Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 20 - Témoignages pour la séance du matin
OTTAWA, le jeudi 22 octobre 1998
Le comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit ce jour à 9 h 05 pour examiner la situation actuelle et l'avenir de l'agriculture au Canada (l'hormone de croissance recombinante bovine, STbr, et ses effets sur la santé des humains et des animaux).
Le sénateur Leonard J. Gustafson (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Honorables sénateurs, je déclare ouverte cette séance du comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. Nous avons une longue liste de choses dont il nous faut nous occuper ce matin.
J'aimerais tout d'abord passer en revue certaines des règles que nous allons suivre. Nous entendrons de brèves déclarations après quoi il y aura des questions. Ce sera dix minutes pour le premier tour de chaque sénateur, et cinq minutes par la suite.
J'aimerais ce matin faire une brève déclaration pour situer un peu le contexte. Cette réunion est la deuxième tenue par le comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts dans le cadre de son examen de l'utilisation de la somatotrophine bovine recombinante (STbr) pour stimuler la production laitière des vaches et de ses effets sur la santé des humains et des animaux.
En juin, le comité a entendu le témoignage de représentants de Monsanto, la société qui produit et commercialise la STbr, ainsi que de cadres supérieurs de Santé Canada. Depuis, le comité a reçu près de 200 lettres et messages envoyés par courrier électronique de citoyens exprimant leurs préoccupations et demandant au comité de faire un examen plus poussé de la question.
La séance prévue pour aujourd'hui s'annonce longue. Nous allons entendre des chercheurs de Santé Canada qui ont examiné la méthodologie utilisée par le ministère dans son évaluation à ce jour de la STbr.
Nous entendrons ensuite des représentants des Producteurs laitiers du Canada et du Conseil national de l'industrie laitière du Canada, c'est-à-dire des producteurs et des transformateurs de produits laitiers au Canada.
Avant que l'on ne donne la parole aux chercheurs, certains d'entre eux ont demandé que leur représentant syndical, M. Blair Stannard, vice-président de l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada, soit autorisé à faire une déclaration en leur nom.
Allez-y, je vous prie, monsieur Stannard.
M. Blair Stannard, vice-président, Institut professionnel de la fonction publique du Canada: Monsieur le président, honorables sénateurs, il n'est pas inhabituel, dans l'histoire de l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada, que de ces membres, les 30 000 professionnels qui oeuvrent pour le gouvernement fédéral, comparaissent devant un comité du Sénat ou de la Chambre des communes. Nous faisons cela depuis près de 80 ans. La différence aujourd'hui, je suppose, est qu'un représentant syndical soit ici pour faire des remarques liminaires. C'est qu'il y a certaines craintes qui ont été soulevées quant à la comparution de fonctionnaires devant le comité parlementaire sans que ceux-ci ne soient certains qu'il n'y aurait pas de représailles.
Grâce à l'intervention du comité et de son greffier, M. Blair Armitage, nous avons reçu auprès des cabinets du ministre et du sous-ministre des assurances qu'il n'y aurait pas de telles représailles.
L'Institut professionnel est bien sûr très heureux de savoir que cette question a été tirée au clair, car cela aurait à notre avis entravé le fonctionnement des comités parlementaires à l'avenir si de telles garanties n'avaient pas été fournies. Cela aurait pu arriver à n'importe quel moment. Vous l'ignorez peut-être, mais il existe des précédents en matière de renvois de fonctionnaires par suite de refus de comparaître devant un comité. Il y a également des précédents en matière de renvois d'employés lorsque ceux-ci ont comparu et ont témoigné. Il y a des problèmes dans les deux cas de figure. Cet éclaircissement fourni par le ministre Rock et par le sous-ministre a bien sûr apaisé nombre de nos préoccupations.
Pour que les choses soient claires, nous tenons à dire que nous représentons tous les scientifiques qui sont ici aujourd'hui. Ils sont membres de notre syndicat. Nous tenons tout particulièrement à faire cette déclaration pour le compte de ceux qui ont reçu des avertissements du ministère quant à la fourniture d'explications «publiques».
Quatre des personnes qui comparaîtront ici aujourd'hui étaient membres de l'équipe qui a déposé un rapport sur la STbr. M. Shiv Chopra travaille chez Santé Canada depuis 30 ans et il est depuis 11 ans membre de la Division de l'innocuité pour les humains du Bureau des médicaments vétérinaires. M. Gerard Lambert travaille chez Santé Canada depuis 25 ans, au Bureau des médicaments vétérinaires, Direction des aliments. Mme Mueller nous vient du Bureau d'évaluation pharmaceutique, Direction des produits thérapeutiques, et elle a 17 années d'expérience dans ce domaine. M. Mark Feeley vient de la Section d'évaluation toxicologique du Bureau d'innocuité des produits chimiques. Est également ici aujourd'hui Mme Margaret Haydon, qui n'est pas membre de ce comité d'examen, mais qui travaille au Bureau des médicaments vétérinaires depuis 15 ans. Son rôle dans l'équipe était de produire certaines données critiques puisées à même ses études portant sur l'innocuité et l'efficacité de la STbr. Elle a donc appuyé l'équipe d'examen.
Au départ, M. Chopra a été chargé par M. Paterson, directeur général de la Direction des aliments, d'examiner la STbr. M. Lambert a également, dans le courant du processus, été amené à l'appuyer.
À mi-parcours, d'autres personnes ont été nommées à l'équipe par M. Paterson: Mme Mueller, M. Feeley, et M. Ian Alexander, coordonnateur général.
Si j'ai bien compris, le rapport que vous avez reçu au départ n'était pas la version intégrale, mais bien la version épurée. Le greffier m'a fait savoir hier que vous avez depuis reçu la version complète. C'est là une préoccupation de moins pour nous.
Cela étant dit, j'aimerais, en conclusion, attirer votre attention sur la question très critique qui a été retirée de la version officielle initiale du rapport. Cela figure peut-être dans le nouveau rapport. Il s'agit des recommandations de l'équipe. Je veux parler surtout de celle qui dit que la soumission relative à la STbr ne satisfait pas les exigences en matière d'innocuité pour les humains établies dans l'article C08002 de la Loi sur les aliments et drogues et dans les règlements en découlant. La recommandation qui nous intéresse est issue des résultats d'une étude de toxicologie de trois mois portant sur des rats auxquels l'on a administré oralement de la STbr, faisant ressortir que le produit avait été absorbé dans le sang, ce qui laissait entendre que cela pouvait poser des risques pour la santé des humains.
D'après ce que j'ai compris, ces renseignements ont depuis été mis à la disposition du comité. Si c'est bel et bien le cas, alors ce sujet de préoccupation est lui aussi réglé.
J'aimerais maintenant céder la place aux chercheurs pour qu'ils puissent répondre aux questions des sénateurs et les aider dans leur travail.
Le président: Merci, monsieur Stannard.
J'inviterai maintenant les chercheurs à venir prendre place à la table des témoins.
J'aimerais faire une brève déclaration avant que nous ne commencions.
Les témoins qui comparaissent devant les comités parlementaires sont protégés par les privilèges du Parlement. Si j'ai bien compris, les témoins de Santé Canada souhaitent prêter serment. C'est une procédure tout à fait normale en comité parlementaire, bien que rarement appliquée.
Je tiens à souligner que le fait de prêter ainsi serment ne vous confère pas de protection autre que celle que je vous ai déjà décrite et qui est assortie de ramifications juridiques.
Ai-je raison de dire que certains d'entre vous veulent prêter serment?
(M. Shiv Chopra: assermenté)
(M. Gerard Lambert: assermenté)
(Mme Margaret Haydon: assermentée)
Le président: Si j'ai bien compris, certains témoins aimeraient faire une brève déclaration avant que nous ne passions aux questions.
Allez-y, je vous prie.
Mme Thea Mueller, Santé Canada: Je fais cette déclaration au nom de M. Mark Feeley et de moi-même. Le texte a été distribué aux membres du comité.
En nous basant sur notre expérience collective de 21 ans d'évaluation de médicaments humains et de contaminants alimentaires, et formant la moitié de l'équipe d'examen interne d'analyse de l'écart, nous aimerions soumettre les points suivants à l'attention du comité du Sénat dans le cadre de ses délibérations sur les questions entourant l'utilisation de la somatotrophine bovine recombinante (STbr) en vue d'accroître la production de lait chez les troupeaux laitiers du Canada.
Premièrement, les questions scientifiques concernant la protection des humains et la protection et l'efficacité des animaux, sont étroitement liées aux conflits internes que les présentations relatives à la STbr ont suscité au Bureau des médicaments vétérinaires. Les questions scientifiques sont tout à fait distinctes des conflits internes au BMV. Chacune a la même importance et devrait être examinée de son propre droit.
Selon nous, le ton et une partie du contenu du premier rapport, portant la date du 21 avril 1998, ont indûment insisté sur les conflits internes au BMV et cette situation tend à obscurcir et même à estomper certaines des questions scientifiques que l'équipe d'examen interne devait étudier.
À la lumière de ce qui précède, pourquoi avons-nous signé ce premier rapport?
Puisque l'équipe d'examen interne avait déjà dépassé sa date limite, nous ne voulions pas retarder davantage les délibérations. Toutefois, cet accord a été donné sur l'hypothèse de routine que le rapport pourrait être modifié, compte tenu des commentaires recueillis après sa distribution initiale aux parties intéressées, qu'il ait été rédigé comme ébauche ou non. Cela fait partie intégrante du processus de consultation habituel des directions de la Direction générale de la protection de la santé. Une version plus concise du rapport original a également été rédigée mais elle n'a pas été acceptée par les membres du BMV qui font partie de l'équipe d'examen interne.
Même après la réception de certains commentaires utiles, les membres du BMV ont refusé de faire quelque révision que ce soit au rapport initial, si ce n'est pour les ajouter en annexe. C'est pourquoi un deuxième rapport, daté du 10 juin 1998, a été préparé. Celui-ci porte essentiellement sur les problèmes scientifiques qu'il faut résoudre avant d'en venir à toute conclusion définitive à propos de l'innocuité pour les humains du lait produit par des vaches traitées à la STbr.
Deuxièmement, l'équipe d'examen interne n'avait pas pour mandat de faire des recommandations relativement à l'innocuité du produit pour les humains en tant que tel, mais uniquement de déterminer si les données sur lesquelles le BMV avait fondé ses conclusions étaient adéquates.
Le mandat de l'équipe d'examen interne était limité à la détermination de toute irrégularité ou écart dans l'information considérée nécessaire pour tirer des conclusions valables quant aux possibles effets néfastes que pourraient avoir sur la santé les résidus présents dans le lait de vaches traitées à la STbr. La question à laquelle l'équipe devait répondre était celle de savoir si le fabricant avait présenté suffisamment de données pour produire une preuve convaincante que le lait tiré des vaches traitées à la STbr est sans risque pour les humains qui le consomment. Si l'on avait jugé nécessaire d'obtenir des renseignements supplémentaires, l'équipe d'examen interne devait indiquer de quels renseignements elle avait besoin, y compris le genre d'études à entreprendre. D'où le terme «analyse de l'écart».
Troisièmement, les documents qui ont été vérifiés par notre équipe d'examen interne étaient presque tous des résumés de données préparés au fil des ans par les évaluateurs du BMV ou par d'autres organismes de réglementation, ou tirés de rapports de synthèse de revues scientifiques. Par conséquent, notre analyse reposait sur l'hypothèse que les protocoles expérimentaux respectaient les normes scientifiques acceptables de l'époque et qu'ils avaient été analysés à l'aide de méthodes statistiques appropriées. Seules des études bien conçues et analysées peuvent fournir des données suffisamment fiables pour qu'on en tire des conclusions valables. Idéalement, la meilleure façon de relever les interprétations erronées, les partis pris ou les lacunes consiste à examiner les données originales à partir desquelles les résumés ont été préparés.
Quatrièmement, le paragraphe précédent fait allusion aux normes scientifiques acceptables de l'époque. Il est important de noter que nous avons énormément appris sur les fonctions physiologiques et pharmacocinétiques des protéines, telles que la somatotrophine ou le facteur de croissance insulinoïde (FCI), depuis les premières présentations relatives à la STbr au BMV, il y a près de dix ans. Par conséquent, il ne faut pas dénaturer le sens des rapports d'«analyse de l'écart» et douter de la compétence des évaluateurs de la présentation au moment de sa soumission. Certaines hypothèses considérées comme des faits il y a dix ans ne sont peut-être plus exactes aujourd'hui.
Cinquièmement, l'équipe d'examen interne avait pour mandat de n'examiner que les aspects touchant à la santé humaine. Toutefois, il existe d'autres facteurs qui ont influé sur le processus décisionnel. Par exemple, la division du BMV qui voit à la sécurité et à l'efficacité des espèces animales cibles a refusé, à plusieurs occasions, d'autoriser la commercialisation du traitement à la STbr, car ses effets nocifs l'emportaient sur ses bienfaits, dont le niveau d'accroissement de la production laitière.
Sixièmement, lorsqu'une présentation est soumise, il faut prendre, un jour ou l'autre, la décision d'approuver ou de refuser le produit en question. Il n'est pas rare que des organismes de réglementation doivent prendre une telle décision malgré certaines incertitudes. Le cas échéant, l'importance de la preuve, les hypothèses concernant l'innocuité (les scénarios les plus pessimistes) et les facteurs d'incertitude doivent l'emporter sur l'extrapolation aux humains des résultats constatés chez les animaux. Les facteurs d'incertitude reflètent les lacunes dans les données dans le présent processus d'évaluation du risque et ils décroissent au fur et à mesure qu'augmente la confiance dans les données.
Dans le cas d'agents non cancérigènes, on utilise généralement un facteur d'incertitude égal à 100 lorsqu'une évaluation complète de la toxicité est disponible, pour établir une marge de sûreté adéquate dans l'extrapolation aux humains de niveaux d'effets nocifs non observés dérivés d'études sur des animaux. Dans le cas d'agents cancérigènes qui agissent par mutation génétique, on considère qu'il n'y a pas de niveau d'exposition sûr. Lorsque l'exposition est inévitable, les scientifiques exploitent des modèles mathématiques pour calculer un niveau d'exposition correspondant à un degré de risque de cancer très faible, par exemple un sur un million.
Pour ce qui est du facteur de croissance insulinoïde 1 (FCI-1), bien qu'il soit associé à un agent promoteur de tumeurs, il est unique du fait qu'il constitue un facteur de croissance nécessaire au développement pré et postnatal et qu'il est produit en assez grande quantité par divers tissus corporels. Par exemple, selon les données fournies par le fabricant, la concentration de FCI-1 dans le lait maternel au début de la lactation peut dépasser celle observée chez les vaches traitées à la STbr. En réalité, le FCI-1, dont la production est régularisée par l'hormone de croissance, est nécessaire à la croissance normale et au maintien de la santé chez l'humain et les animaux. Veuillez remarquer que, contrairement à la situation observée avec l'hormone de croissance elle-même, qui est propre à l'espèce, l'on s'attend à ce que les bovins traités à la STbr présentent les mêmes effets physiologiques que ceux constatés chez l'humain.
En résumé, voici les principales préoccupations toxicologiques soulevées à l'égard de l'utilisation de la STbr: a) les résidus de la STbr peuvent-ils être absorbés intégralement par voie gastro- intestinale en quantité suffisante pour produire une réaction toxique et(ou) immunologique, et, b) les résidus de FCI-1 retrouvés dans le lait ou les produits laitiers peuvent-ils survivre dans la voie gastro-intestinale pour produire des effets localisés et être bioactifs et absorbés intégralement en quantité suffisante pour produire des effets systémiques?
Les preuves disponibles aujourd'hui doivent être jugées par des personnes possédant l'expérience et les compétences nécessaires pour tenir compte de la complexité et des conséquences éventuelles à long terme chez l'humain.
À notre avis, une évaluation précise de l'exposition permettrait de mieux caractériser le risque. Comme l'indique le rapport du 10 juin 1998, les résidus du FCI-1 retrouvés dans le lait de vaches traitées à la STbr constituent davantage un problème toxicologique que ceux de l'hormone de croissance en soi.
Pour déterminer l'exposition, il faut vérifier les faits suivants: les méthodes d'essai utilisées pour mesurer le FCI-1 sont-elles valables et suffisamment reproductibles pour permettre une comparaison directe des résultats d'études distinctes? Quels sont les niveaux de FCI-1 dans le lait de vaches traitées à la STbr sur une période prolongée, et non pas seulement après une ou deux lactations. Ici, l'utilisation de facteurs de dilution devrait être interdite. Dans quelle mesure les procédés actuels de transformation du lait au Canada peuvent-ils affecter l'activité biologique du FCI-1? Dans quelle mesure le FCI-1 retrouvé dans le lait de vaches traitées à la STbr peut-il être absorbé dans la circulation systémique au moment de son ingestion, et quelle portion demeure biologiquement active? Comment les niveaux de FCI-1 biologiquement actif, qui atteignent la voie gastro-intestinale et, probablement, le plasma, lors de la consommation de lait de vaches traitées de façon chronique à la STbr, peuvent-ils se comparer aux niveaux produits de manière endogène?
À l'aide des réponses à ces questions, il faudrait entreprendre une évaluation exhaustive des risques et des bienfaits en ce qui concerne les trois facteurs que voici: innocuité pour les humains, protection des animaux cibles et efficacité des animaux cibles.
Je remercie le comité de m'avoir permis de participer à un exercice selon moi véritablement démocratique, visant à assurer la meilleure protection possible à la santé des Canadiens et Canadiennes.
Le président: Merci, madame Mueller. Cette présentation a été préparée par Mme Mueller et par M. Feeley.
Nous allons maintenant entendre M. Chopra.
M. Shiv Chopra, B.V. Sc., M. Sc., Ph.D., Santé Canada: Monsieur le président, j'ai décidé, dans l'intérêt de l'heure, de ne pas faire de déclaration. Je vais donc m'abstenir pour l'instant, et nous pourrons passer tout de suite aux questions.
Le président: Y a-t-il d'autres témoins qui aimeraient faire une déclaration?
Le sénateur Whelan, le vice-président du comité, va ouvrir la période des questions.
Le sénateur Whelan: Collègues et témoins, mesdames et messieurs, nous étudions cette question de la STbr parce que ce produit m'inquiète depuis longtemps. J'avais recommandé que le comité s'y penche, et le président du comité ainsi que mes collègues ont été d'accord. J'ai peut-être quelques préjugés à l'égard de ce produit, mais cela s'explique du fait que nous autres, agriculteurs canadiens, participant aux systèmes provinciaux et fédéral, avons bâti l'un des troupeaux laitiers les plus sains et les plus productifs au monde. Nous n'avons pas de pénurie de lait. Nous avons de fermes convictions quant à l'utilisation d'un quelconque produit artificiel pour amener une vache à produire davantage de lait.
Je constate que vous représentez une longue expérience. J'ai fait les calculs, et vous représentez, ensemble, plus de 70 années de recherche scientifique dans ce domaine. Vous êtes hautement qualifiés. Je vous demanderai votre indulgence à l'égard de certaines des questions que je vais vous poser, car ce sont des questions que vous entendriez de la bouche de simples citoyens, d'agriculteurs, de consommateurs.
Quelle a été votre participation au fil des ans à l'examen de la STbr? Depuis combien de temps participez-vous à cet examen?
M. Chopra: Monsieur le président, je travaille au ministère depuis 30 ans et au Bureau des médicaments vétérinaires depuis 11 ans. J'oeuvrais auparavant du côté des médicaments pour humains. En ce qui concerne l'examen de la STbr au BMV, j'y participe depuis le tout début.
Comme vous le verrez dans le rapport lui-même, même si je continue d'y jouer un rôle central, on m'a empêché au cours des ans de jouer un rôle direct dans l'examen véritable. C'est également le cas de tous mes collègues de la Division de l'innocuité pour les humains. Nous sommes cinq.
La raison pour laquelle je dis que j'y participe depuis le tout début est qu'il n'y a pas qu'une seule STbr. À l'époque, plusieurs compagnies voulaient produire et commercialiser de la STbr pour les vaches canadiennes.
L'une de ces compagnies, Elanco, a fait une enquête et une soumission de nouveau produit pharmaceutique en 1988. La demande a été soumise à notre ministère. Il se trouvait qu'à l'époque j'étais chef par intérim de la Division de l'innocuité pour les humains. Un examen a été entrepris sur la base de ce que j'avais vu.
Selon cet examen, il importait de se poser un certain nombre de questions très sérieuses. Une lettre a été envoyée à la compagnie. Nous avions appelé cela une «lettre de demande de données supplémentaires», et nous demandions à la compagnie de répondre avant que d'autoriser des essais sur des vaches canadiennes. La lettre a été envoyée mais elle n'a jamais été poussée très loin. Tout cela est resté en suspens. Par la suite, le ministère a en fait approuvé l'enquête sur ce nouveau produit pour Elanco sur la foi d'une reconnaissance explicite de la part du chef de la Division de l'innocuité pour les humains, ainsi que des cadres supérieurs, disant qu'il n'y avait aucun problème en ce qui concerne l'innocuité pour les humains.
J'en arrive maintenant au rapport d'examen qui nous occupe ici. J'ai joué un rôle central dans la décision du ministère de désigner quelqu'un pour fouiller dans les dossiers et faire rapport au directeur général. Cela s'est fait en octobre 1997. Les procès-verbaux le confirmant sont dans le dossier.
Ma collègue, Mme Mueller, parle du conflit. Le conflit dans cette histoire n'est pas périphérique. Au contraire, la STbr et d'autres médicaments sont au coeur même du conflit. Le conflit n'est pas dû au fait que nous étions mécontents de nos postes, de nos promotions ou d'autres choses du genre. Le conflit au BMV, surtout du côté de la Division de l'innocuité pour les humains, concernait le fait qu'on avait subi des pressions et des mesures de coercition destinées à nous faire homologuer des médicaments douteux, y compris la STbr.
C'était là notre préoccupation. Depuis, nous avons déposé des griefs. J'étais pour ma part très inquiet. J'ai pris des risques et j'ai écrit à l'ancien ministre de la Santé ainsi qu'à l'actuel ministre et au sous-ministre, me plaignant de ces différents problèmes très graves de secret, de conspiration et d'autres choses du genre, leur disant qu'il fallait faire quelque chose. J'ai notamment écrit au ministre Dingwall. Je l'ai exhorté à intervenir pour protéger l'intérêt public. Je n'ai jamais reçu de réponse de l'ancien ministre ni de l'actuel ministre, sauf après l'examen de mon grief.
Nous nous sommes adressés à notre syndicat, l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada. Le président de l'IPFPC a écrit en notre nom au premier ministre une lettre ouverte dans laquelle figure le sigle STbr.
Nos griefs ont été rejetés. Ils n'ont en fait pas été entendus. Nous avions fourni au ministère des piles de données, non seulement sur ce médicament mais sur quantités d'autres, disant qu'il existait un très sérieux problème et qu'il fallait faire quelque chose. Le ministère n'a ni examiné ni enquêté sur nos doléances. Tout ce que nous demandions à l'époque était que l'on nomme quelqu'un de l'extérieur pour enquêter sur le problème entre la direction et les personnes qui faisaient les examens. Le ministère a choisi de ne pas le faire. De fait, il a rejeté notre grief.
Encore une fois, la STbr figurait parmi les motifs des griefs. La question a été abordée par le sous-ministre adjoint, M. Nymark, qui a écrit que la STbr, en tant qu'exemple, était sur les tablettes au ministère depuis environ neuf ans et qu'il fallait qu'on examine la question. Il a également écrit qu'il allait nommer un comité consultatif externe.
En même temps, il a écrit que toutes ces choses étaient attribuables à des problèmes interpersonnels au BMV ou à quelques divergences d'opinions scientifiques. Le sous-ministre adjoint fait aux médias des déclarations selon lesquelles ce n'est pas rare chez les scientifiques. Nous sommes de cet avis, mais il n'en demeure pas moins que s'il y a un différend entre chercheurs, alors la direction doit veiller à ce que toutes les opinions soient réunies et à ce que tout le monde soit entendu.
Nous avons su que, lors d'audiences précédentes, les cadres supérieurs, notamment MM. Losos et Paterson, ont comparu devant vous. M. Losos ne nous a jamais rencontrés. Le jour où nous avons déposé ce même rapport à M. Paterson et au comité spécial chargé d'examiner la STbr au ministère et dont M. Paterson est président, M. Losos était assis à côté dans son bureau. Il n'a pas assisté à la réunion.
Une fois notre présentation terminée, nous sommes sortis et nous avons en fait rencontré M. Losos pour la toute première fois, et ce bien que je sois au ministère depuis 30 ans, comme je l'ai déjà dit. Aucun d'entre nous ne l'avait rencontré auparavant.
M. Losos n'a jamais, ni à cette réunion ni plus tard, choisi de nous rencontrer. Certaines des questions qui ont été soulevées sont très scientifiques -- et elles ont été soulevées par M. Losos lui-même -- et je songe notamment à l'immunologie et à la tératologie, soit l'étude des malformations congénitales. M. Losos a reçu ces réponses dans ce rapport. Il ne s'est jamais assis avec nous pour en discuter.
C'était de cela que je tenais à vous saisir afin que vous en teniez compte dans le cadre de vos travaux.
Le sénateur Whelan: Merci, monsieur Chopra. J'imagine que j'étais un ministre quelque peu différent. Je ne veux pas dire par là que j'étais tout le temps à la hauteur, mais j'essayais de suivre ce qui se passait. Je suis vraiment abasourdi par certaines des choses que vous nous avez dites. Il nous faudra faire certaines vérifications. Nous avons reçu une lettre du ministre pas plus tard qu'hier. Selon moi, son contenu va à l'encontre de certains des propos que vous venez de nous tenir.
Si j'ai bien compris Mme Mueller et vous-mêmes, vous n'avez pas obtenu beaucoup de renseignements lorsque vous avez entamé l'examen. C'est bien cela?
M. Chopra: Non, monsieur. En fait, en octobre dernier, une présentation a été faite par M. Yong, chef de la Division de l'innocuité pour les humains.
Cela s'inscrivant dans la préparation du dépôt de la documentation auprès du Codex Alimentarius, qui avait demandé... qui avait annulé la réunion précédente en juin de cette année et qui avait demandé de faire d'autres présentations.
Et parce que nous nous étions plaints du fait que ces renseignements étaient restés secrets et qu'ils n'avaient jamais été fournis à aucun d'entre nous... aucun d'entre nous n'avait accès aux dossiers sur la STbr. Et lors de cette réunion, après la présentation, j'ai soulevé des questions quant à la possibilité... je ne posais que des questions rhétoriques, car je ne me souvenais que de ce que j'avais écrit à partir de l'année 1988 relativement aux préoccupations, notamment l'aspect immunologique et ainsi de suite. Ce sont là les détecteurs de problèmes possibles.
Et j'ai soulevé ces questions avec M. Yong: vous dites qu'il n'y a pas de problème de risque pour les humains. Sur quoi s'appuie cette conclusion? La STbr pourrait-elle être absorbée?
Il a répondu qu'il s'agit d'une protéine qui serait digérée.
J'ai répliqué: c'est là une supposition. A-t-on fait des essais pour le prouver?
Il a répondu -- encore une fois, selon sa façon de faire habituelle -- il s'est moqué de moi. Mais j'ai répondu: écoutez, même des protéines, lorsqu'elles sont digérées, même les plus petites molécules, les parties digérées, peuvent produire des anticorps. A-t-on fait des vérifications ou des essais?
Et sa réponse, encore une fois: non, ce n'est pas nécessaire.
En fait, il y a un rapport produit par lui qui dit que s'il y avait quelque chose... et ce n'était alors pas nécessaire. Cela ne figure dans aucun de ses examens précédents.
J'ai abordé M. Paterson, qui présidait la réunion, lui disant: monsieur Paterson, je ne m'oppose personnellement pas à ce que M. Yong ou vous-même ou un quelconque autre gestionnaire dise que vous pensez qu'il n'y a pas de problème en ce qui concerne la santé des humains. Mais si vous déclarez cela au nom du ministère, alors les gens vont penser que cela nous englobe nous aussi, et si vous faites cela, je serai contre. Et si les choses évoluent en ce sens, alors nous nous opposerons publiquement à vous là-dessus.
À cet égard j'ai demandé à M. Paterson ce qui suit: pourquoi voulez-vous procéder de la sorte dans ce dossier? Pourquoi ne nommez-vous pas un ou deux d'entre nous, nous chargeant d'examiner la question et de vous faire rapport par la suite?
Il a dit d'accord et il a demandé: y a-t-il des bénévoles?
Un autre mois s'est écoulé. Ils ont essayé de trouver un volontaire et ils ont pressenti l'un de nos collègues, M. Basudde. Et M. Basudde a dit qu'il n'était pas prêt à faire le travail tout seul.
Il a écrit à M. Paterson disant qu'il faudrait que ce soit toute la division de l'innocuité pour les humains. Au moins nous aurions alors toute la gamme des opinions et l'élément objectivité. C'était son avis... et il a dit que le chef lui-même devrait en faire partie.
M. Paterson a rapporté cela lors de la réunion suivante. C'était fin octobre, ou, je pense, novembre. M. Paterson s'est adressé à moi et m'a dit: c'était votre proposition. Qu'est-ce que je fais maintenant?
J'ai répondu: monsieur, vous êtes le directeur général. Vous faites... Vous nous donnez l'ordre et nous devons l'exécuter. C'est à vous de décider. Me demandez-vous de trouver quelqu'un pour le faire ou bien me demandez-vous de le faire? Si vous cherchez un volontaire et si vous n'en trouvez pas, je me propose de le faire.
Et j'ai dit... et il a dit d'accord. Je lui ai ensuite soumis certaines de mes conditions, soit que je n'allais pas examiner...
Le sénateur Whelan: C'était en quelle année?
M. Chopra: C'était l'an dernier, en novembre 1997.
Et j'ai dit à M. Paterson: je m'offre pour le faire mais il faudra alors que tout le personnel de la Division de l'innocuité pour les humains participe. Et je ne m'occuperai pas d'en faire une quelconque analyse scientifique. Je vais me limiter à examiner le dossier et à vous faire rapport très rapidement sur ce qui aurait dû être fait, sur ce qui a été fait et sur ce qui reste encore à faire. On s'est entendu là-dessus.
Au bout de deux jours, j'ai rencontré la Division de l'innocuité pour les humains. La division, par consensus, a décidé que M. Lambert et moi-même allions être les coordonnateurs mais que tout le monde participerait. Nous avons très vite écrit à M. Paterson, dans les deux jours, lui disant quelle était notre décision et qu'il nous fallait obtenir tous les dossiers et toutes les données.
Alors que cela commençait... alors que nous commencions notre travail, tout d'un coup M. Paterson nous a écrit nous disant qu'il avait élargi ce qu'il avait appelé l'équipe d'analyse des écarts pour que celle-ci inclue deux autres personnes, celles-ci étant mes collègues assis à ma gauche et à ma droite.
Nous l'avons rencontré et il nous a alors annoncé qu'il voulait une analyse scientifique des écarts. Nous pouvons comprendre que le mandat qu'il a donné à des gens de l'extérieur, c'est-à-dire de l'extérieur du bureau, était de se pencher sur l'aspect scientifique. Et lorsque nous avons reçu ce que nous étions censés examiner, nous avons constaté qu'il n'y avait que des résumés de la FDA, de la Commission européenne, du Comité mixte d'experts des additifs alimentaires (CMEAA) et également les examens faits au sein de la Division de l'innocuité pour les humains par le chef, mais non pas les données elles-mêmes.
Et nous autres -- M. Lambert et moi-même avons alors écrit à M. Paterson: premièrement, voulez-vous toujours que nous nous en occupions? M. Nymark, le sous-ministre adjoint, dit qu'il y a un comité externe qui va s'y pencher. Voulez-vous toujours que nous fassions ce travail?
Il a répondu par écrit que oui, il voulait toujours qu'on le fasse.
Et lorsqu'il a alors élargi l'équipe, nous avons écrit à M. Paterson lui disant qu'il y avait une situation de grief. Notre plainte avait été transmise à la Commission des relations de travail dans la fonction publique. Donc, pour éviter tout conflit ou tout manque d'objectivité de notre part ou tout parti pris, veuillez nous excuser. Nous nous sentons très mal à l'aise face à l'idée d'y participer maintenant.
M. Paterson a répondu en disant qu'il tenait toujours à ce que nous fassions ce travail, qu'il comptait sur notre collaboration et qu'il... que notre grief et notre plainte n'avaient rien à voir là-dedans. Il a également écrit que lorsqu'il recevrait notre rapport... lorsqu'il nous a rencontrés, il nous a dit qu'il voulait un seul rapport et pas plusieurs rapports indépendants. Il voulait un consensus. Nous avons dit d'accord.
Et au fil de notre travail, il y a eu des difficultés. Il avait notamment nommé un autre coordonnateur, qui est en fait le responsable du dossier de la STbr depuis... depuis trois ou quatre ans; il s'agit de M. Ian Alexander.
Son rôle allait être celui de responsable du dossier. Soit dit en passant, c'est ce monsieur qui garde tous les dossiers sur la STbr au ministère. Personne d'autre n'a le droit de voir ces dossiers. Ils sont tous dans son classeur. Tous les autres dossiers nous sont accessibles au moyen du registre central.
Son rôle allait donc être de coordonner tout cela et de faire rapport chaque semaine à M. Paterson, qui voulait obtenir rapidement un rapport, parce qu'il disait que notre rapport allait être envoyé aux deux panels de l'extérieur.
Le sénateur Whelan: M. Paterson, est-ce un scientifique?
M. Chopra: M. Paterson est un scientifique. Il n'est pas vétérinaire. C'est un chimiste. Personnellement, j'ignore quels sont ses antécédents -- je pense qu'il a fait des études de chimie. Il vient de l'agriculture. Il n'était pas au ministère. Il est au ministère depuis 1996 ou 1997, je pense.
Le président: Sénateur Whelan, vous avez dépassé d'environ cinq minutes le temps qui vous était alloué pour poser des questions. Je comprends néanmoins que M. Chopra a fait une déclaration également.
Le sénateur Whelan: J'aimerais tout simplement dire ceci, monsieur le président.
Vous nous avez éclairés. Si vous permettez que je dise une toute petite chose, je suis abasourdi par certaines des choses que vous nous avez dites au sujet des preuves, du secret, et cetera. Pour moi, la STbr compte parmi les gros problèmes au départ. Lorsqu'on commence à examiner cela, on remonte à, quoi, l'année 1930, et l'on apprend qu'ils jouaient avec ce même produit, qui portait peut-être un autre nom, et cetera.
Vous avez expliqué la façon dont les dossiers sont gardés par M. Paterson et que personne d'autre ne peut les voir. Ces dossiers étaient-ils enfermés dans un coffre-fort?
M. Chopra: Oui, ils sont gardés... sous clé. Ils sont gardés personnellement par M. Ian Alexander, qui est le responsable du dossier de la STbr. Personne d'autre n'est censé les voir. D'ailleurs, dans le cadre de nos travaux, nous avons eu énormément de difficulté à obtenir les données nécessaires.
Le sénateur Whelan: M. Alexander, est-ce un scientifique?
M. Chopra: C'est un scientifique. Il est vétérinaire. Il travaille au bureau.
Si vous pouviez m'accorder quelque indulgence, mon épouse, qui travaillait autrefois au ministère, m'a acheté ce livre pour un dollar la semaine dernière à l'occasion d'une vente. Vous y êtes cité.
Le sénateur Whelan: Moi?
M. Chopra: Cela remonte à l'époque où vous étiez ministre de l'Agriculture, alors le livre commence à dater. Il a pour titre The Public Right to Know. Il a été écrit par un professeur de l'Université de Toronto. Ce qu'il dit au sujet des propos de vous qu'il cite se situe dans un contexte différent, dans lequel des gens voulaient beaucoup d'argent. Vous auriez déclaré que les Canadiens, qu'ils soient savants, assistés sociaux, travailleurs, agriculteurs ou autres, sont en faveur de la libre entreprise lorsque les choses vont bien et qu'ils sont des socialistes lorsque les choses vont mal.
Monsieur le sénateur, les choses vont mal à l'heure actuelle, mais j'aimerais, si vous me permettez, dire ceci: ce que vous avez dit c'est que ce n'est pas juste une question d'argent, mais également d'intérêt public; on parle donc d'une conscience sociale en plus du bien-être économique et social du pays.
La conclusion de ce livre est qu'il doit y avoir divulgation, explication et vérification publique. Je pense qu'il y a eu divulgation. L'explication, c'est ce que nous sommes en train de fournir aujourd'hui. La vérification publique vous revient à vous.
Le président: Merci, sénateur Whelan. Vous aurez une deuxième chance.
Le sénateur Spivak: Monsieur le président, si vous me le permettez, j'aimerais aborder certaines des questions scientifiques.
Les deux rapports sur les écarts ont été signés par tous les chercheurs et, d'après ce que je vois, ils sont très semblables. Il y a une différence, mais ils évoquent des écarts et au niveau de la procédure et au niveau du contenu scientifique dans le processus d'évaluation de la STbr. C'est là la première chose. Il y a en effet eu des écarts côté procédure et données scientifiques.
Si vous permettez, monsieur le président, j'aimerais que ce qui suit figure au procès-verbal: dans le rapport d'analyse des écarts de juin, vous dites dans le résumé que les études toxicologiques à long terme normalement exigées pour vérifier l'innocuité pour les humains n'ont pas été réalisées. Ainsi, l'on n'a pas abordé les risques potentiels en matière de stérilité, d'infertilité, de malformations congénitales, de cancers et de dérèglements immunologiques, et il semble qu'on ne se soit presque pas attardé sur l'augmentation marquée prévue de l'incidence de mammites infectieuses chez les vaches laitières dues à la STbr, ni sur l'augmentation concomitante prévue du recours à des traitements aux antibiotiques et de la résistance aux antibiotiques chez des agents pathogènes transmissibles aux humains par les animaux et des produits de la ferme.
J'aimerais interroger Mme Haydon là-dessus.
Mais avant cela, il y a également dans le rapport de juin sur les écarts scientifiques une chose qui m'a vraiment étonnée -- cela ne m'a pas étonnée, mais je pense que c'est critique ici, car l'on parle d'une sous-population. On parle des effets potentiels du FCI-1, en particulier, sur les nouveau-nés, la sous-population -- on parle bien des enfants, n'est-ce pas? -- donc les effets sur la sous-population la plus exposée aux risques n'ont jamais été examinés. Plus tard, on lit -- et j'aimerais que vous vous prononciez là-dessus -- que les membres du CMEAA n'ont pas examiné cet aspect particulier, c'est-à-dire l'effet du FCI-1 sur les enfants.
L'étude qui semble être au coeur de cela est cette étude de 90 jours portant sur des rats. Apparemment, la FDA aux États-Unis n'a vu qu'un résumé de cette étude, qui s'est de toute façon avérée inexacte, et c'est sur cette base qu'elle a décidé que la STbr était formidable, et ce produit est autorisé aux États-Unis depuis 1993. Or, ici au Canada, vous disposiez en fait des données brutes.
Je pense que c'est le cas de M. Lambert et de vous-même, monsieur Chopra. Voici mes questions: j'aimerais savoir quelle est l'importance de cette étude. Qu'a-t-elle révélé dans le contexte de ce qui nous intéresse ici et quelle importance cela a-t-il en ce qui concerne les enfants en particulier? Que pensez-vous de la STbr et... car ce sont les enfants qui consomment le plus de lait. Et, troisièmement, j'inviterai Mme Haydon à se prononcer sur l'incidence accrue de mammites et d'utilisation d'antibiotiques.
Je pose toutes mes questions à la fois, monsieur le président, pour aller plus vite afin de ne pas dépasser le temps qui m'est alloué, dans l'espoir que nous puissions avoir un deuxième tour.
Pourriez-vous donc vous prononcer sur cette étude et sur sa signification, et nous poursuivrons à partir de là.
M. Chopra: L'évaluation toxicologique a évolué au cours des 100 dernières années de façons différentes dans le domaine des aliments et des drogues. Au début, en 1906, le seul but était de veiller à ce que ne soient pas frelatés les aliments, médicaments et autres substances destinés à la consommation humaine, et l'on avait une loi sur le frelatage. C'est en 1938 qu'a été adoptée la première Loi sur les aliments et drogues. Les États-Unis et le Canada s'entendent en général, et c'est ce qui s'est passé dans ce cas-ci également.
Il y avait eu un grave incident: un médicament à base de sulfamides avait été mélangé à autre chose, et quelque 38 personnes sont mortes. C'est ainsi qu'est née l'exigence d'études toxicologiques: les médicaments destinés aux humains devaient être éprouvés sur des animaux de laboratoire. Non seulement faut-il vérifier qu'ils sont chimiquement purs, mais ils doivent être éprouvés biologiquement pour être certain qu'ils ne provoquent pas d'effets néfastes chez les animaux de laboratoire.
Ce qu'on fait, c'est qu'on prend au moins deux espèces animales, l'une de la catégorie des ruminants et l'autre d'une autre catégorie, et on leur administre de très fortes doses de la substance pour voir à partir de quel dosage on peut littéralement tuer l'animal, et l'on procède ensuite à reculons pour voir quels sont les effets toxicologiques. C'est ce qui a été fait en 1938.
Tout c'est très bien déroulé jusqu'en 1962, puis vint la thalidomide. Tout d'un coup les gens ont dit: «Nous devons maintenant étudier non seulement les animaux adultes et les effets toxicologiques chez eux, mais également les foetus». Cette science s'appelle la tératologie. En fait, cela a été étendu pour aller plus loin encore, afin que l'on examine jusqu'au système reproducteur, c'est-à-dire tout le processus, pour voir s'il y a des effets sur le sperme des animaux, la transformation des ovules, et cetera. Toutes ces choses doivent être étudiées.
Troisièmement, des études toxicologiques à long terme doivent être faites pour vérifier qu'il n'y a absolument aucun risque de cancer. D'ailleurs, aux États-Unis, cela fait l'objet d'une clause appelée la clause Delaney. S'il y a le moindre risque de cancer, alors le médicament, peu importe qu'il soit sûr ou pas, ne doit pas être utilisé. C'est la situation aux États-Unis. Nous, nous n'avons pas cette clause ici, mais nous comptons sur des études toxicologiques à long terme.
Dans le cas de substances comme la STbr, l'on s'aventure dans un territoire inexploré. Nous ne sommes pas en train de soigner des animaux ou des personnes malades. C'est une question d'avantages économiques. Il n'y a rien de mal là-dedans. C'est ainsi que fonctionne la science, et il nous faut progresser.
Cependant, chaque fois qu'il y a eu un problème par le passé, c'était toujours une question de preuves épidémiologiques. D'abord le problème survient, puis vous faites marche arrière pour essayer de déterminer ce qui s'est passé, comme dans le cas de la thalidomide ou des sulfamides en 1938.
Lorsque vous utilisez quelque chose comme la STb dans des vaches pour des raisons économiques, il n'y a aucun moyen de savoir ce qui va se passer. Il y a donc des questions comme l'immunologie ou le FCI, des choses qu'on ignore, des indicateurs que l'on voudra peut-être examiner -- ce qui se passe peut-être au niveau moléculaire -- et il y a les questions de la résistance aux antibiotiques, qui sont un effet direct de la surproduction de lait, ce qui cause des mammites, ainsi que l'emploi abusif d'antibiotiques, amenant une résistance aux antibiotiques. Cinquante pour cent des antibiotiques sont utilisés... On administre tous les antibiotiques aux animaux et aux animaux de ferme, alors cela a une incidence directe sur les humains, et l'on sait que la résistance aux antibiotiques est en train de tuer des gens parce qu'on n'a plus d'antibiotiques pour les soigner. Vous allez à l'hôpital pour y faire enlever votre appendice, vous y attrapez une infection et vous mourez parce qu'on ne peut pas vous soigner. Voilà le genre de chose qui nous préoccupe.
Ce que nous autres chercheurs faisons, donc, lorsque nous pesons les risques et les avantages, c'est essayer de prévoir l'avenir, de voir ce qui existe dans le territoire de l'inconnu; nous changeons donc la méthode existante d'analyse des risques et des avantages selon laquelle on détermine d'abord le risque et une fois que celui-ci est éliminé, on peut poursuivre.
Ici, nous prenons un risque que nous ne connaissons pas. C'est ce qui s'est passé avec le sang, les implants mammaires et d'autres choses encore.
Si vous faites une étude épidémiologique axée sur le futur, alors la question est celle de savoir, si le motif est le profit, qui sera responsable si les choses vont mal. Si les choses tournent mal, qui va payer? Allons-nous payer? Le public va-t-il payer? Le gouvernement va-t-il payer ou bien est-ce que ce sera au fabricant qui réalise le profit qu'il reviendra de payer? Et il y a d'autres risques également. Dans ce cas-ci, il y a les risques économiques pour les vaches, les agriculteurs et notre industrie laitière. Cela ne relève pas de notre domaine ni de notre mandat, mais s'inscrit dans un autre contexte.
Néanmoins, voilà les nouveaux facteurs qui entrent en ligne de compte et notre SMA a dit: «Eh bien, si c'est une question d'argent et si vous ne pouvez pas prouver qu'il y a un risque, alors l'aspect financier devrait intervenir et la science devrait passer au second plan». Je ne peux pas accepter ce genre d'attitude qui se profile.
Le sénateur Spivak: Monsieur Chopra, si vous permettez, j'aimerais inviter M. Lambert et Mme Haydon à se prononcer sur les données brutes. En passant, lorsque vous répondrez, pourriez-vous me dire si ce sont uniquement les résumés qui sont envoyés à ces deux comités externes, les deux comités qui sont en train d'étudier la question, ou bien ceux-ci reçoivent-ils tous vos rapports ainsi que les données brutes? Je veux parler ici des deux comités qui ont été créés, le Comité des vétérinaires et le Collège royal des chirurgiens.
M. Lambert: Pour répondre à cette question, nous ne savons pas si notre rapport a été envoyé aux deux comités externes.
Le sénateur Spivak: Très bien. Pourriez-vous me parler de ce que les données brutes vous ont montré?
M. Lambert: Les données brutes nous ont montré qu'il y avait une certaine absorption de la STbr administrée oralement et que cela donnait naissance à certains problèmes immunologiques. Il y a eu production chez les rats de certains anticorps, et le produit leur avait été administré par voie orale. Chez certains rats, cela atteignait 30 p. 100... chez qui on constatait cet effet.
Les données ont montré qu'il y a une certaine absorption de la STbr et c'était le seul paramètre qui était positif dans cette étude de l'effet de la STbr administrée par voie orale.
C'était une partie... mais ces renseignements ne faisaient pas partie des rapports précédents.
Le sénateur Spivak: Cela ne figurait pas dans le résumé. Le résumé de Monsanto était différent, n'est-ce pas?
M. Lambert: Oui, cela a été déposé par Monsanto. Cela faisait partie de la soumission de Monsanto, mais cela se trouvait à la fin mais non pas dans le résumé de cette étude. Il faut parcourir toutes les pages pour trouver cette étude.
Le sénateur Spivak: Je pense comprendre. Madame Haydon, pourriez-vous nous parler un petit peu des mammites et des antibiotiques?
Mme Margaret Haydon, Ph.D., Santé Canada: Quelques renseignements de base. J'ai pendant dix ans exercé dans le secteur privé comme vétérinaire de gros animaux avant de me joindre au Bureau des médicaments vétérinaires, il y a de cela environ 15 ans.
Mon premier contact avec les examens portant sur la somatotrophine bovine remonte à environ 1994. J'ai examiné les soumissions de trois compagnies différentes, de 1984 jusqu'au milieu de l'année 1994, lorsqu'on m'a écartée du dossier. Et c'est à ce moment-là qu'on m'a volé des documents. Les renseignements dont je dispose commencent donc peut-être à dater un peu mais, oui, il y avait des problèmes de mammite à l'époque et l'étiquette de la compagnie en fait même état à l'heure actuelle.
Le sénateur Spivak: Quelle incidence l'augmentation du recours à des antibiotiques a-t-elle pour ce qui est de la santé des humains?
Mme Haydon: Lorsqu'il y a augmentation de l'incidence de mammites, les agriculteurs vont en règle générale augmenter les quantités de médicaments qui sont donnés à ces vaches dans le but de soigner cette maladie infectieuse. Bien sûr, ce qui me préoccupe c'est le risque qu'une augmentation de l'utilisation d'antibiotiques amène une résistance accrue des bactéries présentes sur la ferme. Le danger est que ces organismes présents sur la ferme ainsi que des organismes présents dans le corps humain acquièrent cette résistance. Il y a transmission de résistance entre bactéries.
Le sénateur Stratton: J'aurais deux séries de questions à vous poser. La première porte sur le fait que vous ayez tous les trois prêté serment. La question que je pose à ceux qui ont prêté serment ainsi qu'aux deux autres est la suivante: êtes-vous maintenant convaincu que votre vie professionnelle personnelle sera protégée? En d'autres termes, pensez-vous que vous n'avez plus lieu de vous inquiéter de représailles contre vous? Il s'agit là d'une question fondamentale.
M. Mark Feeley, B.Sc., M.Sc., Santé Canada: Je pense pouvoir me prononcer au moins sur mon cas personnel. M. Paterson m'a demandé de me joindre au comité en tant que conseiller externe. Je travaille surtout dans le domaine de l'innocuité chimique des aliments. Théoriquement, donc, nous nous occupons de vérifier l'innocuité pour les humains de tout... des additifs alimentaires et indirects et directs, des matériaux d'emballage et nous vérifions également la présence de contaminants dans tout l'approvisionnement alimentaire, y compris dans le lait maternel.
Je suis pour ma part quelque peu à l'écart des conflits internes qui sont survenus au BMV. Je pourrais affirmer publiquement que l'impression générale de l'examen par le BMV, avant que moi-même et que les trois autres collègues ne se joignent au Comité d'examen interne... si l'on parle ici de quelque chose qui a été ajouté à un aliment, je serai en accord avec eux sur la position qu'ils ont prise relativement aux résidus de STbr en particulier. Ce composé ou cette protéine pose un risque limité.
En guise de supplément aux renseignements fournis par M. Lambert, je dirais que les doses nécessaires pour produire une réaction immunologique par voie orale seraient plusieurs milliers de fois supérieures à l'exposition humaine maximale potentielle. Il y a une très nette relation entre la dose et la réaction. Les doses qui donneraient lieu à une réaction seraient en moyenne 60 000 fois supérieures à ce que serait l'exposition par un humain.
La dose qui ne donnait lieu à aucun effet constaté, dans la même étude, était 6 000 fois supérieure à ce que serait l'exposition des humains. Ce que Mme Mueller et moi-même avons souligné dans ce rapport du 10 juin est qu'il semble qu'il y ait des inquiétudes relativement à la quantité de renseignements qui ont été fournis sur les animaux pré et postnataux traités au FCI-1.
En ce qui concerne ma carrière professionnelle, je n'ai pas du tout été contraint de comparaître ici. J'étais tout à fait prêt à accepter la première invitation. Cela résulte de l'acceptation par la direction générale de ma participation.
Le président: Le comité a en effet reçu une lettre du ministre.
Le sénateur Stratton: J'allais justement aborder cela.
Je suppose que la question que j'aimerais poser concerne ce qui suit. Le ministre a envoyé une lettre au comité déclarant que vous devez, en tant que groupe, parler honnêtement et ouvertement sans crainte de représailles. Vous sentez-vous à l'aise avec cette lettre? Vous sentez-vous vraiment à l'aise avec la procédure de grief? Nous savons que les ministres vont et viennent. Aimeriez-vous répondre à cela?
M. Chopra: Je pense que lorsque nous avons reçu l'invitation la première fois, il n'y était question que des dates auxquelles nous devions être disponibles, et nous avons accepté. Ces renseignements étaient venus du bureau de relations parlementaires du ministère. Aucun gestionnaire n'en avait été informé ni n'avait demandé de quoi il s'agissait. Une fois la date confirmée, nous avons reçu un message par courrier électronique de l'agente des relations parlementaires, Lawanda Willar, nous disant que les arrangements avaient été pris et qu'on avait été invités. Elle nous a dit que ceux d'entre nous qui voulaient comparaître devaient appeler M. Blair Armitage. Aucune copie n'a été fournie à un quelconque cadre au sein du ministère. Lorsque j'ai vu ce message, et ayant déjà reçu un blâme et avoir été averti de ne pas parler en public d'une quelconque question liée à mon grief ou à autre chose... Bien sûr, il a maintes fois été question de la STbr. Il y avait une seule personne qui était autorisée à parler de la STbr aux médias, et c'était M. Ian Alexander, ou alors M. Landry, lorsque c'était en français.
Ayant reçu cela ainsi que la deuxième lettre du directeur, M. Lachance, me disant que je ne pourrai même pas assister à une réunion publique pendant mes heures de loisirs, en soirée ou en fin de semaine, l'hypothèse étant qu'en ma qualité de membre bien connu du personnel de Santé Canada, tout ce que je pourrais dire pourrait être interprété comme étant l'opinion de Santé Canada... On m'a interdit d'assister à une réunion particulière à laquelle j'étais censé parler des aliments ayant subi des manipulations génétiques. J'avais compté ne parler que du fonctionnement des règles, et je n'allais rien dire au sujet de médicaments ou du ministère. Mais le ministère a présumé le contraire et je ne devais donc pas y aller.
J'avais donc cela ainsi que la deuxième mise en garde et, troisièmement, un ordre écrit, ou en tout cas un conseil donné par ce même M. Lachance, qui n'était au ministère que depuis le 1er avril de cette année-là, qui me disait, par écrit, qu'il me fallait modifier le rapport. Il disait qu'une fois le rapport rédigé, accepté et signé tel quel, il pourrait alors être obtenu en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, et que cela pourrait donner lieu à des problèmes. Selon lui, le moment était venu de le modifier.
Il a dit cela à la réunion, et je lui ai demandé s'il pouvait me mettre cela par écrit, ce qu'il a fait. Non seulement cela, il a encouragé deux de ses chefs à écrire eux aussi, et leurs commentaires nous ont également été fournis par écrit.
Dans ces circonstances, ayant reçu une invitation indirecte du comité sénatorial, je suis pour ma part tout à fait sensible aux obligations et aux pouvoirs du Sénat, l'autorité suprême en matière d'établissement de règles -- en dépit de ce qu'on entend dire de temps à autre par les médias au sujet du Sénat -- dans ce pays. Je savais donc quelle était mon obligation, mais étant donné la situation, j'ai dit: «Je ne suis pas en mesure d'assister à cette audience». Pour cela, je vous présente mes excuses, et cela a pris un peu de temps.
Ce qui s'est passé par la suite, c'est qu'il y a eu cette lettre de M. Rock qui est apparue. Il est vrai qu'il dit qu'il n'est pas question de représailles, mais la phrase suivante dit que nous ne pouvons parler que du rapport diffusé à l'époque, le rapport qui a été supprimé. Dans ce contexte, et avec la lettre de M. Dodge, la lettre du sous-ministre, il est devenu très clair que nous allions être très sérieusement en danger si nous comparaissions et parlions comme nous l'avons fait ici.
Nous avons même reçu une interprétation fournie par le Conseil privé sur la façon dont nous étions censés parler sous serment. Si donc nous parlons sous serment, la question que je me suis posée -- et c'est la question qu'on me pose ici -- si j'ai prêté serment devant Dieu, alors je suis censé dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité. Mais un deuxième serment a été prêté ici, et on parle d'un rapport censuré... Alors la question que je me suis posée était la suivante: quelle vérité vais-je dire -- celle que je sais ou celle que le ministre me dit de dire? C'était là mon conflit.
Alors je ne m'attends pas... Je ne sais pas, bien qu'en présence de cet illustre comité, il ait été confirmé qu'il n'y aura pas... Il a été dit qu'il y a une garantie qu'il n'y aura pas de répercussions, mais nous ne le savons pas. Cela reste à voir car je suis toujours condamné au silence le plus complet, dans la mesure où je ne peux même pas assister à des réunions. Si je disais quelque chose à un dîner et que quelqu'un allait raconter cela au ministère, je me trouverais en difficulté.
Le sénateur Whelan: Ou dans un avion.
Le président: Puis-je intervenir un instant. Nous n'avons que jusqu'à 11 h 30. Nous devons encore entendre aujourd'hui deux autres témoins, représentant les producteurs de lait et les transformateurs. Il faudrait peut-être garder cela à l'esprit.
Le sénateur Stratton: J'aimerais voir la lettre. Le comité aimerait voir toutes les lettres qui existent. Vous a-t-on également interdit de déposer ces lettres?
M. Chopra: Eh bien, je ne sais pas, monsieur, car selon la lettre, je ne peux pas parler en public. On nous dit qu'il existe un autre mécanisme, soit un grief déposé devant le tribunal, et ainsi de suite. Le Sénat pourrait être considéré comme un tribunal. Je ne sais pas. Je n'ai pas apporté les lettres avec moi, mais si vous en faites la demande, je pourrai les fournir.
Le sénateur Stratton: Enfin, je n'ai pas l'impression que vous avez beaucoup confiance dans le processus, ce qui s'explique. Une chose que je tiens à vous dire, et cela s'inscrit dans ce qu'a fait le comité relativement à la STbr lorsqu'il a perçu un problème et c'est pourquoi il tient ces audiences, c'est que si vous avez un problème en matière de griefs ou de menaces émanant de la direction, le comité aimerait beaucoup que vous le lui rapportiez.
Le sénateur Hays: Il semble qu'il y ait deux ou trois choses qui se passent ici en même temps. Permettez-moi de poser quelques questions et d'essayer de tirer au clair ce à quoi nous voulons en venir ici aujourd'hui.
Premièrement, je crois comprendre que la STbr n'est pas autorisée à l'heure où l'on parle ici au Canada. Vous pourriez peut-être nous confirmer cela et me dire pourquoi l'utilisation de ce produit n'est pas autorisée.
J'ai également beaucoup entendu parler de la direction du ministère ou de la division du ministère à l'intérieur de laquelle vous travaillez et de la façon dont sont réglées les divergences d'opinion entre scientifiques. Vous avez à ce sujet quelques préoccupations, que je comprends. Là où je ne comprends pas, je vais revenir sur ce qui a été dit et peut-être que je comprendrai mieux. Bien sûr, nous allons entendre des gens du ministère ou de la division dans laquelle vous travaillez qui vont également nous donner des avis là-dessus, ce qui sera utile.
En ce qui concerne la dernière question -- et je vais parler de ces trois choses -- c'est là le problème scientifique qui nous occupe ici. Cela semble assez bien décrit dans un paragraphe à la page 5 de votre présentation, qui commence par les mots «en résumé». Il y a deux substances ici, deux hormones, je suppose, qui sont en train d'être examinées. L'une est la STbr, ou la forme recombinante de l'hormone de croissance, et l'autre est le FCI-1. M. Feeley a, je pense, fourni des observations utiles sur l'hormone de croissance. Il faudrait absorber des doses massives pour qu'il y ait des problèmes. J'imagine que, sans entrer dans la question de savoir si la bonne décision a été prise ici ou si nous pouvons tous avoir confiance dans cette décision, la grosse question, ou en tout cas celle au sujet de laquelle je suis moins renseigné, c'est le FCI-1, soit le facteur de croissance insulinoïde. J'ai des inquiétudes quant à son absorption grâce à des processus métaboliques et à ce qui se passe à l'intérieur de votre corps si vous le consommez. De façon plus précise, est-ce que le FCI-1 est vraiment une mauvaise chose? D'après ce que j'ai compris, il s'agit d'une substance qui est présente naturellement, et il existe dans différentes espèces diverses formes de FCI. Ce qui nous intéresse ici est de savoir si celle pour les vaches laitières est mauvaise pour les humains.
Existe-t-il des preuves de cela? Quelles sont les causes d'inquiétude? La consommation de FCI-1 provoque-t-elle le cancer? A-t-elle une incidence néfaste sur l'homme?
M. Feeley: Les renseignements concernant la FCI-1 ont été examinés par Santé Canada, la FDA et différents comités d'experts externes, comme par exemple le Comité mixte d'experts des additifs alimentaires. L'Europe travaille en gros sous l'hypothèse que le facteur de croissance insulinoïde porcin ou bovin, étant donné sa composition similaire sur le plan acides aminés, se comporterait de la même façon que le FCI-1 humain. Je ne connais pour ma part aucune étude scientifique qui ait véritablement montré que le FCI-1 bovin est équivalent, mais s'appuyant sur la composition en acides aminés ou sur la structure des composés, l'on s'attendrait à ce que le FCI-1 bovin soit actif chez l'humain.
Le FCI-1 peut, en gros, être décrit comme un puissant promoteur polyvalent de différents organes, produit dans le foie. Il existe des preuves scientifiques selon lesquelles il pourrait avoir une influence sur le cancer de la prostate chez l'homme et le cancer du sein chez la femme, étant donné qu'il favorise la croissance de cellules.
La question qu'il importe de résoudre est la suivante: le FCI-1 est-il, comme c'est le cas de l'hormone de croissance bovine, tout simplement une protéine qui est digérée dans l'appareil gastro- intestinal ou peut-il être absorbé intact et demeurer bioactif?
Je pense qu'en dépit des deux rapports dont le comité est saisi, nous sommes sans doute tous d'accord pour dire qu'il devrait y avoir des preuves supplémentaires appuyant le fait que le FCI-1 pourrait survivre au milieu ambiant du tractus gastro-intestinal et pourrait être absorbé. La position adoptée par d'autres comités d'experts qui ont adopté cette position est que la quantité de FCI-1 aurait une contribution minimale à la quantité humaine totale de FCI-1 -- et selon les dernières estimations cela correspondrait à environ 0,1 p. 100 -- si 100 p. 100 des résidus de FCI-1 retrouvés dans le lait de vaches traitées à la STbr survivaient à la transformation gastro-intestinale et étaient absorbés dans une forme intacte et bioactive.
Je suppose que l'une des questions que nous avons soulevées est que c'est très bien pour l'humain, mais quelle est la situation des humains qui allaitent? Comme le fait ressortir le rapport, ce sont là des choses que nous aimerions voir examiner.
Le sénateur Hays: Avant que de passer à quelqu'un d'autre, pour ce qui est du cancer du sein et du cancer de la prostate, avons-nous des preuves, ou bien cela se résume-t-il à de la simple spéculation sur un problème potentiel?
M. Feeley: Il n'existe aucune preuve absolue que le FCI-1 favorise ou provoque le cancer du sein ou de la prostate. Il y a des examens ou des articles scientifiques publiés au cours des dernières années montrant chez l'adulte -- ce sont des études portant sur des personnes chez qui on a dépisté un cancer -- des niveaux accrus de FCI-1 dans leur circulation. Ces niveaux accrus de FCI-1 sont-ils produits par la néoplasie elle-même ou par le cancer, ou bien provoquent-ils le développement du cancer. Le mécanisme du FCI-1 est la stimulation de la croissance de cellules, et il a été décrit comme étant un mitogène. En théorie, si quelqu'un avait un cancer qui se développait et qu'il y avait une augmentation des concentrations de FCI-1, cela stimulerait sans doute la croissance du cancer, mais je pense qu'il est important de souligner que de nombreux organes chez l'humain produisent du FCI-1.
Le sénateur Hays: Le FCI-1 ferait partie d'animaux...
M. Feeley: C'est exact.
Le sénateur Hays: De la viande et d'autres choses pourraient en contenir.
M. Feeley: En ce qui concerne la concentration de FCI-1 dans les produits de viande, je ne pense pas, en tout cas pas d'après les preuves qui ont été fournies, qu'elle soit élevée. En règle générale, si un animal a été traité à l'hormone de croissance, c'est dans le sang que vous verrez d'abord une augmentation.
Dans certains cas vous trouverez, et c'est là une autre chose que j'ai soulignée dans les rapports, qu'on n'estime pas qu'il y a -- ou qu'il y a eu -- suffisamment de preuves ou des preuves assez solides montrant les conséquences de l'exposition. Les affirmations des demandeurs -- qui ont été présentées aux autres comités d'experts -- sont que la concentration de FCI dans le lait de vache ne dépasse pas la concentration qui se présente naturellement dans le lait humain.
Mais étant donné que cela fait partie d'un examen d'évaluation d'ensemble devant être fourni par le demandeur à la FDA, je n'ai pas vu de renseignements là-dessus. Mais je pense, encore une fois, qu'on ne discute pas du fait que le FCI-1 pourrait ne pas être actif chez l'humain. Cette prétention, ou en tout cas la position adoptée par d'autres agences, est que la quantité infime de FCI-1 qui pourrait potentiellement augmenter l'exposition est minime comparativement à ce que produit normalement le corps humain.
Une autre chose que j'aimerais ajouter est que le Comité d'experts du Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada comporte un expert de l'hormone de croissance qui va examiner ce problème en particulier.
Le sénateur Hays: Merci. D'autres membres du panel aimeraient peut-être ajouter quelque chose. Monsieur Chopra?
M. Chopra: Le FCI-1 n'est que l'un des indicateurs. C'est également... c'est un facteur et c'est reconnu comme facteur de croissance. C'est exactement ce que laisse entendre son nom. C'est un indicateur de croissance des tissus, des cellules. La STbr et la STb sont une hormone de croissance. Les hormones ne ressemblent en rien à d'autres médicaments. Elles ressemblent à des interrupteurs chimiques. Vous en donnez une, elle en déclenche une autre et encore une autre et une autre.
Certaines, nous les connaissons, d'autres, nous ne les connaissons peut-être pas -- en ce qui concerne la STbr. Ce que nous savons maintenant c'est qu'il y a des preuves que les niveaux de FCI-1 dans le lait augmentent lorsque vous donnez de la STbr à la vache.
La question dont parlait M. Feeley concernait d'autres agences. La seule autre agence que je connaisse est la FDA, qui a déjà autorisé la STbr. Personne d'autre n'a conclu de façon définitive que le FCI-1 et les niveaux atteints contribueraient ou non directement à l'apparition de cancer. En fait, prise isolément, il ne s'agit que d'une preuve indirecte, car lorsqu'il y a un cancer du sein ou de la prostate, il y a une augmentation détectable du FCI-1. Il s'agit là donc d'une preuve indirecte, ce qui est suffisant.
La personne qui a publié cette étude, apparemment... quels sont les autres facteurs dont on ignore peut-être même l'existence; c'est de cela que je voulais parler plus tôt, car il faut non seulement examiner plus à fond le FCI mais également d'autres facteurs qui ont une influence sur l'innocuité d'un produit pour l'homme, notamment, résistance aux antibiotiques, autres hormones, autres déclencheurs dont on ne sait rien, et l'on fait l'expérience... prenons par exemple le diethyle -- le DES qui a été prescrit aux femmes et dont on n'a vraiment compris les risques que 16 années plus tard. C'est cela qui nous intéresse.
Le sénateur Hays: Je vous ai entendu parler de cela plus tôt, du fait qu'il y a toutes sortes de choses épouvantables qui pourraient arriver, mais la question qui me préoccupe concerne le FCI-1 et la STbr elle-même. Nous en avons déjà beaucoup parlé. J'aimerais tout simplement connaître le détail.
Nous n'avons pas autorisé l'utilisation de la STb au Canada -- c'est un fait -- et j'aimerais savoir pourquoi. Si vous ne voulez vous prononcer là-dessus, c'est très bien.
En ce qui concerne les différences du côté de la direction, les différences entre chercheurs... J'ai déjà dit avoir entendu parler de cela et l'on en entendra davantage parler, et si nous avons le temps, j'aimerais bien qu'on aborde la question des mammites.
Le président: Ce sera votre dernière question, sénateur Hays.
Le sénateur Hays: Je ne suis certes pas chercheur, et je ne suis plus producteur de lait non plus, mais la mammite est une chose que connaissent tous les producteurs de lait. Si vous avez de bonnes pratiques de gestion, avec un peu de chance, vous n'avez pas ce problème. C'est là la question. La façon dont vous gérez votre troupeau laitier détermine en règle générale l'importance de l'incidence de problèmes infectieux comme par exemple la mammite. La bonne santé du troupeau laitier est une chose que nous visons tous, et dans notre système, je pense que nous avons de bonnes incitations à être un bon producteur de lait.
Madame Haydon, pourriez-vous placer la question de l'hormone de croissance, de la STb, dans le contexte de la question de savoir s'il résultera de l'utilisation de ce produit une plus forte incidence de mammites ou d'autres infections du genre dans un troupeau laitier par suite de cela, ou s'il s'agit plutôt d'une simple question de pratiques de gestion de troupeau? S'il y a une bonne gestion du troupeau laitier sur le plan horaire de traite, contrôle nutritionnel, surveillance de la vache pendant la lactation, vous devriez pouvoir ramener l'incidence de ce problème à un niveau assez bas en temps normal. Quel est le risque supplémentaire posé pour un troupeau laitier par la STbr?
Mme Haydon: Pour remonter un petit peu en arrière, les renseignements les plus récents que j'ai examinés remontent à l'année 1994. Je n'ai donc pas vu les données les plus récentes qui ont été fournies. Mais à l'époque, il y avait des problèmes -- comme je le disais, j'ai examiné les données fournies par trois compagnies différentes -- avec le modèle des études et ainsi de suite, et il y a même certaines études qui ne fournissaient pas du tout de renseignements précis sur l'incidence de mammites. Ces vaches disparaissaient tout simplement de l'étude et il n'y avait pas d'autres explications ni suivi. Dans d'autres cas, je ne savais même pas quel organisme bactérien ou autre provoquait le problème des mammites, car ces données n'étaient pas fournies. Il y avait donc toutes sortes de variations dans les données fournies, mais il en ressortait clairement une augmentation. Je ne peux pas me prononcer d'un point de vue statistique, car dans certains cas il n'y avait pas un nombre suffisant de vaches et dans d'autres il n'y avait pas suffisamment de données fournies.
L'observation générale, cependant, était qu'il y avait bel et bien une augmentation de l'incidence de mammites. Cela variait d'une étude à l'autre, alors il n'y avait donc aucune uniformité, mais m'appuyant sur mon expérience de vétérinaire de gros animaux, je craignais beaucoup que ce soit un problème d'une envergure telle que les producteurs de lait n'auraient pas voulu avoir à s'y attaquer. Mais, comme je l'ai dit, mes renseignements ne sont pas les plus récents.
Si nous regardons l'étiquette, celle-ci dit en effet qu'il pourrait y avoir une augmentation de l'incidence de mammites. Un plus grand nombre de quartiers du pis de la vache pourraient être touchés et un plus grand nombre de vaches pourraient être touchées. L'étiquette elle-même fait donc état de la possibilité qu'il y ait une augmentation de l'incidence de mammites. Je ne suis pas convaincue que même un très bon producteur laitier, qui a d'excellentes pratiques de gestion, ne pourrait pas rencontrer des difficultés.
Le sénateur Fairbairn: J'aimerais faire quelques observations, dont une a été soulignée plusieurs fois déjà. La STbr n'a pas été approuvée et, par le passé, chaque fois que j'ai demandé si le produit va être approuvé ou est sur le point de l'être, la réponse a toujours été «Tant que nous n'aurons pas été convaincus qu'il n'y aura pas de conséquences néfastes pour la santé et la sécurité, ce produit ne sera pas approuvé».
Pour ce qui est du processus, après lecture des documents, il me semble qu'il a été assez branlant sur les plans et débat scientifique et débat public. Certains membres du comité sont peut-être en mesure de suivre le raisonnement scientifique et de comprendre la terminologie employée dans le rapport, mais je ne suis pas de ceux-là. Ce qui me préoccupe ici surtout c'est l'aspect sécurité du public, et le fait que vous soyez ici et que vous parliez de ces questions témoigne du fait qu'il pourrait difficilement y avoir un processus plus ouvert que celui dans lequel nous nous sommes engagés, et ce processus sera maintenu et nous entendrons d'autres témoins de l'industrie.
Si j'étais producteur de lait, je serais très préoccupée par certaines des choses que nous avons lues et par les questions qui ont été posées relativement aux effets sur les animaux eux-mêmes. L'on ne peut par ailleurs pas ignorer les questions entourant cette hormone, cette hormone de croissance, relativement à la sécurité des humains. Après vous avoir entendus aujourd'hui, je peux dire que ces questions ne sont pas en train d'être ignorées.
J'aimerais vous poser quelques questions. J'aimerais tout d'abord parler des deux examens qui sont en cours. J'aimerais que quiconque parmi vous souhaite réagir me dise si vous êtes confiants que les questions qui vous préoccupent, les questions que vous avez soulevées relativement à la nécessité d'une analyse exhaustive des risques et des avantages relativement à trois facteurs -- la sécurité des humains, la sécurité des animaux cibles et l'efficacité des animaux cibles -- êtes-vous confiant que le processus en place, résultant de nombre des questions que vous avez soulevées, est un processus qui est satisfaisant en soi, avec ces deux comités externes qui se penchent sur la situation? Voilà ma première question.
L'autre question concerne les observations de M. Chopra que j'aimerais revoir afin d'être certaine d'avoir bien compris. Monsieur Chopra, vous avez parlé de vos préoccupations quant à l'obtention d'un examen approfondi des données relatives à cette question, et vous avez évoqué une observation sortie, je pense, de la bouche d'un sous-ministre adjoint, se résumant à dire que l'aspect financier est un facteur dans le lancement d'une étude scientifique approfondie du genre de celle que vous vouliez et que dans ce cas-ci l'élément économique allait peut-être l'emporter sur la science. J'aimerais avoir des précisions là-dessus car c'est une chose qui inquiéterait beaucoup le comité. Nous avons récemment vécu au Canada des situations semblables qui ont créé beaucoup d'angoisse, et qui intéressaient non seulement le gouvernement, mais également la recherche en milieu hospitalier, la façon dont le financement est obtenu, les partenariats, et la façon dont cela peut entrer en conflit avec les résultats des travaux et avec la possibilité de diffuser publiquement les renseignements.
J'aimerais beaucoup que vous reveniez sur ce que vous avez déclaré tout à l'heure, car cela est très inquiétant, et ce non seulement pour des sénateurs. Les citoyens canadiens doivent avoir confiance dans notre système de protection de la santé. Dans l'intérêt de la protection de nos systèmes, que l'on parle de la STbr ou d'autres choses, je ne me sentirais pas à l'aise avec cette idée que des facteurs financiers pourraient l'emporter sur l'assurance scientifique.
M. Chopra: Vous posez deux questions, sénateur Fairbairn. Vous demandez tout d'abord si mes collègues et moi-même avons confiance dans l'actuel processus. Nous ne sommes bien sûr pas responsables de cela. Nous ne savons pas quels documents ont été fournis aux deux comités externes. Nous savons que lorsque les comités ont été choisis, on nous a demandé si notre équipe serait prête à les rencontrer, et nous avons dit que oui. Mais lorsqu'on est passé à l'acte, tout le processus est resté secret. Nous n'avons pas été autorisés à les rencontrer. Nous n'avons pas été invités à les rencontrer. Cela n'a jamais eu lieu.
Le sénateur Fairbairn: Le processus est toujours en cours.
M. Chopra: Le processus est toujours en cours et les comités ont été nommés. Tous les renseignements que nous avons proviennent indirectement des médias, de rumeurs, et cetera. Nous n'avons jamais rencontré ces comités. Nous ne savons pas trop qui y siège, quelles sont leurs compétences, quelles sont leurs connaissances ni comment ils vont évaluer les données. Nous ne savons pas quelles données ils ont reçues. Nous ne savons même pas si la version intégrale de ce rapport leur a été donnée et sur quoi ils vont s'appuyer. S'ils recevaient les mêmes renseignements que ceux que nous avons reçus au départ, alors je ne pense pas qu'ils puissent en arriver à quelque conclusion que ce soit. À moins d'obtenir les vraies données, personne ne pourrait se prononcer. Il ne faut pas être un chercheur gagnant d'un prix Nobel pour évaluer les données. Les données sont les données tant que vous les avez, mais si on ne vous les fournit pas, alors vous n'êtes pas en mesure...
Le sénateur Fairbairn: Alors vous ne savez pas, à ce stade-ci, s'ils travaillent sur cette base ou pas.
M. Chopra: Nous ne savons pas ce qu'ils ont reçu et comment leur travail sera fait, en fonction de quel processus.
Deuxièmement, l'Association canadienne des vétérinaires a déjà déclaré qu'elle considère la STb comme étant assez sûr comme produit. Le ministère et la direction ont déclaré de nombreuses fois, ici au Canada et lors de réunions internationales, qu'il n'y a aucun risque pour la santé humaine et qu'il faut donc autoriser ce produit. La situation actuelle n'existe que parce que nous avons insisté. J'ai moi-même insisté pour qu'il y ait une enquête à l'intérieur du ministère. Alors si quelqu'un dit qu'au ministère la situation a changé et que de nouvelles données ont été produites, c'est un mensonge; c'est faux. Les données ont toujours été là.
Le sénateur Fairbairn: Je pense que ce que j'ai voulu faire ressortir c'est qu'il est évident que vous tous avez, d'une façon ou d'une autre, réussi à faire progresser ce dossier et j'imagine qu'il nous faudra attendre de voir si les comités externes vont contribuer encore un autre niveau de compétence au débat entourant les questions que vous avez soulevées.
Je pense que vous avez répondu à ma question et la réponse est qu'à l'heure actuelle ils sont là, ils travaillent, mais vous ne disposez pas encore des renseignements qu'il vous faudrait avoir pour confirmer si vous leur faites ou non confiance, et à ce stade-ci aucun d'entre vous n'a été invité à comparaître devant ces comités ni à contribuer à leurs travaux.
M. Chopra: La Division de l'innocuité pour les humains est chargée, en vertu de la Loi sur les aliments et les drogues, de faire ce que nous sommes censés faire, et ces renseignements sont à la portée du SMA. Pourquoi le SMA ne nous a-t-il pas rencontrés? Il est médecin. Il est immunologue. Il est épidémiologue. Ce sont là des questions que lui-même a soulevées relativement à l'immunologie et à la tératologie. Pourquoi ne s'assiérait-il pas avec nous maintenant pour nous dire «aidez-moi à comprendre l'importance de cela. A-t-on besoin de panels extérieurs à ce stade-ci? Après tout, je suis le sous-ministre adjoint. Je suis médecin. Pourquoi ne rencontrais-je pas ces personnes?» Il n'a jamais fait cela.
Ce processus est à mon sens un très gros point d'interrogation.
Dans votre deuxième question, vous demandiez si je ne pourrais pas étoffer un petit peut... ce que j'ai dit tout à l'heure. Je parlais de ce dont je me souviens d'une réunion au ministère. Et ce n'est pas la première fois. Le ministère répète partout que le client -- et c'est par écrit -- est maintenant l'industrie, et qu'il nous faut servir le client et que bien qu'il nous faille assurer la sécurité, notre situation a changé. Et le rapport Gagnon sur l'évaluation des médicaments établit cela dès le départ. Ils disent que dans l'ère post-thalidomide, les choses ont changé. Maintenant, nous avons une nouvelle méthode d'évaluation des médicaments destinés aux humains. Ce processus commence donc avec le rapport Gagnon et se poursuit, et les choses ont empiré. Et maintenant ils disent que le rapport est là. Nous ne faisons qu'appliquer le rapport Gagnon, le client c'est l'industrie, et vous autres, vous devez agir en conséquence. Vous n'avez pas ce mandat, vous ne l'avez pas, alors faites ce qu'on vous dit.
La situation au ministère est qu'il y a beaucoup de gestionnaires qui n'ont pas d'antécédents scientifiques; ce sont de simples gestionnaires. Ce conflit demeure donc. Il y a des directeurs généraux au Bureau des médicaments vétérinaires... nous sommes là depuis toutes ces années, mais au cours des 10 ou 11 dernières années il n'y a jamais eu de directeur qui ait été promu de l'intérieur. Qu'est-ce qui ne va pas? Ils les font toujours venir d'ailleurs.
Le président: Merci, monsieur, et merci à vous, sénateur Fairbairn.
Le sénateur Fairbairn: Puis-je dire une dernière chose ici? Nous allons entendre d'autres témoins et nous allons certainement poser ces questions, mais je suppose que l'essentiel ici c'est que c'est le public canadien qui est le client.
Le président: Vu l'heure, j'ai ici les noms de trois sénateurs qui veulent poser des questions, et j'entame ensuite une deuxième liste. Il nous faudrait avancer un petit peu plus vite, si cela est possible.
La parole est maintenant au sénateur Taylor.
Le sénateur Taylor: Le témoignage de Mme Haydon au sujet des documents volés a été très bien couvert dans l'Annexe III. L'enquêteur de la GRC était Fraser Fiegenwald, un nom assez connu. Le sergent Fiegenwald, comme dans le cas de l'autre enquête, n'a rien trouvé, ou en tout cas c'est ce qu'il a déclaré.
Il y a également la lettre de J. Z. Losos, sous-ministre adjoint à la Direction de la protection de la santé, adressée à M. Blair Armitage, le greffier du comité, en date du 15 octobre.
L'avez-vous?
Cela m'a été remis et je suppose que si on me l'a remis à moi, on l'a remis à tout le monde ici ce matin.
Madame Haydon, je voulais vous interroger au sujet de l'avant-dernier paragraphe. Je vais vous le lire très rapidement au cas où vous n'auriez pas le texte sous les yeux.
Il dit ceci:
À notre connaissance, Mme Haydon n'a pas soulevé avec les cadres de la Direction de la protection de la santé ses préoccupations au sujet de l'incident entre le 18 mars 1992 et le 21 avril 1998 lorsque le rapport d'analyse des écarts a été déposé pour examen auprès des responsables de la Direction générale des aliments. Sa note du 17 juin 1994 adressée à la GRC n'a jamais été portée à l'attention de la direction et aucune mesure n'a donc été prise en conséquence. Par ailleurs, dans sa propre note au dossier datée du 24 mars 1992, soit six jours après l'incident allégué, elle n'en fait aucunement état.
Auriez-vous quelque chose à dire là-dessus?
Mme Haydon: Lorsque mes dossiers ont été -- je dirais volés -- de mes classeurs fermés à clé, c'était en 1994, et le jour de ma découverte, j'avais l'impression qu'il y avait beaucoup de choses qui manquaient, mais je n'avais pas le temps de vérifier ce qui manquait précisément; j'ai cependant eu le temps de le faire le lendemain. J'ai été complètement abasourdie. J'ai fouillé dans mes dossiers et il y avait un certain nombre de chemises qui étaient toujours là mais il semblait en même temps qu'il leur manquait beaucoup de choses. Il manquait le gros de mon travail des dix années précédentes au sujet des examens de la STbr. J'ai donc décidé de documenter l'incident et d'envoyer une note à mon chef.
J'ai commencé à rédiger la note. Je suis revenue après la fin de semaine et j'ai de nouveau regardé dans mon meuble classeur et voilà que certains dossiers étaient revenus. Certaines chemises avaient été remplies avec des documents différents, mais il n'y avait plus de suite logique.
J'ai réécrit ma note et je l'ai envoyée à mon directeur ou à mon chef, M. Drennan, avec une copie au directeur général, qui était à l'époque Sol Gunner, et c'est alors que l'enquête a été lancée avec le groupe de la sécurité à Santé Canada. On a fait appel au sergent Fiegenwald de la GRC. Après m'avoir interviewée, il a saisi certains des dossiers qui avaient été rapportés pour prendre des empreintes digitales et il m'a également demandé d'écrire des déclarations sur tout ce dont je pouvais me rappeler et sur tout ce qui pouvait expliquer qu'on ait voulu prendre ces documents. Je lui ai fourni l'original et j'ai gardé une copie pour moi-même.
Quelques mois plus tard, en novembre 1994, pendant que j'étais en congé de maladie, un membre du département de sécurité de Santé Canada m'a appelée et a exigé que je lui fournisse les déclarations que j'avais faites à la GRC. Elle est venue chez moi pendant que j'étais à la maison en congé de maladie et a exigé que je lui remette les documents. Je ne les ai jamais revus depuis.
J'ai tout juste découvert en 1997 qu'il y avait eu un rapport rédigé en novembre 1994 par une personne qui était, je pense, le directeur par intérim des services de sécurité à Santé Canada, que je n'avais jamais rencontré et qui ne m'avait jamais interviewée, ce qui m'a un petit peu étonnée.
Le sénateur Taylor: Une question: diriez-vous -- et je sais que c'est une question d'opinion -- que les dossiers que vous aviez étaient pro ou anti STbr?
Mme Haydon: Je posais beaucoup de questions et il y avait des examens des données fournies par le fabricant et il s'agissait d'examens effectués par trois compagnies différentes. Il y avait de nombreuses lettres de données supplémentaires; il s'agit de lettres qu'on utilise pour demander aux entreprises de fournir des renseignements supplémentaires.
À ce stade-là, je ne recommandais pas que le médicament soit approuvé dans l'intérêt de la sécurité ou de l'efficacité de l'espèce cible.
Le sénateur Taylor: Je suppose que si, après vos recherches, quelqu'un vous avait offert du lait en provenance d'une vache traitée à la STbr, vous n'auriez pas voulu le boire. C'est tout ce que j'aimerais savoir: oui ou non?
Mme Haydon: Personnellement, je refuserais sans doute.
Le sénateur Taylor: Très bien.
Le sénateur Sparrow: Toujours dans la même veine, vous avez dit qu'on vous a retirée de l'étude. À quel moment?
Mme Haydon: Après le vol de mes dossiers et l'enquête. C'était en mai 1994. Je n'ai plus eu d'autres affectations à des examens de demandes d'homologation de STbr, alors j'ai supposé qu'on n'allait plus faire appel à moi pour cela, et cela a été le cas. C'est M. Alexander qui est maintenant responsable d'examiner la STb recombinante.
Le sénateur Sparrow: C'est une question d'opinion à l'heure actuelle, mais pourquoi pensez-vous qu'on vous a retirée de ce dossier?
Mme Haydon: On ne m'a pas donné d'explications.
Le sénateur Sparrow: Pour enchaîner sur la question du sénateur Taylor, cela laissait-il entendre que votre rapport pourrait nuire aux perspectives d'homologation du produit?
Mme Haydon: Oui. Je ne recommandais à l'époque pas que soit émis un avis de conformité.
Le sénateur Sparrow: Monsieur Chopra, où est l'obstacle? Où avez-vous perçu la ou les barrières à vos études? Qui empêche les études de se faire? Il me semble que des ordres de bâillonnement ont été donnés, mais j'ignore si l'emploi du terme «bâillonnement» est opportun. Vous devez avoir une idée de l'origine de ces ordres de bâillonnement et de leurs motifs.
Je devine, d'après vos remarques, qu'il se passait quelque chose de très sinistre. Les mots «secret» et «conspiration» ont été employés, et je suppose que vous avez expliqué le mot «conspiration», dans le contexte de ce qui était visé.
Ce matin, il me semble que le sujet déborde, et de loin, la question de la STbr. Si cela arrive ici, cela doit arriver dans le cadre d'autres études scientifiques au sein du ministère. J'aimerais, si vous le voulez bien, que vous vous prononciez là-dessus. Il me semble qu'il y a au ministère lui-même un cancer qui empêche les études scientifiques de sortir, d'être diffusées à l'échelle du ministère ou auprès du public. Le sénateur Fairbairn a parlé un petit peu de cela.
C'est de la santé publique du pays qu'il est question ici, est non pas seulement de cette affaire. Si vous pouviez vous prononcer là-dessus, et sur le sens du mot «sinistre» au sein du ministère et sur le cancer qui y sévit, j'apprécierais. Il me semble que lorsque cinq personnes respectées du ministère comparaissent devant le comité, ce qui n'est pas habituel, cela ne veut pas dire que la réunion doit se conclure par une déclaration du genre: «Eh bien, des fous sont venus discuter de cette question avec nous». Ou il y a cinq fous, ou il y a devant nous des personnes très inquiètes.
Je pense que les sénateurs ici présents sont très préoccupés par l'envergure de ce que nous avons en face de nous. Ce n'est peut-être pas le comité ici réuni qui va examiner l'envergure de la chose, mais le comité pourra au moins obtenir que l'on fasse une étude plus vaste des problèmes qui existent au sein du ministère.
M. Chopra: Merci. Sénateur Sparrow, vos propos annoncent très bien ce qui se passe au sein du ministère. Lorsque nous nous sommes adressés à notre syndicat pour lui décrire ces problèmes, nous avons dû le faire devant tout le conseil d'administration de l'Institut professionnel de la fonction publique, et à l'époque, nous nous sommes décrits comme étant les six petites souris qui s'attaquaient à la grosse bête appelée gouvernement du Canada. C'est là le risque que nous avons pris, mais au niveau de notre milieu de travail seulement.
Vous êtes au courant de l'enquête Krever. Tout le pays est au courant. Il y a une enquête de la GRC qui est en cours. Il y a une deuxième enquête de la GRC portant sur les implants mammaires qui est en cours. Cela me touche de très près. Mon épouse, qui a travaillé au ministère pendant près de 25 ans, était responsable de l'examen précommercialisation des dispositifs médicaux. Elle a été la toute première personne au pays à poser des questions au sujet des implants mammaires. Lorsqu'elle les a posées, avec l'appui de son supérieur de l'époque, qui était le chef, l'affaire a été renvoyée devant Pierre Blais, qui, encore une fois, était un brave soldat, un chercheur très compétent et très honnête. Il a pris sur lui de s'opposer au ministère et de dire qu'il y avait un problème sur lequel il faudrait faire enquête. Il a dit qu'il faudrait poser des questions à l'entreprise. Cela remonte aux années 80. Qu'en est-il résulté? Vous savez tous que Pierre Blais a été mis à la porte, mais ce n'est là qu'une partie de l'histoire. Ce qui est arrivé à ma femme, personne ne le sait, bien que ce soit mentionné dans un livre intitulé Safety Last, écrit par Nicholas Regush. Elle a perdu son emploi. Elle a été harcelée. Elle a porté plainte pour harcèlement et on lui a donné raison. Or, on a continué de lui refuser son ancien emploi. Pendant cet épisode, elle a été frappée par une voiture et elle a dû prendre sa retraite pour raisons médicales. Cela m'a durement atteint et a détruit ma famille il y a dix ans.
J'ai travaillé au ministère pendant 30 ans, et j'avais décidé au bout de 20 ans qu'il était irresponsable de garder le silence. C'était notre responsabilité; nous avons prêté serment pour servir le public canadien. C'est ce serment que nous avons prononcé. Par conséquent, il fallait prendre ce risque car cela fait partie de notre devoir. C'est ce à quoi nous nous consacrons. Il se passe beaucoup de choses sinistres au ministère de la Santé; il y a des gens qui déclarent même qu'ils essaient de démanteler la Loi sur les aliments et drogues, comme vous l'avez entendu des médias, parce qu'ils ne pensent pas pouvoir s'occuper de ce qu'ils ont dans leur assiette. Voilà ce qui nous préoccupe, nous autres qui oeuvrons dans le domaine de la science et qui nous faisons dire par des personnes qui ne sont pas des scientifiques... Elles disent qu'il nous faut dépasser l'ère post-thalidomide. Il nous faut avoir de nouvelles choses, il nous faut gagner de l'argent, et autres choses du genre. Nous ne pouvons plus fonctionner dans ce contexte.
Le mois prochain, j'aurai 65 ans. Je pourrais prendre ma retraite, mais je ne le ferai pas, car il y a trop de choses qui sont en jeu à ce stade-ci.
Le sénateur Sparrow: Pourriez-vous nous dire, afin que cela figure au procès-verbal, quelles questions nous n'avons pas posées ce matin et qui sont cruciales, car vous n'allez peut-être pas comparaître de nouveau devant nous et nous avons sans doute oublié quelques-unes des questions les plus critiques et qu'il nous faudrait poser.
M. Chopra: J'ai lu ce matin dans les journaux que le vérificateur général va peut-être se pencher sur cette question. Un autre rapport du vérificateur général vient tout juste de sortir, mais c'était... Nous avons entendu dire qu'il allait s'y pencher. Nous avons tous reçu une note disant que c'était en route, mais on a appris plus tard que cela allait être coordonné par un SMA en visite au ministère, puis on n'a plus jamais entendu parler de l'enquête du vérificateur général, jusqu'à ce que les résultats sortent. Ces résultats sont sortis. Selon le rapport, tout est bien et le ministère va bon train.
J'imagine que le vérificateur général va sans doute -- si le rapport dans les journaux est juste -- se pencher sur certaines des questions dont nous avons parlé ici aujourd'hui.
Mme Mueller: En ce qui me concerne, et je viens du programme des produits thérapeutiques où nous faisons des évaluations de médicaments et je n'ai jamais été confrontée à des difficultés comme celles décrites par M. Chopra. Tout s'est toujours fait dans le cadre des discussions ouvertes au cours desquelles toutes les preuves sont mises sur la table; on en parle entre experts et on en arrive à un consensus.
Ce qui me préoccupe -- et vous posez des questions au sujet du processus -- c'est la question de savoir si ces conseillers experts, ces comités consultatifs externes, se sont fait remettre suffisamment de renseignements pour pouvoir tirer des conclusions sur la qualité et la validité des données, car c'est là-dessus que vous fondez vos hypothèses. C'est là, je pense, le problème avec nombre des autres organes qui se sont penchés sur ces renseignements. Ils ont examiné des résumés et tout semble bien dans l'ensemble, mais quelqu'un est-il jamais allé creuser à l'intérieur pour voir comment ces données ont été produites? Et ces niveaux de FCI qui ont été rapportés comme étant justes correspondent-ils au pire scénario possible? Mesure-t-on ces niveaux à leur pointe optimale? D'après ce que j'ai entendu, les vaches auxquelles on a administré l'hormone n'ont eu qu'une ou deux lactations. Que se passe-t-il lorsqu'elles ont été traitées sur dix lactations? Est-ce que ces niveaux vont augmenter sensiblement? Comment procède-t-on aux échantillonnages et comment mène-t-on les analyses et les comparaisons des niveaux?
Je pense que c'est cela qu'il nous faut déterminer d'abord, avant de décider quel genre d'études de toxicité sont nécessaires.
M. Feeley: Je suis sans doute d'accord avec au moins ce qu'a dit Mme Mueller. Je viens de l'extérieur du Bureau des médicaments vétérinaires. Je viens du Bureau de l'innocuité chimique. Dans la plupart des cas, nous n'avons pas au Canada le même genre de situation que celle qui existe supposément avec la STbr. Lorsqu'il s'agit d'additifs alimentaires, de matériaux d'emballage ou de contaminants, il y a en règle générale un processus de discussion ouverte avec les supérieurs immédiats. S'il y a à ce stade-là toujours un conflit, la question sera renvoyée à un comité d'examen interne ou externe, un peu comme cela a été fait dans le cas du BMV.
Mais je ne connais aucun cas -- je ne travaille que depuis neuf ans au Bureau de l'innocuité chimique -- de recommandation émanant d'un évaluateur interne qui ait été court-circuitée ou étouffée.
En ce qui concerne la question précédente au sujet des deux comités externes, je suis pour l'heure d'avis que parce que c'est un processus très ouvert, il nous faut croire dans le processus décisionnel d'ensemble qu'ils suivront. Qu'ils soient ou non d'accord avec nous sur les questions que nous soulevons dans ces rapports, ces deux comités sont censés être indépendants et libres d'en arriver à leurs propres conclusions.
Le président: Mme Mueller a mentionné qu'il n'y a pas eu d'étude dans le temps sur les résultats d'injections du médicament. Y a-t-il quelque chose à ce sujet du côté des États-Unis, où ce médicament est utilisé depuis plusieurs années déjà?
Mme Mueller: Encore une fois, ce que je me demande c'est comment ces échantillons ont été pris, très précisément, comment les renseignements ont été traités; et, au fil du temps, la méthodologie analytique change et cela devient plus délicat. Les valeurs ont-elles été comparées pour des vaches membres du même troupeau et traitées dans les mêmes conditions, avant de conclure que les niveaux n'avaient pas augmenté? Peut-être qu'on a comparé une vache d'un troupeau avec une vache d'un autre troupeau, puis il y a la question de savoir si on a mélangé le lait de vaches traitées à la STbr à celui de vaches non traitées à la STbr, et peut-être qu'on a des valeurs correspondant à un échantillonnage global plutôt que les valeurs correspondant véritablement à des vaches traitées à la STbr.
Je ne sais pas. Au fil des ans, ils ont fait ce que l'on appelle des essais cliniques promotionnels, mais, là encore, je ne sais pas si les données sont prélevées comme il se doit et si elles sont d'une qualité suffisante pour permettre qu'on en tire des conclusions valides. Ils disent que ces essais ne font pas ressortir d'augmentations accrues de FCI-1 ou de résidus de STb. Mais quelqu'un devra retourner en arrière et faire une analyse de la façon dont ces données ont été produites afin de confirmer la validité de ces conclusions.
Le président: Monsieur Lambert, auriez-vous quelque chose à dire?
M. Lambert: Oui. J'aimerais faire une observation au sujet des données fournies au comité externe d'examen de l'innocuité pour les humains. Je peux dire que les données de la soumission ne leur ont pas été fournies car je les ai toutes dans mon meuble classeur.
Sans ces données, l'on ne peut rien tirer de... si l'on n'utilise que les résumés, il est impossible d'en arriver à la même conclusion que notre équipe.
Le président: Y a-t-il d'autres sénateurs qui aimeraient poser des questions dans le premier tour?
Le sénateur Chalifoux: Dans cette lettre de M. Losos, le dernier paragraphe dit qu'ils n'émettront un avis de conformité que s'ils sont tout à fait convaincus qu'il n'y a aucun risque pour la santé humaine et que le produit est sans danger pour les vaches laitières.
J'aimerais connaître votre avis là-dessus. Pensez-vous à ce stade-ci que des renseignements suffisants sont donnés et estimez-vous que suffisamment d'études ont été faites?
Dans les déclarations que vous avez faites ici, madame Mueller, vous dites qu'à votre avis une évaluation d'exposition caractériserait mieux le risque et vous donnez une liste de choses qui devraient être examinées. Si vos recommandations étaient exécutées, seriez-vous alors convaincue que la documentation et que les essais seraient suffisants pour évaluer tout l'aspect chimique de la chose? En tant que mère et grand-mère je tiens pour ma part à ce que nous soyons très prudents.
Mme Mueller: Le lait est un aliment de base et il est essentiel au développement des enfants, surtout lorsqu'ils sont petits. Il nous faut examiner cela de très près et je pense que le processus que nous suivons à l'heure actuelle, revoyant les questions au fil des découvertes que nous faisons, est critique. Et, dépendamment des réponses que nous obtiendrons aux questions que j'ai posées, nous pourrons peut-être passer à l'étape suivante car nous saurons alors s'il y a lieu de s'inquiéter de l'exposition ou non. Si c'est vraiment aussi faible que semble le dire la compagnie, alors ce serait peut-être suffisant, mais je crains que ce ne soit pas aussi faible que cela, mais il faudra l'établir et déterminer s'il n'y a pas d'autres genres de résidus. Comme l'a dit M. Chopra, il y a peut-être autre chose que le FCI et la STb. Avons-nous tout examiné? Ils ont examiné la qualité nutritionnelle du lait. Ils disent qu'elle est demeurée inchangée, mais y a-t-il autre chose? Avons-nous tout examiné? Il nous faut remuer ciel et terre dans ce cas-ci car il est question ici d'un aliment de base, le lait.
Une fois que nous connaîtrons les niveaux d'exposition, nous pourrons déterminer les étapes suivantes dans l'évaluation toxicologique, et cela pourrait alors inclure une analyse des risques et des avantages, et la question à se poser est la suivante: quel est l'avantage pour le consommateur? Si l'avantage pour le consommateur est petit, alors le risque devrait en vérité être négligeable ou nul. Pourquoi devrait-on exposer le consommateur à un quelconque risque s'il n'y a aucun avantage, si le lait n'a pas une qualité nutritive supérieure ou s'il n'y a pas un autre avantage social, comme par exemple une baisse du prix du lait ou autre, permettant à plus de personnes s'y avoir accès? Il faut donc examiner toutes ces questions complexes qui sont étroitement liées les unes aux autres pour en arriver à une réponse à la question de savoir si des études supplémentaires sont nécessaires.
M. Chopra: Pour enchaîner là-dessus, il y a une ligne dans la lettre que nous avons reçue du directeur général, M. Paterson, le 16 octobre, lorsqu'ils ont diffusé le rapport intégral. Cette ligne dit que sont également annexées des recommandations préparées par M. Lambert mais qui n'ont jamais été endossées par les quatre membres de l'équipe.
Je suis pour ma part prêt à vous dire ici aujourd'hui que j'appuie toutes ces recommandations. Le document dit tout simplement que la soumission ne satisfait pas les exigences en matière d'innocuité pour les humains de la Loi sur les aliments et drogues et que la compagnie devrait se faire demander de faire ceci et cela. En gros, c'est ce qu'accepte Mme Mueller. Le problème est tout simplement qu'à cause de la façon dont le processus a été mené, nous n'avons plus pu nous rencontrer, car on nous a ordonné de modifier le rapport et nous... nous n'étions pas prêts à le modifier. La question suivante est alors survenue: êtes-vous maintenant prêts, en 1998, à faire des recommandations? Notre mandat initial ne prévoyait pas le dépôt de recommandations. Mais c'est ainsi que nous avons, par l'intermédiaire de M. Lambert, envoyé des recommandations, même si celles-ci n'étaient pas signées. Mais si cela est nécessaire, je suis prêt à signer.
Mme Mueller: J'aimerais faire un rapide commentaire. Nous n'avons en vérité pas reçu l'ordre de changer les recommandations ou le rapport de quelque façon. Je ne voulais tout simplement pas que le comité soit distrait par les questions très importantes liées à la STbr elle-même. C'est là la seule raison pour laquelle nous avons produit ces deux rapports différents, mais nous n'y avons pas du tout été contraints et il n'y a pas eu coercition.
M. Chopra: Les recommandations sont fondamentalement les mêmes.
Mme Mueller: Elles se complètent les unes les autres.
Le sénateur Chalifoux: Monsieur Chopra, vous avez dit que cinq ou six petites souris se sont attaquées à tout le gouvernement fédéral. Parliez-vous de tout le gouvernement fédéral ou bien tout simplement du ministère pour lequel vous travaillez?
M. Chopra: Non. Je parlais de nous, des six chercheurs. Nous sommes considérés comme étant les petites souris qui se sont attaquées à la grosse bête qu'est le gouvernement du Canada. Je veux parler là de tout mon ministère, du Conseil du Trésor, ainsi que du Parlement et du Sénat. Nous ne savons pas qui prend les décisions, mais nous avons risqué notre peau.
[Français]
Le sénateur Robichaud: Vous avez dit qu'il y avait un manque de données. On n'a pas étudié suffisamment les effets de l'hormone sur plusieurs lactations et actuellement, on ne peut pas vraiment prédire ce qui pourrait se passer avec l'utilisation sur une période prolongée.
Si vous deviez recevoir ces informations, est-ce qu'elles vous viendraient de quelque part qui n'est pas sous votre contrôle? À moins que vous n'instituiez vous-même toute une série de tests contrôlés avec les animaux, soit à Agriculture Canada ou sous quelque autre forme sur une ferme laitière canadienne. Au Canada actuellement, on n'emploie pas cette hormone.
[Traduction]
M. Chopra: C'est exact. C'est ainsi que fonctionne notre processus. Nous avons un système fondé sur l'honneur. Les entreprises fournissent les données. Au contraire de ce qui se passe aux États-Unis, on n'a pas tendance à mener ces études ici au Canada sous notre surveillance du simple fait que c'est plus rapide, car nous sommes un petit pays. Si nous avions ce genre d'exigences, aucun fabricant ne viendrait vendre dans notre pays. C'est pourquoi nous sommes prêts à recevoir des données de n'importe où dans le monde, dans le cadre de notre système fondé sur l'honneur, et nous sommes les simples vérificateurs des données scientifiques qui nous sont fournies. Nous les évaluons, nous en discutons et nous demandons le cas échéant à la compagnie d'en produire davantage. Et si nous sommes satisfaits, nous autorisons les médicaments. Si nous sommes préoccupés par certaines choses, nous émettons des restrictions et des avertissements.
C'est là le système à l'intérieur duquel nous fonctionnons et c'est comme cela qu'il est appliqué ici. Si c'est pour une lactation, deux lactations, quatre ou huit, si c'est cela qui est nécessaire, c'est ce que doit faire l'entreprise à l'avance pour obtenir une homologation. Et si elle avait fait cela au cours des dix dernières années, elle aurait peut-être déjà obtenu l'homologation de la STbr.
Mme Mueller: Je pense qu'il est un fait qu'en matière de réglementation, on compte très largement, ou très lourdement, sur les données produites par le fabricant. Je suis sensible au scepticisme du sénateur Whelan à l'égard de ces données, mais il y a des mécanismes de vérification et de poids et contre-poids que nous pouvons utiliser. Nous pouvons demander à la compagnie de concevoir les études de façon à ce que nous puissions déterminer ou être assez confiants que les données sont un fidèle reflet de la situation.
[Français]
M. Lambert: Aujourd'hui, le problème est qu'il manque des données de base sur la toxicité surtout sur le rBST et le IGF-1. Au sujet du IGF-1, une étude de deux semaines a été présentée et qui avait aussi des problèmes de méthodologie pour mesurer cette hormone dans le sang.
La compagnie a prétendu qu'il n'y avait pas d'absorption mais il y avait beaucoup de problèmes avec la méthodologie. Il y avait une différence de 67 p. 100 entre les résultats de la méthodologie utilisée, ce qui fait que c'est une méthodologie non acceptable. Ces données sont présentées par la compagnie mais elles ne sont pas dans le résumé. Si on n'a pas accès à toutes les données, on ne peut pas avoir accès à cette analyse.
Le sénateur Robichaud: Si on devait recevoir d'autres données de la même provenance, il faudrait s'assurer de les examiner à la loupe, à savoir si la méthode et l'information que vous recevez sont bonnes.
M. Lambert: Oui, exactement. Ce n'est pas nécessairement parce que l'on reçoit une étude de la compagnie que l'on doit l'approuver. Il faut que cela rencontre des paramètres très stricts et que cela soit valide au point de vue scientifique.
[Traduction]
Le président: Nous allons entamer le deuxième tour. Nous allons essayer de garder les interventions à cinq minutes chacun, car nous avons d'autres témoins à entendre et nous devons lever la séance à 14 heures.
Le sénateur Whelan: Monsieur le président, mesdames et messieurs les témoins, je dois dire que certaines des choses que vous nous avez dites -- les lettres concernant les gens qui se rendent visite les uns aux autres, qui travaillent ensemble -- tout ce qui se passe me paraît horrible.
Madame Mueller, vous aurez peut-être remarqué mon scepticisme. N'oubliez pas que j'ai été ministre pendant 11 ans et que la recherche était mon sujet de prédilection. Je sais ce que nous avons fait et n'avons pas fait, les produits que nous avons refusé d'homologuer au Canada, et cetera. J'ai donc toutes les raisons d'être sceptique lorsque je vois que nous devenons de plus en plus dépendants à l'égard de Monsanto et de ces compagnies qui font les recherches pour nous, sachant ce que l'autre chercheur a dit. Ces compagnies ont pour seul souci -- ou peut-être pas le seul, mais il faut bien qu'elles gagnent de l'argent. C'est une contrainte économique. J'ai donc de fortes réserves quand je vois qu'il y a de moins en moins de recherche publique et de grosses subventions versées par Monsanto à Agriculture Canada pour telle ou telle chose, et de grosses subventions versées à quelqu'un d'autre par une autre compagnie pour une autre chose. Je me demande où est notre protection et où intervient la protection de nos vaches. Il n'y a pas deux êtres humains, pas deux animaux qui présentent la même composition chimique, et pas deux êtres qui réagissent de la même façon à une hormone qu'on leur administre. J'ai de fortes réserves.
J'aurais une vingtaine de questions -- beaucoup ont déjà été posées -- mais nous n'avons pas le temps. J'espère que nous ne ferons pas ce que le sénateur Sparrow a dit. Je sais qu'il s'inquiète parce que nous avons une charge de travail très lourde, mais je pense que nous avons à peine effleuré aujourd'hui la surface de tout ce qui se passe. J'aimerais vous poser la question à chacun: avez-vous fait l'objet de pressions de la part de Monsanto?
Mme Haydon: Je vais décrire la situation. Je ne suis pas sûre que le mot «pressions» soit juste, mais j'ai assisté à une réunion aux alentours de 1989-1990, où des représentants de Monsanto étaient venus rencontrer moi-même et mon supérieur, M. Drennan, et mon directeur, M. Messier. Lors de cette réunion, la compagnie a fait une offre de un à deux millions de dollars. Je ne sais pas ce qu'il en est advenu, mais mon directeur m'a indiqué après la réunion qu'il allait en faire part à ses supérieurs.
Le sénateur Whelan: Quelqu'un d'autre veut-il intervenir?
Que pensez-vous de ce comité externe, par exemple, de l'école de médecine vétérinaire? Sachez que je suis probablement le seul Canadien à être membre honoraire de plein droit d'une association de médecine vétérinaire canadienne, pour ma contribution -- notre contribution -- lorsque j'étais votre ministre. Je sais ce que l'association a fait. Comment le comité peut-il être indépendant, sachant que l'association a donné son aval? Si j'ai bien compris, elle a avalisé le produit. Vous êtes tous membres de l'Association de médecine vétérinaire canadienne. Avez-vous joué un rôle dans cet aval donné à la STbr?
Mme Haydon: Je n'ai personnellement eu aucun rôle, mais oui, c'est ce que je crois savoir.
Le sénateur Whelan: Et ils disent: «Nous n'étions au courant de rien».
Mme Haydon: J'ajouterais qu'il y a quelques jours encore, une liste des médicaments en cours d'examen dans la division pour laquelle je travaille chez Santé Canada, au Bureau des médicaments vétérinaires -- nous recevons ces listes assez régulièrement. C'est une liste des médicaments en cours d'examen. Il y a toute une longue liste de demandes d'agrément de la compagnie Monsanto qui attendent d'être examinées et qui ne l'ont pas encore été, par notre bureau. Je trouve donc remarquable et inhabituel que le panel externe, l'Association de médecine vétérinaire canadienne, ait été invité à examiner le médicament. Nous n'avons toujours pas terminé l'examen que notre bureau doit faire.
Le sénateur Whelan: Je n'ai plus l'impression d'être au Canada lorsque j'apprends que vos dossiers ont été volés. Vos dossiers étaient-ils sous clé, monsieur Lambert? Vous avez dit, je crois, qu'une seule autre personne -- un M. Alexander, ou un nom comme cela -- est responsable de la clé, ou quelque chose du genre. Il en est seul responsable. Dans quel diable de monde vivons-nous?
M. Chopra: De fait, après que Mme Haydon ait déposé sa plainte, le service de sécurité est intervenu. Apparemment, sur recommandation du service de sécurité, les bureaux des chefs sont maintenant verrouillés, si bien que même lorsqu'ils vont aux toilettes, ils ferment leur porte à clé afin que quelqu'un ne puisse pas entrer dans leur bureau et prendre quelque chose. On a créé un drôle de milieu. Nous sommes censés avoir accès à tout parce que nous avons prêté le serment de secret. Nous sommes censés examiner les données et donner des avis à notre ministre. Mais nous voilà, privés des renseignements mêmes sur lesquels nous sommes censés prendre des décisions. Voilà comment nous travaillons.
Mme Haydon a parlé d'une offre de un à deux millions de dollars de Monsanto lors d'une réunion. The Fifth Estate a fait une émission là-dessus. Ils sont allés et ont vérifié auprès de ce chef de division de l'époque, M. Drennan, qui est maintenant retraité. Ils lui ont demandé: «Est-ce que cette somme a été offerte?» Il a répondu: «Oui». Ils ont demandé: «Avez-vous considéré cela comme un pot-de-vin?» Il a répondu: «Tout à fait». Ils ont demandé: «Et qu'avez-vous fait ensuite?» Il a répondu: «Eh bien, j'ai ri». Ils ont dit: «Et après avoir ri, qu'avez-vous fait? Avez-vous fait un rapport?» Il a répondu: «Oui». Ils ont demandé: «Et ensuite, qu'est-il arrivé?» Il a dit: «Je ne sais pas».
Le sénateur Whelan: La lettre que nous avons reçue hier soir, qui a été envoyée ou faxée au Sénat, c'était une réponse réellement rapide. Vous-même n'avez jamais eu de réponse à vos lettres. Nous, nous recevons une réponse dans les 24 heures. La rapidité est merveilleuse. Celle-ci est du ministre et dit:
Encore une fois, je vous assure, ainsi qu'aux membres du comité que la STbr ne sera approuvée que lorsque le ministère aura l'assurance qu'il n'y a pas de risque du point de vue de la santé.
Cette lettre diffère de celle de M. Losos car elle fait état de «normes sanitaires». Elle ne parle pas seulement des vaches. Je suppose qu'elle nous englobe aussi, nous, les animaux humains.
Monsieur le président, lorsque j'ai été viré comme ministre de l'Agriculture, j'ai travaillé avec un scientifique. Vous craignez d'être viré. Vous devriez tâter un peu de la vie publique. Quoi qu'il en soit, ce scientifique, qui était responsable de toute la recherche pour l'Ouest du Canada, lorsqu'il collaborait avec moi, nous avons fait du lobbying contre la STbr -- c'est la seule fois que j'ai fait du lobbying, et j'étais même enregistré pour cela.
On ne peut prouver l'inexistence de quelque chose. Aucun scientifique ne peut le faire. C'est pourtant ce qu'ils essaient de faire, sans avoir assez de données, sans suffisamment de recherches. Je persiste à dire qu'il faudrait davantage de recherches. Aujourd'hui, par exemple, Monsanto paye 600 000 $ à Agriculture Canada pour trouver une variété de blé résistante au Roundup, je crois. J'ai écrit à dix universités. L'une m'a dit de m'occuper de mes oignons lorsque j'ai voulu savoir de quelles conditions étaient assorties les subventions de recherche qu'elles touchent. Plusieurs m'ont appelé et m'ont dit: «Vous êtes sur la bonne piste, mais nous ne pouvons vous renseigner». Elles sont terrorisées. Je suis tellement fier de vous autres car vous n'êtes pas terrorisés. Si jamais ils s'en prennent à vous, dites-nous-le. Dites-nous-le, simplement.
Le sénateur Spivak: Monsieur le président, j'ai une remarque et quelques questions rapides auxquelles je ne pense pas obtenir la réponse aujourd'hui, mais je tiens à les poser.
Tout d'abord, lorsque M. Chopra nous a dit que le client du Bureau des médicaments vétérinaires est maintenant l'industrie, il ne faisait que citer l'un des administrateurs. Je ne sais pas si c'est la réalité, mais cela figurait dans le témoignage devant le comité des griefs. Le fait est que je ne sais pas quel problème la STbr est censée résoudre. Nous n'avons pas besoin de plus de lait, et elle n'améliore pas la qualité du lait; la relation avec le client est donc -- comment dire -- de nature économique et il faudrait voir cela de plus près. Cela dit, voilà mes questions.
Nous avons une liste, je pense, des documents remis aux deux soit-disant comités indépendants. Les rapports que nous avons ici n'y figurent pas. Je ne les vois pas. Et, deuxièmement, je suis très soucieuse lorsqu'on nous dit qu'il n'y a pas de données brutes ou qu'on ne leur donne pas les données brutes, car c'est exactement cela le problème en premier lieu. Aux États-Unis, l'homologation par la FDA a été fondée sur quelque résumé qui s'est avéré inexact.
Ce CMEAA, qui est, je pense, le Comité mixte d'experts de l'OMS et de la FAO... Il a déjà indiqué qu'il n'y a rien à reprocher à la STbr. Il faut donc se demander à quoi peuvent servir nos études si le Codex Alimentarius -- je n'arrive jamais à prononcer ce mot -- dit qu'il n'y a pas de problème? Et ses décisions sont maintenant contraignantes pour le Canada. Or, il apparaît que le CMEAA, lui aussi, a fondé ses conclusions sur des résumés exempts de données brutes.
En outre, le rapport originel, celui sur lequel vous êtes tous d'accord, le rapport de juin, indique: l'exposition au FCI-1 présentée à la réunion du CMEAA de février 1988 devrait faire l'objet d'une vérification du point de vue des néonates.
Est-ce que je prononce bien ce mot? Autrement dit, il s'agit de voir les effets sur les nouveau-nés? Toutes ces questions sont parfaitement pertinentes, sans parler de tout le problème des effets des produits chimiques simili-hormonaux -- sur lequel on commence à se pencher -- à savoir l'effet sur nous des produits chimiques similaires aux hormones.
Monsieur Chopra, vous dites que ces produits sont comme un commutateur et qu'ils commencent à inquiéter le monde scientifique, mais il n'y a pas de test à cet égard.
Il se pose tout d'abord la question de l'indépendance de ces comités. Je ne parlerai même pas de leur composition, car on peut douter de leur indépendance. Mais quelles données reçoivent-ils? Quelles sont les données communiquées au CMEAA? Et le Canada peut-il opposer un refus si le Codex Alimentarius donne son agrément?
Pourriez-vous brièvement nous parler de ces aspects? Et pour ce qui est des enfants, cela me paraît très important car ce sont les enfants canadiens qui seront le plus touchés par ce lait. Et pourquoi prendre ce risque si nous n'avons pas besoin de cette drogue et si elle ne va pas améliorer la qualité du lait?
Le sénateur Fairbairn: Nous n'allons pas la prendre.
Le sénateur Spivak: J'espère que non, mais le CMEAA l'a déjà homologuée. Quelqu'un pourrait-il répondre?
M. Chopra: Le CMEAA est le comité mixte d'experts qui conseille le Codex Alimentarius de l'OMS. Ce dernier ne décide que par consensus des pays du monde, s'ils parviennent à s'entendre -- mais ce n'est contraignant pour aucun pays, comme cela a été prouvé lors des dernières audiences à l'OMC avec l'appel interjeté par les pays de l'UE, qu'ils ont gagné.
Cependant, il subsiste un petit piège en ce qui concerne la STbr et d'autres hormones employées dans la production alimentaire. Les deux parties disent avoir eu gain de cause -- l'un des points de litige réside dans le fait que les pays prenant ces décisions devraient se fonder sur les données scientifiques. Cependant, chaque pays a le droit souverain de fixer son propre niveau d'innocuité pour l'homme. C'est sur cette base que l'Union européenne a gagné.
Cependant, la question n'est pas réglée sur le plan scientifique. Le CMEAA n'a pas de pouvoir contraignant à cet égard. C'est un comité mixte de soi-disant experts. Nous posons la question de savoir qui sont ces experts, comment ils sont nommés, quelles influences pèsent sur la composition de ce comité.
Dans notre cas particulier, on sait qui était notre représentant: c'est l'ancien directeur, qui est devenu plus tard le porte-parole de l'industrie. C'est le genre de problème que l'on voit.
C'est donc un problème politique international qui devra être réglé au niveau de l'OMC et des autres organisations compétentes. Mais les décisions du CMEAA ne sont pas contraignantes pour le Canada. C'est la Loi sur les aliments et drogue qui a valeur contraignante au Canada, à moins qu'on la modifie.
Le sénateur Spivak: Juste une autre petite question que j'ai oubliée. Il s'agit du Comité consultatif mixte de l'industrie et des fonctionnaires de la Santé qui se réunit chaque mois pour traiter des préoccupations de l'industrie. Est-ce que les évaluateurs des médicaments sont invités? Et cela est-il une pratique courante dans l'administration?
M. Chopra: Non, les évaluateurs des médicaments ne sont pas invités. De fait, il s'agit là d'une rencontre confidentielle entre nos directeurs et l'industrie. Il y a même une coprésidence. À un moment donné, la question était de savoir -- c'est un comité dit mixte, le JPMAG, soit le Comité consultatif mixte sur la gestion des programmes.
Et la question réellement est de savoir -- que signifie «consultatif»? Qui conseille-t-il? Si le directeur général des aliments -- la Direction générale des aliments y siège, et le président de l'Institut d'hygiène vétérinaire y siège, qui conseillent-ils? Qui conseille qui?
On s'est donc demandé, s'agit-il en réalité d'un comité de gestion mixte ou bien a-t-il un rôle de conseil? Et de conseil à qui?
Cette question n'a jamais reçu réponse. Et on peut se demander si ces représentants de l'industrie font des recommandations à ces réunions? Et ils en arrivent -- parce que nous voyons ou recevons d'une façon ou d'une autre les procès-verbaux. Ils formulent constamment des recommandations, même au point que notre ministère demande à l'industrie si nous -- le Bureau des médicaments vétérinaires -- devrions avoir deux ou trois divisions.
Et l'industrie a répondu, eh bien ce n'est pas à nous de le dire, mais nous recommandons deux. Et c'est ce qui a été fait. C'est un exemple parmi d'autres.
Et la dernière chose que nous avons apprise, noir sur blanc -- et c'est un organe où s'exercent des pressions, où l'industrie dit: «ces gens sont trop remuants, ils viennent de la Direction des médicaments, qu'on les y renvoie, ils n'ont rien à faire ici». Je l'ai lu noir sur blanc.
Le sénateur Whelan: Une courte remarque sur le Codex. Lors de notre première réunion là-dessus -- je crois que M. Paterson représentait le Canada au Codex. Lors de cette réunion du Codex, le Canada s'est abstenu du vote, mais personne ne savait sur quoi M. Paterson votait. Je doute que même le ministre l'ait su.
Ces gens vont à ces réunions et prennent ces décisions seuls. J'ai suffisamment vu de conférences mondiales pour le savoir. Je ne savais jamais ce que les autres faisaient après mon départ. Ils prenaient des décisions qui étaient totalement contraires ou indépendantes des instructions qui leur étaient données.
M. Chopra: Ce devait être la première fois, car M. Paterson était accaparé par nos audiences, car il avait été cité à comparaître aux audiences du CRTFP. Et M. Yong et M. Lachance étaient à Washington en même temps. À notre connaissance, c'était la première fois que le Canada s'abstenait, parce que nous faisions état de problèmes devant le Conseil des relations de travail. Et en soi, c'était déjà remarquable que nous puissions comparaître devant un Conseil de relations de travail pour étaler le problème. Nous avons dû surmonter des difficultés horrifiantes pour y parvenir.
Nous attendons toujours la décision, mais c'était la première fois que le Canada s'abstenait. Et M. Yong y était. Jusqu'à présent, il continue à dire qu'il n'y a pas de problème la santé humaine. Nous ne savons donc pas quelle est la position du ministère. À notre connaissance, elle n'est pas encore arrêtée.
Le sénateur Whelan: Mais l'Australie et la Nouvelle-Zélande n'autorisent pas l'emploi de la STbr. Leurs représentants ont voté avec les Américains au Codex.
Le sénateur Stratton: J'aimerais rappeler aux gens autour de la table que si le Canada n'a pas besoin de lait, le reste du monde en a besoin. J'aimerais cerner un peu mieux ce dont nous parlons depuis ce matin, si je puis.
Tout d'abord, je vous renvoie aux questions posées par le sénateur Chalifoux sur le mémoire rédigé par Mme Mueller et M. Feeley et les recommandations qui vous y faites. Si ces recommandations étaient suivies, vous seriez satisfaits.
Deuxièmement, je me réfère à la question posée par le sénateur Sparrow sur l'opportunité, en quelque sorte, d'explorer plus avant les questions relatives à votre devenir et ce qui se passe dans le ministère, s'il faudrait se pencher là-dessus plus avant.
Enfin, je vous renvoie à ma question ou ma suggestion. Au nom de notre groupe ici, et de tous les Canadiens, je veux vous féliciter d'avoir comparu ici aujourd'hui, car il vous a fallu beaucoup de courage. Au nom de notre comité -- et, en particulier, des Canadiens -- je tiens à vous féliciter d'avoir comparu aujourd'hui. Il vous a fallu beaucoup de courage pour le faire. Ce n'était pas facile à faire, particulièrement le fait que trois d'entre vous ayez prêté serment. C'est très inhabituel.
Je souligne de nouveau que les députés de la Chambre des communes, en majorité, sont là peu de temps; les ministres se suivent et se succèdent. Ceux qui restent sont les hauts fonctionnaires et les sénateurs. Il nous incombe donc de vous protéger, particulièrement à cause du courage dont vous avez fait preuve en venant aujourd'hui. Je veux vous assurer encore une fois que si vous rencontrez des problèmes à l'avenir -- je ne parle pas seulement de six mois ou d'un ou deux ans, mais même dans cinq ans -- n'hésitez pas à nous le faire savoir.
M. Chopra: Juste une remarque sur la demande de lait dans le monde. J'ai quelques données à ce sujet qui devraient vous intéresser.
Premièrement, il y a environ un an, l'Inde -- et c'est une surprise pour beaucoup -- est devenue le deuxième producteur mondial de lait et devance maintenant les États-Unis sur le plan de la production de lait. Étant donné l'importance de sa population, cela signifie que ce marché pourrait quadrupler avant d'arriver au même chiffre de consommation et de production per capita.
Deuxièmement, il existe maintenant une technologie permettant de déshydrater le lait entier avec sa crème sans modifier le goût. On dit que la Nouvelle-Zélande, parce qu'elle n'autorise pas la STbr, est avantagée par rapport au Canada et aux États-Unis s'agissant de l'écoulement de ses produits laitiers en Europe, car elle échappe à une surtaxe de 18 p. 100. Lorsque celle-ci a été imposée, il y a un an environ, la Nouvelle-Zélande n'avait pas assez de lait pour fournir l'Europe. Où se le procure-t-elle? Elle achète du lait déshydraté en Inde. Avec l'arrivée de la nouvelle technologie, il y a déjà des accords de coentreprise pour produire en Inde du lait libre de STbr, avec des investissements néo-zélandais. Ce pays a déjà de l'avance sur nous.
Mon pays, le Canada, où l'industrie laitière est si développée, est déjà aux mains d'une société étrangère. Si la tendance se poursuit, nous pourrions perdre des possibilités de production. Nous ne produisons déjà plus beaucoup de fromage. Nous ne produisons rien d'autre. Nous ne faisons que traire les vaches et expédier le lait ailleurs. Le plus gros débouché du lait n'est pas le marché frais, c'est la transformation. Cette dernière peut facilement se faire au Mexique ou en Argentine ou ailleurs en Amérique du Sud, en Inde, et cetera. Si nous ne protégeons pas nos intérêts commerciaux et nos emplois, nous allons les perdre. Voilà le risque que nous courons aujourd'hui.
Le président: Merci de ces renseignements.
Le sénateur Hays: J'allais poser davantage de questions sur le FCI, mais je vais suivre l'exemple du sénateur Stratton et essayer de circonscrire le problème.
Nous nous éloignons pas mal du sujet, monsieur Chopra, lorsque nous parlons des exportations de lait, de la propriété étrangère des usines de transformation, et cetera. J'ai besoin de vous pour essayer de mieux cerner le problème. Dans ma première question, j'ai confirmé que ni la STbr ni la STb ne sont autorisées au Canada et personne ne m'a repris. Je suppose donc que c'est exact.
Vous avez soulevé la question de la gestion des divergences entre scientifiques chargés de rendre les décisions scientifiques et nous avons pris bonne note de vos préoccupations, mais n'admettez-vous pas que la véritable question dont nous avons à traiter ici est de savoir où nous en sommes sur le plan de l'homologation ou non de la STbr pour utilisation dans l'industrie laitière canadienne? N'est-ce pas la question aujourd'hui?
M. Chopra: C'est la question. Notre position est que nous sommes loin de pouvoir émettre l'avis de conformité. C'est la recommandation que nous avons faite au ministère et à l'administration. Cette dernière, je présume, aura son mot à dire et veut demander quelques avis externes. Nous ne voyons pas ce que cela lui apportera, mais notre position est que la compagnie n'a pas fait certaines choses qu'il aurait fallu faire, et c'est là notre recommandation.
Le sénateur Hays: Bien. J'ai encore quelques difficultés avec les aspects scientifiques. Vous êtes des scientifiques et vous pourrez peut-être m'éclairer sur le FCI. Peut-être l'un ou l'autre d'entre vous pourrait-il m'expliquer comment ce facteur est produit dans le corps d'un animal. Nous parlons aujourd'hui des êtres humains et des vaches. Je suppose que c'est lié au système endocrinien. J'aimerais en savoir un peu plus. Je ne veux pas accaparer trop de temps, mais pourriez-vous prendre trois ou quatre minutes pour m'expliquer comment cette substance est fabriquée et éliminée?
Je me souviens qu'à mes débuts au Sénat, on nous a expliqué qu'on travaillait sur la STb dans les stations de recherche canadiennes. La question qui se posait alors était de savoir s'il convenait de produire et d'administrer cette substance à une vache? Vous avez employé le mot «traiter». Le mot implique que l'on traite une maladie. Mais la substance est administrée à une vache pour obtenir un résultat économique, à savoir une production de lait supérieure. On ne traite rien. Je ne sais pas si vous êtes d'accord ou non avec moi là-dessus.
Quoi qu'il en soit, le problème est le FCI-1 et la manière dont il apparaît dans l'organisme et en ressort. Je pose la question pour essayer de mieux cerner dans mon esprit ce dont nous parlons ici.
M. Feeley: L'administration de l'hormone de croissance bovine est sensiblement différente de celle d'une hormone de croissance humaine, mais les deux produisent les mêmes effets. C'est expliqué dans les rapports. Si vous administrez l'hormone de croissance bovine par voie non orale à des vaches, le premier effet que l'on constate, hormis quelques aspects nutritionnels, est une augmentation de la lactation, de la production de lait. On constate la même chose chez les êtres humains. Si vous administrez une hormone de croissance humaine à une femme, vous obtenez la même augmentation de la production de lait.
Il y a également des effets localisés suite à l'injection d'hormone de croissance bovine aux vaches, soit une surproduction systémique de FCI-1, dans tout l'organisme de la vache, particulièrement dans la glande mammaire. Parallèlement à l'augmentation de la production de lait, on obtient des résidus de FCI-1 dans l'organisme, mais qui sont également éliminés lorsque le lait est prélevé. C'est l'élément qui signifie que les niveaux de FCI-1 augmenteront après l'administration d'hormone de croissance bovine aux vaches.
Le FCI-1 fonctionne chez les humains comme activateur de croissance multivalent. Il est produit dans le foie, dans les reins et dans l'appareil gastro-intestinal. Chez les nourrissons qui ingèrent soit du lait maternel soit du lait de vache, il permet à l'appareil gastro-intestinal de mieux digérer certaines protéines et éléments nutritifs du lait en vue d'une meilleure absorption par le système circulatoire. Si le FCI-1 a potentiellement un effet localisé, ce qui est l'effet recherché, ce même effet peut-il être déclenché chez les humains?
Mme Mueller a demandé si l'augmentation de FCI-1 dépasse ce que l'on rencontre normalement chez l'être humain, car le lait humain contient du FCI-1. La position du requérant est que les niveaux d'accroissement de la production de FCI-1 suite à l'administration aux vaches d'hormone de croissance bovine ne sont pas supérieurs à ce que l'on trouve dans le lait maternel. Ce sont là les renseignements que la FDA et le CMEAA, et je suppose le Bureau des médicaments vétérinaires, ont également évalué.
Lorsqu'on constate un accroissement du FCI-1, est-il possible qu'il en résulte une exposition accrue du nourrisson ou des consommateurs de ce lait?
Le sénateur Hays: Et cette hormone est toujours produite et éliminée à l'intérieur du système?
M. Feeley: Oui.
Le sénateur Hays: Donc, ce qui nous préoccupe, c'est le supplément, et nous ne sommes pas sûrs à ce stade de la réponse, ou du moins vous ne l'êtes pas.
M. Feeley: L'idée est que -- et c'est ce qui a été examiné par certains des panels extérieurs et je ne sais pas sur quoi se penchent les deux qui ont été créés par la Direction générale de la protection de la santé -- si vous avez une situation hypothétique d'accroissement maximal du FCI-1 dans le lait, et si vous postulez que 100 p. 100 du FCI-1 est absorbé dans l'appareil gastro- intestinal et entre dans le système circulatoire d'un être humain et peut y déclencher une activation de la croissance -- car cette hormone est produite continuellement chez l'homme -- quelle est la contribution à cette production quotidienne? Les données actuelles disent qu'elle est inférieure à 0,1 p. 100.
Mais cela nous ramène en partie à ce que soulignait Mme Mueller, à savoir qu'il faudrait disposer de renseignements récents sur l'exposition. Jusqu'à quel niveau monte le FCI-1 chez les vaches traitées chroniquement à la STbr? Ce que les données expérimentales disponibles ne montrent pas est le pourcentage de ce FCI-1 qui contourne l'appareil gastro-intestinal pour déclencher des effets systémiques. Par ailleurs, il y a aussi la possibilité que, s'il survit à la digestion, il produise un effet localisé. Ces effets localisés seraient-ils néfastes ou bénéfiques -- je pense que si nous avions les réponses à certaines des questions que nous avons posées, les choses seraient plus claires.
M. Chopra: Pour ajouter quelques mots à cela, puisque vous posez une question scientifique, nul ne sait exactement quel est le rôle du FCI-1, s'il cause le cancer ou non. Nous savons que c'est un facteur de croissance qui apparaît dans l'organisme partout où des tissus se forment et se détachent, habituellement à la surface des tissus. Et la glande mammaire est l'un de ces tissus. Lorsque la vache met bas, elle fabrique des cellules supplémentaires, et du lait est produit et des cellules sont détruites et ainsi de suite -- tout le cycle.
Le sénateur Whelan: La vache mange beaucoup plus aussi.
M. Chopra: Bien sûr, cela va de soi. Par conséquent, le FCI-1, qu'il soit un sous-produit -- et c'est certainement un sous-produit mais quel autre effet a-t-il? -- et nous ne savons pas non plus quelles autres choses peuvent être produites, comme Mme Mueller le disait précédemment. Donc, le FCI-1 est actuellement le premier indicateur à apparaître, en sus de la STbr elle-même. Et la question que nous posons est de savoir quelle est l'importance de ce FCI, quelles autres choses peuvent être présentes et comment on peut le déterminer; peut-on le déterminer avec une seule lactation, deux, trois, quatre ou dix? C'est ce qu'il faut savoir. Une certaine substance peut-elle n'apparaître qu'à la deuxième ou troisième lactation?
Ce sont donc des questions valides qu'il convient d'étudier à fond, sur une base épidémiologique, dans les troupeaux de vaches laitières, et de manière très objective et scientifique. Pas de la manière dont c'est fait en ce moment aux États-Unis, avec cette étude où l'on donne l'hormone au hasard à des vaches et où l'on met ensuite le lait en commun avant de chercher les résidus d'antibiotiques et de FCI. Que peut-on obtenir de cette façon? Il est exclu d'obtenir des données scientifiques de cette manière et de pouvoir dire que tout va bien.
Cela oblige à attendre 10 ou 15 ans. Peut-être n'y aura-t-il pas d'effet sur les humains. Je n'affirme pas qu'il y en aura. Peut-être, dans 15 ou 20 ans, saura-t-on qu'il n'y a pas d'effet sur les humains et que la STbr ne pose pas de problème. Mais la question reste posée. La vache elle-même qui reçoit le produit est en plus médiocre santé qu'auparavant. Il y a toutes sortes de -- l'étiquette met en garde contre 20 réactions néfastes. Le taux d'hémoglobine baisse, il y a des inflammations de l'épiderme, les sabots poussent excessivement et toutes sortes d'autres phénomènes apparaissent chez la vache.
Lorsque cela arrive -- la Loi sur les aliments et drogues interdit de servir ou de fabriquer des aliments dans un milieu sale. Vous savez, s'il y a des poils dans l'aliment, cela ne va pas vous rendre malade ou vous tuer, mais la loi l'interdit. Or, ici, vous avez une usine de production de lait sale appelée la vache, qui reçoit la STbr. Voilà la situation que l'on voit émerger. Ce n'est pas seulement le FCI. Il y a beaucoup, beaucoup d'autres choses qui vont avec.
Le sénateur Hays: Vous dites donc que l'administration de ce produit rend les vaches malades. Sur quoi vous fondez-vous pour le dire?
M. Chopra: C'est sur l'étiquette. Il y a une vingtaine de réactions indésirables auxquelles il faut s'attendre en administrant la STbr.
Le sénateur Hays: Mais est-ce une maladie ou bien est-ce le résultat de niveaux accrus d'hormone dans le système de la vache? Vous assimilez cela à une maladie et je me demande sur quoi vous vous fondez.
M. Chopra: Si une mammite survient...
Le sénateur Hays: Mais la STbr ne donne pas la mammite à la vache. Un niveau de production laitière supérieure exige une nourriture plus abondante, comme le sénateur Whelan l'a dit.
M. Chopra: Non, davantage de tissus.
Le sénateur Hays: On ne fabrique pas du lait avec de l'air. La vache recycle un plus gros volume d'aliments, ce qui est un facteur de stress, mais nous le faisons de toute façon par le biais de la sélection génétique. Nous voulons des vaches grosses productrices. Si l'on pousse votre argument à sa conclusion logique, nous devrions avoir des vaches produisant moins de lait parce qu'elles seraient plus saines. Il convient de trouver le juste équilibre et ceci pourrait ou non y contribuer.
Je suis surpris que vous assimiliez...
M. Chopra: Permettez-moi de vous expliquer. Ce n'est pas ce que je veux dire. Je dis que les vaches fortes productrices ont été génétiquement sélectionnées et elles sont saines et on les garde en bonne santé. On veille à leur santé, on les nourrit bien, on les maintient dans de bonnes conditions de température et toutes ces choses qu'il faut faire. Cela fait des milliers d'années que l'on procède ainsi.
Lorsque vous faites cela au moyen d'un médicament, vous le faites en une lactation et vous continuez à administrer ce médicament toutes les deux semaines, et la peau de l'animal se couvre de pustules. Vous obtenez des réactions, comme l'indique l'un des rapports, de la taille d'une assiette sur le dos d'une vache. Vous avez ensuite cette élongation des sabots; vous obtenez une chute d'hémoglobine. Lorsque quelqu'un fait une chute d'hémoglobine, c'est une maladie.
Le sénateur Hays: Mais ces choses peuvent arriver lorsqu'on change l'alimentation, la teneur en protéines.
Vous avez répondu à la question dans le temps dont nous disposons. Je remercie le président et je vous remercie de vos réponses.
Le sénateur Mahovlich: Nous importons pas mal de lait dans ce pays, en sus d'en produire. Est-ce que le lait que nous importons contient de la STbr?
M. Chopra: À l'heure actuelle, ce n'est qu'environ 1 p. 100.
Le sénateur Spivak: Nous importons 1 p. 100?
M. Chopra: Au total, dont une partie peut contenir...
Le sénateur Mahovlich: Une partie peut en contenir?
Mon expérience du lait remonte à 1968 lorsque j'étais à Détroit. En toute justice envers les États-Unis, je pense qu'ils font des études poussées. Je suis allée à la University of Michigan à Lansing et un bon ami à moi, M. Kozak, y faisait des recherches. Je ne sais pas si vous le connaissez. Il étudiait le lait et les effets du cancer sur différents produits laitiers. L'un des tests portait sur des souris. Il avait du lait maternel et du lait de vache. Il m'a fait venir un soir pour me montrer les différences de comportement des souris, et elles étaient manifestes. C'était en 1968.
Je veux dire par là que les Américains font des études poussées. J'ai du mal à croire que leur lait n'est pas bon, avec toutes les études qu'ils font dans les universités américaines.
Nous n'avons pas les mêmes moyens au Canada. Je suis sûre que bon nombre de ces universités sont financées par les grandes sociétés et ont des moyens, et je crois que M. Kozak est aujourd'hui à l'Université de la Nouvelle-Orléans pour mener une autre étude. Ils ont touché une autre subvention, et il fait une autre étude là-bas.
Avec toutes leurs études, j'ai du mal à croire qu'ils laisseraient passer le genre de choses dont vous parlez. C'est difficile à croire. Cela m'amène à contester certains des problèmes dont vous faites état.
Je suis sûr que leur lait est toujours produit de cette manière. Est-ce que quelqu'un fait confiance à ce médicament, ou bien y êtes-vous tous opposés?
Mme Mueller: Nous n'avons pas dit que leurs données sont nécessairement fausses, mais j'aimerais avoir l'assurance que les résultats qu'ils donnent et les résumés qu'ils utilisent pour tirer leurs conclusions sont fondés sur des techniques d'échantillonnage valides, à l'origine. C'est tout.
Le sénateur Mahovlich: Je crois qu'ils utilisent ce lait depuis 1972.
Mme Mueller: Non, pas le lait STbr. Depuis 1994. Tous les États n'ont pas adopté la STbr. Ensuite, le lait de toute provenance est mélangé. Nous ne savons pas réellement d'où vient le lait importé chez nous.
Le sénateur Mahovlich: Ils ne veulent donc pas nous communiquer leurs données. Est-ce un gros problème?
M. Chopra: Il y a d'autres différences. Le lait canadien est de meilleure qualité, s'il n'est pas trop chauvin de le dire.
Il y a deux sortes de mammites. L'une est la mammite infectieuse -- autrement dit, causée par des bactéries -- et l'autre est la mammite non infectieuse qui frappe les vaches grosses productrices -- c'est une inflammation du pis ou de la glande mammaire.
Les cellules qui produisent le lait desquament et peuvent se retrouver dans le lait lorsque le pis est enflammé.
Le ministère de l'Agriculture, chez nous et là-bas, impose des normes. La norme américaine est de 750 000 cellules. Si le lait contient plus de 750 000 de ces cellules endommagées, il est impropre à la consommation. Je crois qu'au Canada la limite maximale est de 500 000, mais nos agriculteurs essaient de garder le taux en dessous de 150.
Voilà le genre de différence qui existe entre les normes de production américaines et les canadiennes.
Votre question revient à demander si nous faisons confiance aux États-Unis. Nous ne sommes pas en mesure de prendre position. Il appartient à chaque pays d'établir les normes pour sa propre population, mais quant au Canada, voilà les normes que nous appliquons. Nous ne pouvons rien dire de plus à ce stade. Lorsque vous administrez un médicament qui stimule la production de ces cellules, comme c'est indiqué sur l'étiquette, vous augmentez la possibilité que ces cellules mortes, même si elles sont non infectieuses, passent dans votre lait.
Le sénateur Mahovlich: Nous avons ce problème chez les êtres humains aussi. On donne aujourd'hui des stimulants aux athlètes. C'est très courant. Monsieur Feeley, vouliez-vous dire quelque chose à ce sujet?
M. Feeley: Il est peut-être prématuré que les représentants de ces témoins se prononcent, en particulier sur l'efficacité et sur la santé des animaux, car il y a un processus d'examen post- homologation qui sera mené par le Bureau des médicaments vétérinaires. Je n'ai pas vu la liste des documents qui seront fournis au comité d'experts, mais particulièrement celui mis sur pied par l'ACV va évidemment se pencher sur toute la question des résidus illicites d'antibiotiques, les numérations de cellules somatiques et de cellules mortes dans le lait, les mammites chez les vaches et, ainsi, faut-il l'espérer, parvenir à une décision après un processus d'évaluation indépendant et transparent.
Le sénateur Sparrow: Vous parlez des normes des différents pays. Êtes-vous satisfaits des normes applicables au Canada? Je sais bien qu'elles sont toujours en évolution, mais pour le moment, nos normes sont-elles appropriées?
M. Chopra: Ce sont les meilleures du monde.
Le sénateur Rossiter: Le FCI est un facteur de croissance insulinoïde. Quel est son effet sur le corps humain, particulièrement une personne exposée au diabète pour des raisons génétiques ou atteinte de diabète, lorsqu'on introduit un autre type d'insuline dans l'organisme?
M. Feeley: On suppose qu'un facteur de croissance insulinoïde produit par une vache, du fait qu'il s'agit d'une protéine composée d'éléments constitutifs distincts, a une structure presque identique à la molécule humaine. Idéalement, le FCI produit par une vache devrait réagir chez les humains.
Le sénateur Whelan: Mais il n'est pas identique.
M. Feeley: À l'inverse, les diabétiques humains ne peuvent être traités oralement au FCI-1. Celui-ci doit être administré par injection sous-cutanée.
Le sénateur Rossiter: Mais il y a des médicaments administrés oralement pour le diabète précoce.
M. Feeley: Voulez-vous parler d'insuline?
Le sénateur Rossiter: Non, pas l'insuline. Ce sont des pilules.
M. Feeley: Je ne sais pas s'ils fonctionnent par un mécanisme de type FCI-1. Nous avons quelques données expérimentales -- sur la souris ou des espèces expérimentales -- montrant que l'absorption potentielle de FCI-1 par l'appareil gastro-intestinal est en fait réduite chez l'animal diabétique. Mais encore une fois, ce sont là des données préliminaires, et l'absorption de FCI-1 par l'animal de laboratoire est-elle la même que chez un diabétique humain?
Le président: Je tiens à remercier les témoins d'avoir comparu aujourd'hui. Nous apprécions le temps que vous nous avez consacré. Vous nous avez certainement aidés à comprendre les enjeux. Merci infiniment. Nous avons eu une discussion assez approfondie ce matin.
La séance est levée.