Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 5 - Témoignages pour la séance de l'après-midi
BRANDON, le mardi 24 mars 1998
Le comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts, auquel on a renvoyé le projet de loi C-4, modifiant la Loi sur la Commission canadienne du blé et d'autres lois en conséquence, se réunit aujourd'hui à 13 h 05 pour étudier le projet de loi.
Le sénateur Leonard J. Gustafson (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Je déclare la séance ouverte. Nous avons devant nous M. McDonald, M. Riley, M. Nestibo et M. Armstrong. Je pense qu'une personne manque à l'appel. Si elle se présente un peu plus tard, nous l'inviterons à s'asseoir à la table. Voici comment nous procédons: vous faites un exposé de cinq minutes, après quoi vous répondez aux questions des sénateurs. Nous avons jusqu'à 14 heures pour la présente séance, c'est-à-dire environ une heure. Auriez-vous l'obligeance de vous présenter et de nous dire qui vous représentez et où se trouve votre exploitation agricole?
M. Alan Armstrong: Je m'appelle Alan Armstrong, de Cardale, au Manitoba, à environ 45 milles au nord-ouest de Brandon. Je me représente moi-même en tant que producteur de fèves oléagineuses, de légumineuses à graines et de céréales.
M. Brian Nestibo: Je m'appelle Brian Nestibo, et je viens de Melita, au Manitoba. Mon exploitation agricole se trouve dans la région de Deloraine et de Goodlands, au sud-ouest, près de la frontière.
Le président: Êtes-vous parent avec Delory?
M. Nestibo: Oui, il est associé à l'exploitation.
M. Tony Riley: Je m'appelle Tony Riley, et je viens de Strathclair, où se trouve mon exploitation.
Le président: Nous allons demander à M. Riley de commencer.
M. Riley: Merci de l'occasion que vous donnez aux agriculteurs de se prononcer sur les modifications de la Loi sur la Commission canadienne du blé que renferme le projet de loi C-4. J'espère que vous êtes sincèrement soucieux de savoir ce que je pense plutôt que ce que Ralph Goodale, Preston Manning ou d'autres pirates de l'industrie céréalière mondiale veulent entendre.
Je vois dans tous ces changements et dans les modifications proposées de la Commission canadienne du blé un test d'aptitude pour les agriculteurs. S'ils mordent à l'hameçon et envisagent sérieusement l'une ou l'autre de ces propositions, les manipulateurs sauront que les agriculteurs n'ont encore rien appris. Ils feront les frais de nouvelles escroqueries. Pour vendre leur grain, les agriculteurs n'ont pas besoin d'une série de règles complexes. Tout ce dont nous avons besoin, c'est que la Commission canadienne du blé administre un régime de quotas qui divise équitablement entre producteurs le marché disponible et paie un «prix paritaire» au moment de la livraison des grains à l'élévateur et que le gouvernement, à nos frontières, impose un tarif sur les grains et les produits céréaliers.
On doit verser aux agriculteurs tout le revenu tiré du marché, et non une fraction de celui-ci. L'économie ne peut fonctionner que lorsque tous les intervenants ont le pouvoir de transmettre à l'acheteur toutes les augmentations de coûts. On a refusé ce pouvoir aux agriculteurs, et toutes les entreprises méritantes en souffrent, les agriculteurs n'étant pas en mesure de faire leur part pour recycler l'argent dans l'ensemble du système économique. Il ne faut pas oublier que c'est chez les agriculteurs que les richesses prennent naissance. Sinon, les coffres de l'État n'en profiteront jamais.
Depuis 85 ans, les agriculteurs absorbent le choc de l'inflation. Cette situation nous a parfois plongées en plein chaos. Dans certains cas, les agriculteurs ont réagi en élargissant la taille de leur exploitation. Il en est résulté de mauvaises pratiques agricoles, l'épandage de poison sur les aliments, l'épuisement de la fertilité du sol et la destruction des plantations brise-vent. Malgré tout, les agriculteurs ont été acculés à la faillite. Dans de nombreux cas, le mari et la femme ont trouvé du travail à l'extérieur, ce qui a entraîné le dépeuplement de nos villages. Ce faisant, on a créé plus de problèmes qu'on en a réglé.
La plupart des maux qui nous affligent sont entièrement imputables aux gouvernements. Ils encouragent les grosses exploitations agricoles, l'abandon des chemins de fer, la destruction des chemins, le débroussaillage, le drainage des marécages, le financement par emprunt et les pirates mondiaux qui ne font qu'une bouchée des entreprises canadiennes. Les gouvernements antérieurs ont permis la fermeture de bon nombre de sociétés canadiennes, de sorte que nombreux sont ceux qui, aujourd'hui, achètent à l'extérieur du pays du matériel qui pourrait très bien être fabriqué ici.
Le crime le plus grave qui soit, c'est que le gouvernement fédéral refuse de se conformer à la loi suprême, notre Constitution, et d'émettre la masse monétaire du pays, libre de dette. Voilà ce qui est à l'origine de l'inflation et de la plupart des impôts, tout cela parce que le gouvernement fédéral a, de façon tout à fait illégitime, donné aux banques privées le pouvoir de créer de l'argent. Aujourd'hui, 95 p. 100 de notre masse monétaire est faite de monnaie de chéquier, empruntée à des banques privées. L'intérêt versé sur les emprunts fait qu'il en coûte aujourd'hui beaucoup plus cher pour faire des affaires. Ces frais accrus ont entraîné une augmentation du prix des biens et des services, et, aujourd'hui, les agriculteurs sont tenus d'y faire face.
Les agriculteurs ne devraient pas être tenus de payer des frais d'intérêt. Pourquoi les agriculteurs devraient-ils subventionner tous les autres intervenants du cycle économique? Cela doit cesser. S'il entend maintenir ce système monétaire biaisé et corrompu, le gouvernement doit, en ce qui concerne le prix de toute la production agricole, accorder la parité. S'il souhaite alléger l'impact sur les consommateurs, il peut assumer les frais d'intérêt sur tout ce que les agriculteurs doivent acheter. S'il veut faire ce qui est bon pour l'ensemble des Canadiens, il doit effacer la dette et, à partir de maintenant, émettre 100 p. 100 de la masse monétaire du pays.
La bonne façon de supprimer la dette consiste à faire le total du principal emprunté auprès des banques privées depuis 1913, puis à faire le total de tous les intérêts qui ont été versés aux banques pendant ces années, et enfin à soustraire les intérêts du principal, pour ensuite payer la différence. Tout ce temps, les banques n'ont pas généré un sou d'intérêt. Cet intérêt n'existe pas. Nous savons tous qu'il est impossible de donner aux banques ce qui n'existe pas, de sorte que nous devons être justes envers les deux parties et ne rembourser que ce qui a été emprunté.
Une fois que nous nous serons débarrassés de l'inflation imputable à la monnaie grevée de dette, je crois que 2 $ le boisseau de blé constituerait, pour l'agriculteur, un prix se rapprochant de très près du prix paritaire. Avec du blé à 2 $ le boisseau, nous dominerions le monde de l'exportation, sans subventions.
Bon nombre d'entre nous savent que la Commission canadienne du blé fait l'objet des assauts des pirates mondiaux de l'industrie céréalière qui veulent pouvoir acheter nos céréales sans prix préétablis, ce à quoi la Commission canadienne du blé fait obstacle.
L'ALE, l'ALENA et l'AMI légitiment le vol de nos ressources naturelles par les pirates mondiaux, et ces derniers ont l'intention de mettre la main sur nos céréales, d'une façon ou de l'autre. Les Canadiens ont hérité d'un quasi-paradis. Il était alors inutile de mentir et de tricher. Il y avait de tout pour tous, et en abondance. Il aura suffi d'un gouvernement perfide pour céder le pouvoir à des banquiers sans vergogne. Le FMI va même jusqu'à proférer des menaces à notre endroit si nous ne nous imposons pas la TPS nous-mêmes, histoire de permettre à des banquiers avides d'empocher des intérêts. Nous avons désespérément besoin d'un gouvernement honnête et loyal qui fera passer le Canada en premier lieu: ce n'est qu'ainsi que nous pourrons redresser la situation. Merci de m'avoir écouté. J'espère que vous vous sentirez l'obligation de travailler avec acharnement pour nettoyer Ottawa. Il est peut-être encore temps de sauver le Canada.
M. Nestibo: Je ne suis pas très à l'aise dans ce genre de tribune, mais la Commission canadienne du blé a un effet négatif sur notre exploitation agricole. En restant à la maison les bras croisés, on n'arrange rien. Voilà pourquoi je suis ici. Pendant les quatre premières minutes et demie de mon intervention, je ferai des commentaires. Puis, dans les 30 dernières secondes, je vous dirai ce que vous pouvez faire avec le projet de loi C-4.
Aujourd'hui, bon nombre de mémoires ont été déposés, mais j'aimerais me concentrer surtout sur l'économie de notre exploitation agricole de même que sur l'effet que la Commission canadienne du blé a sur elle. Avec trois de mes frères, j'exploite une ferme dans le sud-ouest du Manitoba, près de la frontière. Nous cultivons environ 13 000 acres, la plupart loués. Nous fabriquons -- et j'utilise le mot «fabriquer» à dessein -- des céréales et des fèves oléagineuses. Sur le tiers de nos terres, nous cultivons, pour des raisons liées à la rotation des cultures, du blé, du blé dur et de l'orge, c'est-à-dire les céréales régies par la Commission canadienne du blé. Nous nous trouvons dans une région plus sèche, où le blé et l'orge poussent mieux qu'un grand nombre de cultures spéciales, comme la graine de l'alpiste des Canaries.
Mes frères et moi en sommes venus à la conclusion que la Commission canadienne du blé n'est plus à notre mesure. Cette dernière a vu le jour dans les années 30 et 40. À mon avis, son attitude vis-à-vis des agriculteurs n'a pas beaucoup changé depuis. Dans une exploitation de la taille de la nôtre, il est impossible de travailler avec elle et de maintenir des fonds de roulement suffisants. Nous devons avoir vendu 20 p. 100 de nos stocks de grain pour recevoir des paiements initiaux, et le reste de notre argent est échelonné sur 15 mois, ce qui ne nous permet pas de faire face à nos obligations peu de temps après la récolte. Laissez-moi vous donner un exemple. Il y a trois ans, nous avons acheminé de l'orge à Russell, au Dakota du Nord. Là, l'agent de l'élévateur nous a demandé si nous produisions du blé dur. J'ai répondu que oui. Il m'a demandé de lui faire voir des échantillons, ce que j'ai fait. Il m'a proposé 6,50 $US le boisseau, à condition que je puisse acheminer le produit jusqu'à l'élévateur. Compte tenu du taux de change, le prix de revient était d'environ 9 $CAN. À l'époque, j'avais une réserve de 40 000 boisseaux de blé dur. À 9 $, 40 000 boisseaux font 360 000 $. N'oubliez pas que nous cultivons 13 000 acres. Si vous faites le total, vous constaterez qu'il nous en coûte environ 1,5 million de dollars pour produire cette récolte. Une somme de 360 000 $ nous aurait aidés à payer nos dettes.
Nous sommes revenus au Canada pour nous enquérir auprès de la Commission canadienne du blé de la possibilité d'un rachat. J'ai alors constaté que la conclusion d'un accord de rachat avec la Commission canadienne du blé coûterait 1 $ le boisseau; j'ai donc été contraint de vendre mon blé dur au Canada. Je me suis alors rendu à mon élévateur local, à Deloraine, au Manitoba, où j'ai indiqué au responsable que j'avais besoin d'argent pour payer certaines factures et que j'avais 40 000 boisseaux de blé dur à vendre. Il m'a alors déclaré que je devais signer un contrat de série A avec la Commission canadienne du blé. Un tel contrat m'obligeait à vendre à la Commission au moins 80 p. 100 des 40 000 boisseaux dont je disposais, sans quoi je m'exposais à une pénalité.
L'envers de la médaille, c'est que la Commission canadienne du blé peut prendre toute quantité qu'elle juge bon de prendre. Elle n'est pas véritablement liée par un contrat de série A. Elle peut prendre 20 p. 100, ou 80 p. 100, ou 100 p. 100. Cela ne change rien à l'affaire. Le responsable m'a donc dit qu'il y avait une commande pour 20 p. 100 de ma réserve, de sorte que je pouvais acheminer 8 000 boisseaux à l'élévateur. À l'époque, le prix initial de la CCB était de 4 $ le boisseau. À 4 $, 8 000 boisseaux font 32 000 $ -- 32 000 $ par rapport aux 360 000 $ que j'aurais pu toucher. Cet argent m'aurait aidé à éponger certaines dettes, à interrompre la spirale des taux d'intérêt. Voilà ce qui se produit chaque année. Cette situation nous oblige à vendre une partie plus grande de notre production de canola et de tournesol immédiatement après la récolte, c'est-à-dire au moment où la récolte exerce une pression sur les prix.
Bref, le projet de loi C-4 comporte une disposition d'inclusion avec laquelle je suis en désaccord. En fait, j'aimerais qu'on modifie le projet de loi C-4 en y ajoutant une disposition d'exclusion dont pourrait se prévaloir tout agriculteur souhaitant se dissocier de la Commission canadienne du blé. Et je ne parle pas que des producteurs de céréales. Au Canada, aucun autre fabricant -- et nous sommes des fabricants -- n'accepterait d'investir son temps, son argent et son âme dans la fabrication d'un produit pour ensuite confier à une poignée de bureaucrates le mandat de le vendre, sans avoir un mot à dire quoi que ce soit.
Si nous voulons vendre le produit que nous fabriquons au plus offrant, on nous menace d'amendes et de peines de prison. À qui les céréales appartiennent-elles?
M. Armstrong: Je cultive actuellement des céréales, des fèves oléagineuses et des légumineuses à graines sur des terres de 1 500 acres. Au cours des six dernières années, je me suis concentré davantage sur les fèves oléagineuses et les légumineuses, tandis que, auparavant, je faisais surtout dans les céréales. Le principal facteur qui a motivé ma décision a été les méthodes d'établissement des prix, de paiement et d'expédition des fèves oléagineuses et des légumineuses, de même que la transformation à valeur ajoutée dans la province, par opposition aux systèmes actuels de la Commission canadienne du blé et à l'inexistence quasi totale de transformation à valeur ajoutée des récoltes exportées par la Commission canadienne du blé.
Par comparaison, les récoltes de fèves oléagineuses et de légumineuses sont payées en entier au moment de la livraison, ou peu de temps après, tandis que la Commission canadienne du blé ne paie qu'une partie des récoltes qu'elle achète. Les récoltes de légumineuses sont nettoyées en fonction des exigences des marchés qui visent l'alimentation humaine à grande échelle, et seul le produit nettoyé est assujetti aux frais de transport. En revanche, la Commission canadienne du blé exporte des matières premières, qui renferment des matières étrangères ou des impuretés dont la concentration est conforme aux seuils de tolérance. Les impuretés ou les déchets des récoltes de légumineuses ou de fèves oléagineuses sont utilisés au niveau local, où ils se vendent jusqu'à 150 $ la tonne. Par comparaison, les impuretés exportées par la Commission canadienne du blé n'ont aucune valeur, mais elles sont malgré tout assujetties à des frais de transport, au détriment du producteur.
En tant que jeune agriculteur aux prises avec un fardeau de la dette et des paiements de plus en plus lourds, j'ai dû de toute nécessité me tourner davantage vers des cultures commerciales pour faire face à ces obligations.
En 1991, le comité permanent de l'agriculture a cité une publication appelée Farm Debt Update, dans laquelle on précisait que, en janvier 1990, la dette agricole moyenne au Canada était de 91 000 $. La dette moyenne d'une exploitation agricole manitobaine produisant des céréales, des fèves oléagineuses et des lentilles était de 88 271 $, ou 97 p. 100 de la moyenne canadienne.
Depuis l'élimination des subventions destinées au transport ferroviaire, j'ai dû, au chapitre de l'expédition du blé destiné à l'exportation, faire face à une augmentation de prix considérable. Pour expliquer ces coûts, j'utiliserai la valeur du blé. En vertu de mon modèle, soit du blé vendu à 5 $ et une augmentation des frais de transport de 23 $ la tonne, je paie 1,07 $ de plus par boisseau, ou 21,42 p. 100 de la valeur du produit, pour faire parvenir mon blé à destination. En 1990, je n'avais pas à assumer un tel coût.
J'en viens donc à la conclusion que l'endettement agricole moyen a augmenté considérablement depuis 1990. Par rapport à d'autres agriculteurs canadiens, il va de soi que ceux du Manitoba, au titre des frais de transport, paient davantage pour acheminer les grains vers les ports; par conséquent, le prix du blé et de l'orge manitobains destinés à l'exportation n'est pas équitable lorsqu'on le compare aux valeurs nettes dont bénéficient les producteurs d'autres régions du pays. J'en conclus donc que l'endettement agricole moyen au Manitoba est aujourd'hui supérieur à la moyenne canadienne.
L'augmentation des frais de transport a nui aux agriculteurs du Manitoba, dans la mesure où nous ne sommes pas en mesure d'attirer des transformateurs. Le phénomène s'explique par le fait que les transformateurs sont contraints d'acheter les matières premières auprès de la Commission canadienne du blé à des prix exorbitants.
Un meunier canadien m'a dit payer de 20 à 30 $ la tonne de plus que la Commission canadienne du blé. Sommes-nous en train de subventionner les exportations vers l'étranger? Le meunier et l'agriculteur canadiens ne sont pas traités de façon équitable. Des agriculteurs ne peuvent se regrouper pour acheminer leurs propres grains vers des moulins, à des fins d'exportation, sans verser à la Commission canadienne du blé le droit mentionné ci-dessus.
Prenons maintenant l'exemple des recettes tirées de la transformation. Selon un meunier à qui j'ai récemment parlé, le coût de l'expédition de farine du Manitoba vers le Québec correspond à environ 13 p. 100 de la valeur du produit. Si j'expédie du blé brut au Québec, les frais de transport que je dois assumer, y compris les frais de manutention versés aux marchands de grain, correspondent à environ 39 p. 100 de la valeur nette brute.
Récemment, un transformateur d'avoine a pris la parole devant un groupe d'agriculteurs et de gens d'affaires intéressés. Il a déclaré que son entreprise ne se serait pas établie au Manitoba si l'avoine relevait toujours de la compétence de la Commission canadienne du blé. Un autre meunier à qui j'ai parlé récemment m'a confié que, si c'était à refaire, il s'établirait au sud de la frontière. Ces déclarations me préoccupent au plus haut point. Nous devons transformer et moudre nos propres grains pour réaliser des économies au titre des frais de transport et générer des recettes à valeur ajoutée. Sous le régime qu'impose actuellement la Commission canadienne du blé, le blé et l'orge manitobains destinés à l'exportation ne sont pas économiquement viables pour les agriculteurs, les transformateurs et les meuniers.
On doit permettre aux agriculteurs du Manitoba de vendre directement leur blé et leur orge aux installations de transformation et de contourner la Commission canadienne du blé et les frais qui s'y rapportent, les frais versés aux marchands de grain et les frais de transport imputables aux grains bruts. On doit permettre aux meuniers de s'approvisionner en matière première et de contourner la Commission canadienne du blé, en vertu des exemptions dont bénéficient les provenderies. On doit modifier le projet de loi C-4 en conséquence.
On ne doit pas permettre l'adoption de la disposition d'inclusion. Dans le cas contraire, on portera un coup fatal aux activités de transformation aujourd'hui en place et on empêchera toute nouvelle activité dans ce domaine, aux dépens des agriculteurs de l'Ouest canadien.
Le président: M. Bradley McDonald est-il parmi nous? Non. Dans ce cas, nous allons passer aux questions des sénateurs. Sénateur Hays.
Le sénateur Hays: On entend souvent dire que les agriculteurs dont l'exploitation se trouve près de la frontière, particulièrement ceux qui cultivent le blé dur, bénéficient d'options de mise en marché favorables aux États-Unis. En raison des principes qui sous-tendent la mise en commun, ils sont aux prises avec le problème que vous, M. Nestibo, avez rencontré. Si nous retenons la mise en commun, il n'y a pas de solution à votre problème. Permettez-moi de vous poser la question suivante: quel a été votre paiement final? Le paiement initial a été de 4 $, et vous avez probablement touché 2 ou 3 $ de plus, mais, au total, vous avez sans doute touché beaucoup moins que 9 $. Pourquoi la CCB n'approvisionne-t-elle pas ce marché? Qu'en pensez-vous? Le problème auquel vous vous butez est épineux. Mais chaque fois que j'entends cette histoire -- et nous l'avons entendue souvent entre Macoun et Crosby, au Dakota du Nord, où se trouve l'exploitation du sénateur Gustafson -- , je me demande pourquoi la Commission canadienne du blé ne cherche pas à bénéficier de ces prix plus élevés pour sa mise en commun.
M. Nestibo: Je pense qu'elle en bénéficie. En fait, j'en suis certain. L'année où on m'a proposé 9 $, la Commission clamait -- c'était dans le Cooperator, dans la liste -- recevoir bien plus de 10 $ pour ce produit sur les marchés étrangers. De 15 à 18 mois plus tard, une fois que nous avons touché nos paiements finaux et provisoires, le prix n'était plus que d'environ 8 $. Lorsque tout a été conclu, 18 mois plus tard, je ne pense pas que la barre des 8 $ a été atteinte.
Si on prend une moyenne de 9 $ pour certains grains vendus aux États-Unis et de 10 $ FAB à la tête des Grands Lacs, j'en viens à la conclusion que le fonctionnement de la Commission canadienne du blé nous coûte 5 cents le boisseau. Elle a accès à ces marchés, mais, pour une raison pour une autre, de l'argent disparaît. Je pense qu'il est englouti par les inefficiences de la Commission canadienne du blé.
Pour moi, la mise en commun s'applique à la vente des grains tout au long de l'année et non d'un seul coup. Souvent, c'est ce que nous faisons avec le canola. À ce moment-là, pour 9 $ le boisseau, j'aurais pu vendre mes 40 000 boisseaux. J'aurais été très satisfait. À mes yeux, la mise en commun, à la CCB, signifie qu'on met notre argent en commun dans la pièce d'à côté. Si la CCB commet une erreur en vendant nos grains ou qu'elle achemine le mauvais produit à la tête des Grands Lacs et qu'elle doit verser des surestaries, elle n'a qu'à aller dans la pièce d'à côté, prendre l'argent et payer.
Personnellement, je n'aime pas la mise en commun. Je pense qu'elle entraîne beaucoup d'inefficience à la Commission canadienne du blé. Si j'organisais ma propre mise en commun, je la vendrais trois ou quatre fois par année.
Le sénateur Taylor: Je vais me permettre de vous poser une question que j'ai posée à d'autres témoins parce que MM. Riley, Nestibo et Armstrong ont des points de vue différents. Comment réagissez-vous à l'élection éventuelle d'un conseil d'administration chargé d'assurer le fonctionnement de la Commission canadienne du blé comme moyen de vous exprimer en tant que producteur? Vous auriez ainsi la possibilité de voir le conseil évoluer dans le sens de vos préoccupations. Sinon, vous auriez tout au moins l'occasion de vous faire entendre.
M. Nestibo: Pour ma part, je suis fermement convaincu qu'on doit prévoir pour les agriculteurs une disposition d'exclusion de la CCB, de façon à ce que ceux qui le souhaitent puissent ne pas y participer. Dans le cas contraire, je ne pense pas que la Commission canadienne du blé, même dotée d'un conseil élu, puisse faire quoi que ce soit pour répondre à mes attentes. Si on nous donne la possibilité de partir, je pense que la constitution d'un conseil élu serait très importante. Personnellement, j'estime qu'aucun régime ne satisfera personne tant et aussi longtemps que les agriculteurs n'auront pas la possibilité de refuser de participer à la CCB.
M. Armstrong: À mes yeux, le mandat d'un conseil élu dépend des pouvoirs qui lui sont confiés au chapitre des politiques et de l'élaboration de politiques. Si, dans les faits, les administrateurs se contentent d'avoir l'oreille des pouvoirs en place et de se passer de l'information de l'un à l'autre, le régime sera tout aussi inefficient qu'il l'est aujourd'hui.
M. Riley: À mon avis, les agriculteurs, en produisant la récolte, font déjà bien assez. Pour élire quelqu'un au conseil, on pourra, en les trompant, amener les agriculteurs à compromettre le juste revenu qu'ils ont gagné et les entraîner dans de mauvaises directions. Bien entendu, le conseil n'aura, de toute façon, aucun pouvoir; même s'il entendait faire ce qui s'impose, on ne lui en donnerait pas la possibilité.
Comme je l'ai dit dans mon mémoire, la bonne solution consiste à donner à l'agriculteur un prix paritaire, que ce dernier n'a plus qu'à accepter. À partir de là, il n'a rien d'autre à dire, pas plus que n'importe quel autre Canadien. Mais je tiens à souligner que, à mon avis, la Commission canadienne du blé est un concept valable à 100 p. 100, non seulement du point de vue de l'agriculteur, mais aussi de celui du pays, parce que le grain est une ressource très précieuse. La Commission est également utile pour les personnes qui importent le grain. On peut effectuer des ventes d'État à État et éviter tous les intermédiaires. Les pirates mondiaux de l'industrie céréalière se remplissent les poches et ont recours aux pots-de-vin. Je pense que la Commission nationale du blé constitue une façon juste et morale de disposer de nos céréales, et que nous en bénéficions tous. De la façon dont elle est aujourd'hui exploitée, les agriculteurs n'obtiennent pas un bon prix, et c'est inacceptable.
Le sénateur Spivak: Je pense que nous savions ce que la modification des prix de transport allait signifier pour le Manitoba. À l'époque, on a fait des prédictions, mais ces chiffres sont véritablement choquants. J'aimerais que M. Armstrong m'explique un peu mieux. Comment se fait-il que l'expédition de farine au Québec ne coûte que 13 p. 100 de la valeur du produit et que l'expédition de blé brut coûte 39 p. 100 de la valeur du produit? Pouvez-vous pointer du doigt les dispositions précises qui permettent aux compagnies de chemins de fer de se comporter de la sorte?
M. Armstrong: Mais certainement. Je ne suis pas en mesure de citer exactement le prix de la farine expédiée. La personne à qui j'ai parlé m'a dit que le prix de transport de la farine est semblable, par tonne, à celui qui s'applique au blé. Il faut 1,4 tonne de blé pour produire une tonne de farine. Lorsqu'on tient compte de l'écart, les prix de transport sont à peu près les mêmes. Toutefois, on expédie alors un produit partiellement fini, qui a une valeur plus grande.
Vous avez fait allusion aux 39 cents, et j'en profiterai pour fournir quelques détails à ce sujet. Lorsqu'on a réduit ou supprimé nos subventions, j'ai pour ma part perdu, à Newdale, au Manitoba, une subvention de 23 $ la tonne. Je reporte cette somme sur le prix au boisseau. Pour mon modèle, j'utiliserai un prix moyen de 5 $. Ce n'est pas nécessairement le prix maximal auquel se transige le blé; nous expédions deux ou trois grades différents de blé à des prix qui diffèrent aussi. Par rapport à la valeur du prix initial, il s'agit d'une augmentation de 12,52 p. 100. J'ajoute ce que je payais déjà en vertu de la même procédure, soit une autre tranche de 5,9 p. 100 de la valeur de mes céréales. J'ajoute maintenant les frais de manutention versés aux marchands locaux. Cette somme est comprise dans le chiffre de 18 $ la tonne fixé pour l'expédition à partir de là où je me trouve. Il s'agit uniquement d'environ 17 $ en frais de manutention précis. Il y a aussi les frais de nettoyage des élévateurs, les frais de la CGG. Je pense qu'on est alors très près de 18 $, ou un peu moins.
Lorsque je livre du blé en septembre ou en octobre, c'est le prix initial qui s'applique. On ne me paie pas alors 5 $ le boisseau pour mon blé. Le prix initial peut être aussi bas que 60 p. 100 de cette valeur. Je dois donc en tenir compte puisque les frais de transport et de manutention s'appliquent sur le total. Je n'ai pas encore tenu compte des intérêts. Je tiens compte des 40 p. 100 de frais de manutention et de transport que je n'ai pas encore réalisés sur le blé payé. Un jour, je récupérerai cette somme, sur 15 ou 18 mois, quel que soit le délai. Un jour, je finirai par récupérer 11,3 p. 100 de cette somme, ce qui me ramène à un coût de 27,7 p. 100 de la valeur du blé que j'expédie au Québec, suivant le modèle des cinq dollars.
Le sénateur Spivak: Vous payez donc 21,5 p. 100 de plus qu'en 1990, soit avant l'entrée en vigueur de ces dispositions, n'est-ce pas?
M. Armstrong: Voilà.
Le sénateur Spivak: Je sais que je m'écarte quelque peu du sujet, Monsieur le président, mais pas entièrement. Que proposez-vous? Quelle politique gouvernementale pourrait remédier à l'injustice particulière faite au Manitoba, désavantagé sur le plan géographique? Avant, les prix de transport étaient mis en commun, et ce régime a aujourd'hui disparu. J'ignore si la Saskatchewan et l'Alberta se trouvent dans la même situation que le Manitoba. Ce sont les Manitobains qui doivent payer les prix les plus élevés.
Le président: L'est de la Saskatchewan est dans la même situation.
Le sénateur Spivak: L'un des témoins précédents nous a dit que c'est dans l'est de la Saskatchewan qu'on retrouve les prix les plus élevés en Amérique du Nord. Le comité est chargé d'étudier les problèmes que pose le fonctionnement de la Commission canadienne du blé pour certains agriculteurs, mais il me semble que le coût des intrants, particulièrement les prix de transport, revêtent une importance tout aussi grande. Comme le Canada est un pays riche en ressources où les ports se trouvent loin, on doit tenir compte de frais de transport élevés pour presque la totalité des produits de base et des ressources naturelles. Dans certains cas, on a, tout au long de l'histoire, pris certaines mesures pour contourner cette difficulté; dans d'autres cas, on ne l'a pas fait. Les producteurs de bois d'oeuvre et les producteurs de charbon en particulier se retrouvent dans la même situation. Je me demande simplement si vous avez des recommandations à faire à ce sujet.
M. Armstrong: Oui. Mes recommandations ont trait à la transformation. Qu'on arrête d'expédier des produits bruts. Il existe certes des marchés plus rapprochés de nous, comme mon savant ami l'a expliqué plus tôt, à proximité des États-Unis. Ces marchés permettent aux transformateurs, qu'il s'agisse des meuniers ou d'autres, de s'approvisionner directement auprès des agriculteurs, selon leurs exigences particulières. En d'autres termes, je commanderai auprès de vous du blé de printemps des Prairies canadiennes, du blé Glenlea ou du blé extrafort. La CCB serait informée des céréales transformées à l'intérieur de notre propre système national.
On peut utiliser l'Australie comme modèle. Leurs meuniers et leurs transformateurs nationaux n'ont pas à acheter leur grain par l'intermédiaire de la Commission du blé. Seules les céréales destinées à l'exportation vers des ports étrangers devraient transiter par la Commission canadienne du blé.
Le sénateur Spivak: Je dois revenir à la question que le sénateur Hays a déjà posée. Comment se fait-il que toutes ces meuneries se trouvent au sud de la frontière, et comment pouvons-nous y associer nos agriculteurs de plus près? Quel est votre avis à ce sujet?
M. Armstrong: À mon avis, on devrait les laisser s'approvisionner en grain. Ils veulent nos grains et ont l'infrastructure pour s'en charger. On économiserait ainsi sur les frais de transport.
Le sénateur Spivak: Devrait-on permettre à nos meuniers locaux de s'approvisionner en grain, ou devrait-on permettre à ceux qui se trouvent tout juste de l'autre côté de la frontière de le faire?
M. Armstrong: Nous devrions leur permettre à eux aussi de s'approvisionner chez nous.
M. Nestibo: On mettrait ainsi un terme au monopole de la Commission canadienne du blé, et je pense que c'est tout ce qu'il faudrait.
Le sénateur Spivak: Il doit bien y avoir plus d'une façon d'aborder le problème. Je me demande si on a raison de jeter le bébé avec l'eau du bain.
M. Armstrong: Si je puis conclure ici, j'ai été associé à un projet dans notre région. Au départ, nous avons constitué un conseil de 12 membres composé et d'agriculteurs et d'entrepreneurs souhaitant constituer une entreprise qui se chargerait de nettoyer des grains en fonction de besoins particuliers, un peu comme on le fait dans l'industrie des légumineuses, aux fins de marchés de transformation précis, sans pour autant rompre avec la CCB. Nous avions suscité de l'intérêt au niveau local, recueilli des fonds, obtenu l'appui de la Commission des valeurs mobilières du Manitoba et fait réaliser des études de faisabilité auprès des marchés. Nous nous sommes heurtés à certains écueils. Nous voulions nous associer à une multinationale, au sein d'une entreprise dont nous aurions été les actionnaires majoritaires. Nous voulions que la multinationale en question dispose de son propre matériel de transformation ainsi que de son propre matériel roulant.
Nous avons pressenti quatre sociétés différentes. Celle qui présentait l'intérêt le plus grand, à nos yeux, s'est heurtée à un écueil. La Commission canadienne du blé ne l'autorisait pas à faire venir jusqu'ici un train-bloc qu'elle aurait chargé de grain qu'elle aurait elle-même acheté à son propre terminal. Elle voulait que ses wagons et son matériel roulant soient intégrés à celui de la CCB: le CN et le CP.
Le sénateur Spivak: C'était en quelle année?
M. Armstrong: C'était l'année dernière. Il était agréable d'envisager des trains-blocs de 52 ou de 100 wagons la fois et certaines autres efficiences du genre. À l'époque, la compagnie de chemins de fer offrait 3 $ la tonne. Elle était prête à y renoncer parce qu'elle n'en avait plus besoin. Pour faire image, on pourrait dire que, en Saskatchewan, on construit des centres de traitement comme s'il s'agissait de maisons résidentielles. Je les appelle les «monuments aux Prairies».
Peu importe la taille du centre, on doit faire sortir les grains. Dans notre région, nous en avions un qui produisait 200 000 tonnes par année dans un petit élévateur à grain, simplement grâce à la direction.
Le sénateur Taylor: J'aimerais revenir sur la question de la transformation. La Commission canadienne du blé soutient, non sans une certaine logique, que le prix qu'elle impose aux transformateurs est élevé parce qu'elle représente les producteurs et qu'elle souhaite obtenir pour eux le meilleur prix possible. Cela ne semble pas dénué de certains fondements puisqu'il ne semble pas y avoir de prolongation d'effets. En d'autres termes, la CCB vend les céréales à un endroit ou à un autre dans le monde et obtient un bon prix.
Il se pose toutefois un problème. Vous voulez transformer au niveau local et vous pensez que la Commission du blé, en rachetant vos propres grains, privent ceux qui vendent de plus loin, dans le nord du Manitoba et de la Saskatchewan, de profiter du prix commun. En d'autres termes, ceux qui se trouvent près de la frontière et peuvent vendre de la farine aux Américains qui se trouvent tout près le feraient, mais alors le prix général chuterait. Dans ce cas, comment expliqueriez-vous au reste des agriculteurs de l'Ouest qu'ils vendent leur grain à meilleur compte à des transformateurs le long de la frontière entre le Manitoba et les États-Unis, la Saskatchewan et les États-Unis et l'Alberta et les États-Unis, afin d'obtenir de la valeur ajoutée à la frontière? N'est-on pas fondé à soutenir que, en maintenant les prix élevés au Canada, nous favorisons davantage l'économie générale de l'Ouest qu'en préservant un certain nombre de transformateurs? Il existe manifestement un marché très limité de personnes qui achèteront de la farine ou d'autres produits le long de la frontière.
M. Armstrong: Je suis en désaccord avec certains points que vous avez soulevés. Si, comme je crois comprendre que vous le laissez entendre, le meunier canadien paie un prix plus élevé ou le prix le plus élevé pour subventionner l'agriculteur canadien, je ne suis pas d'accord. Lorsque les meuniers paient ce prix plus élevé, quelqu'un d'autre paie d'autant moins par rapport au prix moyen. Les perspectives de rendement se fondent sur un prix flottant moyen. Qui achète à meilleur compte? J'en viens presque à croire que nous subventionnons quelqu'un de l'extérieur.
En ce qui concerne l'emplacement, je n'ai pas, en tant qu'agriculteur, les moyens de continuer d'expédier des produits bruts. Je ne vois pas comment un transformateur pourrait envisager de s'établir au Manitoba s'il est assujetti aux mêmes prix de transport pour l'exportation qu'un acheteur étranger. Il récupère la différence puisque, du point d'exportation jusqu'à lui, il ne paie rien. D'après ce que je peux comprendre, il doit payer le prix établi à cause des perspectives de rendement établies par la Commission canadienne du blé.
Pour dire les choses simplement, j'aimerais mieux expédier une livre de farine qu'une livre et demie de blé. Que je sois ici, à Brandon, au Manitoba, ou à Swan River ou plus au Nord, car il y a certains districts agricoles à The Pas, les économies réalisées au titre des frais de transport sont des économies, quel que soit l'endroit où l'on se trouve. Si je comprends bien, ce que vous dites, c'est que nous subventionnons l'agriculteur éloigné d'une telle possibilité. Il vaudrait mieux rapprocher la possibilité de l'agriculteur.
Le sénateur Taylor: Lorsque vous vendez des grains destinés à l'alimentation des animaux plutôt qu'à celle des personnes, vous ne passez pas par la Commission canadienne du blé. Je ne sais pas s'il faut en conclure que les producteurs d'aliments pour animaux, parce qu'ils ne sont pas autorisés à vendre leurs produits en marge de la CCB, ont reçu beaucoup plus d'argent en contrepartie que la CCB, qui ne vend pas d'aliments pour animaux. À titre d'observateur extérieur, j'ai l'impression que la Commission du blé fait davantage. Lorsque je rencontre des sénateurs américains, ils me prennent à la gorge et me disent qu'on doit se débarrasser de la Commission canadienne du blé parce qu'elle leur impose des prix trop élevés. Puis, je me présente ici et vous me prenez à la gorge et vous me dites de supprimer la Commission canadienne du blé parce qu'elle ne vous donne pas assez. Il est possible que les négociants yankees ne sachent pas de quoi ils parlent, ou que nous ne sachions pas de quoi nous parlons, ou que, de part et d'autre, on ne sache pas ce qu'on dit. Le fait est qu'ils ne sont pas d'accord avec la Commission canadienne du blé. Là, on dit qu'elle est trop bonne; ici, on dit qu'elle est trop mauvaise.
M. Nestibo: Moi, je regarde ce qui, une fois que j'ai vendu mes céréales, reste dans mes poches. Je vis à la frontière, à 20 milles de Bottineau, au Dakota du Nord. Je constate ce que je pourrais obtenir de l'élévateur d'un agriculteur de Bottineau, et cet élévateur n'est qu'un intermédiaire. Il revendra ce qu'il m'achète. Lorsque je constate que je peux obtenir 1 $ le boisseau de moins que ce que j'obtiens après 15 mois de mise en commun avec la CCB, je ne peux que constater l'existence d'un terrible problème. Je sais que, aujourd'hui, on peut obtenir en Alberta de 3 $ à 3,30 $ pour un boisseau d'orge. Je ne pense pas que la Commission canadienne du blé nous octroiera un prix qui se rapproche de cette somme pour notre orge fourragère, même mis en commun.
M. Armstrong: Je pourrais peut-être parler davantage de cette question à partir de ma propre expérience. La Commission canadienne du blé a ouvertement admis qu'elle ne vendra pas à des marchés à créneaux plus petits, qu'il s'agisse d'États particuliers ou de l'Ontario, où je ne sais quoi d'autre, même si on nous en donne la possibilité. Nous observons de très près ce qui se produit au sein de notre industrie et de ces cultures commerciales de créneaux. Je viens tout juste de vendre des grains à une colonie huttérite, qui s'en servira pour nourrir les animaux. Du bon blé de grade 1 que je vends comme aliment pour animaux parce que j'en ai assez de payer des frais de transport et de subventionner des produits bruts. Ce faisant, j'ai malgré tout abouti à un prix supérieur aux perspectives de rendement. À leur tour, ils ont expédié de l'orge à Lethbridge, en Alberta, et ont obtenu 3,25 $ le boisseau, tandis que, ici, nous sommes incapables de le vendre à 2,60 $. L'écart est trop grand.
Je crois comprendre que la Commission canadienne du blé autorise des importations américaines de blé fourrager dans le marché de l'Alberta, ce qui supprimera le marché des aliments pour animaux tout comme celui de l'orge.
Le sénateur Fairbairn: Monsieur Armstrong, vous avez dit que vous ne vouliez pas qu'on assortisse le projet de loi d'une disposition d'inclusion. Ce que j'aimerais savoir, c'est si, à votre avis, on devrait éliminer l'inclusion et l'exclusion, ou encore conserver l'exclusion? Que répondez-vous à ceux qui disent que, si on élimine les deux, la seule façon dont tout ministre futur pourra prendre une telle mesure consistera à attendre une demande et à organiser un vote parmi les producteurs?
M. Armstrong: Je ne m'étendrai pas longuement sur ce point. Je ne veux pas que la Commission canadienne du blé s'occupe de mes céréales. Je ne lui ai pas vendu un seul boisseau en deux ans, et je n'entends pas le faire cette année. Voilà qui résume assez bien ce que je pense de cette question.
Le sénateur Chalifoux: Je tiens à féliciter chacun des témoins d'aujourd'hui. En ma qualité de résidente du nord de l'Alberta, j'ai beaucoup appris sur les problèmes de transport qui se posent ici, et le débat m'a intéressée au plus haut point. J'aimerais que vous répondiez tous les trois à la question suivante. Après avoir écouté tous les témoins d'aujourd'hui ainsi que vos exposés, je crois comprendre que vous êtes d'accord avec l'idée de la Commission canadienne du blé, mais que c'est l'administration de la Commission qui pose problème. J'aimerais vous entendre tous à ce sujet.
M. Armstrong: À certains égards, oui, je suis d'accord avec vous. J'ai demandé au meunier de m'expliquer pourquoi il payait de 20 à 30 $ de plus que les perspectives de rendement. Il n'a pas pu me répondre. Il ne sait pas pourquoi. Il n'est pas en mesure d'obtenir des réponses. Pour protéger ses clients et ses marchés -- c'est du moins ce qu'on m'a dit -- la Commission canadienne du blé pratique, en ce qui concerne les questions économiques, une politique de la porte close.
M. Nestibo: Suis-je d'accord avec l'idée de la Commission canadienne du blé? Oui, dans la mesure où cette dernière fait la promotion de nos céréales, de notre farine et du reste, mais le monopole constitue pour moi un grave irritant. Je suis désolé, mais la Commission porte atteinte à ma liberté. À ma connaissance, il n'y a pas, au Canada, d'autres fabricants qui soient confrontés à une telle situation.
Le sénateur Chalifoux: Comment, dans ce cas, devrait-on modifier la loi pour remédier au problème?
M. Nestibo: J'aimerais que la loi donne aux agriculteurs la possibilité de ne pas participer à la CCB. Je tiens à avoir ce droit dès aujourd'hui. Le cas échéant, je pense que la Commission canadienne du blé a des chances d'exister encore dans cinq ans. Sinon, je pense qu'elle va disparaître. Je pense que rien ne va changer à moins qu'on ne nous donne la possibilité de refuser de participer à la CCB.
M. Riley: Oui, je suis pleinement en faveur du maintien de la Commission canadienne du blé, et je suis d'accord avec le monopole. Il ne fait aucun doute que l'administration n'est pas sans défaut. Mais le prix paritaire a justement pour but d'éviter que les erreurs de la Commission ne retombent sur les épaules des agriculteurs. Si nous étions en mesure de protéger nos propres marchés intérieurs, rien ne pourrait saper l'économie du Canada. Je ne pense pas qu'il appartienne aux agriculteurs de faire les frais de ceux que j'appelle les pirates mondiaux de l'industrie céréalière. C'est ce qui explique l'existence des sociétés qui veulent exploiter les habitants de tous les pays, pas seulement ceux dont elles achètent les produits, mais aussi ceux auxquels elles en vendent. J'aime bien la CCB. Je pense qu'elle est entièrement sur la bonne voie, mais, comme je l'ai dit, il nous faut un prix suffisant.
Le sénateur Stratton: Si, par conséquent, on vous donnait la possibilité de ne pas y participer, vous continueriez de croire à la Commission canadienne du blé?
M. Nestibo: Je continuerais de croire à certains services de la CCB. Je pense qu'elle peut toujours faire la promotion de nos produits dans différents pays et montrer à ces derniers que notre blé permet de produire une farine de grande qualité. Bien entendu, le ministère de l'Agriculture, à Ottawa, pourrait aussi s'en charger. Quant au monopole de la Commission canadienne du blé, je pense que le Syndicat du blé de la Saskatchewan et d'autres organisations du genre pourraient jouer le même rôle. Si la CCB disparaissait aujourd'hui, j'imagine qu'elles pourraient prendre le relais et faire un meilleur travail.
Le sénateur Stratton: Toutes choses étant égales, j'opterais pour une disposition d'exclusion, sachant fort bien que la disparition de la Commission canadienne du blé est peu probable. Si vous parveniez à vos fins, que feriez-vous de la disposition de réserve qu'on veut maintenant inclure et de la garantie gouvernementale d'un fonds de réserve inhérent.
M. Nestibo: Faites-vous référence à la réserve qu'on veut obliger les agriculteurs à constituer, tout comme c'est le cas dans les gouvernements provinciaux? Je ne suis pas d'accord. Au cours des dernières années, on a réduit le budget de l'agriculture de façon extraordinaire. On a éliminé la subvention au transport du grain de l'Ouest qui, dans notre coin du monde, coûte 30 $ l'acre. Essentiellement, il s'agit de 1 $ le boisseau, et, sur nos pauvres lopins de terre, nous ne cultivons que 30 boisseaux. Je n'ai jamais tiré 30 $ l'acre de mes terres à blé. Aujourd'hui, je perds donc de l'argent sur toutes les acres de blé que je cultive, mais je continue de le faire pour des fins de rotation, en raison de la région plus aride que nous habitons. Les gouvernements se sont déchargés sur nous d'assez de responsabilités. Ils nous ont assez pris. Écoutez-nous, s'il vous plaît. Je pense et j'espère qu'ils laisseront les garanties agricoles en place.
Le sénateur Stratton: Je m'adresse maintenant aux deux autres témoins. Croyez-vous, vous aussi, qu'aucune réserve ne devrait être prévue; êtes-vous plutôt d'avis que le gouvernement canadien devrait offrir des garanties? Croyez-vous que ce soit possible, si vous obtenez une disposition d'exclusion?
M. Armstrong: Il existe déjà deux ou trois programmes de réserve, par exemple le CSRN. Le programme de stabilisation que nous avons mis en place il y a quelques années -- je n'y ai participé que dans les dernières années -- a suscité tout un débat. Le seuil était fixé si haut que les agriculteurs ne pouvaient jamais récupérer leur argent. Puis, on a abaissé le seuil, et le programme a dû verser beaucoup d'argent; les dernières années, il était en déficit. À la fin, de nombreux agriculteurs -- moi y compris, jeune agriculteur ayant adhéré au programme sur le tard -- ont dû faire les frais d'un programme dont ils n'avaient jamais bénéficié. Les programmes de stabilisation ne fonctionnent que si c'est moi qui les exploite. Donnez-moi un juste prix pour mon blé, et je veillerai sur moi-même.
Le sénateur Stratton: Si on postule l'existence d'une Commission du blé, êtes-vous ou non en faveur d'un fonds de réserve?
M. Armstrong: Si la CCB continue d'exister -- et je tiens pour acquis que ce sera le cas -- , on devrait prévoir un fonds de réserve pour ceux qui y participeront.
Le sénateur Stratton: Pensez-vous que le fonds de réserve devrait être financé par les agriculteurs?
M. Armstrong: Oui.
Le sénateur Stratton: M. Riley, qu'en pensez-vous?
M. Riley: Je ne suis pas certain de comprendre assez bien l'enjeu pour pouvoir vous donner une réponse intelligente. Tout ce dont nous avons besoin, c'est qu'on nous assure un prix paritaire. La formule sera en soi suffisante pour répondre à nos besoins. Rien de moins n'est satisfaisant.
Le président: Au Sénat, j'ai demandé combien d'argent on devait au gouvernement du Canada en regard de ventes de céréales à l'étranger. La réponse est venue il y a tout juste deux semaines: 6,6 milliards de dollars. Le gouvernement fédéral avance l'argent nécessaire pour vendre les céréales, ce qui est plutôt avantageux pour les agriculteurs. En l'absence d'un plafond sur le fonds de réserve, nous pourrions, en tant qu'agriculteurs, être tenus d'assumer tout le fardeau du financement de la vente de grains. Le fait que le gouvernement assume ce fardeau représente un avantage énorme pour les agriculteurs canadiens, non seulement au moment de la vente, mais aussi lorsqu'on tient compte des intérêts qui s'accumulent tout au long de l'année. Voilà, à mon avis, dans quel contexte doit se dérouler le débat sur le fonds de réserve. Certains groupes d'agriculteurs recommandent qu'on impose un plafond. Certains estiment que le plafond devrait être fixé par le conseil d'administration, et d'autres aimeraient qu'il soit déterminé dans la loi.
M. Armstrong: Monsieur le président, je suis favorable à une disposition d'exclusion. Les producteurs doivent avoir la possibilité de ne pas participer à ce programme si c'est là leur souhait. Sans une disposition de retrait, je ne suis pas en faveur d'une contribution de l'agriculteur fixée de façon arbitraire.
Le président: Je tiens à vous remercier de votre présence. Le comité du Sénat tenait à entendre des agriculteurs individuels, non nécessairement rattachés à un groupe agricole précis. Bien sûr, nous tenons à entendre des groupes d'agriculteurs comme la Cattlemen's Association, qui comparaîtra aujourd'hui, ainsi que d'autres groupes, mais nous sommes sincèrement heureux d'entendre le point de vue d'agriculteurs qui, de leur propre initiative, sont venus présenter un exposé devant le Sénat, ici, aujourd'hui. Nous vous remercions beaucoup.
Nos prochains témoins sont MM. Robson et Bell. MM. Winters et Sotas ne sont pas encore arrivés; lorsqu'ils seront là, je vous prie de me faire signe.
Messieurs, vous avez la parole. Il est possible que vous ayez quelques minutes de plus que certains autres témoins.
M. Ian Robson: Je cultive 930 acres à Deleau, au Manitoba. J'élève du bétail, et je fais pousser du blé, de l'avoine et du canola.
M. Dean Bell: Je m'appelle Dean Bell, et mon épouse et moi cultivons 1 500 acres à Deloraine, au Manitoba.
Il est dommage que nous ayons à nous réunir ici aujourd'hui, mais, une fois de plus, l'Ouest canadien doit se battre pour ses droits. M. Vanclief a doté l'Ontario d'un régime de double commercialisation. Pourquoi pas nous? À mes yeux, cette situation fait de nous des citoyens de deuxième classe. Le projet de loi C-4 n'est rien de plus que du papier hygiénique. Il est censé donner aux agriculteurs plus de pouvoir, pas moins. La disposition d'inclusion doit être supprimée, faute de quoi nous ne serons pas en mesure de vendre nos grains nous-mêmes. La nomination d'agriculteurs au conseil ne nous sera d'aucun secours, parce qu'ils seront choisis soigneusement par le gouvernement. L'heure est à la valeur ajoutée, mais, tant et aussi longtemps que la Commission canadienne du blé sera aux commandes, la valeur ajoutée n'a aucune chance.
Si le Sénat souhaite modifier le projet de loi C-4, il n'a qu'à y ajouter une disposition concernant la double commercialisation et à observer la croissance de l'Ouest canadien -- à moins que ce ne soit pas là ce qu'il souhaite. La foire ambulante de Ralph Goodale, le Groupe de commercialisation du grain, a mis sur la table quelques bonnes idées, mais M. Goodale a préféré en faire fi. L'agriculture est l'entreprise la plus efficiente qui soit. Nous sommes d'avis que le contrôle de la commercialisation du grain devrait revenir à ceux qui consacrent leur temps, leur énergie et leur argent à le faire pousser, c'est-à-dire, les familles agricoles du Canada, que leurs activités remplissent de fierté.
M. Robson: Je tiens à dire que la Commission canadienne du blé a fait de l'excellent travail dans la mise en marché de nos céréales. Dans les témoignages qu'on a entendus, rien ne prouve que la Commission ait commis des fraudes au détriment d'un groupe quelconque, ou qu'elle ait causé des torts en concluant de mauvaises transactions. On retrouve ici aujourd'hui des agriculteurs qui portent des accusations contre la Commission. Ils ne nous livrent qu'un pan de l'histoire. Ce qu'ils vous disent, c'est que le rachat est un mécanisme difficile, que le prix du grain est trop élevé au Canada, que, pour une raison ou pour une autre, les meuniers ne sont pas en mesure de le transformer, que les prix du grain sont trop élevés et que les agriculteurs ne peuvent joindre les deux bouts. On entend beaucoup de messages contradictoires dans la bouche des personnes qui remettent en question la Commission canadienne du blé. Pour comprendre à fond la situation, j'espère que vous prendrez le temps de discuter avec la Commission canadienne du blé de chacun des points soulevés.
Nous vivons dans un marché -- et nous devrions nous garder de penser que le marché constitue une organisation démocratique ou qu'il en fait partie. Le marché et la démocratie sont des entités plutôt différentes. John Ralston Saul, dans son ouvrage intitulé La Civilisation inconsciente, le rappelle dans son analyse des gestionnaires d'entreprises. Je suis, pourrait-on dire, gestionnaire d'une entreprise indépendante. J'exploite une petite entreprise agricole liée à celle de certains des agriculteurs qui ont pris la parole ici aujourd'hui. Ils exploitent d'énormes exploitations, et pourtant, ils sont prêts à me sacrifier en tant qu'exploitant indépendant. Ils laissent entendre qu'on devrait leur donner la possibilité de vendre leur grain pour plus et que je devrais me contenter du tonnage qui reste, au prix qu'on voudra bien me donner.
La Commission canadienne du blé a été créée, à la demande des agriculteurs, pour garantir un accès au marché et des prix équitables. Ces éléments doivent demeurer en place. À cette fin, la Commission canadienne du blé est la meilleure expression de la liberté du marché, parce que la liberté consiste à rechercher dans le marché l'acheteur qui offre le meilleur prix. Pour les producteurs indépendants, il s'agit d'un processus difficile. Aujourd'hui, certains producteurs indépendants sont en mesure de trouver un marché, et les derniers témoins viennent tout juste de parler du marché à créneaux -- c'est ainsi qu'ils l'appellent -- qu'ils ont trouvé, de l'autre côté de la frontière des États-Unis, pour leur blé dur.
Nous devons aussi comprendre que vous n'entendez peut-être pas toute l'histoire et que les contribuables des États-Unis, par l'entremise de l'Export Enhancement Program, soutiennent dans une large mesure le prix du blé dur, qui entraîne une augmentation de prix pour les agriculteurs américains. Il existe des programmes de retrait obligatoire des terres en culture, auxquelles les agriculteurs du nord de l'Alberta adoreraient participer, j'en suis certain, et il existe aussi, dans le marché, toutes sortes de subventions, si c'est ainsi qu'on veut les appeler. Voilà autant d'éléments qui, pour reprendre les termes des opposants, altèrent le prix du marché.
Qu'est-ce que le prix du marché? Chaque jour, il est différent. Même dans les récoltes non régies par la Commission -- et particulièrement dans leur cas -- le prix du marché varie. Il suffit d'observer le modèle américain pour constater des écarts énormes d'un jour à l'autre, d'une ville à l'autre le même jour, et on devrait se rendre aux arguments de ceux qui s'opposent à la CCB, ce qui voudrait dire que moi, en tant qu'agriculteur, je devrais passer la journée à mon bureau, devant un écran d'ordinateur, et décider que tel jour, je devrais vendre mon grain à tel marché. Mais lorsque mon grain a été vendu et livré, je n'ai plus rien à vendre; je ne suis plus en mesure de bénéficier de ce marché. La Commission canadienne du blé met en commun les céréales et les prix, et je partage les avantages d'un prix plus élevé parce que, habituellement, le prix augmente au fur et à mesure que l'année avance.
Il suffit aujourd'hui d'étudier le marché du lin -- et tout le monde aimerait produire du lin parce qu'il se vend 12 ou 14 $ le boisseau. Si le lin se vend à ce prix, c'est parce que personne n'en produit. Il aurait beau se vendre à 20 $ le boisseau, cela n'aurait pas d'importance. Je veux obtenir le même prix que mon voisin, mais mon voisin dit: «Non, non, non, je veux obtenir un prix élevé que toi», et vice-versa.
Si on a aussi ce débat, c'est en raison de divers phénomènes qui se sont produits au cours des cinq ou six dernières années. Aujourd'hui, mon temps aurait été mieux utilisé si j'étais demeuré à la maison pour m'occuper de mes veaux, faire fructifier mon revenu et faire de la mise en marché. Soit dit en passant, la commercialisation du bétail est un processus très difficile et très fastidieux. Le comité de l'agriculture aurait intérêt à étudier les problèmes que posent la passation de marchés et les prix qui sont fixés dans des accords contractuels privés -- ce qui va à l'encontre de ce que les témoins vous ont affirmé aujourd'hui, et de ce qu'ils revendiquent auprès de vous -- la règle du marché libre. Pourtant, tout, en matière de commercialisation, concourt à laisser moins de pouvoir aux mains des producteurs indépendants.
La Commission canadienne du blé est un puissant outil de commercialisation aux mains des producteurs. Certes, on doit y apporter des modifications. À maints égards, je pense que le projet de loi C-4 s'éloigne grandement de l'objectif prévu pour la Commission canadienne du blé. En novembre 1976, Ralph Goodale m'a fait parvenir une lettre, dans laquelle il laissait entendre qu'on allait apporter des modifications à la Commission canadienne du blé, modifications qui ont donné naissance au projet de loi C-72, puis au projet de loi C-4. Dans cette lettre, il disait qu'on allait autoriser l'achat de grain au comptant. Dès lors, le prix qu'on accorde pourra être différent de celui dont bénéficie mon voisin. Sous le régime de la Commission canadienne du blé, le prix auquel il a droit pour du grain de la même qualité est le même que celui que je touche et, si vous voulez, ce n'est que justice.
Le prix, comme l'a affirmé le dernier témoin, est très loin de ce qu'il devrait être. Le prix, c'est le gros problème de l'économie. Le comité du Sénat a lui-même indiqué que les agriculteurs ne bénéficient que d'un rendement de 3 p. 100 sur leur investissement. C'est impardonnable, mais ce n'est pas la faute de la Commission canadienne du blé; c'est la faute du marché. Si les agriculteurs souhaitent exercer une influence sur le prix de leurs produits, on doit adopter des mesures législatives qui contribueront à accroître ce rendement.
Le fait de réduire le pouvoir de négociation du prix des produits qu'ont les agriculteurs n'entraînera pas une augmentation de nos rendements. On le constate dans un certain nombre de produits agricoles régis, comme les produits laitiers et la volaille. Par rapport au grain et au bétail, ces marchés assurent un rendement plus élevé. À l'heure actuelle, dans le marché du porc -- et on entend beaucoup parler de la valeur ajoutée du porc au Manitoba -- le gouvernement du Manitoba, il y a deux ou trois ans, a mis un terme à la commercialisation centralisée du porc. Selon les estimations de l'Office manitobain pour la commercialisation du porc, il en est résulté, pour les éleveurs, une réduction de la valeur des porcs de 5 $ la tête. Si la transformation du porc est confiée à des entreprises de plus en plus grandes, la perte de revenu passera inaperçue -- ces entreprises ne s'en soucient pas nécessairement -- mais, au Manitoba, les effets de la diminution se feront sentir parce qu'on a affaire à des producteurs indépendants.
On peut soutenir que les grandes entreprises de transformation du porc créent plus d'emplois. C'est possible, mais, entre temps, ils ont obligé bon nombre de transformateurs indépendants à mettre un terme à leurs activités. Voici le principal enjeu: même si les transformateurs sont de plus en plus gros, ils n'occupent pas leur juste part du marché parce que, en augmentant leur taille, ils admettent vouloir prendre moins auprès du marché. À l'examen des données, on constate que c'est précisément ce qui s'est passé au cours des deux dernières années.
J'espère avoir parlé avec vous, et non pas simplement avoir pris la parole devant vous. Le projet de loi pose quelques problèmes sur lesquels je pourrais m'attarder. En ce qui concerne le fonds de réserve, on doit préserver les garanties gouvernementales tous azimuts. Nous devons conserver à la Commission du blé son statut de société d'État. On peut maintenir cette société d'État sans les modifications majeures proposées par Ralph Goodale. On peut assurer le sentiment de propriété des producteurs à l'égard de la Commission par des moyens tout différents de ceux qu'on propose dans le projet de loi C-4. Le comité consultatif de la Commission canadienne du blé a défini un certain nombre de solutions pratiques quant au sort qu'il convient de réserver à la Commission canadienne du blé.
Je tiens également à souligner qu'on ne devrait pas sacrifier la légitimité du Conseil consultatif puisque, après tout, il a été créé pour recommander la prise de mesures de nature à accroître le revenu tiré par les agriculteurs de la mise en marché du blé et de l'orge. Certaines personnes ont posé leur candidature au poste de conseiller de la Commission canadienne du blé sur diverses questions, et, chaque fois, on a élu, par une forte majorité, des personnes favorables à la Commission canadienne du blé.
À mon avis, Ralph Goodale a fait preuve de malhonnêteté dans le processus découlant du groupe de commercialisation. À mon avis, on devrait tenir une enquête judiciaire à propos des accusations portées contre la Commission du blé. Plutôt que d'imposer aux agriculteurs le tout petit projet de loi que nous avons devant nous, on devrait chercher à déterminer si ces accusations sont fondées.
Le sénateur Hays: Je comprends ce que vous voulez dire à propos de l'effet des programmes américains sur le prix des céréales et d'autres produits de base ainsi que des subventions européennes à l'exportation et à la production, du point de vue de la pénétration des produits en question dans les marchés mondiaux et de l'effet sur les prix, mais c'est ainsi qu'on fonctionne en Europe et aux États-Unis. C'est également ainsi qu'on fonctionne depuis la disparition de la Subvention du Nid-de-Corbeau que le monde autour de nous a changé considérablement.
Comment devons-nous aborder les modifications qu'il convient d'apporter, le cas échéant -- et nombreux sont ceux qui pensent qu'il le faut -- à la Commission du blé? Quelle forme devraient prendre ces modifications? Qu'en est-il de la méthode définie dans le projet de loi C-4, c'est-à-dire l'élection d'un conseil chargé de prendre des décisions concernant l'exclusion ou l'inclusion?
M. Robson: Monsieur, nous avons affaire à un marché en évolution, et la Commission du blé devrait faire enquête sur ces marchés, puis prendre des mesures pour faire face aux problèmes qui se présentent. Cette attitude s'est révélée très utile à l'époque du «grand vol des céréales», dans les années 70: le Canada a alors acquis une position privilégiée sur les marchés mondiaux et dans la mise en marché des céréales.
Les Américains profitent toujours de cet avantage et vous disent à vous, au gouvernement: «Retirez cet avantage aux producteurs du Canada». Ce qu'ils disent, c'est que leurs entreprises privées tiennent à bénéficier des marges dont je profite aujourd'hui. Ils vous disent: «Défendez mes droits. Préservez une organisation qui occupe en mon nom une place de premier plan au sein du marché.»
Nous savons que le marché change. Ce n'est pas nouveau. En fait, je lisais récemment un manuel de latin, dans lequel on précise que le gouvernement de l'Empire romain, qu'il ait été bon ou mauvais, subventionnait l'entreposage du grain. Qui sait quelles autres atrocités il a pu commettre.
Le sénateur Spivak: Jeter les chrétiens en pâture aux lions.
M. Robson: C'en est une. J'ai l'impression que Ralph Goodale, en faisant ce qu'il nous fait, jette les actifs en pâture aux lions.
Le sénateur Taylor: Imaginons que le conseil, composé de dix agriculteurs et de cinq représentants du gouvernement, puisse autoriser un agriculteur à se retirer du programme pendant un an, un peu comme on l'a fait en Ontario. Dans le cas de l'Ontario, je ne suis pas absolument certain si la mesure est inscrite dans la loi ou s'il s'agit d'une initiative de l'office ontarien. En tant que démocrate et partisan de la double commercialisation, jugeriez-vous le projet de loi acceptable s'il octroyait au conseil élu par vous et vos collègues, le droit de permettre de se retirer à titre individuel pour une période une année? Est-ce que cela vous plairait?
M. Bell: Oui, je pense.
Le sénateur Taylor: Et vous, M. Robson? Considérez-vous qu'il s'agit là d'une façon démocratique de faire les choses, ou avez-vous l'impression qu'on donne trop de pouvoir au conseil?
M. Robson: Dans la lettre qu'il a fait parvenir aux agriculteurs -- et j'en ai une copie ici -- , Ralph Goodale mentionne que la CCB, si on optait pour la double commercialisation, serait à coup sûr touchée, que ses pouvoirs seraient réduits. Lorsque M. Goodale, après avoir fait cette déclaration à propos de la notion de double commercialisation, propose le projet de loi C-4, qui, aux termes de l'article 39.1, autorise l'achat au comptant, mesure qui, dans les faits, instaure une double commercialisation ou, comme vous le dites, une possibilité de retrait -- l'effet produit sur le prix est que le prix que je touche est différent de celui dont bénéficient mes voisins, plus élevé ou moins élevé. Le problème, c'est que les prix devraient être les mêmes pour le même produit, pour la même qualité de produit.
Le sénateur Taylor: Vous voulez la parité salariale au sein du marché.
M. Robson: Je veux la parité salariale. Pour y parvenir, nous avons besoin d'un pouvoir de mise en marché. Pour avoir ce pouvoir, mon voisin a besoin de mes boisseaux de blé, et j'ai besoin des siens. Si, en effet, il vend à un prix plus élevé ou moins élevé, que nous arrivera-t-il? Un beau jour, l'un de nous se retrouvera seul ici.
Le président: Certains affirment que nous nous dirigeons vers un marché commun nord-américain. Il est insensé que les Canadiens et les Américains fassent de la sous-enchère à l'égard d'une céréale lorsque nous sommes tous en concurrence avec le marché commun européen ou l'Asie. Il s'agit ici de notre voisin et de nous-mêmes. Voici le grand défi que j'envisage. Je pense que cela se produira un jour; en fait, c'est déjà en train de se faire. Le président des États-Unis évoque la possibilité d'une procédure accélérée dans le domaine du commerce. Je pense que c'est le sénateur Hays qui a mentionné que nous nous sommes rendus à Washington à diverses reprises, et que nous avons eu l'occasion de rencontrer des sénateurs et des députés au Congrès; le débat se déroule depuis un certain temps. Comment voyez-vous les choses, M. Robson?
M. Robson: Par «scène commerciale internationale» vous entendez l'ALENA ou l'OMC ou le GATT, n'est-ce pas?
Le président: Aujourd'hui, le libre-échange entre le Canada et les États-Unis est instauré graduellement dans divers segments de l'économie. Nous ne pouvons continuer à nous couper l'herbe sous le pied et à poursuivre la guerre politique sur le grain que nous nous livrons aux frontières. Dans un tel cas, il n'y aura pas de gagnant, ni d'un côté ni de l'autre. Avec un peu de chance, les deux pays feront preuve de bon sens, et nous en viendrons à une forme d'entente pour mettre un terme à la lutte qui se poursuit à leurs dépens à tous deux.
M. Robson: Monsieur, le problème, c'est qu'on coupe aussi les prix. Je pense que Charlie Mayer, l'ex-ministre de l'Agriculture, a mentionné que les subventions, l'EEP et la CEE, en raison de la taille de l'économie, ont porté préjudice aux producteurs de l'Australie, du Canada et de l'Argentine. J'ignore ce qu'on peut faire sur la scène internationale pour éviter que la situation ne perdure -- et je n'aime pas avoir à tenir de tels propos. Entre temps, rien ne confère aux agriculteurs plus de pouvoir de négociation en ce qui a trait au prix de leurs produits, ce qui est le point central du présent débat.
Laissez-moi vous parler de ce qui est «inévitable». Lorsqu'on sème, on pourrait croire que la récolte est inévitable, mais ce n'est pas le cas. Dans le contexte des accords internationaux, l'utilisation du mot «inévitable» est donc plutôt malheureuse.
Le sénateur Stratton: M. Robson, d'autres agriculteurs ont affirmé que leur exploitation était relativement importante; je pense que les témoins d'un des groupes ont affirmé que leurs exploitations comptaient environ 13 000 acres. Quant à vous, vous affirmez être un petit exploitant.
M. Robson: C'est juste.
Le sénateur Stratton: Si ce n'est pas trop indiscret, pourriez-vous me dire la superficie de votre exploitation?
M. Robson: Oui. Comme je l'ai déjà dit, ma ferme fait 930 acres.
Le sénateur Stratton: Aviez-vous clairement présenté votre position à l'égard du fonds de réserve? Croyez-vous qu'il a une raison d'être?
M. Robson: En ce qui concerne le fonds de réserve, je répète, encore une fois, qu'il entraînera, d'après ce que j'ai compris, une ponction que j'estime inutile, compte tenu de la bonne marche des activités de la Commission du blé sous le régime des garanties gouvernementales actuellement offertes. Je n'ai aucunement l'intention de recourir au fonds de réserve pour vendre du grain à crédit à un autre pays, car je ne crois pas que mon voisin exigera le paiement.
Le sénateur Spivak: Oui. Je suis heureuse, Monsieur Bell, que vous ayez soulevé la question du pouvoir sur le marché, car j'ai toujours cru que la raison d'être de la Commission canadienne du blé était de compenser le pouvoir excessif, presque monopolistique, des grandes entreprises, comme Tyson et Agri-Food, sur le marché. Cependant, même si de nombreuses personnes ici se sont dites essentiellement en faveur d'une formule de double commercialisation pour la Commission canadienne du blé, je n'ai entendu personne se demander quel effet cette formule aura sur la part de marché de la Commission canadienne du blé et sur sa capacité de faire concurrence sur le marché mondial. Je crois que c'est une question importante. Il me semble qu'on ne peut être contre la double commercialisation, à moins que cette dernière ne mine la capacité de la Commission de faire concurrence et, par conséquent, le rendement pour les agriculteurs canadiens.
M. Bell: Je crois que cette formule sortira la Commission du blé de sa torpeur et la forcera à vraiment vendre le grain. Pourquoi s'efforcer de vendre quelque chose lorsqu'on a le monopole? Dans une telle situation, on se contente de faire le minimum. Par contre, lorsqu'on se trouve dans un régime de double commercialisation, la Commission et ses concurrents redoubleront d'ardeur.
Le sénateur Spivak: Excusez-moi, mais je ne crois pas que la Commission canadienne du blé exerce un monopole sur le marché mondial.
M. Bell: Non, mais la Commission jouit d'un monopole à l'égard de notre grain, au Canada. Je ne peux vendre mon grain à personne d'autre. Je dois vendre mon grain à la Commission canadienne du blé. Lorsqu'on établit un régime de double commercialisation, dans le cadre duquel je peux vendre mon grain au voisin ou à la meunerie d'à côté, la Commission du blé se trouve à perdre, soudainement, un ou deux boisseaux de grain. Elle a peur qu'on lui vole un marché. Dans un tel scénario, elle n'aurait d'autre choix que de travailler plus fort, et il y a fort à parier que le prix de notre grain montera.
Notre blé dur cause des problèmes aux États-Unis, parce que nous n'avons pas d'usines ici. Quatre-vingt-dix pour cent du blé dur du Manitoba est expédié dans le Dakota du Nord, où l'on fabrique des pâtes. Pourquoi n'y a-t-il pas d'usines de pâtes alimentaires au Manitoba? En raison de la Commission du blé.
M. Robson: Est-ce que je pourrais réagir au dernier commentaire? Il est, de fait, possible de racheter et de revendre votre grain, lorsqu'il est avantageux de le faire. Lorsqu'une telle pratique est désavantageuse, ma foi, ne le faites pas.
Maintenant, je veux des prix élevés; je veux de la valeur ajoutée. Je peux vous donner quelques exemples de situations qui ont mal tourné. Un livre marquant le centenaire de Hartney, la ville où je demeure, mentionne un meunier indépendant qui, dans les années 1900, avait établi une meunerie. Tout allait bien, jusqu'à ce qu'il éprouve des difficultés à fixer le prix de son grain et de sa farine en fonction de contrats rédigés à Chicago, au Board of Trade. À cette époque, le marché était beaucoup plus libre, et occasionnait bien plus de problèmes. Or, un groupe d'agriculteurs a tenté d'acheter la meunerie lorsque le propriétaire a fait faillite. La banque a refusé de consentir un prêt au groupe, et la meunerie a fini par fermer ses portes. Les choses se sont passées de cette façon jusqu'à notre époque.
Maintenant, on compte de nombreuses autres meuneries prospères aux quatre coins des Prairies, mais le marché de la farine est ailleurs. Les personnes qui sont disposées à acheter la farine paient un montant supérieur ailleurs, et on ne peut tenir la Commission du blé responsable de cette situation.
J'ai entendu parler d'un homme qui, en 1983, a cultivé une superficie importante dans cette région et qui a vendu tout son blé dur au moyen d'un rachat aux États-Unis. Il a reçu un paiement final excellent, car la valeur du grain sur le marché n'était pas fixée à un niveau déterminé. Il arrive que de telles occasions se présentent. Si ce n'était du programme de rachat, la Commission du blé empiéterait sur nos droits. Toutefois, puisqu'il existe, nos droits sont respectés, et je vous recommande de consulter l'issue des diverses contestations judiciaires relatives à cette question.
Je tiens aussi à mentionner que je cultive des grains organiques et qu'une partie de ma ferme est officiellement considérée comme «organique» depuis sept ou huit ans. La commercialisation de produits organiques constitue un problème important, car on doit convaincre l'acheteur qu'il peut acquérir le produit immédiatement. Cela n'a rien à voir avec la Commission du blé; les seuls facteurs qui comptent sont vos capacités de négociation et les autres exigences du marché. Dans le cas du blé, j'ai effectué un rachat, et cela a bien fonctionné. Je n'ai éprouvé aucune difficulté. À un autre moment, quelqu'un pourrait avoir des problèmes. Il faut comparer le rachat à un contrat de couverture sur le marché libre. Il sera parfois avantageux d'y recourir, mais pas toujours.
Le sénateur Spivak: Vous avez mentionné l'élimination de l'office de commercialisation centralisée du porc, et vous avez laissé entendre que le prix a baissé. Avez-vous des chiffres quant au nombre d'éleveurs indépendants qui ont été acculés à la faillite?
M. Robson: Je n'ai pas de chiffres pour l'ensemble de la province, mais je connais un certain nombre de personnes qui abandonneront les affaires pour diverses raisons.
Le sénateur Spivak: Parce qu'ils ne peuvent faire concurrence?
M. Robson: Parce qu'il sera plus difficile de faire concurrence, et parce que le prix a chuté. Le prix des porcs sur le marché fait généralement l'objet de fluctuations importantes, et à lui seul, l'office manitobain pour la commercialisation du porc ne jouissait pas d'un pouvoir de commercialisation suffisant pour permettre aux éleveurs d'influer de manière plus importante sur le prix des porcs sur le marché. Il y a donc un certain nombre de problèmes à régler. L'industrie laitière a obtenu de bien meilleurs résultats à l'échelle nationale.
Le président: Merci, Messieurs Robson et Bell. Nous vous remercions d'avoir présenté vos commentaires.
Honorables sénateurs, accueillons maintenant M. Marlin Beever, représentant des éleveurs de bétail du Manitoba. Nous avons prévu une période de 30 minutes pour l'exposé de M. Beever et pour les questions.
Monsieur Beever, à vous la parole.
M. Marlin Beever: Monsieur le président, je n'ai qu'un seul commentaire à présenter. Nous sommes peu préoccupés par le projet de loi, mais nous tenons à signaler une question particulière. Je lirai le mémoire de l'association, et je répondrai à vos questions par la suite.
Dans le cadre du mémoire qu'elle présente au comité sénatorial de l'agriculture et des forêts concernant le projet de loi C-4, l'Association des éleveurs de bétail du Manitoba aimerait souligner les points suivants:
L'industrie canadienne du bétail constitue le principal marché pour l'orge relevant de la Commission canadienne du blé.
L'industrie de l'alimentation du bétail, importante composante de l'économie agricole de l'Ouest canadien, compte pour 37 p. 100 des recettes monétaires agricoles dans les provinces des Prairies. L'industrie de l'élevage bovin représente, à elle seule, 22 p. 100 des recettes monétaires agricoles des Prairies et plus de 11 p. 100 des recettes monétaires agricoles au Manitoba.
À l'heure actuelle, l'industrie canadienne de l'élevage bovin exporte 54 p. 100 de sa production totale à une gamme de marchés. Sa capacité de faire concurrence sur le marché mondial est fonction de sa capacité d'obtenir des grains fourragers à un prix équivalent à celui que paient ses concurrents, particulièrement aux États-Unis.
Une présence active de la Commission canadienne du blé sur le marché national des grains fourragers pourrait influer de manière considérable sur le prix de la moulée au Canada. Les activités de la Commission canadienne du blé devraient favoriser la croissance des marchés nationaux et des marchés d'exportation du grain.
Les modifications du projet de loi C-4 proposées par le gouvernement mineront la position concurrentielle des éleveurs de bétail de l'Ouest canadien, déstabiliseront le marché national des grains fourragers et, à long terme, augmenteront la dépendance des producteurs de grains des Prairies envers un marché d'exportation très irrégulier et coûteux.
On s'attend à ce que l'industrie manitobaine de l'élevage du bétail poursuivre sa croissance soutenue au cours de la prochaine phase du cycle d'élevage. Notre industrie se fonde principalement sur le naissage, mais les secteurs de l'alimentation animale, de la semi-finition et de l'engraissement commencent à prendre de l'expansion.
L'an dernier, environ 175 000 têtes ont été engraissées dans la province. Le 1er janvier 1997, Agriculture Manitoba estimait à 130 000 le nombre de têtes en cours d'engraissement. La croissance de l'industrie du bétail pourrait tenir au fait que les producteurs croient en l'avenir du bétail dans la province. L'élimination des subventions touchant le transport du grain, l'affectation des terres cultivables marginales à la culture fourragère et au pâturage, et l'engagement du gouvernement provincial de promouvoir les initiatives à valeur ajoutée ont influé d'une manière très positive sur l'industrie manitobaine de l'élevage du bétail.
On estime qu'en 1995-1996 le bétail manitobain a consommé 1,8 million de tonnes de moulée. Nous croyons que cette quantité augmentera, en raison de l'expansion des secteurs de l'engraissement du bétail et de l'élevage porcin. Les analystes de l'industrie prédisent une augmentation de la demande de bovins d'engraissement au cours des prochaines années, ainsi qu'une augmentation soutenue de l'exportation de boeuf. Cela laisse présager la possibilité d'augmentations considérables au chapitre de l'engraissement et de l'élevage de bétail au Manitoba. Il est donc évident qu'on doit assurer un approvisionnement stable de grains fourragers pour un marché national en croissance.
Les éleveurs de bétail manitobains n'éprouvent aucune difficulté à être concurrentiels sur un marché juste et équitable où il existe une demande au chapitre de l'exportation du grain. Pour ce qui est de l'orge, il est plus rentable de l'utiliser pour nourrir le bétail sur le marché national, car il est relativement encombrant, et sa valeur est faible. La Commission a apporté un certain nombre de changements afin d'améliorer sa capacité d'accéder à l'orge à des fins d'exportation, y compris par le recours à la pratique consistant à établir des contrats pour la livraison de grain sans s'engager à en accepter la livraison. Cette pratique perturbe le marché national, puisque les producteurs de grain ignorent quel prix ils finiront par recevoir de la Commission et quels grains la Commission prendra, même si un contrat a été établi.
De plus, on ne peut espérer faire concurrence, sur le marché national, à une Commission dotée de pouvoirs monopolitisques légaux qui lui permettent de s'approprier les grains et de fixer les prix sans se préoccuper des répercussions sur le marché national. Si le gouvernement souhaite maintenir un rôle actif pour la Commission en ce qui concerne l'exportation de l'orge, sans détruire le marché national, nous suggérons que le gouvernement limite les activités de la Commission à la mise en commun (rôle qu'elle a toujours assumé) et rétablisse le système de prix initial, ce qui permettrait à l'industrie nationale d'exercer librement ses activités sur un marché au comptant. Nous suggérons aussi que la structure de la Commission prévoie la représentation des intérêts des utilisateurs nationaux, en particulier les éleveurs de bétail.
Ce sont là nos préoccupations à l'égard de cette question. Je vous remercie de votre attention.
Le sénateur Taylor: Monsieur Beever, merci. Votre présentation me laisse perplexe: alors qu'aujourd'hui, on semblait se demander si la Commission devrait être maintenue, vous évoquez la possibilité que le gouvernement maintienne un rôle actif pour la Commission en ce qui concerne l'exportation de l'orge fourragère. Vous avez aussi laissé entendre que la Commission du blé commence à être active sur le marché national des grains fourragers. Sur quoi fondez-vous cette affirmation? Je n'ai certainement pas l'impression que la Commission s'intéresse aux grains fourragers pour l'instant, ni même qu'elle songe à le faire. Êtes-vous en mesure de nous fournir des preuves de cette situation?
M. Beever: Selon notre interprétation, si le projet de loi devait être adopté, la Commission serait en mesure d'acheter de l'orge sur le marché au comptant lorsqu'elle ne dispose pas d'une quantité suffisante d'orge pour exécuter les commandes qu'elle a reçues.
Le sénateur Taylor: Vous pensez aux dispositions touchant l'«inclusion», selon lesquelles on peut voter pour inclure...
M. Beever: Non. D'après ce que j'ai compris, la Commission peut acheter de l'orge sur le marché au comptant national lorsqu'elle n'en a pas assez pour exécuter une commande faisant l'objet d'un contrat.
Le sénateur Taylor: Autrement dit, si la Commission s'engage à vendre une certaine quantité d'orge à une brasserie coréenne, par exemple, et qu'elle doit en acquérir d'autre pour exécuter la commande, elle peut en acheter sur le marché national de l'orge fourragère afin d'exécuter cette commande.
M. Beever: Elle se présenterait sur le marché au comptant et se procurerait suffisamment d'orge pour suffire à la demande pour l'exportation. Notre préoccupation tient au fait que nous nous attendons à une hausse de la demande de grains fourragers au Manitoba. Nous voulons nous assurer qu'il sera possible d'obtenir cet approvisionnement, car nous croyons pouvoir aisément l'utiliser ici même, à un prix décent, un prix juste qui ajoute de la valeur ici même. Nous croyons tout simplement qu'il y a de nombreux avantages à utiliser les grains fourragers ici au lieu de les exporter.
Le sénateur Taylor: Votre histoire me fait penser au bonhomme sept heures: je crois que quelqu'un s'amuse à vous faire peur.
Le président: Si je peux vous interrompre... faites-vous référence à l'article 39.1 de la clause 22 du projet de loi?
M. Beever: Je crois que si. Je ne connais pas le numéro exact de l'article.
Le président: La disposition se lit comme suit:
39.1 Par dérogation aux articles 32 à 39, la Commission peut conclure avec un producteur ou toute autre personne ou tout groupe de personnes un contrat pour l'achat et la livraison de blé ou de produits du blé...
ce qui, bien sûr, désigne les produits du blé ou de l'orge
... aux conditions qu'elle juge indiquées et à un prix global autre que celui fixé en conformité avec l'article 32.
S'agit-il de cette disposition?
M. Beever: Je crois que oui.
Le sénateur Hays: L'industrie de l'élevage du bétail est un autre secteur agricole. Je suppose que de nombreux producteurs peuvent chevaucher plus d'un secteur, mais nous éprouvons déjà des difficultés à trouver des moyens de concilier les divergences d'opinions au sein du secteur des grains. Si nous ajoutons des secteurs, il me semble que le processus sera d'autant plus difficile. Pourriez-vous me fournir des précisions quant au rôle des éleveurs de boeuf et de porc dans le présent processus? J'aimerais d'abord m'attacher au contexte des grains fourragers.
La subvention du Nid-de-Corbeau et les taux réglementaires, aussi appelés taux du Pas du Nid-de-Corbeau, ont irrité l'industrie de l'élevage, car ils gonflaient artificiellement le prix des grains fourragers afin d'en favoriser l'expédition vers les marchés internationaux; or, si les grains fourragers n'étaient pas subventionnés, il faudrait les vendre au pays, ce qui occasionnerait une baisse du prix. Je crois que c'est effectivement ce qui est arrivé. Il est évident que les producteurs de grain veulent obtenir le meilleur prix possible pour leur marchandise. C'est une denrée que nous vendons à l'échelle internationale.
À la lumière de ces commentaires, en quoi, selon vous, le secteur de l'élevage du bétail jouerait-il un rôle spécial dans le cadre du présent processus, prévu par le projet de loi C-4?
M. Beever: Je crois que les éleveurs de bétail seront les principaux acheteurs d'orge fourragère ou de grains fourragers cultivés au pays. Or, les producteurs de notre province s'attendent à connaître une croissance considérable. Cette croissance est des plus évidente chez les éleveurs de porcs. Nous prévoyons une croissance similaire dans le secteur de l'élevage bovin. Il y a lieu de se demander si cela s'applique aux dernières étapes de l'engraissement, mais il est certain que cela s'applique à la semi-finition et à l'engraissement préliminaire. Pour ce faire, nous devons avoir accès aux grains fourragers.
Somme toute, notre message est le suivant: nous pensons pouvoir utiliser les grains et ajouter de la valeur ici même. Nous sommes certains qu'une telle pratique serait avantageuse pour l'ensemble de l'économie provinciale et, au bout du compte, pour l'économie nationale. Compte tenu des coûts liés à l'expédition d'un boisseau d'orge de nos jours, il semble logique de conclure que l'utilisation locale de l'orge et la valeur ajoutée offrent des possibilités aux producteurs de grains. Si la croissance prévue se concrétise et que nous avons besoin d'une plus grande quantité de grains, je crois que ce sera une situation avantageuse pour les producteurs de grains, car le marché se fonde sur l'offre et la demande. Si la demande augmente, le prix finira par monter aussi.
Le sénateur Hays: Comme vous le savez, le projet de loi C-4 prévoit que les producteurs pourront participer à la prise de décisions en ce qui concerne le fonctionnement de la Commission canadienne du blé. Je vous ai peut-être mal compris, je ne me souviens pas de vos paroles exactes, mais avez-vous déclaré, dans votre présentation, que l'industrie de l'élevage du bétail devrait avoir le droit de participer à un tel processus?
M. Beever: Je ne crois pas que notre association provinciale ait fait valoir un tel point de vue. Je crois que l'association nationale présentera ses commentaires à l'occasion de la visite du comité en Alberta, soit à Calgary, soit à Edmonton. Il incomberait davantage à l'association nationale d'adopter un tel point de vue. Nous, en notre qualité d'association provinciale, on ne s'attend pas à jouer un tel rôle. Toute participation de notre part à cet égard aurait lieu par l'entremise de l'association nationale.
Le sénateur Hays: L'industrie de l'élevage du bétail a récemment fait l'objet de changements remarquables. D'après moi, le plus grand changement serait la concentration de la transformation dans une province, soit l'Alberta, et il y a lieu de se demander si cette région dispose des intrants nécessaires -- soit de l'orge ou des grains fourragers -- pour soutenir les activités de transformation.
Je m'écarte un peu du sujet, monsieur le président.
Le président: Ça va, continuez.
Le sénateur Hays: Monsieur Beever, aimeriez-vous donner vos commentaires en ce qui concerne les effets d'une telle initiative sur le prix de ces intrants, en particulier le prix du grain.
M. Beever: Je ne peux pas nécessairement parler de la situation en Alberta. Je sais que l'orge vaut un peu plus en Alberta qu'au Manitoba, mais on doit tenir compte du transport -- car il faudrait payer pour l'expédier là-bas -- et de la demande. De même, dans notre province, l'orge coûte généralement plus cher du côté est de la province, où l'on retrouve de nombreuses entreprises d'élevage de bétail, que du côté ouest, où l'on en retrouve peu pour l'instant, malgré la croissance du secteur et l'intérêt qu'on y porte.
Une des raisons qui nous pousse à croire que le potentiel existe, en particulier dans le sud-ouest et dans l'ouest de la province, est le fait que l'Alberta connaît des problèmes. On ne peut déterminer si cette province a plafonné, mais nous savons que les parcs d'engraissement y suscitent des préoccupations d'ordre environnemental. Il est certain que l'Alberta se place dans une position où elle sera incapable d'obtenir les terres dont elle a besoin pour l'épandage des déchets organiques produits dans les parcs d'engraissement. Or, au Manitoba, nous disposons d'une surface importante pouvant être utilisée à cette fin, et c'est pourquoi nous croyons que la possibilité de croissance existe.
Comme je l'ai déjà dit, nous ne sommes ici que pour veiller à ce que les grains fourragers continuent d'être produits et à nous assurer que rien n'incitera les agriculteurs à cesser d'en produire, car la croissance du secteur de l'élevage du bétail dépend du producteur de grains fourragers. C'est absolument essentiel.
Le sénateur Hays: Un des participants précédents a déclaré qu'il avait vendu du blé à haute valeur meunière à un acheteur qui avait beaucoup d'orge; cette orge a ensuite été expédiée aux autres provinces -- en Alberta, je suppose -- , à 3,25 $ le boisseau. J'imagine que la valeur de substitution et la conjoncture du marché rendaient la transaction avantageuse. Savez-vous si ce type de transaction est commun? Est-ce une transaction typique?
M. Beever: Je ne produis pas beaucoup de grain, et je ne prête pas une grande attention au secteur du grain. Je ne crois pas pouvoir répondre à votre question.
Le sénateur Taylor: J'imagine que cette question est peut-être propre à l'Alberta -- je suis un sénateur de l'Alberta -- , mais j'ai cru comprendre que, dans l'industrie de l'élevage bovin, l'engraisseur, qui est en quelque sorte un intermédiaire entre le consommateur et le naisseur, est un important acheteur de grain. Si l'engraisseur n'arrive pas à vendre ses veaux moins intéressants, il doit réduire son prix. Le producteur de grain est dans la même situation: il doit aussi accepter un prix moindre. Il est inutile d'aller se plaindre à la banque. Bien sûr, quel que soit le prix que vous payez pour le grain, vous n'êtes qu'un intermédiaire et vous ajoutez le surplus au montant que doit payer, par exemple, Safeway, pour obtenir du boeuf. Peut-on vraiment dire que le prix du grain joue un rôle important? De toute façon, si vous obtenez du grain à un prix plus abordable, Safeway en profite pour vous opposer à vos concurrents pour obtenir du boeuf à prix moindre. Vous n'êtes qu'un intermédiaire, alors que le producteur du veau ou du grain n'a pas de marge de manoeuvre. Je simplifie les choses, et je vous dis que vous ne pouvez perdre, à moins d'effectuer des achats stupides, car vous n'avez qu'à refiler la note au consommateur.
M. Beever: Je voudrais seulement vous signaler que je suis non pas engraisseur, mais bien naisseur, et que je connais l'effet qu'entraîne l'orge à 4 $ sur mes veaux. Les répercussions sont directes.
Le sénateur Taylor: Ce secteur est effectivement touché, mais quel pourcentage du prix total le naisseur touche-t-il avant que le produit ne se rende sur les tablettes de Safeway?
M. Beever: Je ne suis pas certain de comprendre votre question.
Le sénateur Taylor: Vous avez un veau, et vous vendez ce veau à un engraisseur qui va l'engraisser. Quel pourcentage du prix total du veau (c.-à-d. le prix payé par le consommateur) touchez-vous?
M. Beever: Eh bien, si j'étais passé au parc à bestiaux en chemin, je serais peut-être plus en mesure de vous répondre. J'en ai quelques-uns qui seront acheminés là cet après-midi. En général, selon l'année, le prix d'un veau nouveau-né serait probablement exprimé en dollars par livre, peut-être même plus. Le prix est fonction du poids du veau et d'un grand nombre d'autres facteurs. Plus le veau est léger, plus sa valeur est élevée.
Le sénateur Taylor: Pourrait-on dire que l'engraisseur ajoute 1 000 livres?
M. Beever: À titre de naisseur, on toucherait normalement de 60 à 70 cents la livre pour un veau nouveau-né; par la suite, après l'engraissement, le prix peut tourner autour de 85 cents la livre. À l'heure actuelle, je crois que le prix est un peu plus élevé que 80 cents la livre pour un bouvillon de 1 200 livres, ce qui donne un prix d'environ 1 000 $. On parle peut-être d'un revenu de 400 $ pour l'engraissement, une fois les coûts payés. Le coût total est peut-être inférieur à cela.
Le sénateur Taylor: Existe-t-il un vrai marché, libre et concurrentiel, entre le boeuf engraissé et la boucherie, le Safeway ou la chaîne de supermarché? Est-ce que les prix fluctuent en fonction du prix demandé par l'engraisseur?
M. Beever: Les fluctuations sont assez considérables. De nombreux exploitants de parcs d'engraissement recourent maintenant à des contrats, ce qui signifie qu'ils se fient aux opérations à terme. Ils tiennent compte de leurs coûts ou de leur prix, et fixent de façon définitive les quantités de grain et les montants. Dans certains cas, ils peuvent subir une perte, mais il vaut mieux subir une petite perte qu'une grosse perte. Ils utilisent tous les avantages et les outils d'établissement des prix dont ils disposent afin de réduire au minimum les risques.
Le sénateur Taylor: J'avais l'impression que de l'orge à prix modique, même à moitié prix, aurait peu de répercussions sur le naisseur, car toute différence serait absorbée par ses clients.
M. Beever: Nous ne suggérons pas une baisse du prix de l'orge. Tout ce que nous voulons, c'est que le système continue de permettre la production et que les agriculteurs continuent d'en cultiver. De fait, si le prix de l'orge était trop bas, les producteurs cesseraient d'en cultiver, et l'effet sur notre industrie serait dévastateur. Nous croyons pouvoir faire concurrence. Même s'il est vrai que de l'orge à 4 $ le boisseau aurait des répercussions considérables, nous estimons que le système permet d'établir un juste équilibre. Loin de nous l'intention de décourager les producteurs de cultiver de l'orge, car nous en avons besoin. L'industrie en a besoin. Que ce soit pour l'élevage bovin ou porcin, nous avons besoin de grain fourrager.
Le président: Honorables sénateurs, si vous n'avez plus de questions, je vais remercier les participants de leurs présentations. Nous passerons donc au prochain groupe.
Accueillons maintenant les représentants de la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante, M. Dan Kelly et Mme Marilyn Braun. Mme Braun est directrice pour la Saskatchewan, et M. Kelly directeur pour le Manitoba.
M. Dan Kelly, directeur, affaires provinciales, Manitoba, Fédération canadienne de l'entreprise indépendante: Monsieur le président, nous tenons à vous remercier de cette occasion de vous présenter nos commentaires. Comme vous l'avez mentionné, je suis directeur de la FCEI au Manitoba et ma collègue, Marilyn Braun, est directrice pour la Saskatchewan. Si vous n'avez pas d'objection, Marilyn présentera quelques commentaires préliminaires, et je terminerai notre présentation.
Mme Marilyn Braun, directrice, affaires provinciales, Saskatchewan, Fédération canadienne de l'entreprise indépendante: Honorables sénateurs, en ma qualité de directrice du bureau de la FCEI de la Saskatchewan, je proviens d'un milieu rural et agricole. De fait, j'ai grandi sur une ferme. Ma famille exploite une ferme mixte, située à Beechy, en Saskatchewan.
Comme vous le savez peut-être, la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante est membre de la coalition s'opposant au projet de loi C-4, coalition de quinze groupes de producteurs spécialisés et de groupes commerciaux qui ont uni leurs forces en vue de s'opposer aux dispositions d'«inclusion» de ce projet de loi. C'est sur cette disposition que la FCEI mettra l'accent cet après-midi.
Pour commencer, nous désirons présenter au comité un bref aperçu de la FCEI et de ses activités dans les secteurs de l'agriculture et des activités commerciales agricoles. Fondée en 1971, la Fédération est un groupe national d'action politique sans but lucratif qui représente la petite et moyenne entreprise. Elle compte 88 000 membres partout au Canada, et représente environ 5 000 propriétaires d'entreprises agricoles d'un océan à l'autre. De fait, nous comptons à peu près 2 000 membres propriétaires d'entreprises agricoles dans les provinces de l'Alberta, de la Saskatchewan et du Manitoba, et nombre d'entre eux sont des producteurs de grain.
La FCEI effectue régulièrement des enquêtes auprès de ses membres concernant diverses questions liées aux politiques gouvernementales afin, par exemple, d'obtenir le point de vue de nos membres qui exploitent une entreprise agricole. Certaines de ces enquêtes agricoles se limitent à la région des Prairies, et d'autres ont une portée plus nationale.
Bon nombre de nos membres du secteur agricole ont manifesté des préoccupations concernant la Commission canadienne du blé et, en particulier, le monopole qu'elle exerce sur la commercialisation du grain dans la région des Prairies. L'année dernière, la FCEI a comparu devant le comité permanent de l'agriculture et de l'agroalimentaire de la Chambre des communes pour présenter les vues de ses membres à propos du projet de loi C-4. Malgré l'opposition quasi unanime qu'a suscitée le projet de loi, la Chambre des communes a, comme vous le savez, décidé de l'adopter. Étant donné l'importance de ces préoccupations, la FCEI a jugé qu'il était extrêmement important de présenter à votre comité, cet après-midi, les vues et les préoccupations de ses membres à propos de la réforme de la Commission du blé.
Nous tenons également à mentionner que nous avons été très déçus par la façon dont le gouvernement a choisi d'adopter le projet de loi à la Chambre des communes. En particulier, nous avons été consternés par le fait que le ministre Goodale impose le bâillon pour ensuite proposer une modification de la disposition d'«inclusion» quelques heures seulement avant l'adoption du projet de loi. Les partis d'opposition n'ont pratiquement pas eu le temps d'étudier la proposition pour déterminer si elle répondait aux préoccupations exprimées.
Sans entrer plus en détail dans l'analyse ou la sincérité de la modification proposée, on doit en venir à la conclusion que cet effort de dernière minute semble indiquer que le gouvernement commence enfin à prendre conscience des graves répercussions négatives du projet de loi. C'est ce qui ressort clairement des témoignages que vous avez entendus jusqu'ici aujourd'hui. Nous croyons que le Sénat est, de ce fait, bien placé pour jouer un rôle important dans la modification du projet de loi.
Comme je l'ai déjà indiqué, la FCEI, depuis déjà un certain nombre d'années, exprime les préoccupations de ses membres concernant la réforme de la Commission du blé. Pour recueillir les vues de ses membres à ce propos, la FCEI a, au cours des trois dernières années, réalisé un certain nombre d'enquêtes sur cette importante question. Nous avons annexé à votre intention des tableaux où les résultats de ces enquêtes sont ventilés en détail. On y retrouve des analyses par groupes de produits et par province, et je me contenterai simplement de faire ressortir certaines des conclusions que nous avons annexées à votre profit.
En août 1995, 83,1 p. 100 de nos membres des Prairies oeuvrant dans le secteur du commerce agricole étaient favorables au concept de la double commercialisation pour les ventes de grains régies par la Commission canadienne du blé. Cet appui était constant dans tous les groupes de produits et dans toutes les provinces des Prairies.
En avril 1996, 86,3 p. 100 de nos membres des Prairies oeuvrant dans le secteur du commerce agricole se sont prononcés en faveur de la double commercialisation dans le marché intérieur -- c'est-à-dire que la double commercialisation serait confinée au marché canadien et aux projets locaux à valeur ajoutée.
En janvier dernier, près des trois quarts de nos membres des Prairies oeuvrant dans le secteur du commerce agricole ont rejeté le projet visant le maintien de toute la commercialisation de l'orge dans le régime de commercialisation à comptoir unique de la Commission canadienne du blé. Dans la même enquête, environ 70 p. 100 de nos membres des Prairies oeuvrant dans le secteur du commerce agricole ont indiqué qu'ils étaient quelque peu insatisfaits ou très insatisfaits des modifications de la commercialisation du grain proposée par le gouvernement dans le projet de loi C-72.
En août de l'année dernière, nous avons réalisé une enquête qui a produit certains résultats très intéressants. Après avoir sondé ses membres de la communauté des petites entreprises en général au Manitoba et en Saskatchewan, la FCEI a constaté qu'une très forte majorité d'entre eux, soit 78 p. 100, estiment qu'un secteur agricole en santé est crucial ou très important pour leur réussite. Dans la même enquête, 60 p. 100 de l'ensemble de nos membres dans ces provinces ont affirmé que les agriculteurs devraient avoir la possibilité de choisir qui se chargera de la commercialisation de leur grain.
Tout récemment, soit en janvier de cette année, nous avons réalisé une enquête au sujet des offices de commercialisation, et nous avons constaté que plus des deux tiers de nos membres des Prairies oeuvrant dans le secteur céréalier étaient insatisfaits ou très insatisfaits du rendement de la Commission canadienne du blé. De la même façon, 75 p. 100 des répondants ont dit souhaiter avoir la possibilité de commercialiser leur grain en marge de la Commission.
Voilà qui vous donne une idée des résultats de nos enquêtes. Comme je l'ai mentionné, les analyses sont annexées à notre mémoire.
C'est Dan Kelly qui présentera le reste de notre exposé.
M. Kelly: Comme le démontrent les résultats que Marilyn vient d'exposer, les membres du secteur agroalimentaire et les membres en général de la FCEI souhaitent que les agriculteurs disposent d'une marge de manoeuvre plus grande dans la commercialisation de leurs produits. Dans toutes les enquêtes que la FCEI a réalisées au sujet de la Commission du blé, ses membres -- les agriculteurs comme les autres -- ont dit préférer la double commercialisation.
Je dois avouer avoir été très touché par le témoignage d'un transformateur d'ici, au Manitoba, Pizzey's Milling and Baking. Il vous a bien décrit, je pense, les retombées à valeur ajoutée de l'agriculture ici, au Manitoba. Il a évoqué les avantages que sa société procure à d'autres entreprises locales du point de vue de la recrudescence d'activités dans le secteur du camionnage et d'autres activités du genre. Voilà précisément le genre d'approche qui intéresse nos PME, et c'est pourquoi même les non-agriculteurs qui comptent parmi nos membres s'intéressent à cet enjeu très important.
La déception de nos membres à l'endroit du projet de loi précédent, le projet de loi C-72, semble porter principalement sur l'absence d'options concernant la mise en marché du blé et de l'orge. La FCEI estime que le gouvernement a raté une belle occasion de permettre aux producteurs d'orge de se prononcer sur la notion de double commercialisation. La décision du gouvernement d'obliger les agriculteurs à répondre par oui ou par non a aggravé une situation déjà tendue, sans rapprocher les producteurs.
La FCEI juge qu'il est également important de tenir compte du point de vue des propriétaires d'entreprises non agricoles dans l'analyse de ces questions qui revêtent une grande importance dans l'ensemble des Prairies. Étant donné que moins de 6 p. 100 des petites entreprises du Manitoba et de la Saskatchewan ont affirmé que l'agriculture n'avait aucune incidence sur leurs activités, l'avenir de la Commission canadienne du blé représente pour elles aussi un enjeu important. La politique de commercialisation du grain n'affecte par que les producteurs primaires des collectivités rurales; elle influe aussi sur les fabricants, les détaillants et les entreprises du secteur des services, à Winnipeg, à Regina et dans d'autres centres urbains. Même à Winnipeg, les propriétaires de petites entreprises qui s'étaient fait une opinion se sont prononcés pour la double commercialisation dans une proportion de près de quatre pour un. À Regina, le rapport était de près de six pour un; à Saskatoon, les petites entreprises se sont prononcées en faveur de la double commercialisation dans une proportion de près de sept pour un.
Je pense qu'il importe qu'on ne l'oublie pas parce que ces préoccupations sont tout aussi importantes à Winnipeg et dans d'autres grands centres urbains qu'elles le sont dans les collectivités rurales. Par exemple, il arrive souvent que la Commission canadienne du blé brandisse l'exemple d'une poignée de petites entreprises qui disent avoir des craintes quant à la sécurité et à la certitude de leur approvisionnement et, donc, à leur capacité de produire. On utilise ainsi un petit fabricant de pâtes alimentaires ou même un brasseur, qui disent craindre que, si la Commission canadienne du blé ne les approvisionne pas en grain, leur capacité de mettre leurs produits en marché ne soit compromise.
Bon nombre de nos membres qui sont mêlés de façon intrinsèque à toute cette question rejettent cette préoccupation du revers de la main. En fait, ils affirment que la double commercialisation répondrait très bien à leurs besoins. Plutôt que d'entrer dans le débat qui entoure la marge de manoeuvre plus grande qu'il convient ou non d'accorder aux producteurs de blé et d'orge, nous sommes cependant ici aujourd'hui pour insister sur la latitude dont doivent continuer de bénéficier les producteurs de canola, d'avoine, de lin et de seigle.
La FCEI est consternée d'apprendre que le gouvernement fédéral envisage de donner suite à des projets qui entraîneraient la création de nouveaux monopoles lorsque, en fait, nos membres et le monde agricole en général exigent qu'on en réduise le nombre. Les dispositions législatives proposées font fi de besoins bien réels, à savoir une marge de manoeuvre plus grande et un meilleur accès aux marchés. Nous nous demandons pourquoi le gouvernement fédéral accepterait de déposer un tel projet de loi, étant donné que les groupes qui représentent les produits éventuellement touchés s'opposent à la commercialisation à comptoir unique. À notre connaissance, il n'y a pas de mouvement important de producteurs de canola, d'avoine, de lin ou de seigle souhaitant être associé au monopole de la CCB.
Nous craignons aussi que la procédure de création d'un monopole ne donne aux partisans d'un système de commercialisation à comptoir unique la possibilité de se livrer à des abus considérables. La question de savoir qui est habilité à représenter les producteurs céréaliers concernés fera l'objet d'un débat important entre les agriculteurs et le gouvernement.
Nous notons aussi avec intérêt que nos partenaires commerciaux nourrissent déjà des préoccupations à propos du statut actuel de monopole dont jouit la CCB. Ces préoccupations seraient sans nul doute ravivées par l'adoption du projet de loi C-4. En fait, celui-ci pourrait donner naissance à des monopoles céréaliers entièrement nouveaux. Les céréales potentiellement touchées comptent parmi les secteurs de l'économie agricole dont la croissance est la plus marquée. Cette croissance a donné naissance à un grand nombre de débouchés commerciaux à valeur ajoutée réels ou potentiels dans tout l'Ouest canadien. Nous craignons qu'une modification radicale du régime de commercialisation ne limite ces débouchés à l'avenir.
Je crois que c'est précisément pourquoi les premiers ministres Klein et Filmon se sont donnés la peine d'écrire au premier ministre Chrétien à propos de la disposition d'«inclusion». En fait, ils ont demandé qu'on la laisse tomber.
L'élément le plus important, c'est que nous craignons que cette disposition d'«inclusion», de par son existence même, ne divise encore davantage le monde agricole. En même temps qu'il tente de conférer aux producteurs une mainmise plus grande sur la Commission, le projet de loi plonge cette dernière dans le débat sur la question du monopole. Les élections à la Commission canadienne du blé devraient porter sur la capacité d'un candidat de contribuer au fonctionnement d'un important organisme de commercialisation du grain, et non sur le débat qui oppose les partisans et les adversaires du monopole. Voilà peut-être pourquoi le gouvernement fédéral juge nécessaire de nommer un certain nombre de membres du conseil. Quelqu'un devra se charger de faire tourner la machine, tandis que l'attention des membres élus du conseil sera détournée vers la question de la commercialisation à comptoir unique.
Les membres de la FCEI se sont massivement prononcés en faveur de l'octroi d'une marge de manoeuvre plus grande aux producteurs de blé et d'orge, et non pour la restriction des options dont bénéficient les producteurs de lin, de canola, d'avoine et de seigle. Nous pressons le comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts de rejeter et d'abroger la disposition d'«inclusion», qui est un élément inutile, fractionnel et potentiellement destructeur du projet de loi. Nous recommandons que le Parlement se concentre plutôt sur le but important que constitue la réforme du régime canadien de commercialisation du grain en conférant une marge de manoeuvre plus grande aux producteurs de blé et d'orge.
Je vous remercie de l'occasion que vous nous avez donnée de présenter le point de vue de nos membres devant vous ici, aujourd'hui.
Le sénateur Taylor: Vous avez dit que la menace que représente une disposition d'«inclusion» risque, à votre avis, de déstabiliser le marché parce que la menace est bel et bien présente. Pourtant, vous allez en revanche jusqu'à dire que l'on devrait également supprimer la disposition d'«exclusion». Ce faisant, ne déstabiliserait-on pas le marché de l'orge et du blé? Dans un cas, vous dites qu'il y aura déstabilisation. Ici, vous utilisez des arguments contraires. Dans l'autre, vous dites que nous devrions abroger la disposition. L'argument qui s'applique à l'«inclusion» devrait aussi s'appliquer à l'«exclusion».
M. Kelly: En poussant l'argument plus loin, on pourrait même affirmer que les organisations qui, comme la nôtre, souhaitent qu'on accorde aux agriculteurs une plus grande marge de manoeuvre, devraient, en fait, être favorables au maintien de la disposition d'«inclusion» dans le projet de loi, tout en prônant uniquement la suppression de la disposition d'«exclusion». Pour être conséquents, nous avons laissé entendre que les dispositions d'«inclusion» et d'«exclusion» devraient toutes deux être abrogées et qu'on devrait laisser au Parlement le soin de désigner les produits qui devraient être inclus ou exclus.
Je pense que nous nous montrerions complaisants en laissant entendre qu'il convient de supprimer la disposition d'«inclusion» mais de garder la disposition d'«exclusion» dans le projet de loi, ou encore d'assortir ce dernier d'une meilleure disposition d'«exclusion». Nous avons choisi de ne pas le faire. En fait, nous avons dit: «Éliminez les deux dispositions. Laissez aux politiciens le soin de prendre les décisions politiques, et laissez aux membres élus de la nouvelle Commission canadienne du blé le soin de prendre les décisions administratives.»
À mon avis, c'est ce dédoublement qui fait que le débat s'est enlisé au point où il l'est aujourd'hui. En raison de la disposition d'«inclusion» qui fait partie du projet de loi, une bonne partie de la pensée créatrice qu'on aurait pu appliquer aux questions touchant la commercialisation du grain a été perdue.
Le sénateur Spivak: Dans vos enquêtes, vous avez fait référence aux «membres des Prairies qui oeuvrent dans le secteur du commerce agricole». De qui s'agit-il? Combien sont-ils? Quel est le pourcentage des membres appartenant au secteur par rapport à celui des producteurs et des agriculteurs?
M. Kelly: Une fois de plus, la FCEI est une organisation nationale qui représente de petites entreprises. La FCEI représente de nombreux agriculteurs depuis les tout premiers jours de sa création. Au cours de la dernière année, on a toutefois été témoin d'une augmentation très rapide du nombre de nos adhérents. Nous comptons 88 000 membres aux quatre coins du Canada. Environ 17 000 d'entre eux se trouvent dans les Prairies. À l'échelle nationale, nous représentons 5 000 membres qui oeuvrent dans le secteur du commerce agricole, dont environ 2 000 dans les Prairies.
Par «entreprise du secteur du commerce agricole» nous entendons non seulement les producteurs primaires, mais aussi d'autres sociétés, qu'il s'agisse de marchands d'engrais chimiques ou d'autres entreprises associées à une diversité d'activités dérivées, toutes directement liées au secteur agricole.
Parmi les 2 000 entreprises en question -- et ici je ne fais qu'une estimation -- , je crois qu'au moins 50 p. 100 sont des producteurs primaires. En fait, certains d'entre eux ont comparu devant vous ce matin. Peut-être trois ou quatre des témoins d'aujourd'hui sont, de fait, des producteurs d'orge ou de blé membres de la FCEI. Nous représentons un vaste échantillonnage d'entrepreneurs. Je tiens à établir très clairement que, en comparaissant ici aujourd'hui, nous ne cherchons pas à faire croire que nous sommes un simple groupement agricole parce que ce n'est pas là le mandat de la FCEI.
Le sénateur Spivak: Vos membres du secteur du commerce agricole qui sont des producteurs doivent-ils, pour être admis, posséder une exploitation d'une taille donnée, ou admettez-vous une personne qui cultive 100 acres?
M. Kelly: On nous appelle la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante, et la plupart des gens se trompent et nous appellent la confédération canadienne des petites entreprises. Nous ne représentons que des producteurs de petite et de moyenne taille. Nous ne représentons pas de grandes entreprises. Nous ne représentons pas de sociétés dont les actions sont cotées en Bourse. Tous nos membres possèdent des entreprises de petite taille. En fait, 75 p. 100 de nos membres, qu'il s'agisse des agriculteurs ou de nos membres en général, comptent moins de cinq employés. Par conséquent, nous représentons les plus petits d'entres les petits producteurs -- les petits producteurs et les petites entreprises en général. Une fois de plus, 75 p. 100 de nos membres comptent moins de cinq employés, et 90 p. 100, moins de dix.
Le sénateur Spivak: Je veux bien comprendre. Les chiffres que vous produisez s'appliquent à environ 1 000 producteurs primaires. Lorsque vous avancez un chiffre de 83 p. 100, il s'agit peut-être de 1 000 personnes pouvant être considérées comme des agriculteurs.
M. Kelly: Voilà. En toute justice, je dois également ajouter qu'on ne peut tenir pour acquis qu'ils ont tous répondu. Il s'agit simplement d'un échantillonnage de ces producteurs.
Le sénateur Stratton: Si je puis me permettre une question supplémentaire, vous faites directement référence, au bas de la page 2, à 67,5 p. 100 des producteurs de grain des Prairies qui sont membres de la FCEI, par opposition aux membres qui oeuvrent dans le secteur du commerce agricole.
M. Kelly: C'est juste.
Le sénateur Stratton: Ainsi donc, vous avez fait une distinction.
M. Kelly: Oui. En fait, nous répartissons nos résultats selon des catégories très précises. Nous pouvons en fait vous dire ce que nous ont dit ceux de nos membres qui cultivent de l'orge et ceux de nos membres qui cultivent du grain. Si vous le voulez, je serai heureux de vous remettre une copie de ces rapports.
Le sénateur Hays: Vous avez dit dans votre exposé que la Commission canadienne du blé produit quelques petites entreprises à valeur ajoutée qui la favorisent et, lorsque vous avez parlé au nom de vos commettants ou de vos membres, vous avez déclaré que ce n'est habituellement pas le cas. Je me demande si vous pourriez préciser les motifs selon l'une ou l'autre optique. Pourquoi la Commission est-elle capable de donner lieu à des petites entreprises qui la favorisent, alors que vos petites entreprises ne la favorisent pas?
M. Kelly: Eh bien voici. Comme quiconque d'entre vous qui connaît la FCEI le dira, nous effectuons des sondages auprès de nos membres pour toute question de politique publique et acheminons les résultats bruts, favorables ou pas, aux décideurs du secteur public. Ainsi, nous avons des membres qui favorisent effectivement le monopole, mais ils forment une très petite partie des répondants.
Le sénateur Stratton: Je comprends cela, mais pourquoi, précisément, certains favorisent-ils la Commission alors que d'autres ne la favorisent pas, du point de vue d'une petite entreprise non productrice de grain?
M. Kelly: Je ne pense pas que je vous donnerais une image complète de la question si je ne vous disais pas que la raison pour laquelle nos membres pensent ainsi est en partie affaire de principe. Laissez-moi vous l'expliquer ainsi: un vendeur de voitures, qui vend sa marchandise à qui il veut, ne peut comprendre pourquoi un producteur de grain, qui vend lui aussi un produit légal, ne peut le vendre à qui il veut. Je pense que cette question de principe a beaucoup à voir avec tout ceci. Nos membres, qui sont des propriétaires de petites entreprises, ont beaucoup de mal à croire qu'il y a des gens qui produisent des produits, mais qui n'ont pas le droit de les vendre à qui ils veulent. Je pense que c'est là une partie de l'équation.
Il y a aussi la question des gens qui ont un intérêt matériel pour l'agriculture. En fait, comme le montre le sondage, plus de 78 p. 100 des répondants ont affirmé que l'agriculture était aussi cruciale ou importante pour la petite entreprise en général que pour la leur.
Au Manitoba, l'agriculture représente, je crois, moins de 10 p. 100, environ, du produit intérieur brut de la province. C'est beaucoup moins que par les années passées. On pourrait penser que les entreprises, et particulièrement les petites entreprises, ne se préoccupent pas vraiment de ce qui arrive à l'agriculture, parce que celle-ci ne représente qu'un faible pourcentage du produit intérieur brut. En fait, nos analyses révèlent que ce n'est pas le cas. Nos membres croient vraiment qu'une politique qui favorise l'agriculture favorise également la petite entreprise et que si les agriculteurs en profitent, ils en profiteront eux aussi.
Si vous exploitez un restaurant à Brandon, une bonne part de votre clientèle proviendra du secteur agricole. Si vous exploitez un hôtel à Winnipeg, là encore, une bonne part de vos clients se recrutent parmi les agriculteurs. Il nous faut tenir compte du fait que nous sommes tous interdépendants et que les affaires des propriétaires des petites entreprises dépendent énormément de la vigueur du secteur agricole.
De l'autre côté de l'équation, on retrouve des gens qui estiment peut-être que la Commission du blé fournit du grain canadien de grande qualité. Je n'ai nullement l'intention de remettre ça en doute. Cependant, on aurait tort de prétendre que la Commission canadienne du blé est le seul groupe au Canada apte à livrer du grain de grande qualité, et que si elle n'existait pas, la qualité du grain canadien se détériorerait.
Le sénateur Hays: Outre les gens dont la motivation est idéologique, quels facteurs motivent, sur le plan strictement monétaire, les partisans des deux côtés de la question?
M. Kelly: Eh bien, l'un d'eux est que les agriculteurs...
Le sénateur Hays: Je parle de ceux de vos membres qui n'exploitent pas une ferme.
M. Kelly: En ce qui concerne l'intérêt de nos membres qui n'exploitent pas une ferme, nombre de nos propriétaires d'entreprise indépendante qui ne sont pas eux-mêmes agriculteurs estiment qu'un patron d'entreprise sera meilleur et plus efficace s'il peut avoir prise sur tous les aspects de ses activités. Il y a une différence entre un agriculteur qui se juge de cette façon et un autre qui n'estime être qu'un agriculteur. Je ne veux pas dire que l'agriculture n'est pas un mode de vie, loin de là; mais l'agriculture est aussi une entreprise et c'est à ce titre qu'on devrait l'envisager.
Les gens qui ne se considèrent que comme des producteurs, qui cultivent simplement le grain, et se contentent de le livrer au silo-élévateur sont peut-être ceux qui appuient le plus la Commission du blé, mais un nombre important de producteurs et d'agriculteurs veulent avoir prise sur tous les aspects de leurs activités, depuis les semailles jusqu'à la livraison du grain et à tous les aspects de sa mise en marché. Je pense que nos membres, ceux qui n'ont pas un lien avec la ferme, jugent que ces gens sont très semblables à eux pour ce qui est de l'administration de leur entreprise, et ils en voient les retombées éventuelles.
Les gens comme M. Pizzey ont tout intérêt, compte tenu de la nature de leur entreprise, à faire en sorte que quelque chose comme ça se produise, parce que cela les aiderait à mettre sur pied une entreprise susceptible d'empêcher leurs enfants de quitter leur collectivité. Selon moi, la question du monde et de la population a beaucoup à voir dans ce débat. Les propriétaires de très petites entreprises en région rurale ne veulent pas que les jeunes délaissent la ferme pour aller travailler dans les grands centres urbains, car ils ont eux-mêmes besoin de cette main-d'oeuvre pour leur propre entreprise. Ils essaient alors de trouver des façons d'amener les agriculteurs à exploiter leur ferme comme une entreprise et à s'occuper de tous les aspects de leur fonctionnement, et nombre de jeunes agriculteurs sont maintenant enclins à s'occuper de toutes les facettes de l'exploitation de la ferme. Ce faisant, ils seront peut-être plus enclins à demeurer dans leur collectivité rurale et à fournir la main-d'oeuvre dont auront besoin nombre d'entreprises rurales dans l'avenir. C'est là l'un de leurs intérêts.
Je ne suis probablement pas le mieux qualifié pour parler de l'autre côté du débat. Vous avez eu et aurez probablement d'autres personnes qui appuient le système de coopérative de vente à guichet unique et qui seront plus habiles que moi pour vous présenter ces arguments.
Le sénateur Hays: Un des vos arguments, c'est que la Commission pourrait, dans sa forme actuelle, nuire à notre relation avec des partenaires commerciaux. Nous savons tous que les Américains sont nos plus importants partenaires commerciaux, et la plupart des exemples des piètres services qu'offre la Commission aux agriculteurs émanent de personnes qui pourraient avoir une option de vente aux États-Unis. Cette option serait plus favorable que celles qu'ils pensent avoir ou que celles qu'ils ont effectivement avec la Commission, comme l'a si bien souligné l'un des témoins qui a comparu plus tôt aujourd'hui.
Lorsque nous délaissons le marché de notre propre pays, nous constatons qu'il y a beaucoup de distorsion dans le marché. Des témoins ont mentionné ce fait aujourd'hui en ce qui concerne les États-Unis, où la situation est en train de changer, mais où les projets de loi sur l'agriculture adoptent généralement des façons différentes d'appuyer l'agriculture. Qu'ils le fassent au moyen d'un programme de réserve de terre sous conservation, d'un programme d'amélioration des exportations ou d'une autre façon, ils font preuve de beaucoup d'imagination. En dépit des pressions qu'exercent sur eux les négociations internationales, les Américains font preuve de beaucoup d'imagination pour trouver des façons d'appuyer l'agriculture, et les Européens en manifestent encore plus. Je me demande ce que vous pensez de tout cela.
Votre organisation affirme que le Canada devrait être sensible aux préoccupations de nos partenaires commerciaux, mais nos partenaires commerciaux ne sont pas totalement innocents. Alors j'aimerais avoir vos commentaires sur cette question, parce que vous l'avez soulevée. Je pense que vous êtes les premiers à l'avoir soulevée si directement. Devrions-nous reculer? Devrions-nous pousser les choses plus loin, lorsqu'elles ne sont pas liées à une négociation, pour tenter de faire en sorte que ce genre de choses, qui nous font si mal, cessent dans d'autres régions ou d'autres pays?
M. Kelly: À mon avis, oui. Même si le dossier du Canada n'est pas totalement irréprochable en ce qui concerne la subvention de la communauté agricole ou la création de structures qui pourraient être jugées anticoncurrentielles par nos partenaires commerciaux internationaux, je suis d'accord avec vous pour dire que d'autres pays n'ont pas de quoi se vanter et sont loin d'avoir eux-mêmes un dossier vierge. Je ne veux pas laisser entendre que le Canada devrait cesser de profiter de ce genre de situation lorsqu'elles existent.
Par contre, j'estime que la disposition d'«inclusion» ferait en sorte d'empirer une situation déjà mauvaise. Nos partenaires commerciaux voient déjà d'un oeil plutôt mauvais le monopole qu'exerce déjà l'État canadien sur le commerce du blé et de l'orge. Selon moi, la simple idée d'étendre encore ce monopole aurait pour effet de relancer un débat dont le Canada n'a tout simplement pas besoin. Nous devrions entreprendre d'exercer des pressions auprès des Américains pour qu'ils réduisent certaines de leurs subventions et qu'ils mettent en veilleuse certaines de leurs institutions anticoncurrentielles, plutôt que d'en créer nous-mêmes de nouvelles pour demeurer compétitifs. Je pense que cela est tout à fait conforme aux engagements envers la libéralisation du commerce pris par le gouvernement actuel et ceux qui l'ont précédé. C'est dans ce contexte que nous en faisons une préoccupation.
Je sais que d'autres membres de la coalition contre le projet de loi C-4 ont en fait été rejoints par des législateurs américains qui sont intéressés par le projet de loi C-4 et ce qu'il suppose pour l'institution qu'est la Commission canadienne du blé. Je ne pense pas que le principal argument qui milite contre la disposition d'«inclusion» soit le fait que les Américains ne l'aiment pas. Je pense qu'il y a déjà suffisamment de raisons pour ne pas aimer cette disposition ici au Canada pour en justifier le rejet; cependant, la situation est tout de même préoccupante.
Le sénateur Hays: Peut-être que le moment n'est pas bien choisi, mais je me demandais simplement si la coalition contre le projet de loi C-4 nous dirait à un moment ou à un autre comment elle se finance, et comment, de façon générale, elle structure sa campagne.
M. Kelly: Nous serons heureux de répondre à cette question.
Mme Braun: Comme vous l'avez mentionné, la coalition contre le projet de loi C-4 est formée de diverses organisations, et elle est fondamentalement un rassemblement de divers intérêts. Chacun d'entre nous apporte les connaissances et les préoccupations des divers commettants. Vous voulez savoir comment est financée la coalition?
Le sénateur Hays: Oui.
Mme Braun: La coalition n'est pas financée. Chaque groupe y arrive de façon autonome. La rédaction des mémoires, et cetera se fait au bureau de chaque groupe. Nous décidons, par exemple, de rédiger un mémoire, et nous passons à notre bureau le temps voulu pour le rédiger, mais en ce qui concerne le financement, la coalition ne reçoit aucun financement spécifique. Ce sont tous des groupes indépendants.
M. Kelly: Notre dépense la plus importante est une conférence téléphonique occasionnelle. Nous n'avons presque rien dépensé. C'est un genre de groupe très informel qui s'est formé uniquement pour le projet de loi en question, en fait, pour la disposition d'«inclusion», plus précisément, mais la coalition vient témoigner devant vous en tant que coalition.
Le sénateur Hays: Ainsi donc, les documents ou la publicité n'émanent pas de vous? Vous n'avez aucune dépense?
M. Kelly: Je ne pense pas que nous ayons fait de publicité.
Mme Braun: Nous n'avons fait aucune publicité.
Le sénateur Spivak: Avez-vous dit que certains des témoins qui ont comparu devant nous sont des membres de la coalition dont nous avons entendu parler?
M. Kelly: Non. Je suis désolé. Je disais que certaines de ces personnes étaient membres de notre association, la FCEI.
Mme Braun: La coalition viendra présenter un témoignage distinct la semaine prochaine.
Le sénateur Fairbairn: J'ai une question qui découle de votre discussion et de vos commentaires sur la disposition d'«inclusion», qui ont été très clairs. Si je vous ai bien compris, vous disiez aussi que votre groupe serait satisfait si l'on éliminait l'inclusion et l'exclusion. Qu'en est-il de la notion présentée par le ministre aux derniers jours ou aux derniers moments du débat en Chambre au sujet de la possibilité, à ce moment-là -- et nous croyons savoir que c'est encore possible -- qu'on élimine ou qu'on retire les deux dispositions? Que pensez-vous des commentaires formulés par d'autres instances aujourd'hui, selon lesquelles toute modification des dispositions d'exclusion ou d'inclusion dans l'avenir ne pourrait se faire que sur consultation de la Commission et qu'après un vote des producteurs touchés?
M. Kelly: Vous parlez de la modification proposée par le ministre Goodale?
Le sénateur Fairbairn: Oui.
M. Kelly: Nous croyons qu'il y a eu une légère amélioration de la disposition d'«inclusion», mais il s'agit toujours d'une inclusion, et on doit l'envisager de cette façon. Cette mesure instaure un processus selon lequel de nouveaux produits peuvent être régis par la Commission canadienne du blé. Nous aimerions beaucoup mieux que le Parlement ait à adopter une nouvelle loi pour inclure une nouvelle céréale si, de fait, c'était le cas.
En ce qui concerne la consultation, je pense que la question est réglée. Je pense qu'un gouvernement aurait tort de ne pas consulter le groupe de producteurs touchés s'il prévoyait inclure une nouvelle céréale. Toutefois, l'idée qu'il doive consulter la Commission canadienne du blé ne nous séduit guère. C'est comme séparer l'Église et l'État. Nous sommes favorables à l'idée qu'il consulte les agriculteurs, mais pas à l'idée qu'il consulte la Commission canadienne du blé, qui aurait peut-être des intérêts à représenter le groupe ou le produit en question. Nous voulons simplement que le projet de loi ne parle pas d'inclusion. Nous aimerions mieux que cette question soit traitée dans un autre projet de loi. Nous aimerions que les dispositions d'inclusion ou d'exclusion soient éliminées entièrement du projet de loi et non pas qu'elles soient remplacées par la modification proposée par le ministre Goodale.
Selon nous, en ce qui concerne la proposition en question, elle ne va pas assez loin, si cela répond à votre question.
Mme Braun: Je crois que nous parlons aussi de ramener le débat politique à la salle du conseil de la Commission canadienne du blé. Nous ne souhaitons pas cela. Ce n'est pas la meilleure situation dans laquelle nous voudrions nous retrouver.
Le sénateur Fairbairn: Je suppose qu'il y a une autre façon d'examiner la proposition, particulièrement la question du vote, dans la mesure où il faut la soumettre aux agriculteurs et aux producteurs. C'est à eux de décider.
M. Kelly: Je pense que toute décision doit faire suite à une consultation des agriculteurs, mais l'idée d'avoir un mécanisme qui déclenche un vote est peu rassurante. Nous aimerions mieux que le projet de loi ne parle ni d'inclusion, ni d'exclusion. S'il faut faire un débat, il faut que ce soit à la suite d'une modification législative adoptée par le Parlement, plutôt que d'inclure cette mention dans le projet de loi. Cela a toujours été la position de la FCEI et, dois-je vous le préciser, de bon nombre de nos groupes.
Le sénateur Stratton: Je pense que vous avez abordé la plus grande part de ces questions, mais à la page 4 de votre mémoire, vous recommandez en premier lieu de rejeter et d'éliminer la disposition d'«inclusion», que vous considérez comme un élément inutile, fractionnel et potentiellement destructeur. Qu'entendez-vous précisément par «fractionnel»?
Mme Braun: Je pense que le point auquel nous nous attachons est le mécanisme de déclenchement; nous nous retrouvons aujourd'hui dans une situation où les producteurs les plus touchés n'ont pas demandé à ce qu'on établisse la disposition d'«inclusion»; par conséquent, qui, de fait, la déclencherait? Vous avez donc fractionnement puisqu'une personne prend la décision au nom du groupe de producteurs. Dans le mémoire qu'elle a présenté à Ottawa en octobre dernier, l'association des producteurs de canola a admis avoir voulu que cette disposition soit établie. Elle affirmait être heureuse de la façon dont l'industrie fonctionnait à l'heure actuelle. Elle disait s'inquiéter de l'intégration d'une disposition d'«inclusion» dans la loi ainsi que de la façon dont on en déclencherait l'application. Voilà pourquoi on qualifie cette disposition de fractionnelle.
M. Kelly: Je pense que cela concerne aussi la reprise du débat à la Commission. Si vous intégrez la disposition d'«inclusion», je peux vous dire franchement qu'elle sera mise à l'essai. Il ne fait aucun doute que si elle se retrouve dans la loi, un groupe, quelque part, finira bien par vouloir mettre cette disposition à l'essai. Cela fera ressurgir un débat très pénible.
Même si elle est rejetée d'emblée par les cultivateurs de lin ou de canola, cela ramène le débat à la Commission canadienne du blé et détourne l'attention de la nécessité d'obtenir la plus grande valeur possible pour le grain canadien, pour faire ressusciter le vieux débat de l'inclusion ou de l'exclusion, du monopole ou de la double commercialisation, ou de l'élimination pure et simple de la CCB.
À mon avis, c'est là qu'on observerait un fractionnement. Si vous intégrez la disposition au projet de loi, elle sera utilisée. Même si elle est rejetée, elle aura un effet plus déstabilisateur que nous pouvons l'imaginer à l'heure actuelle. Si, à l'étranger, les acheteurs craintifs sur qui nous avons très peu de contrôle lisent des gros titres à ce sujet dans les journaux, cela pourrait avoir un effet dommageable sur le prix que nous souhaitons obtenir pour nos grains à l'heure actuelle, sans parler de celui qui pourrait être visé par les contrats conclus en vertu de la disposition.
Le sénateur Stratton: J'essaie de comprendre pourquoi le ministre souhaitait intégrer cette disposition dans le projet de loi au départ. À mon avis, il l'a fait simplement parce que les démarches au Parlement sont trop fastidieuses. Par exemple, si vous voulez inclure une céréale dans la sphère de responsabilité de la Commission ou en éliminer une, l'adoption de cette disposition à toutes les étapes de la démarche parlementaire prend beaucoup trop de temps pour être conforme aux exigences de notre époque, où il faut agir rapidement. Qu'en pensez-vous?
Mme Braun: Comme vous, nous nous demandons pourquoi le ministre voulait intégrer la disposition d'«inclusion» dans le projet de loi. Si l'on avait véritablement besoin d'un mécanisme plus rapide pour placer des produits sous la responsabilité de la Commission, j'imagine que je pourrais comprendre cela ou que la démarche serait logique, mais lorsqu'on pense aux quatre groupes qui ont affirmé ne pas avoir exigé cette disposition, on ne peut que se demander pourquoi elle a été incluse dans le projet de loi. C'est très révélateur. Comme vous, nous nous demandons pourquoi elle s'y trouve.
M. Kelly: Des gens qui pensent comme nous ont émis l'idée que le gouvernement cherchait peut-être à «sortir» le débat du Parlement pour le porter sur la rue Main, à Winnipeg. Faisons en sorte que les protestations, les manifestations et les conflits se déroulent à Winnipeg, devant les bureaux de la Commission canadienne du blé plutôt que devant le Parlement. C'est une opinion assez cynique des motifs qui pourraient pousser le gouvernement à proposer cette disposition d'«inclusion». Ce serait mentir que de dire que la question n'a pas été largement débattue par les gens à qui nous avons parlé du projet de loi. Nombre de nos membres nous ont dit: «Pourquoi le gouvernement fait-il cela? Quel motif le pousse à agir ainsi, quand aucun des groupes d'intérêts qui pourraient être touchés ne se dit intéressé à ce que telle disposition soit adoptée?»
La théorie la plus logique est que cela déplace le débat du Parlement au bureau de la Commission canadienne du blé. Que cela a des effets plus destructeurs que d'avoir ce débat en ce moment, au Parlement. À mon avis, ce sont les députés qui devraient tenir ce débat plutôt que les membres élus de la Commission du blé, qui sont censés tenter d'obtenir la meilleure valeur possible pour les produits des agriculteurs canadiens.
Le sénateur Hays: J'ai entendu dire que cela avait un effet de symétrie. Si vous excluez un grain ou un oléagineux, vous devriez pouvoir inclure un grain ou un oléagineux. Quant à savoir qui devrait résoudre ce problème, je ne vous ai pas posé la question. Je l'ai demandée à tous les autres. Pourquoi la Commission, dont les membres sont élus, n'est-elle pas l'organisme le mieux placé pour prendre les décisions au nom des producteurs qu'elle représente? En ce qui concerne la participation au débat et à la prise de décisions, qu'y a-t-il de mal à y inclure les producteurs?
Mme Braun: Je pense que nous en avons eu un exemple parfait ce matin. Vous aviez deux producteurs différents aux opinions très différentes. Vous avez aussi la lutte entre ceux qui favorisent le monopole et ceux qui sont contre à la Commission. Vous avez une Commission de 6 milliards de dollars à faire marcher. Les opérations journalières sont critiques si l'on veut que le producteur obtienne la meilleure valeur pour son produit. Nous ne pouvons avoir de manifestations toutes les deux semaines sur les marches de la Commission canadienne du blé dès qu'une question critique surgit.
Le sénateur Hays: Les manifestations ne sont-elles pas faites pour impressionner le gouvernement plutôt que la Commission du blé, parce qu'on sait que le gouvernement prendra la décision pour la Commission? Dans ma province, l'industrie du pipeline a adopté l'approche de mise en commun pour la transmission du gaz, approche qui est contestée par Alliance Pipeline. Mais voilà que Nova et Trans-Canada conviennent de fusionner. C'est la dynamique des affaires, des grosses affaires. Pourquoi est-il préférable que le gouvernement participe à la décision finale plutôt que la grosse entreprise proprement dite?
M. Kelly: Nous parlons de libertés fondamentales. Le simple fait qu'il y ait eu un vote où 51 p. 100 des agriculteurs ont suggéré que le lin soit désormais inclus dans les produits de la Commission canadienne du blé signifie-t-il que les autres agriculteurs, qui forment quand même 49 p. 100 et qui vendent un produit légal n'ont absolument pas le choix de vendre leur grain à quiconque veut bien l'acheter? C'est cette question qu'il vaut mieux laisser à nos parlementaires qu'aux membres de la Commission.
Si les gens avaient le choix de recourir ou non à la Commission du blé, la disposition d'inclusion ne nous ferait pas peur. Ce débat aurait-il même lieu? Je ne le crois pas. Les agriculteurs qui veulent vendre leur lin à qui veut l'acheter se préoccuperaient-ils du fait que la Commission du blé participe à l'industrie? Ils le pourraient, si la Commission du blé obtenait des avantages qui ne sont pas accessibles à d'autres producteurs.
Je ne pense pas que quiconque rejette l'idée que les agriculteurs devraient pouvoir vendre leurs produits collectivement à des clients de leur choix. Devrait-on alors forcer l'autre groupe, si faible que soit la minorité qu'il représente -- et je ne suis pas convaincu qu'il s'agirait vraiment d'une minorité si l'on posait la question de la double commercialisation. La décision de vendre le grain simplement à un groupe devrait-elle être imposée à tout le monde s'il y a une minorité non négligeable, comme c'était le cas pour la décision relative à l'orge, où l'on avait posé une question à laquelle on ne pouvait répondre que par oui ou par non? C'est pourquoi j'estime qu'il est préférable de laisser la discussion au Parlement plutôt qu'à la Commission du blé.
Je peux vous dire que les élections à la Commission du blé porteraient davantage sur votre position pro-monopole ou anti-monopole que sur le fait que Georges «X» est le meilleur candidat pour diriger une entreprise de 6 milliards de dollars. C'est ce que je veux tenter d'éviter. Je ne veux pas que des gens qui tentent d'exploiter une entreprise de 6 milliards de dollars dont dépend mon existence, si je suis producteur de grain, s'attachent au fait que je suis favorable ou non au monopole. Je préférerais vous choisir parce que vous êtes la personne compétente pour le faire.
Le sénateur Hays: Pour reprendre l'exemple du transport du gaz en Alberta, si je suis producteur de gaz, je n'ai aucun choix quant à son mode d'expédition. Je n'ai rien à dire sur le fait qu'un liquide gazeux comme l'éthane soit extrait de ce que je produis et vendu plus cher sous forme de gaz pour qu'on puisse avoir de la valeur ajoutée en Alberta, et ainsi de suite. Cette pratique est généralement reconnue et a probablement rapporté beaucoup à la province. Mais les choses sont en train de changer. En effet, on observe une certaine ouverture, et les entreprises proprement dites prennent les décisions en demandant aux organismes de réglementation la permission de déplacer le gaz par d'autres moyens, ce qui génère un conflit. Ce n'est là qu'un seul des problèmes auxquels fera face la Commission du blé, quelle que soit la forme qu'on lui donne. Si elle doit se tourner vers le gouvernement toutes les fois où elle a une décision difficile à prendre de façon à ne pas être placée dans une situation difficile, on n'aura trouvé qu'une solution à court terme. Dans cinq ou six ans, nous serons revenus au même point, où le gouvernement éprouve des problèmes à prendre des décisions. Voilà sûrement une question qui devrait être refilée aux producteurs.
M. Kelly: J'espère que rien de ce que j'ai dit ne vous a donné à penser que nous voulons que la Commission du blé soit contrôlée par le gouvernement. Nous parlons de la disposition d'inclusion, seulement de la disposition d'inclusion. La dernière chose que je souhaite, c'est que le gouvernement du Canada prenne à son compte les décisions journalières de la Commission canadienne du blé. En fait, je pousserais les choses encore plus loin, en décentralisant la Commission et en faisant en sorte que toutes ces responsabilités soient fondées sur les décisions d'une Commission pleinement responsable, élue par les producteurs.
Je pense que nous examinons deux questions différentes. Les dispositions relatives à l'inclusion et à l'exclusion doivent demeurer la responsabilité du Parlement. Toutes les autres décisions doivent être laissées au soin d'un conseil d'administration dûment élu.
Le sénateur Stratton: Il y a eu pas mal de discussions sur la disposition d'inclusion ou d'exclusion et sur la disposition dérogatoire. Ça semble être les deux sujets problématiques. À mesure que nous avançons dans nos activités, nous tenterons évidemment de parvenir à un consensus au sein de notre groupe, ce qui sera déjà proprement étonnant. Quoi qu'il en soit, nous essaierons. Si vous deviez faire un choix, et que nous pouvions proposer aux instances gouvernementales la possibilité de donner aux agriculteurs le choix de se retirer ou d'adopter la disposition d'exclusion ou d'inclusion, que choisiriez-vous? C'est une question difficile.
M. Kelly: Je ne vous parle pas en mon nom propre. Ce que je vous dis est fondé sur tous les sondages que nous avons effectués auprès de nos membres.
[Français]
Le sénateur Robichaud: Je voudrais apporter un commentaire. J'ai de la difficulté à comprendre l'argument que vous faites. D'une part, vous ne voulez pas que le gouvernement soit présent dans les affaires de la Commission canadienne du blé. Cependant, vous nous demandez de prendre une décision tout de suite et de ne pas inclure cette provision pour l'inclusion et l'exclusion. J'ai de la difficulté à reconcilier ces points?
[Traduction]
M. Kelly: L'idée que les agriculteurs exercent un contrôle sur le conseil d'administration de la Commission canadienne du blé ne nous pose pas tellement de problèmes. Nous aimerions que ce soit le cas. Les agriculteurs de l'Ouest canadien devraient avoir leur mot à dire sur les décisions prises par la Commission canadienne du blé. Ce que nous ne voulons pas, c'est que la disposition d'inclusion ou d'exclusion soit intégrée à la loi. Selon nous, c'est le Parlement qui devrait prendre ce genre de décision. Certes, les opinions à ce sujet sont diversifiées, et les parlementaires en tiendront compte, comme ils le font toujours.
La disposition d'inclusion ou d'exclusion devrait être éliminée, et c'est à un conseil d'administration élu qu'on devrait confier le soin de prendre des décisions. Je pense que nous tentons d'établir une distinction entre le problème de l'inclusion et de l'exclusion et la question du contrôle exercé par les producteurs.
[Français]
Le sénateur Robichaud: Je ne comprends toujours pas, monsieur le président, mais je vais me taire.
[Traduction]
Le président: Nous allons maintenant entendre les derniers témoins de cet après-midi, MM. Breemersch, Downie, King et Armitage.
Je demanderai à chacun de vous de se présenter. Chacun pourra faire un exposé de cinq minutes, après quoi les sénateurs poseront leurs questions.
M. Armitage: Je suis un producteur de boeuf et de céréales de Miniota, dans l'ouest du Manitoba.
M. Darryl Breemersch: J'habite à Melita, au Manitoba, et je suis moi aussi producteur de boeuf et de céréales.
M. John King: Je suis un engraisseur de bovins et un cultivateur de céréales du sud-ouest du Manitoba.
M. Gregg Downie: Je suis un cultivateur de céréales de la région de Wawanesa, située à 30 milles au sud-est de Brandon.
Le président: Voulez-vous commencer, je vous prie?
M. Armitage: Mesdames et messieurs les membres du comité sénatorial, mesdames et messieurs les membres de la presse, mesdames et messieurs, le projet de loi C-4 constitue une tentative très maladroite de réforme de la Commission canadienne du blé. Pour survivre, la Commission canadienne du blé a désespérément besoin d'une réforme. Cependant, ce n'est pas comme ça qu'il faut qu'elle se fasse. Comme nous le savons tous, les négociations qui s'annoncent au sujet du commerce mondial viseront l'élimination des organisations commerciales de chaque État. Pourquoi tenter de maintenir quelque chose qui est susceptible de devenir illégal selon les règles du commerce international? Peut-être qu'on devrait plutôt poser la question ainsi: que vient faire le gouvernement dans la mise en marché du grain? Est-ce une fonction gouvernementale nécessaire?
Le projet de loi C-4 voudrait faire croire qu'il donne aux producteurs un contrôle sur la Commission canadienne du blé. En fait, cela n'est pas susceptible de se produire, parce que le ministre responsable de la Commission canadienne du blé aura le pouvoir d'autoriser la nomination ou le renvoi du président du conseil d'administration et de nommer quatre des 14 autres administrateurs. Le gouvernement garantira toujours les prix initiaux. Apparemment, c'est pourquoi il veut tant influer sur l'exploitation de la Commission.
Selon moi, ce qui est vraiment nécessaire, c'est que la Commission canadienne du blé devienne un organisme de mise en marché à participation volontaire, indépendant du gouvernement. La garantie de prix initiale du gouvernement devrait prendre fin. Cependant, le gouvernement devrait demeurer responsable des ententes de crédit déjà conclues. Je pense que quelqu'un a déjà mentionné que le montant de ces ententes est de l'ordre de 6,6 milliards de dollars.
La Commission canadienne du blé a bien des points forts qu'on devrait conserver. Elle est présente sur la scène internationale et y entretient de bonnes relations, elle dispose d'une infrastructure de prospection des marchés et d'experts en mise en marché. Je pense que cette structure de mise en marché fonctionnerait encore mieux si l'organisme devait chercher à recruter des clients. Je ne vois pas pourquoi chaque producteur devrait être intégré à la structure de la Commission canadienne du blé ou en être exclu. Tous les producteurs devraient pouvoir confier une partie de leur production à la Commission canadienne du blé par l'entremise d'un régime ferme d'un contrat à terme de gré à gré. Ça ne me dérange pas que des cultures autres que le blé et l'orge soient incluses, si cela se fait volontairement.
Cependant, je m'oppose fermement au libellé actuel de la disposition d'inclusion du projet de loi C-4. Cette disposition ruinerait un système de mise en marché des cultures non assujetties à la Commission, qui fonctionne très bien. Les agriculteurs n'exigent pas à cors et à cris l'inclusion d'autres cultures dans le mandat de la Commission canadienne du blé. L'inclusion de cultures au régime de mise en marché actuel de la Commission entrave le traitement à valeur ajoutée de ces cultures. Les membres du conseil d'administration d'une Commission canadienne du blé à participation volontaire devraient tous être élus par les producteurs, et ils devraient embaucher un directeur général qui serait chargé des opérations quotidiennes de la coopérative.
Évidemment, une Commission canadienne du blé à participation volontaire devrait périodiquement être soumise à une vérification indépendante. Si la Commission canadienne du blé doit pour l'instant continuer d'être sous le contrôle du gouvernement fédéral, elle devrait faire périodiquement l'objet d'un examen du vérificateur général et être assujettie aux dispositions de la loi sur l'accès à l'information.
Pour terminer, je tiens à souligner que le statu quo ne me semble pas acceptable. Cependant, le projet de loi C-4 n'apporterait aucune amélioration digne de ce nom. Par conséquent, je vous invite vivement à rejeter le projet de loi et à le renvoyer aux législateurs pour qu'il soit refait.
M. Breemersch: Si je suis ici aujourd'hui, c'est parce que, comme bien des agriculteurs, je suis très préoccupé par l'avenir des fermes familiales dans les Prairies. La mise en marché de notre blé et de notre orge est une véritable farce en raison de l'existence de la Commission canadienne du blé. Si nous sommes tenus de vendre notre grain par l'entremise de la Commission canadienne du blé, à quel moment ce grain devient-il la propriété de la Commission? Est-ce après que nous avons passé de longues heures à planter et d'innombrables heures à récolter, ou est-ce après que nous avons chargé les camions et transporté le grain à l'élévateur? En novembre 1996, j'ai livré deux wagons d'orge de brasserie, pensant qu'après avoir soumis trois échantillons distincts de la même orge, ils seraient acceptés et que je ne courrais plus de risques. Il m'a fallu attendre trois longs mois et demi pour finalement découvrir, le 10 février 1997, que mon orge avait été rejetée.
Si M. Goodale peut dire à un point ou à un autre de ce processus que notre grain ne nous appartient plus parce qu'il appartient à la Commission canadienne du blé ou au ministre, pourquoi sommes-nous exposés à un risque jusqu'à ce que le grain arrive à destination? Pourquoi, après ce dur labeur et tous les risques que nous prenons, la Commission du blé peut-elle intervenir et nous retirer notre grain?
Selon eux, la Commission du blé vise à mettre en commun tout le grain pour que tout le monde en retire environ le même montant d'argent. Le problème, c'est que le rendement moyen dans le coin sud-ouest du Manitoba est bien inférieur, mais que la qualité est meilleure.
La Commission du blé veut mettre en commun notre grain de qualité et un grain de qualité moindre qui provient des régions où il pleut davantage et où le rendement est par conséquent plus élevé. La Commission ne veut pas tenir compte de ce fait. À mon avis, c'est tout à fait injuste.
Si ça fonctionne pour les agriculteurs, pourquoi cela ne fonctionne-t-il pas pour M. Goodale et les employés de la Commission canadienne du blé? Nous pourrions prendre tous leurs salaires, depuis ceux des cadres supérieurs jusqu'à ceux des employés qui font le ménage des bureaux, mettre tout l'argent en commun dans un pot, et répartir équitablement l'argent entre tout le monde.
De nos jours, 95 p. 100 des agriculteurs travaillent très dur pour gagner leur vie. Le problème, c'est qu'une fois le grain récolté, un certain nombre d'agriculteurs, qui n'ont pas de bétail ni rien pour les retenir, vont passer l'hiver dans le sud et se contentent du prix moyen que leur offre la Commission, quel qu'il soit.
Un nombre important d'agriculteurs ont besoin d'argent supplémentaire pour faire fonctionner leur ferme et aimeraient avoir la chance de toucher tout ce qu'ils peuvent pour leur récolte. Nous ne pouvons continuer d'exploiter les fermes lorsque le blé se vend 3 $ et l'orge, de 2 $ à 2,50 $, particulièrement quand nos voisins du sud reçoivent en moyenne 1 $ de plus pour leur blé et leur orge. Avec le système actuel, il n'y a pas moyen de faire en sorte que les compagnies de grains de la Commission du blé, les sociétés de chemin de fer et les débardeurs soient responsables de ce qu'ils font. Par exemple, l'an dernier, nous avions plus de 40 navires qui attendaient d'être chargés, pour lesquels les agriculteurs versaient des millions de dollars en surestaries. La Commission du blé blâme la société de chemin de fer, et la société de chemin de fer blâme la Commission du blé pour son incompétence. De toute façon, peu importe qui est coupable, ce sont nous, les agriculteurs, qui nous retrouvons encore une fois dans l'obligation de payer. Est-ce la raison pour laquelle le prix de l'orge et du blé baisse encore une fois?
À mon avis, les seules cultures qui nous permettent de faire un peu d'argent sont celles qui ne sont pas placées sous le monopole de la Commission du blé, par exemple le tournesol, les pois, l'avoine, le canola et le seigle. Si vous permettez que le projet de loi C-4 soit adopté, le monopole de la Commission sera élargi et comprendra désormais ce type de culture, ce qui nous placerait dans une situation désastreuse.
J'aimerais qu'on puisse avoir le choix de ne pas être soumis à la Commission du blé. Cela pourrait fonctionner de la même façon que le programme RARB d'il y a quelques années. Un agriculteur pouvait décider de se retirer pour un nombre d'années précis. Cela nous permettrait d'obtenir un prix décent pour notre grain, ou de confier à la Commission le soin de le mettre en marché. Cela fonctionnerait de la même façon qu'en Ontario, où les agriculteurs peuvent exercer une option de refus. Cela me permettrait de continuer à faire ce que j'aime le plus, exploiter ma ferme.
J'ai trois fils, âgés de huit, sept et quatre ans, et compte tenu de la situation actuelle, l'agriculture ne leur réserve aucun avenir.
M. King: Si je viens ici aujourd'hui, ce n'est pas pour critiquer. Ce que je veux faire, c'est poser certaines questions que je poserais si j'étais à votre place. Vous devriez vous poser les questions suivantes: est-ce que je veux être responsable de la cession effective du contrôle d'une de nos ressources alimentaires à des gestionnaires politiques d'Ottawa? Je n'ai pas lu intégralement le projet de loi C-4, mais la partie relative à l'inclusion est celle qui m'ennuie le plus. Mes craintes quant au contrôle de nos ressources alimentaires par des gestionnaires politiques d'Ottawa découlent de ce qui s'est déjà produit dans le passé. Par exemple, vers 1977, le ministère des Pêches et des Océans a pris le contrôle de la pêche à la morue sur la côte est, et nous savons tous ce que cela a donné.
Je pense qu'il serait préférable de recourir à un genre de gestion communautaire de ces ressources. Si les pêcheurs de la côte Est avaient été autorisés à s'occuper de la gestion de la pêche à la morue, je ne pense pas que la situation serait pire qu'elle l'est aujourd'hui.
Vous pourriez dire qu'il y aura effectivement gestion communautaire de ces ressources puisque dix des quinze membres du conseil seront des agriculteurs. La disposition d'inclusion s'applique-t-elle encore?
Parfois, il est bon de jeter un coup d'oeil à ce qui s'est produit dans le passé pour se faire une idée de ce qui arrivera dans l'avenir. J'ai obtenu quelques coupures de journaux de 1981 concernant un régime appelé MAP, pour Market Assurance Plan. On peut y lire ceci:
Compte tenu de ce qui précède et de la politique manifeste de centralisation à Ottawa des pouvoirs concernant toutes les activités de mise en marché, les extraits suivants du numéro de l'Alberta Report du 20 février 1981 sont très éloquents:
Le gouvernement fédéral a présenté ce mois-ci à la collectivité agricole de l'Alberta une proposition selon laquelle il exercerait les mêmes fonctions de contrôle et de centralisation de la production et de la mise en marché du grain que pour la production et la mise en marché du gaz... il présentera ce mois-ci aux agriculteurs de l'Alberta le MAP, le Market Assurance Plan... Les critiques du MAP, dont les principaux sont le gouvernement provincial et l'industrie du bétail, y voient bien des répercussions néfastes. Selon eux:
Dans environ deux ans, le MAP fera en sorte que le gouvernement fédéral dira aux agriculteurs des Prairies ce qu'il leur faut cultiver, en quelle quantité, à quel prix et à qui ils doivent le vendre, de sorte qu'ils deviendront en fait des fonctionnaires mal rémunérés.
Le MAP mettra fin au libre marché du blé, de l'avoine et de l'orge.
Tôt ou tard, le MAP visera également la navette et le lin, quoique les cultivateurs de navette se soient prononcés il y a six ans contre la mise en marché, par le gouvernement fédéral, de leurs produits nouvellement mis au point.
N'oubliez pas que quand on disait il y a six ans, en 1981, on voulait dire en 1976. L'article se poursuit en ces termes:
Le MAP amènera l'industrie albertaine du bétail sous le contrôle du gouvernement fédéral et, tôt ou tard, elle devra recevoir des subventions du gouvernement fédéral, parce que les éleveurs de bétail dépendent du libre marché pour obtenir gratuitement leur approvisionnement en grain fourrager.
Enfin, en raison du MAP, l'Ouest canadien dépendra plus que jamais depuis la Seconde Guerre mondiale des décisions d'Ottawa, de sorte que le gouvernement fédéral jouira d'un avantage politique dans l'Ouest dont il se servira pour forcer les gouvernements provinciaux réticents de l'Ouest à se conformer à la politique fédérale.
Dans le numéro du Globe and Mail du 4 avril 1986, on peut lire ce qui suit:
Malgré une élégante campagne de relations publiques d'une durée de six mois, le comité consultatif de la Commission canadienne du blé a été forcé cette semaine d'abandonner un projet de régime de mise en marché grâce auquel les agriculteurs des Prairies auraient été sûrs de trouver un acheteur pour toutes leurs récoltes.
La Commission a relégué aux oubliettes le Market Assurance Plan, connu des agriculteurs par son sigle MAP, après une opposition féroce de la part du gouvernement de l'Alberta et des commerçants de grain privés... au cours de l'acrimonieux débat qui a précédé cette décision, le ministre de l'Agriculture de l'Alberta, Dallas Schmidt, a menacé de retirer les délégués de l'Alberta à la Commission si le MAP était approuvé.
Les agriculteurs de l'Ouest auraient tort de penser que la mise au rancart de ce seul projet signifie la fin de la menace de centralisation. Ottawa n'a qu'une seule politique: la centralisation des pouvoirs.
L'auteur de l'article précise ensuite que le programme serait proposé une nouvelle fois.
Je n'étais pas agriculteur en 1981. J'étais trop jeune.
Le sénateur Taylor: J'allais vous dire que vous vous êtes bien conservé.
M. King: J'avais une ferme en 1981, mais j'étais si occupé à gagner ma vie que je ne portais pas attention aux journaux.
J'engraisse et j'exporte aussi du bétail si vous avez des questions dans ce domaine.
M. Downie: Je vous remercie de m'avoir invité à venir vous parler aujourd'hui du projet de loi C-4. Mes commentaires concerneront principalement la libéralisation du commerce du grain et la gestion du risque ainsi que la mesure dans laquelle le projet de loi touche la Commission canadienne du blé et, par conséquent, ma ferme.
Dans la forme où nous la connaissons, la mise en marché basée sur les prix des produits agricoles appartiendra bientôt à une ère révolue. Nous délaissons les catégories générales pour passer à des caractéristiques très précises, par exemple le temps de chute, la teneur en protéines des matières sèches, particulièrement dans les grains destinés à être moulus. L'avènement des modifications génétiques donnera naissance à une nouvelle génération de produits -- des produits qui pourront, par exemple, ressembler au canola, qui sentiront le canola mais qui n'en seront pas. C'est-à-dire que l'huile qu'on extraira du plan de canola sera un polymère qui n'a rien à voir avec une huile comestible. Il se produira la même chose pour le blé, ce n'est qu'une question de temps. Il y a aussi le débouché des aliments nutriceutiques. La question qu'il faut poser est la suivante: un organisme de vente centralisé peut-il s'adapter à toutes ces variations du marché?
Les agriculteurs ont accès à beaucoup de technologies. Les systèmes d'aujourd'hui nous permettent d'accroître de 25 p. 100 notre production, mais cela n'a pour résultat que de faire baisser le prix. Les organismes de commerce gouvernementaux du monde entier sont tous fermés pour être confiés à des intérêts privés. Dans les années 80, le Canada a exporté en moyenne 4,28 millions de tonnes métriques de blé en ex-Union soviétique.
Comme vous le savez tous, nous vendons de très petites quantités de blé à bien des pays différents. Je crois que l'Iran était notre plus important acheteur de blé l'an dernier. La Chine traverse une transformation majeure pour passer à l'économie de marché, mais le Canada fait encore des ventes de gouvernement à gouvernement avec la Chine. La seule raison à cela est que le régime canadien ne permet pas aux Chinois de faire autrement. Autre exemple: l'industrie céréalière brésilienne est maintenant totalement privatisée.
Je crois, comme une majorité d'autres intervenants de l'industrie céréalière, qu'il nous faut nous débarrasser de notre habitude de tout réglementer directement. L'industrie céréalière de l'ouest ne pourra livrer ses produits au marché et réagir à ses besoins que si elle satisfait à des obligations contractuelles et réagit à des signaux de prix, avec tous les risques et avantages que cela comporte.
Tandis que l'on s'applique à réduire et à éliminer les mesures visant à soutenir le prix du grain aussi bien que les assurances ayant un effet pervers sur la production, il est d'une importance capitale que les agriculteurs disposent d'outils de gestion du risque qui soient efficaces. Comme vous devez sûrement le savoir, les seules denrées majeures qui ne font actuellement pas l'objet de marchés à terme sont les grains dont s'occupe la Commission canadienne du blé. La raison en est évidente; il y a un seul acheteur, mais de nombreux vendeurs. Le fonctionnement des marchés à terme repose sur le fait qu'il y a pour tout vendeur un acheteur -- ou, pour être plus exact, un grand nombre d'acheteurs et un grand nombre de vendeurs.
Si une autre récolte -- disons, celle du canola -- était ajoutée au monopole que détient actuellement la Commission canadienne du blé, ce serait la perte d'un précieux outil de gestion des risques en ce qui concerne le contrat des ventes à terme de canola à la Bourse des marchandises de Winnipeg. Comment les Japonais, les Mexicains et les membres de notre propre industrie de la trituration feraient-ils pour réaliser des opérations de couverture? De même, comment pourrais-je vendre une bonne partie de mon canola à l'automne pour renflouer ma trésorerie, puis aller me prévaloir plus tard d'options d'achat à faible risque afin de profiter des reprises sur le marché, plutôt que de garder la denrée elle-même?
Le projet de loi C-4 est déficient de tous les points de vue. La question la plus litigieuse, à mon avis, demeure la disposition d'inclusion. Compte tenu de la situation où se trouve l'industrie des céréales, pourquoi diable propose-t-on encore davantage la vente centralisée d'une denrée vraquière sans intérêt et sans grande valeur?
Il ne fait aucun doute que la disposition d'inclusion aura pour effet de mettre en péril les investissements dans la transformation à valeur ajoutée. Des emplois pourraient disparaître. La croissance économique régionale pourrait être menacée. Par ailleurs, l'exode des cerveaux -- dans les secteurs de la science et de la technologie -- pourrait vraiment s'accélérer, au profit de pays qui sont davantage prêts que le Canada à accepter les changements stimulants qui marqueront notre industrie au prochain millénaire.
La façon de se sortir de ce dilemme, c'est de mettre simplement au rebut le projet de loi C-4. Il faut un projet de loi nouveau qui reposerait sur trois principes. D'abord, la Commission canadienne du blé doit pouvoir acheter, selon un régime de concurrence, tout grain à l'égard duquel une vente à l'exportation est conclue. Ensuite, la Commission canadienne du blé doit prendre le grain en charge au port. Enfin, la Commission canadienne du blé ne doit détenir aucun intérêt ni aucune participation en ce qui concerne le transport des grains et des oléagineux depuis l'entreprise agricole jusqu'au terminal d'exportation, sauf pour ce qui touche les ventes directes de l'agriculteur à l'acheteur nord-américain qui passe par son entremise.
Les conséquences éventuelles du projet de loi C-4 sur mon exploitation agricole sont trop évidentes: le projet de loi aura peut-être pour effet d'éliminer notre rentabilité. Il est impératif que je puisse gérer mes propres ressources et mes propres risques, et que je puisse lire les signaux du marché en vue de maximiser mes profits. Et encore, ce qui est le plus important, c'est que je dois pouvoir accéder aux marchés en question. D'ici six à huit semaines, je vais planter en vue de ma vingt-cinquième récolte. Pour la première fois en 25 ans, il n'y aura pas ne serait-ce qu'un acre de grain de la Commission canadienne du blé sur mes terres. L'industrie des céréales offre des possibilités énormes dans tous les secteurs, sauf ceux du blé et de l'orge de la Commission canadienne du blé.
Je vous remercie de l'attention que vous m'avez accordée. Je suis disposé à répondre à toute question.
Le sénateur Stratton: Monsieur Downie, avez-vous déposé votre mémoire?
M. Downie: Oui, je l'ai fait. Je n'ai apporté moi-même qu'un exemplaire.
Le sénateur Stratton: C'est très intéressant. Sans indiscrétion, que cultivez-vous? Si ce n'est pas de mes affaires, n'hésitez pas à me le dire. Je suis simplement curieux.
M. Downie: Je vais vous le dire. Le grain que je cultive actuellement ressemble à du blé dur, a l'odeur du blé dur, mais s'appelle triticale, et les Américains adorent cela. Je n'ai jamais eu de difficulté à l'acheminer aux États-Unis. C'est l'un des grains que je cultive à la place du blé. Les autres étant le sarrasin et les pois, avec des oléagineux.
Le sénateur Stratton: Quelle est la taille de votre ferme?
M. Downie: 1 500 acres.
Le sénateur Stratton: Je vois pourquoi vous ne voulez pas de l'article d'inclusion.
Le sénateur Taylor: Monsieur Downie, vous avez parlé de ces marchés du monde entier. Pour ce qui est du grain, qu'il s'agisse du blé ou de l'orge, même s'il n'y avait pas de Commission du blé, ne seriez-vous pas pris de toute façon à vendre aux quatre grandes sociétés? Les agriculteurs pourraient-ils survivre sans Commission de blé pour les aider à traiter avec les grandes sociétés?
M. Downie: D'abord, je crois que la Commission canadienne du blé a plus de quatre agents accrédités. Je crois qu'il y en a plus d'une trentaine. Ensuite, je n'ai pas du tout l'intention de m'acheter un billet d'avion à destination de la Chine pour aller vendre 100 tonnes de blé. C'est ridicule.
C'est qu'avec toute autre denrée, je peux choisir avec qui je fais affaire. L'opération survient sur un marché libre. Si je n'aime pas le prix, j'essaie d'en trouver un meilleur. Si je n'arrive pas à en trouver un meilleur, je dois présumer que c'est le prix du marché. Je suis obligé de vendre certains grains à la Commission canadienne du blé, sans savoir si le prix fixé est le meilleur ou si l'organisme donne le meilleur service possible. Si nous permettons à la Commission du blé d'agir dans un régime de concurrence, ces questions seront réglées. Si elle offre le meilleur prix, elle pourra acheter mon grain. Si elle n'offre pas le meilleur prix, c'est quelqu'un d'autre qui va l'obtenir. Où est l'inconvénient?
Le sénateur Taylor: Il y a bien des années, il y avait à Winnipeg une Bourse des grains. Il y avait là le marché libre que vous et d'autres proposiez, mais cela n'a pas très bien fonctionné. En fait, les agriculteurs y ont laissé leur peau. Qu'est-ce qui a changé pour que vous croyiez que le marché libre fonctionnerait aujourd'hui?
M. Downie: D'abord, ce n'est pas la Bourse des grains de Winnipeg, c'est la Bourse des marchandises de Winnipeg. Ce ne sont pas des grains au sens physique qui transigent par la Bourse des marchandises de Winnipeg. Ce sont des contrats de ventes à terme sur les grains. Voilà la différence. Ce n'est pas le grain lui-même qui fait l'objet de l'opération, c'est un contrat sur la marchandise. Le grain en tant que tel est très rarement livré sur la foi de ces contrats.
La Bourse des marchandises de Winnipeg existe pour que des acheteurs puissent réduire leurs risques en couvrant leurs achats et pour que les vendeurs puissent réduire leurs risques en couvrant leurs ventes. Sinon, pour se couvrir, l'acheteur doit élargir la base. Je n'aime pas les bases larges.
Le sénateur Taylor: Ce n'est pas vraiment que je voulais savoir. Je parlais du régime que nous avons déjà eu. Quel que soit le nom que vous y donnez, c'est un marché absolument libre où les agriculteurs n'ont pas fait de très bonnes affaires. Qu'est-ce qui vous fait penser que les conditions qui ont marqué ce marché absolument libre ne réapparaîtront pas? Qu'avons-nous en place aujourd'hui que nous n'avions pas à l'époque? Et ne me dites pas simplement que les agriculteurs sont intelligents. Il y avait des agriculteurs intelligents à l'époque aussi.
M. Downie: Tout à fait. Il ne fait aucun doute que, en tant qu'agriculteur, je ne suis pas plus intelligent que ne l'était mon grand-père. La différence réside dans la technologie; l'information dont nous disposons aujourd'hui est infinie. En tant qu'agriculteurs, la plupart d'entre nous disposons de Global Link et du DTN. Nous pouvons vous dire quelle barge est rendue où sur le Mississippi. Nous pouvons vous dire quelle barge s'amène par voie océanique. Nous pouvons vous dire à tout instant quel est le prix de la Commission du blé. Voilà la différence. À l'époque où mon grand-père avait une ferme, le seul moment où il connaissait vraiment le prix du grain, c'est celui où il arrivait à l'élévateur avec sa charrette. Aujourd'hui, moyennant un temps de réponse de 30 secondes, je peux connaître le prix du grain à n'importe quel moment de la journée. C'est là une grande différence.
Le sénateur Hays: Je comprends le point de vue de tous les membres du groupe ici réunis sur l'inclusion, l'exclusion. Je crois que c'est le premier groupe que nous ayons eu qui s'entend sur la question. Permettez-moi simplement de parler un peu de la situation actuelle, où le blé ou l'orge pourrait être exclu, ou encore une autre denrée comme les oléagineux pourrait être exclue. L'exclusion du blé ou de l'orge se ferait sur recommandation du ministre responsable au gouverneur en conseil ou encore au gouvernement. Je suis à l'article 24. C'est pour l'exclusion du grain. Le ministre ne ferait la recommandation que lorsque la mesure est recommandée par le conseil et qu'un procédé de caractérisation du grain en cause visant à éviter que celui-ci ne soit confondu avec d'autres grains a été mis en place. L'autre, à mon avis, a davantage trait à la Commission canadienne des grains.
De ce fait, un grain serait exclu sur la recommandation du conseil. Pour inclure un grain ou un oléagineux, toutefois, le ministre ne pourrait formuler de recommandation à moins de recevoir une demande écrite de la part d'une association réunissant tous les membres, c'est-à-dire les producteurs de grain, et représentant les producteurs du grain en question dans l'ensemble de la zone désignée. Comme dans le cas de l'exclusion, il faudrait que le conseil recommande une extension et que les producteurs de grain soient appelés à voter en faveur d'une telle extension. C'est le ministre, après avoir consulté le conseil, qui déterminerait les modalités d'un tel vote.
Il est beaucoup plus difficile d'inclure un grain que d'en exclure un. Il faudrait qu'une association réunissant tous les membres le demande. Il y aurait obligatoirement un vote. À ceux qui s'inquiètent de l'inclusion rapide d'un grain ou d'un oléagineux, je dirais qu'il est rassurant de savoir qu'une association de tous les membres devrait d'abord demander que les choses soient mises en branle.
L'autre solution, comme l'a fait valoir le ministre Goodale, serait de ne plus parler d'inclusion ou d'exclusion dans le projet de loi. De laisser ça au conseil et au gouvernement. Mettons de côté pour l'instant la double commercialisation. Pouvez-vous nous dire en quoi il serait mieux de ne pas traiter de l'inclusion?
M. Armitage: Le libellé ne me rassure pas beaucoup: il ne précise pas vraiment ce que le ministre devait considérer comme étant une association représentative des producteurs d'une denrée particulière. Or, il existe beaucoup d'associations. Je présume que n'importe laquelle d'entre elles pourrait représenter les producteurs de la denrée.
Le sénateur Hays: Est-ce votre principal souci? Pouvez-vous nous donner une définition d'association?
M. Armitage: Par exemple, le Syndicat national des cultivateurs pourrait affirmer représenter les producteurs de canola et demander que soit invoqué l'article d'inclusion.
Le sénateur Hays: Vous dites donc que tous...
M. Armitage: Je n'ai pas l'impression que le Syndicat national des cultivateurs représente mon point de vue.
Le sénateur Hays: Je ne cherche pas à appuyer le Syndicat national des cultivateurs. Je veux simplement savoir pourquoi, collectivement, vous estimez que la protection n'est pas adéquate. Vous dites que le terme «association» n'est pas défini; je propose que vous le définissiez pour nous. Il ne suffit pas d'exclure le Syndicat national des cultivateurs -- il nous faut un peu plus que cela. Si le terme était défini, est-ce que cela vous conviendrait?
Le sénateur Stratton: Puis-je poser une question supplémentaire, pour tirer les choses au clair?
Le sénateur Hays: Je vous en prie.
Le sénateur Stratton: Si je comprends bien, ce n'est pas l'organisation individuelle qui pose un problème. Le problème, c'est que n'importe quel groupe qui tient à faire du chahut pourrait demander qu'un grain soit inclus. Alors, il y aurait toute une série de problèmes. Est-ce là que vous voulez en venir?
M. Armitage: En partie. L'autre problème, c'est que même si tous les producteurs peuvent voter sur la question et que 51 p. 100 d'entre eux votent pour, il y en a 49 p. 100 qui ne seraient pas très contents, particulièrement si cela est obligatoire.
Le sénateur Stratton: Ce matin, on a dit qu'il fallait deux tiers des voix, plutôt que seulement 51 p. 100.
M. Armitage: Même si 95 p. 100 d'entre eux votaient en faveur de cela, les 5 p. 100 qui restent seraient encore contraints de s'y plier.
Le sénateur Stratton: Je comprends cela. Vous dites que même si une majorité composée des deux tiers des cultivateurs voulait faire inclure une denrée, cela demeurerait inacceptable, puisque les 33 p. 100 qui restent n'en voudraient pas.
M. Armitage: Comme je le fais valoir dans mon mémoire, je ne crois pas que la Commission canadienne du blé devrait être le recours obligatoire au départ. Je crois qu'il devrait être volontaire d'y recourir. Si c'était le cas, le fait qu'elle inclue tel ou tel grain ne me poserait aucune difficulté, mais je ne veux pas qu'on me force à vendre un grain particulier par l'entremise de la Commission du blé.
Le sénateur Hays: Puis-je reprendre la parole? Je crois que le sénateur Stratton a bien parlé. Même en l'absence d'une disposition d'exclusion ou d'inclusion, il demeure possible pour un groupement de producteurs, qui représente un grain en particulier, de prendre des mesures pour faire inclure une denrée dans le monopole de la Commission du blé. Cela est possible, que la loi en parle ou non. Ne vous paraît-il par convenable que la loi renferme de telles dispositions, plutôt que de ne rien en dire?
M. Downie: Je crois qu'il est très important de ne pas séparer la question de l'inclusion et celle du fonctionnement de la Commission du blé. C'est-à-dire que si le recours à la Commission était volontaire, l'inclusion et l'exclusion seraient superflues. S'il faut que le recours demeure obligatoire, toutefois, nous ne pouvons risquer l'incertitude de marché que causerait l'introduction rapide ou l'élimination rapide d'une récolte de la Commission.
Cette année, tout mon grain se transigera sur le marché libre. Si je cultivais un grain qui est du ressort de la Commission canadienne du blé, toutefois, je ne voudrais pas ensemencer, puis découvrir en juillet qu'il y a un marché libre là-dessus. Cela est trop rapide. Il faut trouver une façon de procéder pour que tout le monde soit bien prêt à assumer le changement.
Dès que l'on commence à prévoir des articles d'inclusion ou d'exclusion dans les lois, on crée des risques sur le marché. Nous n'avons pas besoin de risques sur le marché; nous n'avons pas besoin de vexer notre plus important partenaire commercial en faisant comme si nous étions prêts à pratiquer le commerce d'État encore plus, plutôt que moins.
Le président: L'inclusion semble susciter beaucoup d'intérêt. Chez nous, sur notre ferme, il y avait du canola. Sans canola, je crois que nous ne serions plus dans l'agriculture aujourd'hui. Nous sommes donc très sensibles à ce sujet, les agriculteurs sont très sensibles à ce sujet. Pour certains, c'est le lin, pour d'autres, c'est autre chose -- de la moutarde blanche ou noire, par exemple. On est très sensible, très «protecteur» devant la perspective que la Commission fasse quoi que ce soit pour perturber ce qui, tout au moins à court terme, s'est révélé la planche de salut de nos fermes. Le lin se vend maintenant à 11,31 $. Le blé, quant à lui, comme je l'ai dit durant un discours devant le Sénat, est vendu au même prix que l'était le baril de pétrole en 1973: 3 $. En fait d'inclusion, je crois qu'il est très important de reconnaître que les agriculteurs ont une attitude protectrice.
M. Downie: Cela me semble être plus qu'une attitude protectrice. Cela relève de l'économie. Vous l'avez dit vous-même: en 1972, le baril de pétrole valait 3 $, tout comme le boisseau de blé. Aujourd'hui, le baril de pétrole vaut 20 $, mais le boisseau de blé se vend toujours autour de 3 $. Cela n'a pas grand-chose à voir avec le protectionnisme -- cela a tout à voir avec l'économique.
Le sénateur Hays: Je crois mieux comprendre votre position. Une dernière question: est-ce principalement pour des raisons de prix que vous ne cultivez pas de denrées relevant de la Commission, ou encore est-ce une question d'idéologie?
M. Downie: Cela a tout à voir avec le prix. Depuis deux ou trois ans, notre moyenne à long terme sur le canola, le lin, le sarrasin et la triticale est supérieure d'environ 250 $ l'acre. Dans le cas de la triticale, en fait, c'est bien au-dessus de 300 $ l'acre depuis deux ans. Quant au blé no 1, que nous ne cultivons pas très souvent, et au blé no 2, cela se situe autour de 180 $ l'acre. Le choix n'a rien à voir avec une vision du monde.
Le sénateur Taylor: J'ai une petite question pour M. Armitage. Vous vouliez un marché volontaire, mais le succès de la Commission canadienne du blé, si on peut parler ainsi, repose en partie sur le fait que les contribuables canadiens sont mis à contribution, de temps en temps, pour créditer 6 milliards de dollars servant à l'achat de blé et d'orge. Naturellement, s'il y a un marché volontaire, ils voudront que nous éliminions la garantie. Dans votre commercialisation, vous seriez obligés de tenir compte du fait que quelqu'un d'autre devrait assumer la cote de solvabilité, d'assumer le risque pour les acheteurs qui, M. Downie est convaincu, sont tous là.
Par exemple, le gros acheteur pour nous, en ce moment, c'est l'Iran. Seriez-vous vraiment heureux de faire crédit aux Iraniens pour qu'ils achètent votre blé, ou encore d'accepter un prix moindre?
M. Armitage: Par le passé, les agriculteurs ont certainement bénéficié d'une somme de 6,6 milliards de dollars qui ne sera peut-être jamais remboursée. Je suis aussi contribuable, et cela ne fait pas mon bonheur.
Le président: Quelqu'un d'autre a un commentaire à faire? Monsieur Downie.
M. Downie: Il me semble que c'est l'une des raisons pour lesquelles beaucoup d'entre nous estiment que la Commission canadienne du blé devrait prendre possession du grain au port. Le gouvernement n'a plus alors à garantir le prix initial -- le grain ne sera demandé au port qu'au moment où la vente sera conclue. La Commission du blé ne sera pas encline à sortir le grain de la ferme, ni obligée à le faire comme c'est le cas à l'heure actuelle. Au fil des ans, nous avons souvent été témoins de situations où les compartiments à grain sont vidés, et le grain, acheminé au port d'expédition, où l'on découvre qu'il ne s'agit pas du bon grain. Il y a alors une grande quantité de blé fourrager le 31 juillet, à Thunder Bay. Cela ne nous sert pas du tout, car il n'y a plus de blé fourrager qui sort de Thunder Bay. C'est le mauvais grain qui se trouve au mauvais port.
Si la Commission canadienne du blé achetait le grain au port, cela réduirait la fréquence de telles situations. De ce fait, elle serait moins encline à déplacer le plus de grain possible avant la fin de la campagne agricole. Les agriculteurs verraient ainsi les signaux du marché.
Le sénateur Taylor: C'est une observation supplémentaire plus qu'une question. J'ai vu quelque part -- mais je ne sais pas très bien où -- que la nouvelle Commission du blé pourra payer les agriculteurs pour l'entreposage, afin de régler ce problème. Vous pourriez alors garder le grain à la ferme. Vous ne seriez pas obligé de l'envoyer en toute hâte aux ports d'expédition.
M. Downie: Pour être franc, j'aimerais mieux être payé pour le grain que pour l'entreposage. L'entreposage n'est pas très payant. La proposition ne règle pas grand-chose. Elle n'envoie pas de signaux aux agriculteurs; elle ne nous dit pas quoi cultiver, et elle ne nous éclaire pas non plus du point de vue de la commercialisation. Elle nous dit seulement d'acheter des compartiments qui ne sont vraiment pas chers. Ce qu'il nous fait, ce sont les signaux du marché qui nous disent quoi cultiver, quoi vendre, où le livrer.
Le sénateur Hays: Dans votre scénario, comment le grain se rend-il au port? Expédiez-vous le grain au port?
M. Downie: Non. Les exploitants de silos-élévateurs dûment agréés expédieront le grain au port, comme ils le font actuellement dans le cas du canola, du lin, des pois et ainsi de suite.
Le sénateur Hays: Voulez-vous m'expliquer la démarche? Vous avez une récolte de blé qui, disons, doit être mise sur le marché par l'entremise de la Commission canadienne du blé, comme elle doit l'être à l'heure actuelle. Vous l'expédiez à votre exploitant de silos-élévateurs et demandez que le blé soit acheminé à Vancouver, Thunder Bay, Churchill? Vous feriez ce choix?
M. Downie: Non, je ne crois pas. Je crois que la Commission du blé ferait une vente ou qu'elle aurait de bonnes perspectives à cet égard. Elle ferait alors une offre de vente aux agents accrédités.
Le sénateur Hays: Vous ne faites pas de spéculation sur le choix du port?
M. Downie: Non. Je spécule, mais pas sur le choix du port.
Le sénateur Hays: Vous êtes agriculteur, après tout. Je comprends.
M. Downie: Je crois que c'est l'inverse, sénateur. Je crois que cela part de la Commission du blé.
Le sénateur Hays: Je comprends.
Le président: Messieurs, je vous remercie d'être venus témoigner. Au nom du comité sénatorial, je tiens à remercier tous ceux qui ont comparu aujourd'hui, à Brandon. C'est une journée qui a vraiment porté fruit. J'aimerais aussi remercier la presse, et remercier les sénateurs de leur coopération.
La séance est levée.