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Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 22 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 5 novembre 1998

Le comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 9 h 05 pour étudier l'état actuel et les perspectives d'avenir de l'agriculture au Canada (revenus agricoles).

Le sénateur Leonard J. Gustafson (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, avant de donner la parole aux témoins, je voudrais exposer brièvement une vue personnelle de l'état actuel de l'agriculture, étant donné que je suis cultivateur.

J'ai présidé les délibérations du comité sur la sécheresse survenue au milieu des années 80, après quoi plusieurs programmes utiles avaient été institués. La situation actuelle est plus grave étant donné les problèmes de prix et de coût des intrants auxquels sont confrontés les cultivateurs. La situation est particulièrement préoccupante en Saskatchewan, au Manitoba et dans certaines régions de l'Alberta.

Ce matin, les représentants de la Fédération canadienne de l'agriculture et de la Commission canadienne du blé nous parleront de la situation dans les Prairies, principalement dans le secteur de l'élevage porcin, et de l'état général de l'agriculture au Canada.

Je donne la parole à M. Jack Wilkinson et à Mme Sally Rutherford, de la Fédération canadienne de l'agriculture. Allez-y, nous vous écoutons.

M. Jack Wilkinson, président, Fédération canadienne de l'agriculture: Honorables sénateurs, la première partie de la documentation que nous vous avons remise concerne l'influence que le soutien interne, le commerce international et les subventions à l'exportation ont sur le prix des produits agricoles au Canada. Lorsque la Commission canadienne du blé fera son exposé, elle pourra vous citer des chiffres plus précis. Je lui laisserai le soin de vous fournir ce type de renseignements.

Nous vous avons fourni dans un de ces documents des explications assez détaillées sur les rouages des programmes en vigueur dans d'autres pays. Nous répondrons volontiers à vos questions au cours de la période prévue à cet effet.

Nous vous avons également remis un exemplaire du mémoire que nous avons présenté au début de la semaine devant le comité permanent de la Chambre des communes. Ce mémoire rappelle les diverses étapes de l'évolution des revenus agricoles au Canada, expose la situation actuelle et indique quelles sont les perspectives pour l'avenir, ce qui présente probablement un intérêt plus particulier en l'occurrence.

L'agriculture est un secteur d'activité très diversifié qui nécessite des mises de fonds importantes. Il est tributaire des intempéries, des fluctuations des prix sur les marchés internationaux et des stocks alimentaires mondiaux. Il est soumis à l'influence de nombreux facteurs variables.

Depuis toujours, les pouvoirs publics ont jugé bon d'instaurer des programmes agricoles pour aider ce secteur à faire face aux nombreux risques auxquels il est exposé. Ce sont, bien entendu, les cultivateurs qui doivent faire le nécessaire pour assurer leur survie mais, étant donné le rôle que joue la politique dans le secteur alimentaire et les énormes fluctuations auxquelles il est soumis, l'agriculture est depuis toujours subventionnée par l'État.

C'est toujours le cas dans des pays comme les États-Unis et dans les pays membres de l'Union européenne. À la réunion qui a eu lieu à San Diego il y a trois semaines -- et à laquelle j'ai d'ailleurs participé --, la mise en place d'un programme concernant les associations agricoles européennes et canadiennes a été annoncée. J'ai dit à cette occasion que le seul aspect du système américain qui me plaisait est la fréquence des élections. Il faudrait peut-être tenir des élections chaque année au Canada car cette formule semble être une source d'aide financière accrue pour les agriculteurs. Cette semaine, des subventions supplémentaires dont le montant total s'élève à sept milliards de dollars ont été annoncées aux agriculteurs américains.

Une réforme a été amorcée au Canada par la signature de l'Accord de l'Organisation mondiale du commerce qui nous impose toutefois certaines contraintes financières. Nous sommes notamment tenus de réduire de 36 p. 100 nos subventions à l'exportation. Le Canada a supprimé tous ses programmes axés sur les exportations en supprimant les subventions au transport, c'est-à-dire les tarifs du Nid-de-Corbeau et toute une série d'autres programmes internes.

Les pays signataires de cette convention sont censés réduire les subventions intérieures de 20 p. 100. Plusieurs pays s'efforcent d'atteindre cet objectif. Le Canada a réduit son aide intérieure de 85 p. 100. De nombreuses dépenses de programme classées dans la «catégorie verte» ont malheureusement été supprimées alors que nous aurions pu éventuellement prendre certaines mesures dans le cadre de ces programmes. Le système du recouvrement des coûts a été instauré dans 47 secteurs du circuit alimentaire, tant au chapitre des services maritimes qu'à celui des frais d'inspection.

Je ne pense pas que le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux aient fait des coupes sombres dans ces programmes par malice. Ils l'ont fait à un moment où les prix étaient relativement élevés et stables, où les cultivateurs arrivaient enfin à équilibrer leur budget.

Les compressions de dépenses qui ont été faites dans les programmes de soutien du revenu en 1986 se chiffraient à 2,5 milliards de dollars. Cette année, les dépenses fédérales à ce chapitre s'élèveront à environ 670 millions de dollars. En 1986, les revenus agricoles nets étaient de l'ordre de 3,5 milliards de dollars au Canada alors que l'année dernière, ils n'étaient plus que de 1,8 milliard de dollars.

En deux semaines, les revenus agricoles nets ont été de l'ordre de 500 millions de dollars. Les prévisions qui ont été faites au sujet des revenus totaux sont inexactes mais on prévoit qu'ils seront encore plus faibles cette année que l'année dernière. La situation est grave.

Les prix du porc se sont effondrés et fluctuent quotidiennement. Ils ont diminué de plus de 40 p. 100. Hier, on parlait de 66 cents le kilogramme (poids de carcasse), soit environ 30 cents la livre. Le prix des truies et des verrats a baissé de 10 cents la livre et malgré cela, les commandes se font attendre.

Aucun producteur ne peut tenir le coup bien longtemps dans de telles circonstances. Il faut établir un plan d'action tout en évitant que les États-Unis instaurent des droits compensateurs sur les produits que nous exportons dans ce pays. Nous sommes en grande partie tributaires du marché américain en raison des accords commerciaux que nous avons déjà conclus avec ce pays. Même si les producteurs de blé américains touchent des subventions quatre ou cinq fois supérieures aux nôtres, nous ne pouvons pas instaurer un programme axé sur certains produits sans s'exposer à des différends commerciaux.

Nous préconisons la mise en place d'un programme général de secours aux agriculteurs comprenant certaines des mesures de protection qui n'ont jamais été mises en place malgré les appels que nous lançons depuis une bonne dizaine d'années.

Nous voulons que les mesures adoptées s'adressent à l'ensemble du secteur agricole et soient axées sur les revenus pour éviter d'avoir des problèmes avec nos partenaires commerciaux. Il s'agit d'un programme conforme aux exigences de l'Organisation mondiale du commerce. Il faut que les frais soient partagés dans une certaine mesure entre les provinces et le gouvernement fédéral. Il faut tenir compte de la situation particulière de la Saskatchewan et du Manitoba, où les sommes versées aux cultivateurs sont élevées et où l'assiette fiscale est réduite.

Nous ne voulons pas que les producteurs doivent payer des primes. Ce serait absurde dans le cadre d'un programme de secours. Ce serait un coup bas. Notre programme ne répondrait pas aux besoins de tous les producteurs, mais il est absolument indispensable de prendre des mesures radicales sans plus tarder. Notre proposition est énoncée point par point dans les deux dernières pages des documents que nous vous avons remis.

Nous sommes prêts à répondre à vos questions, monsieur le président.

Le sénateur Hays: Quelle serait la meilleure formule étant donné que certaines provinces ont déjà instauré des programmes de soutien du revenu en cas de catastrophe? C'est le cas en Alberta et peut-être aussi dans d'autres provinces. Combien faut-il investir?

Pourriez-vous faire des commentaires sur la décision du gouvernement américain d'octroyer environ sept milliards de dollars de plus aux cultivateurs en raison de la crise dont vous nous avez parlé?

M. Wilkinson: C'est l'érosion des marchés asiatique et russe qui est à l'origine de ce problème. Ce n'est pas que nous produisions des denrées dans l'espoir que quelqu'un les achète. Nos producteurs avaient une clientèle, surtout pour le porc, et elle a disparu. C'est de là que vient le problème.

La formule à laquelle nous pensons est analogue au mécanisme du programme albertain. Il faut voir comment on peut arriver à instaurer un système rapide et efficace. Il faudra apporter des modifications substantielles au modèle albertain.

D'une part, ce programme ne tient pas compte des marges négatives alors que c'est nécessaire dans le genre de programme de secours que nous proposons. D'autre part, le programme albertain est très négatif en ce qui concerne le Compte de stabilisation du revenu net (CSRN). Il faut que votre compte ait baissé considérablement pour être admissible au programme complémentaire. Cette formule ne convient pas dans ce cas-ci.

Premièrement, il faut maintenir le CSRN qui permettra de faire face aux fluctuations cycliques normales des prix. Deuxièmement, il faut maintenir l'assurance-récolte. Troisièmement, il faut instaurer un programme de secours.

La Colombie-Britannique a un programme analogue à celui de l'Alberta. L'Île-du-Prince-Édouard en a un qui lui ressemble un peu. Nous estimons que tous ces programmes peuvent être améliorés tout en maintenant les mécanismes qui sont en place. Les systèmes établis par les provinces en question sont relativement semblables, à quelques petites variations près. Les autres provinces devraient suivre leur exemple.

Depuis cinq ans par contre, les provinces ont tendance à bifurquer sur des voies différentes. La Saskatchewan a apporté des améliorations à l'assurance-récolte mais a supprimé le soutien des prix. Le Manitoba est dans le même cas. L'Alberta a instauré un programme d'aide aux sinistrés légèrement différent des autres. La couverture de ces programmes varie considérablement selon la région dans laquelle est située l'exploitation agricole. Nous estimons qu'il faut régler ce problème. Nous suggérons d'adopter le modèle albertain en y apportant toutefois quelques améliorations.

Le sénateur Hays: Quelle somme suggérez-vous d'investir dans ce programme?

M. Wilkinson: C'est difficile à dire. Je crois qu'il coûterait 500 millions de dollars. Nous ne pouvons pas faire une évaluation exacte en raison de toutes les mesures de compensation qui existent dans le secteur agricole lorsqu'on veut régler un problème de diminution du revenu. On ne peut pas indemniser complètement les agriculteurs pour le manque à gagner dû à une baisse des prix parce que cela engendrerait immanquablement des différends commerciaux.

Nous recommandons de baser le programme sur la marge de la baisse du revenu total de la ferme. Ainsi, l'agriculteur qui cultive à la fois du blé et du canola ne serait pas admissible à la suite d'une diminution du prix du blé si celui du canola est resté raisonnable. Selon les modèles sur lesquels nous avons fondé nos calculs, les dépenses se situeraient entre 200 et 400 millions de dollars, selon le moment et l'ampleur de la chute des prix du porc.

Le sénateur Hays: Comme vous l'avez signalé, l'agriculture a toujours été subventionnée par l'État dans les pays développés. Nous avons, si je comprends bien, supprimé une bonne partie de l'aide à la suite de l'accord qui a été conclu en 1994, dans le cadre du Cycle d'Uruguay.

Nous sommes actuellement confrontés à divers problèmes. Vous avez signalé celui qui est probablement le plus étroitement lié à l'effondrement des marchés asiatiques, à savoir celui qui touche le secteur du porc. Le seuil de la rentabilité se situe entre 50 et 60 cents la livre, selon la taille de l'exploitation et son efficacité, alors que le porc se vend entre 30 et 35 cents la livre. C'est une catastrophe aussi grave qu'une sécheresse, à laquelle personne ne s'attendait de toute évidence.

Le secteur céréalier, et tout spécialement celui des cultures racines, traverse une crise causée par la nature des négociations de l'Uruguay Round qui ont permis le maintien des mesures d'encouragement à la production et des subventions à l'exportation. C'est une catastrophe étant donné que dans pratiquement tous les cas, sauf pour les exploitations les plus rentables, le prix de revient est supérieur au prix de vente.

Le message pervers qui ressort de ce genre de situation est qu'il faut éviter ce type de cultures parce qu'elles ne permettent pas de gagner sa vie, même si l'on devrait avoir normalement un avantage concurrentiel. La crise asiatique aura des répercussions différentes et plus prévisibles que les autres problèmes. Comment faire?

M. Wilkinson: Je suis d'accord. Le programme que nous préconisons est à la fois un programme d'aide aux sinistrés et un programme de soutien du revenu prévoyant le même genre d'intervention dans les deux cas. Une catastrophe qui entraîne des pertes serait couverte par ce programme, quelle qu'en soit l'origine.

Il serait également bon d'intervenir dans d'autres types de situations. La plupart des Canadiens ne comprennent pas la nature de l'accord que nous avons signé dans le contexte de l'Organisation mondiale du commerce, parce que la suppression de certains programmes n'était pas nécessaire en théorie. Nous avons dû modifier la formule de soutien du transport du grain. Je ne dis pas que nous aurions dû maintenir ce système. Cependant, cet accord nous oblige à réduire les subventions à l'exportation de 36 p. 100 sur un certain volume et le soutien interne de 20 p. 100 pour l'échéance prévue.

Je crois qu'en raison des compressions budgétaires, la réforme de la politique agricole, tant au palier fédéral qu'au palier provincial, a été beaucoup plus radicale que ne l'exigeait l'Organisation mondiale du commerce. Il est à mon avis très facile de respecter nos engagements tout en réinjectant des fonds dans un programme de soutien interne pour autant que l'on s'arrange pour éviter de déclencher des actions en compensation de la part des États-Unis. Nous pensons que notre programme interviendrait dans le cas d'inondations ou d'une tempête de glace comme celle qui est survenue dans l'est de l'Ontario et au Québec, pour autant que les dégâts entraînent une diminution suffisante de la marge de revenu agricole.

Il ne s'agit pas d'un programme ad hoc. Il serait institutionnalisé dans le cadre du système de protection du revenu, si bien qu'il ne serait plus nécessaire de se poser des questions en cas de sinistre. Il s'appliquerait à la fois en cas de maladie, d'inondations ou de guerre des prix.

Le président: Vous dites qu'il ne s'agirait pas d'un programme ad hoc. Je vous signale qu'en 1993, le sénateur Hays et moi-même étions membres d'un comité mixte de la Chambre des communes et du Sénat qui examinait l'opportunité d'instaurer un tel programme, même si la conjoncture était relativement favorable à ce moment-là. Ce projet ne s'est toutefois jamais concrétisé. Nous n'aimons pas le terme «ad hoc» et les cultivateurs n'apprécient pas de devoir implorer l'État ou se plaindre continuellement. C'est peut-être pour cette raison que nous sommes trop silencieux depuis un an ou deux. On a beau créer un programme affublé d'un nom ronflant, si on ne renfloue pas immédiatement les agriculteurs, on aura de sérieux problèmes.

Dans le sud de la Saskatchewan, c'est-à-dire dans ma région d'origine, les jeunes agriculteurs veulent abandonner la terre et essaient de trouver un emploi à la ville. Ils n'arrivent pas à gagner leur vie en cultivant la terre. Ils n'ont pas le choix. Un autre groupe d'agriculteurs mettent leurs terres en vente. Ils accepteront ce qu'on leur offrira et déménageront. Je peux vous citer le nom de quatre cultivateurs de ma région qui sont en train de le faire. Il me demande quel genre de conséquences cela pourrait avoir sur le prix des terres agricoles.

M. Wilkinson: Il s'effondrera.

Le président: Le terme «ad hoc» a du poids.

Le sénateur Stratton: Combien d'années cette situation durera-t-elle encore?

M. Wilkinson: Nous ne voulons pas de programme ad hoc parce que, dans le cadre des programmes de ce type qui ont été instaurés pour les céréales spéciales, les chèques n'ont pas été envoyés immédiatement. Les intéressés ont reçu de faux messages. On ne savait pas quand l'argent arriverait. Dans le cadre d'un programme ad hoc, le gouvernement fédéral ne s'occupe pas des cas particuliers. Il n'agit que lorsqu'il s'agit d'un problème d'une envergure suffisante pour attirer beaucoup d'attention sur le plan politique. C'est précisément ce que nous voulons éviter.

Notre comité s'applique à mettre au point le programme dont nous préconisons l'adoption et à mettre en place les mécanismes d'exécution afin qu'il soit opérationnel lorsque le gouvernement fédéral sera prêt à donner le feu vert. La réunion au cours de laquelle on y mettra la dernière main aura lieu mardi prochain. Nous comptons envoyer au ministre une lettre lui indiquant qu'il peut annoncer le programme immédiatement et que tout le mécanisme est réglé comme une horloge.

Je ne plaisante pas. La Colombie-Britannique a calqué son programme sur celui d'une autre province. Elle l'a fait entrer en vigueur à peu près à cette époque-ci et les chèques étaient expédiés dès le mois de mars. Nous pensons qu'il s'agit cette fois d'une crise plus aiguë. Ce programme avait été établi dans des conditions relativement normales. Pour ce genre de programme, le ministre fédéral doit encore rencontrer ses homologues provinciaux après avoir reçu l'approbation du Cabinet, mais cela peut se faire très rapidement. Plusieurs ministres provinciaux ont dit hier qu'ils étaient prêts à accepter. Nous estimons qu'il pourrait être opérationnel immédiatement et que les chèques pourraient être envoyés dès le mois de mars. Les producteurs sauront à quoi s'en tenir bien avant cette date, c'est-à-dire aussitôt que le gouvernement fédéral aura confirmé la création d'un programme.

Nous reconnaissons qu'il serait agréable de pouvoir expédier les chèques du jour au lendemain mais ce n'est jamais aussi rapide. Par conséquent, il vaut mieux faire ce qu'il y a à faire. Faisons un ultime effort et travaillons 24 heures par jour pour mener cette tâche à bien. C'est que c'est un projet qui nous tient à coeur.

La liquidation dans le secteur du porc, qui accentue la chute des prix, n'est pas un problème typiquement canadien; il se pose à l'échelle mondiale. Alors qu'il y a neuf mois, l'offre n'était pas suffisante pour répondre à la demande, nous avons maintenant un excédent de 8 à 10 p. 100. Quand on a affaire à un produit périssable, ce genre de situation provoque un effondrement du marché. Quand les pertes sont aussi élevées, les producteurs se débarrassent de tout après que les truies aient mis bas. D'après les chiffres publiés, les producteurs liquident également en Europe et aux États-Unis.

On m'a dit qu'au cours des derniers mois, le nombre de truies envoyées à l'abattage a terriblement augmenté dans tous les pays du monde. Je crois qu'une correction des cours se produira étant donné l'ampleur de la liquidation, mais cela prendra un certain temps.

En ce qui concerne les céréales, la situation est différente. Elles peuvent être stockées pendant un certain temps. En Europe, les exploitations agricoles sont tellement bien protégées contre les fluctuations de prix qu'elles peuvent faire des bénéfices grâce à leurs programmes de soutien interne et ce, en dépit des prix mondiaux; les superficies ensemencées augmentent et on s'attend par conséquent à ce que les volumes de production augmentent.

En matière de prix du blé, nous avons bouclé en trois ans un cycle qui dure normalement 60 ans. Il y a trois ans, les prix du blé avaient atteint un sommet tel qu'on n'en avait plus connu depuis une trentaine d'années. Cette année, ils sont au niveau le plus bas enregistré depuis 30 ans. Ce genre de risque est extrêmement difficile à gérer pour une exploitation agricole.

Le président: Vous avez parlé d'un investissement d'un demi-milliard de dollars. Pouvez-vous dire quelle somme cela représenterait pour l'agriculteur qui est en difficulté?

M. Wilkinson: Personnellement, je ne veux pas citer de somme moyenne, mais vous pouvez très facilement faire le calcul parce que nous nous basons sur les programmes actuels. Nous pourrions faire un calcul d'après un cas individuel fictif et voir quelle somme cela représenterait mais, étant donné que notre système repose sur la diminution de la marge de revenu, le résultat ne serait valable que pour l'exemple choisi. En effet, à supposer que je possède une exploitation laitière et que je cultive en outre quelques centaines d'acres de céréales, j'aurais droit à une somme totalement différente de celle que je recevrais si je cultivais uniquement des céréales, puisque le programme est axé sur le revenu.

Nous savons que les cultivateurs nous critiquerons mais il s'agit d'un programme de secours. Si je possède une exploitation agricole mixte qui m'aide à stabiliser mon revenu, je ne serais pas nécessairement en difficulté à cause des prix et je ne recevrais donc pas d'aide financière en vertu de ce programme.

On nous reprochera de ne pas avoir instauré un programme ad hoc prévoyant le versement d'un montant précis par livre de porc et d'un montant précis pour le blé. Si nous instaurions un tel programme, les États-Unis nous intenteraient immédiatement une action en compensation et on perdrait tous les fonds publics qui ont servi à aider les producteurs. Il faut être réaliste et dispenser cette aide financière de façon à éviter les taxes compensatoires.

Le président: Ce sera très difficile à faire accepter. Je me souviens du mécontentement provoqué chez les agriculteurs au milieu des années 80 par la méthode de répartition de l'aide financière.

M. Wilkinson: J'accepterais volontiers de faire une tournée avec le ministre de l'Agriculture la semaine prochaine pour expliquer le programme et pour réfuter les éventuelles critiques concernant son agencement. Nous y avons investi beaucoup d'efforts et il a été adopté par notre conseil. Aucun office de commercialisation d'envergure, qu'il s'agisse de bétail, de porc ou du de grain, n'acceptera un programme axé sur divers produits.

L'industrie du bétail fait actuellement l'objet d'une enquête. Au mois de décembre, l'industrie du porc entame son réexamen. Si l'on instaure un programme axé sur divers produits, elle s'exposera à une action en compensation et n'aura pas gain de cause.

Le sénateur Spivak: Quel secteur est en crise? Tous les producteurs traversent une crise mais pas les transformateurs ni le secteur des intrants. Pourquoi?

Cette crise est causée en partie par l'effondrement des marchés mais aussi par l'excédent de production dans le secteur du porc par exemple et par la suppression des subventions. Au Manitoba, il est pour ainsi dire impossible de livrer le grain, tellement les tarifs ont augmenté.

M. Wilkinson: Ce ne sont pas tous les secteurs qui sont touchés. Une certaine stabilité règne dans le secteur horticole. Je suis certain que le sénateur Whelan pourrait expliquer pourquoi le système de gestion de l'offre devrait être maintenu; une grande stabilité règne en effet dans ce secteur. Le problème n'est pas généralisé.

Le secteur de la transformation par exemple a des frais fixes qu'il ajoute au prix des produits qu'il utilise. Il ajoute ces frais au prix des produits qu'il transforme. C'est une façon intelligente de procéder. En somme, c'est généralement le producteur qui est dans la position la plus vulnérable.

Ce que vous avez dit au sujet des changements qui ont été apportés au chapitre des transports dans le Programme d'exportation est vrai. Au Manitoba et en Saskatchewan, les producteurs ont encaissé les indemnités et ont diversifié leurs activités dans d'autres secteurs, notamment dans celui des viandes rouges, parce qu'ils savaient que compte tenu des frais de transport, il était impossible d'obtenir davantage pour l'orge exportée que l'équivalent du prix de l'orge fourragère.

Certains exploitants ont emprunté de l'argent pour monter une exploitation porcine par exemple et leur élevage commençait à être prospère au moment même où les prix se sont effondrés. Ils ont pratiquement tout perdu. C'est pitoyable.

Dans le secteur du porc, il n'y avait pas surproduction il y a neuf mois. L'Asie était en pleine expansion économique et adoptait diverses nouvelles habitudes alimentaires. Elle commençait à consommer des protéines, surtout du porc. À une certaine époque, on en vendait beaucoup à la Russie. À la suite de la crise économique que traversent ces deux pays, les commandes ont été annulées ou réduites. Alors que la situation était très stable il y a neuf ou dix mois, il y a maintenant surproduction à l'échelle mondiale.

Les exportations de porc des États-Unis ont augmenté de l'équivalent de la production canadienne totale et tout ce porc était exporté vers l'Asie, qui représentait un marché gigantesque. Tous les producteurs axaient leurs efforts sur l'Asie, dans tous les domaines, et après l'effondrement du marché asiatique, un tiers de la population mondiale a cessé d'acheter pour ainsi dire du jour au lendemain. Cette situation a eu de violentes répercussions et nous sommes en train de nous adapter à cette situation. L'offre et la demande se rajusteront pour un produit aussi périssable que le porc mais en attendant, la crise actuelle aura de graves conséquences pour les producteurs.

Mme Sally Rutherford, directrice exécutive, Fédération canadienne de l'agriculture: En ce qui concerne les victimes de cette crise, un des problèmes est que le secteur agricole primaire est celui qui est le plus touché la plupart du temps. Le secteur de la machinerie agricole par exemple ne se porte pas très bien pour l'instant. Les ventes de grosses machines agricoles ont complètement cessé depuis deux mois et demi ou trois mois. Des usines ont été fermées. Bien que la situation ne soit pas tout à fait critique pour l'industrie des machines agricoles, c'est une catastrophe pour les travailleurs de ce secteur qui ont été licenciés. L'industrie ne fait pas nécessairement des pertes énormes. Elle est en mesure de gérer les risques en gérant les intrants, et la main-d'oeuvre représente le principal coût de production.

Ce qui est plus préoccupant, ce sont les répercussions de la chute des prix sur les collectivités et sur l'infrastructure rurales. Il sera très intéressant de voir quelle influence le système de gestion de l'offre aura sur les prix au cours des prochains mois. Ce système a évolué également. Aux États-Unis, le prix du dindon a commencé à baisser considérablement à cause de la saturation du marché nord-américain en ce qui concerne les aliments à forte teneur en protéines.

Une forte baisse du prix du porc a une influence sur le prix des autres denrées riches en protéines. La crise commence à faire l'effet d'une boule de neige. Par exemple, les cultivateurs n'ont pas d'argent pour leurs semis et cessent par conséquent d'acheter des engrais ou d'autres intrants.

Le sénateur Spivak: S'il ne s'agit pas d'un programme ad hoc, c'est qu'il s'agit d'un programme de soutien du revenu qui sera soumis à des fluctuations. Est-ce la seule solution? L'économie agricole ne présente-t-elle pas certains défauts structurels? N'est-elle pas déséquilibrée et le producteur n'est-il pas lésé?

M. Wilkinson: En 1974, qui était une année faste, le revenu agricole net se chiffrait à cinq milliards de dollars au Canada. Il n'était plus que de 3,5 millions de dollars en 1986 et de 1,8 million de dollars l'année dernière. Bien des Canadiens estiment que cette situation n'est pas de nature à encourager les jeunes à faire un retour à la terre. Le problème est en partie lié à l'évolution de la structure des coûts depuis environ cinq ans. Même si les ventes brutes de produits agricoles ont augmenté au Canada, les dépenses se sont accrues encore davantage, notamment à cause du système de recouvrement des coûts.

Nous ne tenons pas à jeter la pierre à qui que ce soit. Cependant, les problèmes sont dus en grande partie aux mesures de recouvrement des coûts prises par l'État, notamment en ce qui concerne le transport. Des subventions de l'ordre de 750 millions de dollars ont été supprimées. La suppression des programmes d'aide axés sur les aliments pour animaux et d'autres mesures analogues a fait augmenter le coût de production dans divers secteurs. Nous devons essayer de nous accommoder le mieux possible du système mais la marge s'est rétrécie du fait que l'étau se resserre de plus en plus.

Le revenu net disponible pour l'achat de produits alimentaires est moins élevé à Ottawa que dans n'importe quelle autre capitale du monde. Je crois qu'il est de 10,9 p. 100. Il faut que quelqu'un paie la facture, parce que les frais pour les grossistes, les fabricants et les producteurs d'aliments ont augmenté de plus de 10,9 p. 100. Nos marges sont transférées. Certains agriculteurs estiment que leur labeur sert depuis trop longtemps à subventionner les consommateurs de tous les pays et qu'il est temps de redresser la situation. On ne peut pas modifier le marché international et par conséquent il faut instaurer au Canada un système qui permette de surmonter la crise des revenus.

Le président: Cette crise a déjà eu des répercussions sur les concessionnaires de matériel agricole. Dans une ville située à proximité de la mienne, une agence John Deere qui existait depuis 84 ans, c'est-à-dire depuis trois générations, a fait faillite. C'est une preuve qu'il s'agit d'une situation d'urgence.

M. Wilkinson: Les cultivateurs ne lutteront pas jusqu'à la fin, cette fois-ci. J'ai 47 ans et j'ai tenu le coup pendant tout le cycle des prix précédent. Ma femme et moi ne tenons pas à renouveler l'expérience. Tous les agriculteurs raisonnent de la même façon que nous. Ils savent que la situation peut devenir catastrophique si l'on se fait coincer dans une guerre économique.

La plupart des cultivateurs qui essaieront de tenir le coup jusqu'à la fin perdront tout leur avoir. Cette fois-ci, ils abandonneront la partie plus tôt. Ils abandonneront leur exploitation parce qu'ils en auront marre et qu'ils ne voudront pas risquer de tout perdre en essayant de tenir le coup.

Nous avons déjà dû prendre les armes pour défendre nos biens et nous avons dû affronter les commissions d'examen des dettes. Au cours de la dernière crise, 15 000 producteurs de la Saskatchewan ont été particulièrement touchés. Ce n'était pas la seule province touchée. Je me souviens des audiences de révision des dettes, des manifestations et des levées de boucliers qui ont eu lieu en Ontario. Le porte-parole des producteurs de lait de l'Ontario a imploré les autorités fédérales et provinciales de passer à l'action au début de la crise plutôt qu'à la fin. Il faut faire de la prévention et agir sans plus tarder. Il faut envoyer les messages qui s'imposent. Nous savons que cette initiative ne sauvera pas tous les cultivateurs, mais ils seront du moins informés et pourront prendre des décisions en connaissance de cause. Il faut leur donner la possibilité de prendre les décisions qui s'imposent le plus tôt possible.

Le sénateur Whelan: Avez-vous assisté à la réunion avec les ministres qui a eu lieu hier?

M. Wilkinson: Oui.

Le sénateur Whelan: À propos de ce que vous avez dit tout à l'heure au sujet de l'Uruguay Round, je vous signale que je me suis assez bien informé à ce sujet -- tout comme vous, je suppose. Je n'ai pu trouver aucun document indiquant qu'un parti politique ou une association d'agriculteurs du Canada réclamait une modification des règlements du GATT. C'est après qu'ils aient été modifiés que nous avons commencé à voir péricliter le système de la gestion de l'offre et à voir apparaître les fameuses mesures de protection tarifaire.

Qui a demandé que l'on modifie ces règlements dans le cadre de l'Uruguay Round? Est-ce le gouvernement du Canada, à l'insu des députés? Je possède les comptes rendus de toutes les délibérations. De nombreux représentants de l'industrie alimentaire qui sont préoccupés par l'évolution de la situation mondiale étaient présents.

Je suis alarmé de voir comment la situation évolue en ce qui concerne la gestion de l'offre. Mme Rutherford a dit que la gestion de l'offre n'est pas à l'abri de tous ces événements. Selon la formule qu'appliquent la plupart des gestionnaires de l'offre, si les coûts de production diminuent, on accepte un prix plus bas pour ses produits. C'est généralement le consommateur qui en profite. Une exploitation efficace peut malgré tout rester assez rentable, grâce à la formule utilisée pour les coûts d'intrants.

Notre président a notamment parlé du coût des engrais. Hier, nous avons appris que le prix des engrais augmentera l'année prochaine. Il a déjà augmenté pour les commandes actuelles alors qu'il aurait dû diminuer.

M. Wilkinson: Mme Rutherford essayait d'expliquer que lorsque le prix du porc est aussi bas qu'il l'est actuellement, il a une influence sur les préférences des consommateurs et aussi sur la gestion de l'offre, parce que le volume des ventes de porc ne sera pas très élevé cette année. Par conséquent, le transformateur voudra négocier des marges plus faibles ou ne transformera pas d'aussi grandes quantités qu'auparavant. Même les transformateurs ne sont pas totalement à l'abri, parce que lorsque la crise est généralisée, elle fait l'effet d'un raz de marée.

Pour ce qui est de la demande de retrait de l'exemption concernant la gestion de l'offre prévue à l'article XI qui a été examiné à la dernière assemblée de l'Organisation mondiale du commerce, on peut affirmer sans risque que les États-Unis en étaient un des principaux instigateurs, avec d'autres pays du Groupe de Cairns qui voulaient prendre leurs distances avec les pays qui ont recours à ce genre de système. On a généralement tendance à croire qu'ils étaient poussés à agir ainsi par les multinationales et par d'autres parties intéressées qui voulaient avoir plus aisément accès aux marchés internationaux. Inutile de vous dire que ce n'est certainement pas un organisme comme le nôtre qui réclamerait le retrait de cette exemption.

Le sénateur Whelan: Je le sais. Je pensais que vous pourriez savoir qui. Est-ce que ce sont nos négociateurs qui ont fait cette recommandation en douce au ministre?

M. Wilkinson: Non.

Le sénateur Whelan: Ils auraient pu dire qu'ils voulaient s'adapter à cette situation mondiale. Certains des 132 pays concernés sont absolument incapables de mettre le moindre poulet sur le marché car il paraît que 132 pays sont parties au nouvel ordre économique mondial qui s'amorce. J'ai toujours eu des doutes à ce sujet. J'ai dit que ce ne serait pas efficace parce qu'une organisation mondiale du commerce ne peut être efficace sans règlements internationaux.

Comme nous avons pu le constater, les changements qui se sont produits dans le secteur bancaire ont provoqué le chaos économique actuel. On nous avait dit que le Japon était la superpuissance économique à suivre; il était considéré comme le moteur de l'économie mondiale. Les banques prêtaient quatre fois plus d'argent qu'elles ne l'auraient dû selon les bonnes pratiques bancaires. Elles constituaient la force économique mondiale qui achetait tout et construisait partout. Elles ont détruit l'agriculture. Ce sont les institutions financières qui ont fait le plus de ravages, en perdant leur pouvoir d'achat.

Les agriculteurs ont beau faire tout ce qu'ils veulent, les petits génies en science économique du ministère des Finances et du Conseil du Trésor affirment que la mondialisation économique est incontournable. Ne croyez surtout pas que les agriculteurs apprécient cette mondialisation.

M. Wilkinson: Cela dépend du type de production. Je ne peux pas résoudre tous les problèmes mondiaux comme président d'une organisation qui représente des agriculteurs de tous les secteurs. Nous devons nous accommoder des accords signés par nos gouvernements. Nous nous efforçons de les encourager à négocier de façon à défendre autant que possible les intérêts des producteurs ou du moins à éviter de les léser. Nous avons essayé de toutes nos forces.

Ce n'est toutefois pas nous qui négocions. Nous représentons un groupe de producteurs. Nous devons subir les conséquences des décisions qui ont été prises et faire tout notre possible pour les atténuer. Les producteurs canadiens sont très vulnérables à cause de toutes les initiatives prises par nos gouvernements et par d'autres intervenants pour essayer de réduire les déficits et de régler toutes sortes d'autres problèmes. L'effondrement du marché asiatique a provoqué une dégringolade des prix. Nous espérons vous convaincre d'essayer de faire comprendre aux divers paliers de gouvernement qu'ils doivent absolument instaurer un programme sans tarder.

En ce qui concerne vos autres questions, je ne suis pas, cela va de soi, en mesure de régler tous ces problèmes.

Le sénateur Whelan: Nous avons tenu des audiences dans l'Ouest au sujet de la Commission canadienne du blé et nous avons entendu dire à cette occasion que le Manitoba était sur le point de devenir le plus gros producteur de porc du monde. Tous les conseillers économiques ont dit qu'il fallait diversifier davantage ses activités.

M. Wilkinson: J'admets que l'on était beaucoup trop optimiste à l'époque.

Le sénateur Whelan: Mike Gifford clame sur tous les toits en Ontario que la situation se rétablira. Est-il mieux renseigné que vous?

M. Wilkinson: Non.

Le sénateur Whelan: On estime généralement que les ministres restent trop longtemps en place. S'il y a quelqu'un qui négocie depuis trop longtemps au nom des agriculteurs, c'est bien M. Gifford. Je crois qu'il devrait être muté aux Affaires étrangères. On devrait lui dire de débarrasser le plancher et de cesser de négocier pour nous. Ce ne sont pas vos opinions ni les miennes mais ses opinions personnelles qu'il défend à toutes ces assemblées sur le commerce mondial.

M. Wilkinson: On part du principe qu'un fonctionnaire qui représente le gouvernement fédéral transmet les messages que le gouvernement lui a demandé de transmettre. Quant à nous, nous nous efforçons de faire en sorte que les volontés du gouvernement fédéral en matière de politique commerciale concordent avec les nôtres.

Je refuse de faire des commentaires sur vos autres observations.

Le sénateur Whelan: Avez-vous peur?

M. Wilkinson: Non.

Le sénateur Whelan: Ne risque-t-il pas de se venger?

M. Wilkinson: Je n'ai pas l'habitude de me laisser faire.

Le sénateur Whelan: Hier, le ministre a dit que le problème n'est pas généralisé et que cette conjoncture défavorable ne touche pas tous les secteurs ni toutes les régions.

M. Wilkinson: Nous en sommes arrivés aux mêmes conclusions.

Le sénateur Whelan: La gestion de l'offre était le seul système qui permettait aux agriculteurs de survivre pendant les périodes de ralentissement économique. Nous nous sommes laissé leurrer à plusieurs reprises par les éminents économistes qui ont décidé qu'elle était néfaste pour notre système. Nous savons tous les deux que nous nous sommes fait avoir à plusieurs reprises par de prétendus experts qui n'avaient même pas étudié la question. Rien qu'à Windsor, l'industrie automobile représente un apport économique de 24 milliards de dollars par an. C'est plus que toute la productivité du Manitoba mais ce n'est pas du libre-échange. Dans ce secteur, les échanges commerciaux sont réglés d'avance ou assujettis à certains accords. Le système fonctionne toutefois très bien.

Les produits alimentaires, qui sont périssables par définition, jouent un rôle primordial dans notre vie. On nous dit que la mondialisation est nécessaire. Nous savons très bien tous les deux ce que cela veut dire aux États-Unis. L'attaché au commerce qui était en poste à l'époque où j'étais ministre est toujours là. Il a déclaré ceci l'autre jour, à Washington: «Il faut libéraliser les échanges parce que nous devons écouler nos excédents». Une déclaration comme celle-là peut nous détruire.

Ce problème ne semble pas vous préoccuper outre mesure. Vous semblez plutôt vouloir éviter à tout prix la confrontation avec les États-Unis. Cette question vous préoccupe-t-elle vraiment?

M. Wilkinson: Nous lutterons contre l'influence des États-Unis au cours des négociations commerciales. Pour l'instant, le gouvernement fédéral a signé un accord en vertu duquel, si nous établissions un programme axé sur divers produits, permettant d'établir un lien entre le soutien du revenu et une denrée précise, autrement dit un programme qui ne soit pas universel, nous nous exposerions à une action en compensation, comme ce fut le cas en ce qui concerne le bétail. D'après nos experts, nous n'avons aucune chance d'avoir gain de cause. À quoi bon gaspiller les fonds publics, qui sont déjà restreints, pour aider les cultivateurs dont les revenus ont baissé dans des proportions catastrophiques quand on peut élaborer un programme efficace permettant d'éviter ce genre de problèmes? Telle est notre position.

Je n'ai pas peur des États-Unis -- ni de quelque autre pays que ce soit, d'ailleurs -- mais il serait stupide d'instaurer un programme qui, de l'avis unanime de vos conseillers et de nos membres, qui ont de l'expérience dans ce domaine, entraînera à coup sûr une action en compensation. C'est pourquoi nous nous sommes arrangés pour que ce programme soit à l'épreuve de telles représailles. Nous ne tenons pas à ce qu'un autre pays nous fasse perdre tout ce que nous y aurons investi en imposant des droits compensateurs sur nos exportations.

Le sénateur Whelan: Voulez-vous dire que les subventions qui ont été instaurées aux États-Unis sont acceptables?

M. Wilkinson: Non. Vous savez comment fonctionne le système compensatoire. Ce n'est pas celui qui touche le plus qui doit payer. Si les Américains arrivent à prouver que nous leur avons causé le moindre préjudice et que nous avons accordé des subventions interdites par les règlements commerciaux, ils peuvent nous intenter une action en compensation.

Le gouvernement américain a effectué des paiements que la plupart d'entre nous jugent illégaux mais la seule façon de le prouver est de démontrer que les produits concernés ont été exportés au Canada. Nous devons ensuite gagner notre cause devant une commission spéciale.

Les quantités de boeuf importées au Canada sont restreintes parce que le marché américain est demandeur. Par conséquent, c'est nous qui exportons du boeuf aux États-Unis. Je ne dis pas que les programmes américains sont à l'abri de tout reproche, mais ce n'est pas ainsi que fonctionne la législation compensatoire. Il faut prouver qu'il y a préjudice, puis examiner les programmes en question. Cela devient très compliqué. Le porc a déjà fait l'objet de toute une série d'actions en compensation et les producteurs ne tiennent pas à ce que cette situation se reproduise; les éleveurs bovins non plus. Ils nous ont recommandé d'élaborer un programme basé sur une nouvelle formule. Ils acceptent celui que nous proposons. Il permettra d'accorder une aide financière aux producteurs sans s'exposer à une action en compensation.

Le président: Compte tenu du volume de nos exportations, surtout dans l'industrie céréalière, la situation est tout autre en ce qui concerne les produits exportés qu'en ce qui concerne ceux qui sont vendus au Canada, par l'intermédiaire des offices de commercialisation, pour la consommation intérieure, et qui sont subventionnés par les consommateurs canadiens.

Le sénateur Whelan: Qu'entendez-vous par là?

Le président: Ces produits ne sont pas exportés sur le marché international. Dans le secteur du blé par exemple, au moins 80 p. 100 de la production est exportée. M. Hehn sera là bientôt et il pourra vous expliquer la situation. Nous n'avons pas le choix lorsque la Russie n'a pas de quoi payer. Nous y avions envoyé des cargaisons entières de blé par bateau. On charge le blé sur les navires et on l'expédie sans poser de questions. La Russie n'a plus un sou actuellement.

Un autre problème se pose actuellement pour les cultivateurs canadiens sur les marchés d'exportation: comment pourrons-nous arriver à assumer seuls les frais d'alimentation du tiers monde? Il paraît que le nombre de victimes de la famine qui sévit présentement en Corée pourrait atteindre les trois millions. Les producteurs céréaliers canadiens ne peuvent pas supporter ce fardeau tout seuls. Le reste de la société doit nous aider.

La situation s'aggrave à l'échelle mondiale. On ne peut pas l'ignorer; il faut être réalistes. La Pologne, la Russie, l'Asie et la Corée n'ont pas les moyens d'acheter nos produits.

M. Wilkinson: L'Union européenne et les États-Unis essaient de mettre sur pied une série de programmes d'aide alimentaire pour essayer de régler en partie le problème. Dans certains milieux, on prétend que la situation sera catastrophique cet hiver si l'on ne fait rien pour la Russie. Si les grandes puissances comme les États-Unis et l'Union européenne organisent toute une série de programmes, cette initiative aura une incidence sur les prix, surtout dans le secteur de la viande.

Si les fonds dont on dispose au Canada pour participer à ce genre de programmes sont limités, c'est un tout autre problème. Si le gouvernement veut participer aux programmes d'aide alimentaire, c'est parfait, mais nous ne préconisons pas qu'il le fasse pour soutenir les revenus agricoles parce que nous estimons que sa participation n'aura qu'une incidence minime sur les prix canadiens étant donné que le Canada n'est pas une grande puissance. Pour que la situation change de façon perceptible, une participation massive des grandes puissances est indispensable.

Le sénateur Fairbairn: Il est extrêmement regrettable qu'il ait fallu une crise pour déclencher le débat parlementaire le plus animé de ces dernières années sur l'agriculture. Je m'en réjouis, mais j'aurais préféré qu'il se déroule dans d'autres circonstances.

Avez-vous envisagé par hasard, avec vos collaborateurs, la possibilité de soutenir le revenu des agriculteurs par le biais de l'impôt?

M. Wilkinson: Oui, nous avons envisagé cette possibilité. Nous voudrions en arriver un jour à adopter cette formule, parce qu'elle serait beaucoup moins coûteuse.

On pourrait rattacher le programme agricole axé sur les fluctuations de la marge de revenu des exploitations agricoles à leur déclaration d'impôt. En ce qui concerne l'aide fiscale directe, elle ne pourrait généralement pas être très efficace en cas de crise aussi grave. Je ne m'attends pas à devoir payer de l'impôt sur le revenu cette année étant donné que je n'aurai pas de revenu à déclarer. D'autres producteurs seront probablement dans le même cas.

En général, la structure fiscale peut avoir une incidence sur nos dépenses. Il faut d'une part faire face à cette crise en instaurant le genre de programme à long terme que nous préconisons et d'autre part, il faut régler le problème des dépenses en général. Nous tenons à associer ces deux problèmes. Nous voulons transmettre un message facile à comprendre pour un profane. Nous ne voulons pas parler de deux ou trois choses en même temps. Ce que nous voulons dans l'immédiat, c'est ce programme de secours. Plus tard, il faudra essayer de régler certains problèmes fondamentaux.

Le sénateur Fairbairn: Nous discutons depuis longtemps des effets paralysants de la dette agricole. Ce problème n'est pas moins préoccupant que la crise des prix; étant donné l'urgence de la situation engendrée par cette crise, elle l'a éclipsé, momentanément du moins.

M. Wilkinson: Le dernier rapport de la Société du crédit agricole indique une légère amélioration de la situation à cet égard mais tous ces rapports sont basés sur des chiffres qui datent un peu; dans ce cas-ci, ils correspondent à la période antérieure à la crise. Il est indéniable que des prix aussi bas auront des répercussions importantes sur la valeur des propriétés agricoles. Des problèmes très graves de dette se poseront. La dette agricole est plus élevée au Canada qu'aux États-Unis par exemple.

Le sénateur Fairbairn: J'ai écouté les nouvelles ce matin et je suis tombée sur la fin d'une interview où l'on prévoyait qu'un grand nombre d'agriculteurs abandonneraient la terre. Avez-vous fait une estimation approximative à ce sujet? Vous avez bel et bien signalé que la plupart des cultivateurs ne sont pas prêts à supporter une nouvelle guerre des prix.

M. Wilkinson: Nous n'avons fait absolument aucune recherche à ce sujet. C'est difficile à calculer. Tout dépend de la durée de cette crise des prix. Comme l'a signalé le sénateur Gustafson, ceux qui abandonneront les premiers seront les agriculteurs dont la marge est la plus basse. Il s'agit généralement des jeunes et de ceux qui ont apporté à leur exploitation d'importants changements structurels nécessitant des capitaux.

L'agriculture au Canada est un secteur qui nécessite d'importantes immobilisations et les effets de revirements de situation de cette envergure se font ressentir très rapidement. Les banquiers sont inquiets de nature. Pendant la dernière crise, nous avons fait tout notre possible pour persuader les banques de continuer à investir dans notre secteur. Certaines ont perdu un peu d'argent. Cette fois-ci, elles réagiront très rapidement. Le prix des propriétés agricoles baissera. Une porcherie ne vaudra plus grand-chose. Un effondrement des prix de cette envergure fait diminuer très rapidement la valeur de réalisation nette, ce qui incite les banquiers à intervenir très vite.

Des signaux indiquant que l'hémorragie sera enrayée sont indispensables pour éviter toute réaction de panique. C'est très urgent. Il faut que le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux indiquent clairement que des mesures seront prises sous peu.

Le sénateur Fairbairn: Essayez-vous d'obtenir ces indications cette semaine?

M. Wilkinson: Il eut été bon que le ministre donne davantage d'indications hier. Il a dit qu'il s'agissait d'une réunion consacrée à une analyse des chiffres, ce qui est bien, mais nous espérons qu'il proposera bientôt une série d'options au Cabinet. Nous espérons que le gouvernement fédéral ne tardera pas à indiquer qu'il passera très bientôt à l'action.

Le sénateur Taylor: Bien d'autres contribuables ont vu leur entreprise péricliter ou ont perdu du moins la majeure partie de leurs actifs, que ce soit dans le secteur des industries contractuelles, dans le secteur minier, dans le secteur pétrolier ou dans d'autres branches d'exploitation des ressources naturelles. Les agriculteurs ne sont pas les seuls à être touchés. À mon avis, on ne devrait pas se préoccuper d'encourager les enfants de cultivateurs à perpétuer la tradition. Personne ne pense à encourager les enfants de plombiers ou les enfants d'entrepreneurs à suivre les traces de leurs pères. Par contre, il semblerait que l'on estime que la société a le devoir de permettre à ceux qui veulent être agriculteurs de suivre leur vocation.

M. Wilkinson: J'estime que vous vous donnez beaucoup de mal pour interpréter de travers un commentaire anodin. J'ai dit que ce niveau de revenu agricole net n'est pas de nature à encourager un jeune à revenir dans l'exploitation familiale.

Le sénateur Taylor: Cela n'aurait aucune importance s'il s'agissait des plombiers ou de n'importe quel autre métier ou profession.

Le sénateur Fairbairn a parlé du régime fiscal. Le CSRN est un programme qui avait pour objet de permettre aux agriculteurs de tenir le coup pendant une crise. Pourtant, la plupart des cultivateurs n'y ont pas participé.

Pourrait-on fournir de l'aide dans l'immédiat par l'intermédiaire de ce programme? Cela encouragerait un plus grand nombre d'agriculteurs à adhérer à ce programme lorsque la situation se sera améliorée. J'ai constaté que certains de mes collègues agriculteurs sont partisans de la libre entreprise lorsque la conjoncture est bonne mais souhaitent que le gouvernement les aide en temps de crise. Ils mettent leurs revers de fortune sur le compte des marchés asiatiques ou d'autres facteurs.

Je crois que nous avons tous opté pour une économie libérale plutôt que pour une économie axée sur la gestion de l'offre. La gestion de l'offre a ses bons côtés mais je ne crois pas que les agriculteurs soient prêts à changer de système du jour au lendemain. Ils doivent accepter les hauts et les bas. Le recours au CSRN ne leur ferait-il pas comprendre qu'ils doivent économiser un peu en période de vaches grasses pour avoir de quoi affronter les périodes de vaches maigres?

M. Wilkinson: Nous sommes en faveur de ce programme parce qu'il a effectivement contribué à garantir des revenus moyens et qu'il a encouragé les cultivateurs à investir en période de vaches grasses pour pouvoir tenir le coup en période de vaches maigres. Le nombre de participants à ce programme s'élève à 142 000, sur un total de 280 000 agriculteurs. La participation au CSRN a donc été très forte mais, comme nous l'avons déjà signalé, ce programme n'est pas une panacée universelle.

Selon la limite établie par le gouvernement, la contribution de chaque partie ne peut dépasser 3 p. 100, même s'il existe certaines variantes provinciales. Par conséquent, la moitié de la somme de 2,5 milliards de dollars qui se trouve actuellement dans les comptes du CSRN représente les économies des cultivateurs. Par contre, 40 000 comptes sur 142 000 ne contiennent pas plus de 1 000 $. Des ponctions ont été faites sur ces comptes pour diverses raisons. Par exemple, la région de Peace River (Alberta) a été frappée par de graves intempéries il y a trois ans, puis de nouveau il y a deux ans. Cette année, la récolte y a été bonne mais les prix sont bas.

Un des défauts inhérents au CSRN est qu'il faut un certain nombre d'années pour arriver à accumuler sur son compte une somme suffisante pour pouvoir tenir le coup en cas de crise. La plupart des jeunes cultivateurs n'ont pas eu l'occasion d'investir beaucoup étant donné que, comme je l'ai signalé, leur contribution est limitée à 3 p. 100. Nous considérons malgré tout le CSRN comme un mécanisme efficace.

Notre seule préoccupation est qu'il est très difficile de le cibler sur les secteurs qui en ont besoin. Il couvre tous les secteurs de l'agriculture. Il est fréquent que ce soit dans les secteurs où les comptes du CSRN sont les mieux garnis que les prix soient les plus stables. Ainsi, les entreprises du secteur horticole où les coûts sont très élevés ont tendance à avoir des comptes mieux garnis que ceux des grosses exploitations de parcs à fourrage.

Étant donné que les ressources sont restreintes, l'aide que vous pourriez espérer tirer du CSRN serait très diluée. Nous ne demandons pas aux contribuables d'aider les producteurs dont les pertes sont minimes. Si vous faites le calcul, vous verrez qu'il s'agit d'un programme d'aide en cas de catastrophe. Il faut que les revenus agricoles nets soient balayés complètement pour que les cultivateurs reçoivent de l'aide dans le cadre de ce programme.

Je vous assure qu'au cours des nombreuses interviews que j'ai eues avec des représentants des médias urbains, je n'ai eu aucune difficulté à convaincre les contribuables de la nécessité d'agir. J'explique les prix que touchent les cultivateurs, indique le montant de leur revenu net disponible, expose les raisons pour lesquelles la guerre économique entre les États-Unis et l'Union européenne fait baisser les prix et explique qu'il ne nous reste plus que les fonds publics pour survivre. La plupart des Canadiens reconnaissent qu'il ne faut pas laisser l'infrastructure agricole nationale s'effondrer étant donné que l'agriculture emploie un Canadien sur sept et qu'elle joue un rôle important dans notre balance commerciale. Ils comprennent qu'une intervention de l'État est nécessaire en cas de crise comme celle qui nous frappe actuellement. C'est la raison d'être des gouvernements.

Le sénateur Taylor: Il semble que le problème se pose principalement dans le secteur des exportations de produits agricoles. Et si l'on aidait les cultivateurs par le biais du crédit à l'exportation? Le gouvernement américain octroie, bien entendu, des subventions à l'exportation. Je parle de prêts à long terme très généreux auxquels pourraient avoir droit les éleveurs porcins et autres producteurs sans devoir fournir toutes sortes de garanties, de prêts qui ne pourraient pas servir de prétexte à des représailles de la part des États-Unis.

M. Wilkinson: On a recours à ce genre de mécanisme aux États-Unis. Nous ne sommes pas contre des mécanismes de crédit efficaces permettant de réaliser des ventes, pour autant qu'ils soient adaptés au produit. S'ils sont nécessaires pour réaliser une vente de blé par exemple, la Commission canadienne du blé et d'autres organismes doivent avoir accès au crédit. Si le prêt est à trop long terme et que l'on ne s'attend pas à ce qu'il soit remboursé, il s'agirait à notre avis d'une subvention à l'exportation. L'Union européenne et les États-Unis -- dont les moyens financiers sont énormes -- auraient recours à cette formule à notre détriment. Ce ne serait pas la première fois. Les États-Unis accordent des prêts à échéance de 30 ans sur les ventes de produits alimentaires. Ce n'est rien d'autre qu'un mécanisme d'exportation qui leur donne un avantage sur nous. Ils ont constamment recours à ce moyen pour nous dérober notre clientèle.

Le sénateur Taylor: Nous n'avons qu'à les imiter.

M. Wilkinson: Si l'on adoptait cette formule au Canada, il y aurait toutes sortes de programmes de soutien aux agriculteurs mais, depuis quelques années, le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux ne sont pas disposés à imiter les autres pays de l'OCDE dans ce domaine. Nous sommes actuellement en quatrième position à partir du bas de la liste et, avec le programme d'aide que nous proposons, nous nous retrouverions en troisième position pour ce qui est de l'aide gouvernementale à l'agriculture. Nos gouvernements ont fait des compressions massives. La réduction des déficits du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux s'est faite en grande partie au détriment de l'économie rurale. Le budget des programmes d'aide aux agriculteurs a été réduit. Comme vous le savez, des compressions budgétaires ont été faites également dans le secteur de l'éducation, dans celui de la santé et dans bien d'autres secteurs. Ce sont les régions rurales qui en subissent le plus les conséquences. Le rejet des responsabilités sur les municipalités a des effets particulièrement destructeurs pour ces régions parce que les municipalités n'ont pas les revenus fiscaux nécessaires pour faire face à cette situation. En outre, des coupes sombres ont été faites dans les programmes gouvernementaux.

Maintenant que les budgets sont un peu plus équilibrés, il est temps de réinvestir une partie de l'argent pour faire face à cette crise internationale.

Le sénateur Hays: Avant de vous poser une question, je tiens à vous féliciter, vous et votre fédération, de continuer à servir votre clientèle aussi bien que vous nous l'avez démontré aujourd'hui. Vous avez accompli une tâche extraordinaire dans des circonstances difficiles.

Est-ce que le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux s'entendent assez bien sur cette question? Vous représentez tout le pays. Que l'aide soit dispensée par l'intermédiaire d'un programme de secours ou par le biais de l'impôt, le gouvernement fédéral voudra, c'est entendu, recevoir une partie des honneurs, et les gouvernements provinciaux aussi; ils participeront probablement. Pensez-vous que l'affaire pourrait être réglée assez rapidement entre les gouvernements?

M. Wilkinson: Pensez à la réaction qu'ont eue hier les ministres de l'Agriculture des provinces. On négociera pour savoir qui doit payer, combien il faudra payer et dans quelles circonstances. Ce ne sera pas facile. Les ministres de l'Agriculture de quatre provinces ont dit clairement qu'ils comprennent l'extrême gravité de la situation et qu'ils sont disposés à agir de concert avec le gouvernement fédéral. D'autres ont une opinion différente. C'est notamment le cas du ministre albertain et de quelques autres ministres, parce qu'il existe déjà un programme dans leur province; certains de leurs fonctionnaires nous soutenaient, par contre.

Ce qui est capital, c'est que le gouvernement fédéral agisse rapidement. Nous espérons qu'il y aura des négociations. Le ministre de la Saskatchewan et celui du Manitoba ont dit que la situation était critique et qu'ils sont prêts à collaborer avec le gouvernement fédéral. Je pense que personne n'a le choix sur le plan politique. Étant donné la gravité de la crise, il est évident pour les Cabinets provinciaux qu'il faut prendre certaines mesures.

Le sénateur Hays: Qu'en pensent l'Ontario et le Québec?

M. Wilkinson: Le Québec possède un programme d'infrastructure agricole totalement différent qui ne serait pas d'une grande aide au producteur québécois, étant donné que cette province possède toute une série de programmes de soutien qui ont priorité sur celui-ci. Si le programme national que nous proposons était mis en place, cela faciliterait probablement le transfert des primes fédérales à certains programmes de cette province.

En Ontario, la situation varierait selon les cas. Les programmes d'assurance du revenu du marché ont notamment été maintenus dans le secteur des cultures commerciales. Par contre, le secteur de la viande rouge ne peut avoir recours à aucun autre programme que le CSRN dans cette province. À notre avis, notre programme pourrait englober les secteurs qui ne sont pas couverts en Ontario.

Certains cultivateurs seront probablement préoccupés par l'érosion de la valeur de réalisation nette de leurs biens mais je crois que cela pourrait s'arranger. On a besoin d'un programme.

Le sénateur Hays: Vous venez de dire que le Canada occupe la troisième position en commençant par le bas parmi les pays de l'OCDE en ce qui concerne les programmes de soutien à l'agriculture. Ces derniers temps, on a beaucoup entendu parler d'équivalents subventions à la production. Au Canada, cet équivalent est de 22 p. 100 de la valeur de la production agricole, alors qu'il est de 15 ou 16 p. 100 aux États-Unis et de plus de 40 p. 100 dans l'Union européenne. De toute façon, il s'agit d'une mesure comparative.

Où se situe le Canada si l'on fait abstraction de la gestion de l'offre? Il semblerait que le ministre ait déclaré, en citant ces ESP, que le gouvernement du Canada se montre très généreux envers les agriculteurs. Les sénateurs Gustafson et Whelan associent la gestion de l'offre à une aide gouvernementale. Pouvez-vous nous citer des chiffres?

M. Wilkinson: Je ne sais pas si tout le monde sait en quoi consistent les équivalents subventions à la production. C'est une expression qui a été adoptée à l'OCDE depuis un certain temps déjà pour désigner un outil d'évaluation du soutien apporté à l'agriculture, que ce soit par le biais de la réglementation ou qu'il s'agisse d'aide directe. Nous n'avons jamais approuvé cette méthode de calcul. Pour évaluer le soutien lié à la gestion de l'offre, on se base sur le prix mondial du lait, qui est considéré comme la denrée la moins chère, et on le compare au prix canadien. Étant donné les divers règlements et autres mesures appliqués au Canada, la différence entre ces deux prix entre entièrement en ligne de compte dans le calcul de l'équivalent subventions à la production. C'est pourquoi un équivalent de 20 p. 100 est élevé par rapport à un de 15 p. 100.

L'évaluation de l'aide directe aux agriculteurs pose des problèmes pour certaines denrées. Par exemple, selon la loi, le blé coûte 72 cents le boisseau aux États-Unis et 15 cents au Canada. Les Américains ont injecté encore plus d'argent, à savoir sept milliards de dollars, au cours de cette dernière crise et leur Export Enhancement Program (programme d'encouragement des exportations) fait baisser nos prix sur le marché mondial.

Nous avons assez d'expérience pour savoir ce qui se passera à nouveau cette fois-ci. Le prix du blé sera élevé aux États-Unis. Nous vendrons notre blé aux Américains. Ils exigeront que nous imposions des restrictions sur nos exportations aux États-Unis et que nous fixions des quotas. Il n'est pas nécessaire d'être très âgé pour avoir connu ce genre de manoeuvre et certains d'entre nous ont vu cela plus d'une fois.

Mme Rutherford: Les représentants de la Commission canadienne du blé pourront vous donner des renseignements plus précis sur les céréales.

Ainsi, en ce qui concerne les produits soumis à la gestion de l'offre, l'ESP est plus élevé au Canada qu'aux États-Unis. Tout dépend de la méthode de calcul utilisée. L'ESP ne correspond pas nécessairement à toute l'aide accordée au secteur agricole.

En ce qui concerne les oeufs par exemple, l'équivalent subventions à la production est de 0,02 dans l'Union européenne alors qu'au Canada, il est de 0,44. L'aide accordée aux producteurs d'oeufs européens est bien plus considérable. Par ailleurs, en ce qui concerne le blé, l'ESP canadien est de 15. Aux États-Unis, il est de 72 et en Europe, il est de 116.

Le sénateur Hays: Le scepticisme de mon collègue de l'Alberta quant à la nécessité d'accorder de l'aide aux agriculteurs saute parfois aux yeux. Le sénateur Taylor dit souvent qu'il faudrait surveiller les dépenses dans ce domaine. Je reconnais qu'il faudrait que je fasse une partie de la recherche moi-même.

La gestion de l'offre présente certains avantages. Mme Rutherford a cité l'exemple du dindon. Si nous réduisons le soutien au secteur du porc tel qu'il se présente à l'heure actuelle, les producteurs qui ont tout juste atteint le seuil de la rentabilité disparaîtront complètement. Ceux qui bénéficient de certains avantages et qui sont dans une situation financière moins précaire tiendront le coup et profiteront de la situation plus tard. En ce qui concerne le dindon, la solution est fondée sur les quotas, et elle est juste et équitable pour tous les producteurs. C'est ainsi que le système devrait fonctionner, si je ne me trompe. Si vous croyez qu'il ne fonctionnera plus ainsi, dites-le-moi.

Il s'agit d'une approche différente. Nous faisons nos choix. En ce qui concerne les ESP, on ne peut pas y échapper. Il est par contre absolument nécessaire de savoir quel est l'ESP pour l'agriculture canadienne sans le facteur «gestion de l'offre».

M. Wilkinson: Nous n'essayons pas d'être évasifs. Nous n'avons pas la documentation nécessaire sous la main. Nous nous adresserons aux divers offices de commercialisation. Ils ont calculé l'ESP en faisant abstraction de leur intervention et nous pourrons vous le communiquer.

Le sénateur Whelan: Je rappelle à mon ami le sénateur Taylor qu'à une certaine époque, nous avions sur nos voitures des autocollants portant la mention suivante: «Avez-vous déjà bu une pinte de pétrole pour souper?».

On peut comparer l'industrie pétrolière à l'industrie minière. J'ai déjà été président d'une société minière et je vous assure que cela ne nous a pas rapporté gros.

Je suis très préoccupé par les propos du sénateur Hays. L'absence des ministres de la Colombie-Britannique, de l'Alberta, de l'Ontario, du Québec, du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse à la réunion d'hier m'a choqué.

Les producteurs québécois vendent la majeure partie de leur production de boeuf en Ontario mais continuent à toucher les subventions québécoises. C'est un excellent système. Par contre, lorsque nous avons proposé l'adoption de ce système aux éleveurs de bovins de boucherie du Canada, ils m'ont envoyé paître.

Je devrais peut-être éviter de revenir en arrière mais nous leur avions fait cette proposition parce que nous voulions assurer une certaine stabilité à ce secteur. Les éleveurs de porcs et de bovins de boucherie étaient les groupes de producteurs les plus têtus que j'aie jamais vus. Inutile d'essayer de leur faire comprendre qu'il existait un meilleur système pour la commercialisation de leurs produits. Étant donné qu'en Alberta les éleveurs de bovins de boucherie étaient soutenus par un programme sans pareil, cette province s'est retrouvée avec plus de 50 p. 100 puis finalement 80 p. 100 du troupeau vaches-veaux.

Le système varie d'une province à l'autre. La situation n'est pas la même chez nos voisins du sud. Le secrétaire américain à l'Agriculture a le pouvoir quasi absolu. Au Canada, il y a dix ministres qui ont chacun leurs exigences. L'Alberta a beaucoup plus d'argent pour financer les programmes que la Saskatchewan et le Manitoba qui n'ont pas de revenus pétroliers et gaziers.

M. Wilkinson: Nous estimons que c'est l'occasion pour le gouvernement fédéral de nous aider à remédier à cette lacune. Si vous recommandez et appuyez notre initiative, nous pourrons harmoniser dans une certaine mesure les règles du jeu.

Nous avons décelé dès le début les problèmes que l'on était en train de créer. L'uniformité qui caractérisait les programmes mis au point dans les diverses régions du pays se perdait, ce qui a engendré, à notre avis, d'énormes problèmes commerciaux. La loi américaine sur le commerce vise d'une façon générale à éviter les problèmes. Un programme accessible aux producteurs de toutes les provinces nous permettrait peut-être d'éviter les actions en compensation.

Ce manque d'uniformité croissant nous rend nerveux depuis longtemps. Nous avons mis le ministre en garde. Idéalement, il vaut mieux agir lorsque les prix sont relativement intéressants mais sur le plan politique, c'est difficile à faire accepter. En insistant, le gouvernement pourrait faire disparaître la plupart de ces variantes régionales.

Le sénateur Whelan: Le gouvernement aura de la difficulté à présenter un programme qui soit juste et équitable pour tous. La Colombie-Britannique a un programme pour le boeuf mais cette province n'est pas une grosse productrice de porcs.

Avez-vous des chiffres concernant l'industrie des aliments pour bétail? Quelle proportion de la production de l'industrie du grain fourrager est consommée par l'industrie du porc? Je peux me tromper mais je crois qu'à un certain moment, le principal client de cette industrie était le secteur de l'élevage du bétail. Savez-vous ce qu'il en est en ce qui concerne l'industrie de l'élevage du porc?

M. Wilkinson: Non, mais nous pouvons nous renseigner. Je sais que la quantité d'aliments nécessaires dans l'élevage du porc est énorme mais nous ne pouvons pas vous fournir les chiffres exacts sur-le-champ.

Le sénateur Whelan: Je signale au sénateur Taylor que le ministère de l'Agriculture a fait une enquête. Quatre-vingt-dix-sept pour cent des Canadiens sont des citadins. Quatre-vingt-deux pour cent des Canadiens veulent consommer des aliments de qualité qui ne risquent pas de nuire à leur santé et ils sont prêts à y mettre le prix. Quatre-vingt-seize pour cent des habitants de la région que j'ai représentée au Parlement pendant des années sont des citadins et ils veulent un secteur agricole florissant.

Le sénateur Taylor: Ma circonscription était en grande partie rurale et ses habitants en avaient assez de voir le gouvernement aider les producteurs non rentables et négliger les autres. Je suis probablement le seul dans cette assemblée qui ait jamais représenté une région rurale.

M. Wilkinson: Le programme en question ne posera pas de problèmes à vos producteurs parce qu'il leur est déjà accessible en grande partie. C'est d'ailleurs une des sources du problème. À cause des différences énormes qui caractérisent les programmes en vigueur dans les diverses régions du pays, la solution à une crise doit varier selon la région, tout cela parce que le degré de protection est extrêmement variable.

Il ne devrait pas y avoir de problème dans votre circonscription parce que la plupart des producteurs ont déjà accès à ce type de programme.

Le président: Je donne maintenant la parole au représentant de la Commission canadienne du blé.

M. Lorne Hehn, commissaire en chef, Commission canadienne du blé: Ce matin, nous nous proposons de vous parler des origines du problème. Nous parlerons principalement du blé et de l'orge étant donné que ce sont nos spécialités.

Je vous donnerai d'abord quelques renseignements à propos de la question qui a été posée au sujet des ESP si l'on fait abstraction de la gestion de l'offre.

D'après les statistiques de l'OCDE, en 1997, les équivalents en subventions à la production (ESP) pour le blé étaient de 10 p. 100 en ce qui concerne le Canada et de 32 p. 100 en ce qui concerne les États-Unis, les sept milliards de dollars prévus pour 1998 n'étant pas inclus. En ce qui concerne l'Europe, l'ESP est de 36 p. 100.

Pour ce qui est des autres céréales, le T/ha est de 7 p. 100 en ce qui concerne le Canada. Il est de 28 p. 100 pour les États-Unis et de 45 p. 100 pour l'Europe.

En ce qui concerne le boeuf, le taux est de 12 p. 100 pour le Canada, de 4 p. 100 pour les États-Unis et de 60 p. 100 pour l'Europe, ce qui est énorme.

Le sénateur Taylor: Pourquoi l'ESP pour le boeuf est-il plus élevé en ce qui concerne le Canada qu'en ce qui concerne les États-Unis?

M. Hehn: Je ne peux pas répondre à cette question. Nous ne sommes pas des experts en matière de boeuf. Nous sommes là pour parler de blé et d'orge.

Il est dangereux de s'appuyer sur les équivalents subventions à la production pour les diverses denrées. Dans ce secteur, c'est l'environnement concurrentiel qui est important.

Notre secteur laitier est concurrentiel par rapport à celui des autres pays. Dans ce secteur, l'équivalent subventions à la production est élevé dans tous les pays.

Je suis accompagné de M. Earl Geddes, qui est depuis peu chargé des relations avec les cultivateurs. M. Peter Watts est un de nos analystes des marchés. Il est chargé de tenir à jour les renseignements qui concernent l'Europe occidentale. M. Larry Sawatzky est notre analyste de l'industrie pour la région nord-américaine.

J'ai assisté avec M. Geddes à la réunion des ministres et des dirigeants d'organismes agricoles qui a eu lieu hier. Ils ont parlé longuement de l'état du revenu agricole. Ils ont expliqué que la situation est devenue particulièrement critique en 1998 et pourquoi elle le restera jusqu'en 1999 voire jusqu'en l'an 2000.

Au cours de cette réunion, nous avons parlé de nos prévisions et des perspectives pour les secteurs du blé et de l'orge. Je vous communique les chiffres que nous avons cités à cette occasion.

Nous avons maintenant fermé nos quatre comptes de mise en commun pour la campagne agricole 1997-1998 qui font état des recettes totales et du volume total de produits commercialisés provenant de la récolte de 1997. La campagne de marketing de 1998 bat son plein. Voici quelques-unes des prévisions concernant le nombre de tonnes et les recettes de ventes. D'après ces chiffres, les perspectives sont très inquiétantes.

Si l'on examine la situation en fonction de la campagne agricole, qui diffère légèrement de l'exercice des pools, nos prévisions indiquent que le volume global des exportations devrait n'être que de 15,7 millions de tonnes pour cette campagne alors qu'il s'élevait à 23 millions de tonnes pour la campagne 1996-1997. Une telle baisse a des répercussions sur les entreprises qui fournissent des biens et des services aux cultivateurs, parce que le secteur des services est très sensible au volume.

En ce qui concerne le blé de mouture, le volume diminuera de 15,5 millions de tonnes (campagne précédente) à environ 10 millions de tonnes pour la présente campagne. Cela représente une très forte diminution de volume pour les élévateurs, les chemins de fer et toute l'infrastructure, sans parler des cultivateurs.

L'exercice des pools, ou année de vente, donne une meilleure indication du revenu agricole. Si je dis cela, c'est parce qu'elle indique les rendements totaux et le volume total pour les campagnes agricoles de 1996, 1997 et 1998.

Pour les quatre comptes de mise en commun dont nous sommes responsables -- le blé de mouture, le blé dur, l'orge de brasserie ou orge de premier choix et l'orge fourragère -- le volume des ventes a diminué de 35 p. 100 et les recettes des ventes ont baissé de 43 p. 100 de 1996 à 1998.

Pour ces quatre comptes de mise en commun, nous avons vendu 28,5 millions de tonnes en 1996-1997 et les recettes totales de cette vente se sont élevées à 6,1 milliards de dollars. Au cours de la campagne 1997-1998, nous avons vendu 21,7 millions de tonnes et les recettes sont évaluées à 4,5 milliards de dollars, ce qui représente une forte baisse.

Au cours de l'année de vente 1998-1998, c'est-à-dire la présente année, nous vendons la récolte de 1998 qui représentera l'essentiel du revenu des céréaliculteurs pour 1999. Nous prévoyons un volume de ventes de 18,3 millions de tonnes. D'après les rendements mensuels prévus et les rendements estimatifs pour les comptes de mise en commun, nous prévoyons des recettes de seulement 3,5 milliards de dollars cette année si les prix ne changent pas. Il s'agit pourtant des quatre comptes qui rapportaient 6,1 milliards de dollars il n'y a pas plus de deux ans!

Ce matin, nous comptons vous expliquer les répercussions qu'a l'intervention internationale sur le volume et les recettes, sur les revenus des cultivateurs de blé et d'orge de l'Ouest du Canada, sur leurs décisions en ce qui concerne les semis et sur les rendements finaux. Autrement dit, nous expliquerons pourquoi le volume des ventes et les recettes ont fortement diminué alors que c'est précisément l'inverse qui se produit dans les pays de l'Union européenne.

Peter Watts vous démontrera que, malgré la chute accélérée des prix des céréales en grains, les cultivateurs de l'Union européenne ont considérablement accru leur production en ensemençant de plus grandes superficies et en cultivant davantage. Les cultivateurs canadiens ont fait exactement le contraire. Ils ont réagi à la chute des prix. Ils ont réagi au jeu de l'offre et de la demande et ont considérablement réduit leur production, ce qui, ajouté à la chute des prix, a fait diminuer radicalement leurs revenus.

Nous voyions venir cette crise depuis un certain temps. Nous nous y attendions. Au cours de l'automne de 1997, les commissaires et nos employés avaient sonné l'alarme à toutes les assemblées d'agriculteurs auxquelles ils ont participé. Nous avions signalé ces facteurs aux agriculteurs. Nous les avions signalés à l'industrie.

Au cours de l'assemblée de 1998 de Grain World, qui est une grande assemblée de l'industrie qui se tient à chaque année à Winnipeg durant l'hiver -- je crois que j'ai envoyé un exemplaire du discours d'ouverture au sénateur Whelan --, j'ai signalé que l'évolution de la production dans l'UE, que nous suivions depuis un certain temps, était très préoccupante et qu'elle aurait des répercussions pour nos cultivateurs.

Je rappelle, à l'intention de ceux d'entre vous qui n'ont pas eu l'occasion de lire ma déclaration, que j'ai dis que de graves problèmes s'annonçaient et que nous ferions mieux de prendre sans tarder les mesures nécessaires. J'ai dit que la crise qui se préparait risquait d'être très semblable à celle que nous avions connue vers la fin des années 80 et le début des années 90. J'ai ajouté que les dirigeants de ce secteur et les politiciens devaient se poser quelques questions qui portent à réflexion: Pourquoi l'Union européenne ne cesse-t-elle d'accroître considérablement sa production de blé alors que les cultivateurs canadiens réagissent aux signaux d'alarme mondiaux et réduisent la leur? Pourquoi la production de blé de l'UE augmente-t-elle de 15 p. 100 depuis 1993-1994 alors que les cultivateurs canadiens n'avaient plus ensemencé d'aussi petites superficies de blé depuis 19 ans? C'est une question à poser à nos partenaires commerciaux et au cours de nos futurs entretiens commerciaux. C'est une question à laquelle l'Union européenne devrait répondre à mon avis.

La production de blé de l'Union européenne au cours de l'année qui vient de s'écouler a atteint 103 millions de tonnes, soit 13 millions de tonnes de plus que la production moyenne des cinq années antérieures. Dans notre pays par contre, la production de blé pour 1998 a baissé de 10 p. 100 par rapport à la production moyenne pour les cinq dernières années.

De nombreux facteurs sont à signaler. Les cultivateurs canadiens suivaient attentivement le marché et réagissaient aux signaux du marché. Ils sont toutefois en concurrence avec les cultivateurs d'autres régions du monde qui sont complètement isolés du marché, du fait qu'ils sont sous la protection générale des subventions classées dans la «catégorie bleue». Il s'agit du soutien découplé calculé sur la superficie. Nous nous proposons de vous expliquer de façon assez précise en quoi consiste ce système et les répercussions qu'il a sur l'offre.

Au Canada, notre secteur est effectivement doté d'un système de gestion de l'offre et bénéficie d'un soutien considérable. C'est toutefois le secteur lui-même qui gère l'offre. En Europe, les producteurs céréaliers bénéficient d'un soutien important sans toutefois se préoccuper de gérer l'offre. Ils déversent cette production excédentaire sur le marché, ce qui entraîne toutes sortes de difficultés pour les producteurs qui réagissent aux signaux du marché, et plus particulièrement pour les cultivateurs canadiens.

En ce qui concerne l'Ouest du Canada et la production de blé rouge de printemps, soit la variété de blé que nous cultivons le plus, les chiffres sont encore plus frappants. En 1998, notre production n'a été que de 15,7 millions de tonnes, soit le niveau le plus bas depuis la sécheresse de 1987. La moyenne pour cinq ans est de 20,1 millions de tonnes. Autrement dit, la production a diminué de 22 p. 100 par rapport à la production moyenne. Voilà les chiffres qui indiquent que la production européenne a augmenté au lieu de diminuer par rapport à la moyenne quinquennale.

En bref, la production de l'UE a augmenté de 15 p. 100 en 1998 par rapport à la moyenne quinquennale. Quant à la nôtre, elle a diminué de 22 p. 100. Au Canada, nous prenons toutes les mesures qui s'imposent pour essayer de résoudre le problème de l'offre mondiale alors qu'en Europe, on fait tout pour le perpétuer.

Le sénateur Hays a demandé quand ce problème allait s'estomper. Eh bien, il ne s'estompera pas tant qu'on n'aura pas réglé la question des subventions de la catégorie bleue et admis franchement, comme négociateurs, politiciens et dirigeants du monde agricole, que la culture des céréales est une industrie très capitalistique. Quand un agriculteur reçoit un chèque -- et peu importe que l'aide soit découplée de la production ou non -- ça va influer sur ses décisions concernant la production parce que les agriculteurs sont bons dans leur domaine. Il va réinvestir cet argent dans l'entreprise qu'il connaît le mieux, c'est-à-dire la production. C'est exactement ce qui arrive en Europe.

M. Watts va nous exposer un assortiment complexe de programmes européens de soutien interne et de subventions à l'exportation. Il vous montrera comment ces programmes protègent les agriculteurs de l'Union européenne des vrais signaux de prix. Il vous montrera l'incidence de ce fait sur le marché canadien, sur le marché international et sur les revenus des agriculteurs.

Les agriculteurs de l'Union européenne ne sont pas les seuls à jouir d'une aide financière appréciable de l'État; nous allons donc vous parler aussi des subventions dont bénéficient les agriculteurs américains. Ces subventions ne sont pas aussi considérables mais elles sont néanmoins assez élevées pour créer un désavantage concurrentiel au détriment des agriculteurs canadiens qui ne sont pas sur un pied d'égalité.

M. Sawatzky va parler des deux principaux programmes américains de subventions. On pourrait les présenter avec force détails, mais on va s'en passer ce matin. Il va vous parler des prêts d'aide à la commercialisation et du système de paiements compensatoires dont il est assorti. À cause de ça, il se vend actuellement, sur le marché canadien, de l'orge dont le prix est inférieur à ce que touchent les agriculteurs américains. D'ailleurs, il y a aux États-Unis un système de paiements compensatoires qui agit beaucoup comme une subvention à l'exportation, même s'il est présenté comme un programme de subventions internes. Je n'ai pas peur de le dire. Franchement, j'ignore pourquoi on n'impose pas des droits compensateurs. Il faudrait peut-être le faire, mais on ne sait pas encore quelle quantité d'orge a été importée parce que les douanes ne sortent les chiffres du mois d'août qu'à la fin d'octobre. Nous venons donc tout juste de recevoir les chiffres d'août et le problème ne s'est posé qu'à la fin du mois d'août.

Je pense que les chiffres de septembre pour l'orge vont être assez révélateurs, tout comme ceux d'octobre et de novembre. Selon nos informations, une quantité considérable d'orge a été vendue à l'intention de la grande région d'engraissement de l'Ouest du Canada, c'est-à-dire le sud de l'Alberta. À mon avis, les prix seront inférieurs aux montants reçus par les agriculteurs. Cela aura une très grande distorsion sur les échanges commerciaux.

M. Sawatzky parlera aussi du paiement forfaitaire variable à la production, qui détermine actuellement un taux de paiement. C'est le versement fondé sur la superficie aux États-Unis, une aide financière de la catégorie bleue. Oui, ça existe encore. Ça donne aux producteurs de blé environ un dollar canadien le boisseau, payé directement par le trésor du USDA.

D'autres facteurs ont une incidence sur les prix mondiaux aujourd'hui. Vous en avez parlé ce matin et nous ne voulons pas minimiser leur importance -- la crise économique en Asie, la crise en Russie, les répercussions sur l'Amérique latine. Du côté des bonnes nouvelles, il y a les taux de change positifs pour les recettes d'exportation.

Ce matin, nous avons l'intention de nous concentrer sur l'intervention des gouvernements, en montrant comment ça favorise certains aux dépens des autres et comment il faut s'attaquer à ce problème dans les négociations commerciales internationales si l'on veut que les choses s'améliorent.

Monsieur le président, M. Sawatzky va maintenant vous donner un aperçu de ce qui se passe aux États-Unis, puis M. Watts fera de même pour l'Union européenne.

M. Larry Sawatzky, analyste de l'industrie, Commission canadienne du blé: Honorables sénateurs, M. Hehn a déjà mentionné le niveau de certaines subventions qui ont cours sur le marché international. Je vais vous exposer les subventions versées aux agriculteurs américains et vous allez certainement constater que ça prouve à quel point on n'est pas tous sur le même pied.

Il y a aux États-Unis plusieurs programmes de subventions à l'agriculture, mais je vais me concentrer sur les deux principaux et examiner leur effet sur le marché.

Au sujet du programme des prêts d'aide à la commercialisation, le Département américain de l'Agriculture fixe annuellement les taux de prêt nationaux pour les divers produits. Ces taux représentent essentiellement le prix auquel un agriculteur peut recevoir un prêt du gouvernement pour un produit donné. Le taux de prêt national pour le blé est de 2,58 $US le boisseau, c'est-à-dire environ 3,93 $CAN. Il n'y a pas de recours en nature pour ces prêts d'aide à la commercialisation, c'est-à-dire que l'agriculteur ne peut pas se voir confisquer son grain pour rembourser le prêt.

La loi agricole américaine de 1996 a modifié considérablement le programme de prêts. Aux termes de l'ancien programme, l'agriculteur devait rembourser son prêt au taux fixé. C'est d'ailleurs le changement clé qui a été apporté.

En vertu de l'ancien programme, si le prix au comptant tombait sous le taux de prêt fixé, l'agriculteur se voyait simplement confisquer son grain par le gouvernement. Donc, l'ancien programme prévoyait un prix plancher pour les agriculteurs américains et aussi un prix plancher de fait pour les livraisons au comptant et à terme. Lorsque le prix au comptant tombait sous le taux de prêt, le grain était retiré du marché et envoyé dans les greniers de l'État.

Lorsque le prix au comptant tombait sous le taux de prêt, les producteurs remettaient leur grain au gouvernement parce que, s'ils avaient remboursé leurs prêts aux taux plus élevés, ils auraient accusé une perte. Donc, dans un tel cas, le programme de taux de prêt servait essentiellement à garantir un prix plancher pour les livraisons au comptant et pour les agriculteurs.

Le programme de prêts actuel, établi par la Loi agricole américaine de 1996, a été modifié de sorte que, quand le prix au comptant tombe sous le taux de prêt, l'agriculteur peut rembourser son prêt à ce taux inférieur ou au prix au comptant ou encore au prix au comptant estimé par le USDA. Dans un tel cas, l'agriculteur a le choix de vendre son grain sur le marché au comptant ou de l'entreposer. Si le prix au comptant est inférieur au taux de prêt, les agriculteurs peuvent se passer carrément du programme de prêts. S'ils ne veulent pas s'encombrer des formalités à remplir pour s'inscrire au programme de prêts, les agriculteurs peuvent simplement recevoir un paiement compensatoire pour la différence entre le prix au comptant et le taux de prêt. La plupart des agriculteurs américains préfèrent maintenant le paiement compensatoire.

Jusqu'à présent, aux États-Unis, des paiements compensatoires ont été versés pour quelque 34 millions de tonnes de blé. Jusqu'à présent, le paiement compensatoire moyen pour le blé est de 29 cents US par boisseau, soit environ 44 cents CAN. C'est ni plus ni moins une subvention directe aux producteurs.

Le programme de prêts actuel est conçu pour dissuader les agriculteurs américains de remettre leur grain au gouvernement. Il continue de les faire bénéficier d'un prix plancher, mais il ne sert plus de prix plancher pour le marché au comptant, le marché à terme et le marché mondial. Le programme actuel exerce de nouvelles pressions sur les prix parce que les agriculteurs sont beaucoup plus vendeurs dans un marché déprimé, même si les prix sont bas, parce qu'ils touchent des paiements compensatoires.

Ces paiements compensatoires constituent des subventions directes aux agriculteurs, qui ne sont pas découplées, ni par rapport aux prix ni par rapport à la production. Les agriculteurs peuvent toucher ces paiements pour l'ensemble de leur récolte. Les paiements compensatoires servent en fait de principale subvention à l'exportation depuis que les exportateurs américains sont capables de vendre le grain à un prix inférieur à celui que touchent les producteurs américains pour ce grain.

Le prix du blé américain à l'exportation est récemment allé jusqu'à 25 $US la tonne en dessous du prix que recevait le producteur. Pour l'orge fourragère, par exemple, le prix à l'exportation a été dernièrement jusqu'à 16 $US la tonne de moins que le prix à la production.

Le montant des paiements compensatoires totalise jusqu'à présent environ 838 millions de dollars US

M. Hehn: Ça touche quel pourcentage de la récolte de blé?

M. Sawatzky: Un peu plus de 50 p. 100.

Le sénateur Taylor: Le blé américain a été entreposé. Où va ce blé? S'il est entreposé, il ne peut pas nuire à la concurrence sur le marché mondial. Est-ce que le gouvernement le liquide dans un certain délai? Qu'est-ce qu'on en fait?

M. Sawatzky: En vertu de l'ancien programme de prêts, lorsque le grain pouvait être entreposé, le gouvernement accumulait des stocks considérables et utilisait ensuite son programme de subventions aux exportations appelé Export Enhancement Program pour vendre ses stocks sur le marché international.

Le sénateur Taylor: C'est ce que j'essaie de savoir. Le fait de donner de l'argent aux agriculteurs et de saisir leur blé ne fait pas monter les prix. C'est la vente du blé saisi qui a cet effet. Vous ne le dites nulle part.

M. Hehn: L'ancien programme faisait monter les prix. En vertu de l'ancien programme, le taux de prêt devenait en fait le prix plancher mondial. Le fait de retirer le blé du marché pour l'entreposer dans les greniers de l'État faisait monter les prix.

Mais avec le nouveau programme, le taux de prêt n'est plus le prix plancher mondial. Le taux de prêt n'est un prix plancher que pour les producteurs américains. Maintenant, les exportateurs peuvent donc acheter ce blé à un prix inférieur au taux de prêt pour l'exporter. Ça fait baisser les prix. C'est l'effet inverse du programme précédent.

M. Sawatzky: En vertu du programme actuel, si les prix au comptant tombent en dessous du taux de prêt, les agriculteurs remboursent simplement leurs prêts au prix au comptant qui est inférieur. Ils reçoivent alors un paiement compensatoire. Donc, ils ne remettent pas leur grain à l'État. Ils le vendent sur le marché ou l'entreposent eux-mêmes. Dans un marché déprimé, un tel programme exerce une pression à la baisse de plus sur les prix.

Le président: Est-ce que le gouvernement américain entrepose le produit lui-même ou est-ce qu'il laisse les agriculteurs l'entreposer sur leur terrain?

M. Sawatzky: Il laisse les agriculteurs entreposer le grain dans leur ferme. La modification clé du programme a été de supprimer les mesures qui incitaient les agriculteurs à remettre leur grain au gouvernement.

Le président: Est-ce que l'État paie les agriculteurs pour entreposer le grain?

M. Sawatzky: Non.

Le sénateur Hays: Est-ce que c'est pour chaque boisseau récolté ou pour une quantité déterminée seulement?

M. Sawatzky: Pour chaque boisseau récolté, les agriculteurs ont droit à un prêt ou à un paiement compensatoire par boisseau.

Le sénateur Whelan: Qu'est-ce qui est arrivé aux entrepôts du gouvernement? Il avait d'énormes parcs de stockage et des silos. Qu'est-ce qu'il en a fait?

M. Hehn: Les bâtiments sont toujours là. Les agriculteurs continuent d'y entreposer une petite fraction de leur récolte. Leur alternative, c'est d'obtenir un paiement compensatoire ou d'entreposer leur grain. Ces installations ne sont plus tellement utilisées parce que le gouvernement décourage les producteurs de s'en servir. Il ne veut pas s'occuper d'entreposer du grain. Donc, il s'est arrangé pour que le paiement compensatoire couvre l'écart entre les prix afin que les exportateurs puissent maintenant acheter le grain à un prix inférieur au taux du prêt pour le revendre. Il n'y a plus rien pour inciter les agriculteurs à entreposer leur récolte.

Le sénateur Whelan: L'État n'a-t-il pas cédé presque gratuitement une grande partie de ces entrepôts aux coopératives agricoles et à certaines entreprises privées?

M. Hehn: À ma connaissance, tous les entrepôts du gouvernement ont été bâtis aux frais du Département de l'agriculture.

M. Sawatzky: S'il n'y a pas d'autres questions sur le programme des prêts, je vais passer au programme de paiements forfaitaires variables à la production.

Le sénateur Whelan: Vous dites que le programme de prêts exerce une pression de plus sur les prix et que les agriculteurs sont plus vendeurs dans un marché déprimé. Qu'entendez-vous par là? La plupart des gens refusent de vendre dans un marché déprimé s'ils croient à la possibilité que le marché va remonter.

M. Sawatzky: En vertu du programme actuel, si les prix au comptant tombent en dessous du taux de prêt, les agriculteurs reçoivent un paiement compensatoire. Donc, ils ne vendent pas au prix au comptant inférieur. En essence, ils obtiennent un prix plus élevé, c'est-à-dire le taux de prêt. S'ils ne touchaient pas ces paiements compensatoires, ils ne seraient probablement pas aussi vendeurs dans un marché déprimé. Ils garderaient vraisemblablement leur grain et attendraient un peu que les prix remontent avant de vendre.

Mais aujourd'hui, comme ils ne souffrent pas des prix inférieurs, ils font ni plus ni moins le dumping de leur grain sur le marché.

M. Hehn: Sénateur Whelan, ils resteront vendeurs tant qu'ils croiront que le prix mondial ne dépassera pas le taux de prêt pendant la période de vente visée. S'ils ont besoin d'argent et s'ils croient que le prix mondial ne dépassera pas le taux de prêt, ils seront certainement vendeurs. C'est parce qu'on leur rembourse la différence.

Le sénateur Taylor: Si on ne les paie pas pour entreposer le grain, ça les encourage à s'en débarrasser.

M. Sawatzky: Il y a d'autres bizarreries aussi dans la façon dont le programme est administré, qui encouragent les agriculteurs à vendre dans un marché déprimé.

Le Département de l'agriculture fixe les prix affichés dans les comtés qui sont censés refléter le prix au comptant local. Souvent, le prix de comté affiché qu'il établit est inférieur au prix au comptant local. Ça donne aux agriculteurs le signal de vendre tout de suite s'ils craignent que le Département de l'agriculture ne hausse le prix de comté affiché.

Le sénateur Whelan: Vous dites que le prix à l'exportation peut aller jusqu'à 25 $ de moins la tonne que le prix versé au producteur.

M. Sawatzky: Le prix à l'exportation du blé tendre blanc américain provenant de la côte nord-ouest du Pacifique est l'exemple que j'ai étudié. J'ai donc constaté que, pour cette denrée, le prix à l'exportation était allé jusqu'à 25 $US la tonne de moins que le prix versé au producteur américain pour ce même blé. J'ai tenu compte du taux de prêt fixé pour la région où le blé avait été produit.

Le sénateur Whelan: Vous n'appelez pas ça du dumping?

M. Sawatzky: Certainement.

Le président: Les sénateurs pourraient laisser M. Sawatzky finir son exposé avant de poser leurs questions.

M. Hehn: Monsieur le président, on pourrait peut-être présenter les deux rapports et ensuite passer à la période de questions. L'exposé de Peter Watts pourrait répondre à certaines de vos questions.

Le président: Ça semble une bonne idée.

M. Sawatzky: Passons au programme des forfaits variables à la production, prévu dans la loi agricole américaine de 1996. Les producteurs qui participaient aux anciens programmes agricoles avaient le droit de conclure ces forfaits variables à la production. Ce sont essentiellement des contrats de sept ans. Les paiements variables à la production sont calculés sur 85 p. 100 des acres utilisées pour chaque récolte, à partir des rendements du programme dans le passé. Ces forfaits variables ont remplacé l'ancien système de prix indicatifs et de paiements compensatoires qui était tout à fait distinct du programme des prêts et des paiements compensatoires. Ils ont remplacé ce programme par une série de paiements annuels fixes que reçoivent les agriculteurs quels que soient les prix.

En 1998, le taux de paiement des forfaits variables à la production de blé a été fixé à 66 cents US le boisseau, soit environ 1 $CAN. Les agriculteurs reçoivent environ 1 $CAN le boisseau sur 85 p. 100 de leurs acres cultivées antérieurement, quel que soit le prix.

Ces paiements annuels sont découplés, puisqu'ils ne tiennent compte ni des prix, ni de la production; ils sont calculés sur la production dans le temps. Ils font partie des paiements de catégorie verte sous le régime de l'OMC, ce qui signifie qu'ils ne comptent pas pour les engagements de réduction des subventions qui ont été pris en vertu de l'accord.

Les paiements annuels variables à la production totalisent en 1998 quelque 5,8 milliards de dollars US. De ce montant, environ 1,5 milliard de dollars US ont été versés pour du blé.

La loi agricole américaine de 1996 a apporté une autre modification clé en accordant aux producteurs toute latitude pour la plantation. En vertu des anciens programmes agricoles, les producteurs étaient obligés de cultiver une certaine superficie pour chaque céréale s'ils voulaient avoir droit à des paiements, mais la loi agricole maintenant en vigueur les laisse totalement libres du choix des cultures.

Par la même occasion, on a abrogé les dispositions concernant le programme de retrait obligatoire des terres en culture. On a supprimé aussi les indemnités pour l'abandon volontaire de terres cultivées. Ces programmes tendaient à annuler l'effet incitatif des programmes de subventions à la production.

La production céréalière et oléagineuse totale des États-Unis a nettement augmenté depuis 1996, depuis l'adoption de la dernière loi agricole, par rapport à la production moyenne des années précédentes. En deux mots, les subventions ont incité artificiellement les cultivateurs américains à surproduire alors que la production est excédentaire et les prix plus bas.

Pour résumer les subventions agricoles américaines, j'ai additionné le montant des forfaits variables à la production et les paiements compensatoires. Si on ajoute les fonds additionnels de quelque six milliards de dollars que le président Clinton vient d'autoriser, j'ai estimé que les dépenses américaines en subventions directes totaliseront environ 16 milliards de dollars US, soit 24,5 milliards de dollars CAN, pour la campagne agricole en cours. De ce montant, quelque 4,5 milliards de dollars US seront dépensés pour le blé. Étant donné la production de blé aux États-Unis cette année, on arrive à une subvention d'environ 1,75 $US le boisseau pour le blé produit cette année, soit à peu près 2,68 $CAN en subventions directes aux agriculteurs.

L'une des principales observations que je veux faire, c'est que ces programmes de subvention sont préjudiciables aux agriculteurs des pays qui n'offrent pas des subventions considérables. Ça fausse les règles du jeu.

M. Hehn: Monsieur le président, je veux mettre en évidence ce que j'ai dit tout à l'heure. Les chiffres sont encore plus choquants pour l'aide financière de catégorie bleue aux États-Unis, c'est-à-dire le support interne qui continue d'exister. Il est directement lié à la production passée parce qu'il est découplé, c'est-à-dire indépendant des décisions prises aujourd'hui. Toutefois, il est fixe et accordé chaque année, quels que soient les prix. Jack Wilkinson a dit tout à l'heure qu'en 1996, le prix du blé avait atteint son sommet des 30 dernières années. L'agriculteur américain a reçu une subvention de 1 $ le boisseau en plus de ce que le marché lui a payé, même si le prix n'avait jamais été aussi élevé depuis 30 ans. Tant que cette subvention existera et que les Américains ne seront pas disposés à instaurer un système de gestion de la production, nous aurons un grave problème.

Tous ces systèmes qui existaient autrefois et qui avaient un effet sur la gestion de la production n'existent plus. C'est notre principale bête noire. C'est ça qui nous désavantage.

M. Peter Watts, analyste des marchés, Europe de l'Ouest, Commission canadienne du blé: Monsieur le président, sénateurs, je suis très heureux d'être ici aujourd'hui pour vous présenter ce rapport. Je vais vous exposer les programmes de l'Union européenne pour essayer de vous donner une idée précise des niveaux d'aide financière atteints dans l'Union européenne, de l'effet de cette aide financière sur la production et sur les prix mondiaux à cause de la surproduction et des subventions à l'exportation. Ensuite, je vais mettre en lumière certains changements clés qu'on pourrait envisager dans l'avenir.

Je vais vous demander de suivre sur le document qui vous a été distribué. Ce sera plus facile de suivre l'exposé page à page.

À la page 1, il y a le titre «Production et réserves de blé dans l'U.E.». M. Hehn en a déjà discuté. Toutefois, c'est présenté ici dans un diagramme montrant que la production de blé de l'Union européenne en 1998-1999 a atteint 103 millions de tonnes de blé, un record pour l'Union européenne. On peut voir que c'est environ 15 p. 100 ou 13 millions de tonnes de plus que la moyenne des cinq dernières années. Cette moyenne quinquennale inclut les trois pays qui ne faisaient pas partie de l'Union européenne en 1992-1993 et 1993-1994: la Finlande, la Suède et l'Autriche. La moyenne comprend la production de ces pays. Autrement dit, l'Union européenne a certainement accru sa production.

J'ai inclus une échelle pour le retrait obligatoire des terres. On peut voir que les terres en culture faisant partie du programme de retrait obligatoire ont diminué de 10 p. 100 en tout pendant cette période. Cela a certainement contribué à la hausse de production, mais ce serait une augmentation nette d'environ 5 p. 100 de la superficie qui a été consacrée à la culture du blé. L'Union européenne est vraiment en train d'accroître sa production de blé.

En 1998-1999, l'Union européenne a une production record alors même que les prix mondiaux n'ont jamais été aussi bas en 25 ans. C'est un peu fou.

Maintenant, à la page 2, on compare la production canadienne; on peut voir que notre production a sensiblement diminué depuis deux ans en réaction à la baisse des prix constatée sur le marché mondial. C'est normal. Comme M. Hehn l'a dit tout à l'heure, cette année, la production de blé du Canada sera la plus faible depuis 19 ans. Les producteurs canadiens ont réagi, mais pas les producteurs européens. Pourquoi ne réagissent-ils pas à la baisse des prix?

À la page 3, il y a un sommaire des paiements directs aux producteurs de grain de l'Union européenne. Les chiffres sont assez stupéfiants. J'ai indiqué le calcul pour situer le contexte. Le chiffres importants pour le grain sont 430 $CAN l'hectare ou 175 $ l'acre. C'est une subvention directe que reçoivent tous les producteurs de toutes les céréales indiquées, peu importe que ce soit du blé, de l'orge, du maïs, du seigle ou du sorgho.

En dessous, je donne comme exemple la subvention pour le blé dur qui est vraiment ahurissante. Je précise toutefois que tout le monde n'y a pas droit. La subvention pour le blé dur n'est versée que dans les régions où la culture y est traditionnelle, en particulier en Espagne et en Italie. J'attire votre attention sur la subvention aux deux derniers points de la page: 909 $CAN l'hectare ou 368 $ l'acre. C'est une subvention directe versée avant même que le producteur vende son grain sur le marché. Ça vous montre les importantes subventions que touchent les producteurs.

Le sénateur Hays: Vous nous avez donné les chiffres pour les États-Unis au boisseau. Pourriez-vous nous donner aussi les chiffres européens au boisseau ou alors les chiffres américains à l'acre pour faciliter les comparaisons?

M. Watts: Nous pouvons faire le calcul.

La page suivante s'intitule: «Prix d'intervention dans l'Union européenne». M. Hehn a parlé plus tôt des céréales entreposées par le gouvernement aux États-Unis. Dans l'Union européenne, il y a un important système complexe d'achat du grain au producteur et d'entreposage. Ça établit un prix plancher dans l'Union européenne, qui est vraiment capital pour l'augmentation de la production du blé. C'est vraiment l'élément clé du programme qui protège les producteurs européens des fluctuations du prix mondial. On voit que le prix plancher est de 205 $CAN la tonne au taux de change actuel. Les gouvernements européens sont obligés d'acheter les céréales aux producteurs qui veulent les entreposer. Lorsque les prix du marché sont à la baisse, comme c'est le cas en ce moment, les producteurs peuvent offrir de livrer leur blé, orge, blé dur, seigle ou maïs à l'entrepôt et les gouvernements sont obligés d'acheter le produit. Comme on le verra dans un moment, il y a eu une augmentation considérable des stocks entreposés depuis un an à cause de la faiblesse des prix mondiaux. Cette mesure met le producteur à l'abri du prix mondial en lui permettant -- d'ailleurs en l'encourageant même dans certains cas -- à accroître sa production de blé de moindre qualité mais à haut rendement parce que la subvention est calculée à la tonne. Ça favorise donc la production d'un blé de moins bonne qualité dans l'Union européenne.

Je vous fais remarquer que le dernier point au bas de la page établit une comparaison. En ce moment, en 1998, on prévoit que les producteurs de blé canadiens recevront 154,50 $ la tonne au silo pour le blé CWRS no 1 dont la teneur en protéines est de 13,5 p. 100 et qui nous sert de référence. C'est parmi le meilleur blé au monde. Le prix d'intervention de l'Union européenne pour l'ensemble des céréales est de 205 $ la tonne. On peut voir l'importance des prix d'intervention dans l'Union européenne.

Je vous montre maintenant l'accumulation des stocks depuis un an ou deux. La page suivante est intitutlée: «Stocks de blé de l'Union européenne: reports et intervention». Les bâtons représentent les stocks de blé totaux de l'Union européenne. La partie pâle au bas de la page représente les stocks d'intervention appartenant au gouvernement.

On peut voir que les stocks de blé de fin de campagne devraient atteindre environ 18 millions de tonnes en 1998-1999. À la fin de 1996-1997, ils étaient d'environ 12 ou 13 millions de tonnes. En 1995-1996, il y en avait un peu plus de 10 millions de tonnes. Cela représente une accumulation considérable des stocks de blé de l'Union européenne, dont une partie a été achetée par les gouvernements.

À la page suivante, l'augmentation des stocks d'orge est encore plus frappante, en particulier pour les stocks appartenant aux gouvernements. On peut voir qu'en 1995-1996, les stocks d'orge de l'Union européenne totalisaient environ six à sept millions de tonnes. On prévoit maintenant qu'ils atteindront 13 millions de tonnes cette année, voire 14 millions de tonnes avant la fin de l'année.

La partie pâle des bâtons indique la proportion appartenant aux gouvernements. C'était légèrement supérieur à 7,5 millions de tonnes à la fin de 1997-1998. Que vont faire les gouvernements de tous ces stocks? Ils vont être obligés de les vendre sur le marché mondial, ce qui maintiendra des pressions énormes sur les prix mondiaux du grain au moins toute l'année prochaine, alors que l'Union européenne tentera de liquider ses stocks.

M. Hehn: C'est un tableau très révélateur. On peut voir que, pour l'orge, nous nous trouvons déjà dans une situation pire qu'au plus fort de la guerre commerciale en 1991, 1992 et 1993. On voit que du côté du blé, ça commence à nous entraîner dans cette direction. C'est ce que je voulais dire quand j'ai parlé à deux ou trois reprises de la grosse locomotive de la production céréalière européenne lancée à toute vapeur. Personne n'a de frein pour l'arrêter. Comme c'est pareil pour l'orge, je ne pense pas que le problème se règle d'ici un an ou deux.

M. Watts: Je passe maintenant à la page suivante. Même si les subventions à l'exportation de l'Union européenne n'ont jamais été supprimées complètement, elles ont diminué. Ce graphique est intitulé: «Blé de l'UE: subventions à l'exportation». Il y a eu une période en 1995-1996 où les prix mondiaux étaient élevés et où les subventions de l'UE ont diminué. Dans certains cas, il y avait une taxe à l'exportation. On peut voir qu'on est en train de revenir à une situation où les subventions à l'exportation augmentent, ce qui est une conséquence naturelle de la baisse des prix mondiaux, mais elles vont continuer d'augmenter et d'exercer des pressions à la baisse sur les prix mondiaux puisque l'Union européenne va tenter d'exporter les surplus qu'elle produit.

La page suivante porte le titre «Malt: subventions de l'UE». Il aurait fallu écrire «Malt: subventions à l'exportation de l'UE». C'est extrêmement important. On voit que, par rapport à l'an dernier, les exportations de malt ont grimpé en flèche cette année. C'est un produit qui est vendu aux brasseurs. Entre 1997-1998 et 1998-1999, on est passé à plus de 100 $CAN la tonne pour l'exportation de malt sur le marché mondial. C'est une hausse spectaculaire qui était totalement inutile dans les circonstances où elle est entrée en vigueur il y a un mois et demi. Ça nous a stupéfiés. Le ministre Vanclief a réagi en envoyant une lettre au commissaire européen Fischler pour dénoncer les subventions à l'exportation du malt. Bien entendu, c'est resté sans suite.

M. Hehn: Le sénateur Spivak a demandé: Et en aval? L'industrie de l'orge brassicole au Canada est l'une de nos plus grandes réussites au point de vue valeur ajoutée. Aucun autre secteur n'a connu une croissance comparable ces dernières années. M. Geddes a suivi ça de près puisqu'il est notre directeur à la valeur ajoutée.

Aujourd'hui, l'industrie canadienne du maltage transforme près de un million de tonnes d'orge, dont seulement 350 000 tonnes environ serviront à faire de la bière au Canada. Tout le reste est exporté. Nous avons prévu une croissance des exportations. Nous avons donc encouragé l'industrie à investir et elle l'a fait. C'est une véritable réussite. Presque tout a été investi dans l'Ouest canadien puisque c'est là qu'on cultive l'orge, notamment en Saskatchewan et en Alberta. Il est certain que si ça continue, l'industrie aura de graves difficultés.

Le sénateur Taylor: Y a-t-il, sur le marché mondial, de l'orge bon marché que l'industrie pourrait acheter?

M. Hehn: Oui, mais il n'est pas cultivé en Amérique du Nord. Il faudrait l'importer d'Europe. Je ne suis pas certain qu'on veuille importer en Alberta et en Saskatchewan de l'orge européenne subventionnée pour faire fonctionner une malterie. Ça ne ferait certainement pas l'affaire de certains producteurs.

Tout ce que je voulais dire, c'est qu'on parle beaucoup de valeur ajoutée et de diversification. Voilà un excellent exemple des choix qu'on a fait au Canada pour la valeur ajoutée et c'est une industrie qui subit maintenant d'immenses pressions.

M. Watts: La page suivante expose sommairement le niveau actuel des subventions à l'exportation de l'Union européenne au 29 octobre 1998. Les Européens font un appel de livraisons hebdomadaire pour l'exportation. Ce sont donc les toutes dernières subventions de la semaine dernière. Elles sont résumées ici pour votre gouverne.

On peut voir que le montant est de 45 $CAN la tonne pour les exportations de blé, de 108 $ la tonne pour l'orge et de 139 $ la tonne pour le malt.

En ce qui concerne la subvention pour l'orge, elle est accordée tant pour l'orge fourragère que pour l'orge brassicole.

Pour comprendre comment les subventions à l'exportation peuvent avoir un effet sur les prix, comment elles peuvent faire baisser les prix, il faut savoir qu'évidemment, une subvention à l'exportation a pour effet d'acheminer plus de stock vers le marché mondial. C'est ça qui a un effet sur les prix. En outre, dans certains cas, les Européens exportent du blé ou de l'orge à un prix inférieur au prix mondial. Ça aussi ça fait baisser les prix du blé.

Le graphique suivant, intitulé: «Prix comparés de certains blés» compare le prix du blé américain Soft Red Winter et le prix du blé tendre français qui est le blé phare de l'Union européenne en concurrence avec le SRW. La ligne plus fine représente le prix subventionné à l'exportation du blé tendre français. On constate qu'il est systématiquement inférieur de 5 $, et même de 10 $, au prix du SRW. D'ailleurs, l'Europe a l'avantage au point de vue transport sur certains des marchés où elle est en concurrence avec le SRW. Donc, on peut conclure que le prix est encore plus inférieur à celui du SRW. La politique européenne de fixer le prix à l'exportation en dessous du prix compétitif sur le marché mondial pousse les prix à la baisse.

La page suivante donne un exemple très clair de la façon dont les subventions de l'UE influent sur les prix de l'orge, et en particulier sur ceux de l'orge brassicole cette année. C'est loin d'être négligeable.

Au milieu du graphique, on voit les bâtons pour mars et avril. Les bâtons représentent la subvention à l'exportation, tandis que la ligne indique le prix mondial de l'orge brassicole.

Le 12 mars 1998, l'Union européenne a porté à 20 $ la tonne, du jour au lendemain, sa subvention à l'exportation pour l'orge. Un jour, elle a fait un appel d'offres pour accorder un permis d'exportation de plus d'un million de tonnes d'orge accompagné d'une subvention supérieure de 20 $ à la subvention de la veille. Le montant de la subvention est maintenant d'environ 60 $US la tonne.

On observe sans peine l'effet sur les prix de l'orge de brasserie puisque la subvention à l'exportation de l'orge est accordée pour l'orge fourragère et pour l'orge de brasserie. En avril, les prix mondiaux de l'orge brassicole ont chuté -- quelle surprise! -- d'environ 20 $ la tonne. C'est un manque à gagner considérable pour les producteurs canadiens, puisque la Commission du blé est l'un des principaux exportateurs d'orge de brasserie dans le monde.

Dans le texte que nous allons vous laisser, il y a des renseignements plus détaillés sur cette situation en particulier et sur ses répercussions.

Enfin, les producteurs me demandent souvent: pourquoi ne se retire-t-on pas de l'accord de l'Uruguay Round du GATT si les Européens continuent à subventionner leurs exportations?

Le diagramme suivant montre les engagements de l'UE à réduire ses subventions à l'exportation, qui vont ramener la quantité de blé exportable autorisée à un peu plus de 14 millions de tonnes en 2000 et 2001. Ça va aussi réduire le niveau des dépenses autorisées.

En tournant la page, on voit qu'en vertu d'une clause de l'accord de l'Uruguay Round, on peut reporter aux années ultérieures la partie inutilisée de la quantité autorisée pour une année. C'est exactement ce qui est arrivé en 1995-1996 quand les prix du blé étaient élevés. Cette année-là, pour exporter son blé, l'Union européenne n'a pas eu à verser des subventions à l'exportation, ou du moins pas de grosses subventions. Elle a donc pu reporter ces montants aux années suivantes. Le diagramme montre que les plafonds pourront être dépassés jusqu'en 2000-2001, alors qu'en théorie, on ne peut pas dépasser 14,4 millions de tonnes subventionnées, soit le plafond imposé par les engagements pris sous le régime du GATT. Ça se répercutera sur nous pendant les trois prochaines années.

Enfin, on donne les montants pour l'OCDE et les équivalents subventions à la production. Je vous indique sur cette page quelques-uns des chiffres. Je ne vais pas m'attarder puisque vous pouvez les regarder par vous-mêmes. Néanmoins, je veux vous faire remarquer que dans la colonne à l'extrême droite, sous la rubrique «ESP/ha», on voit que le Canada est loin derrière les États-Unis et l'Union européenne. Quand le commissaire Fischler est venu en juin dernier, il a dit aux médias canadiens que l'Union européenne dépensait beaucoup moins d'argent par agriculteur que le Canada et les États-Unis. Pour arriver à cette conclusion, M. Fischler a divisé le budget total de l'Union européenne pour l'agriculture par le nombre de ses agriculteurs, qui était, selon lui, de 7,5 millions. Ensuite, il a divisé le budget total du Canada pour l'agriculture par le nombre d'agriculteurs.

L'un des facteurs importants pour évaluer l'aide financière, c'est la superficie visée. Le volume de la production exportée par l'Union européenne est critique. On voit ici que l'ESP dans l'Union européenne est de 523 $US l'hectare cultivé, alors qu'il est de 24 $ l'hectare au Canada. Si jamais M. Fischler veut vous servir le même argument, vous n'aurez pas de mal à le réfuter.

Je veux vous parler des modifications proposées pour l'avenir. L'Union européenne a entrepris une démarche qui aboutira à la modification de son programme au-delà de l'an 2000. Elle vise à abaisser ses prix d'intervention pour ne pas être obligée de verser des subventions aussi élevées à l'exportation de son grain vers le marché mondial, ce qui est une nette amélioration. Le problème, c'est qu'elle ne propose pas une diminution assez élevée du prix d'intervention. On voit ici que le prix proposé est de 95 écus, ce qui est un pas dans la bonne voie.

Pour compenser le prix intérieur plus bas, elle va porter les paiements à la superficie à environ 211 $ l'acre. Elle continuera donc de verser des subventions considérables aux producteurs, ce qui est d'une importance capitale.

On avait proposé de fixer à zéro la superficie des terres en cultures retirées, et ce serait catastrophique si elle s'éloignait de cette proposition. Cette année, la superficie est fixée à 10 p. 100. L'Union européenne aura tout de même une récolte de 100 millions de tonnes l'été prochain. Elle a délaissé ce modèle. Fischler a abandonné en partie son idée d'en arriver à une superficie retirée de zéro, mais il faut s'assurer que ça n'arrivera pas.

M. Hehn: Le sénateur Hays nous a demandé de commenter l'offre. Nous allons vous exposer les modifications du côté de l'offre et des principaux exportateurs, parce que c'est ça qui est important. C'est ça qui nous nuit sur le marché. Je vais demander à M. Geddes de le faire.

M. Earl Geddes, Relations avec les agriculteurs, Commission canadienne du blé: Je vais rapidement vous exposer l'offre et la demande en signalant ce qu'on a pu observer depuis l'an dernier.

Les États-Unis ont offert 68,8 millions de tonnes métriques; l'Union européenne, 94,7; le Canada, 24,3; l'Australie, 19,4; et l'Argentine, 14,7. L'offre globale sur le marché mondial en 1997-1998 a été de 222 millions de tonnes métriques, ce qui est un niveau normal pour le marché.

Cette année, le principal changement, c'est l'Union européenne, dont l'offre a grimpé à 103 millions de tonnes métriques et le Canada, qui est tombé à 22,5 millions de tonnes métriques, ce qui porte à 229,1 millions de tonnes métriques l'offre globale, soit une hausse de 7,2 millions de tonnes métriques de blé sur le marché mondial. Ça, c'est pour la production.

Du côté de la demande, on voit que les échanges commerciaux en 1997-1998 ont porté sur 99,2 millions de tonnes métriques. Pour la prochaine récolte que nous sommes en train de commercialiser, nous prévoyons une demande de 93,7 millions de tonnes métriques, soit 5,5 millions de tonnes métriques de moins. Donc, l'augmentation de la production conjuguée à la baisse de la demande nous place dans une situation difficile et il nous faudra plusieurs années pour en sortir.

Je peux laisser ces deux transparents au greffier du comité.

Le président: Je vous remercie pour cet exposé très complet et très utile.

M. Hehn: Nous avons un défi de taille à relever. La situation est complexe. À la commission, nous avons quelque 32 téléphones et une ligne sans frais. Nous recevons actuellement jusqu'à 130 000 appels par année. Les agriculteurs ont le loisir de nous téléphoner pour nous poser n'importe quelle question sur notre activité. Quand on est incapable de leur donner immédiatement une réponse, on la leur fait parvenir plus tard.

L'une des questions qui est revenue le plus souvent ces derniers mois c'est: pourquoi les prix sont-ils aussi bas malgré qu'on ait considérablement réduit notre production? Vous imaginez à quel point la réponse peut être complexe. On a beaucoup de mal à faire passer le message chez les agriculteurs parce que c'est compliqué. Peut-être que ce sont toutes ces règles commerciales qui ont grandement compliqué la situation. M. Geddes a tout un défi à relever dans ses nouvelles fonctions.

Nous sommes entourés de gens compétents. Nous allons trouver le moyen de transmettre le message en termes simples, mais ce n'est pas facile. Nous avons tenté de le simplifier pour vous aujourd'hui, mais malgré tout, vous avez pu constater pendant l'exposé combien c'est compliqué.

Le président: Je vais vous poser une question compliquée tout de suite. J'ignore même s'il est possible d'y répondre, mais il faut néanmoins que nous y songions.

Étant donné que nous avons délaissé la production et la culture du blé -- et comme vous l'avez souligné, ça a été toute une histoire -- les agriculteurs se sont concentrés davantage sur le canola, la moutarde et d'autres cultures. À votre avis, qu'arrivera-t-il au prix de ces cultures? Avez-vous fait enquête en Europe pour savoir si ces autres cultures étaient aussi subventionnées?

M. Hehn: Je vais d'abord faire quelques observations générales, puis M. Sawatzky traitera la question.

Pour ce qui est des huiles végétales, les prix semblent fermes. On a observé un ralentissement du marché de la graine de lin et l'effondrement du marché des lentilles. Je ne crois pas que le marché des pois aille très bien non plus. Vous devriez poser la question à la Pulse Growers Association.

Le président: Les prix ont été assez bons pour le canola puisqu'ils se sont maintenus autour de 8 $, ce qui m'étonne. Je m'attendais à ce qu'ils aient maintenant baissé à 7 $ ou 6,50 $.

M. Hehn: Les prix des oléagineux sont influencés par le marché américain du soja qui, lui, réagit surtout aux effets de l'offre et de la demande de protéines et non d'huile. Le soja se compose de 80 p. 100 de tourteau et de 20 p. 100 d'huile. Les prix des oléagineux ne dépendent pas toujours de la superficie cultivée au Canada. Ils sont plutôt touchés par la superficie des cultures de fèves aux États-Unis et les fèves y sont cultivées à d'autres fins qu'à la production d'huile. L'autre marché qui influe sur les oléagineux -- et je ne suis pas un expert -- c'est le gros marché de l'huile de palme. Ça dépend aussi du rendement des palmiers dans l'année.

Le sénateur Hays: Messieurs, je vous remercie pour votre excellent exposé.

Nos réunions sur le projet de loi C-4 nous ont permis d'apprendre comment on a ressenti le stress dans les fermes canadiennes. On dirait que les choses ne se sont pas tellement améliorées et qu'elles semblent même ne pas vouloir s'améliorer.

En guise d'introduction à ma question sur la valeur de l'accord négocié à l'issue de l'Uruguay Round pour les agriculteurs canadiens, je vais citer un texte de notre ministère des Finances.

Voici comment est résumée la raison de ce qu'on a fait en 1994 à l'issue de longues négociations:

L'Uruguay Round va améliorer le bien-être économique de tous les pays membres parce qu'il repose sur le principe économique le plus simple: grâce au commerce, on évite d'avoir à produire soi-même tout ce qu'on veut consommer; on peut produire plutôt ce qu'on fait le mieux et l'échanger contre ce que les autres font mieux que nous. Le commerce international ressemble au commerce entre particuliers d'un même pays; la seule différence, c'est l'existence de frontières nationales qui n'ont pas été tracées pour des motifs purement économiques.

Voilà une solide raison de libéraliser le commerce. Nous avons négocié un premier accord sur l'agriculture en 1994. Comme vous l'avez dit, les négociations ont été extraordinairement complexes et elles se sont étendues sur quatre années. Cependant, du point de vue du producteur canadien de la denrée qui vous intéresse, on dirait que c'est un cuisant échec. L'aide financière est restée la même qu'avant les négociations et, dans certains cas, elle a même augmenté. Le Canada et d'autres pays comme l'Australie ont réagi en réduisant les programmes qui contrevenaient aux règles. Pourtant, d'après ce que j'ai entendu dire jusqu'à maintenant, ça nous a nui. Peut-être que dans 10 ou 50 ans d'ici, on verra -- du moins si on arrive à surmonter la crise actuelle et à conclure deux ou trois autres rounds de négociations -- cette terre promise décrite par l'économiste de notre ministère des Finances qui a rédigé le paragraphe que je viens de vous lire.

Que faut-il faire maintenant? Plus tôt ce matin, nous avons discuté avec la FCA de l'aide à apporter à l'agriculture en période de stress. Ce stress est causé non seulement par les problèmes découlant de l'Uruguay Round, mais aussi par la crise financière dans le monde qui a commencé en Asie avant de s'étendre à la Russie -- qui chevauche l'Europe et l'Asie -- et maintenant à l'Amérique latine. Vous pourriez peut-être nous expliquer ce que fait l'Australie dans les mêmes circonstances.

M. Hehn: Toutes vos questions sont bonnes.

L'erreur que nous avons faite a été de ne pas analyser l'effet de l'aide financière intérieure sur les décisions à prendre dans l'avenir au sujet de la production de chacun de ces pays.

J'étais de ceux qui avaient l'impression que si le support interne était découplé, c'est-à-dire indépendant des décisions concernant la production et calculé plutôt sur d'autres données plus anciennes, il n'aurait aucun effet sur la production. La suite des événements a montré que nous avions tort.

Nous avons commencé à préparer l'ordre du jour de la prochaine série de négociations. La question doit revenir sur le tapis. C'est un grave problème. D'ailleurs, sénateur Hays, je pense que c'est ça le grand problème. Nous avons fait une interprétation tout à fait incorrecte.

L'autre faux calcul a été l'aide financière reportée en 1995 et en 1996 qui a permis à l'Union européenne de dépasser largement la réduction de 35 p. 100 des subventions à l'exportation et la réduction de 26 p. 100 des dépenses jusqu'en 2001. Ce fut une autre grave erreur.

Franchement, je ne savais rien de tout ça il y a un an quand on a commencé à se demander comment il se faisait que ces pays pouvaient subventionner chaque tonne sans réduire leur production. C'est à ce moment-là qu'on a découvert la demande accumulée.

On a fait deux erreurs. Je ne pense pas que la réduction puisse suivre une courbe linéaire droite. Dans une industrie aussi capitalistique que la culture du grain, quand on donne un dollar à un agriculteur, il s'en sert pour faire ce qu'il connaît le mieux, c'est-à-dire produire des céréales.

Le sénateur Hays: Pourriez-vous nous parler de l'Australie?

M. Hehn: L'Australie se retrouve à peu près dans la même situation que nous. Elle n'a pas tellement le choix non plus. D'ailleurs, sa situation est pire parce que sa seule autre possibilité pour ses régions productrices, c'est l'élevage du mouton et le marché de la laine va mal lui aussi.

Les producteurs australiens ne jouissent pas des mêmes avantages que les agriculteurs canadiens de certaines régions, notamment l'avantage de cultiver sept ou huit produits importants à tour de rôle. Dans certaines régions de l'Australie, on n'a pas d'autres choix en dehors de la laine ou du blé, du moins d'après les nombreux Australiens auxquels j'ai parlé.

Dans les États de Queensland, Victoria et d'autres, il y a toutes sortes de possibilités comme chez nous, mais dans l'Australie-Occidentale, qui est l'une des principales régions productrices, les choix sont très limités. Ils sont en train d'essayer le blé dur qui réussit assez bien, mais cette année ce pourrait être un échec à cause des maladies imputables à l'abondance de pluie, ce qui est anormal en Australie au moment des récoltes.

L'Australie ressent donc les mêmes pressions et les mêmes interventions que nous. Elle vend à peu près le même volume sur le marché d'exportation. Elle est tout aussi vulnérable, et peut-être même plus, du point de vue du pourcentage produit par opposition au pourcentage exporté. Elle fait face au même genre de concurrence.

Le sénateur Hays: Croyez-vous que dans un an d'ici, le Canada, l'Australie et d'autres pays qui se sont fait rentrer dedans, c'est le moins qu'on puisse dire, par l'accord d'il y a quatre ans, devraient adopter comme position à l'ouverture des négociations l'an prochain, le rétablissement de la situation d'avant? En fait, c'est une forme de fraude puisqu'on a négocié et mené nos affaires politiques de façon à arriver à des résultats heureux qui auraient dû nous aider dans certains secteurs d'après les déclarations des économistes. Nous savions bien qu'il y aurait certaines difficultés d'adaptation, mais tout de même. Non seulement l'accord ne nous a pas aidés, mais il a été préjudiciable puisqu'on se retrouve avec des gouvernements -- et je ne veux pas parler seulement du Canada -- qui ont restructuré leurs politiques en réaction à des gouvernements qui, à leur façon, ont totalement fait abstraction de ça dans les négociations. Je suppose qu'il faut leur reconnaître le mérite d'avoir créé les catégories bleue et verte qui leur ont permis de faire ça. Pour commencer, il faudrait revenir à la situation qui prévalait il y a quatre ans. Croyez-vous que c'est une position de négociation défendable au départ?

M. Hehn: Vous abordez un domaine politique. La Commission du blé est responsable de la commercialisation, vous le savez, mais je suis dans ce monde depuis assez longtemps pour ne pas trop m'en inquiéter. Je vais donc tenter de répondre à votre question.

Cet accord nous a beaucoup apporté au point de vue accès au marché. Quand je dis «nous», je parle strictement des producteurs de blé et d'orge. Je ne voudrais surtout pas perdre ces avantages-là.

Quoi qu'en disent les Américains au sujet de ce qu'on vend chez eux, dans la mesure où on ne fait pas de dumping, on peut vendre autant qu'on veut. Ils l'ont en travers de la gorge, mais ça ne me dérange pas. On a gagné l'accès à un marché considérable.

Ensuite, je serais le dernier à critiquer un pays qui accorde une aide financière pour le commerce intérieur, à la condition que cette aide serve à produire ce que leurs consommateurs peuvent absorber. Si l'aide financière est calculée en fonction de ce qu'il faut pour nourrir la population, je suis bien mal placé pour critiquer. Tous les pays ont le droit de faire ce qu'ils veulent chez eux dans le but de nourrir leur population. C'est quand les mesures de stimulation de la production pour nourrir la population dépassent la demande et qu'il y a dumping de la surproduction sur le marché, ce qui accorde un avantage indu sur les producteurs des autres régions du globe, que je me fâche.

Je pense qu'il faut entreprendre les prochaines négociations en ayant comme préoccupation primordiale le découplage du support interne. Ça doit être l'enjeu principal. Les États-Unis préféreraient comme enjeu la gestion de l'offre et les entreprises commerciales d'État -- les STE pour state trading enterprises comme ils les appellent -- mais franchement, ce sont eux qui gèrent l'offre. Ils agissent contre la surproduction. C'est l'Europe qui ne fait rien en ce moment contre ça.

La Commission du blé ne fait pas de gestion de l'offre parce qu'elle vend au prix du marché. La seule aide que nous obtenons du gouvernement, c'est la garantie du paiement initial, et vous savez que nous faisons bien attention de ne pas avoir à demander de l'aide financière à ce chapitre à moins qu'une véritable crise se produise dans le monde.

Je pense que lors des prochaines négociations, le Canada doit avoir comme grande priorité l'aide financière de catégorie bleue, celle qui envoie aux agriculteurs des messages erronés sur la production. Il faut réfléchir au problème et le régler. Si on y parvient, nombre de ces difficultés commenceront à jouer en notre faveur et les règles du jeu seront un peu plus équitables.

Le président: J'ai une question sur les rouages internes du système canadien. On dirait que les entreprises céréalières réalisent de bons profits. J'ai téléphoné au Saskatchewan Wheat Pool à Midale, hier, pour être bien renseigné sur notre sujet d'étude d'aujourd'hui. Le blé dépourvu de protéines se vend 2,07 $ là-bas. Le blé ayant une teneur en protéine de 15 p. 100 se vend 3,07 $ ou 3,08 $. Quand une entreprise achète ce grain, si elle mélange un blé numéro deux sans protéines à un autre blé, qui bénéficie du profit réalisé? Est-ce que la Commission du blé a le moyen de protéger les intérêts du producteur ou est-ce l'entreprise céréalière qui empoche tout l'argent?

M. Hehn: Nous payons le blé avec protéines à l'agriculteur par l'entremise de l'exploitant des silos, quand il vient livrer son grain. La division est actuellement à un demi de un pour cent. Nous avons toujours soutenu qu'il serait préférable d'avoir une division à un dixième de un pour cent pour éviter le problème que vous mentionnez. L'industrie a finalement accepté un dixième de un pour cent à compter du 1er août, mais au moins, on est déjà à un demi de un pour cent.

Le président: Je crois que les agriculteurs n'ont aucun moyen de le savoir vraiment, mais tandis que les producteurs n'arrivent pas à joindre les deux bouts, d'autres font des profits records.

M. Hehn: Je ne crois pas que ce soit nécessairement parce qu'on vend du blé avec protéines coupé de blé sans protéine. Nous surveillons ça étroitement et une division à un demi de un pour cent nous permet d'exercer un contrôle assez serré. Il y a autant de chargements qui sont juste en dessous que juste au-dessus de cette division. Bien entendu, si le blé déchargé arrive juste en dessous, les producteurs y perdent.

Le président: Est-ce que la Commission du grain surveille ça?

M. Hehn: Oui. Mais pour le producteur qui livre le grain, c'est important de s'assurer qu'il est payé pour ce qu'il a livré. C'est une question pratique. S'il n'est pas payé pour ce qu'il livre, il a comme recours d'envoyer un échantillon représentatif à la Commission des grains et de demander un règlement en fonction des résultats de l'expertise.

Les compagnies céréalières marchent au volume. J'étais là une fois et je sais à quel point tout dépend du volume. Ces deux dernières années, elles maintenaient des volumes acceptables, surtout à cause des problèmes de transport qu'on avait; donc, une partie de la grosse récolte de 1996 a débordé sur 1997 et 1998. C'est en 1999 qu'elles vont vraiment souffrir de la baisse. Je vous ai donné les chiffres des exportations.

Rien que pour le blé de printemps, nos exportations vont chuter de 15,5 millions de tonnes à 10 millions de tonnes. Dans une industrie qui marche au volume comme celle des silos, je suis certain que les profits vont s'en ressentir l'an prochain, surtout dans le secteur du grain. Je ne suis pas ici pour défendre les intérêts des exploitants de silos, mais je peux vous dire que, l'an prochain, leur bilan n'affichera pas les bons profits de cette année.

Le sénateur Whelan: J'ai tant de questions à poser. J'en reviens à votre exposé qui était excellent. Si j'avais à changer quoi que ce soit, je le simplifierais afin de pouvoir le comprendre et de permettre ainsi à n'importe quel citadin de le comprendre. Une partie des documents est très bien, quand on la comprend, mais comme l'a dit le sénateur Taylor tout à l'heure, les citadins ont du mal à comprendre et la majorité des députés sont des citadins. Vous devez être capable de leur expliquer la situation de façon à ce qu'ils comprennent. Je suis certain qu'ils pourraient comprendre une bonne partie de ça.

Vous avez pris la parole à une de nos réunions dans l'Ouest et vous avez déjà comparu à Ottawa. Vous avez seulement dit que les négociations ont abouti à une entente qui nous dessert et que nous, les Canadiens, nous avions été très naïfs d'accepter ça sans en avoir fait un examen minutieux.

M. Hehn: C'est toujours facile à dire après coup. Comme je l'ai dit tout à l'heure, je ne crois pas que nous étions en mesure de vraiment saisir l'impact de cette aide découplée sur la production, surtout dans la Communauté européenne. À mon avis ça a été la grande faille de notre raisonnement et de celui de tout le monde dans l'Uruguay Round. Il va maintenant falloir corriger l'erreur lors des prochaines négociations. Comme tout le monde à la table des négociations, y compris les Américains et les Australiens, nous avons cru que si ces paiements étaient fixés indépendamment de la production et calculés plutôt sur des données chronologiques, alors la production des pays européens, par exemple, plafonnerait et finirait par diminuer pour se rapprocher de la demande intérieure. C'est l'inverse qui s'est produit. Il y avait manifestement une faille dans notre raisonnement. C'est cette faille qu'il va maintenant falloir réparer.

Le sénateur Whelan: Bien des gens ne comprennent pas ce qu'est le découplage. Je me servais de l'image d'une grosse locomotive puissante tirant un long train; si on découplait le train, c'est-à-dire si on le séparait de la locomotive mais sans baisser le régime du moteur, la locomotive irait tellement vite qu'elle finirait probablement par dérailler. C'est ce qui semble s'être produit après le découplage de l'aide.

M. Hehn: Au centre des trains de montagne, il y a une locomotive servant à freiner pour s'assurer que les freins ne perdent pas d'air et donc leur puissance. Je crois que la production est un train sans locomotive au milieu pour appliquer les freins et permettre de gérer l'offre. C'est la meilleure façon de l'expliquer.

Le sénateur Whelan: Vous avez parlé du programme de catégorie bleue. Qu'est-ce que c'est la catégorie bleue?

M. Hehn: Il y a trois catégories d'aide financière: la rouge, qui correspond aux subventions à l'exportation et nous avons tous convenu qu'il faudrait finir par s'en débarrasser; la jaune qui faussait un peu le commerce et dont il a fallu s'occuper aussi; enfin, la verte qui comprend l'aide à la recherche, et cetera, c'est-à-dire les investissements dans l'infrastructure dont tout pays a besoin.

Quand on a découplé le support interne, comme il ne correspondait à aucune de ces catégories, les négociateurs ont choisi une autre couleur: le bleu. Nos négociateurs ont cru que cette aide se situait quelque part entre les catégories jaune et verte alors que la suite des événements a plutôt montré qu'elle se situait entre la rouge et la jaune. On a confondu les couleurs. Si vous voulez mon avis, on s'est complètement gouré. C'est la meilleure façon de le dire.

M. Geddes: Tout le concept de la catégorie bleue est ressorti des accords de Blair House lorsque les Américains et les Européens se sont réunis durant les deux dernières semaines pour déterminer comment, en définitive, ils voulaient gérer le processus. Ils ont mis dans une catégorie bleue tous les programmes qu'ils voulaient conserver. Nous autres, on a négocié de bonne foi le contenu des catégories verte ou jaune ou l'élimination de la catégorie rouge et on s'est retrouvé avec ce qu'on a aujourd'hui. Il faut y repenser.

Le sénateur Whelan: C'est pourquoi je voulais vous l'entendre dire. Pour bien des gens, la couleur bleue évoque le recyclage.

M. Hehn: Il faut recycler cette disposition justement.

Le sénateur Whelan: C'est ce que le sénateur Hays a suggéré tout à l'heure.

L'autre jour, on discutait du fait qu'aux termes de l'ALENA, si quelqu'un exporte du poison dans votre pays et qu'on décide de l'empêcher de le faire, on peut être poursuivi. La plupart des Canadiens trouvent ahurissant qu'on ait signé un tel accord. Ils n'arrivent pas à croire qu'on a cédé nos droits ou notre souveraineté pour un tel régime.

Vous avez indiqué le montant que touchent les agriculteurs européens. Vous avez dit que les Américains faisaient du dumping quand ils vendaient à 25 $ la tonne de moins que ce qu'ils versaient à leurs producteurs. Je crois que c'est ce que vous avez dit. Dans le cas de la Communauté européenne, c'est encore pire. En ce qui concerne le blé dur, par exemple, vous déclarez que ça revient à 909 $CAN l'hectare. C'est vraiment le montant qu'on leur verse?

M. Geddes: Oui.

M. Hehn: Dans les régions productrices de blé dur d'Espagne et d'Italie, c'est exactement ce qu'on leur donne. De plus, on leur garantit le prix plancher que vous a donné M. Watts lorsqu'ils vont vendre leur grain sur le marché. En outre, s'ils ont un excédent de production, le gouvernement l'exporte en leur versant cette énorme subvention à l'exportation. Quand on additionne tout ça, on arrive au montant de l'aide financière qui est indiqué pour le blé dur.

Le sénateur Whelan: Je connais bien le président de l'OCDE. Il n'y va pas par quatre chemins. Il soutient qu'il faut se débarrasser de ces subventions et qu'on a besoin d'un libre-échange international, et cetera, mais le Canadien moyen, qu'il soit rural ou citadin, ne se rend pas compte qu'il se passe des choses comme ça. Nous savons tous ce qui est arrivé au Canada, ce qu'on a fait de nos subventions et du tarif du Nid-de-Corbeau, à quel point on a réduit la recherche. D'après ce que j'ai pu comprendre, vous avez tout calculé. J'ai toujours soutenu que la recherche faisait partie intégrante de tout ça. Quand l'État a un bon programme de subventions à la recherche, pas seulement pour les producteurs de blé mais pour l'ensemble de la société parce que c'est tout le monde qui bénéficie d'un produit de meilleure qualité, l'agriculteur est plus productif.

Ils ne sont pas au courant de tout ça. De nombreux députés, et peut-être même certains ministres, ne sont pas au courant. Quand M. Johnston de l'OCDE est venu nous rendre visite, il ne nous a même pas permis de lui poser des questions. Je voulais l'interroger à ce sujet.

L'ambassadeur de l'OCDE était encore plus enthousiaste en parlant de cette nouvelle magnifique Organisation mondiale du commerce. Si je vous ai bien compris, est-ce que le Canada importe aussi de l'orge maintenant?

M. Hehn: Pour l'orge, je ne saurais dire.

Le sénateur Taylor: Je lui ai déjà posé la question.

M. Hehn: Il y a eu une légère augmentation des prix de l'orge qui, dans le monde entier, commencent à se rapprocher du taux de prêt.

En septembre et octobre, il est arrivé que le prix PMW de l'orge qui revenait au pays était inférieur au taux de prêt. Il est arrivé que l'orge était exportée des États-Unis vers le Japon ou le Canada à des prix inférieurs à celui qui avait été versé au producteur. Vous avez raison, sénateur. L'écart est même allé jusqu'à 18 $ à un moment donné.

M. Sawatzky: Pour l'orge fourragère, c'est allé jusqu'à 16 $US la tonne.

Le sénateur Taylor: Je m'intéresse quelque peu à l'orge parce que, dans le sud de l'Alberta, on a importé de l'orge du Montana pendant un certain temps.

Il y a néanmoins deux lumières vives au bout de votre tunnel. La première, c'est que mes copains de droite, qui sont dans le sud de la province, ne m'appellent plus pour m'interroger au sujet des prix faramineux aux États-Unis. Ils sont obligés de passer par la Commission du blé. Les gros marchés de l'autre côté de la frontière semblent s'être taris un peu.

La seconde lumière se trouve dans le diagramme de M. Watts sur les subventions à l'exportation qui sont reportables. Il semble que le surplus dont bénéficie l'Union européenne devrait être épuisé d'ici l'an 2001.

Si elle ne peut plus donner de subventions, ce sera un réveil assez brutal pour les producteurs européens. Elle devra faire quelque chose avant 2001 pour que les gars se fassent à l'idée de ne plus avoir de subventions du tout, si l'accord est respecté.

De plus, si les subventions de l'Union européenne disparaissent, est-ce que les prix sur le marché mondial augmenteront?

M. Hehn: À court terme, ça aura l'effet inverse. Pour l'orge, les stocks d'intervention sont considérables en ce moment. Cette orge devra être vendue avant l'an 2000. Pour la vendre, il faut la subventionner. Après l'an 2000, ils ne pourront plus profiter des reports. La vente pourrait avoir un effet très préjudiciable sur les prix mondiaux de l'orge.

Les Européens ont déjà commencé à accumuler des stocks d'intervention de blé qui devront aussi être vendus avant l'an 2000. À court terme, ça pourrait être grave.

Le sénateur Taylor: Les Européens devront le vendre en plus de cesser de verser des subventions. Je pensais qu'ils pouvaient quand même accumuler les stocks même s'ils ne pouvaient plus les subventionner.

M. Hehn: La quantité de tonnes et la valeur qu'ils pourront subventionner seront limitées.

M. Watts: Ils auront toujours les stocks, c'est certain. L'Union européenne se rend compte que l'an 2001 approche rapidement et qu'elle devra liquider une partie de ses stocks. En ce moment, par exemple, la subvention à l'exportation pour l'orge est de 100 p. 100 de sa valeur. Sur le marché mondial, l'orge se vend à peine plus de 70 $US la tonne et la subvention européenne à l'exportation et d'à peine plus de 70 $US la tonne. L'Union européenne a peur d'arriver aux prochaines négociations commerciales internationales avec de gros stocks, au cas où tout le monde conviendrait de restreindre encore plus les subventions à l'exportation. Elle se retrouverait alors en très mauvaise posture avec tous ses stocks accumulés.

Je devrais faire une précision qui n'apparaît pas dans le diagramme. Les reports virtuels qui sont indiqués ne concernent que le blé. C'est la même chose pour les céréales secondaires dont l'orge et le maïs, bien entendu.

Quand on arrivera en 2000-2001, l'Union européenne pourra continuer de subventionner l'exportation de 14,5 millions de tonnes de blé par année. Les exportations européennes de blé sont de l'ordre de 16 à 17 millions de tonnes annuellement. Au moins les trois quarts de l'ensemble de ces exportations auront encore droit à des subventions même après 2000-2001. Ça aura un effet sur leur capacité générale d'attribuer les dépenses aux subventions à l'exportation.

Le sénateur Taylor: L'Australie donne moins à l'hectare ou au boisseau. Vous avez dit que ce pays pourrait éprouver les mêmes difficultés. Ce n'était pas ça la question. La voici: comment les agriculteurs australiens arrivent-ils à survivre s'ils ont les mêmes problèmes? Est-ce que la terre et les intrants leur coûtent moins cher?

M. Geddes: Dans les régions céréalières de l'Australie, certains producteurs survivent en étendant la superficie de leur ferme à 20 000 et 30 000 hectares. S'ils s'en tiennent au concept de l'exploitation agricole familiale, ils ne peuvent pas survivre. Ils profitent d'économies d'échelle.

De plus, grâce à la recherche, ils commencent à cultiver un produit de meilleure qualité et d'une plus grande valeur comme le blé dur qu'ils n'avaient jamais exporté auparavant. Cette année, l'Australie aurait pu devenir l'un des principaux exportateurs de blé dur, mais la météo a tout gâché.

Ça aggrave les problèmes du Canada puisque c'est précisément ce que les producteurs de l'Ouest ont fait pour essayer de contourner la difficulté -- opter pour des cultures de meilleure qualité et d'une plus grande valeur. C'est notre dernière chance. C'est une bonne solution si la structure du prix n'est pas démolie par les autres.

Le sénateur Taylor: Si les fermes grossissent à ce point, la Saskatchewan n'aura plus que 10 000 habitants.

M. Hehn: Je voudrais faire une correction. Vous avez dit que l'Australie avait réduit son aide financière pour le grain. Ce n'est pas tout à fait vrai.

Le tableau des équivalents subventions à la production montre que le Canada et l'Australie sont assez proches. Les deux subventions sont si basses qu'elles n'ont pas beaucoup d'effet sur la concurrence; néanmoins, c'est proche. Nous sommes à 24 $ l'hectare. L'Australie est à 17 $ et la Nouvelle-Zélande, à 11 $, comparativement aux États-Unis qui sont à 111 $. Aujourd'hui, si on ajoutait les sept milliards de dollars, ce serait beaucoup plus encore.

Le sénateur Taylor: Je pensais plutôt à des pourcentages.

M. Hehn: Les Australiens produisent aujourd'hui 22 millions de tonnes de blé. Ils sont presque aussi gros sur le marché que nous.

M. Sawatzky: La plupart des régions céréalières de l'Australie sont situées près de la côte. La distance moyenne entre la ferme et le port est pas mal plus courte en Australie qu'au Canada. Les producteurs australiens ont donc l'avantage sur les producteurs canadiens puisque, en moyenne, leurs frais de transport sont inférieurs.

M. Hehn: M. Sawatzky fait valoir un point important. La marge bénéficiaire des producteurs australiens sur le prix d'exportation est pas mal plus grosse que celle des producteurs de la Saskatchewan ou du Manitoba. Ils ont l'avantage.

Le président: Dans la querelle sur les frontières, est-ce que le gouverneur du Dakota du Sud a été battu ou est-ce qu'il a gagné? Je n'ai pas eu les résultats.

M. Hehn: Ça n'a pas d'importance. Nous n'entendrons probablement pas parler d'eux avant les prochaines élections.

Le président: La querelle est donc terminée?

M. Hehn: La querelle au sujet du transport routier ne sera jamais terminée. Les producteurs canadiens seraient très mécontents s'il y avait beaucoup de camions américains dans l'entrée de leurs silos. De même, les producteurs américains sont très mécontents quand ils voient des plaques d'immatriculation canadiennes dans leurs allées.

Nous transportons très peu de grain en camion aux États-Unis. Presque tout le grain est transporté en train. Il est maintenant transporté directement dans des trains de 25, 50 et 100 wagons. Nous faisons attention à ça.

Tant qu'il n'y aura pas un grand écart entre les prix le long de la frontière, le problème devrait se corriger de lui-même.

Le président: Les Américains n'ont-ils pas déjà bloqué une voie ferrée?

M. Hehn: Oui, mais il n'y avait pas de grain à bord du train.

Le président: Le 20 novembre, les conseils d'administration des diverses régions seront élus et le ministre nommera cinq membres. Croyez-vous que ça changera la Commission canadienne du blé?

M. Hehn: À long terme, ça rapprochera les producteurs canadiens et les consommateurs de quelque 70 pays du monde. Nous avons relevé tout un défi. Je suis à la Commission depuis huit ans et il y a eu des améliorations.

Nous avons relevé le défi de faire comprendre aux agriculteurs que la Commission du blé était leur outil de commercialisation et qu'ils devaient la prendre en main. Cette nouvelle organisation permettra aux agriculteurs de prendre en charge leur agence de commercialisation et de s'en sentir vraiment propriétaires. C'est important. À bien des endroits, la commission est encore considérée comme un organisme de l'État qui reçoit ses ordres d'Ottawa. Pourtant, nous sommes indépendants du gouvernement.

Nous concluons chaque vente dans l'idée de maximiser le rendement qu'en tirera le producteur. Nous ne travaillons pas pour le fédéral, nous travaillons pour les agriculteurs qui paient toutes nos dépenses.

Cependant, cette modification apportée à la direction va entraîner une prise en charge par les agriculteurs en leur permettant de participer plus directement à l'administration même. À long terme, la commission en sera plus forte. À court terme, je ne sais pas ce qui va arriver. Il faudra voir comment les choses s'arrangent.

Le sénateur Whelan: Monsieur Hehn, je suis très inquiet à propos des subventions. Toutes ces personnes grassement payées de l'OMC, de l'OCDE et de notre propre pays se promènent en parlant des subventions et de leur disparition.

Ce matin, vous nous avez donné des chiffres montrant qu'en fait, les subventions augmentent. La production augmente sans tenir compte de l'offre. La Communauté européenne a-t-elle vraiment tort de subventionner ses producteurs à ce point?

M. Hehn: Elle a tout à fait tort d'encourager ses agriculteurs à produire plus que ce que le marché peut absorber, exception faite de ce qu'ils produisent pour répondre à leur demande intérieure.

Tout à l'heure, j'ai nuancé mes remarques en disant que tous les pays avaient le droit de produire pour leurs propres consommateurs. Mais ils n'ont pas le droit de fausser le jeu du marché en vendant leur surproduction. L'Union européenne ne subventionne peut-être pas trop ses producteurs, mais ses politiques les ont placés dans une situation où toute cette possibilité a été capitalisée dans leur exploitation. Ça se reflète donc dans le prix des terres, dans les contingents et dans bien d'autres choses.

Les agriculteurs n'en tirent aucun avantage en ce moment. Ils doivent payer plus cher pour les terres et pour les contingents. Ils devront éventuellement faire face. Le Canada doit mettre la question à l'ordre du jour maintenant et dire: «Nous ne vous contestons pas le droit de produire pour vos consommateurs. Nous ne voulons pas nous lancer dans un débat là-dessus, mais vous devez faire quelque chose pour gérer votre offre au-delà de la production intérieure nécessaire.»

Le sénateur Whelan: Votre exposé a été très important car il nous a permis de dissiper certains malentendus au sujet de cette nouvelle mondialisation. De nombreux Canadiens ont l'impression que ces subventions n'existent plus. Malheureusement, ce que vous nous avez exposé aujourd'hui montre que c'est faux.

M. Hehn: Nous devons comparaître devant le comité des Communes la troisième ou quatrième semaine de novembre. Nous présenterons alors à peu près la même documentation, mais les chiffres auront été mis à jour. Nous fournirons à peu près les mêmes informations au comité des Communes de sorte que, lorsque le gouvernement fédéral traitera de cette question, les deux Chambres du Parlement seront parfaitement au courant des conséquences en aval.

Le président: Votre exposé a été excellent et instructif. Je vous remercie.

La séance est levée.


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