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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 27 - Témoignages du 27 avril 1999 (séance du matin)


OTTAWA, le mardi 27 avril 1999

Le comité sénatorial permanent des peuples autochtones, qui est saisi du projet de loi C-49, portant ratification de l'Accord-cadre relatif à la gestion des terres des Premières nations et visant sa prise d'effet, se réunit aujourd'hui à 9 heures pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Charlie Watt (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, notre premier témoin est M. Jon Kesselman, qui représente la Musqueam/Salish Park Residents' Association.

Monsieur Kesselman, la parole est à vous.

M. Jon Kesselman, directeur, Musqueam/Salish Park Residents' Association: Je suis heureux d'avoir l'occasion de m'adresser à votre comité et de vous faire part de mes réflexions et de mon analyse relativement au projet de loi C-49. Mon point de vue sur cette question est celui d'un titulaire de propriété à bail qui habite depuis neuf ans dans la réserve indienne de Musqueam à Vancouver. J'ai également été un intervenant qui, pendant la plus grande part de cette période, a contribué activement aux moyens restreints dont disposent les titulaires de propriétés à bail pour se faire entendre auprès de ceux qui gouvernent la bande. De plus, je suis économiste spécialisé dans les politiques fiscales et de sécurité du revenu.

Pour compléter ma présentation, j'ai apporté un sommaire chronologique de l'expérience des titulaires de propriétés à bail de Musqueam, allant de 1991 (année où la bande a assumé les pouvoirs de taxation et de gestion publique) jusqu'à ce jour. J'estime que l'expérience sur le terrain est essentielle pour comprendre les répercussions véritables de la loi proposée. L'expérience des titulaires de propriétés à bail de Musqueam devrait susciter des préoccupations sérieuses au sujet des conséquences concrètes de certaines facettes du projet de loi sur la gestion des terres des Premières nations.

Je parlerai principalement des dispositions du projet de loi concernant l'expropriation et de leurs effets sur les Canadiens qui détiennent des intérêts locatifs dans les réserves. Toutefois, je reconnais qu'il y a deux autres domaines importants où s'impose un examen approfondi et sans doute des modifications. Il y a les questions liées à une procédure adéquate de consultation entre les Premières nations et les autorités voisines, ainsi que les questions relatives au droit de propriété des autochtones habitant dans les réserves. Je suis persuadé que d'autres témoins vous parleront également de ces questions.

Il est regrettable que le gouvernement fédéral soit allé de l'avant malgré l'opposition croissante des divers groupes. L'Union des chefs indiens de la Colombie-Britannique, les United Native Nations de la Colombie-Britannique et la Native Women's Association of Canada se sont opposées officiellement au projet de loi, en raison de préoccupations liées aux droits des femmes et aux pouvoirs d'expropriation. Un groupe de femmes de la nation Squamish de la Colombie-Britannique, qui est une des bandes signataires, s'est fortement opposé au projet de loi, de même que la chef sortante de la nation Musqueam, qui est une autre bande signataire.

Les titulaires de propriétés à bail de diverses réserves, qui n'ont pris connaissance du projet de loi qu'assez tard, ont réagi avec crainte aux pouvoirs d'expropriation qui pouvaient être brandis contre eux. Selon la perception générale, les pouvoirs d'expropriation prévus par le projet de loi pourraient toucher toutes les familles titulaires de propriétés à bail, et pas seulement celles qui habitent dans les réserves des bandes signataires initiales. En Colombie-Britannique, un tiers des 60 000 résidents des réserves indiennes ne sont pas autochtones et la grande majorité d'entre eux sont titulaires de propriétés à bail. De nombreux autres titulaires se trouvent dans les réserves indiennes à l'échelle du pays, notamment en Ontario. Seulement 14 bandes sur un total de plus de 600 bandes indiennes désirent compter parmi les adhérents initiaux à la Loi: ces chiffres devraient donner à réfléchir à ceux qui sont tentés d'approuver le projet de loi sans l'examiner en profondeur.

Je voudrais maintenant expliquer les raisons pour lesquelles les pouvoirs d'expropriation prévus dans le projet de loi C-49 ont suscité une opposition aussi générale qu'énergique. L'expropriation est un outil standard dans l'arsenal des gouvernements. Elle s'avère parfois nécessaire pour la réalisation ordonnée d'installations et de travaux publics. Alors, pourquoi faudrait-il s'inquiéter de l'attribution de pouvoirs d'expropriation aux gouvernements des Premières nations qui pourraient choisir de s'en prévaloir? Serait-ce que les gouvernements des Premières nations sont moins dignes de confiance que nos gouvernements conventionnels? Non, je ne crois pas que les adversaires du projet de loi pensent ainsi. Serait-ce qu'un gouvernement des Premières nations a quelque chose de fondamentalement différent d'un gouvernement fédéral, provincial ou municipal sur le plan des objectifs et des mandats? Là, je crois que nous abordons le n<#0139>ud du problème.

De plus, les dispositions spécifiques du projet de loi C-49 liées à l'expropriation comportent des lacunes majeures sur le plan de l'équité et de l'application régulière de la loi. Il est essentiel de remédier à ces lacunes, et il serait facile de le faire si on le désirait.

Au Canada, quand un palier de gouvernement conventionnel -- j'entends par là une administration municipale, un gouvernement provincial ou le gouvernement fédéral -- exproprie une propriété, c'est pour la construction d'installations ou de services publics, ou pour la mise en <#0139>uvre d'une initiative dont l'objectif est manifestement d'intérêt public. Ces gouvernements n'exproprient pas une terre quand sa valeur a augmenté, de façon à profiter de la valeur accrue par voie de développement ou de revente, en privant les propriétaires de la plus-value de leur bien. Habituellement, le gouvernement responsable approuve plutôt un changement du zonage ou de l'usage des terres, de manière à permettre aux propriétaires de tirer parti de cette plus-value, pourvu que la nouvelle utilisation des terres soit conforme à l'intérêt public et ne nuise pas excessivement aux intérêts privés des propriétaires voisins. Le gouvernement encaisse sa part de la plus-value sous forme d'impôts fonciers plus élevés et d'impôts sur les gains en capital au moment où les terres sont vendues.

Toutefois, le gouvernement n'exproprie pas la terre en elle-même et ne prive pas le propriétaire de la valeur accrue de son bien. En permettant une telle démarche, on supprimerait un des motifs fondamentaux de l'investissement immobilier et de la mise en valeur immobilière.

Comment les modèles traditionnels d'intervention gouvernementale s'appliquaient-ils dans le contexte des Premières nations tel que l'envisage le projet de loi C-49? D'après l'article 28, une bande signataire peut:

(1) [...] procéder à l'expropriation des intérêts sur ses terres dont elle a besoin, de l'avis de son conseil, à des fins d'intérêt collectif, notamment la réalisation d'ouvrages devant servir à la collectivité.

Dans ce passage, j'aimerais mettre en évidence les expressions «de l'avis de son conseil» et «à des fins d'intérêt collectif». En langage clair, cela signifie que toute fin qui, aux yeux d'un conseil de bande, favorise des objectifs quelconques d'une Première nation constitue un motif justifié pour l'expropriation de tout intérêt portant ses terres.

Bien qu'on puisse s'attendre à ce que le nouveau pouvoir d'expropriation d'une Première nation soit limité à une gamme d'installations et de services publics que l'on associe au gouvernement conventionnel, le libellé du projet de loi a en fait une portée beaucoup plus générale, si bien qu'elle englobe à peu près toute fin qu'un conseil de bande pourrait imaginer.

La ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien a pris la peine de souligner que les pouvoirs d'expropriation des bandes en vertu du projet de loi C-49 seraient limités à des fins purement publiques et non commerciales. Citée dans le Vancouver Sun du 3 février, Mme Stewart a affirmé que les bandes:

[...] pourront procéder à des expropriations seulement dans les cas où cela s'inscrit dans l'intérêt public général, par exemple pour la construction de routes, d'écoles, ou de centres communautaires. On ne permettra pas aux Premières nations de faire un usage abusif de l'article et d'adopter des projets de mise en valeur immobilière pour réaliser un profit [...] Ce n'est pas une question de rendement économique.

Permettez-moi de dire, avec tout le respect que je dois à la ministre, que le libellé actuel du projet de loi n'appuie pas cette affirmation. Le projet de loi permettrait une gamme quasi illimitée de «fins d'intérêt collectif» à titre de motifs justifiés pour l'expropriation. Même si la ministre croit que son interprétation plus étroite est exacte, elle ne pourra pas l'imposer une fois que la Loi sur la gestion des terres des Premières nations aura été adoptée. Et aucun ministre futur ne pourra refuser aux bandes les pouvoirs que leur accorde la loi.

Il est en outre inquiétant que M. Bob Watts, sous-ministre adjoint des Affaires indiennes et du Nord canadien, ait déclaré, dans son témoignage devant le comité, le 14 avril, que le projet de loi C-49 «donnera aux Premières nations la possibilité de réagir rapidement aux décisions d'affaires touchant la gestion des terres». J'insiste sur le fait qu'il a parlé de «décisions d'affaires» plutôt que d'installations et de services publics.

Un autre élément contredit l'affirmation selon laquelle les pouvoirs d'expropriation se limiteront aux travaux publics: les visées annoncées par une des bandes signataires, la nation Squamish. Dans son témoignage devant votre comité le 2 décembre dernier, Harold Calla, directeur des finances et membre du conseil de la bande de Squamish, a souligné combien la Loi sur la gestion des terres pourrait aider sa nation à mettre en valeur le milliard de dollars de propriétés qu'elle possède. Il est clair que, partout au Canada et particulièrement en Colombie-Britannique, en raison du règlement imminent d'importantes revendications territoriales, de nombreuses autres Premières nations perçoivent leurs terres comme une plate-forme de développement économique.

Ces initiatives comporteront sans doute l'expropriation de certains intérêts à l'intérieur de leurs terres, afin de rassembler les blocs de terrains requis pour un grand projet de mise en valeur immobilière. Dans le cas de la nation Squamish, la rumeur veut qu'il y ait des plans de remise en valeur de la réserve Mission à North Vancouver, ce qui nécessiterait le déplacement d'un nombre considérable de membres de la bande. Voilà pourquoi des membres au niveau de la base s'inquiètent des dispositions d'expropriation.

Pourquoi faudrait-il restreindre le droit des autochtones de mettre en valeur leurs terres à leur gré, dans le cadre d'une stratégie de développement économique comprenant, le cas échéant, le recours à leurs pouvoirs d'expropriation? Il y a deux réponses à cette importante question. La première concerne l'équité et la seconde, les incitatifs requis pour assurer le développement économique.

Sur le plan de l'équité, l'attribution aux Premières nations de pouvoirs d'expropriation qu'ils peuvent exercer sur les résidents autochtones et les titulaires de propriétés à bail modifie fondamentalement l'équilibre des pouvoirs et, par conséquent, la valeur des intérêts existants. Il s'agit d'une saisie de la valeur acquise par les titulaires actuels, que les pouvoirs d'expropriation soient exercés rapidement, plus tard ou jamais. La possibilité d'une expropriation par suite d'une décision du conseil de bande réduit la valeur du certificat de possession ou du bail.

De toute évidence, l'ampleur de cette réduction dépendra dans une grande mesure des modalités précises de l'expropriation possible. Compte tenu des dispositions actuelles du projet de loi C-49, il faut s'attendre à ce que les répercussions sur la valeur foncière soient sévères.

L'expérience des titulaires de propriétés résidentielles à bail de la réserve de Musqueam ne fait que confirmer ces préoccupations. Avant 1988, année où la Loi sur les Indiens a été modifiée de façon à accorder aux bandes des pouvoirs de taxation et de gestion publique locale, la valeur marchande des propriétés à bail de la réserve, même ceux nécessitant des versements locatifs annuels, était à peu près équivalente à la valeur des maisons franches identiques situées dans le secteur huppé de l'ouest de Vancouver, à l'extérieur de la réserve.

Après que la bande de Musqueam eut assumé les pouvoirs de taxation et de gestion publique, et particulièrement après la hausse rapide des impôts fonciers par rapport à Vancouver, les maisons situées dans la réserve ont progressivement perdu de la valeur. Le graphique de la page 8, dans le document que j'ai distribué aujourd'hui, reflète ce changement.

En novembre dernier, même les maisons dont le bail avait été entièrement payé d'avance et demeurait valide pendant 75 autres années, se sont vendues à 45 p. 100 de moins que les maisons situées à l'extérieur de la réserve. Cela s'est produit avant la médiatisation du conflit portant sur les baux qui n'avaient pas été payés d'avance et du dépôt du projet de loi C-49. Aujourd'hui, il est impossible de vendre ces propriétés, même à des prix dérisoires. Cette expérience illustre à quel point le marché de l'habitation réagit à l'incertitude et au risque. La situation ne fera que s'aggraver si le projet de loi C-49 est adopté dans sa forme actuelle.

Les dispositions du projet de loi liées à l'expropriation semblent délibérément viser à anéantir la valeur des propriétés à bail. Mettons-nous à la place de l'acheteur qui compare des maisons à vendre à l'extérieur et à l'intérieur de la réserve. S'il achète la propriété à bail dans la réserve, il sait qu'en vertu du projet de loi C-49, la maison qu'il vient d'acheter pourrait être expropriée avec un préavis maximal de 30 jours, à une valeur déterminée en pratique par la bande, et que toute procédure d'appel serait également régie par la bande.

Il pourrait s'attendre à recevoir une indemnité équivalant à la juste valeur marchande de la propriété, mais quelle sera cette valeur? Si l'acheteur craint une expropriation qui peut survenir à tout moment, sans préavis ou presque, pourquoi voudrait-il courir le risque d'acheter une propriété à bail dans une réserve? Même s'il obtenait la juste valeur marchande, celle-ci serait faible en raison du risque d'expropriation. De plus, il ne serait pas indemnisé pour les autres frais liés à l'achat d'une nouvelle maison: le temps, la recherche, le déménagement, les taxes de transfert de propriété, les frais juridiques et hypothécaires, et cetera.

Si un nombre croissant d'acheteurs se désintéressent du marché des propriétés à bail à l'intérieur des réserves, le prix de ces propriétés va chuter considérablement. Une bande opportuniste pourrait alors décider d'exproprier les terrains au moment où leur valeur marchande est très basse.

La dynamique vicieuse que je viens de décrire n'est pas seulement très injuste envers les titulaires actuels de propriétés à bail dans les réserves, elle pourrait aussi miner tout espoir de transformer les terres autochtones en une ressource attrayante pour le développement économique. Quel financier, investisseur, promoteur ou commerçant voudrait investir dans une propriété à bail à long terme sur une terre autochtone, en sachant qu'il pourrait être exproprié à bref délai pour à peu près n'importe quel motif invoqué par la bande? Manifestement, si la propriété louée devait prendre de la valeur en raison de la croissance démographique, de l'urbanisation ou d'une autre forme de développement économique, le titulaire aurait à craindre que la Première nation l'exproprie afin de se saisir de la valeur accrue du bien. Les dirigeants de la Première nation pourraient également se servir de la menace d'expropriation pour soutirer des versements locatifs plus élevés.

Pour ces raisons, les dispositions qui facilitent l'expropriation peuvent sembler avantager les Premières nations, mais en fait, elles minent leur aptitude à trouver des partenaires pour le financement d'une vaste gamme d'initiatives de développement. Ces dispositions ne sont pas seulement injustes envers les titulaires actuels et futurs de propriétés à bail à l'intérieur des terres autochtones, elles nuisent aussi au développement économique à long terme des Premières nations.

Pour remédier aux injustices et aux lacunes inhérentes des dispositions d'expropriation du projet de loi, il faut adopter deux types de modifications. Premièrement, il convient de limiter clairement et explicitement les pouvoirs d'expropriation établis en vertu du paragraphe 28(1) à la mise en <#0139>uvre de travaux et d'installations publics. La meilleure façon de procéder consisterait à énumérer les fins admissibles pouvant justifier une expropriation. Il faudrait exclure des fins admissibles toute initiative de mise en valeur qui comporte un volet commercial, industriel, résidentiel ou autre visant à générer des recettes. Il faudrait également prévoir une disposition qui empêche une Première nation de s'approprier les terrains en invoquant une fin de nature publique, pour ensuite convertir ces terrains à des fins commerciales, industrielles ou résidentielles, à moins d'une indemnisation additionnelle de l'ancien titulaire du bail.

La nécessité de restreindre les fins pouvant justifier l'expropriation par une Première nation et la raison de formuler ces restrictions de façon plus rigoureuse et plus explicite découlent, d'une part, du rôle hybride des Premières nations, qui assurent à la fois la gestion publique et la promotion des projets. Ce rôle comporte de façon inhérente un conflit d'intérêts. Il découle également du fait que les locataires non autochtones sont privés du droit de vote et d'autres droits liés à la gestion publique autochtone.

Un conseil de bande habilité à exproprier n'a pas à rendre des comptes, sur le plan politique, aux titulaires de propriétés à bail non autochtones qui pourraient subir l'expropriation. Ce n'est pas le cas des conseils municipaux ou des assemblées législatives provinciales qui ont également le pouvoir d'exproprier.

Exclure les propriétés des dispositions d'expropriation quand une Première nation veut mettre en <#0139>uvre un projet de développement commercial ou résidentiel n'empêcherait pas les dirigeants autochtones de négocier, d'égal à égal, les conditions de la vente de l'intérêt détenu par le titulaire. Avec une telle disposition, les investisseurs et promoteurs potentiels auraient les assurances voulues pour conclure de nouvelles ententes avec les Premières nations, sachant qu'aucun déplacement ne pourrait se faire à l'avenir sans négociations équilibrées et sans un rachat mutuellement convenu.

Même si les questions essentielles que je viens d'évoquer étaient réglées par des modifications, le projet de loi C-49 contiendrait encore des lacunes techniques dans ses dispositions d'expropriation. Par exemple, le paragraphe 28(5) stipule ce qui suit:

La Première nation est tenue de verser au titulaire de tout intérêt exproprié une indemnité équitable. Il doit être tenu compte, dans le calcul de celle-ci, des règles prévues par la Loi sur l'expropriation.

Cette disposition qui impose de déterminer le montant de l'indemnité équitable «compte tenu des règles» de la Loi sur l'expropriation manque beaucoup trop de rigueur. Pour confirmer cette interprétation, je voudrais citer le témoignage devant le comité, le 14 avril 1999, de M. Kerry Kipping, responsable du projet de loi C-49 aux Affaires indiennes. Voici ce que M. Kipping a dit:

Quant à la façon dont l'expropriation sera faite, les Premières nations établiront les règles et les procédures, mais elles se serviront de la Loi fédérale sur l'expropriation comme guide à cette fin.

Je souligne les mots «comme guide».

Honorables sénateurs, si les Premières nations ne doivent utiliser la Loi sur l'expropriation que comme un guide pour établir leurs propres règles et procédures d'indemnisation en cas d'expropriation, les objections et les appels ne suffisent pas. À mon avis, les rédacteurs des dispositions du projet de loi C-49 sur l'expropriation étaient soit singulièrement peu familiers avec le processus d'expropriation ou alors ils avaient l'intention d'accorder aux conseils de bande des pouvoirs discrétionnaires étendus en matière d'expropriation. Il ne m'appartient pas de décider lequel des deux cas s'applique et nous n'avons pas besoin de comprendre leurs motifs pour déterminer que cette approche constitue une erreur grave.

Les lois et la jurisprudence concernant l'expropriation au Canada ont évolué pendant des générations, après avoir découlé des besoins créés par l'expansion du chemin de fer britannique au milieu du XIXe siècle.

J'ai apporté avec moi un texte de référence juridique sur la question des expropriations au Canada. Il compte plus de 600 pages et cite les lois et littéralement des centaines de cas reliés à l'expropriation, aux procédures d'avis et d'appel et aux nombreux aspects complexes de l'évaluation dont il faut tenir compte dans le monde réel. Le texte expose des principes établis qui donneraient un grand réconfort aux titulaires de propriétés à bail situées sur les terres des Premières nations, comme le principe de la valeur basée sur la plus haute et la meilleure utilisation du bien, le principe du rétablissement, les indemnités pour trouble de jouissance, les dispositions d'échange de maison et leur application aux intérêts locatifs.

Par contre, les paragraphes 28(3) à (6) du projet de loi C-49 décrivent ces questions en quatre petites phrases, en sus de cette vague référence à la Loi sur l'expropriation. Le projet de loi prévoit de donner au titulaire de l'intérêt un préavis de 30 jours ou moins lorsqu'il est exproprié par un conseil de bande et stipule que les différends relatifs à l'indemnisation doivent être réglés par la Première nation elle-même. Le seul moyen approprié, prudent et équitable de traiter ces questions est de supprimer les quatre paragraphes cités du projet de loi et de les remplacer par un nouveau paragraphe qui dirait simplement: «Toute expropriation par une Première nation et toutes les questions connexes d'indemnisation, d'avis, de procédure, de règle et d'appel sont strictement régies par les dispositions de la Loi sur l'expropriation.» En vérité, qu'y a-t-il de plus à dire?

Permettez-moi maintenant de résumer mon analyse des lacunes des dispositions du projet de loi C-49 relatives à l'expropriation et les mesures correctives que je propose.

Le gouvernement d'une Première nation se distingue fondamentalement des autres gouvernements du Canada en ce qu'il est le propriétaire ultime, par l'intermédiaire de la Couronne, de toutes les terres de réserve. Aucune propriété franche n'existe sur ces terres. Beaucoup de Premières nations diffèrent également par le fait qu'elles envisagent leurs terres comme la ressource ultime pour leur développement économique futur. Par conséquent, les Premières nations assument simultanément les rôles multiples de propriétaires des terres, de promoteurs et de dirigeants, créant ainsi un épineux problème de conflit d'intérêts. De plus, les gouvernements des Premières nations excluent du droit de vote et de la capacité de détenir une fonction tous les titulaires de propriétés à bail n'appartenant pas à la bande, ce qui les soustrait à leurs responsabilités politiques envers un groupe important qui serait assujetti aux mesures d'expropriation.

Par conséquent, le pouvoir d'expropriation du gouvernement des Premières nations doit être strictement limité aux travaux publics et aux ouvrages devant servir à la collectivité et n'ayant aucune composante commerciale. Cette modification du projet de loi rendrait tout simplement explicite ce qui, selon la ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, existe déjà implicitement dans le libellé du projet de loi.

Nous ne devons pas écarter la sagesse et l'expérience qui nous viennent de plus d'un siècle de réflexion juridique et de jurisprudence en matière d'expropriation. Nous devrions plutôt rejeter la tentative de réinventer des concepts d'expropriation aux fins des Premières nations, concepts qui, en définitive, ne peuvent qu'occasionner des méfaits. Nous devrions également lier strictement à la Loi sur l'expropriation tous les aspects du processus, de l'indemnisation et des appels relatifs à l'expropriation prévus dans le projet de loi C-49.

Grâce à une modification simple, directe et rationnelle de ce genre, les titulaires de propriétés à bail et les résidents autochtones seraient rassurés, de même que les financiers, les investisseurs et les entreprises dont les Premières nations ont besoin comme partenaires à des fins de développement économique.

Honorables sénateurs, en apportant ces modifications au projet de loi, vous pourriez transformer une situation de crainte et de méfiance en un avenir positif pour toutes les parties en cause.

Le président: Merci beaucoup pour votre exposé. La période des questions est maintenant ouverte.

Le sénateur Ghitter: Monsieur Kesselman, je suis sensible à certaines des choses que vous avez dites, mais pas à d'autres.

Au sujet du graphique que vous nous avez montré, j'ai toujours cru comprendre que les intérêts locatifs ont moins de valeur que les intérêts francs. Cela n'est pas surprenant. Sur le marché, si on acquiert un intérêt locatif, il n'a pas la même valeur qu'un intérêt franc. Le graphique que vous avez fait circuler n'établit donc qu'un fait déjà évident. Peut-être votre situation à Musqueam est-elle différente. Si c'est le cas, expliquez-nous donc de quelle façon.

M. Kesselman: Les experts immobiliers reconnaissent en général que l'intérêt locatif a presque 100 p. 100 de la valeur d'un intérêt franc lorsqu'il reste encore 99 ans à courir sur le bail. Cela se confirme en pratique. Par exemple, des logements ont été construits sur des terrains appartenant à l'Université de la Colombie-Britannique et ont été vendus avec des baux de 99 ans. Ces logements ont la pleine valeur d'un intérêt franc.

Dans ce graphique particulier, je fais une comparaison entre un intérêt locatif entièrement payé d'avance sur la réserve de Musqueam et des intérêts francs à l'extérieur de la réserve. Lorsqu'il reste encore une longue période à courir sur un intérêt locatif, comme 99, 80 ou 75 ans, l'intérêt a une valeur très proche des intérêts francs correspondants.

Cela se fonde sur le principe de l'escompte financier. En se basant sur des hypothèses économiques raisonnables, on peut voir que s'il reste 75 ans à courir -- et c'est à ce stade qu'en étaient les propriétés à bail de la réserve de Musqueam l'année dernière --, un intérêt locatif vaut 98 ou 98,5 p. 100 d'un intérêt franc. C'est seulement s'il ne reste que 30, 20, 10 ou 5 ans à courir que la valeur baisse considérablement. C'est le principe de l'escompte et de la valeur future de l'argent. Sur le graphique, on peut voir qu'avant 1988, les propriétés à bail situées sur la réserve de Musqueam -- et je ne parle que des baux entièrement payés d'avance -- se vendaient pratiquement au même prix que les propriétés hors réserve dont le Service d'évaluation de la Colombie-Britannique disait qu'elles étaient équivalentes d'après la taille du terrain, la taille des bâtiments, l'âge, et cetera. Les propriétés se vendaient donc au même prix avant que les autorités de Musqueam n'assument la responsabilité des évaluations foncières, avant donc que n'existent les très nombreux différends que nous avons eus et que nous avons encore. Je ne parle ici que de propriétés sans lien avec les différends relatifs aux loyers, qui ne touchent qu'un tiers des propriétés à bail de Musqueam.

Ces questions devraient intéresser tous les sénateurs parce que vous avez tenu d'autres audiences sur l'autonomie gouvernementale autochtone. Il a été question d'audiences sur les pouvoirs de taxation. À Musqueam, nous en avons l'expérience. Nous avons constaté qu'à défaut de restrictions juridiques appropriées sur les procédures d'évaluation, les procédures d'appel, les taux de taxation, et cetera, l'aventure est très risquée. On s'en est déjà rendu compte à Musqueam et on commence à s'en apercevoir dans le cas d'autres réserves de la Colombie-Britannique à qui on a conféré des pouvoirs de taxation.

Le sénateur Ghitter: Est-ce qu'il reste encore 75 ans à courir sur tous les baux qui existent là-bas? J'avais cru comprendre que la durée restante de beaucoup de ces baux était inférieure.

M. Kesselman: Il y a deux lotissements. Dans celui où je vis, les baux avaient été acquittés d'avance par le promoteur et le premier acheteur. Dans ce lotissement, où se trouvent les deux tiers des propriétés, il reste maintenant 74 ans à courir. Dans l'autre lotissement, qui avait été mis en valeur plus tôt, la période est plus courte: il ne reste qu'environ 65 ans à courir sur les baux.

Le sénateur Ghitter: Vous avez proposé des amendements reliés aux expropriations et à votre désir de les assujettir à la Loi fédérale sur l'expropriation.

L'article 4 du projet de loi est ainsi libellé:

L'accord-cadre est ratifié et prend effet conformément à ces dispositions.

Que penseriez-vous si les bandes convenaient d'inclure vos amendements dans l'accord-cadre plutôt que de passer par toutes les formalités nécessaires pour modifier le projet de loi? En seriez-vous satisfait?

M. Kesselman: Je crois que les titulaires de propriétés à bail de Musqueam et de Salish Park ne seraient pas du tout heureux.

Le sénateur Ghitter: Pourquoi?

M. Kesselman: Ils estiment que les restrictions et les principes clés doivent figurer dans le texte même de la loi. Un accord-cadre peut être modifié avec le temps. De même, d'autres signataires peuvent s'y joindre après une période initiale de quatre ans. Les nouveaux signataires pourraient avoir des accords-cadres différents. Pourquoi serait-il difficile d'apporter des modifications quand elles sont clairement justifiées et nécessaires? Pourquoi recourir à un moyen indirect qui n'offre pas la même sécurité que si la garantie était inscrite dans la loi elle-même?

Le sénateur Ghitter: L'«accord-cadre», tel qu'il existe au moment de l'adoption du projet de loi, est l'accord-cadre qui est ratifié par le projet de loi, de sorte que toute modification devrait être soumise au Parlement.

M. Kesselman: Je ne peux pas me prononcer sur ce point. Je ne connais pas les usages parlementaires, mais je sais comment mes voisins réagiraient à cela. Ils ne seraient pas satisfaits, peut-être sans raison.

Le sénateur St. Germain: Comme le comité a indiqué qu'il n'était pas disposé à voyager, la semaine dernière, le sénateur Lawson et moi-même avons pris l'initiative de rencontrer 20 ou 25 titulaires de propriétés à bail de Musqueam et Salish Park qui s'inquiétaient au sujet du projet de loi C-49. Pouvez-vous fournir au comité des preuves documentaires établissant les raisons pour lesquelles nos interlocuteurs croyaient qu'ils ne pouvaient pas vendre leur maison? Ils nous ont même dit qu'ils ne pouvaient pas les céder pour rien. Ils nous ont parlé d'une maison achetée pour environ 600 000 $, qui s'est vendue 130 000 $.

Je comprends, monsieur le président, que nous sommes en train de considérer deux questions. D'abord, nous avons le projet de loi et, ensuite, nous avons les facteurs humains et les réalités du monde dans lequel nous vivons. Y a-t-il des preuves documentaires établissant à quel point la valeur des propriétés a baissé par suite des récents changements apportés aux baux de la réserve de Musqueam et le dépôt du projet de loi C-49?

M. Kesselman: Il est impossible de démêler les différents facteurs qui ont influé sur le marché des propriétés à bail de la réserve de Musqueam. Il y a les différends concernant les baux, les différends concernant les loyers, le projet de loi C-49, les pouvoirs de taxation, et cetera. Les courtiers en immeuble ont conseillé à leurs clients de retirer leur maison du marché, parce qu'ils perdraient leur temps à essayer de les vendre, par suite de toute la publicité qui entoure le projet de loi C-49 et le différend concernant les baux.

Le même conseil a été donné aux propriétaires du lotissement de Salish Park où les baux avaient été entièrement payés d'avance et qui ne sont donc touchés que par les retombées de la publicité, en plus du projet de loi C-49, des différends relatifs aux impôts fonciers et aux évaluations immobilières et de l'ingérence de la bande dans les affaires de sa propre commission d'appel de l'évaluation.

Si vous voulez des preuves de la façon dont le régime de taxation à Musqueam, le régime d'évaluation foncière et l'ensemble des relations entre les bandes et les titulaires de propriétés à bail se répercutent sur la valeur des propriétés, je vous suggère de jeter un coup d'<#0139>il au document que j'ai distribué. Ce graphique remonte à 1980. Il vous montre la situation avant et après le changement de gouvernement. Auparavant, aux termes de leur bail, les titulaires de propriétés à bail payaient leur impôt foncier directement à la ville de Vancouver et recevaient directement d'elle leurs services publics. Ces propriétés étaient évaluées comme s'il s'agissait d'intérêts francs situés hors réserve.

Toutefois, vous voyez que l'écart s'élargit après 1988, c'est-à-dire après la modification de la Loi sur les Indiens. En 1990, la bande de Musqueam a demandé ces pouvoirs. Des règlements administratifs sont alors adoptés pour lui accorder des pouvoirs d'évaluation foncière et des pouvoirs de décision concernant les dépenses locales. L'écart a continué à se creuser avec le temps jusqu'à atteindre 45 p. 100 pour les baux entièrement payés d'avance. Cela précède le dernier chiffre donné sur le graphique, qui remonte à 1996, parce que j'ai établi ce graphique pour d'autres motifs, avant le dépôt du projet de loi C-49. C'était aussi avant que le différend concernant les baux ne devienne public et que la Cour d'appel n'infirme la décision du tribunal de première instance et fixe ces loyers astronomiques.

Ce sont là des preuves importantes. Comme je l'ai dit, nous ne pouvons pas démêler les effets du projet de loi C-49 de ceux du différend concernant les baux. Les deux sont connus du public et tous les courtiers en immeuble de la région du Lower Mainland en sont conscients. La plupart d'entre eux refusent de s'occuper de ces propriétés et conseillent à leurs clients de s'adresser ailleurs. Et cela continuera tant que ces questions n'auront pas été réglées.

Le sénateur Lawson: Lorsque j'ai assisté à cette réunion avec les propriétaires, je ne pouvais pas croire que je me trouvais en Colombie-Britannique. Nous avons entendu le genre d'histoire d'horreur qu'on associe ordinairement aux dictatures où le gouvernement se permet de saisir les terres et de jeter les gens dehors sans leur accorder le moindre droit d'appel. Nous avons entendu parler de la décision de modifier les règles de taxation de façon que l'impôt foncier soit perçu non plus par la ville de Vancouver, mais par la bande de Musqueam. Cette décision aurait été prise sans même avertir les propriétaires. On nous a dit que les membres du Taxation Advisory Council de la bande cherchent à rejeter des cas ou à infirmer des décisions.

J'ai été épouvanté par l'injustice grave à laquelle ces gens ont été soumis. On nous a parlé d'un couple âgé de 83 et 85 ans qui ne sait pas à qui s'adresser. Ces gens avaient acheté leur maison pour 600 000 $ et ne peuvent pas simplement y renoncer.

Seulement deux propriétés ont été vendues depuis que la presse a parlé de cette affaire. Les acheteurs étaient des membres de la bande qui, m'a-t-on dit, ont payé des prix extrêmement bas.

Nous avons entendu parler d'une dame originaire d'Afrique du Sud qui avait été exposée à toutes les horreurs qui se sont produites dans ce pays. Quand elle est venue au Canada avec son mari, ils ont voulu aider les autochtones et vivre sur un terrain loué. Aujourd'hui, le mari est décédé et elle ne peut pas vendre sa propriété.

Un homme nous a dit qu'il avait payé 650 000 $ pour sa propriété il y a 27 ans, qu'il était disposé à la céder pour rien, mais qu'il s'est fait dire que lui-même et ses héritiers seraient tenus responsables pendant la période qui reste dans le bail. D'autres gens ne savent plus quoi faire parce qu'ils n'ont pas les moyens de payer deux millions de dollars pour acquitter le solde de leur loyer et, en même temps, qu'ils n'ont pas la possibilité de vendre leur propriété.

Le président: Vous voudrez peut-être poser votre question.

Le sénateur Lawson: J'y venais. Voilà donc les choses dont nous avons besoin d'entendre parler. Si nous ne pouvons pas mentionner ces questions, je ne vois pas pourquoi nous sommes là.

D'après l'expérience que j'ai acquise ailleurs, les propriétés louées ont une valeur décroissante parce que les institutions financières n'accordent pas un prêt hypothécaire de 30 ans à moins que le bail n'ait une durée d'au moins 10 ans de plus. Les valeurs tombent brutalement, ce qui cadre mal avec la décision de la Cour d'appel.

Dans la plupart des autres cas, le comté ou la ville accepte d'entendre des appels relatifs à l'impôt foncier pendant la période où la valeur décroît. Dans mon propre cas, l'impôt a été réduit à deux reprises pendant une période de trois ans. Dans ce cas, c'est l'inverse qui se produit: les prix chutent brutalement pendant que l'impôt foncier double. De plus, le changement d'administration s'est fait sans consentement.

Je suis d'accord avec vous au sujet de l'expropriation. Toutes les assurances de la ministre ne valent rien. Elle peut bien nous affirmer que toutes les recettes des impôts fonciers serviront à construire des routes et d'autres éléments d'infrastructure. En réalité, cet argent servira aux fins économiques décidées par la tribu, ce qui est certainement son droit, je ne le contesterai pas. Toutefois, elle devrait cesser de tromper les gens en leur disant que cela ne se produira pas. Cela se produira. C'est un problème grave auquel il nous faut faire face.

Votre exposé était excellent. Nous sommes en présence d'une situation désespérée que nous n'aurions jamais dû voir au Canada. Nous ne devrions pas permettre que cette situation se perpétue sans apporter les corrections et les modifications nécessaires pour éviter qu'elles se reproduisent à l'avenir.

Le sénateur Chalifoux: Je crois que nous examinons ici deux questions distinctes, ce que nous ne devrions pas faire. Nous étudions le projet de loi C-49 et les questions qui l'entourent. Nous parlons par ailleurs de baux signés il y a 30 ans. C'est une question absolument différente, qui ne devrait pas être soulevée au comité parce que nous sommes actuellement saisis du projet de loi C-49.

Dans votre lettre au comité, vous dites que les pouvoirs d'expropriation des bandes, définis à l'article 28, constituent la principale préoccupation de votre association. Vous ajoutez que vous vous inquiétez de la possibilité que les bandes usent de leur pouvoir d'expropriation relatif à des travaux devant servir à la collectivité ou à d'autres fins d'intérêt collectif en vertu du paragraphe 28(1) pour exploiter des terrains d'une certaine valeur. Vous vous opposez également à la période de préavis prévue pour l'expropriation et soutenez que l'indemnisation et les règles d'expropriation devraient être assujetties à la Loi sur l'expropriation.

Tout d'abord, j'aimerais que vous nous expliquiez ce que vous voulez dire en affirmant que le fait de conférer aux Premières nations ce pouvoir d'expropriation ne peut servir qu'«occasionner des méfaits». Que voulez-vous dire par là?

Ensuite, voulez-vous décrire plus en détail quelles fins les Premières nations peuvent considérer comme «des fins d'intérêt collectif»?

M. Kesselman: Lorsque j'ai parlé de la possibilité que des méfaits puissent être commis sous le couvert de ces fins très générales d'expropriation, je faisais allusion à des décisions intéressées que les bandes pourraient prendre pour priver de la valeur de leurs biens soit des membres de la bande ayant des certificats de possession ou des titulaires de propriétés à bail à long terme. J'ai établi la distinction entre de telles décisions et celles que prendrait un gouvernement conventionnel en expropriant des terrains pour réaliser des travaux publics, des écoles, des routes, et cetera. Un tel gouvernement ne recourt pas à l'expropriation pour priver une personne de la valeur de son bien.

Quant à votre seconde question au sujet de ce que je peux imaginer que les Premières nations pourraient inclure dans les «fins d'intérêt collectif», j'ai expliqué en détail qu'il pourrait s'agir d'activités commerciales, industrielles ou d'autres activités génératrices de recettes qui ne constitueraient pas la norme pour des pouvoirs fédéraux, provinciaux et municipaux dans une économie essentiellement orientée sur le marché. Ce fait rend la situation très différente de celle qui existerait si les pouvoirs d'expropriation appartenaient à ces gouvernements conventionnels.

Il pourrait y avoir d'autres fins d'intérêt collectif. Peut-être les bandes signataires devraient-elles prendre l'initiative de nous renseigner sur leurs priorités. Peuvent-elles citer des situations particulières dans lesquelles elles auraient recours à l'expropriation, à part les travaux publics? Il faudrait en discuter ouvertement et inclure explicitement ces situations. Une fois que nous en aurons eu connaissance, nous pourrons déterminer si elles sont d'intérêt public et si elles sont équitables pour les titulaires actuels d'intérêts dans les réserves.

Il ne m'incombe pas de définir ces autres fins. Ce sont les Premières nations qui devraient le faire. Elles devraient nous dire ce qu'elles envisagent au-delà du développement économique. Nous avons entendu parler des projets de la bande de Squamish et nous avons entendu les déclarations de Bob Watts, sous-ministre adjoint au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, qui a dit que les affaires et le développement commercial figurent assez haut sur la liste des priorités.

Le sénateur Chalifoux: Les membres de votre association ont-ils jamais rencontré le chef et le conseil?

M. Kesselman: Avec trois autres membres élus de l'Association, j'ai rencontré des représentants de la bande à peu près tous les mois, entre le début de 1992 et le début de 1998, dans le cadre de réunions d'un organisme appelé le Musqueam Taxation Advisory Council. Ce conseil avait pour objet d'informer la bande du point de vue des titulaires de propriétés à bail.

Au début de cette période, alors que j'étais président de ce conseil, j'ai demandé un entretien avec la chef Wendy Grant et le conseil de la bande. J'ai pu les rencontrer pendant un court moment. C'était en 1992. Après avoir parlé des inquiétudes des titulaires de propriétés à bail, je me suis fait dire par la chef et le conseil qu'ils ne voulaient pas en entendre davantage. Ils ne voulaient plus rien savoir des titulaires de propriétés à bail parce que, m'ont-ils dit, ils n'avaient pas de temps à perdre.

Je dois reconnaître que, malgré un énorme investissement de temps, d'efforts, de bonne volonté et d'espoir de la part des titulaires de propriétés à bail, l'expérience du Musqueam Taxation Advisory Council a été un échec total. La bande l'a également reconnu puisqu'elle a cessé de convoquer des réunions de ce conseil depuis avril 1998.

Nous avons fait ce que nous pouvions. La bande ne s'est pas montrée sensible aux inquiétudes des titulaires de propriétés à bail. Elle veut simplement rester aux commandes.

Le sénateur Chalifoux: Vous parlez de l'ancien conseil. Avez-vous essayé de rencontrer le nouveau chef et le nouveau conseil au sujet du projet de loi C-49 et pour exprimer vos préoccupations concernant les baux signés il y a 30 ans? Je veux m'occuper du projet de loi C-49. Est-ce que votre groupe a essayé de rencontrer le nouveau chef et le nouveau conseil?

M. Kesselman: Oui, nous avons essayé. Le président de l'Association des résidents a tenté de joindre le chef. C'est tout simplement impossible. Il est impossible de lui parler au téléphone. Il est impossible de le trouver. Il évite la presse. Notre président a parlé de nos préoccupations à l'un des membres du conseil de la bande et cela s'est arrêté là. Il n'a pas pu aller plus loin.

Notre porte demeure toujours ouverte. Malheureusement, il n'en a pas été ainsi pour l'autre partie.

Le sénateur Chalifoux: Vous nous dites qu'il n'y a eu aucune communication entre votre association et le chef et le conseil?

M. Kesselman: Il y a eu des contacts entre le président de l'Association des résidents et l'un des membres du conseil qui était disposé à s'entretenir avec lui sur une base non officielle.

Le sénateur Chalifoux: Vous dites que nous devrions examiner les dispositions du projet de loi relatives à l'expropriation.

M. Kesselman: Absolument.

Le sénateur Chalifoux: Vous ne croyez pas que la Loi sur l'expropriation aurait priorité sur celle-ci?

M. Kesselman: Ce n'est pas ce que croient les titulaires de propriétés à bail. Le libellé est vague. Si la Loi sur l'expropriation avait priorité, pourquoi le projet de loi C-49 contiendrait-il des dispositions telles que le paragraphe 28(3), qui traite du délai d'avis, le paragraphe 28(4), qui traite des intérêts expropriés qui doivent passer aux Premières nations libres de toutes charges, et le paragraphe 28(6) relatif aux différends concernant l'indemnisation, qui doivent être réglés selon un système mis sur pied par la Première nation en conformité avec l'accord-cadre?

La Loi sur l'expropriation est le fruit d'une riche expérience, d'une longue histoire et d'une jurisprudence qui précisent les procédures appropriées. Alors, pourquoi ces dispositions seraient-elles nécessaires? Comme je l'ai dit, nous savons que cette loi sera prise en considération. Vous pourriez obtenir un avis juridique plus ferme que le libellé du projet de loi ne l'est. Toutefois, cela ne serait d'aucun réconfort pour les titulaires de propriétés à bail ou les nombreux autochtones touchés.

Je vous rappelle que le projet de loi C-49 inquiète beaucoup un certain nombre de membres de bandes, surtout dans la réserve de Squamish. Dans la réserve de Musqueam, il est probable que très peu de membres de la bande ont entendu parler du projet de loi C-49, même si la bande est signataire de l'accord-cadre. La chef sortante, qui a quitté ses fonctions au début de janvier dernier, a maintenant publiquement pris position contre les dispositions d'expropriation du projet de loi. J'étais avec elle, la semaine dernière, devant les caméras de la télévision de Radio-Canada lorsqu'elle a exprimé sa ferme opposition à ces dispositions.

Qu'est-ce que cela signifie? Des éléments de deux des 14 bandes signataires, les deux dont je suis le plus proche, sont opposés aux dispositions d'expropriation proposées du projet de loi.

Le sénateur Chalifoux: Vous avez parlé de gouvernements conventionnels. Ne pensez-vous pas que le conseil de bande de Musqueam, avec ses chefs élus, agira de la même façon qu'un conseil municipal élu?

M. Kesselman: Nous savons que la bande n'applique pas le principe du suffrage universel. La majorité des adultes de la réserve de Musqueam qui ne sont pas membres de la bande ne peuvent pas voter et ne peuvent pas se porter candidats pour devenir membres du conseil de bande. En d'autres termes, ils ne peuvent pas participer activement à l'administration locale. Nous savons que c'est différent. Ce l'est également dans toutes les réserves du Canada, en vertu de la Loi sur les Indiens. Je ne blâme pas les bandes pour cela.

J'ai mentionné dans mon mémoire que beaucoup de Premières nations aspirent au développement économique, ce que j'appuie de tout c<#0139>ur. Toutefois, elles assument simultanément trop de rôles: gouvernement, propriétaire des terres, responsable de la réglementation et du processus d'appel. Tout cela est contraire à la tradition occidentale de séparation des pouvoirs et crée des situations de conflit d'intérêts. Cela rend les Premières nations très différentes.

La ville de Vancouver ne possède pas 100 p. 100 des terrains dans la région de Vancouver. Je serais surpris si elle en possédait plus de 2 ou 3 p. 100, sous forme de parcs et de terrains de conseils scolaires. La ville ne fait pas d'expropriation à des fins commerciales. À mon avis, c'est une situation complètement différente.

Le sénateur Johnson: Je vous remercie d'avoir comparu devant nous aujourd'hui. Ce problème n'est pas simple. Il comporte beaucoup d'aspects complexes.

Je viens du Manitoba. Il y a 14 bandes signataires de l'accord-cadre et l'une d'entre elles est manitobaine. Je n'ai pas reçu une seule lettre ou un seul commentaire qui ne soit pas une expression d'appui.

Je crois qu'il y a beaucoup de drames hypothétiques qui entourent cette question. Autrement dit, la valeur des intérêts locatifs a diminué parce qu'en vertu de l'accord-cadre et du projet de loi C-49, la Première nation Musqueam peut exproprier ces intérêts à l'avenir.

La Première nation Musqueam a défendu en cour le principe de valeurs foncières courantes beaucoup plus élevées que les locataires ne le souhaitaient. Si elle avait envisagé de dévaluer les intérêts locatifs et de les exproprier à des fins communautaires nécessaires, pourquoi aurait-elle défendu en cour des valeurs plus élevées que les locataires?

M. Kesselman: La réponse est très claire. Le bail fixe le loyer annuel à 6 p. 100 de la valeur courante du terrain, comme s'il n'avait pas été mis en valeur, c'est-à-dire s'il n'avait pas été pourvu de services, et cetera. Par conséquent, en défendant une valeur plus élevée, les 6 p. 100 de cette valeur donnent à la bande entre 28 000 $ et 38 000 $ par an, avec la bénédiction de la Cour d'appel qui a accepté la valeur élevée que le conseil de bande défendait. Pourquoi ne pas obtenir le maximum? C'est ainsi qu'on défend ses intérêts économiques. Cela s'applique à nous tous. Je suis économiste et je ne reproche donc à personne d'agir de la sorte.

Le sénateur Johnson: Ce n'est pas nécessairement quelque chose qui va causer des problèmes, n'est-ce pas?

M. Kesselman: Dans ces conditions, si une bande comme celle de Musqueam obtenait de tels pouvoirs d'expropriation et décidait d'exproprier effectivement certaines ou la totalité des propriétés à bail, quelle valeur attribuera-t-elle à l'«indemnité équitable»? S'agira-t-il des valeurs très élevées décidées par la Cour d'appel? S'agira-t-il des valeurs encore plus élevées dont la bande se sert pour évaluer nos propriétés aux fins de l'impôt foncier? Ou bien s'agira-t-il de la valeur marchande, qui est maintenant proche du néant?

Le sénateur Johnson: Ma question suivante porte sur l'Association immobilière de la Colombie-Britannique. Sur son site Internet, l'association attribue le problème à Musqueam au fait que de nombreux acheteurs récents d'intérêts locatifs ont payé trop cher les locataires précédents en ne tenant pas compte des dispositions du bail prévoyant la révision des loyers en 1995. Elle n'attribue aucun blâme à la bande ou au projet de loi C-49.

Si l'Association immobilière de la Colombie-Britannique n'attribue pas la baisse de la valeur des terrains au projet de loi, et si la Cour d'appel fédérale a jugé que les intérêts locatifs avaient une valeur élevée, pourquoi les locataires déclarent-ils publiquement que ces baux n'ont qu'une très faible valeur?

M. Kesselman: Leur valeur est très basse parce que personne n'est prêt à les acheter. On ne peut même pas les donner pour rien. Elles ne valent même pas un seul dollar. Je ne prétends pas nécessairement -- et je parle là des propriétés à bail comportant des paiements courants -- que le projet de loi C-49 soit le principal responsable. Il est difficile de trouver les vraies raisons. Nous n'avons appris l'existence du projet de loi C-49 qu'en janvier de cette année, probablement vers la fin du mois. La décision de la Cour d'appel qui augmentait les loyers n'a été rendue que quelques jours avant Noël, l'année dernière. Ces développements se sont succédé rapidement.

Toutefois, avant que les médias ne s'emparent de chacun de ces deux événements, les prix dans les autres lotissements où les baux avaient été payés d'avance avaient commencé à baisser par rapport à ceux de propriétés comparables hors réserve. Cela s'était manifesté lentement depuis 1988, mais l'écart se creusait de plus en plus avec les ans et avec les hausses d'impôt foncier imposées par la bande de Musqueam. La bande est autorisée à imposer ces hausses en vertu des règlements administratifs approuvés par la ministre des Affaires indiennes. Malgré cette approbation, ces hausses ne sont ni équitables ni justes.

Le sénateur Johnson: Selon certaines rumeurs, il y aurait des locataires qui n'ont pas payé leur loyer depuis 1995. Malgré cette violation de leur bail, il semble que la bande n'ait pris aucune mesure pour les expulser. S'il est vrai que la bande de Musqueam souhaite recouvrer le contrôle des terres occupées par les locataires, pourquoi n'a-t-elle pas expulsé ces locataires qui avaient cessé de payer leur loyer?

Le président: Nous avons déjà dépassé la limite de 15 minutes. Je vous saurais gré d'être brève.

Le sénateur Johnson: C'est ma dernière question. Comme tous les autres, j'essaie de comprendre la situation dans le temps limité dont nous disposons pour étudier le projet de loi. Le témoin n'a pas eu la possibilité de finir de répondre.

Y a-t-il autre chose que vous voulez ajouter? Votre témoignage est très intéressant pour ceux d'entre nous qui ne viennent pas de Colombie-Britannique. Nous examinons le projet de loi C-49, mais nous étudions également une autre question maintenant. Si vous avez autre chose à dire, je vous en prie, faites-le.

M. Kesselman: L'expérience de Musqueam ne se limite pas à ces facteurs sans précédent qui touchent un tiers des propriétés à bail. C'est l'expérience des évaluations foncières et des relations du gouvernement d'une Première nation avec un groupe de résidents privés de leurs droits. L'ensemble du processus est troublant. Votre comité devrait entendre de nombreux témoins non seulement de Musqueam, mais aussi de West Bank et de beaucoup d'autres réserves avant d'aller plus loin sur la voie de l'autonomie gouvernementale des autochtones. Tirons les leçons de ce qui s'est passé jusqu'ici avant d'avancer encore plus.

Le sénateur Wilson: Votre association a-t-elle été consultée lors de l'élaboration de l'accord-cadre? Si oui, quelle a été votre réponse? Y a-t-il un mécanisme de règlement des différends dans l'accord-cadre? Si non, où croyez-vous que ce mécanisme devrait se trouver?

M. Kesselman: Les titulaires de propriétés à bail de la réserve de Musqueam n'ont jamais été informés de l'existence d'un projet de loi sur la gestion des terres des Premières nations, ni en 1993 ni en 1996 ni en 1998. Nous n'avons pas été informés par la bande de Musqueam, malgré ces réunions mensuelles quelque peu irrégulières qui ont pris fin en avril de l'année dernière, nous n'avons été informés ni par nos représentants élus ni par le ministère fédéral des Affaires indiennes et du Nord canadien. Nous ne savions rien avant d'entendre parler du projet de loi C-49, c'est-à-dire avant janvier de cette année.

Le sénateur Wilson: Qu'avez-vous à dire au sujet de la seconde partie de la question relative au mécanisme de règlement des différends?

M. Kesselman: Il n'existe aucun mécanisme officiel de ce genre. Le Tax Advisory Council s'est effondré. De toute façon, il n'a pas réalisé grand-chose quand il existait. Il n'y a pas un mécanisme de ce genre. Le seul organisme officiel d'appel auquel nous puissions nous adresser s'occupe des évaluations foncières. Il s'agit de la Commission de révision de Musqueam. Il y a eu un problème affreux à cette commission. La bande engage des professionnels indépendants pour entendre les appels relatifs à l'évaluation des propriétés. Toutefois, au cours des audiences les plus récentes, tous les membres de la commission nommés par la bande ont démissionné en signe de protestation. Leur lettre de démission et le procès-verbal de la commission établissent clairement que la bande cherchait à les influencer. Lorsque la bande a rétabli la commission en nommant une nouvelle série de membres, les titulaires de propriétés à bail ont tous perdu leurs appels.

Malheureusement, l'affaire est maintenant devant la Cour fédérale par suite de la crainte de partialité suscitée par l'action de la bande face à sa commission de révision prétendument indépendante. L'histoire se poursuit sans fin. Malheureusement, ce n'est pas une histoire très agréable.

Le président: Je vous remercie beaucoup pour votre exposé. Malheureusement, nous n'avons plus de temps parce que nous devons entendre un autre témoin maintenant.

Le sénateur St. Germain: C'est une question extrêmement importante.

Le président: Je m'en rends bien compte. Vous aurez l'occasion d'entendre des témoins venant de la même région la semaine prochaine.

Le sénateur St. Germain: On croit que cela est anti-autochtone, mais ce n'est pas vrai. Le gouvernement fédéral, les libéraux et les progressistes-conservateurs ont cédé les pouvoirs de location à bail et de taxation, et les difficultés qu'ils ont ainsi occasionnées sont maintenant aggravées par le projet de loi C-49. Il y a un problème. Comme le sénateur Chalifoux l'a dit, la location à bail, la taxation et la décision de la Cour au sujet de l'évaluation foncière n'en forment qu'un seul aspect.

Le président: Nous devons maintenant entendre l'autre témoin. Je regrette.

Le sénateur St. Germain: Il est temps que la Colombie-Britannique se fasse entendre. J'en ai assez de voir le Canada central prendre toutes les décisions. Les bureaucrates, ici à gauche, admettent que le libellé a été modifié.

Le président: Comme je vous l'ai dit, sénateur, nous recevrons la semaine prochaine des témoins de Colombie-Britannique et vous aurez alors la possibilité d'entendre ce qu'ils ont à dire.

Le sénateur St. Germain: Je l'espère bien.

Le président: Merci beaucoup.

Notre témoin suivant est M. Brian Wallace. Vous avez la parole, monsieur Wallace.

M. Brian J. Wallace, c.r., Lawson, Lundell, Lawson & McIntosh: Monsieur le président, le seul aspect original de mon exposé consistera probablement à décrire mon client, ses relations avec la réserve sur laquelle il est établi et la perspective qu'il apporte à ce débat.

En effet, j'ai déjà fourni à chaque membre du comité un document contenant un sommaire et un mémoire de 10 pages. Le mémoire comporte cinq points au sujet desquels nous présentons des recommandations très précises.

Mon client est la société Continental Lime Ltd., qui fabrique de la pierre calcaire. Continental Lime extrait la pierre et la conditionne dans la réserve de Pavilion, dans l'intérieur de la Colombie-Britannique. Elle exploite sa carrière en vertu d'un bail signé avec le gouvernement fédéral en 1974.

On a mentionné plus tôt que nous ne parlions pas de vieux baux, mais du projet de loi C-49. Cette observation est pertinente ici parce que nous parlons d'un changement des règles régissant un bail et des investissements remontant à 25 ans.

Continental Lime ne voit, en général, aucun inconvénient à ces développements. Elle les encourage, en fait. Parce qu'il s'agit d'une opération industrielle située en un lieu particulier, il est utile pour la société de pouvoir traiter directement avec les gens les plus directement touchés par ses activités. La plupart des conditions sont déjà prévues dans son bail, mais mon client considère que le régime de gestion des terres constitue une étape positive qui le rapprochera des personnes intéressées. Mon client a cependant de sérieuses inquiétudes au sujet de certaines dispositions.

Il ne s'agit pas du tout d'un manque de confiance dans la réserve de Pavilion ou les membres de la bande. Continental Lime a d'excellents rapports avec son propriétaire et 27 de ses 35 employés sont membres de la bande.

Enfin, d'une façon générale, la bande de Pavilion n'est pas signataire de l'accord-cadre sur la gestion des terres des Premières nations. Elle a apparemment exprimé de l'intérêt, mais il appartient à la bande de décider de signer l'accord et, ce faisant, de s'inscrire dans les dispositions du projet de loi C-49.

Les inquiétudes de mon client portent sur la loi qui régit les relations, et ne reflètent aucun manque de confiance dans les gens avec qui il traite.

Notre premier point, à la page 3 du mémoire, concerne le fond du sujet, c'est-à-dire les fins auxquelles doit servir l'expropriation. La Loi fédérale sur l'expropriation permet d'exproprier un bien immobilier «pour un ouvrage public ou pour une autre fin d'intérêt public». En vertu de l'accord final des Nishgas, le pouvoir d'expropriation du gouvernement des Nishgas est également limité aux fins d'intérêt public et aux travaux publics.

Le projet de loi C-49 comporte deux écarts par rapport à ces expressions conventionnelles bien comprises.

Le premier écart est le fait qu'on a substitué un texte subjectif à un texte objectif en ajoutant l'expression «de l'avis de son conseil», qui signifie qu'une bande peut exproprier tout intérêt sur ses terres qui, «de l'avis de son conseil», est nécessaire à des ouvrages devant servir à la collectivité.

Le second changement porte sur l'expression «à des fins d'intérêt collectif». Pourquoi introduisons-nous une nouvelle expression dont il faudra inévitablement obtenir l'interprétation, quand il existe des libellés conventionnels éprouvés pour dire clairement que l'expropriation ne peut servir qu'à une fin publique ou communautaire?

La ministre nous a donné des assurances et je crois savoir que des avis juridiques ont été rédigés, soutenant que cette expression n'établissait aucune différence puisqu'elle imposait qu'il y ait une fin publique. Si tel est le cas, pourquoi ne pas recourir à des expressions que tout le monde comprend bien?

Si je devais me présenter devant un tribunal pour interpréter ce projet de loi afin de défendre le point de vue selon lequel le droit d'expropriation va au-delà d'une fin d'intérêt public, je citerais l'alinéa 6(1)e) et noterais qu'un code foncier doit, entre autres, comprendre des règles applicables en matière de responsabilité envers les membres de la Première nation en ce qui touche la gestion des terres de la Première nation et celle des fonds qui y sont liés. De toute évidence, il est prévu que les terres des Premières nations puissent produire un rendement économique et, dans ce cas, il me semble que cela serait utile pour une personne qui souhaiterait une interprétation très large de l'expression «à des fins d'intérêt collectif».

Encore une fois, pourquoi ne pas utiliser des expressions bien comprises?

Par ailleurs, le projet de loi C-49 traite également du pouvoir d'expropriation du gouvernement fédéral à ses propres fins. En vérité, la disposition correspondante est beaucoup plus restrictive que les dispositions conventionnelles sur l'expropriation. Dans ce cas, celle-ci doit non seulement se limiter à des fins publiques, mais être effectuée pour le bénéfice d'un ministère ou organisme du gouvernement fédéral, et seulement si elle est justifiable et nécessaire à des fins poursuivies dans l'intérêt public national. D'autres dispositions prévoient que l'expropriation projetée soit restreinte au strict nécessaire et imposent qu'il n'existe aucune solution de rechange réalisable dans les circonstances.

Il est intéressant de noter ainsi dans le même projet de loi deux écarts par rapport aux expressions conventionnelles du domaine de l'expropriation, un qui va à un extrême et un second qui va à l'autre. À mon avis, quiconque chercherait à interpréter ces dispositions aboutirait à la conclusion que l'expression «à des fins d'intérêt collectif» est beaucoup plus vaste que l'expression «autre fin d'intérêt public».

À la page 4, je propose comme solution de rétablir le libellé de la Loi sur l'expropriation, c'est-à-dire «pour un ouvrage public ou pour une autre fin d'intérêt public».

Le second point traite également d'expropriation. Il porte sur l'incertitude que le projet de loi laisse planer sur la détermination et le versement d'une indemnité équitable. Les dispositions traditionnelles d'expropriation assurent plus de protection quant au moment du paiement et à la détermination du montant de l'indemnité équitable.

Le projet de loi C-49 n'établit aucun processus d'appel clair, tout en prévoyant un processus très précis en ce qui concerne le pouvoir d'expropriation du gouvernement fédéral.

Sur le plan de la procédure également, le projet de loi comprend, d'une part, quelques phrases très vagues sur la protection des intérêts de tiers sur les terres des Premières nations et, de l'autre, une procédure très serrée, très soigneusement exprimée, pour limiter le pouvoir d'expropriation du gouvernement fédéral.

Comme on l'a déjà mentionné, le renvoi à la Loi sur l'expropriation est ainsi libellé: «Il doit être tenu compte... des règles prévues par la Loi sur l'expropriation.» Encore une fois, on n'a pas l'impression que ces mots ont été conçus pour lier les parties. Par comparaison, la Loi sur l'autonomie gouvernementale de la bande indienne sechelte impose à la bande d'appliquer la Loi sur l'expropriation, et c'est ce que nous proposons pour régler les problèmes de procédure soulevés par le libellé actuel du projet de loi C-49. Pourquoi ne pas recourir aux procédures conventionnelles bien comprises et remplacer les mots «Il doit être tenu compte... des règles prévues par la Loi sur l'expropriation» par les mots «La Première nation adopte et applique les règles de détermination de la valeur et de paiement de l'indemnité établies dans la Loi sur l'expropriation»?

Le paragraphe 28(4) renferme une disposition particulière, qui prévoit ce qui suit:

Les intérêts expropriés deviennent la propriété de la Première nation, libres de toutes charges.

Je travaille dans ce domaine. Pourtant, je n'ai jamais vu auparavant un libellé de ce genre dans une loi d'expropriation. À ma connaissance, l'expropriation de tout intérêt, qu'il s'agisse d'une hypothèque, d'une sous-location ou autre est traitée dans le cours normal du processus d'expropriation. Cette disposition a-t-elle pour objet de permettre à une Première nation d'exproprier une propriété à bail sans rembourser le prêt hypothécaire correspondant? La disposition n'ajoute rien, à mon avis, au droit d'expropriation. J'estime, si c'est le cas, qu'elle devrait être supprimée parce que les gens vont, de toute évidence, essayer de lui attribuer un sens, ce qui peut aboutir à une injustice. La disposition n'est pas nécessaire. Je propose qu'elle soit supprimée.

Toutes les questions que j'ai soulevées et qui sont expliquées en détail dans le mémoire augmentent le niveau d'incertitude. Comme je l'ai dit au début de mon exposé, il ne s'agit pas d'un manque de confiance dans des bandes ou des gens. Nous parlons de la loi qui régira les actions futures et, comme je le précise dans mon mémoire, cette loi va inutilement occasionner de l'incertitude. De ce fait, elle devient aussi préjudiciable pour les Premières nations elles-mêmes que pour les tiers titulaires d'intérêts locatifs. À cause de cette incertitude, il y aura moins de développement et moins d'activité économique pouvant profiter aux deux parties.

Le troisième point réside à la page 6. Le projet de loi assure aux Premières nations signataires le droit de gérer leurs propres terres. En général, nous appuyons pleinement cette disposition. Le projet de loi confère aux Premières nations d'importants pouvoirs de gestion des terres et de réglementation portant sur les questions environnementales, l'utilisation, la possession, et cetera, et tout cela est très bien. Il prévoit également -- et je crois que c'est là un aspect positif -- qu'il ne devrait pas exister de règles environnementales qui soient moins strictes que les règles provinciales ou fédérales s'appliquant aux alentours. J'appuie également cette disposition.

La difficulté réside dans l'absence d'un plafond sur le degré de sévérité de ces règles. L'incertitude qui en découle permet de craindre que, sous prétexte de réglementation, on interdise certaines activités auxquelles les terres ont été affectées en vertu d'un bail signé il y a longtemps et sur la base duquel d'importants investissements ont été effectués. Il est à craindre que les pouvoirs de réglementation puissent servir comme moyen d'expropriation par l'interdiction des activités pour lesquelles les terres avaient été louées à bail.

En guise d'amendement, nous proposons d'ajouter au projet de loi une disposition en vertu de laquelle les pouvoirs de réglementation ne permettraient pas d'imposer des normes ou des règles sensiblement plus strictes que les normes provinciales équivalentes.

Permettez-moi de vous donner un exemple qui illustre la façon dont les choses se font actuellement dans la réserve de Pavilion. La Continental Lime exploite une carrière de pierre calcaire et une usine de conditionnement. Bien sûr, elle doit respecter des normes environnementales. En vertu du bail, les normes environnementales auxquelles elle doit satisfaire sont celles de la province. Elles sont expressément inscrites dans le bail à titre de normes applicables. La Continental Lime est donc tenue de respecter les mêmes normes que tout autre établissement industriel de la Colombie-Britannique. Les inspecteurs de la province viennent inspecter à cette fin, de même que les inspecteurs environnementaux de la bande. Cela prouve que la société n'a vraiment rien à cacher et ne cherche pas d'échappatoire.

Nous ne prétendons pas que la bande devrait s'abstenir d'adopter des normes environnementales. Elle devrait bien sûr le faire et je suis bien d'accord que ces normes devraient être au moins aussi strictes que celles qui s'appliquent dans les régions voisines. Le libellé que nous proposons permettrait d'inclure ce principe dans l'accord de gestion des terres.

Le quatrième point que je voudrais aborder est qu'en vertu du projet de loi C-49, le Canada se décharge unilatéralement de toutes les responsabilités qu'il a acceptées dans les baux signés au fil des ans. À mon avis, cette action unilatérale est inadmissible. La solution, à l'égard des baux et des engagements du Canada, consiste pour le gouvernement, comme pour quiconque signe un bail, à assumer toutes ses obligations et à accepter toutes les responsabilités découlant de l'engagement juridique pris.

Enfin, j'ai une disposition d'ensemble qui, je crois, a une grande portée. C'est une solution de repli. En ce qui concerne les deux premières questions -- la procédure et l'expropriation --, la meilleure ligne de conduite consiste à apporter de petites modifications au projet de loi. Quant aux troisième et quatrième points -- la réglementation environnementale et la gestion des terres ainsi que la responsabilité actuelle du gouvernement fédéral --, la solution la plus efficace serait de maintenir les droits acquis dans les intérêts existants. Quoi qu'on fasse à l'avenir, quels que soient les engagements futurs du Canada, tout peut se faire pourvu que chacun connaisse les règles.

La dernière disposition générale que je propose est une approche globale permettant de régler tous les points, y compris les deux premiers, c'est-à-dire les questions relatives à l'expropriation. Il s'agirait de maintenir les droits acquis dans les intérêts locatifs existants. Comme je l'ai dit, c'est une solution de repli. Je pense qu'il vaudrait mieux limiter les droits d'expropriation de façon à les rendre comparables à ceux des autres gouvernements conventionnels.

Le sénateur Andreychuk: Je vous remercie pour votre mémoire. J'ai trouvé intéressant le fait que vous appuyiez la gestion des terres par les Premières nations dans les réserves. Je crois que c'est une position louable pour Continental Lime, que vous représentez.

Le projet de loi C-49 a pour objet de permettre aux Premières nations d'accéder enfin à la gestion de leurs propres terres, ce que le gouvernement du Canada leur avait promis il y a bien des années. Je suis impressionnée de constater que vous avez présenté votre exposé en adoptant cela comme principe fondamental. Est-ce que je me trompe?

M. Wallace: Non. Rien de ce que nous proposons ne s'écarte sensiblement du principe que la gestion des terres devrait se faire d'une manière aussi locale que possible.

Le sénateur Andreychuk: Êtes-vous en mesure de dire si Continental Lime, lorsqu'elle a traité initialement avec le gouvernement du Canada, savait qu'elle louait des terres de réserve? Le gouvernement du Canada a-t-il précisé qu'il agissait à titre de fiduciaire des Premières nations lorsqu'il a entamé ces négociations?

M. Wallace: J'ai le bail ici. Il est très clair, comme on peut le constater en lisant les premiers passages, que les terres décrites sont des terres de réserve dans le sens de la Loi sur les Indiens. Il n'y a aucun doute que les deux parties savaient ce qu'elles faisaient en ce qui concerne la nature des terres.

Le sénateur Andreychuk: J'ai tendance à croire qu'une bonne part des difficultés qui semblent exister en Colombie-Britannique découlent des négociations qui se sont déroulées entre le gouvernement du Canada et les titulaires de propriétés à bail. La situation a été compliquée par le fait que le gouvernement fédéral a cédé la taxation et la gestion aux Premières nations sans en envisager les effets sur les intérêts de tiers. Votre solution consiste à maintenir les droits acquis ou, pour le moins, à faire en sorte que le gouvernement du Canada accepte sa responsabilité et laisse les choses suivre leur cours.

M. Wallace: Comme nous avons pu le constater ce matin -- et ce n'était pas surprenant --, il y a un certain nombre de questions reliés aux intérêts des tiers sur les terres des Premières nations qui font partie de questions stratégiques ou politiques que les sénateurs sont tenus d'envisager.

L'un des avantages de la position de mon client est qu'elle n'est pas colorée par d'autres intérêts. Il n'y a pas de difficultés reliées à des conditions préjudiciables des baux signés il y a quelque temps. Nous n'avons rien à redire au sujet des pouvoirs de taxation des Premières nations. Notre mémoire porte uniquement sur le projet de loi C-49 et sur les pouvoirs qu'il confère aux Premières nations.

Je ne sais pas si j'ai répondu à votre question.

Le sénateur Andreychuk: C'est exactement ce que je voulais dire. Votre mémoire établit simplement qu'afin de faciliter les choses pour les Premières nations et pour quiconque traitera avec elles à l'avenir, certaines modifications doivent être apportées pour assurer une plus grande certitude.

M. Wallace: «Certitude» est exactement le mot qui convient.

Le sénateur St. Germain: Je vous remercie, monsieur Wallace, d'avoir comparu devant nous ce matin et de nous avoir fourni cette excellente documentation.

En dépit du fait que certains de mes collègues croient que la réaction a été excessive en Colombie-Britannique, il n'en demeure pas moins que les institutions financières ont évité de financer certains projets concernant des biens immobiliers situés dans des réserves existantes. À votre avis, le projet de loi C-49 serait-il préjudiciable pour votre client et d'autres clients semblables s'il était adopté tel quel?

M. Wallace: Si je devais donner un avis juridique sur les effets que pourrait avoir le projet de loi C-49, une fois adopté, sur les institutions financières, je présenterais les observations concernant l'incertitude que j'ai formulées ce matin. Aucun prêteur, aucun investisseur potentiel n'aime l'incertitude. Il est de l'intérêt de tout le monde d'uniformiser dans toute la mesure du possible les règles du jeu. En un sens, le projet de loi C-49 est utile parce qu'il rapproche la gestion des choses gérées, mais en utilisant des mots et des expressions qui n'ont pas été éprouvés, il va inévitablement occasionner des difficultés.

Quant à dire pourquoi il y a un problème en Colombie-Britannique, mais pas ailleurs, je ne suis pas sûr de la réponse. J'ai abouti à la conclusion, non par suite d'une longue réflexion ni de ce que j'ai lu dans la presse, que la raison pourrait bien être reliée à la publicité découlant de la situation -- tout à fait sans lien avec le projet de loi -- concernant les baux de Musqueam. Il n'est pas surprenant que plus de gens soient au courant de cette situation en Colombie-Britannique.

Toutefois, les gens ne sont pas toujours au courant de ce qui se passe à Ottawa. Bien que le processus parlementaire soit public, il n'est pas toujours suffisamment médiatisé. Par exemple, lorsque le régime de fiscalité des Indiens est entré en vigueur en vertu de la Loi sur les Indiens, je ne l'ai appris qu'après coup, même si je suis avocat et que je m'occupe fréquemment de fiscalité immobilière. Je ne l'ai pas appris avant la mise en vigueur de la loi. À mon avis, il n'est pas surprenant qu'une question suscite de l'intérêt à certains endroits, mais pas à d'autres.

Le sénateur St. Germain: Vous avez signalé dans votre exposé que nous sommes tous favorables à ce que les peuples autochtones prennent en main leurs propres affaires. Ceci est la première étape. Toutefois, ils pourraient bien obtenir ce qu'ils demandent et ce serait là l'aspect le plus dangereux.

En Colombie-Britannique, c'est une bombe à retardement à cause de l'existence de la politique autochtone dans la réserve de Musqueam, à cause des baux, de l'intervention du gouvernement fédéral et des décisions rendues par les tribunaux.

Si le projet de loi C-49 était adopté tel quel, recommanderiez-vous en toute conscience à l'un de vos clients de signer un bail relatif à une propriété devant servir à des fins commerciales dans la réserve?

M. Wallace: Je ne prends pas de décisions économiques et ne donne pas de conseils économiques à mes clients, mais je leur dirais certainement à quels risques ils s'exposeraient. Je leur en parlerais de toute façon. Il ne s'agit là que d'une couche de plus. Mais je ne leur donnerais pas le conseil économique final.

Il y a cependant une chose qui est encore beaucoup plus importante: c'est le fait que les gens qui doivent prendre des décisions peuvent maintenant les prendre en ayant pleine connaissance du projet de loi C-49, s'il est adopté. Les gens qui ont décidé il y a 30 ans d'investir des sommes considérables dans des installations industrielles ou des résidences situées dans les réserves l'avaient fait sans connaître l'existence du projet de loi C-49. C'est comme si on changeait les règles pendant le jeu. À mon avis, cela est très grave.

Le sénateur Chalifoux: Je vous remercie pour votre excellent exposé. J'apprécie certes vos commentaires et vos recommandations. Je suis sûre qu'ils seront entendus et pris en considération. Où se trouve la réserve de la Première nation de Pavilion en Colombie-Britannique?

M. Wallace: Elle se trouve très près de Lillooet. C'est à la jonction du chemin Harvey Lake et de Fraser Canyon. C'est un coin absolument magnifique.

Le sénateur Chalifoux: Je sais, j'y étais, mais j'ignorais que la réserve de Pavilion était là. Que pensez-vous de l'autonomie gouvernementale à laquelle les nations autochtones aspirent aujourd'hui? Les temps ont changé. Il y a des années, notre peuple n'avait pas l'éducation qu'il fallait. Bien sûr, cette situation évolue très rapidement. J'ai rencontré les chefs des 14 nations signataires. Ils sont tous très instruits, en sus de leurs qualités de bons politiciens et de bons législateurs. Ils attendent tous avec impatience l'adoption du projet de loi C-49. Pensez-vous qu'il aidera ces législateurs à gérer leurs biens et à s'occuper de leurs électeurs comme tout autre député provincial ou fédéral du pays?

M. Wallace: Nous parlons ici de lois et non d'individus. Je m'intéresse à l'incertitude de la loi. Je crois que le projet de loi C-49 est en général une bonne mesure législative parce qu'il confie la responsabilité de la gestion des ressources aux principaux intéressés, c'est-à-dire aux gens qui vont en profiter. Le principe est inattaquable. Toutefois, des dispositions trop vagues vont inutilement occasionner de l'incertitude.

Le projet de loi C-49 constitue une bonne proposition, mais nous devons y inscrire quelques points de repère courants pour éviter les procès et l'incertitude à l'avenir.

Les tensions découlent en partie du fait qu'il y a, par définition, deux catégories de résidents ou d'occupants dans les réserves: ceux qui ont le droit de vote et ceux qui ne l'ont pas. La situation est telle que ceux qui ont le droit de vote peuvent nuire à ceux qui ne l'ont pas. Cela intensifie la gravité de l'incertitude.

Le sénateur Ghitter: Je vous remercie pour votre exposé parce qu'il nous a permis de nous écarter de la situation à Musqueam pour considérer le projet de loi dans un contexte plus vaste. Je crois que cela est très important.

J'aimerais connaître votre point de vue sur les questions de fins et de valeurs. Vous avez dit que vous appuyez le projet de loi. Ce que j'aime dans cette mesure, c'est qu'elle permet de remettre les rênes entre les mains de nos peuples autochtones dans leurs propres terres. Si cette gestion s'étendait au désir économique d'acquérir des terres à des fins municipales, ce qui dépasse d'un cran votre définition, si les Premières nations souhaitaient pour des raisons économiques exproprier la carrière de votre client et en supposant que le projet de loi assure la certitude, ne devraient-elles pas avoir le droit de le faire?

M. Wallace: Cela s'écarterait de nos traditions. Si une bande souhaite acquérir une entité économique ou une terre qu'elle ne contrôle pas à l'heure actuelle, elle devrait en négocier l'achat comme n'importe qui d'autre. Lui conférer le pouvoir d'exproprier le vendeur potentiel revient à lui donner un avantage injuste dans une transaction économique, ce qui n'est pas justifié.

Le sénateur Ghitter: J'ai toujours cru comprendre que, dans les affaires d'expropriation, la valeur est déterminée par une commission d'indemnisation ou un tribunal semblable et que la valeur est celle qui existe au moment du dépôt de l'acte d'expropriation. D'après M. Kesselman, qui a témoigné ce matin, si la terre est expropriée à des fins économiques, elle aurait une valeur différente. Cette valeur pourrait se fonder par exemple sur l'usage auquel la terre est destinée par la partie qui exproprie, plutôt que sur l'usage qui en était fait. À votre avis, quelle valeur la Commission d'expropriation devrait-elle adopter en vertu de la loi?

M. Wallace: J'ai de la difficulté à concevoir comment un tribunal pourrait déterminer la valeur. Dans le cas du projet de loi C-49, l'indépendance de ce tribunal n'est pas garantie.

Le sénateur Ghitter: Supposons que ces changements soient faits. Supposons que la loi fédérale sur l'expropriation s'applique.

M. Wallace: La norme consiste à commencer par la juste valeur marchande. Il peut y avoir d'autres aspects à considérer, selon la valeur du bien pour le détenteur actuel. C'est probablement la meilleure façon de décrire les choses.

Si la terre n'est pas actuellement exploitée, mais peut être mise en valeur, ce facteur devrait se refléter dans la juste valeur marchande, parce qu'une personne qui voudrait l'acheter serait au courant des possibilités de mise en valeur. Bien sûr, s'il faut un changement de zonage pour permettre l'exploitation future et que ce changement relève de la personne qui exproprie, il pourrait y avoir un problème parce que la valeur en cause ne peut pas être exploitée par le propriétaire actuel. Les tribunaux sont sensibles à ce genre de situation et ont tendance à hausser la juste valeur marchande dans ces conditions.

Dans le cas d'un établissement industriel, la terre a une valeur pour la personne qui souhaite l'acquérir et pour l'organisme qui fait l'expropriation, aux fins qu'il envisage. Supposons que la terre soit absolument essentielle aux opérations de mon client. Ce client devrait alors soit fermer son entreprise soit aller chercher plus loin une autre carrière, ce qui entraînerait une hausse des frais de transports, et cetera. C'est ce qu'on appelle la «valeur pour le propriétaire», qui donne à la propriété en cause une valeur particulière pour le titulaire actuel de l'intérêt. Un tribunal d'expropriation reconnaîtra ce fait et rajustera l'indemnité en conséquence.

Le sénateur Ghitter: En résumé, si une bande expropriait en vue de transformer un terrain résidentiel en parc industriel, proposeriez-vous que les titulaires de propriétés à bail soient indemnisés en fonction de la valeur du parc industriel ou de la zone résidentielle?

M. Wallace: Le premier cas ne serait justifié que si le potentiel de développement était inhérent à ce terrain. Il n'y a pas de réponse scientifique claire à cette question. Tout dépendrait des circonstances.

Il y a eu un cas célèbre à Toronto où la propriété n'avait pas le zonage correspondant à l'usage qu'on voulait en faire. Le tribunal a quand même reconnu la valeur en supposant que le zonage serait probablement changé. Il y a de nombreux cas où l'usage potentiel est pris en considération lors de l'estimation de la valeur.

Le sénateur Lawson: Je voudrais moi aussi vous féliciter pour votre exposé constructif. Permettez-moi de dire tout de suite que malgré mon nom, Lawson, je n'ai aucun lien avec votre cabinet.

Il y a cependant une partie de votre exposé qui m'inquiète beaucoup. Lorsque le personnel de la ministre est venu témoigner, j'ai demandé si le projet de loi prévoyait un mécanisme d'appel à un organisme indépendant si une personne s'estimait lésée par l'expropriation. Il pourrait s'agir de votre client ou d'un autochtone. On m'a assuré qu'il y avait un mécanisme de recours indépendant.

Dans votre exposé, vous dites que le problème est aggravé par l'absence d'une procédure d'appel claire dans le projet de loi C-49. Le projet de loi impose aux Premières nations de créer un mécanisme de règlement des différends, mais il n'exige pas que ce mécanisme soit indépendant de la Première nation en cause.

Nous avons entendu M. Kesselman parler ce matin d'une commission de révision des évaluations dont les membres se prononçaient toujours en faveur de la bande, au détriment des plaignants. Cette situation est assez alarmante. Avez-vous dit que vous avez un moyen de garantir l'indépendance du mécanisme d'appel?

M. Wallace: Encore une fois, il n'est pas nécessaire d'inventer une nouvelle procédure. Il y en a une dans la Loi sur l'expropriation, qui impose une telle indépendance. La solution simple consiste à éviter cela. On m'a dit qu'il existait un recours: la révision judiciaire. L'affaire pourrait donc aboutir à la Cour fédérale. Toutefois, si on emprunte cette voie, on constate à chaque étape de l'appel qu'il y a de moins en moins de points à défendre. Les cours d'appel successives n'acceptent pas de nouveaux faits par exemple. Il est très important que le processus soit transparent, bien compris et indépendant dès la première étape et pas seulement à l'étape de l'appel ultime.

Le sénateur Lawson: La solution évidente consiste à inscrire dans le projet de loi les dispositions de la Loi sur l'expropriation.

M. Wallace: Nous avons déjà cette loi. Elle est bien connue et elle est interprétée depuis des années.

Le président: Au nom des membres du comité, je voudrais vous remercier pour votre témoignage.

La séance est levée.


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