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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 19 - Témoignages du 9 février 1999


OTTAWA, le mardi 9 février 1999

Le comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit à 17 h 12 pour étudier l'autonomie gouvernementale des autochtones et faire rapport sur ce sujet.

Le sénateur Charlie Watt (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables collègues, nous accueillons le chef Clarence «Manny» Jules, de la Commission consultative de la fiscalité indienne. Il en est le président depuis 1988. Je pense que c'est cette année-là que le projet de loi a été déposé, n'est-ce pas?

Le chef Clarence «Manny» Jules, Commission consultative de la fiscalité indienne: Le projet de loi a été adopté en juin 1988 et j'ai été nommé à ce poste immédiatement après.

Le président: Vous y avez été nommé par le gouvernement fédéral, par le ministre des Affaires indiennes.

M. Jules: C'est exact. Je suis aussi chef de la Première nation de Kamloops et membre de la nation Shuswap.

Le président: De la Colombie-Britannique?

M. Jules: Oui. Je suis membre du conseil depuis 1974 et je suis devenu chef en 1984. J'aime bien dire que je faisais six pieds lorsque j'ai commencé cela et que maintenant, je mesure cinq pieds deux pouces.

Le sénateur Mahovlich: Vous étiez aussi grand que le grand M!

M. Jules: Voilà ce qui arrive.

Le sénateur Mahovlich: Est-ce que votre tribu s'étend jusqu'aux États-Unis?

M. Jules: C'est ce que nous aimons dire aux Okanagans. Nous les déplaçons un peu.

Je remercie le Sénat de cette occasion de comparaître devant le comité et je vais vous lire un petit exposé.

En 1988, j'ai comparu devant le Sénat pour parler de la vision et des aspirations des peuples des Premières nations qui demandaient alors au Canada des pouvoirs étendus de perception de taxes foncières sur les réserves. Le 28 juin 1988, le projet de loi C-115 a été proclamé par le Canada, nous permettant d'assumer certains de ces pouvoirs. Pour aider à la mise en oeuvre du projet de loi C-115, le ministre des Affaires indiennes a créé la Commission consultative de la fiscalité indienne, qu'on appelle aussi la CCFI, dont je suis le président. Actuellement, 70 Premières nations ont obtenu des pouvoirs fiscaux et ont ainsi recueilli plus de 100 millions de dollars depuis 1988. Trente autres Premières nations envisagent d'obtenir ce pouvoir. Pendant cette période, la CCFI s'est efforcée de veiller à ce qu'on crée un régime fiscal juste et équitable, visant l'équilibre entre les intérêts des contribuables et les pouvoirs des Premières nations.

En vue de cette réunion, nous vous avons préparé un mémoire décrivant notre travail et nous répondrons volontiers à toute question se rapportant aux fonctions de la CCFI. Après 11 ans, il est maintenant temps pour nous de nous adresser à nouveau au Sénat pour présenter notre vision de l'avenir. Je suis ravi de présenter une proposition par laquelle la CCFI deviendrait une institution créée par une loi. Pour cette commission, nous proposons le nom de Commission fiscale des Premières nations.

Cette commission est une évolution naturelle de la CCFI. Elle sera prête à s'acquitter de son mandat. Il s'agira d'une institution nationale des Premières nations qui protégera l'intégrité de l'ensemble du régime fiscal foncier des Premières nations en respectant l'équilibre des divers intérêts. Elle contribuera à la promotion de l'investissement sur les terres des Premières nations et permettra au régime fiscal de produire des recettes optimales.

La nouvelle commission atteindre ses objectifs en assurant l'équité, la stabilité et l'efficacité administrative du régime. Elle établira des politiques et des normes administratives solides. La commission favorisera l'investissement chez les Premières nations en offrant la certitude de politiques stables et justes. Elle nous donnera les moyens d'éviter la plupart des litiges et de régler ceux qui surviendront de manière juste et efficace. Elle le fera en offrant des tribunes aux contribuables et aux Premières nations perceptrices, un mécanisme de règlement des différends ayant recours à une liste de médiateurs et une fonction d'appel ayant un pouvoir décisionnel en matière de litiges.

La commission donnera la formation et accréditera les administrateurs fiscaux des Premières nations pour veiller au contrôle de la qualité et à l'harmonie administrative partout au pays.

La commission continuera à tenir compte des intérêts des diverses parties. Beaucoup de contribuables assujettis au régime fiscal des Premières nations sont préoccupés par la question des taxes et de la représentation. Les autorités fiscales compétentes des Premières nations doivent en tenir compte et arriver à un équilibre des divers intérêts. La commission aura les pouvoirs nécessaires pour ce faire. Elle fixera des normes qui garantiront aux contribuables qu'ils ne seront pas taxés injustement et qu'ils recevront des services semblables à ceux offerts par des autorités semblables. Elle sera indépendante, de manière à garantir l'impartialité des audiences aux contribuables comme Premières nations perceptrices. Elle sera créée par une loi qui lui donnera une plus grande certitude et une plus grande stabilité.

On y trouvera une représentation non autochtone afin que tous les intérêts soient représentés. Elle devra répondre à des exigences formelles de rendement et de consultation pour que les intérêts de toutes les parties soient pris en compte et reconnus. Elle aura des pouvoirs étendus pour recevoir et régler des litiges, y compris des pouvoirs de médiation et d'appel.

En faisant de la Commission fiscale des Premières nations un organisme des Premières nations, on facilitera l'atteinte d'un équilibre des intérêts. La commission comprendra et protégera les pouvoirs fiscaux des Premières nations. Ses messages seront entendus dans un climat de confiance accru et auront plus de poids que ce ne serait le cas.

La nouvelle commission pourra mieux faire comprendre aux Premières nations les intérêts des autres parties et les contraintes imposées par les intérêts nationaux. Elle rendra plus efficaces l'élaboration et l'application des règlements. Une meilleure communication permettra aux collectivités de mieux comprendre le besoin de se conformer aux politiques tout en permettant des négociations en fonction des intérêts, entre les Premières nations perceptrices et les autres parties.

La Commission fiscale doit être un organisme national afin de pouvoir établir et mettre en oeuvre des normes nationales et mieux promouvoir l'efficacité administrative. Elle permettra la création d'institutions d'autonomie gouvernementale des Premières nations fortes et crédibles. Une commission nationale pourra aussi mieux tirer parti de la capacité de gestion des Premières nations au plan national. Une commission nationale pourra harmoniser les règlements et les pratiques administratives partout au pays et s'assurer que les logiciels d'administration, les procédures, les règlements internes et la formation soient uniformisés. Cela accroîtra la mobilité des administrateurs, réduira le coût des décisions d'investissement, permettra la formation et l'administration à moindre coût et facilitera la préparation de règlements internes et la préparation d'accords.

Enfin, la Commission fiscale des Premières nations doit être une commission nationale, afin de promouvoir efficacement un bon climat d'investissement pour toutes les Premières nations. Elle doit donner aux Premières nations la responsabilité de protéger leurs intérêts économiques en garantissant l'intégrité de chaque régime de taxes foncières des Premières nations du pays. En terminant, la nouvelle commission intégrera à ses procédures et à ses services les principes de la justice naturelle.

Comme je le disais, je fais partie de cet organisme depuis 1988. Il y a environ 70 Premières nations au Canada. Nous avons recueilli 100 millions de dollars. Nous avons pu créer des emplois pour environ un millier d'années-personnes, partout au pays. Il y a des règles fiscales d'un océan à l'autre.

Malheureusement, nous ne traitons pas beaucoup avec les régions au nord du 60e parallèle, mais nous avons eu des rencontres avec les Premières nations du Yukon au sujet de leurs préoccupations, ainsi qu'avec les Dénés qui vivent au nord du 60e parallèle.

Nous nous sommes aussi occupés de la Première nation de la région de Saanich-Centre, une municipalité sise près de Victoria en faisant de la médiation au sujet de litiges se rapportant à des ententes de service.

Nous nous penchons actuellement sur le litige à Musqueam au sujet de la taxation sans représentation, de même que sur la controverse au sujet du crédit-bail dont on a commencé à parler avant Noël.

Nous offrons nos services aux gouvernements provinciaux de même qu'aux Premières nations. Ainsi, nous avons travaillé avec le gouvernement du Québec pour qu'il sorte du champ de taxation, afin que la collectivité puisse s'occuper de taxes foncières. Nous avons aussi travaillé avec le gouvernement provincial de la Colombie-Britannique à l'adoption d'une loi permettant à la province de cesser graduellement d'imposer des taxes. Nous nous sommes occupés de toutes sortes de questions, d'un bout à l'autre du pays.

Il importe aussi de reconnaître que pour que ces organismes se mettent au travail, il doit y avoir une vision nationale. Nous devons avoir la souplesse nécessaire pour veiller à ce que cette vision soit transmise à chacune des collectivités des Premières nations. Il nous faut aussi reconnaître que la fiscalité foncière représente un dixième de l'ensemble des pouvoirs de taxation.

Actuellement, je suis coprésident d'un organisme, avec Herb George. Il représente la Colombie-Britannique et a joué un rôle important dans la décision rendue dans l'affaire Delgamuukw. Nous travaillons à la création d'une nouvelle relation fiscale entre le Canada et ses Premières nations afin d'améliorer les pouvoirs de gestion des Premières nations du pays.

Depuis que je suis au conseil, j'ai été actif dans bon nombre de domaines. Pour faire mon travail dans mon coin de pays, localement, je dois aussi travailler à l'échelle régionale, provinciale et nationale.

Notre communauté de la Première nation de Kamloops a été l'une des premières à avoir un énoncé de relations politiques avec la municipalité adjacente, aussi appelée Kamloops, en 1991. Nous tenons régulièrement des séances mixtes des conseils, où les deux conseils adoptent des résolutions conjointes.

Nous nous sommes penchés sur la protection des rivières Thompson Nord et Sud de même que sur bon nombre de questions qui nous intéressent. Dans la vallée de la rivière Thompson, on reconnaît que les Premières nations et les gouvernements municipaux doivent commencer à travailler main dans la main.

On a aussi eu l'idée d'instaurer le Centre pour les relations municipales autochtones, le CRMA, créé conjointement par la Commission consultative de la fiscalité indienne et la Fédération des municipalités canadiennes afin d'améliorer nos relations de travail.

Pour que nous survivions dans ce pays, je pense qu'il faut concrétiser ce dont parlait le chef national et la ministre Jane Stewart, soit de réels partenariats au Canada.

Je m'arrête ici. Je vais maintenant répondre à vos questions. Si vous n'avez pas de questions, je peux continuer à parler pendant encore 50 minutes.

Le sénateur Adams: À vous entendre, on croirait que vous êtes un percepteur d'impôt. Je ne connais pas très bien votre organisation. Je sais que je paie des impôts et qu'ils vont à Revenu Canada. Les impôts payés par les gens qui vivent sur les réserves ne sont-ils pas envoyés directement à Revenu Canada?

M. Jules: Un petit historique du projet de loi C-115 vous replacera dans le contexte.

Ma communauté vit juste à côté de la ville de Kamloops, une municipalité comptant environ 80 000 habitants. Notre communauté compte environ 900 personnes avec une assise territoriale d'environ 33 000 acres. Nous nous occupons de développement immobilier depuis les années 30.

Le gouvernement provincial de la Colombie-Britannique a commencé à percevoir des impôts fonciers sur nos réserves dans les années 30. Dans les années 60, lorsque nous avons créé un parc industriel de 300 acres, nous avons d'abord demandé au gouvernement provincial de fournir les services correspondant aux taxes perçues, que ce soit les services d'aqueduc, d'égouts, de construction de rues ou d'éclairage des rues. À l'époque, le gouvernement provincial nous a dit: «Adressez-vous au gouvernement fédéral qui a compétence sur les réserves». Nous nous sommes tournés vers le gouvernement fédéral qui nous a renvoyés au gouvernement provincial, en disant: «Ce sont eux qui perçoivent les taxes, c'est à eux qu'il faut s'adresser». Cela nous a menés à une discussion d'une vingtaine d'années entre toutes les parties intéressées, pour décider qui avait compétence en matière de perception d'impôts fonciers. Les municipalités perçoivent des impôts fonciers, en échange de services.

Je me suis occupé l'an dernier du projet de loi C-36. On a réglé la question de la TPS sur l'essence, le tabac et les boissons alcoolisées vendus sur la réserve de Kamloops. Le gouvernement fédéral nous a laissé la compétence fiscale pour ce secteur, c'est-à-dire que Revenu Canada percevait les taxes et les transmettait à ma Première nation.

Au sujet des impôts fonciers, nous envoyons les avis d'évaluation et fixons le taux par mille selon la politique de la Commission consultative. Cela se rapporte directement à ma Première nation. Le fruit de ces recettes fiscales nous permet d'offrir des services à nos locataires.

Le sénateur Adams: Quand vous percevez des taxes, le faites-vous conjointement avec la ville de Kamloops? Y a-t-il une limite extérieure? Parlez-moi des réseaux d'aqueduc et d'égouts. La construction de routes est coûteuse. Quels sont les services dont jouissent les gens de votre secteur, pour ce qui est de l'aqueduc, des égouts et des routes?

M. Jules: Cela m'amène à vous dire la raison pour laquelle je fais la promotion d'une nouvelle relation fiscale avec le Canada. J'ai travaillé au sein du comité de l'Assemblée des Premières nations sur l'accès au capital. L'un des problèmes qu'ont les Premières nations partout au pays, c'est le manque d'infrastructure sur les réserves. Vous avez à Ottawa un bon exemple de collectivités ayant une bonne infrastructure, des réseaux routiers, des services d'aqueduc, des hôpitaux, et cetera. Quand vous visitez la plupart de nos communautés, vous constatez que ces normes ne sont pas les mêmes. Nous n'avons pas la capacité d'attirer le capital sur notre territoire, pour construire l'infrastructure.

C'est un phénomène cyclique. Si vous n'avez pas l'infrastructure, vous n'aurez pas de développement économique. Si vous n'avez pas la compétence, vous n'aurez pas la stabilité pour attirer ces investissements. J'ai consacré une bonne partie des efforts de ma vie politique à la clarification de ces domaines de compétence, de manière que nous puissions offrir les services.

Avant que ma communauté commence à percevoir des taxes, personne d'autre ne pouvait fournir le service. Comme chacun le sait ici, lorsque le ministère des Affaires indiennes fournit de l'argent aux communautés des Premières nations, il exige, par exemple, que la réserve trouve 10 millions de dollars pour un réseau d'aqueduc. Peu de pays dans le monde peuvent se le permettre, sauf peut-être l'Arabie Saoudite. On agit ainsi, au ministère, faute d'avoir un système de financement à long terme par emprunt public. Une communauté peut envisager de rembourser la construction d'un réseau d'aqueduc, mais il est irréaliste de songer à le faire en un an, pour quelque gouvernement que ce soit au Canada.

Il faut surmonter le problème de financement des Premières nations afin de pouvoir réinvestir dans nos communautés et être un élément productif de l'ensemble de l'économie canadienne. En nous évacuant de l'économie canadienne, on crée un cycle de pauvreté semblable à celui dans lequel nous vivons maintenant. Ce cycle perdurera pendant encore un siècle. Nous devons tous relever ce défi, et pas seulement ici, dans cette pièce, mais partout ailleurs.

Le sénateur Adams: Avez-vous des augmentations annuelles? Rajustez-vous le taux par mille? Quand j'ai déménagé ici, j'ai acheté une propriété dans l'est d'Ottawa. Les impôts fonciers étaient d'environ 500 $, il y a 15 ans. Ils sont maintenant d'environ 1 500 $.

Est-ce que votre régime fonctionne différemment, parce que vous vivez sur une réserve? Comment fonctionne votre régime fiscal?

M. Jules: Cette question me permet de vous donner l'une des raisons de la création de la Commission consultative de la fiscalité indienne. Nous voulions un transfert ordonné de l'occupation du champ fiscal à un système double. Vous savez que le gouvernement fédéral peut imposer les taxes qu'il veut. Le gouvernement provincial ne peut toutefois demander que des impôts directs. Au début, nous avons créé la Commission consultative de la fiscalité indienne pour préparer le terrain pour les Premières nations, mais aussi pour donner une voix au chapitre de la fiscalité à ceux qui n'ont pas droit de vote au sein de leurs collectivités.

Nous voulions nous assurer que lorsque les Premières nations percevraient des impôts fonciers, il n'y aurait pas une augmentation exorbitante du taux par mille, ni des impôts perçus sur les biens fonciers. Nous avons créé des politiques visant à limiter les augmentations à 5 p. 100 de plus que les juridictions voisines.

Dans le cas de Kamloops, nous pourrions considérer le taux par mille de la ville, mais nous prenons en compte celui du district régional. Nous limitons nos impôts fonciers à environ la moitié de ce qu'exige la ville de Kamloops. C'est notre balise.

Nous avons également encouragé les autres compétences fiscales des Premières nations à faire de même, en ayant recours aux politiques de la Commission consultative de la fiscalité indienne. Ainsi, nous pouvons maintenir les taxes dans des limites raisonnables.

Le sénateur Gill: En traitant avec les Indiens de fiscalité sur les réserves, vous faites preuve de courage. Ce n'est pas mauvais en soi, mais il vous faut une bonne dose d'optimisme.

Combien de temps vous a-t-il fallu pour établir votre système de taxation dans votre réserve? J'aimerais également savoir quel est le taux de chômage dans votre réserve. J'imagine que la plupart de vos gens travaillent?

M. Jules: Je répète que ma collectivité a été considérée pour la première fois comme une réserve dans les années 1860. On l'appelait alors la réserve Douglas. Par la suite, son territoire a été réduit par un Blanc pour qui les Indiens ne valaient guère mieux que des chiens. D'autres terres ont alors été ouvertes contre des droits de préemption. La Colombie-Britannique a l'un des programmes de cession les plus imposants du Commonwealth britannique, car elle accorde 320 acres par personne, c'est-à-dire par non-Indien.

Nous nous sommes ensuite intéressés au développement économique. Comme je l'ai dit, c'est depuis les années 30 que nous sommes actifs dans le secteur des biens immobiliers ou dans le crédit-bail. Le chef Louis a été notre chef de 1850 environ, jusqu'à sa mort en 1916. Il vendait du sable, et nous avions beaucoup de sable dans la réserve. Il exploitait également un bateau. Vous voyez que nous avons toujours fait du développement économique. En fait, il y avait même des gens que nous appelions «overlanders» qui menaient leur bétail jusque vers les terres intérieures, et à qui nous imposions une taxe de pâturage, chaque fois qu'ils passaient par notre territoire. Je vous rappelle aussi que dans les années 1700, le village huron taxait les seigneuries du Québec. Vous voyez que ce n'est pas la première fois que se fait ce genre de choses au Canada.

Nous savons tous que les taxes permettent la redistribution de la richesse et le partage au sein d'une même collectivité. Notre parc industriel Mt. Paul a été le premier parc industriel jamais mis en valeur au Canada dans une réserve. En fait, sans notre collectivité, beaucoup d'industries auraient déjà quitté Kamloops. Ce n'est qu'aux environs de 1971 que la ville de Kamloops a mis en valeur son propre parc industriel, dans le but de concurrencer directement le nôtre.

Notre vision du monde nous impose de contribuer à notre propre amélioration. Notre vision du monde reconnaît également que le Canada et le gouvernement ont assumé l'obligation de corriger la situation. Nous avons demandé à sir Wilfrid Laurier de jouer franc jeu avec nous en 1910. En passant, voici une petite anecdote: Laurier a fait campagne partout au Canada en faisant la promotion du libre-échange entre le Canada et les États-Unis. Or, il a perdu l'élection, et il a fallu attendre notre ami Brian Mulroney pour faire accepter l'idée du libre-échange.

Lorsque nous nous sommes lancés en affaires, nous avons réglé une bonne partie des problèmes de chômage qu'avait notre réserve. Nous avons tout de même encore 35 p. 100 de chômeurs, ce qui est toujours aussi inacceptable, mais la plupart des localités que j'ai visitées ont un taux de chômage allant jusqu'à 80 ou 90 p. 100.

Le sénateur Mahovlich: Beaucoup de gens quittent-ils la réserve?

M. Jules: Notre milieu étant relativement urbain, les trois quarts de nos membres vivent dans la réserve. En fait, la grande majorité d'entre eux vivent à Kamloops. Mais nous avons des gens disséminés dans le monde entier.

Comme notre réserve est urbaine, elle intéresse beaucoup de gens qui demandent à s'y installer. Nous avons réussi à mettre sur pied une administration qui donne de l'emploi à une centaine de personnes. Notre parc industriel génère environ 162 millions de dollars par année qui sont injectés dans l'économie régionale. Notre assiette fiscale est d'environ 1 million de dollars par année, et nos recettes dépassent ce montant.

Il faut se rappeler que la Loi sur les Indiens n'a jamais été conçue pour tenir compte des mises en valeur que connaissent actuellement les réserves. C'est ce qui explique d'ailleurs l'origine de différends tels que celui de Musqueam et d'ailleurs. Voilà pourquoi nous avons besoin d'un bon système qui encourage le développement économique, et faute d'agir maintenant, nous aurons encore du mal à nous en sortir dans 100 ans, ce qui est inadmissible.

Le sénateur Gill: En dépit du peu d'activité économique de bien des collectivités indiennes, vous croyez fermement que ceux qui peuvent payer de l'impôt sur le revenu ou des taxes sur leur propriété devraient le faire pour contribuer financièrement aux opérations de vos collectivités. Or, beaucoup de vos gens sont sans travail, ce qui signifie que vous prenez de l'argent de ceux qui travaillent et que vous l'utilisez pour aider les sans-emploi. Si je vous ai bien compris, vous maintenez toujours qu'il est de votre devoir de payer des taxes, malgré le taux de chômage élevé dans la réserve.

M. Jules: En effet. Le chef Louis avait témoigné à la commission McKenna-McBride en 1913 à Kamloops et, à cette époque, nous faisions face au problème de ce que nous appelions la réserve Sprout de 1878. Nos terres avaient été réduites, puis élargies. Nous nous sommes donc retrouvés avec ce que le chef Louis qualifiait d'un trou dans le milieu d'une table grande de 320 acres. Pour pouvoir récupérer la terre, nous avons parlé au propriétaire de Harper ranch, qui était une compagnie d'élevage de bétail de l'Ouest, et nous lui avons expliqué que nous souhaitions acheter son Ranch. Il a fixé le prix de cette terre à 1 million de dollars. Nous, nous l'avions évaluée à 320 000 $. Je sais que toutes sortes de gens ont l'impression que le gouvernement fédéral ou quelqu'un d'autre entre en scène à ce moment-là et achète la terre, mais ce n'est pas le cas.

En 1989, un promoteur est venu me voir et m'a expliqué vouloir louer une partie des terres. Je lui ai répondu que nous faisions justement dans ce genre d'entreprise. Nous avons parcouru ensemble les terres, et nous avons trouvé ce fameux trou au beau milieu de la table. C'est alors que le promoteur a décidé d'acheter cette terre et qu'il s'est prévalu d'une option d'achat. Lorsqu'il est revenu me voir, je lui ai expliqué qu'il s'agissait là de notre terre et que nous possédions le droit de propriété sous-jacent. Le promoteur a rétorqué qu'il venait de l'acheter et que nous ne pouvions donc pas en être les propriétaires.

Mon père, qui siégeait au conseil, les membres de mon conseil et moi-même sommes donc allés voir la terre au mois de mars. Nous y avons trouvé toute une quantité de pneus et un tracteur à chenilles. Autrement dit, nous constations que le promoteur avait décidé de déblayer le terrain pour en faire un club de golf et pour y ériger des condominiums.

Mais le promoteur avait déjà demandé un bail de 50 ans sur cette terre à raison de 5 millions de dollars. Il devait même être embauché pour gérer la mise en valeur, mais nous, nous avions toujours les terres. Les anciens me conseillaient de continuer à le faire parler. C'est ce que nous avons fait pendant un certain temps, et il s'est calmé un peu; puis, en janvier, j'ai dit au promoteur qu'il ne pouvait continuer. Un matin du début de mars, nous nous sommes rendus sur place, pour voir le promoteur démarrer son tracteur à chenilles. Mais nous lui avons obstrué la route. Lorsqu'il nous a demandé de le laisser faire son travail, je lui ai répondu que nous devions protéger les intérêts sous-jacents de notre propriété.

Il nous a fallu cinq ans pour récupérer cette terre. Pour pouvoir poursuivre cette bataille juridique, nous nous sommes tournés vers le gouvernement du Canada, car nous avions entendu dire que le gouvernement finançait les causes types, même s'il fallait pour cela que la cause soit portée devant la Cour suprême du Canada. Nous nous sommes alors tournés vers le gouvernement provincial qui a refusé de nous protéger, sous prétexte qu'il avait un régime foncier à protéger.

Autrement dit, nous étions les seuls à pouvoir protéger cette terre. J'ai donc dit à mes membres que la seule façon de trouver de l'argent, c'était de contribuer nous-mêmes à un fonds de défense. Nous avons donc conçu notre propre code de taxation afin de taxer l'essence et le tabac. Tous les membres de notre milieu ont contribué à ce fonds pour que nous puissions défendre nos droits fonciers devant les tribunaux. Le fonds a généré 7 000 $, et c'est exactement ce que nous a coûté notre cause.

Nous avons fini par obtenir une injonction qui a empêché la mise en valeur du terrain. Nous avons réglé la cause à l'amiable, et nous avons récupéré notre terre. Ensuite, nous avons expliqué à nos membres que nous devions protéger d'autres terres, d'une superficie d'environ 100 000 acres, étant donné qu'elles appartenaient aux premières réserves Douglas. C'est alors que nos membres nous ont dit de maintenir les taxes pour que nous puissions continuer à défendre nos intérêts.

En juin 1996, nos membres ont adopté une autre résolution pour définir officiellement notre position envers le Canada. L'année dernière, dans le cadre du projet de loi C-36 et du budget fédéral, nous avons utilisé au maximum les dispositions sur la TPS pour l'essence, le tabac et l'alcool. En effet, nous voulions utiliser ces revenus pour protéger nos intérêts fonciers.

À l'heure actuelle, nous sommes en train de négocier car notre position financière nous permet maintenant d'acheter ce ranch sans avoir besoin de faire appel à autrui et d'obtenir un règlement juste et équitable de la question foncière.

C'est notre responsabilité à tous de rechercher un règlement juste et équitable de la question foncière. Récemment, je pensais à des gens comme Crazy Horse, Big Bear, et Geronimo, tous ces chefs qui ont occupé une place proéminente dans notre histoire. Pouvez-vous imaginer Geronimo allant voir le président des États-Unis et lui demandant des fonds pour protéger sa terre? Cela n'aurait pas été possible.

Nous ne pouvons faire confiance à personne pour protéger nos intérêts. Nous devons profiter de toutes les circonstances pour y parvenir nous-mêmes. Une de ces circonstances, c'est la possibilité d'exploiter les ressources qui existent dans le territoire Shuswap. En 1980, nous avons fait une analyse de tous les revenus produits par ce territoire qui s'étend sur environ 56 000 milles carrés. Je continue à penser en milles, je n'arrive pas à m'habituer aux autres mesures.

Quoi qu'il en soit, il produit 5 milliards de dollars par année, et qu'est-ce que nous en retirons? Comme le chef Art Manual l'a dit, il n'y a pas une seule brindille de ce territoire qui nous revient. Et pourtant, nos collectivités sont appauvries parce que nous ne pouvons pas exploiter nous-mêmes les ressources de nos terres traditionnelles, de même que les bandes qui ont un traité ne peuvent pas exploiter leurs terres de traité. Les gens semblent avoir l'impression que tous les Indiens ont un traité. Or, ces traités n'ont pas été signés par une seule partie. Ces traités ont été conclus entre des gouvernements. C'est la raison pour laquelle on parle de l'esprit et de l'intention de ces traités. Cela ne veut pas dire que tous les autochtones ne peuvent pas travailler en collaboration, parce que c'est une nécessité. C'est notre survie même qui dépend de cette collaboration.

En septembre dernier, je suis allé à Chichén Itza province du Yucatan, au Mexique, c'était au moment du solstice Le 21 septembre, on voit le serpent descendre de la pyramide. Je peux dire que cette journée-là a été une des expériences les plus spirituelles de ma vie. Quand je pense à nos ancêtres, aux autochtones des Amériques, qui avaient les connaissances techniques nécessaires pour construire ces pyramides, pour imaginer le concept du zéro, pour construire leurs temples dans un alignement des planètes qui se produit uniquement tous les 200 ans, quand je pense à tout cela, je suis rudement fier de mon histoire, fier de la personne que je suis.

Les choses que j'accomplis tiennent compte de cela. Je tiens absolument à comprendre mon histoire, car nous, les autochtones, avons apporté une contribution énorme à l'évolution de la civilisation du monde et à notre propre culture Shuswap. Comme je l'ai dit, le combat mené par tous les autochtones est une question de survie. Mais en même temps, c'est la survie du Canada qui est en cause. Si le Canada ne réussit pas à trouver des solutions satisfaisantes dans notre cas, comment peut-il espérer régler la multitude de problèmes auxquels le pays se heurte quotidiennement?

Le sénateur Pearson: Tout à l'heure, vous avez parlé de 70 nations qui ont profité des modèles élaborés ou qui ont fait appel à vous pour les aider à se développer. Où se trouvent-elles?

M. Jules: Elles se trouvent un peu partout dans le pays. Évidemment, la majorité sont en Colombie-Britannique, étant donné la constitution des terres de réserve. La plupart des peuplements sur des réserves se sont faits loin des centres urbains. La majeure partie des réserves de Colombie-Britannique ont été constituées vers les années 1860. Elles se trouvent dans des régions importantes comme Kamloops, Squamish et Musqueam, si bien que la situation est unique en Colombie-Britannique. C'est là qu'on trouve la plupart des règlements, mais il y en a dans tout le pays.

Le sénateur Pearson: S'agit-il de milieux plutôt urbains ou plutôt ruraux?

M. Jules: Celles dont je parle sont des réserves urbaines, mais il y a des réserves rurales qui se sont intéressées aux impôts fonciers pour avoir une part des revenus que les gouvernements provinciaux recevaient des services publics. Par exemple, en Ontario, il y a la compagnie Bell Téléphone et Hydro-Ontario. Tout comme l'Alberta, c'est vers 1971 que l'Ontario s'est retiré de ce domaine fiscal. Le premier règlement de taxation au Canada a porté sur les Premières nations Kettle et Stony Point, en Ontario. Cela remonte au début des années 70. Il y en a eu d'autres en Alberta lorsque cette province s'est retirée de ce champ d'imposition.

La Colombie-Britannique n'a pas fait la même chose car c'était une source de fonds pour des districts régionaux et des municipalités voisines. Vers la fin des années 80, nous avons procédé à une analyse et découvert que la province touchait ainsi des millions de dollars. Pour que la situation soit bien précise, il a fallu obtenir un changement de la législation pour assurer une transition en douceur de la compétence fiscale.

Le sénateur Pearson: La notion d'occuper tout le champ de la TPS m'a particulièrement intéressée. Des négociations sont en cours avec le gouvernement fédéral. Est-ce que vous vous êtes mis d'accord?

M. Jules: Oui, un accord spécifique dans le cas de Kamloops. Cela s'applique uniquement à ma communauté, pas au reste du pays.

Le sénateur Pearson: Ce n'est pas une mauvaise idée.

M. Jules: C'est une idée qui mérite d'être poussée plus avant.

Le sénateur Pearson: Vous voulez aboutir à cet autre type d'organisme, une commission fiscale des Premières nations. Les gens vous consultent et vous les conseillez. Comment cela fonctionne-t-il?

M. Jules: Un des meilleurs exemples est la Première nation de Millbrook en Nouvelle-Écosse. Lorsque cela s'est produit, il y avait déjà plusieurs années que nous nous occupions de taxes foncières. Évidemment, Millbrook se trouve tout près de Truro, au nord de Halifax. Il s'agit d'une assiette fiscale limitée, mais la Première nation de Millbrook a tout de même voulu obtenir la compétence fiscale pour paver la voie à plusieurs types de développement qu'elle envisageait pour l'avenir. Nous sommes allés les aider, nous avons élaboré des règlements modèles. Nous avons également conçu des logiciels et nous avons amorcé et facilité les négociations entre la Première nation de Millbrook et la province de Nouvelle-Écosse.

À l'époque, c'était le premier ministre qui était ministre responsable des affaires autochtones. Quand vous venez à Ottawa et que vous voyez les innombrables fonctionnaires qui tournent en rond, et quand vous comparez cela à ce qui se passe dans les petites provinces, vous voyez que le Canada est vraiment un petit pays. Nous avons rencontré le premier ministre pour discuter de la possibilité d'obtenir la compétence en matière de taxes foncières et nous avons analysé toutes les situations, individuellement. Quels étaient les avantages d'un tel système? Pour que les choses soient bien claires, il faut déterminer les coûts administratifs de cette compétence fiscale. C'est le genre de conseil que nous pouvons fournir.

Nous servons également de conseillers à la municipalité voisine. Si c'est elle qui perçoit les taxes, nous devons examiner les arrangements locaux en ce qui concerne les services normalement fournis par la municipalité pour que la Première nation puisse reprendre ses activités et assurer les services d'incendie, d'égouts, d'entretien des routes, et cetera.

Le sénateur Pearson: C'est très intéressant, tout à fait fascinant.

M. Jules: Le sénateur Gill a dit qu'il fallait être brave. Quand on est seul, il arrive souvent qu'on éprouve des doutes, qu'on se dise: est-ce que c'est vraiment la chose à faire? De toute évidence, vous avez vu juste.

Le sénateur Adams: Vous avez parlé de perception de taxes dans les petites communautés comme les réserves. Vous avez parlé des cigarettes. Le gouvernement envisage d'allouer 120 millions de dollars par année pour réduire le nombre des jeunes fumeurs, mais les taxes augmentent chaque année. Est-ce que le gouvernement peut pénétrer dans votre communauté pour percevoir des taxes auprès des petits détaillants de votre région? Comment le système fonctionne-t-il? Est-ce que vous dites aux détaillants combien ils doivent percevoir pour un paquet de cigarettes? Si je vis sur une réserve et que j'achète une automobile à l'extérieur de la réserve, est-ce que je paye la taxe? Est-ce que je paye la taxe sur les fusils de chasse et le matériel de trappe? Est-ce que la seule chose que vous percevez ce sont les taxes foncières?

M. Jules: Un des grands dilemmes au niveau national, c'est de déterminer comment le processus de décolonisation des Premières nations. Au Canada, c'est la Loi sur les Indiens qui est la base de la décolonisation. Quand on lit la Loi sur les Indiens, il est important de se souvenir comment la loi a évolué, de se souvenir qu'il y a des circonstances historiques derrière toutes ses dispositions.

Jusqu'aux environs des années 1850, la Loi sur les Indiens n'était pas la Loi sur les Indiens. Il y avait des statuts épars un peu partout, des statuts qui furent ensuite regroupés. Par exemple, l'article 87 qui prévoit qu'on ne peut pas saisir les biens personnels d'un Indien existe en partie à cause de la réserve des Six-Nations à Brantford, en Ontario, et de ce qu'on appelait le titre foncier de Haldimand.

Ce titre foncier de Haldimand portait sur quelque 600 000 acres. Les gens achetaient des terres à des membres individuels et d'autres terres étaient saisies. Le gouvernement fédéral adopta une loi empêchant quiconque de saisir ces terres. Un certain processus devait être observé.

Les articles de la Loi sur les Indiens qu'on appelle articles de cession remontent à la Proclamation royale de 1763.

L'article 89 qui prévoit des exemptions d'impôt a été adopté parce que les gens n'avaient pas les moyens de payer. En fait, je crois que nous sommes tout près de l'anniversaire de la création de l'impôt sur le revenu au Canada. Cet impôt fut mis en place pour payer les frais de la guerre et de la conscription et toutes ces dépenses. Comme à l'époque les Indiens n'étaient pas des citoyens, on ne les a pas inclus. En fait, je pense que les Inuit n'étaient pas inclus non plus. En Colombie-Britannique, on ne nous a pas considérés comme de véritables personnes avant 1949. C'est seulement en 1960 que nous avons pu voter aux élections fédérales. La loi fut adoptée par John Diefenbaker en 1958, la loi qui faisait de nous de véritables personnes.

Le sénateur Johnson: C'est encore le cas des femmes sur les réserves.

M. Jules: Ce sont des questions très complexes. Lorsqu'elles sont enchevêtrées à ce point, comment faites-vous pour les démêler?

Le sénateur Mahovlich: Vous allez voir un avocat.

M. Jules: Oui, vous avez besoin d'un avocat. Vous devez considérer cet aspect-là, mais c'est également un problème politique que nous devons régler à de nombreux paliers.

Le sénateur Gill: Que dites-vous aux gens qui vous posent des questions sur la stratégie? Vaut-il mieux commencer par essayer de régler les revendications indiennes avant d'envisager de taxer les gens? C'est un argument qu'on entend très souvent.

M. Jules: Oui, toutes les Premières nations n'ont pas la même opinion au sujet de la taxation. Il y a d'une part la notion de l'immunité fiscale, la notion selon laquelle les Indiens, pour des raisons de traités ou autres, échappent à toute forme d'imposition.

Pour résoudre cette question, la solution est de rassembler toutes les discussions autour d'une table nationale. Je propose que nous créions un nouveau rapport fiscal entre les Premières nations du Canada et les provinces. C'est le meilleur départ possible.

Nous devons également régler les questions foncières qui sont en suspens depuis si longtemps. À l'heure actuelle, nous cherchons à obtenir la création d'un tribunal indépendant des revendications pour donner suite aux obligations légales du Canada en ce qui concerne les revendications spécifiques. Jusqu'à présent, le Canada se fait tirer l'oreille à cause des coûts potentiels.

En toile de fond de tous ces débats, il y a la dette accumulée par le Canada et la façon de gérer cette dette. Sera-t-elle transmise aux générations futures? Que faut-il faire pour se débarrasser de cette dette?

Lorsque nous considérons la place des Premières nations face à la gestion de la dette, il est évident que nous devons régler cette question tout de suite. Il s'agit aujourd'hui de 1 milliard de dollars, mais viendra un jour où il s'agira de 100 milliards de dollars. Si nous ne réglons pas le problème, ce sont les générations futures qui en paieront le prix. C'est donc notre responsabilité. C'est la raison d'être de la démocratie, elle est là pour protéger les générations futures et également le patrimoine qui nous a été confié.

Le sénateur Mahovlich: Maintenant que vous êtes un peuple, vous êtes inclus dans la dette.

M. Jules: Nous le sommes tous. Cette dette est notre responsabilité à tous. À l'heure actuelle, les Premières nations ne sont pas en mesure d'agir à cause des dispositions restrictives de la Loi sur les Indiens et également parce que les provinces nous refusent le bénéfice des ressources de nos territoires traditionnels.

Une fois ces questions réglées, nous pourrons participer à l'économie du Canada. Quand on voit le Canada traiter avec d'autres pays, par exemple le libre-échange entre le Canada, les États-Unis, et maintenant le Mexique et également le Chili, on voit que c'est une question internationale. Nous faisons partie de cette communauté.

Le sénateur Pearson: Vous avez mentionné tout à l'heure une commission fiscale des Premières nations. Où en êtes-vous dans ce calendrier que vous avez mentionné dans votre rapport?

M. Jules: Nous avons fait hier un exposé devant le comité supérieur des politiques du ministère des Affaires indiennes, un exposé qui a été bien accueilli.

Nous passons à l'étape suivante qui comprend un certain nombre d'organismes centraux. Nous allons ensuite solliciter le soutien de l'Assemblée des Premières nations par l'entremise de la Confédération des Premières nations puis de l'Assemblée générale des chefs.

Étant donné les questions en cause, nous avons besoin d'une base statutaire. Nous recommandons donc aux Premières nations et aux contribuables d'adopter cette politique. Nous voulons être en mesure de collaborer avec eux pour élaborer des politiques solides fondées sur la justice et l'équité pour tous.

Le sénateur Pearson: Avez-vous déjà un protocole d'entente?

M. Jules: Non. Il y a environ 11 ans que nous nous intéressons à ce domaine de compétence. Au départ, nous faisions partie de la structure du ministère, mais nous en sommes maintenant séparés. En fait, nous avons nos bureaux sur la rue Elgin. Nous sommes séparés du ministère des Affaires indiennes. Nous avançons pas à pas, et l'étape suivante est de couper ces liens.

Le président: En tant que président de cet organisme, vous avez été nommé par le fédéral, et dans ces conditions, est-ce que le gouvernement fédéral vous dicte la façon dont l'argent peut être utilisé dans la communauté? Est-ce que la communauté est libre de déterminer la façon dont l'argent peut être utilisé selon ses propres priorités?

M. Jules: Je suis effectivement nommé par le gouvernement fédéral. Ce qui s'est passé, c'est que j'avais demandé la modification à la Loi sur les Indiens. Cette démarche a été reconnue par plusieurs ministres des Affaires indiennes qui se sont succédé, et également par plusieurs chefs nationaux. L'Assemblée des Premières nations était en faveur de ma nomination. Le ministre des Affaires indiennes, en consultation avec plusieurs chefs adjoints, a nommé d'autres membres dans le reste du Canada.

Les règlements relatifs aux dépenses sont approuvés par le ministre des Affaires indiennes, mais ne portent pas exclusivement sur les Premières nations.

Le président: Est-ce que les administrateurs ont le dernier mot?

M. Jules: En théorie, c'est le cas. Toutefois, rien ne les empêche de décider que l'argent doit servir à tel ou tel projet. Comme vous le savez, les taxes foncières servent à assurer des services, qu'il s'agisse de services d'incendie, d'entretien des routes, et cetera.

Je peux vous raconter un incident qui a beaucoup contribué à l'adoption d'une législation provinciale. J'avais demandé à un sous-ministre des Finances: «Quel genre de services le gouvernement provincial fournit-il à Kamloops en échange des taxes? Je ne vois aucun service.» Il m'a répondu: «Eh bien, Manny, je vais y réfléchir, je vous répondrai dans un mois». Un mois plus tard, il est revenu à Kamloops et je lui ai demandé: «Alors, quel genre de services fournissez-vous à Kamloops?» Il m'a répondu: «Nous fournissons un bon gouvernement».

Les règlements relatifs aux dépenses permettent de fournir un bon gouvernement. Il faut se demander ce que signifie un bon gouvernement pour les communautés des Premières nations. Très souvent, cela permet d'offrir à nos étudiants une meilleure éducation, une éducation qui leur ouvrira des portes. Un bon gouvernement, c'est une infrastructure qui permet d'offrir de meilleurs services à nos membres, qu'il s'agisse d'adduction d'eau, de meilleures routes, de meilleurs logements, ce qui profite à tous.

Le président: La cause des Nishgas a été réglée récemment. Je pense que les personnes visées par cet accord ont accepté de payer des impôts 10 ans après la ratification du texte. Qu'en pensez-vous? Croyez-vous qu'ils vont trop vite?

M. Jules: Voyez l'histoire de la Colombie-Britannique. Le premier poste de traite de fourrures a été bâti à Kamloops en 1811. Quatre-vingt-dix-neuf ans plus tard, sir Wilfrid Laurier y est allé, et les tribus alliées de l'intérieur de la Colombie-Britannique lui ont fait cadeau d'un souvenir. À cette époque, nous avons mentionné nos 100 ans d'histoire dans ma région. Nous avons fait état du fait que nous étions la seule autorité compétente dans ce que nous appelions «notre ranch». Dans ce texte, nous avons demandé au Canada de conclure des traités avec nous et de nous proposer un bon marché, «un marché honnête», disions-nous. Nous disions que ce n'était pas la faute des gens qui avaient acheté des terres de bonne foi; cependant, nous disons qu'il appartient à ces gens de dire à leurs gouvernements qu'il faut nous rendre justice.

Lorsque les premiers Français sont arrivés chez nous, il s'agissait de prêtres et de gens qui faisaient la traite de fourrures. Bien sûr, ils n'étaient pas nombreux, mais ils ont reconnu notre autorité sur notre territoire, alors que ceux qui sont venus après n'en ont pas fait autant.

Le processus de négociation des traités en Colombie-Britannique doit se poursuivre. Cela dit, cela a fait problème dans ma région parce que les six nations que l'on retrouve à l'intérieur de la Colombie-Britannique, la majorité d'entre elles, ont refusé de prendre part au processus de négociation des traités de la Colombie-Britannique. Ce qui illustre certaines faiblesses à l'intérieur du processus de négociation des traités.

L'une de ces faiblesses, c'est qu'il faut négocier individuellement, bande par bande. En Colombie-Britannique, on pourrait donc au bout du compte se retrouver avec 197 traités différents, ce qui n'est pas réaliste. Nous faisons valoir chez nous qu'il faut procéder nation par nation. Pour les Shuswap, cela veut dire que les 17 collectivités négocieraient avec le Canada. Dans la vallée de la Nass, c'était relativement facile parce que quatre collectivités nishgas ont pu négocier ensemble, et elles ont pu ainsi négocier un traité uniquement avec le gouvernement fédéral. Ce n'est que récemment que le gouvernement provincial s'est joint à la négociation. Il faut tenir compte des divers éléments politiques propres à la Colombie-Britannique lorsqu'on négocie un traité.

Au bout du compte, chacun devra négocier individuellement. On espère que les traités vont résoudre bon nombre des problèmes, mais il y a des cas où l'on ne règle rien parce qu'il y a des processus en place qui doivent être encadrés par des traités; il s'agit ici de compétences exclusives comme le bien-être des enfants, le système judiciaire, ce genre de choses. La santé est un autre exemple. Nous avons été exclus des discussions sur l'union sociale récemment, mais les provinces ont reçu plus d'un milliard de dollars de transferts fédéraux parce qu'elles comptent les Premières nations dans leurs calculs. Il y a donc plusieurs questions à régler.

Si vous voulez savoir ce que je pense des Nishgas, je dirais comme le sénateur Gill que les gens de la vallée de la Nass sont braves parce qu'ils ont eux-mêmes choisi leur propre voie.

Le président: Les autres ne seront pas d'accord avec cette voie.

M. Jules: Les Sechelts vont suivre. D'autres vont suivre aussi. Il y a plusieurs éléments qui sont liés au principe dit «d'équité» dans les politiques fédérales. Il faut régler la question de l'extinction des droits et la question des prêts. Encore là, c'est une raison pour laquelle ma collectivité s'est opposée. Elle ne veut pas avoir à emprunter de l'argent pour obtenir un règlement équitable. Si on prend une décision comme celle-là, il faut trouver ces fonds soi-même.

Le président: Merci. C'était un excellent exposé.

J'imagine que vous pourrez participer à la table ronde sur la régie où il sera question de l'aspect économique et de la fiscalité. Je pense que votre expérience, votre savoir et votre vision nous seront très utiles dans les discussions à ce niveau. Notre prochain témoin est un spécialiste de la question métisse, M. Martin Dunn.

M. Martin Dunn, consultant: Je tiens à vous remercier de m'avoir invité au comité. Normalement, lorsque je témoigne devant des groupes comme celui-ci, c'est à titre de représentant d'une organisation, habituellement la Ontario Métis Association ou le Congrès national des autochtones du Canada, qu'on appelle aujourd'hui le Congrès des peuples autochtones du Canada.

Aujourd'hui, je ne représente pas une organisation, et dans un sens, je ne représente que moi-même. Mais j'ai 20 ans d'expérience dans les dossiers que vous étudiez, et les idées que je veux vous proposer sont tout à fait celles des autochtones hors réserve. Cela comprend aussi des autochtones au sens du projet de loi C-31 et plusieurs Métis et Indiens non inscrits qui sont établis un peu partout au pays.

Au cours des 20 dernières années, j'ai assisté à des milliers de rencontres avec ces gens, littéralement, et j'ai entendu leurs préoccupations. Je vois ici plusieurs personnes qui ont pris part au processus CPM. Nous y avons tous beaucoup appris, c'est le moins qu'on puisse dire.

Mais ayant vécu ce processus, je n'ai toujours pas le sentiment que les «gouvernements» comprennent le problème des autochtones hors réserve. J'aimerais aujourd'hui vous communiquer quelques informations à ce sujet qui, je l'espère, vous seront utiles. D'habitude, je sème ou je brasse des cages, mais je peux peut-être faire les deux aujourd'hui.

Je vous ai remis la photocopie d'un livret intitulé: Access to Survival: A Perspective on Aboriginal Self-Government for the Constituency of the Native Council of Canada. Lorsque ce livret a été publié par l'Université Queen's en 1986, il a été bien dit qu'il n'exprimait pas la position officielle du Conseil national des autochtones du Canada. Il n'exprime pas non plus aujourd'hui la position officielle du Congrès des peuples autochtones du Canada. Cependant, ce livret vous donne une idée de la variété incroyable de gens et de circonstances dont il faut tenir compte dans le contexte des autochtones hors réserve.

Bien sûr, j'ai relu ce texte avant de venir ici, pour me rafraîchir la mémoire, et je dois vous avouer que j'ai trouvé ça un peu déprimant. Ce livret est encore d'actualité parce que la situation a si peu changé. Pour ce qui est des autochtones hors réserve, cette publication demeure pertinente, ce qui est un peu triste, sachant qu'elle date de 15 ans.

Il y a deux douzaines de livrets dans cette série, qui ont été écrits par diverses personnes à partir de diverses perspectives. Si vous le pouvez, vous devriez en discuter et les inclure dans vos références. Quand j'ai téléphoné à l'Université Queen's pour obtenir des copies de ce livret pour votre comité, on m'a dit qu'il n'en restait que cinq, on ne prévoit donc pas de nouvelles éditions.

Aujourd'hui, je vais m'en tenir largement au niveau des principes. Je m'interroge sur ces témoins qui parlent de fiscalité étant donné que nous sommes tellement loin de ça dans le contexte des autochtones hors réserve. Nous n'avons aucun accès à aucun de ces processus, et nous en sommes encore largement à l'étape de la planification.

Il conviendrait peut-être de remonter en arrière quelque peu. Il est tellement facile de s'enliser dans les détails qu'on risque d'oublier certains principes fondamentaux dont la compréhension est nécessaire à la négociation d'un rapport entre non-autochtones et autochtones. S'il y a une chose que j'ai apprise au cours des 20 dernières années, c'est qu'une seule personne ne peut parler au nom de tous les autochtones. Les situations des autochtones sont trop variées. Lorsque les colons ont investi le pays d'est en ouest, les événements ont pris des formes différentes à chaque vague.

Sauf ce que je viens de dire, mes propos d'aujourd'hui ne s'appliquent pas à tous les autochtones. C'est l'un des problèmes qui vous attend. Alors comment composer avec cette diversité? C'est ce que j'espère vous expliquer aujourd'hui.

À la Commission royale sur les peuples autochtones, j'ai posé une question que je n'ai toujours pas suffisamment entendu poser à l'occasion de rencontres publiques: «Les peuples autochtones sont-ils importants au Canada aujourd'hui comme peuples distincts»? Si vous ne pouvez pas répondre oui à cette question, alors chacun est aussi bien de rentrer chez soi. Il y a des gens ici qui ne peuvent pas répondre oui à cette question. Les pères de la Confédération ont dit non car ils les ont écartés tout à fait du processus. Les gouvernements fédéraux ont décidé que les peuples autochtones étaient des pupilles de l'État. Ils ont dit non. Le fondement même de la création du Canada était que les peuples autochtones allaient disparaître d'ici à l'an 1900.

Or, nous voici aujourd'hui en l'an 2000, peut-être plus vigoureux que nous l'étions en 1900 et nous prenons plus rapidement de l'expansion. À certains égards, nous sommes plus en mesure de compter avec les aléas de la politique non autochtone que par le passé. À cette époque-là, notre confiance était trop grande; aujourd'hui, nous avons appris.

Je ne vous demande pas de répondre à ces questions à haute voix; répondez en votre for intérieur. Si vous ne pouvez pas dire que les peuples autochtones sont un élément permanent du Canada, vous n'aurez rien d'utile à contribuer au débat. Si vous ne pouvez pas dire que les peuples autochtones ont des droits ancestraux et humains dans la société canadienne, il est peu probable que vous puissiez apporter quoi que ce soit de positif au débat.

Il y a une autre question qui est rarement posée: quelle est l'utilité de considérer les peuples autochtones comme une entité distincte au sein du corps politique canadien? Tout le monde dit que c'est un problème et que cela coûte cher, mais personne ne se demande si c'est précieux.

À la Conférence des premiers ministres, le seul gouvernement à la table qui parlait du potentiel des valeurs autochtones dans les gouvernements était celui des Territoires du Nord-Ouest. Les autres Canadiens se disent encore que les peuples autochtones vont être assimilés et disparaître de la carte politique et sociale du Canada. S'il y a encore des gens qui sont de cet avis, ils ne feront pas grand-chose pour nouer les liens dont nous discutons.

Allons plus loin. Avoir des ancêtres autochtones est-il important en soi? De toute évidence, ça l'est dans une réserve et dans une collectivité à majorité autochtone, mais est-ce que ça l'est à Toronto? À Ottawa? À Winnipeg? Il faut pouvoir répondre oui à cette question aussi, mais c'est une réponse qu'on entend rarement.

Certains disent que nous n'avons aucun espoir de créer quoi que ce soit qui aille plus loin que la structure politique actuelle car la volonté politique nécessaire fait défaut. La volonté politique faisait défaut à la Conférence des premiers ministres. Même si l'on en a trouvé un peu pour l'Entente de Charlottetown, les Canadiens avaient tellement hâte de se débarrasser de Mulroney qu'ils auraient refusé tout ce qu'on leur aurait présenté. C'est ainsi que les dispositions autochtones ont été englouties dans le sillage de la campagne anti-Mulroney, ce qui est bien dommage.

Je me demande si vous avez bien examiné l'Entente de Charlottetown. On y trouvait un grand nombre de choses dont je vais vous parler aujourd'hui.

Je voudrais maintenant parler du fossé qui sépare deux groupes de la population. Quand je suis venu à Ottawa pour la première fois, c'était pour travailler pour le Conseil national des autochtones du Canada, à l'occasion de la première Conférence des premiers ministres. Je pensais rester ici trois semaines et rentrer chez moi. Quinze ans ont passé et je suis encore ici.

Je suis entré dans un magasin rue Elgin pour examiner une pièce d'artisanat. L'étiquette disait «Fabriqué en Canada occupé». Cela m'a ouvert les yeux. Il y a des gens au pays qui sont honnêtement et sincèrement convaincus de vivre dans un pays occupé par des étrangers, tout comme la France occupe par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. C'est l'une des vues autochtones extrémistes avec lesquelles ces nouveaux rapports devront composer.

À l'autre bout se trouvent des gens comme beaucoup de membres de ma famille qui ne voient plus l'importance de l'ascendance. À toutes fins utiles, ils sont assimilés. Voilà donc l'éventail des positions auxquelles vous faites face.

J'ai toujours aimé la formule de Zebedee Nungaka: «Comment peut-on faire des dégâts constructifs au statu quo»? C'est impossible à moins de créer non seulement de nouveaux rapports mais aussi de nouveaux concepts de rapports entre les autochtones et les non-autochtones.

J'imagine que l'on essaie de jeter un pont entre deux communautés, mais il est impossible de le faire si on ignore où se trouve l'autre rive. J'imagine que la plupart des Canadiens ne savent pas du tout où se trouve l'autre côté. On ne peut pas construire un pont si l'on ne s'entend pas sur l'emplacement qu'il devrait occuper et cette entente n'existe pas encore pour les autochtones hors réserve. Il existe là où des gouvernements peuvent être formés, comme dans le cas du Nunavut et dans certaines réserves, qui ont pu agrandir leurs compétences et leurs pouvoirs. Toutefois, la majorité des peuples autochtones du Canada ne sont même pas inscrits aux termes de la Loi sur les Indiens. Tant et aussi longtemps que vous ne traitez qu'avec les Indiens inscrits, vous ne traitez qu'avec la minorité des autochtones du Canada.

Lors du dernier recensement, à peine plus d'un million de personnes se sont déclarées d'ascendance autochtone. D'après mes recherches, le véritable nombre est d'au moins 10 millions, peut-être même 12 ou 15, selon le nombre de Canadiens français qui reconnaissent leur ascendance autochtone. La plupart d'entre eux le sont, qu'ils l'admettent ou pas. Il y a une multitude de gens génétiquement reliés et génétiquement attachés à un sentiment d'«indigénitude» au pays.

C'est à titre de coordonnateur national du Conseil national des autochtones du Canada que j'ai participé à la Conférence des premiers ministres. Je n'ai pas été à la table souvent, sauf pour les rencontres des officiels, mais j'ai observé les entretiens entre les deux parties. Comme je suis Métis, je comprends les deux cultures. Les deux délégations employaient les mêmes mots, mais dans un sens différent et des mots différents pour désigner la même chose. Ils ne comprenaient pas leurs arguments respectifs et il n'est pas étonnant qu'ils se soient si peu entendus.

Puis j'ai vu quelque chose qui m'a surpris. La plupart des délégués du gouvernement se considéraient comme des descendants d'immigrants et ils en étaient fiers. Il y en a qui venaient à la table raconter comment leur grand-père était arrivé au pays avec deux dollars en poche.

De l'autre côté de la table, les gens disaient: «Nous sommes les enfants des populations autochtones du pays» et eux aussi étaient fiers. Ils essayaient d'exprimer ce concept à des enfants d'immigrants.

Mais comment définit-on un immigrant? C'est quelqu'un qui a quitté sa patrie pour s'installer ailleurs pour refaire sa vie. La dernière chose que ces gens-là veulent entendre c'est que le fait d'être autochtone est important, parce qu'ils ont déjà décidé par leur présence ici que ça ne l'est pas. Ceux qui ont été contraints de venir ici par la guerre ou autrement ont une plaie au coeur qu'ils ne veulent pas voir rouverte.

Les délégués du gouvernement ne voulaient pas entendre que le fait d'être autochtone était au coeur d'un mode de vie.

C'est à nous, autochtones, qu'il revient d'expliquer cela à ces immigrants. Si nous ne le faisons pas, nous allons tous être mis au rancart.

J'imagine que la question que vous étudiez, l'autonomie gouvernementale des autochtones, est le résultat de la Conférence des premiers ministres de 1985 et de 1987. C'était une entreprise trop ambitieuse. À la rencontre de 1983, on a à peine eu assez de temps pour prendre connaissance du programme des travaux. Il y avait une multitude de pages et de listes. Je ne me souviens plus qui de l'APN ou du gouvernement fédéral a dit que si nous nous occupions de l'autonomie gouvernementale, nous pourrions tout classer sous cette rubrique et laisser les gouvernements s'occuper de ces questions lorsqu'ils prendraient le relais. Tout le monde a trouvé que c'était une bonne idée, et ils se sont mis à discuter de l'autonomie gouvernementale dans le but de résoudre toutes les questions qui ne pouvaient pas l'être pendant les Conférences des premiers ministres. Il reste à voir si l'on a pris la bonne décision.

Une chose m'a vraiment rendu furieux. Si j'avais été un élu à cette Conférence des premiers ministres, j'aurais sauté de l'autre côté de la table et j'aurais frappé quelqu'un. Les représentants fédéraux ont demandé ce que c'était, l'autonomie gouvernementale autochtone. On a affaire ici à ceux qui mènent le pays et ils demandent ce qu'est l'autonomie gouvernementale. S'ils ne le savent pas, qu'est-ce qu'ils font là? Mais ils nous ont demandé de répondre à cette question du point de vue des autochtones.

Je dois dire que j'ai été déçu par la commission royale lorsqu'elle a décidé, pour faire face à l'avalanche de dossiers qui lui avaient été confiés, de les examiner du point de vue d'une négociation entre nations. Cela exclut les autochtones hors réserve, ceux qui n'ont pas de territoire, les non-inscrits, et cela me donne des frissons encore aujourd'hui. La formule de la négociation entre nations exclut tous ceux qui ne peuvent pas s'identifier d'office à cette nation, c'est-à-dire la majorité des autochtones du pays. Ils n'appartiennent pas encore à une nation. Ils ne peuvent pas se prévaloir du mécanisme de l'article 91.24, des revendications territoriales ou des traités parce qu'ils ont été exclus sur décision du gouvernement. Les revendications territoriales ne sont accessibles qu'aux bandes. Les gens du Sud disent que les traités ont tout couvert et que si vous n'êtes pas lié par traité, vous ne pouvez pas faire de revendications particulières. Les autochtones hors réserve ne peuvent toujours pas se prévaloir des mécanismes dont les autochtones dans les réserves, les Inuit et certains Métis à assise territoriale -- tant mieux pour eux -- profitent.

La formule de nation à nation m'a donné le frisson parce qu'elle peut comporter les mêmes restrictions que celles du régime précédent, c'est-à-dire que le gouvernement ne peut employer que certaines voies de communication. Il ne veut pas en créer d'autres. La dernière fois, c'était en 1971, lorsqu'il a accordé le financement de base à des organisations autochtones hors réserve, et il s'en est mordu les doigts. Il ne le refera pas, parce qu'il pensait que cela lui donnerait une poignée de Peaux-rouges fonctionnaires qui appliqueraient des programmes gouvernementaux aux communautés autochtones pour ne pas avoir à le faire. À la place, il s'est retrouvé avec un groupe de gens qui s'est arrangé pour représenter ces intérêts à la Conférence des premiers ministres face aux dirigeants non autochtones du pays. Trop peu de mérite est attribué aux organisations autochtones nationales pour cet exploit. Quoi qu'il en soit, les liens n'existent toujours pas.

On m'accuse d'être pessimiste. Dans mes rêves les plus échevelés, jamais je n'aurais imaginé la réaction du gouvernement fédéral au rapport de la commission royale. Après tout cet argent et tout ce travail, que dit le gouvernement fédéral? Si une soeur ne vous avait pas frappé ou si un prêtre ne vous avait pas peloté, on vous a dit de sortir. Les autres se sont fait dire de faire la queue pour obtenir leur part des 356 millions de dollars. Même dans mes pires cauchemars je n'imaginais pas que cela allait être sa réaction.

L'autonomie gouvernementale autochtone est une formule qui pourrait s'appliquer aux petites collectivités hors réserve où les autochtones forment la majorité. C'est une possibilité. L'autre formule qui me semble le plus applicable est celle dont il est question dans ce document. Il s'agit de la communauté d'intérêts, une façon de reconnaître diverses populations autochtones ayant une communauté d'intérêts pour un objet donné: l'autonomie gouvernementale, les revendications, les traités, tout ce qui intéresse les autochtones et les non-autochtones. Ce n'est pas quelque chose de nouveau au Canada puisque c'est courant dans les écoles catholiques. C'est une communauté d'intérêts distincte. La communauté juive, elle, a ses propres mécanismes fondés sur la communauté d'intérêts. La communauté d'intérêts est une formule réalisable dans la société canadienne qui ne cause pas beaucoup de dégâts constructifs au statu quo.

C'est la seule formule réaliste pour les autochtones hors réserve, à la condition de ne pas être une formule de deuxième ordre, comme c'est le cas dans l'esprit de la commission royale. Elle ne lui donne pas de compétence. Elle ne sert qu'à assurer des programmes et des services, ce qui peut effectivement être une de ses fonctions, mais je ne crois pas que la formule devrait être créée sur cette base. Il se peut que chaque communauté intéressée veuille négocier. C'est acceptable si c'est la communauté qui en fait le souhait et elle ne devrait pas en être empêchée.

Par exemple, les Métis des provinces des Prairies représentent une vaste communauté d'intérêts, si vous voulez les envisager de cette façon. Il n'y a aucune raison pour laquelle ils ne devraient pas avoir les mêmes liens juridictionnels avec les autres gouvernements qu'ont les gouvernements des Premières nations. Il y a des choses à examiner attentivement ici.

Il y a des blocages dans ces mécanismes. J'en ai parlé dans un exposé que j'ai fait récemment à l'Université Trent et j'ai été reçu très froidement. Je vais quand même en parler. Les gouvernements résistent beaucoup à cette idée, et comme tous les autochtones ici présents le savent, les gouvernements passent alors en mode de gestion de conflit. Le but est de vous vaincre, pas de trouver un terrain d'entente. Le but pour le gouvernement, c'est que cela lui coûte le moins cher possible et traîne le moins possible.

D'abord, le gouvernement nie que le problème existe. Ensuite, il ferme les yeux dessus, puis le contourne. Enfin, il le voit et l'analyse. Cela peut durer entre 10 et 15 ans. Il fait des consultations, crée des opposants et divise pour régner. Il peut éluder le problème en disant que c'était son idée, déclarer le problème réglé puis, s'il y a contestation, il peut revenir à la case départ et nier l'existence du problème.

La plupart de ceux qui ont mené le mouvement des autochtones hors réserve dans les années 60 sont aujourd'hui morts. Ils ont passé leur vie en gestion de conflit et c'est aux survivants de montrer que cela n'a pas été en vain.

La méthode de la gestion de conflit, c'est le contraire du terrain d'entente. Dans cette formule, on reconnaît le problème. Dans une certaine mesure, c'est ce qui a été fait dans le cas de l'autonomie gouvernementale. On se penche ensemble sur le problème et j'imagine que c'est ce qui se fait actuellement.

Il faut développer un consensus et des mécanismes de règlement. C'est très difficile à cause des variables en cause et je ne pense donc pas que c'est bien parti.

Confirmer la validité des mécanismes avec la population touchée demande beaucoup d'argent. Il faut des assemblées publiques pour en discuter. À mon avis, si l'on n'a pas essayé de faire revivre l'Entente de Charlottetown après qu'il a été répudié par la population, c'est que beaucoup de communautés autochtones ne comprenaient pas l'effet qu'il allait avoir sur elles. Elles étaient donc heureuses de le voir mourir parce qu'elles n'avaient pas à s'occuper de ce qu'il proposait.

J'imagine que ce que nous faisons ici c'est examiner les options de règlement.

Revoir et confirmer la solution proposée auprès des parties touchées. Je le répète: cela demande énormément de moyens.

Effectuer la mise en oeuvre ensemble et offrir des moyens de règlement de conflits acceptables aux deux parties, autochtones et non-autochtones. Il ne s'agit donc pas d'une démarche unilatérale.

Revoir périodiquement la mise en oeuvre. J'espère qu'on procédera ainsi, mais j'ai formulé le même voeu à chaque tentative précédente, et chaque fois cela a été l'échec. Il y a plusieurs raisons à cela: manque de volonté politique d'une part, non-reconnaissance des différences entre les deux parties. Tant qu'on ne les reconnaîtra pas, on ne pourra pas en tenir compte.

Quant à mes recommandations, il y a deux choses dont le pays a grandement besoin. Tout d'abord, la Couronne doit redorer son blason auprès des autochtones. Il a perdu de son lustre. De plus en plus de gens voient dans la Couronne un ennemi plutôt qu'un protecteur, un adversaire plutôt qu'un allié, et je le déplore. Je pense honnêtement qu'il n'est pas nécessaire qu'il en soit ainsi. Pour ce qui est des populations autochtones hors réserve, des Métis, du projet de loi C-31 et des Indiens non inscrits, il doit y avoir un mécanisme pour les mettre sur le même pied que les autres populations autochtones. Quand j'ai commencé à m'occuper du dossier au milieu des années 70, les Métis avaient proposé de le faire au moyen de l'article 91.24. De cette façon, les Métis auraient le lien fiduciaire avec le gouvernement fédéral que les autres populations autochtones ont.

Quand j'ai entendu cette proposition, je vous avoue que j'ai trouvé cela absurde. Je me suis demandé quels avantages cela avait procurés aux Indiens. Pourquoi voudraient-ils? Ils se sont fait royalement rouler par l'article 91.24. Pourquoi voudraient-ils remettre ça? Je me suis ravisé quand j'ai vu les procès et quand les Métis ont figuré dans la Constitution. J'étais déchiré parce que j'étais à ce moment-là dans une salle où il y avait une vingtaine de personnes et tout le monde pleurait. Nous pensions avoir gagné la guerre. Mais nous sommes en train de perdre la paix, de jour en jour. Nous n'avons rien gagné depuis.

À la conférence de Charlottetown, toutes les délégations, y compris le gouvernement fédéral, ont accepté de reconnaître les Métis à l'article 91.24. Je ne sais pas si vous l'avez noté, mais dans la réponse de Mme McLellan au rapport de la commission royale, elle a dit qu'elle ne voulait pas s'occuper des questions de juridiction pour le moment et qu'elle préférait créer des partenariats. Je me suis dit: «Elle vient de jeter par la fenêtre l'article 91.24.» Le temps dira si j'ai raison.

Pour créer ces conditions d'égalité, il faudrait reconnaître les Métis à l'article 91.24 et autoriser tous les autochtones hors réserve au sud du 60e parallèle à revendiquer les terres. Actuellement, seuls ceux qui appartiennent à des bandes peuvent le faire.

Là où c'est indiqué, il faudrait créer des droits issus de traités. Si vous voulez me poser des questions là-dessus, je serai intarissable.

Je ne sais pas s'il a été question de créer de nouvelles bandes. En vertu de la Loi sur les Indiens, cela est toujours possible. Les critères n'ont jamais été très clairs et si on les précisait, quantité d'autochtones hors réserve pourraient peut-être le faire.

Le président: Merci. Il y a un élément de votre exposé qui m'a frappé. Je ne sais pas si nous communiquons ou si nous nous comprenons de la même façon que par le passé. Vous avez dit que la négociation de nation à nation était exclue en partant, si je vous ai bien compris, parce que cela laisse trop de gens sur le carreau. Vous dites que ce n'est pas la solution. Pour moi, de nation à nation, cela signifie aussi de population à population. Si on incluait les autochtones hors réserve et ceux qui ne sont pas couverts par les traités, accepteriez-vous des négociations de nation à nation?

M. Dunn: Oui, mais je voudrais voir le texte. J'ai vu plusieurs documents où c'était promis, mais ce n'est pas ce qui est arrivé. Le texte dit qu'il s'applique à tous les autochtones, mais il ne vaut en fait que pour ceux qui sont visés par l'article 91.24, la Loi sur les Indiens, les revendications territoriales des Inuit au nord du 60e et les revendications particulières que seules les bandes peuvent faire. Si, par nation, on entend les autochtones hors réserve, je n'ai rien contre.

Le président: Très bien. D'autres sénateurs ont-ils des questions?

Le sénateur Adams: Merci, monsieur le président. J'ai une question à propos des problèmes de ceux qui vivent hors réserve. En cas de problème familial ou si vous avez besoin d'aide sociale, comment faites-vous en ville?

M. Dunn: D'après mon expérience personnelle, il faut des dirigeants locaux très forts. Si la population hors réserve est nombreuse, il est en général possible de trouver des fonds. C'est le cas du logement depuis des années. Il y a même un type au CNA qui a dit: «Au diable les revendications. Nous allons racheter nos terres une maison à la fois.» Il y a du vrai là-dedans, sauf que les maisons n'étaient pas côte à côte.

Quant à savoir si les services sont équitablement répartis entre les autochtones en réserve ou hors réserve, il est évident que ce n'est pas le cas. Si une communauté a la chance d'avoir de bons dirigeants, des sections assez nombreuses ou une bonne infrastructure, cela peut se faire. Oui, il est possible d'avoir droit aux programmes fédéraux. Mais dans l'ensemble il n'y a pas de mécanisme qui permet à ces individus de décider de leur structure sociale. Elle leur est imposée. Ou bien ils l'acceptent ou bien ils ne l'acceptent pas, mais ils ne participent pas à la prise de décisions.

C'est un autre grand fossé entre deux populations. Chez les non-autochtones, on pratique ce que j'appelle «au diable les 49». Obtenez l'appui de 51 p. 100 des gens et envoyez au diable les 49 p. 100 qui restent. Ça ne marche pas chez les autochtones parce que les 49 p. 100 qui restent vont se serrer les coudes et revenir vous tabasser. Ce genre de lutte pour le pouvoir nuit beaucoup au genre d'infrastructure que nous voulons bâtir.

Il doit y avoir un mécanisme qui permette de dégager un consensus. C'est ainsi que les décisions se prennent traditionnellement chez les autochtones.

Pour cela, il faut des dirigeants tout à fait différents. Celui qui sait mener par consensus peut avoir devant lui une vingtaine de personnes dans la salle qui lui demandent des choses différentes et chacun va repartir convaincu d'avoir obtenir ce qu'il voulait.

Beaucoup de dirigeants maîtrisent cet art, mais ils ne sont pas intéressés par les organisations où 51 p. 100 des membres envoient au diable les 49 p. 100 qui restent. Il faut que les organisations autochtones se restructurent.

Les premières organisations ont vu le jour parce que les autorités gouvernementales voulaient un interlocuteur reconnaissable. Elles devaient être constituées en vertu de la Loi sur les sociétés et avoir un président, un vice-président, un secrétaire et un trésorier. Autrement, vous ne receviez pas un sou. C'était aussi simple que ça. C'est ce que les gens ont fait.

Le sénateur Adams: Le ministère des Affaires indiennes ou le gouvernement, eux, ont une structure. Quels choix s'offrent à l'autochtone qui cherche un emploi? Si vous êtes Indien inscrit et habitez à la ville, il vous faut un emploi. Comment est-ce que cela marche? Vous n'êtes pas un immigrant à la recherche d'un emploi. Vous devriez être en tête de liste. Comment est-ce que ça marche?

M. Dunn: En fait, mon mentor, qui m'a amené à participer à ce processus dès 1963, me dirait d'observer l'Indien à son arrivée en ville. Lorsqu'il arrive d'une réserve, que fait-il avant toute autre chose? Il établit son territoire de piégeage. Il choisit les endroits où il pourra trouver ce dont il aura besoin. Une fois que vous connaissez le parcours tracé, vous pouvez le suivre à la minute près. Vous savez qu'il passera prendre son chèque ici et sa petite amie, là. Vous savez aussi qu'il ira prendre un verre ici et qu'il habite là. Il crée un territoire de piégeage.

Cela dépend donc de la chance que vous avez et de la proximité des ressources qui vous intéressent. Il faut une bonne infrastructure locale, des organisations communautaires solides et des dirigeants locaux dynamiques. Lorsque tout cela existe, le genre de recherche dont vous parlez n'est pas difficile. Toutefois, cela ne se trouve pas partout. D'après mon expérience, même si ça peut sembler étrange, dans les grandes villes, cela existe pour le noyau d'autochtones qui s'y trouvent, et cela se trouve aussi dans les petites localités, car les autochtones y sont plus visibles. Toutefois, on ne trouve pas ces ressources dans les villes de taille moyenne qui ne disposent pas des infrastructures des grandes villes dont il reste toujours quelque chose pour la communauté autochtone. Par contre, il est vrai que les autochtones ne représentent qu'une petite proportion de la population.

Le sénateur Adams: Des témoins précédents nous ont dit que 60 000 autochtones habitent Toronto. Avez-vous une idée de ce qu'est la population autochtone dans les autres villes?

M. Dunn: C'est presque autant à Montréal. Avant, je disais souvent que Montréal et Toronto étaient les deux plus grandes réserves du Canada, ce qui est vrai.

Le président: Il y a probablement davantage d'autochtones à Montréal.

M. Dunn: Si vous incluez les Métis, cela ne fait aucun doute.

Moi, j'estime que la question est de savoir l'importance que revêt l'ascendance autochtone au Canada. Si c'est important et qu'il faut l'appuyer, il faut mettre en place des mécanismes et des processus permettant aux gens de s'identifier comme autochtones. À l'heure actuelle, il n'existe rien de ce genre.

Le sénateur Adams: Si vous quittez votre réserve pour habiter en ville et que vous voulez ouvrir une entreprise, comment faites-vous? Comment traitez-vous avec la municipalité?

M. Dunn: Je ne connais que la situation de l'Ontario. Vous devez vous adresser à une certaine société d'aide aux entreprises. Si votre plan d'affaires lui plaît, vous pourrez obtenir des fonds par son entremise. Un tel processus existe aussi pour les Métis.

Il y a des mécanismes permettant de se prévaloir des services et programmes sociaux, mais rien de tel pour ce qui touche l'autonomie gouvernementale. On dit même que les organisations qui existent fermeront leurs portes d'ici deux ans.

Le sénateur Gill: L'appartenance au peuple indien est définie par le ministère des Affaires indiennes. Aimeriez-vous qu'on en fasse autant pour les Métis?

M. Dunn: C'est une question dont je pourrais vous parler longtemps, mais je sais que nous n'avons que peu de temps.

Je vous dirai le plus brièvement possible que, pour ma part, j'estime que toute tentative de définir ce qu'est un autochtone est vouée à l'échec, car les caractéristiques sont trop diverses.

On peut toutefois établir des critères d'admissibilité aux prestations. Ainsi, toute personne d'ascendance autochtone qui est disposée à s'identifier comme un Métis devrait pouvoir le faire sans restriction ou ingérence aucune. Mais si, s'étant identifiée comme Métis, cette personne réclame du Manitoba 160 acres de terre même si elle vient de Terre-Neuve, sous prétexte qu'elle est Métisse, ça ne fonctionnera pas. Il faut que les critères d'admissibilité aux prestations soient distincts des critères d'identité.

À la Conférence des premiers ministres, on s'est entendu sur trois éléments: l'ascendance autochtone, l'autodéclaration et l'acceptation par la collectivité. Ce dernier critère ne s'applique que lorsque celui qui se réclame des deux premiers critères tente d'en obtenir un avantage de la collectivité. Celle-ci peut alors s'y opposer et lui dire: «Vous ne faites pas partie de notre collectivité».

J'ai un site Web intitulé: «The Other Métis». L'autre jour, une femme très en colère m'a envoyé un message électronique. Un groupe de Métis du Labrador est allé en Alberta où il a mis la main sur tous les emplois du secteur pétrolier qui avaient été prévus pour les Métis de l'Alberta qui, eux, étaient furieux.

Il faudrait prévoir un mécanisme permettant aux Métis d'une localité où on leur réserve des emplois d'attester, non pas que ces gens du Labrador étaient des Métis ou non, mais bien s'ils étaient admissibles à cet avantage particulier accordé aux Métis.

Le président: Monsieur Dunn, je vous remercie de vos remarques. Nous en avons pris bonne note et nous recommuniquerons avec vous au sujet des questions où nous sommes d'avis que vous pourriez nous aider à trouver des solutions.

Notre prochain témoin est M. Sol Sanderson, président du Forum des Premières nations. Il est accompagné de M. Eddy Head et de M. Roy Head.

Vous avez la parole.

M. Sol Sanderson, président, Forum des Premières nations: Merci, honorables sénateurs, d'avoir bien voulu nous accueillir à si court préavis.

Je suis accompagné du chef Roy Head, de la Première nation Red Earth et du chef Eddy Head, de la Première nation crie James Smith.

Le chef Eddy Head, Nation crie James Smith, Forum des Premières nations: Mesdames et messieurs, nous sommes heureux de pouvoir assister ce soir à vos travaux.

Nous voulons vous faire part des enjeux dont nous devons traiter en matière de leadership avec nos membres. Au nom de nos membres, nous vous remercions sincèrement et respectueusement de nous donner cette occasion de nous adresser au Sénat sur tout ce qui touche nos vies.

Je vous décrirai notre façon de voir les choses. Nous espérons pouvoir dialoguer, mais nous espérons surtout que cela se fera dans le respect de notre longue histoire et de notre expérience des traités. Nous voulons discuter de votre motivation à ce moment où le gouvernement fédéral est à rassembler ses forces. Comment pouvons-nous faire? Nous avons quelques suggestions.

Je vous suis très reconnaissant de m'avoir invité à témoigner au sein de cette délégation et à observer les travaux du Sénat.

Le chef Roy Head, Première nation Red Earth, Forum des Premières nations: Honorrables sénateurs, Red Earth compte maintenant une population de 1 000 personnes et c'est un honneur pour moi que d'être ici ce soir en leur nom. Depuis un certain temps déjà, nous débattons de la question de savoir comment nous nous gouvernerons, de ce qu'est un gouvernement et de la façon dont il devrait fonctionner. Nous savons qu'il existe d'autres formes de gouvernement au Canada, mais ces régimes ne sont pas adaptés à la façon dont nous, les Indiens, faisons des affaires dans nos collectivités et gouvernons.

Au cours des cinq dernières années, nous avons élaboré des structures qui ont donné lieu à un gouvernement plus efficace au quotidien.

Notre groupe étant un groupe d'appartenance, nous tirons notre pouvoir, notre force et notre mandat de la population. Les membres, la base, constituent le fondement de notre structure gouvernementale. Ils nous donnent le mandat de traiter avec les autres peuples et gouvernements.

Nous en savons gré à nos membres et à nos aînés, qui sont de bon conseil. Les aînés participent à nos réunions, tout comme les jeunes. La nouvelle génération doit aussi participer au fonctionnement du gouvernement. Nous serons heureux de répondre à vos questions.

M. Sanderson: Nous vous avons remis plusieurs documents dont l'un traite du Forum sur le traité de souveraineté. Je vous renvoie à la page 25 de ce document.

Le président a parlé tout à l'heure des négociations qui ont mené aux modifications de la Constitution. Ce document décrit le cadre dans lequel nous souhaitions alors que s'inscrive le traité de souveraineté. Je trouve décourageant que les longs débats dans lesquels se sont engagés les peuples français et anglais du Canada ne fassent pas de place à un débat sur la souveraineté qui tiendrait compte des intérêts des Premières nations.

Nous aimerions discuter ici de la façon dont cela devrait fonctionner à notre avis. Dans ce document, nous traitons du cadre des traités et des droits inhérents, de la Proclamation royale de 1763 et de la Loi constitutionnelle de 1982. Ces documents contiennent une reconnaissance suffisante. Il n'est plus nécessaire de débattre d'une reconnaissance accrue des Indiens par les non-Indiens. Plutôt, nous craignons que le débat et la discussion sur la mise en oeuvre de cette reconnaissance ne nous mènent dans une impasse.

Nous voulons parler d'égalité. Deux formes d'égalité sont en jeu au Canada, mais nous ne voulons pas en parler. Tout d'abord, il y a la question de l'égalité et la définition des lois d'application générale à tous les Canadiens. Nous savons pourquoi les articles 25 et 35 sont là. C'est que le Canada voulait une loi spéciale pour mettre en oeuvre et appliquer les droits inhérents et issus de traités touchant la relation entre les Premières nations et le Canada. Par conséquent, lorsque nous parlons d'égalité, nous parlons de l'égalité des gouvernements, des lois et des tribunaux et de l'égalité en matière de compétence. Ces rubriques incluent les paliers de gouvernement des Premières nations, du fédéral et des provinces et l'égalité de ces gouvernements; les lois des Premières nations et les lois fédérales et provinciales; les champs de compétence des Premières nations, du fédéral et des provinces et les tribunaux des Premières nations, du fédéral et des provinces.

Il est facile de voir comment ces systèmes peuvent fonctionner: Nous n'avons qu'à regarder la situation actuelle. Les Français et les Anglais ont tenu compte des besoins de chacun en matière politique, ainsi que dans leurs institutions gouvernementales et dans leurs lois. Le Code civil français s'applique au Québec et la common law anglaise, au reste du Canada. Nous le savons.

Aux États-Unis, l'égalité des gouvernements, des champs de compétence, des tribunaux et des lois ne constituent pas un problème entre les gouvernements des tribus, des États et le fédéral. Cette égalité s'exerce en fonction de la souveraineté de chacun. On ne craint pas, chez nos voisins du sud, de parler de souveraineté.

La Première nation James Smith a créé son propre gouvernement indien il y a trente ans; elle a aussi assumé le contrôle de l'éducation il y a trente ans. À l'époque, les gens me disaient que je rêvais en couleurs, on me disait que j'étais fou. Beaucoup de mes collègues me disaient cela lorsque nous avons commencé à parler de la souveraineté des Premières nations au sein de nos propres organisations.

Je peux vous dire aujourd'hui que nous ne sommes pas fous. Tout le monde lutte; nous essayons de pour comprendre. Nous ne voulons plus de consultation ou d'étude. Nous voulons la mise en pratique. Je n'ai pas eu besoin de lire le rapport d'une commission royale d'enquête ayant coûté 60 millions de dollars pour savoir que j'avais des droits à la souveraineté, des droits issus de traités et des droits inhérents ou pour m'informer sur n'importe lequel des points qui figurent à votre ordre du jour aujourd'hui. D'autres avaient peut-être besoin de ces informations, mais pas nous.

Quoi qu'il en soit, c'est fait. Nous avons lu votre mandat, et nos travaux à l'heure actuelle correspondent précisément à ce qui vous intéresse.

À la page 23 du même document, vous trouverez une courte liste des droits inhérents. Il n'y a rien de mystérieux ou de magique aux droits inhérents. Ce sont les mêmes droits inhérents dont jouissent les autres sociétés et les autres cultures. C'est le droit à nos traditions, à nos coutumes, à nos valeurs, à nos pratiques, à notre culture, à notre langue, le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale, l'autodétermination, la citoyenneté et l'appartenance. Nous voulons être les seuls à contrôler ces droits. Nous voulons les contrôler et prendre ces décisions à titre de puissance. Dans cette liste figurent aussi la terre, les ressources, l'eau, la santé, l'éducation, le développement social, l'économie, la justice, le logement et l'air. C'est la courte liste de nos droits inhérents.

Au haut de la page figurent les nombreux accords et instruments en vigueur aujourd'hui qui touchent ces droits inhérents. Lorsque nous parlons de droits inhérents, nous parlons des droits qui nous ont été conférés par le Créateur. Nous sommes nés Cris et nous sommes nés avec ces droits inhérents. Nous nous les léguons d'une génération à l'autre. Personne ne nous accorde ces droits inhérents; ils sont à nous.

En ce qui concerne la reconnaissance des droits issus de traités, nous jugeons avoir droit à toute la gamme des droits inhérents. Vous pourriez parcourir la liste que je vous ai donnée et répertorier ce qui n'a pas fait l'objet de discussions. Nous n'avons pas réclamé de négociations sur tout. Pourtant, le ministère fédéral de la Justice est d'avis que le traité X a mis fin à tous les droits inhérents. N'est-ce pas ridicule? Si c'est l'attitude du ministère de la Justice, il vaudrait mieux le démanteler et recommencer à zéro.

Cette attitude doit changer et voilà pourquoi nous sommes ici. Nous estimons pouvoir encourager le changement en parlant de la mise en application des droits inhérents. Nous voulons exercer les droits inhérents de la nation crie. N'oubliez pas que les droits inhérents sont les droits d'une nation et non pas seulement les droits de la population. Il ne faut pas minimiser leur importance.

La validation de ces droits nous incombe. Nous pouvons parler à M. Chrétien, à M. Romanow et à tout autre leader du pays. Si nous n'assumons pas la responsabilité de valider et de mettre en oeuvre les droits inhérents, c'est notre problème. Nous sommes en train d'élaborer un système de mise en oeuvre des droits inhérents par secteur et par institution.

Nous parlons aussi d'un système budgétaire, et ça figure au grand tableau que nous vous avons distribué. Vous avez fait allusion aux relations financières. Le document le plus volumineux décrit la façon dont seraient établis les budgets des Premières nations pour l'exercice des droits inhérents et des droits issus de traités par secteur. Nous pouvons en reparler.

Mais lorsque nous parlons des droits inhérents à l'autonomie gouvernementale, nous parlons de notre forme de gouvernement. Nous parlons des droits inhérents et des pouvoirs de nos membres. Le chef Head a déjà fait mention des pouvoirs dont nous jouissons au niveau local.

Les pouvoirs du Parlement, ici à Ottawa, chambardent la situation. Ce sont les pouvoirs dont jouissent les collectivités au titre des droits inhérents. Ce sont les pouvoirs et les droits inhérents de nos membres collectivement, et non pas des chefs.

Dans le même document, vous trouverez, à l'avant-dernière page, une illustration de la structure de gouvernement que nous voulons implanter.

Au sujet des formes de gouvernement démocratique, nous avons examiné les formes traditionnelles de gouvernement telles que celles de l'Europe. Nous avons constaté que, en Europe et ailleurs dans le monde, les gouvernements sont en fait très peu démocratiques. Il y a des dictatures, des oligarchies et des monarchies, mais pas d'appareils démocratiques. Le Congrès américain a emprunté le concept de gouvernement démocratique à la Confédération iroquoise.

L'idée d'un gouvernement composé d'un pouvoir exécutif, d'un pouvoir judiciaire et d'un pouvoir législatif n'a rien de nouveau pour nous. Elle faisait partie de notre gouvernement traditionnel, car nous avions nos propres régimes de gouvernement au sein du système de clans et du système parentaliste. Nous les avons modifiés, mais nous avons conservé ces formes traditionnelles de gouvernement.

Les représentants au Conseil sont choisis par les familles. Ils n'ont pas pour fonction de verser de l'argent ou d'accorder des logements, ni de s'occuper de programmes et de services. Ils sont investis des pouvoirs de gouverner, dont certains figurent au bas de cette page. Les pouvoirs associés aux pouvoirs et aux droits inhérents de gouvernement sont les suivants: déterminer notre propre forme de gouvernement, décider de nos propres lois, déterminer notre propre forme de justice, déterminer notre appartenance et citoyenneté, et ainsi de suite.

Selon cette forme de gouvernement, les chefs des Premières nations doivent assurer une responsabilité politique. Nous ne demandons pas aux chefs des Premières nations de mettre en pratique la cession de pouvoirs préconisée par les provinces et le fédéral. Nous voulons qu'ils fassent part aux instances de nos préoccupations. Nous voulons qu'ils montrent l'exemple dans ce domaine et fassent respecter la compétence des Premières nations. Cette compétence ne saurait faire l'objet de négociations, comme le ministère des Affaires indiennes cherche à le faire pour le principe des droits inhérents à l'autonomie gouvernementale. La souveraineté est trop cruciale pour nous pour qu'on en discute. Elle n'a jamais fait l'objet de négociations, mais nous ne craignons pas d'en discuter. Nous exercerons notre compétence, et nous comptons que les gouvernements fédéral et provinciaux viennent discuter avec nous de diverses questions de compétence et autres.

Dans ce contexte, ce que nous voulons, c'est une stratégie pour les discussions politiques et les relations intergouvernementales.

S'agissant de relations politiques, êtes-vous disposé à parler d'égalité de gouvernement, d'égalité de compétence, d'égalité de droit et d'égalité des tribunaux? Sinon, vous perdrez beaucoup de temps à sauter d'une question à l'autre, et nous ne réglerons rien. Nous serons constamment devant les tribunaux, avec tout le gaspillage de temps et d'argent que cela suppose. Qu'on relève un peu le caractère du débat et de la discussion. Qu'on apporte une certaine dignité et un certain respect au processus, voilà tout ce que nous demandons, et nous vous traiterons de la même façon.

Les relations judiciaires, les relations politiques, les relations découlant de traités et la reconnaissance de sociétés distinctes -- vous faites déjà tout cela de toutes façons, alors pourquoi ne pas l'officialiser. Voilà ce qui est prévu dans nos traités, depuis le Traité 1 jusqu'au Traité 11.

Ce qui est mal compris, c'est que les Traités 1 à 11 ne sont pas des traités distincts. La Couronne considère les Traités 1 à 11 comme un seul grand traité entre le Canada et les Premières nations. Toutes les dispositions des Traités 1 à 11 se répercutent sur les relations économiques et les économies des Premières nations. Il ne s'agit pas d'accords distincts.

Prenons le cas de la santé. Quand nous parlons de garantir le droit aux services de santé garantis par traité, il ne s'agit pas seulement de la disposition expressément prévue à cet effet dans le Traité 6. Il s'agit aussi des dispositions sur le développement social qui sont énoncées dans les traités, notamment celle sur la pestilence et la famine. Pour tout ce qui touche à l'éducation et à la santé, nous nous reportons aux dispositions sur l'éducation qui sont contenues dans les traités.

On a une fausse idée de la façon dont les traités sont mis en oeuvre, mais la plupart des gens ne se donnent même pas la peine de lire le texte des traités ni de chercher à en comprendre l'esprit ou l'objet.

Quand nous parlons de mise en oeuvre donc, c'est que nous ne voulons plus perdre encore plus de temps en consultations. Tout le travail que nous avons fait, c'est nous qui l'avons payé. Nos objectifs ne concordent pas avec l'initiative d'autonomie gouvernementale des affaires indiennes, si bien qu'on refuse de nous financer. D'autres ont reçu des sommes allant jusqu'à 1,5 million de dollars par an pendant les sept dernières années. Ceux qui ont reçu cet argent n'ont toujours pas fait autant de travail que nous, mais nous voudrions aussi avoir accès à cet argent.

Nous vous demandons de cesser de donner de l'argent à la province de la Saskatchewan, car c'est de notre argent qu'il est question. J'y reviens dans un instant.

Nous envisageons des stratégies de mise en oeuvre sectorielles qui seraient concurrentes et communautaires. Nous voulons une stratégie qu'on mette en oeuvre nos droits inhérents en matière de compétence, nos droits issus de traités, et nous voulons progresser vers -- et c'est ce que nous faisons -- l'établissement de normes de programmes pour tous les secteurs qui relèveraient du droit et de la compétence des Premières nations.

Le cadre que je vous ai présenté prévoit une reconnaissance en ce sens. Les droits inhérents des Premières nations sont reconnus par traité, soit par la Proclamation royale de 1763. J'ai aidé le juge Dickson à reformuler le mandat de la commission royale, car je l'ai trouvé très sommaire quand je l'ai examiné. J'aurais voulu que la mise en oeuvre se fasse à un niveau bien plus élevé, mais c'est maintenant là chose du passé.

L'article 35 nous reconnaît des droits inhérents. Le paragraphe 25(2) reconnaît les droits inhérents par l'application de la Charte des droits et libertés. Il reconnaît les droits inhérents tant individuels que collectifs des membres des Premières nations.

L'article 35 consacre le statut légal des traités dans la Constitution, si bien que c'est une perte de temps que de nous dire qu'il faut retourner à la table et renégocier tout cela. Pour notre part, nous disons: «Nous sommes ici. Nous avons l'obligation de mettre sur pied notre régime de gouvernement. Nous avons l'obligation d'affirmer et d'exercer nos droits inhérents. Nous avons l'obligation de ratifier les dispositions des traités que nous avons conclue.» Nous sommes déjà en train de le faire, sans en avoir demandé la permission. Ces droits sont déjà consacrés. Les procédés laissent beaucoup à désirer. Vous pouvez toujours débattre de tout cela à ce niveau-là et chercher à négocier, mais je vous assure que les droits ne disparaîtront pas.

Nous parlons de relations financières. J'ai vu Preston Manning se défiler quand les agriculteurs des Prairies ont demandé une subvention importante. En vieux routier de la politique, je sais reconnaître celui qui cherche à s'esquiver. Je ne m'excuse pas non plus de faire cette remarque, car je le lui ai dit.

Nous parlons d'une économie des Premières nations, du financement du gouvernement des Premières nations. Je vous explique la situation qui existe à l'heure actuelle en Saskatchewan. Nous employons au niveau de la communauté ou de la bande 18 000 personnes, tant des Indiens que des non-Indiens. N'oubliez pas que nous demandons à ce que les bandes aient la compétence, le droit inhérent de gouverner. Il s'agit là des unités politiques des Premières nations: la nation crie, la nation Ojibway, et cetera. Ce sont les Premières nations qui sont les signataires légaux des traités. Nous avons 18 000 personnes qui travaillent pour nous et qui sont à l'emploi de la bande, du conseil tribal ou de la FSIN. Nous en avons 35 000 autres qui travaillent pour nous et qui sont à l'emploi de la province et du gouvernement fédéral. En tout, ils sont 58 000, et nous ne sommes que 110 000. Vous détenez d'ailleurs 15 000 des nôtres dans vos prisons. Il ne reste donc pas beaucoup de gens auxquels il faille trouver un emploi, mais écoutez bien: sur les 18 000 personnes employées directement par la bande, le conseil tribal et la FSIN, 10 000 travaillent dans le secteur de l'éducation. Pourquoi? Parce que nous avons pris des mesures en 1971, 1972 et 1973 pour que la gestion de l'éducation revienne aux Premières nations. Nous gérons maintenant des budgets d'éducation de plusieurs millions de dollars.

Il faut toutefois modifier le programme d'études. Nous avons toujours le même programme que nous avions dans le temps. Nous nous entendons maintenant pour que l'enseignement comprenne les droits inhérents, la dignité et le respect. Chacun de ces droits inhérents est assorti d'un devoir et d'une obligation. Ce sont nos obligations, individuelles et collectives. Nous pouvons parler tant et plus avec les non-Indiens, mais tant que nous n'aurons pas assumé nos obligations, nous ne ferons que nous leurrer. Nous pouvons vociférer contre les autres, mais nous devrons vociférer contre nous-mêmes si nous n'assumons pas nos responsabilités. Voilà ce dont il est question quand je parle de la responsabilité de nos membres.

Nous travaillons à rétablir le traditionnel filet de sécurité social. Voyons quelles ont été les politiques canadiennes qui se sont succédé avec les ans, avec les générations: la politique de détribalisation de 1830; le plan d'action sur 25 ans qui a été adopté en 1947 afin d'éliminer le problème des Indiens du Canada; le Livre blanc de 1969, qui a pour auteur le premier ministre actuel; le Saut des à bisons de 1980, de l'époque Mulroney; et récemment le rapport «Vers un ressourcement» et le partenariat. Où cela nous a-t-il conduit?

Qu'est-ce que Chrétien nous a dit? Il nous a dit: «Dans 25 ans, vous mettrez en oeuvre le livre blanc de 1969.» Que faisons-nous? Nous sommes en train de mettre en oeuvre tous les éléments du livre blanc de 1969 en dépit de tout cela. Vous comprenez?

Où les divers objectifs nous conduisent-ils? S'agissant de ces questions et des relations financières, s'agissant du nombre de personnes que nous employons, rien ne nous empêche de créer les mêmes possibilités d'emplois par secteurs en Saskatchewan sous un gouvernement des Premières Nations et sous la compétence des Premières nations. Dites-moi ce qui nous en empêche, mais ne venez pas me dire que c'est une question d'argent.

Savez-vous combien d'argent est réservé à l'heure pour les Indiens dans la seule province de la Saskatchewan? 2,5 milliards de dollars. À Prince Albert, nous avons plus de 400 jeunes en liberté surveillée qui sont ballottés entre les Services sociaux, la Justice et le Service correctionnel. Nous avons plus de 10 000 non-Indiens qui travaillent dans cette seule ville pour garder les nôtres en prison. La situation pourrait-elle être pire? Je ne le crois pas. Nous pourrions la changer, ce serait bien que ce soit l'inverse pendant une génération ou deux, mais vous savez que nous ne ferions pas cela.

Le fait est que, pour que nos stratégies concurrentes et communautaires puissent être mises en oeuvre, il faut que les fonds soient réaffectés et consolidés. Parlons-en pendant un moment. Le sénateur Adams posait des questions au sujet du rôle des Affaires indiennes. Vous rendez-vous compte que nous devons actuellement traiter avec 33 ministères et organismes fédéraux qui ont des fonds pour les Indiens? C'est un véritable cauchemar, sans même parler du cas du membre d'une bande qui cherche à avoir accès à des fonds, à des services ou à ce dont il a besoin. Qu'en est-il des dirigeants? C'est précisément pour cette raison que nous sommes ici pendant toute la semaine. Nous tentons de trouver un moyen de consolider tous les fonds. Nous avons tous à court d'argent au chapitre de l'enseignement post-secondaire. À l'heure actuelle, 13 ministères fédéraux reçoivent des fonds pour l'enseignement post-secondaire qui sont réservés aux Indiens. Pourtant, nous ne pouvons avoir accès à ces fonds que par l'entremise des Affaires indiennes.

Pour ce qui est de la façon d'organiser tout cela, nous envisageons de consolider ces revenus dans le cadre d'accords. Si c'est par secteur, oui, nous le ferons. Toutefois, comme l'indique la structure que nous vous avons montrée, nous parlons de responsabilité sur le plan de la politique, des programmes, des finances et de l'appartenance.

Le vérificateur général nous a informés, par l'intermédiaire de son personnel, qu'il n'est pas mandaté pour vérifier les comptes des Premières nations. Cela ne veut pas dire que nous voulons nous soustraire à une vérification. Nous sommes en train d'établir notre propre système de vérification et nous aurons un vérificateur en chef qui fera directement rapport à l'Assemblée des Premières nations et non pas à ses dirigeants.

Prenons la protection sociale des Premières nations, un autre montant d'argent que nous ne voyons pas, de 530 milliards de dollars. Là encore, le Parti réformiste et la coalition que ce parti finance dans les Prairies tentent de discréditer les dirigeants indiens sur le plan de la responsabilité financière. Les non-Indiens n'ont pas les moyens de financer ce genre de programme avec l'argent de leurs impôts. Ils ne peuvent pas débourser 530 milliards de dollars pour assumer les frais supplémentaires sur le plan de l'éducation, de la santé, du développement social ou de la sécurité du revenu. Nous disons que d'ici avril 1999, nous voulons que l'on établisse une protection sociale pour les Premières nations. Monsieur le président, vous n'avez pas ce document, mais nous allons vous le remettre.

Nous voulons mettre en place ce programme, y compris les ententes concernant l'assistance sociale. Nous avons préparé un avant-projet de réforme du soutien du revenu fondé sur les traités. Il y a 30 ans, chez nous, nous avions deux employés au niveau de la réserve lorsque je suis arrivé au bureau en tant que chef. J'ai pris les trois quarts du budget de l'assistance sociale pour fournir une subvention économique à tous les secteurs et j'ai ainsi créé 185 emplois en l'espace d'un mois et demi. Vos gens ont voulu porter des accusations contre moi en disant que j'avais agi illégalement, même si on nous avait dit que nous pouvions fournir des subventions économiques pour créer des emplois. Nous l'avons fait il y a 30 ans. Vous essayez maintenant de le faire aujourd'hui. Nous sommes experts dans ce domaine et nous savons comment procéder. Ce document explique comment nous pouvons aider les gens et les familles à quitter les rangs des assistés sociaux et comment nous pouvons leur faire une place dans la collectivité en leur donnant un chèque de paie plutôt qu'un chèque d'assistance sociale. Nous allons également vous laisser ce document.

D'autres organismes ont obtenu 2 millions de dollars, il y a deux ans, pour faire ce travail. En Saskatchewan, cette somme se chiffrait à un demi-million. Nous n'avons pas touché un sou, mais nous avons préparé un avant-projet. Nous sommes venus ici cette semaine pour essayer de trouver de l'argent afin de pouvoir finir ce travail et mettre ces initiatives en oeuvre.

Pour ce qui est de l'économie des Premières nations, nous ne pouvons pas continuer à parler uniquement des jeux. Soit dit en passant, le fait que nous ayons lancé cette initiative vous rapporte beaucoup d'argent aujourd'hui.

Vous n'osiez même pas ouvrir un casino. Nous l'avons fait. Nous n'avons pas demandé la permission, nous l'avons fait. Vous avez fait une descente de police et vous avez eu le culot d'établir votre propre casino et d'empocher tout l'argent. Pas tout à fait, nous avons quatre casinos que nous possédons et exploitons en Saskatchewan.

Pourquoi dressez-vous tous ces obstacles sur notre chemin? Nous avons été menacés devant les tribunaux et fait l'objet de tactiques de coercition. Nous sommes en 1999. Nous signons des accords commerciaux à l'échelle internationale. Avez-vous déjà lu l'ALÉNA? Vous rendez-vous compte que le Canada a réservé une clause spéciale portant que les autochtones ne peuvent pas se prévaloir de l'ALÉNA alors que toutes les dispositions de cet accord nous touchent? Le Canada se réserve également le droit d'aborder les questions autochtones au niveau international, à ses propres conditions.

Je signale en passant que l'ALÉNA n'est pas une chose négative pour nous étant donné que nous voulons mettre sur pied notre propre système de commerce international.

Nous avons rencontré les gens du ministère des Finances au sujet de l'impôt. Nous voulons négocier une convention fiscale pour l'octroi d'exemptions comme vous le faites vous-même au niveau fédéral, provincial ou municipal. Il y a des ententes économiques, des exemptions commerciales, des exemptions internationales, et cetera. C'est ce que prévoient nos traités. Nous sommes exemptés. Nous ne vous demandons rien. Nous sommes déjà exemptés.

Nous allons mettre sur pied un régime fiscal pour les Premières nations. Nous allons créer une économie des Premières nations qui inclura une loi sur les sociétés des Premières nations. Nous allons accréditer nos propres sociétés et les déclarer exemptées d'impôt si nous le désirons. Cela nous regarde. Nous ne demandons pas la permission aux provinces, au Sénat ou à M. Chrétien. Nous la demandons aux Indiens. C'est à eux que nous posons la question. C'est là que résident les droits et les pouvoirs et nulle part ailleurs.

Sur le plan financier, vous ne pouvez pas me dire que nous n'avons pas l'argent voulu. Le premier ministre, M. Romanow, obtient moins d'un milliard de dollars, mais il a calculé sa population en y incluant les Indiens. Le sénateur Berntson sait de quoi je parle. M. Romanow demande maintenant un redressement de 184 millions de dollars pour tenir compte de la croissance démographique. Lundi, nous avons rencontré les gens du ministère des Finances. Nous voulons que cet argent soit redirigé vers les Premières nations.

Aujourd'hui, les chefs siègent ici dans le cadre de réunions qui vont durer jusqu'à vendredi.

Vous rendez vous compte que les Affaires indiennes reçoivent les fonds du développement social pour les soins de santé des niveaux 1, 2, 3 et 4? Nous n'allons pas toucher un sou des paiements de transfert pour la santé qui seront faits à la Saskatchewan pour les soins de niveaux 3 et 4 et nous n'obtiendrons que quelques sous pour les soins de niveaux 1 et 2. Quand le sénateur Berntson était sous-ministre, il a fermé un tas d'hôpitaux et M. Romanow a fermé le reste.

Le sénateur Berntson: Nous les avons construits.

M. Sanderson: J'ai dit que je serais gentil. Je suis gentil avec vous; je vous ai associé au premier ministre Romanow.

Dans notre région, deux hôpitaux ont été fermés. On nous renvoie chez nous après une chirurgie d'un jour, et on renvoie à la maison des anciens qui ont besoin de soins de niveaux 3 et 4 alors qu'il n'y a rien pour eux. Il n'y a ni soins ni argent.

Je ne veux pas dire qu'il n'y a pas d'argent. Il y en a, mais nous n'y avons pas accès. C'est là un problème urgent et crucial pour nous. Nous n'avons pas de services de santé pour nos anciens. Il n'y a pas du tout d'argent pour les handicapés.

Vous avez pourtant beaucoup d'argent. N'allez pas me dire que vous n'en avez pas. Il faut trouver un moyen d'éliminer tous les intermédiaires et de le transférer directement aux Premières nations.

Nous avons mis sur pied un ministère des Finances et du Revenu des Premières nations. Nous travaillons actuellement à notre système budgétaire et à notre cycle financier des Premières nations. Nous sommes en 1999 et non pas en 1899. Nous n'avons toujours pas de budget des Premières nations. Vous trouvez normal d'établir un budget et de demander au Parlement d'affecter des crédits. Nous n'avons pas de budget des Premières nations fondé sur nos normes, nos besoins et nos droits.

Nous pouvons nous plaindre et nous inquiéter du sort des Indiens qui vivent hors réserve ou dans les réserves. Pour nous c'est la même chose: on ne tient pas compte de nos droits fondamentaux, de nos droits issus de traités ou de nos droits constitutionnels en ce qui concerne nos relations financières. Il va falloir régler ces questions.

Une bonne partie de l'argent dont je parle, des centaines de millions de dollars, sert à traiter les symptômes comme la drogue, l'alcool, le suicide et le décrochage scolaire. Je ne vais pas vous les énumérer tous. Vous les connaissez. Vous dépensez beaucoup d'argent pour vous attaquer à ces symptômes. Pourquoi ne pas consacrer cet argent à s'attaquer aux causes qui créent ce découragement?

Nous avons perdu tout contrôle sur le plan politique, spirituel, éducatif, sanitaire et social. Et cela continue. Nous disons simplement que nous pouvons prendre les choses en main, mais qu'il nous faut les ressources nécessaires.

Si vous avez besoin d'aide pour organiser quelque chose au sein de votre propre gouvernement -- et le sénateur Watt était là lorsque je l'ai fait valoir il y a des années -- vous pourriez vous reporter à la page 37 de notre rapport. Voilà comment nous voyons les traités, la proclamation royale et la loi constitutionnelle de 1982 se répercuter sur vos systèmes et vos institutions gouvernementales. Aucune d'elles n'échappe aux responsabilités que confèrent les articles 35 et 25 ainsi que les traités, que nous parlions de revenus, de finances, de justice ou du Parlement.

Nous disons qu'il faudrait un ministère d'État aux Premières nations qui ferait directement rapport au Bureau du premier ministre. Nous ne voulons pas que cette responsabilité soit confiée au 25e ministre du Cabinet ou à un simple député.

Nous voulons que la structure soit changée afin que le gouvernement fédéral ait la possibilité de s'attaquer aux problèmes dont nous parlons. Autrement, vous ne ferez que perpétuer l'état actuel des choses. On nous renvoie d'un organisme, d'une agence, d'un ministère à un autre. Il y a trois ministères ici, cinq là et six autres ailleurs. Cela ne finit jamais. Nous n'avons ni l'argent ni l'énergie ni le temps pour cela.

Si nous parlons d'une restructuration -- et je constate que votre mandat y fait allusion -- j'espère qu'il ne s'agit pas de structurer les gouvernements des Premières nations sans s'occuper en même temps de restructurer le Parlement et le gouvernement. Il faut se pencher sur les relations politiques, économiques, financières et internationales de même que sur les relations relatives aux traités.

Du côté des revendications territoriales, dans nos traités 1 à 11, un certain nombre de questions restent en suspens.

Comme d'autres, je me suis aperçu, il y a des années qu'il y avait eu une fraude manifeste en ce qui concerne les revendications territoriales dans les Prairies. J'ai dirigé une commission d'enquête qui a révélé que le sous-ministre de l'intérieur et le sous-ministre de l'Immigration avait constitué deux sociétés bidons à Omaha au Nebraska et à Council Bluffs, dans l'Iowa, par l'entremise d'un avocat de Toronto dénommé Bedford-Jones. Il a falsifié tous les documents. Il en a eu tellement assez de signer des noms fictifs qu'il a parfois signé son propre nom.

Nous avions, au sein de notre équipe, un ancien membre de la GRC qui avait dirigé le laboratoire judiciaire pendant 35 ans. Nous lui avons montré les documents qui se sont révélés des faux. Le gouvernement essaie maintenant de camoufler la situation en laissant entendre qu'il n'y a pas eu fraude. En tant qu'ancien policier, j'ai consacré cinq ans et demi à cette enquête. C'était une fraude pure et simple. Nous ne pouvons pas l'étaler au grand jour.

Nous allons demander à M. Chrétien de terminer le règlement et les négociations avant de quitter son poste. Environ 416 000 acres ont été volées dans le cadre de cette fraude en Saskatchewan. Cela touche 128 revendications territoriales au Manitoba, en Saskatchewan et en Alberta. Ces gars-là étaient très occupés.

Les gouvernements suivants ont préféré étouffer cette affaire. Nous voudrions qu'elle soit étalée au grand jour et réglée en dehors des revendications spécifiques. Si ces dernières sont trop limitatives pour ce qui est des exigences de la Loi sur les Indiens, nous voulons que l'on tienne compte des traités et que l'on règle ce cas de fraude. C'est une honte.

Nous n'avons pas fait toute la lumière sur cette affaire parce qu'elle est actuellement devant les tribunaux. Nous avons intenté une poursuite de 100 millions de dollars pour chacune des deux parcelles de terre visée. Le gouvernement a demandé que nous laissions cela en suspens en attendant un règlement négocié. À un moment donné, nous avons obtenu une validation, mais le lendemain cela ne tenait plus. Après quoi nous avons eu droit à une validation partielle, mais ensuite plus rien. On a perdu deux fois nos dossiers.

Le président: Depuis combien de temps cela dure-t-il?

M. Sanderson: Trente ans. Nous demandons simplement qu'on fasse quelque chose. Nous savons que le cours de la justice est lent, mais il n'est pas nécessaire que ce soit aussi lent. Je ne vois pas cela dans votre mandat, mais toute société et tout peuple qui veut avoir son propre gouvernement ont besoin de terres.

S'il existe des droits terriens en vertu de traité, cela signifie que les terres occupées avant le traité sont garanties. Si des Indiens, des Métis ou des non-Indiens étaient propriétaires de terres avant la signature d'un traité, ces terres continuent de leur appartenir. L'article 20 et l'article 70 de la Loi sur les Indiens de 1876 reconnaissent cela. Vous avez mis cette disposition en oeuvre pour les non-Indiens, mais vous avez oublié de la mettre en oeuvre en ce qui concerne les Indiens, en fait, les commissaires affectés aux Indiens sont venus faire des levés et ont inclus des terres occupées avant le traité dans la formule existante. Les traités prévoyaient 640 acres par famille de cinq pour l'agriculture et les autres réserves.

Soit dit en passant, les 640 acres pour l'agriculture ne peuvent servir qu'à l'agriculture. Vous êtes censés exclure les marécages et les plans d'eau, bien qu'ils puissent être inclus dans les limites de la réserve. Savez-vous pourquoi? C'est parce que la reine, dans sa grande générosité, a accordé à la compagnie de la Baie d'Hudson de vastes superficies de terres indiennes qu'il a fallu racheter pour les fins de la colonisation et pour créer des réserves. Les représentants de la reine ont dit qu'ils rachèteraient ces terres à un dollar l'acre, mais qu'ils n'incluaient pas les marécages ni les plans d'eau dans leur calcul. Aujourd'hui, un grand nombre de nos réserves sont occupées aux trois-quarts par des marécages et des plans d'eau. Ils ont encore droit à des terres pour des fins agricoles.

Dans d'autres réserves, par exemple, on garantissait par traité qu'il y aurait accès à l'hébergement. Comment? Je ne m'adresse pas au sénateur Watt et à certains des autres que je vois de ce côté-ci, mais à ceux de ce côté de la table, oui. Lorsque vous avez amené les colons, vous avez établi un système d'attribution des terres pour la colonisation. Ils ont défriché les terres pour qu'elles servent à l'agriculture et le gouvernement a adopté un principe selon lequel il pouvait choisir d'autres terres provenant des réserves, appelées concessions forestières, et devant servir à l'hébergement ainsi qu'à l'alimentation en combustible. Mais le gouvernement ne pouvait pas limiter l'opportunité de choisir des concessions forestières aux non-Indiens. On a exigé qu'il étende ces mesures aux Indiens. Par conséquent, nous n'avons jamais fini ce processus en Saskatchewan. Nous devons encore choisir tous ces boisés, et ils disparaissent vite.

Ce que nous disons, c'est que c'est une obligation légale; c'est une obligation fiduciaire issue d'un traité. Si le bois n'est plus là, nous nous attendons à recevoir une subvention au titre de l'hébergement.

Voici donc une brève leçon sur les traités, la souveraineté et les gouvernements, une brève leçon sur les droits inhérents et les relations financières. Nous savons qu'il s'agit d'une très grande tâche et que les difficultés sont considérables. Nous sommes prêts à travailler de concert avec vous.

M. Eddy Head: Je crois que vous comprenez le travail que nous avons effectué ces dernières années. Cela remonte aux directives que nous ont données nos aînés, nos membres. Comme vous pouvez le constater, nous avons fait beaucoup de travail à l'intérieur des bandes, nous avons effectué des entrevues nombreuses avec les aînés, et ce travail n'est pas oublié. Nous le présentons et nous aimerions avoir les résultats. Comme je l'ai dit plus tôt, nous devons en arriver au stade où l'on dit qu'il prend des forces. M. Sanderson a dit que nous en avions marre que l'on fasse des levés de terrain. Cette époque est révolue et le travail doit commencer. Une partie du travail que nous avons effectué et que nous vous remettons porte là-dessus. Nous sommes sérieux et nous voulons participer à l'élaboration du système qui régira nos membres.

Je vous suis très reconnaissant de m'avoir donné l'occasion de parler des sujets qui nous touchent en qualité de chefs. Cela dit, je répondrai avec plaisir à vos questions.

M. Roy Head: Je tiens à remercier le Sénat de nous avoir accordé ce temps ce soir. Le gouvernement a amené nos gens à coopérer et le gouvernement doit écouter la population. La population est le fondement de tout organisme, de tout gouvernement d'organisation. J'espère que vous écouterez ce que nous vous avons dit et que le gouvernement avec lequel nous traitons écoutera les gens de nos localités que nous représentons ainsi que les gens de partout au pays.

M. Sanderson: Il y a également une autre idée que nous souhaitons vous transmettre. Nous avons élaboré, sur dix ans, un programme de formation pour spécialistes des Premières nations en affaires gouvernementales. C'est un programme de formation en gestion du personnel cadre et en leadership en 16 modules, d'une durée de 52 semaines, qui présente à des jeunes les concepts des droits inhérents, des traités, des gouvernements de Premières nations, de la Constitution, des relations financières et cetera. Nous avons fait accréditer ce programme de formation par le Forum des Premières nations, par les autorités compétentes de chaque collectivité et par les instituts canadiens de formation. Le mythe, c'est que la province n'est pas accréditée pour les Indiens. Nous montrons que nous pouvons accorder une accréditation. Nous pouvons donner une validation. Les programmes de formation ne peuvent être validés et reconnus que par nous parce qu'ils sont élaborés à partir d'une idéologie des Premières nations, en se fondant sur les principes des Premières nations.

Dans nos classes, vous ne venez pas entendre parler de la Loi sur les Indiens. Vous y venez pour entendre parler des lois des Premières nations. Nous ne souhaitons même pas consacrer cinq minutes à la Loi sur les Indiens au cours de nos discussions de 52 semaines. Nous avons vécu avec cela tout au long de nos vies.

Les frais d'inscription au programme de formation sont de 15 500 $. Nous avons examiné les programmes de formation en gestion du personnel cadre offerts ici, à Carleton, ainsi qu'à Banff et à d'autres endroits. Il faut payer 14 000 $ pour cinq ou six semaines de formation en gestion supérieure. Notre formation à nous dure 52 semaines.

Nous souhaitons passer à une deuxième étape et approfondir chacun des modules de formation. Les chefs nous ont demandé de le faire. Nous avons accrédité chaque module séparément; ainsi, nous pouvons conformer les cours aux demandes de la collectivité. Certaines collectivités signeront un contrat portant sur cinq ou six modules à la fois, ou peut-être un seul module. Nous sommes également disponibles pour faire de la formation ici. Nous pouvons conclure des contrats avec certains d'entre vous. C'était mon annonce publicitaire de la soirée.

Le président: Cela est très intéressant et nous porte à réfléchir à certaines de nos discussions du passé en vous écoutant lorsque vous faites vos exposés. En ma qualité d'autochtone, je suis heureux que vous ayez souligné combien les modes de vie subissent l'effet quotidien de ces dispositions; j'ai jugé extrêmement nécessaire que cela soit dit. J'aurais aimé que nous ayons plus de temps pour parler des lois d'application générale qui tendent à influer sur nous de façon quotidienne, parce que les non-autochtones comprennent bien peu ce que cela signifie. Lorsqu'il faut répondre aux lois d'application générale, c'est vu comme une menace, non seulement de la part du gouvernement fédéral, mais également de la part du gouvernement provincial.

M. Sanderson: À ce sujet, je dirais qu'une des choses les plus positives qui se soit produite depuis 1982 c'est que nos propres gens s'efforcent de comprendre ce que sont leurs droits inhérents, mais que les non-Indiens le font également. Je pense que nous devrions en profiter. Cela ne peut donner que des résultats positifs.

Le président: Si l'on ne comprend pas sa propre culture, j'imagine qu'il est très difficile de formuler des recommandations positives. Cela m'amène à vos dernières observations, lorsque vous avez dit que vous commencez à éduquer les gens au sujet de nos peuples. Je me demande si nous ne pouvons pas également être admissibles à ce programme. J'imagine qu'il n'est pas uniquement limité aux autochtones. Il s'applique également aux non-autochtones, s'ils souhaitent être éduqués par les Premières nations.

M. Sanderson: Oui. Cela est disponible pour les non-Indiens. Nous commençons également à préparer un programme de formation pour enseignants. Il y a de nombreux enseignants du cycle secondaire, tant Indiens que non-Indiens, qui aimeraient bien pouvoir enseigner ces matières en classe, mais ils ne savent pas comment faire. Nous avons rencontré des représentants de la Saskatchewan, qui se sont dit intéressés à examiner la question. Un certain nombre d'enseignants indiens et non-indiens nous ont demandé si nous pouvons élaborer un programme de formation d'enseignants qui leur apprendrait comment dispenser de l'instruction sur ce dont nous parlons. Oui, nous voulons communiquer avec le grand public, pas seulement les Premières nations ou les autochtones.

Le président: J'ai besoin de précisions sur le droit d'accès aux terres en vertu des traités, en Saskatchewan. Je croyais qu'il existait déjà un processus. Que se passe-t-il donc?

M. Sanderson: Le droit à des terres en vertu des traités a été limité à 27 bandes, et il y a 74 bandes ainsi qu'environ 18 autres qui ont droit d'être des bandes au titre des traités, mais nous ne parvenons pas à franchir cette impasse. Nous avons des Indiens sans terres qui ont droit à des terres en vertu de traités signés, mais n'ont toujours pas de bandes. Ils ont perdu leurs réserves du fait de l'activité frauduleuse de certains fonctionnaires qui ont déclaré les réserves abandonnées et ont unilatéralement transféré les membres à d'autres bandes. Il existe différentes formes de problèmes fonciers. Le droit à une terre en vertu d'un traité est limité à 27 bandes. C'est le malentendu que les bureaucrates ont créé pour tirer de l'argent du gouvernement, et ils ont induit des dirigeants tant provinciaux que fédéraux en erreur en laissant entendre que le processus ouvrant droit à des terres en vertu des traités serait terminé une fois réglé le sort des 27 bandes. Ils ont dit que ce serait tout. Or, ce n'est pas tout. Cela ne représente qu'un tiers des bandes. Il faudra encore que l'on revienne sur les revendications territoriales qui ont été perdues.

Le président: Ils n'ont même pas de façon de traiter de ces situations-là?

M. Sanderson: Nous avons le processus des revendications particulières, mais les fonds disponibles sont limités. Le sénateur était vice-premier ministre en Saskatchewan lorsqu'ils ont eu le courage d'aller mettre en oeuvre les droits fonciers découlant des traités. Merci. Il reste beaucoup à faire.

Le sénateur Andreychuk: Je serai brève. Je ne vais pas passer en revue ce qui se passe en Saskatchewan parce que je peux obtenir ce genre de renseignements d'autres sources. Mais pour la gouverne des autres sénateurs, je crois qu'il est bon de signaler que la clé de tout cela est quelque chose que vous avez mentionné, c'est-à-dire l'éducation. Vous avez bien mis le doigt là-dessus. Cela vous a profité puisque vous pouvez faire ces choses vous-mêmes. Vous avez les ressources nécessaires pour le faire.

Vous avez dit être assez satisfaits des modalités qui existent aux États-Unis. Cela m'a étonné. Est-ce que je vous ai bien compris?

M. Sanderson: Je n'ai pas dit cela. J'ai dit que si on voulait se pencher sur l'égalité de gouvernement, l'égalité de compétence, l'égalité du droit et des tribunaux, c'est un exemple qu'on peut examiner. Cela ne me satisferait pas, non. J'irais plus loin si j'étais dirigeant autochtone.

Le sénateur Berntson: Vous avez dit que cela ne vous faisait pas peur.

M. Sanderson: Non.

Le sénateur Andreychuk: Êtes-vous en faveur de ce genre de modèle américain?

M. Sanderson: Il comporte un avantage en ce sens qu'ils se rendent à la table et traitent d'une question. Elle peut être résolue parce qu'il existe un respect réciproque sur le plan de la compétence, du droit et du gouvernement. Vous avez parlé d'une solution en se fondant sur les modalités juridiques ou de compétence, mais en l'adaptant par le biais de vos lois et compétence.

Le sénateur Andreychuk: Je n'ai pas étudié ce domaine, mais il me semble que les dirigeants autochtones aux États-Unis m'ont dit qu'ils n'étaient pas satisfaits des dispositions en place actuellement parce que les tribunaux de dernière instance ne leur donnent toujours pas raison, et ne règlent pas les différends.

M. Sanderson: Ils ont cessé d'exercer des pressions dans ce domaine lorsque cela s'est rendu devant les tribunaux. Ils ne sont pas allés jusqu'au niveau de la cour fédérale. Personnellement je ne m'arrêterais pas au niveau où eux se sont arrêtés, c'est-à-dire la cour tribale. Je passerai au niveau national pour essayer de trouver une solution. Si vous pouvez faire une place aux juges francophones et anglophones à la Cour suprême, pourquoi ne pouvez-vous pas faire une place à un Cri dans les cabinets des juges pour représenter le droit autochtone et la compétence des Premières nations? C'est un processus modifié. Il faut réfléchir sérieusement à ce sujet.

Le sénateur Andreychuk: Pourriez-vous nous expliquer un peu l'insatisfaction dont nous entendons parler de la part des autochtones en milieu urbain qui ne sont pas acceptés par leurs propres dirigeants dans les structures de bande? D'autres disent qu'il n'y a pas de différence. Quelle est votre opinion à ce sujet?

M. Eddy Head: C'est une bonne question. En tant que chef, je suis confronté à cette situation chez moi et il est très important que je sois très clair à ce sujet. Nos gens qui habitent hors réserve viennent voir les chefs pour solliciter leur aide lorsqu'ils se heurtent à des problèmes dans les villes, que ce soit des questions reliées aux loyers, à l'éducation, aux soins de santé ou à l'assistance publique. Dans ce contexte-là, en tant que dirigeants, nous avons les mains liées. Nous devons rejeter de telles requêtes parce que la formule que le gouvernement fédéral a imposée à toutes les bandes du Canada est fondée sur la réserve. C'est votre formule.

C'est ce dont nous parlons ici dans le système. Nous parlons du nombre total de membres. Si nous avons le droit d'avoir le nombre total de membres dans tous ces domaines, nous allons pouvoir nous occuper de façon adéquate de nos membres habitant dans les villes. Actuellement, nous ne pouvons pas le faire à cause des critères que vous avez imposés aux bandes, c'est-à-dire l'entente visant à obtenir un financement fondé sur le nombre de membres dans la réserve. J'ai plusieurs membres qui habitent à Saskatoon ou à Prince Albert qui viennent spécialement en septembre et en août à des fins éducatives, et cela nécessite des provisions et des médicaments s'ils utilisent notre clinique.

Si nous rétablissions les choses comme nous le suggérons, je pense que nous n'aurions plus cette inquiétude. C'est une grande préoccupation, mais c'est la formule que le gouvernement fédéral a mise en oeuvre pour les Premières nations. S'il nous permettait de compter le nombre total de membres, où qu'ils vivent avec leur famille, nous les reconnaîtrions comme membres de la bande. S'il y avait des élections chez nous, ils ne seraient pas éliminés à cause de leur résidence. Ils seraient reconnus comme étant de la réserve. On leur permettrait de voter et de participer. C'est une question très grave, mais on pourrait essayer de la résoudre.

M. Sanderson: En deux mots, il y a deux choses dont nous ne tenons pas compte: la Loi sur les Indiens et tout ce qui est considéré indien hors réserve ou dans les réserves. Quant à nous, ces gens font partie de notre communauté et de notre Première nation. Leurs droits inhérents et leurs droits découlant de traités les suivent là où ils habitent. Notre chef et notre conseil sont responsables de nos membres peu importe l'endroit où ils se trouvent.

Oui, le financement est restrictif. Nous sommes ici pour corriger cette situation. Nous voulons la régler. Nous voulons le nombre total des membres.

Monsieur le président, il existe de nouvelles lois au Canada. Vous vous souvenez sans doute que lors des débats constitutionnels, nous avons discuté de diverses façons de satisfaire les nombreux intérêts des autochtones partout au Canada. Nous avons proposé de nouvelles lois distinctes. Il existe maintenant une loi distincte pour mettre en oeuvre la Convention de la Baie James; cette loi s'intitule la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec. Vous venez d'adopter la Convention Inuit-Métis pour le Yukon. Vous allez peut-être bientôt adopter la Loi sur les Nishgas, dont vous serez saisis. Vous avez maintenant une loi sur le Nunavut pour les Inuits.

Nos traités existent depuis plus d'un siècle. Le gouvernement procède avec la première génération de délégation de pouvoirs telle qu'elle a été mise en oeuvre en 1947 et plus tard. Il s'agit du transfert de programmes et services aux provinces et municipalités. La deuxième génération vise à éliminer les obligations fiduciaires légales et financières pour les déléguer aux provinces et municipalités. Cela est également mis en oeuvre à l'heure actuelle.

Ce que nous voulons, c'est une loi fédérale qui établisse clairement la compétence fédérale en matière des obligations fiduciaires, financières et légales par secteur et qui établisse comment on entend, par le biais de vos lois et de votre compétence, respecter et mettre en oeuvre les droits inhérents et les droits découlant de traités. Nous voulons une loi complémentaire qui reconnaisse la compétence et le droit des Premières nations.

Nous ne vous demandons pas de légiférer notre propre gouvernement. C'est nous qui le ferons. Nous avons les pouvoirs pour le faire.

Cette notion d'un Indien hors réserve ou dans la réserve n'existe pas.

Le sénateur Andreychuk: Nous avons entendu ces commentaires de la part d'autres autochtones qui ont comparu devant notre comité; ils n'émanent pas du comité. Je voulais connaître votre point de vue.

D'après ce que je peux comprendre, ce comité a reçu pour mandat d'étudier les modèles d'autonomie gouvernementale qui pourraient fonctionner. Ai-je raison de dire, d'après tout ce que vous nous avez dit, que vous croyez que nous ne devrions pas vous offrir des modèles? C'est vous qui devriez offrir des modèles au gouvernement et vous revendiquez une table de représentants égaux pour définir et mettre au point ces modèles?

M. Sanderson: Nos droits inhérents et pouvoirs comprennent le pouvoir de déterminer notre propre forme de gouvernement. Nos gens doivent commencer à comprendre ce que comportent ces droits inhérents et pouvoirs pour la mise en oeuvre et la validation. Ce n'est pas à vous, des non-Indiens, de le faire pour nous. Vous pouvez nous faciliter les choses en assurant l'égalité de compétence, de droit, de gouvernement et des tribunaux. C'est la seule solution que nous pouvons voir.

Le sénateur Andreychuk: Nous avons également entendu des témoins affirmer que nous ne devrions pas négocier ou céder les droits inhérents aux autochtones par le biais des structures de direction existantes dans la communauté autochtone.

M. Sanderson: Nous entendons également des non-Indiens dire cela à propos de votre leadership et de vos gouvernements. C'est la même chose. C'est une réplique un peu brusque. Je m'en excuse.

Le sénateur Andreychuk: Cette réponse ne nous aide pas dans nos décisions. Dites-vous que ces structures sont légitimes? Certains autochtones prétendent qu'elles ont été imposées il y a un siècle par la collectivité non autochtone.

M. Sanderson: En effet, c'est encore plus récent. En 1975-1976, le gouvernement fédéral a choisi 30 bandes de façon très sélective, puis 60 bandes, et enfin 100 bandes afin de mettre en oeuvre le livre blanc de 1969 sur l'établissement de gouvernements locaux dans les collectivités. Ensuite, toutes les bandes étaient assujetties à sa forme de gouvernement local.

Comme je vous l'ai déjà dit, nous sommes actuellement en train de mettre en vigueur les dispositions du livre blanc de 1969. Nous sommes en train de mettre la dévolution en oeuvre. En vertu d'ententes sur les modalités de financement, comme elles ont été débattues par les chefs, nos chefs et nos conseils ont les mains liées et doivent mettre en oeuvre la délégation de pouvoirs comme le gouvernement le stipule dans sa politique. Par conséquent, nos chefs et nos conseils ont du mal à représenter nos autochtones comme il faut.

Oui, nos autochtones ont raison de dire que les dirigeants actuels posent des problèmes, mais nous pourrions changer de dirigeants tous les jours mais si nous ne changeons pas le système dans lequel ils doivent travailler, rien ne changera. Nous ne voulons plus mettre en oeuvre vos politiques, vos lois et vos domaines de compétences. Nous voulons les remplacer par nos lois, nos politiques, nos domaines de compétences et nous voulons faire respecter les droits de nos peuples.

Le sénateur Andreychuk: D'après certains, les fonctionnaires du ministère de la Justice et du ministère des Affaires indiennes et du Développement du Nord négocient depuis si longtemps que leurs attitudes ne changent pas et peut-être ne sont-ils pas les mieux placés pour s'occuper de ce dossier. On a proposé de confier au cabinet du premier ministre, ou peut-être à un ministère tout à fait différent, la solution de ces problèmes, indépendamment de l'application continue de la Loi sur les Indiens. De cette façon, on pourrait aboutir à des conclusions plus rapidement.

M. Sanderson: J'ai deux réponses. Tout d'abord, je suis d'accord avec vous pour dire que toutes négociations sur les relations gouvernementales et les relations politiques devraient émaner du cabinet du premier ministre et du Conseil privé.

Deuxièmement, nous proposons l'établissement d'une commission sur les traités, qui ferait partie d'une institution du Parlement, comme le Bureau du vérificateur général, qui aurait un budget à part et l'autonomie nécessaire pour faire rapport au Parlement sur la mise en oeuvre et l'application des traités. Le gouvernement devrait également fournir des fonds pour des bureaux d'application des traités dans chaque région assujettie à un traité. Cette instance aurait des commissaires dans chaque région qui veilleraient à l'application des traités et au respect des droits inhérents issus des traités.

Nous voyons une telle commission comme un mal nécessaire qui découle du processus, en raison de ce que vous avez mentionné. On ne peut pas avoir le ministère des Affaires indiennes et en même temps un commissaire aux traités qui relèverait du ministre des Affaires indiennes. Ce commissaire doit jouir d'une certaine autonomie. Le commissaire actuel devient de plus en plus frustré parce qu'il ne jouit pas d'un tel engagement ou d'un tel appui.

Le sénateur Gill: Vous risquez peut-être de vous répéter en répondant à cette question. Si vous étiez membre de comité sénatorial, seriez-vous prêt à formuler des recommandations à l'intention du gouvernement? Quel genre de recommandations feriez-vous suite à ces audiences?

M. Sanderson: En premier lieu, je recommanderais au gouvernement de porter toute la question à un palier supérieur et de régler la question de l'égalité du gouvernement, du droit, de la compétence et des tribunaux. Pour faire respecter les droits inhérents et les droits issus de traités, il faut établir cette égalité. Voyez-vous, c'est la seule façon de le faire.

Je suis en fonction depuis 25 ans, et je n'ai pas le droit de toucher une pension parce qu'il est interdit aux dirigeants indiens de toucher des pensions. Lundi, nous avons rencontré des fonctionnaires du ministre des Finances. Actuellement, certains dirigeants indiens reçoivent des réclamations de tierce partie parce qu'ils ont servi leurs collectivités en tant que membres de conseil ou comme chefs. L'employeur est obligé de prélever des cotisations d'assurance-emploi pour chaque journée de paie. Certains dirigeants ont touché des prestations d'assurance-emploi après avoir perdu les élections ou après avoir démissionné. Ensuite, les responsables de l'assurance-emploi ont décidé qu'il était illégal pour les anciens dirigeants de toucher des prestations d'assurance-emploi.

Nous voulons maintenant qu'on nous rembourse toutes les cotisations que nous avons payées. On a réclamé jusqu'à 20 000 $ de certains dirigeants. Quand nous avons envoyé nos contributions au régime de pensions en tant que dirigeants, on nous les a renvoyées nos sous. Les dirigeants indiens n'ont pas le droit de toucher des pensions ou de contribuer à des régimes de pensions. Vous les sénateurs, vous êtes chanceux.

Le président: Est-ce que cette politique émane du ministère des Affaires indiennes?

M. Sanderson: Nous ne savons pas. La politique est appliquée par le ministère, mais nous n'avons pas trouvé de loi qui l'établisse. Nous ne sommes simplement pas admissibles. Les gens comme moi, devons travailler pour gagner notre vie. Nous n'avons pas le privilège de toucher un chèque de pension.

Le président: Je suis un ancien dirigeant. Pourquoi est-ce que mon cas est différent du vôtre? Je ne comprends pas.

M. Sanderson: Si le filet de sécurité sociale pour les Premières nations est mis en place d'ici le 1er avril, ce que nous souhaitons, il n'y aura pas de problème. Les dirigeants indiens seraient admissibles dans ce système.

Le sénateur Berntson: Le témoin a répondu à toutes mes questions.

Le président: Merci de votre exposé. Nous espérons pouvoir travailler en étroite collaboration avec vous au moment de tirer nos conclusions et de faire nos constats. Nous sommes d'accord avec vous pour dire que le temps des enquêtes et des études est fini. Le comité souhaite trouver des solutions aux problèmes des autochtones partout au pays.

M. Sanderson: Nous sommes tout à fait disposés à collaborer avec vous.

Le président: Nous allons sans doute nous revoir et nous aurons l'occasion de débattre de ces questions plus à fond.

La séance est levée.


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