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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 10 - Témoignages pour la séance du matin


WINNIPEG, le jeudi 2 avril 1998

Le comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts, auquel a été renvoyé le projet de loi C-4, Loi modifiant la Loi sur la Commission canadienne du blé et d'autres lois en conséquence, se réunit aujourd'hui à 8 h 07 pour en faire l'étude.

Le sénateur Leonard J. Gustafson (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Chers collègues, la séance est ouverte.

Nous sommes heureux d'être à Winnipeg aujourd'hui. Étant donné que de nombreux témoins veulent comparaître, nous commençons un peu plus tôt que d'habitude.

Nous avons jusqu'ici entendu le témoignage de 82 agriculteurs, de 26 associations professionnelles agricoles et de deux ministres. Je crois savoir qu'aujourd'hui, nous accueillons le ministre de l'Agriculture du Manitoba.

Je demande aux témoins de se présenter.

M. Carl Ostberg: Je m'appelle Carl Ostberg, je suis exploitant agricole dans la vallée de la rivière Rouge, au sud du Manitoba.

M. Alan Kennedy: Je m'appelle Alan Kennedy et je suis également exploitant agricole dans la vallée de la rivière Rouge, au Manitoba.

M. Bill Uruski: Je m'appelle Bill Uruski. Je suis exploitant agricole à Arborg, Manitoba.

M. David Suderman: Je m'appelle David Suderman, et je suis un ex-employé de la Commission canadienne du blé.

Le président: Nous allons procéder de la façon suivante: vous avez chacun cinq minutes pour faire un exposé et ensuite, nous passerons aux questions des sénateurs.

Commençons par M. Ostberg.

M. Ostberg: Merci. Au fur et à mesure que les pays du monde se développent et deviennent plus prospères, les échanges commerciaux deviennent plus faciles et le marché mondial se libéralise. Cependant, ce principe ne s'applique pas à l'industrie de la production de blé et d'orge dans l'Ouest canadien. Le projet de loi C-4 ainsi que les audiences du comité sénatorial font partie d'un processus politique qui, à mon avis, est l'exemple même de la façon dont on empêche notre industrie de profiter de la croissance et de la prospérité qui découlent de la libéralisation de l'économie mondiale.

Il y a deux ans, j'ai participé à des réunions du Groupe d'experts chargé d'étudier la commercialisation des grains de l'Ouest. J'ai été amené à croire que j'allais pouvoir exercer une certaine influence sur la commercialisation de mon blé et de mon orge dans l'Ouest du Canada. On a consacré beaucoup de temps et d'argent pour recueillir les avis et les opinions des agriculteurs de l'Ouest et pourtant, le gouvernement en place n'a tenu compte ni des points de vue qui ont ainsi été exprimés, ni des rapports produits par ce groupe d'experts. Comment le comité sénatorial va-t-il me convaincre, moi, un fermier de l'Ouest canadien, qu'il ne s'agit pas d'un autre processus futile?

Le projet de loi C-4 n'aurait jamais dû exister. La cause du problème que pose la commercialisation du blé et de l'orge de l'Ouest est le pouvoir monopolistique dont le gouvernement fédéral a investi la Commission canadienne du blé. Je déteste le mot «monopole». Comment se fait-il que cela puisse exister dans l'Ouest du Canada? Pourquoi le gouvernement canadien est-il impliqué dans les activités d'une société d'État qui détient le contrôle exclusif de certains services et marchandises? En quoi un contrôle gouvernemental est-il nécessaire? Comment peut-on dire que nous vivons dans une société libre et démocratique alors que notre gouvernement oblige une partie de la population canadienne à vendre ce qu'elle produit à une société d'État qui détient un pouvoir monopolistique?

On m'a dit que si je n'aimais pas le système en place, je n'avais qu'à ne cultiver ni blé, ni orge. Or, le blé et l'orge jouent un rôle essentiel dans la rotation des cultures qu'on pratique dans les exploitations agricoles de l'Ouest. Il faut cultiver du blé et de l'orge pour briser le cycle des maladies et des invasions d'insectes lié à des cultures commerciales comme le canola, qui font elles aussi partie de la rotation des cultures. Le chaume du blé et de l'orge constitue, pour la protection du sol, un élément de base qui s'avère vital. Si nous voulons continuer à faire de l'agriculture, il faut traiter le sol avec respect. La culture du blé et de l'orge fait partie des bonnes pratiques d'exploitation agricole.

Cela semble tout simple de dire que, si je n'aime pas la façon dont le système fonctionne, je n'ai qu'à ne cultiver ni blé ni orge. Mais je n'ai pas le choix. Il faut cultiver du blé et de l'orge. Je ne demande pas à la Commission canadienne du blé d'ouvrir ses livres comptables à tout venant. Je demande seulement que les agriculteurs de l'Ouest aient la liberté de commercialiser leur blé et leur orge dans un système libre et démocratique.

Je ne connais aucune autre entreprise canadienne, dotée d'un président, d'un directeur général, d'administrateurs et d'actionnaires, qui permettrait que son produit soit exproprié par une société d'État détenant des pouvoirs monopolistiques. On a privé de tels pouvoirs, par exemple, la STM et l'Office des éleveurs manitobains pour la commercialisation du porc. Il y a un an, les parts de la STM étaient négociées à environ 13 $; aujourd'hui, elles valent approximativement 22 $. L'office des éleveurs manitobains pour la commercialisation du porc a perdu ses pouvoirs, et l'élevage de porc au Manitoba explose. L'industrie est devenue très prospère, l'élevage porcin est en pleine expansion et une nouvelle usine de transformation du porc vient de s'ouvrir à Brandon. L'exemple de ces deux industries prouve que l'intervention du gouvernement peut freiner une industrie et être source d'inefficience.

J'attends avec impatience le jour où les agriculteurs de l'Ouest auront la liberté de commercialiser leur blé et leur orge à leur gré.

M. Kennedy: Mesdames et messieurs les sénateurs, je tiens à vous dire combien j'apprécie votre invitation à participer à ce processus démocratique. Étant donné que les industriels de la production primaire constituent probablement moins de 1 p. 100 de l'électorat, ce n'est que par le biais d'interventions directes devant des comités législatifs comme le vôtre, que nous avons la possibilité de participer à l'élaboration des lois qui affectent notre industrie. Le projet de loi C-4 donne au Sénat l'occasion de tenir son rôle de commission de sages.

La commission canadienne du blé est un organe de classe internationale qui est responsable d'une bonne partie des activités d'exportation du Canada et dont le rôle est essentiel. Un secteur dynamique et changeant comme l'agriculture et l'industrie alimentaire qui en découle est constamment en évolution, et il semble qu'à cause des pressions exercées par la mondialisation de l'économie, le rythme de cette évolution ne cesse de s'accélérer. Tous ces changements ne sont pas dans l'intérêt du Canada ni des industriels canadiens de la production primaire. Rappelez-vous également que toute modification importante de la structure et du fonctionnement de la Commission canadienne du blé sera, sur le plan pratique, irréversible puisque nous sommes tenus de respecter les modalités de l'ALENA.

Dans ce contexte en pleine évolution, certaines caractéristiques fondamentales de l'agriculture demeurent, notamment l'érosion régulière de la valeur des produits agricoles en dollars constants, ce qui a abouti aux prix qui sont pratiqués aujourd'hui et qui sont si bas que cela en devient absurde. C'est un fait qui est actuellement ignoré des économistes et des organismes gouvernementaux qui attribuent l'incapacité du producteur de générer un revenu raisonnable à son incompétence, au manque de diversification de ses cultures, à une mauvaise gestion, à une commercialisation inepte, et cetera.

Les producteurs canadiens ont échappé à l'étau dû à l'évolution contraire des coûts et des prix en doublant leur production sur un territoire agricole dont l'étendue est toujours la même et en divisant par 20 les résultats obtenus depuis la Deuxième Guerre mondiale. Ce processus s'est déroulé parallèlement aux initiatives de recouvrement des coûts lancées par le gouvernement, à un délestage des risques sur les agriculteurs et à une flambée de la demande de fonds d'investissement dans la technologie et la mécanisation.

Les producteurs canadiens ne sont pas en mesure de prendre plus de risques. Lorsqu'on passe d'un système de commercialisation basé sur la mise en commun et la vente par comptoir unique à la négociation concurrentielle par le biais d'une bourse de marchandises, la seule chose que le système compétitif peut garantir à un producteur est la perspective d'avoir à assumer plus de risques. Les partisans de la concurrence appellent cela la liberté de choix.

Je suis cultivateur dans la vallée de la rivière Rouge du Manitoba depuis 48 ans et je commercialise ma récolte par l'intermédiaire de la commission ou hors commission; jamais je n'ai reçu un chèque sans provisions de la Commission canadienne du blé. J'aimerais bien en dire autant des négociants de grains privés.

Je crois savoir que le comité a pu constater parmi les témoins une vive opposition à l'article du projet de loi C-4 portant sur l'inclusion d'autres grains. Étant donné que pour être appliqué, cet article semble requérir un mécanisme d'approbation de la part des producteurs beaucoup plus exigeant que ce qui s'applique à l'exclusion, je ne vois pas en quoi il pourrait être jugé préoccupant, tant et aussi longtemps que le rendement du marché concurrentiel est satisfaisant. L'exception qui confirme la règle pourrait être le fiasco des contrats concernant le canola qui s'est produit le 19 juin 1994 à la Bourse de marchandises de Winnipeg. Depuis, les courtiers et la direction de cette bourse de marchandises ne cessent de retoucher les modalités des contrats relatifs au canola. Ils ne semblent pas satisfaits des chiffres résultant de l'application du mécanisme d'établissement des cours aux échanges.

Si l'on retire à la Commission canadienne du blé son statut de société d'État, les conséquences éventuelles d'une telle initiative m'inquiètent. Si cela signifie que la commission ne sera plus en mesure d'emprunter des capitaux aux taux réservés au gouvernement afin de financer ses ventes outre-mer, les exportations et les producteurs canadiens y perdront. Je m'inquiète également de ce qui arriverait au soutien qu'accorde la Commission canadienne du blé à l'Institut international du Canada pour le grain et à sa participation aux excellentes initiatives de cet organisme en faveur du développement des marchés à l'exportation et des produits.

La création d'un fonds de réserve pourrait être jugée acceptable s'il ne s'agissait que d'établir un fonds de secours; toutefois, si le gouvernement cesse de garantir les comptes de livraisons en commun de la Commission canadienne du blé, la création d'un fonds de réserve devient simplement, pour l'administration fédérale un autre moyen de se délester de certains risques sur les industriels de la production primaire. Si le gouvernement fédéral n'est pas prêt à continuer de garantir les activités financières de la commission, il n'a pas le droit de conserver le pouvoir d'intervenir dans le fonctionnement de cet organisme par opportunisme politique national ou international, ce qui a été le cas par le passé et ce qu'il pourra continuer de faire aussi longtemps qu'il a le pouvoir de nommer le directeur général et cinq des administrateurs du conseil que l'on se propose de mettre en place.

En terminant, j'espère que la procédure à suivre pour élire les administrateurs qui composeront le nouveau conseil comportera assez de mécanismes de contrôle. Une élection démocratique peut fort bien être piratée si l'on ne veille pas à empêcher des abus comme des dépenses électorales illimitées. Rappelez-vous par exemple ce qui s'est passé au cours des deux dernières semaines de la campagne électorale fédérale de 1988. Si cette nouvelle structure de gestion est mise en place, il sera intéressant de voir si des administrateurs élus parviennent à mieux servir les producteurs que ne l'ont fait les commissaires actuels.

Je vous remercie de votre attention et je vous souhaite de mener à bien ces délibérations.

M. Uruski: Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. Je vais aborder plusieurs points dans mon exposé. Le processus en est un. Il y a plusieurs jours, on m'a appelé au téléphone pour me dire que je comparaîtrais devant le comité. Ensuite, mardi soir, on m'a informé, à nouveau par téléphone, que je n'étais pas sur la liste des témoins. Mercredi matin, j'ai envoyé un fax au bureau du greffier pour lui demander si, oui ou non, j'étais sur la liste. Je n'ai toujours reçu aucune réponse à mon fax, même si je l'ai bien envoyé au bon numéro, comme je m'en suis assuré ce matin.

Donc, pour ce qui est du processus, je ne suis pas sûr que certaines personnes n'en soient pas exclues. Je suis ici ce matin pour remplacer quelqu'un qui est malade.

Je voudrais aborder deux sujets, le premier étant l'article sur l'inclusion. À mon avis, la loi devrait comporter un mécanisme équitable et efficace permettant aux agriculteurs de voter sur la question de l'inclusion d'autres grains et oléagineux dans le champ de compétences de la Commission canadienne du blé. Comme vous le savez, on vient juste d'organiser un scrutin pour savoir si la commission devait être à nouveau chargée de la commercialisation de l'orge, cette responsabilité lui ayant été enlevée par un ancien ministre, sans consultation ni vote des agriculteurs. L'inclusion de l'orge dans le champ des compétences de la Commission canadienne du blé a été appuyée par une majorité écrasante.

Selon moi, les détracteurs de la Commission canadienne du blé sont hypocrites lorsqu'ils rejettent tout mécanisme d'inclusion. Les membres de ce groupe se présentent comme des défenseurs de la justice ou des combattants de la liberté. S'ils croient en la démocratie, ils devraient être prêts à accepter un mécanisme qui permettrait d'inclure d'autres cultures. Évidemment, le mécanisme existant n'en est pas un, à proprement parler. Au cours des 20 dernières années, on n'a étendu la compétence de la Commission canadienne du blé à aucune autre culture, parce que le ministre en place s'est laissé convaincre par les lobbyistes. Aucun ministre fédéral de l'Agriculture n'a permis l'extension à une nouvelle culture du champ d'application de la loi. Le présent texte législatif propose un mécanisme de ce genre.

Une des personnes qui témoignent comme moi ce matin a communiqué à la Commission canadienne du blé des idées intéressantes sur le système de délégués et la façon dont on pourrait étendre la compétence de la Commission canadienne du blé à d'autres cultures. Il serait judicieux de prendre ces suggestions en considération.

Même si nous ne sommes pas satisfaits de la façon dont sera constitué le conseil d'administration, nous pourrions envisager de lui donner le pouvoir de faire des sondages et d'organiser ensuite un scrutin pour connaître l'opinion des producteurs. Cela signifierait que la Commission canadienne du blé est bel et bien entre les mains des agriculteurs, ce qui est, finalement, le facteur décisif. Si nous voulons que les agriculteurs de l'Ouest conservent la haute main sur la commercialisation de leur grain, pourquoi ne pas permettre au conseil, si ses membres sont élus, de faire des sondages et d'organiser des scrutins au lieu de réserver à des groupements de producteurs le droit de demander au ministre d'étendre l'application de la loi à une autre culture. Agir ainsi, je crois, n'aboutira qu'à politiser les groupements de producteurs spécialisés.

Il y en a parmi eux, par exemple, les producteurs de canola, qui sont financés par l'industrie. Convaincre certains de ces conseils d'administration de demander que la Commission canadienne du blé soit chargée de la commercialisation de leur produit serait très difficile. Or, cela risque de pousser les producteurs de canola partisans d'une commercialisation réglementée à essayer de se faire élire au conseil d'administration de la CCB, ce qui politiserait un groupement qui devrait promouvoir la valeur économique d'un produit cultivé plutôt que de chercher à le faire commercialiser dans le cadre d'un système réglementé ou d'un système libre et ouvert, ce qui est une question politique.

J'aimerais également aborder la question des garanties et des achats au comptant. Ce sont deux choses contradictoires. De mon point de vue, les achats au comptant établissent une commercialisation mixte. Entre 1935 et 1941, la Commission canadienne du blé a fonctionné sur la base d'un système de mise en commun volontaire et de commercialisation mixte. Les résultats sont instructifs: étant donné que la commission offrait un prix plancher lorsque les marchés étaient à la baisse, elle a essuyé de lourdes pertes. Entre 1935 et 1940, le total des pertes s'est élevé à 131 millions de dollars. En dollars de 1996, cela représenterait plus de 1 milliard de pertes.

Avec des pertes éventuelles de cet ordre, je crois que le gouvernement fédéral pourrait et devrait retirer la garantie qu'il a jusqu'ici accordée à la Commission canadienne du blé. C'est là que se situe réellement le noeud du problème. Le gouvernement ouvre la porte à un marché mixte et enlève aux agriculteurs de l'Ouest une garantie qui, selon les estimations, a une valeur supérieure à 50 millions de dollars. Cette garantie a rarement été utilisée mais, dès que le marché au comptant sera institué, ce sera le commencement de la fin du système de commercialisation réglementé que nous connaissons aujourd'hui.

Les partisans du système de commercialisation mixte appuient la mise en commun, particulièrement lorsque cela les protège d'une chute des prix, mais veulent également être libres de profiter des prix élevés qui se pratiquent à l'occasion sur les marchés au comptant. Si cela était possible, ce serait bien entendu éminemment souhaitable. Malheureusement, il est impossible d'avoir en même temps un système de gestion des risques protégeant les prix et la possibilité de vendre au comptant.

Dans un système mixte, si le marché est à la hausse, ce sont les sociétés céréalières qui accumulent la plus grande partie du grain. Le prix commun établi par la Commission canadienne du blé est un prix moyen. Par conséquent, lorsque les prix montent, l'augmentation du prix moyen est toujours déphasée. À cause de ce retard, les prix au comptant semblent relativement plus intéressants, même si l'augmentation du prix commun dépasse éventuellement tous les prix pratiqués au comptant, sauf le plus élevé. Étant donné que le prix commun aura tendance à ne pas augmenter aussi rapidement que le prix au comptant, la plupart des agriculteurs choisiront de livrer leur grain sur le marché au comptant.

En revanche, lorsque le marché est à la baisse, les prix communs sont généralement plus élevés que les prix au comptant. Dans ces circonstances, c'est la Commission canadienne du blé qui reçoit la majeure partie du grain. En outre, étant donné que le prix commun garanti par le gouvernement constitue un prix plancher pour les agriculteurs, la Commission canadienne du blé essuie généralement dans ce cas de lourdes pertes comme en 1930, dans le cadre du système volontaire de mise en commun.

Je possède beaucoup plus d'informations sur ces deux questions. Toutefois, je vous demanderai simplement, mesdames et messieurs les sénateurs, de bien vouloir examiner le projet de loi sérieusement en vous penchant notamment sur l'aspect démocratique du système, car je soutiens que celui qui est proposé dans le projet de loi équivaut à demander au renard de surveiller le poulailler.

M. Suderman: Je remercie le comité de m'avoir invité à comparaître aujourd'hui et à parler du projet de loi C-4. Comme je l'ai indiqué, je suis un ex-employé de la Commission canadienne du blé. J'étais directeur du développement des marchés lorsque j'ai pris ma retraite il y a quatre ans. Je pense qu'il est important que vous sachiez cela pour comprendre les raisons de mon intervention.

Comme vous avez déjà pu le constater aujourd'hui, et comme vous le feront remarquer, j'en suis sûr, bien d'autres témoins, certains souhaitent que des amendements soient apportés au projet de loi afin de corriger ce qu'ils considèrent comme des failles et des points faibles. D'autres vont rejeter énergiquement le concept même de commercialisation par comptoir unique et demander que le projet de loi soit purement et simplement retiré.

C'est votre rôle d'écouter ces arguments. Cependant, il est également important que le comité prenne en considération les principaux points forts du projet de loi C-4 lorsqu'il fera rapport au Sénat.

À mon avis, ces points forts sont les suivants: premièrement, le projet de loi C-4 maintient la Commission canadienne du blé comme organe de commercialisation par comptoir unique du blé et de l'orge cultivés dans les Prairies. Je suis convaincu que cela est absolument essentiel pour assurer le dynamisme des initiatives de commercialisation qui seront prises par notre pays. Cela garantit que les producteurs de céréales de l'Ouest continueront à profiter des avantages financiers qui découlent de la culture de grains de grande qualité et de la vente de ce produit de consommation à travers le monde.

Deuxièmement, le projet de loi C-4 confie la direction générale des activités de la Commission canadienne du blé à un conseil qui sera contrôlé par des administrateurs choisis par les agriculteurs eux-mêmes. C'est exactement ce que les agriculteurs ont déclaré souhaiter lors des manifestations en faveur de la commission organisées pendant l'été, il y a deux ans. À l'époque, le message transmis par les agriculteurs était clair: ils voulaient un conseil d'administration qui défende sans équivoque leurs intérêts et non ceux du gouvernement fédéral. C'est un changement qui aurait dû être apporté il y a longtemps. Cependant, cette réforme ne devrait pas être prise à la légère.

On n'a jamais fait l'essai de la nouvelle structure de gestion de la commission du blé, proposée dans le projet de loi C-4. Les administrateurs qui formeront le nouveau conseil de 15 membres, dont dix seront choisis par les agriculteurs, détiendront un pouvoir réel, et la façon dont ils utiliseront ce pouvoir déterminera l'avenir de la commission du blé dans ce pays.

C'est la raison pour laquelle on doit considérer avec beaucoup d'attention les procédures qui s'appliquent à la sélection des agriculteurs qui siégeront à titre d'administrateurs. La commission du blé brasse de grosses affaires. Ses ventes, dont le total peut s'élever jusqu'à 6 milliards de dollars par an, représentent une part considérable du revenu annuel des producteurs de grain des Prairies. Il est donc important que le mécanisme de sélection de ces nouveaux administrateurs garantisse que ce sont les personnes les plus qualifiées qui sont retenues.

Troisièmement, le projet de loi C-4 maintient la garantie des opérations financières de la commission du blé accordée par le gouvernement fédéral. Il s'agit là d'un important élément de la collaboration entre les agriculteurs et le gouvernement qui existe depuis la Première Guerre mondiale et qui a assuré aux agriculteurs, dans une large mesure, des revenus stables pendant de nombreuses décennies. Toutefois, on est en droit de se demander pourquoi cette garantie s'applique désormais uniquement à l'acompte à la livraison dont le montant est fixé au début de chaque campagne agricole. On considère que ce changement apporté aux garanties financières est un avertissement du gouvernement à propos de ses intentions futures.

La seule explication qui a été donnée jusqu'ici est que ce changement permettra à la commission du blé de verser les ajustements en cours de campagne plus rapidement vu que l'approbation gouvernementale ne sera plus nécessaire. Le ministre a déclaré que l'imposition de cette limite aux garanties du gouvernement ne devrait pas être jugée préoccupante étant donné que les ajustements à l'acompte à la livraison n'ont jamais entraîné auparavant un déficit du compte des livraisons en commun. Si le gouvernement est persuadé à ce point qu'une telle situation ne se produira pas, il n'a aucune raison de ne pas continuer de garantir la totalité des opérations financières de la commission. Après tout, cela ne présente présumément aucun risque supplémentaire pour le Trésor, et il ne fait aucun doute que la plupart des agriculteurs accepteraient d'attendre quelques semaines de plus pour recevoir leurs ajustements en cours de campagne, si cela leur évitait d'avoir à contribuer à un fonds de réserve important.

Quatrièmement, le projet de loi C-4 donnera au nouveau conseil d'administration le pouvoir d'offrir aux agriculteurs un plus grand nombre d'options en ce qui concerne la façon dont leur grain leur est payé. On a proposé trois options: la première permettrait aux agriculteurs de fixer le prix au comptant total lorsqu'ils signent des contrats de livraison à terme avant d'ensemencer au printemps. Dans le cadre de la deuxième option, les agriculteurs pourraient recevoir de la commission du blé le plein paiement au comptant de leur grain au moment de la livraison, et la troisième option leur permettrait de se faire régler en totalité et au comptant après avoir livré leur grain et avoir reçu un acompte à la livraison.

Dans chaque cas, le prix accordé aux producteurs serait calculé en fonction des plus récentes perspectives de rendement rendues publiques par la Commission canadienne du blé. Manifestement, chacune de ces options comporte des risques, mais elles donneraient toutes aux agriculteurs plus de latitude pour gérer leurs liquidités.

Tels sont, je pense, les points forts de ce projet de loi. Il assouplit le mode de fonctionnement de la commission du blé, il donne aux agriculteurs la haute main sur l'orientation des activités de la commission, il maintient un élément essentiel du soutien accordé à la commission par les pouvoirs publics puisqu'il reconduit la garantie gouvernementale de ses emprunts et, par-dessus tout, il permet à la commission du blé de conserver les atouts dont elle jouit au plan de la commercialisation à titre d'organe de vente par comptoir unique.

Il est important de se rappeler que les divers acteurs au sein de notre industrie forment un réseau et opèrent dans un monde où tout est également lié. La commission du blé étant l'organe central et principal qui coordonne les activités, la commercialisation, selon le modèle canadien, touche aussi bien le sélectionneur de végétaux, le producteur de semences, l'agriculteur, l'exploitant de silo et son entreprise, les chemins de fer, les inspecteurs chargés de l'assurance de la qualité, les exploitants de silos terminus et, en bout de ligne, les transformateurs, minotiers, malteurs, mélangeurs d'aliments du bétail, et cetera.

C'est ainsi que fonctionne notre système de commercialisation du grain, du moins en ce qui concerne le blé et l'orge. On n'en trouve pas de comparable ailleurs dans le monde. Il a été mis en place et modifié au fil des années pour répondre à des circonstances particulières. Centré sur la commission du blé, c'est un système étroitement coordonné et hautement intégré dont toutes les différentes composantes s'entremêlent. L'objet essentiel de ce système est de répondre aux besoins de la clientèle et de servir les intérêts des producteurs de céréales de l'Ouest dans un monde où la concurrence est vive.

Je suis convaincu que ce système perdurera tant et aussi longtemps que la Commission canadienne du blé en restera l'élément moteur.

Le sénateur Spivak: Je souhaite la bienvenue aux témoins.

Ma question s'adresse particulièrement à M. Uruski. Nous avons tenu des audiences un peu partout dans les Prairies. L'argument qui a été avancé le plus souvent par ceux qui sont contre un système de vente par comptoir unique est qu'ils veulent avoir le choix et un régime mixte. Vous avez brièvement expliqué pourquoi, à votre avis, le système du prix au comptant ne pourrait fonctionner comme il se doit parallèlement à un système de vente par comptoir unique. J'aimerais que vous me donniez plus de détails là dessus.

Cela m'intéresse également de savoir dans quel contexte ces messieurs qui viennent de témoigner envisagent le fonds de réserve à l'avenir. À mon avis, cela a quelque chose à voir avec les prochaines réunions de l'Organisation mondiale du commerce. Le gouvernement pourra peut-être se libérer complètement des garanties.

J'aimerais avoir votre opinion sur ces deux points.

M. Uruski: Je vais répondre à votre première question, sénateur, et je vous remercie de l'avoir posée. Je crois savoir que ceux qui souhaitent avoir le choix sont également contre l'article sur l'inclusion qui étendrait à d'autres grains l'application de la loi. Ils se sont prononcés sur les deux aspects de la question.

Le sénateur Spivak: J'ai cru vous entendre dire qu'un système de prix au comptant ne pouvait coexister avec un système de vente par comptoir unique. Parlez-vous d'une expansion des modalités de fonctionnement ou des dispositions que l'on trouve effectivement dans le projet de loi? Je ne le sais pas.

M. Uruski: Je ne parle pas des dispositions qui se trouvent dans le projet de loi.

Si nous passons à un système de prix au comptant, il faut instaurer des obligations contractuelles pour assurer que les producteurs font les livraisons promises. Étant donné qu'il y a potentiellement 144 000 agriculteurs qui pourraient signer des contrats dans l'Ouest, il faut que les livraisons qu'ils sont censés assurer soient garanties absolument au cas où, le prix du marché ayant changé, ils auraient opté pour un régime différent.

Deuxièmement, je pense que ce système ne donnerait pas à la commission du blé la latitude nécessaire pour conclure des contrats de livraison à terme et pratiquer la discrimination par les prix sur des marchés qui pourraient rapporter bien davantage que dans des conditions normales. Comme vous le savez, Tyrchniewicz et compagnie ont effectué des études qui ont permis de conclure que la vente par comptoir unique a permis aux producteurs dont le blé a été commercialisé par la commission de faire annuellement des profits nets s'élevant à 270 millions de dollars de plus que s'ils avaient négocié sur le marché libre.

Si vous vous orientez dans cette direction, vous essayez en fait d'avoir le beurre et l'argent du beurre et vous mettez en péril l'essentiel, c'est-à-dire assurer aux agriculteurs le plus de bénéfices possible. C'est cela le résultat essentiel pour les agriculteurs de l'Ouest, et la vente par comptoir unique de la commission du blé est le système de commercialisation le moins coûteux pour eux. Je crois que pour commercialiser leur grain, il leur en coûte 5 cents le boisseau. Il n'existe aucun autre système dans le monde qui soit aussi efficient.

M. Ostberg: Je comparais devant vous à titre d'agriculteur. M. Suderman fait partie de l'industrie qui essaie d'accomplir quelque chose dont elle pourra, à son avis, profiter. Il n'est pas, comme moi, sur le terrain. Lorsque mon blé mesure trois pieds et qu'il baigne dans l'eau à la racine alors que c'est le moment de moissonner, je dois dépenser des milliers et des milliers de dollars pour me procurer l'équipement nécessaire.

Il a fait valoir l'aspect financier de la question. Les tribunaux ont rejeté les arguments financiers présentés par une commission de l'orge de l'Alberta parce que la comptabilité de la Commission canadienne du blé ne peut être rendue publique. Par conséquent, c'est à lui de prouver qu'il a raison lorsqu'il déclare que ce système est meilleur et qu'il nous rapportera plus d'argent; or, il ne peut rien prouver parce que la comptabilité de la commission ne peut être rendue publique.

Je ne suis pas d'accord lorsqu'il remet en question le montant d'argent que nous gagnons. Il a remis en question l'industrie de canola. Je n'ai aucune réserve à propos de ce que je fais et je n'ai pas besoin que l'on me dise que je peux gagner plus d'argent en faisant autre chose, parce que cela ne peut pas être prouvé.

Le président: Pourriez-vous nous dire ce que vous pensez de la question du choix, s'il vous plaît.

M. Ostberg: À propos de quoi?

Le sénateur Stratton: Le choix de ne pas participer ou encore la commercialisation mixte.

M. Ostberg: Je ne veux pas appeler cela une commercialisation mixte.

Le sénateur Stratton: Est-ce que «le choix de ne pas participer» est une expression qui vous convient mieux?

M. Ostberg: Je ne veux pas non plus parler d'avoir le choix de ne pas participer. Pour moi, il s'agit d'un système libre et démocratique dans le cadre duquel fonctionne une société d'État qui ne détient aucun monopole. «Monopole» signifie contrôle exclusif d'une marchandise et d'un service. Je suis tout prêt à appuyer la commission au lieu de la dénigrer si elle peut prouver qu'elle agit pour le bien des agriculteurs.

On me dit que les agriculteurs constituent 4 p. 100 de la population. Disons qu'il y a deux camps et que mon opinion pèse 2 p. 100 et celle de ce monsieur, 2 p. 100 également. C'est parfait, mais pourquoi est-ce que son opinion et ce qu'elle vaut devraient affecter mes propres échanges commerciaux?

Je reconnais qu'il y a des raisons pour instituer des règles, des règlements et des lois. Le gouvernement est chargé de nous protéger, mais il enfreint mes libertés civiles, alors que je produis une denrée qui nourrit le monde entier. Il ne s'agit pas d'un produit nuisible. Je pourrais comprendre ces arguments si je produisais quelque chose de nuisible et qu'il faut contrôler.

Il s'agit d'une question politique qui touche une industrie de 6 milliards de dollars dont je perds le contrôle. Les gens qui appartiennent à cette industrie me privent tout simplement de ma liberté. Le projet de loi C-4 me prive du droit de choisir.

Le sénateur Spivak: Pourriez-vous me dire ce que vous pensez du fonds de réserve. À quoi répond la création du fonds de réserve prévu dans le projet de loi C-4, par comparaison au système dans le cadre duquel le gouvernement assurait les garanties?

M. Suderman: Je crois savoir que le concept d'un fonds de réserve a été retenu pour deux raisons. Premièrement, en vertu des nouvelles dispositions, la commission du blé a le pouvoir d'offrir aux agriculteurs plusieurs systèmes de paiement qui, si on y a recours dans une certaine mesure, représenteront un risque pour les comptes des livraisons en commun. Par conséquent, il faut un fonds de réserve pour couvrir les pertes éventuelles.

Les dispositions concernant le fonds de réserve que l'on trouve dans le présent projet de loi me semblent beaucoup plus satisfaisantes que celles qui étaient énoncées dans le texte législatif déposé pendant la précédente législature. Le texte actuel autorise un solde passif alors que dans la précédente ébauche, il n'existait aucune disposition en ce sens, ce qui obligeait donc à accumuler des réserves très importantes pour qu'elles s'avèrent suffisantes dans les pires circonstances.

Le sénateur Spivak: Je parle d'un fonds de réserve établi par le biais de prélèvements sur la vente des récoltes.

M. Suderman: Oui, c'est ce dont je parle.

Le sénateur Spivak: Pensez-vous que cela soit nécessaire? Pourquoi le gouvernement ne peut-il pas tout simplement constituer lui-même le fonds de réserve?

M. Suderman: Je préférerais de beaucoup que le gouvernement continue d'assurer toutes les garanties qu'il accordait dans le passé. Je ne vois pas pourquoi on les limiterait aux acomptes à la livraison et aux emprunts contractés par la commission du blé pour couvrir les ventes à crédit.

Le sénateur Stratton: Si l'on créait un fonds de réserve, est-ce que vous fixeriez un plafond?

M. Suderman: Je ne vois pas comment on pourrait fixer un plafond. On ne peut prédire quelles seront les conditions du marché. Il y a seulement quelques années, le compte des livraisons en commun d'orge de la commission a dû faire face à un déficit de près de 700 millions de dollars à cause d'actions menées par le gouvernement américain. Ce genre de choses n'est pas prévisible.

Je suis tout à fait partisan d'un système de vente à guichet unique. Premièrement, les activités de développement des marchés, c'est-à-dire le secteur que je dirigeais lorsque je travaillais à la Commission canadienne du blé, n'existeraient pas sans ce système. Aucune autre organisation au monde n'a des activités de développement des marchés comparables à celles de la Commission canadienne du blé. Ces activités cesseraient si la commission faisait partie d'un système de commercialisation mixte, car elle ne pourrait plus justifier ses dépenses dans ces circonstances.

Le président: Mais que répondez-vous, monsieur, à ceux qui disent que si l'on ne donne pas le choix aux agriculteurs, la Commission canadienne du blé va disparaître?

M. Suderman: Je pense que ce projet de loi permet d'offrir aux agriculteurs tout un éventail d'options en ce qui concerne le paiement de leur récolte. Par ailleurs, il donne à une majorité d'agriculteurs la responsabilité de diriger le conseil d'administration.

Le sénateur St. Germain: Merci, messieurs, d'avoir accepté de comparaître ce matin. C'est bien agréable de se retrouver au Manitoba; c'est la province où je suis né.

Le comité s'est déplacé d'un bout à l'autre du pays. En Alberta, notamment, nous avons pu constater une opposition virulente à la Commission canadienne du blé, sous quelque forme que ce soit.

Monsieur Suderman, pourquoi est-ce que la commission opère de façon si secrète et ne transmet pas de données financières aux agriculteurs? C'est bien cela, je ne me trompe pas? À plusieurs reprises, nous avons entendu des témoins dire que la commission du blé est loin d'opérer dans la transparence, que personne ne sait vraiment ce qu'elle fait, ni la façon dont elle le fait, et qu'il n'y a aucune donnée financière qui justifierait son existence.

M. Suderman: Je ne témoigne pas au nom de la Commission canadienne du blé, mais à titre personnel.

Le sénateur St. Germain: Oui, mais vous y avez travaillé.

M. Suderman: Voici un rapport annuel de la commission. Il renferme des données financières sur tous les comptes des livraisons en commun. Il est probablement plus complet que tout rapport que peut rendre public une société commerciale privée. En outre, la Commission canadienne du blé organise de nombreuses réunions avec les agriculteurs tous les ans et ce, depuis 1976. Elle envoie régulièrement des lettres à tous les détenteurs de carnets de livraison pour les tenir au courant de l'actualité touchant le commerce et la commercialisation du grain. Elle a publié des rapports détaillés sur ses propres activités financières et commerciales.

Toutefois, en tant qu'organisme de commercialisation à but lucratif, elle ne peut rendre public les chiffres concernant ses ventes, car elle est en concurrence avec d'autres sociétés commerciales à travers le monde. Les clients seraient horrifiés si le prix qu'ils ont payé pour acheter du grain canadien était divulgué, parce qu'ils ont eux-mêmes des concurrents sur leur propre marché. S'ils apprenaient qu'ils ont payé plus qu'une minoterie concurrente pour acheter du blé canadien, ils seraient fort mécontents. Je ne peux imaginer qu'une organisation commerciale révèle des renseignements précis sur ses ventes. Cela la priverait de toute crédibilité sur le marché international.

Le président: Je me suis rendu deux fois à Washington avec le comité. Là-bas, les sénateurs et les membres du Congrès peuvent nous dire, pour une vente donnée, à combien s'élève la surenchère sur les prix de la CCB. Lors de notre dernière visite, ils nous ont dit que, par rapport à un concurrent américain, la CCB avait surenchéri de 20 $ la tonne. Ils semblent détenir des informations que nous, à titre d'agriculteurs, ne pouvons pas obtenir.

M. Suderman: Je ne sais pas d'où ils tirent cette information et je n'ai pas connaissance des exemples que vous citez.

Le président: Je suppose qu'ils s'adressent à l'acheteur initial.

M. Suderman: Je vous suggère de demander à quelqu'un de la Commission canadienne du blé de comparaître devant le comité et de lui poser cette question.

Le sénateur St. Germain: C'est ce que nous allons faire.

Le président: Tout à fait

Le sénateur St. Germain: C'est une chose dont beaucoup de gens se plaignent. Comme vous le savez, dans le monde des affaires, la fixation des prix n'a pratiquement plus rien de secret. Toutefois, nous poserons cette question à la commission.

Monsieur Uruski, il me semble que vous avez déclaré que les achats au comptant aboutiraient en fait à instaurer un système mixte.

M. Uruski: Oui.

Le sénateur St. Germain: Or, essentiellement, M. Suderman est en faveur du projet de loi C-4. Par conséquent, même s'il y a entre vous des divergences d'opinions sur certains points, vous êtes du même bord. Pourriez-vous m'éclairer à ce sujet?

Monsieur Suderman, êtes-vous d'accord que la notion d'achat au comptant...

M. Suderman: Je ne sais pas vraiment ce qu'il veut dire par «achat au comptant». Les achats au comptant dont je parle font partie des options de paiement qui seraient offertes aux agriculteurs. Le grain serait toutefois toujours vendu à la Commission canadienne du blé. L'agriculteur pourrait décider de demander un prix au comptant à un, deux ou trois moments différents, mais la Commission canadienne du blé garderait le contrôle de la commercialisation du grain.

M. Uruski: Avec la seule réserve qu'il faudrait une garantie de livraison très contraignante pour veiller à ce que personne ne puisse briser le contrat en n'assurant pas les livraisons. Pour que je sois pleinement rassuré, il faudrait ce type de cautionnement d'exécution.

M. Ostberg: Puisque nous parlons du processus instauré par le projet de loi C-4, je voudrais faire des observations à ce sujet.

C'est mon argent qui va maintenant servir à financer les fonds de réserve. Si c'est l'argent des contribuables qui sert à cautionner les comptes des livraisons en commun, je trouve normal que ce soit le gouvernement qui exerce un contrôle. Prenez l'orge, une perte récente de 168 millions de dollars a été couverte par l'argent des contribuables. Cependant, dès que la garantie est retirée, c'est moi qui devrais décider, et l'on ne devrait pas m'imposer un système basé sur un prélèvement sur la vente des grains. À partir de ce moment-là, c'est de mon argent que l'on se sert, et non de celui de la population canadienne tout entière.

Les agriculteurs représentent 2 p. 100 de la population et tout d'un coup, vous allez venir me dire quoi faire de mon argent. En nous imposant tous, le gouvernement exerce sur nous un certain contrôle. Si c'est le gouvernement qui cautionne les comptes des livraisons en commun, nous n'avons pas grand chose à dire, car il couvre les pertes. Toutefois, on ne peut pas se servir de mon argent et décider à ma place ce qui est bon pour moi. Si le gouvernement continue à cautionner les comptes des livraisons en commun, je suis d'accord pour être soumis à une certaine réglementation. Toutefois, à mon avis, prendre mon argent, qui est le fruit de mon labeur, est illégal.

Le sénateur Chalifoux: Monsieur Ostberg, vous avez parlé d'acheter des actions de la Commission canadienne du blé. Quelle est votre opinion sur l'élection de dix agriculteurs au poste d'administrateur et sur le contrôle qu'ils détiendraient?

M. Ostberg: J'ai dit qu'il n'existait au Canada aucune autre entreprise, dotée d'un président, d'un directeur général, d'administrateurs et d'actionnaires et dont on peut acheter les actions, qui soit contrôlée par une société d'État. Je n'ai pas parlé d'acheter des actions de la Commission canadienne du blé. Si la commission faisait un appel public à l'épargne, peut-être que j'achèterais des actions. Celles de la STM étaient une bonne affaire.

En ce qui a trait à la question que vous avez posée à propos de l'élection de certains administrateurs, le directeur général, le président et les autres administrateurs seront nommés par le gouvernement et ce sont eux qui contrôleront tout. Ce sont des politiciens que l'on nommera, pas des agriculteurs. L'agriculteur, c'est moi; c'est moi qui me bats sur le terrain. Je sais ce qui est bon pour le système et pour les agriculteurs. À partir du moment où certains administrateurs sont nommés, cela enlève à ceux qui sont élus toute responsabilité.

Le sénateur Chalifoux: On ne dit pas dans le projet de loi que les cinq administrateurs qui seront nommés seront des politiciens. Quel processus proposeriez-vous pour désigner ces cinq autres personnes?

M. Ostberg: Oublions le processus. Je ne veux pas que les choses se passent comme cela. S'il doit se passer quelque chose, il faut que cela aboutisse à l'élection d'agriculteurs. Le directeur général, qui est responsable de l'exploitation, doit être élu par tous les agriculteurs, un point c'est tout.

Le sénateur Chalifoux: Merci.

Le sénateur Whelan: Comme vous le savez, cela fait longtemps que je m'occupe d'agriculture. Y a-t-il parmi vous quelqu'un qui sait comment les États-Unis utilisent leur droit public? Nous savons que les États-unis ont volé au Canada les marchés saoudiens de l'orge.

J'aimerais savoir ce que vous pensez de certaines propositions que l'on nous a faites hier en Alberta. On nous a suggéré d'organiser un scrutin. Cela ne me fait pas peur. Je me présente à des élections organisées par toutes sortes de groupements politiques et agricoles depuis 39 ans. Maintenant, je suis condamné au Sénat pour trois ans.

Les articles sur l'inclusion et l'exclusion amènent les gens à parler de démocratie. Et pourtant, ils semblent avoir peur de la démocratie. Il est clair qu'en vertu de ce projet de loi, l'inclusion et l'exclusion feraient l'objet d'un vote.

Hier, en Alberta, certains ont suggéré qu'un petit producteur n'ait qu'une seule voix, alors qu'un exploitant agricole qui produit 10 000 tonnes de blé, par exemple, en aurait cinq. C'est rejeter les principes de la démocratie, tels qu'ils sont appliqués dans un pays démocratique comme le nôtre.

M. Uruski: Moi aussi, je me suis présenté, depuis 21 ans, à de nombreuses élections démocratiques -- une personne égale une voix. Comme je l'ai dit précédemment, si nous avons l'intention de donner au conseil d'administration élu de la Commission canadienne du blé le pouvoir de prendre des décisions, pourquoi ne lui permettons-nous pas de décider également si un autre grain ou un autre produit doit être inclus dans le système de vente à guichet unique? Ils devraient déterminer cela et ensuite, organiser un scrutin. Si les agriculteurs n'approuvent pas la décision prise par le conseil, ils le feront savoir en votant.

Le sénateur St. Germain: Seriez-vous d'accord pour que ce soit un conseil composé uniquement d'agriculteurs élus qui choisisse le directeur général?

M. Uruski: Absolument.

Le sénateur St. Germain: Parfait.

Le sénateur Whelan: D'après ce que j'entends, j'ai l'impression que certains estiment qu'ils devraient avoir le droit d'enfreindre des lois qui ont été adoptées par l'institution la plus démocratique du monde, le Parlement du Canada, tout simplement parce qu'ils ne les aiment pas.

Pensez-vous que vous seriez en mesure d'exporter du grain aux États-Unis d'Amérique s'il existait là-bas une loi disant que vous ne le pouvez pas? Ce pays est devenu celui où les échanges sont les moins libres que je connaisse. Vous avez vu à quel point ils peuvent se montrer protectionnistes lorsque des camions traversent la frontière. Les membres du Congrès et les sénateurs disent qu'ils empêcheront les Canadiens de faire entrer leurs produits.

Je suis convaincu que nous devrions faire preuve d'une plus grande compréhension à l'égard de notre grand voisin du sud. Nous lui achetons plus qu'à tout autre pays du monde, et c'est notre partenaire commercial le plus important. En règle générale, nous nous entendons très bien. Quelle est votre opinion à ce sujet?

M. Ostberg: Premièrement, je n'enfreins aucune loi. Dès que quelqu'un, dans notre société, décide comme moi qu'il n'aime pas le système en place, on le traite d'ultra-réactionnaire. Je fais tout simplement valoir mes convictions. Je n'ai pas traversé la frontière avec mon camion et je n'ai enfreint aucune loi. Je respecte la loi. Je fais partie d'une communauté agricole qui a commis ce genre d'actes, mais personnellement, j'ai respecté la loi.

Si certains sénateurs américains ont dit que nous ne pouvions pas exporter de blé de l'autre côté de la frontière, le problème vient, à mon avis, du gouvernement canadien. Je revois encore l'honorable Lorne Hehn, en 1993, debout dans un de mes champs, entouré de reporters, à l'époque où une maladie appelée la brûlure de l'épi ou la gale ou encore le fusarium s'était attaquée au blé de la vallée de la rivière Rouge. Il s'agit d'une maladie incontrôlable qui affecte la graine, laquelle, par conséquent, ne peut être utilisée pour faire du pain, et cetera. M. Hehn a déclaré que le gouvernement n'avait aucun devoir de diligence envers nous et n'était pas obligé de prendre notre blé. Il a dit que l'on nous verserait un certain montant d'argent. Je ne me rappelle plus combien.

Je suis sûr que vous avez entendu parler du programme de rachat. Il a déclaré que nous pourrions racheter le blé à très bas prix et le vendre aux États-Unis. C'est ce qu'il a déclaré, là, en plein milieu de mes champs.

Nous avons fait un profit de 1,50 $ par boisseau sur du blé à très haute teneur en protéines que les Américains se sont battus pour avoir. J'ai failli ne pas sortir vivant d'un ascenseur, alors que je faisais du porte-à-porte aux États-Unis pour y vendre mon grain parce que la Commission canadienne du blé avait libéré le marché.

Qui, à votre avis, faisait également du porte-à-porte pour vendre le blé que j'avais vendu moi-même à la Commission canadienne du blé pour 2 $? À votre avis, que faisaient-ils de ce blé? Ils le vendaient sur le marché pour 1,50 $ de plus, tout en nous disant qu'ils allaient nous payer 2 $ le boisseau.

Ils se sont retrouvés avec une belle épine dans le pied après que M. Hehn, debout en plein milieu de mon champ, m'ait déclaré que le gouvernement n'avait envers moi aucun devoir de diligence.

Le président: J'aimerais remercier les témoins d'avoir comparu ce matin et de nous avoir fait part de leurs opinions.

Le témoin suivant est l'honorable Harry Enns, ministre de l'Agriculture.

Nous sommes heureux de vous accueillir ici ce matin, monsieur Enns.

M. Harry Enns, ministre de l'Agriculture, province du Manitoba: Merci, monsieur le président. Je suis ravi d'avoir l'occasion de passer un peu de temps avec le comité ce matin. Je suis accompagné de Don Zasada et de Craig Lee, respectivement sous-ministre et sous-ministre associé du ministère de l'Agriculture du Manitoba.

En mars dernier, j'ai présenté un exposé sur le même sujet à un comité de la Chambre des communes; à l'époque, toutefois, le projet de loi en question s'appelait le projet de loi C-72. Dans l'ensemble, ma présentation de ce matin va simplement souligner les réserves de la province du Manitoba à l'égard du projet de loi dont le parlement considère l'adoption, des réserves qui sont semblables à celles que nous inspirait le précédent projet de loi. J'aimerais ce matin me concentrer sur deux points.

Je tiens à remercier le comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts de s'être déplacé dans l'Ouest du Canada et d'avoir ainsi élargi le champ de ses consultations à propos du projet de loi C-4, Loi modifiant la Loi sur la Commission canadienne du blé. Nous sommes heureux de pouvoir participer à ces audiences et exprimer les réserves du gouvernement manitobain.

Le débat à propos de ce texte législatif s'est engagé il y a longtemps. Toutefois, les consultations qui ont été menées en mars dernier à propos du projet de loi C-72 ont eu des résultats positifs: on a pu en effet constater une grande amélioration dans les nouvelles ébauches où étaient intégrés les changements requis par les industries agricoles et les pouvoirs publics. Il reste à espérer que les consultations qui se déroulent actuellement donneront d'aussi bons résultats, puisque d'autres amendements au projet de loi C-4 sont encore nécessaires.

Quelle que soit la forme que prendra finalement ce texte législatif, je doute fort que la réforme de la Commission canadienne du blé mette fin au débat et à la controverse que cet organisme suscite actuellement. Toutefois, mon gouvernement envisage ces amendements de façon optimiste et est convaincu qu'ils représentent une étape importante dans l'évolution de notre système de commercialisation du grain.

En outre, nous sommes persuadés que la nouvelle orientation donnée à la politique par le projet de loi C-4 aidera la Commission canadienne du blé à mieux répondre aux besoins des producteurs de l'Ouest qui cherchent à assurer leur prospérité dans le cadre d'une économie agricole toute nouvelle. Le moment est critique, et il est impératif de prendre des mesures garantissant que la loi qui découlera du processus lancé par le Parlement instaure le mécanisme le plus efficace pour que la Commission canadienne du blé entre dans le prochain millénaire assurée d'être, sur le marché à l'exportation mondial, un acteur solide et concurrentiel et de pouvoir remplir son mandat qui est de procurer aux producteurs des Prairies les bénéfices le plus élevés possible.

J'aimerais centrer mes observations sur les articles du projet de loi C-4 à propos desquels mon gouvernement a les réserves les plus sérieuses.

Ces réserves s'inscrivent dans le même contexte que celles que le gouvernement du Manitoba a exprimées dans les mémoires qu'il a transmis l'an dernier au comité permanent de l'agriculture et de l'agroalimentaire de la Chambre des communes. Aujourd'hui, nous voudrions également aborder la question de l'article sur l'inclusion, une question que j'ai soulevée dans une lettre datée le 4 novembre 1997 et adressée au comité de la Chambre.

Avant d'examiner ce point, j'aimerais faire quelques remarques sur la structure administrative dont on se propose de doter la Commission canadienne du blé et sur les questions de responsabilisation les plus importantes que cela implique.

En vertu de la loi que l'on se propose d'adopter, le gouvernement fédéral ne garantira plus les ajustements versés après les acomptes à la livraison, et l'on établira un fonds de réserve pour couvrir toute perte résultant des achats au comptant. Ces mesures permettront au gouvernement du Canada de minimiser ses risques, dans l'ensemble, tout en restant impliqué financièrement puisqu'il continuera de garantir les acomptes à la livraison, les ventes à crédit à des acheteurs étrangers ainsi que les emprunts liés aux activités d'exploitation.

C'est la raison pour laquelle le gouvernement fédéral a inclus dans le projet de loi des dispositions obligeant la Commission canadienne du blé à soumettre pour approbation ses plans d'entreprise annuels et à faire avaliser par le Cabinet certaines décisions financières. Ces dispositions sont appropriées pour assurer que la Commission canadienne du blé rend compte de ses activités aux contribuables canadiens par l'intermédiaire du Parlement.

Toutefois, à mon avis, le gouvernement fédéral a pris une mesure qui n'était pas nécessaire en décidant que le premier dirigeant ou le directeur général de la Commission canadienne du blé serait nommé par le ministre fédéral responsable de la commission. Les autorités fédérales ont défendu cette initiative en disant que cela garantirait une responsabilisation appropriée de l'organisme devant le Parlement. Or, en prenant cette mesure, c'est la responsabilisation des producteurs qu'on compromet indûment.

Je suis absolument convaincu qu'un des objets les plus importants de l'exercice qui a été entrepris est de donner aux producteurs une plus large part de responsabilité à l'égard de la Commission canadienne du blé et de la façon dont elle est administrée. Le sénateur Whelan connaît bien la situation en Ontario. Tous les administrateurs de la commission ontarienne du blé sont élus. Ce sont eux qui embauchent et qui licencient le directeur général. Voilà ce que j'appelle être responsable. De mon point de vue, les producteurs de grain de l'Ouest devraient pouvoir, en l'occurrence, suivre le modèle de la commission ontarienne du blé.

Nous estimons que la mesure prévue dans ce projet de loi compromet indûment cette responsabilisation. Nous jugeons impératif que la personne chargée de diriger les activités quotidiennes de la Commission canadienne du blé soit responsable, avant tout, devant les actionnaires de cet organisme, c'est-à-dire les producteurs de grain des Prairies. Étant donné la structure organisationnelle dont sera dotée la Commission canadienne du blé après la réforme, cela signifie le conseil d'administration.

Le Manitoba maintient qu'une telle responsabilité ne peut effectivement exister que si le conseil d'administration est chargé de choisir le chef de la direction de la Commission canadienne du blé. Une telle méthode assurerait que la personne qui dirige l'organisme a l'approbation du Parlement et des producteurs. En outre, cela garantirait qu'elle se sente obligée de rendre des comptes au conseil d'administration et, en général, aux producteurs des Prairies, plutôt qu'au gouvernement fédéral.

Le Manitoba serait d'autant plus satisfait si le conseil d'administration avait la pouvoir de licencier le premier dirigeant de la Commission canadienne du blé. C'est ce pouvoir qui garantira au conseil d'administration le contrôle définitif de la direction de l'organisme.

Comme je l'ai dit plus tôt, il conviendrait d'adopter comme modèle la commission ontarienne du blé dont le président directeur général est embauché et licencié par le conseil d'administration devant lequel il est directement responsable.

À l'appui de cette suggestion, je me permets de rappeler aux sénateurs qu'en l'occurrence, le rapport du groupe d'experts nommés par le ministre Goodale, lequel a été rendu public le 1er juillet 1996, recommande que le premier dirigeant soit élu par le conseil d'administration. Je prie le comité sénatorial de rappeler discrètement au ministre Goodale les conclusions de son propre groupe d'experts à cet égard.

L'autre sujet de préoccupation du gouvernement manitobain est l'article sur l'inclusion. D'après ce que je crois comprendre, cet article, en vertu duquel on pourrait ajouter au champ de compétences de la Commission canadienne du blé d'autres produits, a été inclus pour équilibrer quelque peu les dispositions de la loi étant donné que, dans le projet de loi précédent, il y avait une disposition concernant l'exclusion.

J'ai entendu dire que c'est un député de l'Île-du-Prince-Édouard qui a recommandé l'ajout de cet article. Malgré tout le respect que je leur dois, les députés de l'Île-du-Prince-Édouard ne devraient pas être autorisés à prendre des décisions fondamentales à propos de l'agriculture des Prairies.

On sait que plusieurs des principaux groupements de producteurs spécialisés des Prairies ont demandé au gouvernement fédéral d'ajouter des dispositions sur l'exclusion auxquelles on pourrait avoir recours si telle est la volonté des producteurs. En outre, le groupe d'experts chargé d'étudier la commercialisation du grain de l'Ouest, dont les membres ont été nommés par l'honorable Ralph Goodale, a recommandé que les blés biologiques et les blés non homologués fassent l'objet d'une réglementation qui n'entre pas dans le champ des compétences de la Commission canadienne du blé, pour que leur caractère spécifique puisse être préservé.

Le nombre des exploitants agricoles qui se consacrent à l'agriculture biologique augmente et l'on peut s'attendre, au Manitoba, à ce qu'ils exigent, pour préserver les caractéristiques de leurs produits et en faire une commercialisation ciblée, d'être exclus des arrangements de mise en commun d'un organisme comme la Commission canadienne du blé. Le rapport que j'ai mentionné plus tôt reconnaît cela et, pour cette raison, souligne la nécessité d'inclure dans les modifications de la Loi sur la Commission canadienne du blé un article sur l'exclusion. C'est pourquoi on trouve un article sur l'exclusion dans le projet de loi. Nous n'avons aucune idée de la raison pour laquelle on y trouve également un article sur l'inclusion, sauf que cela rétablit l'équilibre.

Il est particulièrement troublant de constater qu'aucun groupement de producteurs de grains et d'oléagineux non commercialisés par l'intermédiaire de la commission n'a formulé une requête similaire et demandé que le projet de loi comporte un article sur l'inclusion. Plusieurs organisations ont fait savoir au gouvernement du Manitoba que l'article sur l'inclusion peut en fait compromettre la négociabilité de leurs produits en créant une certaine incertitude sur le marché. Il est clair que cet article va probablement fausser le système d'établissement des prix et de couverture en usage à la Bourse de marchandises de Winnipeg.

Les transformateurs ont également fait part au gouvernement manitobain de leurs inquiétudes à propos de cet article qui pourrait s'avérer néfaste aux débouchés qui s'ouvrent dans les Prairies dans le secteur de la valeur ajoutée, à cause des risques que cela peut présenter à l'avenir. Toute incertitude entourant la future structure de commercialisation peut aussi constituer un obstacle aux investissements que pourraient attirer les activités à valeur ajoutée dans les Prairies. Par exemple, l'implantation de notre usine de traitement des petits pois à Portage la Prairie aurait pu être compromise si l'article sur l'inclusion avait été en vigueur.

Mesdames et messieurs les sénateurs, les investisseurs sont des gens très nerveux. Il est d'autant plus difficile de réunir ce genre de capitaux dans un climat d'incertitude. Bien des opérations de transformation à valeur ajoutée dont nous parlons, notamment au Manitoba, reposent uniquement sur un contrat entre le producteur et le transformateur. L'idée qu'une tierce partie intervienne et contrôle l'approvisionnement crée une incertitude et met en péril ce type d'investissements.

Au Manitoba, la culture de l'avoine prend à nouveau de l'importance. Ce matin, aux nouvelles, on nous a annoncé qu'un grand groupement de producteurs de blé de la Saskatchewan a acheté l'usine Can-Oat de Portage la Prairie, qui vaut plusieurs millions de dollars. Ce genre d'opération s'inscrit dans le contexte de la promotion directe des activités à valeur ajoutée dans la région des Prairies. La seule relation qui entre en jeu est celle qui lie le producteur primaire et le transformateur. Il se peut que ce soit dans l'intérêt des transformateurs de grains, dans l'intérêt de l'industrie dans son ensemble, mais il se peut également que ce ne soit pas dans l'intérêt du Manitoba.

La province du Manitoba est celle qui a été le plus gravement touchée par les changements fondamentaux qu'a connus le secteur de l'agriculture. Le 1er août 1995, il a été unilatéralement décidé de mettre fin au programme de soutien de l'agriculture le plus important du Canada, qui est aussi celui qui a été maintenu le plus longtemps. Depuis, pour nous, les choses ont changé de façon fondamentale. Le reste du Canada se rendra compte plus tard de l'impact que cette décision a eu sur le développement de l'agriculture dans notre pays.

Je reçois des producteurs des lettres qui ne sauraient me laisser indifférent. J'en ai reçu une, l'autre jour, d'un producteur de la vallée de la rivière Swan qui avait expédié deux wagons d'orge brassicole de première qualité. Il avait joint la facture à sa lettre: ses frais de transport représentaient la valeur d'un wagon entier, c'est-à-dire 50 p. 100 de sa vente. Il me demandait quelle mesure j'entendais prendre à ce sujet. Que puis-je faire? Pas grand chose. Je ne peux même pas lui garantir, étant donné les autres mesures de déréglementation envisagées, que l'an prochain, ses frais de transport ne représenteront pas 60 ou 65 p. 100 de sa vente.

Je tiens toutefois à m'assurer que la Loi sur la Commission canadienne du blé n'empêche pas le développement d'activités à valeur ajoutée dans la province du Manitoba. Ainsi, nous pourrons éviter, dans la mesure du possible, des frais de transport d'une telle envergure.

Vous le savez sans doute, le Manitoba cherche énergiquement à développer les industries à valeur ajoutée pour s'adapter aux conditions découlant de la réforme de la politique des transports du gouvernement fédéral. Nous nous opposons fermement à toute mesure législative ou autre qui pourrait freiner ces activités dans notre province ou dans les provinces de l'Ouest voisines. Afin de résoudre cette question controversée, le Manitoba se déclare en faveur de la suppression de l'article sur l'inclusion du projet de loi C-4 et recommande un amendement à cet effet. Pour conclure, le gouvernement du Manitoba estime que le projet de loi C-4, s'il est amendé conformément aux recommandations que je viens de présenter, donnera aux agriculteurs des Prairies une structure de commercialisation du grain qui répondra mieux à leurs besoins futurs. Il est impératif que la Commission canadienne du blé détermine elle-même dans quel sens elle évoluera, alors que nous entrons dans une nouvelle ère de commercialisation du grain avec les producteurs des Prairies à la barre.

Notre industrie évolue rapidement, et la Commission canadienne du blé ne peut rester isolée. Elle doit également évoluer pour relever les défis qui se posent aujourd'hui et qui se poseront à l'avenir. Le Manitoba appuiera le projet de loi C-4 si l'on prend en compte les réserves que nous avons formulées, car nous sommes convaincus que ce texte législatif renferme des dispositions cruciales qui renforceront à long terme la Commission canadienne du blé.

Je tiens à remercier à nouveau le comité sénatorial de nous avoir donné l'occasion de participer à ce nouveau processus d'examen et de présenter l'opinion du gouvernement du Manitoba à propos de cette très importante loi.

Le sénateur Hays: Merci, monsieur le ministre, de nous avoir présenté de façon aussi convaincante vos réserves à propos du projet de loi tel qu'il est actuellement énoncé. Je crois comprendre qu'à condition que ces réserves soient prises en compte, vous êtes généralement en faveur du projet de loi. J'aimerais que vous nous disiez ce que vous pensez de quelque chose qui s'inscrit dans le plus large contexte de la région des Prairies, je veux parler de ce que nous a suggéré, entre autres le ministre de l'Agriculture de l'Alberta qui nous a demandé de retarder le processus d'adoption de ce projet de loi jusqu'à ce que la commission Estey sur le transport ait publié son rapport. Votre collègue de la Saskatchewan ne partage pas cette opinion, mais c'est celle d'au moins un des ministres de l'Agriculture de la région des Prairies.

M. Enns: À l'époque qui a précédé l'abandon du programme compensatoire du Nid-de-Corbeau, le programme de subvention du transport du grain de l'Ouest, cette initiative a suscité de nombreuses discussions et a fait l'objet de grandes préoccupations. Je partageais alors l'opinion du ministre de l'Alberta en place à ce moment-là et j'étais convaincu que la réforme du système de transport et l'abandon de ce programme compensatoire auraient dû coïncider.

À l'heure actuelle, je considère que ces deux questions doivent être traitées séparément. Il est plus important de modifier la Loi sur la Commission canadienne du blé afin d'en faire un organe qui répond mieux aux besoins des producteurs de grain des Prairies et qui est plus responsable envers eux, et de régler séparément la question du transport. Le dossier de la Commission canadienne du blé a beaucoup d'importance et on lie souvent les questions qu'il soulève à l'examen que poursuit actuellement le juge Estey.

J'appuie le ministre de la Saskatchewan, le gouvernement de cette province ainsi que le gouvernement de l'Alberta. Alors qu'au Manitoba l'abandon des lignes de chemin de fer est pratiquement chose faite, je crois savoir que dans des provinces comme la Saskatchewan, ce processus vient tout juste de commencer. Il faudrait imposer un moratoire sur ce type d'activité jusqu'à ce que le juge Estey ait achevé son examen du dossier des transports. Toutefois, je considère que les deux questions doivent être traitées séparément et je ne pense pas qu'il serait approprié de retarder la prise en considération du projet de loi C-4 jusqu'à ce que la commission dirigée par le juge Estey ait achevé ses travaux.

Le sénateur Hays: Vous avez parlé du poste de directeur général j'ai écouté avec beaucoup d'attention ce que vous avez dit. Le comité se penchera sur vos observations à la fin de ses audiences.

Disons que vos réserves à propos du directeur général sont prises en compte, considérez-vous que le conseil d'administration est l'organe de direction qui peut le plus efficacement diriger les affaires de la commission du blé ou partagez-vous l'opinion du gouvernement de l'Alberta qui prétend qu'il s'agit d'un ministère gouvernemental qui doit agir comme le gouvernement lui dit de le faire. C'est une façon d'envisager les choses qui est reprise dans environ 20 ou 30 des mémoires qui nous ont été transmis et qui reflète également exactement les réserves exprimées par M. Stelmach.

M. Enns: Il est inapproprié de suggérer que le cas échéant, le gouvernement en place puisse instaurer une politique et orienter les activités de la Commission canadienne du blé en exerçant une influence sur son premier dirigeant.

En 1945, par exemple, le Cabinet décida de prolonger pendant cinq ans un accord portant sur l'exportation de blé conclu avec la Grande-Bretagne qui nous permettait de continuer à aider ce pays à traverser la difficile période d'après guerre et qui fixait le prix du blé canadien pour les cinq années à venir à 1,70 $ le boisseau alors que le prix pratiqué sur le marché mondial était déjà de 2,40 ou 2,50 $ et à la hausse. Il serait inapproprié aujourd'hui de donner ce genre de directives à la Commission canadienne du blé. Non seulement ce ne serait pas nécessaire, ni responsable vis-à-vis des producteurs de grain, mais ce ne serait même pas possible si le directeur général était tenu de rendre compte de toutes les activités de la commission, était embauché par les producteurs et pouvait être licencié par eux au cas où il aurait pris une décision contraire à leur intérêt.

Le sénateur Spivak: Monsieur le ministre, merci d'avoir présenté clairement la position du Manitoba. Je suis heureuse de constater que votre gouvernement appuie sans réserves l'amélioration et la consolidation de la commission du blé. À part les réserves que vous avez exprimées, il appuie également le projet de loi C-4.

Je suis heureuse que vous ayez mentionné les difficultés que l'on connaît depuis que la subvention au transport du grain des Prairies a été supprimée. J'ai rappelé aux gens de l'Alberta que l'augmentation des coûts que cela a entraînée est d'environ 39 p. 100 -- peut-être plus -- et que cela est lourd de conséquences. Le comité a examiné l'effet d'étau produit par l'évolution en sens inverse des coûts et des prix qu'ont subi les agriculteurs. C'est quelque chose de très troublant, notamment en ce qui concerne le coût des intrants.

J'ai deux questions à vous poser. Premièrement, que pensez-vous du fonds de réserve et du fait qu'il serait financé par le biais d'un prélèvement sur la vente des grains des agriculteurs?

Deuxièmement, de nombreux témoins qui ont comparu devant nous souhaiteraient avoir plus de choix en ce qui a trait à la commercialisation. Pensez-vous que les dispositions plus souples que l'on trouve dans le projet de loi C-4 offrent un tel choix? Par exemple, si les agriculteurs pouvaient commercialiser eux-mêmes 25 p. 100 de leurs grains, est-ce que ce système hybride -- d'un côté, la vente par comptoir unique et de l'autre, la possibilité de commercialiser une certaine partie du grain -- irait complètement à l'encontre du principe sur lequel s'appuie un organisme de vente comme la Commission canadienne du blé ou est-ce que cela lui apporterait des améliorations?

M. Enns: Vous me demandez de me mêler d'une controverse qui fait rage depuis un certain nombre d'années ici, dans les Prairies, et qui rend la question de plus en plus difficile à résoudre.

Il existe plusieurs moyens de constituer le fonds de réserve. J'hésiterais à imposer un nouveau prélèvement sur la vente des grains. Il en existe déjà un qui sert à financer les recherches, et ainsi de suite. On pourrait plutôt envisager d'avoir recours aux intérêts sur la différence entre les emprunts et les crédits qui sont alloués.

Le gouvernement peut toujours jouer un rôle. Dans certaines circonstances, étant donné les activités de la Commission canadienne du blé, il est légitime que le gouvernement y joue un rôle. Il est tout à fait légitime que le gouvernement du Canada s'intéresse au blé de temps à temps -- et j'espère qu'il va continuer à le faire -- car c'est une denrée alimentaire d'importance majeure dont la vente entre dans le cadre de ses activités commerciales à travers le monde. Ce faisant, le gouvernement expose les producteurs de blé canadien à certains risques. Nous faisons crédit à des pays auxquels, sur un plan strictement commercial, une société céréalière refuserait ce genre d'arrangements.

Est-il juste de faire porter toute la responsabilité aux producteurs de grain lorsque le gouvernement du Canada juge que vendre du grain à la Chine, comme on l'a fait dans les années 60, est une opération judicieuse au plan de la politique étrangère? Est-il bon sur le plan de la politique étrangère, de vendre du grain en Indonésie, un pays qui à l'heure actuelle, fait face à quelques difficultés? Je m'abstiendrai de répondre à cette question, mais c'est dans ce genre de situations qu'il est légitime d'avoir recours aux fonds publics. Il m'est difficile de répondre à cette question.

J'aimerais vous rappeler, mesdames et messieurs les sénateurs, que je ne suis ni éleveur de dindes ni éleveur de poulets. Je ne suis qu'un modeste éleveur de bovins et je ne me présente pas au comité comme un expert de l'industrie du grain.

Pour ce qui est de votre deuxième question, le gros problème qui se pose est le suivant: est-ce qu'une solution partielle -- et l'expression que l'on entend le plus couramment est «commercialisation mixte» -- c'est-à-dire l'instauration de mécanismes de commercialisation plus souples, sonnerait le glas de la Commission canadienne du blé? Je ne sais pas. Je dois accepter le fait que, dans notre secteur, il peut exister à différents moments des circonstances spéciales. Beaucoup des échanges sont négociés de gouvernement à gouvernement et/ou par le biais de leurs organismes, et la Commission canadienne du blé est en meilleure position pour vendre nos grains de première qualité.

Vous êtes au Manitoba où cette question a déjà été traitée, même si à mon avis, les circonstances ne sont pas comparables et que l'on ne peut utiliser cet exemple comme argument. C'est moi le ministre qui ai décidé de mettre fin au système de vente par comptoir unique des porcs et de la viande de porc dans notre province. Quand cette initiative a été envisagée et encore plus lorsqu'elle est entrée en vigueur, c'est le même genre d'arguments que l'on a pu entendre. Le résultat net de cette mesure est que l'Office du porc du Manitoba auquel la loi accordait depuis 25 ans le monopole de la vente par comptoir unique continue d'avoir la confiance de plus de 80 p. 100 des éleveurs du Manitoba. Certains d'entre eux m'ont dit qu'à l'Office, on avait retroussé ses manches et que c'était maintenant un organe de commercialisation efficace. Je ne vois pas pourquoi l'Office du porc du Manitoba ne continuerait pas à commercialiser le porc et à représenter un grand nombre des éleveurs de la province soit sur une base volontaire soit dans le cadre d'un système de commercialisation mixte.

Mon gouvernement n'est pas d'avis que l'on devrait faire la même chose avec la Commission canadienne du blé, et je ne suis pas ici pour défendre une telle opinion. Je suis ici pour souligner que nous devons prendre au sérieux les inquiétudes concernant la responsabilité au sein de la commission. C'est la raison pour laquelle je vous ai parlé du directeur général et de la gestion de l'organisme. Je sais que cela ne satisfera pas ceux qui veulent se débarrasser de la commission du blé, mais je pense que cela aidera à dédramatiser la discussion et la controverse et donnera à la Commission canadienne du blé, dans un monde en pleine évolution, un peu de temps pour faire le point et envisager l'avenir.

Dans les Prairies, comme mes collègues de la Saskatchewan et Alberta le savent, il y a des choses qui changent et je ne sais pas exactement quelle est la portée de cette transformation. Je la constate avec étonnement. On dépense des millions de dollars pour construire des silos terminus et pourtant, les terres que l'on peut consacrer à la production canadienne de blé ne se sont pas multipliées. Je produis plus de porcs. Nous allons produire plus de bovins, plus de poulets et plus de dindes qui vont manger le grain dont nous disposons mais, où que j'aille, je vois construire un autre silo de collecte ou un silo terminus au prix de plusieurs millions de dollars. Je soupçonne que, dans les Prairies, on a pris la décision d'expédier le grain du Nord au Sud et non plus d'Est en Ouest. Cela pourrait se traduire par toutes sortes de problèmes pour un organisme comme la Commission canadienne du blé. Il faudra voir comment ce genre de situation évolue.

J'appuie la Commission canadienne du blé et je crois qu'elle devrait entretenir des relations plus conviviales avec les producteurs afin de continuer à être le porte-parole des producteurs de blé et d'orge canadiens qui sont ici, dans les Prairies.

Le sénateur Stratton: Vous avez parlé du pouvoir d'embaucher et de licencier le directeur général. Je pense également que le seul pouvoir que peut détenir le conseil d'administration est au bout du compte celui de choisir et de destituer le directeur général. C'est lui qui dirige l'entreprise; par conséquent, c'est le seul pouvoir que détient le conseil. Disons que, comme le prévoit le texte législatif actuel, le ministre nomme le directeur général et cinq membres du conseil. Si, pour reconnaître une contribution importante à la commission du blé, on décidait que le directeur général soit embauché sur proposition du ministre, avec l'approbation du conseil et puisse être licencié sur recommandation de la majorité des membres du conseil, est-ce que vous seriez d'accord avec cela comme mesure de transition? Autrement dit, le conseil embauche et licencie le directeur général en accord avec le ministre.

M. Enns: J'étais prêt à accepter un compromis à condition que le gouvernement fédéral continue de soutenir certaines opérations de la Commission canadienne du blé comme les emprunts et les ventes à crédit à des pays étrangers. Je serais donc d'accord si, dans le cadre d'un tel compromis, certains administrateurs étaient nommés par le gouvernement.

Je ne sais pas exactement comment fonctionne la commission ontarienne du blé, mais je crois comprendre qu'il y a quelques années, par exemple -- c'est un autre témoin qui l'a mentionné -- cette Commission a fait face à certaines difficultés financières suite à des problèmes touchant le blé en Ontario. Même si cela ne s'est pas fait du jour au lendemain, au bout du compte, le gouvernement fédéral a accordé une aide relativement importante aux producteurs de blé de l'Ontario et les a aidés à se sortir de cette situation.

En me fondant sur cet exemple, je vous propose donc une recommandation un peu différente. En fait, pourquoi ne pas suivre le modèle ontarien? Il semble que cela marche dans cette province. Et puis, l'Ontario nous a souvent présentés comme un modèle au reste du pays.

Le sénateur Stratton: Si, conformément à votre modèle, les administrateurs sont élus et nomment le directeur général, est-ce que le conseil devrait alors avoir le pouvoir de donner un choix aux agriculteurs? Est-ce le conseil qui devrait prendre des décisions à propos de tout cela -- la commercialisation mixte et la possibilité de ne pas passer par la commission? Est-ce que ce devrait être le conseil, et non le gouvernement canadien qui décide?

M. Enns: Je vais avoir des ennuis si je réponds à cette question, mais j'en ai eus pratiquement tout le temps au cours de ma carrière politique.

Je ne suis pas tellement en faveur des référendums. En règle générale -- sauf dans des circonstances très spéciales -- les référendums sont un moyen de se sortir d'une situation épineuse qu'utilisent de temps en temps des gens qui ont certaines responsabilités, notamment celle de prendre les décisions. Il y a des décisions qu'il n'est pas facile de prendre ou qui ne sont pas très populaires. Je le sais bien, étant donné que je participe au processus à titre de parlementaire.

En l'occurrence, je suis d'accord avec mon collègue, l'ancien ministre de l'Agriculture, M. Uruski. Il a déclaré que, pour représenter véritablement les producteurs -- et à mon avis, la majorité des administrateurs devraient être élus par les producteurs -- un conseil d'administration devrait avoir le pouvoir de prendre ce genre de décisions.

Le sénateur Whelan: Vous m'avez mis sur la piste de nombreuses questions. Premièrement, je tiens à vous remercier du compliment que vous adressez à l'Ontario. J'aimerais faire une observation à propos de la commission ontarienne du blé. Je faisais partie de ceux qui ont proposé sa création et j'en ai également été l'un des administrateurs fondateurs.

Je ne suis plus producteur de blé et j'ai de sérieuses réserves à propos de la façon dont la commission organise ses réunions ainsi que l'intervention des délégués. C'est assez différent de la façon dont cela fonctionnait auparavant. On se pose beaucoup de questions sur ce que fait la commission à l'heure actuelle. La question n'est pas réglée en Ontario non plus. Sur ce plan, ce n'est pas un fait accompli.

Vous avez parlé d'un «nouvel ordre mondial de la commercialisation». Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet? En quoi l'ordre mondial de la commercialisation est-il si nouveau?

M. Enns: Je ne pense pas avoir parlé d'un nouvel ordre mondial de la commercialisation, mais plutôt d'un ordre national.

Il y a deux choses qui sont tout à fait nouvelles. Premièrement, le fait que l'on ait supprimé la subvention de 750 millions de dollars tirée de l'argent des contribuables qui m'aidait à expédier mon grain jusqu'à Terre-Neuve ou jusqu'à Vancouver. Au Manitoba, cela s'est traduit de la façon suivante: le 31 juillet 1995, un producteur d'orge pouvait expédier son grain à Vancouver pour 7,50 ou 8 $ la tonne. Le 1er août, c'est-à-dire le lendemain, ces frais sont passés à 42 $ la tonne. Comment peut-on faire des affaires quand on doit absorber une augmentation d'impôts de 300 p. cent? C'est la raison pour laquelle, tout d'un coup, le Manitoba est dans l'impossibilité d'expédier du grain. Et pourtant, nous devons continuer à en produire.

Ceux qui, parmi mes amis, ne sont pas agriculteurs, me demandent parfois: pourquoi les agriculteurs produisent-ils de l'orge fourragère, des grains fourragers à haut rendement mais à bas prix, des blés fourragers et ainsi de suite, alors que ce n'est pratiquement pas rentable étant donné les nouveaux frais de transport des marchandises?

Monsieur Whelan, vous comprenez bien que nous n'avons pas le choix. Oui, j'encourage les agriculteurs à produire plus de canola, plus de pommes de terre et plus de haricots. De fait, cette année, c'est la première fois que le Manitoba va récolter plus de haricots que l'Ontario. Nous faisons tout cela. Mais l'on ne peut pas cultiver du canola et encore du canola ou des pommes de terre et encore des pommes de terre.

Il faut pratiquer la rotation des cultures et, dans ce contexte, il faut revenir à un moment donné aux cultures traditionnelles si l'on veut protéger les sols de façon appropriée. Souvent, l'agriculteur a pour objectif la production de blé de mouture du nord de première qualité qui lui permettra de faire les plus gros bénéfices. Dans les Prairies, l'agriculture est une activité à haut risque. Après deux ou trois semaines de neige, de pluie et d'humidité, la récolte est mise en andains, et ce qui devait être du blé de mouture de première qualité, devient du blé fourrager d'utilité générale qui tombe dans la catégorie du fourrage à bas prix. Même chose pour l'orge.

De nombreux agriculteurs ciblent leur production d'orge sur le marché haut de gamme de la production de bière. Mais encore une fois, tout dépend de ce qui se passe au moment de la récolte. Si le temps est mauvais à ce moment-là, l'orge brassicole de première qualité devient de l'orge fourragère. Nous aurons toujours dans le secteur dont j'ai la responsabilité, dont est chargé le ministère de l'Agriculture, d'énormes quantités de grains fourragers à écouler. C'est un facteur qui a eu une influence considérable sur la production de porc.

La province du Manitoba va prochainement devenir, sans aucun doute, celle où l'on va produire le plus de porc et qui va dépasser en ce domaine le Québec et l'Ontario. Nous allons certainement produire beaucoup plus de viande de boeuf. Nous allons réutiliser certaines terres peu productives qui n'auraient jamais dû être labourées ni cultivées pour y faire pousser du fourrage, des grains, et cetera et tenter ainsi de nous libérer des contraintes du marché en faisant dans l'alimentaire.

Je vois les gens de Dreyfus, d'Archer-Daniels-Midland arriver dans la région des Prairies et je vois également les mesures énergiques du Saskatchewan Pool qui s'est mis à construire toutes ces installations. Je ne sais pas vraiment ce qui se passe. Je sais que nous ne produisons pas plus de grains, mais je soupçonne que toute cette activité est axée sur des expéditions de grains du nord au sud.

C'est surprenant, mais les Américains accepteront qu'un cargo ou que des gens comme Archer-Daniels-Midland ou Dreyfus livrent du grain canadien de l'autre côté de la frontière. Lorsque nous essayons de faire la même chose, en tant qu'agriculteurs, nous risquons de nous faire tuer.

Le sénateur Whelan: Je ne vous dirai pas ce que je pense d'Archer-Daniels-Midland, mais ils prétendent avoir payé une amende de 100 millions de dollars pour activité de commercialisation irrégulière. Le gouvernement fédéral américain a engagé contre eux une poursuite de 600 millions de dollars qui porte sur deux ou trois autres accusations.

M. Enns: Dans ma remarque, la moralité de leurs activités de commercialisation n'entrait pas en ligne de compte.

Le sénateur Whelan: Hier, à Edmonton, nous avons entendu un représentant de l'Association canadienne des éleveurs de bovins déclarer que son activité dégagerait des bénéfices si le grain ne coûtait pas si cher.

À Calgary, un producteur de blé a dit ceci: «Je ne pense pas que ces éleveurs de bovins devraient avoir un quelconque mot à dire à propos de notre activité. Ils ne devraient pas être autorisés à voter», et cetera. On revient toujours à la même chose, si le grain des Prairies ne vaut pas cher, cela permet de nourrir le bétail à bas prix. C'est quelque chose qui revient souvent dans les témoignages présentés lors de nos séances.

M. Enns: Votre question me permet de souligner la différence importante qui existe entre le Manitoba et l'Alberta. J'ai mentionné un peu plus tôt que la suppression de la subvention du Nid-de-Corbeau a fait passer les frais de transport de 8 à 9 $ la tonne à 40 $ la tonne. En Alberta, cette augmentation est relativement minime, de 5 à 6 $ la tonne. Cet argument reste valable. Ici, les facteurs qui entrent en ligne de compte sont différents. On ne se borne pas à discuter de l'expansion de l'industrie des productions animales aux dépens des producteurs de grain à qui l'on demande de vendre à bas prix. Si nous nous y prenons bien, j'espère que nous allons aboutir à une situation gagnant-gagnant, qui verra une industrie des productions animales solide et rentable appuyée les producteurs de grain.

Je peux fort bien imaginer que les producteurs de grain pourront conclure des contrats avec des éleveurs de porcs. Je peux fort bien imaginer qu'un producteur de grain pourra conclure un contrat dans le cadre duquel il cultivera du blé fourrager destiné aux industries de la volaille et des poulets à griller qui sont ici en pleine expansion. Que nous le voulions ou non, nous allons produire à l'avenir dans cette province, la plus grosse quantité d'oeufs, de poulets et de dindes.

Le sénateur Whelan: Vous et moi savons fort bien comment a été assurée la prospérité du secteur de production des oeufs et des poulets.

À l'heure actuelle, je préférerais que l'on maintienne dans la loi les articles sur l'exclusion et sur l'inclusion et qu'on laisse les producteurs décider par le biais d'un vote. Autrement dit, le conseil d'administration ne prendrait pas la décision, mais il existerait des dispositions législatives solides sur l'inclusion et l'exclusion de certaines cultures et les producteurs auraient ensuite la possibilité d'en décider par le biais d'un vote. Je n'ai pas peur de cette forme de démocratie.

M. Enns: Moi non plus, monsieur le sénateur. Je peux vous dire cependant qui en a peur. Peut-être que le mot «peur» est un peu fort, mais celui qui réagit à ce genre de mesures, c'est le courtier en placements -- c'est-à-dire la personne qui détient l'argent à investir. S'il existe une incertitude quant à l'accès au produit, il reporte sa décision.

Je suis persuadé, par exemple -- et je ne suis pas le seul à penser ainsi -- que Maple Leaf n'aurait pas décidé d'investir 112 millions de dollars dans une usine et de créer 2 000 emplois à Brandon, si cette société n'avait pas été sûre de pouvoir s'approvisionner en porc. Elle souhaitait conclure un contrat directement avec les producteurs.

Les principaux responsables de cette société ont déclaré publiquement et m'ont dit également personnellement que si nous n'avions pas fait disparaître l'incertitude qui planait à ce sujet -- et en l'occurrence, cette incertitude était liée à l'activité de l'Office de commercialisation du porc du Manitoba à titre de tierce partie -- ils n'auraient pas été en mesure de contrôler leur approvisionnement en viande de porc. La commission canadienne du blé exerce un contrôle monopolistique absolu sur le produit qu'elle commercialise. Selon que cela sert ou non son intérêt, elle peut décider d'approvisionner ou non un transformateur potentiel.

Le sénateur Whelan: Lorsque vous avez mis fin à la vente par comptoir unique du porc au Manitoba, les éleveurs ont-ils donné leur opinion, ont-ils voté?

M. Enns: Non.

Le sénateur Whelan: D'après les informations que je possède, en 1953, au Manitoba, les producteurs ont pu exprimer leur opinion sur la commercialisation du blé et ils ont voté alors à 83 p. 100 en faveur de la commission.

Comme vous l'avez dit, bien des gens ne prennent pas en compte le fait que nous vendons du blé à l'Indonésie. Il a fallu que le gouvernement garantisse les 250 millions de dollars que représente cette vente. Après la réunion qui a eu lieu à Edmonton, un agriculteur m'a dit: «Si la commission du blé n'est plus là pour faire ce genre de choses, une fois la nouvelle loi adoptée, je ne veux pas, moi non plus, transiger par l'intermédiaire de la commission du blé». Il était contre.

On a dit hier quelque chose qui me met en rogne. Vous avez déclaré que quelqu'un qui siège au sein de l'institution la plus démocratique du Canada à titre de député de l'Île du Prince Édouard n'a pas le droit de déposer un amendement. Cela me choque. Cet homme est l'ancien président du Syndicat national des cultivateurs. Je connais Wayne Easter depuis longtemps. Personne ne m'a plus embêté que lui lorsqu'il était président du syndicat. Je vous en veux d'avoir fait cette remarque. L'institution dont nous parlons est une institution démocratique. Cela ne me fait absolument rien qu'un député vienne de Come by Chance, Terre-Neuve ou d'ailleurs, tant et aussi longtemps qu'il oeuvre dans l'intérêt du Canada tout entier.

M. Enns: Monsieur le sénateur, vous avez raison de me reprendre. Je le dis clairement, je n'avais aucunement l'intention de manquer de respect envers quelque député que ce soit. J'ai simplement voulu dire qu'il était compréhensible qu'un député de cette région du Canada, où la situation est si différente de celle qui existe dans les Prairies, n'apprécie pas totalement les conséquences que peut avoir un amendement qui paraît relativement innocent puisqu'il a simplement pour objet de rétablir l'équilibre. On m'a dit qu'il a déclaré que, puisqu'il existait un article sur l'exclusion dans le projet de loi, «pour rétablir l'équilibre, nous devrions ajouter un article sur l'inclusion.» C'est très bien, mais c'est mon rôle de souligner qu'ajouter cet article sur l'inclusion a des conséquences particulières sur la province du Manitoba.

Le sénateur Whelan: J'ai été ministre de l'Agriculture pendant 11 ans -- la plupart des gens pensaient que je venais de l'Ouest, alors que je viens en fait du Sud-Ouest, du sud de l'Ontario -- et lorsque j'occupais ces fonctions, j'ai mis tous ceux qui disaient qu'étant de cette région, je ne pouvais être équitable, au défi de me démontrer qu'ils avaient raison. À cette époque, le premier ministre du Manitoba était originaire de Brampton, Ontario; le premier ministre de la Saskatchewan venait de Nouvelle-Écosse; le premier ministre de l'Alberta était originaire de London, Ontario; et le premier ministre de Colombie-Britannique était d'origine hollandaise. J'ai pensé: «Je peux tout aussi bien agir dans l'intérêt du Canada tout entier à titre de ministre de l'Agriculture que ne le font ces premiers ministres au niveau provincial». Je mets quiconque prétend que j'ai fait passer une région avant l'autre au défi de me le démontrer. J'ai agi dans l'intérêt de l'agriculture, et tout le monde y met du sien.

M. Enns: J'ai déjà reconnu mes torts sur ce point, monsieur le sénateur.

Le président: Les articles sur l'inclusion et l'exclusion suscitent de grandes préoccupations parce que les agriculteurs ont toujours pu avoir recours à une culture commerciale. Ils ont toujours eu besoin de liquidités pour financer leurs activités. Pour certains, cette culture commerciale, c'était le canola; pour d'autres, c'était le lin. Ces produits n'entrent pas dans le champ de compétence de la Commission canadienne du blé. Ils permettent aux agriculteurs de disposer de liquidités. Est-ce la raison pour laquelle les agriculteurs ont des réserves à propos des articles sur l'inclusion et l'exclusion?

M. Enns: Il serait présomptueux de ma part de parler au nom des producteurs. Certains, par exemple, les producteurs de canola, ont pris contact avec moi et avec le premier ministre et nous ont demandé de faire valoir leurs préoccupations partout où cela serait possible. Le premier ministre, M. Filmon, a écrit au premier ministre du Canada le mois dernier pour demander que l'on supprime l'article sur l'inclusion. J'ai essayé d'inscrire le cas du Manitoba dans un contexte plus large et de faire valoir l'impact de la suppression de la subvention du Nid-de-Corbeau. J'ai présenté la chose -- et c'est ce qu'a également fait de façon encore plus énergique tout le ministère de l'Agriculture -- en disant que ces articles constituaient un obstacle aux investissements dans la transformation à valeur ajoutée du grain.

J'aimerais vous faire part d'un heureux événement. Cela fait 45 ans que l'on n'a pas bâti de minoteries dans ma circonscription et voilà que l'on en construit une à 40 milles d'ici, dans la petite ville d'Elie. Pratiquement toute l'industrie meunière s'était relocalisée à Toronto ou à Vancouver. C'est compréhensible; pourquoi voudrait-on construire une minoterie dans les Prairies, là où on cultive le blé, si les contribuables canadiens subventionnent le transport du grain vers l'Ontario? Environ 85 p. 100 de la farine que produisent ces minoteries est vendue sur le marché international. Elle est produite dans des minoteries situées sur les quais, juste à côté des navires hauturiers qui assurent les expéditions.

Une demi-douzaine de producteurs qui souhaitaient moudre leur propre grain ici même, dans la petite ville d'Elie, ont pris contact avec moi. Mon sous-ministre, mes principaux collaborateurs et les membres de mon Cabinet ont rencontré des responsables de la Commission canadienne du blé en trois occasions afin de résoudre le seul problème qui se posait, c'est-à-dire autoriser ces producteurs à moudre leur blé, sans qu'ils aient à payer d'abord des frais de transport comme si leur grain était expédié à Vancouver ou sur la Voie maritime du Saint-Laurent.

La commission canadienne du blé les a finalement autorisés à aller de l'avant. Si cela n'avait pas été le cas, le Manitoba aurait adopté une position beaucoup plus tranchée à l'égard de la commission. Je m'attends à ce que des questions semblables se posent à l'avenir. Par exemple, disons qu'un groupe industriel souhaite construire une usine de production de pâtes et que la seule façon dont ils peuvent procéder est de signer des contrats de 18 mois ou de 2 ans avec 20 producteurs de blé dur qui approvisionneront leur usine d'Altona ou de Winkler, je ne veux pas qu'une tierce partie intervienne dans ce type d'arrangement commercial. Pour le Manitoba, ces activités à valeur ajoutée sont importantes. C'est dans cette direction que nous devons nous orienter à l'avenir.

Je suis prêt à collaborer avec la Commission canadienne du blé. De fait, je soutiens cet organisme. Je suis convaincu que certains des amendements que nous proposons peuvent améliorer son fonctionnement. Cependant, il doit être très clair qu'au Manitoba, nous sommes dans une position unique à cause de la question du transport.

Le sénateur St. Germain: Je vous remercie, vous et vos excellents collaborateurs, d'être venus aujourd'hui. Ma question porte sur l'examen entrepris par le juge Estey. Même si sur ce point, j'ai une opinion divergente, je suis aussi préoccupé que vous par l'article sur l'inclusion qui a été ajouté au projet de loi. On a employé la force de la clôture à ce propos, mais les tractations politiques ne tournent pas nécessairement à l'avantage de l'agriculteur de l'Ouest. La province de l'Ontario peut obtenir ce qu'elle veut parce que 100 députés la représentent à Ottawa, alors que personne ne représente les intérêts des gens d'ici.

Je suis de Colombie-britannique, mais je suis né près d'Elie, au Manitoba. Je sais très bien que dans l'Ouest, on doit se battre toute sa vie et, qu'au lieu de tirer les ficelles, on est plutôt la marionnette que l'on fait danser. J'aimerais que vous m'assuriez, monsieur le ministre, que vous n'allez pas lâcher. Je me rends compte que ces questions sont délicates au plan politique, mais j'espère que vous allez continuer à faire valoir vos convictions, parce que les activités à valeur ajoutée représentent la seule solution pour l'agriculteur qui subit les conséquences de la réforme du transport du grain de l'Ouest et de la suppression de la subvention du Nid-de-Corbeau. Je vous encourage à ne pas lâcher et je vous remercie.

Le sénateur Whelan: Permettez-moi d'apporter une correction. Les gens de l'Ouest n'ont jamais pris contact avec les producteurs de blé de l'Ontario. C'est le genre de chose qui les laissent froids. Ils s'adressent à nous uniquement lorsqu'ils veulent de l'argent, lorsqu'une maladie s'attaque à leur récolte et ainsi de suite. Ils n'ont pas encore pris contact avec nous et ils sont toujours obligés d'obtenir les permis à l'exportation délivrés par la Commission canadienne du blé, et cetera. Je suis resté debout pendant 24 heures quand on a adopté la loi sur la commercialisation des produits de ferme qui a permis au sénateur St. Germain de se lancer dans l'élevage des poulets. Si ce n'est pas là tout faire pour qu'une loi soit adoptée, je ne sais pas ce que c'est.

Le sénateur St. Germain: Aujourd'hui, je fais de l'élevage de bovins, comme M. Enns.

Le président: Monsieur le ministre, je vous remercie d'avoir accepté de comparaître ce matin. Notre débat a été des plus intéressants.

Nous allons maintenant entendre les témoins représentant Keystone Agricultural Producers. C'est M. Don Dewar qui va présenter un exposé. Je vous en prie, allez-y.

M. Donald Dewar, président, Keystone Agricultural Producers: Au nom de nos membres, je tiens à vous remercier d'être venus au Manitoba entendre les producteurs qui souhaitent exprimer leurs réserves à propos des amendements au projet de loi C-4. Environ 7 500 exploitations agricoles du Manitoba sont membres de Keystone Agricultural Producers. Le projet de loi réforme un organisme qui joue un rôle clé pour assurer notre subsistance.

Je tiens à féliciter le gouvernement d'avoir pris l'initiative de proposer cette réforme de la commission du blé. Pour la plupart, nos membres sont favorables au concept sur lequel repose le fonctionnement de la Commission canadienne du blé. Toutefois, il est devenu de plus en plus manifeste, ces dernières années, que la loi devait être révisée afin de refléter les préoccupations du producteur concernant la responsabilité de cet organisme ainsi que la nécessité de doter la commission des outils nécessaires pour mieux prendre en compte les besoins du producteur et les conditions du marché.

Nous estimons que les modifications de la loi proposées dans le projet de loi C-4 représentent un bon début et permettront d'instaurer une commission du blé qui pourra fonctionner de façon efficace au cours du prochain millénaire.

J'aimerais maintenant faire quelques propositions qui touchent un certain nombre des modifications prévues. En ce qui a trait à l'élection des administrateurs, nous sommes d'accord pour que dix d'entre eux soient élus. Même si nous souhaitons que l'on applique un processus démocratique qui assure une représentation équitable de toutes les régions des Prairies, nous ne pensons pas que la composition du conseil doit nécessairement refléter la division de la région en trois provinces. Par exemple, nous jugerions acceptable qu'il y ait deux administrateurs pour représenter le Manitoba et un qui représenterait la région géographique qui s'étend de part et d'autre de la frontière entre le Manitoba et la Saskatchewan. Il faudrait toutefois, à notre avis, qu'il y ait un découpage électoral et des candidats représentant des régions spécifiques plutôt qu'une élection de type plus général.

En ce qui concerne les quatre administrateurs nommés, il faudrait que le processus aboutisse à une représentation équitable de toutes les régions des Prairies. Il est important de souligner qu'à notre avis, le président-directeur général ne devrait pas faire partie des personnes nommées ni être membre du conseil d'administration.

Le mandat de tous les administrateurs, qu'ils soient nommés ou élus, devrait être, à notre avis, de quatre ans. Afin d'établir un échelonnement des mandats, la moitié des administrateurs devraient être élus ou nommés à l'origine pour deux ans et l'autre moitié pour quatre ans, tous les mandats durant ensuite quatre ans. Nous estimons qu'un mandat de quatre ans ainsi qu'un échelonnement des mandats sont des mécanismes importants si l'on veut assurer une certaine continuité et cohérence au sein du conseil. Nous suggérons également de permettre aux administrateurs d'accomplir deux mandats de quatre ans, au maximum, deux années supplémentaires s'ajoutant au mandat de ceux des administrateurs élus à l'origine pour deux ans.

De l'avis de KAP, le processus de délégation est celui qui s'avérerait le plus efficace pour élire les administrateurs de la Commission canadienne du blé, du moins la première fois. Ce processus minimisera l'extrémisation des opinions et l'acrimonie du débat et favorisera une discussion rationnelle de l'avenir de la commission. Même si de nombreux producteurs ne connaissent pas bien les administrateurs qui seront éventuellement élus, ils connaîtront les délégués locaux qui seront désignés. Au cours du processus électoral, les délégués peuvent assurer qu'un candidat au poste d'administrateur est mis au courant des préoccupations des producteurs d'une région donnée et discuter avec lui des solutions qu'il est possible d'envisager. Autrement dit, les délégués constitueront tout naturellement un groupe de discussion qui pourra réagir aux propositions des administrateurs concernant la politique et faire office d'agent de liaison entre les producteurs et les administrateurs. Nous ne suggérons pas que ce groupe de délégués devienne un organe permanent, mais plutôt que sa mission s'arrête après l'élection du premier conseil d'administration.

Nous estimons qu'à long terme, il n'est pas dans l'intérêt de nos membres que le premier dirigeant de la commission soit nommé par le ministre, mais nous reconnaissons qu'au début, il est nécessaire que le ministre intervienne. Nous jugeons donc acceptable qu'à court terme, le ministre soit chargé de nommer le directeur général. Cependant, il est crucial que le directeur général soit responsable devant le conseil d'administration de la commission et lui rende compte de ses activités. Nous soulignons l'importance de cette condition. Nous ne sommes pas en faveur de la modification en vertu de laquelle le mandat du président serait déterminé par le gouverneur en conseil.

Étant donné que les délais de mise en oeuvre sont courts, nous pensons qu'il sera nécessaire de nommer un président- directeur général par intérim. Pour assurer une certaine continuité, il serait préférable de nommer à ce poste l'actuel commissaire en chef ou une équipe composée de certains commissaires déjà en place.

Keystone Agricultural Producers appuie la création d'un fonds de réserve aux fins décrites dans le projet de Loi C-4. Nous estimons que ce fonds peut également servir à financer le développement d'activités jugées prioritaires par le conseil d'administration de la Commission canadienne du blé. C'est ce conseil qui devrait être chargé de la création, du contrôle et de la gestion de ce fonds, ainsi que de l'autorisation des dépenses qu'il servira à financer. Nous suggérons que les bénéfices réalisés sur les opérations de crédit servent à établir ce fonds. Nous restons convaincus que l'on devrait supprimer du projet de loi toutes dispositions stipulant que les bénéfices découlant des activités de la commission doivent être versés au Receveur général pour dépôt au Trésor.

Étant donné que le ministre a déclaré que ce projet de loi était une loi habilitante, nous appuyons l'article sur l'inclusion qui permet aux producteurs de décider de faire entrer d'autres grains dans le champ de compétence de la Commission canadienne du blé, ainsi que la clause sur l'exclusion autorisant le conseil d'administration où siègent des producteurs dûment élus à exclure certains grains.

À notre avis, le groupe le mieux habilité à demander l'inclusion devrait être le groupe le plus important représentant les producteurs de la marchandise en question dans la région désignée, et une telle intervention devrait n'être possible qu'à la suite d'un vote favorable de la part des producteurs de la marchandise en question.

Il faut que les articles sur l'exclusion et l'inclusion prescrivent des processus clairs. Il est important de noter que l'article sur l'exclusion autorise le conseil à exclure certains types, variétés ou grades de grain, alors que l'article sur l'inclusion porte sur la marchandise dans son ensemble. Les deux processus sont placés sous le contrôle des producteurs, que ce soit par le biais d'un vote en ce qui concerne l'inclusion ou d'un processus contrôlé par ces mêmes producteurs en ce qui concerne l'exclusion.

Dans la loi en vigueur actuellement, l'inclusion et l'exclusion des grains dont est donnée la liste sont laissées entièrement à la discrétion du ministre responsable de la Commission canadienne du blé.

KAP estime que la commission est l'agent des producteurs de grains de l'Ouest du Canada. Par conséquent, la commission a le devoir et l'obligation de toujours agir dans l'intérêt des agriculteurs de l'Ouest, au service desquels elle doit se placer.

Pour conclure, nous estimons que la Commission canadienne du blé a besoin de la marge de manoeuvre et du mandat nécessaires pour suivre l'évolution de l'environnement économique dans lequel doivent s'inscrire ses activités. Le projet de loi C-4 est un texte législatif qui permettra de réaliser cet objectif. Il crée un conseil d'administration composé de producteurs élus et il donne à ce conseil le pouvoir de mettre en place de nouveaux mécanismes et techniques de commercialisation qui permettront de mieux répondre aux besoins des producteurs canadiens. Avec une assez grande marge de manoeuvre, en se concentrant continuellement sur des politiques commerciales saines et grâce aux changements qui régleront le problème de sa responsabilité, la Commission canadienne du blé peut devenir pour nous un outil de commercialisation dont l'efficacité s'avérera à l'avenir. Cependant, il faut considérer la Loi sur la Commission canadienne du blé comme un document qui peut évoluer et ne pas rejeter à l'avance toute amélioration future une fois ces modifications approuvées. Il restera nécessaire de réexaminer le rôle de la commission et d'apporter des améliorations qui assureront qu'elle reste un organisme de commercialisation rentable et pertinent à l'avenir.

Le président: J'ai une courte question concernant les achats au comptant. Plusieurs des intervenants ont fait savoir qu'à leur avis, cela ouvre tout simplement la voie à une commercialisation mixte. Qu'avez-vous à dire à ce sujet?

M. Dewar: C'est une évolution possible si cela s'avère dans le meilleur intérêt des producteurs. Ce serait au conseil d'administration de prendre la décision. Il serait habilité à faire jouer le système dans le meilleur intérêt du producteur.

Le sénateur Hays: J'aimerais approfondir la question de la représentation de la province du Manitoba au conseil. Vous y avez fait allusion, mais je voudrais savoir si les membres du conseil sont censés représenter les provinces ou des régions au sein des provinces que dessert actuellement la commission? Lorsque vous dites deux et demi pour le Manitoba, vous parlez de deux administrateurs et demi sur dix. Pensez-vous qu'il soit véritablement utile de se montrer aussi précis en ce qui concerne la région d'origine des administrateurs nommés, qui ils devraient représenter ou ce qu'ils devraient représenter? J'ignore si vous voulez aller plus loin que le Manitoba, mais vous nous rendriez service en acceptant de spéculer ou de suggérer comment les autres administrateurs pourraient représenter le reste des Prairies.

M. Dewar: Quand il est question de représentation, on fait référence à une base géographique. Nous avons eu de nombreuses discussions au sujet de la représentation. Une fois que quelqu'un est élu, comme l'a dit précédemment le sénateur Whelan, il agit pour le bien de tous les producteurs. Une fois élu, vous n'allez pas penser uniquement à la seule région du Manitoba que vous représentez ou à telle ou telle région de l'Alberta. Vous êtes là pour gérer une entreprise d'exportation de six milliards de dollars et pour agir au mieux pour les gens que vous représentez. J'ose espérer que ceux qui seront élus se présenteront dans cet état d'esprit et que les producteurs éliront des gens qui ont cette mentalité.

Nous ne pensons pas qu'ils doivent nécessairement être des producteurs, mais ils doivent être élus par des producteurs. Si les producteurs trouvent qu'un banquier ou qu'un avocat quelconque est la personne la plus compétente dans telle ou telle région pour contribuer à la gestion de l'entreprise, c'est cette personne là qu'ils éliront.

Le sénateur Hays: Il me semble difficile pour un administrateur de se dissocier complètement des questions qui touchent la région qui l'a élu, lui ou le délégué.

Je suis de l'Alberta. Ce processus de désignation des membres est probablement à l'origine de la frustration de l'Alberta, comme l'ont dit le ministre de l'Alberta et d'autres -- non seulement en Alberta, mais dans toutes les Prairies -- qui aspirent à la mise en place immédiate d'une commercialisation mixte ou à la création d'options ou de choix. Dans ces conditions, le nombre des membres venant, disons, de l'Alberta aura de l'importance, non? Ce sera inévitablement l'une des questions qui seront prises en compte lors de l'élection des administrateurs

Vous avez déclaré ne pas vouloir répondre à cette question -- et vous pouvez le répéter -- mais j'aimerais une réponse. Manifestement, vous avez réfléchi à la façon dont on pourrait s'assurer d'une répartition équitable des sièges du conseil. Je vous invite à nouveau à faire des commentaires non seulement à propos du processus d'élection, mais aussi sur la nomination d'administrateurs, et à répondre à toutes critiques susceptibles d'être formulées a posteriori, par exemple, si quelqu'un disait: «Les dés étaient pipés et nous n'avions réellement aucune chance de nous faire entendre sur une importante question d'intérêt régional».

M. Dewar: Là encore, j'ose croire que le conseil agira dans l'intérêt de tous les producteurs, y compris ceux de l'Alberta. Les gens se feront de toute façon, dans une certaine mesure, les avocats du point de vue de leur région. C'est en tout cas ce que je fais. Je viens de Dauphin au Manitoba; les gens le savent. On est isolé dans le nord-ouest du Manitoba, et je le répète continuellement à tout le monde. En fin de compte, les régions sont représentées. J'espère ne pas me montrer trop naïf en suggérant que la Commission canadienne du blé peut être et est le meilleur instrument de commercialisation. S'il y a des gens compétents qui s'occupent de ses politiques, il se produira des changements. Ce ne sera peut-être pas le marché mixte que vous envisagez, mais je pense qu'elle continuera d'attirer un maximum de dollars dans l'Ouest.

Le président: Nous avons entendu le ministre de l'Alberta. Il y a eu de nombreux procès, entre autres, qui portaient sur l'ensemble de la question du contrôle et des choix, et cetera, exercés par la province. Si la province d'Alberta décidait de se retirer -- et il existe un fort courant en ce sens, dont nous avons entendu parler au cours des deux derniers jours -- la commission du blé pourrait-elle survivre?

M. Dewar: Je ne suis pas en mesure de répondre à cette question. C'est presque la même chose qu'avec le Québec. S'il décide de se retirer, il sera déchiré. C'est possible. Allez-vous élire des gens pour qu'ils gèrent la commission de la meilleure façon qui soit et pour qu'ils y apportent des améliorations ou au contraire des gens qui ont l'intention de la démolir?

Le président: Je suis un supporter de la commission du blé, mais si aucun choix n'est autorisé, continuera-t-elle d'exister?

M. Dewar: Je crois que ces 14 personnes trouveront de nouvelles stratégies, comme un organe de vente par comptoir unique, qui régleront un grand nombre des problèmes. Je pense qu'ils ont eu les mains liées pendant 50 ans par la Loi sur la Commission canadienne du blé. C'est l'occasion de propulser la commission dans le XXIe siècle.

Le sénateur St. Germain: J'ai aimé votre exposé. La responsabilité fiduciaire formulée dans les statuts de la commission stipule que les membres du conseil sont comptables devant la commission et non les actionnaires ou les producteurs. Cela a été souligné publiquement. Vous répondez à cela, en quelque sorte, quand vous stipulez que dans le meilleur intérêt de vos membres, le directeur général de la commission du blé ne devrait sans doute pas être nommé par le ministre. Êtes-vous fermement en faveur de cela, un conseil élu par opposition à un conseil nommé par le gouvernement?

M. Dewar: Oui. Tant est aussi longtemps que l'on peut préserver le soutien gouvernemental actuel de la commission du blé. Si le gouvernement garantit les acomptes à la livraison et agit comme il l'a fait pour l'Indonésie et garantit le crédit, il aura alors une certaine influence sur la composition du conseil. Toutefois, ces nominations représenteraient une minorité, et j'ose croire que les intéressés seraient choisis en fonction de leurs capacités à occuper le poste.

Le sénateur St. Germain: On nous a fait part de certaines craintes, y compris celles formulées par le ministre, dont, j'en suis sûr, vous avez entendu parler. Le ministre de l'Agriculture de l'Alberta nous a parlé des activités à valeur ajoutée et de la façon dont cela implique les intérêts de la province tout entière et pas seulement ceux des producteurs, bien qu'ils en profitent souvent. Pensez-vous toujours qu'il y a suffisamment de souplesse dans le système?

J'ai été élu député et j'ai représenté la Colombie-Britannique. Je sais combien il est difficile d'essayer de représenter sa région tout en défendant les intérêts du pays tout entier. On se retrouve souvent en position conflictuelle. C'est important. Le Manitoba fait face aujourd'hui à une énorme augmentation des frais de transport. J'ignore comment vous pouvez concilier cela, et si l'existence d'un choix ou d'une commercialisation mixte ou ce que vous voudrez facilitera les choses. Je ne sais pas. C'est la raison pour laquelle je vous pose ces questions.

M. Dewar: La valeur ajoutée est une bonne chose pour la province. Nous le reconnaissons et nous l'acceptons. Nous avons besoin de ce genre d'activité, mais c'est nous qui devons nous en charger. Si la valeur ajoutée n'a pas de retombées sur les producteurs du grain, elle n'est pas intéressante pour eux. C'est bien pour la province, mais les producteurs n'en tireront rien.

À l'heure actuelle, nous sommes l'endroit du monde où cela coûte le moins cher de cultiver des céréales fourragères, mais les producteurs n'en bénéficient pas. Si vous me dites que le meilleur endroit pour construire une porcherie, c'est au Manitoba ou dans l'est de la Saskatchewan parce que l'on y trouve l'alimentation animale la moins chère du monde, mais que je n'ai pas les moyens de cultiver les dites céréales fourragères, il est plus intéressant pour moi de construire la porcherie et de laisser à quelqu'un d'autre le soin de cultiver les céréales. Personne n'agira autrement.

La commission canadienne du blé s'occupe de ses producteurs. Le ministre, M. Enns a mentionné quelques préoccupations. Il y a le problème du prix à la ferme, mais nous pensons que cela peut être réglé. Dans l'exemple qu'il a cité, il y a eu des rencontres et on est parvenu à réduire le problème à des dimensions acceptables. Si l'on accepte que des changements puissent être apportés, ils se produiront avec le projet de loi C-4.

Le sénateur St. Germain: On nous dit que l'Alberta cultive surtout de l'orge. Au Manitoba et en Saskatchewan, les scénarios sont différents.

Le sénateur Spivak: Votre exposé est très clair et très utile. J'aime l'idée d'élections échelonnées pour les administrateurs. Je voudrais vous poser une question au sujet du fonds de réserve.

Vous dites que le fonds devrait être créé avec les bénéfices tirés des activités de crédit. Je ne comprends pas très bien ce que vous voulez dire. Si vous êtes en faveur de la formule actuellement envisagée, à savoir, que le fonds devrait être constitué à partir de prélèvements sur les ventes des agriculteurs, comment envisagez-vous cela par rapport aux garanties que le gouvernement du Canada a toujours accordées? Je trouve que les Prairies méritent autant de garanties que n'importe qui d'autre. Qu'en pensez-vous?

M. Dewar: La garantie gouvernementale continuerait d'exister pour les prix à la livraison, et le fonds de réserve servirait à compenser toute augmentation du prix à la livraison, ce qui s'est produit vendredi. La commission canadienne du blé a demandé au gouvernement d'augmenter le prix à la livraison. En vertu du projet de loi C-4, la commission n'aurait pas à le faire. Elle aurait pu commencer à envoyer les chèques la semaine dernière.

Le sénateur Spivak: Quand vous dites «tiré des activités de crédit» qu'entendez-vous?

M. Dewar: Il y a des pays qui versent des intérêts uniquement sur les ventes de grain. On parle -- si je ne m'abuse -- de 50 ou 60 millions de dollars par an. L'argent va dans le fonds des livraisons en commun. Il ne provient pas du blé en soi, mais une partie revient au blé et une partie à l'orge. On pourrait en prendre un peu. En cas de besoin, cet argent serait toujours disponible, mais on pourrait aussi soit le verser au fonds commun comme par le passé, soit prendre 5 ou 10 millions par an pour accumuler une certaine somme. C'est pour s'occuper de ce genre de choses que nous élisons un conseil d'administration.

Le sénateur Spivak: J'aimerais vous interroger au sujet du resserrement du prix de revient et du fait que les producteurs n'obtiennent pas un bénéfice acceptable. On espère que la production porcine en Alberta triplera ou quadruplera. J'ignore si nous allons devenir les plus gros producteurs, mais que se passera-t-il si nous augmentons notre production porcine? Pensez-vous que le prix de l'orge augmentera s'il n'y en a pas suffisamment? Pensez-vous que c'est ce qui arrivera ou est-ce que les producteurs vont être dans l'impossibilité de produire le blé, l'orge?

M. Dewar: On passera d'un marché mondial à un marché national. Actuellement, le prix de l'orge sur le marché national est supérieur au prix mondial.

Le sénateur Spivak: Pensez-vous que le prix augmentera de façon à ce que cela continue d'être une activité profitable?

M. Dewar: Je pense qu'il le faudra. Les éleveurs de porcs devront nous payer suffisamment pour que nous restions en affaires ou ils devront se passer de grain.

[Français]

Le sénateur Robichaud: Je vous remercie, monsieur le président. Madame MacNair et monsieur Dewar, j'espère que vous ne m'en voudrez pas, venant du Nouveau-Brunswick, de vous poser une question. Je vous assure que c'est dans les meilleurs intérêts de tous les producteurs que je vous pose cette question.

Vous ne semblez pas être préoccupés par l'argument avancé par ceux et celles qui sont contre l'article de l'inclusion et disent que cet article va créer beaucoup d'incertitude dans le marché.

Ma question est la suivante: au niveau de l'élection, vous nous dites qu'il devrait y avoir un système de délégués pour la première élection seulement. Est-ce que je pourrais avoir vos commentaires sur ce point?

[Traduction]

M. Dewar: Premièrement, en ce qui concerne l'article sur l'inclusion, nous avons toujours laissé entendre que le producteur devrait avoir le contrôle. Si des changements doivent intervenir au plan de la commercialisation, les producteurs devraient pouvoir voter.

Pour ce qui est de menacer les marchés, j'ai lu un article dans la presse la semaine dernière et je pense que les poules auront des dents avant que Bruce Dalgarno demande à la Commission canadienne du blé d'inclure, par exemple, le canola. Ceux de l'autre bord disent que si cela fait souffler un vent d'incertitude sur le marché -- et la Bourse de marchandises de Winnipeg a négocié tant le canola que le lin -- cela constitue un frein pour eux. C'est-à-dire que si le système d'établissement des prix ne marche pas et que le marché ne fonctionne pas comme il devrait, les producteurs risquent alors de remettre en question le mécanisme actuel. Je pense qu'il s'agit simplement d'un autre frein aux échanges de marchandises dans le cadre de nos structures nationales de fixation des prix.

En ce qui concerne l'implication des délégués dans les élections, lors de la première élection, on pourrait conserver ce système, mais ce sera au conseil de décider. Il faudrait voir comment cela fonctionne cette fois ci. Je ne suis pas partisan de graver les choses dans le marbre aujourd'hui, alors qu'il faudra peut-être procéder à des changements demain.

Le sénateur Whelan: J'ai rencontré M. Enns, l'actuel ministre de l'Agriculture, en 1966, quand j'étais président du comité de l'agriculture. Nous nous connaissons depuis longtemps.

Vous avez parlé de faire appel aux agriculteurs, de la façon dont ils seront élus, des structures du conseil et ainsi de suite. Il n'y a rien dans la loi qui stipule que les cinq administrateurs qui seront nommés ne peuvent pas, comme l'a suggéré le sénateur Hays, être choisis dans différents districts des régions productrices de blé ou qu'ils ne peuvent pas tous être des agriculteurs. Beaucoup de gens pensent qu'il n'y a pas d'agriculteurs à la Commission canadienne du blé. Lorne Hehn, son président actuel, est un agriculteur; tout comme Forrest Hetland. On croit que ce sont tous des bureaucrates, mais certains sont des agriculteurs compétents que je connais depuis plusieurs années. Que pensez-vous de la recommandation voulant que tous ceux qui sont nommés doivent être des agriculteurs?

M. Dewar: Je l'ai dit, nous ne pensons pas qu'ils doivent nécessairement être des agriculteurs, il faut que ce soit les gens les plus compétents. Les exemples que vous citez montrent que les nominations politiques peuvent s'avérer efficaces et qu'il arrive que des gens compétents soient choisis. De fait, il ne s'agit pas toujours de faveur politique.

Les personnes en question ont été nommées par le gouvernement à cause de leur compétence et ont fait de l'excellent travail. Prenez par exemple la politique de gestion du commerce d'exportation: Il est important que nous ayons les gens les plus compétents en place, ainsi que des gens qui comprennent l'industrie. Les entreprises recherchent des administrateurs qui représentent un large éventail de professions -- avocats, comptables, et autres catégories de spécialistes.

Le sénateur Whelan: Les membres du Conseil national de commercialisation des produits agricoles sont nommés en fonction de leur connaissance des différentes catégories de produits de base dont ils sont appelés à s'occuper. Personne n'a suggéré qu'un consommateur fasse partie des cinq personnes nommées -- si évidemment il y a des nominations -- mais au Conseil national de commercialisation des produits agricoles, il y a un consommateur.

M. Dewar: Tout consommateur, à condition d'être citoyen canadien pourrait être nommé. La plupart de nos clients sont à l'étranger, et nous rechercherons les personnes les plus compétentes, d'où qu'elles viennent.

Le sénateur Whelan: Dans le cadre de l'ALENA, par exemple, rien n'empêche les États ou les provinces de verser des aides publiques. Ainsi, rien n'interdit au Manitoba ou à n'importe quelle province qui souhaiterait appuyer l'implantation d'une nouvelle fabrique de pâtes de lui verser des subventions pour l'aider à démarrer. L'Ohio et l'Oklahoma ont récemment accordé d'énormes subventions au secteur de la transformation de la viande et à des activités de ce genre. En avez-vous déjà discuté avec vos membres?

M. Dewar: Notre plus gros problème vient de ce qui se passe au Canada même. On y déplace les industries. Il y a un exemple que nous citons souvent au Manitoba, celui du gouvernement de l'Alberta qui a acheté l'industrie du boeuf; et qu'est-il arrivé au Manitoba?

Le sénateur Whelan: Il existe une frontière provinciale invisible entre vous, mais vous ne possédez pas de pétrole comme eux. Votre organisme compte 7 500 membres, n'est-ce pas?

M. Dewar: Il s'agit d'exploitations agricoles. Très souvent, un membre représente une famille qui peut compter deux ou trois personnes.

Le sénateur Whelan: Mais vos adhérents ont approuvé l'opinion que vous nous avez présentée à propos des articles sur l'inclusion et sur l'exclusion?

M. Dewar: Oui, effectivement. Notre politique est totalement induite par les producteurs. Nous nous appuyons sur un processus de délégation.

Le sénateur Whelan: J'aime bien aussi votre système d'élections échelonnées.

Le président: Le témoin suivant représente le Manitoba Pool. Il y aura ensuite deux autres intervenants, et je demanderais aux sénateurs d'abréger leurs questions et à nos intervenants de se montrer concis. Vous avez la parole.

M. Charlie Swanson, président, Manitoba Wheat Pool: Les représentants de Manitoba Pool se félicitent de pouvoir faire valoir leur point de vue sur la modification de la Loi sur la Commission canadienne du blé.

Le Manitoba Pool, dont les ventes annuelles dépassent 1,3 milliard de dollars et qui regroupe plus de 16 000 agriculteurs, est la plus importante coopérative agricole de notre province. Nous traitons sur une base annuelle environ 3 millions de tonnes de grains et d'oléagineux grâce à un réseau de 120 silos de collecte au Canada. Nous possédons également un silo terminus dans le port de Thunder Bay, ainsi que des parts dans des installations du même type dans les ports de Vancouver et Prince Rupert.

Le Manitoba Pool a participé à l'élaboration du projet de loi C-72 au cours de la dernière session. Nous sommes satisfaits de plusieurs changements apportés à cette mesure législative avant sa réintroduction sous le titre de projet de loi C-4. Les amendements portant sur la composition, la mission et les pouvoirs du conseil d'administration, notamment, apaisent largement les craintes que nous avions exprimées. Toutefois, d'autres améliorations sont nécessaires pour assurer l'efficacité de la loi à l'étude.

En ce qui a trait à la réforme de la Commission canadienne du blé, le Manitoba Pool défend depuis longtemps le principe d'un marché réglementé par la Commission canadienne du blé pour les grains de l'Ouest du Canada. Parallèlement, nous reconnaissons que les marchés internationaux ainsi que les règles et les techniques utilisées pour accéder à ces marchés et y négocier, sont en évolution. Le système de commercialisation de la Commission canadienne du blé doit évoluer parallèlement pour être en mesure de répondre efficacement aux besoins des producteurs des Prairies. Nous soutenons par conséquent l'objectif déclaré du gouvernement fédéral à savoir: «capitaliser sur les aspects positifs de notre système de commercialisation tout en modernisant la structure administrative de la Commission canadienne du blé, en accroissant sa responsabilité, en améliorant sa sensibilité à l'évolution des besoins et des débouchés des producteurs, en démontrant plus de flexibilité, en assurant des flots de trésorerie plus rapides par le biais de ses activités et en minimisant la complexité future du commerce international.»

Le Manitoba Pool considère que la vente à guichet unique, la mise en commun des prix et les garanties gouvernementales sont des caractéristiques capitales pour la réussite du système de commercialisation de la Commission canadienne du blé. Ces fondements sont les points forts auxquels fait référence la déclaration de politique gouvernementale, et doivent être maintenus et enrichis par le processus de réforme.

Un grand nombre des dispositions du projet de loi C-4 renforcent la capacité de la Commission canadienne du blé à répondre aux besoins des producteurs sans mettre en péril son système de commercialisation. Toutefois, plusieurs des dispositions menacent sérieusement l'intégrité du système, alors que d'autres auraient besoin d'ajustements mineurs pour garantir qu'ils s'inscrivent dans le sens des objectifs déclarés du gouvernement. Nous formulons dans ce qui suit des propositions pour améliorer le projet de loi C-4.

La commission canadienne du blé doit rendre des comptes aux contribuables canadiens en ce qui concerne ses opérations financières, car ses ventes à crédit, ses emprunts et ses acomptes à la livraison sont garantis par le gouvernement fédéral. De ce fait, le Manitoba Pool appuie les dispositions législatives qui prescrivent à la Commission canadienne du blé de soumettre pour approbation au ministre responsable ses plans d'entreprise annuels et d'obtenir du ministre ou du Cabinet l'approbation de ses décisions financières. En tant qu'agent de commercialisation des producteurs de blé et d'orge des Prairies, la Commission canadienne du blé doit également leur rendre des comptes. Pour garantir qu'il en est ainsi, la loi doit habiliter la Commission canadienne du blé à fonctionner conformément aux besoins et aux préférences de sa base de producteurs.

Selon nous, les dispositions du projet de loi C-4 relatives à la responsabilité financière feront en sorte que la Commission canadienne du blé rendra compte au gouvernement de ses opérations financières. Toutefois, la loi doit être modifiée pour assurer que la commission rendra également des comptes aux producteurs des Prairies.

Le gouvernement fédéral a reconnu la nécessité d'une responsabilisation à l'égard des producteurs en proposant qu'un conseil d'administration, dont la majorité des membres seront élus par les producteurs, soit responsable des activités de la Commission canadienne du blé.

Le Manitoba Pool a maintes fois discuté avec des fonctionnaires du gouvernement de l'élection des administrateurs. Nous faisons nôtres un grand nombre des règlements proposés, y compris l'obligation que les candidats soient des citoyens canadiens, détenteurs de carnets de livraisons et que ce soit des producteurs en exercice; que les administrateurs aient des mandats échelonnés; et que l'administrateur élu dans le cadre d'une élection à candidats multiples obtienne l'appui de la majorité des producteurs ayant droit de vote. En outre, nous insistons pour que les budgets de campagne électorale soient limités à 15 000 $, car les moyens financiers ne devraient pas déterminer la réussite ou l'échec d'un candidat. Il faudrait également envisager la mise en place d'un processus de délégation pour faciliter la communication entre les administrateurs et les producteurs.

Nous notons que les producteurs des Prairies sont impatients de voir établie la nouvelle structure de gestion de la Commission canadienne du blé. En conséquence, nous nous réjouissons que le gouvernement s'engage à organiser l'élection des administrateurs dans les meilleurs délais.

Le Manitoba Pool soutient la nomination d'un président-directeur général qui sera chargé de superviser le fonctionnement au jour le jour de la Commission canadienne du blé. Toutefois, afin d'assurer que la commission soit tenue de rendre compte de ses activités aux producteurs des Prairies, le président-directeur général doit relever totalement du conseil d'administration de l'organisme. Dans sa mouture actuelle, le projet de loi C-4 ne le stipule pas.

Nous ne pensons pas que le président-directeur général devrait être membre du conseil d'administration comme l'indique le texte législatif. Nous faisons remarquer que dans virtuellement toutes les organisations regroupant des agriculteurs, y compris les coopératives, le premier dirigeant est pleinement responsable de sa gestion devant le conseil d'administration sans en être membre. Afin de garantir la responsabilisation de la Commission canadienne du blé envers les producteurs des Prairies, nous recommandons que les paragraphes 301(2), 302(1), 302(2), 302(3) et 303(2) soient modifiés afin de supprimer la mention que le président est membre du conseil d'administration. Nous ne pensons pas que le président-directeur général devrait être nommé par le gouverneur en conseil tel que le stipule la mesure législative. Nous craignons que cela puisse aboutir à un conflit entre l'administrateur principal de l'organisme et le conseil d'administration. L'administrateur principal risque notamment de se considérer plus responsable devant le gouvernement qui l'a nommé que devant le conseil d'administration.

La responsabilité à l'égard des producteurs pourrait être établie en donnant au conseil d'administration le pouvoir de nommer et de destituer le président-directeur général de la Commission canadienne du blé après consultation du ministre. En conséquence, nous suggérons que:

1. La dernière ligne de l'article 3.02 soit remplacée par ce qui suit: Le président-directeur général est nommé par le conseil d'administration après consultation du ministre;

2. L'article 3.09 soit modifié et se lise comme suit: Le président-directeur général exerce ses fonctions à titre amovible pour la durée que fixe le conseil d'administration;

3. Le paragraphe 3.11(2) se rapportant à la nomination d'un président intérimaire soit supprimé; et

4. À condition que les autres amendements soient apportés, l'alinéa 3.05e) se rapportant à la destitution du président-directeur général soit supprimé.

Nous reconnaissons que les exigences en matière de responsabilité doivent découler de la garantie des acomptes à la livraison assurée par le gouvernement. Toutefois, comme indiqué précédemment, nous croyons que ces exigences sont couvertes par les dispositions du projet de loi C-4 relatives à la responsabilité financière.

Consolider nos forces vives. Le Manitoba Pool a constamment soutenu que toute modification de la Loi sur la Commission canadienne du blé doit préserver et consolider les fondements du système de commercialisation de la Commission canadienne du blé, à savoir, la vente par comptoir unique, la mise en commun des prix et les garanties du gouvernement fédéral. Plusieurs dispositions du projet de loi C-4, par exemple, celles qui permettent à la Commission canadienne du blé d'émettre des certificats de production négociables ou d'effectuer des versements aux producteurs pour compenser en partie les coûts de stockage sur l'exploitation, améliorent la capacité de la commission à répondre aux besoins des producteurs sans mettre en péril les fondements de sa commercialisation. Toutefois, d'autres dispositions menaceront l'intégrité du système de commercialisation de la Commission canadienne du blé, supprimant de ce fait même toute amélioration perceptible au plan de la réceptivité ou de la flexibilité.

Garanties du gouvernement fédéral: Le Manitoba Pool se félicite que le projet de loi C-4 prévoie le maintien des garanties fédérales des emprunts et des ventes de grain à crédit de la Commission canadienne du blé. Toutefois, nous pensons que le gouvernement doit également continuer de garantir les ajustements à l'acompte à la livraison. Il n'y a jamais eu, dans un compte de livraisons en commun, de déficit attribuable à un ajustement de l'acompte à la livraison, ce qui démontre qu'il n'y a pratiquement aucun risque financier lié à cette garantie. Le risque est toutefois que la suppression de la garantie des ajustements en cours de campagne aboutisse à la suppression de la garantie des acomptes à la livraison.

La raison avancée par le gouvernement pour justifier la suppression de la garantie des ajustements est que cela va accélérer le versement des ajustements. Nous pensons au contraire qu'en l'absence d'une garantie gouvernementale, la Commission canadienne du blé se montrera plus circonspecte, ce qui se soldera par des ajustements moins nombreux et plus lents des acomptes à la livraison. On pourrait parvenir à des ajustements plus opportuns en supprimant l'obligation de l'approbation par le Cabinet et en exigeant simplement l'approbation du ministre de l'Agriculture, du ministre de tutelle de la Commission canadienne du blé, quand ce n'est pas le ministre de l'Agriculture, et du ministre des Finances.

Au vu de ce qui précède, nous recommandons que:

1. L'article 7 du projet de loi C-4 soit modifié par la suppression de l'alinéa (3)a) envisagé et que la formulation originale de l'alinéa 7(3)a) de la Loi sur la Commission canadienne du blé soit conservée.

2. Le dernier paragraphe de l'article 18 soit modifié pour se lire comme suit: occasionnellement par la suite, par ordre de la commission et avec l'approbation du ministre, du ministre de l'Agriculture et du ministre des Finances.

Achats au comptant: Le Manitoba Pool est très préoccupé par les dispositions qui permettent à la Commission canadienne du blé d'effectuer des achats au comptant de blé ou d'orge directement auprès des producteurs. Nos craintes sont de deux ordres: nous pensons que permettre à la Commission canadienne du blé d'effectuer des achats à des prix différents du prix initial réduira l'efficacité et éventuellement provoquera l'abandon de la mise en commun des prix, un des fondements du système de commercialisation de cet organisme. Au fur et à mesure que les producteurs optent pour le prix au comptant, qui s'avérera probablement plus élevé que l'acompte à la livraison, le risque de déficit du compte des livraisons en commun augmentera. Il s'ensuivra des acomptes à la livraison plus conservateurs et, par conséquent, moins de grain vendu au compte des livraisons en commun.

L'efficacité du système d'expédition des grains repose sur un partenariat efficace entre l'industrie de la collecte du grain, au niveau de l'approvisionnement, et la Commission canadienne du blé, au niveau de la commercialisation. Si la commission est autorisée à faire l'acquisition de grain sur la base de paiements comptants aux producteurs, elle sera en mesure d'orienter les livraisons de grain et éventuellement, d'influer sur la configuration du réseau de silos de collecte. Cela pourrait se solder par une incidence négative sur l'efficacité du système d'expédition du blé et, par suite, ne serait pas dans le meilleur intérêt des sociétés céréalières ni des producteurs des Prairies.

Grâce aux certificats de production négociables, les producteurs auront la possibilité de vendre leur droit à l'ajustement de fin de campagne et en fait, d'obtenir le paiement total de leur grain sans attendre que la Commission canadienne du blé verse son ajustement de fin de campagne. Permettre à la Commission canadienne du blé de proposer des périodes de mise en commun plus courtes assurera également plus de flexibilité. Pris dans leur ensemble, ces éléments du projet de loi C-4 amélioreront la capacité de la Commission canadienne du blé à s'approvisionner en blé et en orge, tout en assurant aux producteurs des flux de trésorerie plus importants et la flexibilité qui en découle, sans mettre en péril les fondements du système de commercialisation de la Commission canadienne du blé.

Compte tenu de ce qui précède, nous recommandons qu'à l'article 22 du projet de loi C-4, le nouvel article 39.1, qui accorde des pouvoirs d'achat au comptant soit supprimé.

Fonds de réserve: Le projet de loi C-4 prévoit la création d'un fonds de réserve en remplacement des garanties gouvernementales des ajustements aux acomptes à la livraison et pour se prémunir des pertes éventuelles qui découleraient des achats au comptant. Le Manitoba Pool ne considère pas, pour les raisons suivantes, que ce fonds de réserve est nécessaire: nous sommes d'avis que le gouvernement devrait continuer de garantir les ajustements des acomptes à la livraison, ce qui supprimerait le besoin d'un fonds de réserve. Nous faisons remarquer que la garantie des ajustements des acomptes à la livraison n'est pas une véritable dépense pour le gouvernement. Toutefois, le remplacement de la garantie gouvernementale par un fonds de réserve engendrerait des dépenses pour les producteurs qui se verraient obligés de renoncer à une partie des recettes provenant de la commercialisation effectuée par la Commission canadienne du blé pour constituer et entretenir le fonds.

Nous avons fait le tour des préoccupations que nous inspire la perspective de permettre à la Commission canadienne du blé d'effectuer des achats au comptant auprès des producteurs. Nous ne pensons pas qu'il serait dans le meilleur intérêt des producteurs d'utiliser les recettes de la commercialisation par la Commission canadienne du blé pour financer une mesure qui risquerait éventuellement de détruire l'un des fondements du système de commercialisation de cette Commission.

Dans l'état actuel des choses, les producteurs sont de plus en plus pénalisés par le coût des réductions budgétaires du gouvernement. On leur demande d'assumer le coût d'un tas de choses, des inspections gouvernementales et du classement par grade des grains à l'homologation d'un antiparasitaire et aux aides à la navigation maritime, pour ne citer que quelques exemples. L'accumulation de capital à travers des prélèvements sur les comptes des livraisons en commun de la Commission canadienne du blé ou sur les bénéfices réalisés sur les emprunts, représenterait encore une autre ponction réduisant d'autant les revenus des exploitations agricoles.

Au vu de ce qui précède, nous recommandons que:

1. Le sous-alinéa 6(1)(c.3) envisagé, qui accorde à la Commission canadienne du blé le pouvoir de créer un fonds de réserve, soit supprimé;

2. Le paragraphe 6(3), portant sur l'accumulation de fonds et l'importance du fonds de réserve, soit supprimé; et

3. Toutes les références à un fonds de réserve aux articles 7 et 8 soient supprimées.

Le Manitoba Pool est fermement opposé à la création d'un fonds de réserve. Toutefois, si un tel fonds était jugé indispensable, il devrait être créé au moyen d'une mise de fonds unique de crédits gouvernementaux plutôt qu'à travers des contributions imposées aux producteurs. Dans l'éventualité que les producteurs soient forcés de renoncer à certains bénéfices pour soutenir le fonds de réserve, les règlements de la loi doivent prescrire une limite à la somme susceptible d'être accumulée dans le fonds. Nous considérons que cette somme ne devrait pas dépasser 30 millions de dollars.

Modifications du mandat: le Manitoba Pool est conscient du désir du gouvernement de prescrire les conditions en vertu desquelles de nouvelles cultures peuvent être ajoutées au champ de compétences de la commission ou au contraire, soustraites de son ressort en matière de commercialisation. Par ailleurs, nous comprenons que le gouvernement souhaite éviter les demandes frivoles en exigeant que, pour qu'il y ait un vote des producteurs, cela soit recommandé par le conseil d'administration et demandé par un organisme qui représente les producteurs du produit en question.

Toutefois, à notre avis, les dispositions du projet de loi C-4 se rapportant à la modification du mandat pourraient être améliorées en leur apportant les modifications mineures suivantes:

Pour éviter au ministre d'avoir à décider quel organisme représente les producteurs et pour empêcher les éventuelles batailles juridiques en matière de représentation, nous suggérons que l'article 26 soit modifié en son alinéa 47.1(2)a) et se lise: a), une demande écrite à cet effet a été présentée au ministre par une association susceptible de démontrer qu'elle est l'organisme prédominant qui a pour unique raison d'être la représentation des producteurs de ce grain pour l'ensemble de la région désignée.

Pour faire en sorte que les parties concernées aient la possibilité de faire connaître leur sentiment au sujet des changements éventuels du mandat, nous suggérons également que le ministre soit dans l'obligation de rendre publique immédiatement toute demande visant l'inclusion de cultures dans le mandat de la Commission canadienne du blé en matière de commercialisation ou leur exclusion.

Pour conclure, sur un marché international de plus en plus compétitif, les piliers fondamentaux de la commercialisation de la Commission canadienne du blé, vente à guichet unique, mise en commun des prix et garanties gouvernementales, sont aussi importants qu'ils ne l'ont jamais été.

Le Manitoba Pool reconnaît les efforts du gouvernement fédéral pour améliorer l'efficacité et la responsabilisation de la Commission canadienne du blé par la modification de la Loi sur la Commission canadienne du blé. Bien que nous appuyions l'objectif du projet de loi C-4, nous avons de sérieuses réserves au sujet des changements envisagés qui menacent les fondements du système de commercialisation de la Commission canadienne du blé. Nous sommes d'avis que les modifications que nous recommandons amélioreront la capacité d'adaptation et la responsabilisation de la commission à la fois envers les producteurs et les parties prenantes gouvernementales, tout en préservant et en consolidant les points forts que constituent la vente par comptoir unique, la mise en commun des prix et les garanties gouvernementales.

Le sénateur Hays: J'aimerais poser une question sur la relation entre le nouveau conseil, en présumant que le projet de loi soit adopté, et le gouvernement. Dans la partie de votre rapport concernant la responsabilisation, vous déclarez que vous approuvez les dispositions stipulant que le conseil doit soumettre un plan d'entreprise annuel et obtenir l'approbation de ses décisions financières du ministère ou du Cabinet. Pourriez-vous préciser? Ma question s'explique par les réserves qui ont été exprimées, en Alberta notamment, mais ailleurs aussi, par ceux qui craignent que ce soit en fait le gouvernement qui dirige le conseil, et non les administrateurs.

M. Swanson: Le fait que le conseil est composé de 15 membres, dont 10 sont élus par les producteurs, devrait largement dissiper cette crainte. Vu que nous souhaitons la prorogation des garanties du gouvernement fédéral aussi bien en ce qui concerne les acomptes à la livraison que les ajustements, nous pensons que le gouvernement fédéral devrait effectivement avoir son mot à dire dans l'approbation des plans financiers de la nouvelle entité.

Dans la même veine, j'ai été intéressé par les commentaires formulés dans le cadre de la précédente présentation concernant la façon dont on s'y prendrait pour organiser les élections et la représentation dans les dix districts que l'on propose de créer dans les Prairies. On espère qu'un grand nombre de ces districts chevaucheront les frontières provinciales. Ces gens-là, tout en représentant une région, une fois élus membres de ce conseil, continueraient de représenter leurs électeurs, mais ne se contenteraient plus de porter une seule casquette, c'est-à-dire de représenter uniquement ce groupe. Leurs responsabilités s'étendraient à un domaine beaucoup plus large dont ils deviendraient responsables, les activités de la Commission canadienne du blé.

Les cinq administrateurs nommés au conseil devraient, première condition, être canadiens. En outre, ils devraient posséder diverses compétences dont ils feraient bénéficier le conseil dans des domaines comme: les finances, les transports, le commerce international, par exemple, pour n'en citer que trois. Cela assurerait le panachage des compétences du conseil et contribuerait selon moi à son fonctionnement efficace.

Le sénateur Hays: Merci de votre excellent exposé et de votre réponse intéressante.

Le sénateur Whelan: Votre mémoire, et la façon dont vous l'avez présenté, est l'un des meilleurs que nous ayons reçu, notamment pour ce qui est de vos suggestions et recommandations. Je pourrais en faire la revue complète, mais je n'y trouve pratiquement rien à redire. Toutefois, vous n'avez pas mentionné comme d'autres l'ont fait, l'étude du juge Estey sur les transports. Plusieurs préconisent que nous ne touchions pas au projet de loi avant de disposer du rapport du juge Estey.

M. Swanson: Je ne pense pas qu'il soit nécessaire d'attendre le rapport du juge Estey. Il a pour mission de faire des recommandations sur l'amélioration du transport dans l'Ouest du Canada et l'expédition de nos récoltes vers les points d'exportation pour desservir nos marchés internationaux. Or, il est question ici de la commercialisation. Il doit, bien sûr, y avoir une certaine collaboration, mais je pense qu'il est important que nous procédions rapidement à l'approbation de la nouvelle loi, des modifications de la loi, et aux élections et que l'on mette en place la nouvelle structure afin que les choses puissent se mettre en route le plus rapidement possible.

Le sénateur Whelan: Vous abordez la question du premier dirigeant. Je suis d'accord avec vous, il ne devrait pas être membre du conseil. Vous êtes au courant du problème que nous avons eu récemment au Sénat. Les sénateurs sont nommés et le conseil est élu. Comment vous débarrassez-vous d'un mauvais administrateur? Je ne vois rien dans ce texte législatif concernant les infractions criminelles ou les choses de ce genre. Absolument rien. Un avocat a peut-être examiné la question.

M. Anders Bruun, secrétaire général et conseiller juridique, Manitoba Pool: On ne trouve rien dans la loi qui se rapporte spécifiquement à la destitution des administrateurs. Il sera possible d'avoir quelque chose dans les règlements. Il est également possible que le conseil lui-même adopte des règlements se rapportant à la conduite des administrateurs, par exemple, en matière de confidentialité, d'unité du conseil et ainsi de suite. Il faut aussi compter sur la dynamique qui se crée chaque fois que l'on regroupe 15 personnes autour d'une table. Si l'une d'entre elles est complètement à côté de la plaque, je suis certain que les 14 autres ne manqueront pas, de façon informelle, de contrôler ou de régler le problème. Je ne suis pas convaincu qu'il faille quelque chose de spécifique comme une disposition de rappel. Je pense qu'il existe des mécanismes qui permettent de gérer ce genre de situation.

Le sénateur Whelan: Si je me fonde sur mon expérience en matière de relations avec les ministres des Finances, j'aimerais qu'il y ait un peu plus de ministres impliqués dans les prises de décisions prévues par cette loi. Il devrait falloir passer par un comité avant de prendre ce genre de décisions, qui pourraient s'avérer difficiles. Quand je rencontrais le ministre des Finances chaque matin, j'avais l'habitude de le saluer bien bas et de lui dire: «Bonjour, mon Dieu.» Nous ne nous entendions pas très bien. Comme je l'ai dit, j'abonde dans le sens de presque tout ce que vous avez dit et je vous remercie pour votre mémoire.

Le sénateur Spivak: Vous avez mentionné l'article sur l'inclusion, mais il pose de nombreux problèmes. Aimeriez-vous qu'il soit supprimé? Si une association de producteurs était en faveur de l'inclusion, ne pourrait-on pas aller de l'avant sans qu'il en soit question dans la loi, vu les difficultés que cela pose du point de vue des groupements de producteurs? Il y a en outre «l'aspect politique» que cela introduit dans l'élection des administrateurs.

M. Swanson: Nous sommes bien sûr conscients du fait que cet article a généré beaucoup d'intérêt, mais nous pensons qu'on en a exagéré l'importance. Nous avons formulé des suggestions quant à la procédure qu'un groupe de producteurs devrait suivre, et éventuellement, un vote démocratique serait organisé afin de déterminer si en fait une culture quelconque devrait être incluse ou supprimée. Je ne pense pas qu'il soit possible de s'opposer à la démocratie.

Le sénateur Spivak: Des craintes ont été exprimées lors de nos audiences dans d'autres villes concernant, par exemple, la représentation des producteurs de canola. Un producteur de canola est-il quelqu'un qui a cultivé un peu de canola pendant quelque temps, mais ne le fait plus? Le sujet soulève de nombreuses et difficiles questions.

M. Swanson: Effectivement cela soulève des questions, mais je suppose que c'est la même chose que l'idée d'avoir une voix ou dix voix, suivant le montant d'impôts que l'on acquitte.

M. Bruun: Dans le débat sur le projet de loi C-4, on a souvent envisagé les choses par le petit bout de la lorgnette, si l'on peut dire. J'incite les sénateurs à se demander sérieusement où l'on aboutira au Canada si l'on accepte les arguments en faveur d'une commercialisation mixte, arguments qui reposent sur la liberté de choix. C'est très bien en théorie.

La remarque de M. Swanson concernant l'impôt sur le revenu est intéressante. Si une petite minorité faisant valoir la liberté de choix peut saper la commission du blé, il va sans dire qu'un petit groupe de salariés à revenu élevé, qui paient beaucoup d'impôts, auraient moralement et logiquement le droit de dire au gouvernement: «Nous devrions être autorisés à nous retirer du régime d'assurance-maladie, car nous préférerions de beaucoup gérer les choses nous-mêmes. Nous ne souhaitons pas nous prévaloir des soins médicaux proposés par le gouvernement, mais nous ne voulons pas non plus les financer par nos impôts et donc, nous demandons de pouvoir nous retirer de l'assurance-maladie en cochant une case chaque année sur notre formulaire de déclaration de revenus.» Cette argumentation est tout à fait conséquente avec celle qui est développée en faveur d'une commercialisation mixte et de la liberté de choix. Ce qui est véritablement en jeu, c'est: quel type de pays voulons-nous que le Canada devienne à l'avenir?

Le président: Dans le cadre de ces audiences, nous avons maintenant entendu les ministres des trois provinces. De nombreuses entreprises -- la liste est longue -- effectuent de nouveaux investissements dans notre pays. La situation du marché continental et du marché mondial est en évolution. N'y a-t-il pas un grand danger à ne pas réaliser que nous vivons à une époque de changements?

M. Bruun: Je comprends bien cela, comme un grand nombre d'agriculteurs, mais une vaste majorité d'entre eux préfèrent toujours qu'il y ait une Commission du blé.

Le président: La question n'est pas de savoir s'il devrait y avoir ou non une Commission du blé. Je suis d'accord là dessus, je pense.

M. Bruun: Ils préfèrent une Commission du blé dont la structure est, de façon générale, celle qui est actuellement la sienne.

Le président: Je pense que la plupart des agriculteurs sont en faveur d'une Commission du blé, mais tout en souhaitant disposer d'une certaine liberté de choix afin de pouvoir s'adapter aux changements qui se préparent.

M. Bruun: Je suis sûr que les présidents des cinq banques à chartes aimeraient avoir le choix de contribuer ou non au régime d'assurance médicale canadien. La logique est à 100 p. 100 la même.

Le président: Je donne maintenant la parole à M. Fred Tait, directeur du Syndicat national des cultivateurs.

M. Fred Tait, directeur, Syndicat national des cultivateurs, région du Manitoba: Mesdames et messieurs les sénateurs, je ne répéterai pas les choses qui ont été dites dans le mémoire présenté par notre président national à Saskatoon.

Quand on fait la revue du débat sur l'avenir de la Commission canadienne du blé, on se rend compte qu'en grande partie, l'opposition repose sur la thèse du complot, et M. Bruun vient tout juste, d'ailleurs de parler de liberté et de justice.

De fait, nous avons entendu des choses étranges. On nous a dit que l'orge Bedford, une variété canadienne destinée à l'alimentation animale, est en fait une variété d'orge brassicole et qu'elle pourrait remplacer la variété d'orge brassicole américaine Robust. Nous avons entendu des sociétés céréalières se plaindre du manque de liberté de choix des agriculteurs, tout en niant bien sûr avoir un intérêt à ce que la Commission canadienne du blé soit affaiblie. On a entendu tout récemment parler d'un complot à propos de l'internement des Japonais par le gouvernement canadien et de la confiscation des biens des agriculteurs sous la forme de leur grain.

En réalité, toutefois, une grande partie de l'opposition à la Commission canadienne du blé au cours des trois quatre ou cinq dernières années s'est avérée plus idéologique que factuelle. Dans la quasi-totalité des cas, quand on examine les plaintes et que l'on pousse au bout leur examen logique, on s'aperçoit qu'elles ne sont pas défendables.

Depuis quatre ou cinq ans que dure ce débat et particulièrement au cours des deux ou trois dernières années, je me suis totalement abstenu d'aborder ce genre de problèmes ou de réagir lorsque cela n'est pas productif. Cela détourne l'attention du public du vrai problème, qui est naturellement économique.

Il y a deux ou trois ans, j'ai recensé 11 questions que je considère très pertinentes dans le cadre de ce débat. Ce sont les suivantes:

Un marché mixte est-il un marché ouvert?

Comment fonctionnerait la Commission canadienne du blé sur un marché ouvert sans être propriétaire d'installations de collecte des grains?

La commission canadienne du blé serait-elle placée dans une situation concurrentielle désavantageuse sur un marché ouvert, si elle n'était pas propriétaire d'installations de collecte?

Dans un marché ouvert, les sociétés céréalières canadiennes offriraient-elles à la Commission canadienne du blé un accès sans restriction à leurs installations pour pénétrer des marchés que les compagnies céréalières convoitent elles-mêmes?

Une fois un marché ouvert créé, le gouvernement du Canada continuerait-il à garantir les acomptes de la commission du blé, sans que cette garantie soit jugée comme une subvention injuste dans un marché concurrentiel?

Quelle serait l'incidence d'un marché ouvert sur les prix de l'orge brassicole?

La commission canadienne du blé pourrait-elle continuer de fixer ses prix en fonction du marché dans un marché ouvert?

Dans un marché ouvert, tous les producteurs, indépendamment de leur taille et de leur implantation géographique jouiraient-ils d'un accès égal aux principaux marchés au comptant du monde?

Si un marché ouvert s'avérait avoir des conséquences négatives sur les céréaliers des Prairies, est-ce que les accords commerciaux, l'ALENA et l'ACCEU, permettraient le rétablissement de la vente à guichet unique du blé et de l'orge?

Les coûts de commercialisation des grains dans un marché ouvert sont-ils moindres que les coûts de commercialisation des grains par l'intermédiaire de la Commission canadienne du blé?

Enfin, dans un marché ouvert, quel pourcentage des grains des agriculteurs est commercialisé au prix record de ce marché?

J'étais d'avis que ces questions étaient alors pertinentes. Malheureusement, le débat s'est engagé dans d'autres directions, et je ne pense pas que ces questions aient été sérieusement examinées. Il s'agit toutefois des véritables questions qui se posent.

Pour la majorité des agriculteurs, le débat concernant la commercialisation des grains est d'ordre économique et non d'ordre idéologique. On peut sans doute tenir compte des arguments idéologiques qui ont probablement leur intérêt. En réalité, l'idéologie n'est pas une monnaie d'échange. C'est de l'argent qu'il faut pour payer les factures.

Quand j'examine la question du point de vue économique, je me base sur l'étude que vous connaissez tous, celle effectuée par Kraft, Furtan et Tyrchniewicz. Ils ont montré qu'entre 1980 et 1984, la surcote moyenne au-dessus du marché ouvert que la commission du blé a été capable d'obtenir était de 13,35 $ la tonne. Cela faisait 265 millions de dollars par an. Par ailleurs, ils ont trouvé 72 autres millions de dollars sur le marché de l'orge pour lequel la Commission canadienne du blé avait pu obtenir une surcote, principalement dans le secteur de l'orge brassicole, mais aussi dans celui de l'orge fourragère qui est exportée.

Cela s'est soldé par une augmentation annuelle moyenne du revenu de 337 millions de dollars pour les agriculteurs. Il faudrait aussi ajouter à ces 337 millions de dollars les intérêts que la commission du blé a pu économiser en empruntant de l'argent au taux d'escompte des bons du Trésor. En 1997, cela s'est soldé par 60 millions de dollars en plus. Quand on additionne tous ces chiffres, on arrive à une économie annuelle de 397 millions de dollars.

Si on passait à un marché ouvert ou même partiellement ouvert, on perdrait une partie ou la totalité des avantages ci-dessus mentionnés par Kraft, Tyrchniewicz et Furtan. Si l'on perd ces avantages, on diminue d'autant naturellement les revenus nets agricoles. Il n'y a pas d'autres sources possibles.

Il faudrait ajouter un autre coût d'exploitation, qui serait le coût de base habituel que l'industrie privée utilise comme outil de gestion des risques pour la collecte de notre grain. On peut présumer que cela se situerait autour de 9 $ la tonne.

Pour remettre le tout en perspective, disons que le niveau le plus élevé de revenu agricole net du Manitoba a été enregistré en 1987, et qu'il s'élevait à 400 millions de dollars. La commission canadienne du blé nous rapporte annuellement, rétributions d'intérêts incluses, 397 millions de dollars selon l'étude de Furtan et Tyrchniewicz.

Si l'on fait disparaître la Commission canadienne du blé ou si on l'affaiblit, on supprime foncièrement un montant de revenu agricole net qui, sur une année moyenne, peut être de 2 à 4 fois plus élevé que le total du revenu agricole net de la province du Manitoba.

Que ferions-nous en tant qu'agriculteurs si cela venait à se produire? Nous ferions ce que nous avons toujours été forcés de faire. Nous aurions recours à ce qu'on appelle une rationalisation. Quand le revenu par unité de production diminue le revenu net, nous rationalisons nos activités en les regroupant dans des fermes de plus en plus grandes. Il n'y a pas d'autre solution. C'est la seule. Le nombre des fermes diminuerait, et de façon spectaculaire.

Le revenu agricole net aussi récemment qu'en 1995 était, au Manitoba, de 2 500 $. Cela donne une idée de ce qu'il adviendrait si l'on prélevait près de 400 millions de dollars du système.

Le regroupement des activités agricoles crée en soi d'autres très graves problèmes. Au fur et à mesure que les exploitations s'agrandissent, on constate une augmentation de la dépendance à l'égard des soi-disant technologies agricoles. À une certaine échelle, on peut utiliser le bétail et la rotation des cultures ainsi que les cultures herbagères et ainsi de suite pour gérer les terres. Toutefois, quand on exploite des milliers d'acres, on dépend davantage des produits chimiques, des fertilisants, des pesticides et des désherbants. Et l'on se retrouve à faire cela de façon régulière, précisément au moment où les consommateurs de notre pays font preuve de plus en plus de méfiance à l'égard des risques que présentent les aliments et de la sagesse du modèle agricole que nous utilisons.

On peut aussi ajouter au programme les formes de vie génétiquement modifiées couvertes par la protection des obtentions végétales: on voit des sociétés modifier génétiquement des plantes de façon à ce qu'elles soient dépendantes de l'utilisation de leurs produits chimiques pour leur culture. La plus récente trouvaille, annoncée pas plus tard que la semaine dernière, est un nouveau produit chimique qui sera répandu sur les semences si bien qu'elles ne germent qu'une fois. Les descendants de ces semences seront neutres. Nous sommes en train de devenir dépendants d'un système, un système que nous n'avons certainement pas souhaité.

On envisage également dans le cadre de ce scénario, ce qu'on qualifie de rationalisation de la collecte et du transport des grains. On est en train de passer de plus de mille points de livraison à, selon certains, un minimum de 135 dans les trois provinces des Prairies, tout dépendant du modèle que l'on envisage. D'autres soutiennent que le nombre des points de livraison se situera autour de 320. Est-ce ce qu'on entend par efficacité?

Daryl Kraft, de l'Université du Manitoba, va encore plus loin. Il soutient dans son analyse que la concentration de la propriété dans l'industrie de la collecte des grains ira grandissant et aboutira à un maximum de trois sociétés céréalières, peut-être même deux.

Si l'on fait disparaître la Commission canadienne du blé de ce scénario ou si l'on réduit son rôle dans cette équation, que reste-t-il? On se retrouve avec des monopoles locaux. En tant que producteurs individuels, nous ne disposerons d'aucun moyen d'action dans un tel scénario. Les choses deviennent plus compliquées.

En décembre dernier, le General Accounting Office du Congrès américain a envoyé une délégation enquêter à Winnipeg pour voir si la Commission canadienne du blé se livrait à des pratiques commerciales déloyales, à la sous-estimation des prix, et cetera. Le Syndicat national des cultivateurs a rencontré les représentants du General Accounting Office. En une seule occasion, j'ai pu me rendre compte que nous avions un impact sur leur vision des choses, à savoir: je leur ai parlé de nos moyens dans le domaine de la collecte du grain au Canada. Nous avons la capacité de collecter un boisseau sur 10 boisseaux que nous produisons. Aux États-Unis, le rapport est d'un boisseau sur deux. Un membre du General Accounting Office a déclaré: «Oui, bien sûr, mais monsieur Tait, ne pourriez-vous pas changer cela et copier le système américain?» J'ai répondu que le système américain avait été mis en place aux frais de la population et qu'en vertu des accords commerciaux, ce serait considéré comme une aide publique.

Si l'on veut vraiment semer la pagaille, voir le grain traverser la frontière et causer de nombreux problèmes politiques dans les États du nord des États-Unis, il n'y a qu'à toucher à notre système. Notre système n'a pas été conçu -- et il n'a pas non plus la capacité nécessaire -- pour répondre aux pointes de demandes qui se produisent dans le cadre d'un marché ouvert.

Si le prix du blé atteignait aujourd'hui un sommet et que notre système ne pouvait pas y faire face -- et il ne pourrait pas faire face à une telle situation -- il y aurait des pressions incontrôlables qui s'exerceraient pour que l'on expédie ce blé aux points de commercialisation de remplacement les plus proches, qui se trouveraient être aux États-Unis. Le General Accounting Office a trouvé cet argument logique.

Quelques mots au sujet de l'article sur l'inclusion. Mon opinion, après avoir lu le texte de l'ALENA et de l'ACCEU, et sans vouloir me poser en expert, est que si l'on essayait de faire passer sous la tutelle de la commission du blé une céréale majeure, nous ferions face à une contestation de la part des États-Unis, en particulier. Je considère que cela est contradictoire.

M. Goodale a parlé de l'article sur l'inclusion. En fait, cet article s'est retrouvé dans l'accord suite aux pressions exercées par le Syndicat national des agriculteurs. Nous avons jugé que les choses n'étaient pas équilibrées. Il y avait un article qui autorisait l'exclusion de grains, sans qu'il y ait quoi que ce soit qui permettait d'ajouter des grains pour rééquilibrer les choses. Même maintenant, le processus permettant d'exclure des grains est beaucoup plus généreux que celui qui autorise l'inclusion. Je me demande pourquoi un ministre mentionnerait un article sur l'inclusion, alors qu'un ministre du même gouvernement parle de signer l'Accord multilatéral sur les investissements qui rendrait cet article sur l'inclusion tout à fait illégal. Je soupçonne que l'on en train de se moquer de nous. Il n'y a pas d'autre explication à une telle contradiction.

Il a suggéré que nous fassions pression sur le ministre si nous souhaitions ajouter des grains au champ de compétence de la commission. C'est intéressant. Cela éviterait au gouvernement de se trouver dans une situation fort embarrassante. Si les agriculteurs votaient d'ajouter le seigle ou l'avoine ou une autre sorte de canola et que le gouvernement répondait: «Désolés, malheureusement, suite aux négociations, ces grains ont été exclus», la démocratie serait en crise.

Comment pourrait-on éviter cela? On changerait la disposition et on ferait pression sur le ministre. Le ministre nommerait probablement un groupe d'experts, qui étudieraient la question et organiseraient des audiences publiques, et rien n'en sortirait jamais. Voilà ce qui risquerait d'arriver, selon moi.

Le premier ministre du Manitoba et la Chambre de commerce disent que l'inclusion d'autres grains dans le champ de compétence de la Commission canadienne du blé provoquerait une baisse de l'emploi dans l'industrie du grain ici, à Winnipeg. Il y a encore une fois deux poids deux mesures. Tout ce qu'a entrepris le gouvernement provincial au cours des dix dernières années allait dans le sens d'une plus grande efficacité et d'une compression de la main-d'oeuvre. On applique le critère opposé aux cultivateurs de grain en disant: «Si l'on incluait plus de grains, il faudrait employer moins de gens pour le vendre». Je répondrai: «Très bien. Je bénéficierai peut-être des économies qui en découleront».

Les sénateurs voudront probablement poser des questions. Je vous ai fait part de mes réflexions générales et particulières sur ce qui risque de se produire si l'on adopte ce projet de loi.

Le sénateur St. Germain: Pourriez-vous me dire, monsieur, quel est le pourcentage des céréaliers dans votre organisation? Quel est le nombre de vos adhérents?

M. Tait: Je ne peux vous donner une ventilation, car notre organisation est d'envergure nationale, comptant des membres de l'Île-du-Prince-Édouard à la région de Peace River. Nous représentons toutes les disciplines, des arboriculteurs et agriculteurs biologiques aux éleveurs de bovins et de volailles. Toutes les branches de l'agriculture sont représentées au sein du Syndicat national des cultivateurs.

Je pense que vous voulez savoir qui nous représentons. Je considère que le Syndicat national des cultivateurs n'est pas différent d'un parti politique. Nous avons un processus par lequel nous élaborons une politique, et nous présentons cette politique au public. Le public décide s'il la considère légitime. Quand on compare les dossiers que nous avons défendus et l'opinion exprimée par la population par un processus démocratique, on s'aperçoit que la population a appuyé les positions adoptées par le Syndicat national des cultivateurs.

Le plus récent exemple est le plébiscite sur l'orge, les transports, le maintien de la gestion des approvisionnements, la tentative de conserver la vente à guichet unique pour le porc au Manitoba. Nous avons invariablement été du côté de la majorité. Bien que nous soyons pas une grande organisation et que nous ne comptions pas parmi nos membres la majorité des agriculteurs, nous pouvons sans hésiter déclarer que nous avons à maintes reprises été en mesure d'exprimer les sentiments de la majorité des agriculteurs.

Le sénateur St. Germain: J'ai posé la question car j'ai travaillé dans l'agriculture, comme éleveur de poulets et de bétail, et producteur de plants de pommes de terre, et jamais aucune information ou documentation sur ce type d'activité ne me sont parvenues. Disposez-vous de statistiques sur les diverses catégories professionnelles, sur les éleveurs de porcs, les céréaliers?

M. Tait: Oui, au bureau national du syndicat. Je ne les ai pas en tête. Nous avons effectué une étude approfondie de nos adhérents au cours de l'année écoulée et recensé tout ce qui pouvait l'être, des structures familiales aux produits de base. Ces informations sont disponibles.

Le sénateur St. Germain: Vous avez mentionné dans votre exposé quelque chose au sujet des pressions exercées par Wayne Easter qui entraînèrent l'insertion de l'article sur l'inclusion dans la loi. Je ne me trompe pas?

M. Tait: Selon moi, s'il y a un moment où l'article sur l'inclusion est devenu inévitable, c'est lors des audiences publiques organisées ici, à Winnipeg, en avril dernier, sur le projet de loi C-4. Témoin après témoin ont fait remarquer que la démocratie exige que s'il y a une loi qui permet l'affaiblissement d'une institution publique, il devrait également y avoir un article qui permet le renforcement de cette institution publique. Il n'y a rien de plus logique.

Wayne Easter s'est peut-être fait le champion de cet article ultérieurement, mais ce n'était pas son idée. L'idée est venue de gens d'ici, au Manitoba, appartenant, si je ne me trompe pas, au Syndicat des cultivateurs.

Le sénateur St. Germain: Des membres de votre syndicat?

M. Tait: Oui.

Le sénateur Spivak: Je voudrais poser une question au sujet de l'article sur l'inclusion. Le problème semble se poser au niveau de la façon dont le vote se déroulera, de la définition d'un producteur, et cetera. Je crains que, comme c'est devenu une question chaudement débattue, elle risque de polariser l'élection, les pour d'un côté et les contre de l'autre, alors qu'on voudrait trouver les gens les plus aptes à gérer l'organisme.

Pensez-vous toujours qu'il est nécessaire que cela se trouve dans la loi ou ne pourrait-on pas atteindre le même objectif en l'excluant de la loi, mais en permettant au conseil d'administration élu de régler ce dossier? J'ai l'impression que si un groupe veut véritablement que ses grains soient inclus, ils le seront. J'ai des craintes au sujet de cet article pour les raisons que j'ai déjà mentionnées.

M. Tait: L'article sur l'inclusion a effectivement été édulcoré après les audiences publiques de novembre à Ottawa, à la suite de la présentation que j'ai faite avec Darrin Qualman. C'est ce que l'on nous a dit. Il n'y a aucune raison pour laquelle un organisme agricole général comme Keystone Agriculture Producers, Wild Rose ou le Syndicat national des agriculteurs ne pourrait pas provoquer un vote sur l'article sur l'inclusion. Nous ne sommes pas des innocents. Nous n'essaierions pas de provoquer quoi que ce soit si nous ne pensions pas pouvoir réussir. Si les adversaires de notre point de vue pensent que nous avons tort, je serai heureux de pouvoir leur offrir la possibilité de nous mettre dans l'embarras dans le cadre d'un processus libre et démocratique.

Vous avez mentionné la polarisation. Il y a effectivement polarisation. Il y a une polarisation qui touche tout l'éventail politique. La façon dont la Commission canadienne du blé a été attaquée ne pouvait qu'entraîner une polarisation. Il s'agit d'une institution qui existe depuis 60 ans. Elle est bien établie dans nos communautés. Quand les gens se mettent à l'attaquer en recourant à des arguments irrationnels, émotifs et idéologiques, on aboutit à une polarisation. Il est regrettable que cela ce soit produit. C'est pourquoi j'ai choisi de m'abstenir et me suis efforcé de me concentrer sur les 11 questions que j'ai mentionnées. Toutefois, je n'accepte pas qu'un ministre fasse pression sur un autre ministre. Cela ne ressemble que de loin à la démocratie et cela affecte le revenu agricole net de ma communauté. Les changements apportés à la commission peuvent potentiellement totalement dévaster ma communauté et la collectivité en général à cause du montant de revenu net que l'on en soustraira.

Le sénateur Whelan: L'Office de commercialisation du blé de l'Ontario, l'industrie minotière, a fait opposition. C'est probablement là que l'on trouve plusieurs des plus petites et naturellement des plus grandes industries minotières. On y rencontre des petits meuniers qui s'opposent au projet de système à double prix. Ce n'est pas encore devenu une loi, donc il ne s'agit pas d'un fait accompli.

M. Tait: Vous avez parfaitement raison. L'Ontario Federation of Millers n'est pas en faveur d'un quelconque régime de commercialisation mixte, disent-ils, alors qu'à notre avis, l'option de la déclaration hors-office, c'est la même chose. La Fédération préférerait que l'on conserve le statu quo au niveau de la commercialisation ou que l'on opte pour un marché entièrement libre. C'est ce que dit leur lettre. Je sais ce qu'ils veulent dire. L'incertitude que cette commercialisation mixte que l'Ontario a cru bon d'établir rend les meuniers nerveux en ce qui concerne la disponibilité d'approvisionnements futurs. Afin de se protéger, ils devront probablement effectuer d'importants investissements, comme l'on fait les malteurs américains.

Le sénateur Whelan: De plus, ils ne connaissent pas le prix que verseront leurs concurrents, et ils se trouvent extrêmement désavantagés.

M. Tait: C'est ce qu'ils prétendent: ils disent que la transparence des prix a disparu.

Le sénateur Whelan: Ils étaient tous traités sur un pied d'égalité auparavant.

M. Tait: C'est vrai, vous avez tout à fait raison.

Le président: Les témoins suivants, qui représentent l'United Grain Growers, sont M. Ted Allen, président, et Blair Rutter, analyste de la politique. Je crois savoir que vous voulez faire un exposé et nous passerons ensuite aux questions.

M. Ted Allen, président, United Grain Growers: Nous serons brefs de manière à ce qu'il y ait le maximum de temps pour vos questions.

Nous envisageons cette mesure législative de façon plutôt sommaire pour le moment. Permettez-moi de rappeler au départ que l'UGG considère que ce projet de loi comporte d'énormes lacunes. Ses dispositions relatives à la gestion signifient au fond que le gouvernement fédéral continuera à diriger les affaires de la CCB et que le rôle du prétendu conseil d'administration sera, de fait, principalement consultatif.

Le principal défaut de cette mesure législative, toutefois, est qu'elle proroge le caractère obligatoire de la CCB. Cet aspect de la loi va véritablement à l'encontre de la longue tradition agraire de liberté d'association qui a cours dans l'Ouest canadien. L'un des principes fondamentaux d'une société libérale et démocratique est la possibilité, pour ses citoyens, de s'associer librement et volontairement.

Les agriculteurs de l'Ouest possèdent une longue et honorable tradition en matière de liberté d'association. Il n'est donc pas surprenant que de plus en plus d'agriculteurs de l'Ouest exigent d'avoir la même liberté en ce qui concerne la commercialisation de leur blé et de leur orge.

De nombreux sondages, y compris les deux que l'UGG a commandés à un institut de sondage professionnel en 1993 et 1994, démontrent qu'une importante majorité d'agriculteurs sont en faveur d'un système facultatif. Le groupe d'experts du gouvernement sur la commercialisation du grain de l'Ouest en est venu à la même conclusion et a recommandé un compromis viable au gouvernement, après une série de consultations approfondies dans l'Ouest du Canada.

Il est tout à fait regrettable que le gouvernement et la Chambre des communes aient choisi d'ignorer ces recommandations on ne peut plus claires.

Nous faisons remarquer que les producteurs de blé de l'Ontario vont bientôt avoir la possibilité de se soustraire au régime de commercialisation provincial, tout du moins en ce qui concerne les ventes aux États-Unis. Nous ne pensons pas qu'il existe un autre produit de base dont les producteurs, dans une certaine région du pays, bénéficient d'un accès préférentiel à un marché d'exportation, alors que les producteurs d'une autre région n'ont pas ce privilège.

Nous vous demandons respectueusement, mesdames et messieurs les sénateurs, de faire en sorte que cette injustice ne prévale pas. Les agriculteurs de l'Ouest doivent bénéficier des mêmes privilèges d'accès que ceux des autres régions du Canada.

L'UGG considère que les dispositions obligatoires de la Loi sur la Commission canadienne du blé représentent sont inacceptable car elles vont à l'encontre des droits des agriculteurs relatifs à la possession et à la jouissance de leurs biens. Le droit de posséder, d'utiliser et de vendre une propriété privée est l'un des principaux fondements de toute société démocratique. Les agriculteurs ne font qu'exiger la même liberté fondamentale que vous ou moi prenons pour acquis.

Même si une majorité d'agriculteurs étaient actuellement en faveur d'une forme de commercialisation obligatoire, et nous ne pensons pas que ce soit le cas, nous ne considérons pas que cela soit une raison suffisante pour imposer la volonté de la majorité à la minorité. De fait, un des moyens de juger si une société est civilisée est la manière dont la majorité traite ceux qui ont des opinions différentes des leurs.

Au Canada, nous nous enorgueillissons du fait que les droits fondamentaux, comme le droit de propriété et de jouissance, ne sont pas bafoués par la majorité. Soyons clairs: l'UGG ne cherche pas à enlever quoi que ce soit à ceux qui souhaitent commercialiser leur grain collectivement. Ils doivent être libres de le faire. Mais ceux qui souhaitent commercialiser leur grain individuellement devraient aussi être libres de le faire.

Les historiens de l'agriculture ne manqueront pas de manifester un grand intérêt pour cette période de l'histoire du Canada. À notre avis, ils trouveront certains de ses aspects fascinants. La décision de l'État d'emprisonner pendant des mois des citoyens généralement respectueux de la loi, dont le seul crime a été la désobéissance civile non violente à des lois et règlements qu'ils considèrent comme injustes, est une facette intéressante de cette période. De même, le silence impressionnant des défenseurs des libertés civiles face à cette mesure, simplement parce qu'elle ne rentre pas dans leur notion préconçue de ce qui constitue un abus des libertés civiles, s'avérera aussi intéressante.

La formidable dichotomie d'un gouvernement prétendument libéral, qui est prêt d'un côté, à se montrer extrêmement respectueux des libertés civiles d'auteurs d'actes de violence à l'égard de leurs concitoyens, tout en n'hésitant pas à incarcérer pendant de longs mois des protestataires non violents qui n'ont commis, au pire, que des crimes sans victime, devrait également être jugée fascinante.

En conclusion, nous attendons avec impatience les changements que vous et vos collègues pourraient apporter à cette mesure législative, et dont nous vous félicitons d'avance. Vous et vos collègues ont eu une occasion unique de rehausser la réputation du Sénat en tant que commission de sages. Ce dossier n'est pas particulièrement politique, mais de nature beaucoup plus philosophique que la plupart. Nous croyons que la réputation du Sénat en sortira grandie s'il renvoie cette mesure législative à la Chambre des communes après avoir apporté des amendements qui en comblent les principales lacunes.

Je vous remercie de votre temps et de votre attention. Nous serons heureux de répondre à vos questions.

Le président: Au cours de ces audiences nous avons entendu entre 110 et 115 témoins, dont beaucoup qui réclamaient des choix. Nous cédons actuellement nos grains, en tant qu'agriculteurs, à la commission du blé. Si l'on accordait aux agriculteurs la possibilité de vendre un pourcentage de leur blé ou tout leur blé ou pas de blé du tout, le cas échéant, en vertu du système de contrat, pensez-vous que la commission du blé survivrait? Je pense que oui. Certains s'engageraient à vendre tout leur grain à la commission du blé, d'autres ne lui vendraient rien du tout et certains pourraient s'engager à en vendre 25 p. 100. Je crois comprendre que c'est à peu près la façon dont les choses vont se passer en Ontario. On leur permettra de vendre aux États-Unis. Ne serait-ce pas une manière de débloquer les choses et de satisfaire toutes les parties prenantes?

M. Allen: Je répète que nous croyons que le minimum absolu est de traiter les agriculteurs de la même façon dans toutes les régions du pays. Nous considérons que les agriculteurs de l'Ouest doivent jouir des mêmes droits que ceux de l'Ontario en ce qui concerne l'accès à ces marchés.

Pour ce qui est de la survie de la Commission canadienne du blé, nous trouvons fascinant que la commission australienne du blé ait instauré, sur le marché national, un système facultatif depuis maintenant plusieurs années, avec d'excellents résultats. La commission occupe 60 p. 100 du marché des céréales alimentaires et 20 p. 100 du marché des grains fourragers. Le système fonctionne très bien. Nos adversaires prétendent que les choses sont quelque peu différentes du fait que l'Australie est une île. Toutefois, je vous rappelle qu'une frontière internationale joue le même rôle qu'un océan pour ce qui est de la façon dont on fait du commerce.

Le sénateur Hays: Je vous remercie de votre présentation. Elle est très utile.

J'aimerais enchaîner sur la question du sénateur Gustafson. Nous avons entendu trois ministres de l'Agriculture. Celui de l'Alberta a dit, en gros, que nous devrions soit retarder l'adoption de ce projet de loi, soit faire en sorte qu'il prévoie une commercialisation mixte ou une liberté de choix. Les ministres de la Saskatchewan et du Manitoba pensent que le projet de loi C-4 va dans le bon sens si l'on veut faire de la commission un organe différent de ce qu'il est actuellement. Pensez-vous que le comité devrait suggérer au Sénat de choisir la position de l'Alberta plutôt que celle des deux autres provinces? Est-ce ce que nous devrions faire?

M. Allen: Nous sommes d'avis, compte tenu du message sans équivoque que ne cessent de nous transmettre nos membres depuis plusieurs années, qu'un système facultatif assurerait l'avenir de la commission du blé plus qu'il ne la menacerait. De fait, cette solution sera plus susceptible de pérenniser la commission car, comme toutes les autres institutions et tous les éléments de notre société, elle doit évoluer et s'adapter avec le temps aux réalités changeantes de notre monde.

Le sénateur Hays: Même si deux des trois ministres ne veulent pas que cela se produise?

M. Allen: À vrai dire ce n'est pas clair. De fait, je ne pense pas que ce soit vrai. En effet, la question qui a été posée lors du plébiscite n'était pas: «Souhaitez-vous un système facultatif», bien qu'un grand nombre des intéressés ait imploré le ministre de poser précisément cette question, mais: «Souhaitez-vous que la commission du blé abandonne totalement la commercialisation de l'orge ou souhaitez-vous lui accorder le contrôle total?»

La troisième option, comme nos sondages de 1993 et 1994 l'ont montré -- nous n'avons pas effectué ces sondages nous-mêmes, mais nous les avons commandés à un institut de sondages professionnel indépendant -- a révélé qu'une majorité d'agriculteurs des trois provinces des Prairies, et même les clients de certaines entités qui s'opposaient en partie à ces changements, étaient en faveur de systèmes facultatifs. Cette question n'a jamais été posée aux agriculteurs. L'argument avancé était que c'était inutile parce qu'elle était irréaliste. Je pense que c'était quelque peu présomptueux car manifestement, c'était bien la question sous-entendue que les agriculteurs ont prise en compte au moment du vote.

Le sénateur Hays: Je voulais éviter de discuter de cela car il en a beaucoup qui prétendent parler au nom de la majorité et qui ont des raisonnements différents. Nous avons eu de très longues discussions sur les deux plébiscites, ainsi que sur les sondages privés et ainsi de suite. Tenons-nous en à l'opinion des trois ministres, à la façon dont ils interprètent leurs responsabilités, l'un d'entre eux nous dit de ne pas adopter le projet de loi. Je vous demanderais donc, je suppose, et le sénateur Gustafson l'a fait remarquer, quelle est la logique qui permettrait d'ignorer deux des ministres et de prendre l'avis de celui qui est minoritaire.

M. Allen: Pour vous donner une idée de l'évolution des choses entre des deux sondages de 1993 et 1994, nous avons demandé combien d'agriculteurs souhaiteraient que la commission abandonne toute participation aux activités de commercialisation. Dix à 12 p. 100 d'entre eux se sont déclarés en faveur de cette option. Or, quand on considère les résultats du vote au moment du plébiscite sur l'orge, on est stupéfié de voir tant d'agriculteurs en faveur du désengagement total de la commission dans la commercialisation de l'orge. À mon avis, cela reflète une évolution importante de l'opinion publique à ce moment là.

Le sénateur Hays: Je présume que j'ai été impressionné par le scepticisme du ministre du Manitoba au sujet des plébiscites et des votes. Il ne l'a pas dit, mais il semble que vous seriez prêt à en organiser un tous les ans, voire deux par an, si vous souhaitiez utiliser cela comme moyen de décider s'il y a ou non des ventes à guichet unique.

En ce qui concerne l'indépendance du conseil d'administration, pouvez-vous nous expliquer comment vous percevez la Commission canadienne du blé telle qu'elle est actuellement constituée et la façon dont elle le serait en vertu du projet de loi C-4? Je sais que ce n'est pas le cas et que cela ne le sera peut-être jamais, mais présumons que conseil joue un rôle déterminant dans l'embauche et le licenciement du directeur général. Est-ce que le gouvernement jouerait, selon vous, le même rôle vis-à-vis d'une commission du blé, telle qu'elle est actuellement constituée, qu'auprès d'une commission du blé qui serait gouvernée par un conseil d'administration?

M. Allen: La commission du blé actuelle est fascinante, du fait que la loi stipule qu'il doit y avoir entre trois et cinq commissaires, dont aucun n'est le directeur général, et qu'ils sont responsables devant le Parlement. Les mécanismes qui les rendent responsables sont quelque peu flous. En pratique, la commission du blé et ses partisans, quand il leur arrive de temps à autre de ne pas être d'accord avec le ministre, déclarent: «Nous ne relevons pas du ministre; nous relevons du Parlement par l'intermédiaire du ministre». Ce mécanisme n'est pas clairement défini. Je pense que la situation actuelle est tout à fait insatisfaisante.

Cette mesure législative tente de s'attaquer à ce problème. Malheureusement, cet effort est lui-même vicié. En vertu de la loi, un directeur général, sachant qu'il est nommé par le ministre qui peut aussi le destituer, sera moins porté à s'occuper de son conseil d'administration et de ses directives en ce qui a trait au fonctionnement de l'organisme.

Il y a aussi les autres articles qui montrent clairement que ce sera le gouvernement qui tirera les ficelles à certains égards. En outre, on trouve une disposition générale qui précise que le conseil se pliera à toutes les volontés du gouvernement. Cette disposition recouvre un large éventail d'éventualités. Je ne peux pas concevoir que ce conseil d'administration fonctionne comme un conseil d'administration normal. Il agira plutôt à titre consultatif.

Le sénateur Hays: Ce que vous nous dites nous sera utile pour interroger le ministre ou en tout cas, ses collaborateurs, au sujet de vos appréhensions. Pour que les choses soient bien claires, la commission du blé, telle qu'elle existe actuellement avec ses commissaires, entretient avec le gouvernement des relations en vertu desquelles elle peut décider de passer outre -- et elle a effectivement passé outre -- l'obligation de suivre les directives du gouvernement, mais en vertu du projet de loi C-4, ce serait le gouvernement qui pourrait effectivement gérer la commission ou pensez-vous que ce serait le conseil d'administration qui dirigerait la commission?

M. Allen: Pour être clair, je dirais que la responsabilisation serait plus clairement définie, mais que malheureusement elle s'exercerait beaucoup plus à l'égard du gouvernement que du conseil d'administration.

Le sénateur Hays: J'aurais une brève question au sujet du vérificateur général. Vous souhaitez que la commission du blé soit soumise à une vérification de l'optimisation des ressources ou à une vérification intégrée. Est-ce bien votre position?

M. Allen: Nous pensons qu'il n'y a pas de raison que le vérificateur général ne puisse pas avoir accès aux livres de la commission, afin d'assurer la population que cette entité est gérée correctement et sagement. Ce n'est pas que les gens pensent qu'elle n'est pas gérée de cette façon, mais il est bon qu'un tiers indépendant qui représente les contribuables puisse le vérifier. C'est précisément la raison pour laquelle, au départ, on a mis en place un bureau du vérificateur général. Que la commission en soit exemptée nous paraît plutôt bizarre. Elle devrait également être tenue de répondre aux demandes qui lui sont adressées en vertu de la Loi sur l'accès à l'information. En cas de demandes d'accès à de l'information, les documents sont toujours transmis aux parties concernées, et celles-ci peuvent se prévaloir de motifs d'exemption à l'égard de certaines informations demandées dans le cadre de ladite demande, ce qui fait que le principe de confidentialité commerciale, par exemple, ne poserait pas de problèmes en l'occurrence. Je ne parviens pas à comprendre pourquoi, dans le cadre des règles existantes, les demandes formulées en vertu de la Loi sur l'accès à l'information ne peuvent pas être traitées par la commission de la même manière qu'elles le sont par n'importe quel autre organisme gouvernemental.

Le sénateur Spivak: Je voudrais savoir quelque chose au sujet de l'Union des producteurs de grains. Vos membres sont-ils pour la plupart des producteurs ou pour moitié des producteurs? Quels autres types d'institutions font partie de vos membres et comment êtes-vous financés?

M. Allen: Nos membres sont tous des producteurs. Nos actionnaires sont en partie des producteurs et en partie des investisseurs canadiens et étrangers très diversifiés.

Le sénateur Spivak: Quelle est la structure de votre société?

M. Allen: Il s'agit d'une société cotée en bourse avec des actions de classe B, ce qui une voix par actionnaire. Toutefois, nous sommes relativement uniques du fait que notre association est très ancienne et qu'elle a été créée par une loi du Parlement. Quand nous avons décidé d'émettre des actions dans le public, il nous a fallu demander l'aval du Parlement. À cet égard, j'aimerais ajouter un post-scriptum. La modification de notre statut légal est partie du Sénat, et je tiens à remercier à nouveau le Sénat de s'être montré très coopératif pour nous permettre de faire cette transition.

Quoi qu'il en soit, la caractéristique particulière des sociétés qui ne relèvent pas de la Loi sur les sociétés par actions est que 12 de nos 15 administrateurs sont élus non pas par nos actionnaires, mais par nos membres, qui sont tous des agriculteurs, à l'occasion d'une assemblée.

Le sénateur Spivak: Combien de membres avez-vous approximativement?

M. Allen: Nous devons en avoir environ 40 000.

Le sénateur Whelan: J'ai suivi très attentivement l'association de United Grain Growers avec Archer Daniels Midland. Quel contrôle exercent-ils sur vous, le président de United Grain Growers, le cas échéant?

M. Allen: Ils disposent de deux sièges au conseil d'administration. Ils sont impliqués dans une certaine mesure non pas dans un groupe de gestion, mais dans un comité de direction des activités du secteur céréalier de l'entreprise.

Le sénateur Whelan: Votre société a-t-elle été poussée par des facteurs économiques dans cette coentreprise?

M. Allen: Nous réalisions depuis quelque temps que nous étions une entreprise extrêmement vulnérable du fait de la très forte diversification de ses actionnaires et nous pensions aussi que nous avions besoin d'entretenir des liens avec des transformateurs en aval. Nous avions de solides liens avec les agriculteurs en matière d'approvisionnement en grain, mais nous pensions que nous devions renforcer nos relations avec les transformateurs de l'autre côté du silo, si l'on peut dire. Parallèlement, nous avons accéléré le processus à cause d'une offre publique d'achat inamicale lancée par un petit groupe de nos concurrents.

Le sénateur Whelan: S'agissait-il de concurrents canadiens?

M. Allen: Tout à fait.

Le sénateur Whelan: Je savais que c'était le cas. Pour revenir à votre comparaison avec l'Australie, j'habite, comme vous le savez, juste à la frontière, et les producteurs de grain peuvent se rendre dans l'Ohio avec leurs gros semi-remorques si Archer Daniels Midland ne leur offre pas un prix raisonnable en Ontario. Votre comparaison avec l'Australie est un peu bizarre du fait que les camions australiens ne peuvent pas aller nulle part ailleurs. Il s'agit d'une situation très difficile.

M. Allen: J'essayais simplement de faire remarquer que l'Australie possède un système facultatif pour son marché national, et que les choses semblent bien se passer. À ceux qui disent qu'un système facultatif ne peut pas fonctionner ou qu'il détruirait une organisation qui est soutenue par un grand nombre de producteurs, ainsi que par les producteurs qui souhaitent une mise en commun des prix et avoir affaire à un intermédiaire honnête pour commercialiser leur produit, on peut répondre que la solution australienne semble très satisfaisante.

Le sénateur Whelan: Sur le marché intérieur, les Australiens n'ont pas d'autre solution. Ils ne peuvent pas menacer de traverser la frontière, comme c'est le cas en Ontario, avec le Michigan et l'Ohio, et partout dans les provinces des Prairies. Ce n'est pas une comparaison équitable en ce qui nous concerne. Les Australiens ne peuvent pas dire: «Mon Dieu, on porte atteinte à un droit démocratique», car il leur serait difficile de charger un navire de grains et de menacer de l'exporter.

Quand les producteurs de Keystone ont comparu aujourd'hui, ils ont déclaré représenter 7 500 agriculteurs. Le Manitoba Pool a dit ici qu'il représente 16 000 personnes. Ils ont dit qu'il y avait de la concurrence. Ont-ils tous tort?

M. Allen: Vous me rappelez quelqu'un que j'aime beaucoup, Jean-Luc Pépin. Je me rappelle qu'au début des années 80, au commencement des débats sur la subvention du Nid-de-Corbeau, il recourait au même genre d'arguments, mais les chiffres étaient gonflés, et il se peut qu'il y avait plus d'agriculteurs à l'époque. Il disait, vous représentez un nombre X d'agriculteurs et cet organisme en représente tant, et quand il additionnait les chiffres, on se retrouvait avec un demi-million d'agriculteurs dans l'Ouest du Canada, alors que les données du recensement montraient qu'ils étaient beaucoup moins nombreux. Naturellement, la réalité est qu'un grand nombre d'agriculteurs sont membres de plusieurs de ces organisations. Elles ne s'excluent pas l'une l'autre.

Quand j'étais dans l'agriculture, j'étais membre de l'UFA Co-op, membre de Uni-Farm, membre de United Grain Growers et ainsi de suite. Je suppose que je figurais dans les statistiques de gens qui pouvaient très bien avancer des opinions divergentes. Jean-Luc Pépin s'en accommodait avec beaucoup d'humour. On s'en est beaucoup amusé, je pense.

Le sénateur Whelan: L'ancien premier ministre dont il était le secrétaire parlementaire avait pour habitude de demander: «Ne craignez-vous pas, en couchant avec Archer Daniels Midland, que l'éléphant décide de se retourner un jour.»

M. Allen: Rien n'est garanti dans la vie. Ceux d'entre nous qui prétendent le contraire se leurrent. Au fur et à mesure que cette industrie se mondialise et se consolide -- ce sont des mots que les gens n'aiment pas et dont je ne suis pas très friand moi-même, mais on ne peut pas nier que cela soit en train d'arriver -- United Grain Growers peut devenir une entreprise plus forte et plus rentable en créant ses liens en amont et en aval de la chaîne alimentaire.

Le sénateur Whelan: Puis-je vous poser une question au sujet des deux administrateurs qui représentent Archer Daniels Midland à votre conseil? Sont-ils canadiens?

M. Allen: Non.

Le président: J'ai une question dans le prolongement de celle qu'a posée le sénateur Whelan et qui a avoir avec l'équité d'une situation où le grain de l'Ontario peut être expédié vers le sud, alors qu'il ne nous est pas possible d'en faire autant dans l'Ouest du Canada. Avez-vous entendu des commentaires à ce propos?

M. Allen: Encore une fois, si le projet de loi est adopté, je pense que l'on aboutira à une situation tout à fait indéfendable, non du point de vue de la commercialisation du grain, mais au plan du traitement équitable de tous les citoyens d'un bout à l'autre du pays. Je pense qu'il s'agit d'une question fondamentale pour notre démocratie.

Le sénateur Whelan: Pour être bien clair au sujet de ce que vient de dire mon coprésident, ils ne pourront pas expédier le grain en toute liberté. Ils devront obtenir un permis de la commission du blé, et cetera, pour passer la frontière là-bas, de la même façon qu'ils le font quand ils traversent la frontière ici. Ils devront suivre la même procédure. De plus, ce n'est pas encore une loi.

M. Allen: La grosse différence c'est qu'en Ontario, quand la loi sera en vigueur, l'agriculteur ontarien ne sera pas obligé de vendre son grain à la commission du blé puis de le racheter à un prix beaucoup plus élevé, comme c'est le cas dans l'Ouest, en vertu de la clause de rachat.

Le sénateur Whelan: J'en conviens. Nous sommes ici pour en prendre compte. On pourrait changer cela aussi, vous savez.

La séance est levée.


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