Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Peuples autochtones
Fascicule 17 - Témoignages du 3 février 1999
OTTAWA, le mercredi 3 février 1999
Le comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui à 17 h 40 pour étudier en vue d'en faire rapport l'autonomie gouvernementale des autochtones.
Le sénateur Charlie Watt (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Honorables sénateurs, le premier témoin est M. Obonsawin, et je lui demanderais de bien vouloir s'asseoir.
Notre premier témoin représente le groupe d'entreprises O.I.
Nous vous écoutons, monsieur Obonsawin.
M. Roger Obonsawin, président, groupe d'entreprises O.I.:
(M. Obonsawin s'exprime dans sa langue maternelle)
[Français]
Bon après-midi, honorables sénateurs. Je vous remercie de nous fournir l'occasion de vous entretenir au sujet de l'autonomie gouvernementale autochtone.
[Traduction]
Permettez-moi tout d'abord de vous présenter le groupe O.I. À la dernière page de notre mémoire se trouve un organigramme qui présente les sociétés dont je suis président. Mon associé, Ljuba Irwin, n'a pas pu se joindre à nous aujourd'hui et vous envoie ses salutations.
Notre entreprise est autonome. Nous ne croyons pas en l'aide ou les subventions gouvernementales. Nous n'en avons jamais accepté et ne sommes pas prêts de le faire. Nous ne sommes pas contrôlés par le gouvernement. Depuis 1981, Obonsawin-Irwin Consulting offre aux organismes autochtones de tout le pays des services de consultation, y compris la planification de programmes, l'évaluation, la formation, la gestion des affaires publiques et les évaluations de projets importants comme les programmes Bon départ et Grandir ensemble.
Il y a environ huit ans, nous avons créé les sociétés O.I. Employee Leasing Inc. et O.I. Personnel Services, que nous considérons comme un réseau autochtone autonome visant à créer un réseau de personnes autochtones qui offrent des services au sein d'organismes et d'entreprises autochtones et non autochtones. Nous comptons plus de 600 employés qui relèvent de nos Native Leasing Services et en un an, environ 1 500 personnes font appel à nos services.
Je vais expliquer plus tard la philosophie de notre entreprise car elle est directement liée de l'autonomie financière. La société a été créée à cause du fort niveau de dépendance et de fragmentation qui existe dans les collectivités autochtones et qui est dû, à notre avis, aux politiques gouvernementales.
Je tiens à répondre aux questions que les sénateurs ont posées dans leur document de travail d'octobre 1998 et je souhaite discuter de véritables solutions de rechange pour l'autonomie économique et l'autodétermination qui se fondent sur notre expérience vécue. Je parle de notre expérience non seulement en tant qu'entreprise mais aussi, auparavant, de celle que j'ai acquise dans le cadre de mon travail pour les centres d'accueil autochtones. J'ai été président fondateur de l'Association nationale des centres d'accueil qui chapeautait tous les centres du pays. Mon associé était le coordonnateur, à un échelon élevé de l'administration publique, du programme de communications étrangères pour le financement des organismes politiques autochtones et, par la suite, le coordonnateur du programme des centres d'accueil qu'on appelait à l'époque Programme des migrants autochtones. Nous avons donc une approche de ces questions qui est à la fois communautaire et gouvernementale.
Il est difficile de parler d'autonomie gouvernementale sans parler au préalable d'autodétermination et d'indépendance économique. En fait, si on fait passer au premier plan l'autonomie gouvernementale, cela revient à mettre la charrue avant les boeufs. Si nous voulons cette autodétermination, alors nous avons le droit de prendre les décisions quant au type de gouvernement qui nous représentera et aux structures qui seront mises sur pied. C'est la définition même de l'autodétermination. L'indépendance économique signifie utiliser nos propres ressources pour atteindre cet objectif de façon indépendante.
Je vais traiter brièvement de la politique des quatre piliers -- si nous pouvons nous reporter au premier acétate -- qui a été adoptée par le gouvernement Mulroney le 25 septembre 1990. À nos yeux, c'était en fait une politique d'extinction de nos droits. Nous disons que c'est une politique d'extinction car le Canada n'a pas encore modifié sa politique globale visant les peuples autochtones, malgré les recommandations de la Commission royale. Cela continue d'être une politique de domination et d'assimilation. Nous sommes censés examiner la place qui nous revient dans la société canadienne d'une façon qui perpétue la domination et l'assimilation de notre peuple.
La politique des quatre piliers était très bien définie. Le premier pilier, ce sont les solutions de rechange à la Loi sur les Indiens qui prévoyaient une loi sur la conduite des affaires publiques, une loi sur les terres, une loi sur les ressources forestières, une loi sur la gestion des terres, toutes à l'étape de la planification. Ces lois ont été conçues en fait à l'intérieur d'un cadre dont les bases sont la domination et la l'assimilation. La question du règlement des revendications territoriales a fait l'objet d'un processus accéléré, en partie à cause de la crise d'Oka, mais bien que les tensions se soient exacerbées au fil des ans, nous ne constatons encore aucun changement dans la politique en vigueur. Cela continue d'être une politique d'extinction.
Ensuite il y a eu la participation à la ronde Canada du processus constitutionnel et le forum consacré aux questions autochtones, suivi d'une commission royale.
J'aimerais examiner une politique de rechange. Dans l'orientation actuelle qui découle de «Vers un Ressourcement,» on ne constate pas vraiment beaucoup de différence puisque la notion fondamentale d'une politique globale n'y est pas abordée. Quiconque souhaite sérieusement établir une orientation doit d'abord s'inspirer de la politique centrale et ensuite élaborer des stratégies qui découlent de cette politique. Tant que celle-ci demeurera la même, il n'y aura aucun changement.
Quant à moi, il est très difficile d'accepter les excuses du Canada en l'absence des mesures concrètes. Je ne fais pas allusion à l'argent mais plutôt à un changement de politique, à l'adoption d'une politique d'accommodement et de collaboration. C'est ce que je demande.
Lorsque je considère les gouvernements autochtones qui prétendent me représenter, moi je trouve qu'il y a un excès de gouvernements et une sous-représentation. Les gens viennent à Ottawa à la recherche de financement pour me fournir des programmes et des services, mais lorsque j'ai besoin de me faire représenter, il n'y a personne. Je travaille dans les réserves en collaboration avec les bandes des réserves et j'y ai un bureau. J'habite Toronto. Qui me représente en tant qu'autochtone? Qui va défendre mes droits? Évidemment, c'est moi qui dois défendre mes droits. Nous avons une poursuite judiciaire en cours pour défendre nos droits qui nous a coûté, à nous et à nos employés, presque un million de dollars. Où se trouvent ces organismes autochtones? Ils sont très occupés à négocier. Je ne les pointe du doigt; c'est comme ça que la structure est organisée.
Nous devons redéfinir la politique du Canada. Nous devons examiner ces nouveaux rapports. J'aimerais vous montrer le deuxième acétate, qui explique comment on pourrait effectuer ces changements. Notre mémoire en parle aussi.
Nous devons envisager une politique à quatre piliers qui permettrait d'éliminer les obstacles ou changement. Le rapport Penner des années 80 recommandait que le ministère des Affaires indiennes s'abstienne de participer aux négociations sur l'autonomie et que l'on établisse un ministère d'État chargé de négocier ces nouveaux rapports. Il est évident qu'on a fait fi de cette recommandation parce que nous négocions toujours avec le ministère des Affaires indiennes. Comment négocier avec le ministère des Affaires indiennes lorsque ce dernier tient les cordons de la bourse et peut manipuler le processus? Je suis peut-être la seule personne à venir témoigner ici à titre personne parce que tous les autres sont redevables au ministère. S'ils contestent, ils ne vont pas recevoir leur financement, où ils vont le recevoir mais avec difficulté. Ce n'est pas ce qu'on entend par collaboration.
Rayons le ministère des Affaires indiennes de la carte. Établissons ensemble une atmosphère de confiance nous permettant de négocier de bonne foi. Si le ministère des Affaires indiennes est présent, on n'aura jamais cette atmosphère de confiance. Les services que nous fournissons sont payés par nos clients. Nous n'avons jamais accepté un contrat provenant du ministère des Affaires indiennes, quoique nous ayons déjà fait affaire avec d'autres ministères. Nos philosophies sont trop différentes et nous ne voulons pas que ce ministère exerce un tel contrôle sur nous.
Si l'on tient à changer la Loi sur les Indiens, il ne faut pas le faire à la pièce, comme on l'a fait en vertu de cette politique: on a rafistolé un petit peu à droite et à gauche et, voilà, une nouvelle Loi sur les Indiens, ou l'absence d'une Loi sur les Indiens. Il est impossible de changer la Loi sur les Indiens en se servant de cette loi et du système qui y est rattaché. On ne peut y parvenir. Suivons le conseil de M. Penner et examinons la Loi sur les Indiens dans son entier et non pas à la pièce. Nous devons examiner tous les aspects et redéfinir ces rapports, mais il ne faut pas se fonder sur le système qui découle de la Loi sur les Indiens.
Le troisième obstacle est l'attitude du public. Oui, il faut faire beaucoup de travail pour changer l'attitude du public, car ce gouvernement encourage cette attitude. Qui nous défend? Qui parle des vrais enjeux lorsque quelqu'un demande: «Voulez-vous un gouvernement fondé sur la race»? Le ministre ne va pas défendre une telle position. Ce gouvernement alimente toute cette mésentente qui entoure les autochtones depuis tellement longtemps qu'il a fini par y croire lui-même.
Il incombe au gouvernement de travailler de concert avec les autochtones dans le but de changer l'attitude du public. Il incombe donc au gouvernement de ne pas dire, «Oui, les Indiens doivent changer», mais de mieux expliquer leur position pour que le public ne réagisse pas de façon négative à l'égard des Indiens chaque fois que la presse soulève une question en particulier.
Il faut aborder la question de la fragmentation des autochtones. Effectivement, il faut dire que nous sommes très fragmentés. Cela explique pourquoi il est facile de négocier en se fondant sur le principe que ce qui fonctionne bien avec un groupe peut devenir un précédent pour un autre. Nous nous servons des structures qui servent à nous diviser. C'est pour cette raison que nous sommes divisés.
Finalement, il faut s'entendre sur la définition des droits. Je ne veux pas avoir constamment recours aux tribunaux pour définir mes droits. Je crois que nous pouvons nous asseoir, en tant que partenaires sérieux, pour négocier ces droits de façon honnête, sans nous dire que l'article 35 est une boîte vide que nous allons remplir de vos ententes-cadres pendant que l'extinction de ces droits se poursuit. Ce n'est pas une bonne façon de créer des nouveaux rapports.
En tant que peuple autochtone, nous devons tenir compte de la représentation démocratique. On a parlé de la possibilité de créer des sièges au Parlement. Je crois qu'il faut prévoir de tels sièges, mais il faut que les autochtones élisent les députés qui vont ensuite protéger nos droits, nous sensibiliser et définir ces rapports. Il faut également prévoir une administration des Nations. Votre document fait allusion aux trois possibilités élaborées dans le rapport de la CRAP. Ayant en garantie ces sièges, je crois qu'on devrait se former en nations. Chaque nation pourrait élire son représentant. À ce moment-là, une Confédération des nations indiennes pourra faire ses propres lois et s'occuper de la coordination au niveau communautaire.
La pire chose que vous puissiez faire, c'est de définir les nations comme vous faites maintenant, c'est-à-dire les Premières nations, où il y a des abus au niveau communautaire, comme vous pouvez le constater. Puisque le système ne prévoit pas de freins et contrepoids, de tels abus sont inévitables. Si vous faites partie de la bande, vous allez recevoir l'argent. Sinon, vous ne recevrez rien. Les nations devraient surveiller la situation pour s'assurer, au niveau administratif, que ces choses-là ne se produisent pas.
Il faut prévoir, ensuite, la délimitation des fonctions. L'autonomie gouvernementale veut dire en fait la séparation de trois fonctions: l'élaboration des politiques ou des lois, le contrôle et l'exécution des programmes et des services; et le règlement des différends ou l'arbitrage.
À l'heure actuelle, l'argent affecté à Toronto pour financer les organismes autochtones est défini comme l'argent destiné à l'autonomie gouvernementale, parce que le Native Canadian Centre est en mesure de fournir des services, ce qui en fait un organisme autonome qui a ainsi le droit de me fournir ce service, et nous jouissons donc d'autonomie gouvernementale à Toronto. Ainsi, on pourrait dire que le Club Kiwanis est autonome et jouit par conséquent d'un droit inhérent à l'autonomie gouvernementale. Ce club possède une charte qui gouverne ses activités.
Soyons sérieux parce que nous touchons ici au noeud du problème: vous ne séparez pas l'élaboration des politiques et la prestation des services. Voilà l'origine des abus. Vous séparez ces fonctions au niveau fédéral. C'est-à-dire, il y a les politiciens et les fonctionnaires et on définit clairement le rôle de chacun. Ce n'est pas le cas des communautés autochtones. Les politiciens sont également les fonctionnaires. Ils contrôlent l'argent et les dépenses. Ils deviennent, à vrai dire, non pas des organismes politiques mais des agences de prestation de services. Ce n'est pas bien, et il faut remédier au problème.
Je vais maintenant vous parler de la troisième politique, c'est-à-dire la protection des droits. Une fois qu'on se met d'accord sur la définition, nous aimerions suggérer qu'on crée un poste d'ombudsman. Ce défenseur des droits relèverait du Parlement, il pourra protéger nos droits, surtout au début lorsqu'il y aura beaucoup de questions, et aussi il pourra régler les différends. Et il y aura des différends, non seulement au sein des communautés autochtones, mais aussi entre les autochtones et les non-autochtones. En vertu du système actuel, ce sont les tribunaux qui règlent les différends et c'est un processus qui coûte très cher. Les résultats? Ce sont l'animosité et toujours l'incompréhension. L'ombudsman devrait s'occuper de ces questions, et non pas le ministère des Affaires indiennes.
Enfin, le quatrième pilier consiste à favoriser le développement. Il faut s'occuper des priorités économiques. Nous ne pouvons pas véritablement réaliser l'autonomie gouvernementale sans l'autosuffisance, ce qui signifie bâtir une base économique forte. Il faut aussi guérir les autochtones. Pourquoi est-ce qu'on nous demande à nous, les victimes, de nous guérir? Pourquoi ne parle-t-on pas de guérison des non-autochtones? Que dire de l'attitude qui nourrit cette situation? Fait-on quelque chose pour la guérir? Au contraire, elle s'empire. Pourquoi ne pas regarder la situation sous cet angle-là?
Il faut s'entendre sur cette politique, et si elle continue à viser la domination et l'assimilation, il est inutile de discuter des autres questions. Nous ne pouvons aborder la question de l'autodétermination dans le contexte qui est défini actuellement. Qui puis-je élire?
En ce qui concerne le financement de l'autonomie gouvernementale, nous faisons ressortir ces principes de la fonction gouvernementale autochtone dans le mémoire. Le principe fondamental du financement serait l'autosuffisance. Il faut s'assurer de ne pas imposer un fardeau trop lourd sur l'individu en ce moment, ce que fait en réalité le projet de loi C-36.
Il s'agit d'une loi d'imposition, qui dit ceci: «Voici des gens pauvres. Il faut qu'ils paient des impôts comme les autres Canadiens. Nous allons donc leur permettre de percevoir leurs taxes eux-mêmes.» Selon Revenu Canada, ce sont les Canadiens les plus pauvres. Quelle politique bizarre. Ce n'est pas comme dans l'ancien temps où on attendait de bâtir l'empire avant d'imposer des taxes sur les habitants.
Il faut mettre cela en perspective. Il doit être possible de générer des recettes. Il faut arriver à des ententes sur le partage des ressources. Au fait, il ne s'agit pas de partager les ressources, mais plutôt de les contrôler. Le titre autochtone existe, tel que confirmé par Delgamuukw. Examinons cette question de contrôle des ressources. Nous pouvons contrôler des ressources et ainsi générer des recettes.
Quant au financement provenant du gouvernement, on devrait régler les revendications territoriales de manière à favoriser plus de développement au sein des communautés autochtones. Même nos chefs autochtones manquent de confiance envers leurs propres entreprises. Ils lancent des coentreprises pour générer des profits rapides, mais ils oublient ceux qu'ils représentent. Je ne peux pas leur demander de prêts, non pas que je le ferais. Peut-être auront-ils besoin un jour que je leur prête de l'argent, mais il reste que leurs décisions sur ces questions d'austérité budgétaire ne sont pas très réfléchies.
S'il faut demander aux particuliers de payer des taxes, je crois qu'il faut attendre d'arriver à la parité économique avec le reste du Canada. Il s'agit d'un droit, qui doit être négocié une fois que la parité est atteinte. À ce moment-là, nous aurons des ressources à partager avec le reste du Canada. Nous l'avons déjà fait et nous le ferons encore une fois. Il faut cependant être réaliste. Les 600 personnes dont j'ai parlé ont un salaire annuel moyen de 15 000 $. J'ai actuellement une cause devant les tribunaux pour essayer de conserver leurs droits dans le domaine de l'imposition. Pour la première fois, quelqu'un peut s'acheter une maison à Toronto parce qu'il se prévaut de ce droit. Ces gens deviennent autosuffisants. Ils consacrent les fonds nécessaires à la lutte que nous menons. Nous démontrons qu'il est possible de réussir.
Il faudrait des paiements de transfert, qui seraient calculés en fonction de la situation économique, de la même façon qu'on calcule les paiements de transfert ailleurs au Canada.
Je vais parler brièvement du processus présenté dans notre mémoire. Je crois qu'un ministre d'État devrait faire partie du processus, et qu'il faudrait créer aussi une assemblée constituante autochtone, élue par les autochtones, qui serait indépendante des structures actuelles. L'assemblée serait composée de Métis, d'Indiens de plein droit, d'Inuit, et d'autres. L'assemblée rédigera notre constitution et bâtira les systèmes nécessaires pour favoriser le développement des communautés. Nous serons alors en mesure de négocier.
Jusqu'ici, lors des négociations, tout ce que nous avons est l'expression «autonomie gouvernementale», et vous décidez de la définition à l'improviste. Ce n'est pas ainsi que les négociations devaient se dérouler. Vous avez quelque chose en main au départ, mais nos chefs ne peuvent s'appuyer sur rien sauf de dire, «Donnez-nous plus d'argent,» et c'est cela qui constitue l'autonomie gouvernementale ou, «Transférez l'argent à nous», et cela constitue l'autonomie gouvernementale. Cela n'est pas l'autonomie gouvernementale.
Le groupe O.I. a démontré que nous pouvons être autonomes. Ces 600 employés et les 1 500 l'année passée tiennent sérieusement à ce processus. Nous irons jusqu'au bout. C'est un signe précurseur parce que, au fur et à mesure que nous devenons autosuffisants, nous parviendrons à nous définir. Si nous étions déjà autosuffisants, nous ne serions pas obligés de comparaître devant ce comité. Nous saurions nous mettre d'accord et payer tous les frais afin de développer une proposition d'autonomie gouvernementale. Nous dirions: «Voici notre façon de nous gouverner. Vous pouvez l'accepter ou non, nous le ferons de cette façon». C'est ce qui manque.
Il faut prendre l'autonomie gouvernementale au sérieux, sinon nous ne ferons que passer par une nouvelle série de négociations où nous reviendrons parler des mêmes choses.
Je vous remercie de m'avoir donné le temps de présenter mon exposé. Je suis prêt à répondre à vos questions.
Le président: Merci, monsieur Obonsawin, pour votre exposé très instructif. Il aidera notre comité à définir les mesures qui s'imposent.
Par ailleurs, je le trouve très utile moi-même, en tant que président de ce comité qui vous écoute, parce que moi aussi, j'ai visé, au prix de grands efforts, à amener des changements qui seraient favorables au peuple autochtone et, dans un plus grand contexte, à l'ensemble du Canada.
Je me souviens, c'était avant les élections fédérales, me semble-t-il, j'ai aussi fait une recommandation précise à notre premier ministre, mais, pour une raison ou une autre, il n'y a pas donné suite. Ma suggestion était précisément celle que vous avez avancée ici, c'est-à-dire, d'établir un ministre d'État. J'étais du même avis: le ministère des Affaires indiennes n'est pas l'outil qu'on devrait utiliser dans les négociations avec les autochtones. Le ministère, selon la Loi sur les Indiens, est responsable de l'administration depuis des années, et finirait par négocier avec lui-même si le gouvernement ne créait pas un autre ministère qui s'occuperait des nouvelles initiatives à mettre en oeuvre.
Je suis encouragé par vos propos à cet égard.
Nous sommes par ailleurs très sensibles au fait que, sans une fondation économique très solide, tous nos efforts vers l'autonomie gouvernementale seront vains. C'est l'élément clé. La réussite dépend de la capacité de générer des revenus et d'utiliser les ressources dont vous disposez, de les utiliser, au besoin, en nantissements, et même d'aller chercher des fonds d'investissement auprès de la communauté internationale. Il faut tenir compte de tous ces facteurs. Je suis heureux d'entendre vos propos.
Le sénateur St. Germain: Merci, monsieur Obonsawin, d'être venu ici et d'avoir expliqué votre position si franchement.
Je suis originaire de la Colombie-Britannique. Comme vous le savez, il y a de l'orage dans l'air là-bas au sujet de l'entente avec les Nishgas, et au sujet de certains phénomènes dans certaines réserves indiennes là-bas.
Vous avez soulevé la possibilité d'un troisième niveau de gouvernement qui serait fondé sur la race.
Pour vous aider à comprendre ma pensée, je dois vous dire que je suis un Métis du Manitoba. J'essaie de garder l'esprit ouvert, mais je me sens de plus en plus attiré vers la position selon laquelle un niveau additionnel de gouvernement serait problématique. Quoi faire pour sensibiliser la population? Vous avez dit qu'il faut sensibiliser les non-autochtones. Comment peut-on changer cette attitude?
Je ne veux pas vous tendre un piège. Je vous pose une question directe et honnête. Pouvez-vous me dire comment s'y prendre? Je vous en serais très reconnaissant.
M. Obonsawin: C'est une question juste qui touche à l'essence même de ce problème.
Premièrement, il faut changer les attitudes au niveau du gouvernement, sinon rien ne changera au niveau communautaire. De nombreux malentendus proviennent de ce genre de relation. On ne cesse de nous dire que nous allons obtenir des titres autochtones pour les terres pour la première fois. On a mis des siècles à le définir mais enfin, on a obtenu le titre. Ce n'était pas un cas de terra nullius. Ce n'était pas des terres vacantes. Elles étaient à nous. Comment peut-on parler de gouvernement fondé sur la race lorsque la question n'a rien à voir avec la race; elle concerne la propriété.
Si l'un de mes locataires se moque de moi, et si l'on me prive de mes droits de propriétaire, alors peu importe ma race, je serai fâché. Selon le complot du silence qui sévissait au Canada, nous n'étions pas suffisamment civilisés pour conserver ce territoire, et par conséquent, ils avaient tous les droits de nous l'enlever. C'était une attitude propagée par les missionnaires et par la Compagnie de la Baie d'Hudson, et par tous les autres qui les ont suivis.
Lorsque je présente cet exposé dans les universités, les étudiants constatent avec consternation que ce qu'ils apprennent à l'école ne correspond pas à la réalité. De grandes pages de leur histoire sont passées sous silence.
Comment pouvons-nous commencer à les éduquer si les gouvernements refusent d'avouer l'histoire? Si les gouvernements finissent par l'avouer et changent de politique, alors je crois que l'on pourra changer les choses en travaillant ensemble.
Je pense que ces gens-là vont apprendre. Je les ai vus changer d'attitude après avoir appris la réalité.
Le sénateur St. Germain: Vous avez la mentalité des gens qui sont présents, et nous avons des réalités quotidiennes à affronter. Je vous comprends bien. Toutes les régions du Canada ont été occupées jadis par d'autres gens avant l'arrivée des communautés européennes et asiatiques. Ce que vous dites, si j'ai bien compris, c'est que tous les territoires de ce pays sont la propriété des autochtones. D'après moi, c'est une position extrême.
M. Obonsawin: C'est une position extrême que les gouvernements adoptent lorsqu'ils réagissent aux revendications territoriales. Ça revient toujours à l'idée que nous étions des infrahumains et qu'ils pouvaient donc nous prendre le territoire sans jamais nous le rendre. C'était inscrit dans la Loi sur les Indiens. Une bande devait être conforme aux normes de la civilisation avant même de commencer à songer à l'autonomie politique. Et c'était quoi, leur conformité? Il s'agissait d'être d'accord avec le ministère. C'était bien ça la définition.
Sénateur, votre question touche à un point essentiel, mais travaillons ensemble. Ne laissez pas toujours à la seule victime le soin de se défendre contre cette accusation, et ce n'est pas le ministère qui viendra à sa défense. Le ministère ne fait qu'en profiter.
Le sénateur St. Germain: Je suis tout à fait d'accord avec vous que si l'on veut régler ce problème, le ministère des Affaires indiennes devra être démantelé parce que ces gens-là manigancent. Ils savent s'acheter la loyauté et ils savent s'acheter des compromis pour sauvegarder leur existence. Je n'ai pas le moindre doute que cette situation existe dans une certaine mesure. Malheureusement, je n'ai jamais visité les locaux du ministère, mais je dois bien croire aux informations qu'on me donne.
Comment les peuples autochtones peuvent-ils arriver à l'autosuffisance sans s'assimiler aux grands courants de la société? J'ai posé cette question à d'autres chefs autochtones et à d'autres autochtones. Je vous laisse le soin d'y répondre. Une réponse était assez intéressante. Quelqu'un a dit: «Avec beaucoup, beaucoup de difficulté.» Alors je vous demande, comment cela se fera-t-il?
Le président a indiqué à maintes reprises que sans la viabilité économique et sans l'autosuffisance nécessaire, tout cela ne mènera à rien. Comme vous l'avez déjà dit, dans cent ans vous serez encore en train d'administrer la pauvreté qui n'aura cessé d'exister si tout cela ne se matérialise pas. Que faire, monsieur, pour que tout cela se matérialise?
M. Obonsawin: Est-ce que j'ai l'air d'être assimilé?
Le sénateur St. Germain: Oui, et très à l'aise.
M. Obonsawin: Je dois cette aise à la communauté, non pas au gouvernement. J'investis dans ma communauté ce que j'en retire. À titre d'Indien, j'ai des droits et je rembourserai à ma communauté ce qui en proviendra.
Pourquoi l'assimilation doit-elle être dans un sens seulement? Nous avons beaucoup à offrir aussi. C'est de l'intégration.
Nous avons une cause qui sera devant les tribunaux en mai. Elle est fondée sur la notion de foyer et d'esprit national. Notre avocat est francophone et il avait du mal à comprendre notre définition de «foyer» qui est lié à la collectivité d'origine. Il a compris lorsqu'il s'est dit: «Si je travaille en Colombie-Britannique, j'appartiens toujours au Québec. Je suis toujours Québécois.» Finalement, la pièce est tombée. Certaines choses qui nous appartiennent sont uniques et distinctes et nous devrions pouvoir les conserver.
Bien sûr, nous devons adapter notre économie. Une économie fondée uniquement sur le piégeage et la chasse est chose du passé. Ces économies évolueront. De par nos traditions, nous avons un sentiment d'identité et d'origine. Lorsqu'un enfant est né dans une réserve ou dans la collectivité d'origine, le placenta est enlevé et enterré et on dit à l'enfant que peu importe où il va ou d'où il revient, il retournera à cet endroit. Ce lien entre la réserve et la collectivité d'origine est artificiel.
Le sénateur St. Germain: Croyez-vous qu'il est possible pour les autochtones de conserver leur culture, leur langue et différents aspects au sein de leur collectivité tout en participant à l'économie traditionnelle en vue d'atteindre l'autosuffisance? Est-ce possible sans créer un troisième palier de gouvernement? Pourrait-on établir un centre pour reconnaître la culture et la langue et encourager l'intégration au sein de la collectivité sans établir un troisième palier de gouvernement et la hiérarchie qui pourraient entrer en conflit avec le reste du Canada?
M. Obonsawin: Malheureusement, la question de base devra être réglée d'une façon ou d'une autre. C'est inévitable.
Ma femme vient de la Yougoslavie et elle parle sa langue avec ses parents. J'ai perdu ma langue maternelle. Les Juifs respectent leurs traditions au Canada. Quelle est la différence? La différence, c'est que ma femme a immigré au Canada. Nous lui avons permis de conserver sa langue, mais elle est chez nous maintenant.
Lorsque vous dites que l'assimilation veut dire adopter notre forme de gouvernement, je dis: Un instant: vous avez oublié que ces aspects étaient déjà là. Ils faisaient partie des traités d'amitié. Nous avons convenu d'emprunter le même chemin, mais il n'y a toujours pas de reconnaissance.
Oui, ce sera dur à avaler, mais commençons par éduquer les gens pour qu'ils comprennent ce que cela veut dire pour les autochtones et les non-autochtones.
Le sénateur St. Germain: J'aimerais beaucoup qu'on s'occupe de cette situation, mais nous habitons tous la même Terre. En même temps, j'entends nos autochtones exprimer le désir d'avoir leur juste place au sein de la société.
M. Obonsawin: Nous étions les premiers à accepter de partager, nous étions les premiers à vouloir accommoder les autres, et comme nous avons été si conciliants, nous nous sommes fait marcher sur les pieds. Nous allons continuer à être conciliants, mais on invoquera toujours ces arguments.
Le président: Notre politique en matière d'immigration n'était pas assez sévère à l'époque, j'imagine.
Le sénateur St. Germain: Elle aurait dû être plus sévère.
Le sénateur Andreychuk: J'aimerais poser quelques questions à propos de cette notion d'autonomie gouvernementale que nous essayons de décortiquer. Si je vous comprends bien, vous dites que nous ne devrions pas nous préoccuper de l'autonomie gouvernementale, mais que nous devrions adopter certains des principes.
Bien des non-autochtones au Canada, comme moi, approuvent le principe de l'autonomie gouvernementale pour les autochtones. Nous voulons qu'elle se réalise. Cependant, lorsque j'en parle à la collectivité autochtone, je vois que tout le monde a son opinion. On nous a dit qu'il n'y a pas de modèle pour la résolution de cette question. Vous semblez dire le contraire. À un moment donné, je vous ai entendu dire qu'il fallait s'unir. J'ai entendu d'autres autochtones dire que ce n'est pas une bonne idée parce que les droits historiques varient en fonction des différentes régions géographiques.
Serait-il exact de dire que vous pensez qu'il y a un modèle qui permettra d'arriver à une solution?
M. Obonsawin: Ces traités ont été signés avec des nations et non avec des conseils de bande, pourtant vous négociez avec des conseils de bande. Vous devriez retourner voir les nations d'origines pour renégocier ces traités, et non les conseils de bande. Des changements dans la politique doivent avoir lieu avant que le modèle puisse être efficace. Je crois que la façon actuelle de faire, c'est-à-dire «administrer vos propres programmes», est très dangereuse.
Le sénateur Andreychuk: Comment pouvons-nous communiquer avec les gens qui font partie de la Nation? Comment pouvons-nous savoir qui ils sont dans toutes les régions du Canada? Pourquoi me dites-vous que je ne dois pas écouter ceux qui semblent être les chefs des autochtones? Dites-vous que les conseils de bande ne sont pas les chefs de la nation?
M. Obonsawin: Ils ne sont pas les chefs de la nation. Ils administrent les programmes et les services au niveau du conseil des bandes, mais la «nation» est un concept beaucoup plus vaste que celui de collectivité autochtone.
Le sénateur Andreychuk: Alors comment pouvons-nous rejoindre la nation? Vous ne l'avez pas indiqué dans votre mémoire.
M. Obonsawin: D'abord, nous devons envoyer un message très clair à l'effet que cette relation va changer, qu'elle ne sera plus avec les Affaires indiennes. Nous devons mettre sur pied un processus indépendant parce que les gens qui peuvent faire une contribution importante au processus ne participeront pas. Ce ne sont pas les nations qui participeront; c'est la structure de la loi sur les Indiens qui participera. C'est le message qui doit être envoyé. Modifions la relation. Vous allez voir que les choses vont bouger. Elles le font déjà. Les Cris se rassemblent pour définir ce que c'est qu'une nation. On le voit de plus en plus au sein de la collectivité.
Ils ne font pas partie du processus de définition de l'autonomie gouvernementale. C'est dans l'intérêt du gouvernement. Tout mettre dans le même sac et dire que tout le monde peut décider quoi faire, cela n'a rien à voir avec l'autonomie gouvernementale.
Le sénateur Andreychuk: Dois-je comprendre que vous voulez mettre au rancart tout ce que nous faisons maintenant? Vous dites que vous ne voulez pas traiter avec le ministère. Il y a un ministre responsable d'un ministère et ce ministre doit rendre des comptes. Vous dites que ce processus ne devrait pas passer par le ministère. Donc, ce serait au gouvernement de le faire, que ce soit le premier ministre ou des ministres désignés.
À qui les peuples autochtones peuvent-ils faire appel pour trouver une solution?
M. Obonsawin: Ce n'est pas difficile. Chacun devrait avoir son mot à dire dans le choix des gens qui décideront de son avenir.
Le sénateur Andreychuk: Êtes-vous en train de dire que le gouvernement du Canada devrait faire une déclaration annonçant qu'il y aura une assemblée constituante de tous les gens qui décident qu'ils forment une nation?
M. Obonsawin: Non. La responsabilité de la collectivité autochtone est un élément de cette question. Je dis que si nous enlevons les obstacles actuels, nous parviendrons au résultat souhaité. Mais nous devons envoyer un message clair. D'abord, la politique centrale doit changer. Il ne peut être question d'assimilation ou de domination. Si nous modifiions la politique, le ministre cesserait de distribuer de l'argent et se mettrait à négocier des accords. Lorsqu'un ministre donne de l'argent d'une main et négocie des accords de l'autre, il y a un déséquilibre. Ce sont les deux messages qui pousseront la collectivité autochtone à faire front commun dans bon nombre de ces dossiers.
Le sénateur Andreychuk: Vous dites que la démarche que nous avons adoptée pour communiquer avec les gens qui se disent être les chefs des collectivités n'est pas la bonne.
M. Obonsawin: Oui.
Le sénateur Andreychuk: Donc, selon vous il faut recommencer.
M. Obonsawin: Je n'ai jamais voté pour qui que ce soit au sein de la collectivité autochtone. J'habite dans une ville. Pour qui voterais-je? Je ne peux voter pour Phil Fontaine. Je n'ai jamais voté. Les organismes qui prétendent me représenter ne m'inspirent pas confiance. Ils font ce qu'ils peuvent pour obtenir de l'argent pour me servir. Je ne leur fais pas confiance. Le premier pas vers l'autodétermination est la confiance dans nos chefs, des chefs que nous avons aidés à choisir. Il n'y a rien de cela aujourd'hui.
Le sénateur Gill: Merci beaucoup de votre exposé. Cette situation est complexe. Il est difficile de la régler parce que beaucoup de choses se sont produites au cours des 200 ou 300 dernières années.
J'ai beaucoup aimé la façon dont vous avez commencé votre exposé. Vous avez dit que si nous voulons l'autonomie gouvernementale, nous devons parvenir à l'indépendance économique et ainsi de suite. Quand j'étais jeune, mon père n'a jamais rien accepté des Affaires indiennes et j'ai poursuivi cette tradition. Toutefois, j'ai décidé d'aller là où je pourrais prendre des décisions.
Vous pouvez nous dire ce que nous devrions faire, et je l'accepte. Toutefois, si nous voulons des changements dans les collectivités, il nous faut prendre des mesures dans les collectivités. Qu'est-ce que vous êtes prêts à faire à cet égard? Je crois en ce principe. Ce ne sont pas ceux qui ne connaissent pas les réalités des Indiens qui vont changer les choses. C'est au peuple lui-même de le faire. Que devons-nous faire pour effectuer des changements? Où devrions-nous être?
M. Obonsawin: J'ai déjà décrit mes activités. Nous avons plus de 600 personnes. Il n'est pas possible de régler le problème à l'intérieur du système. Nous avons essayé d'en parler aux représentants de Revenu Canada, mais ils étaient intraitables. Nous avons dû intenter une contestation judiciaire -- c'est la seule possibilité qui nous reste -- et en intentant la contestation, nous avons dû sacrifier l'indépendance économique en raison des dépenses encourues.
L'année dernière, 1 400 personnes ont contribué à cette contestation judiciaire, et si nous avons pu continuer cette lutte, c'est grâce à ces contributions. Les représentants de Revenu Canada ont tout fait pour nous diviser. Ils harcèlent les gens chez eux, quand ils se prévalent de leurs droits, afin de démolir cette entreprise, mais ils n'ont pas réussi.
La communauté doit décider de faire front commun et de consacrer notre propre argent à cette cause. Ces gens ont dépensé de leur propre argent, ce qui est très difficile pour une communauté autochtone. Notre entreprise a dit que nous n'allons pas le faire à moins d'être indépendants.
Voilà ce que je fais dans la communauté. Quant aux activités des autres, c'est à eux de décider. Nous allons contester l'affaire devant les tribunaux.
[Français]
Le sénateur Gill: Je suis en accord avec tout le processus. Il s'agit d'avoir une indépendance relative par rapport au système non autochtone, par rapport au gouvernement. Pour atteindre cette indépendance relative et cette auto-suffisance, qu'est-ce que vous êtes prêt à faire? Vous ne pouvez pas être seul. Vous avez besoin de gens convaincus comme vous et qui pratiquent la même philosophie. Vous ne pouvez pas prier tout seul dans le désert. Que faut-il faire avec le groupe? Quelles responsabilités faut-il s'imposer?
M. Obonsawin: On a pris cette responsabilité il y a une couple d'années.
[Traduction]
Je me suis opposé à la privatisation des terres de réserve. Nous avons envoyé les bons renseignements aux gens, et de cette manière, nous avons pu organiser une campagne dans tout le pays. Elle a été très efficace. Nous n'avions pas besoin d'une représentation politique. Ces gens se sont adressés à leur conseil de bande mais pour une fois, ils avaient les bonnes informations, non la propagande du ministère. Ils ont fait des changements. Ils ont bloqué la privatisation. Maintenant vous revenez avec une autre façon de le faire.
J'ai déjà travaillé dans le système, et mon associé l'a fait également. Si les politiques ne changent pas, tous nos efforts sont vains. Si elle change, nous pourrions accomplir davantage de choses. Moi, je cherche un message. Si ce message est là, nous pouvons être beaucoup plus constructifs. Mais en attendant un changement de politique, je dois passer par les tribunaux et je dois distribuer les informations dans notre bulletin d'information. Nous allons mobiliser les gens. Nous l'avons déjà fait, et nous le ferons encore une fois. Sur le plan économique, je suis de plus en plus autonome, j'ai donc les moyens de le faire. C'est aussi simple que ça: l'information, et le pouvoir au peuple.
Le sénateur Johnson: Je voudrais faire suite à certaines observations du sénateur Andreychuk. Vous dites qu'il faut abolir le ministère des Affaires indiennes et établir un ministère d'État pour les relations avec les Premières nations. Qui va diriger ce ministère d'État? Ce ministère serait-il établi dans le cadre d'un Parlement autochtone élu?
M. Obonsawin: Non, il serait établi au niveau fédéral.
Le sénateur Johnson: Si on change le nom du ministère, comment est-ce que les choses vont changer?
M. Obonsawin: Ce ne sera pas un ministère qui distribue de l'argent. Il ne distribuera pas de l'argent d'une main en le reprenant de l'autre. Les fonctions seront séparées. J'ai dit qu'il nous faut séparer l'élaboration des politiques et l'administration. À l'heure actuelle, aux Affaires indiennes, l'élaboration des politiques n'est pas une fonction isolée. Le ministère cherche à répandre ses ces politiques en nous donnant de l'argent. Sortons de cette relation. Il nous faut de vraies négociations, et le gouvernement fédéral doit nommer un ministre qui n'a pas le pouvoir de financer mais qui a mandat pour négocier. De notre côté, nous ferons notre part.
Le sénateur Johnson: Est-ce que ça va marcher?
M. Obonsawin: On l'a déjà recommandé.
Le sénateur Johnson: Oui, mais ça fait des décennies qu'on reçoit des recommandations.
M. Obonsawin: Mais on n'entend jamais parler des recommandations qui donnent des résultats.
Le sénateur Johnson: Qui prendra la tête de cette initiative, avez-vous dit?
M. Obonsawin: Toutes ces recommandations ont été proposées dans des rapports de comités parlementaires, mais personne n'y a donné suite. Elles ne sont pas différentes aujourd'hui de ce qu'elles étaient avant. Elles auraient donné les mêmes résultats que l'on recherchait, mais on n'avait pas auparavant la volonté politique qu'il fallait pour les mettre en oeuvre.
Vous devez admettre que nous sommes tous égaux au Canada. Vous n'êtes pas disposés à admettre cela.
Le sénateur Johnson: En ce qui concerne votre entreprise, vous avez mentionné les nombreux problèmes que pose l'attitude du public à l'égard des autochtones. Dans quelle mesure la formation qu'offre votre entreprise contribue-t-elle à modifier ces attitudes et à faire changer les autochtones eux-mêmes?
M. Obonsawin: Ce qui nous intéresse au premier chef, c'est le réseau d'autosuffisance, l'indépendance. Nous formons les conseils d'administration des entreprises ainsi que les personnes qui y travaillent. La formation que nous offrons s'inscrit dans les services que dispense Native Leasing Services. Ce sont nos employés, et nous fournissons ces services ainsi que des informations, et cetera. Ce qui a de plus difficile à changer, comme je l'ai dit plus tôt, c'est que lorsqu'on est pauvre, on n'entrevoit pas beaucoup de solutions. Il est difficile de faire comprendre ces solutions aux gens, et de leur faire comprendre que ces solutions résident en eux. C'est à cela que nous consacrons tout notre temps.
Le sénateur Adams: Le groupe O.I. est-il une entreprise autochtone à 100 p. 100?
M. Obonsawin: L'entreprise est propriété autochtone à 100 p. 100.
Le sénateur Adams: Vous n'avez pas d'autres entreprises ou d'entreprises à charte dans ce partenariat?
M. Obonsawin: Il y a trois entreprises: Native Leasing Services, O.I. Employee Leasing Inc., et Obonsawin-Irwin Consulting. Elles sont toutes de propriété d'autochtone. C'est moi le propriétaire.
Le sénateur Adams: En ce moment, vous travaillez avec d'autres réserves et avec des gens de toutes les régions du pays. Pouvez-vous me dire si vous travaillez exclusivement pour des autochtones, ou si vous travaillez avec l'ensemble de la société?
M. Obonsawin: Environ 95 p. 100 de notre travail se fait dans des collectivités autochtones, et 90 p. 100 des services de Native Leasing s'adressent à des autochtones.
Le sénateur Adams: Environ 500 d'entre vous sont autochtones à 100 p. 100?
M. Obonsawin: Pas tous, peut-être 90 p. 100. Ce ne sont pas des actionnaires. C'est moi qui possède l'entreprise. Ils font partie de mon personnel, mais ils contribuent.
Le sénateur Adams: Il y a environ 600 réserves au Canada. Vous parlez de sièges qui leur seraient réservés à la Chambre des communes. Vous préférez que les autochtones soient élus à la Chambre des communes. Je vis au Nunavut où nous avons deux députés: un de l'Ouest et un de l'Est. L'un représente les Inuit, les Dénés et l'Arctique occidental. J'ai entendu dire qu'en Nouvelle-Zélande et en Australie, les autochtones ont des sièges réservés au Parlement.
Vous devriez avoir un représentant autochtone à la Chambre des communes. Et cette personne serait un autochtone de l'Ontario ou du Manitoba. Le gouvernement a tendance à ne réserver qu'un seul siège aux autochtones du Canada. Pensez-vous que cette personne devrait être élue à l'échelle pancanadienne?
M. Obonsawin: Je pense que l'Australie a plus que ça. En fait, les autochtones ont parfois là-bas la balance du pouvoir lorsqu'il y a un gouvernement minoritaire.
Le sénateur Adams: À combien de sièges songez-vous?
M. Obonsawin: Cela ferait partie des détails à régler. À quoi sert d'en parler si les gens n'acceptent pas cette politique? Il faut d'abord s'entendre sur la politique, après quoi on peut s'entendre sur la représentation.
C'est comme ça que l'on gouverne. On ne s'arrête pas aux détails tant qu'on ne s'est pas entendu sur la politique. Mettons-nous d'accord sur la politique, et discutons ensuite des détails.
Le sénateur Adams: Je veux que vous me donniez une idée du nombre de députés fédéraux autochtones qu'il devrait y avoir.
M. Obonsawin: Je pourrais dire 10 ou 100 si je le voulais, mais c'est le genre de chose que l'on peut négocier.
Le sénateur St. Germain: Qu'allons-nous faire de certaines bandes, que je connais très bien, qui ne veulent pas entendre parler de l'autonomie gouvernementale et qui sont essentiellement à l'aise avec le statu quo?
De même, avez-vous bien dit que vous ne recommandez pas les entreprises mixtes avec la collectivité blanche? J'en connais certaines qui ont très bien réussi en Colombie-Britannique, et c'était entre autres le cas de certaines personnes qui sont intervenues dans le dossier Delgamuukw.
M. Obonsawin: J'ai parlé à certaines de ces personnes, qui ont fait valoir les mêmes raisons que j'ai énoncées aujourd'hui pour ne pas adhérer à l'autonomie gouvernementale. C'est pour eux un simple trompe-l'oeil. Je leur dis qu'il faut en parler sérieusement. À un moment donné, les autochtones devront décider s'ils adhèrent à l'autonomie gouvernementale ou non, et ces décisions seront prises, tout comme le Québec va prendre des décisions semblables. Ce sont des décisions que les collectivités ne peuvent pas prendre pour le moment. Mais permettez-leur de décider, et bon nombre de ces bandes vont commencer à en parler sérieusement.
Le sénateur St. Germain: Au sujet des entreprises mixtes, je vais vous donner l'exemple d'un cas où des autochtones étaient en réelle difficulté et ils se sont engagés dans une entreprise forestière. Ils en ont fait un véritable programme de création d'emplois. Le contrat qu'ils ont mis au point les conduira à l'autosuffisance, et ce sont eux qui contrôlent l'entreprise. Ils possèdent 51 p. 100 de l'entreprise.
M. Obonsawin: J'ai vu bien des entreprises naître et disparaître. Notre entreprise existe depuis 1981. La création d'emplois n'a jamais conduit à l'autosuffisance.
On accorde trop d'importance à la force qu'on tire des partenariats. On parle de partenariats partout aujourd'hui; les partenariats avec les non-autochtones, c'est la solution à tout. C'est comme dire que nous ne pouvons pas gérer nos propres affaires, comme lorsqu'on a établi ce partenariat avec les Affaires indiennes. Je connais le tabac. J'ai travaillé avec ces gens-là. J'ai siégé à leurs conseils d'administration avec Trevor Eyton et d'autres. Une seule chose les intéresse: combien est-ce que ça va nous rapporter? Comme M. Pocklington l'a dit, donnez tout aux Indiens, nous allons tout reprendre de toute façon. C'est comme ça que les partenariats naissent.
Le sénateur St. Germain: Je connais des gens dans l'Ouest comme Don Ryan, Elmer Derrick et d'autres, et croyez-moi, ce sont ces gars-là qui vont bouffer Pocklington parce qu'ils sont brillants.
M. Obonsawin: Tant mieux pour eux; cependant, vous jetez les lions aux loups lorsque vous dites que le partenariat est la seule solution. Nous devons apprendre à gérer nos entreprises à notre manière à nous. Il faut apprendre à ramper avant de marcher, et à marcher avant de courir. L'entrepreneuriat autochtone n'aura d'avenir que s'il y a des entreprises qui apprennent à survivre par leurs propres moyens, et qui plus tard envisageront des partenariats. Je vois certains de ces partenariats s'effondrer maintenant. Ce 50 p. 100, après que le gouvernement s'est retiré, ça devient 51 p. 100 de l'autre côté. Je vois ça arriver. Ne mettez pas tous vos oeufs dans le même panier. J'ai la certitude que M. Ryan saura parfaitement conserver son emprise.
Le sénateur Mahovlich: L'âge moyen d'une entreprise est de 40 ans. Nous avons entendu un grand nombre de témoins. La Banque de Montréal a formé environ 500 autochtones par année.
M. Obonsawin: Il s'agit de stagiaires.
Le sénateur Mahovlich: De stagiaires. Ils sont en stage pendant environ deux ans, après quoi ils rentrent dans leur collectivité. D'une manière, ça vous aide. En convenez-vous?
M. Obonsawin: Plus on forme de gens, mieux c'est. J'en conviens absolument.
Le sénateur Mahovlich: Qu'est-ce qui arrive quand on ne donne plus d'argent à une bande. Je ne suis pas sûr du montant d'argent qu'elles reçoivent, mais tout à coup, on va cesser de leur donner de l'argent. J'imagine qu'il va y avoir tout un pow-wow à votre bureau.
M. Obonsawin: On a beaucoup de pow-wow chez nous.
Le sénateur Mahovlich: Celui-là aura lieu devant notre immeuble.
M. Obonsawin: J'espère ne pas vous avoir donné l'impression qu'il fallait cesser de donner de l'argent. J'ai dit que vous devez mettre en place un processus qui permettra d'atteindre une autosuffisance authentique.
Le sénateur Mahovlich: Comment allez-vous mettre au point ce processus? Si les bandes ont reçu de l'argent toute leur vie, elles ne connaissent pas d'autre processus.
M. Obonsawin: Tout le défi est là. Il faut changer la base à partir de laquelle on donne de l'argent et déterminer la responsabilité de chacun. C'est ça, le défi. Ce ne sera pas facile à faire, mais il faut que ça se fasse. Si vous cessez de donner de l'argent, la presse étrangère va se mettre à vous attaquer dans ses reportages sur la pauvreté des Indiens. Vous ne pourrez pas faire ça. Les deux parties sont coincées ici. Tâchons de voir avec réalisme comment on peut se décoincer.
Le sénateur Mahovlich: Comment me voyez-vous? Je suis né au Canada, je suis Canadien, et mes parents sont du même endroit que votre femme. Comment est-ce qu'un autochtone me voit? Ce n'est pas moi qui ai voulu venir ici. Je suis né ici.
Le président: Le fait est que vous êtes ici et que nous vous acceptons.
Le sénateur Mahovlich: Vous y êtes obligés.
Le président: On n'a pas le choix.
Le sénateur Mahovlich: Qu'allez-vous faire de moi si je ne coopère pas?
M. Obonsawin: Je m'inquiète moins à votre sujet qu'au sujet de ma femme.
Le sénateur Mahovlich: Vous et moi, tous les deux.
Le président: Monsieur Obonsawin, il nous faudra trouver le moyen de vous inviter à la table ronde que nous tiendrons avec les sénateurs et, si des audiences publiques comme celle-ci débouchent sur des recommandations concrètes, nous aimerions les examiner en profondeur avant de conclure notre travail et de faire nos recommandations.
Nous aimerions vous inviter à cette table ronde sur la fonction gouvernementale à titre de participant permanent. Votre compétence et vos propos vont probablement toucher également les dirigeants autochtones et les obliger à y réfléchir à deux fois avant de proposer des recommandations concrètes pour ce qu'on appelle les accords de partenariat. Si vous aviez l'obligeance d'accepter cette place à la table ronde, vous y seriez fort bienvenu.
Avant de conclure, j'ai une question à laquelle je voudrais une réponse maintenant et une autre question à laquelle vous pourrez réfléchir et me donner réponse plus tard.
La question que je vais vous poser maintenant s'inspire des témoignages que notre comité a entendus, particulièrement, des administrateurs des traités. Avant que quoi que ce soit de nouveau se fasse au niveau de l'autonomie gouvernementale ou des négociations territoriales, ces gens tiennent à faire savoir clairement aux autorités, c'est-à-dire au Canada, que la base des discussions doit être fondée sur les traités qui ont été signés il y a de nombreuses années. C'est ce qu'ils disent parce que les traités n'ont jamais été vraiment mis en oeuvre. Ce mécanisme, qui devait être mis en oeuvre par le ministère des Affaires indiennes par voie législative, n'a jamais été créé. Pour cette raison, ils voudraient que les traités constituent la base des pourparlers.
D'un côté, j'imagine que vous n'avez rien à redire à cela.
M. Obonsawin: Les traités ont été négociés avec les nations.
Le président: Encore là, cela tient au fait que si le mécanisme ou le système sont modifiés pour servir nos fins, et même si le gouvernement du Canada doit créer pour cela un autre ministère comme un ministère d'État par exemple, on pourrait aller de l'avant avec cette initiative sans éliminer le ministère des Affaires indiennes au départ.
À mon avis, commencer par la suppression du ministère des Affaires indiennes est susceptible de provoquer une véritable panique. Il faut créer un nouveau ministère chargé des nouvelles initiatives sans le boulet des anciennes responsabilités administratives.
Ce type d'approche vous agréerait-il?
M. Obonsawin: Oui.
Le président: Merci. Comment mobiliser nos gens? Le pays est vaste. Les autochtones sont disséminés aux quatre coins du pays. Mon propre peuple, les Inuit, vivent dans l'Arctique et le problème est plus facile à résoudre. Ils habitent un territoire défini. Ils sont la majorité dans ce territoire et ils sont pour une forme de gouvernement public. Pour le moment cela ne pose pas de problème mais il se peut qu'avec le temps cela change. Ils n'en sont pas encore là.
Pour ce qui est des Indiens inscrits, ils sont propriétaires de poches territoriales. Le secteur privé, des tiers, les gouvernements n'ont pas toujours respecté l'intégrité de ces territoires. Il faut y remédier.
Il nous faut canaliser l'énergie de tous les autochtones. Vous avez dit ne pas apprécier la représentation actuelle des groupes autochtones car vous estimez en être exclus; vous estimez que vos intérêts particuliers ne sont pas représentés. Il y a peut-être un manque de représentation claire de tous les autres autochtones car ils sont éparpillés un peu partout.
Pour les rassembler, il est peut-être nécessaire de réfléchir à la création d'un parti politique autochtone. Cela ne se fera peut-être pas. Cela se fera peut-être sous la forme d'une assemblée ou d'autre chose. Pensez-vous que c'est une idée qui devrait être prise en charge par une personne intéressée et désireuse de faire avancer les choses et susceptible d'entraîner avec elle tous les autochtones? Vous seriez d'accord?
M. Obonsawin: C'est une idée dont j'ai entendu parler et quelques tentatives ont été faites.
Le président: J'aimerais connaître votre point de vue.
M. Obonsawin: Pour le moment cette idée ne me semble pas forcément la bonne. Je ne la rejette pas mais elle ne m'agrée pas forcément. Il faut commencer par un cadre d'ententes générales. La méthodologie, nous y réfléchirons plus tard et c'est peut-être une des solutions.
Le président: Vous n'avez pas vraiment réfléchi à la manière de regrouper tous les autochtones sous un même toit?
M. Obonsawin: Quand je parle de nations, je pense à la nation crie, à la nation Ojibway.
Le président: Il y a encore du travail à faire. Vous avez répondu à mes questions.
Merci, monsieur Obonsawin. Nous vous remercions d'être venus. Votre témoignage a été des plus instructifs.
Nous souhaitons maintenant la bienvenue aux représentantes de l'Aboriginal Women's Council.
Mme Leonie Rivers, administratrice intérimaire, Aboriginal Women's Council: Nous tenons à remercier le comité sénatorial permanent des peuples autochtones à qui a été confié l'étude spéciale sur l'autonomie gouvernementale autochtone de l'occasion qui nous est offerte de lui présenter les vues de l'Aboriginal Women's Council sur l'évolution de la fonction gouvernementale autochtone en Colombie-Britannique.
Je suis l'administratrice intérimaire de l'Aboriginal Women's Council et la gestionnaire des relations avec les autochtones pour le BCR Group of Companies. Je suis Gitksane de naissance et je possède des droits acquis par le mariage dans la nation squamish dont je suis un membre actif depuis 23 ans.
Je suis accompagnée de Lynne Widdows de Sko'mish Women, Youth and Children, un nouveau groupe membre de l'Aboriginal Women's Council. Lynne est née à Vancouver et est membre de la nation squamish de naissance.
Au nom de l'Aboriginal Women's Council, nous aimerions remercier le ministère de l'Égalité des femmes de la Colombie-Britannique de sa contribution à notre exposé.
Pour que le comité sénatorial puisse se faire une meilleure idée de l'approche de la fonction gouvernementale préconisée par l'Aboriginal Women's Council, «Prendre notre place», je vais maintenant vous en présenter un bref aperçu.
L'Aboriginal Women's Council est une organisation provinciale qui s'intéresse depuis plusieurs années aux droits, aux besoins et à la défense des femmes autochtones de la Colombie-Britannique. L'Aboriginal Women's Council travaille en collaboration avec ses 10 groupes membres répartis dans différentes régions de la Colombie-Britannique. Notre composition reflète les préoccupations des femmes autochtones vivant à l'intérieur et à l'extérieur des réserves et en milieux urbains.
L'Aboriginal Women's Council s'aligne également sur la National Women's Association of Canada grâce à la représentation au sein de cette association de son principal membre, la BC Native Women's Society.
Plus récemment, l'Aboriginal Women's Council a effectué, en collaboration et avec l'aide de la direction générale de Condition féminine Canada à Vancouver, un sondage auprès des femmes autochtones de la Colombie-Britannique sur leur rôle dans l'autonomie gouvernementale. Les résultats de cette enquête nous ont aidées à préparer cet exposé qui vous donne un aperçu des principaux points soulevés et des recommandations faites par les femmes autochtones.
Nous tenons principalement à nous assurer que le point de vue des femmes autochtones de la Colombie-Britannique entrera véritablement en ligne de compte au moment de la définition de nouvelles relations avec les peuples autochtones sous la forme d'une autonomie gouvernementale. Il est essentiel que tout processus de mise en oeuvre de l'autonomie gouvernementale reconnaisse le rôle que les femmes autochtones ont traditionnellement joué et continueront à jouer dans l'autonomie gouvernementale. Il est tout aussi essentiel que des ressources et un financement adéquats soient mis à la disposition des autochtones pour leur permettre de développer leurs capacités et leur assurer une participation active à l'autonomie gouvernementale peu importe leur lieu de résidence.
Pour ce qui est du portrait social de la Colombie-Britannique, l'environnement social, politique et économique de la Colombie-Britannique comporte de nombreux obstacles pour les autochtones en général et les femmes autochtones en particulier. Un de ces obstacles est l'attitude du public, des Premières nations et des organisations autochtones face aux femmes autochtones vivant à l'intérieur ou à l'extérieur des réserves.
Le public de la Colombie-Britannique considère les autochtones vivant en milieu urbain, y compris les femmes, d'une manière légèrement différente de la population autochtone en général. Deux questions ressortent surtout: le racisme et la discrimination. L'abus d'alcool et de drogue par les femmes autochtones vivant en milieu urbain suit de près, en troisième place, devant le chômage, la pauvreté, les difficultés d'intégration à la société et l'assimilation.
En Colombie-Britannique, il est tous les jours question dans la presse ou sur les ondes des revendications territoriales et de la négociation des traités. Toutefois, il est important de signaler l'insignifiance relative du règlement des revendications territoriales ou de la négociation de traités en ce qui concerne les femmes autochtones vivant en milieu urbain, un petit pourcentage du public seulement ayant mentionné cette question comparativement à un pourcentage plus élevé pour l'ensemble de la population.
Les besoins et les aspirations des femmes autochtones concernant la vie familiale, l'éducation, la formation et l'absence de fonds de démarrage pour le développement économique figurent parmi les questions identifiées par les femmes autochtones.
Il y a d'autres questions à considérer. Des questions comme la sensibilisation, les attitudes, l'équité en matière d'emploi, les besoins financiers, la guérison et les relations actuelles avec le gouvernement méritent qu'on s'y arrête.
Le public de la Colombie-Britannique n'est pas tellement au courant des questions relatives aux femmes autochtones. Bien des gens ne sont pas particulièrement bien renseignés sur les questions qui intéressent les femmes autochtones dans un contexte particulier, exception faite des allusions des médias à la revendication territoriale des Nishgas, aux écoles résidentielles, au rapport de la Commission sur les peuples autochtones et à la décision de la Cour suprême dans l'affaire Delgamuukw au sujet des droits ancestraux. Chacune de ces questions à une incidence sur les droits et sur le niveau de vie des femmes autochtones.
Les femmes autochtones ont des droits individuels qui peuvent être considérés dans la plupart des cas comme des droits transférables. Ces droits doivent être définis en collaboration avec les femmes autochtones et protégés par les politiques d'autonomie gouvernementale qui posent un problème aux Premières nations et aux Premières nations urbaines étant donné leur capacité limitée d'exercer et de faire reconnaître de tels droits.
Il ressort d'un grand nombre de rapports publiés par le gouvernement et d'enquêtes qu'il n'y a pas vraiment de consensus au sein du public ou des Premières nations qu'à l'autonomie gouvernementale autochtone ou aux droits des peuples autochtones, y compris le droit des femmes autochtones de se gouverner elles-mêmes ou d'être des participantes à part entière et actives.
Simultanément, il semble qu'un nombre alarmant de femmes autochtones soient mal informées des droits ancestraux et actuels et des travaux des commissions gouvernementales concernant les nombreuses questions qui influent sur leurs droits actuels et futurs et leur capacité de participer au processus d'autonomie gouvernementale. La situation est encore plus alarmante dans le cas des jeunes femmes autochtones qui arrivent à l'âge de procréer et qui cherchent à s'inscrire ou à définir leur rôle dans l'autonomie gouvernementale. Cette situation est d'autant plus fâcheuse que les organisations autochtones de la Colombie-Britannique ont, comme les Premières nations, joué avec les chiffres pour aller chercher de l'argent tout en prétendant offrir des programmes, des services, des consultations ou une représentation aux femmes autochtones vivant à l'extérieur des réserves ou en milieu urbain et à leurs enfants.
La Loi sur les Indiens, le projet de loi C-31, le projet de loi C-49, le rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, Rassembler nos forces, les décisions de la Cour suprême dans les affaires Guérin, Sparrow et Delgamuukw, ne sont que quelques exemples de cas où les femmes autochtones, vieilles et jeunes, vivant à l'intérieur ou à l'extérieur d'une réserve, ont des connaissances limitées ou un accès limité à l'information. Cependant, l'importance de ces documents, jugements ou initiatives façonnera la vie de tous les jours des femmes autochtones et leurs enfants pendant plusieurs générations. En cette décennie de progrès technologiques et de dispositifs de communication de haute technicité, comment se fait-il que tant de femmes autochtones soient si mal informées? Est-ce dû à un manque de consultation, de communication, de scolarisation, d'éducation ou d'information, à l'apathie ou à un manque de fonds, ou faut-il y voir un désir de contrôle sur des questions sur lesquelles seuls les gouvernements des Premières nations peuvent se pencher?
Peu importe la raison, il est évident que les femmes autochtones ne pourront pas vraiment participer aux négociations au sujet de l'autonomie gouvernementale ni en profiter à moins d'avoir été adéquatement informées ou consultées.
Les attitudes du public face à l'autonomie gouvernementale sont paradoxales. Elles dénotent des vues contradictoires, dont la volonté d'assurer aux autochtones, y compris les femmes autochtones, une plus grande maîtrise de leur avenir, teintée d'un vieux sentiment de paternalisme, du désir de voir le gouvernement conserver la responsabilité de veiller à ce que tout fonctionne pour les peuples autochtones. La majorité des habitants de la Colombie-Britannique croient que les femmes autochtones seraient tout à fait capables de se gouverner elles-mêmes si elles avaient la chance de participer au processus de décisions au même titre que leurs homologues masculins.
Les notions d'équité en matière d'emploi et de parité salariale sont bien comprises au sein des secteurs privé et public et des organisations de Premières nations et autochtones, mais elles ne sont ni mises en pratique ni respectées dans le cas des femmes autochtones, surtout au niveau des cadres intermédiaires ou supérieurs. Il est très difficile de croire qu'à l'aube d'un nouveau millénaire des pratiques archaïques et préhistoriques continueront à caractériser l'emploi des femmes autochtones dans les secteurs public et privé.
Il faudrait que les travailleuses reçoivent le même salaire que leurs homologues non autochtones, hommes et femmes, ou, à l'intérieur de certaines structures autochtones, le même salaire que les hommes autochtones pour le même travail. Les questions d'équité gagneront en importance à mesure qu'entreront en jeu des ententes d'autonomie gouvernementale autochtone.
Qu'elles vivent à l'intérieur ou à l'extérieur d'une réserve, les femmes autochtones, surtout celles qui sont chefs de famille monoparentale, doivent faire face chaque jour à diverses questions comme la garde des enfants, leur rôle parental, le logement et les soins de santé. Pour que les femmes puissent participer de manière significative et active à l'autonomie gouvernementale, il faudra régler la question clé du manque de soutien financier pour les subventions pour la garde des enfants. Un grand nombre de femmes autochtones faisant actuellement partie de la population active vivent dans la pauvreté et n'ont pas droit aux subventions pour la garde des enfants. Vu le nombre croissant de femmes vivant hors-réserve en raison de leur quête d'emploi, d'éducation ou de formation, pour des raisons de santé ou d'autres raisons qui échappent à leur contrôle, pour bien des femmes qui sont parent seul ou chef de famille, des subventions adéquates pour la garde des enfants sont une véritable préoccupation. Par exemple, les personnes qui ont un revenu unique doivent pourvoir à leurs besoins fondamentaux, comme le loyer, les commodités, les soins aux enfants, le transport et les dépenses accessoires, et bien nourrir leur famille avec le peu d'argent qui reste. De nombreuses femmes autochtones se tournent vers des agences communautaires comme les banques alimentaires et les magasins d'articles usagers ou, dans certains cas, leur famille pour trouver l'aide dont elles ont besoin pour joindre les deux bouts.
Les femmes autochtones sont de plus en plus marginalisées en raison de facteurs socio-économiques. Ces facteurs, combinés à d'autres, contribuent à une augmentation des troubles physiques ou mentaux comme la dépression et les maladies.
La Commission royale sur les peuples autochtones dit à plusieurs endroits dans son rapport qu'elle considère les préoccupations des femmes autochtones comme partie intégrante de son approche de chaque question que son mandat englobe. Une question importante qui a été identifiée est celle de la guérison, avec la pleine inclusion des femmes autochtones dans tous les secteurs de la société autochtone. Bien des autochtones considèrent la guérison comme une première étape vers l'harmonie et l'égalité pour les Premières nations. Des questions de politique importantes du point de vue des femmes autochtones vivant en milieu urbain doivent être réglées. Il n'est pas clair comment les conclusions de la CRPA au sujet des femmes autochtones seront mises en oeuvre.
Depuis le début des relations entre les peuples autochtones et le gouvernement fédéral du Canada, ce sont les administrations de bandes surtout qui ont droit aux ressources financières du gouvernement. D'après des rapports gouvernementaux et des enquêtes menées en Colombie-Britannique, aujourd'hui, plus de la moitié de tous les autochtones vivent dans des villes et des petites agglomérations, et cette tendance se poursuivra au nouveau millénaire. Les femmes autochtones et les enfants représentent un pourcentage important des membres de bande qui vivent en dehors des réserves.
Le gouvernement fédéral du Canada, par l'entremise du Cabinet peut-être, doit de toute évidence se pencher sur les questions qui intéressent les femmes autochtones et examiner sérieusement la fonction gouvernementale en dehors des réserves ou en milieu urbain. Chaque année, pour justifier les budgets et les dépenses de bande, de nombreuses Premières nations continuent à utiliser une méthode de calcul de l'effectif par tête qui perpétue la dominance et le contrôle sur les ressources financières du gouvernement. Le gouvernement fédéral ferme les yeux sur cette pratique malgré l'existence de rapports gouvernementaux qui confirment le fait que les femmes autochtones et leurs enfants vivent hors des réserves dans des conditions inacceptables.
Les politiques et les pratiques actuelles ont créé pour les femmes autochtones vivant à l'extérieur des réserves et en milieu urbain un déséquilibre qui se solde par des niveaux d'emploi disproportionnés, une éducation inférieure à la norme, la pauvreté, l'aide sociale et des difficultés économiques.
Pour bien des femmes autochtones, le droit de voter aux élections de bande ou aux référendums ou de participer pleinement aux réunions générales ou spéciales des bandes varie d'une nation à l'autre en Colombie-Britannique. Le droit de participer en tant que membre à part entière de la bande et être légalement inscrite sur la liste des membres d'une bande constitue une arme à double tranchant pour qui veut participer ou discuter de questions d'autonomie gouvernementale. Comment se renseigner ou discuter de l'autonomie gouvernementale quand on est exclu en raison de son lieu de résidence ou de son sexe? Comment se préparer à participer d'une manière significative à l'étude d'une question quand on est exclu délibérément? Les femmes autochtones sont confrontées chaque jour aux questions frustrantes de la consultation, de la sensibilisation et de la participation.
Le projet de loi C-49 prévoit la ratification et la mise en oeuvre de l'Accord-cadre relatif à la gestion des terres des Premières nations. Il prévoit la mise en place d'un nouveau régime de gestion des terres qui confie aux Premières nations la gestion de leurs terres et de leurs ressources dans les limites de leurs réserves. De plus, il confère aux Premières nations le pouvoir de prendre des textes législatifs concernant les intérêts et les permis relatifs à leurs terres et à la mise en valeur, la conservation, la protection, la gestion, l'utilisation et la possession de celles-ci. Le texte prévoit l'instauration d'un mécanisme de consultation populaire qui permet aux membres de la Première nation de voter sur un projet de code foncier et sur l'accord spécifique de la Première nation. Un vérificateur, nommé conjointement par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien et la Première nation, est chargé de la surveillance de la consultation populaire. Cette mesure législative aurait une incidence d'importance majeure sur les membres de la Première nation, y compris les femmes. L'obligation de la Première nation pour ce qui est des règles applicables en cas d'échec du mariage et du partage des terres et des biens revêt une importance particulière.
Il n'y a encore eu ni consultation ni ratification de cette loi dans notre communauté, même si elle doit avoir une incidence sur les femmes autochtones.
D'après le paragraphe 17(1) du projet de loi C-49, un processus de consultation fait partie des règles de procédure en cas d'échec du mariage, en matière soit d'utilisation, d'occupation ou de possession des terres de la Première nation, soit de partage des intérêts sur celles-ci.
Il est évident que le projet de loi C-49, Loi portant ratification de l'Accord-cadre relatif à la gestion des terres des Premières nations, présente un intérêt pour les gouvernements des Premières nations, mais on a laissé de côté une fois de plus le sort des femmes autochtones et les répercussions de cette loi sur leurs intérêts sur ces terres.
L'établissement des règles générales proposées dans le cas de cette loi donnera lieu à des différends. La question qui se pose est la suivante: un arbitre indépendant nommé conformément à l'Accord-cadre pourra-t-il régler de tels différends adéquatement, équitablement et à la satisfaction de toutes les femmes autochtones touchées?
Lorsqu'elle aura été approuvée, la Loi portant ratification de l'Accord-cadre relatif à la gestion des terres des Premières nations s'éloignera-t-elle complètement en quelques jours des textes réglementaires provinciaux qui protègent actuellement les femmes autochtones comme la Loi sur le divorce, la Loi sur la famille, la Loi sur l'obligation alimentaire et la Loi sur les droits de la personne?
Si vous me le permettez, je vais vous donner un aperçu des approches de l'autonomie gouvernementale pour les femmes autochtones:
Concevoir des programmes novateurs pour aborder les questions sociales qui touchent les Premières nations en mettant l'accent sur les femmes autochtones.
Mettre en oeuvre des programmes de formation pour répondre aux besoins des travailleuses autochtones.
Offrir des subventions plus élevées aux femmes autochtones pour leur permettre de réintégrer le marché du travail, que ce soit pour la formation scolaire, le counselling, des séances de guérison, le développement personnel, la formation en cours d'emploi ou la garde des enfants.
Avoir pour politique d'utiliser les ressources financières des programmes sociaux existants pour créer à l'intention des femmes autochtones des centres régionaux où de tels programmes leur seraient offerts par des femmes autochtones.
Nommer des femmes autochtones au Sénat du Canada pour aider à l'établissement de lois.
Nommer plus de femmes autochtones à des postes supérieurs de décideur pour assurer la mise en oeuvre de politiques d'égalité des sexes et d'équité en matière d'emploi.
Inclure à la fonction publique du Canada des initiatives fédérales pour inciter les professionnelles autochtones à saisir les occasions qui s'offrent et viser les femmes autochtones pour la planification de la relève.
Offrir des programmes de promotion de la femme dotés des services et ressources nécessaires pour répondre aux intérêts et aux aspirations des femmes autochtones.
J'aimerais maintenant vous parler des principes de base de l'autonomie gouvernementale pour les femmes autochtones. Des protocoles, accords de collaboration et ententes tripartites pourraient être une approche positive acceptable pour les femmes autochtones de la Colombie-Britannique.
Une leçon peut être tirée de la signature, en 1996, de la première entente tripartite sur la négociation de l'autonomie gouvernementale en milieu urbain et hors-réserve et la mise en oeuvre d'ententes d'autonomie gouvernementale en Colombie-Britannique. Cet accord tripartite avait été conclu entre la province de la Colombie-Britannique, représentée par le ministère des Affaires autochtones, le gouvernement du Canada, représenté par l'interlocuteur fédéral auprès des Métis et des indiennes non inscrits, et des organisations provinciales.
Dès le départ, ce processus a été gravement sous-financé par deux paliers de gouvernement, situation qui s'est perpétuée par la suite. Les ressources financières nécessaires à la consultation entre les organisations membres ont fait défaut; les ressources des organisations étaient extrêmement limitées et il y allait souvent du bon vouloir de chacune d'entre elles dans la mesure où elles étaient prêtes à s'en remettre à d'autres types de réunion.
Malgré l'engagement des organisations à travailler en collaboration concernant des mandats différents, le processus a échoué lamentablement et semé le désaccord entre les groupes provinciaux de la Colombie-Britannique qui ont encore de la difficulté à travailler ensemble à des questions d'intérêt commun. Cet échec peut être attribué directement à la mauvaise présentation de la nouvelle relation aux intervenants de la Colombie-Britannique. En dépit de l'engagement des parties à l'accord tripartite d'évaluer et de négocier certaines questions, le processus n'a pas fonctionné. Après environ une année de silence, les deux paliers de gouvernement se sont retirés du processus tripartite, laissant derrière eux d'importants engagements financiers non tenus, la discorde et la mauvaise entente entre les organisations membres.
Le Aboriginal Women's Council était un des signataires de l'accord tripartite mentionné ci-dessus et s'était engagé, avec l'appui de ses membres, à travailler aux questions d'autonomie gouvernementale pour les femmes autochtones malgré l'absence d'un financement de base d'un palier quelconque de gouvernement.
Résultat, de nombreuses femmes autochtones n'ont plus aujourd'hui aucun recours pour participer à la négociation actuellement en cours d'ententes d'autonomie gouvernementale en milieu urbain sur la base d'ententes de contribution avec des organisations provinciales qui ne sont pas axées sur les autochtones; elles ne disposent pas des capacités ni des ressources voulues à long terme pour que leur contribution compte vraiment.
Alors que bon nombre de sommets, réunions et ateliers des chefs, des conseils de bande et des conseils tribaux des Premières nations sont financés par les gouvernements fédéral ou provincial, les femmes autochtones doivent se contenter de ressources gravement limitées, lorsqu'il y en a, pour faire valoir leurs vues et leurs préoccupations. Il faut absolument procéder à un examen des accords établis pour voir où, au juste, il y a double financement. Plus précisément, il faudrait que des fonds consacrés à l'autonomie gouvernementale des femmes autochtones soient alloués à des femmes autochtones de la Colombie-Britannique qui pourraient mettre en oeuvre une campagne d'information publique en vue d'assurer les consultations et les communications avec les femmes autochtones.
Des négociations avec des femmes autochtones sont essentielles pour que les dirigeants, les décideurs et les organismes gouvernementaux veillent à une représentation adéquate des femmes autochtones à tous les niveaux ou à toutes les étapes du processus d'autonomie gouvernementale.
Si vous le permettez, j'aimerais maintenant faire quelques recommandations concernant les nouvelles relations structurelles.
Pour que ce processus soit couronné de succès, il faudrait que soit mis en oeuvre sur une période de 15 ans un plan de travail efficace et abordable capable en même temps de répondre aux besoins et aux attentes des femmes autochtones de la Colombie-Britannique.
Ce plan de travail comporterait un financement pluriannuel et trois examens quinquennaux des ententes de contribution.
Des objectifs mesurables, des résultats concrets, des processus d'évaluation et une gestion financière et administrative saine seraient approuvés par toutes les parties dans le cadre de plans d'action stratégiques annuels.
Les programmes existants doivent être réexaminés et servir de complément aux programmes à l'intention des femmes autochtones et aux centres régionaux pour les femmes de la Colombie-Britannique.
Les institutions existantes doivent faire en sorte que les programmes actuels à l'intention des femmes soient axés sur les questions et programmes qui intéressent les femmes autochtones.
Les programmes gouvernementaux d'équité existants doivent appuyer les programmes d'encadrement des femmes autochtones.
Pour conclure, je tiens à insister sur le fait que la protection constitutionnelle est nécessaire aux femmes autochtones à tous les paliers de gouvernement, provincial ou fédéral, en milieu urbain ou hors-réserve et au sein des gouvernements de Premières nations dans les réserves. Les femmes autochtones imaginent une nouvelle structure de gouvernement qui serait un amalgame d'une vaste gamme de compétences ou de pouvoirs tout en permettant à un organisme communautaire comme un centre régional pour les femmes de s'occuper de la prestation de services sociaux aux femmes autochtones.
Pour que le point de vue des femmes autochtones soit entendu et que leurs recommandations fassent partie intégrante du processus d'autonomie gouvernementale, il faudrait qu'elles soient assurées de niveaux de sensibilisation, de connaissance et de participation égaux à ceux de leurs homologues de sexe masculin afin qu'elles puissent prendre des décisions éclairées.
Ce processus doit être efficace, efficient et abordable et répondre en même temps aux besoins et aux attentes des femmes autochtones de la Colombie-Britannique, peu importe leur lieu de résidence. La participation des femmes autochtones à tous les aspects et à tous les niveaux de gouvernement témoignera du rassemblement des forces des Premières nations et de la prise par les femmes autochtones de leur place dans l'autonomie gouvernementale.
Le sénateur Andreychuk: Merci de votre exposé. Vous nous avez donné votre point de vue et fait certaines recommandations précises, ce dont je vous remercie, car nous essayons de recueillir certaines recommandations concrètes auxquelles nous pourrons donner suite, et à cet égard, votre mémoire est excellent.
J'ai tendance à approuver l'essentiel de vos observations au sujet du rapport. Je voudrais toutefois dire que certaines questions dont vous parlez, par exemple le fait d'être désavantagé dans le cadre du processus de négociation et au sein de la société, sont en fait des problèmes auxquels sont confrontées toutes les femmes. En conséquence, le manque de formation et d'éducation, l'exclusion d'un processus politique ne sont pas des problèmes uniques aux femmes autochtones, mais bien propres à la femme. Je pense que les femmes ont encore beaucoup de chemin à faire, non seulement au sein de la collectivité autochtone, mais partout ailleurs.
Vous avez entendu le témoin précédent déclarer -- et d'autres témoins l'ont dit également, pas tant au cours de ces audiences que d'autres audiences de notre comité -- que nous devrions respecter les processus que souhaitent les autochtones et qui ont été les leur par le passé, en ce qui a trait aux conseils de bande, et cetera. Toutefois, chaque fois que le gouvernement a essayé d'imposer en condition la participation des femmes aux négociations, il s'est heurté à la réaction suivante: «Vous essayez d'imposer vos structures aux nôtres. Nous avons nos propres méthodes pour intégrer les femmes dans nos structures de bande et nos équipes de négociation qui sont différentes des vôtres. N'essayez pas de nous imposer vos façons de faire.»
Comment pouvons-nous intégrer bon nombre de vos suggestions tout en respectant l'attitude de l'ensemble de la collectivité autochtone qui semble refuser qu'on modifie ses méthodes de négociation et que nous intervenions entre deux groupes autochtones?
Si nous imposions comme condition préalable de toutes les négociations futures l'inclusion du point de vue des femmes autochtones, en Colombie-Britannique comme ailleurs, n'attirerions-nous pas des critiques comme celles exprimées par le monsieur qui a parlé avant vous, selon lesquelles le gouvernement fédéral n'a pas le droit de dicter aux autochtones comment ils doivent gouverner? En recommandant cette condition préalable, proposez-vous que nous mettions fin à tout le processus de négociation actuel et que nous établissions de nouvelles bases de discussion?
Mme Rivers: Il existe des liens patrilinéaires et matrilinéaires. Moi-même, je descends d'une ligne matrilinéaire, ce qui explique, peut-être, pourquoi j'ai le franc-parler. Il faut respecter les Premières nations. Nous ne sommes pas en train de dire qu'il faut mettre fin à tout le processus. Notre message, c'est que les questions qui préoccupent les femmes autochtones doivent faire partie du processus, ce qui n'est pas le cas actuellement. Même s'il y a des femmes-alibis qui participent lorsque l'on nous demande nos réactions, je ne crois pas que cela représente pleinement les préoccupations des femmes telles qu'elles ont été identifiées.
Le sénateur Andreychuk: À mon avis, il est assez facile pour un comité comme le nôtre de dire au gouvernement fédéral qu'il faut tenir compte du point de vue des femmes autochtones, mais je suis moins à l'aise devant l'idée de dire la même chose aux Premières nations, par exemple.
Mme Rivers: On met l'accent sur les femmes hors-réserve qui vivent dans un milieu urbain et qui ne font plus partie du processus des Premières nations. Nous pourrions être autosuffisantes si nous avions à notre disposition des ressources semblables, c'est-à-dire de l'ordre de ce que reçoivent les gouvernements des Premières nations en ce moment. Nous devons pouvoir participer au processus. On met l'accent sur les autochtones hors-réserve plutôt que sur ceux qui habitent sur les réserves.
Nous ne manquons pas de respect envers les Premières nations. En effet, nous tentons de travailler en collaboration avec les chefs des Premières nations de la Colombie-Britannique en ce moment à l'égard de cette entente tripartite assortie d'initiatives hors-réserve.
Le sénateur Andreychuk: Voulez-vous dire qu'il vous manque les ressources financières nécessaires pour participer au processus, et que vous seriez en mesure de défendre vos positions si vous étiez partie prenante aux négociations? Si oui, j'aurais tendance à être d'accord.
Mme Rivers: C'est bien le cas, car si on veut faire du bon travail.
La deuxième question que vous avez posée porte sur les conditions préalables. Je ne crois pas qu'il y ait de telles conditions à chaque étape. J'ai beaucoup de respect pour les chefs. Je suis une descendante de deux chefs, mes grands-parents. Je fais donc partie de cette ligne matrilinéaire. Dans notre processus, le protocole est très important. Tout ce que nous voulons, c'est nous faire entendre. Ce sont d'autres qui prennent des décisions pour nous. Afin de devenir autosuffisantes, nous devons prendre ces décisions nous-mêmes. C'est là le message que nous voulons transmettre.
Mme Lynne Widdows, technicienne, Sko'mish, Aboriginal Women's Council: Je voudrais revenir à quelque chose que le président a dit tantôt. Il demandait comment nous pouvions faire bouger les choses dans les communautés. C'est bien connu, je pense, que si vous voulez que les choses bougent dans les communautés autochtones, ce sont les femmes autochtones qui vont le faire.
Chez nous, il est vrai que les femmes occupent des postes clés dans l'administration. Cela ne suffit pourtant pas. Il n'y a pas de doute que la nation Sko'mish est en avance par rapport à beaucoup de groupes au Canada, et j'en suis très fière. Mon feu père descendait d'une lignée de chefs héréditaires, et c'est donc un trait de notre famille.
Quand j'étais enfant, mon père insistait sur le fait que les hommes comme les femmes avaient l'obligation de s'exprimer afin de se faire entendre. Au sein de notre communauté, beaucoup de femmes demandent ce que signifie l'autonomie gouvernementale. Une des aînées a dit récemment à Mme Rivers: «Je commence à être trop vieille. Vous, les femmes, devez commencer à vous faire entendre.» Quand je la regarde, c'est toujours avec les yeux d'un enfant. Elle ne mâche pas ses mots. Elle ne ménage pas les susceptibilités, mais elle réussit toujours à se faire comprendre.
Depuis le sondage que nous avons effectué, je m'inquiète vraiment quand je vois ces jeunes femmes qui font des études à l'Université de Colombie-Britannique dans le cadre des programmes destinés aux Premières nations. Elles ne comprennent pas les implications du projet de loi C-31, ni pour elles-mêmes, ni pour leurs tantes ou leurs cousines.
Lorsque nous avons fait le sondage, il y avait parmi nous une étudiante de cinquième année en éducation mais je pense qu'elle n'avait jamais regardé le rapport de la CRPA avant que nous lui disions: «Voilà le genre de faits que nous avons recueillis.» Elle a passé beaucoup de temps avec ses collègues étudiants de l'Université de Colombie-Britannique, à la fois les nouveaux venus et les étudiants de cinquième année.
Mme Rivers et moi-même avons voyagé récemment en Colombie-Britannique et rencontré différents groupes. Certains d'entre eux sont bien informés, mais d'autres nous disent: «Quand est-ce que tout cela a eu lieu?»
Le sénateur Adams: Avez-vous une idée du nombre de personnes qui vivent hors-réserve en Colombie-Britannique? Hier, un témoin de la Banque de Montréal m'a dit qu'il y avait environ 50 000 autochtones dans la ville de Toronto. J'en ai été étonné.
Votre organisme a beaucoup travaillé avec les services sociaux, s'est beaucoup occupé des gens qui quittent la réserve pour venir vivre en ville. Je sais qu'ils se heurtent à de nombreux problèmes, des problèmes de drogue et d'alcoolisme qui ne frappent pas uniquement les autochtones, et cela en particulier en Colombie-Britannique. Comment faites-vous pour toucher les gens qui vivent hors-réserve, les gens qui habitent en ville? Est-ce que vous avez des liens avec les organismes de services sociaux?
Mme Rivers: J'occupe un autre poste au sein du BCR Group of Companies. Nous travaillons avec 28 Premières nations. Vous avez parlé du nombre d'autochtones qui vivent hors-réserve. Il y a de plus en plus d'autochtones qui vivent hors-réserve à cause de la pénurie de logement dans les réserves, et également du manque d'emplois. Pour travailler, ils sont obligés de venir dans les petites ou grandes villes, partout où ils peuvent trouver du travail.
En ce qui concerne le travail de notre organisme avec d'autres groupes, cela se fait de bouche à oreille. En fait, nous servons de centre d'aiguillage, et également nous sommes là pour défendre les gens lorsqu'ils ont besoin d'aide. Nous aidons les femmes qui arrivent en ville et qui n'ont pas de point de chute. Nous les aidons pour ce genre de chose.
Par contre, contrairement à quatre organismes de Colombie-Britannique, nous n'avons pas un financement de base qui permette d'assurer ces programmes. La plupart des groupes sont composés de bénévoles. Toutefois, les rapports que nous entretenons avec les 10 groupes régionaux de la province font une grosse différence. Le réseau de communication est très important, très important pour nous.
Le sénateur Adams: Vous avez parlé de vos problèmes financiers et du financement que vous accordait le Conseil du Trésor. Quels sont les rapports entre le Conseil et votre organisation? Est-ce que vous recevez une aide quelconque? Je sais que pour aider les gens, il faut de l'argent.
Mme Rivers: À l'heure actuelle, les programmes non autochtones et également les programmes destinés aux femmes autochtones se font dans le cadre de projets. Nous percevons des frais d'administration qui servent à couvrir nos frais généraux, c'est à peu près tout. Nous n'avons pas de formule de financement ou de financement de base. Depuis plusieurs années, nous demandons de l'aide mais on nous répond systématiquement: «À l'heure actuelle, on ne reconnaît aucun organisme provincial nouveau.» Cela ne signifie rien pour nous. Le financement est limité par la démarche actuelle du gouvernement.
Le sénateur Adams: Est-ce que l'accord Nishga vous affecte, est-ce qu'il a eu une incidence sur le financement de votre organisme?
Mme Rivers: Certains de nos membres sont Nishgas. Une de nos organisations, basée à Canyon City, est la Nisga'a Women's Association. C'est un de nos adhérents le plus récent. L'association défend les intérêts des autochtones du nord-ouest de la Colombie-Britannique. Elle a sa propre organisation et un comité très actif qui se réunit annuellement.
En réponse à votre question, non, nous ne recevons pas de financement, mais par contre, nous avons plusieurs groupes dans la région continentale sud qui s'occupent des membres hors-réserve. C'est un mouvement qui démarre, mais pour l'instant, on s'intéresse plutôt aux aspects culturels, les danses ou activités sociales, et cetera.
Le sénateur Adams: Je sais que vous avez un gros problème. Les familles désunies, ce genre de choses. Si une personne est mariée à un Blanc et ils vivent en ville, elle est séparée de sa famille: qui s'occupe d'elle? Est-ce que c'est le ministère des Affaires indiennes?
Mme Rivers: À l'heure actuelle, le ministère a une responsabilité fiduciaire. Les programmes sociaux versent un pourcentage aux bandes, mais se sont les Premières nations qui administrent dorénavant ces programmes sociaux. À cause de cela, il est possible que certains autochtones qui vivent hors-réserve n'aient pas droit à certains programmes.
Ce que j'essaie d'expliquer dans le document, c'est que lorsqu'on dénombre les gens chaque année, si on s'aperçoit qu'il y a 1 200 membres, dont 600 vivent hors-réserve, l'argent continue à être versé pour les 1 200 membres et pas seulement pour 600. Voilà comment cela fonctionne.
Le sénateur Johnson: Merci pour cet excellent exposé. Le Aboriginal Women's Council of British Columbia a de toute évidence la situation bien en main et réussit à accomplir beaucoup. Je suis très impressionnée. Nous qui sommes des femmes, nous devons absolument rester vigilantes et persévérer si nous voulons parvenir à nos buts.
Je pourrais vous parler de ce sujet pendant des heures, mais mon temps est limité. Nous aurons probablement l'occasion de vous reparler un peu plus tard.
J'aimerais vous parler plus précisément de la direction des réserves. Ce sont les dirigeants qui ont le pouvoir. Dans quelle mesure les femmes réussissent-elles à accéder à des rôles de direction, à la fois dans la province et dans le reste du pays? Pour pouvoir participer, pour ouvrir la voie et accomplir les choses que nous voulons accomplir, y compris l'autonomie gouvernementale, nous devons jouer des rôles qui nous permettent d'exercer une influence. Nous, les femmes, devons disposer d'un certain pouvoir. Comment cela progresse-t-il? Je sais que vous avez donné des détails dans votre document, mais parlez-moi un peu de cet aspect.
Mme Rivers: Le scénario le plus réaliste est le suivant: Si on doit choisir entre deux messieurs et une femme pour accomplir le travail, on peut soit embaucher la femme qui fera le travail, soit embaucher les deux hommes, qui risquent de discuter pendant des années.
Le sénateur Johnson: C'est pour cela que tout prend tellement de temps?
Mme Rivers: On a dit que pour que le travail se fasse, il suffit d'embaucher deux femmes.
Sérieusement, nous avons des femmes dirigeantes en Colombie-Britannique. Cinq femmes ont récemment été élues chefs, et nous sommes fières de les compter parmi nos chefs.
Nous n'avons pas de traité en Colombie-Britannique. Nous avons 197 bandes, et nous travaillons sur les traités, et tout cela prend beaucoup de temps car il faut comprendre les aspects politiques, comprendre le processus, mais depuis deux ans, je dois dire qu'on cerne les problèmes d'un peu plus près.
Ce qui m'inquiète, c'est que pendant les sommets on se heurte à différents régimes politiques en Colombie-Britannique. Nous avons les bandes du Traité 8, nous avons des bandes indépendantes, et nous avons également des bandes qui adhèrent au Sommet des Premières nations. Environ 62 p. 100 de ces dirigeants des Premières nations sont des adhérents du sommet. Nous avons également l'Union des chefs indiens de la Colombie-Britannique, qui représente environ 42 bandes, mais peut-être un peu moins si certaines se sont récusées.
Il est critique pour nous d'établir des relations avec nos chefs des Premières nations, et nous avons beaucoup de respect pour eux. Notre bande est la bande Squamish des Premières nations, et nous avons un chef héréditaire, le chef Joe Mathias, qui dirige également les négociations avec les gouvernements. Il a fait un travail extraordinaire, mais en même temps, les femmes font lentement leur chemin. Au sommet on commence à reconnaître leur participation.
Dans le cadre du processus tripartite pour les Premières nations qui vivent en milieu urbain, nous avons essayé de travailler avec les chefs. Il nous a fallu un an et demi pour nous faire inscrire à l'ordre du jour, et nous devrions pouvoir prendre la parole le mois prochain. Nous avions présenté la demande en février dernier, et maintenant, un an plus tard, nous sommes très enthousiastes à l'idée de pouvoir commencer à faire quelque chose, mais tout cela est très lent. Nous devons être patientes, c'est tout ce que je peux dire pour l'instant.
Il est possible que les femmes prennent plus tard un rôle de premier plan en milieu urbain, mais il faudrait des processus où l'on reconnaît les femmes.
Le sénateur Johnson: Il ne faut pas abandonner vos efforts.
J'ai constaté que la question de la garde des enfants avait une grande importance si vous voulez pouvoir poursuivre vos objectifs, et jouer un rôle au sein d'un gouvernement autonome. Comme nous le savons tous, c'est un problème universel pour les femmes et pour les familles. Toutefois, pour parvenir à tous ces objectifs, nous devons avancer côte à côte, hommes et femmes, pour parvenir à ce que nous recherchons dans ce domaine.
Une dernière question au sujet de votre travail de guérison et de reconstruction des Premières nations. À mon avis, c'est un aspect critique de tout ce qui se fait. Comment voyez-vous les choses évoluer dans votre communauté?
Mme Rivers: Personnellement, je constate que pendant de nombreuses années, on a refusé de voir le problème en face, mais aujourd'hui, on commence à prendre conscience, à mieux comprendre ce qui doit être fait. À l'heure actuelle, nous assistons à une transition massive, mais il faudra probablement une dizaine d'années pour commencer à voir de véritables résultats. Je ne pense pas que les choses se fassent du jour au lendemain, je ne pense pas qu'on assiste à de véritables changements tant que les gens n'auront pas vraiment compris l'importance du processus holistique pour la famille. Nous avons des enfants qui ont eux-mêmes des enfants et qui n'ont pas les aptitudes nécessaires pour être des parents. C'est un énorme problème. Les aptitudes pour la vie quotidienne sont également une grande source de préoccupation. Il y a parmi nous beaucoup de gens qui s'intéressent au travail social et qui se spécialisent dans ce domaine.
L'idée de centres de guérison serait excellente, on en a déjà parlé.
La notion d'accréditation des aînés nous préoccupe, de même que les obstacles linguistiques.
Le sénateur Johnson: Est-ce que les aînés et les matrones principales participent à ces activités?
Mme Rivers: Il y a un certain nombre d'aînés et de matrones principales qui participent activement à de nombreuses activités des Premières nations. Je ne suis pas experte en la matière, mais je sais qu'une proposition a été soumise à Santé et Canada, et on espère que le financement nécessaire sera débloqué. Nous devons consacrer des ressources aux initiatives de guérison. Comment on abordera ces questions, quels en seront les résultats, tout cela reste à voir. Il y a des gens particulièrement compétents en la matière qui pourraient nous aider.
Nous surveillons tout cela de très près, et ce ne se fera pas du jour au lendemain, cela prendra du temps car les gens ont souvent l'impression qu'on nous a toujours tout donné, des maisons gratuites, des écoles gratuites. C'est un mythe. Il reste beaucoup de chemin à parcourir, mais lorsque nous serons débarrassés de ces mythes, les choses iront beaucoup mieux.
Le sénateur Gill: Ma question porte sur la loi C-31. Vous avez mentionné cette loi dans votre exposé. J'ai été chef de ma réserve à l'époque, et le projet de loi avait provoqué beaucoup de discussions car notre population, qui était d'environ 2 000 personnes, avait pratiquement doublé.
J'aimerais savoir quelles ont été les répercussions de ce changement dans votre région, à la fois dans les réserves et hors-réserve. Est-ce que cela était positif, ou avez-vous toujours des problèmes? Est-ce que c'est réglé?
Mme Widdows: Est-ce que vous parlez plus particulièrement de la nation Sko'mish?
Le sénateur Gill: Oui, de la région de la Colombie-Britannique que vous connaissez particulièrement.
Mme Widdows: La loi C-31 a été une source de préoccupation dans tout le Canada. Je sais qu'elle a beaucoup inquiété les gens en Alberta. Dans notre nation, notre conseil a commencé très vite à travailler avec les membres de la bande, on s'est penché sur les codes d'appartenance à la bande, sur les mesures à prendre pour faire face à des arrivées en masse.
Toutefois, beaucoup de femmes qui étaient considérées comme des «femmes du bill C-31» résidaient déjà dans la réserve. Cela a créé certaines situations déchirantes, le problème n'a pas disparu, mais il est devenu un peu plus subtil. Certains pensent que les enfants de ces «femmes du bill C-31» ne devraient peut-être pas avoir droit à certaines prestations. Cela suscite des situations très difficiles dans les communautés.
Dans ma propre communauté, il y a 600 ou 700 noms sur notre liste pour les logements. Certains ont craint que la loi C-31 ne permette d'accorder des maisons à certaines personnes avant d'en donner à des gens qui ont passé toute leur vie dans la réserve. C'est un sentiment qui me semble assez répandu en Colombie-Britannique.
Je ne pense pas que notre communauté ait réagi comme certaines autres dans le reste du Canada. Je sais qu'en Alberta, certains étaient particulièrement mécontents.
Mme Rivers: Je peux vous parler de mon expérience personnelle; j'ai travaillé avec la bande pour enregistrer toutes les personnes touchées par la loi C-31. La plupart d'entre elles étaient des femmes qui s'étaient mariées à l'extérieur, les filles ou les mères d'Indiens inscrits. Nous avons été heureux d'accueillir ces gens-là. C'était une bonne loi, mais les répercussions dont Mme Widdows a parlé continuent à se faire sentir. Les gens qui sont nés dans la bande méprisent les femmes qui sont devenues membres de la bande par mariage, considérant que ce sont des citoyens de deuxième classe. Cela cause des dissensions. C'est le meilleur exemple que je puisse vous donner.
Le président: Votre exposé me semble encourageant. Nous allons continuer à travailler sur vos recommandations et sur vos idées.
J'aimerais beaucoup vous inviter à devenir des membres permanents de la table ronde sur la fonction gouvernementale. Vous seriez appelées à travailler par l'entremise de votre organisme national. Je suis sûr que vous avez déjà des relations avec cet organisme.
Mme Rivers: Oui, nous sommes membres de l'organisme.
Le président: Ce ne serait donc pas un problème.
Mme Rivers: Pas du tout.
Le président: Nous aimerions beaucoup vous compter parmi les membres permanents de cette table ronde, car cela nous permettrait de continuer à développer les idées que vous nous avez soumises.
Mme Rivers: Nous vous remercions et nous nous ferons un plaisir de participer à cet exercice.
Le président: Nous recevons maintenant M. John Amagoalik, commissaire en chef des Territoires du Nord-Ouest, Commission d'établissement du Nunavut.
M. John Amagoalik, commissaire en chef, Commission d'établissement du Nunavut: Honorables sénateurs, je vais consacrer quelques minutes à un survol des événements au cours des 29 dernières années. Le mouvement politique inuit moderne a commencé aux alentours de 1970. À l'époque, le sénateur Watt et le sénateur Adams avaient participé activement à l'organisation des premiers organismes inuit au Canada.
L'idée de diviser les Territoires du Nord-Ouest n'est pas nouvelle; à l'époque où John Diefenbaker était encore premier ministre, le Parlement en avait déjà discuté. Le premier ministre Diefenbaker avait nommé une commission de trois personnes pour étudier la possibilité de créer deux nouveaux territoires dans les Territoires du Nord-Ouest. Cette commission recommanda qu'on réétudie cette possibilité dans dix ans. Or, c'est justement une dizaine d'années plus tard que l'idée de créer un territoire du Nunavut prit un deuxième souffle.
Je tiens également à mentionner la question du pétrole et du gaz en Alaska et dans l'Arctique canadien, car c'est un aspect qui a eu un effet considérable sur les dirigeants politiques de l'époque. En effet, cette situation nous a permis de nous rendre compte à quel point nous étions impuissants lorsque des sociétés multinationales venaient s'installer sur notre territoire. Avec la permission des gouvernements, ces sociétés pouvaient faire pratiquement tout ce qu'elles voulaient. Pour beaucoup d'entre nous, ce fut une prise de conscience brutale. C'est donc un aspect important des débuts de ce mouvement.
En 1970, le règlement des revendications territoriales en Alaska eut également des répercussions pour les dirigeants inuit canadiens: ils se rendirent compte que si les Inuit de l'Alaska pouvaient signer un traité moderne, il n'y avait pas de raison pour qu'eux, ne puissent pas le faire également. Ce développement fut une source d'encouragement.
J'ai mentionné la naissance des organismes inuit aux alentours de 1970 lorsque Inuit Tapirisat du Canada et les associations régionales inuit, y compris la Société des Inuit du Nord québécois, dont le sénateur Watt était président, négocièrent le premier traité moderne au Canada.
L'affaire Calder a également une importance historique car ce fut aussi une source d'encouragement sur le plan juridique. Comme nous nous souvenons tous, ce fut une cause particulièrement importante en Colombie-Britannique.
Nous nous souvenons tous des négociations de revendications territoriales du début des années 70, de cette longue série d'interruptions et de délais à une époque où les deux parties tâtonnaient dans le noir, ne sachant pas comment aborder ce processus nouveau. À l'époque, c'était quelque chose de tout à fait nouveau.
Comme je l'ai mentionné, la Convention de la Baie James et du Nord québécois fut le premier traité moderne au Canada, et il fut suivi de l'Accord avec les Inuvialuit. Dans les deux cas, on s'inspira beaucoup du traité en Alaska, mais il faut y voir le point de départ des négociations qui suivirent.
Le premier véritable obstacle à la création du Nunavut s'est présenté au printemps de 1982, lorsque la population des Territoires du Nord-Ouest a été appelée à se prononcer sur la question de la division. Vous vous souvenez que c'est le oui qui l'a emporté. Ce fut là le premier obstacle important que nous avons dû surmonter.
Je voudrais aussi signaler les négociations constitutionnelles nationales des années 80, celles qui ont été télévisées. Bien qu'elles n'aient pas permis de définir les notions d'autonomie gouvernementale autochtone ni de droits autochtones, elles ont été très importantes dans la mesure où elles ont permis pour la première fois d'éduquer les Canadiens. Les chefs politiques autochtones étaient assis en face des premiers ministres du Canada et des provinces, discutaient très sérieusement avec eux et ont véritablement informé les Canadiens sur les questions autochtones.
La frontière du Nunavut, qui faisait l'objet de négociations depuis 10 ans, a été ratifiée par un vote public en 1992 et on a conclu un accord de principe en 1991. L'accord final a été signé au printemps 1993, et le Parlement a adopté la Loi sur le Nunavut en juin 1993, puis a été créée la Commission d'établissement du Nunavut, dont je suis le président. Son mandat s'étendait de 1993 au 1er avril 1999, date de création du Nunavut.
Au cours des deux dernières années, le commissaire intérimaire, Jack Anawak, qui est ancien député, a fait tout le travail qu'il fallait faire en préparation du 1er avril. Nous allons avoir nos premières élections le 15 février, soit dans 12 jours, et nous nous affairons à préparer les célébrations du 1er avril.
J'espère que mon historique est complet. Je voudrais faire quelques autres commentaires pour bien faire comprendre ce qu'est et ce que n'est pas le gouvernement du Nunavut. C'est un gouvernement public. Il est assujetti à la Constitution canadienne et respectera la Charte des droits et libertés. Il aura 19 députés à l'Assemblée législative et 10 ministères. Son premier ministre et le président de l'assemblée seront élus par les députés et le cabinet sera choisi par le premier ministre.
Le gouvernement du Nunavut sera décentralisé dans les 10 plus grandes communautés du territoire. La construction des infrastructures nécessaires est en cours à Iqaluit et dans les autres localités. La nouvelle assemblée législative sera terminée dans quelques mois. Nous avons maintenant un drapeau et des armoiries, qui seront dévoilés le 1er avril. Le gouvernement du Nunavut reconnaîtra les deux langues officielles du Canada, et ses langues de travail seront l'inuktitut et l'anglais.
Le Nunavut couvre une superficie d'environ 2 millions de kilomètres carrés, soit à peu près 20 p. 100 du territoire du Canada. Il couvre trois fuseaux horaires. Sa population est d'environ 25 000 habitants, dont 85 p. 100 d'Inuit. Iqaluit a été choisie comme capitale il y a trois ans par voie de plébiscite.
Je voudrais aussi signaler pourquoi le Nunavut se différencie des autres parties du Canada. Alors que le sud du pays est en contact avec les Européens depuis des centaines d'années, ces contacts ne se sont produits chez nous qu'au cours des 40 ou 50 dernières années, ce qui fait que notre histoire est différente.
La population elle aussi est différente. Comme je l'ai dit, 85 p. 100 de notre population est composée d'Inuit, si bien que nous sommes en majorité dans toutes les communautés où nous vivons. Je voudrais également signaler la présence de tierces parties, comme les gouvernements existants, les compagnies de prospection et les sociétés commerciales. Nous n'avons pas connu de grosses difficultés avec ces tierces parties, car leur présence dans notre patrie est plus récente qu'elle ne l'est dans les autres parties du Canada.
Par ailleurs, la population non inuit du Nunavut a toujours été favorable à nos revendications territoriales et à la création du Nunavut. Dans l'affaire Nisga'a, qui est très semblable au Traité du Nunavut, de nombreux citoyens de la Colombie-Britannique étaient prêts à monter au créneau. Mais au Nunavut, la situation est bien différente. La population non inuit est très favorable au Nunavut. En fait, elle a joué un rôle très important dans la création de ce nouveau territoire.
Je voudrais encore signaler que le Nunavut attire grandement l'attention de la communauté internationale. Les pays européens, en particulier la France, s'intéressent beaucoup à nous, et il en va de même des pays d'Extrême-Orient. Certains se demandent si le Nunavut n'apporterait pas une solution à la situation du Tibet. Je ne sais pas si c'est le cas, mais quoi qu'il en soit, on nous considère avec un grand intérêt depuis l'étranger.
L'Australie s'intéresse elle aussi beaucoup à nous. C'est évidemment le pays où la notion de «droits autochtones» a fait son apparition. Par ailleurs, les Américains s'intéressent beaucoup à ce qui se passe chez nous. C'est un événement important pour tous les Nord-Américains.
Enfin, je voudrais dire qu'à notre avis, la création du Nunavut est un événement historique qui va changer la carte du Canada pour la première fois depuis 50 ans, depuis que Terre-Neuve s'est jointe à la Confédération. J'espère que c'est le début d'une ère nouvelle dans les relations entre les peuples autochtones et ceux qui sont venus faire de ce pays leur patrie. J'espère que c'est le début d'une réconciliation. Je sais que le Nunavut n'est pas un exemple parfait pour toutes les situations, mais c'est une formule qui semble viable. Nous voulons que les Canadiens soient partie prenante dans cette aventure, qui doit constituer pour eux un enjeu important: le Nunavut n'appartient pas qu'à nous, il appartient à l'ensemble du pays.
Le sénateur Gill: Qu'est-ce qui différencie le gouvernement du Nunavut de celui des Territoires du Nord-Ouest? Les deux sont-ils semblables?
M. Amagoalik: Il est identique au gouvernement territorial actuel. Aux termes de la Constitution, il a les mêmes pouvoirs et les mêmes compétences que le Yukon et l'actuel gouvernement des Territoires du Nord-Ouest.
La seule différence dont je puisse faire état, c'est que les conditions de l'accord sur les revendications territoriales imposent des obligations aux deux niveaux de gouvernement, c'est-à-dire le gouvernement fédéral et le gouvernement territorial, et le nouveau gouvernement doit respecter cette entente. De ce point de vue, c'est une responsabilité supplémentaire.
Le sénateur Adams: Je connais M. Amagoalik depuis longtemps, depuis une période antérieure à 1970 et au début de ITC et des négociations sur les revendications territoriales.
En 1953, j'ai quitté Kuujjuaq et j'ai commencé à travailler dans l'extrême Arctique. Nous nous sommes retrouvés à sept à Churchill, au Manitoba.
Le président: Vous voulez dire qu'il était sur le même bateau?
Le sénateur Adams: Je ne connaissais pas John à l'époque, parce qu'il était trop jeune. J'avais moi-même 19 ans et je pense que John était encore sur le dos de sa mère. Il n'avait guère plus de cinq ans en 1953. John est né à Inukjuak, qui s'appelait autrefois Fort Harrison. Ensuite, il est allé à Resolute Bay. Quand on vit dans le nord du Québec, on est habitué à sept ou huit heures de clarté, mais là-bas, en hiver, on ne voit pas le soleil pendant trois ou quatre mois, peut-être plus.
M. Amagoalik a fait un tel travail d'organisation pendant des années qu'on l'appelle le parrain du Nunavut. C'est maintenant le Dr John Amagoalik, mais je l'appelle toujours le parrain, parce qu'il a énormément travaillé pour nous dans les négociations des revendications territoriales.
J'espère que vous aurez des fonctions officielles au sein du gouvernement du Nunavut, peut-être celles de lieutenant-gouverneur du Nunavut.
Vous avez parlé tout à l'heure des élections au Nunavut. Environ 19 députés vont être élus ce mois-ci et ils vont commencer à définir la politique du Nunavut. Certaines communautés ont toujours des problèmes avec les sociétés qu'elles accueillent. Pensez-vous qu'il va y avoir des changements, que certaines sociétés vont progressivement se retirer et que des nouveaux venus vont arriver en affaires?
Est-ce que nous allons avoir des politiques plus vigoureuses? Les gens du Nunavut auront-ils plus de pouvoir et plus de contrôle sur leur destinée et sur leurs entreprises au sein des communautés?
M. Amagoalik: J'espère que les petites entreprises vont accueillir notre population. Nous savons tous que les petites entreprises créent plus d'emplois que quiconque. En ce qui concerne les entreprises commerciales qui sont déjà sur place, nous espérons qu'elles vont rester et qu'elles se trouveront à l'aise, car nous pensons qu'il y a chez nous de la place pour tout le monde. Nous espérons évidemment que la diversification de notre économie va stimuler l'activité économique et la création d'emplois. Nous avons évidemment besoin des compétences dont les sociétés actuelles disposent. J'espère qu'elles se sentiront les bienvenues, qu'elles vont rester avec nous et qu'elles nous aideront à créer des emplois.
Le sénateur Adams: Nous aurons deux langues officielles et Iqaluit sera la capitale du Nunavut. De nombreux francophones se sont installés chez nous, en particulier à Iqaluit. Ils ont déjà formé une association. Pensez-vous que cette présence du français va se maintenir, étant donné que seuls l'inuktitut et l'anglais seront les langues officielles? Est-ce que vous prévoyez des problèmes pour l'autre langue officielle du Canada, à savoir le français?
M. Amagoalik: Je ne prévois pas de problème important. Vous avez raison de dire que les deux langues de travail seront l'anglais et l'inuktitut, car ce sont les deux langues parlées par la grande majorité de nos citoyens. Quant à la communauté francophone, établie principalement à Iqaluit, elle existe depuis longtemps. Elle semble se sentir à l'aise. Comme vous l'avez dit, elle a sa propre association qui la représente et qui veille à ses intérêts.
On construit actuellement une nouvelle école francophone dans la communauté. Les francophones ont manifesté la volonté d'inclure l'inuktitut dans leurs programmes d'enseignement.
Les relations avec la communauté francophone sont bonnes. À mon avis, elle n'a aucune raison de s'inquiéter, car nous veillerons à ce que les droits des francophones en tant que citoyens canadiens soient respectés.
Le sénateur Adams: Je voudrais parler un peu des activités de prospection minière et pétrolière. On a vu arriver de nouvelles compagnies depuis la signature de l'Accord du Nunavut. Elles reçoivent toujours leur permis d'Ottawa. À votre avis, comment ces compagnies devraient-elles fonctionner?
Nous avons rencontré des représentants de différentes compagnies minières. Nous avons entendu parler, entre autres choses, de la construction de leurs camps. Elles nous ont même offert une réception et un dîner il y a quelques années au Château Laurier.
D'après ce que j'en entends ici, à Ottawa, elles ne créent pas vraiment d'emplois pour les habitants des collectivités. Le gouvernement du Nunavut va-t-il adopter des politiques pour contrôler les activités des compagnies de prospection et d'exploitation minière? Est-ce qu'il va exercer un contrôle sur elles, au lieu de les laisser à elles-mêmes?
M. Amagoalik: Avant la signature de l'accord sur les revendications territoriales, les règles du jeu pour les compagnies de prospection et les sociétés commerciales étaient très imprécises. Tout le monde se demandait toujours à qui appartenait la terre et à qui appartenaient les ressources. Maintenant que cet accord est signé, les règles sont bien définies. Chacun les connaît.
C'est pourquoi j'espère que les compagnies sont prêtes à investir au Nunavut, mais elles doivent également savoir que si elles montent au Nunavut pour exploiter les ressources, elles devront négocier avec les organismes inuit. Tout cela figure dans les accords. Elles devront négocier des études d'impact, des ententes de partage des bénéfices, se soumettent à des exigences environnementales, et cetera.
On ne procédera plus de la même façon. La population du Nunavut va intervenir dans la négociation des accords et va veiller à ce que des emplois lui soient octroyés dans la mesure du possible.
Le sénateur Adams: Le Sénat a encore deux projets de loi à adopter. Le premier est le C-57, Loi modifiant la Loi sur le Nunavut relativement à la Cour de justice du Nunavut. Je pense que vous acceptez tout ce qui figure dans ce projet de loi, qui a été déposé avant Noël. Le deuxième est le projet de loi C-62, qui concerne les ressources en eau et les droits de surface. Il comporte 140 articles. Une fois que ces deux projets de loi auront été adoptés, vous aurez davantage de pouvoir sur votre territoire. Actuellement, ils sont tous les deux à l'étude devant des comités sénatoriaux.
M. Amagoalik: Je n'ai aucun commentaire à faire sur le projet de loi concernant les ressources en eau, car je n'en connais pas grand-chose. Cependant, en ce qui concerne le projet de loi sur la Cour de justice, le Nunavut est en faveur de cette mesure. Les partisans en présence ont tenu une conférence il y a un an pour parler de justice et d'un système de justice à un seul niveau. Cette formule a reçu l'appui des spécialistes. Je pense que c'est le premier des différents changements qui devraient se produire au cours des prochaines années.
Le sénateur Mahovlich: Je tiens à féliciter M. Amagoalik pour son exposé, ainsi que la population inuit pour son courage et sa détermination à progresser vers son autonomie gouvernementale.
Qui a choisi le 1er avril? C'est le poisson d'avril à travers le monde. C'est vous?
M. Amagoalik: Non, c'est un comité qui a pris la décision.
Le président: Je veux féliciter M. Amagoalik, parce qu'il a tant contribué à son peuple pendant les années que je l'ai connu. En fait, j'étais surveillant à Churchill, au Manitoba, quand John Amagoalik était le meilleur étudiant. M. Amagoalik a toujours cru que ce qui est faisable aujourd'hui sera faisable demain. S'il y a des choses qui n'ont pas été faites correctement, elles peuvent être réparées. Si c'est l'oeuvre des êtres humains, ça peut être réparé par des êtres humains. Monsieur Amagoalik, je vous félicite pour avoir fait de cela une réalité.
Par ailleurs, en tant qu'Inuit qui habite dans l'Arctique, je crois qu'on est privilégié d'être arrivé à cette étape. Il se peut que les autres groupes autochtones du Canada n'aient pas la même possibilité que les Inuit des Territoires du Nord-Ouest. Ceux-ci sont dans un territoire bien défini et ils sont la majorité dans ce territoire.
On pourrait dire que ceci est un «cas type». Les autres groupes autochtones du Canada vont suivre avec beaucoup d'intérêt ce qui va se passer au cours des prochaines années. Il se peut même qu'ils s'inspirent de votre exemple. Vous êtes une majorité et vous allez gouverner votre propre société. Vous êtes maîtres chez vous.
Il sera intéressant de voir comment le gouvernement national va s'occuper des normes nationales dans les années à venir. L'instrument qui entre en vigueur le 1er avril 1999 sera sans doute le seul instrument de ce pays par lequel on peut contester le gouvernement national dans sa façon d'établir des normes nationales. En tant que peuple autochtone, nous savons que quand des normes nationales sont établies, il peut arriver que des minorités soient bafouées. Par exemple, on a pris certaines mesures depuis que je fais partie du système. On a adopté diverses lois, et j'ai essayé de convaincre les politiciens et les autorités de ne pas les adopter à cause de leur impact social et économique sur notre peuple. La plupart du temps ils n'écoutaient pas, parce qu'ils prenaient des décisions se rapportant à la partie centrale du Canada et non pas au Nord. Ils ne sont guère au courant de ce qui se passe dans l'Arctique. Ce nouvel instrument qui verra le jour en avril 1999 constituera un grand pas en avant.
Encore une fois, monsieur Amagoalik, je vous félicite. J'ai l'intention de participer à vos célébrations à Iqualuit. Je tiens à vous remercier.
Le sénateur Adams: M. Amagoalik a mentionné que 19 personnes seront élues la semaine prochaine. J'aimerais ajouter qu'il y a 71 candidats dans cette élection. Ce sera intéressant de voir comment elle va se dérouler.
M. Amagoalik: On a des candidats de tous les horizons, et on espère ainsi avoir un groupe bien représentatif de la population.
C'est vrai, monsieur le président, nous avons fait ensemble tout un bout de chemin. La première fois que nous nous sommes rencontrés c'était en 1963 ou 1964. J'ai rencontré le sénateur Adams en 1953. Aujourd'hui c'est un tout autre monde, surtout parce que les attitudes ont changé. Au Canada, elles ont évolué très lentement mais très sûrement au cours des trente dernières années. Le Canada d'aujourd'hui n'est pas le même que dans les années 60 et 70. On a fait beaucoup de progrès.
La dernière chose que je veux mentionner est que normalement je me sens très à l'aise devant des comités; cependant, je dois avouer que je suis un peu nerveux en ce moment, parce que je ne m'attendais pas à être assis devant une légende du hockey.
Le sénateur Mahovlich: J'aimerais bien que les autres ici manifestent le même respect.
Le président: En terminant, j'aimerais signaler la présence d'étudiants derrière M. Amagoalik. Ces étudiants, qui sont ici dans le cadre de programmes de formation, représentent notre avenir. De nombreux jeunes manifestent de l'intérêt envers le Nunavut. Je vous félicite tous.
Enfin, monsieur Amagoalik, j'aimerais beaucoup vous voir devenir un participant permanent de la table ronde sur la fonction gouvernementale. On aura besoin de vos conseils et de votre expérience pour nous aider à comprendre les questions critiques que nous allons aborder.
Cette table ronde sera une audience publique où les gens pourront s'exprimer et, si nous entendons des recommandations particulières qui selon nous, sénateurs, peuvent être appliquées, nous les examinerons en profondeur et nous tâcherons de les soumettre au gouvernement.
Nous n vous encourageons fortement à devenir un membre permanent de cette table ronde.
Les représentants de diverses organisations nationales élues prendront part aux discussions. Nous inviterons les chefs par héritage, des matrones principales et d'autres gens de ces milieux à participer. Vous participerez par le biais d'Inuit Tapirisat Canada, parce que vous avez été président de cette organisation à deux reprises, je crois.
Le séance a été levée.