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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 13 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 30 avril 1998

Le comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts, auquel a été renvoyé le projet de loi C-4, modifiant la Loi sur la Commission canadienne du blé et d'autres lois en conséquence, se réunit aujourd'hui à 8 h 36 pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Leonard J. Gustafson (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, la séance est ouverte. Nous allons examiner aujourd'hui le projet de loi C-4, loi modifiant la Loi sur la Commission canadienne du blé.

Nous avons l'honneur d'accueillir parmi nous l'honorable ministre Ralph Goodale et ses conseillers, Frank Claydon et Howard Migie. Le ministre fera un bref exposé, puis vous aurez l'occasion de lui signaler certaines constatations que nous avons faites au cours de notre tournée de consultations dans l'Ouest.

Bonjour, monsieur le ministre. Allez-y, je vous prie.

L'honorable Ralph E. Goodale, ministre des Ressources naturelles et interlocuteur fédéral des métis et des Indiens non inscrits, et ministre responsable de la Commission canadienne du blé: Monsieur le président, depuis notre dernière rencontre, je sais que vous avez été très occupé à examiner le projet de loi C-4, à Ottawa et au cours de votre tournée dans l'Ouest. Vous n'avez pas ménagé vos peines et vos efforts ont été très appréciés. Ce projet de loi n'en méritera que davantage la réputation d'être celui qui a fait l'objet des consultations les plus poussées.

Il mérite probablement cette réputation, car il s'agit d'un projet de loi très important. En fait, il incarne la modification la plus marquante de la Commission du blé et du système de commercialisation des grains qui soit depuis plus d'un demi-siècle. Il aura une profonde influence sur les activités et les méthodes de la Commission du blé au seuil du nouveau millénaire; il convient par conséquent de l'analyser très attentivement.

Monsieur le président, la dernière fois que je suis venu témoigner, je vous ai exposé de façon assez précise les quatre principaux objectifs de ce projet de loi, à savoir la démocratisation de la direction de la Commission, une plus grande reddition de comptes aux producteurs, l'adoption d'un certain nombre d'outils permettant à la Commission canadienne du blé d'avoir plus de latitude et de devenir plus moderne et plus dynamique sur le marché -- la mesure dans laquelle elle aura recours à ces outils est, bien entendu, laissée au jugement du nouveau conseil d'administration, dont les deux tiers des membres seront élus en bonne et due forme par les agriculteurs -- et l'attribution de plus grands pouvoirs aux producteurs pour leur permettre d'exercer un contrôle et une influence accrus sur ses activités et leur fournir un moyen plus efficace de faire prendre à cet instrument de commercialisation l'orientation qu'il souhaite pour l'avenir.

Étant donné que nous avons eu l'occasion de discuter longuement de ces quatre objectifs au cours de la dernière réunion, je ne reviendrai pas sur le sujet.

J'ai suivi vos audiences de très près pour voir ce que divers groupes et organisations vous disaient. Vous avez beaucoup entendu parler de la question de l'inclusion et de l'exclusion et, comme d'habitude lorsqu'on aborde ce sujet, les opinions étaient très arrêtées et malheureusement très polarisées, la plupart du temps. C'est un sujet que vous voudrez examiner, je suppose.

J'attire votre attention, comme je l'ai fait la dernière fois, sur l'amendement qui a été proposé à la Chambre des communes, juste avant que celle-ci n'en termine l'étude et que le projet de loi ne soit renvoyé au Sénat. Cet amendement aurait pour effet de supprimer les dispositions du projet de loi C-4 relatives à l'inclusion et à l'exclusion et d'indiquer ailleurs dans le projet de loi qu'aucune modification ne pourra être apportée au mandat de la Commission canadienne du blé sans avoir été ratifiée au préalable par un vote des producteurs.

Je vais répéter ce que j'ai dit au sujet de cet amendement au cours de la discussion précédente. Je ne considère nullement, personnellement du moins, les dispositions précises concernant l'inclusion et l'exclusion comme une question de principe d'importance capitale. L'important est que les agriculteurs aient le dernier mot. Il est essentiel que ce soit eux qui décident et pas le gouvernement, la Commission du blé ou les fonctionnaires. Il est essentiel que la décision vienne des producteurs. Par conséquent, même si les articles concernant l'inclusion et l'exclusion sont retirés ou modifiés, je veillerai à ce que ce principe soit enchâssé dans le projet de loi.

La question du pouvoir des administrateurs et de la reddition de comptes a également été abordée par certains témoins. Il sera peut-être utile au cours de vos délibérations d'examiner attentivement les articles du projet de loi qui accordent des pouvoirs aux administrateurs et les habilitent entre autres à créer des règlements administratifs, au même titre que le conseil d'administration de n'importe quelle entreprise. Un certain nombre de pouvoirs dans ce domaine sont courants et existent dans toutes les entreprises commerciales. Certains sont propres à un organisme comme la Commission du blé. Le projet de loi en recèle déjà un. Il inviterait les administrateurs à passer des règlements administratifs concernant toutes les diverses façons de prouver qu'ils assument leur obligation de rendre des comptes aux producteurs. Je considère que c'est une disposition souple, qui incite les administrateurs à être ouverts, transparents et créatifs en leur permettant de trouver eux-mêmes des façons de rendre des comptes aux producteurs qui les ont élus. Somme toute, la reddition de comptes est, bien entendu, liée au fait que les deux tiers des membres du conseil sont élus et que si les producteurs n'apprécient pas ce qui se passe, ils ont en définitive le pouvoir de les remplacer par d'autres personnes à la prochaine occasion.

Ce pouvoir de passer des règlements sur la reddition de compte constitue toutefois un outil important pour les administrateurs. Grâce à lui, ils peuvent se concentrer sur la question de la reddition de comptes et penser non seulement à la façon dont ils établissent mais aussi prouver qu'ils ont établi certaines mesures de reddition de comptes satisfaisantes pour les producteurs. Par exemple, si les administrateurs décidaient qu'il serait utile de faire faire de temps en temps une vérification spéciale des affaires de la Commission canadienne du blé, ils auraient le pouvoir nécessaire. Ce serait à eux, bien entendu, de décider à qui confier cette tâche. Ils pourraient choisir le consultant extérieur qu'ils désirent, le cabinet d'experts-comptables qu'ils veulent. Ils pourraient choisir leur cabinet d'experts-comptables actuel, qui est la firme Deloitte & Touche, une firme de renommée internationale. S'ils le jugeaient bon, ils pourraient choisir un service ou un organisme fédéral, voire s'adresser au vérificateur général. Cette souplesse et cette obligation de rendre des comptes sont déjà prévues dans le projet de loi.

Au cours de vos audiences, je vous ai fait parvenir un certain nombre de documents à titre d'information mais deux d'entre eux en particulier sollicitaient vos conseils sur des questions pour lesquelles il serait bon en temps et lieu de préparer et de passer des règlements. L'une d'entre elles est le mode de sélection des administrateurs par voie d'élection. Il est compliqué d'établir un système qui permette de choisir ainsi dix personnes de toute la région des Prairies qui seront appelées à administrer une entreprise dont le chiffre d'affaires s'élève à six milliards de dollars. Il importe, bien entendu, que ce système soit aussi bon, impartial et efficace que possible.

J'ai invité des organisations agricoles et le comité de la Chambre des communes à faire des recommandations à ce sujet; j'ai en outre sollicité vos conseils.

Que vous abordiez ou non le sujet dans votre rapport final sur le projet de loi ou que vous décidiez de lui consacrer un rapport spécial, j'apprécierais beaucoup vos commentaires et vos recommandations sur tous les rouages de ce processus. La démocratisation de la Commission canadienne du blé est l'objectif principal de ce projet de loi. Pour la première fois dans les annales de la Commission, les deux tiers des membres du conseil d'administration seront élus par les cultivateurs. C'est le pivot autour duquel tout le reste tourne. Vos conseils éclairés sur le mode d'élection et tout règlement officiel nécessaire pour régir celui-ci seraient fort appréciés.

L'autre question susceptible de nécessiter l'adoption de règlements administratifs concerne le fonds de réserve. Je sais qu'il en a souvent été question dans les témoignages que vous avez entendus au cours de votre tournée dans l'Ouest. Il a pour but, comme il se doit, de soutenir certains instruments auxquels le conseil d'administration peut décider d'avoir recours pour accroître sa marge de manoeuvre, à savoir les opérations au comptant, les versements anticipés et les ajustements en cours de campagne.

Je sais que certains groupes et organismes de l'Ouest du Canada craignent que ce fonds de réserve devienne trop important. Certains pensent à la mauvaise expérience qu'ont faite les Australiens et espèrent que l'on évitera de les imiter dans ce domaine. Ils sont préoccupés au sujet de la valeur globale du fonds et des fins auxquelles il pourrait servir. Ils craignent également que le fonds ne sape d'une façon ou d'une autre la garantie offerte par le gouvernement du Canada en ce qui concerne la situation financière de la Commission canadienne du blé.

En ce qui concerne sa valeur globale, il serait peut-être bon d'établir des règlements dans le but de fixer un plafond sur les sommes qu'il pourrait contenir. J'estime que cette question mérite d'être réglée de cette façon. Si vous avez des recommandations à faire au sujet de la nature de ces règlements ou du plafond exact qu'il serait bon de fixer pour apaiser les craintes à cet égard, je serais très heureux de les entendre.

En ce qui concerne les buts auxquels le fonds de réserve pourrait être consacré et la possibilité qu'il ne sape la garantie financière, je tiens à signaler que le projet de loi renferme déjà des dispositions précises qui règlent le problème. Certains agriculteurs ont exprimé des craintes à ce sujet. Pour que ces craintes soient fondées, il faudrait que ce texte soit modifié au cours d'une législature ultérieure. Le projet de loi spécifie que le fonds de réserve ne peut être utilisé que pour soutenir les opérations au comptant, les versements anticipés et les ajustements en cours de campagne. Le conseil d'administration de la Commission canadienne du blé ne pourrait pas l'utiliser à d'autres fins, du moins sans l'accord du Parlement.

La crainte que ce fonds puisse être utilisé dans un but de concurrence déloyale ne repose sur aucun fondement parce qu'il est spécifié clairement qu'il ne peut être utilisé que dans les trois cas que j'ai cités.

Par ailleurs, certains témoins ont dit qu'ils craignaient qu'il ne sape la garantie du gouvernement. Pour cela, il faudrait que l'on modifie la loi au cours d'une législature ultérieure parce que le projet de loi indique sans la moindre ambiguïté que la garantie du gouvernement s'applique aux emprunts courants de la Commission canadienne du blé, qui servent à payer les acomptes à la livraison, prévus pour le début de la campagne agricole, et à financer le programme des ventes à crédit. Le gouvernement ne pourrait pas supprimer ces garanties sans en demander l'autorisation au Parlement.

Par conséquent, ces questions sont déjà réglées dans le projet de loi. Par contre, en ce qui concerne les questions relatives à l'utilisation du fonds de réserve et à sa valeur globale, je suivrai vos conseils. Je les suivrai également en ce qui concerne la structuration du fonds. Il convient d'examiner attentivement l'opportunité d'instaurer un seul compte ou trois comptes différents, étant donné que le fonds peut être utilisé à trois fins différentes.

Je sais que les cultivateurs tiennent absolument à éviter que l'argent destiné à une fin précise ne soit utilisé à d'autres fins. Il serait peut-être sage de créer trois comptes distincts pour que le coût soit proportionnel aux risques et que les sommes prévues restent spécifiquement liées à leur destination.

J'ai terminé, monsieur le président. Merci de votre attention. Je vous remercie et je remercie tous vos collègues d'avoir examiné ce projet de loi aussi consciencieusement.

Le président: Merci, monsieur le ministre. En ce qui concerne les articles portant sur l'inclusion et sur l'exclusion, il ressort que les cultivateurs qui ont considéré le canola comme une culture commerciale -- et c'est le cas dans les Prairies -- craignent beaucoup que celle-ci ne perde de l'importance lorsque sa commercialisation relèvera de la Commission canadienne du blé. Cela ressort très clairement des témoignages. Je comprends votre amendement. Il semble toutefois que les agriculteurs souhaitent que ce passage soit complètement supprimé. La question est revenue constamment sur le tapis au cours des audiences.

Au cours des entretiens personnels que j'ai eus avec des agriculteurs qui cultivent du canola, du lin et d'autres cultures, même du seigle, j'ai constaté que cela faisait l'objet de vives préoccupations. L'industrie craint également beaucoup que cela ne perturbe l'équilibre qui peut exister dans son milieu, notamment en ce qui concerne les marchés. Nous avons constaté que la question de l'offre constituait un des principaux sujets de préoccupations.

Les questions du choix et du monopole de la Commission du blé ont également fait l'objet de discussions assez poussées.

M. Goodale: À ce propos, je vous demanderais de prendre le facteur suivant en considération. Je sais que des instances ont été faites au sujet de l'inclusion et de l'exclusion. L'amendement que j'ai décrit très brièvement aujourd'hui et dont j'ai parlé à certaines occasions antérieures, réglera définitivement la question.

J'espère que vous tiendrez compte du fait qu'il est capital que les cultivateurs aient le dernier mot en matière de modification du mandat de la Commission canadienne du blé.

Je ne tiens pas à préconiser un changement de mandat plus important ou moins important que celui qui est prévu dans ce projet de loi. Celui-ci se contente d'énoncer une marche à suivre pour en modifier le mandat si c'est ce que veulent les cultivateurs. Ce sont toutes les petites questions de détail couvertes par le projet de loi qui ont provoqué les craintes que vous avez signalées. Nous pouvons régler le problème en supprimant les dispositions qui en sont responsables.

Il importe de consacrer dans le projet de loi le principe fondamental de la ratification de toute proposition de modification du mandat de la Commission par les cultivateurs, par la tenue d'un vote démocratique.

Je vais vous expliquer pourquoi c'est important. Certains témoins ont fait allusion au projet-pilote, si je peux l'appeler ainsi, que l'on est sur le point d'entreprendre en Ontario, sous les auspices de la Commission ontarienne de commercialisation du blé. Il s'agit de mettre à l'essai un système de commercialisation volontaire ou de double marché dans le contexte ontarien. Je vous invite à vous demander comment l'idée a surgi.

Elle a surgi parce que, en vertu de la loi provinciale créant la Commission ontarienne de commercialisation du blé, les producteurs de cette province ont le droit de voter. Ce droit n'est pas encore reconnu dans la Loi sur la Commission canadienne du blé. Le projet de loi C-4 enchâsse le droit de vote dans la loi et par conséquent, tel qu'il se présente actuellement ou après avoir fait l'objet des modifications dont vous avez parlé, il aurait pour effet de donner aux cultivateurs canadiens en général le même pouvoir décisionnel que celui qui est accordé actuellement aux agriculteurs ontariens par rapport à la Commission ontarienne de commercialisation du blé.

Le président: J'insiste une fois de plus sur le fait que cela n'apporte rien à mon sens de conserver les articles concernant l'inclusion et l'exclusion parce qu'ils suscitent une grande nervosité et que les opinions à ce sujet sont très polarisées. Ce n'est pas bon pour la Commission canadienne du blé ni pour l'industrie. J'estime que c'est très important.

Le sénateur Stratton: Comme vous le savez, nous avons fait une tournée de deux semaines dans les Prairies, pour tenir des audiences dans six localités différentes, et nous avons constaté qu'il existait des divergences d'opinion très profondes. C'était très intéressant de voir à quel point les opinions et les émotions variaient d'une région à l'autre. La seule chose qui ne fait aucun doute dans mon esprit à la suite de ces audiences, c'est que le moment est venu d'apporter certains changements à la Commission du blé, même si elle a fait de l'excellent travail jusqu'à présent. Je vous admire d'avoir relevé ce défi parce que je ne vois pas comment on pourrait satisfaire tout le monde dans ce cas bien précis. Je vous mets au défi d'essayer de satisfaire tout le monde. C'est absolument impossible. Par conséquent, vous essayez de faire de votre mieux, et je le comprends.

J'ai toutefois pu constater dans tous les cas que la Commission du blé ne jouit pas d'une très grande confiance de la part des cultivateurs. Ils considèrent qu'elle est repliée sur elle-même, qu'elle est très hiérarchisée et qu'elle n'a pas beaucoup tendance à faire preuve de la capacité d'adaptation et d'évolution qui est indispensable à notre époque. Cela ressort de toutes les audiences que nous avons tenues dans l'Ouest.

Cela ne veut pas dire qu'il s'agisse d'une perte totale de confiance mais tout le monde nous a signalé certains problèmes et c'est pourquoi les discussions ont été axées sur cinq sujets: le PDG et le conseil d'administration; le fonds de réserve; les dispositions relatives à l'exclusion et à l'inclusion; la liberté de choix, comme vient de le faire la Commission ontarienne de commercialisation du blé; et le vérificateur général.

Avant de parler de la question de confiance, je tiens à signaler que personne autour de cette table, d'après ce que j'ai pu voir du moins, ne s'oppose à la composition que vous proposez pour le conseil d'administration, c'est-à-dire cinq membres nommés et dix membres élus. Je crois que nous reconnaissons tous la nécessité de ce changement. C'est précisément le manque de confiance qui est à l'origine de tout ce débat. C'est la raison pour laquelle nous avons beaucoup de difficulté à régler ces problèmes.

Trois ou quatre changements pourraient à mon avis contribuer énormément à rétablir la confiance nécessaire. Je sais très bien qu'ils sont déjà prévus pour la plupart dans le projet de loi. Par contre, la vérification du rendement par le vérificateur général ne devrait pas relever de la décision du conseil d'administration mais de celle des cultivateurs eux-mêmes. Le conseil d'administration pourrait alors partir du bon pied. Si vous lui donnez le choix et qu'il décide de ne pas le faire, cela risque d'ébranler la confiance des cultivateurs. Si le vérificateur général avait automatiquement droit de regard, cela inspirerait beaucoup plus confiance aux agriculteurs parce que celui-ci est censé être un observateur impartial.

Passons à la question du PDG. Je sais et je comprends qu'il serait choisi par vous et que le conseil d'administration devrait approuver votre choix, mais il s'agit encore une fois d'une question de confiance. Le PDG ne peut assumer ses fonctions sans avoir la confiance du conseil d'administration, j'en suis absolument convaincu. Les administrateurs ont-il par contre le pouvoir de vous faire des recommandations s'ils perdent confiance dans leur PDG? Le révoqueriez-vous s'ils vous le recommandaient? C'est bel et bien une question de confiance. Si c'est sous-entendu dans le projet de loi, il faudrait que ce soit énoncé clairement et que ce soit bien entendu, pour que les cultivateurs sachent et comprennent que le conseil d'administration a ce pouvoir. C'est le deuxième changement.

Le troisième changement concerne le fonds de réserve. Si je suis d'accord sur le principe, j'estime qu'il faudrait fixer un plafond parce qu'on plonge une fois de plus dans les poches des agriculteurs. Il faut limiter le montant que peut contenir ce fonds et c'est une fois de plus une question de confiance. Il faut préciser que l'on ne dépassera pas une certaine limite et qu'une fois ce plafond atteint, on cessera d'aller puiser dans leurs poches; il faut en outre leur expliquer à quoi servira cet argent.

Je vais maintenant parler des articles concernant l'exclusion et l'inclusion. Nous arrivons aux deux questions difficiles à régler. C'est également une question de confiance. Je comprends parfaitement pourquoi vous faites cela. Cependant, un producteur de canola ou d'avoine a de la difficulté à admettre qu'il pourrait être assujetti au système de commercialisation à comptoir unique de la Commission du blé. Ne fût-ce que pour cette raison, je voudrais que les articles en question disparaissent. J'estime que ce problème pourra être réglé assez facilement si la composition du conseil d'administration change. Pour l'instant cependant, c'est uniquement une question de confiance. C'est le facteur critique.

Il y a enfin la question du choix. C'est la plus difficile de toutes à régler. C'eût été possible si la Commission ontarienne de commercialisation du blé n'avait pas décidé, sur la recommandation des délégués, de permettre aux cultivateurs de se retirer ou d'exporter. C'est la perception des cultivateurs qui pose un problème. S'ils comprennent au fond très bien pour quelles raisons on laisse ce choix en Ontario, les cultivateurs soutiennent que, puisque c'est possible en Ontario, cela doit l'être aussi dans l'Ouest. Ils exigent qu'on leur accorde la liberté de choix. Je crois que si on ne fait pas cela, nous aurons beaucoup de problèmes à cause de cette décision de la Commission ontarienne de commercialisation du blé. Je ne vois aucune solution entièrement satisfaisante, mais je crains que l'on s'expose à toutes sortes de problèmes si on ne le fait pas.

Vous pouvez décider que le conseil d'administration est le seul à pouvoir prendre cette décision, sur laquelle le détenteur de permis aura le droit de se prononcer dans le cadre d'un vote. Nous avons rencontré des cultivateurs du nord de la Saskatchewan qui sont en faveur du comptoir unique alors que certains cultivateurs du sud de l'Alberta nous ont dit qu'ils tenaient absolument à cette liberté de choix. Nous dressons une région des Prairies contre une autre. Je crains que cela n'engendre des problèmes. La Saskatchewan, qui produit le plus de blé, décidera pour l'Alberta et le Manitoba, du seul fait du nombre de représentants qu'elle aura au conseil et de la composition de celui-ci. Cela me préoccupe beaucoup. Si notre rôle est de représenter notre région et de protéger les droits des minorités, je ne vois pas comment on pourrait avoir l'impression d'avoir accompli son devoir en ne laissant aucune liberté de choix aux cultivateurs.

J'ai parlé assez longtemps, mais j'ai abordé toutes les questions qui me tenaient à coeur; vous souhaitez peut-être faire des commentaires à ce sujet.

M. Goodale: Sénateur Stratton, vous avez certainement raison de dire que certains de ces problèmes sont très difficiles à régler, compte tenu du fait que les opinions sont très polarisées. Les divers groupes d'agriculteurs ont des opinions bien arrêtées et les possibilités de trouver un terrain d'entente semblent extrêmement minces d'une manière générale. J'apprécie que vous reconnaissiez qu'il s'agit de questions particulièrement difficiles à régler.

Je crois qu'il est possible de suivre vos conseils en ce qui concerne la participation du vérificateur général par le biais des pouvoirs de réglementation existants, et principalement ceux qui portent sur la preuve manifeste de la reddition de comptes. Il me semble que ce serait l'objectif d'un examen du rendement fait par le vérificateur général. Le conseil d'administration aurait l'entière liberté de consulter des experts de l'extérieur ou n'importe quels autres spécialistes.

En ce qui concerne les questions de vérification, l'essentiel est, à mon sens, de s'assurer que, dans le cadre des activités légitimes qu'elle pratique pour le compte des cultivateurs, la Commission canadienne du blé ne soit pas désavantagée par rapport à ses concurrents étrangers. Il ne faut pas oublier le problème de la compétitivité.

L'objectif général de ce projet de loi est en quelque sorte de s'assurer que la Commission du blé est rentable pour les cultivateurs. C'est le but essentiel de la reddition de comptes. Ce projet de loi donne la latitude nécessaire au conseil d'administration.

Pour ce qui est du pouvoir de recommander la révocation du président directeur général, les dispositions du projet de loi ne sont peut-être pas suffisamment claires à cet égard. Ces questions sont examinées dans la partie consacrée aux règlements administratifs et pas dans la partie concernant la nomination du président directeur général. Il serait peut-être possible de trouver un moyen de faire ressortir ce lien plus clairement. L'article 3.09 indique que le PDG n'est nommé qu'après consultation du conseil d'administration mais les membres de ce conseil ont le pouvoir de passer des règlements administratifs pour procéder à un examen périodique du rendement du PDG et déterminer comment il peut recommander sa révocation au ministre. Le pouvoir de verser le traitement est déterminé par voie de règlements administratifs. Il faudrait peut-être l'indiquer en caractères gras ou trouver un autre moyen de spécifier clairement que ce pouvoir existe.

Le sénateur Stratton: On pense qu'il n'existe pas. Il faut l'expliciter.

M. Goodale: Pour ce qui est de fixer un plafond en ce qui concerne le fonds de réserve, la recommandation est quasi unanime. Il serait approprié, dans ce cas également, de passer par le pouvoir de réglementation et il serait utile que vous nous recommandiez un plafond précis. Certaines organisations agricoles ont parlé d'une trentaine de millions de dollars. D'autres ont parlé d'environ 50 millions de dollars. C'est peut-être trop élevé ou trop bas mais il nous serait utile de savoir quel plafond vous recommandez de fixer par voie de règlement.

En ce qui concerne l'inclusion et l'exclusion, je crois que l'amendement que je propose règle le problème. Il supprimerait en effet l'article concernant l'inclusion; il supprimerait aussi l'article concernant l'exclusion et enchâsserait le droit démocratique des cultivateurs de tenir un vote au cas où quelqu'un s'aviserait de vouloir modifier le mandat de la Commission. Cet amendement permettrait de faire d'une pierre deux coups. Il supprimerait toute procédure explicite d'inclusion et d'exclusion. Autrement dit, les dispositions de la loi à cet égard resteraient inchangées. Il soumettrait en outre le vote démocratique à une épreuve supplémentaire, au cas où quelqu'un s'aviserait de prendre une initiative. Je crois que cela répond aux préoccupations que vous avez signalées.

Quant à la question de la liberté de choix, c'est un véritable casse-tête. Pour certains cultivateurs, la liberté de décision en matière de commercialisation, la liberté d'adhérer ou non à la Commission du blé, d'opter pour la formule du double marché, comme on l'appelle, est tout simplement l'incarnation d'une liberté ou d'une marge de manoeuvre tout à fait normale que tous les intéressés voudraient avoir. Pour d'autres, c'est un handicap majeur, une contrainte, une camisole de force. Il sera extrêmement difficile d'arriver à concilier ces deux points de vue.

Je pense que la meilleure solution consiste à laisser aux administrateurs élus, qui représentent les deux tiers des membres du conseil d'administration, le soin de décider. J'estime qu'il serait un peu prématuré, à la veille d'une réforme en profondeur de la Commission canadienne du blé visant à démocratiser son organisation, à l'obliger à rendre davantage de comptes, à la doter de nouveaux outils lui donnant une plus grande marge de manoeuvre et à attribuer des pouvoirs plus étendus aux cultivateurs en ce qui concerne le mandat de la Commission, de vouloir apporter un changement fondamental à la toute dernière minute.

La meilleure formule serait d'inviter le nouveau conseil d'administration une fois qu'il sera en place, à examiner les questions liées à ces choix à long terme. Après tout, c'est précisément pour prendre ce genre de décisions que les membres de ce conseil seront élus.

Le sénateur Spivak: Monsieur le ministre, je voudrais vous poser d'abord une question d'ordre relativement général. On nous a notamment signalé qu'il fallait s'efforcer de maintenir une présence canadienne dans le secteur de la commercialisation des grains. Le président est certainement conscient du problème et j'ai justement regardé hier soir à la télévision une émission portant là-dessus.

D'après cette émission, un nombre impressionnant de compagnies telles que ADM et Cargill viennent s'établir ici en partant du principe que la Commission du blé ne jouera plus un rôle important.

Je sais que vous avez précisément présenté ce projet de loi pour la renforcer et la maintenir. Je présume également que la principale raison de cette démarche est de s'assurer que les revenus des producteurs sont suffisants. J'ai une autre question à poser à ce sujet. Êtes-vous toutefois convaincu que, après l'entrée en vigueur de ce projet de loi, la Commission canadienne du blé survivra, malgré la position de plus en plus dominante de ces compagnies sur le marché, malgré les organismes commerciaux d'État représentés à l'OMC? Nous sommes conscients du pouvoir de lobbying que possèdent les entreprises qui dominent les marchés mondiaux. Essayez-vous de régler ce problème?

Je voudrais bien savoir pourquoi le revenu net des producteurs n'a pas augmenté du tout alors que leur revenu brut s'est accru considérablement depuis 1971. Pourquoi vouloir alimenter le fonds de réserve en faisant des prélèvements sur les revenus des producteurs? C'est une situation politique. Pourquoi fournir aux adversaires de la Commission du blé, pour des raisons pratiques ou idéologiques qui se justifient, une autre arme susceptible de les aider à détruire celle-ci à coups de campagnes de relations publiques? La question est toutefois une question de revenu. Pourquoi les cultivateurs devraient-ils accepter que leurs revenus n'augmentent pas au même rythme que ceux des autres intervenants de ce secteur? Pourquoi leur imposer des prélèvements?

L'autre question qui me préoccupe est celle de la liberté de choix. Je sais que certaines personnes la jugent très importante. Je crois que c'est une situation comparable au problème de la grossesse. Une femme est enceinte ou elle ne l'est pas; elle ne peut pas l'être à moitié. À quel moment la question de liberté de choix risque-t-elle de détruire les trois piliers sur lesquels repose la Commission canadienne du blé et ne restera-t-il plus qu'à la supprimer complètement? Les partisans de la liberté de choix prétendent vouloir que la Commission du blé subsiste. Est-ce toutefois vraiment sincère? Pourriez-vous répondre à ces trois questions?

M. Goodale: En ce qui concerne la concurrence avec de grandes multinationales céréalières, je signale que cette question a toujours constitué un défi de taille pour les cultivateurs canadiens. C'est précisément une des raisons pour lesquelles la Commission canadienne du blé a été créée. Au cours des 50 dernières années, la situation a considérablement évolué sur les marchés canadien, nord-américain et étrangers. Il est incontestable que la présence de nouvelles compagnies internationales soit de plus en plus visible sur le marché canadien. Cargill est là depuis pas mal de temps mais la présence d'ADM et de ConAgra est plus récente. Comme vous le signalez, Cargill a, quant à elle, renforcé sa présence sur notre marché.

Malgré tout cela, je suis confiant dans l'avenir. Je songe à ce que la Commission canadienne du blé a accompli au cours de son existence, face à une concurrence mondiale très intense et de plus en plus acharnée. Au Canada, nous produisons six ou sept pour cent de la production mondiale de blé et d'orge et pourtant, notre part du marché international s'élève à environ 20 p. 100. Cette situation est due à un certain nombre de facteurs dont la qualité des produits de nos cultivateurs, qui est contrôlée par la Commission canadienne des grains, n'est pas le moindre. Cette réussite est toutefois due en partie à l'efficacité de la Commission canadienne du blé à l'échelle internationale, qui ne manifeste aucun signe de défaillance.

Je suis convaincu que ce projet de loi l'équipera de l'organisation, de la capacité de reddition de comptes ainsi que des outils d'assouplissement et d'innovation nécessaires pour pouvoir continuer à faire face à la concurrence acharnée qui se poursuivra certainement sur les marchés internationaux.

Vous avez parfaitement raison de signaler que nous aurons un défi de taille à relever au cours des prochaines négociations internationales sur le commerce extérieur. Les États-Unis s'attaqueront sans aucun doute aux organismes commerciaux d'État. Je ne voudrais pas que l'on pense que je dis du mal des Américains dans leur dos, parce que je leur dis ce que je pense sans détours. Je leur dis deux choses: premièrement, si l'on veut remettre en question le bien-fondé de ces organismes, il faut également parler des leurs et pas uniquement des nôtres. Ils s'appellent autrement, ils se cachent sous toutes sortes d'appellations, mais il existe bel et bien des organismes commerciaux d'État aux États-Unis. Il faut examiner ce problème dans sa totalité et ne pas se contenter d'accuser le Canada. Deuxièmement, je voudrais que les États-Unis me fournissent une preuve probante que la Commission canadienne du blé s'est adonnée à des pratiques déloyales sur le marché international. Je voudrais qu'elle m'en fournisse ne fût-ce que la plus petite preuve, à condition qu'il ne s'agisse pas de simples rumeurs, de sous-entendus, de racontars, de suppositions, d'espoirs, de craintes ni de souhaits. Je le réclame depuis 1993 et personne ne m'a jamais fourni la moindre preuve probante du bien-fondé de ces allégations.

Je suis convaincu que les Américains invoqueront ce prétexte. Je vous garantis que je défendrai la position du Canada avec toute l'énergie dont je suis capable. J'estime que la vérité est de notre côté.

En ce qui concerne la source d'alimentation du fonds de réserve, je signale que toute forme de prélèvement est par définition mal vue. C'est notamment le cas en ce qui concerne la Western Grains Research Foundation. On fait un prélèvement vraiment modique pour une fin très louable, la recherche sur le blé et l'orge, qui pourrait rapporter aux producteurs des revenus supplémentaires de plusieurs centaines de millions de dollars d'ici une dizaine d'années. Cet organisme bénéficie de l'appui de toutes les organisations agricoles possibles et imaginables de l'Ouest du Canada, de celles qui regroupent des producteurs de blé et d'orge d'une part jusqu'au Syndicat national des cultivateurs d'autre part, en passant par toutes les organisations situées entre les deux: ces 15 organismes constituent la coalition qui soutient la Western Grains Research Foundation. Pourtant, même ce prélèvement fait l'objet de nombreuses critiques. Je comprends que vous signaliez que c'est une question extrêmement délicate.

Elle a d'ailleurs un rapport avec la remarque du sénateur Stratton concernant la fixation d'un plafond, afin que les cultivateurs sachent où cela s'arrêtera. Je me permets en outre d'attirer votre attention sur le fait que le projet de loi n'indique pas spécifiquement que le fonds de réserve sera alimenté par voie de prélèvements.

La Commission canadienne du blé peut très bien décider de bâtir ce fonds de réserve petit à petit et d'essayer de trouver d'autres sources de financement. Par exemple, comme elle bénéficie d'une garantie financière de base du gouvernement du Canada en ce qui concerne ses activités courantes, elle peut réaliser des bénéfices importants sur les taux de change.

Je parle des recettes réalisées grâce à une gestion financière prudente et pas de celles provenant directement de la vente d'un produit. Il est possible de réaliser des bénéfices sur les taux de change. Il est possible que la Commission canadienne du blé décide d'utiliser ce moyen pour se constituer au bout d'un certain temps un fonds de réserve assez important, sans devoir faire le moindre prélèvement. Je suis toutefois convaincu que les dix administrateurs élus seront extrêmement conscients du fait que c'est, comme vous venez de le signaler, une question particulièrement délicate, étant donné qu'elle préoccupe tous les cultivateurs.

En ce qui concerne la question de la liberté de choix, vous exposez le problème de façon assez imagée et probablement assez exacte. Peut-on jouer un peu sur les deux tableaux à la fois? Comme vous le dites si bien, une femme peut-elle n'être qu'à moitié enceinte ou, en d'autres mots, est-il inévitable que la réponse soit un oui ou un non catégorique? Personnellement, je trouve votre argument extrêmement convaincant. Je sais que certains agriculteurs ne sont pas d'accord avec moi. Tout ce que je veux dire, c'est que cette question doit être débattue et réglée par les membres du conseil d'administration et pas par les politiques, malgré toutes nos bonnes intentions. Ce n'est pas à nous que la décision appartient. Cette décision doit être prise par les cultivateurs, par l'intermédiaire du conseil d'administration.

Le sénateur Fairbairn: J'ai une brève question supplémentaire à poser. Monsieur Goodale, pourriez-vous fournir des explications un peu plus précises sur le fonds de réserve et sur ses trois usages. Il n'y en aura que trois, si je comprends bien. Seul le conseil d'administration de la Commission du blé sera autorisé à décider si on y aura recours. N'est-ce pas exact?

M. Goodale: C'est exact. C'est une décision qui relèvera effectivement du conseil. Le but de ce fonds de réserve est de donner une plus grande marge de manoeuvre dans trois domaines. Sa création dépendra de la décision éventuelle des administrateurs de la Commission du blé d'avoir recours à ces instruments. Ils pourront décider qu'ils n'en ont pas besoin ou n'en veulent pas, ou encore préférer ne pas y avoir recours pendant un certain temps. Dans ce cas, on n'aura pas besoin du fonds de réserve pour parer à des éventualités inexistantes. La loi précise que le fonds de réserve sera créé pour trois types d'opérations seulement: les opérations au comptant, les versements anticipés et les ajustements en cours de campagne. Si la Commission -- ou plutôt le conseil d'administration -- décide de ne pas avoir recours à ces instruments, il ne sera pas nécessaire de parer à ces éventualités. Par conséquent, elle n'aurait pas besoin de fonds de réserve.

J'aurais en fait tendance à croire qu'en ce qui concerne l'un de ces instruments, les ajustements en cours de campagne, un fonds de réserve très modique suffirait parce que la Commission canadienne du blé n'a jamais commis d'erreur en matière d'ajustements. Les risques sont pratiquement nuls dans ce domaine.

Le sénateur Fairbairn: Dans le cas d'un fonds géré par la Commission du blé, est-il justifié de compter éventuellement sur d'autres sources de financement que des prélèvements sur les revenus des cultivateurs?

M. Goodale: Oui, je pense que c'est tout à fait justifié.

Monsieur le président, le rapport annuel de la Commission du blé pour la campagne agricole précédente est paru il y a deux ou trois semaines. Il serait peut-être bon, lorsque ce projet de loi sera entré en vigueur, d'inviter le conseil d'administration et ses vérificateurs à comparaître devant vous pour examiner ses comptes, pour étudier non seulement sa performance au cours de la dernière campagne agricole, mais aussi pour voir de quelle marge de manoeuvre il dispose en l'occurrence pour ce qui est des décisions futures.

Le sénateur Spivak: Je voudrais m'assurer que tout est clair. Cela signifie-t-il qu'il serait parfaitement légal que la Commission du blé utilise les profits réalisés sur son pouvoir d'emprunt pour établir un fonds de réserve? Il me semble que M. Hehn nous a dit qu'elle avait remis 80 millions de dollars aux agriculteurs l'année dernière. Est-ce exact? Est-ce que ce serait légal?

M. Goodale: Ce serait légal sous le régime des dispositions du projet de loi C-4. Les articles concernant la création du fonds de réserve lui permettraient de procéder ainsi.

Le sénateur Hays: J'ai trois questions à vous poser. Je serai bref, car je sais que certains collègues ont des questions à poser également. Je voudrais notamment que vous me fournissiez des renseignements plus précis quant à la façon dont le conseil pourrait mieux rendre compte de ses décisions. Après tout, s'il devra rendre des comptes, c'est parce que dix de ses membres seront élus mais certains ne le seront pas. Je ne sais pas très bien où vous voulez en venir. J'estime qu'il serait utile que vous nous donniez des précisions à ce sujet.

Je parlerai également du fonds de réserve et des fins auxquelles il pourra être utilisé. Certains cultivateurs appuient à la fois la Commission et le système du double marché et certains estiment par ailleurs que la Commission deviendra en quelque sorte une compagnie céréalière. Sans vouloir poser de jugement de valeur, il me semble que c'est effectivement une éventualité. Je sais qu'environ la moitié des témoins sont convaincus que ce serait une mauvaise chose de supprimer ce monopole, de renoncer au principe du comptoir unique. Par contre, cela laisse les autres témoins indifférents. Ils sont disposés à soutenir la Commission pour autant qu'elle leur rapporte davantage. Sinon, ils préféreraient s'adresser ailleurs.

J'apprécierais que vous me disiez ce que cela donnerait, à votre avis, en ce qui concerne les opérations au comptant. Après tout, ce projet de loi, que je trouve excellent, même s'il n'est pas nécessairement parfait, est un moyen de s'assurer que la Commission soit sensible aux besoins des personnes qu'elle représente, c'est-à-dire les producteurs.

La dernière question, qui est la plus importante à mon sens, concerne l'élection des membres du conseil d'administration et la région dont ils proviendront. Vous nous avez fait une proposition. Il existe des circonscriptions qui ont à peu près la même taille et vous nous avez soumis deux possibilités dans les figures utilisées pour donner des explications au comité consultatif. Je constate que, selon la première des deux options, trois des dix membres du conseil proviendraient de circonscriptions situées exclusivement en Saskatchewan et deux autres seraient choisis pour représenter des circonscriptions de cette province qui sont composées en majorité d'agriculteurs. C'est ainsi que j'interprète les petits pointillés qui représentent, je suppose, le nombre d'habitants. Je pourrais toutefois me tromper. La deuxième option consisterait à élire trois des membres du conseil dans des circonscriptions situées entièrement en Saskatchewan. Si j'interprète bien le graphique, on en choisirait d'autres dans des circonscriptions de cette province composées en majorité de cultivateurs.

Vous avez déjà fait des commentaires à ce sujet. Vous avez dit que du fait que ces régions se chevauchent et que les administrateurs sont élus pour servir les intérêts des cultivateurs et pas ceux de leur province, il n'y a probablement pas de quoi être préoccupé. Vous pourriez peut-être me rassurer en me démontrant que cela ne compliquera pas la tâche déjà très délicate de la Commission lorsqu'il s'agira de se préparer pour l'avenir en subissant vraisemblablement une métamorphose.

M. Goodale: En ce qui concerne la question de la reddition de comptes, l'alinéa 3.05b) du projet de loi est rédigé de façon à encourager le nouveau conseil d'administration à faire preuve de créativité et d'esprit novateur pour essayer de trouver et de mettre en oeuvre toutes sortes de moyens non seulement de rendre compte de ses activités mais aussi de prouver qu'il le fait. Cela rejoint non seulement les observations que vous avez faites à ce sujet mais aussi l'argument extrêmement important que le sénateur Stratton a avancé au début de cette séance au sujet de la question de confiance.

Les administrateurs pourront notamment avoir recours aux méthodes de reddition de comptes traditionnelles: rapports annuels, vérifications, assemblées annuelles. Il est possible que la Commission canadienne du blé ait besoin de tenir plus d'une assemblée annuelle, voire de tenir une assemblée annuelle virtuelle faisant appel à la technologie moderne d'Internet pour permettre à tous les cultivateurs qui le désirent de suivre les délibérations sur l'autoroute de l'information. Les rapports annuels et les procédures de vérification existent déjà. Grâce aux dispositions du projet de loi concernant la reddition de comptes, le conseil d'administration aurait la possibilité de faire faire des vérifications externes, des évaluations de rendement, par des organismes gouvernementaux ou par des organisations non gouvernementales. Il pourrait par exemple passer un règlement administratif, pour autant que le Parlement l'approuve, spécifiant que, une fois par an, les commissaires et les cadres supérieurs ainsi que les vérificateurs de la Commission canadienne du blé doivent comparaître devant nous ou devant le comité correspondant de la Chambre des communes, ou les deux, pour fournir la preuve qu'il rend des comptes aux producteurs. Ce pouvoir existe déjà. Je trouve un peu étrange que le vérificateur de la Commission canadienne du blé n'ait jamais été convoqué devant un comité parlementaire, pas à ma connaissance du moins. Si cela était arrivé régulièrement depuis une cinquantaine d'années, les craintes actuelles n'existeraient probablement pas. Qui sait?

Monsieur le sénateur, l'instrument le plus efficace de reddition de comptes est, de toute évidence, le processus d'élection des administrateurs. Nous invitons toutefois le nouveau conseil d'administration à envisager le recours à d'autres méthodes pour permettre aux agriculteurs d'avoir la satisfaction de voir comment il s'acquitte de cette obligation. Nous avons évité volontairement de restreindre la portée de ces dispositions. Elles sont énoncées de façon très générale, à savoir:

la tenue d'assemblées annuelles ou toute autre méthode utilisée par lui pour rendre compte de ses activités aux producteurs;

En ce qui concerne la métamorphose progressive de la Commission canadienne du blé pour préparer l'avenir, je signale qu'il existe des différences fondamentales entre une compagnie céréalière ordinaire et un office de commercialisation à comptoir unique. Il arrive que dans les discussions entourant la question du double marché, ces différences fondamentales s'estompent légèrement. La question posée par le sénateur Spivak est très pertinente: une femme peut-elle n'être qu'à moitié enceinte ou est-ce tout l'un ou tout l'autre?

On peut difficilement envisager que la Commission du blé se transforme petit à petit en une compagnie céréalière ordinaire, pour un certain nombre de raisons d'ordre pratique. L'une est liée à l'infrastructure matérielle. L'édifice que la Commission du blé occupe à Winnipeg est pour ainsi dire le seul bien qu'elle possède en propre. Elle ne possède pas d'infrastructure rurale et par conséquent, la collecte du grain poserait d'emblée un problème. Pourrait-elle louer des installations à des entreprises qui deviendraient ses concurrents? Ce serait plutôt problématique. Le directeur d'un silo-élévateur de la Sask Pool situé juste en face de la nouvelle installation de la société ConAgra qui serait obligé de choisir du jour au lendemain entre la décision d'acheter du grain pour le compte de la Commission du blé ou de faire concurrence à ConAgra et acheter du grain pour sa propre compagnie, opterait à mon avis pour cette dernière solution et ferait concurrence à ConAgra au lieu d'essayer de rendre service à la Commission canadienne du blé.

Je ne vois pas cette métamorphose se faire dans l'immédiat, monsieur le sénateur. Je répète toutefois que c'est une question que les cultivateurs devraient examiner entre eux, à long terme. Elle ne devrait pas être imposée par les politiques ou par les bureaucrates.

En ce qui concerne la carte qui a été distribuée comme document de discussion, ainsi que le processus électoral, rien n'est coulé dans le béton. Cette carte est en cours d'élaboration. Si le Sénat a des recommandations à faire au sujet de la délimitation des dix circonscriptions électorales situées dans les Prairies d'une façon jugée juste et impartiale par les cultivateurs, je vous serais reconnaissant de nous les communiquer. La carte que vous avez sous les yeux a été établie par ordinateur, en partant d'une extrémité des Prairies pour couvrir toute cette région, de façon à ce que chaque zone contienne à peu près le même nombre de producteurs -- aux environs de 11 000 ou 12 000 -- et à tenir compte des zones pédologiques, afin de regrouper les producteurs d'une même région ayant des intérêts communs. Un ajustement manuel a été apporté à la carte en ce qui concerne la région de Peace River pour en réduire légèrement la superficie et la ramener à des proportions plus pratiques, parce qu'elle est tellement vaste qu'elle est difficile à représenter. Je suis toutefois entièrement disposé à écouter les suggestions que vous avez à faire pour améliorer cette carte.

Le sénateur Hays: Quatre administrateurs seront nommés par le ministre. J'imagine qu'il s'agira de nominations à titre amovible faites par voie de décret. Pourriez-vous nous donner une indication des critères sur lesquels on se basera pour choisir les candidats? Représenteront-ils d'autres intervenants du secteur des grains tels que les consommateurs ou l'industrie des transports, par exemple?

M. Goodale: Sénateur, je présume que la faculté de jugement des cultivateurs dans le contexte du processus électoral permettra d'obtenir le type de représentation des producteurs qui sera requis au sein du conseil d'administration et que la question du découpage des zones géographiques sera réglée de façon satisfaisante. Il se peut que des membres ayant des compétences supplémentaires puissent être utiles à la Commission canadienne du blé et aux cultivateurs. Je pense à des membres ayant une expérience dans le domaine financier, dans le domaine juridique, dans celui du commerce international et celui de la commercialisation. Voilà le genre de critères sur lesquels je me baserai. J'aurais tendance à croire que l'on peut s'attendre à ce que la question du choix des représentants des producteurs soit réglée de façon satisfaisante grâce à leur élection, puis que les autres membres constitueraient un apport supplémentaire précieux garantissant que le conseil est composé de personnes compétentes, solides et expérimentées capables de gérer efficacement, pour le compte de l'Ouest du Canada et du pays en général, une entreprise dont le chiffre d'affaires s'élève à six milliards de dollars.

Le président: Avant de donner la parole au sénateur Ghitter, je voudrais faire un bref commentaire. D'après ce que je peux comprendre, ce qui préoccupe surtout les cultivateurs est le fait de recevoir moins d'argent pour leurs produits dans le contexte du système de vente à comptoir unique alors que les compagnies céréalières réalisent des bénéfices record. C'est une chose qu'ils n'arrivent pas à comprendre. Lorsqu'ils comparent leur situation à celle des cultivateurs américains, ils n'arrivent pas à comprendre pourquoi leur revenu baisse au point de ne plus arriver à couvrir leurs coûts de production. Ils n'arrivent plus à récupérer le coût des intrants quand le prix du blé est inférieur à trois dollars le boisseau. Les Américains obtiennent un bien meilleur prix pour leurs grains et c'est une chose que nos cultivateurs n'arrivent pas du tout à comprendre. J'estime qu'il s'agit d'un problème critique pour la Commission canadienne du blé.

M. Goodale: Monsieur le président, il ne fait aucun doute que la diminution des marges bénéficiaires est bel et bien une réalité à laquelle les agriculteurs des Prairies sont confrontés. Ils ont raison d'être à la fois préoccupés et révoltés par cette situation.

Le président: Pendant ce temps-là, monsieur le ministre, le Saskatchewan Wheat Pool affiche des bénéfices record. En ce qui concerne les raisons pour lesquelles les compagnies céréalières viennent s'établir au Canada, la réponse est qu'elles y réalisent de gros bénéfices. Les agriculteurs par contre n'en font pas du tout. C'est un gros problème.

M. Goodale: Monsieur le président, je constate que ce problème est incontestable et ces préoccupations sont à l'origine d'un débat très animé sur les systèmes de commercialisation. Je comprends comment on peut en arriver à tenir de tels raisonnements mais la conclusion que si les compagnies céréalières sont rentables, les cultivateurs réaliseront automatiquement des bénéfices n'est pas nécessairement juste. L'un ne découle pas automatiquement de l'autre et il est même possible que l'un exclue l'autre.

Je vois quelle est la source du problème. Je ne suis toutefois pas certain que l'adoption d'un système extérieur à la commission y soit la solution. J'insiste sur le fait qu'il s'agit d'une opinion personnelle. En ce qui concerne l'avenir, c'est aux agriculteurs et non aux politiques qu'il appartiendra de juger.

Le président: C'est la raison pour laquelle ce projet de loi est à mon avis très important; son but est précisément d'essayer de régler certains problèmes avant que la situation ne devienne explosive.

Le sénateur Ghitter: Monsieur le ministre, je voudrais que vous disiez ce que vous pensez de la position adoptée par le gouvernement de l'Alberta -- qui m'a d'ailleurs impressionné -- quand le ministre est venu témoigner. Elle concerne la reddition de comptes et le fait que vous employiez le terme «démocratisation».

Le gouvernement de l'Alberta estime que ce projet de loi ne fera pas grand-chose pour démocratiser le processus. Les responsables devront rendre davantage de comptes mais plutôt au gouvernement fédéral qu'aux producteurs. Par exemple, l'administrateur élu dans telle ou telle région représente théoriquement les producteurs qui l'ont élu. Cependant, dans le cadre des réunions et des autres activités du conseil, il doit respecter les dispositions de la loi. Par conséquent, il n'est pas libre de ses actes et il ne peut pas faire ce qu'il veut au nom des producteurs qu'il représente. À supposer que les producteurs veulent qu'il propose des formules de rechange pour la commercialisation du blé et de l'orge, c'est une chose qui n'est pas autorisée par la loi; le conseil d'administration peut seulement passer des règlements administratifs et prendre d'autres initiatives d'ordre réglementaire. La liberté de manoeuvre est tellement réduite qu'il n'est pas très réaliste de dire que ce projet de loi est un instrument de démocratisation.

Je voudrais savoir ce que vous en pensez parce qu'il me semble que vous placez vos administrateurs dans une situation de conflit. Ce conflit réside dans le fait qu'ils ne peuvent pas réellement représenter les électeurs qui souhaiteraient peut-être des initiatives très différentes de celles permises par la loi. J'ai de la difficulté à accepter des termes tels que «reddition de comptes» et «démocratisation», et je sais que le gouvernement de l'Alberta a le même problème. Je voudrais que vous répondiez à ces questions.

M. Goodale: Je comprends ce que vous voulez dire, sénateur Ghitter. Cependant, malgré tout le respect que je lui dois, le gouvernement de l'Alberta se fourre le doigt dans l'oeil jusqu'au coude dans ce cas-ci.

Le sénateur Ghitter: Ce n'était encore jamais arrivé.

M. Goodale: Certains d'entre nous pourraient citer un ou deux exemples, mais il est inutile de retourner le fer dans la plaie.

On n'avait encore jamais eu l'occasion d'élire qui que ce soit à la Commission canadienne du blé. Ce projet de loi donne cette occasion pour la première fois. Il permet de nommer pas un, deux ou trois membres du conseil d'administration mais les deux tiers, ce qui constitue manifestement une majorité.

En outre, ces administrateurs peuvent exercer tous les pouvoirs conférés à la Commission canadienne du blé. Le projet de loi est très clair: du fait qu'il investit les administrateurs des pouvoirs conférés à la Commission canadienne du blé, ces administrateurs peuvent donc les exercer.

Ce projet de loi démocratise le processus et confère aux producteurs plus de pouvoirs qu'ils n'en ont jamais eus. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi le gouvernement de l'Alberta ose affirmer qu'il confère davantage de pouvoirs au gouvernement fédéral. Celui-ci délègue au contraire une grande partie de ses pouvoirs et, dans certains cas, une très grande partie de son pouvoir décisionnel. Les administrateurs seront habilités à examiner toutes les questions qu'ils jugent légitime d'examiner. Leur programme sera fixé selon leur propre jugement et non celui du gouvernement.

Le sénateur Ghitter: Ce n'est pas tout à fait vrai, monsieur le ministre, parce que les dispositions du paragraphe 3.12(2) du projet de loi indiquent qu'ils doivent observer la loi.

Ce n'est pas la même chose que pour une société ordinaire où le conseil d'administration a le pouvoir de faire ce qu'il veut, dans l'intérêt de la compagnie.

M. Goodale: Les administrateurs doivent observer la Loi canadienne sur les sociétés par actions.

Le sénateur Ghitter: C'est très général. Le projet de loi C-4 confère des pouvoirs bien plus spécifiques que cela.

M. Goodale: Les administrateurs ont le droit d'exercer tous les pouvoirs de la Commission du blé. Si l'on voulait modifier par exemple un pouvoir fondamental, notamment en ce qui concerne les produits commercialisés par la Commission du blé, il faudrait présentement apporter une modification à la loi.

Dans le projet de loi C-4 tel qu'il se présente actuellement, je propose de permettre aux cultivateurs de décider eux-mêmes, aux termes de l'article concernant l'inclusion et l'exclusion. La province de l'Alberta tient absolument à ce que l'on supprime cet article, ce qui aurait pour effet de restreindre les pouvoirs du conseil d'administration en remettant ce pouvoir d'inclusion et d'exclusion entre les mains du gouvernement. Il est temps que cette province se décide. Veut-elle que l'on confère les pouvoirs aux cultivateurs? Dans l'affirmative, il faut maintenir les dispositions concernant le pouvoir d'inclusion et d'exclusion, et les cultivateurs décideront. Si l'Alberta veut que l'on supprime ces dispositions, ce pouvoir est automatiquement entre les mains du gouvernement. C'est l'un ou l'autre; ou les agriculteurs ont ce pouvoir ou ils ne l'ont pas.

Le président: Ne faut-il pas reconnaître, monsieur le ministre, que les tribunaux n'ont pas permis à l'Alberta de ne pas participer?

M. Goodale: Cette question est toujours en instance.

Le président: Elle est toujours en instance, mais tout indique que les provinces n'ont pas le droit de refuser de participer.

M. Goodale: Le gouvernement de l'Alberta n'a effectivement pas ce droit.

Le sénateur Taylor: Dans quel genre de confédération sommes-nous?

M. Goodale: Si vous voulez en référer aux autorités constitutionnelles, je vous prierais d'assister à la réunion du Cabinet. Elle a lieu à 10 heures environ; je crois qu'il ne me reste plus beaucoup de temps pour y aller.

Le sénateur Whelan: Le ministre doit-il s'en aller?

M. Goodale: Oui, malheureusement. Je dois être à une réunion du Cabinet dans deux minutes environ.

Le sénateur Whelan: Allez-vous revenir bientôt? J'ai 40 questions à vous poser. J'ai parlé du mémoire du Manitoba Pool à certains de mes collègues -- et je suis en train de l'examiner à nouveau. Le problème majeur de ces cultivateurs est qu'ils ne reçoivent pas grand-chose pour leurs produits et ils estiment que la Commission du blé est responsable de cette situation. En fait, les causes de ce problème sont d'ordre international. Elles sont liées aux subventions que les cultivateurs américains continuent de recevoir et auxquelles M. Hehn a fait allusion, ainsi qu'aux subventions que continuent de recevoir les cultivateurs européens; ils accroissent leur production au lieu de la stabiliser.

Dans son mémoire, le Manitoba Wheat Pool fait des recommandations au sujet de la reddition de comptes, au sujet de l'élection des administrateurs; il recommande notamment d'étaler les élections de façon à ce que les 12 administrateurs ne soient pas élus en même temps. Il recommande notamment à la Commission de procéder par tirage et d'élire seulement un tiers des membres à la fois. À la place du ministre responsable de la Commission du blé, je recommanderais au comité d'accepter cette recommandation, un point c'est tout, parce que c'est un excellent mémoire. Je recommande aux journalistes ici présents de le lire également, parce que cette organisation représente 16 000 cultivateurs. Le ministre de l'Agriculture de la Saskatchewan, qui a vanté les mérites de ce projet de loi, a recommandé de l'adopter en y apportant toutefois quelques changements mineurs.

Je répète ce que j'ai dit dans l'Ouest: je suis en faveur du comptoir de vente unique; je ne suis pas en faveur du double marché. Le plan ontarien se soldera par un échec total.

M. Goodale: À propos des recommandations du Manitoba Wheat Pool que le sénateur Whelan a signalées, notamment celle qui concerne l'étalement du mandat des administrateurs, je tiens à signaler que nous comptons prendre tout cela en considération dans les règlements régissant le mode d'élection. Si vous pouviez faire une recommandation visant à assurer une représentation efficace, que ce soit au sujet de l'étalement des mandats ou à d'autres sujets, j'en serais très heureux.

Le sénateur Andreychuk: Monsieur le ministre, je crois que l'on vous a posé des questions pertinentes sur les difficultés et le dilemme auxquels vous, et les Canadiens en général, êtes confrontés étant donné que deux camps diamétralement opposés se sont formés au sujet de la question de l'orientation que devrait prendre l'industrie céréalière et du mode de commercialisation des grains à l'échelle internationale. Je crois que nous avons parlé de la question de liberté de choix. Le dilemme dans lequel je me trouve est que vous n'êtes pas parvenu à résoudre ce problème et je ne pense pas non plus que nous y arrivions, comme vous pouvez le constater. Vous renvoyez maintenant la balle à la Commission canadienne du blé. Non seulement celle-ci a-t-elle déjà une tâche d'envergure à accomplir sur le plan commercial, mais elle devra dorénavant s'adonner en outre à toutes sortes de tractations politiques. Et dire que vous affirmez que c'est tout à fait normal!

Je crains que l'on n'essaie de l'influencer quand elle sera aux prises avec la difficulté de déterminer l'orientation à prendre en ce qui concerne l'inclusion, l'exclusion, les diverses options, l'élection des administrateurs, surtout des représentants des cultivateurs. La Commission canadienne du blé sera politisée du fait qu'elle est obligée de résoudre cette question alors que la solution est liée en grande partie au problème du transport.

Je me demande pourquoi le gouvernement n'a pas fixé certaines orientations dans une politique agricole, pourquoi il n'a pas résolu ce problème. Le projet de loi C-4 risque d'anéantir la Commission du blé si l'autre camp est victorieux ou de ne pas offrir les options et les choix que réclament les cultivateurs qui font partie de ce camp-là. Il faut faire un choix. Le projet de loi ne fait pas ce choix-là et ces problèmes sont toujours sans solution ce qui, au lieu de faciliter le règlement du problème auquel l'Ouest du Canada est confronté, polarise davantage les discussions. Je me demande si vous pourriez nous expliquer brièvement comment nous pourrions nous sortir de ce pétrin et renforcer la Commission canadienne du blé pour lui permettre d'assumer son rôle légitime.

Enfin, en présentant ce projet de loi en ce moment, tout en laissant en suspens une série de problèmes qui, d'après vous, se régleront d'eux-mêmes, nous ne renforçons pas notre position à l'Organisation mondiale du commerce, alors que nous n'avons jusqu'à présent pas encore réussi à faire accorder à l'agriculture la place qu'elle mérite. Nous ne sommes pas dans une position de négociation avantageuse vis-à-vis des Européens et des Américains mais nous pourrions au moins défendre, comme vous l'avez signalé, la performance de la Commission canadienne du blé, qui est ni plus ni moins excellente. Comment serons-nous en mesure de défendre un système qui n'est pas encore entré en vigueur alors que toutes ces questions n'ont même pas encore été réglées? Cela n'affaiblira-t-il pas notre position au cours de la prochaine ronde de discussions à l'OMC?

M. Goodale: En ce qui concerne les problèmes de transport auxquels vous avez fait allusion, on s'en est référé, comme il se doit, au juge Estey qui est chargé d'examiner tous les problèmes qui se posent entre la ferme et le port. L'étude du juge Estey porte sur tous les éléments du système de transport, y compris sur le rôle de la Commission du blé dans ce domaine. Je crois que nous espérons tous qu'il fera d'ici la fin de l'année des recommandations susceptibles d'améliorer en partie le système de transport qui a posé tant de problèmes. Son étude ne porte pas sur la commercialisation du grain proprement dite mais sur sa manutention et son transport.

Le sénateur Andreychuk: Les deux vont de pair.

M. Goodale: Son mandat fait une distinction très nette entre les deux. Il examinera toutes les fonctions administratives de la Commission canadienne du blé qui concernent le transport des grains et qui n'ont absolument rien à voir avec les systèmes de commercialisation. Vous signalez à juste titre que ces questions sont une source de dissensions. Cela semble malheureusement faire partie de la nature du monstre et ce débat se poursuit depuis 25 ou 30 ans dans l'Ouest du Canada. Il n'existe probablement pas de tribune parfaite pour mettre fin à ce genre de controverse.

Pour en revenir à la question de confiance mentionnée au début de la séance par le sénateur Stratton, comment serait-il possible de résoudre ces problèmes de façon à inspirer confiance aux agriculteurs? Dans une tribune politique comme la Chambre des communes ou le Sénat? Probablement pas. Au sein de certaines organisations agricoles ou entre elles? Étant donné les amères discordes qui existent entre certaines organisations agricoles, elles ne constituent peut-être pas la tribune idéale. Il me semble que c'est dans le cadre des réunions du conseil d'administration que ces questions ont le plus de chances d'être réglées de façon satisfaisante par des administrateurs qui essaient consciencieusement d'assumer les responsabilités fiduciaires qui leur incombent du fait qu'ils administrent une entreprise dont le chiffre d'affaires s'élève à six milliards de dollars et que les deux tiers d'entre eux ont été élus par les cultivateurs.

Le sénateur Andreychuk: Je crains que la recherche d'une solution à ce problème -- même s'il est très possible qu'ils soient plus habilités et plus compétents que vous et moi pour le faire -- ne les détourne de leur mandat, à savoir la commercialisation. J'espérais pourtant que l'on ferait bénéficier la Commission de l'expérience des cultivateurs. Je voudrais savoir ce que vous en pensez.

M. Goodale: Je comprends ce que vous voulez dire, à savoir que nous exigeons beaucoup de ces administrateurs. Cela ne fait aucun doute. Ils assumeront d'énormes responsabilités en ce qui concerne les affaires courantes, les tâches administratives ordinaires, ainsi qu'en ce qui concerne les questions de compétence, par exemple. Cela représentera indéniablement une charge pour ces administrateurs. C'est pourquoi j'ai insisté beaucoup sur le fait qu'il était capital d'instaurer un processus électoral efficace pour que les cultivateurs puissent avoir confiance dans la façon dont ces administrateurs seront choisis.

Pour répondre à une question que le sénateur Hays a posée tout à l'heure, il est par ailleurs important que, lorsque le gouvernement sera appelé à choisir les administrateurs qu'il doit nommer, il fasse abstraction des considérations politiques et se base sur la compétence des intéressés et leur aptitude à administrer une entreprise dont le chiffre d'affaires s'élève à six milliards de dollars.

Ce sera le genre d'attitude que j'adopterai lorsqu'il s'agira de choisir ces administrateurs supplémentaires. Nous nous retrouverons au bout du compte avec un noyau solide de 15 personnes capables de bien gérer la Commission du blé.

En ce qui concerne votre dernière remarque au sujet de l'OMC, je dois reconnaître en toute franchise que la dernière ronde de discussions en 1993 et les discussions préparatoires qui ont eu lieu au cours des sept années et demie précédentes, ont été pénibles. Je suis convaincu que l'issue a été fructueuse pour le Canada, même dans le domaine agricole. D'après les statistiques, depuis 1993, les ventes mondiales de produits agricoles et agroalimentaires ont augmenté de plus de 50 p. 100. En 1993, le chiffre d'affaires s'élevait à 13,5 millions de dollars. Au cours de la dernière année pour laquelle nous possédons des statistiques, le chiffre d'affaires atteignait plus de 20 milliards de dollars. Nous nous en sommes très bien tirés sous le régime de ces accords commerciaux. Cela ne veut pas dire que nous n'avons eu aucun problème; ce n'est effectivement pas le cas. Les prises de bec provoquées par des différends au sujet des grains sont particulièrement pénibles -- ce qui indique malgré tout que nous nous en tirons assez bien sous le régime des accords multilatéraux mais qu'il faut rester vigilants, qu'il faut éviter de se reposer sur nos lauriers et de prendre quoi que ce soit pour acquis, et qu'il ne pas céder un pouce de terrain à la concurrence.

Le sénateur Andreychuk: Je voudrais signaler pour terminer que nous avons beaucoup de difficulté à accepter votre nouvelle formule de société mixte. J'ai demandé à vos fonctionnaires à qui incombera en définitive la responsabilité de rendre des comptes. Quelle sorte de créature bâtarde avez-vous donc engendrée? On s'en donnera à coeur joie et l'attention sera détournée, quand il s'agira de déterminer à qui incombera la responsabilité de rendre des comptes et quels seront les recours juridiques. La Commission sera structurée en partie de la même façon que le gouvernement et en partie comme une entreprise privée. Il faudra consacrer beaucoup d'énergie à définir la réalité de cette nouvelle entreprise.

M. Goodale: Sénateur, je ne conteste pas du tout le fait que certains de ces nouveaux défis seront difficiles à relever. C'est le propre de tout changement.

La situation est restée plus ou moins inchangée pendant près d'une cinquantaine d'années. Il est manifeste qu'un certain nombre de cultivateurs n'apprécient pas le statu quo. Dès lors, il n'est pas justifiable de renoncer à tout changement et de maintenir le statu quo sous le seul prétexte que le changement nous fait peur. Les cultivateurs ne sont manifestement pas disposés à accepter ce genre d'excuse.

Je pense que la majorité des agriculteurs souhaitent que l'on conserve les avantages qu'offre le régime d'une commission de commercialisation du blé. Par ailleurs, ils veulent un régime plus démocratique, une plus grande reddition de comptes, une plus grande marge de manoeuvre et un plus grand pouvoir de décision en ce qui concerne l'orientation de cette commission. Cela représente un gros changement et c'est inquiétant. L'avenir n'est pas entièrement prévisible mais si l'on aborde cette période de mutation dans un état d'esprit créatif et novateur et avec la détermination profonde de faire du bon travail, c'est bien mieux que de résister au changement. La résistance farouche au changement entraînerait l'effritement de cette institution, même si cette résistance émane du désir d'en assurer la survie. Il faut donc procéder avec beaucoup de prudence.

Le sénateur Andreychuk: Je suis en faveur du changement et c'est précisément l'objectif de ce projet de loi. Par contre, nous bouleversons du même coup la vie de certains individus. J'estime par conséquent qu'il ne faut pas se contenter de prendre des risques calculés mais qu'il faut plutôt mettre toutes les chances de son côté.

J'espère que vos fonctionnaires commenceront à donner à cette société un statut bien déterminé. En vertu de quelle loi sera-t-elle régie? Elle ne sera plus la même qu'avant. En quoi cela constituera-t-il une amélioration? Les impondérables font du métier d'agriculteur un métier difficile. Jadis, les impondérables tournaient uniquement autour de questions comme la pluie et les récoltes. L'interprétation d'un article ou d'une loi ne faisait pas partie des impondérables.

Je vous félicite pour ces changements. Par contre, je tiens à vous avouer que je crains que l'on ne se contente pas d'instituer certains changements mais que l'on se lance également dans toutes sortes de nouvelles aventures hasardeuses et que l'on ne trouve dans la loi ni dans les pratiques antérieures aucun point de repère susceptible de nous rassurer en indiquant que nous sommes sur la bonne voie.

M. Goodale: Il est difficile de prévoir l'issue d'une aventure comme celle dans laquelle nous entraîne ce projet de loi et d'assurer entièrement ses arrières.

Vous avez le droit d'attirer notre attention sur les aléas d'une telle aventure. Nous nous sommes efforcés dans toute la mesure du possible d'établir un cadre rassurant. La meilleure preuve de ces efforts réside dans les garanties qu'offre le gouvernement. Lorsque les administrateurs de la Commission canadienne du blé auront été élus et que les commissaires, tels qu'on les connaissait, ne seront plus tous nommés par le gouvernement, son statut au sein des divers organismes fédéraux changera. Il ne s'agira plus d'une société d'État ayant le statut d'organisme relevant de l'autorité de Sa Majesté mais d'une nouvelle entité appelée entreprise mixte. Nous avons dû essayer de régler le problème que posait l'octroi à une entreprise mixte d'un niveau de garantie équivalant à celui dont elle bénéficiait automatiquement sous son incarnation antérieure, du fait qu'il s'agissait d'une société d'État. Nous avons décidé que la seule solution consistait à le spécifier dans la loi.

Vous trouverez dans le projet de loi C-4 des dispositions explicites sur les mécanismes de cette garantie. En ce qui concerne les sociétés d'État, c'est une question qui est réglée en grande partie par la tradition et par la coutume. Étant donné que lorsque ce projet de loi aura été adopté, la Commission du blé ne sera plus un agent de Sa Majesté, nous avons dû y insérer des dispositions très explicites pour dissiper entièrement les doutes qui pourraient subsister à cet égard. Les garanties concernant les acomptes à la livraison, les emprunts en général et les ventes à crédit sont là. Il s'agit de dispositions uniques dans la législation fédérale. Je ne pense pas qu'il existe des dispositions analogues ailleurs. Si l'on a procédé ainsi, c'est précisément pour régler le problème que vous venez de signaler, pour assurer ses arrières et pour essayer de prévoir tous les impondérables qui vont inévitablement de pair avec le changement.

Le président: Je tiens à remercier le ministre d'être venu ce matin. Comme vous pouvez le constater, de nombreuses questions restent en suspens.

Le sénateur Whelan: Je vous signale que j'estime qu'il est très injuste d'avoir consacré 20 minutes à une seule réponse. Monsieur le ministre, vous devez vous en aller pour 10 heures. Je ne serai pas facile à convaincre au sujet de ce projet de loi.

M. Goodale: Pourrai-je revenir pour répondre aux questions du sénateur Whelan?

Le sénateur Spivak: Certainement.

Le sénateur Fairbairn: Oui.

Le sénateur Whelan: J'ai passé toute ma carrière dans l'agriculture. J'ai également passé beaucoup de temps dans l'Ouest du Canada. Certaines questions qui ont été abordées au cours de nos audiences me tiennent à coeur. J'aimerais que le ministre puisse revenir passer une heure avec nous.

M. Goodale: Monsieur le président, je demanderai à mon cabinet de vous consulter ou de consulter votre greffier pour voir s'il n'y aurait pas moyen de me libérer pour une heure, au début de la semaine prochaine, pour essayer de terminer cette discussion. Je reviendrai bien volontiers. Je sais que le temps nous manque mais j'essaierai toutefois volontiers de me libérer pour une heure, si c'est possible.

Le président: Nous nous réunissons à huis clos immédiatement après cette réunion; nous pourrons en discuter et vous en reparler.

M. Goodale: Je voudrais vous donner à tous, et plus particulièrement au sénateur Whelan, l'occasion de me poser des questions.

Le président: Merci, monsieur le ministre.

Honorables sénateurs, je voudrais que quelqu'un présente une motion proposant que la séance se poursuive à huis clos afin d'examiner l'ébauche du rapport sur le projet de loi C-4.

Le sénateur Stratton: Je la présente.

La séance se poursuit à huis clos.


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