excuses, mais elle affirme que c'est la seule façon dont elle peut répondre à ces problèmes. Nous avons eu avec elle ce que je considère comme une très bonne rencontre. Voilà comment on a répondu aux préoccupations exprimées. Monsieur le président, peut-être pourrions-nous lire cette lettre à voix haute et obtenir certains commentaires de la part des membres du comité.
Le sénateur St. Germain: Si je me rappelle bien l'argumentation des divers groupes qui ont comparu devant nous, ils ne souhaitaient pas qu'on mentionne les noms ni participer à l'exercice, par crainte de compromettre leurs positions. C'est ce dont je me souviens, et j'aimerais qu'on me corrige si j'ai tort.
Même si toute allusion de la ministre à l'inclusion de ces groupes est la bienvenue, le fait qu'ils refusent de participer par crainte de compromettre leur capacité future de négocier de bonne foi représente un problème de taille. Je m'en remets à vous, en tant que président, et je tiens à ce que mes propos soient versés au compte rendu.
Le sénateur Berntson: Je partage la préoccupation de mon collègue, même si je n'ai pas recours à des mots aussi durs. Je pense que nous devrions accommoder la ministre et la rencontrer lorsque cela lui conviendra, que ce soit en juillet, en août ou en septembre. Je pense qu'elle doit au comité et aux personnes qu'elle représente de venir ici, et je pense que nous devrions l'accommoder dans toute la mesure du possible. Si elle veut que le projet de loi soit adopté, nous demeurerons ici tant et aussi longtemps qu'elle le voudra.
Le sénateur Andreychuk: Je suis d'accord avec le sénateur Berntson.
À ma connaissance, nous n'avons jamais laissé entendre que la ministre devait venir un jour donné, à un moment précis. À mon avis, il n'était que justice qu'on donne aux groupes la possibilité de mettre leurs préoccupations sur la table. Je veux entendre la ministre nous dire si elle est en mesure de répondre à ces préoccupations et, le cas échéant, comment elle entend s'y prendre.
Une lettre portant sur des discussions avec des ministres auxquelles je n'ai pas participé ne me donne pas entière satisfaction. La ministre a l'obligation de se présenter devant un comité plénier. En tant que comité, nous ne devrions pas avoir à tenir compte de discussions qui se sont déroulées ailleurs. La seule preuve à laquelle j'accepte d'être liée est celle qu'entend le comité, et non celle qui émane d'une lettre faisant suite à des conversations avec divers sénateurs. Je félicite les sénateurs qui encouragé la ministre à comparaître. Toutefois, il ne s'agit pas, à mon avis, d'une preuve que le comité peut recevoir. Par conséquent, j'aimerais entendre la ministre.
Je pense que nous avions établi avec clarté et vigueur que nous comprenons le dilemme dans lequel la ministre se trouve. Toutefois, nous sommes aux prises avec le même dilemme. Si la ministre souhaite que nous comprenions son point de vue, elle devrait venir ici et nous le présenter. Ainsi, il figurerait au compte rendu. Ainsi, nous pourrions dire que nous avons entendu les deux parties et que, à notre avis, les agissements du gouvernement ne sont pas dénués de fondement, à supposer que nous options pour la position du gouvernement. Si nous choisissons de ne pas appuyer la position du gouvernement, nous pourrions au moins informer directement la ministre de nos préoccupations.
Il s'agit là d'une politique parlementaire valable, surtout par rapport à une lettre adressée au président dans laquelle on réfute des arguments avancés à l'occasion d'une rencontre à laquelle je n'ai pas participé. En toute justice, nous devrions nous adapter à l'emploi du temps de la ministre. Il s'agit certes d'un enjeu important non seulement pour nous, mais aussi pour elle. Nous devons bien aux autochtones et aux Métis de l'entendre et d'accorder une importance égale à l'argumentation des deux camps.
Le sénateur St. Germain: La ministre, avec qui j'ai siégé en comité auparavant, est une excellente ministre. Je suis surpris qu'elle ait adopté cette position. Des événements l'empêchent d'être ici aujourd'hui. Comme le sénateur Andreychuk, je n'ai pas non plus le sentiment qu'il était nécessaire qu'elle comparaisse aujourd'hui. À cet égard, je m'en remets au président.
A-t-on songé, au moment où on a organisé la rencontre des trois sénateurs avec la ministre, à associer un membre de l'opposition à la démarche?
Le sénateur Johnson: Cette question préoccupe le comité depuis le tout début. Nous avons tenté d'obtenir que la ministre comparaisse devant nous. Dans tous les autres comités dont j'ai fait partie, la comparution du ministre était automatique. Tout comme vous, je la respecte beaucoup.
Sommes-nous en train de dire que nous n'allons pas procéder à une étude article par article du projet de loi tant et aussi longtemps que la ministre n'aura pas comparu? Le cas échéant, faut-il en conclure que nous allons attendre qu'elle se libère au cours des prochains mois? Est-ce bien là ce que vous proposez?
Le sénateur St. Germain: Monsieur le président, qu'arriverait-il si nous demandions aux intéressés de comparaître par téléconférence et qu'aucun d'entre eux n'appuyait le projet de loi? J'ai du mal à accepter la lettre que j'ai lue et à aller de l'avant, au vu des protestations véhémentes des Métis et des diverses nations qui ont comparu devant nous. Je connais certaines de ces personnes. J'ai travaillé avec elles par le passé. Elles ont à coeur de représenter leur peuple, et elles l'ont fait d'excellente manière. J'aimerais savoir comment le ministre peut en faire fi et s'attendre à ce que nous allions de l'avant, malgré les protestations vigoureuses et bien présentées que nous avons entendues.
Le sénateur Andreychuk: Jamais un ministre n'aurait déposé un tel projet de loi sans motifs valables, et j'aimerais les entendre. Je n'oublie pas que le projet de loi suscite une certaine opposition. Au comité, nous avons adopté des projets de loi malgré l'argumentation de certains opposants. Toutefois, on consignait au compte rendu des motifs valables justifiant l'adoption du projet de loi tel que libellé. J'espère que la ministre aura pour le comité les égards qui lui sont dus et qu'elle comparaîtra. Pouvons-nous fixer une date qui lui convienne sans retarder indûment le projet de loi?
Le président: Je n'ai pas pour rôle de défendre quelque ministre que ce soit. En fait, je n'ai pas non plus pour rôle d'être dans l'intimité de quelque ministre que ce soit. Je ne pense pas que la ministre fasse fi du fait qu'on lui a demandé de comparaître devant le comité.
Deux facteurs sont en jeu. Premièrement, elle n'est pas libre. Elle s'occupe d'autres affaires. Deuxièmement, des négociations sont en cours avec les trois groupes concernés. Qui plus est, je crois savoir que deux groupes participent déjà aux négociations proprement dites. Convient-il que la ministre comparaisse au moment même où des négociations sont en cours? Il s'agit d'un autre facteur dont nous devons tenir compte.
Nous savons tous parfaitement bien que ces trois groupes ont présenté une argumentation solide. La ministre est parfaitement au courant. Faudrait-il que nous nous retrouvions à négocier autour de cette table? Est-ce bien notre rôle? Je ne le pense pas.
Même si nous demandions avec la plus grande fermeté que la ministre comparaisse, elle est mêlée à des négociations. Le moment est-il bien choisi pour sa comparution? En tant que membres du comité, devrions-nous faire état avec vigueur de nos préoccupations? Au bout du compte, une telle attitude aurait-elle plus de poids?
Je ne crois pas que nous apprendrons quoi que ce soit de nouveau, même si la ministre comparaît. Le contenu de la lettre est implicite. Le passage suivant me paraît cependant problématique. Je pense que nous devrions demander au ministère de clarifier la signification de la phrase suivante:
Si les nouveaux régimes ne devaient être établis que dans les régions visées par les ententes conclues avec les Gwich'in et le Sahtu, ces deux Premières nations devraient accepter la réouverture nécessaire des ententes sur les revendications territoriales qu'elles ont conclues.
Que faut-il en conclure? Voilà une question que j'aimerais bien poser au ministère.
Le sénateur Berntson: Monsieur le président, je vous entends, mais je ne suis toujours pas convaincu.
Le président: Que voulez-vous que je vous dise de plus?
Le sénateur Berntson: Vous dites que la ministre n'est tout simplement pas libre. Ce que vous voulez dire, je crois, c'est qu'elle n'est tout simplement pas libre aujourd'hui. Vous avez ajouté que des négociations sont en cours, puis vous vous êtes demandé si les négociations devaient se dérouler ici. À cette question, je réponds non. Seule la ministre est habilitée à établir les questions auxquelles elle peut ou ne peut pas répondre. Elle n'est pas stupide. En fait, elle est l'une des personnes les plus brillantes qu'on retrouve à l'autre endroit. Je refuse tout à fait d'admettre qu'elle ne saurait pas comment réagir en comité.
Le président: Ce n'est pas ce que j'ai dit. Je pense qu'elle ne dira rien de plus que ce qu'on retrouve dans la lettre. Si vous comptez sur elle pour vous en dire plus que ce qu'on retrouve déjà dans la lettre, alors votre argumentation, je suppose, n'est pas sans mérite.
Le sénateur Berntson: J'ai dit tout ce que j'avais à dire sur cette question.
Le sénateur Austin: Je suis d'accord pour dire qu'il serait utile et souhaitable que la ministre comparaisse devant le comité si elle était libre. Toutefois, nous avons entendu des fonctionnaires du ministère témoigner sur tous les enjeux. En vertu de nos conventions, ils s'expriment au nom de la ministre.
Nous avons affaire à des dispositions législatives qui font l'objet de négociations, et les décisions que nous prendrons ici auront un impact sur les négociations elles-mêmes.
À l'occasion, il y a quelque temps, du témoignage des Dogrib, l'un des points soulevés a suscité en moi une certaine inquiétude. Ils n'avaient pas encore convenu d'un régime de gestion des terres et des eaux ou de quoi que ce soit d'autre les concernant. Ils craignaient donc que le projet de loi, à supposer qu'il soit adopté, ne limite d'une façon ou d'une autre leur droit de négocier des titres fonciers et l'autonomie gouvernementale.
À l'époque, j'ai déclaré qu'il serait utile que la ministre, pour plus de sûreté, précise dans une lettre que le projet de loi ne porte pas préjudice à leurs négociations. À cet égard, la présente lettre est en partie satisfaisante. Il y a beaucoup d'autres détails, mais, à mon avis, la lettre règle la question.
J'ignore pourquoi la ministre n'est pas ici, mais la question des négociations trouve en moi un écho favorable. Comme le sénateur Berntson l'a indiqué, la ministre serait souvent tenue de répondre: «Je regrette, cette question fait l'objet de négociations, et je ne puis pas faire de commentaires.» Nos questions risquent d'embarrasser la ministre parce qu'elle pourrait donner l'impression de durcir la position de négociation du gouvernement fédéral même si ce n'est pas du tout son intention. Elle tente de laisser aux négociateurs le soin de négocier. Il aurait été utile qu'elle autorise le sénateur Chalifoux, le sénateur Forest ou vous-même à nous le dire. Je suppose que c'est là sa position.
Je pense que nous devrions entreprendre l'étude du projet de loi. Il incombe aux sénateurs de décider comment, mais nous devrions tenter d'établir si nous pouvons faire progresser le projet de loi. Si, pour d'autres motifs, nous sommes dans l'impossibilité de le faire, l'exercice nous aidera aussi à déterminer ce que nous faisons. Dans les propos des sénateurs Berntson, Andreychuk et St. Germain, rien ne laisse entendre qu'ils souhaitent interrompre ici les discussions.
Entreprenons l'étude du projet de loi, et voyons où nous en sommes. Puis nous reviendrons sur cette question pour déterminer, en comité, les renseignements additionnels que, le cas échéant, nous demanderons à la ministre de nous fournir.
Le sénateur St. Germain: Monsieur le président, j'aimerais répondre au sénateur Austin. Nos témoins, je le comprends, affirment que la comparution de la ministre devant nous aurait une incidence sur les négociations. Du point de vue de ce que j'entends dans l'autre camp, cette argumentation n'a tout simplement aucun sens.
Nous avons entendu des représentants des Dogrib. Je leur ai demandé, de façon explicite, si le projet de loi aurait un effet sur le règlement futur de leurs revendications territoriales de même que sur leur capacité d'en venir à une entente. Ils ont déclaré que oui. Vos propos vont à l'encontre de ce que nous avons entendu. Ce sont là les personnes qui sont touchées. Ce sont là les personnes à qui nous tentons de venir en aide. C'est là le problème que nous tentons de résoudre.
Si la ministre acceptait de comparaître devant nous, elle pourrait peut-être clarifier la situation. Peut-être en serait-elle incapable. Je ne comprends pas bien ce qui se passe; en fait, je tente de l'établir.
Les revendications territoriales de la majorité des personnes qui se disent préoccupées n'ont pas été réglées, et pourtant nous allons aller de l'avant malgré les voeux de ces personnes. À mes yeux, cela n'a aucun sens. Le gouvernement agit contre les citoyens plutôt que pour les citoyens.
Je ne tiens pas de propos partisans. Tout cela n'a simplement aucun sens. C'est illogique. Je n'arrive pas à croire que nous allons aller de l'avant. Nous avons demandé à ces personnes, c'est-à-dire aux chefs, aux représentants et aux leaders de leurs nations, de comparaître. Si la ministre est dans l'impossibilité de comparaître aujourd'hui, pourquoi ne pas attendre qu'elle comparaisse à une date ultérieure.
Le sénateur Austin: Le sénateur St. Germain est en train de nous prouver à tous que la ministre, à supposer qu'elle comparaisse, sera soumise à un examen accusatoire qui portera sur les négociations elles-mêmes. On a ici affaire à deux points de départ différents.
La question que doit se poser le comité est la suivante: devrions-nous adopter le projet de loi au motif qu'il ne porte pas préjudice au règlement des revendications qui n'ont pas encore fait l'objet d'une entente?
Nous avons accueilli certains groupes qui n'ont pas participé au processus de règlement et qui, pourtant, affirment que tout dans la réglementation et l'administration des terres et des eaux de la vallée du Mackenzie doit attendre la conclusion d'une entente.
Le gouvernement nous dit que l'adoption du projet de loi ne portera pas préjudice aux négociations. Lorsque ces groupes seront disposés à s'associer à la démarche, on prendra des mesures qui leur permettront de participer au même titre que les Premières nations du Sahtu et des Gwich'in.
S'il faut recourir à une motion, je suis disposé à proposer que nous entreprenions l'étude du projet de loi article par article. Nous serons alors en mesure de décider quels sont les problèmes en suspens que nous ne sommes pas en mesure de régler en tant que comité. Si tel est le cas, nous pourrons déterminer s'il convient ou non d'inviter la ministre.
Commençons par établir à quoi nous avons affaire.
Le sénateur Taylor: Je retire de l'argumentation de nos témoins une impression tout à fait contraire à celle du sénateur St. Germain.
Soit dit en passant, en écoutant les sénateurs St. Germain et Austin -- qui viennent tous deux de la Colombie-Britannique -- discuter du problème autochtone, j'ai compris pourquoi le règlement du problème autochtone en Colombie-Britannique pose de si nombreux problèmes.
Le sénateur Austin: Dans votre évaluation, vous ne tenez pas compte du gouvernement provincial.
Le sénateur Taylor: Ceux qui n'ont pas encore signé de revendication territoriale ont déclaré sans équivoque qu'ils refusaient catégoriquement d'approuver le projet de loi, pour quelque considération que ce soit, par crainte que le gouvernement ne l'utilise comme une sorte de rançon pour obtenir un règlement des revendications territoriales.
Tout se résume donc à déterminer si le projet de loi doit être utilisé pour obtenir le règlement de revendications territoriales ou comme levier, et l'environnement de la vallée du Mackenzie est suffisamment important pour qu'on aille de l'avant et qu'on résolve le problème de la cogestion. Voilà ce que fait le projet de loi. La ministre l'a indiqué à un certain nombre de reprises, et, dans le projet de loi, je n'ai rien vu qui laisse entendre le contraire ni qui compromette ces revendications.
Je ne leur fais cependant pas de reproches. Si j'étais à leur place, je m'arrangerais aussi pour tout bloquer. Je bloquerais l'aménagement de routes, le développement hydro-électrique, la protection de l'environnement -- absolument tout. Cela s'inscrit dans le cadre des négociations. Je crois qu'il nous appartient d'établir s'il s'agit d'une stratégie de négociation ou si le projet de loi contient des dispositions qui porteront préjudice à leurs revendications territoriales.
Après avoir lu le projet de loi et écouté les témoins, j'en suis venu à la conclusion que rien dans le projet de loi ne compromet les revendications, mais que la mise en valeur et l'environnement de la vallée revêtent de l'importance pour les personnes qui y vivent. Par conséquent, je pense que le projet de loi est satisfaisant.
Le sénateur St. Germain: Monsieur le président, j'aimerais répondre au sénateur Austin: il existe des règlements qui régissent l'environnement et l'utilisation du territoire. Je lis la lettre, dans laquelle on affirme explicitement, à la page trois:
Le projet de loi ne porte pas sur les droits de propriété et n'a pas d'incidence sur la capacité du propriétaire de gérer ses terres.
Pourtant, les terres font clairement partie du projet de loi. Si le comité est disposé à adopter une modification ayant pour effet d'exclure tous ceux dont les revendications territoriales n'ont pas encore été réglées ou encore une modification en vertu de laquelle le projet de loi s'appliquerait à toutes les personnes qui ont réglé leurs revendications territoriales, je ne m'opposerais nullement à ce qu'on aille de l'avant.
Le sénateur Austin: Pourquoi ne pas procéder à l'examen article par article. Lorsque nous arriverons à cette disposition, nous verrons ce que pense le comité.
Le sénateur Andreychuk: Je tiens à soulever une objection à propos de ce qu'a déclaré le sénateur Austin, à savoir que nous soumettons la ministre à un examen accusatoire. Telle n'a jamais été mon intention. Je crois que vous avez utilisé l'expression «membres», sans identifier quelqu'un en particulier.
Le sénateur Austin: J'ai identifié quelqu'un. J'ai dit que le sénateur St. Germain étayait ma thèse.
Le sénateur Andreychuk: Je ne pense pas que c'est ce que fait le sénateur St. Germain -- et il peut se défendre lui-même. Je pense qu'il existe une préoccupation véritable. Nous en sommes en butte à deux problèmes, et ces deux problèmes sont identiques à ceux auxquels la ministre est confrontée. L'article 35 de la Constitution nous oblige tous à consulter les groupes autochtones lorsque leurs droits sont touchés, et tous les groupes qui se sont présentés ici nous ont dit que leurs droits étaient touchés. Les règles de l'art, la jurisprudence et l'histoire nous enseignent à tous que nous devrions nous garder d'imposer notre opinion à l'égard de ce qui influe sur leurs droits. Nous devrions entendre leurs objections et en tenir compte. Je ne souhaite pas que leurs commentaires soient exclus.
De même, j'estime que le ministre et le comité ont, du fait de leur charge publique, des obligations envers la communauté autochtone. Je tiens à m'acquitter de cette responsabilité comme il se doit. Je refuse d'accepter une lettre à mon avis ambiguë et de faire des déclarations quant au fait que les revendications non réglées sont ou non touchées. Je ne souhaite pas être dans l'obligation de négocier avec la ministre au sujet d'une lettre. Je préfère que la ministre comparaisse et fasse ressortir les dilemmes pour nous. Le gouvernement ne nous a pas indiqué la position qu'il prendra dans un sens ou dans l'autre. Un camp sera insatisfait du projet de loi -- celui qui souhaite qu'il soit adopté, ou encore celui qui s'y oppose.
Comment trancher au mieux ce problème? Comment trancher dans le respect de notre charge publique, de l'article 35 de la Constitution, des questions environnementales et des revendications territoriales des Indiens? Je suis disposée à soupeser tous ces enjeux, mais je tiens à entendre le point de la ministre à leur sujet. À cet égard, nous devons respecter la procédure.
Normalement, j'aurais accepté la comparution de fonctionnaires du ministère, mais cette question fait maintenant partie du problème. On a affirmé ici que les fonctionnaires du ministère et la façon dont ils s'occupent des revendications territoriales semblent faire partie du problème.
J'aimerais revenir au projet de loi C-6 -- à la responsabilité du ministre et à la nôtre. Comme nous avons des interprétations divergentes de la position de la ministre, je ne crois pas que nous puissions passer à l'examen article par article. Est-ce la lettre ou ce que les bureaucrates nous ont dit plus tôt qui rend compte de la position de la ministre? Il y a de nombreuses idées fausses.
Je répète une fois de plus que l'exercice ne vise pas à mettre la ministre dans l'embarras ni à associer le comité aux négociations entourant les revendications territoriales. À supposer que la ministre comparaisse, je soutiendrai que nous ne devrions pas toucher à ces questions.
Le sénateur Austin: En ce qui concerne l'allusion qu'a faite le sénateur Andreychuk à l'article 35 de la Constitution, on ne peut pas, à mon avis, prétendre que le projet de loi C-6 y déroge d'une façon ou d'une autre. Comme la Constitution est la loi suprême, il ne le pourrait pas, de toute façon. Pour plus de sûreté, on a intégré au projet de loi les paragraphes 5(1) et 5(2), ce dernier se lisant comme suit:
Il est entendu que la présente loi ne porte pas atteinte à la protection des droits existants -- ancestraux ou issus de traités -- des peuples autochtones du Canada [...]
Il est inutile que nous posions des questions à la ministre à propos de ce qui est établi clairement dans la Constitution. Le sénateur Andreychuk a peut-être raison de parler de preuves divergentes. Dans l'examen article par article, chacun d'entre nous aura la possibilité d'expliquer la preuve qui justifie ou ne justifie pas un article donné. Voilà précisément à quoi sert l'examen article par article.
Une fois de plus, je propose que le comité passe à l'examen article par article. Déterminons le nombre de points d'achoppement, et nous serons alors en mesure de déterminer si nous voulons ou non que la ministre comparaisse.
Le président: C'est la deuxième fois que je vous entends faire ce commentaire.
Le sénateur Austin: J'en fais la proposition.
Le président: Je propose que le sénateur Adams soit le prochain à intervenir. Puis, j'aimerais dire quelques mots pour clarifier deux ou trois questions.
Le sénateur Adams: Monsieur le président, nous avons ici une ébauche du projet de loi C-6, et je me demande si un exemplaire du texte a été télécopié aux communautés. Nous en avons discuté. Savons-nous s'ils ont toujours certaines inquiétudes? A-t-on fait parvenir une copie du texte aux Dogrib ou aux communautés de North Slave et de South Slave -- celles qui s'inquiètent des revendications territoriales non réglées? Si les communautés en question ont accepté le texte, peut-être pourrions-nous passer à l'examen article par article du projet de loi C-6.
Avez-vous fait parvenir l'ébauche à ces communautés?
Le président: De quelle ébauche parlez-vous?
Le sénateur Adams: De celle que vous m'avez remise ce matin.
Le président: Elle renferme diverses options. Nous n'en sommes pas encore là.
Le sénateur Taylor: A-t-elle été distribuée?
Le président: Non, elle n'a pas été distribuée aux communautés.
Le sénateur Taylor: A-t-elle été distribuée en dehors des membres de notre groupe?
Le président: Il s'agit d'un document interne du comité.
Le sénateur Taylor: Si le document devait parvenir aux autres, il ne serait pas d'une bien grande utilité.
Le président: Avant de revenir à la proposition du sénateur Austin, j'aimerais mentionner que, par le passé, j'ai été mêlé à diverses négociations. Mes propos jetteront peut-être un certain éclairage sur le problème auquel nous sommes confrontés.
Deux négociations sont en cours. Nous parlons d'une série de négociations, mais nous devrions plutôt parler de deux. La première a trait aux préoccupations ethniques, soit, habituellement, à la question des terres, des titres fonciers, des redevances et des choses de cette nature. C'est le volet ethnique. Il y a aussi un volet public, qui a trait au mouvement vers l'autonomie gouvernementale. Lorsque je fais l'analyse des propositions qui sont devant nous aujourd'hui et du fait qu'on affirme dans le projet de loi lui-même que rien ne peut porter atteinte aux droits ancestraux, je dois en venir à la conclusion qu'il ne pourrait pas le faire de toute façon, en raison de la Constitution.
Nous n'avons pas à nous préoccuper du volet ethnique. Les personnes qui affirment que leurs droits seront touchés ne devraient pas se préoccuper autant puisqu'elles pourront malgré tout les négocier suivant les mêmes paramètres. Rien ne les empêche d'entreprendre les négociations relatives au volet ethnique.
Lorsqu'on commence à examiner comment il convient de mettre sur pied une institution publique, on doit s'interroger sur l'impact que la mesure aura sur les personnes qui ont déjà la capacité de négocier le volet ethnique. Il y a seulement une semaine, je me trouvais dans la même situation que vous. J'ai dû chercher la vérité dans les arguments avancés par le gouvernement. J'en suis alors venu à la conclusion que le seul aspect qui pourra être touché a trait au nombre de sièges que les groupes pourront obtenir aux fins de l'office régional.
Quel rôle peuvent-ils jouer lorsqu'ils occupent un siège au sein de ce conseil cadre? Ils auront un rôle à jouer en ce qui a trait à la réglementation des eaux et des terres, à l'approbation des permis, aux choses de cette nature. Il s'agit, si je comprends bien, d'une responsabilité gouvernementale, qui est donc liée non pas au volet ethnique, mais bien plutôt au volet «institution publique».
Lorsque nous parlons de négociations, nous nous plongeons nous-mêmes dans la confusion puisque nous avons affaire non pas à un volet, mais bien plutôt à deux. Est-ce que cela vous éclaire?
Le sénateur Austin: Je me demande si vous pourriez définir ce que vous entendez par «ethnique»? Dans quel sens utilisez-vous ce mot? Faites-vous référence aux tribus ou aux bandes?
Le président: On pourrait rendre le mot «ethnique» par «sociétés ethniques» -- des organisations qui n'appartiennent qu'aux groupes autochtones. Il peut s'agir d'un conseil tribal ou d'un conseil de bande.
Le sénateur Austin: Merci.
Le président: Lorsque nous entreprendrons l'examen article par article, vous constaterez qu'il s'agit d'un projet de loi public, et non d'un projet de loi ethnique. Il ne règle pas les préoccupations liées au volet ethnique. C'est pourquoi j'ai dû établir le sens véritable des propos du ministère -- c'est-à-dire que leurs droits ne seront pas touchés.
Le sénateur St. Germain: Monsieur le président, que diriez-vous aux personnes qui ont comparu devant nous et ont affirmé le contraire?
Le président: Je leur dirais la même chose. Dans leur présentation, ont-ils établi une distinction entre le volet ethnique et le volet public? Non. Ils ont présenté leur argumentation comme s'il n'y avait qu'une série de négociations. J'ignore pourquoi ils ont agi de la sorte. Cela m'échappe tout à fait.
Le sénateur St. Germain: Tout dépend de la façon dont on voit les choses.
Le président: Par le passé, j'ai négocié le volet public et le volet ethnique. Je connais la procédure. Si j'étais ministre, je ne voudrais certainement pas me mêler de cette question.
Le sénateur St. Germain: C'est de cela qu'est faite la vie d'un ministre.
Le président: Le sénateur Austin a proposé que nous passions à l'examen article par article.
Les honorables sénateurs sont-ils d'accord?
Des voix: D'accord.
Le président: Adopté.
Le titre abrégé est-il adopté?
Des voix: D'accord.
Le sénateur Austin: Pouvons-nous procéder par consensus? Si certains sénateurs soulèvent les objections à propos d'une disposition, nous pourrons alors en débattre.
Le président: Certainement.
Le sénateur St. Germain: J'ai une question. Pourrions-nous demander aux fonctionnaires de nous dire quels articles, avant la partie 4, ont une influence sur des groupes autres que les Premières nations des Gwich'in et du Sahtu?
Le président: Nous demanderons aux fonctionnaires de siéger en tant que témoins pendant notre examen du projet de loi article par article.
Puis-je demander aux témoins de se présenter eux-mêmes?
M. Will Dunlop, directeur, Direction de la politique des ressources et des transferts, ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien: Monsieur le président, j'ai aujourd'hui à mes côtés Margaret Gray et Jacques Denault. Suzanne Grenier, du ministère de la Justice, agit comme conseillère relativement au projet de loi.
Le sénateur Austin: Dans les parties 1 à 3, y a-t-il des dispositions qui touchent les communautés qui ne sont pas encore parties à une entente, en d'autres termes des communautés autres que celles du Sahtu et des Gwich'in? Pouvez-vous nous dire comment les autres communautés sont touchées par les parties 1, 2 et 3?
Le sénateur St. Germain: C'est ce que j'aimerais savoir.
Le sénateur Chalifoux: Où le préambule intervient-il? Dans la petite partie 4 du cahier d'information, on retrouve une analyse article par article de la Loi sur la gestion des ressources de la Vallée du Mackenzie. On devrait en tenir compte ici. Le document me paraît très bien fait.
Le président: Ce sont les cahiers d'information qui ont été préparés par le ministère.
Le sénateur Chalifoux: Il s'agit d'une trousse d'information qui concerne la Loi sur la gestion des ressources de la Vallée du Mackenzie proposée.
Le président: Les représentants du ministère peuvent-ils répondre à la question posée?
M. Dunlop: Oui, Monsieur le président. On retrouve à l'article 2 une définition de «Première nation» et de «vallée du Mackenzie». Large, la définition de Première nation comprend des groupes autres que ceux des Gwich'in et du Sahtu. On utilise la définition à l'article 8, disposition qui porte que les dispositions législatives proposées doivent faire l'objet d'une consultation et d'un examen.
Le sénateur Chalifoux: Avant que nous ne poursuivions, on lit ici:
«Première nation» Outre la Première nation des Gwich'in ou celle du Sahtu, tous les organismes représentant d'autres Dénés ou Métis des régions de North Slave, South Slave ou Deh Cho de la vallée du Mackenzie.
Ces régions découlent de l'entente conclue le 9 avril 1990 avec les Dénés et les Métis, qui n'a pas été ratifiée. La situation a-t-elle changé? L'entente a-t-elle été ratifiée?
M. Dunlop: Nous ne faisons que définir les régions géographiques que comporte la vallée du Mackenzie.
Les deux dispositions que renferme l'article 8 portent sur l'examen du projet de loi et la consultation à laquelle il donne lieu, et vous verrez qu'on utilise l'expression «Première nation».
À ma connaissance, on ne retrouve rien à ce sujet dans la partie 2, Aménagement territorial.
La partie 3, Réglementation des terres et des eaux, porte uniquement sur l'Office des terres et des eaux constitué pour les régions désignées visées par l'accord gwich'in et l'accord du Sahtu. Quant à savoir s'il existe une disposition portant sur la tenue de consultations en marge de ces régions, je ne suis pas certain. À l'article 90, on précise que le ministre doit consulter les Premières nations dès la première phrase.
Sénateur, votre question concerne-t-elle les trois premières parties?
Le sénateur St. Germain: Avec votre permission, j'aimerais poser une question, afin de tenter d'accélérer la procédure. Si nous modifiions la définition de «Première nation», pour qu'elle ne s'applique qu'aux Premières nations des Gwich'in et du Sahtu, ne réglerait-on dont pas fondamentalement le problème pour l'ensemble du projet de loi? Il serait inutile d'apporter des modifications dans l'ensemble du projet. Ce faisant, les dispositions législatives proposées ne s'appliqueraient qu'à ces deux groupes, ce qui aurait pour effet d'apaiser les préoccupations qu'inspirent à certains d'entre nous l'obligation d'adopter le projet de loi malgré l'opposition des Dénés ou des Métis de North Slave et de South Slave ainsi que de la région de Deh Cho de la vallée du Mackenzie.
Si nous agissions de la sorte, les autres groupes pourraient être intégrés aux dispositions législatives au fur et à mesure qu'ils règlent leurs revendications. Nous pourrions peut-être adopter certaines dispositions selon lesquelles le projet de loi s'appliquera aux Dogrib et à la région de Deh Cho au fur et à mesure que des ententes sur les revendications territoriales sont conclues. Ainsi, les Premières nations auraient la possibilité de s'associer à la démarche. Ou encore, à la suite des négociations, elles seraient visées par le projet de loi. Tout serait réglé.
Il ne s'agit pas d'une question à caractère accusatoire. À mes yeux, il s'agit d'une question de bon sens. Je comprends l'autre argumentation, mais on ne peut faire fi des personnes qui ont comparu devant nous. Je n'arrive pas à croire qu'elles utilisent le projet de loi dans l'intérêt de leurs négociations. Je ne pense pas que cela soit nécessaire. On est parvenu à des règlements dans quatre régions différentes, et, à ma connaissance, personne n'a eu recours à des ruses de la sorte. Rien ne me permet de croire que c'est ce que les intéressés sont en train de faire. Cela dit, qu'on me corrige si je me trompe.
M. Dunlop: Si on modifie la définition de «Première nation» comme vous le suggérez, les Premières nations seront soustraites des consultations, de la participation et de la nomination à l'Office d'examen des répercussions environnementales définie dans la Partie 5. De plus, elles ne seront pas consultées. Elles n'auront pas leur mot à dire dans la conception du programme communautaire de contrôle des répercussions auxquelles on fait allusion dans la Partie 6: En effet, on y mentionne que le programme ne pourra être mis en place qu'une fois toutes les Premières nations consultées.
Le sénateur St. Germain: Monsieur le président, n'avez-vous pas indiqué que ces personnes ne sont pas, de toute façon, disposées à siéger à l'un ou l'autre de ces offices? N'est-ce pas ce qu'elles ont dit? Si je me rappelle bien, elles ont fondamentalement affirmé qu'elles n'entendaient pas participer. Monsieur, je comprends ce que vous dites. Le projet de loi s'applique.
M. Dunlop: Pour le moment, certains s'associent à la démarche, d'autres non.
Le sénateur St. Germain: Parmi celles qui s'associent à la démarche, y a-t-il des personnes qui ne font pas partie des groupes qui ont témoigné? Il est possible que certaines personnes de ces régions participent, sans pour autant faire partie des groupes qui ont présenté des exposés au nom de leur nation.
M. Dunlop: Non, les personnes en question ne font partie d'aucun des groupes qui ont présenté un exposé.
Le sénateur Andreychuk: À supposer que nous excluions les autres groupes de la définition, vous nous dites qu'ils seraient également exclus des consultations. Le gouvernement devrait-il alors revoir les structures des offices?
M. Dunlop: Si on retire du projet de loi l'Office d'examen des répercussions environnementales ou qu'on restreint ce dernier aux régions désignées visées par l'accord gwich'in et l'accord du Sahtu, le projet de loi devra être retiré. Nous devrons alors rouvrir les revendications territoriales des Gwich'in et du Sahtu et renégocier le chapitre 25.3.2, qui porte sur la création d'un office pour l'ensemble de la vallée. Nous aurons modifié la revendication territoriale de façon unilatérale, et nous serons tenus de revenir sur l'entente et de la rouvrir.
Le sénateur St. Germain: Êtes-vous en train de nous dire que le règlement des revendications territoriales des Gwich'in et du Sahtu était conditionnel à la conclusion de cette entente, même si, ce faisant, on risquait de nuire ou de porter atteinte à d'autres régions, dans les proportions qu'elles ont elles-mêmes décrites?
M. Dunlop: Non, ce que je dis, c'est que les revendications territoriales des Gwich'in et du Sahtu exigent la création d'un Office d'examen des répercussions environnementales pour l'ensemble de la vallée. L'une des conditions est que 50 p. 100 de l'office doit se composer de personnes de l'ensemble de la vallée nommées par les Premières nations, mais les Gwich'in et le Sahtu vont faire valoir leurs droits ancestraux pour obtenir de procéder à ces nominations et de siéger à l'office. Les deux groupes ont le droit de siéger à l'office. En fait, ils doivent y siéger, et nous avons reçu leurs nominations.
Le sénateur Andreychuk: Je pensais que les Premières nations des Gwich'in et du Sahtu avaient indiqué que l'entente ne visait que leurs terres.
M. Dunlop: Dans cette réponse, elles faisaient référence à l'Office des terres et des eaux défini dans la partie 4. La partie 5 a trait à l'obligation du Canada de créer l'Office d'examen des répercussions environnementales.
Le sénateur Andreychuk: La partie 4 pourrait-elle être limitée à leurs seules terres?
M. Dunlop: Si la partie 4 est restreinte ou qu'on ne s'en occupe pas du tout, il y aura un trou dans le projet de loi. Le projet de loi n'a pas pour effet de créer de liens ni de relations de travail entre le fonctionnement de l'office, l'approche axée sur la cogestion que renferme le projet de loi, l'actuel Office des eaux des Territoires du Nord-Ouest et notre ministère.
À l'heure actuelle, notre ministère et l'Office des eaux des Territoires du Nord-Ouest fonctionnent de façon distincte. Les eaux et les terres ne sont pas intégrées dans un régime unique. En ce qui a trait aux terres, le ministère agit par lui-même dans un secteur de la vallée. Il n'entretient aucune relation avec le président ou les comités de l'Office des terres et des eaux, ni avec les Gwich'in, ni avec le Sahtu. Nous ne nous en occupons tout simplement pas. Rien n'est prévu à ce sujet. Il n'y a pas non plus de lien entre l'Office des eaux des Territoires du Nord-Ouest actuel et l'Office des terres et des eaux du Sahtu ou encore l'Office gwich'in des terres et des eaux.
Dans l'hypothèse où une entreprise axée sur l'utilisation du territoire se trouvait de part et d'autre d'une frontière, on se retrouverait dans une situation quelque peu confuse. À titre d'exemple, nous songeons à une entreprise qui serait établie en partie dans la région du Sahtu et en partie dans la région de North Slave, ou en partie dans la région du Sahtu et en partie dans la région de Deh Cho, dans la vallée du Mackenzie. À qui reviendrait la décision finale? Faudrait-il dire aux demandeurs de s'adresser d'abord à l'Office des terres et des eaux pour obtenir une partie de l'approbation, puis au Bureau de l'aménagement des terres pour obtenir l'autre partie de l'approbation? À supposer qu'elle ait besoin d'un permis d'utilisation des eaux -- si, en d'autres termes, elle doit utiliser les eaux de plus d'une région -- , l'obligerez-vous à se soumettre à deux séries d'audiences et à obtenir l'approbation de deux offices? Il n'y a pas du tout de liens. Nous ne nous sommes pas du tout intéressés à cette question.
Le sénateur Andreychuk: Voilà qui a pour effet d'alourdir la procédure. Ce que vous nous dites, c'est qu'il y a dédoublement, mais, en revanche, le même problème se pose en ce qui a trait aux négociations territoriales. Vous menez des négociations territoriales parallèles, et les parties à ces négociations veulent quelque chose d'autre que les Premières nations des Gwich'in et du Sahtu.
M. Dunlop: C'est possible, mais c'est l'approche que nous avons mise de l'avant. L'approche axée sur la cogestion est celle que le Canada a adoptée, parce qu'il la considère comme supérieure.
On vous a dit qu'il s'agissait d'une vieille idée héritée des années 80; c'est faux. Elle est le fruit des années 90. Il s'agit d'une approche de la cogestion sans pareille. Rien de ce qu'on voit à l'horizon ne s'en rapproche. Il s'agit d'une véritable cogestion. Le gouvernement se retire de la délivrance de permis d'utilisation des eaux. Nous nous retirons de l'exécution du régime d'évaluation des répercussions environnementales, et nous confions ces responsabilités à deux offices.
Le fonctionnement du régime nous a valu des critiques. Par exemple, on nous reproche ou bien de ne pas procéder à des consultations suffisantes avant de prendre des décisions et ne pas associer assez de personnes à la démarche, ou encore d'imposer des échéanciers trop courts. Nous allons nous retirer totalement du secteur.
Le sénateur Andreychuk: S'agit-il d'une prescription de la loi? Supposez qu'on n'adopte pas la partie 4, mais que les deux camps jugent la mesure nécessaire, ne pourrait-on pas appliquer le principe de la cogestion par consensus et par convention, plutôt que de l'imposer dans un texte de loi?
M. Dunlop: Le consensus pourra fonctionner jusqu'à ce qu'une contestation intervienne. Cette contestation pourra venir d'une tierce partie qui n'est pas d'accord avec les liens créés entre les offices de cogestion et le régime actuel, ou encore avec les restes du régime actuel. Lorsqu'une tierce partie vous oblige à tenir une audience et que vous n'avez pas d'autre choix, mais que, par consensus, vous avez convenu qu'une autre partie tiendra l'audience, vous serez probablement le perdant. Si on conteste devant le tribunal le fait que la loi n'autorise pas deux organismes à tenir une série d'audiences, vous perdrez probablement. Une telle démarche est inefficace, efficiente et vouée à l'échec. On ne trouvera pas deux lois qui s'y prêtent.
L'ingénieur en utilisation des terres dont on fait mention dans la loi actuelle est un employé du ministère, dans les Territoires du Nord-Ouest et dans la région de l'ouest de l'Arctique. Aujourd'hui, c'est à cette personne qu'il incombe de délivrer les permis d'utilisation des terres. Dans le projet de loi, l'expression «ingénieur en utilisation des terres» ne figure nulle part. Dans le projet de loi, on n'établit aucun lien entre cet ingénieur et qui que ce soit d'autre -- qu'il s'agisse du président ou de tout membre des comités. S'il est absent, c'est que nous nous passerons de lui.
Le sénateur Andreychuk: Si, au terme des négociations territoriales avec des bandes autres que celles des Gwich'in et du Sahtu, on en venait à la conclusion qu'il convient d'adopter un autre style de gestion pour la vallée, le projet de loi l'interdirait.
M. Dunlop: Non, il serait modifié au moyen des dispositions de mise en oeuvre.
Le sénateur Andreychuk: Il devrait être modifié, ce qui pourrait aller à l'encontre de ce que souhaitent les Premières nations du Sahtu et des Gwich'in.
M. Dunlop: Oui. Je devrais mieux expliquer mes propos. Vous soulevez un bon point.
Dans les Territoires du Nord-Ouest, on ne peut conclure une entente territoriale qui vous obligerait à rouvrir ou à modifier artificiellement les obligations du Canada à l'endroit des Premières nations des Gwich'in et du Sahtu, sans associer ces dernières à une renégociation de la revendication territoriale. On ne peut modifier arbitrairement les termes d'une entente finale. Cela ne se fait pas.
Le sénateur Andreychuk: Au moment de la conclusion des ententes avec les Premières nations des Gwich'in et du Sahtu, on nous a dit que les dispositions législatives porteraient sur leurs terres. À l'époque, je ne savais pas que les ententes auraient une incidence sur les négociations territoriales futures d'autres nations. N'est-ce pas là le noeud de l'énigme à laquelle nous nous heurtons?
M. Dunlop: Vous vous êtes occupé des dispositions législatives de mise en oeuvre des revendications territoriales des Gwich'in et du Sahtu, et elles n'ont lié absolument personne. Ce qui lie les négociateurs, c'est la position du Canada selon laquelle on établira un régime de cogestion intégré et complet dans l'ouest des Territoires du Nord-Ouest. Il y a des variations. On apporte des modifications mineures et on discute d'options et de versions à un certain nombre de tables, mais c'est l'approche axée sur la cogestion qui sera retenue. Il n'y aura pas cinq régimes de gestion dans la vallée.
Le sénateur Andreychuk: Vous avez dit «il n'y aura pas». D'où vient cette position? S'agit-il simplement d'une politique publique? S'agit-il d'une politique gouvernementale? Y a-t-il un autre texte de loi que celui que nous avons devant nous, ou est-ce à vous qu'il revient d'énoncer cette politique?
M. Dunlop: Le projet de loi nous donne simplement l'occasion d'exprimer cette politique. Dans le cadre des négociations, nous utilisons la politique relative aux revendications territoriales globales, le guide fédéral sur les négociations de l'autonomie gouvernementale, la politique relative aux droits inhérents et les mandats définis par le Cabinet pour chacune des revendications territoriales approuvées qui font actuellement l'objet de pourparlers. Le projet de loi ne commande rien du tout.
Le sénateur Andreychuk: Le projet de loi est motivé par une politique gouvernementale mise en place après la signature des ententes avec les Premières des Gwich'in et du Sahtu?
M. Dunlop: Non. La politique relative aux revendications territoriales globales est en vigueur depuis 1987.
Le sénateur St. Germain: S'agit-il de la théorie de la cogestion?
M. Dunlop: Non. La cogestion, issue des négociations avec les Premières nations des Gwich'in et du Sahtu, repose sur l'entente conclue avec les Dénés et les Métis en 1990.
Le sénateur Andreychuk: À quand remonte la théorie selon laquelle la cogestion doit s'appliquer à l'ensemble de la région?
M. Dunlop: 1994 ou 1995.
Le sénateur Andreychuk: C'était donc après la signature des ententes avec les Premières nations des Gwich'in et du Sahtu?
M. Dunlop: Oui.
Le sénateur Andreychuk: Voilà le problème. Nous avons changé d'approche.
Le président: Pouvons-nous passer à un autre article? Nous en étions aux définitions.
Le sénateur Austin: Y a-t-il d'autres questions au sujet du problème soulevé par le sénateur St. Germain? À savoir qu'on ne devrait adopter un régime global de gestion des terres et des eaux de la vallée du Mackenzie que s'il y a unanimité entre les communautés qu'on y retrouve?
M. Dunlop a indiqué que le gouvernement avait pour politique d'adopter un régime de gestion intégré. Cette politique a pour but -- et, monsieur Dunlop, vous me corrigerez si j'ai tort -- de favoriser le développement économique de la vallée du Mackenzie. Ainsi, les investisseurs, les sociétés minières, les sociétés pétrolières et gazières et d'autres investisseurs, qui, avec l'approbation du gouvernement et des communautés, présentent des demandes de permis, n'auront qu'à s'adresser à un seul endroit pour obtenir qu'une décision soit prise.
En vertu de la structure des dispositions législatives, les communautés concernées participent toutes au processus décisionnel. Ce que je veux dire, c'est qu'il y a une différence philosophique. J'ignore jusqu'à quel point le sénateur St. Germain tient à l'objection qu'il a soulevée. Dans le cadre d'une négociation, comme il l'a indiqué plus tôt, les personnes qui n'ont pas encore conclu une entente ne veulent pas qu'on modifie leur situation, à moins qu'elles n'y consentent. Tel est l'effet de levier qu'elles veulent utiliser dans le cadre de leurs négociations.
Le ministre et le gouvernement affirment que le régime ne portera pas atteinte aux droits fonciers ni aux droits à l'autonomie gouvernementale. Le projet de loi n'a aucun effet sur ces revendications de base; il a des effets sur la gestion de l'environnement, de manière à ce que le développement économique puisse s'amorcer.
Voilà, exprimée le plus simplement possible, la compréhension que j'ai de ce que nous cherchons à faire dans le cadre du projet de loi. Les sénateurs seront peut-être d'accord avec l'hypothèse avancée par le sénateur St. Germain, et que le sénateur Andreychuk a encore mieux développée. Toutefois, je suis d'avis que nous devrions procéder à l'étude du projet de loi. J'aimerais que le comité le passe en revue pour établir si l'un ou l'autre des articles soulève des objections particulières. Le cas échéant, nous pourrons en discuter ce matin.
Je sais que le sénateur Adams, qui est un homme patient, nous attend avec le projet de loi C-39.
Le sénateur St. Germain: Ce que disent les fonctionnaires a beaucoup de sens, à condition que les participants soient d'accord avec l'esprit de leurs propos. Dans notre pays, nous avons toujours imposé nos volontés aux autochtones.
Par esprit de compromis, nous demandons uniquement -- je le répète encore une fois -- que ceux qui souhaitent être laissés de côté aient le choix, afin de pouvoir négocier leurs revendications territoriales.
Je suis issu d'un milieu simple et axé sur le bon sens, et ce que je demande est empreint d'une logique simple et ordinaire. J'essaie de voir comment nous pouvons aboutir à une solution qui réponde aux exigences du gouvernement, sans pour autant semer la zizanie parmi les groupes dont les revendications territoriales n'ont pas encore été réglées.
Voilà, en langage simple et ordinaire, ce que je veux dire.
Le sénateur Austin: Pendant combien de temps attendriez-vous que l'unanimité se fasse?
Le sénateur St. Germain: Je ne pense pas qu'on puisse assujettir la démarche à une limite de temps. Ces questions font l'objet de débats depuis environ 130 ans. Pourquoi les gouvernements forcent-ils ces personnes à avaler ce qu'ils leur proposent? En toute bonne foi, elles demandent qu'on les respecte parce qu'elles croient que leurs droits seront touchés. C'est également ce que je crois.
M. Dunlop: Il serait peut-être utile que les membres du comité sachent que, à l'article 168 du projet de loi, on envisage de diviser l'entrée en vigueur du projet de loi. À ce stade-ci, nous espérons que toutes les parties, à l'exception de la partie 4, entreront en vigueur en septembre et que la partie 4 entrera en vigueur l'année prochaine.
J'ignore si, entre-temps, nous pourrons conclure une entente de principe avec les Dogrib. J'ignore si nous pourrons aller au-delà d'une entente cadre et conclure une entente de principe avec les Métis de South Slave. Toutefois, le fait que l'entrée en vigueur soit différée pourra être interprété comme une incitation à réaliser des progrès à certaines des tables.
Le sénateur St. Germain: Si, dans une lettre, la ministre s'engageait à ce que, au sujet de l'aspect de la partie 2 qui concerne le gouverneur en conseil, les ententes conclues avec d'autres groupes ne soient pas visées par la partie 4, je donnerais mon accord relativement à toute la démarche.
Le sénateur Andreychuk: Je ne crois que nous devions chercher à obtenir l'unanimité. Dans la conclusion d'une entente sur les revendications territoriales des groupes autochtones, les compromis sont certes de mise. De même, il est sûr que le gouvernement doit veiller à traiter tous ces groupes sur un pied d'égalité.
Ce que je crains, c'est que les ententes conclues avec les Premières nations du Sahtu et des Gwich'in n'aient une influence sur les autres groupes. Lorsque le ministère a négocié les revendications territoriales de ces Premières nations, tous les enjeux ont fait l'objet de pourparlers. J'imagine qu'il s'est agi d'un compromis. Je suis certaine que ni l'une ni l'autre des parties n'a obtenu tout ce qu'elle voulait; c'est du moins ce qu'on nous a dit.
Quelque part en 1994 ou en 1995, cependant, le gouvernement a imposé la modalité selon laquelle toute la vallée du Mackenzie doit être dotée d'un régime de contrôle des eaux et d'aménagement territorial. Il s'agit d'un élément non négociable pour les autres groupes qui n'a pas été imposé aux Premières nations des Gwich'in et du Sahtu. Cela me préoccupe.
Je sais que, à l'autre endroit, on a déjà modifié le projet de loi en y ajoutant des dispositions visant à atténuer les préoccupations: en effet, les députés n'étaient pas à l'aise avec l'idée que les revendications territoriales soient à la remorque d'une politique d'aménagement du territoire et de gestion des eaux. Ce sont là des éléments non négociables. On a établi pour ces groupes une structure et un cadre qui n'existaient pas à l'époque des négociations des Gwich'in et du Sahtu. Voilà qui me perturbe beaucoup. Comment faire en sorte que les revendications territoriales soient négociées sans embûches, comme l'ont été celles des Gwich'in et du Sahtu?
Le président: Sénateur Andreychuk, telle est précisément la question. Il y a un malentendu. Je pense que les fonctionnaires du ministère pourront fournir des explications.
M. Dunlop: Cette question a été posée auparavant, et un autre témoin y a répondu. Les négociations des revendications territoriales ne sont pas à la remorque du projet de loi, et ce dernier n'impose pas de limite à ce qui se passe à la table de négociations. À la table de négociations, les positions du gouvernement fédéral découlent de la politique sur les revendications territoriales globales, la politique sur les droits inhérents et le mandat de négocier donné par le Cabinet, et non du projet de loi.
Lorsque le gouvernement a accepté de négocier des revendications territoriales régionales dans les Territoires du Nord-Ouest, on a prévenu les divers groupes que le Canada entendait fonder les négociations sur l'entente conclue en 1990 avec les Dénés et les Métis. C'est toujours la position du gouvernement, la même depuis sept ans. Elle n'a pas changé. Voilà pourquoi le Canada est à la table. Certains groupes l'ont acceptée et ont négocié avec le Canada. Certains groupes ne l'ont pas acceptée et nous avons des pourparlers ou des discussions exploratoires. Certains de nos envoyés discutent avec eux, mais notre position n'a pas changé. Elle n'est pas du tout nouvelle.
Le sénateur Andreychuk: Vous êtes passé du principe à la structure que vous avez définie. Maintenant, vous les obligez à vivre selon cette structure, et vous avez établi comment le principe sera administré et mis en place.
M. Dunlop: Pas du tout. Le chapitre consacré aux terres et aux eaux de l'entente de 1990 correspond au chapitre consacré aux terres et aux eaux -- le chapitre 24 -- de l'entente sur les revendications territoriales conclues avec les Gwich'in et le chapitre 25 de l'entente conclue avec le Sahtu. Voilà précisément d'où il vient. Ses racines remontent à 1990, soit à l'entente finale conclue avec les Dénés et les Métis.
Le sénateur Andreychuk: Qui a échoué.
M. Dunlop: En raison de l'extinction, et non du chapitre sur les terres et les eaux. Nous ne sommes pas ici pour réécrire l'histoire. L'entente a échoué en raison de l'extinction et de la rancoeur qu'elle a suscitée dans le Nord, et non en raison des dispositions concernant les terres et les eaux ni de la cogestion.
Le sénateur Andreychuk: Je suis d'accord avec ces groupes pour dire que l'entente, si elle a échoué, n'est plus sur la table. Vous devez donc entreprendre de renégocier les revendications territoriales, de sorte que tous les enjeux sont ouverts au débat et à la négociation.
M. Dunlop: Non, ce n'est pas vrai pour tous les enjeux.
Le sénateur Andreychuk: C'est pourquoi il y a un différend entre ces groupes et le gouvernement.
M. Dunlop: Laissez-moi vous expliquer de nouveau.
Nous avons une politique des droits autochtones. Nous avons un guide fédéral des droits inhérents. Dans ce guide, on énumère trois listes de pouvoirs, de champs de compétences et de responsabilités. D'entrée de jeu, le Canada a indiqué que la première liste qu'il était disposé à négocier relève de l'unique responsabilité des Premières nations. La deuxième liste peut également faire l'objet de négociations, et elle relèvera de la responsabilité commune des parties. La suprématie législative incombe au Canada ou à la province, selon le champ de compétence. La troisième liste n'est pas négociable.
Dans la mesure où tout relève du domaine public, je suppose que les négociations de l'autonomie gouvernementale sont limitées parce que le Canada indique d'entrée de jeu ce qu'il est prêt à négocier.
Le sénateur Andreychuk: C'est peut-être le point de vue du gouvernement, mais je ne suis pas certaine qu'on puisse interpréter l'histoire uniquement du point de vue de ce que le gouvernement considère comme négociable et non négociable. S'il y a revendication territoriale, l'autre camp doit aussi pouvoir mettre sur la table ce qu'il considère comme négociable et non négociable. Avec un peu de chance, on aboutira à un consensus.
Vous nous dites maintenant: «Non, nous avons le droit d'adopter des lois qui vous concernent, à condition qu'elles se rattachent à notre liste, et non à la liste conjointe.» Voilà, à mon avis, où s'exerce la pression et où un problème se pose. Le sénateur St. Germain ne sera peut-être pas d'accord avec moi, jamais je ne pourrai déclarer que ce que les Autochtones disent fait loi et que nous n'obtiendrons rien sans leur consentement. Dans le cadre d'une revendication territoriale, pourquoi certaines listes devraient-elles être non négociables? En fait, vous influez sur leurs négociations.
Le sénateur Chalifoux: Je ne suis pas avocate. Je suis simplement une ancienne métisse qui, depuis très longtemps, est confrontée à des règlements et à la Constitution. J'ai lu le projet de loi, et j'aimerais répondre au sénateur Andreychuk. Je suis peut-être tout à fait perdue, mais, au paragraphe 8(1) du projet de loi, on affirme:
Le ministre fédéral est tenu de consulter les Premières nations au sujet de toute modification de la présente loi.
Je parle uniquement de la présente loi, et de rien d'autre.
Le paragraphe 8(2) se lit comme suit:
Il est aussi tenu...
...remarquez qu'on ne dit pas «il peut»...
... dans le cadre des négociations relatives à l'autonomie gouvernementale de toute Première nation, de procéder, en collaboration avec celle-ci, à l'examen des dispositions pertinentes de la présente loi.
Cela ne règle-t-il pas tout le problème?
Le sénateur Austin: Vous êtes une très bonne avocate.
Le sénateur Andreychuk: C'est une disposition qui a l'heur d'atténuer les préoccupations. Elle est restrictive.
Le sénateur Chalifoux: Non, elle ne l'est pas. Je ne suis pas d'accord sur ce point. On dit «tenu», et non «peut». Voilà la différence.
Le sénateur St. Germain: Pour accélérer le processus, ne pourrions-nous pas obtenir de la ministre la lettre d'engagement que j'ai demandée? Serait-elle disposée à obtempérer? Peut-être les fonctionnaires peuvent-ils répondre à cette question.
Le sénateur Austin: Je suis tout à fait en désaccord avec votre hypothèse. Je pense que le projet de loi est souhaitable. Je ne crois pas qu'il porte atteinte aux droits de ceux qui n'ont pas encore signé une entente sur les revendications territoriales et l'autonomie gouvernementale. Je pense que le projet de loi institue un régime de gestion de l'environnement nécessaire. Comme le sénateur Chalifoux l'a bien fait ressortir dans l'article 8, la ministre demeure mêlée de très près aux négociations.
Je crois que le projet de loi est souhaitable. Le sénateur St. Germain a déjà indiqué qu'il approuve le projet de loi -- à l'exception du seul point qu'il soulève.
Monsieur le président, je propose que le comité adopte le projet de loi parce que nous n'obtiendrons jamais que le sénateur St. Germain approuve le projet de loi. Il vient un moment où nous devons prendre une décision, et je crois que nous sommes prêts à le faire.
Le président: La seule façon de procéder consiste à voter sur cette question.
Le sénateur Taylor: Aux voix!
Le président: Les sénateurs souhaitent-ils que nous adoptions la motion?
Des voix: Oui.
Des voix: Non.
Le président: Que ceux qui approuvent la motion lèvent la main.
Que ceux qui s'opposent à la motion lèvent la main.
La motion est adoptée.
Les sénateurs souhaitent-ils que je renvoie le projet de loi, sans modification, au Sénat.
Des voix: D'accord.
Le président: Adopté.
Le sénateur Austin: Peut-être pourrions-nous maintenant passer au projet de loi C-39.
Le président: Nous devons avoir quitté la pièce dans cinq minutes.
Le sénateur Johnson: De notre côté, nous avons donné notre accord au projet de loi C-39.
Le président: Le président peut-il présenter une motion?
Le sénateur Austin: Non.
Le président: Quelqu'un peut-il proposer que nous adoptions le projet de loi C-39?
Le sénateur Austin: Le sénateur Johnson souhaite prendre la parole.
Le sénateur Johnson: J'aimerais dire un mot des questions que j'ai soulevées dans l'allocution que j'ai prononcée hier au Sénat. Je crois que certains fonctionnaires sont ici, et n'auront pas besoin de beaucoup de temps pour répondre à mes questions.
Le premier point que j'ai soulevé dans mon allocution a trait aux articles 19 et 23. Suivant le libellé actuel du projet de loi C-39, on pourrait croire que l'article 20 est une modification corrélative de la Loi de mise en oeuvre de l'Accord Canada-Nouvelle-Écosse sur les hydrocarbures extracôtiers, mais tel n'est pas le cas. L'article 19 modifie la Loi sur les hydrocarbures extracôtiers, l'article 20 apporte des modifications connexes au Code criminel.
Le problème de rédaction tient au fait que les articles 20, 21, 22, 23, 24 et 25 du projet de loi C-39 ont tous trait à des modifications connexes du Code criminel, même s'ils figurent sous la rubrique Loi de mise en oeuvre de l'Accord sur les hydrocarbures extracôtiers. Si on a ici affaire à une mauvaise rédaction législative, on devrait, par souci de clarté, pallier le problème.
M. John Merritt, conseiller principal, Secrétariat du Nunavut, ministères des Affaires indiennes et du Nord canadien: Sénateur, nous avons étudié votre discours d'hier soir, et nous pensons que le titre qui figure dans l'Annexe III rend bien compte de la référence au Code criminel. En fait, le titre qui figure dans l'annexe telle que modifiée ne prêtera pas à confusion.
Le sénateur St. Germain: Sénateur Johnson, quelle est la modification connexe à laquelle vous faites allusion? Pouvez-vous expliquer le problème?
Le sénateur Johnson: Peut-être les fonctionnaires peuvent-ils s'en charger.
M. Merritt: Dans la Loi sur le Nunavut de 1993, on définit un certain nombre de lois fédérales dans lesquelles on retrouve des références géographiques. Ces dernières, qui se confinent pour le moment au Yukon et aux Territoires du Nord-Ouest, devront être élargies dans la mesure où l'on devra faire allusion non plus à deux territoires, comme c'est le cas aujourd'hui, mais bien plutôt à trois. On devra aussi actualiser certaines nouvelles lois adoptées depuis 1993 pour faire en sorte que les références géographiques soient exactes.
Le sénateur Johnson: Ce n'est pas un problème majeur. Il s'agit plutôt d'un problème de rédaction.
L'autre question que j'ai soulevée a trait à l'article 44 de la Loi constitutionnelle. J'ai consulté mon collègue le sénateur Beaudoin à ce sujet. Nous avons soulevé cette question à titre de point d'intérêt pour l'avenir. Étant donné que le Nunavut est un territoire, nous avons été en mesure de créer un siège additionnel au Sénat. S'il s'agissait d'une province, la situation, bien entendu, serait toute différente. Nous avons soulevé cette question pour des raisons évidentes, qui pourront se présenter à l'avenir.
Nous comprenons également que l'article 44 de la Constitution s'applique à un tel cas. Je suis raisonnablement satisfaite, et nous n'avons pas obtenu d'autres opinions juridiques. Nous avons signalé le problème au cas où, à l'avenir, les territoires pourraient évoluer vers le statut de province. Si cela se matérialisait, le statut du Sénat et du pays tout entier serait bien entendu transformé.
M. Merritt: J'ajoute que nous avons procédé à des vérifications à deux ou trois reprises, et nous l'avons fait une fois de plus à la lumière de vos commentaires d'hier soir. Les opinions juridiques que nous avons recueillies vont toutes dans le même sens: le mécanisme approprié pour une modification constitutionnelle de cette nature est une loi du Parlement, par opposition à une résolution de la Chambre des communes et du Sénat. La technique découle du libellé de la Loi constitutionnelle de 1886. Cette technique, comme vous le savez, a été utilisée en 1975, au moment où on a inclus la représentation des Territoires du Nord-Ouest et du Yukon.
Le sénateur Andreychuk: Je suis certaine que le président remarquera avec plaisir que je suis favorable au projet de loi. Je pense qu'il se fait attendre depuis trop longtemps. Les problèmes que rencontrera la région du Nunavut auront trait non pas à la loi, mais bien plutôt à la mise en oeuvre et aux ressources nécessaires pour attirer la réussite de la démarche. J'espère que l'attention du gouvernement ne va pas se dissiper une fois le projet de loi adopté et qu'on redoublera d'ardeur pour faire en sorte que tout se déroule bien.
Avez-vous reçu le certificat attestant que le projet de loi est conforme à la Charte des droits et libertés? Avez-vous procédé à une évaluation en ce sens?
M. Merritt: Le projet de loi a été évalué à la lumière de la Charte, à laquelle il se conforme.
Le sénateur Andreychuk: On a tenu un référendum. Je tiens pour acquis qu'aucun groupe ne s'est officiellement manifesté pour se dire en désaccord avec la Loi sur le Nunavut. S'agit-il d'une bonne appréciation de la situation? L'adoption du projet de loi a des avantages et des inconvénients, mais personne ne s'est plaint de la présentation de la loi.
M. Merritt: En fait, le projet de loi en question est issu d'une recommandation de la Commission d'établissement du Nunavut, organisme consultatif créé en application de la loi de 1993. En 1995, la commission a indiqué qu'il convenait d'apporter certaines modifications à la Loi du Nunavut, histoire de corriger un certain nombre de problèmes juridiques transitoires. De plus, le ministère a consulté un certain nombre de groupes du Nunavut, le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, le Nunavut Tunngavik et la Commission d'établissement. Tous ces groupes ont comparu devant le comité permanent de la Chambre des communes et se sont déclarés favorables au projet de loi. À notre connaissance, aucun groupe du Nunavut ne s'oppose au projet de loi.
Le sénateur Adams: S'il n'y a pas d'autres témoins, je propose que nous passions à l'adoption du projet de loi C-39 article par article.
Une voix: Suffit!
Le sénateur Austin: Je propose que le projet de loi soit adopté.
Le président: Les sénateurs souhaitent-ils adopter la motion?
Des voix: D'accord.
Le président: Adopté.
Les sénateurs souhaitent-ils que je renvoie le projet de loi, sans modifications, au Sénat?
Des voix: D'accord.
Le président: Adopté.
La séance est levée.