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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 9 - Témoignages pour la séance du matin


EDMONTON, le mercredi 1er avril 1998

Le comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts, auquel a été renvoyé le projet de loi C-4, Loi modifiant la Loi sur la Commission canadienne du blé et d'autres lois en conséquence, s'est réuni ce jour à 9 h 05 pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Leonard J. Gustafson (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Chers collègues, mesdames et messieurs, nous allons ouvrir la séance. Nos premiers témoins sont MM. Rod Scarlett et Neil Wagstaff qui représentent les Wildrose Agricultural Producers.

Pouvez-vous nous dire où se situe votre exploitation agricole et nous parler un peu de vos activités?

Neil Wagstaff, premier vice-président, Wildrose Agricultural Producers: Je m'appelle Neil Wagstaff, je suis céréaliculteur à Elnora, au sud-est de Red Deer.

Rod Scarlett, directeur général, Wildrose Agricultural Producers: Je m'appelle Rod Scarlett. J'ai une petite exploitation agricole juste en face de la propriété du sénateur Taylor.

M. Wagstaff: J'ai assisté à la réunion à Calgary hier à titre d'observateur. Tandis que j'étais au volant hier soir, lorsque je rentrais, je pensais à tout le débat qui entoure la Commission canadienne du blé (CCB), et je me suis dit que j'allais simplement donner mes impressions personnelles avant de faire mon exposé officiel.

À mon avis, il y a actuellement deux débats qui entourent la CCB, et ils ne portent pas nécessairement sur le projet de loi C-4. Le problème, c'est que ces deux débats font toujours l'objet de confusions. Le premier porte sur le meilleur système de commercialisation pour les céréales, c'est-à-dire sur le système qui rapporterait le plus aux producteurs. L'autre débat est en fait une discussion philosophique concernant la façon dont une démocratie devrait fonctionner. À mon avis, nous confondons toujours ces deux aspects.

Wildrose Agricultural Producers est en fait l'organisation agricole générale de l'Alberta. Il n'y a que deux ans qu'elle porte ce nom, mais elle fait suite à toute une série d'organisations agricoles générales qui ont existé en Alberta.

Le projet de loi C-4 pourrait modifier de façon fondamentale la façon dont les céréales sont vendues dans le reste du Canada. C'est peut-être une évaluation très simpliste, mais le fait est que le projet de loi a des répercussions pour pratiquement chaque agriculteur et éleveur de la région.

Notre association s'efforce de créer une atmosphère de coopération et de communication pour faire en sorte que les problèmes communs à tous les producteurs soient réglés pour le bien de l'agriculture dans son ensemble. Wildrose Agricultural Producers représente l'organisation agricole générale la plus importante de l'Alberta à être financée par les producteurs -- nous ne nous occupons pas d'un seul secteur, nous avons des membres de tous les secteurs agricoles -- et notre effectif continue à augmenter.

Dans le projet de loi C-4, on prévoit un processus électoral et notre organisation veut être sûre que le processus soit démocratique et juste. Ce processus permettra aux producteurs de choisir les administrateurs de la CCB qui vont défendre au mieux les intérêts de la majorité des producteurs. La CCB devrait être administrée selon un système qui commence au niveau des exploitations agricoles, et l'élection des dix administrateurs est une méthode qui permettra d'atteindre en partie ce but. À notre avis cependant, ce processus n'est pas aussi efficace qu'il pourrait être et il crée d'innombrables problèmes autour de l'élection, dont le fait que le processus électoral ne soit pas clairement indiqué dans le projet de loi n'est pas l'un des moindres. La façon dont l'élection se déroulera aura des répercussions importantes sur le fonctionnement de la CCB à l'avenir.

Le processus électoral a suscité de nombreuses inquiétudes et nous estimons que le projet de loi devrait le détailler davantage. Il faudrait notamment préciser les qualifications des candidats, les personnes qui ont le droit de voter, le règlement régissant les conflits d'intérêts, les lignes directrices concernant les dépenses d'élection, les comptes rendus publics et la responsabilité concernant le financement de la campagne, le processus de mise en candidature et la représentation géographique des administrateurs.

Wildrose est un chef de file pour ce qui est de la campagne qui prend de plus en plus d'ampleur et qui veut que les administrateurs de la CCB soient élus au suffrage indirect comme cela est le cas pour plusieurs coopératives de l'Ouest du Canada depuis plusieurs années, coopératives pour lesquelles le système fonctionne bien. Ce système a quelques défauts, mais Wildrose estime que les avantages l'emportent de loin sur les inconvénients. Le système du suffrage indirect est celui qui permet le mieux de représenter les différences régionales et idéologiques tout en permettant à l'opinion de la majorité de l'emporter. L'aspect le plus important du suffrage indirect est qu'il offre un moyen de rendre des comptes en permanence aux céréaliers de l'Ouest du Canada. L'ensemble des délégués constituerait en outre un moyen de communication très nécessaire entre la CCB et les producteurs, et il fournirait l'occasion d'examiner régulièrement les activités des administrateurs et de la Commission du blé. Il permettrait aussi de réduire nettement le fossé qui existe entre les défenseurs et les détracteurs de la Commission canadienne du blé.

Wildrose estime qu'il y a suffisamment de problèmes qui pourraient être liés avec une élection directe au conseil d'administration pour que l'ensemble du processus, s'il n'est pas conçu soigneusement et judicieusement, entraîne en définitive la disparition de la Commission canadienne du blé.

Nous estimons que les avantages du suffrage indirect n'ont pas été suffisamment étudiés jusqu'ici et qu'on l'a critiqué en disant qu'il était lourd, qu'il coûtait davantage au ministre et qu'il était inutile. Wildrose estime que le travail supplémentaire nécessaire pour organiser une élection au suffrage indirect et pour entretenir ce système est justifié car il permettrait aux agriculteurs de décider de façon vraiment démocratique de l'avenir de la CCB.

Que l'on opte pour une élection indirecte ou directe, nous pensons qu'il faudrait vraiment envisager un mode de scrutin préférentiel. Nous savons que de nombreuses organisations agricoles de l'Ouest du Canada sont favorables au mode de scrutin préférentiel. Lorsqu'il y a plus de deux candidats, si on conserve le mode de scrutin traditionnel, il y a de fortes chances que les personnes élues ne soient pas celles qui ont la faveur de la majorité. Un mode de scrutin permettant aux électeurs de choisir trois candidats par ordre de préférence est plus difficile à tabuler, mais il nous garantit que les personnes élues ont vraiment la confiance de la majorité des producteurs.

À notre avis, on a beaucoup trop accordé d'attention à la disposition concernant l'inclusion et l'exclusion et les inquiétudes manifestées à cet égard dépassent les limites raisonnables. De ce fait, on ne s'est pas assez attaché aux autres parties du projet de loi -- parties qui sont beaucoup plus importantes et qui pourraient avoir des répercussions négatives sur les producteurs. Étant donné que la situation économique du monde ne cesse de changer, il est difficile de savoir quelles techniques de commercialisation seront les plus indiquées à l'avenir. Le projet de loi C-4 devrait inclure dans le mandat la Commission canadienne du blé la possibilité de les changer à l'avenir. De plus, la disposition concernant l'inclusion correspond à la conviction de notre organisation selon laquelle les producteurs devraient avoir le droit de décider démocratiquement de la façon dont leurs produits vont être commercialisés. Wildrose craint que le Sénat ne recommande la suppression de cette disposition.

Wildrose croit que la disposition d'exclusion a en fait rendu plus facile le retrait que l'adjonction de céréales à la CCB et nous avons des inquiétudes quant à la façon dont on va choisir les groupes de producteurs qui représentent en fait un produit. Nous estimons donc qu'un processus électoral devrait figurer dans le texte de loi. La question de savoir quel groupe représente un produit et si 50 p. 100 des voix plus une suffisent pour que la CCB prenne des mesures, devrait figurer dans le projet de loi plutôt que d'être abordée dans le règlement ou interprétée par la magistrature.

Nous estimons que n'importe quel groupe de producteurs devrait pouvoir proposer l'inclusion ou l'exclusion et montrer qu'il représente un nombre important de producteurs du secteur en question. Il nous semble qu'une pétition signée par un certain pourcentage de producteurs admissibles devrait être suffisante pour exiger un plébiscite de tous les producteurs. De plus, certains de nos membres se demandent en fait pourquoi certains produits, indépendamment des céréales précisées, notamment les légumineuses, ne devraient pas aussi pris en compte.

Si le Sénat juge nécessaire de recommander une modification de cette disposition, Wildrose aimerait être sûre qu'un processus restera pour permettre des modifications ultérieures des produits commercialisés par la CCB et pour garantir aux producteurs un processus démocratique leur permettant de décider si ces modifications doivent avoir lieu.

C'est le fonds de réserve financé par les producteurs qui a reçu le moins d'attention dans ce débat public alors qu'il pourrait avoir les plus grandes répercussions sur la marge brute d'autofinancement agricole. La gestion de ce fonds n'est pas prévue dans le texte de loi et sera donc décidée par règlement. Nous aimerions que le texte de loi précise davantage l'objet de ce fonds. L'importance de ce fonds devrait aussi être limitée afin d'éviter une nouvelle ponction inutile sur la marge brute déjà serrée des agriculteurs.

L'importance de ce fonds doit dépendre des risques à couvrir. Si on autorisait un fonds important, la CCB prendrait sans doute davantage de risques, et il se pourrait que ce soit en définitive trop de risques.

Tant que le gouvernement fédéral garde un certain contrôle sur la Commission canadienne du blé, les producteurs ne devraient pas avoir à offrir de telles garanties. Traditionnellement, on n'annonce jamais de versements intérimaires avant que la situation du marché ne justifie une augmentation. Les céréaliers canadiens ont été contraints de faire face à la concurrence du Trésor des États-Unis et du marché commun européen, puisqu'ils subventionnent leurs exportations.

Le gouvernement va encore fournir un certain nombre de garanties financières et exiger des producteurs qu'ils financent un fonds de réserve ne fera qu'augmenter le fardeau financier que doivent supporter les agriculteurs. L'augmentation des frais de transport et du coût des intrants, et la diminution de l'aide gouvernementale, tant aux niveaux fédéral que provincial, ont inutilement poussé les céréaliers vers la catastrophe financière. En raison du peu de risques qui existent, le gouvernement fédéral devrait continuer à fournir toutes les garanties nécessaires.

Nous avons d'autres inquiétudes, mais je crois que nous pourrons les exprimer au cours de la discussion. Elles portent notamment sur les achats au comptant, les périodes plus courtes de mise en commun, l'achat de céréales étrangères et le processus électoral.

Le sénateur Fairbairn: Au cours de nos audiences, nous avons beaucoup entendu parler du processus électoral souhaitable. Le suffrage indirect a été mentionné par plusieurs témoins. Mais c'est cependant la première fois qu'on nous donne suffisamment de détails sur ce modèle éventuel. C'est très utile. Puisque vous nous avez fourni ce modèle, peut-on supposer que vous estimez que le fait que la majorité des administrateurs soient élus par les producteurs soit une bonne chose?

M. Wagstaff: Nous pensons que c'est un pas dans la bonne direction.

Le sénateur Fairbairn: Mais vous préféreriez que tout le conseil d'administration soit élu?

M. Wagstaff: Oui.

Le sénateur Fairbairn: Pouvez-vous nous expliquer quels problèmes vous voyez au fait qu'il y ait une voix par personne?

M. Wagstaff: Vous avez tous été élus au Parlement et vous savez combien certaines circonscriptions rurales représentent déjà une grande superficie. Chacune des régions qui choisit un administrateur est plus grande que n'importe laquelle des circonscriptions fédérales de la région.

Pour commencer, la dynamique pour proposer sa candidature et arriver à connaître les producteurs d'une région donnée, ainsi que leurs sentiments, est pratiquement une tâche impossible. De plus, pour mener comme il se doit une campagne, il faut disposer d'un financement important et qui dit financement dit influence. Nous avons un peu peur des candidats qui vont se présenter et du fait que l'élection d'un administrateur se fera ou non en fonction de ses capacités ou en fonction d'un concours de popularité. Nous ne pouvons pas savoir comment les choses vont se passer, mais nous entrevoyons des problèmes.

Le sénateur Fairbairn: Certains témoins des Prairies nous ont laissé entendre que, même si des agriculteurs sont élus à la Commission du blé, ils ne pourront pas obtenir l'influence nécessaire pour pouvoir respecter les voeux et défendre au mieux les intérêts des producteurs. Lorsqu'une majorité élit des gens à ces postes, cela en soit donne lieu à une certaine influence et à un certain pouvoir qui vont au-delà du libellé des dispositions d'un projet de loi, et ce n'est pas une petite partie du projet de loi.

J'ai grande foi dans les capacités des agriculteurs d'utiliser le processus électoral en place, quel qu'il soit, pour choisir un groupe très puissant d'individus comme membres du conseil d'administration. Ne penseriez-vous pas comme moi que, étant donné que le conseil d'administration est constitué en majorité de représentants de producteurs, les administrateurs qui sont des producteurs auront, par leur simple présence, une influence sur les perspectives futures de commercialisation de la CCB?

M. Wagstaff: Je suis tout à fait d'accord avec vous. L'une des raisons qui font que nous estimons que le processus électoral est si important, est due au fait que nous pensons qu'avec dix producteurs au sein du conseil d'administration, ils auront une influence importante sur le fonctionnement de la CCB et sur son avenir. Même si nous avons plusieurs autres inquiétudes concernant le projet de loi C-4, le processus électoral est l'élément le plus important.

Quant au suffrage indirect, je crois que, que nous ayons un tel système ou non, il sera nécessaire pour ceux qui seront élus de mettre au point une sorte de système officieux de représentation dans leur région, un réseau en quelque sorte. Il faudrait qu'il y ait derrière une sorte d'organisation, et quelque chose d'officiel vaudrait mieux que quelque chose qu'on laisse au soin de chaque administrateur.

Il faudra qu'il y ait un réseau ou une organisation quelconque à la base du conseil d'administration. La communication entre les producteurs et le conseil d'administration est essentielle et, à moins que les administrateurs n'aient un réseau de représentants, cette communication n'aura pas lieu.

Le sénateur St. Germain: Quelle définition donnez-vous du «producteur»?

M. Wagstaff: Nous avons donné cette explication lorsque nous avons fait notre exposé devant le comité de l'autre Chambre. Un producteur est une personne qui possède un carnet de livraison de céréales et toute personne qui peut en obtenir un.

Le sénateur St. Germain: Toute personne qui vend sera un titulaire de carnet de livraison de céréales. Est-ce intentionnellement que vous n'avez pas indiqué de chiffres concernant votre effectif?

M. Wagstaff: Non. À l'audience de Calgary hier, j'ai eu l'impression que certaines organisations donnaient des chiffres trompeurs quant à leur représentation.

Nous sommes une organisation à caractère volontaire, nos membres deviennent donc membres volontairement et nous n'avons pas de campagne de recrutement intensive. Le nombre officiel de membres que nous possédons à l'heure actuelle tourne autour de 1 000 exploitations agricoles. Mais nous avons plus de 6 000 exploitations sur notre liste d'envois et c'est ce nombre que nous représentons. Nous avons aussi un réseau d'administrateurs régionaux et de districts dans toute la province, nous pouvons donc rester en contact avec la communauté agricole par leur intermédiaire.

Le sénateur St. Germain: Si on les rend responsables par la constitution d'un fonds de réserve, estimez-vous que la CCB devrait être constituée uniquement de producteurs?

M. Wagstaff: Je crois que les producteurs accepteraient plus facilement de participer à un fonds de réserve s'ils savaient qu'ils étaient totalement maîtres de la situation. Tant que le gouvernement a une influence sur le conseil d'administration et sur la façon dont il fonctionne, il devrait conserver sa part des responsabilités.

Le sénateur Spivak: Ce document est très complet, mais je ne vois rien sur le financement. Pensez-vous qu'il doive y avoir des règles strictes dans le règlement pour le financement des élections?

M. Wagstaff: Absolument et une responsabilité publique tout comme dans la Loi électorale du Canada.

Le sénateur Spivak: Il devrait donc y avoir pour cela des règles strictes. Vous avez parlé des achats au comptant sans donner de détails. Cela influerait-il sur le fait que les producteurs acceptent la mise en commun et pourrait-on ainsi conserver la confiance des agriculteurs à l'égard du guichet de vente unique et leur acceptation du système?

M. Wagstaff: Toute utilisation généralisée des achats au comptant va compromettre les fondements même de la CCB.

Le sénateur Spivak: Pourquoi pensez-vous que cela figure là-dedans? Pouvez-vous nous dire pourquoi vous pensez que c'est dans le projet de loi?

M. Wagstaff: Je crois que cela y figure parce qu'il y a peut-être eu des situations inhabituelles, à l'occasion, où cela aurait pu être profitable aux comptes de la mise en commun et parce que certains agriculteurs préféreraient vendre leurs céréales dans de telles situations en profitant du marché en quelque sorte.

Les achats au comptant présentent des risques dans la mesure où ils peuvent avoir des répercussions négatives sur le fonctionnement de la mise en commun et créer davantage de dissensions entre les agriculteurs. C'est donc une question qu'il faut traiter avec le plus grand soin, mais peut-être faudrait-il aussi admettre que, dans certaines circonstances, on devrait y avoir recours.

Le sénateur Hays: Vous avez parlé de l'inclusion comme d'une possibilité parce que ce pourrait être un choix de commercialisation que les agriculteurs souhaiteraient faire. Serait-ce à la majorité des deux tiers si les producteurs votaient?

Dans votre document, vous proposez une élection annuelle des membres du conseil d'administration par des délégués qui sont eux-mêmes élus pour, disons, quatre ans. N'est-ce pas un peu court?

M. Wagstaff: Je vais répondre à votre deuxième question d'abord. Pour le suffrage indirect, il s'agirait sans doute davantage d'un examen que d'une élection. Il y aurait certainement une élection au départ, mais nous estimons nécessaire de rendre ensuite des comptes au système de représentants.

Votre première question portait sur les inclusions et les exclusions. Oui, nous pensons que des modifications aussi essentielles devraient obtenir l'appui des deux tiers des producteurs. Je préciserais cependant que bien trop souvent on ne parle que d'inclusion ou d'exclusion de la vente à guichet unique. À ce qu'il nous semble, le texte de loi proposé ne précise pas que c'est toujours une vente à guichet unique. Il se pourrait fort bien qu'on demande aux agriculteurs de voter pour faire relever volontairement de la CCB un produit céréalier.

Si le Sénat estime qu'il faut modifier le projet de loi C-4 concernant les inclusions ou les exclusions, nous sommes tout à fait favorables à l'amendement qu'avait proposé le ministre Goodale juste avant que le texte ne soit adopté. Cette proposition de modification ne nous pose aucun problème.

Ce que nous voulons surtout, c'est qu'un processus clair soit précisé, pour que les producteurs d'une denrée votent pour changer le statut de leur produit au sein de la Commission du blé. Qu'est-ce exactement que le producteur d'une denrée, la chose est floue. C'est une question difficile à régler car il faut peut-être avoir recours à l'aspect historique de la production; c'est-à-dire définir un producteur comme quelqu'un qui produit cette denrée depuis cinq ans. Il est encore plus difficile de définir ceux qui ont la capacité de produire la denrée.

Le sénateur Whelan: J'ai milité pendant longtemps dans les organisations agricoles et les coops, et j'ai été élu administrateur à titre général au cours d'une élection où tous les délégués votaient, mais les autres étaient élus par région. Seriez-vous favorable à ce type d'élection?

M. Wagstaff: J'imagine que nous ne nous y opposerions pas, mais il me faudrait me renseigner sur la dynamique de l'organisation en raison de l'importance géographique et des distances concernées. Nous n'y avons pas vraiment réfléchi.

Le sénateur Whelan: Pensez-vous que le fait d'élire dix administrateurs et d'en nommer cinq est moins démocratique que d'élire les 11 membres du conseil consultatif actuel?

M. Wagstaff: Le comité consultatif est strictement un organisme de consultation et de ce fait, beaucoup de producteurs n'ont pas considéré ces élections avec le sérieux qu'elles méritaient. Je crois qu'ils prendraient beaucoup plus au sérieux l'élection au conseil d'administration.

Le sénateur Whelan: Si j'ai bien compris, le projet de loi C-4 ne précise pas qui doivent être ces cinq membres nommés. Ils pourraient venir de n'importe quelle région de l'Ouest du Canada et ils pourraient aussi être tous agriculteurs.

M. Wagstaff: Ils pourraient venir de n'importe où dans le pays aussi et il n'est pas nécessaire qu'ils soient agriculteurs.

Le sénateur Whelan: J'ai ici une liste des entreprises qui ont fait des dons aux Western Canadian Wheat Growers. Parmi ces sociétés, certaines ont obtenu la médaille de platine, d'autres la médaille d'or, d'autres la médaille d'argent, d'autres enfin la médaille de bronze; il s'agit de sociétés comme New Holland, Grand Industries, the United Grain Growers et la Banque Royale. Pensez-vous qu'elles doivent toutes voter? Votre organisation ne figure pas dans cette liste.

M. Wagstaff: Non, en effet. Par ailleurs, notre organisation n'a pas ce genre de commanditaires. Wildrose est uniquement financée par des producteurs et c'est d'ailleurs là l'un des changements essentiels qui se sont produits lorsque Unifarm a disparu et que Wildrose a pris la relève.

Le sénateur Whelan: Devrait-on appeler organisation de producteurs une organisation qui obtient l'essentiel de son financement d'autres sources?

M. Wagstaff: Je crois que la question relève d'un autre débat, monsieur le sénateur.

Le sénateur Whelan: Elles ont droit à beaucoup de publicité parce qu'elles représentent les producteurs de blé de l'Ouest du Canada.

M. Wagstaff: Dans le projet de loi C-4, il n'est pas clairement indiqué que ceux qui peuvent proposer leur candidature au conseil d'administration doivent être des producteurs. À ce que je vois, n'importe qui peut se présenter.

Le président: Selon le projet de loi, l'appartenance au conseil d'administration est un emploi à temps partiel. Avec dix administrateurs seulement, ou même 15, il serait difficile de faire un bon travail de représentation de la CCB tant à Winnipeg que dans les régions.

M. Wagstaff: Cela est pour nous un sujet d'inquiétude. Il est clairement indiqué que ce doit être un poste à temps partiel, mais je le comparerai à celui d'un député, et c'est pourquoi je suis si favorable à un suffrage indirect.

Le président: Merci d'être venu ce matin et de nous avoir soumis votre mémoire pour étude.

M. Wagstaff: Merci de nous en avoir donné l'occasion.

Le président: Nous allons maintenant donner la parole à l'Alberta Grain Commission. Pouvez-vous nous dire qui vous êtes et où se situent vos exploitations?

M. Ken Motiuk, Alberta Grain Commission: L'Alberta Grain Commission est heureuse d'avoir la possibilité de prendre la parole devant le comité du Sénat que nous félicitons pour la tenue de ces audiences.

Je m'appelle Ken Motiuk. Mon exploitation est située à Mundare (Alberta) à environ 50 milles à l'est d'Edmonton. Ma femme et moi dirigeons une exploitation agricole mixte puisque nous produisons des céréales, des oléagineux et des «pollscraps». Nous avons aussi un petit élevage de bétail. J'ai à mes côtés Gil Balderston qui dirige une exploitation céréalière avec son fils à Sexsmith dans le district de Peace River en Alberta.

Je vais vous faire un peu l'historique de l'Alberta Grain Commission. Elle a été constituée en 1972 et elle a pour mandat d'examiner toutes les questions en rapport avec le secteur céréalier et de faire les recommandations voulues au ministre albertain de l'agriculture. Notre objectif est donc de faire des recommandations qui permettent la croissance et le développement durable d'une industrie céréalière viable, et nous restons en relations étroites avec les agriculteurs et les organisations agricoles.

Nous estimons que le projet de loi C-4 est essentiellement défectueux. Les agriculteurs souhaitent avoir des choix pour la commercialisation, ils ne veulent pas qu'on se contente de disposer autrement les chaises longues sur le pont du Titanic. L'Alberta Grain Commission a organisé un plébiscite en 1995 sur la commercialisation du blé et de l'orge. Selon les résultats, 66 p. 100 des participants souhaitaient avoir la liberté de vendre leur orge à qui ils l'entendaient, y compris à la CCB, tandis que 62 p. 100 des agriculteurs souhaitaient avoir la liberté de vendre leur blé à n'importe quel acheteur, y compris la CCB.

Nous avons organisé au début de l'année des réunions de groupes de discussion pour savoir ce que pensaient les agriculteurs albertains des audiences Estey et nous leur avons posé à cette occasion des questions sur la commercialisation des céréales. Encore une fois, les résultats ont montré qu'une grande majorité d'agriculteurs, entre deux tiers et 75 p. 100 d'entre eux, souhaitaient avoir un certain choix lorsqu'il s'agit de vendre leurs céréales.

Le projet de loi C-4 ne fait que reconfirmer l'asservissement des agriculteurs de l'Ouest envers Ottawa. La CCB a obtenu son monopole pour l'exportation des céréales au cours de la Seconde Guerre mondiale, période où le gouvernement souhaitait avoir le contrôle de l'approvisionnement alimentaire et des prix. Ce monopole a continué au cours des années 40 afin d'offrir à la Grande-Bretagne des aliments peu chers tandis qu'elle se lançait dans la reconstruction du pays après la guerre. Les agriculteurs de l'Ouest ont payé le prix pour ce contrôle et je crois qu'il est temps de déboulonner le mythe voulant que la CCB a été créée dans leur intérêt une fois pour toutes. Il suffit de lire la biographique de l'honorable Mitchell Sharp pour le comprendre.

Les agriculteurs de l'Ouest sont les seuls à qui l'État confisque les produits afin de les revendre. Les agriculteurs ontariens auront bientôt la possibilité d'exporter directement vers les États-Unis. Pourquoi y a-t-il deux poids et deux mesures? Les agriculteurs de l'Ouest sont-ils en quelque sorte moins intelligents que ceux de l'Est? Pourquoi devrions-nous être traités différemment des agriculteurs de l'Est?

La plupart des députés viennent des circonscriptions qui sont situées à l'est de la frontière ontario-manitobaine et c'est à cause de la tyrannie de cette majorité que la législation a été adoptée de force contre les voeux des représentants de l'Ouest alors que parallèlement ces mêmes députés permettaient à leurs propres électeurs d'exporter directement des céréales vers les États-Unis.

Le gouvernement voit l'avantage de la déréglementation dans de nombreux secteurs de l'économie. Elle a eu lieu pour les télécommunications, où nous avons maintenant des tarifs intéressants pour les interurbains, et pour la radiotélédiffusion. Elle a eu lieu pour les transports, ce qui a facilité au gouvernement la vente du CN.

Le gouvernement est devenu partie prenante à l'ALEA, à l'OMC et l'économie canadienne est florissante. Le déficit des comptes courants a disparu et nous sommes en train de rembourser notre dette en vertu du nouveau régime. Mais parallèlement, les agriculteurs de l'Ouest sont singularisés; ils ne peuvent pas gérer leurs propres entreprises et prendre part à la nouvelle mondialisation de l'économie.

En ce qui concerne les diverses dispositions du projet de loi C-4, nous estimons que certaines de nos recommandations pourraient être intégrées dans un projet de loi avec les dispositions concernant le caractère volontaire de la commercialisation.

En vertu du projet de loi C-4, c'est encore le gouvernement qui nomme le PDG ou le président. Le conseil d'administration se trouve donc être un tigre édenté. Le conseil d'administration peut dire tout ce qu'il veut, mais, si Ottawa a seule le pouvoir de destituer le président ou la présidente, celui-ci ou celle-ci n'a pas à écouter le conseil d'administration. Il ou elle peut décider de prendre ses ordres à Ottawa.

Cela nous amène à un autre sujet; Ottawa conserve le contrôle en vertu du projet de loi C-4 actuel. On y dit que le gouverneur en conseil peut donner des instructions au conseil d'administration en ce qui concerne la façon dont il administre ses affaires. Si ce sont en fait les agriculteurs qui ont le contrôle, pourquoi Ottawa conserverait-il cette possibilité de diriger le conseil?

On dit aussi dans le projet de loi que le conseil d'administration doit agir au mieux des intérêts de la Commission. Si ce projet de loi est tellement à l'avantage des agriculteurs, pourquoi ne dit-on pas qu'il devrait agir au mieux des intérêts des agriculteurs? On dit aussi que la CCB doit procéder à une mise en marché ordonnée des céréales. Jusqu'ici, personne n'a encore pu me dire ce que c'était que la mise en marché ordonnée. Pourquoi ne dit-on pas simplement mettre en marché les céréales pour obtenir des bénéfices maximums pour les agriculteurs de l'Ouest?

On ne peut rendre des comptes pour l'organisation que si les agriculteurs ont la possibilité de faire affaire ailleurs s'ils ne sont pas satisfaits de la performance de la CCB.

Le système actuel ne fonctionne plus pour le blé et l'orge. On a enlevé l'avoine à la CCB, et nous en exportons maintenant plus d'un million de tonnes par an vers les États-Unis. Les expériences réussies de ce genre montrent ce que l'on peut faire avec une récolte et comment, une fois libérées des entraves de la CCB, la commercialisation et la production vont devenir florissantes.

Les superficies où l'on cultive les grains non assujettis à la Commission, comme le canola et les pois, ont nettement augmenté. Ce sont des récoltes qui ne relèvent pas de la Commission, qui sont commercialisées sur le marché libre et que les agriculteurs appellent des cultures commerciales. Pourquoi? Parce qu'on peut facilement les commercialiser pour en tirer de l'argent et les agriculteurs peuvent faire de l'argent en les produisant.

Il n'y a pas de raison qu'on ne puisse pas commercialiser le blé et l'orge de la même façon. Les mises en commun pour l'exportation de l'orge fourragère posent de plus en plus de problèmes et la Commission du blé a du mal à trouver le produit. Au début mars, à Grain World, la CCB elle-même a dit que ce pourrait être un marché extraordinaire en 1998 et 1999 parce qu'elle a du mal à trouver de l'orge pour l'exportation. Nous nous excluons nous-mêmes de ce marché des exportations en ne permettant pas au commerce privé d'y prendre part.

Si nous regardons les perspectives publiées la semaine dernière par la CCB concernant les bénéfices de la mise en commun, nous voyons un prix estimatif net, selon la région où l'on se trouve dans les Prairies, de 0,75 $ à 1,75 $ le boisseau d'orge. Comment les agriculteurs peuvent-ils survivre avec ce genre de prix? Les agriculteurs manitobains, à cause des frais de transport élevés, pourraient obtenir un prix de 75 cents le boisseau dont une partie ne leur sera payée comme versement final qu'après le début du nouveau millénaire.

L'Alberta Grain Commission estime qu'on devrait donner à la Commission du blé les outils dont elle a besoin pour faire efficacement face à la concurrence sur un marché double et qu'on devrait ensuite nous laisser libres. Si la réputation de la Commission du blé dans le monde est bonne, elle n'a pas à craindre la concurrence.

Il y a une idée fausse qui circule et qui veut que la CCB ne puisse pas faire face à la concurrence avec un système double de mise en marché. Nous ne croyons pas que ce soit exact. La CCB peut signer des contrats avec des agriculteurs pour obtenir son approvisionnement. Les agriculteurs peuvent cesser de faire affaire avec la Commission pendant un an ou plusieurs années et opter pour un autre moyen. De cette façon la Commission aura un approvisionnement assuré pour remplir ses contrats d'exportation.

Il faut permettre à la Commission du blé d'acheter au comptant et l'autoriser à avoir des périodes de mise en commun plus courtes pour qu'elle ait les outils voulus pour faire face à la concurrence sur le marché libre. Si nous avions un système de commercialisation volontaire, nous n'aurions plus à nous occuper des dispositions d'inclusion ou d'exclusion.

Il est aussi prouvé que la CCB n'a pas très bien réussi pour l'établissement du prix du blé à l'intention du marché des exportations. Selon des études récentes réalisées par Blair Rudder chez les United Grain Growers, le prix américain à la production, après avoir établi les correspondances monétaires voulues, rapportent au moins 1 $ de plus du boisseau aux agriculteurs américains qu'aux producteurs canadiens de l'Ouest.

Les agriculteurs américains peuvent gérer leurs risques en ayant recours au marché à terme et en vendant à l'acheteur le plus offrant. Nous allons déposer à l'intention du comité un article tiré du numéro de mars 1998 de Country Guide. Le titre en est «Futures Make Money for Montana Wheat Growers» (le marché à terme rapporte de l'argent aux producteurs de blé du Montana), et on y montre comment une utilisation judicieuse du marché à terme a permis aux agriculteurs américains de bénéficier de trois années de prix élevé du blé pour la production d'une année de la région à blé américaine. Étant donné les connaissances que l'on a actuellement, les capacités de communication dont on dispose et les conditions de la mise en marché, c'est on ne peut plus facile à faire. Mais au Canada, nous n'avons pu que constater la baisse de nos perspectives de rendement de mois en mois et suivre la CCB en quête d'un marché où le prix du blé diminuait. Il suffit, pour vérifier la chose, de regarder les prix que nous avons obtenus pour nos céréales au cours de ces années.

Les entreprises agricoles sont désormais sophistiquées. Nous gérons une marge brute importante et nous avons de gros investissements. Nous ne sommes plus les paysans asservis des années 30 et 40 qui conduisaient humblement leur chariot à la ville et qui apprenaient à l'arrivée que le prix du blé avait baissé de 0,25 $ le boisseau. Ce n'est plus dans ce monde-là que nous travaillons en l'an 2000, et nous avons besoin des outils qui vont nous permettre de produire des céréales au XXIe siècle et non dans le passé.

Les avantages du monopole relèvent plutôt du mythe et du folklore. Ce que nous recommandons précisément pour le projet de loi C-4, c'est que la méthode de mise en marché des grains dans l'Ouest du Canada soit volontaire, comme dans le reste du Canada. Nous recommandons également de permettre au conseil d'administration élu d'engager et de renvoyer le président et le PDG, et de modifier le projet de loi C-4 pour que le conseil d'administration puisse agir au mieux des intérêts des agriculteurs en ayant comme objectif de maximiser leurs revenus. Enfin, nous recommandons de donner à la nouvelle CCB les outils nécessaires pour faire face à la concurrence du commerce privé et tirer profit de sa réputation mondiale. Les négociants qui offriraient la meilleure affaire aux agriculteurs seraient ceux qui survivraient et qui obtiendraient le marché.

Nous estimons que la Commission du blé et le gouvernement fédéral n'interprètent pas comme il se doit l'opinion de la majorité des agriculteurs de l'Ouest. Les agriculteurs veulent pouvoir disposer d'options, pouvoir choisir. Nous avons réuni des groupes de discussion et nous avons eu des plébiscites en Alberta en faveur de cela.

Si le projet de loi C-4 reste inchangé, le débat acerbe et porteur de discorde continuera. Nous gaspillons notre temps et notre énergie inutilement alors que nous devrions être chez nous en train de diriger nos entreprises. C'est notre grain. Ce n'est pas le grain du gouvernement ni celui de la Commission du blé. Gérons donc nos affaires comme nous l'entendons.

Le président: Si on autorisait un agriculteur à vendre disons 25 p. 100 de sa récolte en dehors de la Commission du blé et 75 p. 100 par son intermédiaire, et si cette possibilité était offerte plusieurs fois par an, ce genre de système fonctionnerait-il?

M. Motiuk: Je crois que la question de la sécurité de l'approvisionnement est importante et il y a diverses façons d'envisager et de négocier la chose. Le système de mise en marché actuel est un peu une plaisanterie car c'est un marché négocié unilatéralement. L'agriculteur dit combien de grains il souhaite vendre et la Commission du blé lui dit combien elle va prendre. C'est vraiment un marché négocié unilatéralement.

Nous pourrions sans doute accepter un système qui permettrait à chaque agriculteur de dire quel pourcentage de sa production il souhaite mettre en marché par la Commission du blé, ce qui permettrait à la CCB de savoir qu'elle va obtenir cette quantité de grains.

Le président: C'est ce que je veux dire.

Le sénateur Stratton: Nous devons admettre que le gouvernement fédéral a tout de même encore un intérêt assez important dans tout cela et qu'il va continuer à le conserver. Il veut disposer de cinq personnes au conseil d'administration, plus le PDG, et cela peut se discuter, car le PDG devrait en fait être un outil pour le conseil d'administration, il devrait être en son pouvoir.

Il me semble donc qu'il ne reste au conseil d'administration qu'une dernière arme, celle d'engager et de renvoyer le PDG qui dirige en gros la Commission. Si vous deviez accepter la structure actuelle mais que le conseil d'administration ait à la fois le pouvoir d'approuver le choix du ministre et de renvoyer le PDG à la suite d'un vote à la majorité des deux tiers, cela vous paraîtrait-il acceptable?

M. Motiuk: Nous pensons que ce genre de choses pourrait être négocié. Mais là encore, nous estimons que le contrôle et la responsabilité résideraient essentiellement dans le libre choix de l'agence de commercialisation. Un conseil d'administration correspondant à la structure prévue dans le projet de loi C-4 n'est pas hors de question, me semble-t-il. Ce n'est pas tout ou rien que nous voulons. On pourrait avoir dix personnes élues et cinq personnes nommées.

Nous estimons que le PDG devrait être nommé par le conseil d'administration. On pourrait par exemple prévoir l'élection de dix membres par les producteurs et que les membres restants soient choisis conjointement par les administrateurs élus et le ministre. La méthode d'élection et la structure du conseil d'administration ne constituent pas un si gros problème pour nous. Nous pourrions accepter ce genre de changements.

Le sénateur Hays: J'aimerais connaître davantage les raisons qui font que vous demandez le report de l'adoption du projet de loi C-4 pour attendre le rapport de la commission Estey. Si le projet de loi comportait par exemple un double système de commercialisation, souhaiteriez-vous encore qu'on reporte son adoption? Quelles sont les raisons qui font que vous demandez ce report car je ne les comprends pas vraiment.

M. Motiuk: Le transport et la commercialisation des grains dans l'Ouest du Canada sont vraiment liés. Il est très difficile de séparer l'un de l'autre. La Commission du blé, parce qu'on lui attribue des wagons céréaliers, est actuellement très impliquée dans le transport des grains. Le secteur céréalier et les chemins de fer sont maintenant d'accord pour dire que c'est une survivance de l'ancien accord d'EFS et qu'on devrait peut-être retirer à la Commission du blé les wagons qui lui sont attribués et qu'elle devrait se limiter à la commercialisation du grain.

Toutes ces questions sont liées et l'examen du système de transport est en cours; il serait donc peut-être plus prudent d'attendre de voir ce que le juge Estey décidera avant de modifier le projet de loi. Les amendements pourront ensuite suivre certaines des recommandations et la réforme générale du transport et de la commercialisation pourrait être proposée par le gouvernement fédéral.

Le sénateur Hays: Pourriez-vous m'illustrer par un exemple la façon dont le rapport Estey pourrait influer sur la Commission? Je ne crois pas qu'il soit en son pouvoir de faire des remarques sur la double mise en marché, qui est la question importante pour vous. Je comprends ce que vous dites, mais je ne vois toujours pas comment cela a un tel effet qu'il faille reporter l'adoption du projet de loi C-4.

M. Motiuk: Encore une fois, il n'est pas possible de séparer la commercialisation du transport. Si le juge Estey estime qu'il faudrait peut-être accorder davantage de wagons et de responsabilités en matière de transport au secteur, à l'industrie, ces changements pourraient alors être intégrés au projet de loi C-4. Cet examen étant en cours, essayons de faire les choses comme il faut. Ne procédons pas par demi-mesures.

M. Gil Balderston, Alberta Grain Commission: Plus d'un groupe a recommandé que la CCB se charge des grains au port. Si cela devait se produire, ce serait un gros changement, un changement qui n'est pas prévu dans le projet de loi C-4.

Le sénateur Spivak: Je ne comprends pas très bien ce que vous voulez dire par là car l'un des gros problèmes, c'est que vous n'avez pas assez de wagons pour charger le grain au moment voulu. C'est l'un des problèmes. Le deuxième est le coût. Au Manitoba, le coût de l'expédition des grains a augmenté de 39 p. 100. Comment la vente au port faciliterait-elle pour les agriculteurs de ma province le transport du grain en temps opportun et à un prix raisonnable?

M. Motiuk: Nous sommes précisément en train de parler de transport ici, ce qui montre bien combien il est difficile de faire la distinction entre les deux. Il est peut-être un peu simpliste de dire que les chemins de fer ne peuvent pas fournir suffisamment de wagons, car les responsables vous diront que s'il n'y en a pas davantage, c'est qu'ils sont encore chargés dans le port de Vancouver. Au terminal, on nous dit qu'on ne peut pas les décharger dans le port de Vancouver parce qu'ils ne contiennent pas les grains voulus. Et il en est ainsi parce que la Commission du blé s'est trompée de céréales et qu'elle n'a pas établi la correspondance avec le grain qu'elle a envoyé là-bas, ce qui s'est produit en 1996.

On a alors une céréale qui n'est pas demandée qui s'en va au mauvais endroit au mauvais moment, le tout étant géré par un organisme central qui n'est pas responsable. Dans le système de manutention des grains à l'heure actuelle, personne n'est responsable. Pourquoi n'avez-vous pas de wagons? Ma foi, il n'y a pas de wagons vides parce qu'ils sont pleins. Pourquoi sont-ils pleins? Parce qu'ils n'ont pas été déchargés. Pourquoi n'ont-ils pas été déchargés? Parce que les silos des terminaux sont pleins, parce que les navires ne sont pas arrivés, et ainsi de suite, on continue à tourner en rond.

La proposition dont parle le groupe SCO ressemblerait beaucoup à la mise en marché du canola, par exemple, à partir de Vancouver. Quand avez-vous entendu parler d'un problème de pénurie de wagons pour le transport du canola, pour l'exportation du canola, ou de surestaries pour les navires transportant du canola? Nous n'entendons jamais parler de cela. Nous n'en entendons pas parler parce que le commerce privé est responsable; s'il y a des problèmes, cela coûte de l'argent; on fait donc en sorte que le système fonctionne.

Envisageons donc un système de ce genre pour la Commission du blé. Laissons-lui la commercialisation des grains, mais seulement à partir du port. Par exemple, si elle a besoin de 25 000 tonnes de 1-CW-13-5 à Vancouver la deuxième quinzaine de mai, elle fait un appel d'offres. Les compagnies céréalières présentent une soumission pour le transport du grain jusqu'à la côte. Quelqu'un est alors responsable.

Les compagnies céréalières savent qu'elles auront la capacité de faire parvenir ces 25 000 tonnes de grains jusqu'à la côte et elles ne vont pas soumissionner pour ce marché sans avoir contacté les chemins de fer pour vérifier que la capacité de transport est disponible. La compagnie céréalière conclura alors un marché avec les chemins de fer et avec la CCB et elle saura ce qu'il en coûte si les 25 000 tonnes de grains ne sont pas à l'endroit voulu au moment voulu. Quel avantage cela aura-t-il pour les agriculteurs? Les compagnies céréalières seront en concurrence pour la soumission. Elles vont réduire leurs frais de manutention, elles vont essayer d'obtenir de bons prix de transport grâce aux chargements de plusieurs wagons ou à des tarifs d'encouragement et elles vont réduire leurs bases pour obtenir l'affaire.

Le président: Pour votre information, je vous signale que 12 wagons chargés de blé sont restés à Torquay (Saskatchewan) tout l'hiver dernier.

Le sénateur Whelan: J'aimerais juste savoir qui sont vos membres et quel est votre mode de financement.

M. Motiuk: Notre effectif est actuellement constitué de six agriculteurs et de trois ou quatre employés du ministère albertain de l'agriculture. Nous sommes nommés par le gouvernement albertain et nous sommes tous actifs dans d'autres organisations agricoles. Par exemple, je suis administrateur de United Grain Growers et Gil est délégué de l'Alberta Wheat Pool. Un autre de nos membres fait partie du comité consultatif de la Commission du blé. Un autre encore est président de l'Alberta Canola Growers Commission.

Collégialement, nous conseillons le ministre et le ministère en matière agricole. Nous sommes nommés par le gouvernement provincial de la même façon que les sénateurs sont nommés. Mais nous ne sommes pas nommés à vie, nous n'avons pas de retraite et nous ne sommes pas payés si nous ne nous présentons pas pour travailler.

Le sénateur Whelan: Au Sénat, on estime que nous sommes absents parce que nous sommes ici. Selon le règlement du Sénat, nous sommes absents.

Le sénateur Stratton: Nous sommes ici pour travailler. Nous ne savons pas si nous ne devrions pas être payés parce qu'on nous a marqués absents.

M. Motiuk: J'imagine que ça revient à votre définition du travail.

Le sénateur Whelan: On n'est pas nommé à vie au Sénat; mon mandat n'est que de trois ans. On est nommé jusqu'à l'âge de 75 ans; j'aurai 75 ans l'année prochaine.

Tout le monde cite tout le temps l'Ontario Wheat Board. Mitchell Sharp est un très bon ami, mais c'est un bureaucrate de l'ancienne école. Ne l'oubliez pas. J'ai été parmi les administrateurs qui ont fondé l'organisation et elle a été créée parce que les conditions de mise en marché étaient horribles et injustes. Les agriculteurs ontariens doivent faire les mêmes démarches que vous pour obtenir une licence d'exportation auprès de la CCB. Par ailleurs, la question n'a pas encore été décidée.

M. Motiuk: Il est pratique courante pour la Commission du blé d'accorder des licences d'exportation à l'office de commercialisation de l'Ontario sans poser de question. L'honorable Mitchell Sharp est un ancien bureaucrate, mais il est aussi un ami personnel proche du premier ministre ainsi que son mentor.

Le sénateur Whelan: Moi aussi.

Le sénateur St. Germain: Ce qui m'inquiète le plus, c'est la structure du conseil d'administration et la nomination du président. Je crois vraiment qu'il nous faut nous écarter des nominations faites par népotisme et de la politique partisane.

Avez-vous fait un exposé devant le comité de la Chambre des communes?

M. Motiuk: Gil et moi ne sommes pas comparus à Ottawa, mais nous avions fait une étude pointue.

Quant à la question de la politique partisane et des nominations, je sais que Ted Alan, président de UGG, a parlé de la nomination du PDG de l'Office de commercialisation du poisson d'eau douce lorsqu'il est comparu devant le comité en octobre dernier. Il s'agit d'une nomination partisane, si vous voulez, et c'est exactement le genre de choses que nous craignons pour la nomination du PDG de la CCB.

Le sénateur Ghitter: Votre résumé de la situation pour le canola est tout à fait logique, surtout en raison de la déréglementation et du commerce mondial. J'imagine que vous demandez depuis 30 ou 40 ans la même chose; pourquoi les changements ne se font-ils pas?

M. Motiuk: Au cours des cinq dernières années, sans doute parce que le ministre Goodale ne voulait pas interpréter ses propres sondages, ne voulait pas écouter son groupe de spécialistes de la commercialisation. Pour le gouvernement précédent, il a fallu quelques années, mais M. Mayor a finalement libéralisé le marché de l'orge.

M. Balderston: J'ai ressorti des archives un document qui avait été présenté par les trois Pools en 1972 et qui expliquait pourquoi ce serait si terrible pour les agriculteurs que de commercialiser le canola sur le marché libre. Ils nous donnent les mêmes raisons aujourd'hui.

Mon fils est en train de conclure des marchés pour le canola pour l'automne prochain à raison de 9 $ le boisseau, et eux parlent de 0,70 $ le boisseau pour l'orge.

Le sénateur Ghitter: Je ne comprends toujours pas. Je n'ai pas l'impression d'avoir eu une réponse à ma question.

M. Motiuk: J'imagine que la question nous pose un problème aussi. Il y a un groupe d'agriculteurs qui adorent commercialiser par l'entremise de la CCB et qui souhaitent continuer à le faire. Nous ne voulons pas leur enlever ce droit, et c'est pourquoi nous disons que la CCB devrait rester pour ceux qui souhaitent l'utiliser.

La réussite est évidente dans le secteur des pois et du canola. Il me semble que ces expériences montrent simplement pourquoi le gouvernement ne devrait pas être impliqué dans le secteur. Il faut toujours tellement de temps au gouvernement pour réagir aux réalités du monde actuel et, s'il choisit de ne pas réagir pour des raisons politiques, nous n'avons pas le cadre voulu pour gérer nos affaires.

Il ne s'agit pas de savoir si cela va se faire, mais quand cela va se faire. Si la CCB refuse de changer, elle se trouvera rapidement sans orge de provende à exporter parce que les agriculteurs ne peuvent pas produire de l'orge fourragère à ces prix. Ça nous étonne aussi parce que ça paraît si évident.

Le sénateur Hays: Pour vous la CCB, c'est le gouvernement?

M. Motiuk: Tout à fait.

Le président: Messieurs, je vous remercie d'être venus ce matin.

Nous allons ensuite donner la parole à M. John Prentice de la Canadian Cattlemen$s Association.

M. John Prentice, administrateur, Canadian Cattlemen's Association: Merci, monsieur le président, de me donner l'occasion de prendre la parole aujourd'hui. Je suis administrateur de la Canadian Cattlemen's Association et je suis éleveur de bétail près d'Edmonton. Je fais partie du comité des affaires intérieures de l'association et on m'a autorisé à présenter ce mémoire en son nom.

Je commencerai par un petit historique. Parce qu'il est source de recettes monétaires agricoles, le secteur des bovins de boucherie est le plus important secteur agricole des Prairies. Je crois que nous représentons quelque chose comme 22 p. 100 des revenus agricoles nets.

Le secteur des bovins de boucherie est florissant non seulement sur les millions d'acres de pâturage naturel, mais aussi sur des herbages plantés de graminées et de légumineuses. Ces plantations fourragères sont des outils essentiels pour redonner au sol sa fertilité ou la conserver. Comme vous le savez, avec les subventions à l'exportation et la monoculture du blé, la fertilité de nos terres a souffert. Nous pensons pouvoir contribuer à la reconstituer.

L'important troupeau bovin qui ne cesse de croître est certainement le plus gros marché pour les céréales fourragères cultivées dans les Prairies. Parce que les céréales fourragères sont volumineuses, il est logique de le transformer en produits plus condensés et plus chers, comme la viande. Le secteur canadien des bovins de boucherie exporte actuellement 54 p. 100 de sa production vers divers marchés, mais surtout vers les États-Unis où 90 p. 100 de nos exportations sont dirigées.

Lorsque les États-Unis soumettent le secteur canadien du boeuf à 332 audiences -- nous en avons eu quatre jusqu'ici -- la politique céréalière fait aussi l'objet de l'enquête car c'est l'un des éléments du coût de production du boeuf.

Nous estimons donc qu'il est tout à fait essentiel d'avoir une production et un système de commercialisation des céréales efficaces s'appuyant sur les principes du marché libre. Normalement, nous ne donnons pas notre avis sur les questions céréalières, mais nous estimons avoir ici un intérêt. Je vais vous l'expliquer dans mes remarques.

Lorsque je suis allé dans ma région d'origine, en Écosse, il y a trois ou quatre ans pour Noël, j'ai parcouru l'Almanach écossais d'environ 1882. J'ai constaté quelle avait été l'évolution de la répartition des cultures dans le comté de Lanarkshire de 1855 à 1880: la production de blé avait diminué de moitié à peu près, l'orge de 20 p. 100, l'avoine de 80 p. 100 et les graminées de façon importante.

C'est ce genre de situation que l'on connaissait dans les Prairies avant la fin de la Seconde Guerre mondiale. Nous ne pouvions compter sur aucune aide, nous n'avions pas de subvention importante comme le Nid-de-Corbeau. Il n'y avait pas d'inflation. À l'époque, les Prairies étaient le principal producteur de viande, d'oeufs et de lait du Canada. À l'époque, nous produisions 67 p. 100 de tous les porcins du Canada.

En Alberta, et en Saskatchewan aussi, on entend beaucoup parler de l'augmentation de la production porcine. Mais nous en sommes bien loin des chiffres -- enfin, nous en sommes près en Alberta, mais loin en Saskatchewan -- de la production porcine qui se faisait il y a 54 ans. Nous n'avons plus le Nid-de-Corbeau, donc la totalité des emplois, de l'activité économique et de la valeur des céréales va revenir aux Prairies, mais on ne dit pas où exactement.

Les gens du Manitoba et de la Saskatchewan le savent, à cause de la question du prix de la voie maritime qui a été traitée à l'époque, et nous constatons que l'on prévoit de déménager au Manitoba et en Saskatchewan de nombreux parcs d'engraissement. C'est là qu'il y a un avenir. Nous sommes encore en face de construction en Alberta, mais je pense que nous avons atteint le maximum.

Voici maintenant les inquiétudes que nous avons. La nouvelle législation proposée concernant la Commission canadienne du blé concerne en fait les producteurs canadiens de boeuf. Les administrateurs actuels de la Commission canadienne du blé sont nommés par le gouvernement pour agir pro bono, dans l'intérêt public. En réalité, cela suppose entre autres une politique nationale concernant les céréales fourragères en conservant un stock minimum d'environ 2 millions de tonnes d'orge à la fin de chaque campagne agricole. C'est bien pour ce qui est du secteur national, des utilisateurs nationaux.

Nous proposons que la majorité du futur conseil d'administration soit élu par les céréaliers et leur rende des comptes. Ce nouveau conseil serait doté des outils nécessaires pour pouvoir réagir davantage au marché. Pour avoir la souplesse voulue pour fournir des grains, on lui donnerait le pouvoir d'augmenter le prix initial et de mettre un terme à une mise en commun du jour au lendemain.

Il devrait aussi avoir le droit de conclure un marché à un prix donné avec un producteur même avant l'ensemencement. Cette soi-disant nécessité n'a pas été prouvée car on peut facilement conclure un marché aujourd'hui soit en ayant directement recours au marché à terme ou à une contrepartie, qui à son tour aura sans doute recours au marché à terme, et c'est une pratique qui est très généralisée à l'heure actuelle.

Ce qui nous inquiète vraiment, c'est la proposition de donner à la Commission canadienne du blé le pouvoir d'acheter sur le marché libre en pouvant compter sur un fonds de réserve qui couvrirait toutes les pertes qui pourraient en résulter. D'une certaine façon, lorsqu'un céréalier décide aujourd'hui de vendre sur le marché libre ou à la Commission canadienne du blé, il choisit entre deux marchés. Dans ce cas de figure, le prix sur le marché libre est déterminé par le jeu des forces de la demande des utilisateurs et de l'offre des producteurs qui ont la possibilité de vendre à la Commission canadienne du blé.

La façon dont ils conçoivent les versements de la Commission canadienne du blé, le moment des versements et les perspectives trimestrielles servent de références planchers pour le prix du marché libre. Si cet équilibre délicat de l'offre et de la demande qui est déterminé par le producteur est compromis par la Commission canadienne du blé qui achète sur le marché libre, cela aurait pour effet de réduire l'offre et de faire augmenter le prix. On peut facilement imaginer une situation où une combinaison de stocks serrés, de superficies ensemencées réduites, et de mauvaises conditions de récolte, allant de pair avec une croissance et une demande des secteurs à valeur ajoutée comme celui de l'engraissement des bovins, entraînerait une pénurie de grains.

Dans une telle situation, ou même si on ne manquait pas de grains, s'il y avait une production suffisante, il serait facile pour un conseil d'administration à l'avenir de s'insinuer dans les bonnes grâces de ses électeurs en ayant recours au fonds de réserve pour entraîner artificiellement à la hausse le prix du marché libre. Les principales victimes de cet abus de pouvoir en seraient les producteurs de bétail qui en sont les principaux utilisateurs.

En conclusion, le projet de loi C-4 donne lieu à une situation où le conseil d'administration proposé aurait les raisons, les outils et la possibilité de causer des dommages aux secteurs qui ajoutent de la valeur aux grains dans les Prairies. Il faut supprimer cette possibilité. Il faut séparer la Commission canadienne du blé et le système du marché libre. La Canadian Cattlemen's Association recommande avec force que le pouvoir d'acheter des grains au comptant sur le marché libre ne soit pas accordé à la Commission canadienne du blé.

Soit dit en passant, le 15 octobre dernier, les dirigeants du Saskatchewan Wheat Pool ont rencontré des ministres à Ottawa et ils leur ont dit exactement la même chose. Ce n'est donc pas simplement nous.

J'ai ajouté ce tableau. Je ne sais si vous voulez y jeter un coup d'oeil. Si vous regardez les superficies ensemencées en 1994, il y a 10,7 millions d'acres, et un rendement de 53,1. Cela vous donne une production de 11 690 000 tonnes. Si vous ajoutez à cela un stock d'environ 1,75 million de tonnes comme cela s'est passé au cours des deux années suivantes, cette année-là et l'année suivante, vous avez pour finir une offre de l'ordre de 13 440 000 tonnes.

Mais dans la situation actuelle où les aliments du bétail, les déchets et les rejets utilisent 10,3 millions de tonnes, l'industrie et le secteur alimentaire utilisent 400 millions de tonnes et, soit dit en passant, une usine va être construite à Fort Saskatchewan cette année qui utilisera 650 000 tonnes, il vous reste votre 1,75 million de tonnes.

Or, la campagne agricole se termine fin juillet, mais la récolte n'est généralement faite qu'un mois et demi plus tard. Qui va utiliser ce 1,75 million de tonnes? Il n'est pas question d'exportation, et ce que j'essaie de vous montrer ici, c'est que nous n'avons plus beaucoup de céréales fourragères dans les Prairies, et que la principale exportation de la Commission canadienne du blé est l'orge de brasserie, nous pourrions donc nous trouver dans une situation où l'offre serait assez serrée.

Nous pouvons nous occuper des questions économiques, mais les questions politiques, ce n'est pas le cas, aussi vous demandons-nous d'empêcher qu'une telle situation ne se produise.

Le sénateur Ghitter: Je trouve votre argument assez remarquable. J'ai toujours considéré les éleveurs de bétail comme de grands libre-échangistes qui souhaitent figurer sur les marchés mondiaux. J'ai entendu ce genre d'arguments pendant les années que j'ai passées en Alberta, mais si je vous ai bien compris, vous ne voulez pas que les céréaliers aient cette même possibilité. Vous ne voulez pas qu'ils puissent profiter d'une amélioration de leur prix et de leur produit. Vous voulez réduire leurs prix pour pouvoir en profiter et ajouter de la valeur à votre produit, mais vous ne voulez pas qu'eux obtiennent un bon prix.

Ai-je mal compris ce que vous avez dit ou est-ce bien cela que vous voulez transmettre?

M. Prentice: Vous nous avez compris. Nous fonctionnons sur un marché libre. Vous savez que nous perdons de l'argent et que nous n'en sommes pas très heureux, mais nous faisons face pour l'instant, et ce que nous souhaiterions, c'est un marché libre pour les céréales également.

Quant à savoir comment les céréaliers vont gérer leur propre dynamique interne, c'est une chose. Peut-être souhaitent-ils avoir la Commission canadienne du blé, mais il faut que les deux systèmes soient distincts. Autrement dit, lorsque la personne qui produit du grain souhaite faire plaisir à la Commission canadienne du blé, c'est bien. Qu'elle le fasse. Mais lorsqu'elle veut faire affaire sur le marché libre, qu'elle le fasse. Mais il ne faut pas que les deux soient liés et que l'on arrive à une situation où la Commission canadienne du blé puisse intervenir pour passer outre à la décision de cette personne, enlever des grains du marché libre et forcer les prix à la hausse avec son fonds de réserve. C'est tout ce que nous disons. Il faut que les possibilités restent ouvertes.

Le sénateur Hays: Ma question ressemble un peu à celle du sénateur Ghitter, monsieur le président. Je ne suis pas sûr de ce que vous voulez que nous fassions. Un fonds de réserve constitue une garantie ou un soutien pour le commerce au comptant, et de ce fait, la Commission du blé pourrait évoluer pour devenir une autre compagnie céréalière. Il est normal que les pools n'aiment pas cela, car ce sont des compagnies céréalières et ils ne veulent pas de concurrent.

Il se peut que le secteur des bovins de boucherie dise la même chose, mais si vous êtes céréalier il est bon d'avoir un autre acheteur ou un autre négociant en grains. Que voulez-vous donc? Je ne sais trop ce que nous pourrions faire pour vous faire plaisir.

M. Prentice: Ce que j'essayais de dire, c'est que l'administration change pour passer d'activités pro bono à un groupe élu par les producteurs et leur rendant des comptes. On leur donne l'outil, le club, pour faire un meilleur travail.

Le sénateur Hays: On leur donne un outil pour faire un meilleur travail pour les producteurs de céréales, selon votre théorie. Certains disent que non, mais...

M. Prentice: J'aimerais en fait revenir en arrière pour répondre à une question qui a été posée à Rod Scarlett plus tôt au cours de la matinée. On lui a posé une question sur le commerce au comptant, et il a dit que cela pourra provoquer des dissensions dans l'industrie.

En 1995, les États-Unis ont eu une campagne agricole terrible; le printemps est arrivé tard, l'ensemencement s'est fait tard, il y a eu du gel, puis de la sécheresse, puis des attaques par des champignons et des insectes, enfin le vent, bref tout ce que vous voulez. Ils ont donc nettement manqué de céréales.

Le sénateur Hays: C'était un peu comme les locustes de la Bible.

M. Prentice: Oui à peu près l'équivalent. Mais le 15 novembre 1995, la Commission canadienne du blé a supplié les agriculteurs. Ils avaient la possibilité de vendre au Japon et d'obtenir 4,43 $ le boisseau. À l'époque, le marché de Lacombe (Alberta) était à 3,35 $, ils auraient donc pu gagner 1,08 $ de plus.

Ils auraient pu tirer profit de ce nouveau projet de loi C-4, car ils avaient la possibilité de supprimer les mises en commun et d'augmenter les prix initiaux du jour au lendemain. Ils auraient pu avoir un créneau d'un mois, ou autre, pour l'exportation.

Ils n'ont pas à aller sur le marché au comptant pour acheter du grain, mais s'ils avaient ce pouvoir, ils auraient littéralement épuisé nos stocks.

En fin de compte, au bout de cette campagne agricole, les États-Unis ont en gros manqué de maïs. Ils en ramenaient en remontant le Mississipi. Ils donnaient du blé au bétail et ils ont vraiment été tout près de manquer de céréales.

Si vous regardez ici, nous avions un stock de l'année précédente de 1,8 million de tonnes. Cela représente trois jours d'approvisionnement pour les États-Unis, et si on les avait exportés au Japon, on n'aurait pas pu profiter de ça. Ils n'ont pas pu le faire de toute façon en raison de la politique de facto concernant les céréales fourragères qui exigent un stock de 2 millions de tonnes. Si j'avais été céréalier, cette situation m'aurait vraiment rendu fou parce que je n'aurais pas pu profiter de cette occasion.

Je crois que le conseil d'administration a les outils voulus pour supprimer les mises en commun et augmenter l'orge, et c'est pourquoi ils ont besoin de ce fonds de réserve. Toutefois, si vous combinez le fonds de réserve avec le marché au comptant, vous avez un cadre propice aux abus de pouvoir.

Le sénateur Hays: Je comprends votre position.

Le sénateur Whelan: Je suis peut-être un peu sourd, mais il m'a semblé vous entendre dire que vous faisiez beaucoup d'argent avec le boeuf.

M. Prentice: Vous savez très bien ce qu'il en est. Si vous parlez de boeuf, vous dites un gros mot, monsieur Whelan.

Le sénateur Whelan: Hier nous avons entendu des témoins aux audiences de Calgary qui ont dit que les éleveurs de boeuf ne devraient pas avoir leur mot à dire pour le prix du grain et vous n'êtes pas d'accord.

M. Prentice: Pour moi c'est un peu comme si on disait qu'une aciérie n'a pas de politique en ce qui concerne le minerai de fer. S'il n'y avait pas de minerai de fer, il n'y aurait pas d'acier. S'il n'y avait pas de céréales fourragères, il n'y aurait pas de bon boeuf. Vous auriez du boeuf australien nourri au fourrage et je suis sûr que vous en avez goûté.

Le sénateur Whelan: Je suis sûr que vous savez que je n'ignore pas que le plus gros marché pour les céréales fourragères se trouve au Canada et non pas sur les marchés d'exportation. On nous lance ces gros chiffres disant que l'on va tripler la production porcine en Alberta et doubler la production bovine. En même temps, je lis dans les journaux que l'on va adopter de nouvelles lois environnementales concernant la pollution. Qu'avez-vous à en dire?

M. Prentice: Il va sans dire que les inquiétudes environnementales servent en quelque sorte de plafond. Plusieurs États américains ont instauré des moratoires pour le développement; c'est également le cas du comté de Lethbridge en Alberta. Il va falloir que ce soit plus généralisé et je conteste aussi certains de ces rêves. Doubler la production de bovins nourris au grain en Alberta est impensable parce que la Saskatchewan et le Manitoba, qui nous fournissent traditionnellement les veaux, vont les engraisser de plus en plus. À qui allons-nous pouvoir acheter nos veaux? Il y a une limite.

Le sénateur Whelan: Si vous en aviez autant, où les vendriez-vous?

M. Prentice: Il n'y aurait pas de problème pour les vendre...

Le sénateur Whelan: Pas si vous les donnez pour rien.

M. Prentice: Non, je crois qu'on pourrait faire pas mal d'argent en les vendant.

Le sénateur Whelan: On entend beaucoup parler des prix du pétrole et j'ai lu dernièrement que les pays pétroliers ou les producteurs de pétrole allaient se regrouper pour augmenter le prix du pétrole. Voudriez-vous qu'on arrive à ce genre de chose pour les grains ou les bovins?

M. Prentice: C'est sans doute un terrain dangereux sur lequel j'ai juré de ne pas m'aventurer.

Le sénateur Whelan: Vous avez peur de le faire.

M. Prentice: Non.

Le sénateur Whelan: Ils essaient de gérer l'offre pour pouvoir augmenter le prix. Le sénateur St. Germain a été producteur de volaille, il est maintenant sénateur, mais il sait que les producteurs de volaille obtiennent toujours des revenus raisonnables. Les minotiers et tous leurs autres fournisseurs ont toujours été payés. Toute la structure économique était bonne. Mais lorsqu'on a un groupe d'agriculteurs qui essaient de faire ce genre de choses, par exemple, un gros éditorial paraît dans The Globe and Mail dans lequel on traite les agriculteurs de voleurs, mais personne ne dit rien des pays de l'OPEP.

M. Prentice: Tout ce que je dirais, c'est que l'agriculture est un secteur dynamique. Elle change sans arrêt. Lorsqu'on a supprimé le Nid-de-Corbeau, tout le monde a dit: regardez le prix du transport d'une tonne de grains. Plus personne ne va cultiver de l'orge. Tout le monde s'est trompé. Nous le condensons dans le boeuf et nous l'envoyons de cette façon; je ne pense pas personnellement que le boeuf doive rester à la traîne dans un tel environnement. Nous allons faire face à la concurrence du canola, qui se vend à un assez bon prix et qui est condensé, et au blé, parce que le boeuf est encore plus condensé, qu'il a une valeur encore plus élevée.

Le sénateur Whelan: J'ai constaté qu'en matière de commercialisation, les éleveurs de bovins sont ceux qui ressemblent le plus au Père Noël. Ils arrivent encore à gagner leur vie même en donnant leur produit gratuitement.

M. Prentice: En effet.

Le sénateur Spivak: J'aurais une petite question sur la remarque que vous avez faite concernant l'offre. Je l'ai déjà posée hier et on m'a dit qu'il n'y avait pas de problème. Voyez-vous un problème à ce que l'on augmente nettement, si cela était possible, l'offre de céréales fourragères pour les bovins et les porcins? Pensez-vous qu'il y a là un équilibre délicat à réaliser ou est-ce que ce sera facile à faire?

M. Prentice: Je crois que n'importe quel dirigeant un peu plus clairvoyant peut voir des problèmes ultérieurs. Cela ne veut pas dire que ça va se passer l'année prochaine ou l'année suivante, mais sans doute dans les dix prochaines années, nous allons avoir peu de superficies ensemencées, une sécheresse, une maladie ou une gelée précoce. Nous pourrions alors avoir un gros problème.

Même aujourd'hui, il n'y a pas tant de grains que ça à vendre. Même si les Saoudiens n'achètent pas, c'est une chose, mais s'ils achètent, où vont-ils le faire? À l'heure actuelle, il faut qu'ils s'adressent aux États-Unis ou à l'Europe de l'Est, laquelle a un excédent et est en train de reprendre sa destinée en main. Bien franchement, je ne crois pas que nous ayons du grain de trop.

Le sénateur St. Germain: J'ai une très brève question. Vous voulez supprimer la possibilité d'avoir un double système. Un conseil d'administration constitué uniquement de producteurs vous donnerait-il satisfaction?

M. Prentice: C'est une question piège.

Le sénateur St. Germain: Le sénateur Whelan me décrit toujours comme un producteur de poulet, ce que j'ai été, mais je suis devenu pour finir un éleveur de bovins de boucherie. On a dû me nommer au Sénat parce que je n'arrivais pas à vivre. Je ne veux pas qu'on perde ce qui reste d'éleveurs de bovins dans notre pays.

M. Prentice: Nous nous sommes habitués à la Commission canadienne du blé telle qu'elle est structurée actuellement, avec les personnes qui sont nommées à son conseil. Elles visent le bien public lorsqu'elles établissent des politiques, lorsqu'elles décident d'avoir ce stock minimum d'une année sur l'autre. Cela nous a été profitable bien que nous nous opposions aux accusations des États-Unis voulant que la Commission canadienne du blé favorise toujours l'engraisseur. J'ai étudié la situation des 25 dernières années, et la plupart du temps, nous payons en fait les grains plus chers.

Nous accordons tous ces outils à un conseil d'administration qui doit rendre des comptes aux producteurs et est élu par eux, et il ne tient pas compte du bien public. Ça nous effraie un peu. Plutôt que de leur donner les outils qui leur permettent de nous exploiter, il vaudrait mieux laisser les choses ouvertes pour que ce soit l'économie qui permette de décider là où on va envoyer les grains. Chaque jour, je pense que le trimestre prochain sera meilleur, mais ce n'est pas toujours le cas. Mais cela nous semblerait plus acceptable.

Le sénateur St. Germain: Si vous écoutez les arguments, la Commission du blé a pratiquement donné pour rien le produit de sorte que les éleveurs de bovins, ou n'importe quel autre acheteur a profité du système actuel. De nombreux témoins nous disent que la Commission du blé ne leur est pas favorable avec le système en place. Qu'en gros elle n'est pas vendeuse, mais acheteuse.

M. Prentice: Regardons qui achète le plus de céréales fourragères dans les Prairies. La Commission canadienne du blé en achète très peu. Je crois qu'elle se situe à 2 millions de tonnes sur 15, soit environ 15 p. 100 qui vont actuellement à la Commission canadienne du blé en temps normal. Il se peut que ce soit un peu plus certaines années, mais c'est à nous que revient la plus grande partie de la production. Ce n'est pas parce que nous sommes des Pères Noël que nous l'obtenons, comme l'a dit le sénateur Whelan. Nous l'obtenons parce que nous faisons une meilleure offre que la Commission canadienne du blé. L'argument voulant que la Commission du blé soit acheteuse plutôt que vendeuse n'a aucun sens.

Le sénateur St. Germain: Je vais contester ce que vous dites. Je crois que je comprends parfaitement les choses, mais...

M. Prentice: En avons-nous terminé car le message que j'essaie de transmettre, le seul véritable message, c'est que nous demandons qu'on retire à la Commission canadienne du blé et au projet de loi C-4 le pouvoir d'acheter et le marché au comptant. C'est tout ce que nous demandons.

Le président: Représentez-vous la Cattlemen's Association du Canada ou de l'Alberta?

M. Prentice: Du Canada. Nous sommes une confédération de tous les groupes de producteurs, de toutes les commissions, de tous les groupes d'éleveurs provinciaux.

Le sénateur Whelan: Il est possible que je n'ai pas bien interprété ce que vous disiez, mais je crois comprendre ce que vous voulez dire. Vous avez peur de ces achats au comptant parce que vous pourriez devoir payer davantage les grains destinés à votre bétail.

M. Prentice: Là n'est pas le problème. Le problème qui pourrait se poser serait celui d'un abus de pouvoir. S'il se pose en raison de circonstances économiques, c'est une chose. Mais le fait de donner à quelqu'un l'outil et le pouvoir de vous exploiter et une raison de le faire, c'est ce qui nous effraie. Si nous n'avions pas le pouvoir d'acheter au comptant, il n'y aurait pas de problème.

Le sénateur Whelan: Vous n'avez guère le choix non plus pour ce qui est de vendre votre boeuf? Les possibilités de choisir diminuent de jour en jour, n'est-ce pas?

M. Prentice: Nous avons au moins sept ou huit possibilités. Nous avons quatre usines importantes en Alberta et plusieurs aux États-Unis.

Le président: J'aimerais poser quelques questions. Est-ce que de nombreux engraisseurs sont membres de la Cattlemen's Association ou vos membres sont-ils surtout des éleveurs de vaches?

M. Prentice: Prenons comme exemple l'Alberta où nous produisons les deux tiers des bovins engraissés. Chaque animal en Alberta paie une cotisation, donc les naisseurs paient une cotisation, les engraisseurs paient une cotisation et tous sont représentés dans le groupe des électeurs délégués et au conseil d'administration de la Cattle Commission (Commission des éleveurs).

Le président: Pour ce qui est du changement du tarif du Nid-de-Corbeau, vous avez indiqué que le secteur de l'engraissement pourrait quitter l'Alberta pour la Saskatchewan. Ce serait un véritable miracle.

M. Prentice: Non, c'est ce qui se passe.

Le président: C'est ce que je dis à tout le monde, mais personne ne veut m'écouter parce que je viens de Saskatchewan.

Au cours des dix dernières années cependant, j'ai personnellement engraissé des bovins en Alberta. Et c'est ce que je fais maintenant à Lethbridge. La différence en ce qui concerne le prix de l'orge est très, très importante. Avez-vous les chiffres pour ce qui est du taux d'augmentation pour l'ensemble du Canada? Oseriez-vous me donner ce chiffre?

M. Prentice: Je ne l'ai pas, bien que je l'aie demandé. Le même argument vaut pour ce qui est de choisir entre le sud et le nord de l'Alberta ou l'est et l'ouest des Prairies. Fait-il plus froid à Winnipeg? Je crois que oui, mais pour compenser de combien faut-il baisser le prix du grain?

J'ai cru qu'il était plus efficace d'engraisser dans le sud de l'Alberta parce que j'obtenais de meilleurs résultats. J'ai revendu les deux parcs que j'avais et j'en ai acheté d'autres. Il n'y a pas de différence. Je crois que tout cela dépend en grande partie de la gestion et du savoir-faire. Nous avons le savoir-faire en Alberta. S'ils arrivent à engager des experts et à construire des parcs d'engraissement en Saskatchewan et au Manitoba, je suis sûr qu'ils vont réussir.

Le président: Selon certaines indications découlant d'une analyse de la situation, le prix du bétail va nettement augmenter à l'automne prochain parce qu'il n'y aura pas suffisamment de veaux pour tous les gens qui se lancent dans l'engraissement. Pensez-vous que c'est vrai?

M. Prentice: Cela a déjà été un problème. Dans ce marché à terme, tout contrat signé prévoit un prix supérieur de deux cents au précédent. Tout le monde espère qu'il y aura une amélioration du marché et met donc à l'engraissement des quantités énormes de veaux. Tout le monde essaie d'obtenir ce prix intéressant.

Vous savez parfaitement que le résultat de tout cela est que nous allons perdre 100 $, 200 $ sur tout ce que nous avons fait ces derniers mois. Du même coup, les gens se lassent. Depuis novembre, il y a eu un nombre important de placements cinq mois de suite. Il va certainement y avoir un trou, mais quand? Nous avons essayé de combler ce trou. Je crois qu'il se produira l'été prochain, et l'automne prochain lorsque nous choisirons le troupeau de reproduction. Là, nous serons vraiment à court.

Le président: Cela ne va-t-il pas faire augmenter le prix de l'orge?

M. Prentice: Non, il y aura moins de bovins à l'engraissement; ils mangeront moins. Ce qui va en fait faire monter le prix de l'orge l'année prochaine, c'est El Ni<#00F1>o. Il va faire beaucoup plus froid.

Le président: Je vous remercie d'être venu ce matin.

Je donne maintenant la parole à la Canola Alberta Producers Commission. Monsieur Brian Trueblood.

M. Brian Trueblood, administrateur, Canola Alberta Producers Commission: Je suis agriculteur à Dapp et je suis membre de plusieurs organisations. Je suis maintenant administrateur de l'Alberta Canola Producers Commission. J'ai été délégué du Wheat Pool pendant six ans. J'ai produit du blé, de l'orge, du canola, des pois, des récoltes et des produits spécialisés, mais notre commission du canola voit des problèmes. Nous essayons de nous en tenir au canola et aux questions connexes. Le projet de loi C-4 touche le secteur du canola, même si c'est un projet de loi qui concerne avant tout le blé et l'orge, je vais donc essayer de limiter mes remarques. Lorsque je parle de canola, je m'exprime en tant qu'administrateur de la commission du canola, et lorsque je parle de blé et d'orge, j'aimerais m'exprimer simplement comme un producteur céréalier en général provenant de Dapp.

Il a trois choses que j'aimerais dire. Tout d'abord, j'aimerais insister sur le fait qu'il est nécessaire de supprimer la disposition d'inclusion et de retirer le canola de la définition des grains donnée dans la Loi sur la Commission canadienne du blé. Ensuite, j'aimerais insister sur la nécessité de retarder l'adoption du projet de loi pour attendre la décision de l'ancien juge Estey. Enfin, j'aimerais signaler que les recommandations faites par le Western Grain Marketing Panel n'ont pas été suivies.

Le secteur du canola est je crois relativement du même avis en ce qui concerne la disposition d'inclusion. Nous estimons qu'il n'y a pas eu de demande pour que cette clause d'inclusion soit intégrée au projet de loi, pour que le canola tombe sous le coup de la Commission du blé. Dans ma région, je peux honnêtement dire en tant qu'administrateur depuis deux ans seulement que personne n'est venu me trouver pour me demander de faire en sorte que le canola tombe sous le coup de la Commission du blé. On ne s'en est jamais soucié.

Par ailleurs, nos clients nous disent qu'ils préféreraient ne pas avoir affaire avec la Commission du blé. Je veux notamment parler des Japonais. Ils nous ont dit franchement qu'ils préféraient qu'il n'en soit pas ainsi. En adoptant cette disposition, nous enverrions un message négatif à nos clients.

Nous avons aussi des inquiétudes quant à nos partenaires commerciaux américains. Je vous ferais simplement remarquer que la valeur des produits du canola expédiés aux États-Unis en 1996, je crois, a été de 716 millions contre 446 millions pour le blé. Il y a déjà suffisamment d'irritants commerciaux avec les États-Unis dans le secteur du canola. Nous ne voulons pas leur donner un autre sujet d'inquiétude.

Nous commençons seulement à avoir certaines possibilités en ce qui concerne les canolas et produits spécialisés à partir des canolas contenant de l'acide érucique et ceux contenant de l'acide linoléique. On nous dit que les possibilités sont illimitées en ce qui concerne les huiles spécialisées. Et je crois que la meilleure façon de produire, c'est dans le cadre d'un marché entre le cultivateur et l'acheteur de cette huile.

Nous avons un autre sujet d'inquiétude: qu'adviendrait-il des producteurs de canola de l'est du Canada? Il y en a quelques-uns en Ontario et au Québec et même plus à l'est encore, me semble-t-il, jusqu'au Nouveau-Brunswick. Devraient-ils travailler dans le cadre de cette législation? Ça n'est pas sûr. L'Ontario Canola Growers' Association a indiqué qu'elle s'opposait également à ce que le canola tombe sous le coup de la Commission canadienne du blé.

Des pressions d'ordre commercial vont sans doute encore s'exercer à l'encontre de la Commission canadienne du blé au cours de la prochaine série de négociations mondiales. Je crois qu'encore une fois le secteur du canola s'entend pour dire qu'il lui serait sans doute profitable de ne pas prendre part à ce débat.

Deuxièmement, le juge Estey est en train d'examiner le système de transport des grains et des produits agricoles. La Commission canadienne du blé joue un rôle important dans ce système et il serait prudent, me semble-t-il, d'attendre ses conclusions. Il pourrait très bien conclure qu'il est nécessaire de changer le rôle de la Commission canadienne du blé pour ce qui est de la manutention et du transport des grains et il faudrait peut-être alors intégrer ces changements au texte de loi. Ce serait donc simple prudence que d'attendre pour voir ce qu'il a à dire.

Pour mon troisième point, le Western Grain Marketing Panel a fait des efforts considérables et a consacré beaucoup de temps à recueillir les opinions que l'on a dans tout le Canada sur le sujet. Bon nombre d'entre nous ont consacré leur temps et leurs efforts à faire des exposés et des remarques aux membres du panel. Le projet de loi C-4 ne semble pas prendre en compte la plupart des recommandations qui figurent dans ce rapport. À mon avis, c'est l'une des raisons qui font que le projet de loi C-4 rencontre tant de problèmes. Nous avons tous fait beaucoup d'efforts pour le Grain Marketing Panel. Il a fait pour finir une recommandation qui avait été adoptée à l'unanimité. Le ministre avait choisi les membres du panel, mais le projet de loi C-4 ne semble pas vraiment suivre les recommandations du panel. À mon avis, cela cause certainement une grande confusion dans le secteur à l'heure actuelle.

Enfin, pour ma part, je ne suis pas totalement opposé à la Commission canadienne du blé. On estime qu'elle a fait un bon travail pour ce qui est de créer de nouveaux marchés et de traiter avec la plupart de nos clients. Je crois que par l'entremise du programme de l'IICG, par l'entremise de ses administrateurs du monde entier ou de ses débouchés un peu partout dans le monde, elle a fait un excellent travail pour ce qui est de créer et de conserver nos marchés et de faire de la publicité pour les grains canadiens. Toutefois, tout comme le Canada est varié, les agriculteurs de l'Ouest du Canada le sont aussi, et nous avons besoin d'une plus grande souplesse pour commercialiser nos grains.

Je crois que le projet de loi C-4 doit être rejeté et qu'un nouveau texte législatif doit être mis en place. Celui-ci doit prendre en compte l'intention du gouvernement de travailler avec les agriculteurs et le secteur. Il devrait faire tout ce qui est nécessaire pour que les agriculteurs canadiens soient concurrentiels sur la scène commerciale internationale.

Il existe des possibilités pour les pays qui ont la capacité de fournir à leurs clients ce qu'ils veulent, lorsqu'ils le veulent, à des prix concurrentiels. Le nouveau texte de loi devrait faire le maximum pour faciliter cela.

Le sénateur Hays: En ce qui concerne la disposition d'inclusion, vous savez qu'une proposition a été faite selon laquelle le projet de loi serait modifié en supprimant la mention de l'inclusion ou de l'exclusion. Mais pour moi, j'imagine qu'il y a encore une possibilité, même si on n'en fait pas mention, que les producteurs de canola disent qu'ils veulent vendre par l'entremise de la Commission. Même si on supprimait la mention du canola et du colza dans la définition des grains, cette possibilité demeurerait. Si cela pouvait se produire, est-ce que ça poserait un problème grave aux producteurs de canola?

Il doit être assez grave parce que d'autres l'ont soulevé indépendamment de vous. Je me demande cependant pourquoi les Japonais disent qu'ils ne sont pas très heureux de la possibilité d'avoir affaire à la Commission canadienne du blé. Je ne vois pas pourquoi le canola devrait relever de la Commission si ce n'est pas le voeu d'à peu près tout le monde. C'est du moins une possibilité, que cela soit mentionné ou non dans le projet de loi C-4.

M. Trueblood: Je crois que le message que nous voulons faire clairement comprendre à nos clients, c'est que cela ne va pas se produire. Si le canola relève de la loi parce qu'il est possible qu'il soit inclus, cela inquiète nos clients. Ils préfèrent traiter sur un marché libre parce qu'ils peuvent de cette façon se garantir des risques, me semble-t-il. Ils ont un meilleur système de gestion des risques avec le marché libre. Ils peuvent conclure des marchés, et tout au long de l'année, ils peuvent déplacer leurs risques sur le marché à terme.

Ils ont ainsi une meilleure idée de leur situation future. Ils peuvent prévoir les choses longtemps à l'avance et fixer leurs prix si c'est ce qu'ils veulent faire, et ils peuvent trouver des gens qui sont prêts à vendre à ces prix.

Vous avez demandé si la possibilité que le canola relève à l'avenir de la Commission du blé posait un problème? Je crois que pour l'instant cette possibilité n'existe pas. Si la Commission du blé était totalement révisée et que les producteurs de canola l'exigent, c'est ce qui se ferait, comme vous le dites. Mais je crois que pour l'instant, ce n'est pas ce message que nous essayons de faire passer. Nous préférerions que le canola reste totalement en dehors du débat et je crois que cela serait utile au secteur.

Le sénateur Fairbairn: Ma question est une question supplémentaire à celle du sénateur Hays. Il a indiqué qu'il existait une possibilité que le canola et les autres grains soient ajoutés, sans même qu'une protection existe du fait du vote des producteurs.

On nous a clairement et uniformément dit tout au long de nos audiences qu'il n'y a aucune pression, de quiconque, dans le secteur du canola pour que les choses changent. Même avec le projet de loi C-4, cela ne serait pas un problème. Ce que vous nous dites en fait, c'est que c'est presqu'une question de psychologie, que cela vous inquiète que même une possibilité infime puisse apparaître dans l'esprit de certaines personnes, avec ou sans le projet de loi C-4.

M. Trueblood: Exactement. Nous allons entamer une nouvelle série de négociations commerciales mondiales. Nous ne voulons pas que le canola soit associé à la discussion sur la Commission canadienne du blé. Nous préférerions qu'il reste totalement en dehors. Mais le projet de loi suscite d'autres inquiétudes. Qui peut déclencher un vote? Comment cela se produit-il? Tout ce que je veux dire, c'est que nous préférerions rester le plus loin possible de ce débat. C'est le message que j'entends de la part du secteur du canola, et c'est celui que j'entends de la part des agriculteurs de ma région.

Le sénateur Ghitter: Existe-t-il plus d'une association pour le canola au Canada? Y en a-t-il d'autres comme la vôtre?

M. Trueblood: Certainement. En Alberta, nous avons l'Alberta Canola Producers' Commission qui est en fait, autant que je sache, la seule organisation pour le canola dans la province. Elle compte 12 administrateurs élus provenant de toutes les régions de la province. Nous avons un prélèvement de 50 cents la tonne que nous employons à faire du travail de recherche pour créer de nouveaux marchés, pour traiter avec nos membres et administrer l'organisation.

En Saskatchewan il y a deux organisations. Il y a les producteurs et la commission de développement. Les producteurs sont regroupés au sein d'une association et il faut payer pour en être membre, et la commission de développement procède par prélèvement.

Au Manitoba, une commission vient de se constituer. Il y a de nombreuses organisations provinciales, et ensuite pour l'ensemble des provinces, il y a la Canadian Canola Growers' Association qui est dirigée par les organisations provinciales.

Le sénateur Ghitter: L'article portant sur l'élargissement vous inquiète-t-il donc pour ce qui est de savoir qui est l'association? On dit qu'une demande écrite peut être envoyée au ministre par une association dont les membres sont tous des producteurs. Certains producteurs de canola pourraient en être membres, d'autres non dans le pays. Cela vous inquiète-t-il?

M. Trueblood: Certainement.

Le sénateur Ghitter: Il n'y aurait aucune uniformité dans tout le pays.

M. Trueblood: Exactement. Autant que je sache, le projet de loi C-4 n'indique pas précisément qui peut exiger ce genre de chose.

Le sénateur Ghitter: Préféreriez-vous que le projet de loi le précise et est-ce possible?

M. Trueblood: Dans le secteur du canola, cela pourrait être possible, mais je ne suis pas sûr que ce soit possible dans tous les secteurs. Il y a de nombreuses autres organisations agricoles de type général. Il y a de nombreuses organisations qui existent et elles sont toutes constituées de petits secteurs. Tout est lié dans l'agriculture, et tout n'est pas très clair dans mon esprit, pas plus d'ailleurs que dans le projet de loi. Je crois que ce serait difficile de dire exactement qui pourrait demander un plébiscite.

Le sénateur Ghitter: Ce texte de loi aurait-il dont tendance à parcelliser notre secteur et les autres parce que vous ne vous exprimerez pas d'une voix unie? Il pourrait y avoir morcellement dans tout le pays.

M. Trueblood: Pour moi, c'est certainement une possibilité.

Le sénateur Ghitter: Positive ou négative?

M. Trueblood: Elle serait négative je le crains pour ce qui est d'avoir de telles discussions dans le secteur. Cela ne serait d'aucune utilité au secteur. Je crois que ces discussions causent toujours des frictions dans les communautés et ternissent notre réputation.

Le sénateur Ghitter: Serait-il plus logique que toutes les associations reconnues votent en même temps? À ce moment-là, la majorité vaudrait pour tout le monde et vous n'auriez qu'une décision plutôt que cette parcellisation qui est implicite dans la législation?

M. Trueblood: Qu'est-ce qu'une organisation reconnue? Qui les reconnaît?

Le sénateur Ghitter: J'imagine que c'est le gouvernement. À ce qu'on dit, cela doit venir plus tard avec le règlement.

M. Trueblood: Nous nous mettons dans un véritable guêpier parce que qui va empêcher une autre organisation de se lancer en se proclamant l'Association des producteurs de canola de Dapp alors qu'elle ne représenterait que trois personnes mais qu'elle voudrait avoir son mot à dire.

Le sénateur Ghitter: Le moins que l'on puisse dire est que cet article est imparfait.

M. Trueblood: Imparfait est le mot.

Le sénateur Whelan: Je crois qu'on pourrait dire que les clients japonais semblent faire le jeu de la Cattlemen's Association. Ils veulent obtenir du canola moins cher.

Je n'étais pas responsable de la Commission du blé lorsqu'elle a vendu le canola, mais je me souviens que l'ambassadeur japonais était venu me trouver et m'avait dit: «Vous allez honorer vos contrats parce que vous êtes des gens honorables.» Je l'avais rassuré en lui disant qu'on allait effectivement honorer notre contrat car j'avais parlé à d'autres ministres. Mais lorsqu'il a été possible d'obtenir du colza meilleur marché en France, où croyez-vous que mon honorable ami soit allé? Il n'est pas resté au Canada. Il est allé l'acheter en France. J'ai donc des doutes lorsqu'il s'oppose à ce quelqu'un ait son mot à dire sur ce qui se passe.

Lorsque vous dites, à la dernière page de votre mémoire:

Je crois que le projet de loi doit être rejeté Bill C-4 et qu'un nouveau texte législatif doit être mis en place. Celui-ci doit prendre en compte l'intention du gouvernement de travailler avec les agriculteurs et le secteur. Il devrait faire tout ce qui est nécessaire pour que les agriculteurs canadiens soient concurrentiels dans l'environnement commercial mondial dans lequel nous vivons.

Je continue à suivre ce qui se passe à l'échelle mondiale avec les grosses compagnies regroupées qui continuent à grossir. Je n'appelle pas cela une mondialisation mais un engloutissement. Ils sont en train d'engloutir leurs propres concurrents, de sorte que vous avez moins de possibilités de vendre à l'échelle mondiale que les cinq compagnies à peu près qui contrôlent les 86 p. 100 du commerce alimentaire mondial. Il faut donc avoir quelque chose de solide et vous n'auriez sans doute pas peur d'une disposition d'inclusion et d'exclusion qui soit décidée à la suite d'un vote démocratique des producteurs, n'est-ce pas?

M. Trueblood: Certainement pas pour l'instant. Nous nous opposons à la disposition d'inclusion seulement à cause du message que cela transmet à nos clients. Les Japonais sont nos clients et ils nous achètent beaucoup de grains. Je devrais avoir les chiffres au bout des doigts, mais ce n'est pas le cas. Je crois que nous nous porterons mieux si nous évitons au maximum de susciter une certaine animosité chez nos clients. Cela ne va pas se produire, supprimons donc cette disposition du projet de loi et n'en parlons plus.

Le sénateur Whelan: Le Japon est notre deuxième client par ordre d'importance pour les produits agricoles.

M. Trueblood: Oui, c'est vrai.

Le sénateur Whelan: On est en train de renforcer notre législation contre les coalitions tant aux États-Unis qu'au Canada. Il y aurait peut-être lieu de faire des recommandations pour procéder à des changements importants à cause de ces prises de contrôle contre lesquelles on semble ne rien pouvoir dans de nombreux cas. Personne ne semble faire grand-chose à ce sujet. Mais cela m'inquiète beaucoup.

M. Trueblood: Cela m'inquiète aussi certainement; mais il faut aussi voir que le secteur du canola a prospéré en dehors de la Commission canadienne du blé. Je crois que je commence à avoir moins peur de ces compagnies qu'autrefois. Peut-être que c'est parce que nous avons davantage affaire à elles que nous sommes moins gênés. Mais je vous donne ici mon opinion personnelle uniquement. Nous voyons ce qui se passe avec les mises en commun, et je crois que tant que les cinq compagnies qui existent seront là, tout ira bien, mais si leur nombre diminue, il y aura alors un problème.

Je crois que la Commission du blé a encore un rôle de surveillance à jouer. Elle peut aussi contribuer à différencier les produits canadiens des produits des autres pays. Je crois qu'elle a vraiment là la possibilité de faire du bon travail. Elle en a déjà fait, tout comme le gouvernement canadien. Je ne suis pas sûr que tous les agriculteurs de l'Ouest du Canada en soient conscients. Je ne veux pas dire qu'il faille la supprimer. Je dis simplement qu'il nous faut essayer de trouver le meilleur moyen pour bien fonctionner dans la situation mondiale actuelle.

Le sénateur Whelan: Lorsque vous parlez du canola, et on remonte aussi au colza, vous dites quel travail extraordinaire le ministère canadien de l'agriculture a fait en collaboration avec les universités, surtout en Saskatchewan et au Manitoba. C'est grâce à ce travail que le secteur est devenu important. J'ai consacré l'une de mes premières journées de ministre, en 1973, avec M. Donne dans ses champs de Saskatoon un dimanche. J'ai vu tous ses essais de plantation en pots et son laboratoire. Il s'occupait de canola ou de colza depuis l'âge de 17 ans.

Nos scientifiques ont donc fait beaucoup. Même lorsque vous avez dû accepter ce que proposaient l'est, vous avez accepté ce que proposaient les chercheurs. Je crois beaucoup dans la recherche. Et je m'inquiète maintenant de voir Monsanto et ses grosses compagnies se lancer dans des coentreprises, car cela ne va pas sans de nombreuses conditions. Il faut que la recherche soit faite de façon indépendante par des chercheurs indépendants qui n'ont pas peur de vous dire ce qu'ils veulent et ce qu'ils font. Il nous est de plus en plus difficile d'obtenir une réponse franche.

M. Trueblood: C'est vrai.

Le sénateur Fairbairn: J'aimerais poser une toute petite question. Vous dites que le Japon a peur dès que l'on fait la plus petite allusion à quelque chose qui pourrait se produire. S'il y avait véritablement un problème et que le Japon décide de ne pas acheter notre canola, vers quelle autre source pourrait-il se tourner?

M. Trueblood: C'est une question particulièrement intéressante. Les marchés sont en train de connaître une expansion en Australie et en Argentine. Nous avons eu des difficultés d'approvisionnement en raison des problèmes des chemins de fer, des problèmes météorologiques et autres, des problèmes syndicaux et le Japon s'est de plus en plus tourné vers l'Argentine et l'Australie pour leur demander de cultiver ces produits à son intention.

M. Trueblood: Il existe d'autres clients.

Le président: Les récoltes d'oléagineux comme le millet, le lin et le canola ont la réputation d'être des récoltes commerciales chez les agriculteurs. Leur prix est relativement élevé. Le lin a, je crois, atteint ici 11 $ il y a une ou deux semaines mais à cause des gros contrats il est à 9 $ et doit passer ensuite à 10 $ et 11 $. Nous savons en gros ce qu'a donné le millet avec ses hauts et ses bas. Les producteurs de canola craignent-ils de perdre cette récolte commerciale dans la mise en commun à cause de cette disposition d'inclusion?

M. Trueblood: Je crois que c'est précisément le problème, ils risqueraient de perdre la possibilité de gérer leurs propres risques.

Le président: Quelle est l'importance des revenus que cela représente pour les agriculteurs?

M. Trueblood: Beaucoup, surtout à la façon dont la Commission du blé est structurée. Il nous faut attendre un an et demi sans doute avant d'obtenir de l'argent. Il est très important qu'on obtienne l'argent le plus tôt possible; et je vais me permettre de parler encore une fois du programme des avances en espèces.

Le sénateur Robichaud: Monsieur Trueblood, comprenez-vous le français?

M. Trueblood: Non, je suis désolé.

Le sénateur Robichaud: Pour ne pas perdre de temps, que diriez-vous si la Commission canadienne du blé votait pour un double système de mise en marché du canola? Que diriez-vous de cela?

M. Trueblood: Pour l'instant, je dirais que la réponse est non. Je crois que si cela devait jamais se produire, la Commission du blé doit montrer un certain leadership, faire les démarches voulues, faire le travail voulu et prouver qu'elle est vraiment profitable aux producteurs. C'est pour ces mêmes raisons que nous ne voulons pas actuellement de la disposition d'inclusion dans ce projet de loi. Je crois que les agriculteurs de l'Ouest du Canada seraient tout à fait heureux de laisser les choses telles qu'elles sont.

Le sénateur Whelan: Les cultures commerciales pour les agriculteurs étaient justes. Je vais faire une comparaison. Les cultures commerciales pour les agriculteurs c'est un peu la même chose que le canola pour l'abeille lorsqu'elle fait le miel, à cette différence près que les agriculteurs font de l'argent. Cela a été une véritable aubaine pour les producteurs de miel. Beaucoup plus au nord, où les heures d'ensoleillement sont beaucoup plus nombreuses, les abeilles peuvent faire jusqu'à 240 livres de miel par ruche au cours d'une saison brève. C'est un secteur extraordinaire et c'est un secteur secondaire par rapport à celui du canola aussi.

Le président: Merci d'être venu.

Jusqu'ici, le comité a reçu 73 agriculteurs à titre individuel et 24 organisations. Nous avons essayé dans la mesure du possible de permettre à un nombre maximum d'agriculteurs individuels de comparaître. Je vais donc maintenant donner la parole à un groupe d'agriculteurs qui comparaissent à titre individuel. David Comfort, Douglas Livingstone, Bill Blake et Thomas Jackson.

Voulez-vous vous présenter, dire où se situe votre exploitation et quel genre de culture vous faites? Chacun de vous peut faire un exposé de cinq minutes après quoi nous passerons aux questions. Mais il me semble que vous n'êtes que trois aussi pourrons-nous peut-être vous accorder sept minutes à chacun.

M. David Comfort, agriculteur: J'ai une toute petite exploitation au sud-ouest d'Edmonton. Je suis également expert agricole et je m'occupe de 10 000 à 20 000 acres de terres agricoles dans la région centrale de l'Alberta.

M. Douglas Livingstone, agriculteur: Je suis agriculteur à l'est d'Edmonton, à environ 100 milles d'ici. J'ai un petit élevage de vaches et de veaux et je cultive un peu de céréales. Je produis également quelques semences. Je comparais aujourd'hui à titre individuel.

M. Thomas Jackson, agriculteur: Dans ma famille, je représente la quatrième génération d'agriculteurs. Notre exploitation est située juste à l'est d'Edmonton et nous nous sommes installés dans cette région en 1883. Nous cultivons environ 4 000 acres dont la majorité sont consacrées à la production céréalière. Je comparais en tant que citoyen inquiet de ce qui se passe avec le gouvernement fédéral et nos céréales.

Le président: Nous allons commencer par M. Comfort.

M. David Comfort: Je comparais à titre personnel. Voilà un certain temps que je me bats avec le projet de loi C-4 -- j'en suis presque arrivé au point de dire: «Au diable tout ça!» et de ne pas venir ici aujourd'hui. J'étais plutôt dégoûté et découragé. Mais je me suis efforcé de lire la documentation sur le sujet et c'est ainsi que j'ai rédigé quelques pages de renseignements pour vous donner à tous matière à réflexion.

Au départ, je dois dire que je ne comprends pas parfaitement les répercussions des raisons politiques qui ont fait que les responsables canadiens ont proposé ce projet de loi, pas plus que je ne comprends l'importance que mon gouvernement doit accorder à la mise en oeuvre de cette législation qu'il a jugé bon de faire adopter par force par le Parlement en invoquant la clôture. Je pense que certains pourraient juger tout à fait indiqué, étant donné que nous sommes le 1er avril, qu'un exposé comme le mien soit fait aujourd'hui, mais je me permettrai de signaler à la ronde que le moment de mon exposé, c'est-à-dire la onzième heure, pourrait avoir une importance tant sur le plan politique que personnel.

Ce projet de loi est un rappel qui montre combien nos responsables politiques se sont peu aventurés pour ce qui est des événements et des débats historiques concernant l'agriculture. Je pense notamment aux lois sur les céréales et à leur abrogation en 1846 en Angleterre. Je suis sûr que vous le savez, ces lois portaient sur l'instauration de tarifs de protection sur les importations céréalières en Angleterre qui ont profité à l'aristocratie terrienne, laquelle appartenait à l'époque au Parti conservateur, tout en faisant nettement augmenter le prix du pain pour les travailleurs anglais. Cela a déclenché des émeutes. La famine qui a sévi en Irlande au cours des années 1840 et la Ligue contre les lois sur les céréales appuyée par l'industrie ont beaucoup fait pour que les lois soient abrogées et ont provoqué une scission au sein du gouvernement avec d'un côté les «Tories conservateurs» de Benjamin Disraeli, et de l'autre les «Conservateurs libéraux» de William Gladstone. C'est Disraeli qui a mis en échec le gouvernement Peel en 1846.

Ce petit retour en arrière historique est nécessaire pour vous pousser à vous intéresser à cette époque. C'était aussi l'époque de Karl Marx, de Malthus et d'autres grands penseurs et économistes. Il est aussi nécessaire d'envisager une discussion utile sur l'importance de l'existence de cette législation agricole pour le tissu social que nous connaissons dans notre pays.

Les experts en matière de macro et de micro-économie ont publié de nombreux articles sur les lois agraires et je crois que toutes les personnes présentes feraient bien de relire ces auteurs.

Il me semble que sur le plan politique, le gouvernement du Canada continue sa politique d'alimentation peu coûteuse qui protège les dépenses des syndicats et du gouvernement pour les pauvres et les chômeurs. À une époque où certaines de nos ressources alimentaires naturelles font défaut, par exemple les pêches, il est très important que le gouvernement du Canada devienne plus sévère en exerçant un contrôle plus important sur les stocks alimentaires découlant de la culture du sol, en contrôlant le prix des exportations et en réduisant les signes de concurrence.

De plus, pour assurer des coûts élevés durables dans le secteur céréalier en conservant un système très coûteux de manutention et de nettoyage et en permettant de poursuivre l'exportation d'excréments de cerfs, on taxe les agriculteurs et on empêche une certaine production agricole. Je suis sûr que cela est cause de désespoir, de maladies et de main-d'oeuvre peu coûteuse dans tout le secteur alimentaire. On maintient ainsi l'inflation à un niveau faible tout en ayant 9 à 10 p. 100 de la main-d'oeuvre disponible.

Ce que fait le projet de loi C-4 pour le gouvernement du Canada, il le fait également pour les grandes compagnies multinationales.

Avec la dévaluation du dollar canadien par rapport au dollar américain, la production agricole essentielle, les concessions Agchem et les terres restent peu coûteuses. Des mouvements importants de monnaies européennes se produisent également, surtout en provenance de Hollande, du Danemark, d'Allemagne, de Suisse et de France.

Pourquoi quelqu'un qui exploite les autres et qui cherche à faire le maximum de bénéfices n'investirait-il pas dans un pays comme le Canada? Pourquoi un propriétaire terrien canadien continuerait-il à cultiver le sol quand il peut vendre cher et que le gouvernement permet ces ventes, obtenant ainsi une large assiette fiscale et des investissements étrangers?

Si on accorde à l'agriculteur un accès indépendant à sa propre production en tout ou en partie, le gouvernement canadien aura du mal à mettre en oeuvre ses conceptions politiques. Il créerait des richesses pour des producteurs individuellement qui à leur tour perturberaient le paysage politique. En perpétuant la pauvreté chez les propriétaires terriens, on les oblige à s'affairer, on conserve l'argent au Canada, on protège les pools syndicaux et on évite aux entreprises des coûts élevés pour la main-d'oeuvre.

Je crois qu'un contrôle total de toute la production agricole n'est pas sain pour les divers producteurs. Ce n'est pas sain pour toute personne qui travaille au Canada. Je demande qu'on rejette le projet de loi C-4. Ce que nous voulons de la part de nos responsables politiques, c'est une direction et non une oppression totale. Le Canada a besoin de gens qui savent prendre des risques car ils sont importants pour la croissance et le changement et ils le font généralement dans le cadre de notre société.

L'élimination de l'esprit humain global entraîne la méfiance et l'histoire montre que cela donne lieu à des émeutes et à des révolutions. Le désespoir des entrepreneurs agricoles me gêne et j'aimerais que la prière suivante soit offerte à tous ceux qui ont le pouvoir, afin qu'ils puissent demander à comprendre les voies du Seigneur pour tous les habitants du Dominion, et que nous puissions réévaluer notre rôle lorsque nous nous trouvons face à face avec le Créateur dans les moments paisibles de notre vie.

Merci encore de m'avoir permis de faire cet exposé et, je l'espère, peut-être de reconnaître en définitive ma contribution grâce à cette prière.

La voici: Ô Dieu, sonde nos coeurs aujourd'hui! Mets-nous à l'épreuve pour voir si nous avons de mauvais penchants. Adresse-nous la parole pour que nous connaissions le fond des esprits et des intentions et libère-nous. Guide et bénis ces hommes et ces femmes qui ont été attirés ici par l'idée de construire un Canada meilleur, que tu as destinés au gouvernement de ce grand pays en le leur faisant savoir. Accorde-leur la sagesse de gouverner et de prendre des décisions qui poussent les Canadiens à agir selon ta volonté vivante et aimante. Amen.

Voilà qui termine mon exposé.

Le président: Monsieur Livingstone, voulez-vous continuer?

M. Doug Livingstone: Merci de me donner l'occasion de vous rencontrer aujourd'hui. Je ne vais pas vous lire mon mémoire pour que nous ayons plus de temps pour les questions, mais je vais simplement mettre en lumière certains points. J'espère que vous le lirez lorsque vous en aurez le loisir.

Je m'étais promis de rester en dehors de ce débat jusqu'à aujourd'hui, non pas parce que je ne suis ni inquiet ni intéressé, mais simplement en raison de mes antécédents. Je n'ai guère recours au système de la Commission canadienne du blé même si je crois fortement en son bien-fondé. Je l'utilise cependant.

Contrairement à certains critiques de la Commission du blé, je ne produis pas nécessairement des céréales indépendantes de la Commission parce qu'elles ne relèvent pas d'elle. Le choix de ma production relève d'une décision de gestion. Toutefois, je comprends que beaucoup de personnes s'en servent comme d'une béquille. Ils cultivent des pois parce que cela enrichit le sol en azote. Ils cultivent du canola parce que c'est une récolte d'un bon rapport. Ils cultivent d'autres plantes, parce que cela rentre dans le cadre des relations chimiques et pas nécessairement parce que la Commission canadienne du blé ne leur offre pas un bon service.

Ceci dit, et après avoir écouté les critiques du système de la Commission, je commence à me demander si oui ou non si c'est le moment d'être individualiste.

Si vous me permettez une petite digression, pour la partie élevage de mon exploitation, je suis en train de suivre une chose très intéressante qui est en train de se produire. Je crois que dans les cinq prochaines années ou peut-être plus tôt -- et cela a été dit par l'USDA -- 90 p. 100 des bovins américains relèveront de moins de 2 000 parcs d'engraissement.

Il n'en ira pas autrement au Canada. Nous pouvons voir les regroupements d'entreprises de transformation, de producteurs d'aliments, de naisseurs et nous pouvons admettre que le producteur individuel va disparaître. Il nous faut faire face à ce défi d'une autre façon.

Je crois que la même chose va se produire dans le secteur céréalier. Cela se produit déjà. Nous sommes en train de signer des marchés céréaliers, nous concluons des ventes. De moins en moins de joueurs vont s'occuper d'acheter nos céréales et de les commercialiser. Nous allons perdre des clients qui peuvent accéder facilement à d'autres groupes de clients si nous n'offrons pas un service de qualité et autre chose qu'un produit.

Il y a certaines choses que la Commission canadienne du blé fait pour nous, en tant qu'organisation, à un coût relativement faible par rapport à ce qu'il m'en coûterait si je le faisais à titre individuel, et elle le fait en me faisant courir moins de risques à titre individuel, en raison de la taille et de l'échelle de ses activités. Elle peut par exemple emprunter de l'argent beaucoup plus facilement qu'un particulier. De même, elle peut offrir des contrats de vente pour de nouvelles récoltes et les commercialiser, ce qu'aucun individu et très peu d'entreprises vous permettront de faire, parce qu'elle va trouver un marché pour ce produit. Elle va l'évaluer et chercher des clients pour leur montrer comment on peut utiliser le produit. Ces services sont actuellement fournis par l'organisation, et ils sont essentiels pour mon exploitation. Nous ne pouvons ignorer cela lorsque nous critiquons cette organisation qui s'est fait taper sur les doigts à quelques occasions.

Pour en revenir au projet de loi, il me semble qu'étant donné toutes les critiques qui concernent la structure actuelle de la Commission canadienne du blé, le moment du changement est venu. Il me semble aussi que le projet de loi C-4 offre une certaine souplesse aux producteurs, enfin, leur accorde ce qu'ils demandent, c'est-à-dire des responsabilités et la possibilité de gérer leurs affaires. Ils ont aussi demandé une certaine aide du gouvernement. Ils ne veulent pas que le gouvernement n'intervienne plus du tout, surtout lorsqu'il s'agit de garantir des prêts. Je ne vois pas d'inconvénient à ce que certains administrateurs viennent du gouvernement, parce que je sais que tous ceux qui m'accordent de l'argent veulent pouvoir prendre part à mon exploitation, et je pense que le gouvernement n'est pas différent en cela.

Mon expérience m'a montré que le gouvernement consulte en général le secteur avant de prendre des décisions sur les gens qu'il nomme aux conseils d'administration. Dans la plupart des cas, les relations ont été très bonnes. Ce sont des personnes fiables, compétentes, provenant d'horizons variés et pas nécessairement exclusivement du gouvernement. Certaines sont choisies dans l'industrie. On prend donc les personnes voulues.

Je ne vois pas pourquoi il en irait autrement si on mettait en oeuvre le projet de loi C-4. Ce projet de loi me semble être une loi habilitante. J'en ai moins peur que beaucoup parce que si nous avons un conseil d'administration digne de ce nom -- et c'est aux producteurs qu'il revient de choisir les personnes indiquées -- et s'il gère l'entreprise comme il se doit, le navire ne fera pas eau.

La Commission canadienne du blé est l'une des plus grosses sociétés du monde, certainement la plus grosse du Canada, puisqu'elle représente 6 milliards de dollars de transactions céréalières. Mais je crois qu'il est temps qu'on permette aux agriculteurs de gérer leurs propres affaires.

J'aimerais vous soumettre une proposition. J'aimerais que le PDG ou le président, s'il s'agit de la même personne, soit engagé par le conseil d'administration. Il y a un problème que nous rencontrons dans la plupart des débats agricoles, c'est que la discussion tend à se polariser et que l'on est très près de faire de la politique avec un grand P. Chacun essaie d'obtenir des conseils de la part de la personne qui le représente au sein du conseil d'administration.

Si le PDG était choisi par le conseil d'administration, les administrateurs seraient responsables des décisions prises, de la direction choisie et en fait, leur responsabilité fiduciaire serait totale.

Car il me semble que si c'est le gouvernement qui nomme cette personne, les administrateurs pourraient invoquer comme excuse le fait qu'ils n'ont aucune prise sur la personne, qu'elle n'est pas responsable envers eux. Cela pourrait amener à une situation chaotique. C'est donc un changement auquel je m'attacherais et que je vous demanderais de faire.

Il n'a pas été question de ce qui se produirait si nous n'avions pas la Commission canadienne du blé ou si elle était inefficace. Au Canada nous contrôlons les grains exportés parce que nous avons un système de mise en commun auquel participent la plupart des agriculteurs. Un système de mise en commun, c'est plus qu'un simple système de prix moyen. Un système de mise en commun, c'est un outil de commercialisation qui permet à un système céréalier canadien très divers d'être commercialisé sur une période d'un an de façon à permettre au marché de fonctionner comme il se doit.

Tous les producteurs veulent de l'argent. Ils aimeraient avoir accès à ce marché et ils aimeraient pouvoir le faire quand ils le souhaitent, et il me semble que le système canadien, tel qu'il existe actuellement et sans doute tel qu'il existera encore pendant un certain temps, ne peut pas résister à ce genre de liberté. Il est fragile, son importance diminue et il coûte cher, et nous n'avons pas encore appris à faire face à cela.

En 1990, j'ai fait partie du groupe d'examen de la Commission canadienne du blé qui a publié un rapport dont j'ai un exemplaire avec moi. Je ne sais si beaucoup ont pris le temps de le lire. Je sais qu'il est resté sur les tablettes pendant deux ou trois ans avant que l'on se rende même compte qu'il avait été fait.

Dans notre rapport, nous disons que la structure de la Commission canadienne du blé devrait devenir davantage une structure d'entreprise. Il est admis, dans la situation mondiale actuelle, que la structure de l'entreprise est plus facile à identifier que le système que nous avons maintenant. Notre groupe a discuté de la plupart des questions qui sont traitées dans le projet de loi C-4. Je crois donc qu'il serait bon qu'on lise attentivement notre rapport. Je crois que nos recommandations restent valables, même si nous sommes maintenant huit ou neuf ans plus tard.

Pour ma part, je ne vois pas d'inconvénient à un fonds de réserve bien que cela semble effrayer beaucoup de gens. Le conseil d'administration en aurait la responsabilité et c'est lui qui prendrait les décisions de commercialisation. Pour que les agriculteurs assument leurs propres risques, il leur faudrait une garantie de couverture au cas où des ajustements devraient être faits ou des décisions commerciales n'auraient pas donné les résultats escomptés.

C'est ce que fait déjà la Commission australienne du blé et le système a été accepté par les producteurs. Il fonctionne bien. On pourrait donc suivre ce modèle.

Je ne vois pas non plus d'inconvénient avec la disposition d'exclusion ou d'inclusion. Elle va permettre au conseil d'administration d'avoir le contrôle, mais la décision finale reviendra aux producteurs. Je ne vois rien de mal à cela. J'estime donc qu'il s'agit d'une loi habilitante, que ces deux outils devraient donc y figurer, car s'il est indiqué d'exclure une céréale, je crois qu'il est aussi indiqué d'avoir la possibilité d'inclure une céréale si c'est nécessaire pour pouvoir prendre des décisions commerciales judicieuses.

Le président: Monsieur Jackson, voulez-vous continuer?

M. Thomas Jackson: Merci, monsieur le président, de me donner l'occasion de faire mon exposé. Je vous remercie aussi d'avoir évalué avec autant de soin le projet de loi et d'être venu dans l'Ouest du Canada pour connaître l'opinion des gens touchés par la législation proposée.

Dans ma famille d'agriculteurs, je représente la quatrième génération. Nous cultivons 4 000 acres dans la région de Sherwood Park. J'ai aussi des liens avec une exploitation de la région de Westlock où l'on cultive 6 000 autres acres. Je m'occupe beaucoup de la commercialisation des produits pour les deux exploitations et je suis très inquiet de ce qu'a fait la Commission canadienne du blé ces deux dernières années.

Il y a deux ans, j'ai voté pour que la Commission du blé conserve le monopole sur mon blé. Je dois avouer avec regret que j'ai été déçu. J'ai dû prendre la position inverse en raison des mensonges qu'on nous a racontés. C'est pourquoi je suis ici aujourd'hui.

La propagande faite par les pools des Prairies, par le SNC ne sont que des voeux pieux. Vous pouvez vous reporter, dans mon exposé, au vote de 1973 sur la Commission canadienne du blé et lire tranquillement la propagande à ce sujet. Je crois que le sénateur Whelan a participé à tout ça.

Si je dois compter sur la Commission du blé pour la commercialisation de mon orge fourragère ou de mon blé fourrager, si je regarde les PDR (perspectives de rendement), le 1,13 $ que la Commission du blé m'a dit que je devrais recevoir à l'automne pour mon orge, prix auquel je vais perdre 47 $ l'acre, comment puis-je conclure en toute justice que le canola, qui me rapporte 167 $ l'acre sur le marché libre m'a trahi? Ce n'est pas le cas.

L'aile gauche, qui a adopté tant de mesures qui lui donne le droit de saisir mes biens, nous dit que la Commission canadienne du blé est un mécanisme efficace pour répartir les risques. Je soutiens que les bourses mondiales de marchandises constituent pour moi des moyens plus efficaces de gérer mes risques.

La Commission canadienne du blé nous a dit qu'elle gère efficacement les stocks de grains à l'avantage des agriculteurs. D'après mon expérience, la Commission canadienne du blé ne gère pas efficacement les risques des producteurs céréaliers et, au cours des cinq dernières années, elle a manqué plusieurs occasions qui auraient fait que mon exploitation vaudrait des centaines de milliers de dollars de plus.

Elle ne gère pas efficacement la coordination de la livraison et du transport de là où nous sommes, et en 1996, la fermeture du terminal de Prince Rupert pendant quatre mois a été absolument désastreuse. Au moment où les prix des céréales atteignaient leur maximum depuis 20 ans, on a arrêté le système de transport et nous sommes restés en plan. Ce n'est pas juste.

La Commission canadienne du blé prétend qu'elle crée un système de transport et de manutention des grains peu coûteux. La seule conclusion à laquelle je puisse arriver lorsque je vois qu'on consacre des centaines de millions de dollars à fabriquer du béton qui recouvre le sol un peu partout dans les Prairies, c'est que cela va complètement à l'encontre de la nouvelle «relation directe, permettant de préserver l'identité» entre le client, les utilisateurs et moi l'agriculteur. Je veux que mon produit reste un produit spécial. Je ne veux pas qu'il s'en aille dans un gros silo. Il nous faut préserver davantage les identités. C'est la tendance mondiale.

La Commission du blé nous dit qu'elle a toujours offert des bénéfices maximums aux céréaliers de l'Ouest grâce à la mise en commun. Je ne peux pas l'accepter un instant car il y a de nombreuses occasions où le système de mise en commun m'a empêché de maximiser mes revenus.

Si l'on se reporte à l'exposé fait plus tôt par les éleveurs, je maintiens que si j'étais le PDG de la Commission canadienne du blé et que je prélevais une prime pour l'orge, le blé et tous les produits fourragers, on me flanquerait si vite à la porte pour avoir perturbé l'économie canadienne que je n'aurais pas le temps de comprendre ce qui se passe. Il n'est absolument pas possible de permettre aux agriculteurs de prélever une prime parce que ça perturbe tout le système. C'est une blague. Il n'a jamais été prévu que cela se passe. De cette façon on transmet les signaux du marché aux céréaliers de l'Ouest. Il me semble que si le canola relevait aujourd'hui de la Commission -- et le vote avait donné le résultat contraire en 1973 -- on nous offrirait 6 $ le boisseau pour notre canola, simplement parce qu'on essaierait de maintenir un équilibre entre les prix du blé, de l'orge et du canola, et on ne voudrait pas qu'il y ait trop d'écarts entre les différentes superficies cultivées.

Il me semble que l'évaluation faible pour 1998-1999 de l'orge et du blé de provende va créer un problème pour le canola, car on va consacrer davantage de superficie à ce dernier produit qu'il ne faudrait. Tout cela, parce que les forces du marché ne se transmettent pas jusqu'aux producteurs.

Nous devons choisir les techniques de vente qui offriront des avantages maximums aux producteurs de blé et d'orge de l'Ouest du Canada et signer davantage de marchés à long terme. Je vous demande ceci: comment la Commission canadienne du blé, alors qu'on ne cesse de contester en justice ses statuts, ses actions, peut-elle signer des contrats intéressants à long terme? C'est impossible car tout le monde sait que c'est comme si on faisait affaire avec une société en faillite. On l'attaque de tous les côtés. Comment peut-on penser qu'une telle organisation a une bonne crédibilité auprès de nos clients?

Son mandat consiste à établir des prix planchers et à indemniser les agriculteurs lorsque les marchés mondiaux sont à la baisse ou ne sont pas bons. Ce n'est pas le cas. Elle commence normalement à 75 p. 100 du minimum de la PDR, qui a abouti l'année dernière en Saskatchewan à 0,82 $ le boisseau par rapport au prix initial. Et cela se passait à une époque où le marché libre offrait 2,30 $ le boisseau pour la même orge. Pouvez-vous me dire comment cela pourrait créer un prix plancher? Je crois que cela crée un plancher inférieur pour les éleveurs et que c'est de là que tout vient.

La Commission canadienne du blé doit offrir des renseignements fiables sur les prix dont les agriculteurs peuvent se servir comme outil de planification. Ce n'est pas le cas. Si on s'était fié aux informations de la Commission du blé sur les prix lors des dernières projections pour les PDR, on aurait eu 5 millions d'acres d'orge et les animaux des éleveurs seraient morts de faim. C'est une distorsion que notre économie ne peut pas supporter.

On nous dit que la Commission du blé a pour autre rôle d'éviter les problèmes de qualité avec les céréales de l'Ouest et de gérer effectivement la qualité. Les excréments de cerfs et de souris et toutes ces autres choses prouvent bien que la Commission canadienne du blé ne contrôle pas la qualité. C'est la «Grain Commission» et les compagnies céréalières qui créent la qualité que la Commission du blé peut vendre. Je n'arrête pas de lire dans les articles des journaux que la Commission canadienne du blé offre la meilleure qualité. Ce sont en fait les agriculteurs de l'Ouest du Canada qui offrent les meilleures céréales du monde pour ce qui est de la qualité. Je suis attristé lorsque quiconque félicite la Commission du blé alors que ce sont les agriculteurs qui produisent des céréales de qualité.

J'étais à Winnipeg lorsque le juge Smith a rendu sa décision dans l'affaire Dave Bryant.

Le sénateur Stratton: À quelle page cela se trouve-t-il?

M. Jackson: À la page 7, je cite le juge Smith qui a déclaré:

On a le droit de jouir de ses biens en vertu de la Charte des droits et on ne peut priver une personne de ce droit sans procédure équitable. Il est clair que les dispositions mentionnées ci-dessus ne constituaient pas une contestation des sommes qui doivent être versées pour les céréales et que la question de la demande de licence d'exportation ne laisse aucune possibilité de discussion.

J'en arrive à la dernière partie de mon exposé qui est intitulée la «disposition d'exemption». Et c'est une question de droits civiques. Dans mon exploitation, je cultive des céréales avec ce que le Seigneur a bien voulu nous accorder -- le soleil et la pluie -- et je bénéficie de l'aide de ceux qui viennent nous seconder pour la récolte. Je ne serais pas heureux que mon voisin vienne me trouver en me disant: «Je vais prendre tes céréales pour que les miennes me rapportent plus.»

Premièrement, c'est de la convoitise; deuxièmement, c'est du vol; et troisièmement, d'après ce que j'ai pu constater au sujet de la Commission du blé, c'est porter un faux témoignage contre mon voisin, car la Commission du blé n'obtient pas de prime pour l'orge fourragère, pour le blé fourrager, pour le numéro 3 Red ni pour le CPS. Ce sont des marchandises courantes sur lesquelles elle ne peut pas obtenir une prime, et il n'y a aucune raison qu'elle s'en occupe si elle ne peut pas faire cela.

Il me semble qu'il faille soit avoir dans le projet de loi C-4 une clause de retrait, ou résoudre tous les problèmes judiciaires en invoquant la disposition d'exemption de la Charte canadienne des droits. À ce moment-là ce ne sera pas démoli par tout le monde de tous les côtés. Mes clients et moi devrons faire face au chaos judiciaire qui pourrait en découler. Vous, en tant que sénateurs, avez l'obligation de demander au gouvernement d'invoquer la clause nonobstant ou d'accorder la possibilité de se retirer.

Le sénateur Hays: Vous avez beaucoup travaillé pour préparer ces exposés. Merci de l'avoir fait et d'avoir pris le temps de nous les donner.

Ma question s'adresse à tout le panel. À l'exception de M. Livingstone, je ne sais trop quelle est votre position sur les différents éléments du projet de loi.

Étant donné que l'un d'entre vous est ancien président de l'Alberta Wheat Pool, j'aimerais aborder le processus de sélection des délégués pour le suffrage indirect par opposition à l'élection directe des administrateurs afin d'évaluer les deux systèmes l'un par rapport à l'autre.

M. Jackson: Je suis membre de nombreuses organisations albertaines. J'estime qu'une élection directe me rend davantage responsable envers les citoyens que je représente lorsque je suis élu membre d'une commission donnée. Je ressens ce lien direct avec chacun des électeurs de ma circonscription ainsi qu'une obligation morale directe de représenter chacun d'entre eux davantage dans ce cas que si je fais partie d'un groupe flou.

Cela dépend vraiment de la personne qui représente les électeurs et de l'importance plus ou moins grande qu'elle donne à cet engagement. Il me semble cependant que cela permet des communications plus directes entre l'administrateur et le producteur que cette personne est censée représenter. Si les députés canadiens sont élus comme ils le sont, c'est notamment parce qu'il y a cette responsabilité directe envers certaines personnes.

M. Livingstone: Sénateur Hays, je vous remercie de la question. Si je regarde le projet de loi tel qu'il nous est présenté, et on suggère que les deux tiers des producteurs seront élus et que cinq personnes seront nommées dont le PDG ou président.

Au risque de paraître facétieux, il me semble que peu de Canadiens soient jamais satisfaits de leurs gouvernements, quel que soit le parti politique auquel ils appartiennent, et pourtant ils les élisent. Je ne suis pas sûr qu'en permettant aux producteurs d'élire un conseil d'administration, on puisse satisfaire tout le monde. Mais cela est assorti d'une certaine responsabilité. Je suis d'accord avec M. Jackson là-dessus.

Dans le monde des entreprises, il n'est pas rare, même si le conseil d'administration est élu, qu'on aille en dehors de l'entreprise pour nommer des personnes qui ont le savoir-faire voulu. Je ne vois aucun danger à cela. L'équilibre semble suffisant pour permettre aux producteurs de garder le contrôle et les producteurs auront la responsabilité. Les administrateurs qu'ils élisent devront rendre des comptes à ceux qui les ont élus.

Si le processus est bien conçu, je crois qu'il pourrait fonctionner, mais encore une fois, ce sont les gens qui font que le système fonctionne. Si on les choisit bien, le système va fonctionner. Si on les choisit mal, ce sera la catastrophe, qu'on les élise ou qu'on les nomme.

Le sénateur Hays: Pour les 10 personnes élues, soit au suffrage direct, soit au suffrage indirect, c'est-à-dire en élisant des délégués qui choisissent les administrateurs, comment procéderiez-vous?

M. Livingstone: Ce sera un processus intéressant, sénateur Hays. Il y a des possibilités de le faire par district, un peu comme dans le cas des systèmes des coopératives qui existent au Canada. On serait ainsi sûr que ces gens seraient responsables envers une région donnée. Il n'y aurait pas d'administrateurs généraux. J'ai étudié un peu la discussion concernant ce sujet, et il semble que la plupart des producteurs, y compris les organisations de producteurs, suggèrent d'avoir recours à ce système, c'est-à-dire de mettre au point un système par district, un peu comme pour le comité consultatif qui existe actuellement, de sorte que les gens qui viennent d'une région donnée doivent élire quelqu'un de cette région. Je suis d'accord avec cela.

M. Comfort: Il faut peut-être prendre en compte le volume des céréales produit par certains. Qui produit toutes les céréales de notre pays? M. Livingstone admet qu'il ne produit que ce dont il a besoin pour nourrir ses animaux. Je crois que quelque chose comme 17 ou 20 p. 100 des agriculteurs produisent 60 à 80 p. 100 des céréales, selon l'année. Nous pourrions donc avoir des représentants chez les agriculteurs qui ont droit au titre d'agriculteur, mais qui n'ont pas beaucoup de céréales à expédier.

Il en va de même pour le système politique canadien. Bien que les candidats aux élections politiques puissent obtenir 20 p. 100, 30 p. 100 ou même 40 p. 100 des suffrages exprimés, ils ne sont pas élus à cause de la répartition au sein de la circonscription. Tenir un scrutin n'indique pas nécessairement le nombre de personnes qui ont voté pour un candidat donné. Il me semble que cela pourrait constituer un problème grave.

Le sénateur Ghitter: Monsieur Livingstone, le conseil est constitué de 15 administrateurs dont 10 sont élus. Admettons que la majorité du conseil d'administration soit élue pour appliquer des politiques qui soient contraires à celles du gouvernement ou de l'Alberta Wheat Board tel que nous l'avons connu jusqu'ici. Vous pouvez très bien voir quelle situation chaotique en découlerait parce que le conseil serait contrôlé par des personnes qui ont un point de vue différent de celui prévu dans le texte de loi. Certaines d'entre elles pourraient se regrouper pour essayer de renverser le conseil. Cela pourrait arriver. Y avez-vous jamais pensé?

M. Livingstone: Sénateur Ghitter, j'y ai pensé, et cela ne m'inquiète pas vraiment. Lorsqu'ils sont élus, les conseils d'administration ont la responsabilité fiduciaire envers la société ou l'organisation de faire ce qui est judicieux sur le plan commercial. Je me souviens d'un avocat qui m'a dit qu'il pouvait me protéger de tout sauf de la bêtise. Il est clair qu'ils devront prendre de bonnes décisions commerciales. Peu m'importe leur appartenance.

M. Jackson et moi en avons déjà discuté. Je ne suis pas toujours tout à fait d'accord avec ce qu'il dit, mais si M. Jackson fait partie du conseil d'administration, il devra faire ce qui est judicieux commercialement. Collectivement, vous ne pouvez pas mettre ensemble 10 idiots. Ils feront ce qu'il faut parce que tout d'abord, juridiquement, ils doivent le faire. Deuxièmement, je crois que ce seront des entrepreneurs suffisamment futés pour faire le nécessaire dans le délai voulu et pour l'époque.

Le sénateur Ghitter: Ils pourraient aussi estimer qu'ils ont une plus grande responsabilité envers les agriculteurs qu'envers le gouvernement, comme beaucoup l'ont suggéré tout à long de ces audiences.

Monsieur Jackson, qu'en pensez-vous?

M. Jackson: Avec mon exposé, je vous ai remis des tableaux qui indiquent la concentration de la production. J'ai également indiqué d'où venaient les bénéfices dans mon exploitation. Il me semble que, lorsque 38 p. 100 des producteurs céréaliers ne commercialisent que quatre pour cent des céréales produites, il y a un problème important en ce qui concerne la réalité démographique. Il y a bien sûr aussi la répartition entre les grosses et les petites exploitations.

Du point de vue des entreprises, si le texte de loi indique que je dois agir au mieux des intérêts de la société, je ne peux pas faire ce que mes producteurs veulent que je fasse. Je dois, en vertu de la loi, faire ce que le gouvernement veut, c'est-à-dire procéder à la mise en marché ordonnée des céréales, que ce soit au détriment ou à l'avantage des producteurs que je représente. En vertu du projet de loi C-4, je ne pourrai pas avancer cet argument.

Le sénateur Hays: Mon autre question concerne l'évolution du conseil d'administration tel que l'envisage le gouvernement à l'heure actuelle, en admettant que le projet de loi C-4 soit adopté. Quelle comparaison peut-on faire entre ce que l'on envisage de réaliser avec l'adoption du projet de loi et les recommandations du Western Grain Marketing Panel? La principale différence qui me vient à l'esprit concerne l'orge.

M. Comfort: J'ai fait un exposé devant le Western Grain Marketing Panel. À l'époque, j'étais président de l'Oat Producers Association of Alberta. Dans mon exposé, j'indiquais très clairement combien il serait avantageux d'exclure l'avoine des grains qui tombent sous le coup de la Commission. Et cela continuera d'être le cas.

Les agriculteurs qui ont une avoine de piètre qualité l'expédieraient dans les silos de la Commission où elle sera mélangée avec le reste de la production. La Commission exporterait alors cette avoine de bien piètre qualité et notre réputation de qualité en souffrirait.

Lorsqu'on a retiré à la Commission l'avoine, même s'il a fallu un certain temps au marché pour s'ajuster, ce secteur s'est très bien débrouillé sur le marché des exportations. Les États-Unis ont depuis nettement réduit leur production d'avoine et c'est ainsi que nous avons un très gros client pour notre avoine juste au sud de notre région. Cela a changé beaucoup de choses pour l'agriculture de la Saskatchewan, de l'Alberta et du Manitoba.

M. Livingstone: Je sais que le projet de loi C-4 ne respecte pas toutes les recommandations du Western Grain Marketing Panel. J'ai travaillé avec certains de ses membres dans le passé pour d'autres projets et j'en ai parlé avec eux.

Votre remarque concernant l'orge me paraît très intéressante. Dans la province, nous avons ce que certains pourraient appeler un «micro-marché», mais ça n'est pas vraiment le terme voulu. Ce n'est pas un micro-marché. Nous avons un très gros marché pour les céréales fourragères en Alberta, et nous avons un double marché également ici, mais il n'y a pas eu de problème pour la simple raison que les nombreux parcs d'engraissement du sud de l'Alberta ont accès aux céréales fourragères américaines si jamais il y avait un problème avec l'orge.

Il me semble qu'à cause de ce marché, nous avons un marché artificiel au sein de la province. Il est sans rapport avec la situation mondiale. J'ai passé un peu de temps, il y a deux semaines, à Grain World à Winnipeg à écouter les conférenciers internationaux. Pour moi ces deux jours ont sans doute été les plus tristes et les plus dérangeants que j'aie jamais vécus. On a dépeint à l'intention des céréaliculteurs, des éleveurs de bétail et autres la situation à laquelle ils devaient s'attendre sur les marchés mondiaux l'année prochaine ou au cours des deux prochaines années.

Contrairement aux critiques qu'aimeraient adresser à la Commission la plupart des gens, la situation mondiale veut que la Commission ne puisse pas obtenir plus d'argent sur les marchés internationaux que ce qu'on lui offre actuellement. En fait, elle prend quelques risques en offrant les prix qu'elle offre, et cela à cause de ce qui nous attend sur le marché international. Il faut nous rappeler ce que les Européens ont fait récemment en lançant une guerre des subventions. Nous étions prêts à offrir 37,50 $ la tonne pour l'orge, par exemple, pendant une journée, c'est-à-dire pratiquement à un prix qu'on ne pouvait pas leur accorder pour avoir le marché, et les États-Unis étaient prêts à faire une contre-offre. Si nous nous trouvons dans une telle situation à nouveau, nous n'avons encore rien vu au Canada pour ce qui est d'avoir des prix bas.

Voilà la réalité du marché mondial et lorsqu'on fait la comparaison, on ne compare pas des pommes avec des pommes, parce que nous avons quelques micro-marchés au Canada qui n'ont aucun rapport avec le marché mondial réel.

Étant donné le volume de production que nous avons au Canada, nous allons nous trouver dans une situation où nous devrons commercialiser l'essentiel de notre production au Canada. Nous ne pouvons pas l'absorber. Sur le marché intérieur, nous ne pouvons absorber que quelques millions de tonnes de blé. Il nous faut commercialiser le reste. Ce n'est pas le cas pour la production d'orge. Si les chiffres de la Commission du blé concernant la production d'orge de cette année sont exacts, peu de personnes vont en cultiver sauf peut-être parce qu'elles en ont besoin eux-mêmes ou parce qu'elles pensent que le marché pourrait s'améliorer un peu et qu'elles pourraient faire un peu d'argent. Mais pour l'instant il n'y a rien à gagner sur ce marché. On n'atteint même pas le seuil de rentabilité en produisant de l'orge. Cela n'a rien à voir avec la Commission canadienne du blé. C'est la réalité de la situation du marché mondial.

Peu m'importe que le projet de loi C-4 tienne compte des recommandations du panel. Encore une fois, comme je l'ai dit, il s'agit d'une loi habilitante, et si le conseil d'administration est mis en place, il prendra les décisions commerciales voulues pour profiter des occasions de marché.

Le président: Vous le savez sans doute, le comité étudie l'état de l'agriculture au Canada et il va continuer à le faire.

Au cours de nos études, nos chercheurs ont constaté que les dernières statistiques laissent entendre que le rendement de l'investissement en agriculture -- et cela vaut pour toute l'agriculture canadienne, le secteur laitier, l'élevage, le blé, les céréales, et cetera -- est de trois pour cent. C'est relativement peu. Qu'en pensez-vous?

M. Jackson: Si vous regardez à la page qui précède l'introduction dans mon exposé, vous verrez un graphique vous indiquant les revenus prévus pour le blé, l'orge et le canola de l'Alberta en 1998-1999. On y indique le prix faible que prévoit la Commission pour l'orge. Cela me ferait perdre 47 $ l'acre. Le prix le plus élevé me permettrait de gagner seulement 17 $ l'acre. Le marché libre, le marché indépendant de la Commission, me rapporte autour de 40 $ l'acre pour l'orge. Le marché du blé fourrager indépendant de la Commission me rapporte quelque chose comme 50 $ et quelques l'acre.

M. Livingstone a dit qu'il y avait un marché artificiel en Alberta et je ne suis pas du tout d'accord. Le 1er janvier 1998, on a ouvert la frontière vers Lethbridge. Les producteurs américains d'orge peuvent maintenant librement amener de l'orge au Canada. La seule raison qui fait que les prix de l'orge sont élevés, c'est que l'orge européenne, si elle pouvait parvenir en Alberta par la voie ferrée, coûterait très cher. Lorsqu'on vend du maïs sur le marché à terme des marchandises en décembre 1997 pour 2,65 $US le boisseau, on ne peut logiquement pas dire que 1,13 $ est un juste prix pour l'orge. Ce n'est pas le cas. Les marchés de marchandises mondiaux ne disent pas qu'il vaut moins que 1,13 $, et personne ne peut le produire pour ce prix, il est donc juste. Il faut mettre en oeuvre les recommandations du rapport du Western Grain Marketing Panel parce qu'il est évident que les distorsions que provoque la Commission du blé créent une situation chaotique pour tout le monde et que nous ne pouvons pas nous le permettre.

Le sénateur Fairbairn: Nombreux sont ceux qui semblent penser que le projet de loi C-4 n'a pas lieu d'être parce qu'ils estiment que la Commission canadienne du blé n'a pas lieu d'être.

Toutefois, si vous prenez comme point de départ que l'objet du projet de loi est de rendre la Commission plus responsable et davantage en rapport avec les producteurs, l'une des façons d'y parvenir ne consisterait-elle pas à permettre aux agriculteurs d'élire les membres du conseil? N'est-il pas possible que les membres élus de la Commission canadienne du blé, qui doivent transmettre les opinions des agriculteurs, travailler pour les agriculteurs, ne puissent pas en même temps travailler dans l'intérêt du meilleur fonctionnement possible de la Commission canadienne du blé?

Quelqu'un a fait le parallèle avec un député élu. Un député élu a évidemment des responsabilités directes envers les électeurs qu'il représente, mais il a aussi une responsabilité envers le pays. C'est la réalité. En fait, certains membres de notre comité ont été députés, notamment le sénateur Whelan, le sénateur Gustafson, le sénateur St. Germain, le sénateur Robichaud et le sénateur Ghitter qui a été élu ici en Alberta.

Je crois qu'il est possible de faire ce travail. Le projet de loi stipule que les administrateurs doivent servir au mieux les intérêts du conseil d'administration, mais je ne vois pas en quoi cela pourrait empêcher un membre élu, qui est un agriculteur, d'agir en sa qualité d'administrateur ou d'administratrice pour en faire une meilleure Commission, tout en respectant au mieux les intérêts des agriculteurs qu'ils représentent aussi. J'aimerais que les membres du panel nous donne leur avis sur la question.

J'ai une autre question que j'adresserais à M. Livingstone parce qu'il a abordé le sujet, comme d'autres d'ailleurs, et qui concerne le PDG. Il s'agit de son idée voulant que le PDG soit uniquement choisi par le conseil d'administration. Est-ce vraiment ce que vous voulez dire ou ne voyez-vous pas un «choix commun», si je puis dire, auquel prendrait part les membres du conseil et le ministre?

M. Livingstone: Je suis d'accord avec vous, je ne vois pas là de conflit. Ce ne devrait pas être un problème pour un membre du conseil d'administration de représenter ceux qui l'ont élu tout en prenant les meilleures décisions commerciales en leur nom. C'est ce qu'est censée faire la Commission canadienne du blé, ce qu'elle devrait faire, et ce qu'elle fera fort vraisemblablement avec un conseil d'administration qui défend les intérêts des producteurs. C'est là le mandat de la Commission depuis sa création. Je ne pense pas que cela doive changer, et je ne pense pas que cela soit contraire à la prise de bonnes décisions commerciales dans l'intérêt des producteurs.

Il se peut qu'à certaines occasions tous les producteurs ne considèrent pas une décision donnée comme dans leur intérêt, mais la décision, je l'espère du moins, serait dans l'intérêt général des producteurs de l'Ouest du Canada ou de tous les producteurs du Canada et certainement dans l'intérêt de la viabilité de l'organisme.

Quant à votre deuxième question concernant le PDG, selon mon expérience, ayant été membre de conseils d'administration dans le passé, la responsabilité que demandent les producteurs rendra sans aucun doute nécessaire, c'est du moins ce qu'il me semble, un contrôle de leur part sur ceux qui nommeront leur PDG. IL me semble que le gouvernement prendra part à cette décision, ainsi que les cinq membres nommés. Je crois qu'il y a là un équilibre. Ça ne devrait pas poser de problème dans l'esprit de quiconque et ça devrait éliminer toute idée de favoritisme. Si c'est le conseil qui prend cette décision, cela garantirait la viabilité à long terme de la nouvelle organisation.

M. Jackson: La Commission canadienne du blé est un monopole et, dans n'importe quelle autre situation commerciale dans notre pays, ce devrait être illégal aussi bien qu'immoral. Il y a là un intérêt public dont seule peut se porter garante Sa Majesté. Il ne s'agit pas de choisir normalement un PDG ou un administrateur. Il s'agit de l'intérêt public du Canada qui contrôle ce monopole.

À la page II, partie e) de mon exposé, c'est à la troisième page du document, je répète que la Commission du blé prétend qu'elle offre toujours les revenus maximums aux producteurs céréaliers de l'Ouest. Seul un agriculteur peut décider ce qu'est un revenu acceptable et quels risques commerciaux son exploitation peut prendre. La Commission du blé prend ce risque commercial et en rend responsable mon exploitation, même si je n'ai pas pris la décision. Je m'oppose à cela.

Comment diable un administrateur pourrait-il se rendre dans chaque exploitation qu'il est censé représenter pour demander quels risques commerciaux l'agriculteur peut se permettre cette année? C'est impossible. Si la Commission maximisait effectivement les revenus, les éleveurs canadiens l'accuseraient de détruire leur secteur et les secteurs assujettis à la gestion de l'offre.

C'est un monopole. La Commission ne peut donc pas faire ce genre de choses en défendant au mieux les intérêts des agriculteurs uniquement. C'est là que se présente cet important problème de polarisation. Elle ne peut pas faire ce qu'elle devrait faire selon ses partisans parce que c'est contre la loi.

Le sénateur St. Germain: Ce que l'on entend dire un peu partout dans l'Ouest du Canada, c'est que le gouvernement fait des choses «aux» gens au lieu de le faire «pour» les gens.

On nous a aussi exprimé hier des inquiétudes et un profond mécontentement devant le fait que la grande majorité des députés qui ont voté pour le projet de loi C-4 représente des régions qui ne seront pas touchées par son adoption. Étant de Colombie-Britannique, cela m'inquiète quelque peu.

Pensez-vous tous que la Commission canadienne du blé bénéficie du soutien que ses partisans indiquent? Et l'Alberta est-il dans une position unique dans la mesure où il y a peut-être davantage de gens qui sont contre dans cette province que dans les deux autres provinces des Prairies?

M. Comfort: Personnellement, je connais de nombreuses personnes dans la province qui font affaire avec la Commission du blé, mais elles le font en quelque sorte pour essayer d'entraîner la Commission du blé à continuer à acheter leurs grains. Elles s'arrangent avec le négociant et, qui sait, elles obtiennent peut-être une bouteille de whisky gratuite au bout du compte. Elles veulent que ce soit ce système-là de silos qui achète leurs grains.

Mais ce qui m'inquiète maintenant, c'est le bradage qui se passe dans le secteur agricole et les agro-industries de notre province. Un assez grand nombre de concessionnaires de produits agricoles de la province, avant cette année, étaient indépendants, mais ne le sont plus. Ils ont vendu leurs entreprises à une autre compagnie. Les agriculteurs n'ont plus le choix d'acheter leurs engrais et leurs semences à des entreprises locales. Près de 60 à 70 p. 100 des nouvelles variétés de semences sont contrôlées par certaines compagnies.

La Commission du blé n'a pas contribué à envoyer les signaux voulus concernant le marché aux agriculteurs de sorte que ceux qui veulent des risques et ceux qui veulent essayer quelque chose d'autre puissent prendre les décisions correspondantes. M. Jackson a tout à fait raison, il s'agit entièrement d'un monopole d'État pour les ventes de blé et d'orge. Beaucoup d'entre nous acceptent qu'on s'occupe d'eux, mais certains ne le souhaitent plus, du moins pas totalement. Pas à 100 p. 100. Peut-être à 85 p. 100 seulement. Les agriculteurs sont prêts à prendre ces 15 p. 100 de risques. Nous avons besoin de cette possibilité.

M. Jackson: Le titre de mon exposé, «Les vieilles habitudes sont difficiles à déraciner», est indiqué. Si nous revenons à l'époque du sénateur Whelan, en 1973, lorsque le canola ou le colza était envisagé par la Commission. À l'époque, nous disposions de beaucoup plus d'outils de commercialisation. À l'heure actuelle, certains de ces outils sont en conflit avec la plupart de nos ententes commerciales. Ce que l'on se proposait de faire pour le canola en 1973, c'est du moins ce que je crois, ne peut être fait à l'heure actuelle pour le blé.

Les producteurs des Prairies savent que la Commission ne peut plus nous aider. J'ai fait une grève de la faim en mars et avril 1996 parce que je sais que, en gros, le gouvernement fédéral est fauché. Il doit des centaines de milliards de dollars, et je ne voulais pas devoir faire confiance aux programmes de sécurité du revenu pour essayer de faire vivre mon exploitation ainsi que les douzaines de personnes qu'elle emploie. Je voulais les outils de commercialisation que tous les investisseurs du monde ont à leur disposition et qui me permettent d'utiliser les bourses des grains où j'aurais pu obtenir 8 $ le boisseau pour mon blé, alors que la Commission du blé m'en a donné 4,20 $ le boisseau. J'ai perdu des centaines de milliers de dollars.

Le gouvernement organise toutes sortes de cours de formation, mais il est inutile de nous apprendre toutes ces choses quand il fait volte-face pour présenter le projet de loi C-4 qui lui donne le pouvoir de continuer à faire tout à notre place. Il nous a donné le pouvoir de ne rien faire. Cela me gêne vraiment, surtout quand je pense à mon fils Daniel, qui est avec moi aujourd'hui, et que j'essaie de convaincre de devenir agriculteur. Comment diable puis-je le convaincre de cela quand vous me liez les mains derrière le dos et que je sais que vous allez lui faire la même chose en l'an 2020?

Le sénateur St. Germain: Vous n'avez cependant jamais répondu à ma question qui était de savoir si, à votre avis, la Commission canadienne du blé avait tout le soutien qu'elle prétend avoir. Vous avez indiqué que vous faisiez partie de plusieurs organisations et c'est pourquoi je vous ai posé la question. Pouvez-vous me donner une réponse, s'il vous plaît?

M. Jackson: La réponse est la suivante: je crois que la plupart des Canadiens estiment qu'il devrait y avoir liberté de choix et que selon le principe chrétien, je ne devrais pas convoiter ni voler les biens de mon voisin. Ils estiment qu'il n'est pas juste que quiconque ait le droit d'imposer quelque chose à son voisin. En conséquence, je crois que la majorité des gens estiment vraiment qu'ils devraient y avoir liberté de choix, d'une façon ou d'une autre.

Le sénateur Whelan: On parle de cette belle situation mondiale. Je me souviens, au cours des années 70, les Russes avaient décidé de faire de folles dépenses. Ils ne savaient pas ce qu'ils faisaient et ils ont acheté des grains à toutes les grandes compagnies céréalières américaines et cela a entraîné une pénurie sur les marchés. Butts était alors le secrétaire américain à l'Agriculture et il a dû imposer des mesures de contrôle des exportations. À notre tour, nous avons dû imposer des mesures de contrôle des exportations pour le tourteau de soja et le soja, et pour les autres productions agricoles que nous utilisions pour notre bétail. Je voulais simplement vous signaler que tout n'était pas rose dans le tableau que vous peignez.

Vous avez parlé du nettoyage et de la manutention et vous avez également dit quelques mots des règles de la Commission canadienne des grains. Autrefois on expédiait vers la côte tous nos déchets. Et cela coûtait beaucoup d'argent. Les Japonais nous les achetaient pour en faire de petits biscuits pour leur bétail. Je ne vois pas de quoi vous parlez.

M. Comfort: Me permettez-vous d'intervenir pour répondre? Cela nous coûte cher de charger et d'expédier le grain vers la côte pour ensuite payer les frais pour les impuretés, mais cela nous coûte encore plus cher si, lorsqu'on a déjà fait payer l'agriculteur pour l'avoine nettoyée, on expédie du grain qui est plein d'excréments et qui est ensuite rejeté pour nous être renvoyé par bateaux.

Le sénateur Whelan: Vous et moi savons de quoi nous parlons lorsque nous parlons de ramasser à la pelle. On ne veut pas d'excréments de cerfs ni d'excréments d'aucune sorte dans les céréales. L'agriculteur est aussi coupable que n'importe qui d'autre d'avoir permis à une telle chose de se produire au moment du chargement.

M. Comfort: Comme je l'ai dit, la Commission est un moyen que peut utiliser l'agriculteur pour essayer d'entraîner quelqu'un à acheter son grain.

Le sénateur Whelan: J'aimerais maintenant m'adresser à mon bon ami le sénateur St. Germain qui a fait beaucoup d'argent dans l'agriculture et dans l'aviculture. Comme cela a été indiqué, la gestion de l'offre souffrirait si le prix des intrants augmentait.

Lorsque vous regardez les pages financières, vous voyez que les grosses compagnies céréalières n'ont jamais fait autant d'argent sur les céréales. Elles n'ont jamais fait de si gros bénéfices. Mais vous invoquez tous deux la religion et vous devez admettre que l'un des préceptes fondamentaux de toute religion est que vous êtes «le gardien de votre frère». Et pourtant, d'après ce que vous avez dit, j'ai l'impression que vous êtes tous les deux un peu égoïstes.

J'ai subi une opération à coeur ouvert il y a tout juste un an et j'ai de très fortes convictions religieuses. De plus, en ma qualité de président du Conseil mondial de l'alimentation, j'ai dû étudier les différentes croyances qui ont cours dans le monde. Je sais que c'est grâce à la prière que je suis en vie. Je disais il y a quelques jours à M. Chrétien que la seule raison pour laquelle Dieu m'a gardé en vie, c'est pour que je puisse être sa conscience.

M. Comfort: Je suis heureux de le savoir, mais cela ne fait rien pour nous, monsieur. Cela ne fait rien pour la conscience canadienne.

Le sénateur Whelan: Notre pays est le meilleur du monde.

M. Comfort: Permettez-moi de recommander le livre de Dan Morton: The Great Grain Robbery. Il vaut certainement la peine d'être lu. Je le recommanderais comme lecture de chevet à la plupart des sénateurs. Il raconte en détail un exploit extraordinaire qu'a réalisé une compagnie qui travaillait pour les Russes. Elle a acheté des grains aux Américains sans qu'ils s'en rendent compte. Elle l'a fait à leur barbe.

Le sénateur Whelan: Je suis sûr que vous savez que les Russes ont fait 100 p. 100 de bénéfices là-dessus.

M. Comfort: J'en suis certain, mais la compagnie céréalière qui a conclu l'affaire a aussi fait une belle somme d'argent.

M. Jackson: J'aimerais répondre à la remarque du sénateur Whelan sur le fait que l'on est «le gardien de son frère». Si mon frère, s'il a suffisamment de conscience, me demande quelque chose, je le lui donnerais, y compris ma vie. Mon interprétation va aussi loin que cela. Si mon frère vient me voir pour me dire: «Arrête de me voler mon blé!», je me sentirais tout aussi obligé de l'aider. C'est pourquoi je suis ici aujourd'hui.

Le président: Merci à tous pour cette matinée très intéressante et pour vos exposés qui étaient parfois très détaillés.

Je tiens à dire, au nom du Sénat, que nous avons entendu d'excellents exposés pendant ces journées que nous avons passées dans les communautés rurales des trois provinces.

Le ministre sera là à 13 heures. Nous tâcherons de commencer le plus rapidement possible.

La séance est levée.


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