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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 1 - Témoignages du 4 décembre


OTTAWA, le jeudi 4 décembre 1997

Le comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 9 h 06 pour étudier l'état actuel et les perspectives d'avenir de l'agriculture au Canada (étude des échanges commerciaux avec les États-Unis).

Le sénateur Leonard J. Gustafson (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Bonjour, sénateurs. Nous avons le plaisir de recevoir aujourd'hui M. Gifford et M. Norman, qui nous parleront des aspects commerciaux de l'agriculture. Il y a déjà eu des discussions au sujet du commerce, surtout avec les États-Unis, et je suis certain que les sénateurs auront bien des questions à poser sur le sujet.

Messieurs, je crois savoir que vous nous ferez un bref exposé avant de répondre aux questions. Monsieur Gifford, voulez-vous commencer?

M. Mike Gifford, directeur général, Direction des politiques de commerce international, Direction générale des services à l'industrie et aux marchés, Agriculture et Agroalimentaire Canada: Monsieur le président, honorables sénateurs, comme je sais que vous préféreriez nous poser des questions plutôt que d'entendre un long exposé, je me contenterai de passer rapidement en revue les points saillants de nos relations avec les États-Unis en matière d'agriculture, surtout depuis la signature de l'Accord de libre-échange Canada-États-Unis.

Notre commerce a connu une évolution extrêmement favorable au cours des dix dernières années. Dans les années 60 et 70, le marché américain ne recevait qu'environ 20 p. 100 de toutes les exportations agricoles du Canada. Aujourd'hui, ce chiffre est passé à plus de 56 p. 100. Les exportations vers les États-Unis ont augmenté de 10 à 20 p. 100 chaque année au cours de la dernière décennie. Toute une gamme de produits agricoles sont exportés, depuis les denrées agricoles primaires, comme l'orge, le blé, les porcs et les bovins sur pied, jusqu'aux produits alimentaires transformés.

Nos échanges commerciaux avec les États-Unis diffèrent grandement de nos exportations vers les marchés d'outre-mer; en effet, nous exportons encore surtout sur ces marchés des céréales brutes et des graines oléagineuses. Même si nous commençons à exporter davantage d'autres produits, nos échanges sur les marchés d'outre-mer n'ont pas connu la même croissance que sur le marché américain. Il convient de noter que, par le passé, de la Confédération jusqu'à l'après-guerre, le Canada a toujours été un importateur net de produits agricoles et agroalimentaires américains. Toutefois, dès 1992, notre pays est devenu un exportateur net. Depuis, nous avons renforcé notre position d'exportateur net. On prévoit que cette année, l'excédent de nos exportations par rapport à nos importations atteindra les 2 à 3 milliards de dollars.

Les secteurs de l'agroalimentaire canadiens ont dû s'adapter au régime de l'Accord de libre-échange canado-américain. On pourrait dire que c'est le secteur de la transformation des aliments qui a dû faire le plus d'efforts dans ce sens. En effet, avant la signature de l'ALE, le secteur de la transformation agroalimentaire canadien exploitait des usines-succursales dans lesquelles les firmes essayaient de produire toute une gamme de produits vendus sur un marché s'étendant du Pacifique à l'Atlantique. C'est ainsi que ce secteur avait surtout des cycles de production brefs et des coûts relativement élevés, et c'est pourquoi il était extrêmement orienté vers le marché intérieur.

La signature de l'accord de libre-échange avec les États-Unis a entraîné une évolution importante des échanges commerciaux. Auparavant, le commerce se faisait sur un axe est-ouest; il y a maintenant beaucoup plus d'échanges sur l'axe nord-sud. Les zones naturelles de commercialisation changent. Par exemple, la zone naturelle de commercialisation d'une usine de transformation située au Québec ou en Ontario est maintenant New York, Philadelphie et Boston. Les usines de l'Ouest du Canada, par exemple celles de la Colombie-Britannique, incluent maintenant Seattle et Los Angeles dans leur marché intérieur.

Autrement dit, le secteur de la transformation alimentaire s'est en grande partie redéfini. Il estime maintenant faire partie intégrante du marché nord-américain et, de plus en plus, il se spécialise. Même les entreprises transnationales canadiennes essaient d'obtenir l'exclusivité pour leurs produits. Elles n'obtiennent peut-être d'exclusivité que pour cinq de leurs 15 produits, mais elles peuvent ainsi avoir des cycles de production plus longs, des coûts plus faibles, des exportations plus élevées, de même que des profits et une compétitivité accrus.

D'une façon générale, on peut dire que le commerce agricole avec les États-Unis a évolué de façon positive au cours des 10 dernières années parce que nos exportations dans ce pays ont augmenté. Nos importations des États-Unis ont également augmenté, mais les exportations ont augmenté encore plus rapidement. Le Canada demeure le principal marché des États-Unis dans le domaine des fruits et des légumes. Nous sommes au deuxième ou au troisième rang des marchés d'exportation américains pour l'ensemble des produits agricoles.

Cela dit, il y a eu bien sûr des frictions entre nos deux pays au cours des dernières années, surtout dans le secteur des grains. Pendant de nombreuses années, dans les années 30 et au début des années 40, les États-Unis appliquaient des contingents d'importation sous le régime de l'article 22 au blé et à l'orge de toute provenance, y compris du Canada. C'est pourquoi les producteurs de blé du Dakota du Nord et les producteurs d'orge du Montana n'ont jamais vu beaucoup de céréales canadiennes traverser la frontière, puisque les exportations étaient limitées par l'existence de ces faibles contingents. Ceux-ci ont été éliminés au début des années 70, mais il a fallu attendre que l'accord de libre-échange soit négocié et que soit plus assuré et prévisible l'accès au marché américain pour que le Canada commence à augmenter ses exportations de blé et d'orge.

Malheureusement, la population du Dakota du Nord et du Montana a mal réagi à l'augmentation des importations de blé et d'orge en provenance du Canada; cette réaction a surtout été déclenchée par les importations importantes de blé et d'orge fourragers canadiens en 1993 et en 1994, importations rendues nécessaires par un manque de céréales fourragères aux États-Unis en raison des inondations du Mississippi. Le Canada avait connu ces années-là des récoltes d'assez faible qualité, et d'importantes quantités de blé et d'orge fourragers avaient été expédiées vers le sud, par camion plutôt que par rail. C'est ainsi que les silos de collecte des États du Nord se sont trouvés saturés. Il n'est pas étonnant que la situation ait suscité du ressentiment le long de la frontière nord des États-Unis.

Au cours des trois ou quatre dernières années, nous avons consacré la majeure partie de notre temps à expliquer aux producteurs, à l'administration et aux politiciens américains que les importations de céréales canadiennes s'expliquent par les forces du marché.

Nous nous sommes taillé une place sur trois marchés distincts aux États-Unis. Nous avons toujours eu un petit marché assez profitable pour l'orge de brasserie, mais nos ventes sur ce marché, qui étaient d'environ 200 000 tonnes il y a 20 ans, sont passées aujourd'hui à 800 000 tonnes. Nous avons également un assez bon marché pour le blé dur, dont les importations représentent de 300 000 à 500 000 tonnes. De plus en plus, nous exportons régulièrement vers les États-Unis du blé de meunerie, dans des quantités de l'ordre d'un million de tonnes environ. À l'heure actuelle, nos exportations s'élèvent à environ deux millions de tonnes, surtout du blé de l'Ouest, mais aussi du blé de l'Ontario, et surtout de l'orge de brasserie. Ces exportations devraient être considérées comme la norme pour l'avenir, plutôt que l'exception.

Comme vous le savez, l'administration américaine a récemment pris plusieurs engagements envers la population, surtout lorsqu'elle a essayé de faire adopter de façon accélérée le projet de loi sur le commerce qui a été présenté au Congrès il y a quelques mois. Il est clair, en tout cas, que le secteur des grains est sans doute le secteur du commerce agricole le plus délicat entre le Canada et les États-Unis. Plusieurs sénateurs américains, plus particulièrement le sénateur Conrad, ont demandé à leur General Accounting Office de réaliser une autre étude des exportations de grains du Canada vers les États-Unis.

Le président Clinton a écrit au membre du Congrès Pomeroy, du Dakota du Nord, pour lui promettre, foncièrement, que l'administration réclamera la poursuite de la vérification qu'avait recommandée le tribunal de l'ALENA mis sur pied pour étudier la question des exportations canadiennes de blé dur vers les États-Unis. Vous vous souviendrez que ce tribunal avait recommandé aux deux pays d'effectuer une vérification afin de veiller à ce que le Canada ne vende pas cette denrée aux États-Unis à un prix inférieur au prix d'achat, prix qui est défini en fonction de l'acompte à la livraison. Les pays ont consacré un an à cette vérification, dont les résultats montraient clairement qu'outre quelques exportations au début de la période de mise en oeuvre, la Commission canadienne du blé avait toujours établi des prix égaux ou supérieurs à l'acompte à la livraison.

Il y a eu également d'autres problèmes, de temps à autre, plus particulièrement dans le commerce des pommes de terre. Nous avons toujours eu de la difficulté à expédier des pommes de terre de l'Île-du-Prince-Édouard et du Nouveau-Brunswick vers le Northeastern Seabord, à savoir les États du nord-est en bordure du littoral. Cela a grandement accéléré les pressions politiques qu'exerçait la délégation du Congrès du Maine. Un certain nombre d'études ont été réalisées, mais elles montrent toujours que les producteurs du Maine ne produisent pas les bonnes variétés de pommes de terre, qu'ils ont un piètre système de commercialisation et que leurs concurrents se trouvent davantage en Idaho et dans d'autres États du nord-ouest du Pacifique qu'au Nouveau-Brunswick et à l'Île-du-Prince-Édouard.

Cela montre bien, toutefois, le succès que nous remportons maintenant. Avant l'ALE, la valeur en dollars de nos importations et de nos exportations de pommes de terre et de produits dérivés avec les États-Unis était identique. Aujourd'hui, la valeur de nos exportations est de trois fois supérieure à celle de nos importations. La plupart des producteurs canadiens sont persuadés que nous continuerons à augmenter notre part du marché nord-américain de la pomme de terre et des produits de la pomme de terre.

Au Canada, la production de frites congelées a monté en flèche. La majeure partie de cette nouvelle production est destinée aux États-Unis.

Monsieur le président, nous avons récemment réglé un ou deux problèmes. Nous avons maintenant résolu un différend assez féroce au sujet du sucre et des produits contenant du sucre.

D'un point de vue plus positif, nous avons essayé de faciliter les échanges commerciaux partout où c'était possible. Par exemple, nous avons négocié avec les États-Unis dans le cadre d'un projet appelé Northwest Cattle Project, pour voir comment nous pourrions faciliter l'importation de bovins d'engraissement des États-Unis vers les parcs d'engraissement de l'Alberta, particulièrement, et réciproquement, faciliter l'exportation de bovins canadiens vers le nord-ouest du Pacifique. Les parties en sont arrivées à un accord.

Nous consacrons beaucoup d'efforts à la gestion de nos relations commerciales avec les États-Unis, surtout dans le secteur des grains. Nous avons fait comprendre aux groupes de producteurs canadiens que même si la Canadian Cattlemen's Association et les Producteurs canadiens de porc ont fait de l'excellent travail dans le passé pour entretenir d'étroites relations avec leurs homologues américains, il n'en a malheureusement pas été de même dans le secteur canadien des grains.

Mais depuis quelques années, divers groupes, dont les syndicats du blé et les producteurs de céréales de l'Ouest, tentent d'entamer un dialogue avec leurs homologues américains pour les convaincre qu'il existe de nombreux mythes à dissiper. Nous essayons pour notre part d'en faire autant auprès de l'administration et du Congrès américains. Ces mythes ont été si souvent répétés qu'ils sont maintenant considérés comme des faits. Nous essayons de convaincre les Américains que même si nos systèmes de commercialisation sont différents, cela ne signifie pas que l'un ou l'autre pays exerce un commerce déloyal. Dans le secteur des grains, par exemple, nous avons au Canada une agence de vente à guichet unique, alors qu'aux États-Unis, le système de commercialisation repose sur le secteur privé. En fait, la plupart des Canadiens oeuvrant dans le secteur agroalimentaire connaissent très bien les politiques et les programmes américains, mais malheureusement, la plupart des Américains ne connaissent pas grand-chose à l'agriculture, aux politiques et aux programmes du Canada.

Pour conclure, monsieur le président, notre plus grand défi dans un avenir rapproché consistera sans doute à nous assurer qu'il existe un dialogue entre province et État, d'un gouvernement fédéral à l'autre, d'un groupe de producteurs à l'autre, d'une association de transformation alimentaire à l'autre, afin que nos voisins américains aient une idée juste de l'agriculture canadienne.

Voilà en résumé ce que j'avais à dire, monsieur le président. M. Norman et moi serons heureux de répondre à toutes vos questions.

Le président: Merci, monsieur Gifford.

Le sénateur Hays: Je me rends compte que cela fait déjà quelque temps que je ne vous avais vus. Nous sommes presque en 1999, année au cours de laquelle vous jouerez un rôle plus proéminent puisque seront entamées les nouvelles négociations à l'OMC.

J'aimerais plus précisément poser une question dont nous avons déjà discuté, c'est-à-dire la situation de l'huile de beurre et des mélanges de sucre destinés à la fabrication de la crème glacée. Je suivrai nos notes, afin que la question soit aussi précise que possible.

Revenu Canada a pris une décision administrative en décidant d'inclure les mélanges d'huile de beurre et de sucre dans une catégorie de produits qui n'est pas soumise aux tarifs élevés qui frappent les produits laitiers, tarifs qui servent à exercer la gestion de l'offre depuis l'abolition de l'article 11. S'il s'agit d'une erreur administrative, pourquoi ne pas l'admettre et rendre une autre décision administrative qui inclurait ces mélanges dans la bonne ligne tarifaire?

À titre d'observation, en vertu des articles 58 et 61 de la Loi sur les douanes, le ministre peut, dans les deux ans, «[...] faire un réexamen du classement tarifaire ou réévaluer la valeur en douane [...]». Pourquoi ne pas utiliser ces articles de loi pour modifier immédiatement la ligne tarifaire de l'huile de beurre et des mélanges de sucre?

J'ajouterai que Revenu Canada a respecté ses obligations internationales en appliquant les procédures imposées par le régime de contingents tarifaires, mais qu'au Canada, le classement est régi par une loi. Il me semble donc que ce serait là une solution canadienne au problème.

M. Gifford: Monsieur le président, même si au départ il s'agissait surtout d'un problème d'importation des États-Unis, le commerce a maintenant changé. Si je me rappelle bien, environ 80 p. 100 de ces produits venaient des États-Unis en 1995. En 1996, les principaux fournisseurs étaient la Nouvelle-Zélande et le Mexique. Nous croyons que la majeure partie du produit mexicain provient en fait de Nouvelle-Zélande et que le mélange d'huile de beurre contient probablement du sucre mexicain ou américain. Les États-Unis ne fournissent qu'une partie relativement faible de ce mélange.

En vertu du Tarif des douanes, Revenu Canada est chargé du classement des produits aux fins des douanes. Le problème auquel le ministère est confronté c'est qu'il doit maintenant non seulement suivre les lignes directrices du tarif des douanes, mais aussi les méthodes mises en place par le Conseil de coopération douanière, c'est-à-dire de l'Organisation mondiale des douanes dont le siège se trouve à Bruxelles.

Lorsqu'on demande à Revenu Canada de fournir une opinion sur le classement approprié d'un produit aux fins des douanes, celui-ci s'en remet à la procédure normale. Depuis un an et demi, environ, les producteurs laitiers canadiens ont présenté diverses requêtes pour que soit revu le classement de ce mélange d'huile de beurre et de sucre, mais le ministère a déclaré qu'à son avis il était approprié de classer ce produit dans une ligne tarifaire à laquelle ne s'applique pas le régime de contingents tarifaires.

À peu près tous les produits laitiers, et surtout les produits laitiers spéciaux, sont assujettis au régime de contingents tarifaires. Le problème, à l'heure actuelle, c'est que certaines lignes tarifaires contenant diverses quantités de produits laitiers ne sont pas inscrites au chapitre du Tarif des douanes consacré aux produits laitiers. La question est toujours la même: où doit-on tracer la ligne? Dans une pizza congelée, par exemple, ce qui a le plus de valeur, c'est le mozzarella. Faudrait-il classer ce produit comme un produit laitier ou comme un produit transformé?

De toute évidence, les exportateurs profitent de la situation. Ils savent à quels produits sont appliqués les droits de douane les plus élevés dans le Tarif des douanes canadien et ils essaient de voir comment leurs produits pourraient être classés afin de payer des droits moins élevés. En soi, ce n'est pas illégal.

Revenu Canada a déjà pris certaines mesures auparavant à l'égard des produits artificiels. Par exemple, il y a quelques années, un exportateur exportait du sel et du lait écrémé en poudre. Une fois le lait en poudre arrivé au Canada, il renvoyait le sel aux États-Unis. Le même sel faisait un aller-retour par la frontière. Dans de tels cas, Revenu national peut mettre fin à la situation en déclarant qu'il s'agit d'un produit artificiel et qu'il y a là, de toute évidence, une tentative de contourner le Tarif des douanes.

Le problème que pose ce mélange d'huile de beurre et de sucre, c'est qu'il ne s'agit pas d'un produit artificiel; le mélange sert à fabriquer de la crème glacée bas de gamme et à bas prix. Donc, techniquement, Revenu national dit que le classement actuel du mélange est exact, d'après toutes les lignes directrices qu'il est obligé d'appliquer sous le régime du Tarif des douanes du Canada et d'après les lignes directrices appliquées par l'Organisation mondiale des douanes à Bruxelles.

Cela signifie néanmoins que des ingrédients laitiers sont importés au Canada et que si les producteurs canadiens n'abaissent pas leur prix pour faire face à la concurrence, ils seront obligés ou bien de réduire leurs ventes, ou bien de vendre le produit canadien déplacé sur le marché mondial, à des prix plus bas. C'est le dilemme devant lequel se trouve actuellement tout le secteur laitier.

Le sénateur Hays: L'industrie a estimé, je crois, que ses pertes pourraient s'élever à 50 millions de dollars pour l'année en cours. C'est une sorte de fuite qui menace le régime de gestion de l'offre, et l'élimination des surplus n'est pas à l'avantage des consommateurs. Les producteurs laitiers ne sont pas les seuls touchés par ce problème, mais aussi tous les consommateurs de produits laitiers. Cela aggrave la situation d'un régime qui fonctionne bien au Canada depuis déjà fort longtemps, depuis le milieu des années 60, et qui pourrait fonctionner encore un peu plus longtemps du moins.

Voilà, en fait, que le Conseil de coopération douanière prend pour nous une décision qui relève de la souveraineté nationale. Nous n'avons pas la possibilité de classer ce produit comme un produit laitier. Quelle est la solution à ce problème? Comment peut-on le régler? Que fait-on pour le régler?

M. Gifford: Monsieur le président, permettez-moi de commenter d'abord ce chiffre de 50 millions de dollars. Les producteurs laitiers du Canada ont estimé ou jugé que, si ces importations continuent à un tel niveau, elles pourraient déplacer à l'avenir jusqu'à 40 p. 100 du lait industriel qui sert actuellement à la fabrication de crème glacée. Si ce lait devait être vendu sur le marché mondial, au prix du marché mondial, les revenus des producteurs laitiers diminueraient d'environ 50 millions de dollars. Mais ce n'est pas le cas aujourd'hui, c'est le maximum possible. Cette estimation donne une idée assez raisonnable de l'étendue du problème.

Bien sûr, monsieur le président, «dans le bon vieux temps», lorsque l'agriculteur n'était pas assujetti à la règle de droit, les gouvernements pouvaient imposer tous les obstacles qu'ils voulaient aux importations; c'était certes le cas avant l'Uruguay Round, dans le cadre du GATT. Chaque pays avait ses propres exceptions. Les Américains appliquaient une exemption quant aux contingents d'importation sous le régime de l'article 22. La Suisse exemptait de l'application du GATT tout son secteur agricole. En fin de compte, les gouvernements utilisaient leurs frontières selon leur bon vouloir sans s'inquiéter des conséquences. Tout le monde le faisait et s'il y avait des plaintes, on y voyait plus tard.

Les gouvernements ont reconnu collectivement, dans les négociations de l'Uruguay Round, que ce régime n'était favorable à personne, qu'après 40 ans, le commerce agricole était en pleine anarchie et qu'il était temps d'effectuer un changement en profondeur qui assujettirait tous les pays, petits et grands, aux mêmes règles; il n'y aurait d'exemption ni pour des pays spéciaux, ni pour des produits spéciaux. La règle de droit s'appliquerait également à tous.

Le 1er janvier 1995, le Canada et tous les membres de l'OMC ont signé l'Accord de l'Uruguay Round sur l'agriculture. Cet accord protège le Canada contre toute mesure unilatérale que pourraient prendre d'autres pays à son endroit.

Monsieur le président, j'estime que la règle de droit, telle qu'énoncée dans l'Accord de libre-échange Canada-États-Unis, nous a protégés de l'opposition au système canadien de gestion de l'offre dans le cadre de l'ALENA. Cette règle nous protégera encore des contestations américaines contre le régime d'établissement des prix appliqué dans le cadre de l'OMC aux exportations canadiennes de produits laitiers. Mais, pas plus que les autres, nous ne pouvons choisir quelles parties de l'accord nous désirons conserver, même si c'est ce que nous faisions avant 1995.

Notre dilemme, c'est que le secteur laitier éprouve un problème économique et en subit les répercussions alors que nous avons à l'échelle internationale des droits et des obligations qui ne nous confèrent pas la marge de manoeuvre voulue pour prendre les mesures que nous aurions souhaité prendre avant 1995. Voilà le dilemme auquel le gouvernement fait face, monsieur le président, et auquel nous essayons de trouver une solution à l'heure actuelle.

Le sénateur Hays: Autant me dire qu'il n'y a rien que vous puissiez faire. J'ignore si cela se rapproche suffisamment du cas où l'on avait utilisé du sel gemme dans le lait écrémé en poudre, mais il y a peut-être des arguments analogues que l'on pourrait avancer. Cela ne vaut-il pas la peine d'être examiné?

M. Gifford: Chose certaine, nous avons encouragé les producteurs laitiers à présenter des instances auprès de Revenu Canada pour persuader les fonctionnaires qu'il y aurait lieu de modifier la classe tarifaire. Malheureusement, aucun de nos arguments n'a réussi jusqu'à maintenant à convaincre les experts de la classification du ministère de modifier leur décision. Ils demeurent convaincus que la classe tarifaire actuelle est la bonne. D'ailleurs, la loi canadienne les oblige à appliquer la classe tarifaire appropriée, et ils ont le sentiment de l'avoir fait.

Le sénateur Rossiter: Monsieur Gifford, j'ai entendu parler de cette affaire de mélange sel gemme-lait écrémé il y a un certain temps, et j'ai été scandalisée. N'est-ce pas là un cas flagrant de fraude? A-t-on des preuves? Peut-on y mettre un terme?

M. Gifford: On a en effet réussi à arrêter cette pratique. Si ma mémoire est bonne, l'importateur a poursuivi le ministère du Revenu national devant la Cour fédérale qui a déterminé que le ministère avait raison de traiter ce produit comme un produit artificiel.

Le sénateur Rossiter: N'ont-ils pas trouvé un autre moyen?

M. Gifford: Ils ont maintenant trouvé une nouvelle technique, qui consiste à mélanger l'huile de beurre avec le sucre, mais cela n'est pas un produit artificiel. Un fabricant de crème glacée peut intégrer directement ce produit dans la fabrication de crème glacée.

En guise d'explication, monsieur le président, au Canada, les crèmes glacées bas de gamme ne sont pas fabriquées avec de la crème ou du lait entier. Elles sont fabriquées avec des mélanges de lait écrémé en poudre, de lait entier en poudre, de lait concentré, de lait concentré sucré et de toutes sortes d'ingrédients laitiers. Certains fabricants de crème glacée obtiennent maintenant la plupart des matières grasses nécessaires pour la fabrication de crème glacée bas de gamme à partir de ce mélange. De toute façon, ils doivent utiliser du sucre dans la crème glacée. Le sucre est un ingrédient important de toute crème glacée. Essentiellement, il s'agit d'un produit «légitime». Le problème tient au fait que cela oblige les producteurs laitiers canadiens à vendre leur lait à un prix qui soit concurrentiel à celui de cette importation ou d'exporter leur lait à un prix bien inférieur à celui du prix canadien actuel.

Le sénateur Rossiter: Les fabricants ne sont-ils pas tenus d'afficher sur les contenants de cette crème glacée «Fabriqué avec huile de beurre, et non de la crème»? Comment peuvent-ils justifier leurs ingrédients?

M. Gifford: Monsieur le président, si je me souviens bien, Santé Canada applique une norme d'identification à la crème glacée. Il s'agit d'une norme qui prescrit la façon de rendre compte des ingrédients sur un contenant de crème glacée, mais le fabricant n'est pas tenu de préciser s'il s'agit d'un mélange huile de beurre-sucre.

Le sénateur Rossiter: Ces mélanges huile de beurre-sucre importés sont-ils entièrement dépourvus des hormones de croissance dont l'utilisation est permise aux États-Unis, mais non au Canada?

M. Gifford: Je n'en sais rien, monsieur le président. Comme je l'ai dit tout à l'heure, 67 p. 100 seulement des importations proviennent des États-Unis, où l'utilisation de la somatotropine bovine est permise. Le gros des importations provient de la Nouvelle-Zélande et du Mexique. Il s'agit essentiellement de produits de Nouvelle-Zélande et, dans ce pays, il est interdit d'utiliser cette hormone de croissance.

Le sénateur Rossiter: La Nouvelle-Zélande peut expédier ce produit au Mexique.

M. Gifford: Il est mélangé avec le sucre et ensuite expédié vers le nord.

Le sénateur Rossiter: Il est expédié aux États-Unis et ensuite, il vient ici?

M. Gifford: Non, le produit entre directement ici. Il vient directement du Mexique au Canada. La majorité des produits en provenance de la Nouvelle-Zélande arrivent par cargaison aérienne et transitent par l'aéroport international de Toronto.

Le sénateur Rossiter: Est-ce moins cher qu'un produit canadien?

M. Gifford: Monsieur le président, c'est une supposition que je fais étant donné qu'ils expédient par voie aérienne de l'agneau frigorifié et congelé. Chose certaine, l'agneau frigorifié est expédié ici et ils doivent juger économique d'expédier ce mélange en même temps.

Le sénateur Whelan: L'agneau vient de Nouvelle-Zélande.

M. Gifford: L'agneau vient de Nouvelle-Zélande, oui.

Le sénateur Hays: Tout comme l'huile de beurre.

Le sénateur Rossiter: J'aurai une autre question lorsque nous aborderons le sujet des pommes de terre.

Le sénateur Bryden: Les experts de la classification de Revenu Canada ont-ils interjeté appel?

M. Gifford: Oui, sénateur. Tout importateur a le droit d'en appeler d'une décision de Revenu Canada auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur. Les producteurs laitiers ont été avisés de cette possibilité. Ils n'auraient qu'à importer quelques livres de produits pour être importateurs attitrés et, ensuite, interjeter appel de la décision de classification de Revenu Canada. Jusqu'à maintenant, ils ne se sont pas prévalus de cette option.

Il est possible de faire appel d'une décision d'un agent de douanes de Revenu Canada auprès du sous-ministre du ministère; ensuite, on peut faire appel auprès du Tribunal canadien du commerce extérieur, puis de la Cour fédérale et, enfin, de la Cour suprême. Cependant, les décisions du Tribunal canadien du commerce extérieur ont force exécutoire pour Revenu Canada.

Le sénateur Bryden: Hormis cette option de devenir importateur, option qui n'intéresse pas les producteurs laitiers, y a-t-il un mécanisme qui leur permettrait de faire appel en invoquant que cette pratique porte préjudice à leur commerce?

M. Gifford: En théorie, monsieur le président, n'importe quelle industrie canadienne peut demander une garantie de protection contre les importations, dans le respect des règles de l'OMC. Le fabricant du produit similaire au Canada doit faire la preuve que les importations menacent de lui causer ou lui causent un préjudice grave.

Cependant, dans le cas qui nous intéresse, je crois savoir que les producteurs laitiers n'auraient pas de motif de demander protection. Une telle requête devrait sans doute émaner d'une coopérative laitière, d'une usine de transformation, car comme c'est le mélange huile de beurre-sucre qui est en cause, le fabricant du produit similaire est plutôt le transformateur laitier que le producteur laitier. Il faudrait donc que les producteurs laitiers convainquent les membres de leurs coopératives d'engager une demande de recours en vertu des clauses de sauvegarde. Il incomberait alors à l'industrie de la transformation laitière de faire la preuve que ces importations lui causent ou menacent de lui causer un fort préjudice.

Les agents de transformation doivent en faire la preuve devant le Tribunal canadien du commerce extérieur. Si ce tribunal convient qu'il y a eu préjudice ou risque de préjudice, le Canada serait alors autorisé à imposer des tarifs supplémentaires ou des quotas d'importation en conformité des règles de l'OMC.

Le sénateur Whelan: Monsieur Gifford, n'est-ce pas au cours de l'Uruguay Round que nous avons perdu précisément ces deux produits? Pour ce qui est des produits de crème glacée, n'est-ce pas à ce moment-là que nous les avons perdus? J'ai ça dans un document quelque part, mais je ne l'ai pas apporté aujourd'hui.

M. Gifford: Monsieur le président, le sénateur Whelan fait référence au fait qu'avant l'entrée en vigueur des règles de l'OMC le 1er janvier 1995, les produits laitiers étaient assujettis à des quotas d'importation, à un régime de licence d'importation discrétionnaire, ce qui signifie qu'il y avait un embargo sur la plupart des produits laitiers figurant sur la Liste de marchandises d'importation contrôlée aux termes de la Loi sur les licences d'exportation et d'importation. À l'OMC, on a finalement convenu que tous les pays transformeraient les quotas d'importation en équivalents tarifaires, de sorte qu'à ce moment-là, nous avons été obligés de transformer ces quotas d'importation en lignes tarifaires. Le problème, c'est que les articles figurant sur la Liste de marchandises d'importation contrôlée n'étaient pas définis de la même façon que dans le Tarif des douanes canadien. Par conséquent, vers la fin des négociations, on s'est livré à un exercice visant à transformer ces quotas d'importation individuels en lignes tarifaires. C'était là une partie du problème.

À l'époque, monsieur le président, nous avons discuté avec les producteurs laitiers du Canada, qui s'inquiétaient des mélanges, et nous avons essayé d'identifier le plus grand nombre de mélanges potentiels possible tout en respectant notre obligation de ne tarifer que les articles précédemment assujettis à un contrôle des licences d'importation. Tous les jugements ou décisions arbitrales qui ont été pris l'ont été en faveur du secteur laitier plutôt que de l'importateur. Une fois ces lignes tarifaires établies, cependant, cela nous a essentiellement limités à la liste tarifaire qui fait maintenant partie intégrante des obligations du Canada dans le contexte de l'OMC.

Le sénateur Whelan: Je crois que vous avez dit que nous importions du Mexique de la crème glacée fabriquée à partir d'huile de beurre provenant de la Nouvelle-Zélande.

M. Gifford: C'est cela.

Le sénateur Whelan: On nous a déjà dit, et vous nous l'avez confirmé, que la Nouvelle-Zélande n'autorise pas l'utilisation de la somatotropine bovine. Par conséquent, il serait peut-être préférable pour les Canadiens d'importer l'huile de beurre de Nouvelle-Zélande. Je suis tout à fait contre cette hormone de croissance. Je ne comprends pas que le gouvernement hésite à l'interdire. Plusieurs pays dans le monde interdisent la BST. En Europe, elle est soumise à de sévères restrictions.

Savez-vous quelle entreprise fabrique ce produit au Mexique? Est-ce une entreprise américaine? Quatre-vingt pour cent de notre crème glacée est fabriquée au Canada par deux sociétés étrangères. Est-ce l'une de ces deux sociétés qui importe ce produit ici?

M. Gifford: Monsieur le président, je ne sais pas précisément qui importe quoi du Mexique. Tout ce que je sais, c'est que la majeure partie de l'huile de beurre provient de Nouvelle-Zélande.

Le sénateur Whelan: Si je me souviens bien, l'huile de beurre est fabriquée à partir de beurre qui est en entreposage et auquel on souhaite trouver une utilité.

M. Gifford: C'est exact.

Le sénateur Whelan: C'est ce que nous avions l'habitude de faire également lorsque nous avions des excédents de beurre. Nous le transformions en huile et nous le vendions là où nous le pouvions, généralement à bas prix. Étant donné qu'il s'agit d'un produit peu cher, il est difficile de croire qu'on l'expédie par voie aérienne, à moins qu'il y ait un espace libre sur l'avion. Lorsque vous calculez le coût d'un produit qui entre au Canada, vous vous servez du coût habituel de transport aérien, n'est-ce pas?

M. Gifford: Monsieur le président, j'avoue que moi aussi, j'ai été étonné d'apprendre que selon les registres de douane, l'aéroport international de Toronto est le principal point d'entrée pour ce produit de Nouvelle-Zélande. Une fois mélangée avec le sucre, l'huile de beurre se présente sous la forme de pâte. Ce n'est pas un liquide; c'est une pâte granuleuse en raison de la teneur en sucre.

Souvent, il reste de l'espace réfrigéré vide dans un avion de fret qui transporte de l'agneau réfrigéré, et je suppose que les Néo-Zélandais en tirent parti. Je ne sais pas exactement quels sont les coûts de transport à ce moment-là.

Le sénateur Whelan: Je ne sais pas comment sont les choses à l'heure actuelle, mais il y a plusieurs années, j'ai visité des usines mexicaines où l'on était bien loin des normes que nous appliquons à nos usines de transformation laitière, notamment pour ce qui est du fromage, du beurre et de la crème glacée. Inspectons-nous les usines où l'on fabrique les produits qui se retrouvent ici?

M. Gifford: Tous les produits agroalimentaires qui entrent au Canada sont soumis à des contrôles aléatoires de la part d'Agriculture et Agroalimentaire Canada.

Le sénateur Whelan: Monsieur Gifford, vous et moi savons que ces inspections aléatoires ne valent pas grand-chose. Environ 50 p. 100 de toutes nos importations arrivent par le pont Ambassador, et le passent comme une lettre à la poste. Les importateurs fournissent un connaissement par télécopieur à Toronto, et le fonctionnaire le renvoie par télécopieur avec la mention «inspecté». L'inspection est une farce, à mon avis.

L'autre jour, nous avons accueilli des représentants du secteur automobile. Leur produit est non périssable. Ce n'est pas une livre de beurre, un contenant de crème glacée ou un litre de lait, mais ils bénéficient d'une protection considérable. Ils vont afficher une surproduction de 60 p. 100 parce qu'ils fabriquent plus de voitures que le consommateur n'en achètera jamais, mais je ne pense pas qu'ils baisseront pour autant le prix des voitures.

Vous avez fait une déclaration très intéressante au sujet de notre commerce. Nous étions l'un des pays où le commerce était le plus libre dans le domaine de l'agriculture avant l'Uruguay Round, et nous avons tout organisé aux termes du GATT. Ensuite, on a modifié les règles du GATT pour nous ramener en arrière. L'article 11 a été changé. J'oublie quelles autres parties du GATT on a changées également, mais nous avions organisé cela. Si notre dollar était à parité avec le dollar américain, comme certaines personnes pensent qu'il devrait l'être, même si tous les commerçants savent que ce ne devrait pas être le cas -- qu'arriverait-il à nos échanges commerciaux?

M. Gifford: Monsieur le président, c'est un sujet dont un journaliste adorerait débattre. Je partage l'opinion selon laquelle cela ne nous donne sans doute rien étant donné que le prix de bon nombre de nos importations est fixé en fonction du coût du produit américain livré. Même si un dollar canadien apprécié nous rendrait moins concurrentiels pour ce qui est de nos exportations vers les États-Unis, nos coûts d'importation diminueraient suite à la dépréciation relative du dollar américain. Ce qu'on risque de perdre d'un côté, on le gagne de l'autre.

Il me semble aller de soi que la restructuration de l'agriculture, particulièrement du secteur de la transformation alimentaire, ainsi que les changements en cours dans le secteur de la production primaire, ont eu pour effet d'augmenter sensiblement notre compétitivité. L'exemple classique est celui de l'industrie vinicole de l'Ontario, qui craignait d'être décimée et de disparaître. Cette industrie produisait du vin de qualité inférieure étant donné qu'il était impossible de produire du bon vin avec les variétés de raisin nord-américain. Chaque année, l'industrie générait un surplus de vin qu'Agriculture Canada devait acheter dans le cadre d'un programme d'élimination des excédents. L'industrie comptait sur la protection tarifaire pour pouvoir vendre son vin de piètre qualité sur le marché canadien.

Dans la foulée de l'ALE, la situation a changé. La seule aide à la transition fournie au secteur agroalimentaire a pris la forme d'un programme conjoint entre le gouvernement de l'Ontario et le gouvernement fédéral, en vertu duquel toutes les vignes de mauvaise qualité ont été arrachées et remplacées par des variétés de raisin européen de grande qualité. L'Ontario possède maintenant une industrie vinicole qui est légèrement plus petite qu'elle ne l'était sous l'ancien régime, mais elle produit des vins de grande qualité qui remportent des prix internationaux.

Le sénateur Whelan: Je me dois d'intervenir. Monsieur Gifford, je me souviens de l'industrie vinicole telle qu'elle était; j'en étais le plus ardent défenseur. Elle produisait de bons vins même en 1992. Tous les vins n'étaient pas de qualité inférieure. Il y avait notamment l'Inniskillin et d'autres vins de qualité. Il y avait toute une fourchette de vins. Nous avons investi des sommes énormes dans la recherche.

Le ministère de l'Agriculture a réduit les crédits de recherche. Il y a cinq établissements vinicoles dans le district Harrow, mais le ministère de l'Agriculture a réduit le nombre de viniculteurs dans cette région pour faire des économies. À l'époque, nous faisions déjà la promotion de la viniculture; cela n'a pas débuté avec le libre-échange. L'industrie vinicole a commencé à se développer bien avant le libre-échange. Il est impossible d'obtenir un vin nouveau, et un vin nouveau de qualité, en moins de cinq ans. Certains pensent qu'avec l'entrée en vigueur du libre-échange, nous avons commencé spontanément à obtenir du bon vin. Pendant les 11 années où j'ai été ministre de l'Agriculture, je n'ai jamais rien servi d'autre que du vin canadien aux réceptions officielles. Je vous demanderais de retirer cette remarque au sujet de la qualité inférieure du vin canadien.

M. Gifford: Monsieur le président, le sénateur Whelan a raison de dire qu'il y a 15 ou 20 ans, il y avait des endroits en Ontario où l'on produisait du bon vin, notamment dans les établissements vinicoles haut de gamme. Il a raison de dire qu'on ne devrait pas généraliser, mais je pense qu'en moyenne, la qualité du vin canadien et du vin de l'Ontario s'est beaucoup améliorée depuis 10 ans, comparativement à ce qu'elle était il y a 10 ans. C'est tout ce que je voulais dire, monsieur le président.

Le sénateur Whelan: J'en suis heureux, monsieur Gifford, étant donné que vos propos au sujet de la qualité inférieure du vin n'étaient pas exacts. Même à l'époque, il y a eu des dégustations de vins auxquelles ont participé les vins canadiens et les grands experts français et italiens ne pouvaient pas dire la différence entre l'Inniskillin et d'autres vins que nous fabriquions à l'époque.

Je me souviens avoir rencontré M. Gifford il y a des années et je me souviens de ses réserves au sujet de certaines choses que nous faisions. Nous avions des discussions très franches. Si vous pensez que notre échange a été franc aujourd'hui, demandez à M. Gifford ce qu'il en était à l'époque.

Le sénateur Stratton: En tant que consommateur, je suis tout à fait d'accord avec M. Gifford. Il y a vingt ans, je n'aurais pas bu de vin de l'Ontario.

Le sénateur Whelan: C'est parce que vous ne saviez pas ce qui était disponible.

Le sénateur Stratton: Je ne pouvais pas boire de vin de l'Ontario.

Le président: Nous en sommes arrivés à parler de cela à la suite de vos observations sur le dollar canadien. Je m'inquiète de ce qui se passerait si le dollar canadien montait à 95 cents ou avait la parité avec le dollar américain.

Permettez-moi de vous donner un exemple avec lequel le sénateur Hays sera sans doute d'accord. Prenons l'exemple d'un veau de 600 livres ou plus -- supposons que le veau se vende 100 cents la livre à l'heure actuelle -- et que le dollar canadien soit à 95 cents, le prix serait en deçà du coût de production. Le prix américain du boeuf fixe le prix du boeuf canadien. Cela ne fonctionnerait pas. Je vois mal comment vous pouvez faire une telle affirmation.

À mon avis, c'est la faiblesse du dollar qui constitue une bénédiction pour les exportations canadiennes. Cela est vrai pour l'industrie du bois d'oeuvre, du pétrole, du gaz, de l'automobile et de l'agriculture. Pour être franc, je suis étonné que les Américains n'aient pas exercé de pressions pour pousser le dollar canadien à la hausse, mais il semble que ce soit le contraire ces jours-ci. Comment pouvez-vous dire que nous serions compétitifs si le dollar avait la parité avec le dollar américain, compte tenu de la situation du commerce international à l'heure actuelle?

M. Gifford: Monsieur le président, le fait est que l'agriculture canadienne, du producteur primaire à l'agent de transformation, a augmenté sa compétitivité et peut maintenant livrer concurrence à n'importe quel pays au monde, y compris les États-Unis. Je pourrais dire que le taux de change fluctuera. Les économistes divergent d'avis au sujet des répercussions d'un taux de change de 90 cents par rapport à 70 cents aujourd'hui. Peut-être ai-je oeuvré dans le domaine agricole trop longtemps. Je suis un optimiste et je suis toujours convaincu que dans un environnement commercial équitable, les agriculteurs canadiens peuvent être concurrentiels sans problèmes.

Le président: Chose certaine, il faudrait que le système de fixation des prix change, sinon nous ne serions pas en mesure d'être concurrentiels. Ce matin, j'ai fait un coup de téléphone pour m'informer de la situation des céréales. Le prix du blé dur numéro 1 à Crosby aujourd'hui est d'environ 8 $ canadiens. Le prix initial à la livraison est 4,05 $.

Vous avez dit que les Américains réclament que la Commission canadienne du blé n'exige pas un prix supérieur au prix initial.

M. Gifford: Qu'elle ne vende pas sous le prix initial, monsieur le président.

Le président: Le prix initial est 4,05 $.

M. Gifford: Oui. Aux termes de l'Accord de libre-échange, nous sommes tenus de ne pas vendre notre blé aux États-Unis en deçà du prix initial.

Le président: Où vont les autres 4 $?

M. Gifford: Monsieur le président, je suppose que cela fait partie des paiements supplémentaires qui s'ajoutent à votre paiement final de la Commission canadienne du blé. Étant donné que le marché international du blé dur est très vigoureux, au bout du compte, la Commission canadienne du blé vous versera pour votre blé dur un paiement final qui se rapprochera beaucoup des 8 $ canadiens le boisseau.

Le président: Cela signifie que les paiements pour le blé dur devraient s'établir à 4 $ le boisseau. Si vous me permettez de le dire, cela ne se produira jamais. Nous aurons de la chance d'obtenir 2 $; c'est d'ailleurs ce que l'histoire nous a appris jusqu'à maintenant en ce qui concerne le prix initial. Quoi qu'il en soit, si les Américains nous interdisent de vendre au-dessus du prix initial, je ne comprends toujours pas pourquoi nous vendons aux États-Unis des céréales à très bas prix.

M. Gifford: Non, monsieur le président. Aux termes de l'Accord de libre-échange, nous avons convenu de ne pas recourir à des subventions d'exportation dans le contexte du commerce bilatéral. Essentiellement, les deux pays appliquent un système d'offre d'achat. Les Américains avaient leur «taux de prêt» pour les céréales. Ils avaient un prix fonction de l'offre d'achat pour les produits laitiers. Au Canada, nous appliquions un prix fonction de l'offre d'achat pour le fromage, le beurre et le lait écrémé en poudre, et nous avions un système de paiement initial.

Ce que nous disons, c'est que puisqu'il est garanti par le gouvernement du Canada, le système du paiement initial est en fait l'équivalent d'un prix sur une offre d'achat. La réglementation nous interdit de vendre aux États-Unis à un prix inférieur au prix initial, mais rien ne nous interdit de demander un prix supérieur.

Dans le cas du blé dur, le marché est haussier. C'est un marché relativement court et les prix sont élevés, ce qui attire de plus en plus notre blé dur sur le marché américain. Si vous examinez les projections de la Commission du blé pour le prix final réalisé, vous constaterez que pour le blé dur, ce prix est bien plus élevé que dans le cas du blé à forte teneur protéique.

Le président: Je sais fort bien que le blé dur est pour l'instant une culture spéciale que les producteurs canadiens veulent spécifiquement axer sur le marché américain. Ce que par contre les cultivateurs ne parviennent pas à comprendre, c'est la raison de cette différence en dollars; lors des premières tentatives, ils n'ont même pas pu obtenir 8 $ le boisseau, loin de là. Cela, monsieur Gifford, vous le savez fort bien, moi aussi ainsi que n'importe quel exploitant agricole le long de la frontière. Mais en même temps, les Américains nous disent qu'ils ne subventionnent pas dans le cadre de leur programme de valorisation des exportations. Que se passe-t-il donc?

Ce qui se passe, c'est qu'il y a ce qu'on appelle un prix commun, ce qui veut dire que nous devons vendre une partie du blé dur et, en particulier, certains blés durs, sur le marché international à des prix extrêmement bas.

M. Gifford: Toujours pour ce qui est du blé dur, monsieur le président, vous savez parfaitement que la commission conseille au gouvernement un niveau pour le prix initial. En règle générale, elle essaie de faire en sorte que ces prix initiaux représentent grosso modo 70 ou 75 p. 100 du prix final réalisé escompté. Je dirais quant à moi, monsieur le président, que lorsque la Commission a fait ses premières recommandations, rien ne lui permettait de savoir que le marché du blé dur allait être aussi vigoureux qu'aujourd'hui.

Les dernières projections de la commission montrent bien que le paiement final auquel les producteurs canadiens de blé dur s'attendent va être bien supérieur à leurs premières estimations, au moment où les prix initiaux avaient été fixés.

Le président: Vous savez certainement que dans l'Ouest, les producteurs agricoles sont extrêmement inquiets, surtout depuis que le président Clinton a parlé du passage en mode accéléré. Pour être franc avec vous, je pense que nous devons dans le dossier des échanges commerciaux passer à une vitesse supérieure, du moins en ce qui concerne l'Ouest, parce que les producteurs agricoles qui en pâtissent aujourd'hui sont précisément les céréaliculteurs et les éleveurs bovins. Les secteurs sous réglementation assujettis à un office de commercialisation, le secteur laitier par exemple, ont été relativement bien protégés, même si, nous le constatons de plus en plus, cette protection s'effrite lentement, comme vous l'avez vous-même dit. En fait, l'Ouest canadien a été sacrifié sur l'autel de la protection des produits agricoles sous réglementation de l'Est du pays. Cela, c'est une constatation fort générale, mais il n'empêche que c'est la réalité.

Il ne fait aucun doute que les 13 sièges de la Saskatchewan pèsent beaucoup moins que les 102 sièges de l'Ontario. Non pas que nous voulions diviser nos sénateurs sur ce plan.

Le sénateur Stratton: Cela ne vous empêche pas de foncer.

Le sénateur Whelan: En guise de rappel au Règlement, nous pouvons fort bien remonter un peu le cours de l'histoire si cela ne vous dérange pas. Les éleveurs bovins auraient pu obtenir la même chose que les producteurs laitiers s'ils l'avaient voulu. Ils auraient pu obtenir la même chose que les producteurs de poulets. Je les ai souvent rencontrés dans l'Ouest et je le leur ai bien dit, alors ne me dites pas que ces gens sont protégés. Ne montez pas l'Est contre l'Ouest parce que ce ne serait pas juste. Ces gens auraient pu avoir la même chose s'ils l'avaient voulu, mais les gens de l'Ouest, vos membres de l'Ouest, se sont battus pour que le secteur du boeuf ne soit pas soumis au système de gestion de l'offre.

Ne venez pas nous dire, monsieur le président, que la Commission du blé est à ce point stupide qu'elle est prête à vous payer 4 $ pour vendre aux États-Unis à 5 $ alors que le prix est de 8 $ le boisseau. La Commission a l'un des meilleurs systèmes de commercialisation au monde et ses résultats prouveront d'ailleurs à l'évidence ce qu'elle a fait pour les producteurs agricoles.

Le président: Sénateur, je pourrais vous dire que j'étais au GATT avec Mike Wilson et Bill McKnight, qui était à l'époque ministre fédéral de l'Agriculture. Ce que notre propre gouvernement nous avait dit alors, c'est que nous devions protéger le chapitre 11 à tout prix.

Cela, le sénateur Hays le reconnaîtra volontiers. Le sénateur Spivak y était aussi. Nous sommes allés aux États-Unis, nous avons rencontré les sénateurs, les membres du Congrès et toutes sortes de gens du secteur agricole, et chaque fois on nous a dit: «Éliminez vos tarifs douaniers, éliminez les restrictions imposées au secteur laitier, au secteur de la volaille et donnez-nous libre concurrence au Canada et à ce moment-là, nous éliminerons nos propres tarifs douaniers sur les céréales et le boeuf». Ce n'est pas plus compliqué que cela.

Le sénateur Whelan: Les Américains n'ont aucun tarif douanier sur les céréales et sur le boeuf. Vous le savez fort bien. Pour ce qui est des oléagineuses et des céréales, nous sommes le premier exportateur mondial.

Le président: Mais pourquoi alors les producteurs essayent-ils de vendre indépendamment aux États-Unis?

Le sénateur Hays: Monsieur le président, monsieur le vice-président, puis-je attirer votre attention sur le fait que nous avons ici des témoins qui pourraient nous éclairer à ce sujet?

Le président: C'est cela la réponse que je voudrais obtenir.

Le sénateur Spivak: Je voudrais aller droit au fait pour ce qui est de la Commission canadienne du blé et vous demander votre avis à ce sujet. Je me souviens que pendant les entretiens sur l'avenir de l'agriculture, qui ont eu lieu il y a un certain temps déjà, certains objectifs avaient été établis pour le Canada, en plus de faire passer à 20 milliards de dollars le niveau de nos exportations, objectif que nous avons probablement d'ailleurs déjà dépassé. Il y avait également la question de la sécurité alimentaire, la question de la qualité et aussi la question du juste bénéfice pour le producteur.

J'aimerais savoir quel pourcentage représente la Commission canadienne du blé sur le total des échanges commerciaux dans le monde. Je voudrais également que vous me donniez votre avis sur ce qui s'est passé tout dernièrement au Manitoba avec l'Union des producteurs de grain et la prise de contrôle. Devons-nous accepter que disparaisse la Commission canadienne du blé sur la foi d'un gain à court terme au niveau des prix, gain qui serait peut-être éphémère, ne risquerions-nous pas de passer sous la coupe des compagnies céréalières américaines? Qu'est-ce que cela signifierait pour nos producteurs agricoles? Je m'interroge sur l'avenir du secteur porcin au Canada. En d'autres termes, quel est le lien entre la Commission du blé, les échanges commerciaux et la concentration des intérêts étrangers dans nos compagnies de commercialisation du point de vue de l'impact éventuel à long terme sur les producteurs?

Notre comité s'intéresse à l'agroalimentaire et à toutes ces entreprises. Il s'intéresse également aux échanges commerciaux, mais ce qui nous intéresse surtout, c'est le bien-être des producteurs. Il arrive que nous perdions cela de vue dans toutes ces conversations à l'emporte-pièce.

J'aurais d'autres questions à poser, mais vous pourriez peut-être commencer par nous parler de ce qui se passerait pour nous à long terme si nous ne cédions pas aux pressions exercées par les Américains pour que nous démantelions la Commission du blé ou à la levée de boucliers qu'on constate ici et qui est peut-être influencée par les lobbyistes américains, à moins que ce ne soit des revendications légitimes de la part de nos producteurs, pour que nous nous débarrassions de la Commission canadienne du blé.

M. Gifford: Monsieur le président, lorsque le Canada choisit un système de commercialisation pour son secteur agricole, il s'agit d'une décision canadienne et d'une décision exclusivement canadienne. Si nous voulons vendre tout notre blé par l'entremise d'une seule agence, rien en droit international ne nous en empêche. Tant et aussi longtemps, j'imagine, que la majorité des producteurs céréaliers du Canada considéreront que la commission fait du bon travail, cette commission continuera d'exister. Le jour où la majorité des producteurs de blé penseront que la commission ne fait pas du bon travail, j'imagine que ce jour-là la commission n'aura plus aucune légitimité politique.

Mais d'après tous les sondages que j'ai pu consulter, je suis porté à penser que la majorité des producteurs céréaliers canadiens sont favorables à la Commission canadienne du blé.

Je me risquerai à vous donner mon point de vue -- pour ce qu'il vaut -- à propos des intérêts étrangers dans le secteur agroalimentaire canadien. Dans le secteur bovin, nous l'avons vu, nous avions une composante production hors pair, mais également une composante transformation relativement inefficace et trop fragmentée. Cette réalité est devenue évidente, ce qui a provoqué l'arrivée de Cargill, puis de Iowa Beef Packers. Ce qui s'est passé en fait, c'est que Canada Packers a ni plus ni moins fermé boutique.

Nous avons maintenant en Alberta deux abattoirs d'envergure mondiale capables d'abattre deux tiers de la production canadienne. Notre secteur élevage est hors pair et il s'est adjoint un secteur transformation d'envergure mondiale du même calibre.

Le secteur porcin était exactement comme le secteur bovin. Il a toujours eu une composante production de très haut niveau, mais par contre une composante transformation fragmentée et d'un prix de revient très élevé. Maple Leaf, une entreprise canadienne, avait d'ailleurs dit que pour survivre, pour pouvoir abattre des porcs sur pied au Canada au lieu de devoir les vendre aux États-Unis, il fallait que le Canada se dote d'une industrie de transformation d'envergure mondiale. Et c'est précisément ce que cette entreprise a fait par l'implantation du nouvel abattoir à Brandon.

Si j'ai bien compris ce que m'ont dit les gens de l'industrie de l'abattage et de la transformation, pour qu'un abattoir puisse avoir une envergure mondiale, il faut qu'il puisse traiter deux millions de porcs par an. La plupart de nos abattoirs sont loin de ce chiffre. Si nous voulons être aussi compétitifs que nous devrions l'être dans le secteur de la viande rouge, il faut que l'industrie de l'abattage et de la transformation arrive au même niveau de compétitivité que l'industrie qui l'alimente, l'élevage. Je pense que c'est précisément ce qui est en train de se passer.

Dans le cas du boeuf, le problème était principalement dû à l'afflux d'investissements américains. Il est à espérer que si Maple Leaf continue sur sa lancée et que si le Saskatchewan Wheat Pool continue lui aussi sur sa lancée, nous finirons par avoir au Canada dans le secteur porcin une industrie de l'abattage et de la transformation appartenant à des capitaux canadiens.

Le sénateur Spivak: Vous voulez donc dire que, dans le contexte de la stratégie industrielle du Canada, peu importe à qui appartient cette industrie?

M. Gifford: C'est exact, monsieur le président, c'est cela que je voulais dire.

Le sénateur Spivak: Quelle est la part du marché qui revient à la Commission canadienne du blé?

M. Gifford: Au fil des années, la ommission a réussi à faire en sorte que la part du marché mondial du blé revenant au Canada oscille entre 19 et 21 p. 100. Cette part fluctue en effet dans cette bande assez étroite.

La commission a fort bien réussi à rester concurrentielle pendant la plus grande partie de la période de l'après-guerre pendant laquelle elle a dû faire face aux subventions à l'exportation accordées par les États-Unis et les Européens.

Le sénateur Spivak: Est-ce vrai, comme nous en accusent les Américains, que la Commission canadienne du blé manipule le marché?

M. Gifford: Pas du tout, monsieur le président. On a souvent accusé cette agence de vente à guichet unique dont le Canada s'est doté de créer une situation considérée comme injuste. Nous n'arrêtons pas de dire aux Américains: «Prouvez-le ou alors taisez-vous». Jusqu'à présent, ils n'ont rien pu avancer à l'appui de leurs accusations selon lesquelles la Commission aurait potentiellement -- et c'est d'ailleurs toujours le terme utilisé par les Américains, «potentiellement» -- les moyens et l'envergure économiques nécessaires pour casser les prix mondiaux ou que sais-je encore. Mais jusqu'à présent, monsieur le président, les Américains ont été incapables de prouver quoi que ce soit.

Le président: Juste une question concernant ADM qui achète des parts de l'Union des producteurs de grain. Nous vendons du canola à ADM à Velva, au Dakota du Nord. Le canola se vend exactement au même prix aux États-Unis et au Canada et aujourd'hui, ce prix est de 8,36 $ aux États-Unis.

La Commission du blé vend l'essentiel de ce qu'elle exporte à ADM. D'aucuns chez les producteurs prétendent qu'en faisant intervenir les principaux acteurs, on engendrera des retombées positives sur tout le marché international. Nous entrons dans l'ère du marché planétaire. Le projet de loi C-4 porte à croire que la Commission du blé pourrait, en plus des céréales, du blé et du blé dur, s'occuper d'oléagineuses. Certains producteurs sont nerveux lorsqu'ils entendent cela parce qu'à l'heure actuelle, grâce à ADM, ils obtiennent le prix mondial. La Saskatchewan Wheat Pool expédie sa production à ADM. Pioneer également, ainsi que l'Union des producteurs de grain. Nous obtenons 8 $. Si la Commission du blé accapare ce secteur, nous risquons de n'obtenir que 4 $. Personne ne semble vouloir ou pouvoir répondre à ce genre de questions, et c'est la raison pour laquelle les producteurs de l'Ouest n'y comprennent plus grand-chose lorsqu'il s'agit des prix.

Vingt pour cent des cultivateurs produisent environ 80 p. 100 du total. Si vous vérifiez auprès d'eux, vous constaterez facilement quelle est leur position à ce sujet. En ce qui concerne tout ce dossier de la Commission canadienne du blé, le projet de loi C-4 nous posera quelques problèmes très graves.

Mais je dois reconnaître ceci: la plupart des producteurs sont favorables à la commission canadienne du blé, mais ils veulent néanmoins certains changements. Personnellement, je suis tout à fait pour la Commission parce qu'elle a fait jusqu'à présent du bon travail, mais nous devons néanmoins lui apporter certains changements eu égard à la planétarisation du marché.

Le sénateur Spivak: Que pourriez-vous nous dire à propos de la part du marché détenue par Archer Daniels Midland? Le savez-vous?

M. Gifford: Monsieur le président, d'après ce que je sais, ADM ne s'occupe pas beaucoup de blé. Les grosses compagnies céréalières transnationales sont Cargill, Inter-Continental et Dreyfuss. Certes, à mesure que les barrières ont disparu au fil des ans, un certain nombre de nouvelles compagnies transnationales sont apparues. Ainsi, chez les producteurs d'huile d'oléagineuses, les compagnies qui dominent le marché en Amérique du Nord dominent maintenant le marché en Europe occidentale. Il y a dans l'agro-alimentaire beaucoup de très grosses compagnies transnationales comme McCain Foods, par exemple, qui est probablement la compagnie canadienne la plus connue. McCain's, qui est un géant transnational de l'agroalimentaire, est le plus gros producteur de frites congelées au monde.

Le président: Nous semblons nous diriger vers un marché essentiellement nord-américain. Si nous n'avons pas encore compris la chose, nous la comprendrons facilement d'ici cinq ans, cela ne fait pas l'ombre d'un doute. Pourquoi à ce moment-là les Canadiens et les Américains se livreraient-ils à une guerre des prix alors que notre véritable opposant est le Marché commun européen?

M. Gifford: Monsieur le président, on peut effectivement dire que pour le blé canadien, le marché américain ne sera jamais le plus gros marché unique. Cela étant, c'est de toute évidence un marché qui appelle des prix élevés. La commission a une demi-douzaine de marchés de ce genre dont l'Amérique du Nord, le Japon et l'Europe occidentale. Mais selon le niveau des subventions à l'exportation vers les marchés tiers, certaines régions appellent des prix plus bas.

Souvent, nous exportons un produit donné d'une région du Canada alors que nous devons en importer dans une autre. Ainsi, nous exportons des pommes de terre de l'Est du pays et nous en importons en Colombie-Britannique. Nous exportons des bovins sur pied et de la viande de boeuf de l'Ouest vers les États-Unis, mais l'essentiel du boeuf que nous utilisons dans le secteur de l'hôtellerie et de la restauration dans l'Est du pays vient des États-Unis. Et il n'y a là aucun mal.

Le producteur céréalier du Dakota du Nord ne parvient pas à comprendre pourquoi, si les États-Unis sont le principal exportateur de blé au monde, ils importent néanmoins deux millions de tonnes de blé du Canada. C'est la nature du marché, monsieur le président.

Une fois qu'on se sera débarrassé des quotas d'importation aux termes de l'article 22, une fois qu'on se sera débarrassé de cette épée de Damoclès qui est que les Américains invoquent ces mêmes quotas, la commission a la conviction de pouvoir commencer à expédier du blé aux États-Unis. Ce secteur est en croissance depuis la fin des années 80. Les acheteurs américains comme Cargill, ADM ou Canagra savent maintenant que s'ils achètent du blé canadien, ils achètent un produit de meilleure qualité que le blé américain parce que le système de contrôle de la qualité que nous avons au Canada pour le blé est meilleur que le système américain. C'est l'entreprise, monsieur le président, qui conditionne les échanges commerciaux, ce n'est pas le gouvernement.

Nous avons dit aux Américains que s'ils ressuscitaient leur EEP, leur politique de valorisation des exportations, une bonne partie de la production canadienne allait se retrouver sur leur marché. Cela, c'est l'évidence. S'ils appliquent cette politique au blé ou à l'orge, cela a pour conséquence que le marché américain devient celui où les prix offerts sont les plus élevés au monde, avec pour conséquence que de plus en plus de blé et d'orge canadiens vont s'y retrouver.

Monsieur le président, étant donné que le monde est, depuis 10 ou 15 ans, de plus en plus planétarisé, les pays ne peuvent plus adopter des décisions qu'ils pensent être de politique intérieure et ignorer les répercussions internationales de ces mêmes décisions. Lorsque le Dakota du Nord réclame de Washington des subventions à l'exportation, Washington doit reconnaître -- et c'est ce qu'elle fait -- qu'à ce moment, il y aura de plus en plus d'orge et de blé canadiens sur le marché des États-Unis.

Le sénateur Rossiter: Qu'est-ce que l'EEP?

M. Gifford: C'est le programme de valorisation des exportations qui est le programme américain de subventions aux exportations, sénateur.

Le sénateur Stratton: Monsieur Gifford, j'aimerais en revenir au débat précédent concernant ce qu'on a appelé la protection de l'industrie laitière et de l'industrie de la volaille. Les producteurs et les gens de l'Ouest croient, à tort ou à raison, que l'industrie laitière et l'industrie de la volaille sont protégées surtout dans l'intérêt des producteurs de l'Est, alors que les producteurs céréaliers et les éleveurs de l'Ouest sont libres de faire ce qu'ils veulent et qu'ils en paient le prix.

M. Gifford: Monsieur le président, je suis totalement en désaccord avec cette polarisation régionale entre ceux qui sont pour les exportations et ceux qui sont vulnérables aux importations. Je vous dirai que tout dépend du produit. Un éleveur porcin de l'Est a tout autant intérêt à avoir accès aux marchés d'exportation que son homologue de l'Ouest. La réalité est que le système de gestion de l'offre vaut pour tout le pays même s'il s'applique surtout dans l'Est.

Depuis plusieurs années, on entend régulièrement des accusations selon lesquelles les intérêts des secteurs exportateurs auraient été sacrifiés pour protéger les secteurs vulnérables aux importations. Pendant l'Uruguay Round, M. Norman et moi-même étions les négociateurs pour le dossier agricole à l'OMC et je puis vous affirmer catégoriquement que la position du Canada à la table de négociation n'a nullement été le résultat d'un compromis entre la gestion de l'offre et les intérêts des secteurs exportateurs.

La raison en était simple: notre position à la table de négociation était plausible. L'article 11 du GATT existait depuis 1947. Il prévoyait des quotas à l'importation pour favoriser la gestion de l'offre. Nous étions quant à nous disposés à offrir un meilleur accès et à pénaliser les exportations moyennant une clarification de l'article 11. Mais pour finir, le reste du monde a déclaré qu'il voulait l'abolition des quotas d'importation et une généralisation des tarifs douaniers, et c'est cela que nous avons fait.

Je pense que ce que le sénateur veut sans doute dire, monsieur le président, c'est qu'à la prochaine ronde de négociations, il ne sera pas aussi facile de faire ce que nous avons fait la dernière fois. Je puis vous dire en toute certitude que, la dernière fois, nous avons réussi à avoir le beurre et l'argent du beurre parce que notre position de négociation était plausible et qu'elle était liée à l'article 11.

L'article 11 ne fait pas partie de l'OMC et par conséquent, lorsqu'il s'agira de traiter de l'accès aux marchés, il est évident qu'il y aura, entre les secteurs vulnérables aux importations et ceux axés sur l'exportation, des divergences d'opinions quant à ce que devrait être la position du Canada à la table de négociation. Le gouvernement, avec l'appui des gouvernements provinciaux, a dit à l'industrie: «Nous avons un ou deux ans pour nous préparer. Ces négociations ne commenceront pas avant l'automne 1999. Nous avons intérêt à bien réfléchir à la façon dont nous pourrions concilier ces intérêts divergents qui existent dans le monde agricole canadien.»

Le président: Dans la même veine, que faites-vous des problèmes des producteurs laitiers de la Colombie-Britannique? Ils disent n'avoir que 3 p. 100 du quota -- je pense que c'est le bon chiffre -- alors que cette province compte 14 p. 100 de la population canadienne, que le Québec a 49 p. 100 du quota et que l'Ontario a également obtenu un pourcentage élevé. Les producteurs laitiers de la Colombie-Britannique nous disent qu'ils sont désavantagés. D'ailleurs, c'est là une question relativement importante pour tous les producteurs laitiers de l'Ouest. Je ne me souviens pas au juste du pourcentage accordé à la Saskatchewan, mais il est négligeable.

M. Gifford: Monsieur le président, nous nous écartons ici de la scène internationale pour parler plutôt de la scène intérieure. La seule chose que j'avais à dire à ce sujet, c'est que les industries assujetties à la gestion de l'offre ont énormément évolué depuis quatre ou cinq ans, et cela est certainement vrai dans le secteur laitier avec le passage à une mise en commun et la possibilité de réunir le marché du lait de consommation et celui du lait industriel -- quelque chose d'ailleurs que l'industrie canadienne va devoir régler lorsqu'il s'agira pour elle de décider par exemple de permettre les transferts de quotas d'une province à l'autre. Si j'ai bien compris, l'industrie laitière plus particulièrement n'est pas loin d'en arriver à cette possibilité de transférer un quota d'une province à l'autre. Mais là encore, c'est une décision purement intérieure qui appartient exclusivement au Canada et à personne d'autre.

Le président: Il s'agit certainement d'argent dans une région du pays que l'autre région ne reçoit pas.

M. Gifford: Le secteur de la gestion de l'offre s'est adapté à un milieu en évolution, et j'imagine qu'il continuera à s'adapter, monsieur le président.

Le sénateur Hays: En ce qui concerne la contestation de la classe spéciale de lait, les Américains ont-ils de bons arguments? S'ils obtiennent gain de cause, quel en sera le coût pour nos producteurs?

M. Gifford: Monsieur le président, nous croyons que le système canadien d'établissement des prix à l'exportation des produits laitiers respecte nos droits et nos obligations internationaux. Les États-Unis ne sont pas d'accord. Comme c'est la loi de la jungle qui est en vigueur actuellement, les Américains, au lieu de prendre des mesures unilatérales, vont porter ce différend devant l'OMC. Nous sommes bien préparés et nous croyons pouvoir présenter de bons arguments devant un groupe spécial pour les convaincre que le système canadien respecte bel et bien nos obligations et nos droits découlant de l'OMC. Nous nous attendons à ce que ce groupe spécial, s'il est mis sur pied bientôt, fasse rapport probablement d'ici l'été.

L'une ou l'autre partie fera appel, quelle que soit la décision, devant le tribunal d'appel de l'OMC. Nous croyons que celui-ci rendra sa décision vers la fin de 1998 ou, possiblement, au début de 1999. Les producteurs américains ont dit très clairement au gouvernement américain que si le groupe spécial appuie la position canadienne, ils veulent faire instaurer le même système qu'au Canada.

Si le groupe spécial décide en faveur des États-Unis, sur toute la ligne ou en partie, en raison des réformes qui ont eu lieu à l'OMC concernant le processus de résolution des différends, un pays dont les pratiques ont été jugées incompatibles avec ses droits et ses obligations en vertu de l'OMC bénéficie d'une période d'environ 15 mois pour harmoniser ses pratiques avec la décision du groupe spécial.

Pour mettre tout cela en perspective, le Canada a le droit de se servir de subventions à l'exportation parce que, dans le passé, certaines de nos pratiques ont été définies comme étant des subventions à l'exportation. Notre engagement envers le GATT consiste à ne pas utiliser des subventions à l'exportation pour les excédents par rapport à ces engagements. Nous vous disons aujourd'hui que presque toutes nos exportations ne bénéficient plus d'une subvention à l'exportation financée par les producteurs, les prix étant calculés plutôt sur la base de l'utilisation finale et du marché final. Certains États aux États-Unis, par exemple, la Californie, fixent les prix d'après la classe du produit. Nous croyons fermement que l'établissement des prix d'après l'utilisation finale et le marché final ne constitue pas une subvention à l'exportation.

Le sénateur Hays: Êtes-vous en train de dire que nous pouvons nous servir de subventions à l'exportation pour régler la situation si nous perdons la cause devant le groupe spécial, ou ne répondez-vous pas encore à la question sur les enjeux d'une décision défavorable?

M. Gifford: Cela dépend beaucoup, bien sûr, monsieur le président, des motifs de décision du groupe spécial. Comme vous le savez, le système d'établissement des prix par classe comporte plusieurs composantes, dont l'approvisionnement en lait à des prix concurrentiels américains de certains secteurs de transformation des aliments. Par exemple, l'industrie de la confiserie et l'industrie de cuisson. Ce lait peut être acheté par des entreprises canadiennes de transformation, que le produit soit destiné à la vente au Canada ou à l'exportation.

Une autre composante du système de classification intervient là où le lait est vendu à des entreprises de transformation pour l'exportation à des prix inférieurs au prix américain ou canadien. Là encore, monsieur le président, dépendamment de la décision du groupe spécial, même si certaines de nos pratiques étaient considérées comme étant des subventions à l'exportation, il n'y a aucune obligation d'éliminer les subventions à l'exportation en vertu de l'Uruguay Round. Notre seule obligation est de respecter les limites que nous avons fixées. Nous avons donc un coussin de sécurité, en raison de l'utilisation antérieure des subventions à l'exportation, pour l'exportation d'une certaine quantité de lait.

Le dilemme auquel vous faites référence, c'est que les producteurs laitiers reconnaissent que le marché intérieur est relativement limité. En fait, il est à la baisse pour les produits laitiers, et ils veulent continuer d'accroître leur production. Le seul débouché est l'exportation. Si l'OMC prend une décision qui est défavorable, en tout ou en partie, à l'égard de certaines composantes du système canadien d'établissement des prix à l'exportation, l'industrie laitière, en collaboration avec les gouvernements provinciaux et fédéral, devra instaurer un système qui nous permettra de faire concurrence dans le marché international et de servir le marché canadien.

Il est difficile de répondre à cette question hypothétique sans savoir quelle sera la décision du groupe spécial.

Le sénateur Hays: Une des réponses à ma question est-elle que la longue période prévue par le Canada pour changer sa pratique de gestion de l'offre par la tarification prévoirait sûrement que les rajustements seraient liés aux exportations, et que la tarification servirait à faciliter la transition à un nouvel environnement commercial sur une longue période de cinq, dix ou quinze ans?

M. Gifford: Monsieur le président, le secteur de la gestion de l'offre, dans le secteur laitier surtout, a radicalement changé. On a tendance à oublier que le Canada a déjà été un exportateur important de produits laitiers. Nous exportions 40 000 tonnes de fromage cheddar au Royaume-Uni, mais le marché international des produits laitiers a souffert d'interventionnisme, ce qui a fait chuter les prix internationaux. Les gouvernements se servaient beaucoup de subventions à l'exportation. Il y avait toutes sortes de barrières non tarifaires.

À la fin des années 60, l'industrie laitière au Canada a décidé de concentrer ses efforts sur le marché intérieur et d'oublier le marché international. On exportait seulement pour se défaire des excédents structurels. Il ne s'agit pas de marketing; il s'agit de l'élimination des excédents structurels.

L'industrie affirme maintenant que s'il y a stagnation ou rétrécissement du marché intérieur, et si on veut que l'industrie augmente sa production, la seule solution est de participer au marché international. Je crois savoir que les intervenants de l'industrie en discutent entre eux, et je crois qu'ils se disent qu'ils ne vont pas faire concurrence dans le domaine du beurre ou des marchandises en vrac dans le marché laitier international.

Pour être compétitifs, ils doivent choisir des créneaux, comme les fromages à prix élevé et de haute qualité, des ingrédients laitiers dans le chocolat, et cetera. Les intervenants de l'industrie semblent se diriger lentement mais sûrement vers un consensus autour de l'idée que, s'ils veulent augmenter et non réduire leur production, ils doivent trouver des moyens de faire concurrence dans le marché international et non seulement d'éliminer des excédents structurels.

Le sénateur Whelan: Vous parlez de marketing international comme si c'était quelque chose de nouveau pour le Canada. J'ai certaines réserves quant à cela. À ses débuts, le Canada a exporté du blé et du bois d'oeuvre vers l'Europe. Nous avons toujours été un pays exportateur. Le marché international n'est pas nouveau pour nous.

Monsieur Gifford, vous avez dit que l'industrie du boeuf avait des usines démodées. Vous ne pouvez pas dire cela de l'industrie de la volaille ou de l'industrie laitière, n'est-ce pas?

M. Gifford: Non, monsieur le président. Je crois que le secteur de la volaille et le secteur laitier ont fait des analyses comparatives. Dans plusieurs domaines, les usines canadiennes sont aussi concurrentielles que les usines américaines sur le plan des coûts de transformation. La différence principale se situe au niveau des facteurs de production. Les usines elles-mêmes, dans le secteur laitier, par exemple, sont généralement d'envergure mondiale plutôt que de petites installations.

Le sénateur Whelan: Vous avez parlé de la consommation dans l'industrie des productions animales et vous avez mentionné les céréales. N'est-il pas vrai que le plus grand débouché au monde pour nos céréales fourragères est l'industrie des productions animales, de la volaille, et cetera? Ce n'est pas l'exportation.

M. Gifford: En effet, monsieur le président, le gros de l'orge canadienne est vendu sur le marché intérieur. Plusieurs intervenants, notamment en Alberta, s'attendent au jour, et je crois que la commission sera d'accord, où seule l'orge de brasserie sera exportée; nous deviendrons peut-être même un importateur net d'orge comme céréale fourragère en raison de l'expansion faramineuse de l'industrie des productions animales dans l'Ouest.

Le président: Mais quel est le pourcentage du boeuf et du porc, du produit final, qui est exporté?

M. Gifford: Tout comme les Américains, monsieur le président, nous exportons nos céréales de plus en plus sous forme de viande rouge. Il est clair, je pense, que l'abrogation de la Loi sur le transport du grain de l'Ouest a amené des investissements importants, particulièrement dans l'industrie du porc dans l'Ouest du Canada. De plus en plus, nous exporterons nos céréales sous forme de viande rouge à forte valeur.

Le sénateur Whelan: La gestion de l'offre n'a pas commencé dans l'Est du Canada; elle a commencé chez les producteurs laitiers en Colombie-Britannique en 1924. Soyons justes envers l'Est et l'Ouest. Qui a lancé la gestion de l'offre? C'est la région la plus efficace qui a probablement les ordinateurs les plus modernes de la Colombie-Britannique.

Le président: C'est la raison pour laquelle ces gens-là s'inquiètent de leur 3 p. 100.

Le sénateur Whelan: Monsieur Gifford, est-ce que le gouvernement américain utilise toujours les décrets sur la mise en marché? Est-il obligé de les supprimer en vertu de l'entente? Est-ce qu'il y a une date limite pour cela? Beaucoup de gens ne comprennent pas que les décrets sur la mise en marché existent depuis l'époque où Roosevelt était président des États-Unis. Ce sont des organismes puissants. En Californie, toutes les noix de cajou et tous les agrumes sont cultivés selon des décrets sur la mise en marché, et il y a des quotas très stricts concernant la surface en acres de ces agriculteurs. Est-ce que ces décrets sont toujours en vigueur?

M. Gifford: Oui, monsieur le président, il en existe plusieurs, surtout pour les fruits et les légumes. Ces décrets portent sur ce que les agriculteurs peuvent vendre, les normes de classement, et cetera. S'il y a une bonne récolte, on peut utiliser ces décrets pour contrôler la mise en marché par l'imposition de normes de classement plus élevées, par exemple.

Le système de détermination du prix du lait aux États-Unis est toujours fonction du prix du lait au Wisconsin. Ces producteurs se sont taillé un marché. Plus on s'éloigne du Wisconsin, plus le lait coûte cher. Le gouvernement intervient encore pas mal dans le système américain de production et de commercialisation du lait. De plus, beaucoup de fruits et de légumes bénéficient du recours aux décrets sur la mise en marché pris par le gouvernement fédéral ou celui de l'État.

Le sénateur Bryden: J'ai quelques remarques à faire au sujet de l'incidence des accords de libre-échange sur notre taux de change. Même si le dollar canadien est plus faible que le dollar américain, et la livre sterling, je pense qu'il reprend beaucoup de vigueur par rapport à toutes les autres monnaies. Dans des régions comme l'Asie du Sud-Est et le Japon, qui font partie de nos marchés d'exportation, nous constatons -- et je connais mieux les produits forestiers -- qu'il devient très difficile d'être compétitif ou de faire des bénéfices. C'est ce qui me fait dire que la valeur de la devise est un facteur très important.

Cela revient à votre remarque selon laquelle le dollar pourrait atteindre 90 cents. Avec les facteurs de compensation, tout finit par s'équilibrer, et notre position commerciale resterait à peu près la même.

Vous avez parlé de McCain Foods, qui exporte partout au monde. Il est intéressant de constater que les deux compagnies canadiennes que vous avez mentionnées sont toutes les deux dirigées par un des frères McCain -- il s'agit de McCain Foods à Florenceville, et maintenant de Maple Leaf Foods, que dirige Wallace McCain.

Au moment du débat sur le libre-échange, je me souviens de leur position qui était très claire. Ils ont dit qu'on pouvait faire ce qu'on voulait du libre-échange, mais que dès que notre dollar atteindrait 80 cents, il ne nous serait plus d'aucune aide. Ils estiment que leur succès comme exportateur canadien tient à la valeur du dollar canadien par rapport au dollar américain.

De plus, j'ai assisté à une conférence où Tim O'Neill, un économiste de la Banque de Montréal, a dit qu'avant le tournant du siècle, le dollar canadien voudrait plus de 80 cents, peut-être même 90 cents. Jim Irving était à la même conférence, et après avoir entendu la remarque de M. O'Neill, il a dit que sans un dollar évalué à environ 75 cents, beaucoup de nos produits de base comme le boeuf, les pommes de terre, la pâte à papier ou le bois d'oeuvre deviendraient très peu concurrentiels aux États-Unis.

N'est-il pas vrai que si notre commerce est plus libre et plus prospère depuis 15 ans, c'est plutôt à cause de la valeur de notre dollar qu'à cause du GATT ou de l'Accord de libre-échange?

M. Gifford: Je ne contesterai pas, sénateur, qu'un dollar déprécié a probablement eu une incidence positive sur le commerce et a encouragé des compagnies canadiennes à se lancer dans l'exportation. Cependant, je reviens à la compétitivité du secteur de production primaire et du secteur de transformation des aliments canadiens. Il y a eu, surtout dans le domaine de la transformation, un certain nombre de rajustements qui l'ont rendu beaucoup plus compétitif. Il a fallu reconnaître que c'est l'Amérique du Nord qui constitue le marché intérieur, plutôt qu'essayer de desservir une bande large de 100 milles qui s'étend de l'océan Atlantique à l'océan Pacifique.

Je suis convaincu que nous avons au Canada la capacité voulue dans le domaine agro-alimentaire pour être compétitifs en Amérique du Nord pour n'importe quel produit, y compris le lait.

Le sénateur Bryden: Jusqu'ici nous avons été compétitifs parce que nous produisons nos biens et services avec un dollar qui vaut 75 cents ou moins pour ensuite les vendre en Amérique du Nord pour des dollars qui valent 100 cents. La marge bénéficiaire brute est énorme. Si on la supprimait, je pense qu'il nous serait très difficile de maintenir le même niveau de compétitivité.

M. Gifford: Monsieur le président, il n'y a pas eu de consensus chez les économistes concernant l'effet du taux de change canadien dans le domaine des ressources naturelles, y compris l'agriculture. Cette question devra demeurer sans réponse jusqu'à ce qu'un consensus plus large se dégage.

Le sénateur Bryden: Je ne parle pas des économistes ici présents, mais vous avez mentionné le manque de consensus parmi les économistes. Cela me rappelle qu'on dit que si un économiste vous donne son avis, ce n'est pas parce qu'il connaît la réponse, mais parce qu'on lui pose la question.

Le sénateur Spivak: Le Canada a apparemment gagné la bataille concernant les hormones dans le boeuf. Ce boeuf ne peut pas être exporté en Europe ni ailleurs. Je me demande pourquoi le Canada prend ces mesures, puisque l'utilisation excessive de ces hormones s'est avérée très peu positive pour la santé humaine en général. Je suppose que cette question n'est pas de votre ressort.

L'autre question qui m'inquiète c'est l'ESB, et ce qui s'est passé en Grande-Bretagne ce matin. Des produits qui contiennent du sang ou de la gélatine sont-ils importés au Canada? Est-ce que l'on s'inquiète de ce problème, compte tenu des développements fort intéressants concernant la cause de la maladie, et cetera? Quelle est la situation en Grande-Bretagne par rapport à la sécurité de la population canadienne?

M. Gifford: S'agissant des hormones de croissance utilisées dans les parcs d'engraissement en Amérique du Nord, le Canada et les États-Unis ont prétendu devant un groupe spécial de l'OMC que l'Union européenne appliquait ses critères d'hygiène et de sécurité de façon arbitraire. Le groupe spécial a donné raison au Canada et aux États-Unis et affirmé que les Européens n'avaient pas le droit de bannir le boeuf provenant de l'Amérique du Nord sous le seul prétexte qu'on donne des hormones de croissance au bétail dans les parcs d'engraissement en Amérique du Nord. L'Union européenne a fait appel de cette décision devant l'organisme d'appel. Nous nous attendons à une décision définitive avant Noël.

Le sénateur Spivak: Le Canada ne s'inquiète pas du tout de l'utilisation des hormones de croissance dans les cas des bovins de boucherie?

M. Gifford: Monsieur le président, le Canada et les États-Unis ont fait valoir devant le groupe spécial de l'OMC que l'Organisation mondiale de la santé et le Codex Alimentarius ont dit publiquement que si on utilise des hormones de croissance dans les conditions voulues, il n'y a absolument aucun problème pour ce qui est de la santé humaine. C'est pour cela, en partie, que le groupe spécial a donné raison au Canada et aux États-Unis.

Il va sans dire que, quelles que soient les règles internationales, chaque pays a toujours le droit en vertu de l'OMC de prendre toutes les mesures qu'il juge nécessaires pour protéger sa population, sa flore et sa faune. Aucun pays ne peut utiliser ces règlements comme obstacle déguisé au commerce -- les mesures prises doivent être fondées sur la science plutôt que sur les pressions politiques.

Quant à l'ESB, le problème en Europe, c'est que la science a perdu beaucoup de crédibilité à cause de la panique semée par la maladie. L'Union européenne prend de plus en plus de décisions qui sont prétendument dans l'intérêt des êtres humains, mais ces décisions ne sont pas motivées par la science, mais plutôt par la politique.

Le sénateur Spivak: Je ne suis pas d'accord. Je suis sûre que vous avez regardé les informations hier soir. On vient juste de tout éliminer avec un os. Je pense à cet homme qui vient de gagner un Prix Nobel et qui a examiné la cause de la maladie. Combien de milliers de nouveaux cas ont été repérés en Grande-Bretagne? C'est de l'ordre de 18 000.

Le sénateur Whelan: Parlez-vous de la maladie de la vache folle?

Le sénateur Spivak: Oui. Dans le fond, c'est notre faute. Nous n'aurions jamais dû nourrir des vaches avec ces protéines d'origine animale. Quand on joue avec la nature de cette façon, on finit par se faire avoir. C'est ce que nous vivons maintenant.

M. Gifford: Monsieur le président, depuis quelques années, nous avons de plus en plus de problèmes à avoir accès à l'Europe -- des obstacles dits techniques.

J'ai essayé de montrer qu'en raison de ce qui s'est passé avec l'ESP en Europe, la crédibilité du milieu scientifique, qui formule des recommandations sur d'autres aspects de la sécurité alimentaire, a diminué. La paranoïa existe. Les scientifiques avaient dit que l'ESP ne posait pas de problèmes; il s'est trouvé qu'ils avaient tort, et cela a rejailli sur d'autres produits.

Quant à la présence de l'ESP au Canada, seule la Finlande a été accréditée pour exporter du boeuf au Canada. Aucune autre usine en Europe n'a été accréditée par l'Agence canadienne d'inspection des aliments pour l'exportation vers le Canada.

Le sénateur Spivak: Je ne parlais pas uniquement du boeuf. Je faisais référence aux produits qui contiennent de la farine d'os et des sous-produits du boeuf. Je crois que le danger est là. Surveillez-vous cela? Est-ce que ces produits sont interdits? Est-ce qu'on examine la gélatine et les sous-produits du boeuf, ou est-ce que ces produits entrent au Canada sans être examinés?

M. Gifford: Monsieur le président, cela dépasse un peu mon champ de compétence, mais j'ai l'impression que dans le cas de l'exportation des sous-produits d'origine animale dont vous parlez, le Canada envoie ces produits vers l'Europe, et non pas le contraire. D'habitude, nous importons des aliments hautement transformés de l'Europe et non pas des produits bruts ou semi-transformés.

Le sénateur Spivak: Monsieur le président, pourrions-nous demander que cette question soit examinée? Je pense que c'est peut-être un sujet de préoccupation. Nous ne voulons pas tenir pour acquis que tout va bien et apprendre quelques années plus tard que ce n'est pas le cas. J'aimerais plus de renseignements à ce sujet. Merci, monsieur le président.

Le sénateur Rossiter: Monsieur Gifford, est-ce que vous pourriez nous donner des renseignements sur la situation des pommes de terre? Le Nouveau-Brunswick et l'Île-du-Prince-Édouard envoient beaucoup de pommes de terre aux États-Unis. On parle d'un cas possible d'antidumping. Pourriez-vous nous tenir au courant?

M. Gifford: Certainement, sénateur. Nous enverrons cela au président.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Gifford et monsieur Norman, pour cette discussion stimulante ce matin.

La séance est levée.


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