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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 17 - Témoignages du 2 février 1999 (18 h 15)


OTTAWA, le mardi 2 février 1999

Le comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit à 18 h 15 pour examiner la question de l'autonomie gouvernementale autochtone et en faire rapport.

Le sénateur Charlie Watt (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, je demanderais à Mme Venne de présenter ses collègues.

Mme Sharon H. Venne, négociatrice en chef, Conseil tribal du territoire Akaitcho: Monsieur le président, je vous remercie de nous donner cette occasion de présenter un exposé devant votre comité.

Le chef Jonas Sangris est de la communauté Déné Yellowknives (Dettah). Archie Catholique est de la partie est du Grand lac des Esclaves et le chef Don Balsillie de la partie sud du Grand lac des Esclaves.

Le chef Sangris aimerait faire une déclaration préliminaire dans sa propre langue, déclaration qui sera traduite à l'intention des sénateurs. Le chef Don Balsillie va ensuite soulever certains points. Nous avons pour les sénateurs un mémoire écrit que nous ne lirons pas. Nous nous bornerons à en extraire les points saillants dont nous voulons discuter et ensuite, nous permettrons aux sénateurs de nous poser des questions.

(Le chef Jonas Sangris parle dans sa langue maternelle)

Le chef Don Balsillie, Deninu K'ue, Conseil tribal du territoire Akaitcho: Bonsoir, sénateurs et distingués invités.

L'exposé que nous faisons aujourd'hui revêt une importance historique pour nous. Dans le passé, nous ne nous sommes jamais prévalus de la possibilité de comparaître devant un comité comme le vôtre pour l'informer des problèmes auxquels nous sommes confrontés dans notre région du monde.

Pour ceux d'entre vous qui n'avez jamais visité les Territoires du Nord-Ouest, laissez-moi vous dire que c'est une région unique sur le plan de sa géographie, de sa population et de ses institutions.

Dans notre région, nous estimons avoir la chance unique de développer nos ressources et de permettre à population autochtone d'avoir son mot à dire au sujet des institutions qu'elle souhaite créer pour la représenter fidèlement à titre de peuple unique vivant dans une région unique du monde. Nous voulons lui donner la possibilité de siéger avec d'autres gouvernements afin de discuter de façon pacifique de la façon dont nous voulons cheminer vers l'avenir.

Je suis un jeune chef de la région, et mon peuple m'a autorisé à parler en son nom, ce qui est un grand honneur. Je ne viens pas devant le comité sénatorial pour lui demander quoi que ce soit. Je ne veux pas de cadeau pour notre peuple. Nous sommes un peuple très fier. Nous vivons dans un climat très rigoureux. Nous existons depuis des centaines d'années. La localité d'où je viens a plus de 200 ans et a été constamment habitée. On a implanté sur notre territoire traditionnel la plus grande mine à ciel ouvert du monde. La mine a ouvert, puis fermé, mais ses répercussions ont meurtri la terre. Elle demeura dans cet état pendant de nombreuses générations.

Le territoire Akaitcho s'étend sur une superficie d'approximativement 100 000 milles carrés. Comme mon bon ami et collègue le chef Jonas Sangris l'a expliqué, une mine de diamant a vu le jour sur notre territoire. En outre, des investisseurs se proposent d'ouvrir une mine de béryllium. Il y a constamment de nouvelles formes de développement.

On s'attend, chaque fois, à ce que notre peuple accepte ce qui arrive à son territoire. Les avantages pour notre peuple sont bien minces.

Le processus de revendications que nous avons amorcé il y a une trentaine d'années n'a rien donné jusqu'à maintenant, ni instrument ni accord. Nous continuons de négocier de bonne foi. Nous continuons d'espérer que les gouvernements qui sont élus pour représenter le Canada, pour représenter notre peuple autant que tous les autres peuples autochtones, sauront défendre nos intérêts.

Il est très frustrant pour un jeune chef qui a grandi dans cette région du monde de voir son père sortir mécontent de l'issue de multiples réunions. Pourtant, tout au long de mon enfance et de mon adolescence, il m'a conjuré de garder la foi, de poursuivre le dialogue et de continuer d'avoir confiance dans le système. Il m'a dit qu'un jour il y aurait sur notre territoire natal des retombées pour notre peuple.

Nous voulons bâtir une institution qui représente notre peuple, qui fonctionne de façon collective, qui puisse coexister avec les institutions publiques, les gouvernements et divers promoteurs et qui nous permettent également d'être présents à la table sur un pied d'égalité pour discuter des intérêts, des ressources et des lois qui influent sur la vie de notre peuple.

Dans notre région du monde, la semaine dernière, nous avons chassé le caribou en motoneige. Il s'agit là d'une activité traditionnelle que les gens de notre peuple continuent d'exercer. Il est merveilleux de pouvoir parcourir ce vaste territoire et de s'adonner aux mêmes activités que nos ancêtres. Nous voudrions continuer à nous livrer à ces activités. Alors que nous chassions le caribou, nous avons vu de nombreux camions acheminer du carburant et des matériaux vers les mines. Les sociétés minières exploitent le territoire dont dépendent ces animaux.

Nous sommes favorables au développement, mais nous souhaitons que ce soit un développement responsable. Nous voulons être partie prenante au développement. Nous voulons en tirer des avantages pour les institutions que nous souhaitons mettre sur pied à l'avenir. Comme je l'ai déjà dit, nous ne voulons pas de cadeau. Nous voulons être des partenaires égaux.

Prenons l'exemple de la Broken Hills Property, qui exploite une mine de diamants sur le territoire Akaitcho et qui prévoit tirer d'une seule mine des profits d'environ 200 milliards de dollars sur une période de 20 ans. La société compte creuser cinq autres mines. Elle a offert aux Dénés, dans l'entente sur les retombées, 20 millions de dollars sur une période de 20 ans. Depuis le début de la production, on a découvert que les diamants sont de bien meilleure qualité que prévu. Par conséquent, les profits vont grimper.

Ces initiatives de développement sur le territoire Akaitcho et dans les environs feront gagner beaucoup d'argent au Canada. Elles stimuleront l'économie. Pour notre part, nous devrons vivre avec leurs conséquences environnementales. Nous ne pouvons pas prendre un bateau et émigrer dans un autre pays. Nous vivrons dans cette région du monde pour de nombreuses années à venir.

Les Premières nations vivent sous le seuil de la pauvreté. Nous manquons de logements. Notre système d'éducation a besoin d'être amélioré. Pourtant, on voit à la télévision les porte-parole du gouvernement affirmer que le Canada est un pays où il fait très bon vivre. C'est un endroit fantastique pour vivre. Le gouvernement radie les dettes de plusieurs milliards de dollars de pays étrangers. Pourtant, on manque de ressources pour notre processus de négociations. D'ailleurs, ce processus traîne en longueur depuis près de 30 ans.

La ministre Jane Stewart est venue chez nous et a présenté une allocution sur la nécessité de rassembler nos forces. De bien belles paroles ont été prononcées au nom du gouvernement, mais à ce jour, nous n'avons vu aucun résultat tangible.

Nous espérons que notre exposé d'aujourd'hui devant le comité vous fera comprendre la frustration qui est la nôtre. Il faut accélérer les négociations pour que nous puissions présenter à notre peuple un document sur lequel il pourra voter. Nous vivons dans un système démocratique et c'est le processus que nous devons suivre.

La coexistence avec les autres peuples vivant sur notre territoire patrimonial fait partie du processus qui a débouché sur la signature de traités. Lorsque nos ancêtres ont accepté de discuter de traités avec les nouveaux venus, ils ont supposé que nous allions vivre en bonne entente avec eux dans cette région du monde; que nos méthodes d'auto-guérison spirituelles et intellectuelles et notre mode de vie demeureraient inchangées. À mesure que le temps passe, il y a de plus en plus de politiques et de lois qui touchent notre peuple d'une façon que nous remettons en question. Qu'est-ce que le gouvernement est en train de nous faire? Que veut-il de nous?

Je fais parfois une analogie avec un invité qu'on aurait accueilli chez soi parce qu'il fait froid et qu'il ne connaît pas le milieu. Il risque de geler ou de se perdre. Il ignore les dangers. Nous avons accueilli cette personne et nous l'avons aidée. Un jour, lorsque nous sommes rentrés chez nous, nous avons constaté que notre visiteur s'était approprié le fauteuil et la télécommande. Et lorsque nous avons voulu prendre une boisson dans notre frigo, il a exigé que nous la payions.

Qu'est-ce qui se passe? Soudain, le visiteur a pris possession de notre maison et assume le contrôle de l'environnement. Lorsque je veux aller chasser pour me nourrir, je dois acheter un permis. Qu'est-il arrivé à la «coexistence»? Il y a quelque chose qui cloche dans le système.

Notre approche face au territoire Akaitcho n'est pas unique, mais elle diffère de celle d'autres groupes qui ont réglé leurs revendications territoriales. J'ai demandé à la ministre Stewart de permettre à notre peuple et aux négociateurs d'être novateurs, d'être créatifs, d'être souples, de mettre en place un système qui permettra véritablement à notre peuple et aux autres peuples du Canada de coexister. On nous a dit que les politiques actuellement en vigueur changeraient. Or, elles continuent de nous causer du tort; elles continuent d'être un obstacle.

Les documents que nous avons fournis au gouvernement et au Sénat expliquent plus en détail la notion de coexistence et la possibilité d'un règlement sur le territoire Akaitcho.

Fort heureusement, les Nations Unies ont présenté un rapport sur les traités autochtones l'automne dernier. Le rapport en question a également été soumis à l'examen du Sénat. Nous espérons que certaines des recommandations qu'il renferme seront envisagées sérieusement et appliquées à notre situation dans le Nord.

Nous sommes très près d'un accord-cadre. Nous allons discuter d'autonomie gouvernementale. Aux yeux de notre peuple, l'autonomie gouvernementale telle qu'elle est décrite à l'article 35, est une boîte vide. Il est nécessaire de remplir cette boîte, mais il faut que ce soit à la suite d'un dialogue ouvert qui permette au résultat final de refléter ce que nous sommes en tant que peuple. Les peuples autochtones qui vivent sur le continent nord-américain ont beaucoup en commun, mais aussi de nombreuses différences.

Nous espérons que le comité recommandera fortement au ministère certaines mesures présentées dans le rapport et l'incitera à aborder notre situation avec la souplesse et l'ouverture d'esprit qui nous permettront de trouver une solution créative.

Le sénateur Adams: La dernière fois que je vous ai vu, nous travaillions sur le projet de loi C-6 concernant le delta du Mackenzie.

Le Sénat devrait être saisi sous peu du projet de loi C-62, Loi concernant les ressources en eau du Nunavut et le Tribunal des droits de surface du Nunavut.

Récemment, nous avons entendu des témoins de la région du Traité 7, la région du Grand lac des Esclaves. Vous relevez du Traité 8?

M. Balsillie: Oui.

Le sénateur Adams: Depuis combien de temps négociez-vous vos revendications territoriales avec le MAIN? Vous dites que vous êtes sur le point de conclure un accord. Que reste-t-il à faire? Les bureaucrates retardent-ils les choses?

En premier lieu, vous pourriez peut-être nous dire si votre territoire est au nord ou au sud du Grand lac des Esclaves?

M. Balsillie: Nous sommes à la pointe sud du Grand lac des Esclaves.

Le sénateur Adams: Dans la région de Yellowknife?

M. Balsillie: Oui.

Le sénateur Adams: Depuis combien d'années négociez-vous vos revendications territoriales?

M. Balsillie: Comme je l'ai dit tout à l'heure, c'est dans les années 70 que la Fraternité nationale des Indiens a commencé à négocier un règlement dans la vallée du Mackenzie. Il y a eu un accord de principe en 1991 en ce qui a trait à la revendication territoriale globale. À l'époque, les chefs de la région du Traité 8 ont refusé d'accepter l'accord pour la simple raison que l'extinction des droits était un problème majeur. Ils ne voulaient pas accepter l'extinction de leurs droits en échange de cet accord en particulier.

Depuis lors, nous avons adopté une approche fondée sur notre traité pour régler nos griefs en souffrance avec le Canada. Nous avons amorcé le processus en 1992 et nous continuons d'essayer de négocier les fondements de notre accord et de les inclure dans un accord de principe.

Nous avons constamment des problèmes avec le système, c'est-à-dire avec les bureaucrates. Les politiques qui guident ces négociations sont très restreintes. C'est comme essayer de faire entrer une cheville carrée dans un trou rond. C'est tout simplement impossible. Le ministère doit le comprendre et apporter certains changements.

À maintes occasions, on nous a dit: «C'est à prendre ou à laisser. Voici ce que vous allez obtenir. Si cela ne fait pas votre affaire, nous allons devoir mettre un terme au processus.» Bien souvent, le financement devient un problème.

En outre, nous avons fourni au gouvernement des documents expliquant notre vision de la coexistence dans le contexte d'un règlement. Après avoir reçu cette documentation, les négociateurs ont interrompu le processus pendant six ou huit mois d'affilée pour l'examiner. Ces tactiques dilatoires et la réduction du financement nous ont empêchés, dans une grande mesure, de faire des progrès appréciables dans nos négociations.

Le sénateur Adams: D'après vos propos, je crois comprendre que les traités et les frontières du Nunavut ne causent aucun problème dans vos négociations. La seule chose qui vous dérange, c'est de traiter avec les bureaucrates à Ottawa et d'essayer de savoir quand une décision sera rendue et l'affaire réglée. Y a-t-il autre chose, en sus de votre revendication territoriale, qui entrave la conclusion d'un accord avec Ottawa?

M. Balsillie: Pas vraiment. Les frontières ne font pas problème. Cependant, il est nécessaire de préciser les frontières entre le Traité 8 et le Traité 11 et on s'attache à le faire en ce moment. Les groupes autochtones vont régler cette question.

Alors même que le processus suit son cours, l'un des plus graves problèmes auxquels nous sommes confrontés dans le territoire Akaitcho est la délivrance de permis et de licences. Le développement continue d'aller bon train. Nous voulons pouvoir consentir au développement sur notre territoire traditionnel, mais on fait la sourde oreille à nos revendications. Nous estimons que les tierces parties, les promoteurs, sont mieux traitées que nous. On leur accorde des permis d'exploitation hydraulique et on autorise leurs mégaprojets beaucoup plus rapidement qu'on ne règle nos négociations.

Il est devenu évident pour un grand nombre de membres de notre peuple que le gouvernement ne veut pas régler nos griefs en souffrance dans le contexte des obligations issues de traités. Il ne veut pas entendre parler d'un mécanisme qui nous accorderait une certaine autonomie en ce qui a trait à la délivrance des permis et aux avantages que devraient en tirer les Premières nations.

Chaque fois que nous mentionnons que des projets empiètent sur des régions très délicates, qui renferment des écosystèmes sensibles, des habitats pour le poisson ou des espaces de migration du caribou, on nous dit qu'il est trop tard dans le processus, que le projet est déjà à un stade avancé et que, par conséquent, il doit continuer d'aller de l'avant. Malheureusement, la région ne peut faire l'objet d'une sélection.

C'est en quelque sorte notre jardin, le lieu où nous chassons les animaux et cueillons les plantes et les baies qui nous ont permis de survivre pendant de nombreuses années. Or, on rogne constamment sur notre jardin. Prenons l'exemple d'un agriculteur dont la terre aurait une certaine superficie. Si l'on réduit constamment la superficie de son exploitation, elle devient non viable et l'agriculteur ne peut continuer à se livrer à ce genre d'activité. À ce moment-là, qui va indemniser l'agriculteur? Qui va indemniser l'autochtone qui a perdu son mode de vie et qui est désormais incapable de tirer de son environnement la subsistance nécessaire pour nourrir sa famille?

Il ne s'agit pas simplement d'une question d'argent. C'est tout un mode de vie qui est en jeu. Dans le Nord, notre peuple vit de façon traditionnelle. Les hommes parcourent le territoire et exercent leur droit de chasse et de pêche. C'est un mode de vie sain en ce sens qu'ils sont physiquement actifs sur le territoire. Ils y trouvent un équilibre.

J'ai travaillé dans des bureaux pendant plus de 20 ans. Cependant, je continue de me livrer régulièrement à des activités traditionnelles. J'emmène souvent ma famille à mon camp de pêche et nous pouvons constater à quel point les visiteurs apprécient notre région.

Bon nombre de nos invités viennent d'endroits où ils ne peuvent plus pêcher ou manger le poisson qu'ils pêchent. Devant la beauté intacte de notre environnement, ils nous disent que leurs ancêtres jouissaient des mêmes avantages à une époque, mais que tout a été ruiné par cupidité, à cause du développement.

Nous voyons de grandes sociétés riches à milliards envahir notre territoire et quitter le Canada avec les profits. Notre gouvernement reste passif et permet que de telles choses se produisent. Où est notre intégrité? En tant que citoyens canadiens, quelles sont nos valeurs? Où va notre pays?

C'est très frustrant. Nous avons mis beaucoup de foi dans le système démocratique et dans les gouvernements et nous avons cru qu'ils feraient leur devoir. Aujourd'hui, nous vous demandons de prendre les mesures honorables qui s'imposent pour notre peuple. Nous ne réclamons pas l'intégrité de notre territoire. Nous n'exigeons pas que vous fassiez de nous des millionnaires. Nous souhaitons récupérer la part de ce pays qui nous revient de droit pour que nous puissions en tirer certains avantages que nous pourrons partager avec d'autres peuples. Nous voulons être traités équitablement.

Le sénateur Adams: Yellowknife n'est plus une petite localité. En fait, c'est maintenant une ville de près de 20 000 habitants. Je pense qu'un grand nombre de personnes qui s'y sont installées ne sont pas des Canadiens. Y a-t-il des rumeurs selon lesquelles des tiers nuiraient à vos transactions avec le gouvernement en l'incitant à ne pas régler vos revendications territoriales? Je crains que Yellowknife ne s'approprie la région car les terrains y sont chers. Un lotissement coûte entre 60 000 et 100 000 $.

Négociez-vous votre revendication territoriale avec le gouvernement territorial ou devez-vous traiter avec Ottawa d'abord? J'essaie de savoir pourquoi le gouvernement ne va pas de l'avant. Je suis sûr que la ministre pourrait signer l'accord demain. Il doit y avoir une toile de fond derrière tout cela. Je sais que lorsque la PSB, une société ayant à sa disposition des millions de dollars, est venue à Ottawa il y a deux ans, ses porte-parole ont affirmé qu'ils embaucheraient énormément de gens dans le Nord, qu'ils dépenseraient 700 millions pour bâtir un camp et créer des emplois pour 500 personnes dans la communauté. Toutefois, ils ont dit qu'ils ne feraient rien tant qu'un accord sur les revendications territoriales n'aurait pas été conclu. Y a-t-il des tiers qui négocient avec vous et qui promettent d'offrir des emplois aux membres de votre peuple dans le secteur minier? La semaine dernière, tous les journaux que j'ai lus renfermaient un article sur l'industrie minière diamantifère. Une mine de diamants vaut plusieurs milliards de dollars. Les dirigeants de la société exploitante nous ont dit qu'ils tireraient de l'exploitation minière des revenus de 2 à 4 milliards par an sur 20 ans.

Je voudrais en savoir un peu plus pour que notre comité puisse vous aider de son mieux. La prochaine fois, j'espère que notre ministre assistera aux travaux du comité pour que nous puissions savoir ce qui se passe.

M. Balsillie: Je pense qu'il serait utile que le comité comprenne ce qui se passe dans notre région, notamment pour ce qui est des questions que vous venez de soulever.

Je pourrais vous parler longtemps de tout cela -- et j'ai parfois tendance à discourir longuement --, mais pour faire court, la population du Nord en général veut que soit réglée la question des revendications territoriales. Elle souhaite que soit levée cette incertitude pour que les investisseurs puissent arriver dans un territoire en sachant quelles sont les règles. Nous voulons, nous aussi, savoir clairement quelles sont les règles. Plus vite on réglera cette question, mieux ce sera pour notre territoire. Les institutions publiques sauront à quoi s'en tenir. On saura ce qu'il en est et comment nos institutions pourront interagir avec les leurs. On saura qui est responsable de quoi et quelles retombées le développement pourra apporter à nos institutions. Nous serons alors en mesure de déterminer comment ces retombées pourront venir appuyer les différents types de programme qui existent.

La majorité de la population du Nord souhaite que la question des revendications territoriales soit réglée le plus rapidement possible.

Comme vous le savez, le partage des territoires est imminent. On prévoit la création de deux nouvelles institutions dans notre région Nous avons siégé à divers comités et exprimé nos préoccupations. Nous voulons nous assurer que toute institution publique qui sera créée reflétera notre accord et qu'elle adhérera aux ententes juridiques exécutoires conclues entre notre peuple et le gouvernement fédéral. En outre, nous souhaitons que cette institution participe à nos discussions dans les domaines qui relèvent véritablement de son ressort.

Nous avons conclu des ententes avec la Couronne fédérale, non pas avec une institution publique, le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, qui tient lieu de conseil. Il n'a pas le pouvoir d'adopter des lois applicables aux Premières nations. Nous avons été très flexibles, compréhensifs et conciliants jusqu'ici, mais il faut régler ces questions et définir clairement les compétences et les responsabilités concernant notre territoire.

Le sénateur Andreychuk: Je comprends votre point de vue et votre impatience. Vous dites que vous êtes sur le point de conclure une entente-cadre, qui permettrait ensuite de résoudre la question des revendications territoriales. Vous avez beaucoup parlé de l'enlisement du processus et du temps que vous y avez consacré. Notre rôle, ici, consiste à examiner les modèles d'autonomie gouvernementale, pas à entamer des négociations.

À votre avis, est-ce que le modèle que vous avez retenu -- soit l'entente-cadre qui, espérons-le, vous permettra de trouver un règlement aux revendications territoriales et d'aboutir à l'autonomie gouvernementale -- est celui que vous jugé le plus efficace, ou croyez-vous qu'une autre approche serait préférable? Autrement dit, est-ce le modèle qui pose problème, ou est-ce que ce sont les bureaucrates et l'absence de volonté politique qui sont à l'origine des difficultés que vous rencontrez?

Mme Venne: Au moment où les chefs du territoire Akaitcho ont déposé leur document intitulé: «La coexistence», nous étions convaincus que la mise en oeuvre du traité permettrait de régler les questions de régie. Nous avons analysé tous les autres modèles qui ont été utilisés, non seulement au Canada, mais également en Alaska et ailleurs aux États-Unis, en Australie, en Nouvelle-Zélande, au Groënland, ainsi de suite. Nous avons examiné beaucoup de modèles et nous nous sommes demandé lequel conviendrait le mieux aux citoyens du territoire. Nous sommes revenus à la formule du traité. C'est lui qui gouverne les rapports entre le peuple d'Akaitcho et la Couronne.

En vertu de ce traité, ces rapports devaient être fondés sur la coexistence et la prise de décisions communes touchant le territoire. C'est de cette façon que le modèle devrait fonctionner.

C'est la seule conclusion logique à laquelle nous pouvions arriver. Quand nous avons soumis notre proposition il y a quelques années, nous espérions aller de l'avant et commencer à mettre en oeuvre le modèle que nous avions choisi. L'année dernière, lorsqu'il a déposé le rapport intitulé: «Rassembler nos forces», le ministre a parlé d'entente mutuelle, de respect et de décisions communes, des principes que nous avions énoncés dans notre document sur la coexistence. Nous étions remplis d'espoir. Nous pensions que les choses allaient bouger assez rapidement. Or, quand il est question de mettre en oeuvre des modèles d'autonomie gouvernementale ou de régie dans ce pays, le plus gros problème qui se pose, ce n'est pas l'élaboration même des modèles, parce que les autochtones ont essayé de trouver des moyens de régler ces questions, mais leur mise en oeuvre. Les bonnes paroles ne suffisent pas pour lancer le processus. Voilà où nous en sommes actuellement. Nous essayons de mettre en oeuvre quelque chose. Nous avons un modèle qui existe déjà depuis longtemps, soit depuis près de 100 ans, mais nous ne pouvons le mettre en oeuvre en raison d'un manque de volonté politique.

Il est très important pour nous de parler des négociations. Peu importe la formule que vous choisissez, si la volonté politique n'y est pas, vous ne pouvez rien faire. Chaque fois que nous essayons d'aller de l'avant, nous sommes freinés par une politique qui a été élaborée ailleurs par quelqu'un d'autre. Voilà le genre de problèmes auxquels nous sommes confrontés. Or, si nous arrivions à nous asseoir ensemble et à discuter de la façon de mettre en oeuvre, d'appliquer le modèle de coexistence, nous ferions de grands progrès.

À l'heure actuelle, 95 p. 100 des questions ont été réglées. Qu'est-ce qui pose problème? Le processus.

Le président: Vous avez dit 95 p. 100?

Mme Venne: Oui. Nous avons réglé 95 p. 100 des questions, et elles le sont depuis quatre mois, mais nous n'arrivons pas à nous entendre sur le reste à cause du processus, des politiques du gouvernement fédéral. Le ministre a dit, il y a un an, que tout était sur la table, que tout était négociable, mais c'est faux. Le fait est que les choses ne se passent pas du tout comme le ministre l'avait laissé entendre. Nous avons investi beaucoup d'efforts dans cette démarche, mais rien ne bouge. Il y a un manque de volonté politique de la part de certaines personnes qui ne veulent pas qu'un processus innovateur soit mis en place. Je n'aime pas dire cela, mais c'est l'impression que nous avons.

Le président: J'aimerais revenir à un point qu'a soulevé le sénateur Andreychuk.

Vous avez dit que 95 p. 100 des questions ont été réglées, et que les négociations achoppent sur les 5 p. 100 qui restent. De quelles questions s'agit-il? À part les formalités, qu'est-ce qui reste à régler?

Mme Venne: Le principal problème pour l'instant, c'est le rôle du conseil territorial à la table des négociations. Nous estimons avoir conclu un traité avec la Couronne britannique. Le Canada est un État successeur. Nous avons donc des questions à régler avec le Canada en tant qu'État successeur, et ces questions portent sur les terres et les ressources.

Prenons l'exemple des permis qui sont délivrés actuellement sur le territoire Akaitcho. Le gouvernement du Canada délivre des permis aux compagnies pour qu'elles explorent et exploitent les ressources sur notre territoire. Sur quel principe juridique se fonde-t-il pour le faire? La Cour suprême du Canada a statué, dans l'affaire Paulette, que les traités conclus avec les Dénés ne visaient pas le transfert de terres, mais qu'ils constituaient plutôt des traités de paix et d'amitié. Elle a intimé le Canada, dans les années 70, à entamer des négociations à ce sujet avec les Dénés. Or, la question n'est toujours pas réglée, et le Canada continue de délivrer des permis.

Ils essaient également de nous imposer des conditions. En effet, ils affirment maintenant que le conseil territorial doit participer aux discussions sur les traités à la table de négociation. Cette demande est inacceptable parce que les Dénés n'ont pas négocié et conclu des traités avec le conseil territorial. En fait, le conseil n'existait même pas à l'époque. Il a été créé par le Parlement en vertu d'une loi dont l'application relève du ministre des Affaires indiennes. Le fait d'exiger que le conseil territorial participe aux négociations complique les choses.

Ils soutiennent, par exemple, qu'ils doivent protéger les droits des tiers dans le territoire Akaitcho. Pour nous, il n'y a pas de tiers dans le territoire. Il y a les Dénés et le gouvernement du Canada, qui représente les personnes qui ne sont pas des tiers. Celles-ci sont représentées par le Canada, et nous représentons les Dénés. Ils ne font qu'ajouter au processus.

Pendant des années, nous avons lutté contre l'extinction de nos droits. Aujourd'hui, cette question ne fait pas partie des objectifs visés par l'entente-cadre. Il nous a fallu six ans pour conclure une entente. C'est-à-dire six ans pour régler une seule question. Nous avons subi des pressions de la part du gouvernement fédéral.

Voilà maintenant qu'il nous impose la présence du conseil territorial et qu'il nous dit: «Il doit siéger à la table de négociation au même titre que les peuples visés par des traités.» Ceux-ci se font dire que le conseil territorial a les mêmes droits qu'eux. Cela ne correspond pas du tout à ce qu'a dit le ministre dans le rapport «Rassembler nos forces», soit que ce sont les traités qui gouvernent nos relations. Il faut miser là-dessus, non pas faire fi de cette réalité, comme ils le font. Voilà la source du problème.

Le président: Pourquoi ne pas suspendre les négociations et obtenir une ordonnance pour interdire toute activité sur ces terres? Cela vous donnerait le temps de conclure une nouvelle entente. Avez-vous exploré cette idée?

Mme Venne: Le problème avec cette solution, c'est que le gouvernement fédéral a adopté une loi qui nous empêche d'enregistrer une opposition à l'égard de nos terres parce qu'elles n'ont pas été «cédées» par lettre patente. Je suppose que nous pourrions encore une fois nous adresser aux tribunaux. C'est ce qui s'est produit quand la Cour suprême a été saisie de l'affaire Paulette, le tribunal ayant confirmé qu'il s'agissait de traités de paix et d'amitié. Le juge Morrow a écouté le témoignage des anciens d'un bout à l'autre du Mackenzie, les a entendus dire que ces traités ne visaient pas à céder des terres, et a conclu qu'il s'agissait effectivement de traités de paix et d'amitié. C'est le jugement qu'a rendu la Cour suprême du Canada. Nous pourrions réexaminer toute l'affaire Paulette, mais les anciens qui ont témoigné en 1972 et en 1973 devant le juge Morrow ne sont plus avec nous et ne peuvent plus témoigner.

Pourquoi les citoyens d'Akaitcho devraient-ils encore une fois se tourner vers les tribunaux? Prenons l'affaire Delgamuukw. Combien de millions de dollars les Gwich'in ont-ils dépensé quand ils ont porté leur cause devant la Cour suprême du Canada, et pour se faire dire quoi? Qu'ils devraient retourner à la table de négociation. C'est là que nous aboutirions.

Nous avons d'autres options. Nous pouvons déposer une plainte auprès des Nations Unies, leur dire que le Canada viole nos droits et demander à la Commission des droits de la personne, par exemple, de prononcer une motion de blâme à l'égard du Canada. C'est une option. Nous pouvons faire bien des choses, mais nous avons toujours misé sur la discussion. En fait, nous sommes en train d'appliquer le traité de paix et d'amitié. Nous voulons être pacifiques. L'autre côté dit «Non, nous ne voulons pas être pacifiques, mais agressifs et mesquins.»

Le président: C'est ce qui risque de se produire.

Le sénateur Gill: Il reste des questions à régler. Y a-t-il des Dénés, élus par le peuple, qui siègent au sein du conseil territorial?

Mme Venne: Oui. Jim Antoine, qui dirige le conseil territorial, est également le ministre responsable des Affaires autochtones. Nous l'avons rencontré à plusieurs reprises. En 1996, il a fait parvenir une lettre aux chefs du territoire Akaitcho, dans laquelle il affirmait qu'il souhaitait voir inclus, dans l'entente-cadre, un paragraphe décrivant le rôle futur du conseil dans le territoire Akaitcho. Quand nous avons essayé d'inclure un tel paragraphe dans l'entente-cadre, nous avons eu des problèmes, non pas avec le ministre lui-même, mais avec les fonctionnaires de son ministère et le négociateur fédéral qui nous ont dit que ce rôle ne pouvait être confié qu'à un seul des deux groupes. C'était eux ou nous. C'était un autre ultimatum du genre «à prendre ou à laisser».

Le sénateur Gill: Je présume que ce conseil territorial a été créé par le gouvernement, et non par les Dénés.

Mme Venne: Le conseil territorial a été créé par le Parlement fédéral. Ses compétences et responsabilités sont définies dans la Loi sur les Territoires du Nord-Ouest.

Il s'agit bien d'un conseil territorial. Il n'est pas question du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest dans la loi, puisque cette entité n'existe pas en vertu de la législation fédérale. Il est bien question d'un conseil territorial. Le ministre des Affaires indiennes rend compte au Parlement du fonctionnement du conseil. Le financement du conseil est assuré par le gouvernement fédéral. En fait, le ministère des Affaires indiennes essaie d'amener un autre intervenant à la table. Il essaie de créer un «ménage à trois» alors qu'un tel ménage n'existe pas. Voilà le problème auquel nous sommes confrontés.

Le sénateur Whelan: Je tiens à dire à la délégation que je ne fait partie de ce comité. Je ne suis qu'un citoyen du Canada qui s'intéresse à la question.

Mme Venne: Oui.

Le sénateur Whelan: Avez-vous dit qu'on vous a offert 20 millions de dollars, alors qu'on estime que, dans dix ans, ces ressources vont rapporter des milliards de dollars? Ce territoire vous appartient, et le gouvernement fédéral délivre des permis d'exploration minière à ces gens sans en discuter avec vous.

M. Balsillie: C'est exact.

Le sénateur Whelan: Est-ce que le gouvernement fédéral touche des redevances? Si oui, à combien s'élèvent-elles? Que fait-il avec cet argent? Est-ce qu'il l'investit en votre nom?

Le président: Non. Il n'y en a pas.

M. Sangris: Non. J'ai dit, lors de notre assemblée: «Si vous ne négociez pas de façon équitable avec nous, je vais vous empêcher de passer.» C'est mon territoire.

Et voilà que le ministre dit: «Les Premières nations et les entrepreneurs ont 60 jours pour s'entendre.» Nous nous sommes entendus très vite. Pourquoi ne peuvent-ils pas faire la même chose dans le cas des revendications territoriales? C'est aussi simple que cela. Nous, nous sommes prêts. Certains bureaucrates ont toutefois des idées bien arrêtées qui sont dépassées. Ils ne peuvent s'en défaire.

Nous avons conclu une entente avec l'entrepreneur, qui s'est engagé à nous verser un million de dollars par année en échange d'un permis. Nous avons créé des emplois, des programmes de formation. C'est tout ce que nous avons. D'après leurs chiffres, au cours des 20 prochaines années, ils vont réaliser des profits de 6 milliards de dollars.

Le sénateur Whelan: Vous n'avez pas de droits miniers.

M. Sangris: Rien.

Le sénateur Whelan: J'ai un ami agriculteur dans le comté d'Essex. Il y a, sur son terrain, un puits de pétrole qui produit autant que ceux qu'on trouve en Alberta. Les droits miniers sont de 35 000 $ par mois. Il a dit: «J'ai 65 ans, pourquoi cela ne m'est-il pas arrivé quand j'en avais 35?»

À combien s'élève la part du gouvernement fédéral?

M. Sangris: Elle est d'environ 14 p. 100.

D'après notre ministre dans les Territoires du Nord-Ouest, le ministre des Finances, le gouvernement va toucher 14 p. 100, et eux, 5 p. 100. Qu'obtiennent les propriétaires fonciers? Rien, sauf des emplois et peut-être quelques programmes de formation. Le million que nous recevons dans le cadre de cette entente doit être partagé entre trois ou quatre localités. Voilà ce qui se passe dans le Nord.

Le sénateur Whelan: Je connais un peu le secteur minier. Nous avons de grandes mines à ciel ouvert dans ma région. Elles existent depuis la fin des années 1800. On produisait de la roche calcaire pour les écluses de Sault Ste. Marie et du canal Welland. À une époque, 400 personnes y travaillaient. Ces terres appartenaient aux Indiens. J'étais président d'une mine d'or près de Timmins. Je m'y connais donc un peu.

Vous avez mentionné le chiffre de 5 p. 100, mais personne ne peut prendre de décisions.

M. Balsillie: J'aimerais situer les choses dans leur contexte.

En vertu de l'entente, nous allons recevoir une somme d'argent tous les ans, mais je vous invite à jeter un coup d'oeil sur ce que nous avons dû emprunter pour négocier des arrangements jusqu'à maintenant. Les profits que nous tirons de l'industrie minière serviront à rembourser une partie de notre dette, sauf que nous serons toujours dans le rouge à cause des frais d'intérêt. Nous allons nous retrouver les mains vides. Nous allons devoir verser au gouvernement du Canada des millions de dollars en intérêt. Comment allons-nous rembourser cette dette alors que les entrepreneurs ont tout pris? Il ne reste plus rien à négocier. Que vont-ils encore venir chercher?

Le sénateur Whelan: Si j'ai bien compris, vous vous retrouvez les mains vides.

M. Balsillie: Nous devons contracter des emprunts pour négocier ces arrangements.

Le sénateur Whelan: Ces gens vont réaliser des profits incroyables. Il est question ici de milliards de dollars.

J'ai lu dans les journaux cette semaine qu'un groupe d'autochtones en Alberta accuse le gouvernement de l'Alberta de ne pas leur avoir cédé les droits miniers qui leur appartiennent.

Le sénateur Gill: Vous allez devoir emprunter de l'argent de la Banque de Montréal pour rembourser votre dette.

Le sénateur Whelan: Mon collègue a mentionné le nom de la Banque de Montréal. Quel genre d'entente avez-vous avec la banque? Est-ce qu'elle vous finance? Est-ce qu'elle vous fournit une aide quelconque?

M. Balsillie: Permettez-moi de vous donner un exemple. J'ai grandi et je vis toujours à côté de la plus grande mine à ciel ouvert qui existe. Les Japonais ont extrait le minerai, et la Couronne a touché des redevances. Les habitants de Terre-Neuve ont eu du travail, et Cominco a touché des profits. Nous, nous n'avons rien eu. C'est ce qui arrive chaque fois que nous participons à un projet.

Le sénateur Whelan: Monsieur le président, une tâche énorme vous attend.

Le président: C'est pourquoi nous voulons que vous participiez en permanence aux travaux du comité.

Le sénateur Whelan: J'ai travaillé dans une mine à ciel ouvert quand j'étais plus jeune. On extrayait de la pierre calcaire d'une carrière, et le concasseur était l'endroit le plus froid au monde. Je m'y connais un peu en redevances parce que j'ai travaillé dans l'industrie du pétrole et de l'or. J'ai du mal à croire ce que j'entends -- c'est-à-dire, si c'est bien vrai.

Le sénateur Mahovlich vient également d'une région minière, et je suis certain que tout sénateur originaire du Grand Nord sera de votre côté. Moi, je viens de l'extrême sud. Je ne peux pas descendre plus loin, sinon je serais Américain.

Le président: Sénateur, avez-vous posé toutes vos questions?

Le sénateur Whelan: Oui.

Le président: Le sénateur Whelan a déjà été ministre à une époque. S'il n'est pas au courant de ce qui se passe, il y a peut-être d'autres ex-ministres qui sont dans la même situation que lui.

Le sénateur Whelan: Le président lit dans mes pensées.

J'ai été ministre pendant 11 ans. Les conservateurs ont mené une enquête.

Un député d'Edmonton, qui est maintenant ministre au sein du cabinet libéral, m'a dit un jour: «Nous avons mené une enquête sur les ministres de M. Trudeau.» J'ai dit: «Vous voulez dire qu'il y a des détectives qui nous surveillent?» Il a répondu: «Je n'irais pas jusqu'à dire cela, mais vous êtes le seul à diriger votre ministère.» Je me suis demandé: «Mon Dieu, que font les autres?»

Le président: Avant de mettre un terme à la réunion, je tiens à vous rappeler que vous vouliez déposer des documents. Vous devriez le faire de façon formelle pour qu'ils puissent être consignés au compte rendu. La première étude s'intitule: «Study on treaties, agreements and other constructive arrangements between States and indigeneous populations». La deuxième s'intitule: «In the Spirit and Intent of Treaty 8 Coexistence in Akaitcho Territory».

Je connais fort bien votre territoire. J'ai fréquenté l'école Sir John Franklin et j'ai vécu à Akaitcho. Il y a bien longtemps de cela.

Mme Venne: Le document sur la coexistence est celui que nous avons soumis au ministre Irwin il y a quelque temps de cela. Nous y proposons des moyens de régler les questions de régie dans le territoire Akaitcho. L'autre porte sur l'étude qu'a réalisée l'Organisation des Nations Unies sur les traités et autres arrangements constructifs. Le rapporteur a rencontré les chefs dénés en février dernier. Il est au courant de la situation qui existe en ce qui a trait à la mise en oeuvre des traités. Il a analysé le document sur la coexistence, et en a repris une partie dans son rapport final.

Nous souhaitons déposer les deux documents parce que nous essayons de trouver une solution à ce problème à l'intérieur même du Canada. Il s'agit d'ententes internationales qui existent entre deux parties distinctes. Nous voulions toutefois que les Nations Unies en prennent connaissance.

Nous déposons ces documents auprès du comité parce que le rapporteur a analysé la question de la mise en oeuvre et du non-respect des traités, de même que la façon dont les questions de régie seront reglées dans les secteurs visés par les traités. Il formule des recommandations que le comité pourrait trouver utiles.

Le rapporteur a communiqué avec nous quand il est venu au Canada, à la fin novembre. Mary Robinson, haut commissaire aux droits de l'homme, était également au Canada à ce moment-là. Les chefs ont eu droit à exposé sur le rapport final et sur le processus qui serait suivi aux Nations Unies.

Nous voulions déposer ces deux documents à titre d'information générale à l'intention des sénateurs.

Le sénateur Whelan: Connaissez-vous la bande de Beaver Lake?

Mme Venne: Oui.

Le sénateur Whelan: Il y a 15 ans environ, cette bande m'a nommé membre honoraire, mais elle ne m'a jamais élu chef.

Le président: Pour terminer, je ne veux pas vous laisser sans vous remercier des renseignements que vous nous avez présentés. J'ai indiqué qu'il existe d'éventuelles voies juridiques que vous voudrez peut-être réexaminer. Bien que ce ne soit pas véritablement à moi de vous le dire, vu les difficultés du passé et les problèmes actuels auxquels vous vous heurtez, je crois que la seule façon pour vous de surmonter ces obstacles, c'est d'avoir recours aux voies juridiques. Si les négociations ne donnent pas de résultats, vous devez alors revenir aux voies juridiques. Je ne vois pas comment vous pouvez progresser en essayant de négocier sur la base de la paix et de l'amitié. Je ne dis pas que vous devez faire de l'obstruction. Parfois, les voies juridiques peuvent être utiles; je sais que cela coûte de l'argent, mais c'est probablement payant au bout du compte.

Je dois signaler que le sénateur Andreychuk est une ancienne juge, si bien que je dois faire preuve de prudence lorsque je parle de voies juridiques.

Le comité des peuples autochtones est un comité spécial qui a pour mandat la tenue d'une table ronde sur l'exercice des pouvoirs. En d'autres termes, nous allons nous pencher sur beaucoup de questions qui nous sont présentées et décider ce qui nous sera utile en tant que comité à la fin de notre étude.

Il ne nous reste qu'une année environ pour remplir notre mandat; nous aurons ensuite des discussions en profondeur avec les chefs autochtones et je vous invite à y participer.

Vous souhaiterez peut-être examiner certaines questions que vous avez mises de côté lors des négociations sur les revendications territoriales. Si je comprends bien, vous souhaitez que les négociations, qu'elles portent sur les revendications territoriales, l'autonomie gouvernementale, un concept de coexistence ou de cogestion, soient fondées sur le traité. Les divers intervenants de ce matin nous ont fait les mêmes remarques.

Nous vous remercions d'avoir exposé vos problèmes. Vous les avez cernés au sein du système et vous nous avez dit que ce système ne fonctionne pas. Nous allons faire tout ce que nous pouvons pour vous aider, toutefois, nous ne pouvons pas l'emporter sur un ministre lorsque la question relève de sa compétence. Nous avons un ancien ministre présent parmi nous qui peut vous le dire. Parfois, j'aimerais qu'il puisse redevenir ministre et nous aider de l'autre côté.

Merci beaucoup pour votre exposé.

M. Ron Jamieson, premier vice-président de la Banque de Montréal est notre prochain témoin de ce soir.

M. Ron Jamieson, premier vice-président, Banque de Montréal: Avant tout, permettez-vous de vous dire combien je suis heureux de m'adresser à vous aujourd'hui. Je tiens à vous féliciter, monsieur le président et membres du comité sénatorial permanent sur les peuples autochtones d'avoir entrepris cette étude spéciale sur la question de l'autonomie gouvernementale des peuples autochtones. J'espère en comparaissant aujourd'hui pouvoir contribuer à cette étude et aux changements qui permettront aux futures générations de réaliser leurs objectifs et leurs aspirations.

Comme vous le savez sans doute déjà, je suis très honoré d'avoir été choisi pour présider la Commission royale sur les peuples autochtones chargée de se pencher sur les questions économiques qui ont une incidence sur les peuples autochtones au Canada. Toutefois, ceci étant dit, je tiens à préciser d'emblée qu'à mon avis, ni la Banque de Montréal ni aucune autre banque d'ailleurs, ne peut ni ne devrait se prononcer sur les formes d'autonomie gouvernementale qui serviraient le mieux les intérêts ou les besoins des peuples autochtones au Canada.

Ce que je vous propose, plutôt, c'est de faire le point devant ce comité sur les progrès que nous avons réalisés à la Banque de Montréal en vue d'aider les collectivités autochtones à trouver les moyens d'accroître leur niveau d'autonomie. Vous conviendrez avec moi, je l'espère, que même si de prime abord ces deux sujets semblent distincts, ils sont, en réalité, étroitement liés. Pour qu'il y ait une véritable autonomie gouvernementale, il faut qu'il y ait aussi une véritable autarcie économique. Par conséquent, j'estime que le point de vue de la Banque sur la question du développement économique des autochtones devrait intéresser les membres de votre comité.

Après ces brefs commentaires, et avec votre permission, j'aimerais maintenant faire quelques remarques personnelles sur les recommandations contenues dans le rapport déposé par la Commission royale sur les peuples autochtones.

Notre banque a mis en oeuvre un programme de services bancaires destiné aux autochtones en 1992. Jusque là, aucune des grandes institutions financières ne s'était encore vraiment penchée sur les services offerts à ce segment de marché. En 1992, la Banque de Montréal a été la toute première à prendre conscience du fait qu'il n'était pas judicieux pour une entreprise de négliger un segment de marché qui comptait pourtant 1,2 million de consommateurs au Canada, soit 4 p. 100. Et parce que nous n'avions aucune expérience comme telle pour servir un marché aussi spécialisé, nous savions que nous aurions à surmonter de nombreux obstacles pour le conquérir.

En revanche, nous savions aussi qu'en travaillant fort et en investissant le temps nécessaire, nous pourrions relever ces défis et nous imposer comme le leader dans ce domaine en devenant le principal fournisseur de services financiers aux peuples autochtones du Canada.

Aujourd'hui, soit sept ans plus tard, la Banque de Montréal compte 16 succursales dans les communautés autochtones du Canada, dont plusieurs dans les régions les plus éloignées du pays.

De Nain, au Labrador, à Wemindji, au Québec, de la rive est de la Baie James à Inuvik dans les Territoires du Nord-Ouest, nous avons établi des succursales bancaires modernes pour servir les populations qui n'avaient jusque là jamais eu accès à de tels services. Un peu plus tôt cette année, nous avons annoncé en collaboration avec Postes Canada, avec qui nous avons conclu une alliance, un programme qui vise à ouvrir de nouveaux points d'accès à nos services dans d'autres collectivités autochtones et régions éloignées. Grâce à ce programme, 20 nouvelles communautés éloignées situées dans le nord de la Colombie-Britannique, en Alberta, en Saskatchewan, au Manitoba, en Ontario, au Québec, dans les provinces de l'Atlantique, à Nunavut et dans les Territoires du Nord-Ouest auront accès à des services bancaires pour la toute première fois.

Il y a à peine quelques jours, le 13 janvier, la Banque de Montréal était heureuse d'annoncer qu'elle avait conclu un partenariat avec Postes Canada pour offrir des services financiers à Moose Factory, en Ontario. En collaboration avec Postes Canada, nous entendons continuer à développer encore d'autres points de vente dans les collectivités du Grand Nord.

Permettez-moi de m'éloigner de mes notes quelques instants pour vous dire qu'en ce moment même, nous annonçons la création d'une autre succursale dans la collectivité de Deline -- Fort Franklin -- pour ceux qui ne connaissent par les noms traditionnels.

J'aimerais, si vous le permettez, vous citer quelques exemples pour expliquer combien ce programme a eu une incidence favorable sur la vie de notre clientèle autochtone. Avant que la Banque de Montréal n'ouvre une succursale à Nain, au Labrador, il fallait plus d'une semaine aux résidents de cette collectivité pour effectuer un simple dépôt ou retrait. Ils devaient obligatoirement le faire par l'entremise des institutions financières situées à Goose Bay, des centaines de kilomètres plus loin. Aujourd'hui, ils peuvent ouvrir un compte, effectuer des dépôts, des retraits et des virements de fonds et régler des factures dans leur propre localité. Ils peuvent également recevoir des conseils d'investissements pour la retraite et des services personnalisés en anglais ou en inuktitut.

En 1997, nous avons annoncé la signature d'une entente avec la Première nation Garden River, dans le Nord de l'Ontario, en vue de mettre à la disposition de ses membres jusqu'à 2 millions de dollars sous forme de prêts à l'habitation. Ce programme de prêts à l'habitation est unique en ce sens qu'il permet d'offrir des prêts à l'habitation aux membres de la Première nation sans avoir à passer par l'administration fédérale ou la Société canadienne d'hypothèques et de logement.

Pour les membres des Premières nations, cette entente a également été un puissant incitatif à accéder à la propriété. Il était en effet impossible avant cette initiative de leur offrir un prêt hypothécaire sans prendre de garantie. Après la signature de cette entente, le chef Dennis Jones, de la Première nation Garden River, a exprimé le point de vue suivant:

Cette initiative est un outil clé qui permettra de stimuler la construction domiciliaire dans notre milieu. Elle représente, pour nous, une possibilité de devenir une Première nation autonome et autosuffisante.

Le Banque de Montréal est fière de jouer un rôle de chef de file dans le secteur des services bancaires aux autochtones et d'aider ainsi les peuples autochtones à gérer eux-mêmes leurs affaires financières. Nous nous réjouissons aussi à la perspective de pouvoir bientôt offrir ces services à d'autres collectivités éloignées -- des services d'une envergure qu'aucune autre institution financière canadienne n'est en mesure d'offrir.

Cependant, servir un segment de marché aussi spécialisé avec efficacité n'est pas aussi simple qu'ouvrir une succursale dans une collectivité. En effet, le fait d'ouvrir une succursale dans une réserve ou dans une collectivité autochtone, ne signifie pas pour autant que ses membres vont se précipiter à sa porte. La clientèle que nous servons a ses propres exigences et nous devons donc en tenir compte et adapter nos méthodes et offrir des produits spécialisés. Pour être efficace, l'équipe des services bancaires aux autochtones devait commencer par comprendre ces collectivités éloignées et évaluer leurs besoins en matière de services financiers. Bien franchement, il fallait établir une meilleure relation de confiance que celle qui existait à l'époque entre ces collectivités et les institutions financières.

Dans les deux cas, nous jouissions d'un avantage au départ. L'équipe des services bancaires aux autochtones de la Banque de Montréal comptait à l'origine plus de 100 autochtones. Nous en employons aujourd'hui quelque 500 dans notre organisation et certains occupent des postes clés de direction. C'est un nombre dont je suis très fier.

Comme vous le savez, je suis moi-même Mohawk de la réserve des Six Nations de Grand River. Je vis sur la réserve de Ohsweken, près de Brantford, en Ontario. Je suis également président du comité de direction et coprésident national du Conseil canadien pour le commerce autochtone.

Nous croyons que depuis le tout début, notre équipe avait les compétences et les connaissances voulues pour communiquer efficacement avec les membres des collectivités autochtones auxquels nous voulions offrir nos services. Après avoir mené de vastes consultations auprès des membres de ces collectivités, nous avons mis au point des produits et des services parfaitement adaptés à leurs besoins. Nous avons également conçu et dispensé une série de cours de formation en finances dans de nombreuses collectivités. Ces cours, qui avaient pour but d'accroître les connaissances de nos nouveaux clients en matière de finance, avaient été mis au point et offerts en étroite collaboration avec ces collectivités, en tenant compte des précieux conseils de tous leurs membres.

Cette démarche consultative qui visait à tisser des liens étroits avec ces collectivités a permis à la Banque de Montréal d'élargir l'éventail des services offerts aux peuples autochtones et d'établir son leadership dans ce domaine. Nous avons tiré d'excellentes leçons de ce que nous avons appris, de sorte que nous sommes maintenant fins prêts à accroître sensiblement nos activités dans ce secteur d'activité. Tout en poursuivant notre expansion dans ce segment, nous demeurons très conscients que nos relations avec cette clientèle doivent toujours reposer sur une confiance mutuelle et une connaissance approfondie de ses besoins.

Depuis 1992, nous avons fait des pas de géant en instaurant des services qui répondent aux besoins propres à un segment particulier de consommateurs. Je suis fier de pouvoir vous signaler que nous nous inspirons de ce que nous avons appris par l'entremise de notre programme de services bancaires aux autochtones pour adapter nos services aux besoins d'autres segments de clientèle de la Banque.

J'aimerais, en guise de conclusion, formuler quelques remarques personnelles sur les travaux de ce comité. Au cours des dernières années, j'ai eu l'occasion de me rendre dans un très grand nombre de collectivités autochtones, en fait, plus de 300, de la côte est à la côte ouest en passant par le nord. Tout bien considéré, ce qui m'a le plus marqué, c'est la force et la détermination de ces collectivités, leur aptitude et leur volonté de s'attaquer aux problèmes de l'autonomie gouvernementale. Les témoins qui m'ont précédé vous en ont parlé.

Ceci dit, la diversité des collectivités autochtones au Canada est stupéfiante. Les besoins et les niveaux d'autonomie actuels de ces collectivités sont vraiment distincts. On ne peut aspirer à satisfaire la diversité de ces besoins en adoptant un seul type de relation structurelle ou modèle. Par conséquent, je suis d'avis que pour y parvenir, il faudra que les gouvernements fédéral et provinciaux fassent preuve d'une grande souplesse dans leurs relations avec les peuples autochtones. Pour ce faire, il faudra absolument adopter une stratégie de communication ouverte entre les représentants de l'État et les membres des collectivités autochtones, tout en préservant et en renforçant l'exercice des pouvoirs et la responsabilisation au sein des collectivités autochtones.

En janvier 1998, le gouvernement fédéral a publié un document intitulé: «Rassembler nos forces» en réponse au rapport déposé par la Commission royale sur les peuples autochtones. Quelques mois plus tard, le ministère des Affaires indiennes et du Nord annonçait la création de la Fondation pour la guérison des autochtones. Le gouvernement fédéral a ainsi posé un jalon très important en vue de consolider ses relations avec les Premières nations. Toutefois, il s'agit uniquement de la première étape d'un long parcours.

Tout en discutant des questions portant sur l'autonomie gouvernementale, il importe que le gouvernement fédéral s'engage à appuyer le financement des secteurs du développement économique et de l'éducation, et, en particulier, le financement des besoins en matière d'éducation postsecondaire. En agissant ainsi, le gouvernement contribuera à bâtir des collectivités autonomes qui posséderont les compétences voulues pour faire face aux nombreux défis que recèle l'avenir.

Monsieur le président et membres du comité, je comprends qu'il se peut que les membres de ce comité se rendent dans diverses régions du pays. Si vous visitez les collectivités où nous avons des succursales, je vous invite à vous y rendre; vous y rencontrerez les autochtones qui y travaillent, vous les entendrez parler leurs langues traditionnelles ainsi que l'anglais et vous verrez nos formulaires imprimés en cri et en anglais, en inuktitut et en anglais, et cetera.

Je serais heureux de recevoir les membres de ce comité qui le souhaitent, au moment qui leur conviendra. Appelez-moi tout simplement et je m'organiserai en conséquence.

Nous avons des renseignements supplémentaires qui ne vous ont pas encore été remis. La déclaration que je viens de lire a été fournie à l'avance en français et en anglais. Les documents qui vont vous être distribués ne sont malheureusement pas en français, mais ils renferment des renseignements supplémentaires que j'aimerais que vous receviez tous.

Je suis prêt maintenant à répondre aux questions.

Le président: Merci pour votre exposé, monsieur Jamieson.

Le sénateur Adams: Merci beaucoup pour votre exposé. Je me souviens qu'en 1970, j'ai demandé à certaines banques d'ouvrir une succursale à Rankin Inlet. La CIBC m'a dit que les gens à cet endroit-là n'avaient pas d'argent à déposer dans des banques. Toutefois, nous avons ouvert une banque dans une vieille école à Rankin Inlet vers 1970. Nous avons maintenant deux banques, la CIBC et la Banque Royale.

J'ai une petite entreprise juste en face de la Banque Royale et je vois les gens fréquenter cette banque 24 heures par jour. Les choses ont bien changé au cours des dernières années.

Vous avez parlé de propriété.

Je sais que c'est difficile et que ce n'est pas comme dans le sud. Vous vivez au sein d'une collectivité. Je sais pas mal de choses vu que je parle aux gérants de banques. Dans les territoires, certains n'ont jamais possédé leur propre propriété; ils ont un bail sur 20 ans. Mon propre bail a expiré il y a deux ans environ et je n'en ai pas eu de nouveau. Je vis sur la terre sans en avoir encore renouvelé le bail.

Vous avez parlé de propriété; on parle aujourd'hui d'accès à la propriété, ce qui n'est pas tout à fait la même chose. À une époque, les hypothèques n'étaient valables que cinq ans et les prêteurs ou les banques ne finançaient que 25 p. 100 environ. Le reste était garanti par le gouvernement du Canada.

Aujourd'hui, cette politique a de nouveau changé. On peut aller maintenant jusqu'à 15 ou 20 ans, en fonction du genre de maison.

Je ne sais pas comment on peut améliorer les choses, mais tout va très mal pour ceux qui ont besoin de logement. Comment peuvent-ils garantir le remboursement de cet argent? Entre-temps, la SCHL ne permet seulement qu'un nombre limité d'unités par an dans les collectivités. Vous savez bien, puisque vous vous rendez dans les territoires, que les taux peuvent être deux ou trois fois plus élevés pour la population du nord.

Il y a quelques années, la CIBC allait dépenser près de 200 millions de dollars pour la petite entreprise. Cela ne s'est jamais concrétisé dans les territoires. Peut-être cela existe-t-il dans le sud.

Vous avez dit que vous traitez avec des autochtones lorsque vous ouvrez des succursales. Je sais que les banques réalisent de gros profits. Vous arrive-t-il parfois, lorsque vous parlez au gouvernement du Canada, de proposer, au lieu de remettre l'argent, de le dépenser dans la collectivité? Ce système fonctionne-t-il de cette manière pour les banques?

M. Jamieson: Vous avez fait quelques bonnes remarques, sénateur. Tout d'abord, je dois dire que nous nous occupons également d'hypothèques subventionnées par l'État. Ces hypothèques ont bien sûr une orientation sociale. Les maisons sont très chères dans le nord, comme vous le faites si bien remarquer. L'entretien et le chauffage des maisons sont très coûteux. Beaucoup de gens ne remplissent pas les conditions nécessaires et dans des cas pareils, le gouvernement doit apporter un certain soutien.

Notre programme ne dépend absolument pas du ministère des Affaires indiennes, ni non plus du gouvernement fédéral, ni non plus de la Société canadienne d'hypothèques et de logement, mais il est conçu pour ceux qui remplissent les conditions. Avant la mise au point de ce programme, les gens qui vivaient sur une réserve pouvaient gagner 100 000 $ par année sans toutefois remplir les conditions requises pour obtenir une hypothèque d'une banque. C'est le changement que nous avons été en mesure d'apporter, ce qui nous a pris un ou deux ans.

La SCHL ou les logements subventionnés -- le logement social, comme je préfère l'appeler -- ne disparaîtra jamais. Je ne vois pas comment il le pourrait. Il est nécessaire au centre-ville de Toronto, alors je ne vois pas comment il pourrait en être autrement à Rankin Inlet ou ailleurs.

Le sénateur Adams: Pourquoi avez-vous plus de succès que le gouvernement à recruter du personnel local?

M. Jamieson: Nous nous sommes mobilisés pour recruter des autochtones et pour assurer leur formation et leur perfectionnement. Nous réussissons à garder ceux qui voient de l'avenir dans ce travail. Je me demande par contre s'ils ont pensé à travailler dans la fonction publique. C'est une question à laquelle je ne peux répondre.

Des gens nous quittent pour retourner dans leur communauté. Nous consacrons parfois deux ou trois ans à la formation et au perfectionnement d'un autochtone prometteur qui retourne ensuite dans sa communauté. Nous savons par expérience que leurs communautés ont terriblement besoin d'eux. Il est certain que nous aimerions garder un bon employé, mais nous ne considérons pas son départ comme une perte. Les employés ont été bien traités chez nous et ils ont appris quelque chose. Leur communauté a extrêmement besoin d'eux, et ce qu'ils pourront dire de bien au sujet de la Banque de Montréal ne pourra pas nous nuire. Nous savons que leurs connaissances en comptabilité et en finances sont très recherchées dans les communautés autochtones du Canada.

Le sénateur Adams: Ils sont très utiles, surtout pour les anciens qui ne comprennent pas le système bancaire. C'est pratique d'avoir quelqu'un qui a des connaissances et qui parle la langue traditionnelle. Le gouvernement devait faire appel à des gens comme eux, mais il exige une 12e année pour offrir un emploi.

Le sénateur Pearson: Mes questions vont porter sur le même sujet parce que je m'intéresse à l'enseignement postsecondaire. Vous mettez l'accent sur la formation et l'acquisition de connaissances dans un domaine où vous avez une vaste expérience. Le nombre d'autochtones qui suivent des cours en gestion des affaires et en comptabilité augmente-t-il?

M. Jamieson: Je suis heureux que vous posiez la question parce qu'elle va me permettre d'aborder différents sujets.

J'ai dit que l'appui du gouvernement fédéral serait utile, mais je ne veux pas donner l'impression que notre institution ne fait rien. Nous avons une école de formation à Scarborough où nous offrons beaucoup de cours de formation.

De plus, nous appuyons tous les programmes autochtones du Banff Centre for Management, ainsi que l'Université de Regina et le Saskatchewan Indian Federated College. Nous offrons toute une série de bourses par le truchement de divers organismes, dont la Fondation pour l'avancement des jeunes autochtones, qui a été créée par le Conseil canadien de promotion des entreprises autochtones.

Il existe une foule de possibilités. Mes voyages m'ont fait comprendre que les connaissances sont nécessaires pour parvenir à l'autonomie gouvernementale, pour mieux se prendre en main et pour être maître de son destin. Il faut commencer immédiatement à agir en ce sens. Il aurait fallu commencer plus tôt, mais il n'est pas trop tard.

Je crois que le gouvernement devrait faire davantage dans ce domaine, mais la participation du secteur privé est très importante.

Le sénateur Pearson: Ces initiatives ont-elles été profitables pour la banque?

M. Jamieson: Oui, beaucoup. Nous avons envisagé les choses différemment. En 1992, j'ai dit aux cadres de la Banque de Montréal qu'il fallait considérer nos initiatives comme un investissement. Comme je l'ai dit dans ma déclaration, on n'établit pas une succursale dans une réserve, à Pangnirtung ou à Deline dans le but de s'enrichir. Il n'y a pas beaucoup d'activités économiques dans ces localités. On n'y fera donc pas fortune, du moins on ne fera pas autant que si on ouvrait une succursale, disons, de l'autre côté de la rue. On essaie de mieux comprendre les enjeux.

Il faut penser en termes d'investissements. On ouvre une succursale pour travailler avec la communauté. On essaie de mettre les gens de la communauté dans le coup. On finance des initiatives économiques utiles qui vont rentabiliser l'investissement, mais les résultats peuvent se faire attendre plus longtemps que ce à quoi on est habitué.

Les cadres ont accepté l'idée, et je peux vous dire qu'ils sont très heureux des progrès réalisés. Nous n'avons pas atteint tout à fait nos objectifs, mais cette initiative n'a que sept ans. La Banque de Montréal existe depuis plus de 180 ans. Je ne dirigerai probablement pas ce service quand il aura le même âge, mais on ne sait pas ce que l'avenir lui réserve.

Le sénateur Pearson: Ce sont là de belles initiatives qu'on devrait faire connaître à la population. Je suis heureux que vous soyez venus nous en parler.

[Français]

Le sénateur Gill: J'aimerais d'abord vous féliciter pour le travail que vous faites -- on se connaît depuis quelques années -- pour l'énergie et les efforts que vous mettez à la Banque de Montréal.

Les institutions peuvent toujours faire du progrès, mais cela dépend un peu des individus qui sont dans les institutions. Vous êtes, à mon avis, quelqu'un qui a fait avancer la mentalité de la Banque de Montréal et des banquiers en général. Il semble qu'il faut maintenant faire quelque chose dans le domaine autochtone.

Évidemment on parle d'un gouvernement autonome, d'une certaine autonomie. C'est très difficile pour les autochtones en général d'avoir une autonomie si, du côté économique, il n'y a pas une certaine indépendance.

Jusqu'à maintenant, je pense que les autres institutions financières se sont fiées énormément aux gouvernements. Lorsqu'il y avait des garanties qui venaient du gouvernement, les institutions financières ou ceux qui étaient impliqués dans le domaine financier pouvaient intervenir.

Je pense qu'aujourd'hui la situation a changé énormément et certaines banques, entre autres la Banque de Montréal, comme vous l'avez mentionné, voient un potentiel, voient la nécessité d'investir dans les communautés et dans les affaires autochtones, parce que cela va rapporter.

Il ne faut pas oublier qu'il y a une population autochtone, qui forme un certain pourcentage de la population au pays, et qu'il y a aussi des négociations, des réclamations des ressources naturelles. Il y a beaucoup de choses qui peuvent éventuellement rapporter aux banques.

Lorsque l'on regarde la situation financière et les affaires dans le monde autochtone, on ne peut pas dire qu'il y en ait beaucoup qui soient florissantes. Celles qui ont été florissantes pendant un certain temps ont souvent fait banqueroute ou existent avec beaucoup de difficultés. Il n'y a pas beaucoup d'entreprises qui fonctionnent de façon à compétitionner avec les non autochtones.

Je me demandais toujours si c'était parce que, d'une façon personnelle ou du côté autochtone, nous ne sommes pas fait pour faire des affaires, parce que nous ne sommes pas des «businessmen»? Est-ce que c'est parce que nous n'avons pas les ressources financières nécessaires? J'aime autant penser que c'est cela.

J'ai l'impression, et je veux avoir des commentaires là-dessus, qu'on a beaucoup de chemin à faire pour rétablir une crédibilité, en tant qu'entrepreneurs autochtones, avec les institutions financières.

Il me semble que nous n'avons pas cette crédibilité parce que les emprunts possibles dans les banques et les institutions financières, c'est pour le «on-going business», ce n'est pas pour le développement. D'après mon expérience, les gens qui sont en affaires ont beaucoup de difficultés à obtenir des emprunts pour développer des projets à plus long terme.

Il y a des emprunts possibles pour l'opération normale d'une compagnie, et caetera. Mais on sait très bien que si nous voulons éventuellement compétitionner avec les non autochtones, il faut gérer les entreprises d'une façon convenable, mais il faut aussi investir à long terme. S'il y a un manque de crédibilité, les emprunts ne se font pas. C'est un problème qui pose beaucoup de difficultés actuellement aux autochtones.

[Traduction]

M. Jamieson: Vous soulevez plusieurs questions importantes, monsieur le sénateur, et je vous en remercie.

La première question est celle de l'expérience. Il faut comprendre que les autochtones de notre pays apprennent à se frotter à la mentalité d'affaire des Européens depuis seulement 500 ans, et je le dis parce que c'est vrai.

J'aimerais mieux que les sténographes ne consignent pas ce que je vais dire, mais un ami m'a demandé pourquoi on voyait des Indiens ivres dans la rue. Nous savons que ce n'est pas la réalité, mais c'est ce qu'il m'a dit. Je lui ai répondu que nous connaissons l'alcool depuis seulement 500 ans et que les Blancs, qui en boivent depuis des centaines d'années, y sont plus habitués que nous, voilà tout.

Le manque d'expérience est en général un problème, mais vous soulevez aussi d'autres questions très importantes.

D'abord, les garanties gouvernementales seront toujours nécessaires. Dans le milieu des affaires en général, on constatera qu'Industrie Canada, par l'entremise de son programme de prêts, aide beaucoup de petites entreprises, et je ne parle pas des autochtones mais des entreprises en général. Cette aide est en fait une forme de garantie. Il y en aura toujours. Elle vise à financer et à aider le développement des entreprises. Nous pensons que c'est une bonne idée. Contrairement à ce que beaucoup de gens croient, les garanties ne nous protègent pas à 100 p. 100 contre les pertes sur prêts. Il faudra toujours qu'il y ait certaines garanties gouvernementales.

Le gouvernement, le ministère des Affaires indiennes et d'autres organismes, comme Entreprise autochtone Canada, pourraient consolider ou financer davantage leur programme de garanties, pas à 100 p. 100, ce n'est pas ce que je dis, comprenez-moi bien, mais ce serait utile dans le cas des projets éloignés, très risqués ou expérimentaux. Aucune banque n'assume au complet le risque sur les prêts de ce genre, que ce soit pour des entreprises autochtones ou autres. Les programmes d'aide gouvernementale devraient être consolidés et améliorés pour corriger la situation. C'est une première observation que je voulais faire.

Ensuite, j'aimerais parler de notre institution. Je vois des propositions d'affaires de trop grande envergure compte tenu de l'expérience en gestion des entrepreneurs. Si des dirigeants d'entreprise nous présentent un plan d'affaires prometteur qui nécessite un investissement de 100 millions de dollars, nous essayons toujours de les encourager dans leur démarche en leur proposant toutefois de commencer plutôt par un projet de 10 millions de dollars, qui pourra toujours prendre de l'expansion et atteindre 100 millions de dollars, que le contraire.

Nous dispensons beaucoup de conseils, sénateur Gill, si je puis dire. Cette démarche exige un peu plus de temps mais, quand nous pouvons discuter avec les entrepreneurs et les chefs des communautés, nous obtenons des résultats. Il faut cependant surveiller la situation de près. C'est graduel. Il faudra prendre le temps, mais nous arriverons à nos fins.

Je crois -- et vous vous en souviendrez peut-être, sénateur Gill, étant donné que vous avez un ou deux ans de plus que moi -- que les choses se sont beaucoup améliorées depuis 25 ou 30 ans. Dans ma réserve, c'est le jour et la nuit. J'essaye d'envisager un avenir toujours meilleur. Nous avons besoin de la collaboration du secteur privé et des banques et aussi de celle du gouvernement du Canada et des gouvernements provinciaux pour réussir.

Le sénateur Mahovlich: Monsieur Jamieson, il y a 500 autochtones qui participent à votre programme et j'aimerais savoir si toutes les banques en comptent autant.

M. Jamieson: Honnêtement, toutes les banques ont un programme autochtone. Nous sommes simplement les premiers à l'avoir mis en place en 1992.

Le sénateur Mahovlich: Depuis que je siège à ce comité, j'ai entendu beaucoup de commentaires négatifs au sujet des Indiens. Je me suis rendu dans le nord de l'Ontario et dans le nord du Québec et j'ai entendu les plaintes de nombreux Indiens à qui j'ai parlé. La formation que vous offrez est très constructive. C'est très généreux de former quelqu'un même s'il va partir dans deux ans. Trouvez-vous qu'il est plus difficile de former un autochtone que, disons, un Blanc?

M. Jamieson: Non.

Le sénateur Mahovlich: Il n'y a aucune différence?

M. Jamieson: Non. Il faut toujours demander à celui qui veut suivre un cours de comptabilité quelles sont ses connaissances en mathématiques. Il n'y a aucune différence entre un autochtone qui n'a aucune connaissance en mathématiques et un non-autochtone qui n'en a pas non plus. La formation est difficile pour tous ceux qui n'ont aucune connaissance de base dans un domaine qui est assez compliqué.

Le sénateur Mahovlich: Vous dites que, pour résoudre les problèmes dont nous sommes saisis, il faudrait avoir la participation de tous les gouvernements, c'est-à-dire au niveau provincial, territorial et communautaire. Par exemple, les Cris sont dispersés dans tout le nord de l'Ontario, n'est-ce pas?

M. Jamieson: Et même sur un plus grand territoire.

Le sénateur Mahovlich: Je pense que la solution passe par le gouvernement fédéral. Dès qu'une bande reçoit plus d'une province, elle s'attend à obtenir la même chose d'une autre province.

M. Jamieson: J'aimerais faire une mise au point. Les conseils tribaux existaient avant la formation des provinces. Un conseil tribal ou un groupe de négociation d'un traité réunit des gens qui partagent les mêmes idées mais qui peuvent vivre dans trois provinces différentes. J'imagine que, dans votre étude, cet élément fera au moins partie de la solution. Ces responsables qui vivent dans plusieurs provinces différentes parlent tous le cri ou d'autres langues autochtones. Des points communs réunissent les membres de ces conseils, qui pourraient servir de modèle à une structure de gouvernement.

J'admire le président et les membres du comité d'avoir entrepris cette tâche. Je sais, pour en avoir fait l'expérience, que ce sera difficile. Le président m'a fait remarquer que je commençais à grisonner et je me demande si, l'an prochain, je ne pourrai pas lui passer la même remarque.

Le sénateur Johnson: Monsieur Jamieson, vous avez beaucoup parlé des services bancaires offerts aux autochtones dans les communautés et les réserves. Dans la province du Manitoba, d'où je viens, on trouve plus qu'ailleurs des autochtones vivant en milieu urbain.

Pouvez-vous nous parler un peu de vos rapports avec les autochtones qui vivent dans les villes. Fréquentent-ils vos établissements bancaires de la façon habituelle?

M. Jamieson: Comme il y a une population importante de 635 000 autochtones dans le centre-ville de Toronto, nous avons désigné, dans le cadre d'un projet-pilote, une succursale à leur intention dans le centre-ville. Nous trouvons cependant qu'il est beaucoup plus utile de travailler en collaboration avec les organismes. Nous entretenons de bonnes relations avec le Canadian Native Centre de Toronto et d'autres groupes avec lesquels nous essayons d'offrir des cours de formation. Les bourses et les autres formes d'aide dont j'ai parlé plus tôt sont aussi offertes aux autochtones qui vivent dans les villes.

Le sénateur Johnson: Profitent-ils de ces programmes?

M. Jamieson: Oui. C'est une question d'information dans les communautés, et aussi d'identification.

Le sénateur Johnson: Ce doit être aussi plus difficile.

M. Jamieson: Ça l'est pour ce qui est de l'identification. Dans une réserve, vous savez que la personne à qui vous parlez est un Indien inscrit parce qu'elle vit sur la réserve. C'est différent dans un milieu urbain. On rencontre des Métis, des Inuit, des Innus et des membres des Premières nations, tout l'éventail des possibilités. À bien des égards, c'est compliqué. Quand il est difficile de mettre en place une infrastructure pour offrir des services à une clientèle cible, il vaut peut-être mieux aider les organismes qui sont déjà reconnus au sein des communautés.

Le sénateur Johnson: Cela vous donne la zone de sécurité dont vous avez besoin, si je ne m'abuse?

M. Jamieson: Oui.

Le sénateur Adams: J'ai une autre question.

Je m'occupe beaucoup de ce qu'on appelle le développement économique, l'exercice auquel se livre le gouvernement territorial lorsqu'il accorde des subventions et des prêts aux gens dans les collectivités. Je crois que ces transactions devraient se faire par l'entremise des banques qui sont situées dans les collectivités. Il arrive souvent que les bureaucrates mêle la politique à l'octroi des prêts et des subventions. Il faut parfois être l'ami d'un politicien pour obtenir un de ces prêts. Je crois qu'il faudrait privatiser l'ensemble du processus. Qu'en pensez-vous?

M. Jamieson: J'ai dit plus tôt que nous annoncions aujourd'hui l'ouverture d'un point de services à Deline dans les Territoires du Nord-Ouest. Ce point d'accès à nos services ne fait pas l'objet d'une alliance avec Postes Canada mais avec la collectivité dont les membres eux-mêmes choisiront les dirigeants de leur banques. Ce ne sera pas «leur banque», en ce sens qu'il s'agira d'une succursale de la Banque de Montréal, mais la collectivité en profitera directement, tant du point de vue de la location de l'espace que de la formation. Nous payons des frais de transaction pour chaque transaction qu'ils effectuent et ainsi de suite. Nous essayons de remettre entre les mains des membres de la collectivité une plus large part de ces ressources, de ces dollars et de ces compétences plutôt que de les envoyer à Toronto, Montréal ou Dieu sait où.

Il y a quelque mérite à faire cela. Il est assez tôt tout de même. Il faudra probablement dix ans pour connaître à fond Nain, au Labrador, Moose Factory et Deline, mais c'est le genre de patience qu'il faut pour qu'il se passe quelque chose. Six mois à un an d'efforts ne suffisent pas pour faire un bilan.

Le sénateur Johnson: N'est-ce pas le gouvernement qui fournit tout l'argent qui est investi dans ces collectivités et permet d'établir les banques?

M. Jamieson: Oui.

Le sénateur Adams: C'est ce que nous disons. Pourquoi pas l'argent des contribuables et tout le reste. En attendant, le sénateur Gill est un homme d'affaires qui peut faire plus d'argent ou en emprunter.

Cependant, ce qui se passe à l'heure actuelle dans les collectivités c'est que si ma tête ne revient pas à un politicien, la banque, sur ses conseils, peut refuser de me consentir un prêt. Telle est la situation dans les collectivités.

M. Jamieson: Dans les très petites villes de ce pays, c'est la même chose.

Le sénateur Adams: Au sein de la banque également?

M. Jamieson: Non. La banque prend des décisions indépendantes en se fondant sur la solvabilité et non sur les amitiés. Vous êtes renvoyés si vous le faites.

Le sénateur Gill: Comment procédez-vous? Demandez-vous au conseil de bande de passer une résolution à l'appui d'un prêt destiné à quelqu'un qui voudrait démarrer une entreprise ou emprunter de l'argent?

M. Jamieson: Seulement si le risque est très élevé. Laissez-moi vous expliquer. Il arrive très souvent qu'un entrepreneur nous présente une résolution du conseil de bande où il est dit que celui-ci appuie fermement l'entrepreneur parce qu'il créera 50 emplois, et qu'il ou qu'elle fera ceci et parce que la collectivité en profitera. La Banque de Montréal accepte alors de consentir un prêt. Nous lui accordons notre appui parce que c'est une bonne personne. Il faut joindre l'acte à la parole.

Le sénateur Gill: Vous ne prêtez pas d'argent à ceux qui n'ont pas l'appui du conseil de bande.

M. Jamieson: Non. Il nous arrive souvent de consentir des prêts à des particuliers sans qu'ils aient l'appui du conseil de bande. Cela dépend de la situation financière, de la viabilité de l'entreprise. C'est ce dont nous comptons compte en premier.

Le président: Merci, monsieur Jamieson, de votre exposé. Je reviendrai à notre responsabilité en tant que membres du comité, qui consiste à tenter de trouver des solutions constructives aux problèmes avec lesquels sont aux prises les peuples autochtones et le gouvernement du Canada et, parfois, les gouvernements provinciaux.

En tant que financier, convenez-vous qu'il y a une incertitude politique très semblable à ce qui se passe au Québec, qui pourrait ne pas nécessairement aider l'économie de ce pays et qui exige probablement qu'on prenne les choses en mains pour renverser la situation? Êtes-vous d'accord là-dessus?

M. Jamieson: D'un point de vue autochtone?

Le président: Oui. Je ne vous demanderai pas de vous prononcer d'un autre point de vue.

M. Jamieson: Oui, il y a un problème. Comme les entreprises ont peur des revendications territoriales, elles prennent des décisions d'affaires. Elles se disent qu'étant donné l'incertitude, il vaut mieux aller ailleurs. C'est un problème.

Le président: Si c'est le cas, c'est un problème qui intéresse le secteur des entreprises. La survie des banques dépend de leurs actionnaires. Dans l'ensemble, ce sont les actionnaires qui dictent la conduite des directeurs de banque.

M. Jamieson: Monsieur le président, j'aimerais partager avec vous les lettres et les appels téléphoniques qui me parviennent d'actionnaires canadiens ordinaires qui appuient le travail de l'équipe des Services bancaires autochtones. Il y a une incroyable force derrière cet appui. Les Canadiens doués de raison savent qu'on ne peut maintenir le statu quo. Il faut mettre fin aux relations dont ont parlé les conférenciers précédents et que je connais très bien. Cela s'impose.

Le président: En tant que membres du comité nous avons entre autres comme responsabilité envers notre peuple, la population autochtone de ce pays et aussi le grand public, de les sensibiliser le plus possible à ces concepts d'autonomie gouvernementale, d'exercice du pouvoir, de coexistence et de cogestion.

Je suis certain que vous n'êtes pas la seule institution financière aux prises avec le même genre de préoccupations étant donné la nature intrinsèque des actionnaires. Ils sont là pour faire de l'argent et rien d'autre. En tenant compte de cela, en tant que population autochtone, si nous nous fions aux cadres des institutions financières pour nous aider à sensibiliser le grand public à ce qu'on appelle l'autonomie gouvernementale ou la coexistence, nous n'y parviendrons pas sans une solide assise économique.

M. Jamieson: C'est exact.

Le président: Ainsi, il faudra probablement que les directeurs des institutions financières retournent voir leurs actionnaires, leurs patrons, leurs supérieurs pour les interroger afin de voir ce qu'ils penseraient de sensibiliser le grand public au fait que c'est la seule manière indiquée de régler ce problème économique qui se pose dans ce pays. Il faut rencontrer les actionnaires, pas seulement les institutions financières, pour parler de la situation actuelle et se demander vers quelle instance nous devons référer ces questions aujourd'hui pour corriger la situation. Nous avons entendu dire au fil des ans et nous savons depuis belle lurette que les traités ont été signés il y a bien longtemps et qu'ils n'ont jamais été appliqués. Personne n'a jamais pensé à mettre en place un mécanisme de mise en oeuvre. J'estime que le ministère des Affaires indiennes aurait dû franchir une autre étape et donner suite à ces traités.

Cela dit, croyez-vous les peuples autochtones peuvent espérer survivre sur les plans économique, politique, social, culturel et éducatif, et progresser dans ce qu'on appelle la coexistence?

M. Jamieson: Je crois qu'au Canada, à l'heure actuelle, il y a peut-être une douzaine de collectivités autochtones qui pourraient exister sans problème parce qu'elles ont accès à des marchés et à des avantages ce qui n'est malheureusement pas le cas pour beaucoup d'autres groupes autochtones.

La réponse à votre question se trouve dans une partie de ma déclaration, à savoir qu'il n'existe pas de solution unique.

Le sénateur Mahovlich: C'est une question de survie, tout comme en Amérique. Certains se tirent bien d'affaire et d'autres luttent pour survivre. Je ne crois pas qu'il y ait une seule réponse.

Le sénateur Adams: Est-ce que ça ira pour le Nunavut?

M. Jamieson: Vous me demandez des opinions personnelles. Je ne parle pas au nom de la banque lorsque je réponds à ces questions.

Le Nunavut a un avenir prometteur. Cette partie du pays peut se développer grâce à son industrie des ressources et à leur extraction dans le respect de l'environnement.

Le président: Je crois qu'il est correct d'interpréter ce qui se passe dans une partie de notre pays, le Nunavut. Tant qu'ils parlent de gouvernement public, la population du Canada n'est aucunement menacée. Tant qu'il n'est pas question d'obtenir une compétence en tant qu'autochtone, il n'y a aucun problème. Lorsque viendra le jour où les peuples autochtones ne seront plus en majorité là bas, c'est alors que le problème se posera. C'est ainsi que nous voyons les choses.

Néanmoins, nous avons là l'occasion idéale d'utiliser ce qui se passe au Nunavut pour tenter le plus possible de déterminer comment nous pourrions différer du système existant et nous y associer étroitement. Il arrivera un temps dans le cadre de cet exercice où il faudra définir certaines questions comme la responsabilité et la compétence administratives et autres choses du même genre.

En même temps, je crois que les préoccupations nationales influeront quelque peu sur ce qui se passe dans ce territoire en particulier, même si la majorité de ceux qui le dirigent sont des Inuit; ces préoccupations restent des questions dont il faut tenir compte. Pour les peuples autochtones du Nord, cet exercice représente tout un défi.

Je ne peux dire la même chose pour les autres peuples autochtones parce qu'ils n'ont pas la même opportunité. Ils sont éparpillés un peu partout et vivent dans des réserves. Ils occupent un petit territoire.

La séance est levée.


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