Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Peuples autochtones
Fascicule 25 - Témoignages du 13 avril 1999 (séance du matin)
OTTAWA, le mardi 13 avril 1999
Le comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 9 h 05, pour étudier la question de l'autonomie gouvernementale autochtone en vue d'en faire rapport.
Le sénateur Charlie Watt (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Honorables sénateurs, nos premiers témoins ce matin représentent l'Assembly of Manitoba Chiefs. Nous vous écoutons.
M. Rod Bushie, grand chef, Assembly of Manitoba Chiefs: Bonjour, honorables sénateurs.
L'Assembly of Manitoba Chiefs souhaite vous faire part aujourd'hui de notre réponse à la Commission royale sur les peuples autochtones et, plus particulièrement, nous souhaitons discuter de la négociation des titres et de la mise en oeuvre de l'autonomie gouvernementale autochtone. L'Assembly of Manitoba Chiefs affirme que longtemps avant l'arrivée des Européens, nous jouissions de l'autonomie gouvernementale, même si elle n'était pas établie de la même façon qu'elle l'est aujourd'hui, où l'on met davantage l'accent sur les ressources financières. Notre autonomie gouvernementale d'autrefois mettait l'accent sur quatre points: le partage, l'amour, le respect et l'honnêteté entre les tribus.
Au cours de notre exposé, nous allons nous concentrer sur l'Initiative de l'accord cadre signé en 1994. Nous espérons vous convaincre que l'accord cadre va plus loin que le démantèlement du MAINC et des autres structures gouvernementales qui ont des répercussions sur les Premières nations au Manitoba.
L'AMC est un organisme politique qui représente 62 Premières nations. L'AMC est chargée d'examiner les problèmes communs des Premières nations, de répondre à leurs besoins immédiats et d'examiner les questions qui se répercutent sur leur vie au jour le jour, comme celles du logement, des infrastructures, de la santé, du chômage et de l'éducation. Nous sommes également chargés de promouvoir et de protéger les droits que confèrent les traités aux Premières nations du Manitoba, et de renforcer et de restaurer les bases de nos traditions culturelles, de nos langues, de notre économie et de notre société.
Il importe que le renouvellement de la relation entre les Premières nations du Manitoba et le gouvernement fédéral -- la Couronne -- comprenne un processus permettant d'examiner les problèmes quotidiens auxquels doivent faire face les collectivités des Premières nations de même que l'objectif à long terme d'autonomie gouvernementale défini dans l'accord cadre.
Je donnerai aux autres chefs qui m'accompagnent l'occasion de vous parler plus particulièrement de l'initiative économique et du processus de l'IAC.
La commission royale et les autres commissions qui ont été créées par le gouvernement fédéral se sont penchées sur les problèmes auxquels, en tant que chef, je dois faire face tous les jours au sein de notre organisation des Premières nations. Nous avons dit à maintes reprises au gouvernement fédéral et aux gouvernements provinciaux que nous en avons assez de faire l'objet d'études menées par différents organismes, y compris les commissions royales. Il est temps d'agir et de donner suite aux recommandations formulées dans le rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones et les rapports présentés par les autres commissions. L'Assembly of Manitoba Chiefs invite les deux ordres de gouvernement à donner suite à ces recommandations.
Les conditions de vie des populations des Premières nations au Manitoba sont abominables. Chaque jour, les 62 Premières nations que je représente creusent des fosses pour enterrer leurs fils et leurs filles bien-aimés. Parallèlement aux initiatives économiques, nous mettons également l'accent sur un cercle en vue de remédier à la pénurie de logements. Vu la structure du cercle, lorsque vous vous concentrez sur un de ces segments, vous réglez de nombreux problèmes auxquels font face les communautés des Premières nations. En abordant le problème du logement, vous abordez également celui de l'éducation des jeunes et de la santé.
Dans notre arène politique -- c'est-à-dire dans les assemblées législatives des Premières nations ou au cours des conférences que nous organisons --, ce sont les solutions que nous examinons avec les gouvernements fédéral et provincial. Cependant, cela ne représente qu'une petite partie du problème, car l'accord que nous avons conclu au sujet de nos traités engage le gouvernement fédéral. Voilà où nos efforts ont porté. Je représente cinq tribus au Manitoba, à savoir les Dakotas, les Cris, les Oji-Cris, les Ojibwas et les Dénés. Ce sont les problèmes auxquels nous sommes confrontés chaque jour. Il faut donner suite aux recommandations. Il incombe au gouvernement fédéral de s'occuper des problèmes qu'éprouvent les communautés des Premières nations.
Lorsque les Européens sont arrivés sur nos terres et notre territoire, les quatre mots que j'ai mentionnés plus tôt constituaient le fondement de notre gouvernement. Nous croyons toujours dans le respect, l'honnêteté, l'amour et le partage. Ce sont des qualités que nous mettons en pratique chaque jour au sein des communautés des Premières nations. Je demande au comité de s'occuper des problèmes auxquels est confronté mon peuple dans ma province et mon territoire.
Je tiens à vous remercier du fond du coeur de m'avoir donné l'occasion de venir témoigner aujourd'hui. Avant de demander aux chefs qui m'accompagnent de faire leur exposé, j'aimerais vous parler du principal problème que nous éprouvons en ce moment au Manitoba, à savoir celui du financement.
Le public estime que nous recevons déjà suffisamment de fonds. Cependant, tous les programmes à l'intention des Premières nations sont sous-financés. En vertu des traités, le financement de ces programmes incombe au gouvernement fédéral. Je viens du territoire auquel s'appliquent les traités no 1 à 10. Il s'agit d'une immense responsabilité. D'autres sociétés nous dénigrent tous les jours à cause des ressources financières qui nous sont versées. Cependant, la Couronne fédérale doit beaucoup aux communautés de Premières nations.
Je remercie à nouveau le comité de m'avoir donné l'occasion de prendre la parole aujourd'hui. Je vais maintenant demander au coprésident de l'Initiative de l'accord cadre de faire son exposé.
M. Michael Lawrenchuk, chef, Première Nation Fox Lake du nord du Manitoba: J'aimerais également remercier le Sénat de me permettre de prendre la parole au nom des gens que je représente au Manitoba. Je suis coprésident de l'Initiative de l'accord cadre. Comme je l'ai dit au sénateur Watt, je ne suis chef que depuis un an. J'assume cette lourde responsabilité du mieux possible.
En ce qui concerne la Commission royale sur les peuples autochtones, la CRPA, nous sommes heureux de constater que le gouvernement du Canada a finalement reconnu que la relation entre les Premières nations et le gouvernement du Canada comportait de graves lacunes. C'est ce que nous affirmons depuis 100 ans. À preuve, les conditions de vie des Premières nations de même que la pauvreté et le taux de mortalité. Tous ces problèmes découlent de la politique d'isolement du Canada à l'égard des Premières nations. Il s'agit d'une politique d'isolement et d'incarcération. Les réserves sont en fait des prisons et les autochtones ne sont pas autorisés à en sortir. Les chefs et les conseillers en sont les gardiens. Nous faisons de notre mieux compte tenu des ressources limitées dont nous disposons pour assurer la survie de notre peuple. Cependant, nous échouons misérablement. Je crois que nous sommes les seuls chefs au Canada à pouvoir illustrer sur un graphique la vie des membres de notre collectivité depuis leur naissance et prédire que: «à partir de tel jour après leur naissance, ils vont commencer à éprouver des problèmes, et lorsqu'ils auront atteint un certain âge, ils vont probablement se suicider». Ce sont des événements dont nos chefs sont témoins tous les jours. Le processus comporte des lacunes fondamentales.
Lorsque nous l'avons rencontrée la semaine dernière, la ministre Stewart nous a parlé de moyens inventifs de régler nos problèmes. À moins de dépenser de façon inventive des sommes énormes, nous ne pourrons pas nous en sortir. Nous avons besoin de sommes considérables pour corriger un siècle de sous-financement. Nous devons construire des milliers de maisons pour rattraper le retard. Nous devons élargir les frontières de nos réserves afin que nous puissions exploiter les ressources dont nous profitions auparavant et dont nous dépendions pour notre autonomie gouvernementale et notre autosuffisance.
Nous devrons également examiner la relation fondamentale entre les Premières nations signataires de traités et le gouvernement fédéral. Lorsque nous avons signé des traités, nous l'avons fait en croyant que nous pourrions toujours avoir accès aux ressources nécessaires à notre survie. Cette définition a toujours été interprétée de façon large par nous mais de façon très restreinte par le Canada. Le Canada nous a toujours dit: «Vos droits issus des traités concernent le piégeage, la chasse et la pêche.» À l'époque, notre survie dépendait de ces activités. Aujourd'hui, nous devons y ajouter la sylviculture, l'exploitation des mines et des autres ressources qui nous appartiennent. Ni le gouvernement provincial, ni le gouvernement fédéral ne nous autorise à exercer nos activités à l'extérieur des réserves. Ce carcan doit être levé.
Pour notre part, nous croyons que l'Initiative de l'accord-cadre propose de nouvelles façons de faire. L'initiative a été lancée en 1994 par mon prédécesseur et le prédécesseur de notre grand chef, notre chef national, M. Phil Lafontaine. Elle est fondée sur trois principes ou objectifs de base: rétablir la compétence des premiers gouvernements; instaurer et reconnaître les gouvernements des Premières nations au Manitoba et les habiliter à exercer les pouvoirs nécessaires afin qu'ils puissent répondre aux besoins de la population des Premières nations; et abolir le ministère.
Depuis quelques années, nous menons des consultations communautaires. Dans leur grande sagesse, nos prédécesseurs ont déterminé que le meilleur moyen de créer un gouvernement était de commencer par la base, et je ne parle pas simplement au sens figuré. Je crois comprendre que les gouvernements occidentaux sont fondés sur des principes démocratiques, et il en est ainsi au Canada de même que chez notre voisin du Sud dont la Constitution affirme: «We the people [...] for the people». Cependant, ce n'est pas tout à fait vrai, ni aux États-Unis, ni au Canada. Les gouvernements sont formés de l'élite, de gens riches, et il ne faut donc pas s'étonner que les riches s'enrichissent.
Les Premières nations, en vertu de l'IAC, sont habilitées à former un gouvernement à partir de la base. Jusqu'à présent, les coûts se sont élevés à 27 millions de dollars. Le gouvernement fédéral a fait l'objet de nombreuses pressions pour rendre compte de ces 27 millions de dollars, mais selon moi, il n'y a rien de plus noble que de dépenser 27 millions de dollars pour jeter les bases d'un nouveau gouvernement. Lorsque ce processus sera terminé, nous pourrons dire sincèrement que nous avons un gouvernement du peuple, pour le peuple et par le peuple. Je suis persuadé que lorsque nous aurons achevé notre modèle de gouvernement, il sera adopté, à l'instar du modèle de gouvernement des Mohawks qui a été adopté il y a de nombreuses années.
Ce processus s'échelonnera sur 10 ans. Nous venons de terminer un examen triennal pendant la quatrième et la cinquième année. Nous venons de tenir sur l'Initiative de l'accord cadre une assemblée de tous les chefs du Manitoba. Nous appuyons sans réserve le processus établit dans l'Initiative de l'accord cadre afin que nous puissions retourner à la table de négociation et demander qu'ils prennent des engagements fermes conformément à la CRPA. Nous espérons que les honorables sénateurs exhorteront le Canada à respecter ses engagements de sorte que nous puissions retourner à la table de négociation et passer à l'étape suivante de l'Initiative de l'accord cadre. Merci.
Le chef Harvey Nepinak, coprésident, développement économique, Assembly of Manitoba Chiefs: Je suis de la Première nation de Waterhen et je suis membre du comité exécutif de l'Assembly of Manitoba Chiefs. Je suis aussi président du Comité économique des chefs de notre assemblée.
Je remercie le comité de nous entendre ce matin. J'aimerais poser deux questions au comité du Sénat, mais je commencerai par décrire la situation que je connais le mieux, c'est-à-dire celle de ma communauté au Manitoba. Nous sommes frustrés dans les tentatives que nous avons faites pour établir une structure économique propice à l'autonomie gouvernementale. Premièrement, notre assise territoriale est très restreinte. Notre communauté dispose de 4 600 acres. Deuxièmement, notre communauté compte 996 personnes, dont environ 600 qui habitent dans la réserve.
Les politiques foncières actuelles du gouvernement fédéral et du gouvernement du Manitoba doivent changer. Les communautés avoisinantes, par exemple, sont situées dans un canton d'environ 36 milles carrés. Dans ce canton, une famille peut posséder, par exemple, deux parcelles de terre. Elle peut avoir de la difficulté à générer un revenu suffisant de l'agriculture et de l'élevage. À titre de comparaison, 50 p. 100 des 4 600 acres dont nous disposons sont constituées de marécages et de terres incultivables. Nous avons 2 200 acres pour les 600 personnes qui habitent dans la réserve, dans 105 maisons. Il est presque impossible de créer une initiative économique ou d'autonomie gouvernementale dans notre communauté. Cette assise territoriale fait défaut dans la plupart des Premières nations.
Le gouvernement avec qui nous partageons la terre, à savoir le gouvernement du Manitoba, exerce un monopole sur l'agriculture, la sylviculture et la pêche. Nous devons collaborer avec le gouvernement et partager efficacement les ressources afin que nos communautés soient davantage viables. Le gouvernement et les ministères ont beaucoup de difficulté à comprendre le point de vue des Premières nations au sujet des terres et des ressources. Le Canada doit lancer une grande initiative afin que les communautés des Premières nations comme la nôtre puissent avoir accès aux ressources et aux terres dont elles jouissaient auparavant. C'est le problème le plus grave que nous éprouvons dans la réserve. Il est presque impossible de créer un plan d'infrastructure adéquat sans disposer d'une assise territoriale pour l'autonomie gouvernementale.
En terminant, j'aimerais poser deux questions aux membres du comité. Les Premières nations se servent de tous les forums et saisissent chaque occasion pour protéger les traités, faire connaître leurs préoccupations et sensibiliser les gouvernements. Comment cette étude spéciale sur la fonction gouvernementale autochtone va-t-elle aider les Premières nations et contribuer à la mise en oeuvre de l'autonomie gouvernementale?
Ma deuxième question a trait au fait que les Premières nations continuent de faire l'objet d'études. Ces études seront maintenant restreintes. Quel est le plan d'action et où ce rapport nous mènera-t-il?
Voilà mes questions, monsieur le président. Encore une fois, au nom du grand chef et de mes homologues, je remercie le comité de nous avoir permis de témoigner.
Le président: Merci de votre exposé. Nous allons maintenant amorcer la périodes des questions.
Le sénateur St. Germain: Merci, messieurs, d'avoir témoigné devant le comité ce matin.
Chef, vous avez parlé des riches qui s'enrichissent et du fait que nous sommes censés avoir un gouvernement du peuple, pour le peuple et par le peuple. J'ai siégé à la plupart de ces audiences et j'ignore exactement ce que cette étude va permettre de réaliser, comment nos conclusions devraient être mises en oeuvre, ou quel sera le plan d'action. Peut-être que d'autres personnes plus éclairées ici présentes pourraient répondre à cette question. Le juge en chef Lamer de la Cour suprême a dit que nous étions tous ici pour y rester, et cela, peu importe les injustices qui ont pu se produire.
Ma question porte sur une ressource, c'est-à-dire le savoir. J'aimerais connaître votre opinion sur son importance. Vous avez déclaré que 600 personnes habitaient dans une réserve de 4 600 acres, constituées à moitié de marécages. Vous avez dit qu'il était quasi impossible d'assurer la viabilité économique de votre collectivité à moins d'étendre l'assise territoriale. Quelle importance accordez-vous au savoir?
Bon nombre de réserves ne disposent pas de ressources forestières ou minières. Que se produira-t-il si vous étendez l'assise territoriale? Vous aurez peut-être quelques rats musqués de plus à piéger. Vous allez peut-être accroître votre capacité de vivre de la terre, cependant, cela ne contribuera pas à améliorer vos connaissances ni le niveau de scolarisation de vos 600 concitoyens.
D'après mon expérience, si les riches s'enrichissent, c'est notamment parce que la majorité d'entre eux sont bien instruits. Certains s'enrichissent à l'ancienne, en héritant de leurs parents, mais de nombreux autres s'enrichissent grâce à leur savoir.
Pouvez-vous me donner votre opinion, du point de vue autochtone?
M. Lawrenchuck: Je suis aussi en faveur du savoir. Je crois que la poursuite du savoir et de l'éducation constitue une des pierres d'assise sur laquelle nous pouvons édifier un monde meilleur pour les Premières nations, et toute la population. Je conviens avec vous, sénateur, que le savoir est l'un des outils ou l'une des ressources que nous pouvons utiliser pour assurer notre prospérité.
Cependant, dans les réserves, nous sommes confrontés à une politique d'isolement, et je souligne qu'il s'agit d'une «politique» qui nous confine dans les réserves. Je peux vous citer l'exemple de ma Première nation, que je connais le mieux. Rien ne nous incite à enrichir nos connaissances. Trois barrages hydroélectriques sont situés sur mon territoire traditionnel. À cause de ces barrages, mon territoire traditionnel est recouvert de 100 pieds d'eau. Ils sont arrivés comme l'armée romaine. Le gouvernement local a saisi toutes les terres, avec le concours de la province du Manitoba, et selon nous avec l'aide du Canada.
Notre peuple, qui occupait ce territoire depuis des milliers d'années, qui a toujours employé ses connaissances ancestrales pour vivre de la terre, pour échanger avec les autres peuples, était et se trouve dans une situation où ses ressources lui ont été enlevées, et aucune autre ressource ne lui a été proposée en échange. On compte probablement, au bas mot, 400 employés de Manitoba Hydro dans la municipalité de Gillam. Ils sont tous d'ailleurs. Seulement quatre ou cinq membres de notre réserve y travaillent. Rien ne nous incite à fréquenter l'école et à enrichir nos connaissances. Si nous voulons insister pour que nos enfants finissent leurs études, nous devons pouvoir leur offrir des débouchés, et c'est pourquoi nous réclamons des ressources et le droit d'exploiter la terre. Tout ce que nous voulons, c'est de partager la terre comme nous avons toujours voulu le faire.
Les politiques et les restrictions qui s'appliquent aux Premières nations -- et je suis désolé de devoir vous contredire, sénateur St. Germain -- constituent d'importants obstacles à leur prospérité. La situation dans ma Première nation n'est guère meilleure que dans celles qui sont isolées. Le chef qui m'accompagne vient d'une Première nation où les conditions de vie y sont parmi les pires sur la Terre. Chaque jour, chaque semaine, des jeunes se suicident, accablés par le désespoir. Ils ne ressentent pas le besoin d'acquérir des connaissances à cause de la politique d'isolement.
Le sénateur St. Germain: Vous n'avez pas à vous excuser. Je suis ici pour apprendre. Je ne suis pas sûr si on nous critique. Je suis ici pour que vous me disiez comment nous pouvons formuler une recommandation susceptible d'améliorer votre sort. Je peux vous assurer que je pourrais m'adonner à d'autres activités qui m'intéressent tout autant que de siéger à ce comité, mais j'ai accepté cette responsabilité. Vous n'avez pas à vous excuser de critiquer mes suppositions, car elles pourraient bien être fausses, et elles le sont probablement. À moins d'avoir vécu dans ces réserves, ou de se mettre à votre place, on ne peut vraiment comprendre.
Je peux comprendre la politique d'isolement dont vous avez parlé, mais je crois que nous mesurons la qualité de vie à l'aune du style de vie soi-disant européen qui entoure les autochtones. Un des facteurs de réussite dans la société nord-américaine, c'est la mobilité. Je suis né et j'ai été élevé pas loin de Portage la Prairie, au Manitoba, dans une famille métisse. J'ai poursuivi des études. Cependant, j'ai dû me rendre à l'évidence qu'il n'y avait aucun débouché là où j'habitais. Par conséquent, je me suis enrôlé dans l'armée et j'ai acquis une certaine mobilité. Et aujourd'hui, je suis un sénateur de Colombie-Britannique.
Comment le principe de la mobilité s'inscrit-il dans votre processus de réflexion? S'il y a 400 employés de Manitoba Hydro à Gillam, il est incroyable que seulement quatre autochtones y travaillent. Nous pourrions éduquer la vaste majorité des membres de votre bande et lui permettre d'acquérir de vastes connaissances. Je parle d'une éducation formelle, et pas nécessairement de l'éducation qui est si importante pour les autochtones du point de vue de l'éducation autochtone. Êtes-vous d'avis que la mobilité constitue une option?
M. Lawrenchuk: J'estime que la mobilité est une option. J'ai voyagé partout dans le monde. Dernièrement, les aînés m'ont demandé de les représenter à des réunions comme celle-ci à cause de l'éducation que j'ai reçue et de ma capacité de m'exprimer dans une langue qui leur est étrangère.
Si le Canada avait agi correctement dès le départ, nous ne serions pas en train de débattre de ces questions. Nous vivrions côte à côte. Si les politiques d'isolement, d'éducation et d'assimilation avaient été appliquées jusqu'au bout, il n'y aurait plus de problème. Il n'y aurait sans doute plus d'Indiens à proprement parler. En tant qu'êtres humains, nous serions tous ensemble et mobiles, instruits et citoyens canadiens. Cependant, les politiques ne sont pas allées plus loin que l'isolement.
Nous devons trouver un moyen de collaborer, et de nous engager à donner suite à ce que nous avons convenu de faire ensemble, car nous payons aujourd'hui le prix d'une politique avortée. En tant que membre d'une Première nation qui aime la mobilité, tout ce que je souhaite c'est que mon peuple puisse être éduqué et mobile. Cependant, en ce moment, comme nous n'avons pas les connaissances dites européennes, nous nous cramponnons à notre territoire, car c'est tout ce que nous avons.
Depuis la signature des traités, en tant qu'autochtones, nous sommes définis par notre territoire et les traités fondés sur notre territoire. Les autochtones craignent beaucoup de quitter leur territoire. Que va-t-il se produire s'ils le font? Le Canada va nous enlever nos terres et nous n'aurons plus rien.
Ce savoir dont nous parlons doit venir de tous les aspects de la société. Il faut amener tous les Canadiens à se comprendre les uns les autres. À mon avis, un grand malentendu existe au sein de la population canadienne en général au sujet des peuples autochtones. Des sommes considérables sont apparemment versées aux Premières nations, ce qui déplaît au contribuable canadien qui ne comprend pas les liens existant entre ces dernières et le Canada. Le problème est à la fois très complexe et très simple. À cause des conditions dans lesquelles nous vivons depuis de nombreuses années, et du stigmate qui marque les autochtones, il nous est impossible d'acquérir éducation et mobilité.
Dans un monde idéal, l'éducation et la mobilité font partie de la réponse. Cependant, j'estime que le Canada est loin d'être un monde idéal. Il devance beaucoup de pays, mais nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir.
[Français]
Le sénateur Gill: Je surveille depuis quelques années déjà ce qui se passe au Manitoba. J'ai eu différentes expériences en tant que chef de ma communauté au nord du Québec. Phil Fontaine était directeur général dans les Territoires du Nord-Ouest lorsque j'étais directeur général pour le Québec au ministère canadien des Affaires indiennes et du Nord et nous avons vécu différentes expériences. Les sénateurs présents ont vécu aussi différentes expériences en relation avec les autochtones. Cela fait déjà plusieurs années que nous cherchons des solutions pour le «so-called Indian problem».
Je me demande souvent si l'on ne cherche pas la solution à la mauvaise place. J'ai l'impression que certains pensent que la solution aux problèmes sera trouvée par d'autres personnes que des autochtones. Vous parliez du démantèlement des Affaires indiennes au Manitoba. Je présume que l'exercice a été de prendre en charge les bureaux régionaux du ministère des Affaires indiennes au Manitoba. Je ne pense pas que vous ayez tellement pris en charge la décision sur les politiques du ministère des Affaires indiennes sur le plan national. Votre démantèlement des Affaires indiennes s'est fait surtout au Manitoba. Comme les politiques, les réglements et tout est décidé sur le plan national, vous deviez subir encore les politiques nationales même si en fait, il y a l'Assemblée des chefs du Manitoba qui chapeaute le bureau régional. J'aimerais que vous m'éclairiez et que vous me disiez un peu comment cela se passait. Vous me corrigerez si j'ai tort, mais j'ai l'impression que l'on cherche toujours à ce que d'autres apportent des solutions au lieu que la chemise et les souliers soient fait par les autochtones.
[Traduction]
La solution sera efficace si ce sont les Indiens qui la proposent.
M. Nepinak: Je suis heureux que vous ayez soulevé la question du démantèlement du ministère des Affaires indiennes au Manitoba. En tant que Premières nations, nous avons dû faire face à la réalité d'une loi du Parlement, la Loi sur les Indiens, actuellement en vigueur. Je suis d'accord avec vous qu'il faudrait peut-être l'abolir ou adopter une autre loi sur les Premières nations.
Le problème, c'est que selon les traités, nous pouvons jouir des ressources naturelles et de l'assise territoriale telles qu'elles ont été définies au moment de la signature desdits traités. Lorsque la Loi sur les Indiens a été adoptée en 1876, nos ancêtres ignoraient les répercussions. On ne nous a pas consultés au sujet de la mise en oeuvre de cette loi. En tant que chef des Premières nations et membre du comité économique des chefs, je peux vous dire que c'est l'une des grandes difficultés que pose cette loi pour nos communautés.
Il faudra également modifier la Loi concernant le transfert des ressources naturelles dans l'ouest du Canada et ses effets sur nous. Les Premières nations n'ont pas été consultées en 1929 et 1930 lorsque cette loi a été adoptée par le Canada et les provinces de l'Ouest. À l'heure actuelle, certaines régions visées par un traité dans l'Ouest du Canada contestent la validité de la Loi concernant le transfert des ressources naturelles. Je suis d'accord avec les juges de la Cour suprême qui ont dit que nous devrions collaborer avec les autres ordres de gouvernement avant que cette question soit portée devant la Cour suprême.
Ce sont des changements qui doivent se faire.
Du point de vue économique, l'assise territoriale de ma communauté est insuffisante. La loi nous brime en ce sens que nous ne pouvons pas nous adresser à la banque locale, par exemple, et lui dire que nous voulons agrandir l'école, construire des maisons ou des infrastructures. On nous dit de nous adresser au ministre des Affaires indiennes qui, depuis quelques années, dispose de ressources limitées. Les municipalités, comme Portage la Prairie ou Dauphin au Manitoba, peuvent emprunter à la banque alors que nous ne le pouvons pas, ce qui décourage les communautés des Premières nations comme la mienne. Pour l'instant, nous ne pouvons pas offrir nos actifs en guise de nantissement aux institutions financières.
M. Bushie: Nous sommes souvent confrontés au dilemme de la propriété. Les leaders des communautés des Premières nations ont toujours su trouver des solutions, mais ce sont les politiques qui nous régissent.
Les Premières nations ont élaboré des plans à long terme. Cependant, elles doivent pour les mettre en oeuvre traiter avec deux ordres de gouvernement, qui nous ont mis des bâtons dans les roues lorsque nous avons essayé de prendre l'initiative.
Vous avez parlé de la recherche de solutions. Nos communautés ont déjà trouvé des solutions. Par exemple, lorsque j'étais chef de ma communauté, j'ai corédigé un rapport intitulé «Community Holistic Circle Healing». Il s'agit d'un processus. Ce n'est pas un programme. C'est un processus qui a aidé ma communauté à prendre un virage salutaire. Pourtant, les gouvernements fédéral et provincial refusent de l'envisager d'un oeil favorable. Ils cherchent plutôt à détruire ce qui est salutaire pour notre peuple. Partout dans le monde, nous avons besoin d'un processus reconnu, non seulement dans les Premières nations, mais dans la population en général, qu'il s'agisse d'Allemands, d'Ukrainiens, et cetera. C'est un processus qui peut aider tout le monde.
Les Premières nations sont confrontées à ces problèmes tous les jours. Les gouvernements fédéral et provincial nous donnent un plan. Nous avons des plans de 5, 10 ou 20 ans, mais lorsqu'ils voient les avantages du plan, ils ont tendance à nous l'imposer afin que nous demeurions sous le seuil de la pauvreté. Voilà ce à quoi notre peuple est confronté dans la vie de tous les jours.
Le sénateur St. Germain a parlé de l'éducation. Il s'agit d'une voie à double sens. La société en général doit être éduquée. Nos ancêtres qui ont signé les traités étaient très éduqués. Nous nous faisons face. Je suis de ce côté et le comité est de l'autre. Lorsque nos ancêtres ont signé les traités il y a 135 ans, ils voyaient au-delà de 135 ans.
Nous continuons de sensibiliser la société en général à ce genre de choses. Les sénateurs doivent faire de même, car vous parlez de l'éducation comme étant un outil très important dans nos vies. Si nous n'avions pas de traités, je ne crois pas que nous serions ici aujourd'hui.
Je ne voulais pas être impoli dans mes commentaires liminaires. J'aurais pu parler en ojibway, mais vous ne m'auriez pas compris. J'ai utilisé la langue universelle, l'anglais, afin que vous me compreniez, car je veux vous sensibiliser aux problèmes quotidiens que nous éprouvons dans les communautés des Premières nations.
Nous avons des plans et des solutions, mais on ne nous donne pas l'occasion de les mettre en oeuvre. Aujourd'hui, 95 p. 100 des habitants de ma communauté sont sobres, alors qu'il y a dix ans, 90 p. 100 d'entre eux consommaient de l'alcool. L'alcool constituait le principal problème de ma communauté. Pourtant, les gouvernements fédéral et provincial l'ont caché afin que personne ne le voie.
L'éducation est une voie à double sens. Nous devons nous sensibiliser en tant qu'êtres humains et apprendre à nous connaître, à comprendre notre situation de même que votre position du côté gouvernemental de la table.
Le sénateur Austin: Le chef Lawrenchuk a parlé de la mobilité en réponse à certains commentaires formulés par le sénateur St. Germain.
D'après mon expérience, l'autre élément dont nous n'avons pas parlé est la question de l'identité. D'après ce que j'ai constaté, dans bon nombre de communautés autochtones, l'identité est sans doute la politique numéro un. Elles veulent conserver leur identité traditionnelle. Les politiques de développement socio-économique, d'éducation et de mobilité passent en second plan après le maintien de l'identité communautaire. Cette question n'a pas été abordée. Elle n'a pas été portée à votre attention, mais êtes-vous d'accord avec moi là-dessus, ou avez-vous une autre opinion?
La question que nous examinons relativement à l'autonomie gouvernementale a trait au genre de communauté et à ceux qui la définissent. Jusqu'à présent, du moins, le terme «communauté» est défini par le conseil de bande ou par les aînés. Tout commence par cette définition. Êtes-vous d'accord?
M. Lawrenchuk: L'identité est l'un des facteurs les plus importants qui nous unit en tant qu'êtres humains. Il existe plusieurs formes d'identité, et à différents niveaux, telle l'identité personnelle, communautaire, gouvernementale, canadienne et nord-américaine. L'identité est très importante pour les Premières nations.
Les Premières nations vivent une crise d'identité. Je vous parle de ce que j'observe et de ce que je sais. Les liens avec notre passé ont été coupés. Nos enfants ne peuvent plus converser avec leurs grands-parents, et le problème d'identité est grave. Nous essayons de régler les problèmes qui découlent de cette rupture avec notre passé.
Le mouvement panindien et les pow-pows tenus partout au Canada témoignent de cette peur de perdre notre identité. Nous nous accrochons désespérément à tout ce que nous pouvons trouver pour survivre, conscients que notre peuple était autrefois vigoureux.
Nos communautés et nos familles sont plongées dans l'alcool, la drogue est le désespoir. L'effet de cette perte d'identité sur notre subconscient est la prise de conscience du désespoir qui a envahi nos communautés sont des plus troublants. Je peux vous donner un exemple flagrant de notre perte d'identité.
Ce sont mes grands-parents qui m'ont élevé, William et Gladys Moose. C'était une famille qui vivait du piégeage, et j'ai été élevé sur une ligne de piégeage. Ma mère m'avait donné, à l'époque c'était l'habitude quand une femme n'était pas mariée. J'ai donc été élevé par mes grands-parents, et tout était parfait, jusqu'au jour où j'ai dû aller à l'école. Là, on n'a pas maqué de me rappeler à quel point j'étais différent et à quel point je ne correspondais pas au modèle des gens qui réussissent dans la vie. J'étais différent à tous les égards, couleur, langue, façon de s'habiller. Avant d'aller à l'école je ne savais pas que j'étais différent. Or, c'est une crise d'identité à laquelle se heurte tous les jours notre population.
Dès 16 ou 17 ans, j'éprouvais une haine profonde pour ma grand-mère et mon grand-père. Toutefois, je n'ai jamais voulu l'admettre. En effet, si je les détestais, c'est parce que j'avais honte d'eux, et en même temps, je les adorais. En même temps, personne ne manquait une occasion de me répéter que les Indiens étaient mauvais, et j'ai donc essayé de me réfugier dans le monde des Blancs.
C'est seulement il y a une quinzaine d'années que j'ai réussi à faire la paix avec qui je suis, et je sais que j'ai beaucoup de chance l'avoir fait. Toutefois, c'est un problème auquel se heurtent toujours les gens de ma communauté et d'autres collectivités dans tout le Canada, des gens qui échouent lorsqu'ils essaient de se conformer à la définition du Canada ou à leur propre définition. Chaque jour, on les considère comme des «pauvres types» parce qu'ils ne réussissent pas à sortir du trou.
Le sénateur Austin: Peut-être que l'autonomie gouvernementale est la solution à cette crise d'identité communautaire. Est-ce que vos collègues et vous-mêmes pensez que c'est la clé de cette crise d'identité? Évidemment, l'identité des individus dans la communauté est très importante, et l'identité de la communauté, c'est un regroupement d'identités individuelles. Est-ce bien ce que vous recherchez avec l'autonomie gouvernementale?
M. Lawrenchuck: Oui. L'accord-cadre est fondé principalement sur des consultations communautaires avec les 62 Premières nations du Manitoba. Nous consultons nos collectivités respectives et nous leur demandons leur opinion sur ce qui doit être fait.
C'est une chose que les nôtres attendent depuis très longtemps. Lorsque nous assistons à des réunions et que nous parlons aux aînés, nous parlons de cette initiative d'autonomie gouvernementale. Ils secouent la tête et ils nous disent: «Ce n'est pas trop tôt, il y a longtemps qu'on l'attendait.» Depuis toujours ils savent que c'est la bonne solution. Si nous voulons rester un peuple, c'est la seule option. Faute de cela, on assistera à des changements terribles, des changements qui se manifesteront de nombreuses façons. On en voit déjà la marque quand les autochtones se détruisent eux-mêmes. Cette destruction ne peut que se généraliser, et nous en souffrirons tous.
L'accord-cadre, un accord qui nous permet de consulter les collectivités individuellement pour mieux défendre nos intérêts et élaborer des règles sur la base de ce que nous savons de notre passé, c'est le seul moyen d'assurer la survie de notre peuple.
Le sénateur Chalifoux: Vous avez répondu à plusieurs questions déjà, mais j'ai une ou deux observations au sujet de l'identité.
En 1982, la Constitution du Canada a distingué entre trois nations autochtones distinctes, séparées: les Métis, les Inuits et les Premières nations. Toutefois, elle a omis de préciser que 65 nations différentes existaient dans ce concept des Premières nations.
Moi qui suis une femme métisse, je dis à tout le monde que le terme «indien» est péjoratif, car il empêche les Premières nations d'annoncer leur nationalité individuelle, par exemple crie, ojibway, blackfoot, et cetera, et cetera. Quand je parle aux jeunes, je leur dis qu'ils ne sont pas indiens, mais qu'ils sont cris, ou une autre nationalité. Aucun Mohawk ne m'a jamais dit qu'il ou elle était un Indien. Ils sont des Mohawks de la nation mohawk. Voilà ce que nous, qui sommes des dirigeants, devons expliquer aux jeunes au sujet de leur identité autochtone.
Une fois qu'on connaît bien son identité, on peut s'occuper de l'identité de la collectivité. La liste est très longue, et la fierté est une chose importante, qu'il s'agisse de la personne, de la collectivité ou de la nation.
En ce qui concerne le rapport entre le développement économique et l'autonomie gouvernementale, la semaine dernière, j'ai rencontré la société agricole Kainai dans le sud de l'Alberta. C'est une société des Premières nations qui essaie désespérément de trouver de nouvelles utilisations aux terres de réserve. Par le passé, la Loi sur les Indiens était un obstacle pour toutes les initiatives des Premières nations. C'est une chose que j'ai vu sans arrêt pendant des années. Maintenant que les choses changent peu à peu, qu'avez-vous fait pour encourager l'autonomie gouvernementale grâce à des initiatives de développement économique. À quels obstacles se heurtent vos initiatives?
Vous avez déjà répondu à ces questions dans une certaine mesure, mais c'est particulièrement important, et j'aimerais que vous nous donniez un peu plus de détails pour que nous puissions en tenir compte lorsque nous préparerons notre rapport et nos recommandations.
M. Lawrenchuk: En ce qui concerne les initiatives économiques, ma collectivité vient d'entreprendre des discussions avec Manitoba Hydro, la province du Manitoba et le gouvernement du Canada sur la façon de redresser la situation à Fox Lake. Un des principaux sujets en discussion est la question du développement économique. Dans mon territoire traditionnel, il y a trois barrages. Ces barrages ne risquent pas de disparaître, mais nous non plus. Autrement dit, nous devons trouver un moyen de coexister.
Un peu en aval de notre communauté, il y a un port historique, Port Nelson. Nous sommes en train d'élaborer un plan pour développer le touriste dans toute cette région. Les barrages en question sont les barrages de Kettle Dam, Long Spruce et Limestone, et il y a également le port historique de Port Nelson. Nous voulons montrer aux touristes comment les peuples des Premières nations, les gouvernements et l'entreprise privée peuvent collaborer pour exploiter un territoire.
Nous voulons reconstruire l'ancien Port Nelson et également une station touristique pour permettre aux visiteurs de profiter de la beauté de notre région. Les gens du Nord comprennent la beauté de l'endroit où ils vivent, en particulier le soir quand les aurores boréales dansent dans le ciel.
Le problème à l'heure actuelle, c'est que les gouvernements avec lesquels nous devons faire affaire ont des politiques, des règles et des règlements qui ne leur permettent pas de faire preuve d'esprit d'innovation, de faire preuve d'imagination, et c'est précisément ce que nous voulons faire. Nous voulons que ces autorités s'engagent à travailler en collaboration, en particulier dans ce cas-là, car lorsque nous écoutons les nouvelles, on nous dit que Manitoba Hydro et les Premières nations ne réussissent pas à se mettre d'accord. Nous avons une solution à offrir pour régler les problèmes, mais nous ne cessons de nous heurter à certaines politiques étroites.
M. Nepinak: Il y a des chefs au Manitoba qui étudient un modèle de gestion en commun avec le ministère des Ressources naturelles. Le problème, c'est qu'ils ne sont pas particulièrement disposés à partager ce domaine de compétence. C'est un projet qui exige des études plus approfondies dans certaines régions du Manitoba. Le problème vient des lois provinciales, et cela nous amène à la Loi constitutionnelle du Canada. À ce niveau-là, les choses deviennent très compliquées.
Je crois comprendre que la Cour suprême du Canada a recommandé que nous envisagions la cogestion. C'est ce que les chefs du Manitoba vont étudier avec le gouvernement de notre province.
Le sénateur Johnson: J'ai été élevée au bord du lac Winnipeg et j'ai visité un grand nombre de réserves. Est-ce que vous êtes satisfait du déroulement de l'étude sur le niveau d'eau dans le lac? Je sais que les chefs qui font partie du comité étudient cette question. Avez-vous d'autres observations à ce sujet? Comme vous le savez, il y a un rapport avec beaucoup de problèmes dans le Nord.
M. Lawrenchuk: Ma Première nation est directement concernée par les barrages hydroélectriques. Comme l'ai dit au début, mon territoire traditionnel est recouvert par 100 pieds d'eau. Il est vraiment très dommage que le lac Manitoba soit touché, car c'est vraiment un très beau lac. Je surveille cette situation car elle montre bien aux gens qui ne font pas partie des Premières nations à quel point le problème des niveaux peut être grave, à quel point les gens peuvent en pâtir.
Nous attendons de voir comment Manitoba Hydro réglera ce problème. Leur attitude actuelle ne nous étonne pas. En fait, ils refusent d'assumer la responsabilité, et il faut leur forcer la main pour qu'ils acceptent la moindre responsabilité. Il suffit de survoler une région où on a construit un barrage pour voir que l'eau est verte, mais Manitoba Hydro a tout même l'audace de prétendre que tout va bien.
Le sénateur Johnson: Je comprends. Nous espérons que cette étude sera utile, nous essayons tous de faire quelque chose.
Vous dites qu'il faut des piles d'argent. Pensez-vous vraiment qu'on résout des problèmes avec des piles d'argent? Mes amis des collectivités autochtones urbaines me disent que ce n'est pas tellement la quantité d'argent qui compte, mais plutôt le fait qu'on n'a pas un plan de dépenses, qu'il n'y a pas suffisamment de reddition de comptes. C'est de plus en plus un problème de l'autonomie gouvernementale. À mon avis, les Canadiens ne sont pas contre l'idée de consacrer de l'argent à l'autonomie gouvernementale des populations autochtones. Ce qui est important, c'est la façon dont cet argent est dépensé. Il y a déjà beaucoup d'argent dans le système. Je m'énerve un peu quand je vois comment les fonds destinés aux autochtones sont dépensés. Je n'ai pas toujours l'impression que l'argent est utilisé comme il devrait l'être, que ce soit dans les réserves ou à l'extérieur, dans les villes, et cetera.
Étant donné ce qui s'est produit au Manitoba au cours des derniers jours, comment devrions-nous dépenser cet argent? Je crois que dans notre province, la moitié de la population autochtone vit à Winnipeg, c'est bien ça?
M. Lawrenchuk: Environ 40 p. 100.
Le sénateur Johnson: Il y a également le territoire des réserves qui est en cause. Pour commencer, que pouvons-nous faire pour améliorer la crédibilité des conseils de bande en ce qui concerne l'argent dépensé dans les réserves?
Deuxièmement, quelle place cela occupe-t-il dans l'ensemble? Vous avez dit que les discussions au second palier étaient en cours. J'ai participé aux discussions au premier palier avec le grand chef Fontaine, mais elles n'ont pas abouti.
Pouvez-vous mettre en parallèle ces deux questions que j'ai mentionnées. Vous savez très bien ce dont je parle. Pouvez-vous expliquer la situation aux membres du comité qui ne vivent pas au Manitoba? Dans chaque province, c'est différent. Il est facile de généraliser, mais chaque région a ses particularités.
M. Lawrenchuk: Comme je l'ai dit à la ministre Stewart lorsque je l'ai rencontrée à l'assemblée: «Je suis désolé de devoir vous contredire.» L'argent est un élément important de la solution, de grandes piles d'argent, c'est important.
Nous avons un retard de plusieurs milliers de maisons. Dans nos réserves, deux, trois ou quatre familles vivent dans la même maison. Les problèmes provoqués par ce surpeuplement sont énormes. Dans une série d'émissions sur le comportement humain, Desmond Morris montrait les effets du surpeuplement des prisons, expliquait comment les gens retrouvaient des instincts qui remontent avant la civilisation. Les gens des Premières nations vivent dans ce genre de conditions.
Nous avons fait une étude préliminaire du problème de logement. Nous avons besoin de milliards de dollars, rien que pour le Manitoba. Qu'est-ce qui vient après qu'on a réussi à loger une famille? Tout ce que nous voulons, c'est une maison par famille et un emploi rémunéré pour le chef de famille. Autrement dit, pour que les gens des Premières nations puissent vivre dans les mêmes conditions que le reste des Canadiens, il ne suffit donc pas de milliards de dollars, les choses ne s'arrêtent pas là. Il ne sert à rien de construire une maison, si elle est destinée à des gens qui ne pourront jamais l'occuper en toute tranquillité d'esprit. «En toute tranquillité d'esprit», cela veut dire qu'ils peuvent subvenir à leurs propres besoins. Cela signifie «emploi». Or, comment cela est-il possible sans consacrer des fonds au développement économique?
Le chef Stephenson vous a dit l'autre jour qu'il y avait environ 170 millions de dollars pour l'aide sociale et 7 millions de dollars pour le développement économique. Il y a quelque chose qui ne va pas dans cette proportion, cela devrait être l'inverse.
Le président: Nous allons écouter encore une réponse.
M. Nepinak: J'ai commencé à m'intéresser à la vie politique dans la bande en 1975. À l'époque, je m'étais présenté comme chef, mais j'avais été battu. Toutefois, j'ai été élu conseiller en 1977 et chef en 1979.
Je peux seulement vous parler de la situation dans ma communauté. Il y a 20 ans environ, on nous donnait des fonds pour quatre maisons par année. Notre budget était de 28 000 $, mais à l'époque, les maisons coûtaient déjà 37 000 $. On nous demandait de construire quatre maisons pour 28 000 $. Il est facile de faire le calcul à partir de 1977, puis de remonter en arrière. Nous avions besoin de huit maisons, rien que pour maintenir la situation, mais avec l'argent que nous recevions, nous pouvions seulement en construire quatre. C'est une situation que vous retrouverez dans toutes les collectivités. C'est la raison pour laquelle le Canada se demande aujourd'hui: Pourquoi diable ont-ils besoin de tellement de maisons?
Sur la base de mon expérience -- et c'est de cela que je veux parler aujourd'hui --, la pénurie de maisons s'élève à 50 p. 100, et pour cette raison les gens partent. J'ai une liste de membres de la bande qui vivent hors réserve et dans des municipalités rurales comme Dauphin, Portage la Prairie, et également à Winnipeg. On me demande quand nous aurons suffisamment de maisons. Notre retard a commencé en 1977. C'est une chose que le Canada ne doit pas ignorer.
Le président: Nous commençons à manquer de temps, il va donc falloir mettre fin à votre intervention.
Au début de vos observations, vous vous êtes posé des questions au sujet de nos intentions. Vous avez demandé comment cette étude pourrait protéger les droits issus de traité, promouvoir les droits sociaux et économiques et résoudre les problèmes socio-économiques des populations autochtones.
On a demandé à notre comité de présenter un rapport au Sénat. Après le Sénat, ce rapport sera transmis à la Chambre des communes. De notre côté, nous pouvons seulement faire des recommandations. L'avenir des autochtones dépend probablement dans une certaine mesure de la structure que nous donnerons à notre rapport. Il y a parmi les membres du comité plusieurs autochtones. Nous devons rechercher une solution pratique. Cela dit, il faudra convaincre beaucoup de sénateurs qui ne sont pas autochtones de la validité de vos arguments. Ceux d'entre nous qui sont autochtones connaissent personnellement les situations que vous avez décrites. D'autre part, nous pensons avoir une idée assez claire de la situation en ce qui concerne l'autorité suprême, c'est-à-dire la Constitution du Canada. Certains d'entre nous pensent que, dans une certaine mesure, c'est cela qui est important, ce contentieux dont nous avons hérité et que nous devons régler, les rapports entre les autochtones et le système.
Quand des gens comme vous viennent nous dire ce qu'ils ont vécu, viennent nous expliquer quels sont les problèmes, nous voulons trouver des solutions, mais en même temps, nous constatons que le système est très malade. Tant que nous ne réglerons pas ces problèmes-là, nous ne parviendrons à rien.
En tant que président du comité, je fais tout mon possible pour axer nos travaux sur ce qui est important, la fonction gouvernementale, la responsabilisation et la prévoyance. Il y a beaucoup d'éléments très importants. Nous allons faire tout notre possible pour qu'on donne suite aux recommandations de la Commission royale.
Si nous sommes ici, c'est pour étudier les meilleurs moyens d'appliquer les recommandations de la commission royale. Nous ne voulons pas refaire cette étude, nous voulons déterminer comment le système peut absorber ses recommandations.
Nous entendons des gens qui vivaient à l'époque où les traités ont été signés, et nous constatons que ces traités n'ont jamais été appliqués. Nous découvrons également que le rôle du ministère des Affaires indiennes, et en particulier ses responsabilités envers les populations autochtones, n'ont jamais été définis.
On a parlé de la possibilité de supprimer ce ministère qui consacre trop d'argent à la bureaucratie, ce ministère où les fonctionnaires semblent s'approprier le rôle des responsables politiques. Vous avez raison quand vous dites que la population canadienne connaît mal la situation actuelle des autochtones, quand vous dites qu'il faut la mettre au courant. Personnellement, je n'hésite pas à dire que les Canadiens croient comprendre comment les autochtones vivent, mais parfois leur impression est diamétralement opposée à la façon dont nous voyons la situation.
J'espère avoir répondu, au moins en partie, aux questions que vous avez posées au début.
Vous avez dit à quel point un partenariat véritable était important. Si nous voulons que ce partenariat fonctionne, il va falloir changer les structures du système. Ceux d'entre nous qui ont des contacts à la Chambre des communes vont essayer, avant de préparer notre rapport, de les informer de la réalité autochtone à l'heure actuelle. Nous ferons tout notre possible pour que la situation s'améliore.
Dans le cadre de nos audiences publiques, nous avons l'intention d'organiser une table ronde indépendante sur la fonction gouvernementale. Les dirigeants et les sénateurs ont besoin de pouvoir échanger rapidement des idées sur certaines questions. Lorsque nous avons des audiences publiques, comme celle d'aujourd'hui, nous écoutons vos préoccupations et nous en tenons compte. Toutefois, lorsqu'il s'agit d'une table ronde, il est plus facile d'approfondir certaines questions et de se mettre d'accord sur la signification de la fonction gouvernementale.
Vous êtes invités à cet exercice. Notre personnel se fera un plaisir de répondre à toutes vos questions.
M. Bushie: Il est important de bien comprendre les questions dont nous avons discuté. Nous avons des exposés sur vidéo, dont un, intitulé: Wrapped in Plastic, qui parle des conditions de logement dans les réserves.
Voilà donc les problèmes que nous cherchons à résoudre. Tout ce que nous voulons, c'est que les deux paliers de gouvernement nous donnent la possibilité d'élaborer nos propres politiques pour gouverner dans l'intérêt de notre peuple. Au nom des 62 Premières nations que je représente, je vous dis: «Meegwich» du fond de mon coeur, et je vous souhaite bonne chance.
Le président: Le sénateur Chalifoux va présider un sous-comité de ce comité et organiser des audiences publiques sur les autorités du logement, les problèmes de logement, la pénurie de logement, et les questions d'argent. Peut-être pourriez-vous mettre cette vidéo à la disposition du sénateur Chalifoux.
Honorables sénateurs, nous allons maintenant entendre nos témoins suivants qui représentent la nation métisse de l'Alberta.
Le sénateur Andreychuk: Monsieur le président, je crains que certains sénateurs n'aient d'autres engagements. Cette réunion devait durer de 9 heures à 11 heures, et malheureusement, nous devons partir. Je présente mes excuses à ces témoins. La première séance a dépassé l'horaire de 35 minutes. C'est tout à fait injuste pour ce groupe, et j'espère qu'à l'avenir nous respecterons mieux notre horaire.
Mme Audrey Poitras, présidente, Metis Nation of Alberta: Honorables sénateurs, je suis accompagnée de notre directeur des initiatives fédérales-provinciales, M. Lorne Gladue, et de notre conseiller en matière de R-D, M. Bruce Gladue.
Je vous remercie pour votre invitation. Je félicite le Sénat du Canada qui s'efforce de mieux faire comprendre toutes les questions entourant la fonction gouvernementale autochtone tout en reconnaissant l'importance de la culture et de l'histoire particulières des peuples autochtones du Canada.
Avant de recevoir votre invitation à comparaître, la nation métisse de l'Alberta s'était rendu compte de la nécessité de construire sur la base des travaux de la Commission royale sur les peuples autochtones et d'en tirer parti pour faire valoir l'opinion des Métis sur l'autonomie gouvernementale. En effet, c'est un climat favorable si nous voulons élaborer des mécanismes pour négocier et appliquer l'autonomie gouvernementale, trouver des stratégies pour le financement de cette autonomie et nouer de nouvelles relations entre le peuple métis et le Canada.
Avant même que notre drapeau métis ne soit hissé pour la première fois en 1816, la nation métisse existait déjà, et aujourd'hui, 183 ans plus tard, elle est pleine de vitalité. Depuis ses débuts très humbles en 1932, la nation métisse de l'Alberta n'a cessé d'affirmer son existence de nation, sa place parmi la grande nation métisse du Canada, une place qui lui donne des droits, tel que le rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones le confirme. La Constitution du Canada reconnaît que le peuple métis a sa place parmi les peuples autochtones du Canada. Le gouvernement du Canada reconnaît également notre droit inhérent à l'autonomie gouvernementale en vertu de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.
Il serait bon de vous expliquer un peu mieux les particularités de la nation métisse de l'Alberta. La nation métisse de l'Alberta est enregistrée aux termes de la Loi de l'Alberta sur les sociétés et est régie par les règlements au niveau de la communauté, de la région et de la province. D'autre part, elle est assujettie à la Loi sur les élections. L'organe représentatif de la nation métisse de l'Alberta est élu au scrutin secret et prévoit une représentation régionale et provinciale. La nation métisse de l'Alberta est divisée en six zones et, pour chaque zone, deux représentants sont élus pour un mandat de trois ans. Il y a six présidents régionaux et six vice-présidents régionaux qui sont des représentants élus au sein du Conseil métis provincial. Pour compléter cette représentation régionale, un président et un vice-président sont élus pour toute la province. Ces 14 représentants élus constituent le conseil provincial de la nation métisse de l'Alberta.
La nation métisse de l'Alberta est le porte-parole politique de la population métisse de l'Alberta et également le représentant politique de tous les Métis de l'Alberta. À ce titre, elle recherche l'autodétermination et l'autonomie gouvernementale pour les Métis de l'Alberta et du Canada. La nation métisse de l'Alberta n'est pas seulement responsable du développement, de la promotion et de la dissémination de l'histoire et du mode de vie métis; elle élabore également des programmes, elle organise des services qui font mieux connaître la culture métisse et qui assurent le bien-être social, économique et politique de la population métisse de la province de l'Alberta.
Ce que nous recherchons pour l'avenir, c'est une population métisse autonome sur les plans économique et social, c'est une population dont les valeurs et les droits sont consacrés par une Constitution métisse canadienne. Nous voulons qu'à tous ces égards les Métis de l'Alberta soient traités d'une façon juste et équitable. Les valeurs que nous défendons sont le fondement de notre avenir et des générations futures. Nous croyons en la justice et l'égalité. Nous croyons à la nécessité de travailler dans l'unité et dans l'harmonie. Nous considérons que tous les Métis font partie de la nation. Nous considérons que la participation des Métis est importante pour la conception et l'établissement de services et de politiques destinés aux Métis. Nous pensons que les gens doivent s'entraider et doivent prendre leur destinée en charge. Tout ce que nous faisons doit être fait de façon honnête. La nation métisse accorde la plus grande importance à l'indépendance, à l'autonomie et aux droits et libertés individuels et collectifs. La nation métisse possède le droit d'autodétermination, en particulier le droit de se gouverner, un droit que ses citoyens peuvent exprimer et appliquer aux niveaux local, régional, provincial et national.
Les principes fondamentaux qui guident la nation métisse de l'Alberta et sa démarche d'autonomie gouvernementale sont proclamés par les Métis à chaque assemblée générale annuelle et également proclamés par le conseil provincial de la nation métisse de l'Alberta. Ces principes fondamentaux comprennent la reconnaissance légale des institutions démocratiques et politiques établies par le peuple métis de l'Alberta et également le droit d'adopter des modèles de gouvernement et d'adopter sa propre constitution et de la modifier selon les circonstances. Les ressources nécessaires pour atteindre les objectifs associés à ces principes d'autodétermination ont la plus grande importance.
Les particularités démographiques de la population métisse de l'Alberta sont absolument cruciales. Il y a environ 52 000 Métis en Alberta -- ce sont les résultats du recensement de 1996. En fait, nous savons qu'ils sont plus nombreux. Environ 24 000 personnes sont inscrites à la nation métisse de l'Alberta.
En 1991, près de la moitié des Métis de l'Alberta âgés de 15 ans et plus vivaient dans les deux grands centres métropolitains que sont Calgary et Edmonton, alors que 37 p. 100 des autres autochtones vivaient dans ces deux centres. Ce qui est particulièrement frappant, c'est la concentration de Métis à Edmonton où vivent 35,7 p. 100 des Métis de l'Alberta et 10 p. 100 des Métis canadiens. Cette année-là, environ 12 p. 100 des Métis de l'Alberta et 3,3 p. 100 des Métis canadiens de 15 ans et plus vivaient à Calgary. Tout comme d'autres populations autochtones, les Métis de l'Alberta ont tendance à être plus jeunes que la population non autochtone. En 1991, près de 40 p. 100 des Métis de l'Alberta avaient moins de 15 ans et 50 p. 100 avaient moins de 20 ans. À la même époque, dans la population non autochtone de l'Alberta, ces proportions étaient d'environ 23 et 30 p. 100 respectivement.
La nation métisse de l'Alberta est l'un des membres fondateurs du Metis National Council. À l'heure actuelle, dans la foulée du rapport intitulé: «Vers un ressourcement», le plan d'action des autochtones du Canada, les organisations provinciales membres du MNC procèdent à des consultations communautaires exhaustives en fonction des priorités qui ont été établies par le conseil d'administration du MNC, lesquelles sont, entre autres, une définition nationale de la qualité de Métis, les revendications territoriales des Métis, les questions relatives à l'utilisation des terres, les problèmes relatifs aux Métis en milieu urbain et le projet de loi sur la réhabilitation de Louis Riel. Ce processus permettra aux Métis d'exprimer leurs vues sur ces questions très importantes.
La nation métisse de l'Alberta sait que votre comité peut adresser des recommandations au Sénat, et nous savons que toute proposition ou recommandation émanant du Sénat du Canada, ou appuyée par celui-ci, peut aller très loin. J'espère que vous serez à même de le voir dans les suggestions et les recommandations que nous espérons vous faire aujourd'hui, dans notre témoignage, et dans le texte que nous vous avons remis.
En conclusion, permettez-moi de citer Louis Riel qui a exprimé dans ces termes ses pensées intimes sur les injustices qu'avait vécues le peuple métis qui occupait la Terre de Rupert après que le Manitoba a été admis dans la Confédération. Il a dit:
J'ai toujours été franc dans mes rapports avec le Canada. L'honnêteté était mon guide; ma signature a scellé le pacte. J'espérais que l'on respecte ma signature. Ce pacte a été abrogé, c'est aujourd'hui chacun pour soi. Il ne reste plus de ma signature qu'un gribouillis.
Louis Riel a composé ces lignes lorsqu'il est devenu évident que le gouvernement du Canada, par sa mauvaise administration des droits que prévoyait l'Acte du Manitoba, avait enfreint bon nombre des dispositions qui figuraient dans la liste des droits qui avait été établie par le gouvernement provisoire le 8 décembre 1869.
La Commission royale sur les peuples autochtones est allée plus loin et a dit que, si un dramaturge s'inspirait de l'injustice faite aux Métis dont les droits figurant dans l'Acte du Manitoba, la Loi des terres fédérales et la Loi constitutionnelle de 1930 ont été bafoués, cette pièce s'intitulerait avec raison «Une tragédie en trois actes». On n'exagère nullement quand on dit que c'est là une honte nationale.
La comparaison de sa signature à un gribouillis non seulement nous rappelle que le gouvernement du Canada a refusé d'être juste et franc envers les Métis et les autres peuples défavorisés du Manitoba, mais aussi grave dans notre esprit le fait que nous n'avons pas tout oublié et que la lutte pour l'égalité, le droit des Métis et l'autonomie gouvernementale brûlent encore dans chacun d'entre nous. Ce sont des objectifs réalisables. C'est pourquoi nous sommes ici aujourd'hui.
Le sénateur Andreychuk: Je vous remercie pour cet exposé succinct. Vous vous retrouvez toujours obligés de vous redéfinir et de réexpliquer votre position aux gouvernements. Comment corriger la situation? Pouvez-vous faire une recommandation au gouvernement? Selon vous, faut-il établir des structures différentes à l'intérieur du gouvernement fédéral et assurer davantage de continuité pour que vous n'ayez pas à éduquer sans cesse ceux qui travaillent avec vous.
Mme Poitras: J'ai la certitude que cela serait utile. À l'heure actuelle, de concert avec le Metis National Council, nous élaborons une définition qui sera acceptée par tous les peuples métis du Canada. À l'heure où nous nous parlons, la définition du terme «métis» proposée par la nation métisse de l'Alberta est légèrement différente de celle qu'ont proposée les Nations métisses du Manitoba et de la Colombie-Britannique. Une fois que nous aurons une définition commune, nous voudrions que le gouvernement du Canada l'accepte telle quelle pour que nous n'ayons pas besoin de la refaire sans cesse.
Le président: Essayez-vous aussi de régler le problème qui semble se poser du fait que les organisations féminines nationales ne font pas partie de votre organisation nationale?
Si vous n'êtes pas au courant du problème, vous n'êtes pas obligée de répondre à ma question.
Mme Poitras: Je ne suis pas sûre de bien comprendre votre question, monsieur le président.
Le président: Votre organisation nationale a décidé de ne pas prendre part à ce processus parce que nous avons permis aux organisations féminines nationales d'y participer directement. Ma question fait suite à votre réponse au sénateur Andreychuk, où vous disiez que la question des Métis n'est pas reconnue de la même façon partout au Canada, pour ce qui est du statut des Métis. Comptez-vous également donner suite à la revendication des femmes.
Mme Poitras: Je crois que, lorsque les peuples métis du Canada se seront entendus sur une définition, il y sera question également des hommes, des femmes, des enfants et les jeunes. En Alberta, il y a une organisation féminine métisse qui siège au Conseil provincial de la nation métisse de l'Alberta et s'assure ainsi que la voix des femmes est entendue.
Le sénateur St. Germain: J'ai moi aussi une question supplémentaire au sujet de l'identité. La question de l'identité du peuple métis a longtemps été mystérieuse pour moi. En Alberta, il y a des régions bien circonscrites où les Métis ont des droits, je crois. Dans toutes les études qui ont été menées, les gouvernements, qu'il s'agisse de gouvernements conservateurs, libéraux ou autres, ont affirmé clairement que les Métis constituaient une entité distincte. Ailleurs, toutefois, les choses sont loin d'être aussi claires. Ce n'est vraiment qu'en Alberta que vous avez des terres bien à vous. Il me semble -- et je peux me tromper, corrigez-moi si j'ai tort -- que c'est la seule région où une identité claire a la moindre possibilité d'avenir, et que les Métis devraient peut-être travailler à partir de là pour consolider leur identité et faire reconnaître leurs droits par des gouvernements qui semblent n'avoir fait que semblant jusqu'à maintenant. Les gouvernements nomment des ministres qui sont responsables, mais on dirait que rien ne se fait.
Denis Coderre, un député à la Chambre des communes, a repris la cause de Louis Riel avec beaucoup de succès. Je l'en félicite. Ai-je tort de dire cela? Pouvez-vous clarifier cela du point de vue de l'identité?
M. Bruce Gladue, conseiller en R-D, Metis Nation of Alberta: L'Alberta a toujours joué un rôle prédominant dans l'avancement de la cause métisse. Je suis d'accord avec le sénateur lorsqu'elle dit que nous semblons devoir toujours recommencer. La Commission royale sur les peuples autochtones a très bien recensé nos droits moraux, politiques et légaux. Ce processus de sensibilisation est permanent. Pour ce qui est de l'identité, le sénateur Chalifoux a mentionné l'identité de la nation. Je pense que c'est une partie du processus éducatif. J'ai la certitude que le sénateur Chalifoux fait beaucoup pour éduquer le Sénat du Canada, au sujet non seulement de la cause des Métis mais aussi de celle des autres peuples autochtones. Cela fait simplement partie du processus de sensibilisation.
Comment pouvons-nous le simplifier? Dans notre mémoire, nous disons qu'il faut consolider l'interlocuteur que nous avons au sein du gouvernement du Canada. C'est l'une des recommandations que nous avons proposées. Ce processus lui-même exigera beaucoup de travail.
Le sénateur Chalifoux: Merci d'avoir été des nôtres ce matin. C'est un plaisir que de recevoir des camarades métis ici.
Pouvez-vous expliquer le rapport qu'il y a entre le Metis Settlements General Council et la nation métisse de l'Alberta? J'ai une autre question qui concerne le rapport qu'il y a entre le gouvernement fédéral et la nation métisse, ainsi que les problèmes de compétence qui semblent surgir partout. Je parle ici des contradictions. Certains disent que les Métis relèvent des provinces, alors que d'autres n'en sont pas trop sûrs. Les ministres discutent encore de cette question.
Que faites-vous pour régler ces contentieux? Est-ce qu'ils entravent notre accès à l'autonomie gouvernementale et pèsent-ils sur notre avenir?
Mme Poitras: Vous le savez peut-être, le Metis Settlements General Council fait l'objet d'une loi qui a été adoptée par le gouvernement de l'Alberta. Les habitants des colonies métisses de l'Alberta choisissent également d'être membres de la nation métisse de l'Alberta. Nous avons des relations de travail étroites avec le Metis Settlements General Council. Cela n'a pas toujours été le cas. Cependant, depuis mon arrivée à la présidence, qui remonte à presque trois ans, le président du Metis Settlements General Council et moi-même, en ma qualité de présidente de la nation métisse de l'Alberta, avons établi des relations de travail étroites. Nous nous rencontrons régulièrement pour nous assurer que nous représentons du mieux que nous pouvons tous les Métis de l'Alberta, tant ceux qui habitent dans nos colonies que ceux qui habitent à l'extérieur. Nous collaborons avec le Metis Settlements General Council.
Bruce Gladue voudra sans doute répondre à la question que vous posez au sujet de la relation entre le gouvernement fédéral et la nation métisse.
M. Gladue: Pour répondre à votre première question, je pense qu'il serait utile que je fasse un bref historique des terres accordées aux Métis à l'issue de dépôt du rapport de la commission royale en Alberta. C'est la Metis Association of Alberta qui, à l'époque, a demandé que ces terres soient réservées aux Métis en compensation de l'oppression qu'ils avaient connue. Il existe un lien historique entre ces questions et les terres qui ont été accordées aux Métis.
À l'heure actuelle, la nation métisse de l'Alberta collabore avec Développement des ressources humaines Canada à la mise en oeuvre d'un programme en matière de formation de la main-d'oeuvre. L'accord comporte notamment l'établissement d'une relation de travail entre les collectivités métisses en ce qui touche à la mise en oeuvre du programme sur les terres réservées aux Métis. L'accord a cependant été conclu entre le MNA et le peuple métis de l'Alberta.
La relation entre le Canada et les Métis ainsi que toutes les questions de compétence sont très complexes. Notre relation est actuellement régie par un processus tripartite dans le cadre duquel nous pouvons envisager des négociations avec le Canada menant à l'autonomie gouvernementale. Cet accord nous permet également d'examiner les programmes et les services qui peuvent nous être offerts par les ministères fédéraux. Nous savons que cet accord ne fait que proposer un processus, mais il nous permet d'établir un lien avec les ministères fédéraux. Le gouvernement de l'Alberta est évidemment l'un des signataires de l'accord.
Les Métis de l'Alberta soutiennent depuis toujours qu'ils relèvent du gouvernement fédéral. Nous n'aimons pas parler d'une «responsabilité fiduciaire» parce que les Métis, comme le confirment de nombreux documents qu'ils ont présentés, disent se prendre en charge. Le gouvernement fédéral doit cependant s'acquitter de certaines obligations à leur égard. Peut-être devrions-nous parler de «obligations fédérales». L'article 91.24 constituerait évidemment l'une des importantes obligations fédérales. Comme l'a fait remarquer la CRPA, les Métis ne jouissent malheureusement pas des mêmes avantages dans le domaine de l'éducation ou des soins de santé que les autres Premières nations comme les Inuits.
Cela ne nous a pas empêchés d'aller de l'avant en Alberta. Nous espérons pouvoir offrir des programmes d'enseignement post-secondaire dans des établissements que nous mettons sur pied. Nous espérons que les problèmes de compétence se régleront d'eux-mêmes à l'issue des négociations auxquelles participe le MNA.
Le sénateur Andreychuk: Compte tenu de la voie dans laquelle vous vous dirigez qui est celle de vous prendre en charge, pensez-vous qu'il serait utile que le Sénat, particulièrement dans le cadre de cette étude, examine les mécanismes qui pourraient faciliter votre dialogue avec le gouvernement? Devrions-nous nous pencher sur les défis que vous devez relever dans le domaine de la gestion, du logement et des services de garde, ou souhaitez-vous vous-mêmes étudier ces questions? Devrions-nous recommander un processus qui faciliterait le règlement de ces questions?
Mme Poitras: Il importe pour notre peuple que nous trouvions une solution à ces problèmes à court terme. Je pense que nous pourrons de cette façon établir des mécanismes qui nous permettront d'aider nos gens dans l'avenir. Ces deux choses vont de pair. L'une n'est pas possible sans l'autre. À mon avis, nous pouvons atteindre ces deux objectifs. Nous devons régler les problèmes qui se posent aujourd'hui, mais ce faisant, nous établirons les mécanismes auxquels nous aurons recours dans l'avenir.
Le sénateur Andreychuk: Votre participation au processus et aux négociations repose-t-elle sur la conviction profonde que vous êtes assujettis à la Charte des droits et libertés comme le reste des Canadiens?
Mme Poitras: Oui.
Le sénateur Mahovlich: Encouragez-vous les autres Métis du Canada à venir en Alberta participer aux discussions portant sur l'attribution de terres? Encouragez-vous les Métis qui vivent à Edmonton ou à Calgary à participer au processus?
Mme Poitras: J'aimerais préciser que le Metis Settlements General Council est l'organisme qui s'occupe des terres réservées aux Métis. Ces terres ont été réservées pour tous les Métis de l'Alberta. Je suis sûre que les familles métisses qui auraient quitté l'Alberta et qui voudraient y revenir pourraient s'installer sur ces terres également.
Le sénateur Mahovlich: Seul un nombre limité de personnes peuvent cependant tirer leur subsistance de ces terres, n'est-ce pas?
Mme Poitras: Je ne veux pas m'étendre trop longuement sur la loi réservant des terres aux Métis parce que je sais que le président de la Metis Settlements General Council vous en a parlé. La loi prévoit cependant que les terres sont réservées pour tous les Métis. Il est vrai que la quantité de terre prévue est limitée et il est possible que dans l'avenir la population soit trop nombreuse pour pouvoir tirer sa subsistance de ces terres. La loi prévoit cependant que ces terres ont été réservées pour tous les Métis de l'Alberta.
Le sénateur Adams: Négociez-vous avec des Métis de l'extérieur de l'Alberta? Les Métis devraient être tous traités de la même façon peu importe où ils résident. Deux traités régissent maintenant les Métis, le traité numéro 8 et le traité 10 ou 11 qui s'applique aux Métis qui vivent au nord et au sud du Grand lac des Esclaves. Les Métis qui vivent dans d'autres provinces peuvent-ils appartenir à votre organisation? Qu'en est-il à ce sujet?
Mme Poitras: La nation métisse de l'Alberta fait partie du Metis National Council of Canada qui représente les Métis de toutes les provinces canadiennes. Si un Métis de l'Alberta déménage au Manitoba, nous veillons à ce que le nom de cette personne soit porté à la liste des membres du Metis National Council of Canada. Les Métis tiennent beaucoup aux droits à la mobilité.
Le président: Je vous remercie beaucoup de votre exposé. Nous tiendrons certainement compte de vos préoccupations.
La séance est levée.