Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 11 - Témoignages pour la séance du matin
OTTAWA, le mardi 21 avril 1998
Le comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts, auquel on a renvoyé le projet de loi C-4, Loi modifiant la Loi sur la Commission canadienne du blé et d'autres lois en conséquence, se réunit aujourd'hui à 9 h 08 pour étudier le projet de loi.
Le sénateur Leonard J. Gustafson (président) occupe le fauteuil.
Le président: Nous sommes heureux d'accueillir ce matin M. Lorne Hehn, pour qui ni cette salle ni l'agriculture n'ont de secrets. À ses côtés se trouvent M. Earl Geddes et M. Brian White. Bienvenue, messieurs.
Nous avons eu des audiences très efficaces dans six villes des Prairies. L'enthousiasme n'a pas fait défaut. Nous avons entendu 110 agriculteurs et 30 groupements d'agriculteurs, de même que les ministres de l'Agriculture de la Saskatchewan, du Manitoba et de l'Alberta.
À l'occasion de toutes les rencontres, les sénateurs ont été nombreux, et je félicite mes collègues de leur assiduité.
Nous avons eu de bonnes discussions. J'aimerais pouvoir dire que nous avons toujours été d'accord, mais le sénateur Hays refuserait de me donner raison.
Ce matin, nous entendrons un exposé de la Commission canadienne du blé d'une durée de 40 minutes, après quoi nous aurons l'occasion de poser des questions.
Je tiens à souhaiter la bienvenue au distingué Président du Sénat, le sénateur Molgat, à notre séance de ce matin.
La parole est à vous, monsieur Hehn.
M. Lorne Hehn, commissaire en chef, Commission canadienne du blé: Merci, monsieur le président. Honorables sénateurs, bonjour. Nous, de la Commission du blé, sommes heureux de l'occasion qui nous est donnée de vous rencontrer, et nous vous sommes reconnaissants de la généreuse période de temps que vous nous avez réservée. Il s'agit pour nous d'une occasion non seulement de parler du projet de loi C-4, mais aussi de faire connaître notre vision de la commercialisation du grain à l'échelle mondiale. Nous sommes une organisation mondiale.
Vous avez dit que vos collègues étaient d'accord, et cette remarque m'a intrigué. Vous et moi, monsieur le président, sommes issus du milieu agricole. Nous possédons toujours nos exploitations. Or, vous connaissez le dicton: lorsque trois comptables sont réunis dans une pièce, ils forment un partenariat; lorsque trois entrepreneurs sont réunis dans une pièce, ils fondent une entreprise; et lorsque trois agriculteurs sont réunis dans une pièce, ils entament habituellement un débat.
Je dirai un mot de ce que les personnes qui m'accompagnent ce matin font à la Commission canadienne du blé afin que vous compreniez bien leurs antécédents. Ils m'aideront à répondre aux questions soulevées ce matin.
M. Brian White est le directeur de notre service d'analyse de marchés, en plus d'agir comme chef intérimaire, politique générale, à la Commission du blé. À ce titre, il dirige tous nos travaux concernant les renseignements sur les marchés, la surveillance des marchés, la météorologie et la surveillance des récoltes de même que ceux qui touchent la politique générale, l'analyse et la recherche. Il s'agit là de lourdes responsabilités.
M. Earl Geddes s'est joint à la Commission du blé il y a deux ou trois ans. Issu du milieu agricole, il a présidé la société Keystone Agricultural Producers pendant un certain nombre d'années. M. Geddes, qui a apporté une contribution remarquable à tout le secteur de la valeur ajoutée, agit actuellement comme gestionnaire des programmes relatifs à valeur ajoutée. Depuis son arrivée dans l'organisation, il est parvenu à organiser, dans les Prairies, deux importantes conférences portant sur les possibilités de valeur ajoutée offertes par la région. Il travaille au service de développement de marchés. Mettant l'accent sur le marché intérieur, il assume les responsabilités particulières dans le secteur de la valeur ajoutée.
Même si je ne me trouvais pas dans l'Ouest canadien à l'époque où vous vous y êtes rendu, ce qui est l'une des raisons qui expliquent que je n'ai pas comparu devant vous à ce moment-là, j'ai reçu bon nombre des mémoires qui ont été déposés auprès de vous. Des représentants de la Commission du blé ont assisté aux audiences, et j'ai eu l'occasion de me pencher sur la couverture médiatique. À la lumière de toutes ces données, je suis d'accord pour dire qu'on a beaucoup mis l'accent sur les agriculteurs. Toutefois, vos discussions ont en grande partie porté sur le secteur d'activité qui va, comme je me plais à l'appeler, de la ferme au FAB, ou de la ferme à l'eau de mer, ou encore de la ferme à l'usine de transformation. C'était très bien, mais je pense que, le moment venu d'aborder l'avenir de la Commission du blé, nous devons nous pencher sur la situation d'ensemble. Ce matin, je veux consacrer un peu de temps à la portée, à la taille et à la complexité de nos activités de même qu'au raffinement de notre activité, à savoir celle d'une entreprise mondiale qui vit dans un monde sans frontières.
Nous voulons également utiliser une partie du temps qui nous est imparti pour répondre à certaines préoccupations soulevées à l'occasion de vos audiences dans l'Ouest. À l'examen des mémoires, j'ai constaté que de nombreuses préoccupations ont trait à la valeur ajoutée. L'établissement des prix dans le marché intérieur paraît constituer une question litigieuse, tout comme l'établissement du prix de rachat. Les céréales biologiques représentent un enjeu. Nous voulons également nous intéresser à la question de la double commercialisation et à celle du guichet unique.
Je suis certain que vous aurez de nombreuses questions à poser après notre exposé. Nous avons pour but non pas de vous faire changer d'avis, mais bien plutôt de vous fournir des renseignements additionnels que vous pourrez utiliser pour vous faire une opinion.
Comme je l'ai dit au départ, je veux aborder la question du point de vue de la perspective d'ensemble. Je parle de celle du consommateur. Je conclurai par certaines remarques concernant les agriculteurs et les intervenants.
Je suis d'avis que nos clients ou nos concurrents croient très bien se tirer d'affaire. L'enquête menée auprès des clients par le Groupe de commercialisation du grain de l'Ouest montre que, du point de vue du produit et du service, nous obtenons un très bon bulletin. Les résultats ne sont pas aussi brillants en ce qui a trait au prix, parce que, naturellement, ils aimeraient que les prix soient plus bas. Quant à nos concurrents, toutes les discussions récentes nous concernant ont porté sur les entreprises commerciales d'État et les moyens de les affaiblir. On ne devrait guère s'en étonner puisque nos concurrents comprennent que, dans le marché mondial, nous représentons une force dominante, qu'ils aimeraient beaucoup affaiblir.
Il importe également de souligner que nous sommes un négociant mondial qui exerce ses activités dans un contexte de commercialisation mondiale. En 1996-1997, seulement 10 p. 100 de nos ventes se sont effectuées dans le marché intérieur. Au vu de la formidable capacité de production de l'Ouest canadien et du fait que nous sommes moins de 30 millions pour consommer nos produits, on ne devrait guère s'en étonner. Nous devons exporter, et nous sommes un important exportateur.
Le marché mondial des céréales est des plus concurrentiels. Il s'agit d'un environnement très volatil. Cette volatilité s'explique en tout premier lieu par le fait que seulement environ 20 p. 100 de la production mondiale de blé font, de fait, l'objet d'échanges. Par conséquent, toute fluctuation, même mineure, de la production mondiale de blé -- comme celle dont nous sommes témoins et celle dont nous avons été témoins l'année dernière -- crée de formidables pressions sur les prix.
En deuxième lieu, les interventions des gouvernements dans le marché jouent toujours un rôle colossal. Les Européens disposent toujours d'un mécanisme de soutien grâce auquel les agriculteurs reçoivent chaque année, dans un chèque distinct, environ 400$ l'hectare. C'est ce qu'on appelle la «boîte bleue», qui a toujours un impact énorme.
En troisième lieu, le marché, en plus d'être très concurrentiel, est très concentré. Dans le commerce mondial du blé, il n'y a qu'une poignée d'intervenants. Ne laissez personne prétendre le contraire.
Dans cette poignée d'intervenants, je peux penser à Toepfer en Allemagne, à Dreyfus en France, à Glencore en Suisse, à Bunge en Amérique latine et, enfin, à Cargill, Continental, ConAgra et ADM aux États-Unis. Il suffit d'ajouter deux ou trois ou quatre grands négociants japonais comme Mitsubishi, Mitsui et Nissho-Iwai pour aboutir à environ 95 p. 100 de tout le commerce. Le marché est très concentré.
Il importe aussi de souligner qu'on doit être gros pour soutenir la concurrence. Du point de vue du tonnage commercialisé et de la valeur pécuniaire de ses ventes, la Commission du blé est la plus importante entreprise exportatrice de blé du monde; dans le secteur de l'exportation de l'orge, elle vient au deuxième rang mondial. Voilà qui devrait vous donner une idée de la taille de l'entreprise dont nous discutons ce matin.
En 1996-1997, la Commission du blé comptait pour presque 20 p. 100 du commerce mondial du blé de mouture; elle comptait pour un peu plus de 30 p. 100 du marché mondial de l'orge brassicole. De plus, elle compte pour au moins 62 p. 100 du commerce mondial du blé dur. Nous sommes l'un des intervenants dominants du marché mondial. L'année dernière, nous avons transigé avec plus de 70 pays, et le produit brut de nos ventes s'est établi à 6,1 milliards de dollars canadiens. Nous comptons au nombre des 30 plus importantes sociétés de capitaux du Canada. La dernière fois que j'ai vérifié, nous venions, si je me souviens bien, au 25e rang.
Du point de vue de la valeur des ventes à l'exportation, nous constituons la cinquième entreprise exportatrice en importance du Canada. À ce chapitre, nous ne sommes précédés que par les trois fabricants de voitures et IBM. Même si nous ne venons qu'au cinquième rang, nous constituons, pour le Canada, la plus importante source nette de devises étrangères.
Nous sommes le quatrième émetteur d'effets de commerce en importance du Canada et, hormis les gouvernements, le deuxième emprunteur en importance de l'économie canadienne. Le commerce des céréales est une activité capitalistique, d'où la nécessité de tels emprunts.
Dans le marché américain des effets de commerce, nous sommes le deuxième emprunteur canadien en importance. À ce chapitre, seul le gouvernement du Canada nous précède. L'activité, comparativement à la plupart des entreprises manufacturières qui exportent, est également très complexe. Il faut d'abord tenir compte du fait que nous comptons quelque chose comme de 105 000 à 110 000 unités de production ou de fabrication. Chacune génère cinq ou six produits différents, assortis chacun de quelques grades de qualité différents.
Comparativement à la plupart des entreprises, l'entreprise céréalière est très complexe dans la mesure où elle repose sur un grand nombre d'intervenants majeurs qui ont travaillé de concert dans le cadre d'une approche très intégrée de type Équipe Canada. Cette équipe a très bien fonctionné. Pour lier la sauce, on retrouve, d'un côté, 110 000 usines de fabrication et, de l'autre, un nombre colossal d'intervenants de très grande taille.
Ces 110 000 usines de fabrication n'ont qu'un cycle de production par année, ce qui est assez différent par rapport à la situation de la plupart des entreprises de fabrication. En même temps, nous assurons la qualité, la constance et l'uniformité, tout en respectant certaines normes très rigides concernant l'innocuité des aliments et le contrôle phytosanitaire. Nous transportons la production dans environ 1 100 élévateurs, et nous la regroupons dans des trains-blocs, de 90 à 100 unités, conformément aux conditions relatives à l'expédition de nos contrats, au fur et à mesure que des navires arrivent. Nous chargeons, en moyenne, trois ou quatre navires par jour. Il s'agit, en moyenne, de navires qui oscillent entre 30 et 70 000 tonnes. Un navire de 70 000 tonnes transporte la production entière de l'une de nos plus importantes stations de l'Ouest canadien pour une année entière.
Étant donné l'importance de notre indice de roulement des stocks, notre système possède une capacité d'entreposage inférieure à celle de tout autre pays du monde et, donc, une capacité de travail moindre. Je peux citer à l'appui des données concernant l'entreposage. Nous sommes plus éloignés du port que les producteurs de tout autre pays du monde. À l'Ouest, nous devons franchir une gigantesque chaîne de montagnes. Vers le Nord, nous ne disposons que de trois à quatre mois pour expédier notre production. Vers l'Est, nous ne disposons que de neuf mois pour le faire, une fois de plus, nous devons franchir un colossal obstacle terre-mer. De plus, nous exportons l'essentiel de notre production.
Monsieur le président, il faut beaucoup de coopération et de coordination pour concilier logistique, production et commercialisation. Ce faisant, nous sommes parvenus, au Canada, à maintenir en même temps un accent sur le produit. Il s'agit d'une situation toute différente de celle qu'on observe chez nos concurrents. Dans une large mesure, ces derniers se cantonnent toujours dans les denrées. Il y a un certain nombre d'années, nous sommes passés, au Canada, de notre régime d'enregistrement et de notre système de contrôle de la qualité à une entreprise axée sur le produit. Certains de nos concurrents ont toujours un peu de rattrapage à faire.
L'accent que nous mettons sur le service est également assez différent de ce que font nos concurrents. M. Geddes abordera cette question avec vous. Nous offrons à nos consommateurs une gamme complète de services techniques ainsi qu'un programme complet de formation. Pour ce faire, nous avons recours à des organismes comme l'Institut international du Canada pour le grain.
Dans l'examen du projet de loi, il importe de ne pas oublier l'ampleur et la portée de l'entreprise et de l'organisation concernée. L'entreprise est de taille. Elle est importante. Elle est complexe et très raffinée.
Pendant huit ans, j'ai agi comme président du conseil, président et directeur général de l'United Grain Growers. La neuvième année, j'ai cumulé les postes de président du conseil et de président. Mon travail de commissaire en chef de la Commission du blé comporte des responsabilités beaucoup plus vastes et beaucoup plus importantes que le poste que j'ai occupé pour le compte des producteurs de blé du Canada. Voilà qui vous donnera peut-être une idée de la taille et de la complexité de l'entreprise.
Du point de vue des clients mondiaux, je dois également mentionner que nous nous adressons à des cultures, à des religions, à des situations économiques et à des régimes politiques fort différents. Nos clients sont issus de milieux ethniques, politiques et économiques très diversifiés. Nous traversons toutes les frontières. Nous commerçons avec tous les pays, qu'il s'agisse d'une dictature ou d'un gouvernement militaire, d'un pays communiste ou d'une démocratie. Du point de vue religieux, nous transigeons avec tous les pays, qu'ils soient musulmans, chrétiens, bouddhistes ou athées. Nous transigeons avec tous les pays, qu'il s'agisse de pays du Tiers-Monde, de pays en voie de développement ou de pays développés des régions les plus industrialisées du monde, comme celui où vous et moi vivons. Pour négocier de façon efficace, nous devons répondre à ces clients différents, dans des contextes différents. Croyez-moi, les différences sont marquées.
Dans un pays comme l'Algérie, le blé dur, par exemple, est utilisé pour la fabrication d'un produit appelé «couscous». Nous associons le blé dur à la fabrication de macaroni ou de spaghetti. En Algérie, on l'utilise à des fins toutes différentes. Et ce n'est qu'un exemple.
Nous exerçons nos activités dans un marché très concurrentiel et très volatil, particulièrement du point de vue de l'établissement des prix et de la commercialisation. Qu'on ne s'y trompe pas: dans le marché mondial du blé, les interventions gouvernementales sont toujours légion.
Certains clients comptent une clientèle très raffinée. À ce chapitre, le Japon constitue probablement le meilleur exemple. Non seulement y a-t-on affaire à des clients raffinés, mais en plus, l'innocuité des aliments est en train de devenir l'enjeu le plus important, ce qui s'ajoute à leurs exigences absolues touchant la qualité des produits. À cet égard, ils paient une surprime. Par exemple, nous assujettissons toute cargaison de blé à destination du Japon à plus de 40 tests visant à déceler la présence de résidus de produits chimiques.
Des clients comme les meuneries japonaises, coréennes, britanniques, italiennes, américaines et canadiennes, ici même, au pays, veulent et exigent des produits alimentaires sûrs, de toute première qualité, constants et uniformes, et s'attendent à en obtenir. Ils sont d'ailleurs prêts à en payer le prix. D'autres n'ont pas les mêmes exigences -- tout dépend du pays dont on parle -- ils ne se montrent pas intéressés par les programmes de services techniques que nous sommes en mesure d'offrir.
Même dans ces pays, il est néanmoins arrivé à un certain nombre de reprises que le blé, au moment où il était déchargé à la meunerie ou à la boulangerie, ne se comporte pas comme il aurait dû le faire. Nous avons dépêché une équipe technique de spécialistes chargée de surmonter ces problèmes, même si les clients auxquels nous avions affaire n'étaient pas raffinés.
Étant donné sa clientèle mondiale diversifiée, la Commission du blé propose une gamme importante de produits et de services répondant de façon précise aux besoins de ses clients dans plus de 70 pays du monde.
Du point de vue des relations que nous avons ici, au pays, avec les agriculteurs, je pense qu'on conviendrait généralement du fait que, par le passé, nous avons assuré aux agriculteurs essentiellement le même type de services de commercialisation. Comme ceux de nos clients, les besoins des agriculteurs d'aujourd'hui sont toutefois beaucoup plus diversifiés, exigeants et complexes qu'ils l'étaient lorsque j'ai débuté dans l'agriculture en 1957. Aujourd'hui, on retrouve toujours un groupe considérable et important d'agriculteurs -- et vous les avez entendus -- qui croient au régime actuel de commercialisation et qui en sont satisfaits -- c'est-à-dire le régime de paiement initiaux, d'ajustement, de paiements provisoires et de paiements finaux, que complète un programme d'avances en espèces.
Aujourd'hui, on retrouve cependant aussi des agriculteurs -- et vous les avez entendus également -- qui ont, au chapitre de la trésorerie et de la commercialisation, des exigences beaucoup plus pressantes. Comme les coûts des intrants continuent de monter en flèche et que les marchés deviennent encore plus volatils, les besoins en fonds de roulement de bon nombre de ces agriculteurs revêtent une signification et une importance clé encore plus grande qu'il y a seulement quelques années. Pour répondre à ces besoins et à d'autres, la Commission du blé, depuis 1992-1993, a organisé, directement avec des agriculteurs, une série complète de rencontres, de consultations et de groupes de discussion, dans le cadre desquels on se penche sur les moyens d'assouplir le mécanisme d'établissement des prix et de trésorerie, afin de répondre aux besoins des agriculteurs.
Le mémoire que nous avons déposé auprès du Groupe de commercialisation du grain de l'Ouest rend compte des conclusions de ces rencontres et de ces consultations. Dans le mémoire, nous avons soulevé huit points fondamentaux sur lesquels, à notre avis, nous devons nous concentrer, et ils figurent aussi dans le mémoire que nous vous avons présenté ce matin.
J'étais à l'extérieur de l'Ouest canadien au moment où vous y avez tenu des audiences, mais j'ai lu tout ce qui s'est écrit à leur sujet. J'ai reçu un certain nombre de mémoires. L'un d'entre eux a particulièrement retenu mon attention, celui de Don Tate, agriculteur de Melrose. Si je le mentionne, c'est parce que, à la lecture du mémoire de M. Tate, je me suis rendu compte qu'il représente la majorité silencieuse des agriculteurs qui, jusqu'ici, n'ont pas beaucoup élevé la voix. Vous devriez peut-être vous donner la peine de revenir sur ce qu'il a déclaré.
À la lumière des mémoires, des nouveaux rapports et des rapports préparés par nos représentants qui ont assisté aux séances, je ne puis qu'en venir à la conclusion que le débat s'est polarisé au point où je me demande aujourd'hui s'il serait productif de le pousser plus loin. Il n'est pas sans rappeler le projet de loi sur le contrôle des armes à feu. Un jour ou l'autre, on doit prendre une décision. La décision aura des retombées, mais il est temps qu'on adopte le projet de loi. Toutefois, nous devons également nous assurer d'imputer à la nouvelle commission la responsabilité de la future stratégie politique et opérationnelle.
Plus j'entends les points de vue hautement polarisés qui s'expriment aux deux extrémités du spectre, et plus j'en viens à la conclusion que le projet de loi C-4 a, dans une large mesure, établi un équilibre important et raisonnable entre les besoins manifestes en souplesse opérationnelle et, du même coup, la nécessité de protéger les piliers fondamentaux du partenariat avec le gouvernement et du guichet unique.
Du point de vue de l'administration, les opinions divergentes s'expriment aussi. Que le gouvernement puisse ne pas exercer une forme ou une autre de participation, comme certains l'ont proposé dans leur mémoire, n'est tout simplement pas une possibilité: nous avons besoin de la participation du gouvernement pour trois raisons fondamentales. Les agriculteurs ont besoin du partenariat avec le gouvernement pour les même raisons. Vous êtes au courant des paiements initiaux et du rôle joué par le gouvernement à titre de bailleur de fonds. Vous êtes au courant de la garantie de remboursement de nos emprunts et du pouvoir de levier que nous confère notre excellente cote de crédit, qui s'explique en partie par cette garantie. Vous savez que, l'année dernière seulement, les agriculteurs inscrits à nos comptes de mise en commun ont réalisé des économies directes de plus de 80 millions de dollars, sans qu'il en coûte un sou au contribuable. On réalise également des économies indirectes puisque les exploitants de silos-élévateurs empruntent aussi pour couvrir les stocks de la Commission et tirer avantage de sa garantie. Là aussi, on réalise des économies. Vous savez enfin que c'est le gouvernement qui assure les très importants programmes de crédit concurrentiel.
À mes yeux, on commettrait une imprudence en distanciant l'entreprise du gouvernement -- en affaiblissant le partenariat avec le gouvernement au moment précis où nous menacent des phénomènes comme la crise asiatique et des prix du blé qui, cet été, plafonneront à des niveaux très bas. Nous avons besoin du partenariat avec le gouvernement, et nous devons non pas l'affaiblir, mais bien plutôt le renforcer.
Dans vos délibérations, je suis convaincu que vous en viendrez à la conclusion que le partenariat avec le gouvernement fédéral est nécessaire. Il est nécessaire pour assurer la compétitivité du Canada, et il est nécessaire en tant qu'outil important de commercialisation pour les agriculteurs.
Acceptons aussi le fait que les agriculteurs tiennent indiscutablement à jouer un rôle plus direct dans la détermination des politiques et des stratégies de notre organisation commerciale. Pour que cela se matérialise, nous devons de toute évidence modifier quelque peu la structure des rapports hiérarchiques. À n'en pas douter, les agriculteurs sont en faveur de l'établissement d'un conseil d'administration. Au cours des quatre ou cinq dernières années, rares ont été ceux qui ne considèrent pas l'établissement d'un conseil d'administration comme la meilleure solution. Les intervenants ont débattu de la question de savoir si les administrateurs devraient être élus ou nommés. Ils ont débattu du nombre de personnes nommées par le gouvernement qui devraient siéger au conseil. Toutefois, ils ont convenu de la nécessité d'assurer une meilleure reddition de comptes par l'entremise d'un conseil d'administration. Ils tiennent manifestement à jouer un rôle direct dans la politique et l'orientation stratégique de la Commission.
Le défi consiste à faire cela tout en maintenant ce très important partenariat avec le gouvernement et, qui plus est, de maintenir le lien de confiance entre les agriculteurs et le gouvernement, lequel doit être reconstitué. Comme certains des mémoires le montrent, on est certes confronté à une crise de confiance. Je n'en impute pas non plus toute la responsabilité au gouvernement. Comme toute autre organisation, il nous arrive d'adopter un comportement bureaucratique, au même titre que d'autres grandes sociétés comme Cargill, Continental et ConAgra, mais nous devons nous employer ensemble à rétablir le lien de confiance.
En conclusion, honorables sénateurs, j'ai, au cours des quatre ou cinq dernières années, entendu à de très nombreuses reprises la déclaration qui suit: «Lorne, je suis en faveur de la Commission canadienne du blé et du régime de commercialisation, mais vous devez modifier la structure et vous devez mieux répondre à nos besoins de trésorerie.»
Nous devons étudier des changements administratifs, et nous devons étudier des outils de commercialisation plus modernes, par exemple la possibilité, pour les agriculteurs, d'obtenir un prix garanti avant l'ensemencement ou la possibilité de recevoir un paiement au comptant pris à même le compte de mise en commun, ou encore les deux autres options que nous avons mentionnées, les certificats négociables de producteur et la possibilité de recevoir des prêts au titre de l'avoir propre pris à même le compte de mise en commun. Ces deux dernières options ne feraient certes courir aucun risque aux comptes de mise en commun ni au guichet unique. En fait, ce sont les agriculteurs qui assumeraient les risques, mais la solution aurait au moins l'avantage de régler le problème des liquidités.
Le projet de loi C-4 permet le recours à ces options. Il établit aussi clairement que le nouveau conseil aura pour tâche d'exercer un contrôle et de veiller à ce que ces nouveaux outils de marketing, lorsqu'ils seront introduits et mis en application, ne compromettent pas le guichet unique, ni la mise en commun, ni le très important partenariat avec le gouvernement. Le projet de loi C-4 contient les outils nécessaires, et il répond, dans une large mesure, aux demandes des agriculteurs.
Nombreux sont ceux -- je le vois et je l'entends -- qui voudraient inscrire dans la loi les responsabilités du conseil d'administration. Vous y verrez peut-être une approche utile, mais, à mon avis, la reddition de comptes va dans les deux sens. Si les agriculteurs souhaitent que le conseil leur rende des comptes, ils doivent en retour rendre des comptes au conseil. La reddition de comptes va dans les deux sens, et on doit prévoir une certaine marge de manoeuvre. On doit permettre au conseil de prendre des décisions concernant les nouvelles options souples puis l'obliger à rendre des comptes aux agriculteurs à ce sujet.
Depuis 1967, je suis mêlé de façon très directe à la politique agricole. Je ne vois pas trop bien ce qu'on pourrait gagner à pousser plus loin le débat sur ces questions. Ce sont les mêmes débats qui reviennent sans cesse. Si on n'agit pas bientôt, le groupe qui souhaite la disparition de la commission, ou tout au moins son affaiblissement, prendra de l'élan. Aujourd'hui, il est à la mode de souhaiter que le gouvernement se retire des affaires des particuliers, mais l'industrie céréalière ne se prête pas très bien à l'observation de ce genre de règle.
Dans la société d'aujourd'hui, il est aussi à la mode de dire: «Je tiens à pouvoir choisir, je veux être un individualiste, je tiens à une certaine forme d'indépendance.» Lorsqu'on a affaire à 70 pays, que caractérisent des cultures, des situations économiques et des régimes politiques différents, on est toutefois mieux avisé de travailler ensemble et en partenariat avec le gouvernement fédéral. Le tout est toujours supérieur à la somme des parties malgré les prétentions de certaines personnes ici, dans l'Ouest. Le tout est toujours supérieur à la somme de ses parties, et nulle part mieux que dans l'industrie céréalière ce principe se vérifie-t-il. La valeur de la solide approche intégrée axée sur le partenariat de type Équipe Canada que nous avons adoptée dans la commercialisation du grain fait l'envie du monde, tout comme notre système de contrôle de la qualité et la qualité de nos produits. Le défi que nous devons relever consiste à bâtir sur ces assises.
Je clôturerai ma partie de l'exposé sur une analogie. J'ai toujours été frappé de stupeur par les arcades en pierre. En Europe en particulier, certaines vieilles arcades en pierre sont sur pied depuis quelques milliers d'années. Je suis toujours émerveillé par la qualité de l'exécution de ces monuments. Dans chacune de ces arcades, on retrouve toutefois une pierre appelée «clef de voûte». Si on enlève cette pierre ou qu'on l'affaiblit même, l'arcade s'effondrera. La Commission du blé a été la clef de voûte de l'arcade qui a permis aux agriculteurs d'accéder aux marchés mondiaux. Je prie instamment les membres du comité de faire preuve de la plus grande prudence dans leurs délibérations sur la Commission canadienne du blé parce que, si la clef de voûte s'effrite, c'est l'arcade qui permet aux agriculteurs d'accéder aux marchés mondiaux qui s'effondrera.
Je cède maintenant la parole à M. Geddes. Je crois savoir que les membres du comité ont un certain nombre de questions à poser à propos de nos activités dans le marché intérieur et dans le marché américain. Je vais lui laisser le soin de passer en revue avec vous quelques diapositives à ce sujet. Nous entendrons ensuite Brian White, qui se penchera sur les préoccupations opérationnelles qui découleraient de la double commercialisation.
M. Earl Geddes, directeur des programmes, développement des marchés, Commission canadienne du blé: Honorables sénateurs, j'ai, en préparation de notre rencontre de ce matin, apporté certains exemples précis de la façon dont nous établissons nos prix intérieurs dans l'industrie au Canada. Je me pencherai aussi sur les rapports que nous entretenons avec l'industrie des céréales biologiques de même que sur la procédure de rachat. Je vais présenter une série de diapositives. Nous pourrons revenir sur l'une ou l'autre d'entre elles pendant la période de questions.
J'aimerais dire un mot de la transcription des audiences sur le projet de loi C-4 tenues à Brandon, au Manitoba, le 24 mars 1998. Le témoin était Kevin Archibald de la Western Canadian Wheat Growers. M. Archibald a fait allusion aux meuneries de M. Pizzey. Il a déclaré que, dans l'Ouest canadien, des meuneries comme celle de M. Pizzey paient le prix du blé établi à Minneapolis, qui est le plus important centre du monde dans le domaine, particulièrement en Amérique du Nord, plus les frais de transport de Minneapolis jusqu'à un pont donné dans les Prairies. Selon lui, la Commission canadienne du blé ne soutirerait pas une prime pour les producteurs qui vendent à des producteurs canadiens. Selon lui toujours, plus on est éloigné de Minneapolis, et plus les coûts sont élevés, en raison des frais de transport.
Il fait allusion à l'industrie meunière intérieure. Je vais montrer ce qui se passe en réalité.
À l'occasion de la même audience, M. Pizzey a déclaré que de nombreux groupes et des particuliers de l'Ouest canadien estiment qu'il n'est pas nécessaire de détruire la Commission canadienne du blé pour que tout fonctionne. M. Pizzey a indiqué que l'industrie de la transformation ne peut vivre sous le régime de la Commission canadienne du blé, mais qu'il ne faut pas pour autant en conclure que la Commission doit disparaître.
Vous avez entendu ces commentaires dans le cadre de bon nombre d'audiences tenues dans l'Ouest canadien. Ce matin, j'aimerais vous montrer précisément comment nous collaborons avec l'industrie et comment nous établissons le prix intérieur.
Pour fixer le prix des produits destinés à la consommation humaine intérieure, nous négocions avec l'industrie -- en 1996-1997, l'industrie canadienne a été, pour le blé de l'Ouest canadien, notre plus important client unique --, et nous fixons le prix en fonction de la formation concurrentielle des prix en Amérique du Nord. Si nous agissons de la sorte, c'est pour tenter activement de favoriser l'investissement dans l'industrie de l'Ouest canadien. Nous tenons à ce que les décisions prises en matière d'investissement dans l'industrie de la transformation du blé reposent sur de solides indicateurs de base du marché. Nous utilisons la Minneapolis Grain Exchange comme principal point de fixation du prix.
Le prix des produits destinés à la consommation humaine intérieure a trait à la fabrication de farine et à la consommation humaine au Canada. Nous établissons un prix canadien concurrentiel en Amérique du Nord de manière à ce que les meuneries canadiennes bénéficient de prix concurrentiels par rapport à leur situation dans le marché. Nous établissons des prix concurrentiels pour les entreprises exportatrices. Si des meuneries canadiennes souhaitent exporter de la farine, nous étudierons ce marché et le prix du blé en fonction de la situation d'une meunerie qui souhaite vendre de la farine dans le même marché, tant et aussi longtemps que les producteurs touchent, en contrepartie de leur blé, la juste valeur marchande qu'ils obtiendraient dans le marché.
Nous fournissons aux meuneries du Canada un approvisionnement garanti. Par tranche de 12 mois, les meuneries canadiennes réservent auprès de nous les quantités de blé dont elles auront besoin tout au long de l'année, ainsi que les qualités, les grades et les teneurs en protéine, et nous laisserons les céréales à proximité, ou, si nous avons affaire aux meuneries de l'est, nous nous assurerons de la disponibilité du grain à Thunder Bay. Nous protégeons les meuneries contre les risques, en leur accordant des contrats à prix fixe pour une période de six mois, et en réglant un certain nombre de problèmes liés à la fixation des prix.
Ces questions sont très détaillées et relativement complexes, mais nous cherchons à créer, dans un cadre réglementaire, un régime de fixation des prix du marché libre -- je suis certain qu'on vous a dit que cela était impossible, mais le sous-ministre de l'Alberta m'a avoué qu'on était aussi près que possible du marché libre dans un cadre réglementaire. Chaque jour, nous partons du marché à terme du blé de Minneapolis. Les prix sont publiés quotidiennement, et les meuneries y ont accès quotidiennement. Pour les meuneries canadiennes, il existe des mécanismes clairs de découverte des prix.
Nous considérons le Dark Northern Spring (DNS), dont la teneur en protéines est de 14 p. 100, qui correspond au CWRS no. 1, dont la teneur en protéine est de 13,5 p. 100, parce que, aux États-Unis, on mesure les protéines en fonction d'un pourcentage d'humidité de 12,5 p. 100, contre 13,5 p. 100 au Canada. Par conséquent, un chiffre de 14 p. 100 aux États-Unis correspond à 13,5 p. 100 au Canada. Le prix au boisseau qu'on obtient à Thunder Bay s'établit, en dollars américains, à 4,27 $. À Thunder Bay, le prix par tonne s'établit, en dollars américains, à 156,99 $, ce qui équivaut, toujours à Thunder Bay, à 225,96 $ canadiens. Nous ajustons régulièrement le taux de change pour donner cette assurance aux meuneries domestiques, de manière à ce qu'elles puissent elles aussi bénéficier de ces facteurs de protection contre les risques. La base du marché à terme de Minneapolis est la base utilisée pour le marché du blé du moment, et nous garantirons ce prix pour une meunerie pour une période maximale de six mois, à condition qu'elle choisisse de se prémunir contre cet aspect des risques, tout en laissant ouvert l'aspect relatif à la fixation des prix; sinon, nous pouvons, si la meunerie le souhaite, fixer le prix complet. On parle ici de l'aire de distribution de l'est. Le marché du blé de l'Ouest, comme vous le savez, se divise en deux aires de distribution, soit l'Est et l'Ouest, compte tenu des frais de transport vers Vancouver ou Montréal.
L'aire de distribution de l'ouest a une base au comptant additionnelle, à savoir celle du Dark Northern Spring, qui est vendu sur la côte ouest, à Portland, une fois de plus à partir de Minneapolis. Cette base équivaut à environ 35 cents US le boisseau, soit 17,93 $ canadiens la tonne. À Vancouver, il y a donc une base de prix à partir de laquelle on établit le prix que paieront les meuneries de la côte Ouest. Nous ajusterons ou fixerons la base pour elle, nous la leur vendrons et nous les protégerons dans le marché tout en nous protégeant nous-mêmes, de manière à ce qu'elles disposent de mécanismes clairs de découverte des prix et de protection contre les risques, avantages dont bon nombre de meuneries des États-Unis peuvent ne pas bénéficier pour une période pouvant aller jusqu'à six mois.
M. Hehn: Nous comptons parmi les plus importants intervenants à la Minneapolis Grain Exchange. Ce fait étonnera peut-être certaines personnes présentes autour de la table.
M. Geddes: Nous intervenons dans la mesure où on nous le permet, étant donné que nous disposons toujours de réserves considérables de blé.
Le sénateur Whelan: Vous voulez dire que le marché n'est pas tout à fait aussi libre que vous le souhaiteriez.
M. Hehn: Vous avez tout compris.
M. Geddes: Pour en revenir au point soulevé par Kevin Archibald, on établit de la même façon le prix en vigueur à Vancouver, soit celui qu'utilisent les meuneries de l'aire de distribution de la côte Ouest, par exemple à Saskatoon, à Lethbridge et à Swift Current. Nous utilisons la péréquation des frais de transport aux États-Unis pour créer un prix nord-américain. Nous devons tenir compte du prix du transport aux États-Unis parce que le nôtre est réglementé. Le prix du transport actuel dans l'aire de distribution de la côte Ouest, qui s'étend de Great Falls à Portland, est supérieur de 21,25 $ canadiens au prix du transport dans l'Ouest canadien. Nous soustrayons cette somme pour nous assurer qu'une meunerie de Swift Current est concurrentielle sur le plan économique, c'est-à-dire qu'elle peut acheter du blé à un prix concurrentiel par rapport à celui que paie une meunerie du Montana. Puis, nous soustrayons le prix de transport canadien, 32,82 $, pour établir le prix que paie la meunerie. Nous n'ajoutons pas, comme M. Archibald l'a laissé entendre, les frais de transport au départ de Minneapolis. Nous soustrayons non pas simplement un tarif canadien réglementé, mais bien plutôt un tarif nord-américain concurrentiel, pour assurer la compétitivité de la meunerie canadienne dans le marché nord-américain et garantir la viabilité de l'investissement dans la meunerie. Si la Commission du blé n'existait pas, le prix serait le même. Pour les meuniers, les possibilités d'investissement sont très claires. En fait, de nombreuses meuneries de l'Ouest canadien envisagent à l'heure actuelle de consentir des investissements additionnels.
Voilà pour le prix des produits destinés à la consommation humaine intérieure. Nous avons aussi un prix pour les produits non destinés à la consommation humaine, qui concerne le fractionnement. Le prix s'applique aux usines où l'on fabrique de l'amidon et du gluten grâce au fractionnement du blé: en fait, on sépare le gluten de l'amidon, et on utilise l'amidon pour faire du gypse et le gluten pour faire des aliments pour animaux familiers. Il s'agit presque d'un type industriel de fixation des prix. La différence, c'est que nous n'imputons pas à nos clients le prix du blé de meunerie établi à Minneapolis. Pour la fixation du prix des produits non destinés à la consommation humaine, on utilise des grades de blé non destinés aux meuneries, c'est-à-dire tous les grades autres que le CWRS nos. 1 et 2.
Pour assurer la viabilité de notre industrie intérieure et lui permettre de se saisir de toutes les occasions qui se présentent, nous faisons également une exception pour les aliments du bétail. Les engraisseurs n'achètent pas leurs céréales auprès de la Commission.
L'industrie de l'éthanol, qui utilise la drêche sèche des entreprises de distillation, n'est pas tenue de passer par la Commission canadienne du blé. Elle exerce son activité entièrement en marge de la Commission.
Un autre élément essentiel et qui n'est pas bien compris -- et qui, d'après les comptes rendus que j'ai lus, n'a peut-être pas été bien représenté dans certaines de vos audiences -- a trait à l'exemption pour la transformation à la ferme. À une certaine époque, les agriculteurs pouvaient moudre jusqu'à 50 boisseaux de blé pour les besoins de leur famille. Ce n'est plus le cas, même si je crois que certaines personnes l'ont affirmé. Les agriculteurs -- vous, par exemple, monsieur le président -- qui produisent 15 000 ou 20 000 boisseaux de blé peuvent moudre la totalité de ce blé dans leur exploitation, dans une meunerie qu'ils contrôlent, et vendre le produit n'importe où au Canada. Nous avons créé un permis de transport interprovincial que les producteurs peuvent se procurer sans frais, et les agriculteurs peuvent en toute liberté vendre partout au Canada le grain produit par leur propre usine de transformation, sans avoir à passer par la Commission canadienne du blé. Il n'y a ni rachat ni acheminement par camion à l'élévateur.
Le président: Il faut un permis pour le faire?
M. Geddes: Il faut un permis en raison du libellé de la loi concernant le transport des produits du blé transformé entre les provinces. Le producteur a simplement à présenter une demande à la Commission du blé, et nous lui faisons parvenir ce permis de transport interprovincial. Le permis permet également à la Commission du blé de vérifier que la mesure ne donne pas lieu à des abus et que certains producteurs ne transforment pas le grain d'une demi-douzaine d'agriculteurs du voisinage dans cette meunerie puisque cela serait injuste pour l'industrie intérieure.
En vertu de ce scénario, le Canada a été, en 1996-1997, le principal client unique des producteurs de blé de l'Ouest canadien. Cette année, je crois que l'Iran surpassera le Canada parce que, sur le plan de la commercialisation du blé en Iran, nous avons connu une année extraordinaire. Jusqu'à cette année, cependant, le Canada a été notre principal client. Nous fournissons toute la farine utilisée au pays, et nous exportons environ 200 000 tonnes aux États-Unis. Nous achetons en retour des biscuits, des craquelins et d'autres produits transformés, mais le phénomène s'explique par le fait non pas que le prix du blé ou de la farine est trop élevé, mais bien que notre industrie n'est pas orientée comme il se doit. Cette question échappe à la compétence de la Commission, mais nous aimons bien parfois nous y intéresser un peu.
Je veux en venir au but que tout pays et toute société du monde cherchent à atteindre, à savoir la séquence des valeurs dans la production et le but que poursuit Tyson, depuis les oeufs jusqu'à la commercialisation des morceaux de poulet dans un restaurant. Au Canada, la séquence des valeurs qui caractérise le blé est beaucoup plus serrée que tout ce qu'on retrouve partout ailleurs dans le monde. Nous commençons par l'agriculteur, puis nous nous adressons au négociant. Entre l'agriculteur et le négociant, nous sommes liés aux sélectionneurs de végétaux, à l'Institut international du Canada pour le grain et à la Commission canadienne des grains. Nous sommes directement liés aux meuniers du pays par l'entremise de négociations annuelles visant à déterminer le meilleur moyen d'établir le prix, de se prémunir contre les risques, de garantir l'approvisionnement et, enfin, de fournir les variétés souhaitées. Nous sommes directement liés au consommateur ainsi qu'à des sociétés comme Robin Hood et CSP Foods de Saskatoon.
En 1996-1997, notre capacité de mouture s'élevait à 22 p. 100 de la capacité de production. À en croire M. Pizzey, cette industrie peut cohabiter avec la Commission du blé. Il s'agit d'une industrie active et dynamique. Nous exportions beaucoup de farine vers les États-Unis.
En ce qui a trait à l'orge brassicole, le Canada est -- et de loin, notre principal client, ce qui nous indique que nous faisons du bon travail. Tous les intervenants sont liés dans la séquence des valeurs: l'agriculteur, le négociant, le sélectionneur de végétaux et le transformateur intermédiaire. Nous travaillons actuellement avec Labatt et Molson pour créer un centre d'excellence pour l'orge brassicole. Toute l'industrie est intégrée à la séquence des valeurs. Il existe peu de pays où l'on peut en dire autant. Une fois de plus, nous sommes passés de 800 000 tonnes en 1991-1992 à 1,2 million de tonnes dans la dernière campagne agricole.
Même si nous avons maintenu nos exportations d'orge brassicole et que nous espérions même les accroître en raison de la demande mondiale, les exportations de malt ont évolué au même rythme. Il s'agit de l'orge brassicole transformée principalement dans l'Ouest canadien avant d'être exportée vers les marchés mondiaux, le malt de toute première qualité étant destiné aux micro-clients.
Voici maintenant qui va vous donner une simple idée de la croissance de l'industrie du malt. La couleur bleue illustre les usines de malt de l'Ouest canadien et l'expansion qu'elles ont connue au cours des deux ou trois dernières années. De toute évidence, le fait que la Commission canadienne du blé fasse partie de la séquence de valeur ne nuit pas à l'industrie -- c'est plutôt le contraire.
Au cours des trois ou quatre dernières années, nous avons déployé beaucoup d'efforts pour tenter d'associer de plus près l'industrie des céréales biologiques à la commercialisation de son produit. On vous aura répété à maintes reprises que, les producteurs biologiques sont de petits agriculteurs, qu'ils créent leurs propres débouchés et que la procédure de rachat leur nuit. Je comprends que la procédure de rachat puisse constituer pour eux un irritant, mais elle ne devrait pas nécessairement constituer pour eux un obstacle. Le Canada doit se mettre au travail et établir un programme de certification des produits biologiques. Ce programme doit respecter les normes internationales, ou les surpasser. Il devrait certainement surpasser les normes fixées dans le projet de loi américain sur les produits biologiques qu'étudie actuellement l'administration américaine.
Nous travaillons de concert avec des sociétés céréalières -- et le Syndicat du blé de la Saskatchewan constitue à cet égard un exemple précieux -- pour les aider à établir dans les Prairies des centres de collecte des céréales biologiques. Dans la commercialisation des céréales biologiques, le principal défi consiste à rassembler des quantités suffisantes pour répondre aux besoins d'un consommateur pendant une période de 12 mois. Le Japon en est un exemple. Les Japonais, si nous pouvions leur garantir un approvisionnement, achèteraient de gigantesques quantités d'orge et de blé biologiques de l'Ouest canadien, mais les clients soucieux de la qualité ne veulent pas devoir entrer dans un marché et en sortir, faute d'approvisionnement suffisant. Nous avons encouragé des sociétés céréalières à désigner comme biologiques certains des élévateurs à grain qui, dans les Prairies, ont été abandonnés et à les faire certifier: ainsi, on pourrait y acheminer les céréales biologiques, les y manutentionner et les y mélanger sans compromettre leur certification biologique. Si j'achemine des céréales biologiques à mon élévateur de Pilot Mound, où se trouve mon exploitation, les céréales ne sont plus biologiques. Elles perdent immédiatement leur certification. Pour faire du biologique, on a besoin d'installations où acheminer le grain. À cet égard, le Syndicat du blé de la Saskatchewan, qui est le plus important intervenant, est en mesure d'offrir à ses producteurs un paiement initial, tout comme celui dont bénéficient les producteurs commerciaux, ainsi que la prime versée dans le marché pour le grain biologique, tout en s'occupant de toutes les activités liées à la commercialisation et à l'administration ainsi qu'en assumant tous les risques.
En vertu du régime actuel, les producteurs qui tentent d'effectuer toutes ces tâches s'associent parfois à un négociant qui assumera une partie des risques; généralement, c'est toutefois le producteur biologique qui assume lui-même tous les risques.
Maintenant que le Syndicat du blé de la Saskatchewan s'intéresse à ce secteur, N.M. Paterson envisage sérieusement de faire de même. D'autres syndicats étudient sérieusement la possibilité de désigner comme organiques des élévateurs qui, autrement, seraient détruits. Dès que trois ou quatre entreprises auront fait leur entrée sur la scène du biologique, la Commission du blé pourra beaucoup plus facilement assurer à de grandes sociétés du Japon un approvisionnement de 1 000 tonnes par mois de blé biologique CWRS no. 1, à teneur en protéines de 13,5 p. 100.
Nous n'en sommes pas encore à ce point, mais nous n'en sommes plus très loin. L'établissement de normes nationales de certification pour les produits biologiques constitue un élément critique. Nous espérons que, après de nombreuses années d'attente, nous avons bon espoir que cela sera fait d'ici la fin de l'année.
J'aimerais maintenant parler brièvement du rachat. Mon exploitation se trouve à 15 milles de la frontière américaine, de sorte que je suis au courant de l'attraction qu'exerce ce marché. Parfois, le prix payé à 20 milles de mon exploitation est bien supérieur au prix commun prévu pour une culture donnée. Lorsque, par conséquent, un prix atteint un tel niveau, je tiens vraiment à effectuer un rachat. Je veux vendre mes céréales aux États-Unis pour tenter de gagner de l'argent.
En réalité, il s'agit du prix du marché que la Commission du blé obtient aux États-Unis pour le blé dur à un moment donné. Lorsque la Commission fixe le prix de rachat pour un producteur, elle l'établit à ce niveau. On ne peut créer un prix artificiel pour vendre au producteur. Lorsque, ici, le prix est à la baisse, les producteurs sont plutôt heureux de livrer leurs céréales à la Commission.
Les producteurs biologiques, qui ont eux-mêmes l'expérience du marché parce qu'ils n'ont pu s'en remettre à des comptes de mise en commun pour vendre leurs céréales biologiques, dont nous ne pouvions nous occuper, connaissent les règles du jeu, de sorte qu'ils achètent à prix réduit pour vendre à prix plus élevé. Dans ce marché, les prix sont fixés quotidiennement à Minneapolis. Ces prix sont régulièrement communiqués aux producteurs. Ceux qui effectuent des rachats peuvent obtenir chaque jour, par télécopieur, des données sur les coûts exacts des rachats. Pour avoir une idée juste des perspectives de rendement prévues, ils peuvent consulter les babillards des élévateurs ou notre site Web. Ils peuvent déterminer s'il vaut ou non la peine d'effectuer un rachat, selon leur capacité d'écouler leurs produits sur le marché américain.
S'ils sont bons négociants, comme bon nombre d'entre eux le prétendent, ils achètent à bas prix et revendent à prix élevé. S'ils rachètent à prix élevé, ils devraient savoir que la Commission du blé, dans ce marché, obtient un meilleur rendement qu'eux et est en mesure de récupérer plus d'argent qu'eux. En fait, ces sommes seront probablement supérieures aux perspectives de rendement prévues.
Si on ouvre la frontière et qu'on laisse à ces producteurs la possibilité de vendre au petit bonheur, la ligne rouge va s'abaisser. C'est aussi simple que ça. Pour nous, il s'agit d'un marché à prix fort.
M. Brian White, chef intérimaire, politique générale et analyse de marchés, Commission canadienne du blé: Je veux aborder deux ou trois questions qui ont été soulevées à l'occasion des audiences que vous avez tenues jusqu'ici. La première est l'idée d'une option de retrait pour les agriculteurs. Offrir une option de retrait revient dans les faits à établir la double commercialisation.
J'aimerais aussi parler des faits récents survenus en Ontario, où la situation est toute différente de celle qu'on connaît dans l'Ouest canadien, et donner notre point de vue sur cette évolution.
En ce qui concerne la double commercialisation, nous devons d'abord nous interroger sur les raisons qui expliquent l'existence du régime actuel. En quoi ce régime de commercialisation procure-t-il aux agriculteurs des avantages qui s'ajoutent à ceux dont ils bénéficieraient s'ils commercialisaient leur grain à titre individuel? Si nous n'ajoutons pas de la valeur, nous devons sérieusement nous interroger sur le bien-fondé de la Commission du blé. Or, nous croyons créer de la valeur ajoutée. Au cours de la dernière décennie, la Commission du blé a fait l'objet d'attaques et d'analyses soutenues, et nous nous sommes beaucoup interrogés sur nous-mêmes. Nous avons dû réfléchir sérieusement aux caractéristiques du régime qui ont pour effet d'ajouter de la valeur.
On en revient au fait que les agriculteurs des Prairies exercent un monopole sur la commercialisation de leur blé et de leur orge. Telle est la principale source de la valeur. Nous avons pu identifier deux autres facteurs, à savoir la mise en commun des prix et le partenariat avec le gouvernement fédéral que les activités de commercialisation de Commission canadienne du blé représentent pour les agriculteurs. Toutefois, c'est le monopole qui est à l'origine de la principale partie de la valeur ajoutée.
Le fait que les agriculteurs exercent un monopole sur la commercialisation de leur orge et de leur blé est, comme vous le savez, un fait très inusité dans la société canadienne. Récemment, on a fait l'annonce de la fusion prochaine de deux banques. Or, la première question qu'on se pose à ce sujet est la suivante: ces fusions n'entraîneront-elles pas un effritement de la concurrence du marché pour les consommateurs canadiens?
Il existe un Bureau de la concurrence et une politique fédérale de la concurrence. Pourtant la loi confère un monopole aux producteurs de blé et d'orge de l'Ouest canadien. Dans le secteur bancaire et dans tout autre secteur de l'économie, nous craignons la domination des marchés parce que, nous le savons, une telle situation n'est guère avantageuse pour les consommateurs qu'elle laisse à la merci des responsables des monopoles. Pourtant, nous ne semblons pas nous en préoccuper lorsqu'il s'agit des producteurs d'orge et de blé de l'Ouest canadien. Nous ne semblons pas préoccupés par le fait que nous laissons les consommateurs canadiens et les consommateurs des pays vers lesquels nous exportons à la merci de monopoles.
Même si, de façon vague, on fait référence au monopole de la Commission canadienne du blé pour désigner le monopole en question, ce dernier n'appartient pas à la Commission. Il appartient aux producteurs d'orge et de blé de l'Ouest canadien. La Commission du blé n'est que le mécanisme qui assure le fonctionnement du monopole.
Si l'Ouest canadien ne comptait que cinq agriculteurs, la Commission du blé n'aurait pas de raison d'être: les agriculteurs pourraient se regrouper et s'entendre pour partager les marchés entre eux. La réalité est toutefois que l'Ouest canadien compte 110 000 agriculteurs et qu'on doit constituer un mécanisme pour leur permettre d'exercer les pouvoirs que leur confère la loi, à savoir le pouvoir d'extraire du marché une valeur additionnelle.
Quel est le but ultime de ce mécanisme de commercialisation? Premièrement, obtenir plus d'argent pour les agriculteurs et le monde agricole de l'Ouest canadien. Qui peut s'y opposer? Il s'agit là d'un but louable. Deuxièmement, on cherche à commercialiser le grain de façon cohérente, soit, en d'autres termes, à adopter une approche intelligente et planifiée de la commercialisation du grain ainsi qu'une stratégie annuelle de commercialisation. Troisièmement, on fait en sorte que les agriculteurs ne se disputent pas les mêmes ventes. C'est-à-dire qu'on essaie d'éviter qu'ils ne se livrent concurrence, dans le marché canadien ou dans le marché d'exportation -- on veut plutôt qu'ils serrent les coudes et tiennent bon pour obtenir un meilleur prix.
Comme M. Hehn l'a dit, il existe une formidable concentration des pouvoirs dans d'autres secteurs de l'industrie céréalière. Il s'agit d'un mécanisme qui permet aux agriculteurs d'exercer eux-mêmes certains pouvoirs.
On peut soutenir que les consommateurs canadiens, assujettis aux résultats de ce monopole, sont quelque peu désavantagés, tout comme nous le serions si les grands magasins étaient regroupés au sein d'un monopole. Toutefois, le régime trouve dans la politique officielle une solide justification, soit l'idée qu'on peut obtenir plus d'argent pour les agriculteurs et les collectivités agricoles, à un coût pratiquement invisible pour les consommateurs canadiens, étant donné que la valeur de la matière première dans le produit final -- un pain ou une bouteille de bière -- est minime. Par conséquent, nous pouvons créer un monopole et procurer aux agriculteurs une valeur ajoutée, sans que les consommateurs s'en aperçoivent, ou presque.
Si ces trois éléments procurent une valeur ajoutée aux agriculteurs des Prairies, qu'en est-il de la double commercialisation ou d'une autre forme d'option de retrait? Par définition, le monopole disparaîtrait. Cela va sans dire. La principale source de valeur que représente le régime de commercialisation pour les agriculteurs serait perdue. Nous pensons que les comptes de mise en commun et la mise en commun disparaîtront peu de temps après. Nous ne serions plus en mesure d'offrir des services de mise en commun. Si le marché libre cohabite avec la mise en commun, nous savons d'expérience que les agriculteurs iront et viendront entre les deux. En d'autres termes, ils voudront vendre dans le marché libre lorsque le prix du marché libre sera plus élevé; lorsque le prix sera inférieur au rendement du syndicat, ils voudront vendre leur production à ce dernier.
Toutefois, le syndicat, au bout du compte, se retrouvera dans une situation de déficit. C'est ce qu'on a observé dans les années 30, époque à laquelle les deux régimes ont coexisté, et cette expérience vaut toujours aujourd'hui. En 1998, rien n'a changé au point d'invalider les enseignements du passé. À cet égard, la pire période a été les années 1938 et 1939: les comptes de mise en commun ont alors accumulé un déficit de 61 millions de dollars parce que, tout au long de la campagne, les prix du marché libre ont été inférieurs au paiement initial de la Commission du blé, de sorte que, naturellement, les agriculteurs ont vendu à la Commission du blé.
Si les deux régimes coexistaient, on pourrait également soutenir -- même si cela pourrait faire l'objet d'un débat -- que des pressions s'exerceraient pour que le gouvernement fédéral renonce en partie à sa participation aux activités de commercialisation de la Commission du blé. Les autres sociétés céréalières canadiennes se plaindraient du fait que les règles du jeu sont inégales. Les emprunts de la Commission du blé sont garantis par le gouvernement fédéral, mais ni l'UGG, ni le Syndicat du blé de la Saskatchewan ne bénéficient de telles garanties, de sorte que ces organisations exigeraient l'élimination d'un tel avantage. Vous pouvez imaginer le genre de pressions qui s'exerceraient. En fait, de fortes pressions s'exerceraient pour que le gouvernement fédéral se retire du secteur de la commercialisation du grain.
Une fois le monopole éliminé -- ce qui, par définition, se produira si on adopte la double commercialisation ou l'option de retrait -- et une fois supprimée la mise en commun et le lien avec le gouvernement fédéral, à quoi pourrait bien servir la Commission du blé? La Commission du blé n'aurait plus de raison d'être.
M. Hehn a fait référence à la perception que les clients ont de nous. À mon avis, on doit se garder de faire fi des preuves de réussite. Le marché et les clients nous indiquent que la Commission du blé est considérée -- et de loin -- comme le premier fournisseur de blé au monde.
Nous pourrons entrer plus en détail dans la question de la double commercialisation ou de l'option de retrait pendant la période de questions. Toutefois, le débat pourrait se prolonger.
L'Office ontarien de commercialisation du blé se trouve dans une situation toute différente de celle de la Commission canadienne du blé dans la mesure où son marché principal est le marché intérieur, c'est-à-dire les meuneries ontariennes, et aussi l'ACDI, l'Agence canadienne de développement international. Pour l'office ontarien, les États-Unis ne représentent qu'un marché résiduel, et on ne peut en dire autant pour nous. Si, néanmoins, l'Ontario continue de mettre en oeuvre les mesures recommandées en Ontario par les délégués, on peut se demander combien de temps s'écoulera avant qu'on ne crée un marché continental -- en d'autres termes, dans combien de temps les meuneries ontariennes exigeront-elles, le moment venu d'acheter du blé ontarien, qu'on les traite sur un pied d'égalité avec les meuneries des États-Unis. Dès lors qu'elle s'intégrera à un marché continental, la province pourra tout aussi bien opter pour un marché tout à fait libre. Foncièrement, il s'agit là de ses deux principaux clients, à savoir les clients intérieurs et les clients américains.
Dans l'Ouest canadien, la situation est passablement différente. Nous vendons aux États-Unis environ 1,5 million de tonnes de blé, soit de 300 à 400 000 tonnes de blé dur et 1,1 million de tonnes de blé de mouture. Nous vendons également aux États-Unis 700 000 tonnes d'orge brassicole ainsi qu'une certaine quantité d'orge fourragère. Si les agriculteurs avaient la possibilité de se retirer ou de vendre librement aux États-Unis, ainsi qu'on le propose pour l'Ontario, il ne fait aucun doute que les prix supérieurs que nous tirons de nos ventes aux États-Unis diminueraient. En vendant leurs produits sur le marché américain, les agriculteurs provoqueraient une baisse des prix sur le marché américain, ce qui constituerait un impact transférable dans la mesure où les prix à l'exportation américains subiraient des pressions à la baisse, ce qui, au bout du compte, aurait un impact sur nos propres prix à l'exportation. Selon les volumes vendus aux États-Unis, nous ferions face ou bien à une fermeture des frontières américaines imposée par le gouvernement américain ou, comme en 1994-1995, à l'imposition de quotas sur la quantité de grain canadien pouvant être exporté aux États-Unis.
Nous ressentons également des inquiétudes à propos du blé canadien qui transiterait par les États-Unis avant d'être vendu à d'autres marchés d'exportation, qui, dans certains cas, versent une prime importante pour acheter du blé canadien. Pour acheter du blé canadien et bénéficier d'un approvisionnement sûr, les Japonais paient aujourd'hui une prime de 45 dollars canadiens la tonne par rapport au blé concurrentiel, le Dark Northern Spring, dont la teneur en protéines est de 14 p. 100. Cette somme de 45 dollars la tonne constituerait un incitatif puissant pour certaines entreprises, qui se contenteraient de faire transiter le blé canadien par le marché américain pour nous faire ensuite concurrence au Japon. N'oubliez pas que le régime a pour but de faire en sorte que nous travaillions ensemble, sans nous couper l'herbe sous le pied ni nous livrer concurrence pour les marchés d'exportation.
L'autre problème, c'est que, comme nous commercialisons selon un plan de mise en marché et que nous réservons des quantités de blé de grande qualité pour certains clients, nous pourrions nous retrouver, dans l'hypothèse où nous n'aurions pas le contrôle sur la commercialisation de ce blé de grande qualité, dont une partie serait vendue aux États-Unis, dans une situation où du blé de grande qualité serait parfois vendu aux États-Unis à un prix plus bas que celui que nous pourrions obtenir, disons, au Japon. Nous diminuerions l'approvisionnement des autres marchés pour les céréales de grande qualité, comme le Japon, ce qui nuirait à la réputation du Canada à titre de fournisseur fiable.
Le fait est que la Commission du blé vend aux États-Unis des quantités considérables de céréales à prix fort et qu'elle obtient pour les agriculteurs un prix plus élevé que celui qu'ils obtiendraient eux-mêmes s'ils commercialisaient leurs produits individuellement. C'est un fait. Parfois, on a l'impression que nous ne sommes pas présents au sein de ce marché, ou que nous passons à côté des occasions qu'il offre. Ce n'est pas le cas. Dans le marché américain, la clé consiste à ne pas tuer la poule aux oeufs d'or. C'est un marché à prix fort. Nous pouvons nous y engager jusqu'à un certain point, mais, au-delà, on s'expose à des pressions politiques, et tout le monde le sait. Nous devons vendre des produits aux États-Unis sans dépasser le seuil de tolérance et, on peut l'espérer, sans s'exposer à des quotas ou à la fermeture du marché. Nous vendons des produits aux États-Unis et nous obtenons un prix élevé pour les agriculteurs, et je me demande bien pourquoi nous devrions y renoncer.
Le président: La question du monopole s'est certes posée assez souvent à l'occasion des audiences que nous avons tenues dans l'Ouest; le plus souvent, probablement, c'est la question du choix et de la double commercialisation qui s'est posée. Voici ce que me disent les agriculteurs locaux que je rencontre: les monopoles ont donné de bons résultats pour les banques, qui réalisent des profits records. Les monopoles ont donné de bons résultats pour les sociétés céréalières, qu'il s'agisse du Syndicat du blé de la Saskatchewan ou du terminal Weyburn, et ces entreprises affichent toutes des profits records. Au cours du premier trimestre, elles ont, une fois de plus, affiché des profits records. En même temps, les agriculteurs, étant donné le monopole dont ils bénéficient, sont inquiets à propos de ce que leur réserve l'avenir. Aujourd'hui, les prix du grain sont moins élevés qu'il y a sept, huit ou dix ans. À Macoun, en Saskatchewan, le prix de l'essence a encore une fois augmenté de un cent le litre, lundi matin. Dans notre propre exploitation, nous avons livré 535 boisseaux de grain au terminal Weyburn. La vente nous a rapporté environ 3 500 $. Les frais de transport et de manutention imputés sur le grain ont été de 1 570 $, et nous avons obtenu un petit chèque d'à peu près 1 700 $. Les agriculteurs se demandent ce que le monopole fait pour eux par rapport à d'autres monopoles.
Les sociétés pétrolières se tirent très bien d'affaire. En 1972, le baril de pétrole coûtait 2 $, et le boisseau de blé coûtait 2 $. Le prix du pétrole est monté jusqu'à 26 $, et aujourd'hui il est en baisse. Il n'y a pas de comparaison. Les coûts de nos intrants sont élevés.
Il n'y a pas si longtemps, j'ai discuté avec des représentants d'ADM, au Dakota du Nord, à propos des prix du canola. Ils s'attendent à ce que le prix du canola baisse de 9 $ le boisseau environ à 7 $. Ils croient qu'un même sort attend le lin. J'aimerais entendre vos commentaires à ce sujet. Je comprends bien que cette question n'est pas directement liée au projet de loi C-4; pourtant, elle est au coeur des problèmes auxquels les agriculteurs des Prairies sont confrontés, et elle est très grave.
M. Hehn: Monsieur le président, vous avez abordé un sujet sur lequel je pourrais m'étendre longuement, mais, ce matin, le temps est précieux.
À une certaine époque, le Canada disposait d'un système de double prix, parce qu'un monopole pouvait en assurer l'administration. Il y a un certain temps, les Canadiens ont décidé que le mécanisme de fixation des prix devrait être transparent et que nos usines de transformation devraient pouvoir soutenir la concurrence de leurs homologues américains en ce qui a trait à la matière première, de manière à ce qu'elles puissent se prendre en main et déterminer si, sur le plan de la transformation, elles peuvent offrir un rendement supérieur du point de vue économique.
Nous avons renoncé au système de double prix et nous fixons désormais les prix à la lumière du prix de Minneapolis, qui est parfaitement transparent. Chaque jour, les meuneries savent exactement quel est le prix et savent aussi quels sont les prix hors marché par rapport aux autres meuneries. Nous sommes concurrentiels dans l'axe est-ouest aussi bien que dans l'axe nord-sud. À titre de monopole, nous pourrions exiger un prix plus élevé pour ces grains, mais cela ne serait pas sain pour la valeur ajoutée dans l'Ouest canadien.
Le mieux que nous puissions faire, c'est de faire payer le prix qu'on obtient ailleurs dans le monde. En vertu des nouvelles règles commerciales mondiales, le monde verrait d'un mauvais oeil que nous exigions davantage des transformateurs du pays, parce qu'ils assimileraient nos exportations à du dumping. Nous nous buterions alors à un problème commercial.
Le véritable problème a trait aux interventions des gouvernements dans le marché, qui n'ont pas disparu. Les gouvernements intervenaient directement en accordant des subventions à l'exportation, et un volet de cette aide existe encore aujourd'hui. À cet égard, l'orge constitue un exemple parfait. Aujourd'hui, la Communauté européenne offre une subvention à l'exportation de l'orge qui équivaut à 47 ECU la tonne. Si on convertit cette somme en dollars canadiens, on aboutit à une subvention de l'ordre de 65 à 70 dollars la tonne. Permettez-moi maintenant de vous parler des répercussions sur les prix.
En octobre et en novembre dernier, nous vendions aux Saoudiens à des prix mondiaux de l'ordre de 135 $ à 140 $ US la tonne FAB au départ de Vancouver. Aujourd'hui, nous nous compterions chanceux d'obtenir 85 $ la tonne FAB au départ de Vancouver. Cette diminution s'explique en grande partie par la subvention à l'exportation, mais une partie encore plus grande du phénomène est imputable au mécanisme de la boîte bleue dont la Communauté européenne s'est dotée -- c'est ce qu'on appelle le «soutien découplé», qui encourage la production nationale. En 1993, la production d'orge a augmenté de 22 p. 100 dans les 15 principaux pays producteurs d'Europe.
À la fin de janvier, la Communauté européenne s'est vue dans l'obligation d'exporter ses surplus. Il n'y avait pas d'autre solution possible. À la fin de janvier, elle n'avait trouvé preneur que pour 20 p. 100 de ses surplus. Elle a dû songer à une autre solution. Elle a donc accordé une subvention à l'exportation de 47 ECU, ce qui a fait chuter les prix mondiaux.
Le principal problème, c'est que de telles mesures encouragent la production. Depuis 1993, la production d'orge a augmenté de 22 p. 100, et celle de blé, de 24 p. 100. L'aide totale estimative accordée par l'UE pour les céréales en 1998 -- c'est la somme que l'agriculteur reçoit, sans avoir à produire -- est de 422 $ l'hectare, soit 90 $ la tonne, étant donné leur capacité de production.
Comme le prix interne était élevé, le prix de restitution l'était aussi. À la suite de la signature de l'accord sur le commerce mondial, ils ont réduit de 19 p. 100 le prix de restitution, ce qui a provoqué une baisse du prix-plancher en Europe. C'est alors qu'est entré en scène un mécanisme de soutien parallèle garantissant aux agriculteurs 250 ECU l'hectare, à titre de paiement de la boîte bleue. La réduction initiale a été de 29 p. 100, et le commissaire évoque aujourd'hui la possibilité d'apporter une nouvelle réduction de 20 p. 100. Parallèlement, il évoque la possibilité de faire passer l'aide aux agriculteurs de 250 ECU l'hectare à 300 ECU l'hectare, ce qui représente une augmentation de 22 p. 100 au titre du paiement découplé.
Vous et moi sommes dans l'industrie agricole, et nous savons qu'il faut beaucoup de capitaux pour y réussir. Lorsqu'on donne à un agriculteur plus de 400 $ l'acre, il réinvestira la somme dans ce qu'il connaît le mieux, à savoir la production. Il achètera des engrais et des produits chimiques et tout le reste, et une partie de la somme sera immobilisée dans des terres.
C'est une longue réponse à votre question, monsieur le président, mais je ne pense pas qu'on puisse compter sur la vente à guichet unique pour surmonter certains de ces obstacles. Au fil des ans, le guichet unique a permis aux agriculteurs de soutenir la concurrence de ces marchés, mais les agriculteurs ont été durement touchés par les subventions à l'exportation. Elles nous permettent de vendre, mais le rendement final des agriculteurs est durement touché.
Lorsqu'on étudie les perspectives de rendement pour 1998-1999 par rapport aux perspectives de rendement pour la période dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui, à savoir 1997-1998, on constate qu'un écart considérable est en voie de se creuser. Une bonne partie de cet écart s'explique par le fait que la production mondiale de l'année dernière s'est établie à un niveau sans précédent de 608 millions de tonnes. Cette année, nous prévoyons qu'il sera de l'ordre de 585 millions de tonnes. L'année dernière, nous avons atteint un sommet, et, cette année, nous aurons la troisième récolte de blé en importance dans l'histoire du monde. Le Canada est l'un des rares pays à avoir réduit la superficie ensemencée et la production pour surmonter ce problème lié à l'offre et à la demande. Le problème va bien au-delà de la seule question du guichet unique.
Le président: L'autre grand problème a trait aux frais de transport. Au Manitoba et dans l'est de la Saskatchewan, en particulier, les frais de transport posent problème. Bon nombre d'agriculteurs soulignent que les frais de manutention et de transport monopolisent jusqu'à 40 p. 100 de leurs livraisons.
M Hehn: Une fois de plus, vous faites allusion à une forme d'aide gouvernementale qui a été supprimée en 1995. Les agriculteurs de l'Ouest canadien ne bénéficient pratiquement d'aucune forme de soutien découplé, à l'exception des petites sommes consacrées à la recherche et au CSRN. Sinon, il n'y a pas au Canada de soutien indirect correspondant aux 420 $ l'hectare alloués en Europe.
Dans le dossier des frais de transport, je dois faire preuve de la plus grande prudence. J'ai témoigné aux audiences de l'OTC et, même si nous avons réglé avec le CN, l'affaire qui nous oppose au CP est toujours en cours, de sorte que je dois veiller à ce que mes propos de ce matin ne puissent être utilisés publiquement pour faire pencher l'opinion dans un sens ou dans l'autre dans l'affaire du CP.
Cela dit, on a fixé un plafond pour les frais de transport au Canada parce que nous avons le tarif compensatoire, qui est lié au coût. En d'autres termes, il s'applique au coût variable plus une variable de 20 p. 100 à titre de contribution au coût fixe. Il y a un plafond. Si on établit l'équivalence avec le tarif de la société Burlington Northern, on constate que notre tarif est beaucoup moins élevé. M. Geddes y a fait allusion, et cette donnée fait partie de l'équation. Si nous optons pour le tarif du marché libre, notre situation s'aggravera encore.
Le président: Les agriculteurs nous disent que, lorsqu'ils reçoivent un produit -- qu'il s'agisse d'une voiture, d'une machine à laver ou d'une pièce d'équipement --, ils paient les frais de transport. Pourquoi devraient-ils payer les frais de transport qui s'appliquent à l'expédition de leurs produits? Il semble y avoir une politique de deux poids deux mesures.
J'étais à l'aéroport l'autre jour, lorsqu'un des gardiens m'a apostrophé. Je ne devrais pas dire cela, mais il a dit, «Tu fais du bon travail, Len». Je ne sais pas qui c'était, mais je l'ai remercié. C'est au Sénat que revient vraiment le crédit. Il a dit: «Pourquoi est-ce qu'il nous faut payer le fret sur tout ce que nous achetons, mais lorsque les marchandises vont dans l'autre sens, le producteur paie? Cela ne fonctionne tout simplement pas.»
Je me suis entretenu avec des agriculteurs biologiques. S'ils envoient un conteneur de blé en Europe, c'est l'acheteur qui assume le fret. Leur prix de vente peut aller jusqu'à 10 $ le boisseau. Est-ce que cela changera? Dans quelle situation se retrouveront-ils?
M. Hehn: Vous venez d'aborder la question que les gens comprennent le moins dans l'Ouest du Canada. Quand c'est la Commission canadienne du blé qui règle la transaction, nous prenons en considération tous les coûts dès le départ. Pour tous les autres produits qui sont transigés, c'est le prix du marché à terme moins la déduction pour le fret qui établit le coût au comptant. Pour les ventes canadiennes, cela est pris en considération dès le départ et déduit.
Cela concerne aussi la déduction que nous faisons lorsque nous établissons le prix pour le marché intérieur. Un compense l'autre.
M. Geddes: La plus grande difficulté que nous éprouvons en parlant aux agriculteurs, c'est essayer expliquer comment fonctionne le système.
Lorsque nous mettons du grain sur le marché, le prix est établi FAB Vancouver. Pour nombre de clients payant un prix équivalant au DNS à 14 p. 100, le prix du 15 avril s'élevait à 243,89 $. Nous aurions pu le mettre plus haut pour essayer de négocier un meilleur prix, mais dans le monde, les clients savent que c'est cela, la valeur de la denrée. C'est la valeur FAB.
La plupart des clients assument le fret pour le transport du Canada à leur pays. Il arrive que l'on assume le fret jusqu'au pays d'exportation, mais cela est intégré au prix.
Ce que l'agriculteur comprend, ce que je comprends moi-même, c'est que la même tonne de grain à la ferme vaut 243,89 $, mais, en réalité, cela n'est pas le cas. Si j'habite Swift Current, elle vaut 189,82 $ parce qu'il faut que j'assume des coûts pour me mettre dans une position qui me permettra de le vendre. D'ailleurs, si la Commission du blé le souhaitait et que les systèmes informatiques le permettaient, nous pourrions établir la valeur du grain -- par catégorie, par grade et par teneur en protéines -- à tous les endroits régionaux dans l'Ouest du Canada. Le client paierait le fret à partir de ce point-là. Ce que les gens ne comprennent pas, c'est le calcul du fret et le fait que le client paie le fret pour obtenir le prix FAB Vancouver.
M. Hehn: Sur le marché international, le grain vaut toujours le plus dans la position dite «point franco», au moment où il est prêt à être chargé dans le bateau du client. Dans le cas d'une opération au comptant comprenant assurance et fret, il atteint sa plus grande valeur à la porte de l'usine du client.
Permettez-moi une analogie pour vous éclairer. Disons que vous êtes client de John Deere et que vous achetiez une moissonneuse-batteuse. La moissonneuse-batteuse vaut nettement moins cher à l'usine de fabrication qu'elle vaut une fois que vous en disposez à la ferme, où vous pouvez l'utiliser. La même chose s'applique au blé. Le blé vaut beaucoup moins chez soi à la ferme, mais une fois qu'il est rendu au moulin qu'utilise le client, il vaut beaucoup plus. La différence, c'est le fret, les frais d'entreposage et l'assurance qu'il faut assumer pour le rendre à destination.
Il est difficile d'expliquer cela aux agriculteurs, car ceux-ci voient la déduction sur leur chèque. Ce qu'ils ne voient pas, c'est la déduction faite au moment de la vente à l'usine. S'il était possible de mettre les deux coûts un à côté de l'autre, il n'y aurait plus de problème, mais nous ne pouvons le faire.
M. Geddes: En ce qui concerne cette déduction de transport, les producteurs ont de la difficulté à comprendre le processus de rachat ou la vente directe, dans les cas où ils rachètent le grain de la Commission canadienne du blé et le livrent eux-mêmes, avec leur camion, à un client canadien. Le fret est alors déduit. Il est déduit pour que nous puissions déterminer la valeur du grain à cet endroit. L'argent ne va pas à une société ferroviaire: le grain n'a jamais été chargé dans un wagon. Par contre, les producteurs disent «Qui touche l'argent qui est déduit de nos chèques?» Personne ne touche cet argent. C'est simplement un mécanisme pour déterminer la valeur relative de cette tonne de grain, à l'endroit où elle se trouve dans l'Ouest du Canada. Cela vaut de même pour l'orge brassicole livrée à une malterie, à Biggar, en Saskatchewan. Le fret est déduit de la valeur relative établie à Vancouver, pour que l'on donne à cette orge la valeur qu'elle avait à la ferme où elle a été cultivée. Personne ne fait d'argent là-dessus.
M. Hehn: Nous pourrions éclaircir tout cela en déplaçant le point de départ de Vancouver ou du Saint-Laurent à un endroit régional. Pour établir le paiement initial, nous procéderions en prenant en considération chacun des endroits régionaux avec le fret déjà déduit. Du point de vue administratif, ce serait probablement plus difficile que cela.
Si les choses ne se règlent pas très bientôt, je crois que je vais recommander cela à nos gens: je crois que cela éclaircirait beaucoup les choses.
Le sénateur Spivak: Quant aux taux de fret, Harry Enns nous a déjà présenté un exposé sur la question. Il a décrit une situation où un agriculteur de Swan River a fait charger deux wagons, et l'un des deux wagons, c'est le coût du transport.
Les taux de fret au Manitoba ont augmenté de 39 p. 100 environ. Je ne sais pas si c'est la même chose partout, mais je sais que la commission Estey étudie la question. Or, vous avez comparu devant la Commission. Peut-être que vous pourriez nous dire ce que vous avez recommandé.
Est-il équitable pour le CN ou une autre entreprise d'imposer une augmentation de 39 p. 100? Si on regarde ce qui est arrivé au CN, les parts ont passé de 22 $ à quelque chose comme 80 $. Ces gens-là font beaucoup d'argent. Est-ce là un prix équitable? Est-ce un tarif équitable?
J'ai lu dans le journal un article où il était dit que les élévateurs à grande capacité s'amènent et que les camions se dirigent vers ces élévateurs. D'abord, on croit que c'est un problème parce que l'offre ne sera peut-être pas suffisante et que ce n'est peut-être pas une bonne idée de faire cela, mais ces gens demandent des subventions pour la réfection des routes, car les camions détruisent les routes. Il me paraît tout à fait illogique d'enlever les subventions aux chemins de fer. Je crois que Ralph Goodale a dit qu'il obtiendrait tout l'argent qu'il peut pour subventionner ces routes. Cela ne paraît pas être logique. Bien sûr, le CN trace maintenant une ligne droite jusqu'à la frontière mexicaine.
D'abord, comment entrevoyez-vous à l'avenir ce genre de rationalisation des chemins de fer pour ce qui touche le coût du fret? Est-ce que cela nous aidera?
Ensuite, que pensez-vous des tarifs qu'imposent les sociétés ferroviaires? Est-ce équitable?
Enfin, qu'avez-vous dit à la commission Estey, ou encore qu'est-ce que le gouvernement devrait faire, selon vous? Il ne me semble pas logique que le gouvernement subventionne les routes, après avoir enlevé les subventions aux chemins de fer.
M. Hehn: Voilà de bonnes questions: encore une fois, je dois faire attention à ce que je dis, car j'ai été témoin dans cette affaire et que l'affaire n'est pas close.
Vous avez décrit précisément en quoi consiste le défi de la commission Estey. Je ne peux honnêtement juger de ce qui est équitable et de ce qui ne l'est pas, car je n'ai pas la moindre idée de leur structure de coûts ni de leurs recettes par rapport à d'autres marchandises.
Le rapport annuel du CN en donne une certaine idée; dans le dernier rapport annuel, qui vient de sortir, les recettes tirées du transport du grain, par tonne-mille, sont supérieures aux recettes tirées du transport du soufre, du charbon et de l'engrais. Ce ne sont là que les recettes et, pour être juste envers le CN, je ne connais pas la structure des coûts, si bien que je ne peux faire de comparaison. À propos de l'augmentation de 39 p. 100 dont vous avez parlé, j'espère qu'ils n'ont pas dit cela, puisque les tarifs marchandises au Manitoba ont augmenté d'environ 139 p. 100 et non pas 39 p. 100. Avant 1995, le gouvernement couvrait 52 p. 100 du tarif, et l'agriculteur, 48 p. 100. À un moment donné, le paiement de soutien en entier, les 52 p. 100, a été éliminé. Ensuite, il y a eu le facteur d'ajustement du fret, le FAF, car les comptes de mise en commun couvraient le coût du transport par bateau. Les sociétés ferroviaires sont payées pour transporter le grain vers l'est jusqu'à Thunder Bay, là où la majeure partie du grain du Manitoba se retrouve. Ensuite, un tarif de transport par bateau de 16 à 18 $ est ajouté au transport du grain jusqu'au port. Les comptes de mise en commun absorbaient en entier le coût du transport par bateau. Nous avons «déplacé» une partie de ce coût de transport par bateau au pays même pour avoir une approximation du coût relatif du transport de la marchandise jusqu'au Saint-Laurent, notre actuel point de fixation du prix pour le paiement initial.
Le gouvernement n'assume plus les 52 p. 100, de sorte que le tarif a plus que doublé, puis il y a l'équivalent FAF qui entre en ligne de compte.
M. Geddes: Je peux vous parler de mon expérience personnelle, dans le sud du Manitoba. Dans le cas de notre orge fourragère, la déduction de transport sur mon chèque est passée de 18 $ la tonne à 43 $ la tonne, cette année. C'est l'impact dont parlait M. Enns lorsqu'il a parlé de la situation qui existe dans le sud-est de la Saskatchewan et dans le sud du Manitoba.
Le sénateur Spivak: Alors, je ne sais pas pourquoi les agriculteurs devraient cultiver des céréales. S'ils le font, ils devront les donner aux éleveurs de porcs à un tarif nettement inférieur, j'en suis convaincue, à ce qu'ils obtiendraient sur le marché international. Est-ce que la nouvelle configuration des chemins de fer, puis les acquisitions et ainsi de suite, auront pour effet d'abaisser les taux de fret? Où est l'espoir pour l'avenir?
Le sénateur Robichaud: C'est une très bonne question, mais nous étudions ici le projet de loi C-4; or, cette question a trait au transport. Je ne sais pas où nous nous en allons avec cela.
Le sénateur Spivak: Les problèmes des agriculteurs sont mis sur le do de la vente unique que fait la Commission canadienne du blé. Je laisse simplement entendre, comme l'a fait le président, qu'il nous faut tenir compte d'autres facteurs. Nous avons entendu dire à maintes reprises que la Commission canadienne du blé n'obtient pas un bon prix pour les agriculteurs et que, si ceux-ci pouvaient mettre leur grain sur le marché individuellement, ils pourraient obtenir un meilleur prix. Or, est-ce vrai? C'est pour cela que j'ai posé la question. Je devrais peut-être m'arrêter ici et laisser à d'autres sénateurs l'occasion de poser des questions.
Le sénateur Stratton: Vous avez fait allusion au fait que nos audiences dans l'Ouest du Canada s'apparentaient aux audiences tenues en rapport avec le projet de loi sur les armes à feu. Vous avez déclaré aussi que nous devrions aller de l'avant et adopter ce projet de loi. Il est tout à fait étonnant de constater la diversité des opinions exprimées dans toute la région de l'Ouest et de constater la véhémence avec laquelle elles sont exprimées.
En fin de compte, c'est une question de choix. Vous avez essayé de nous montrer pourquoi il faut que ce soit un comptoir unique, mais le fait est que la question du choix ne disparaîtra pas, même si le projet de loi est adopté.
Pour mettre les choses en perspective, disons que l'Office de commercialisation du blé des producteurs de l'Ontario, par l'entremise de ses délégués, a proposé de prendre en main la commercialisation du grain ontarien sur le marché américain. La décision sera prise sous peu. J'aimerais que vous nous expliquiez comment, si jamais cela se fait, la Commission du blé peut encore exiger et obtenir un régime de commercialisation à comptoir unique? Nous devons aussi tenir compte de ce qui s'est fait en Australie, où il existe un équivalent de la Commission du blé et où le choix existe. Je sais que les circonstances ne sont pas les mêmes là-bas, mais le producteur de l'Ouest voit cela, de sorte qu'il nous a demandé et qu'il nous demande toujours: «Si cela fonctionne là-bas, comment pouvez-vous me dire que cela ne peut pas fonctionner ici?» Voilà les deux dilemmes auxquels nous faisons face: le dilemme de l'office de commercialisation du blé des producteurs de l'Ontario et le dilemme australien. Ce n'est peut-être qu'une question de perception. Néanmoins, c'est une perception qui existe.
Harry Enns avait raison de dire que le Manitoba devrait s'engager dans la voie de la valeur ajoutée, même si cela ne réglera pas le problème en entier. Le sénateur Spivak n'est pas nécessairement d'accord avec l'idée qu'il y ait tant de porcs dans la province, mais le porc, le boeuf et le poulet apporteront sûrement une contribution énorme à l'agriculteur. Je crois que nous devrions poursuivre sur cette voie, car il est question ici de la survie économique de l'agriculteur. Si on tient compte du coût très élevé du transport, qui semble amorcer une montée vertigineuse, un certain désespoir s'installe chez les agriculteurs, qui demandent: «Est-ce que j'ai vraiment le choix?» C'est pour cela que des gens se retrouvent en prison. Que diriez-vous à l'agriculteur qui est prêt à aller en prison? Il semble que nous nous trouvions devant la perspective d'une agitation civile.
J'aimerais que vous reveniez à la question de l'office de commercialisation du blé des producteurs de l'Ontario. Comment pouvons-nous, le comité, dire aux agriculteurs qu'ils doivent accepter le comptoir unique, alors que les agriculteurs de l'Ontario ont le choix? Et comment expliquons-nous cela à la lumière de ce qui se passe en Australie?
M. Hehn: Permettez-moi de commencer en faisant un survol très rapide du comptoir unique, du point de vue opérationnel. D'abord, commençons par la prémisse selon laquelle l'élimination du comptoir unique élimine les avantages du comptoir unique. Il y a donc des avantages perdus. Nous avons des études qui confirment la nature de ces avantages.
Le deuxième facteur important, c'est que les directeurs d'élévateurs se retrouveront devant un conflit d'intérêts. Ils font des achats pour notre compte et ils font des achats pour le compte de l'entreprise, de sorte que nous serions en concurrence directe avec les entreprises exploitant les silos-élévateurs.
Le troisième facteur, c'est que la garantie gouvernementale sur les emprunts et les paiements initiaux serait contestée, car les entreprises affirmeraient sans délai que les règles du jeu ne sont pas équitables.
Quatrièmement, et c'est peut-être le facteur le plus important, on craint que la mise en commun ne soit pas viable dans l'Ouest du Canada. Plus tard, j'expliquerai pourquoi elle ne le serait pas, par rapport à l'est du pays.
Cinquièmement, disons que nous avons une grande présence sur la scène internationale. Nous transigeons sur un marché mondialisé et nous avons besoin d'une certaine masse critique pour financer tous les mécanismes de soutien nécessaires pour traiter dans un tel contexte. Il nous faut des renseignements commerciaux parmi les meilleurs au monde, ce que nous avons. Il nous faut une surveillance des marchés parmi les meilleures au monde, et permettez-moi de vous dire que la Commission du blé possède le meilleur mécanisme de surveillance dans le monde. Nous avons été chez Cargill et chez ConAgra, et nous avons vu leurs systèmes. Ils sont bons, mais le nôtre est supérieur.
Il faut du développement de marchés et du soutien technique. Nous en avons à revendre, car nous travaillons en équipe ici au Canada. Il faut des appuis financiers. Comme je l'ai déjà fait remarquer, nous sommes l'un des joueurs les plus importants du monde du point de vue des finances. Il faut aussi un centre d'information dans l'Ouest du Canada, étant donné tous les problèmes de transport, d'organisation et de capacité qui existent. Encore une fois, nous sommes le centre d'information de l'Ouest du Canada.
Par exemple, le «bogue du millénaire» coûtera environ 13 millions de dollars à notre organisation. Le problème sera réglé dès novembre ou décembre, cette année. Ce n'est là qu'un exemple.
Si on commence à réduire le volume, on entame tous ces services et on n'est plus en mesure de faire le travail de commercialisation d'antan.
Comme M. White l'a fait remarquer, la situation en Ontario est très différente de la nôtre. En Ontario, le marché principal, le marché lucratif, le marché auquel les gens destinent leurs meilleurs produits sur le plan de la qualité, c'est le marché intérieur. Chaque fois qu'ils vendent une tonne de grain sur le marché intérieur, ils ajoutent de la valeur au compte de mise en commun. Le marché américain a une valeur moindre. Par conséquent, chaque fois qu'ils vendent des denrées aux États-Unis, ils font baisser la valeur du compte.
La situation dans l'Ouest du Canada est très différente. Comme, dans l'Ouest du Canada, nous ne vendons aux États-Unis que des produits de très grande qualité -- mises à part de faibles quantités destinées à nourrir les animaux, s'il y a un gel ici --, le marché américain représente pour nous une très grande valeur, car il permet d'accroître le rendement moyen du compte de mise en commun, surtout dans les secteurs fortement subventionnés de la planète que cible l'Europe. C'est donc une situation différente. En éliminant du compte la portion américaine de nos ventes, nous en abaissons la valeur tout en tendant à abaisser le prix mondial, car le prix mondial est établi aux États-Unis.
Tout de même, c'est du transbordement que nous nous soucions le plus. Avec une prime de 40 $, le blé canadien qui va de l'Ouest aux États-Unis par application d'un droit de retrait comme en Ontario se retrouverait au Japon ou en Corée, ou même en Angleterre ou en Italie. Cela abaisserait la prime que nous réussissons à obtenir.
Si vous êtes en train de négocier un contrat avec les Italiens, les Coréens ou les Indonésiens, vous ne voulez pas qu'il y ait quelqu'un tout juste de l'autre côté de la porte qui propose un chargement de blé canadien. Dans un tel cas, le prix ne peut qu'aller dans un sens. Cela a certainement des conséquences du point de vue du rendement.
En rapport aussi avec la situation ontarienne, les ministres Goodale et Vanclief ont tous deux reçus de l'Association des meuniers de l'Ontario une lettre où le point de vue est exprimé avec vigueur. Dans sa lettre, l'Association affirme que les règles du jeu ne sont plus équitables, que les meuniers ontariens sont traités différemment des meuniers américains. On ne peut jouer sur les deux tableaux. Il faut soit le comptoir unique, soit le marché libre.
Ce n'est pas encore fini dans le cas de l'Ontario. Ce n'est peut-être que le début.
Le sénateur Whelan: Cela n'a même pas commencé, et je ne crois pas que cela va décoller.
M. Hehn: La Commission canadienne du blé et la Commission australienne du blé, ce sont deux choses tout à fait différentes. Si le Canada était une île comme l'Australie, un régime mixte de commercialisation serait viable. Mais le Canada n'est pas une île. Nous avons une frontière avec le plus important exportateur de blé du monde, et c'est pourquoi nous avons des agriculteurs en prison. Il est très difficile de surveiller cette frontière, et peut-être encore plus difficile de surveiller la situation si un droit de retrait est appliqué.
L'Australie est une île; elle n'a pas de frontière avec un autre pays. Elle applique un régime de double commercialisation sur son marché intérieur seulement. Elle conserve le comptoir unique pour l'exportation, et le président de la Commission australienne du blé m'a dit que les agriculteurs australiens ne sont pas prêts à y renoncer. Le comptoir unique pour l'exportation a beaucoup d'appuis en Australie.
L'autre grande différence dans le cas de l'Australie, c'est que pratiquement tout le grain qui y est récolté se retrouve sur le circuit commercial. Il n'y a pas de réseau restrictif de transport et de manutention.
Notre système national au Canada a une capacité d'environ 5,5 millions de tonnes. Nous y faisons transiter environ 37 millions de tonnes par année, c'est-à-dire sept fois la capacité immédiate. En Australie, tout ce grain se trouve sur le circuit commercial. Tout le monde peut le voir, tout le monde en connaît la qualité, mais il n'y a pas de concurrence pour ce qui est de l'accès au circuit commercial afin de fixer le prix du produit, ce qui est le cas sur le marché libre.
De même, le système australien de manutention en vrac a toujours appartenu pour une bonne part à l'État jusqu'à maintenant. Les gens qui possèdent les élévateurs ne font pas de commercialisation, ce qui est très différent de la situation existante dans l'Ouest du Canada. Les gens à qui appartiennent les élévateurs commercialisent aussi tous les autres produits, de sorte qu'ils seraient en concurrence avec nous.
Voilà les principales différences. Je ne sais pas si j'ai répondu à toutes vos questions.
M. Geddes: À propos du fait que la Commission et les producteurs en Australie ont le choix de vendre directement à l'industrie, dans l'industrie meunière d'Amérique du Nord, dès que l'on autorise un mécanisme de fixation des prix qui est différent ou «inférieur» pour les meuniers canadiens, le commerce cesse immédiatement. Soit que l'on opte pour cela, soit qu'on libéralise tout. Il n'y a pas d'option mitoyenne qui permettrait de laisser l'industrie intérieure au Canada fonctionner en marge de la Commission canadienne du blé. Si nous le faisions, la minoterie qui a une assez bonne présence sur le marché américain cesserait d'y envoyer ses denrées, car elle n'aurait, pour s'approvisionner en blé, qu'à proposer le prix prévu par le syndicat du blé, et non pas le prix de Minneapolis.
Le président: Je lisais ce matin que la répartition des votes qui vont aux producteurs en Australie est fonction de la production. Au Canada, 80 p. 100 de la production est imputable à 20 p. 100 des agriculteurs, comme on ne cesse de nous le dire.
Que pensez-vous du fait que les agriculteurs australiens obtiennent X nombre de votes en fonction du nombre de tonnes qu'ils cultivent?
M. Hehn: Cela est peut-être lié à ce qu'ils ont mis dans l'importante réserve établie et à la façon dont la cession se fera en ce qui concerne la part de l'État.
Sauf tout le respect que je vous dois, monsieur le président, je crois qu'il ne conviendrait pas que les employés de la Commission canadienne du blé vous orientent quant au processus de sélection. La décision vous revient à vous, à vous et aux agriculteurs. Je crois que je me trouverais en conflit d'intérêts si je vous disais comment cette élection devrait se faire. C'est à vous de décider.
Le sénateur Stratton: Le fait qu'il y ait tant d'agitation autour de cela me perturbe. Quand même, vous semblez être tout à fait prêt à vivre avec cette agitation.
M. Hehn: Comme le sénateur Spivak l'a fait remarquer, l'agitation est attribuable pour une bonne part aux subventions et aux problèmes de transport. Retirer la clé de voûte ne me semble pas être la façon de régler le problème. Cela ne fera que compliquer les choses.
Le sénateur Stratton: Même si l'Australie est une île, leur équivalent de notre commission du blé n'assume-t-il pas encore 80 p. 100 au moins de la commercialisation du grain?
M. White: L'Australie a un monopole d'exportation. Elle a simplement un marché intérieur déréglementé. Vous venez de mettre le doigt sur l'éventuel problème politique. Je ne crois pas que quiconque le minimise, si l'Ontario choisit cette voie. Nous sommes au courant du problème et de l'agitation qui existent.
Nous présumons que le projet de loi sera adopté et que nous aurons un nouveau conseil d'administration, dont dix administrateurs seront élus par les agriculteurs. Cela donnera aux agriculteurs canadiens de l'Ouest l'occasion de se pencher eux-mêmes sur la façon de se tirer d'affaire. Nous croyons bien que lorsque les membres du conseil d'administration élus par les agriculteurs viendront à Winnipeg, ils seront impressionnés par le travail que nous accomplissons. Est-ce que cela permettra de régler la question de l'agitation civile? Cela paraît moins évident. Quand même, il appartient aux agriculteurs de faire la part des choses.
Le sénateur Stratton: Si, par exemple, le nouveau conseil d'administration, dans son infinie sagesse, décide de conserver le choix, avez-vous fait des travaux préparatifs à cet égard?
M. Hehn: Nous avons fait toutes sortes de travaux à l'interne. Nous n'avons pas étudié de régime particulier. Si le nouveau conseil nous donnait pour consigne de faire cela, nous le ferions certainement. Il y a toute la question du retrait valable pour trois ou cinq ans. Toutes ces choses, à mes yeux, peuvent avoir une certaine viabilité, sauf pour ce qui touche la surveillance. Elles paraissent bien sur papier -- et j'ai passé ma vie dans ce secteur, à la ferme, à l'élévateur, et maintenant à la Commission du blé --, mais je ne crois pas qu'elle soit viable sur une période prolongée. À un moment donné, le système s'effondrera. C'est mon opinion.
Permettez-moi de vous dire que, quelles que soient la proposition ou les directives du nouveau conseil à l'endroit du personnel, le personnel se pliera à sa volonté.
M. Geddes: Le sénateur Stratton a soulevé une question critique. À titre d'employé de la Commission du blé, cela me perturbe de constater le degré d'angoisse qui existe en ce moment chez les agriculteurs. Nous avons entendu parler d'agriculteurs qui laissent délibérément leur bétail mourir de faim, d'agriculteurs qui violentent délibérément les membres de leur famille ou leur banquier, ou qui se violentent délibérément eux-mêmes en raison des pressions qui s'exercent actuellement sur le monde agricole. Dans une certaine mesure, cela a trait à des agriculteurs qui sont prêts à pratiquer la désobéissance civile en croyant que cela leur permettra peut-être de sauver leur ferme. Cela nous inquiète au plus haut point à la Commission du blé.
Dans le débat qui nous intéresse ici, il importe de comprendre le degré de désinformation qui est en partie à l'origine de cette angoisse. Je n'ai eu qu'à citer deux témoins que vous avez entendus dans les Prairies depuis quelques semaines pour montrer le degré de désinformation qui existe à propos de la Commission canadienne du blé. Nous cherchons désespérément à discuter avec les agriculteurs de ce qui est vrai et de la façon dont fonctionne le régime. Notre première obligation consiste à commercialiser le grain, mais, de plus en plus, nous nous concentrons sur les communications. Il faut concilier cela et la responsabilité prévue dans la loi, c'est-à-dire de commercialiser le grain.
Le sénateur Hays: J'aimerais que vous expliquiez plus à fond ce qui se passe aux États-Unis pour ce qui touche les subventions ou les équivalents de subventions.
Nous avons parlé directement de ce qui divise tant les gens. C'est troublant. Essentiellement, cela tient au fait que, pour un grand nombre de producteurs, le blé et l'orge ne sont tout simplement pas des cultures rentables. La Commission du blé apporte le signal du marché aux producteurs, dont certains aimeraient bien tuer le messager. Bien sûr, la Commission n'est pas qu'un messager, et cela complique encore plus les choses.
Étant originaire de l'Alberta, j'ai écouté soigneusement la position de l'Alberta. En fin de compte, on n'y veut pas de commission du blé. Certaines personnes croient que celle-ci mènerait bien un régime mixte, d'autres, non. Par contre, les gens sont maintenant convaincus qu'il vaut la peine de courir le risque -- et si la Commission disparaît, alors elle disparaît. Nous nous retrouverions alors dans la réalité et ne serions pas soumis à la Commission. C'est le succès de la Commission qui les inquiète parce qu'elle continue à encourager la production de denrées, c'est-à-dire le blé et l'orge, qui ne sont pas viables pour un grand nombre de producteurs. Ils croient que si nous vendions tout le blé dur aux États-Unis, nous serions riches. Bien sûr, nous savons que cela n'est pas viable, mais je pense qu'ils le croient, eux. Pour ma part, je ne le crois pas.
Vous bénéficiez d'une bonne surveillance, de bons renseignements, vous nous avez donné des précisions sur les subventions européennes. J'aimerais savoir avec quoi nous devons composer pour ce qui est des subventions américaines. C'est là la question. Nous avons assisté en 1985 à une conférence animée par le président de l'Union européenne à l'époque. Cela fait longtemps, mais il n'y a pas grand-chose qui a changé depuis. Nous nous sommes appliqués à identifier les subventions et à les éliminer. En fin de compte, ce qui était rouge est maintenant vert. Il y a toutes sortes de chemins que nous pouvons prendre pour arriver à bon port, mais nous sommes encore pris avec la politique agricole commune de l'Union européenne aussi bien qu'avec la politique agricole américaine.
À la racine de ce problème, il y a le fait que ces denrées ne rapportent pas d'argent, mais qu'on nous encourage à les cultiver quand même pour des raisons stratégiques. Combien de temps faut-il maintenir cette stratégie? Nous avons fait état de scénarios où la Loi sur le transport du grain de l'Ouest n'existe plus. Nous respectons les règles que nous voulons que le reste du monde respecte, mais le reste du monde ne semble pas s'en soucier. Pouvez-vous nous préciser ce que les Américains entendent faire en rapport avec la subvention européenne à la production céréalière pour l'année à venir?
M. Hehn: Du côté des subventions à l'exportation, les États-Unis ont toujours leur programme de mise en valeur des exportations, mais ils ne l'ont pas utilisé depuis quelque temps. D'après les règles commerciales internationales, ils ont la possibilité de s'en prévaloir jusqu'à concurrence de 64 p. 100 du niveau précédent. C'est un instrument qu'ils ont toujours à leur disposition. Le Canada, bien sûr, n'a rien d'équivalent. Le seul instrument que nous avions jadis à notre disposition, c'était le taux du Nid-de-Corbeau, mais celui-ci n'existe plus.
Pour ce qui est de la «boîte bleue» ou du soutien indirect, le soutien découplé, il demeure autour de 65 cents US par boisseau par année. Les agriculteurs reçoivent deux chèques. Cela fait partie du programme Freedom to Farm. Celui-ci a été établi pour une période de sept ans -- et il faut tenir compte de certains facteurs en l'étudiant -- mais il restera en place jusqu'en 2003. L'agriculteur américain obtient toujours 65 cents US par boisseau, en fonction du rendement et de la surface cultivée, quelle que soit la culture, qu'il s'agisse de blé, d'orge ou d'autre chose. En dollars canadiens, cela représente à peu près 1 $ le boisseau. C'est la différence avec laquelle nos agriculteurs doivent actuellement composer. S'ils avaient 1 $ de plus par boisseau, leur colère ne serait peut-être pas si grande.
Les États-Unis investissent de grandes sommes d'argent dans les transports. Ils disposent de l'un des meilleurs réseaux routiers dans le monde. Il en va de même de leurs réseaux navigables. Le travail est pris en charge par le corps of Engineers et prévu dans le budget national. Appelez cela la «boîte verte», si vous voulez... il y a du côté des transports un soutien important que nous avons, nous, déchargé sur les autorités ou municipalités locales, qu'il s'agisse de la province, de la ville, du village, de la municipalité ou du comté.
Quant aux signaux des prix du marché, vous avez raison. Les agriculteurs n'aiment pas les mauvaises nouvelles. Ils nous disaient, il y a huit ans, que la Commission doit mieux leur révéler les signaux du marché, qu'ils ne recevaient pas suffisamment de renseignements commerciaux. Nous avons dit: «D'accord, nous allons faire connaître mensuellement les signaux relatifs aux prix, et nous allons commencer à le faire deux mois avant l'ensemencement».
Nous sommes le seul pays au monde qui donne aux agriculteurs un signal de prix deux mois avant l'ensemencement. Le problème, c'est qu'avec une saison pareille, si vous commencez à révéler ce que sera le rendement final sur un marché mondial, personne n'aime cela. Les gens disent qu'il nous faut faire quelque chose, qu'il faut peut-être se débarrasser de la Commission du blé parce que ce qu'elle obtient du marché ne vaut pas grand-chose de toute façon.
En vérité, c'est l'intervention étatique et l'accroissement de la production dans le monde qui exercent des pressions sur le prix. Je ne sais pas ce que l'on pourrait faire à cet égard. Nous sommes obligés de donner aux agriculteurs les signaux de prix, et nous nous acquittons de cette tâche. Toutefois, une fois que nous donnons les renseignements, il arrive que les gens se plaignent du fait que les nouvelles soient mauvaises.
Pour ce qui est de la situation en Alberta, surtout en ce qui concerne l'orge, ce n'est pas la même chose. Je serai le premier à admettre ici que c'est différent. C'est différent parce que, comme c'est le cas pour les producteurs de blé et l'office de commercialisation du blé en Ontario, le marché intérieur de l'orge est à la fois très important et bien établi, ce qui profite aux producteurs albertains d'orge. De fait, dans la partie sud de l'Alberta, le marché est à ce point développé que la région manque d'aliments de bétail; par conséquent, le prix de l'orge figure parmi les plus élevés dans le monde. C'est bon pour les agriculteurs. Nous ne voudrions pas nous mêler de cela. La situation n'est pas tout à fait la même. Les gens ne croient pas perdre quoi que ce soit, car leur marché est le meilleur qui soit dans le monde. C'est un élément important de l'une de leurs options, un des outils dans la boîte à outils, pour ainsi dire.
En Saskatchewan, une partie de l'orge produite est maintenant destinée à la région de l'Alberta qui a besoin d'aliments du bétail. Pour un grand nombre d'agriculteurs en Saskatchewan, le seul marché concerne les deux rubans d'acier, étant donné la grande capacité de production. On peut doubler le nombre de porcs ou doubler le nombre de têtes de bétail, mais cela ne représentera pas grand-chose dans la production qui reste à exporter.
Pour ce qui est des ventes de blé, si on ajoute le blé dur et le blé de meunerie, le marché intérieur représente de 2 à 2,4 tonnes environ, ce qui comprend la farine exportée, et le marché global tourne toujours autour de 10 p. 100. Les agriculteurs ne peuvent s'en remettre à un vaste marché intérieur, à un marché intérieur bien développé.
La situation du porc au Manitoba me sert parfois d'analogie. L'élimination du comptoir unique pour le porc du Manitoba, c'était très différent: le marché pour les agriculteurs y demeure encore pour une bonne part l'usine de transformation qui s'y trouve. Même lorsque le comptoir unique y a été éliminé, l'agriculteur pouvait toujours s'en remettre à l'usine.
L'agriculteur peut s'y prendre de deux façons. Il peut faire une livraison directe ou passer par Manitoba Pork, qui négocie avec l'usine. Son marché demeure. Éliminez le comptoir unique, et il faut organiser un chargement destiné au Japon -- il y a les tests de classement, les tests protéiques, les 40 tests portant sur les résidus chimiques et ainsi de suite. Il faut prendre les dispositions nécessaires pour que le chargement arrive à temps, se procurer toutes les lettres de crédit voulues et établir les arrangements financiers. Un agriculteur seul ne peut faire tout cela. C'est une situation différente.
Le sénateur Hays: Ma deuxième question est la suivante: qui devrait se trouver au conseil d'administration? Il doit y avoir quatorze membres et un président. Si la plupart des membres proviennent d'une seule province, est-ce que cela n'aggraverait pas les choses?
M. Hehn: La question la plus importante, sénateur, c'est celle de l'équilibre. Il faut une certaine représentation régionale. Encore une fois, je ne devrais pas sortir de mon champ d'action et commenter cela, mais je vais le faire en raison de mes antécédents personnels.
Il s'agit ici d'une entreprise internationale, de sorte que les administrateurs doivent prendre des décisions qui sont dans l'intérêt de l'entreprise. J'ai siégé au conseil d'une coopérative pendant 22 ans, et il y a toujours des pressions pour que l'on prenne des décisions au niveau opérationnel. Il y a toujours la pression locale. La pression atteindrait presque le point où les administrateurs voudraient décider quels élévateurs sont munis de goulottes de chargement pour les wagons-trémies, et déterminer où la construction aurait lieu.
Un bon conseil d'administration se soucie de l'entreprise elle-même et cherche à prendre des décisions qui sont dans l'intérêt de l'entreprise et des services afférents. Il y aura de conflits régionaux, provinciaux ou locaux. Pour les résoudre, il faut aspirer à un certain équilibre. S'il y a trop de régionalisation, le conseil sera politisé. Les décisions seront prises dans l'intérêt régional, et cela, ce n'est pas bon.
Comme il y aura cinq administrateurs de l'extérieur nommés par le gouvernement, et dans la mesure où les choses sont bien menées, et où c'est la compétence qui préside à leur nomination, il y aura un certain équilibre. On peut alors se permettre d'être un peu plus «régional» du côté des administrateurs élus.
Le sénateur Hays: C'est une entreprise internationale qui prend en charge vos vérifications, et vous en êtes heureux, d'après ce que j'en sais. Elle fait sans doute du bon travail. Il y a une certaine confusion à cet égard; vous pourriez peut-être le confirmer ou commenter. Il me semble que les gens qui veulent que le vérificateur général intervienne ne veulent pas qu'il prenne en charge la vérification, car le vérificateur général fait des vérifications de sociétés d'État. Je ne sais pas très bien s'il est autorisé à le faire dans le cas de la Commission du blé, mais il procéderait de la même façon que vos comptables et vous ferait rapport, et cela se fait dans le cas de la plupart des sociétés d'État ou dans le cas de certaines d'entre elles tout au moins.
Les gens veulent une vérification intégrée, une vérification de l'optimisation des ressources. J'aimerais connaître la position de la Commission du blé à cet égard; j'aimerais savoir si c'est le vérificateur général ou un cabinet de vérification comptable qui s'en charge. Plus particulièrement, j'aimerais savoir si vous avez vous-mêmes des réserves à cet égard -- ce serait une sorte de comparaison, et s'il n'y a rien à comparer, ce serait alors comme une enquête qui se fait à l'aveuglette, auquel cas ce ne serait pas utile. J'aimerais que vous commentiez cela.
M. Hehn: Voilà une très bonne question dont on a discuté et débattu.
Nous avons un système de vérification intégrée très élaboré à la Commission du blé. Nous nous sommes organisés comme bon nombre de sociétés au début des années 90, et nous avons créé un comité de vérification interne. Nous songeons aussi à faire siéger au comité de vérification interne une personne de l'extérieur, pour une plus grande transparence.
Nous procédons à des vérifications globales et très intensives de l'optimisation des ressources à la Commission du blé. Nous avons achevé une vérification intégrée du groupe des ventes et du service des ventes. Le financement de l'exportation et les ressources humaines se sont aussi prêtés à l'exercice. À l'heure actuelle, nous en sommes aux trois quarts de la vérification globale des communications. Dans chacun des cas, nous recourons abondamment à l'expertise extérieure. Parfois, les gens viennent de Toronto, mais Toronto, ce n'est pas le seul endroit au monde qui a une expertise à cet égard. De nos jours, la personne qui procède à la vérification intégrée des communications provient de Vancouver. À mes yeux, c'est un homme très compétent. Il a passé beaucoup de temps dans l'industrie forestière et dans l'industrie de la pêche. Vous connaissez bien tous les problèmes qu'ont ces industries. Un grand nombre des difficultés qu'il a relevées du point de vue des communications là-bas ne sont pas très différentes de ce qu'il voit à la Commission du blé. Nous avons actuellement des vérifications de l'optimisation des ressources. Nous avons un processus de vérification intégrée, et nous avons un comité de vérification interne, comme toute entité commerciale qui se respecte.
Quant à ce que le Vérificateur général se penche sur nos livres, la pression a toujours été la même, en ce sens qu'il veut voir les contrats de vente.
Voici le rapport annuel que nous avons produit pour l'an dernier. Il n'a pas encore été déposé à la Chambre. C'est probablement un document qui est beaucoup plus complet que ce que vous fourniront jamais ConAgra ou Cargill. Tout de même, vous n'obtiendrez pas celui de Cargill. Il comprend à peu près tous les renseignements que vous voudriez obtenir.
Nous n'avons pas inclus toutes les annexes dans le rapport cette année. Anciennement, nous dressions le bilan de la Commission pour les dix années précédentes et décrivions les marchés où nous avons oeuvré. L'information en question sera diffusée publiquement dans un document distinct. Nous étions d'avis que le document renfermait trop de renseignements du point de vue de nos concurrents. À la seule étude du document, ils pouvaient bien déterminer notre plan d'action.
La non-divulgation d'informations peut se faire pour deux raisons, d'abord, il y a la sensibilité du client. Si votre client ne veut pas que son prix soit divulgué, mais que vous le divulguez quand même, vous perdez le client en question.
Il y a un autre motif à cette sensibilité: la concurrence. Eaton n'informe pas Sears de ses projets. On ne veut pas d'une situation où la Commission du blé parlerait aux U.S. Wheat Associates, à l'USDA ou à la U.S. Commodity Credit Corporation -- qui est une très grosse société à guichet unique, sur le côté du crédit -- de quoi que ce soit concernant ses affaires.
Selon moi, nous avons fait preuve de transparence à tous les égards, sauf en ce qui concerne ce qui est délicat pour le client et ce que nous, les administrateurs, considérons comme délicat pour la concurrence.
Revenons au vérificateur général. Tout d'abord, lorsque nous deviendrons une entreprise mixte, je ne suis pas sûr que nous pourrons recourir légalement au vérificateur général.
De plus, il s'agit d'une vérification très complexe. Si vous posez la question à Deloitte & Touche, qui sont reconnus dans le monde entier, ils vous diront qu'il s'agit d'une des vérifications les plus complexes de leur portefeuille. Que voulez-vous, la vérification doit être si exacte. Nous n'avons pas de fonds de roulement. Nous ne pouvons nous payer le luxe d'avancer les paiements, de retarder les paiements, ou de rajuster les comptes de l'an dernier. Nos activités sont finales. Chaque année, nous fermons les livres et remettons tous les profits ou l'intérêt aux agriculteurs, jusqu'au dernier sou. Il nous faut ensuite emprunter de l'argent pour commencer l'année suivante. C'est à peu près comme si on procédait à la dissolution complète d'une entreprise, qu'on remettait toutes les parts aux propriétaires et qu'on lançait une nouvelle entreprise.
Si vous ajoutez à cela la participation à la gestion du risque que nous assumons, qu'il concerne le taux de change, le financement des exportations ou la mise en marché, vous verrez que la vérification doit être très complexe.
Je ne vous poserai qu'une question: le vérificateur général a-t-il les ressources voulues pour arriver et faire notre vérification? Je ne le sais pas.
En tant que responsable de cette affaire, toutes les fois où je change de vérificateur, je me pose la question suivante: ont-ils les employés, les ressources et la capacité pour faire cette vérification complexe? Si c'est le cas et qu'ils peuvent convaincre l'administrateur que je suis qu'ils peuvent faire le travail à temps, je serais prêt à envisager qu'ils le fassent.
Je les mettrais en concurrence avec Deloitte & Touche, et je laisserais le nouveau conseil décider lequel nous en donne le plus pour notre argent. Si nous parlons d'une vérification de l'optimisation des ressources effectuée par le vérificateur général, je pense qu'il faut laisser le conseil d'administration décider, comme dans n'importe quelle autre entreprise, et susciter la confiance dont je vous parlais.
Le sénateur Stratton: Toutes la question de la vérification du rendement effectuée par le vérificateur général concernait l'affaire de confiance dont vous avez parlé. Les agriculteurs ne semblent pas faire beaucoup confiance à la Commission du blé.
Oh, ils n'ont pas l'intention de venir et de faire la vérification à votre place. Je ne pense pas que ce soit leur intention. Ce qu'ils voudraient que le vérificateur général fasse, hormis les vérifications habituelles, c'est de faire une vérification du rendement et de dire aux agriculteurs quels secteurs peuvent être améliorés. Cela ramènerait la confiance envers le système. Je recommanderais que le conseil demande au vérificateur général de s'acquitter de cette tâche précise.
Mon prochain point est rhétorique, mais il doit néanmoins être consigné. Le président doit évidemment provenir de l'Ouest canadien.
M. Hehn: Je ne pense pas qu'il y ait quoi que ce soit dans le projet de loi qui l'impose.
Le sénateur Stratton: Je vous pose la question: si vous vendez du blé des agriculteurs de l'Ouest, le président ne doit-il pas venir de l'Ouest canadien?
M. Hehn: Compte tenu de la taille qu'a pris cette entreprise, je pense que nous devons embaucher l'un des meilleurs présidents du monde. S'il faut pour cela sortir de l'Ouest canadien ou du Canada tout entier, alors qu'on le fasse.
Il se pourrait que je me sois moi-même éliminé de la liste des candidats, sénateur.
Le sénateur Whelan: C'est dommage que nous ne vous ayons pas entendu avant nos audiences dans l'Ouest. Vous nous avez donné des informations qui nous auraient été utiles au sujet de vos activités.
Lorsqu'on vous a qualifié de monstres, j'ai été réprimandé par un des mes collègues. Mon Dieu, vous me semblez plutôt normal aujourd'hui. Je ne vous ai pas vu depuis un certain temps, mais vous ne semblez pas avoir tellement changé depuis quelques années.
M. Hehn: On m'a déjà donné des noms bien pires.
Le sénateur Whelan: Ce n'était pas très correct. Ils ont dit continuellement -- et je suis sûr que vous avez lu certaines des transcriptions -- qu'ils voulaient des agriculteurs. Je leur ai dit que, à ma connaissance, Lorne Hehn et Earl Geddes étaient des agriculteurs pratiquants.
Nous avons l'impression qu'il y a beaucoup d'insatisfaction, mais lorsqu'on regarde les votes en faveur du comité consultatif, on remarque qu'environ 90 p. 100 d'entre eux appuient la Commission du blé.
En ce qui concerne la personne qui représentait la Canadian Wheat Growers Association, je n'en revenais pas lorsque j'ai appris d'où l'organisme tirait son financement. J'étais absolument révolté de découvrir que même John Deere et d'autres grosses entreprises finançaient la Canadian Wheat Growers Association.
Je veux, à ce sujet, poser une question qui découle de celles du sénateur Hays et du sénateur Spivak.
Je pense qu'on nous a jeté de la poudre aux yeux au sujet des subventions et qu'on ne nous a pas dit la vérité au sujet de l'Organisation mondiale du commerce et ainsi de suite. Je lis beaucoup de publications agricoles. Elles ne précisent pas directement, comme vous l'avez fait aujourd'hui au sujet des subventions européennes, la menace que représentent les Américains, avec leur puissante loi qu'ils peuvent utiliser toutes les fois où ils le jugent bon, et l'énorme subvention versée par le Corps of Engineers américain pour le transport. Bien des gens ne se rendent pas compte du fait que 80 p. 100 du grain qui se rend dans les ports de la côte ouest des États-Unis arrive par barge. Le Corps of Engineers y participe à coût de millions de dollars par année. Pourtant, nous condamnons durement les agriculteurs du Manitoba, qui sont les plus durement touchés par la hausse des tarifs de transport.
J'ai récemment lu un article du rédacteur en chef du Manitoba Co-operator concernant la production du porc. Selon lui, les chiffres que donne le ministre Enns sont irréalistes; il dit qu'on n'obtiendra jamais ce point de production et que même si on le faisait, le rendement demeurerait très incertain.
Par rapport à la communauté européenne et aux Américains, avons-nous réduit trop vite les subventions que nous accordons aux agriculteurs?
M. Hehn: Je pense que nous avons peut-être mal jugé les répercussions du soutien découplé. Dans les discussions qui concernent le commerce, les gens se laissent prendre au jeu. L'approche préconisait l'élimination du soutien direct, parce qu'il a un effet sur le prix. C'est exact. Les subventions à l'exportation sont tout simplement des escomptes sur le prix, et il n'y a pas d'autres façons de les décrire.
Je pense que nous nous sommes effectivement fait jeter de la poudre aux yeux. Nous n'étions pas réellement sensibilisés au fait que la culture du grain est une entreprise à forte concentration de capitaux, et toutes les fois où l'on remet à ces agriculteurs un chèque distinct qui est totalement découplé de la production, cela aura un effet direct sur leurs méthodes d'agriculture, leurs cultures et l'importance de celles-ci.
Lorsque nous participions à des discussions sur le commerce -- et je dis «nous» parce que je suis en partie responsable, parce que lorsque je n'étais pas avec la Commission du blé, je participais à l'examen de mi-mandat et aux discussions très orageuses de 1989 et de 1990, lorsque certains de ces principes ont été arrêtés et qu'il y a eu des discussions au sujet des boîtes rouges, ambrées et vertes qui ont mené à la création de la boîte bleue -- nous pensions que, au pire, la production européenne se stabiliserait. Je ne pense pas que quiconque ait crû qu'elle diminuerait beaucoup, mais nous avions à tout le moins l'impression qu'elle se stabiliserait. Cela n'a pas été le cas. La production de blé est passée de 83 millions de tonnes en Europe en 1993 à une production prévue de 100 millions de tonnes cette année. La production d'orge a augmenté de 22 p. 100 depuis 1993. Ce soutien indirect a des répercussions, même aux prix très faibles d'aujourd'hui. Les seuls qui semblent s'adapter à la situation sont les agriculteurs canadiens et australiens. Par conséquent, vous avez des systèmes à guichet unique dans le monde, qui réagissent au marché mondial, et vous avez des adeptes du libre marché qui vont en sens contraire. C'est selon moi un véritable problème. C'est pourquoi je pense que nous avons été en quelque sorte trompés.
Le sénateur Stratton: J'ai une question supplémentaire.
Le sénateur Whelan: Laissez-le finir.
Le sénateur Stratton: Ce que j'ai à dire a un lien important avec ce dont nous discutons. J'ai une lettre, datée du 9 avril 1998, rédigée par un délégué au congrès du Montana, M. Rick Hill, et adressée au représentant du commerce américain à Washington. Dans sa lettre, il mentionne que, étant seul représentant du Montana, il a entendu à maintes reprises des cultivateurs lui dire à quel point le dumping de grain canadien avait miné la viabilité de l'économie agricole de son État.
Lorsque nous parlons de subventions, nous sommes toujours exposés à un véritable problème de perception. Qu'en pensez-vous?
M. Hehn: Au cours des cinq dernières années, nous avons été l'objet de cinq vérifications, et aucune d'entre elles n'a pu être étayée. Je ne sais pas ce qu'il faut qu'on fasse de plus.
Sénateur Stratton, vous devez accepter que ces vérifications soient effectuées par eux, et non pas par nous.
Ils ont maintenant demandé à notre gouvernement de voir si nous pourrions être réceptifs à l'idée que les États-Unis procèdent à une vérification complète de nos ventes de blé de mouture, y compris de celles qui sont destinées à des pays tiers. Pourquoi devrions-nous ouvrir notre registre de ventes à des pays tiers au plus grand exportateur de blé du monde?
Le sénateur Stratton: Je suis tout à fait d'accord avec vous, monsieur.
M. Hehn: Vous m'avez mis en colère avec cette lettre.
Le sénateur Stratton: Ce qui me met en colère, moi, c'est l'idée des subventions, parce que ce n'est pas juste. Ils n'auraient rien de plus pressé que de nous fermer la porte au nez.
M. Hehn: Les politiciens américains veulent nous affaiblir, et la façon la plus facile d'y arriver est de nous affaiblir sur le plan de la concurrence et d'affaiblir la Commission du blé.
Le président: Les témoins peuvent-ils revenir après le dîner?
M. Hehn: Je ne peux pas, monsieur. J'ai un avion à prendre à 14 h 30. Je préférerais que l'on continue jusqu'à 12 h 30, environ.
Le président: Le problème, c'est que d'autres sénateurs ont des questions.
Le sénateur Whelan: J'espère que vous n'allez pas me donner moins de temps que mes collègues.
Au cours de nos réunions, on nous a dit à maintes reprises que les Japonais s'opposaient à la vente par guichet unique, aux activités de la Commission canadienne du blé. On nous a également dit qu'ils s'opposaient fermement à la disposition d'inclusion contenue dans le projet de loi. Est-ce le genre de commentaire qu'on vous a fait?
M. Hehn: Je ne suis pas sûr de bien comprendre la question. Êtes-vous en train de me dire que les Japonais exerçaient des pressions contre certaines de ces choses?
Le sénateur Whelan: C'est l'impression que j'ai eue. Il me semble qu'ils intervenaient réellement dans nos discussions.
M. Hehn: Nous n'avons jamais été témoins de ce genre d'intervention, et jamais ils n'en ont parlé dans les discussions que nous avons eues avec eux. Les Japonais n'avaient qu'une seule préoccupation: l'approvisionnement.
Nous avons également eu un problème de qualité au cours des trois ou quatre dernières années. Nous n'avons pas toujours été capables de leur donner la qualité qu'ils voulaient, par exemple pour le blé dur. Ils auraient voulu une teneur plus élevée en protéines, mais nous n'avons tout simplement pas produit suffisamment de blé à haute teneur protéinique. Nous avons signalé la chose à nos sélectionneurs de végétaux, et ils vont y donner suite.
Les Japonais étaient également très mécontents des problèmes de transport que nous avons récemment connus. Ils voulaient que le produit leur arrive au moment convenu. Leurs usines se modernisent. Ils ne peuvent se permettre d'attendre le produit durant trois ou quatre mois. Cependant, je n'ai pas eu connaissance de ce dont vous avez parlé, sénateur.
Le sénateur Whelan: J'ai toujours été en faveur d'une mise en marché ordonnée de la vente par guichet unique. Les gens qui dirigent la Commission canadienne du lait sont nommés par le gouvernement, tout comme ceux qui dirigent le Conseil national de commercialisation des produits agricoles, qui supervise la mise en marché des oeufs, du poulet et du dindon. Je ne peux voir comment ils pourraient autrement faire preuve d'efficience.
Je me rappelle que le Conseil économique du Canada a affirmé que la mise en marché par la Commission canadienne du blé était l'exemple idéal de la mise en marché, comparativement au régime qui a cours dans l'industrie du lait et dans celle de la volaille. Le Conseil économique a déclaré que c'était le meilleur au monde.
Comme je l'ai dit, nous aurions dû entendre votre témoignage avant de partir en voyage. Il n'y a pas de meilleur régime de mise en marché que le nôtre dans le monde, et vous l'avez confirmé encore une fois aujourd'hui. Cependant, il y a beaucoup de malentendus concernant le régime.
Tout au long de ma carrière, j'ai assisté à des centaines de réunions partout au Canada, et jamais auparavant je n'ai vu des ministres provinciaux adopter une telle attitude à ce sujet, particulièrement en Alberta et au Manitoba. C'était incroyable de voir comment ils montaient une partie du Canada contre une autre. Il y a tellement d'éléments en cause ici.
Vous avez parlé de l'industrie du blé de mouture. Cette industrie est en grande partie contrôlée par des étrangers n'est-ce-pas?
M. Geddes: Depuis 10 ans, une grande part de l'industrie canadienne a été achetée par des entreprises américaines.
Le sénateur Whelan: Vous avez parlé de notre système d'entreposage du grain. Arrêtez-moi si je me trompe, mais est-il vrai qu'il ne reste aux Grands Lacs qu'un seul élévateur gouvernemental qui ne soit pas contrôlé par les Américains? Je pense qu'il est à Cornwall ou à Brockville.
M. Hehn: Oui, s'il en reste, il n'y en a plus qu'un ou deux.
Le sénateur Whelan: Vous avez parlé de ce qui se passe dans l'industrie de la mouture. Je pense qu'Archer Daniels Midland contrôle au moins 80 p. 100 de cette industrie en Ontario.
M. Hehn: Je ne pense pas que ce soit aussi élevé. C'est plus près de 55 p. 100.
M. Geddes: L'utilisation de la capacité de production d'ADM au Canada représente environ 50 p. 100 de l'industrie canadienne de la mouture.
Le sénateur Whelan: Quand nous avons parlé de l'élection des administrateurs, vous avez déclaré que le gouvernement devrait décider comment cela se ferait.
Est-ce que je me trompe ou est-ce que les représentants de l'Ontario Wheat Producers Association ne viendront pas témoigner devant notre comité?
Le président: J'ai parlé au président des producteurs de l'Ontario. Il m'a dit que 100 délégués participaient à la décision et que celle-ci était prise de façon très démocratique.
Le sénateur Whelan: Ce n'est pas ce que je vous ai demandé, monsieur le président. Je vous ai demandé s'ils viendraient témoigner devant notre comité.
Le président: Ils ont dit qu'ils nous parleraient volontiers au téléphone, mais qu'ils ne voulaient pas venir comparaître.
Le sénateur Whelan: Nous devrions avoir une audience publique où viendraient témoigner les producteurs, comme nous l'avons fait dans l'Ouest, pour que tous les producteurs soient traités de la même façon.
Ces réunions étaient arrangées. Les producteurs ne suivaient pas ce qui se passait. C'est inconcevable qu'ils aient pu faire ça. Ensuite, toutes les fois où je suis allé à une réunion, on me remettait sur le nez ce que l'Ontario fait. Je pense que la question du blé n'est qu'une goutte d'eau dans l'océan, mais je sais qu'elle peut avoir un effet draconien sur le principe de mise en marché ordonnée et sur la garantie selon laquelle la Commission canadienne du blé continuera de faire comme avant.
Le sénateur Fairbairn: Vous avez déjà répondu à bon nombre de mes questions. Au cours de ces audiences publiques, nous avons entendu les témoignages d'un grand nombre d'organisations et de particuliers. Il ne fait pas de doute que tout le monde souhaite que nous donnions aux producteurs agricoles de notre pays ce qu'il y a de mieux. De plus, nous voulons faire tout notre possible pour que le système leur évite certaines des difficultés inhérentes au marché international.
Il ne fait pas de doute que les subventions se poursuivront. Ce n'est pas seulement une question d'argent: dans certains pays, c'est une affaire d'histoire et de société. Peu importe ce qu'un accord de commerce international peut prévoir, je ne peux concevoir que les pays d'Europe, qui ont déjà connu la guerre et la famine, ne maintiendront pas jusqu'à un certain point les subventions afin d'obtenir une certaine protection.
Les États-Unis procèdent selon une démarche différente, mais ce sont aussi eux qui détiennent les outils. Ils ont d'autres outils que ceux dont nous avons parlé aujourd'hui. M. Geddes en a mentionné un ou deux, et nous en avons fait l'expérience. Nous nous rappelons trop bien toutes les angoisses qu'ont suscitées les quotas il n'y a pas si longtemps dans toute la communauté agricole du pays.
Je viens d'un endroit situé tout près de la frontière du Montana. Nous avons lu des lettres écrites par des politiciens de l'autre côté de la frontière. Tant que la situation est équilibrée, tout va bien, mais du jour au lendemain, nous nous retrouvons devant des accusations de dumping, et certains exigent à cor et à cri la fermeture de la frontière.
Évidemment, nous n'avons pas entendu tous les agriculteurs. Dans bien des cas, ils sont trop occupés pour venir témoigner devant un comité parlementaire. Dans d'autres cas, c'est l'appréhension qui les empêche de venir. Cependant, on nous a beaucoup parlé de «choix», de la capacité de décider ce qu'il convient de faire. Certains disent que vous pouvez avoir le choix et que la Commission du blé continuera d'exister, en dépit des changements, pour s'occuper de toutes les questions qui entourent l'exportation. D'autres se fichent pas mal que ça continue ou pas.
Certains agriculteurs du pays semblent penser qu'ils peuvent surmonter ces difficultés de quotas, de frontières, de subventions à condition qu'on leur donne la liberté de choisir la direction dans laquelle ils veulent aller.
Si la Commission du blé cesse d'exister, si on lui permet de disparaître, si on permet qu'elle cesse d'être la force de la mise en marché internationale qu'elle a été, nous n'aurons jamais une autre commission du blé au Canada. Si un régime de quotas est instauré, que les frontières sont fermées, qu'on donne des subventions et que le marché va mal, qui alors aidera nos agriculteurs? Vers qui se tourneront-ils? Vers les entreprises commerciales? Est-ce que ce sont elles qui vont les aider dans l'avenir?
Sans la Commission du blé, nos agriculteurs devront-ils s'occuper eux-mêmes de leurs opérations à l'échelle internationale, par l'entremise d'un organisme comme, par exemple, Cargill ou ConAgra? Est-ce là le choix qui s'offrira aux agriculteurs canadiens? Je pense qu'il faut nous en inquiéter, parce que, quelle que soit la médaille qu'on choisit, elle aura deux côtés.
Le sénateur Spivak a soulevé la question des tarifs de transport, et cette question est très importante. Au cours de nos audiences, certains témoins, dont le ministre de l'Agriculture de l'Alberta, nous ont dit que nous ne devrions pas nous occuper du projet de loi tant que le rapport Estey n'aura pas été déposé. D'autres nous ont dit que ce projet de loi devait être adopté pour qu'un nouveau régime puisse être mis en branle pour les agriculteurs. Selon vous, quelle importance a le rapport Estey pour l'adoption du projet de loi C-4?
M. Hehn: Sur cette dernière question, sauf erreur, je ne vois pas qu'il y ait une corrélation directe. La question du transport est distincte de la mise en commun et du guichet unique. Selon certains, la Commission participe de trop près à la répartition des wagons, et nous ne laissons pas les sociétés céréalières administrer leurs actifs. Votre comité ne sait probablement pas que le conseil a convoqué une réunion il y a environ un mois et demi et a convaincu le secteur de passer à la répartition des zones. Nous aurons 12 zones dans l'Ouest canadien, de sorte que les sociétés céréalières auront toute la liberté voulue pour administrer leurs actifs. Sénateur Fairbairn, si cette situation a pu, à un certain moment, donner lieu à un problème, il a été dans une grande mesure réglé, ou il le sera cet été.
À compter du 1er août, ce sont les sociétés de chemins de fer qui formeront les trains. À l'heure actuelle, c'est nous qui le faisons. Nous prenons d'abord les wagons qui ne sont pas affiliés à la Commission et ceux qui le sont. Nous ajoutons ensuite les wagons de la Commission du blé, parce que nous sommes les plus gros expéditeurs. Dans l'avenir, les sociétés de chemins de fer assembleront les trains, et la situation sera inversée. Elles commenceront par les wagons de la Commission du blé et ajouteront les autres.
Cela dit, nous disposons toujours de la même souplesse, même si nous allons désormais répartir en 12 zones plus de 200 tronçons de train. Nous avons toujours la formule souple que nous avons instaurée il y a quatre ou cinq ans. L'an dernier, nous avons instauré une formule qui a un lien avec le rendement. Non, je ne pense pas que la question du transport ait beaucoup à voir avec le projet de loi.
En ce qui concerne les subventions, il s'est produit récemment quelque chose dont je dois vous parler. Lorsque nous avons entamé les négociations commerciales sur cette période de neuf ou dix ans, le principe sous-jacent était que nous ne devions pas tenter de nuire au droit d'un pays d'être autosuffisant, mais un pays n'a pas le droit, lorsqu'il atteint l'autosuffisance et que ses producteurs font de la surproduction, de faire du dumping sur le marché de l'exportation et de faire baisser les prix. Lorsqu'on a examiné des phénomènes comme le découplage, c'était en accord avec le principe selon lequel cette approche garantirait simplement à l'Europe qu'elle conserverait son autosuffisance. Je pense que tous les négociateurs croyaient, en procédant au découplage, qu'il n'y aurait pas de surproduction ni de dumping. L'histoire nous a montré que nous nous trompions.
Il y aura toujours des subventions. Tous les pays ont droit à l'autosuffisance. Nous ne voulons pas entrer dans ce débat politique. Le problème, avec toute cette question de choix, c'est qu'il n'y a pas de disposition de temporarisation. Il n'y a pas de position de repli. Nous devons vivre avec nos décisions durant très très longtemps. Il importe que nous fassions preuve de prudence et de méthode et que nous nous assurions d'avoir pris toutes les dispositions voulues.
Pour ce qui concerne ceux qui prendront la place, vous pouvez d'ores et déjà le voir, sénateur. Vous pouvez déjà constater l'important investissement qui est fait dans l'Ouest canadien. Ce sont eux qui rempliront le vide. Ils se préparent déjà pour le moment où nous ne serons plus là.
Je pense avoir répondu à votre question.
Le président: En ce qui concerne le choix, si je comprends bien ce que le ministre qui a comparu devant le comité a dit, la dérogation de l'Alberta a été soumise aux tribunaux et, légalement, selon les droits constitutionnels ou autres, l'Alberta n'a pas le droit d'appliquer une mesure d'exception pour se retirer. Cependant, si elle choisissait de se retirer, cela signifie-t-il la fin de la Commission canadienne du blé? C'était certes la position qu'a présentée le ministre au comité.
M. Hehn: En tous cas, ce serait certainement la fin de la Commission canadienne du blé, dans la forme où nous la connaissons aujourd'hui.
Le sénateur Whelan: Savez-vous ce que Thomas Jefferson a dit?
M. Hehn: Je ne suis pas si vieux...
Le sénateur Whelan: Durant la révolution américaine, il a dit: «Jamais une nation ne devrait dire à une autre comment elle devrait se conduire.» Les Américains n'ont pas l'air de s'en souvenir.
Le sénateur Fairbairn: J'apprécie votre réponse. Évidemment, nous pouvons tous le constater. Il y a diverses façons de prendre le contrôle d'un pays. La production alimentaire d'un pays est l'un des outils politiques absolument fondamentaux pour la liberté du pays, et cela est valable tout autant aujourd'hui qu'hier. C'est vraiment une cause d'inquiétude.
Le sénateur Stratton a parlé d'émotion et d'angoisse. Nous pouvons tous le sentir, vous y compris. L'un des problèmes, c'est que nous sommes arrivés à un point où, dans certains cas, le dialogue est rompu. Il n'y a pas de débat. Quelqu'un décide qu'il y a une seule façon de faire le travail et que cela va fonctionner. Je m'inquiète beaucoup de la façon dont notre pays va fonctionner si nous mettons en péril le succès économique de l'un des principaux instruments.
M. Hehn: En réponse à vos observations, je vous dirai que nous faisons pas mal de sondages. Dans tous nos sondages, il ne fait pas de doute que, si je sentais que la Commission du blé était pour demeurer en place et être efficace, je l'appuierais. Cet élément devient de plus en plus important dans l'équation.
Cependant, une chose ne gagne pas en importance et semble même en perdre: personne ne veut de marché libre, ou très rares sont ceux qui en veulent un. À tout le moins, le nombre de ceux qui voulaient un marché libre il y a cinq ou six ans n'a pas augmenté. Peut-être est-ce la meilleure façon de le dire. C'est très encourageant.
Si nous pouvons offrir des choix sans nuire à ces piliers, nous pourrions examiner la question. Nous pourrons offrir un certain choix en ce qui concerne l'établissement des prix. Nous avons déjà offert des choix quant à notre approvisionnement. Notre méthode d'approvisionnement est très différente si on la compare à l'ancien système de quotas, qui manquait beaucoup de souplesse. Il y a beaucoup de choix dans ce cas.
Le sénateur Fairbairn: Le projet de loi a prévu des choix.
M. Hehn: N'oubliez pas: avec une capacité de manutention de seulement 5,5 millions de tonnes, si vous aviez un marché libre, tout le monde ne pourrait pas accéder au système au moment où les prix sont les meilleurs. Le cycle doit se reproduire sept fois. Comment y arriver? C'est difficile de le faire par règlement. Que se passerait-il si, à l'automne, au moment où la production augmente, la base s'élargissait et que le rendement que touche les agriculteurs diminuait? Vers les mois de juin ou de juillet, au moment où les réserves s'épuisent, la base se rétrécirait, et le rendement que touchent les agriculteurs augmenterait. Cependant, le pauvre jeune agriculteur qui a le plus besoin d'argent recevrait le prix le plus bas, alors que l'agriculteur le plus riche recevrait le prix le plus élevé. C'est ce genre de lacune que la mise en commun corrige.
Le sénateur Fairbairn: Ça dépend aussi de ce que vous cultivez et de l'endroit où vous vivez.
M. Hehn: Oui. Si l'Alberta se soustrait à la Commission, elle se rapproche du Japon, et il ne fait aucun doute que si on y cultivait du blé à haute teneur en protéines, elle serait bien placée pour servir le marché japonais. Les répercussions de cette situation sur les producteurs de la Saskatchewan pourraient être graves. Nous sommes Canadiens, et nous devons nous attacher à ces questions en adoptant le principe selon lequel le tout est supérieur à l'ensemble de nos parties. C'est la tradition au Canada.
M. Geddes: Une chose est sûre: l'Alberta Grain Commission offrira un RPOC 13.0 au Japon, et la Commission canadienne du blé fera de même. Nous tenterons tous les deux de vendre. Nous offrirons de vendre à 5 $ moins cher que l'Alberta Grain Commission pour conclure l'affaire, et celle-ci rétorquera en baissant son prix à 5 $ plus bas que le nôtre. Il ne faudra pas beaucoup de temps avant que nous vendions au prix du PNW DNS 14, et pas à 45 $ (canadiens) de plus. C'est ça qui va se produire.
Le sénateur Spivak: Il y a une chose qui a soulevé une opposition presque unanime: c'est le fonds de réserve, formé de contributions versées par les agriculteurs.
J'aimerais savoir ce qui vous a amené à proposer le fonds de réserve et ce que vous en pensez, parce que je ne peux comprendre pourquoi le gouvernement veut maintenant qu'une partie des activités de la Commission du blé soit garantie par les agriculteurs ou repose sur eux.
Un témoin nous a montré un graphique -- je ne peux me rappeler de qui il s'agissait -- qui montrait l'augmentation des revenus bruts des agriculteurs, mais qui montrait aussi que le revenu net n'avait pas bougé depuis 1971.
Pourquoi voudrions-nous, à ce moment-là, et particulièrement du fait que ceux d'entre nous qui appuient la Commission du blé veulent réagir à ce qui est un véritable détournement d'un certain genre de processus politique, d'une situation dans laquelle les agriculteurs auraient une autre raison d'être irrités parce qu'il leur faut contribuer au fonds de réserve? Pourquoi le gouvernement ne pourrait-il lui-même établir le fonds de réserve? Ne le prenez pas mal: si nous pouvons garantir 1,5 milliard de dollars de vente de réacteurs nucléaires à la Chine, pour assurer la survie de notre industrie nucléaire, pourquoi ne pouvons-nous pas faire de même avec le fonds de réserve des agriculteurs?
M. Hehn: C'est une question politique. Il ne fait pour moi aucun doute que l'obligation de contribution est préoccupante. Comme nous allons désormais avoir un conseil élu, nous serons considérés comme une entreprise mixte. À cet égard, le gouvernement a déjà dit qu'il n'était plus prêt à souscrire au processus de paiement de l'ajustement, du paiement provisoire et du paiement final. Cependant, toutes les garanties demeureraient intactes, et le projet de loi le prévoit.
Le sénateur Spivak: Pourquoi?
M. Hehn: Je ne sais pas. Peut-être que vous devriez poser la question au ministre. Cependant, cela a trait au fait que l'entreprise est mixte et que le gouvernement ne participe plus aux activités financières de l'entreprise.
Cela dit, lorsqu'il a comparu devant le comité, M. Goodale a également déclaré que nous n'avons pas d'antécédents de déficit en ce qui concerne les paiements d'ajustement.
Lorsque nous avons posé la question aux agriculteurs au cours des quatre ou cinq dernières années, ils ont dit vouloir quatre choses: premièrement, une plus grande reddition de comptes; deuxièmement, plus de souplesse dans nos services, particulièrement en ce qui concerne l'établissement des prix. En un mot comme en cent, ils voulaient leur argent plus vite.
Troisièmement, ils voulaient être capables de faire leurs affaires dans des créneaux de marché, comme ils disent. La disposition de rachat permet cela. Quatrièmement, ils voulaient que l'établissement des prix dans le marché intérieur soit transparent. Nous avons fait d'énormes progrès en ce sens.
Lorsque nous donnons de la souplesse aux dispositions concernant les prix, ce qui revient simplement à dire: «Je veux mon argent plus tôt», certains risques se présentent. Au moment où l'agriculteur livre son produit, il touche un paiement partiel, qui, au début de la campagne agricole, équivaut probablement à environ 75 p. 100 du prix de réalisation final. À mesure que nous avançons dans l'année et que le rapport entre nos ventes confirmées et la portion non vendue change, nous devons porter ce paiement partiel à 85, voire 90 p. 100; en définitive, au mois de juillet de l'année de vente, nous pouvons probablement le porter à 95 p. 100 du prix de réalisation finale.
Les agriculteurs disent qu'ils veulent recevoir leur argent plus vite. Ils veulent que le gouvernement se retire de ce secteur parce que notre processus de décret prend trop de temps. Les agriculteurs veulent que le tout se fasse plus vite.
Le gouvernement dit: «Si vous voulez que cela se fasse plus vite, que vous voulez éviter ces détours parlementaires, vous devrez en contrepartie accepter certains des risques.» C'est exactement ce que couvre le fonds de réserve.
Les agriculteurs -- et particulièrement les jeunes -- nous disent qu'en raison des coûts, ils doivent faire un énorme engagement au printemps, en ne sachant pratiquement pas comment ils vont financer cet engagement: «Pour ce qui concerne certaines des autres récoltes, nous pouvons maintenant nous tourner vers une société céréalière et confirmer à l'avance le prix d'un contrat. Nous pouvons acheter les engrais, les produits chimiques et tout ce qui a trait au contrat.» Ce qu'ils nous demandent c'est ceci: peut-on établir un véhicule à peu près semblable avant les semailles ou au moment des semailles? Nous leur répondons: «Oui, nous nous en occupons.» Évidemment, il incombera au nouveau conseil de voir s'il souhaite prendre cette orientation. L'option d'échange au comptant permet ce genre de souplesse.
Le sénateur Spivak: À part les élections, le ministre nous a demandé de parler du fonds de réserve et de faire des recommandations. Bien des gens ont parlé d'une limite pour le fonds de réserve. Je ne veux pas réellement poser de questions à ce sujet. Je me demande quelle serait l'importance de la somme nécessaire. Pourriez-vous avoir un fonds ponctuel?
Si vous n'avez pas l'intention de vous en servir, ou que vous ne l'avez jamais utilisé et que vous pourriez ne jamais avoir à le faire, quelle somme serait nécessaire pour que les agriculteurs n'aient pas besoin d'avancer cet argent?
M. Hehn: C'est comme le fonds de roulement d'une entreprise. Ça dépend du risque auquel le conseil d'administration veut s'exposer. Plus le risque est élevé, plus le fonds de roulement de l'entreprise devra être important.
Cela dépend du risque auquel le nouveau conseil veut être exposé.
On m'a dans une certaine mesure mal cité lorsque j'ai comparu devant le comité de la Chambre chargé d'étudier le projet de loi C-4. On m'a posé la question et j'ai répondu très vite, de sorte que je pense que ma réponse n'était pas vraiment réfléchie. J'ai dit à l'époque que la bourse évoluait d'environ 5 ou 10 p. 100 à la fois. J'ai dit que, si nous tenons compte de la variation et de l'exposition à la bourse, nous pourrions commencer à constater que, pour le marché du grain, 10 p. 100 n'est peut-être pas un chiffre si mauvais. Par la suite, je me suis rendu compte qu'il s'agit en fait d'une augmentation vraiment importante.
L'Australian Wheat Board voulait porter son fonds de 400 à 500 millions de dollars. Son fonds est un peu plus petit que le nôtre, mais il l'utilise pour d'autres choses, par exemple l'investissement en capital.
Je n'ai pas de réponse pour vous, mais je pense effectivement que, pour rendre la pilule plus facile à avaler et favoriser la confiance envers le partenariat gouvernemental, peut-être faudrait-il au départ prévoir un partage des coûts.
Le sénateur Spivak: Quel en serait le mécanisme? Le gouvernement aurait-il tout simplement à établir un fonds?
M. Hehn: À l'heure actuelle, nos comptes créditeurs sont d'environ 6,4 milliards de dollars, c'est-à-dire le crédit que nous avons offert aux divers pays en vertu du programme de crédit. Tous y ont rattaché une garantie de l'État. Pour certains, on a reporté l'échéance, de sorte que le remboursement du capital a été un peu différé tandis que le paiement des intérêts s'est fait à temps. Ce compte dépassait les 7 milliards de dollars il y a quelques années. Son solde est maintenant de 6,4 milliards de dollars, et il baisse graduellement. La quantité de blé que nous offrons maintenant à crédit est totalement différente de ce qu'elle était il y a quelques années. Cependant, le crédit pourrait être un facteur pour l'an prochain, mais cela dépendra de la réaction des États-Unis, qui ont établi quelques programmes généreux.
Le droit commercial nous oblige à exiger le plein tarif commercial pour ces prêts. Notre réputation d'emprunteur dans la communauté internationale est bonne. Au Canada, nous avons notre propre billet de la Commission canadienne du blé. Je pense que nous venons au quatrième rang des émetteurs de papier monétaire. La Commission du blé possède son propre bureau du marché monétaire. Nous assumons concrètement cette fonction, comme le ferait une banque, et le gouvernement souscrit le processus. Nous finançons ces comptes créditeurs. Nous empruntons à un taux inférieur d'environ 1 p. 100 au taux du commerce, et nous imposons le taux du commerce sur les comptes clients. Un pour cent de 6 milliards de dollars, c'est 60 millions de dollars, et c'est pourquoi vous pouvez voir que de 60 à 80 millions de dollars sont versés chaque année dans les comptes de mise en commun. Cet argent va directement aux agriculteurs. Il vient contre-balancer nos autres frais d'intérêts et d'exploitation. Nous pouvons puiser dans ce compte. Les agriculteurs considéreraient de toute façon qu'il s'agit d'une ponction, parce qu'ils estiment que cela fait partie des revenus qu'ils ont réalisés avec les ans.
Le sénateur Spivak: Vous ne dites pas que la Commission aurait une objection à utiliser un quelconque mécanisme de comptabilité créative grâce auquel le gouvernement pourrait verser un montant forfaitaire qui pourrait constituer un fonds d'urgence établi et qui, s'il n'était jamais utilisé, pourrait servir à prémunir les agriculteurs contre les risques?
M. Hehn: Si le gouvernement lançait un fonds de ce genre, je ne pense pas que vous entendriez beaucoup de plaintes de la part des agriculteurs au sujet d'un fonds de réserve.
Le sénateur Spivak: J'aimerais poser quelques questions au sujet de la différence entre l'organisme de mise en marché qu'est la Commission canadienne du blé et l'énorme programme d'amélioration des exportations que les États-Unis ont instauré dans des pays comme l'Égypte. Ce n'est pas vraiment ce que j'avais compris du rapport. Comment la Commission du blé peut-elle, en tant qu'organisme de mise en marché, avoir dans ces pays un avantage sur des entreprises comme Cargill?
M. Hehn: Cela dépend de la différence de prix que nous pouvons accorder puisqu'il s'agit d'un facteur de concurrence.
Le sénateur Spivak: Je veux savoir en quoi vous vous démarquez de Cargill ou de Midland.
M. White: Tout d'abord, nos objectifs ne sont pas les mêmes. Leur objectif, c'est de faire du profit. Le prix absolu les préoccupe peu, qu'il soit faible ou élevé. Ce qu'ils veulent, c'est acheter à bas prix, vendre à prix élevé et encaisser la différence.
Même si la Commission du blé n'achète pas de grain des agriculteurs, nous en prenons possession pour le vendre. On pourrait voir les choses sous cet angle: plutôt que d'acheter à bas prix et de revendre à un prix élevé, nous achetons le grain au prix le plus élevé possible, sous réserve que nous ne courrions pas un risque de déficit dans les comptes des silos-élévateurs, et nous revendons le produit encore plus cher. Nous remettons au départ le plus d'argent possible aux agriculteurs, et nous vendons le produit encore plus cher. Il importe de comprendre que nous avons deux objectifs différents.
Quant à l'approche que nous adoptons face au marché, là aussi nous ne procédons pas de la même façon. Nous avons un plan de vente global dans lequel nous plaçons par ordre tous les marchés dans lesquels nous pourrions vendre notre produit, selon l'attrait qu'ils peuvent représenter pour les agriculteurs de l'Ouest canadien en ce qui concerne le rendement. Nous évaluons tous les marchés de cette façon. Nous tentons ensuite de vendre le plus de grain possible aux marchés qui offrent les meilleurs rendements. En pratique, cela nous amène à vendre notre produit à environ 70 pays de par le monde.
C'est drôle que vous parliez de l'Égypte. Nous ne vendons absolument pas de blé à l'Égypte, même s'il s'agit du plus gros importateur de blé au monde. La raison pour laquelle nous ne vendons pas de blé à l'Égypte est que les Australiens, les Américains et les Européens s'y livrent une concurrence si féroce que le rendement n'est pas intéressant. Il est plus attrayant pour nous d'évoluer dans d'autres marchés.
Chaque année, nous tentons d'occuper les meilleurs marchés possibles pour les agriculteurs de l'Ouest canadien. Manifestement, il n'est pas facile de dire si nous occupons vraiment les meilleurs marchés, mais il est indéniable que c'est notre objectif. Le plan de vente est mis à jour de façon périodique. Fondamentalement, nous recherchons des acheteurs disposés à payer pour un produit de qualité.
Certains acheteurs, comme les Japonais, verseront une prime de 45 $ la tonne, d'autres voudront payer 20 $ la tonne tandis que certains se limiteront à 5 $ la tonne. Certains acheteurs sont très sensibles au prix et se préoccupent peu de la qualité; fondamentalement, nous sommes présents sur ces marchés uniquement pour contrer nos concurrents et non pas pour une question de profit. C'est comme ça que cela fonctionne. Nous établissons une différence entre les marchés selon la volonté des acheteurs de payer pour un produit de qualité.
Le sénateur Spivak: Cargill, Midland ou d'autres ne seraient-ils pas capables de faire la même chose?
M. White: Admettons que Cargill tente d'offrir du Dark Northern Spring 14 p. 100 aux Japonais avec un profit de 45 $ la tonne. Dix autres entreprises offriraient immédiatement de vendre à moins cher. Ils finiraient par se disputer le bénéfice qui est offert.
C'est là un point important. Peut-être vous a-t-on dit que le bénéfice sera là de toute façon, en raison de la qualité du grain. La qualité du grain provient du travail des agriculteurs et du système de contrôle de la qualité de la Commission canadienne des grains. C'est indubitable. Nous ne prétendons pas que c'est nous qui donnons de la qualité au grain. Le système de mise en marché de la Commission du blé permet de réaliser des profits pour la qualité du grain et de miser sur la volonté des acheteurs de payer pour cette qualité. Si vous avez de multiples vendeurs, vous ne pourrez miser sur la volonté des acheteurs de payer pour cette qualité, sauf s'il y a une collusion des vendeurs en question. Si toutes ces sociétés céréalières décident de fixer un prix, il vous faudra vous demander si les fruits de cette collusion profiteront aussi aux agriculteurs. J'en doute.
Le sénateur Spivak: C'est l'avantage d'un organisme monopolistique de mise en marché, et c'est là le point important. Bon nombre de nos concitoyens ne comprennent pas cela, monsieur le président.
M. Geddes: La raison pour laquelle l'Égypte possède l'un des marchés où la valeur est la plus faible dans le monde, sinon la plus faible, c'est qu'un seul homme prend la décision d'acheter. Tous les grains qui entrent en Égypte aujourd'hui passent par son bureau. C'est l'inverse de ce qui se passe à la Commission canadienne du blé. L'acheteur a le monopole, et toutes les offres se retrouvent sur son bureau. Ils commencent à privatiser leur industrie, et nous avons très hâte qu'elle le soit. Nous pourrions être capables d'entrer sur ce marché et d'obtenir un bénéfice par rapport à d'autres marchés.
Le président: On a beaucoup parlé du grain qui traverse la frontière par camion.
J'ai posé la question aux représentants du syndicat du blé de la Saskatchewan, et ils n'ont pu me donner une réponse. Il y avait beaucoup plus de camions du Syndicat du blé de la Saskatchewan qui traversaient la frontière que d'agriculteurs. Ils partaient du terminal sud de Moose Jaw, sur la route 6. Rachètent-ils au même prix que celui que verserait l'agriculteur lorsqu'il transporte son grain en vertu d'un certificat?
M. Hehn: Oui, les rachats sont établis selon la gare, et quelle que soit celle d'où ils partiraient, ils se trouveraient à payer le même prix pour le rachat. En ce qui concerne le permis d'exportation, il y a un délai de livraison, de sorte que s'ils étaient prêts à courir le risque d'attendre, après avoir racheté le produit, durant deux ou trois semaines et que le prix augmente aux États-Unis, ils pourraient le vendre plus cher.
Le président: Quel avantage y aurait-il pour eux à le transporter par camion?
M. Hehn: Ce sont eux qui pourraient vous donner la réponse.
Le président: Les agriculteurs de notre région qui ont traversé la frontière avec du grain -- et c'était à l'époque où il coûtait 6 $ le boisseau -- ont renvoyé les chèques à la Commission du blé, et celle-ci leur a versé 3 $, précisant qu'ils pourraient obtenir le reste de l'argent du compte de mise en commun. Est-ce la même chose dans le cas du syndicat du blé de la Saskatchewan et d'autres sociétés céréalières?
M. Hehn: Le syndicat du blé de la Saskatchewan paye le grain à la valeur du marché dans lequel est située la gare. Ils versent l'argent dans le compte de mise en commun de la Commission du blé. Un agriculteur qui voudrait faire la même chose verserait exactement le même prix. Celui-ci est fixé chaque jour, et varie selon la province et la gare.
M. Geddes: Cette diapositive montre le genre d'information accessible aux producteurs, l'éventail des prix établis chaque jour à Minneapolis pour le marché américain. Ces prix sont offerts aux producteurs qui font un rachat, et le prix est le même que celui que devrait verser à la Commission du blé une entreprise qui vend son produit à un silo-élévateur situé dans le Dakota du Nord ou au Montana pour acheter le grain et lui faire traverser la frontière. La différence dans le cas du producteur, c'est qu'il met en marché son propre grain et que la société met en marché du grain, point final. Le rachat ne fonctionne donc pas dans ce cas selon la même relation. Le producteur garde tous les profits, s'ils dépassent le chiffre en question, ou il verse une pénalité lorsqu'il fait un rachat si le prix payé sur le marché libre est supérieur aux perspectives de rendement du syndicat.
Dans une diapositive qu'on nous a montrée plus tôt, on pouvait constater que si le producteur met en marché son produit et surveille l'évolution du marché, il peut offrir un rachat au moment où le coût est inférieur aux perspectives de rendement, le rachat peut lui permettre de faire de l'argent. Cependant, il est très difficile d'obtenir un rendement supérieur aux perspectives de rendement dans un marché libre.
Le président: On parle beaucoup d'égalité des chances dans toutes les régions, et particulièrement sur le marché continental de l'Amérique du Nord. Nous soumissionnons à moins cher que les Américains, et ceux-ci répliquent en soumissionnant plus bas, et ce n'est pas une bonne situation pour nos agriculteurs. Les municipalités rurales de la Saskatchewan ont procédé à une étude où l'on comparait une ferme de 1 100 acres située dans le Dakota du Nord où l'on cultive du blé dur et du blé avec une ferme située en Saskatchewan. Le revenu de l'agriculteur du Dakota du Nord était supérieur de 40 000 $.
Le sénateur Spivak: Vous parlez de subvention?
Le président: Peu importe d'où vient l'argent. Les Américains ont tellement d'animosité à l'endroit de la Commission canadienne du blé, comme en témoigne la lettre présentée ici ce matin.
Notre comité s'est rendu à Washington trois fois, et il semble y avoir réellement de l'animosité à la frontière, et tant que nous n'y aurons pas remédié, elle ne fera qu'augmenter. Selon vous, que faudrait-il faire dans ce cas?
M. Hehn: Je ne sais pas ce que vous devriez faire pour les politiques américaines. Je pense qu'il faut charger nos politiciens de s'en occuper. Je peux vous dire ceci: nous ne faisons pas diminuer la valeur du blé américain. Le blé n'est pas un produit homogène. Il ne se moud et ne se cuit pas toujours de la même façon. À l'heure actuelle, nous en avons sept catégories. Notre roux de printemps de l'Ouest canadien et le Dark Northern Spring ne sont pas des denrées semblables. Le nôtre est un produit, tandis que le leur est plutôt une denrée. En ce qui concerne notre blé, le temps de malaxage est bien inférieur, de sorte qu'il faut moins d'énergie. Nos blés comportent un certain nombre de caractéristiques qui font l'affaire d'un meunier.
S'ils peuvent acheter du blé canadien, la plupart des meuniers le feront, parce qu'il est uniforme et qu'ils peuvent l'acheter à l'avance. Ils en feront la base de leur boulange. Fondamentalement, tous les meuniers du monde auront divers genres de blé dans leur boulange, pour des raisons économiques. Même les meuniers américains aiment faire leur boulange à base de blé canadien, et ils sont prêts à payer un peu plus cher pour obtenir de l'uniformité et parce que notre blé se traite différemment dans leur usine, exigeant moins d'énergie.
M. Geddes: Si vous me permettez d'ajouter quelque chose, nous ne vendons pas un million de tonnes de blé de printemps aux Américains parce qu'ils en manquent, de même que nous ne leur vendons pas de 300 000 à 400 000 tonnes de blé dur parce qu'ils n'en ont pas. En fait, aucun de leurs types de blé ne répond à certains critères de qualité qu'ils ne peuvent obtenir que du blé canadien. L'un des principaux avantages de notre blé de printemps concerne le fusarium. Notre blé est moins endommagé par le fusarium que le leur. Notre récolte de blé dur est essentiellement épargnée. Ils en achètent parce qu'ils obtiennent un produit de qualité.
Il en va de même pour l'orge de brasserie. Ce n'est pas qu'ils n'en ont pas. Le nôtre est simplement meilleur. Ils peuvent s'adresser à nous pour obtenir de l'orge de brasserie sans fusarium. Nous avons un avantage commercial à cet égard. C'est pourquoi ils nous achètent du grain. C'est parce qu'ils n'en ont pas. Manifestement, le blé de mouture Dark Northern Spring 14.0 est aussi bon que le RPOC pour bien des applications, mais ils achètent environ 1 million de tonnes de RPOC des agriculteurs canadiens, parce que le nôtre leur offre quelque chose pour leur boulange qu'ils ne peuvent obtenir chez eux.
M. Hehn: L'autre facteur, c'est que nous vendons un produit. La plupart des meuniers américains exigeront un échantillon avant le déchargement du wagon. Cet échantillon leur est habituellement envoyé avant l'arrivée du wagon. Je parle de blé américain. Ils le soumettent à un test de meunerie et de cuisson, et s'il n'est pas conforme, ils l'envoient sur le marché d'exportation. Lorsqu'ils nous achètent notre blé, c'est en fonction d'une description de la qualité. Nous ne leur donnons pas d'échantillon, sauf s'ils l'exigent, et c'est très rare qu'ils le fassent. C'est notre système de catégories qui nous permet de faire cela.
Le président: Merci d'être venus témoigner ce matin.
M. Hehn: Nous vous remercions de nous en avoir donné l'occasion. Si vous avez besoin d'informations supplémentaires ou d'éclaircissements, nous sommes à votre service. Nous serons heureux de vous faire parvenir toutes les informations dont vous avez besoin, que ce soit par fax ou par courrier électronique, ou encore par la poste.
Le président: Merci.
Le comité suspend ses travaux.