Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 31 - Témoignages
OTTAWA, le jeudi 15 avril 1999
Le comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 9 h 08 pour étudier l'état actuel et les perspectives d'avenir de l'agriculture au Canada ainsi que l'effet des échanges commerciaux sur le revenu agricole.
Le sénateur Leonard J. Gustafson (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Honorables sénateurs, nous poursuivons notre étude de l'état actuel de l'agriculture au Canada et de l'effet des échanges commerciaux sur le revenu agricole. Dans le cadre de cette étude, nous nous sommes penchés notamment sur la situation de l'industrie céréalière et de l'industrie porcine.
Notre emploi du temps est très chargé ce matin. Trois agriculteurs de la Saskatchewan nous feront un exposé ainsi que des représentants d'Agricore, du Saskatchewan Wheat Pool, des United Grain Growers et du Syndicat national des cultivateurs.
Permettez-moi de vous présenter MM. Michael Cayer, Lee Cook et Bob Thomas, agriculteurs de la Saskatchewan. M. Cook s'adonne à l'agriculture des deux côtés de la frontière, soit en Saskatchewan et au Montana. Il pourra faire profiter le comité de son point de vue spécial sur l'agriculture.
Nous sommes heureux de vous accueillir aujourd'hui, messieurs, pour que vous nous exposiez la situation de l'agriculture dans l'Ouest du Canada, en particulier en Saskatchewan. Je vous prie de bien vouloir commencer vos exposés.
M. Michael Cayer, agriculteur de la Saskatchewan: Monsieur le président, honorables sénateurs, nous sommes heureux d'être ici pour vous parler au nom des agriculteurs de la Saskatchewan rurale.
Ma femme Valérie et moi-même exploitons 1 280 acres de terres cultivées principalement en blé, orge et avoine. Nous semons de l'alpiste des Canaries et nous avons arrêté de cultiver des légumineuses à graines et des cultures spéciales en raison des coûts des intrants. Avec le genre d'intrants nécessaires pour faire pousser ces cultures, une mauvaise récolte nous ruinerait.
Nous avons une exploitation de naissage-élevage qui compte 55 vaches et idéalement 55 veaux à la fin du vêlage. Cette exploitation se maintient mais la marge de profit diminue constamment chaque année. Dans la plupart des cas, les dépenses ont grimpé de 400 p. 100 au cours des 10 dernières années.
En 1981, je travaillais comme gérant de silo pour le Syndicat du blé de la Saskatchewan; à cette époque, le prix du blé durum #1 atteignait 7 $ le boisseau et celui du blé de printemps #1 était de 6 $ le boisseau. Nous sommes maintenant 18 ans plus tard, en avril 1999, et le prix du blé durum #1 atteint 2,90 $ le boisseau et celui du blé de printemps #1 2,95 $ le boisseau.
En 1981, l'engrais coûtait 155 $ la tonne; en 1999, il coûte 385 $ la tonne.
En 1981, mon père a acheté un tracteur de 135 cv pour 25 000 $ avec tous les accessoires; aujourd'hui, un tracteur de même puissance coûte plus de 100 000 $.
En 1981, le carburant agricole coûtait 0,25 $ le litre tandis qu'aujourd'hui il en coûte plus de 0,35 $ même si tous les prix sont à leur plus bas niveau.
Ensuite, il y a les gens qui viennent vous voir et vous disent que vous devez bien vous débrouiller, que vous avez vos bovins en réserve. En réalité, la marge bénéficiaire a tout simplement disparu. En 1981, un bon veau se vendait entre 0,83 et 0,90 $ la livre. À l'automne de 1998, son prix oscillait entre 1,20 $ la livre.
En 1981, mon père a acheté une presse à balles rondes pour 8 200 $; la même se vend aujourd'hui plus de 38 000 $.
Les frais ont presque tous augmenté de 400 p. 100 en 15 ou 20 ans et le revenu tiré des bovins n'a augmenté que de 30 p. 100 tandis que celui réalisé sur les céréales diminuait de 60 p. 100: il est très facile de constater pourquoi tant d'agriculteurs tirent le diable par la queue. Il n'y a pas un seul syndicat ouvrier ou mouvement syndical qui supporterait jamais ce genre de traitement.
Les agriculteurs sont des gens fiers. Ils cherchent et trouvent des emplois extra-agricoles pour supporter leur ferme au lieu de l'abandonner. Quiconque aurait une petite entreprise qui lui fait perdre constamment de l'argent n'essaierait pas de trouver un deuxième emploi pour financer cette entreprise. C'est ce que nous faisons.
Après quinze années de travail à raison de sept jours par semaine et jusqu'à dix-huit heures par jour, le stress devient insupportable car nous ne sommes pas plus près de réaliser notre rêve aujourd'hui que nous l'étions il y a quinze ans. Ma femme parcourt vingt milles pour se rendre au travail afin de pouvoir payer l'épicerie et les services publics tout en élevant une famille. Le travail à la ville n'est pas un deuxième emploi, mais un troisième et un quatrième car l'agriculture est un emploi à plein temps avec de nombreuses obligations.
Pour pouvoir survivre à la ferme, j'ai décidé de me diversifier dans le transport des grains sur commande. Nous avons acheté un camion en empruntant de l'argent et nous avons bâti très rapidement une entreprise grâce à notre travail acharné et à notre honnêteté. Deux ans plus tard, je suis au bord de l'épuisement à essayer de cultiver, de m'occuper du bétail et de satisfaire les besoins de l'entreprise de transport de grains. Cela ne me laisse pas beaucoup de temps à consacrer à ma famille.
Lorsque je vais dans la cour d'une ferme, cela me prend généralement quarante à soixante minutes pour charger mon camion, ce qui me donne tout le temps voulu pour bavarder avec mon client. Nous parlions généralement de l'exploitation agricole, des nouveaux concepts en agriculture, des problèmes familiaux et de ce qui se passait en ville. Aujourd'hui, lorsque je me rends chez un agriculteur, nous parlons encore mais pas de nouveaux concepts, plutôt de la situation déprimante. Certaines personnes se mettent en colère tandis que d'autres sont très contrariées et s'efforcent de retenir leurs larmes, ce qui est un signe de dépression, et c'est généralisé.
Mon voisin est venu me voir car il envisageait de vendre une demi-section de terres. Il possède dix-huit quarts de section et a effectué des versements pendant 23 ans et il ne lui reste que quatre ou cinq ans à payer. On lui a conseillé de vendre une demi-section pour éviter de perdre vingt-cinq années de dur labeur. Il doit vendre ses terres s'il veut éviter la faillite. Le produit de la vente d'un seul quart de section lui permettra de payer ses factures de l'an dernier et de poursuivre ses activités agricoles. S'il ne se résout pas à vendre ce quart de section, il perdra tout.
Qui achètera toutes ces terres? Des fermes constituées en sociétés. Nous savons qu'elles vont arriver et ce sera la fin de la Saskatchewan rurale telle que nous la connaissons. Dans la région de Lumsden, quelques agriculteurs âgés se sont dit prêts à louer leurs terres pour le prix des taxes si on leur promet de bien s'en occuper car ils ne veulent plus dépenser leurs économies pour continuer à cultiver. Si en louant leurs terres, ils peuvent payer leurs taxes, ils permettront à quelqu'un d'autre de s'en servir.
Même s'il y a peut-être de nombreuses solutions, elles viennent avec les problèmes. Je sais que nous pouvons résoudre les problèmes avec le temps. Nous pouvons nous tourner vers nos voisins du Sud, ils n'ont peut-être pas toutes les réponses mais ils s'attaquent au problème tout en recherchant une solution. On pourrait mettre en oeuvre un programme de recolonisation végétale dont ont besoin les propriétaires de terres peu productives, pour aider les gens à devenir plus rentables dans l'élevage de bétail ou à établir des élevages de gibier pour atténuer la pression imposée sur les bonnes terres céréalières.
Un jour, quelqu'un m'a dit que pour chaque bouteille de bière qui est brassée, un cent revient dans la poche du producteur pour l'orge. Si nous imposions une taxe d'un cent sur chaque bouteille de bière achetée au Canada, nous pourrions avoir de l'orge à 5 $, qui est maintenant à 2,50 $ sans faire souffrir aucunement le consommateur.
J'estime que nous devons éduquer le public pour lui faire savoir que lorsqu'un paiement final est annoncé en millions de dollars, chaque agriculteur n'est pas millionnaire du jour au lendemain. Je ne sais pas pourquoi chacun a besoin de connaître le paiement total puisqu'il s'agit de notre argent, pas de fonds publics, de l'argent que nous aurions dû recevoir il y a un an et demi.
Quand je pense aux concessionnaires agricoles qui ferment leurs portes à Assiniboia et aux entreprises qui éprouvent des difficultés, l'agriculture touche tout le monde. Occupez-vous de l'agriculture, le reste s'occupera de lui-même, car les gens de la Saskatchewan, tous les habitants, dépendent du succès de l'agriculture. Quand je pense aux centaines d'emplois qui existent à Coronach, une petite communauté agricole située à trente milles au sud de chez nous, à cause de la centrale électrique et de la mine de charbon, j'imaginais que ces emplois seraient là indéfiniment. Quand je pense à l'exode de nos jeunes et de nos adultes d'âge moyen qui quittent leurs fermes et déménagent en dehors de la province, une phrase me revient toujours à l'esprit: «Que la dernière personne qui quittera la Saskatchewan n'oublie pas d'éteindre les lumières.» C'est ce qui est en train de se produire.
Si les agriculteurs obtenaient un paiement de 40 $ l'acre, cela leur permettrait de payer les dépenses qu'ils ont engagées l'an dernier et peut-être même certaines des dépenses engagées cette année pour ensemencer leurs champs. Le système fiscal ne nous permet cependant pas d'échelonner nos dépenses. Si nous avons perdu de l'argent il y a deux ans, mais que nous avons réalisé un profit cette année, nous devrons payer de l'impôt sur l'argent que nous avons fait parce que le revenu agricole ne peut pas être négatif. Nous ne pouvons donc pas compenser pour les revenus perdus, car dès que nous nous mettons à faire de l'argent, nous devons payer de l'impôt. Tout ce à quoi nous avons droit, c'est à une déduction de 65 $. On se reporte à des prix qui avaient cours en 1960. Le prix des services publics est très élevé. Ce genre de déductions ne nous permet pas de survivre. Il faut que le niveau des déductions soit relevé. Nous devons pouvoir défalquer les pertes encourues l'an dernier de notre revenu de cette année. Nous vivons dans un pays qui pense toujours que la situation va s'améliorer l'année suivante. Or, on ne permet pas que le revenu que nous avons réalisé cette année compense pour les pertes encourues les années précédentes.
M. Lee Cook, agriculteur de la Saskatchewan: Monsieur le président, honorables sénateurs, je comparais aujourd'hui devant le comité à titre d'agriculteur américain ainsi que d'agriculteur canadien. J'exploite une entreprise agricole à Bengough, à 90 milles au sud de la Saskatchewan. Nous avons fait notre première récolte en 1974. Mon père nous a élevés, mon frère et moi, sur une ferme située à environ 150 milles au sud de Regina, soit à 14 milles à peine de la frontière canadienne. Nous faisions la culture de menus grains, nous élevions du bétail et nous recevions des paiements gouvernementaux. Environ 800 des 1 000 acres de terres agricoles sont visées par le Conservation Reserve Program. En vertu du dernier contrat d'une durée de dix ans, nous obtenions 35 $US l'acre. Ces contrats viennent d'être reconduits au taux de 29 $US l'acre. La concurrence est vive pour l'obtention de ces contrats.
L'avenir de l'agriculture n'est pas brillant aux États-Unis. Il ne l'est d'ailleurs pas plus au Canada. Le Congrès américain verse aux agriculteurs américains des paiements de transition afin de soutenir le prix des céréales. Il s'agit d'un paiement versé à l'acre et non pas au boisseau. Il est établi en fonction du rendement antérieur des fermes.
Lorsque ces programmes se sont révélés insuffisants pour soutenir le revenu agricole, le Congrès a proposé, en 1998, un programme d'aide supplémentaire de 11 milliards de dollars destiné à aider les agriculteurs et les éleveurs de bétail. On peut se demander pourquoi tout cet argent est nécessaire et pourquoi, compte tenu de ces paiements, les agriculteurs ne se tirent pas mieux d'affaire.
En 1998, le prix du blé est tombé à son plus bas niveau depuis 30 ans. De 57 à 60 p. 100 du blé, du maïs et des fèves de soya sont transformés par quatre grandes sociétés qui contrôlent 59 p. 100 des exportations. Gargill, Archer Daniels Midland, Continental Grain et Bunge sont des noms que vous connaissez tous.
En 1998, le prix du bétail aux États-Unis est tombé à son plus bas niveau depuis 26 ans. De 80 à 87 p. 100 du bétail est abattu par quatre grands établissements d'emballage, à savoir Iowa Beef Packers, ConAgra's Beef, Cargill's Excel et National Farmland Beef. En 1980, ces sociétés ne contrôlaient que 36 p. 100 du marché.
En 1998, les prix du porc ont atteint leur plus bas niveau depuis 60 ans. Soixante pour cent des porcs sont abattus par quatre sociétés d'emballage, à savoir Murphy Family Farms, Carols Food, Continental Grain et Smithfield Foods.
On comprend facilement lorsqu'on tient compte de la production agricole que les prix des produits agricoles n'ont jamais été aussi bas depuis la crise des années 30. Aux États-Unis, les agriculteurs touchent 2,4 cents par dollar consacré à l'alimentation contre 17,8 cents pour les transformateurs et 18 cents pour les détaillants. Or, les agriculteurs continuent de ne toucher que 2c. alors que nombre d'entre eux ont investi entre 500 000 $ et un million de dollars dans leurs exploitations. Nous pouvons au mieux nous attendre à un taux de rendement de 2 p. 100 sur nos investissements. Avec un tel taux de rendement, nous ne pouvons pas survivre.
Il y a 10 ans, 15 sociétés se partageaient 85 p. 100 du marché de l'assurance-récolte. Aujourd'hui, il n'en reste que huit.
Si vous avez eu l'occasion de les lire, les documents que je vous ai remis montrent que les agriculteurs américains auraient facilement pu obtenir entre 40 et 50 $US par acre de blé ensemencé. Dans le cadre du Livestock Assistance Program, nous avons pu obtenir environ 35 $ par vache adulte. Si je ne m'abuse, les producteurs de porc ont obtenu 8 $ par porc s'ils produisaient moins de 1 000 porcs par année. Voilà des mesures que le Congrès américain a prises pour essayer d'aider les agriculteurs à traverser l'une des périodes les plus difficiles de leur histoire.
Les agriculteurs ont survécu aux difficultés qu'ils ont connues dans les années 70 lorsque les taux d'intérêt atteignaient 20 p. 100. Nous avons survécu à la sécheresse ainsi qu'aux grèves des camions-trémies dans les années 80. Ceux qui disent que nous ne sommes pas efficaces et que nous ne sommes pas parmi les meilleurs au monde n'ont pas vécu ce que nous avons vécu. Nous ne sommes pas très nombreux à avoir survécu à ces difficultés.
Le Dakota du Sud a perdu l'an dernier 2 000 agriculteurs. Le Dakota du Nord en a perdu 500. Le Montana n'en a pas perdu autant parce que l'industrie du bétail y est importante et que les éleveurs de bétail n'ont pas été aussi durement touchés que les producteurs de menus grains. Avant la mise sur pied de ce programme aux États-Unis, on s'attendait que jusqu'à 1 200 agriculteurs du Dakota du Nord ne soient pas en mesure d'ensemencer leurs champs ce printemps. L'avenir n'est pas très brillant.
On pourrait facilement dire que l'agriculture dans les trois provinces des Prairies a besoin d'une injection de 7 milliards de dollars. Il faut mettre en oeuvre un programme agricole qui réglera le problème pour des années à venir. C'est peut-être impossible d'injecter 7 milliards de dollars dans l'agriculture. J'avance ici un chiffre, mais je pense qu'il faudrait un milliard de dollars pour que les agriculteurs de la Saskatchewan puissent ensemencer leurs champs cette année.
Je compte 43 années d'expérience comme agriculteur. Pendant cette période, les agriculteurs ont mis en jachère la moitié de leurs champs pour conserver l'humidité nécessaire pour cultiver l'autre moitié. L'an dernier, nous avons eu de deux à trois pouces d'humidité d'automne. Cette année, il y a eu de la neige au printemps. On peut enfoncer une sonde dans le sol jusqu'à une profondeur de quatre pieds. Les conditions sont idéales pour l'ensemencement. C'est ce que les agriculteurs font. Ils cultivent leurs champs. Or, nous ne pourrons pas cultiver nos champs parce que nous ne pouvons pas nous permettre de le faire. Bon nombre d'entre nous nous sommes résignés à n'ensemencer que les deux tiers de nos terres et à mettre en jachère un tiers de celles-ci parce que nous n'avons pas l'argent voulu pour payer les coûts d'intrants. De plus en plus d'agriculteurs songent à revenir à l'époque où ils mettaient en jachère la moitié de leurs terres. Ce n'est cependant pas une solution au problème.
Aux États-Unis, dans le cadre du Conservation Reserve Program, 31,3 millions d'acres sont actuellement en jachère. Le nombre maximal d'acres pouvant être mis en jachère est de 34 millions. Il est cependant question de relever ce plafond de 9 millions d'acres. C'est cette mise en jachère d'une partie de leurs terres qui a permis aux agriculteurs de survivre.
Je ne sais pas comment nous pouvons nous sortir du pétrin dans lequel nous nous sommes enfoncés. Je crois qu'il faudra une solution politique. Je ne pense pas que nous puissions réussir à nous en sortir. Nous ne pouvons pas soutenir la concurrence dans un marché complètement libre et ouvert. Vous verrez que les États-Unis ressusciteront leur programme d'amélioration économique. On réclame à cor et à cri le rétablissement de ce programme, et cela pourrait contribuer à relever les prix du marché ici puisque nous livrons beaucoup de nos produits agricoles aux États-Unis.
Je vous remercie d'avoir mis sur pied le programme ACRA et de chercher à aider les agriculteurs, mais nous nous rendons compte, après avoir téléchargé les formulaires d'Internet pour voir si le programme pourrait nous aider, que très peu d'entre nous y seront admissibles. Nous sommes à deux ou trois semaines du moment où nous sèmerons la majorité de nos cultures. Nous n'aurons pas les moyens d'acheter de l'engrais. Nous ne pourrons pas acheter de produits chimiques. Nous ne pourrons pas acheter de semences, si nous n'en avons pas. Nos fournisseurs de combustible et de semences ne peuvent plus accorder de crédit tellement ils ont de factures impayées de l'an dernier.
J'ai entendu dire de plusieurs sources que, si la Saskatchewan recevait un milliard de dollars, cela voudrait dire que les trois provinces des Prairies recevraient environ 1,4 milliard de dollars, ce qui nous donnerait à peu près 20 $ l'acre. Si nous pouvions obtenir 20 $ l'acre, nous pourrions planter nos cultures. Ce serait un paiement à l'acre. Cela pourrait se faire rapidement, et cela nous permettrait de planter pour cette année.
C'est essentiellement ce qu'a fait le Congrès américain avec la désignation de ce programme d'aide en cas de sinistre, et il a permis aux agriculteurs de planter pour l'année suivante jusqu'à ce qu'on puisse régler au niveau politique les problèmes au GATT, à l'Organisation mondiale du commerce et à l'Union économique européenne.
Il y a d'énormes problèmes dans le domaine de l'agriculture, des problèmes que nous, les agriculteurs, ne pouvons pas régler, mais que vous, hommes et femmes politiques, pouvez régler. Je vous demande aujourd'hui de voir si vous ne pouvez pas trouver l'argent qui nous permettrait de survivre. Sinon, le Canada rural sera secoué comme il ne l'a pas été depuis les années 30. C'est à se demander où on mettra les 15 000 agriculteurs de la Saskatchewan qui ne pourront pas rester sur leurs fermes. C'est à se demander ce qui arrivera à un nombre tout aussi grand de commerçants qui n'obtiendront pas des agriculteurs l'argent dont ils auront besoin pour survivre.
Voilà les problèmes auxquels nous nous heurtons aux États-Unis.
Comme je l'ai dit tout à l'heure, 2 000 agriculteurs du Dakota du Sud ne pourront pas planter leurs cultures; 500 agriculteurs du Dakota du Nord ne pourront pas planter leurs cultures; et je crois qu'en Saskatchewan le nombre d'agriculteurs qui n'ont pas pu planter leurs cultures depuis les années 70 s'élèvent à environ 26 000.
Beaucoup d'agriculteurs approchent de l'âge de la retraite, et nous n'avons pas les moyens d'acheter leurs terres. Ils n'ont pas les moyens de prendre leur retraite. Ils ont besoin de l'argent de leurs terres et de leur matériel agricole -- l'avoir qu'ils ont passé toute leur vie à accumuler -- pour pouvoir prendre leur retraite. Ils ont le droit à cela. Nous perdrons beaucoup de ces terres si nous ne pouvons pas obtenir 1,4 milliard de dollars pour les trois provinces des Prairies afin de pouvoir planter les cultures du printemps.
M. Bob Thomas, agriculteur de la Saskatchewan: Honorables sénateurs, il y a 30 ans que j'ai une exploitation agricole au sud de Regina, en Saskatchewan. Je suis marié et père de trois enfants. J'exploite une terre de trois sections, et j'élève du bétail. J'ai également une formation en médiation, et je m'occupe d'endettement agricole en Saskatchewan depuis 10 ans. Je m'occupe tout particulièrement des problèmes financiers qu'ont les agriculteurs. Je travaille également avec de petits commerçants.
C'est pour moi un honneur de vous adresser la parole aujourd'hui. On m'a demandé au début de l'année de chercher à aider des agriculteurs de la région de Bengough. Le groupe comprenait, non pas seulement des agriculteurs, mais des petits commerçants de la région. Ils étaient d'avis qu'à moins d'une intervention quelconque ce serait non seulement les agriculteurs de la Saskatchewan, mais aussi tous les propriétaires de commerces liés à l'agriculture qui souffriraient. L'effet sur la Saskatchewan ne se limite pas aux agriculteurs, il touche également les commerces.
Dans la liasse qui vous a été remise, vous trouverez des documents de plusieurs commerces et organisations, comme la PIMA, c'est-à-dire la Prairie Implement Manufacturers Association; vous trouverez aussi une lettre de la Prairie Agricultural Dealers Association, où l'association dit se trouver dans une situation extrêmement difficile. Vous trouverez aussi des documents de commerçants en combustible, de commerçants en engrais et de bien d'autres commerçants indiquant clairement qu'eux aussi se trouvent dans une situation extrêmement difficile.
Avant de quitter ma petite localité en Saskatchewan, j'ai reçu un appel d'un commerçant en combustible qui me disait qu'il venait de recevoir son 13e avis de faillite, et ce, sur une clientèle totale de 100 agriculteurs. Il s'attend à en recevoir 13 autres d'ici la fin du printemps. Essentiellement, le quart de ses clients agriculteurs en Saskatchewan déclareront faillite.
C'est en 1998 que l'endettement agricole et les problèmes des agriculteurs ont atteint un point critique. Si vous vous reportez au tableau de 1997, l'endettement agricole en Saskatchewan était d'un peu plus de cinq milliards de dollars. D'après mes estimations pour le domaine dont je m'occupe, l'endettement agricole doublera d'ici à l'an 2000 à moins qu'on ne fasse quelque chose. La dette agricole sera supérieure à la dette que la province de la Saskatchewan a envers ses créanciers.
Les problèmes dans le domaine agricole sont graves et devraient être réglés. Quand nous avons entendu parler récemment du Programme d'aide en cas de catastrophe lié au revenu agricole qui venait d'être annoncé, nous pensions que le programme était bien conçu et qu'il serait bien accepté. Cependant, après avoir examiné le programme, qui reprend essentiellement les éléments du programme d'aide aux sinistrés de l'Alberta, nous n'avons pas tardé à nous rendre compte des nombreuses lacunes qu'il présente. Le programme ne tient pas vraiment compte de la situation des agriculteurs. Il ne tient pas compte, selon moi, de la situation de 86 p. 100 des agriculteurs de la Saskatchewan. Les critères qu'il impose sont tels que 14 p. 100 seulement des agriculteurs y sont admissibles.
Les agriculteurs du nord-ouest de la province font face depuis trois ans à un problème de sécheresse. D'après toutes les estimations qui ont été faites, si les conditions d'humidité ne s'améliorent pas, ils feront face à un problème de sécheresse pour une quatrième année consécutive. Les gens de cette région me disent que ce n'est pas seulement de 15 à 20 p. 100 des agriculteurs qui quitteront l'agriculture, mais ils évaluent plutôt à 80 p. 100 la proportion de ceux qui quitteront l'agriculture, non pas par choix, mais parce qu'ils y seront obligés.
Je traite aussi avec des gens comme ceux qui témoignent ici avec moi aujourd'hui. M. Michael Cayer, comme il vous l'a dit, a une exploitation d'élevage de bovins. Il travaille aussi à l'extérieur avec ses camions. Aux termes du programme, comme il a d'autres sources de revenus agricoles, la totalité de son revenu agricole doit être calculée. Ce n'est pas juste.
Quand j'ai eu à m'occuper d'endettement agricole relativement à diverses activités agricoles, je considérais chaque activité comme un élément distinct. Si le même agriculteur avait des cochons, des céréales et du bétail, je calculais le revenu de chacune de ces activités pour déterminer quelles étaient celles qui perdaient de l'argent. Ce n'est pas ce que fait ce programme. Le programme considère qu'il n'y a pas de mal à déshabiller saint Pierre pour habiller saint Paul. On ne peut pas faire cela, cependant, parce qu'on ne tient pas compte de la réalité agricole. On fausse cette réalité, surtout pour ce qui est du secteur céréalier.
Vous avez sous les yeux un document publié par le ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire de la Saskatchewan, qui est un guide de planification des cultures pour 1999. Je viens tout juste de recevoir ce document de la province de la Saskatchewan. Je tiens à attirer votre attention sur le coût de production des cultures par acre dans la zone de sol brun foncé pour 1999.
Le ministère de l'Agriculture de la Saskatchewan vient tout juste de publier ce document. Il est facile à comprendre. Chaque section est ventilée selon le revenu par acre et le rendement estimatif. J'attire votre attention sur trois éléments. Je vous invite à examiner le rendement estimatif, qui se trouve au haut de la page. Sous «blé de printemps», vous verrez un rendement de 33,7 boisseaux l'acre. À côté de la rubrique «rendement par acre», vous verrez qu'aux niveaux actuels, la quantité de blé indiquée entraîne une perte de 12,45 $ l'acre.
Je n'entrerai pas dans les détails de la production par acre de chaque culture, mais dans le cas du blé dur, la perte est de 16,33 $; pour le blé CPS, elle est de 8,51 $; pour l'orge, elle est de 33,53 $. La seule culture prometteuse est celle des lentilles. La perte pour les pois sera de 81,02 $; pour le lin, de 21,97 $; pour l'alpiste des Canaries, elle sera de 31,63 $ et pour le canola, il y a un bénéfice de 3,37 $ l'acre.
Sur neuf cultures donc, deux seulement se traduisent par un bénéfice, le bénéfice étant considérable pour l'une des deux. Quand on examine toutefois la situation de la denrée la plus cultivée dans l'Ouest du Canada, à savoir le blé, on constate que le résultat est négatif pour les trois catégories.
En bas de la page, vous verrez le seuil de rentabilité par livre ou par boisseau. J'attire votre attention au bas de la page, à la rubrique «pour couvrir les dépenses totales». Pour le blé de printemps, le montant est de 6,87 $ pour le boisseau. À l'heure actuelle, le prix en Saskatchewan est de 2,95 $ le boisseau.
Dans le cas du blé dur, le gouvernement de la Saskatchewan indique que le seuil de rentabilité est de 6,77 $ le boisseau. Dans les parties rurales de la province, le prix est actuellement de 2,90 $ le boisseau.
Quant au blé CPS, le seuil de rentabilité est de 5,71 $. À l'heure actuelle, nous touchons 2,80 $ le boisseau en Saskatchewan.
Le seuil de rentabilité pour l'orge fourragère est évalué à 4,20 $ le boisseau. Le prix est actuellement de 1,80 $ le boisseau.
Le seuil de rentabilité pour les lentilles est de 21 cents la livre. À l'heure actuelle, le prix en Saskatchewan est de 17 cents la livre.
Dans le cas des pois fourragers, et ce cas est intéressant parce que nous y voyons une perte considérable de 81,02 $, le seuil de rentabilité est de 9,17 $ le boisseau. À l'heure actuelle, en Saskatchewan, les pois fourragers se vendent seulement 3 $ le boisseau.
Le seuil de rentabilité du lin est de 10,93 $, alors que nous ne touchons que 8,50 $.
Je pourrais continuer ainsi, mais ce document montre bien ce qui se passe dans le domaine de l'agriculture, surtout pour les cultures de blé, dans les provinces des Prairies. Le document a été publié par le ministère de l'Agriculture de la Saskatchewan.
J'ai parlé brièvement du programme ACRA. Ce programme suscite le mépris des agriculteurs de la Saskatchewan. Vous avez dans la documentation qui vous a été remise des lettres de comptables agréés des différentes régions des provinces des Prairies qui décrivent la complexité du programme et qui s'interroge sur sa raison d'être.
Le sénateur Gustafson m'a envoyé un exemplaire du texte du GATT relatif à l'agriculture, et je m'interroge sur les priorités du gouvernement fédéral en ce qui a trait à beaucoup des programmes qu'il offre à l'heure actuelle. Nous sommes d'avis qu'à l'origine l'idée du GATT était bonne, mais qu'elle n'a pas donné les résultats escomptés à long terme. Les gens de l'Alberta, qui ont lancé le programme dont s'inspire le programme de l'ACRA, ont expliqué qu'il s'agissait, non pas d'un programme de soutien, mais d'un programme d'aide aux sinistrés. Le programme n'a jamais été conçu comme un programme de soutien.
Il y a un aspect du GATT qui me préoccupe énormément, à savoir que le GATT a notamment pour objectif d'amener les producteurs agricoles de notre pays à se retirer de l'agriculture. Cela me préoccupe énormément parce que quelqu'un a décidé que je devrais mettre fin à mes activités agricoles.
Vous verrez dans la documentation que nous vous avons remise la demande que nous avons faite pour que le programme ACRA soit remplacé par un programme de paiement à l'acre cultivé. Bon nombre de programmes agricoles qui ont été lancés sous des gouvernements précédents se fondaient sur la quantité d'acres cultivées. Dans les provinces de l'Ouest, l'activité est régie par la Commission canadienne du blé. La commission a toutes les données concernant tous les agriculteurs de l'Ouest du Canada. Il ne lui faudrait pas plus de 30 heures, grâce à l'informatique, pour calculer le montant du paiement à verser aux agriculteurs en fonction du nombre d'acres cultivés.
Pourquoi nous lancerions-nous dans un programme comme l'ACRA, qui entraînera des dépenses de gestion de 5 à 10 millions de dollars, alors que la Commission canadienne du blé pourrait tout aussi bien faire le travail?
Comme M. Cook vous l'a expliqué, dès l'Action de Grâce en 1998, les agriculteurs américains avaient en main l'argent de leur gouvernement sans avoir à faire de demande ou à présenter de document officiel. Les agriculteurs produisent des céréales et des denrées. Nous ne sommes pas des comptables agréés. Nous embauchons des comptables agréés pour faire ce travail pour nous. Nous avons entendu dire de diverses sources qu'il en coûte entre 300 $ et 1 200 $ aux agriculteurs pour remplir une demande d'aide dans le cadre du programme ACRA. Pourquoi le coût est-il aussi élevé? L'impôt sur le revenu agricole est calculé en fonction du revenu effectivement gagné et des montants effectivement déboursés. Le programme ACRA se fonde sur la comptabilité d'exercice, qui ne reflète pas la déclaration aux fins de l'impôt sur le revenu agricole, si bien qu'il faut faire une conversion.
Nous représentons 50 000 agriculteurs de la Saskatchewan. Il n'y pas d'autre organisme dans notre province qui représente autant de gens. Les trois hommes que vous avez devant vous représentent 50 000 agriculteurs et conjoints ou conjointes d'agriculteur qui travaillent sur la ferme, en Saskatchewan.
Comme le disait M. Cayer, nous avons subi des stress importants. Vous trouverez dans les documents une lettre du service mis sur pied par la province de la Saskatchewan pour combattre le stress. Nous avons consulté le clergé. On constate dans les paroisses que ce problème est courant et qu'il y a un effondrement de la Saskatchewan rurale.
Je prévois que seulement 14 p. 100 des exploitations de la Saskatchewan réussiront à obtenir des fonds du programme ACRA, étant donné la complexité des critères. J'ai été invité par diverses émissions de radio dans la province, récemment, et j'ai offert d'inviter à souper quiconque recevait vraiment de l'argent de ce programme. Un homme a appelé, pour dire que je lui devais à souper, mais que je n'avais pas vraiment à payer. Quand j'ai demandé pourquoi, il m'a dit que son comptable avait calculé qu'il aurait droit à 400 $ en vertu du programme, mais qu'il lui en coûterait 700 $ pour l'obtenir. Je n'avais donc pas à lui payer un repas.
Les agriculteurs sont très mécontents. Nous comparons l'ACRA au programme américain, très simple, de paiement à l'acre. Nous ne pouvons pas comprendre pourquoi il faut un document de 40 pages pour un travail si simple. Les agriculteurs américains reçoivent l'argent sans produire de document.
Au nom de notre organisation, nous demandons aujourd'hui 80 $ par acre cultivée. Cela peut sembler élever, mais diverses banques et caisses de crédit de la Saskatchewan ont calculé que le coût de production était de 40 $ l'acre. En 1998, les agriculteurs n'ont pas récupéré ce coût de production. Ils ont donc subi une perte de 40 $, en 1998. En 1999, ils gagneront la moitié de leur coût de production. Nous espérons sincèrement que le gouvernement fédéral présentera une politique agricole à long terme. Nous avons aussi calculé que les pertes avant 1998 étaient de 20 $ par acre. C'est ainsi que nous sommes arrivés au chiffre de 80 $ par acre cultivée. Cela peut sembler une somme déraisonnable. Pourtant, l'endettement agricole en Saskatchewan en 1997 dépassait les 5 milliards de dollars. Quatre-vingt dollars l'acre ne suffira même pas à effacer cette dette.
Il y aura des subventions pendant quatre ans. Le programme américain a été mis en oeuvre en 1986 et se poursuivra jusqu'à la fin de 2002. Il y aura des subventions pendant quatre ans, tant chez les Européens que chez les Américains, et il nous faudra l'accepter.
Nous voulons proposer au gouvernement fédéral des solutions à long terme. Un groupe d'agriculteurs a fait une réflexion approfondie. Nous ne voulions pas être irréalistes et proposer des programmes déraisonnables. Comme solutions à long terme, nous voulons proposer d'anciens programmes qui ont été tout à fait bien conçus par les anciens gouvernements et qui fonctionnaient bien pour les agriculteurs canadiens et pour l'ensemble des Canadiens.
Notre première résolution porte sur le rétablissement des carburants agricoles non taxés. Les carburants non taxés peuvent être utilisés par un agriculteur pour transporter du grain, mais pas pour aller faire un tour en ville. Les économies ainsi réalisées seraient considérables. À l'heure actuelle, cela me revient moins cher d'acheter l'essence que j'utilise à la ferme dans une station-service de Regina que de la faire livrer à mon exploitation de Milestone, en Saskatchewan. Quand j'ai fait mes débuts en agriculture dans les années 70, nous avions l'essence mauve. Nous proposons le rétablissement de ce programme.
Deuxièmement, en 1991, je crois, l'ARAP a mis sur pied un programme d'établissement d'une couverture végétale permanente. On rémunérait les agriculteurs pour qu'ils ensemencent les terres avec des herbages et qu'ils les gardent ainsi pour une période de 10 ou 21 ans. M. Cook vous a expliqué un programme semblable, aux États-Unis.
Nous avons énormément de terres marginales dans la partie sud de la province, ailleurs dans la province et, en général, dans l'Ouest. S'il est vrai qu'il y a une surproduction de blé au Canada, ce serait là une bonne solution. En Amérique du Nord, le nombre de têtes de bétail est à son plus bas depuis 35 ans. Si la Saskatchewan doublait son cheptel, cela ne changerait pas grand-chose à la situation et personne n'en souffrirait.
Passons à la troisième résolution. Chacun des témoins que vous avez devant vous aujourd'hui a des enfants qui aimeraient devenir eux aussi agriculteurs. Toutefois, actuellement, des parents ne laisseront pas leurs enfants entrer dans le secteur de l'agriculture parce qu'ils ne veulent pas qu'ils subissent la même chose qu'eux.
Ce que nous proposons au gouvernement fédéral -- ainsi qu'au gouvernement provincial -- c'est l'adoption des trois dernières résolutions, qui feront en sorte que ces jeunes gens, s'ils deviennent agriculteurs, entreront dans une industrie stable et qui a de l'avenir, qui leur permettra de prospérer et de transmettre une entreprise à leurs propres enfants, en temps voulu.
Nous suggérons que pour les agriculteurs débutants ou pour les jeunes agriculteurs, on crée un programme de prêts. Actuellement, il y a un programme de cette nature de la Société du crédit agricole, et nous avions bien en Saskatchewan un programme appelé Farm Start. On pourrait actualiser ces programmes afin qu'un jeune agriculteur puisse acheter des terres, de l'équipement et du bétail, pour diversifier son entreprise. Par exemple, sur un prêt foncier de 100 000 $ sur 20 ans, pour chaque dollar de capital et d'intérêt versé par le jeune agriculteur, les gouvernements fédéral et provincial verseraient aussi un dollar, pour rembourser le capital. Essentiellement, une hypothèque de 20 ans serait amortie en sept ans et demi, ce qui procurerait un bon départ au jeune agriculteur.
Bien entendu, s'il doit emprunter de nouveau, il devra s'adresser aux banques, mais il aurait déjà une cote de crédit et des biens à présenter en nantissement.
Dans mes 10 ans de travail dans le domaine de la médiation, j'ai vu de nombreux pères qui, avec amour, ont aidé leurs fils et leurs filles à lancer une exploitation agricole. Mais comme le secteur agricole a connu de bien mauvaises années, non seulement ces fils et filles ont perdu leurs biens, mais leurs pères aussi, puisqu'ils les avaient offerts en nantissement. On ne peut pas continuer comme ça.
On prévoira un filet de sécurité pour le jeune agriculteur. Il faut toujours craindre les mauvaises années, dans les campagnes de la Saskatchewan et de l'Ouest du pays. Qu'arriverait-il si, par exemple, dans sa troisième année, il avait une mauvaise récolte ou il ne pourrait s'acquitter de ses obligations? La contribution gouvernementale de l'année précédente pourrait être utilisée pour effectuer le versement requis en capital et intérêt. Il serait pénalisé en ce qu'il lui faudrait une année de plus pour rembourser son prêt. Essentiellement, s'il avait deux ou trois mauvaises années pendant cette période de 20 ans, il ne serait pas considéré comme retardataire pour le remboursement du prêt et il ne perdrait pas les biens pour lesquels il a travaillé si fort. Il serait aussi encouragé à travailler à l'extérieur de l'exploitation agricole pour s'assurer d'effectuer son remboursement en sept ans et demi. Cela lui permettrait d'acquérir de bonnes pratiques financières et un bon sens de l'administration de son exploitation agricole.
Dans le cas des cultures céréalières, surtout en Saskatchewan, comme vous pouvez le voir dans le tableau qui vous a été remis, nous constatons qu'il n'y a pas de stabilité. Pour presque chaque denrée, le résultat est négatif. Cela explique bien ce qui se passe dans l'Ouest du pays. Il n'y a pratiquement pas de denrées dont la stabilité est assurée, sauf peut-être deux, dont les lentilles, qu'on ne peut pas cultiver partout en Saskatchewan. Ça, je peux vous le confirmer, car il est impossible de faire pousser de lentilles sur mes terres.
Nous avons décidé à l'époque de créer un programme qui aurait la faveur des banques. On nous a dit que ce serait le cas du programme ACRA, mais comme vous le verrez dans les documents provenant d'un directeur de caisse de crédit, c'est faux. Vous constaterez la même chose à partir des documents des comptables agréés. Si on présente cela à un directeur de banque, il ne dira pas: «Bon, je sais maintenant quel sera votre revenu.»
Nos deux dernières résolutions peuvent nous servir auprès des banques et il ne s'agit pas de résolutions qui n'ont pas fait l'objet de discussions ni de programmes qui n'ont pas déjà fait leurs preuves. Nous suggérons fortement au gouvernement fédéral que pour les 10 000 premiers boisseaux de blé -- y compris le canola, puisqu'il faut s'occuper du nord de la province où l'on cultive surtout du canola --, on paie un prix net de 10 $ le boisseau. Ainsi, chaque exploitation de la Saskatchewan qui produirait 10 000 boisseaux aurait un revenu stabilisé de 100 000 $.
Pour la plupart des gens ici, cela peut sembler une forte somme. Mais pour ma ferme, pour seulement cette partie de mon exploitation, les coûts de production atteindraient 65 000 $. Il ne me resterait que ce qu'il faut pour le coût de la vie et les coûts de production. Le reste de la récolte en sus des 10 000 boisseaux serait vendue à la valeur du marché.
On m'a posé des questions diverses à ce sujet. Tout d'abord, abuserait-on de ce programme? Non. Si, par exemple, un agriculteur ensemençait deux fois plus d'acres que nécessaire pour ce programme, il récolterait 20 000 boisseaux. Il obtiendrait 10 $ le boisseau pour les 10 000 premiers boisseaux, mais pour le reste, il ne recevrait que 3 $ le boisseau. Pour la campagne agricole suivante, il pourrait donc lui venir à l'esprit de cultiver autre chose. Il diversifierait son exploitation mais il aurait tout de même un produit, une de ces cultures, qui serait stabilisé, et cela nous mènerait à une meilleure diversification.
Dans le cas de Mike Cayer, par exemple, il cultiverait sans doute les 10 000 boisseaux de blé. Toutefois, il consacrerait un plus grand nombre d'acres aux pâturages ou au programme de couverture végétale permanente, il pourrait revenir à l'élevage et simplifier davantage son exploitation. Je ferais de même. J'aurais peut-être quelques cultures spécialisées pour les acres non emblavées; mais je convertirais sans doute de nombreuses acres en pâturage.
Dans le nord de la Saskatchewan, les agriculteurs produisent beaucoup de lin, dans les plaines au nord de Regina. Ils cultiveraient leurs 10 000 boisseaux de blé, mais ils voudraient certainement consacrer le reste de leurs terres à des cultures spécialisées.
De nos jours, en agriculture, pour avoir l'appui des banques, il nous faut au moins une culture stabilisée, afin que l'on puisse s'adresser aux banques chaque année pour un prêt pour notre exploitation, pour qu'on puisse dire à nos fournisseurs de combustible et d'engrais que nous produisons 100 000 $ de céréales et plus par année, pour que nous puissions prendre le risque de l'élevage, pour que nous puissions prendre le risque de cultiver d'autres denrées spécialisées. Il nous faut toutefois avoir au moins une culture complètement stabilisée.
La cinquième et dernière résolution que je vous présente aujourd'hui porte sur le rétablissement du programme RARB, qui a pris fin en 1995-1996. Le RARB était essentiellement un programme d'assurance du revenu brut. Nous voudrions certainement le rétablissement de ce programme, qui permettait à un agriculteur d'acheter une assurance-revenu à l'acre et dont les cotisations étaient payées par l'agriculteur et par les deux paliers de gouvernement.
Il y a un programme semblable aux États-Unis qui sera mis en oeuvre d'une manière encore plus avantageuse.
Je prétends que si un agriculteur veut assurer sa récolte pour un rendement de 150 $ l'acre, il devrait pouvoir le faire. Lorsqu'il s'adresse à une banque ou à un fournisseur, puis avec la garantie 10 et 10 du régime d'assurance, il aurait un niveau de revenu garanti pour son exploitation. Cette stabilité, c'est ce que veut toute entreprise. J'ai travaillé cinq ans dans le secteur manufacturier et je peux vous dire que cette stabilité est nécessaire. Il faut l'avoir.
Honorables sénateurs, il y a environ 50 000 d'agriculteurs en Saskatchewan; si nous ne réussissons pas à redresser la barre, 15 000 d'entre eux, d'après une estimation très modeste, n'exploiteront pas leur ferme cette année, et dans le cas des industries connexes, je puis prédire que plus de 20 000 personnes n'auront pas d'emploi. Prenons l'exemple de Flexicoil, à Saskatoon. Flexicoil est un très grand fabricant qui compte 1 800 employés; de ce nombre, 1 400 ont été mis à pied cette année. Il reste environ 400 employés, et m'a-t-on dit, si la tendance se poursuit en 1999, il est bien possible que ceux-là aussi se retrouvent en chômage. L'entreprise n'aura pas le choix. Elle compte sur ses marchés étrangers pour tenir le coup, mais il n'y a pas de garantie.
Le président: Monsieur Thomas, pourriez-vous conclure vos remarques? Nous avons de nombreuses questions à poser et d'autres témoins à entendre.
M. Thomas: Honorables sénateurs, j'ai presque terminé.
Les chiffres que je viens de mentionner ne sont pas irréalistes, ils sont bien fondés.
Merci d'avoir pris le temps de m'écouter, et merci au nom de M. Cook et de M. Cayer. Nous sommes tous actuellement en pleine saison du vêlage, et nos femmes et nos enfants s'occupent des animaux.
Le président: Merci de cette analyse très détaillée de la situation de l'agriculture dans les Prairies.
Nous aurons de nombreuses questions à poser. D'après ce que me disent les agriculteurs, il faudrait verser un paiement à l'acre sur les terres cultivées pour résoudre les problèmes dans l'immédiat. Il existe un problème immédiat et un problème à long terme. Pourriez-vous nous dire brièvement ce que vous en pensez? C'est ce que réclament les agriculteurs, du moins d'après ce que j'ai entendu dire.
M. Cook: Je répondrai avec plaisir à cette question. Dans cette crise, notre principale préoccupation est de voir à ce que la terre soit cultivée. C'est notre travail, en tant que producteurs, nous cultivons nos terres. Si nous n'avons pas l'argent pour ensemencer pour la prochaine campagne agricole, nous ne pourrons cultiver nos terres. Si nous en sommes empêchés, cela nuira également à ceux qui reprendront nos terres. C'est une simple question d'économie. Nous avons aujourd'hui une occasion qui se présente, mais cette occasion ne durera pas toujours. En versant environ 20 $ l'acre dans les Prairies, il serait possible d'ensemencer les terres et vous pourrez ensuite faire votre travail et trouver une solution à long terme à ce problème.
Il pourrait s'agir de coopératives privées qui permettraient aux agriculteurs d'obtenir une part des profits de la transformation. On sait que la transformation produit 18 p. 100 des recettes, et les agriculteurs, pour la production de base, reçoivent 2,4 p. 100. Nous pourrions aller chercher une part de ces revenus. Vous pourriez peut-être établir un programme à long terme fondé sur des indemnités d'assurance-récolte qui permettrait de recevoir des paiements si des indemnités ont été perçues trois années sur cinq, un peu comme dans le cas du Crop Loss Disaster Assistance Program des États-Unis. Ceux qui réussissent à obtenir des récoltes et n'ont pas besoin de cet argent n'y auraient pas droit. Les agriculteurs qui subissent des pertes de récoltes mesurables pourraient participer au programme. À l'heure actuelle, il nous faut environ 1,4 milliard de dollars pour ensemencer les champs.
Le sénateur Sparrow: J'ai plusieurs questions à poser, je vais en poser deux d'abord et je poserai les autres plus tard, monsieur le président.
Le Programme d'aide en cas de catastrophe lié au revenu agricole posait un certain nombre de problèmes, dont son formulaire de demande. J'ai essayé de l'analyser et j'en ai discuté également avec des comptables, et à première vue, il me semble que ce formulaire tient du délire. J'accepte la critique que vous avez faite du formulaire.
J'ai également reçu des lettres de comptables d'après qui le programme lui-même est une catastrophe, sans même parler de la catastrophe pour les agriculteurs.
Ce qui m'inquiète, c'est que vous demandez ce matin 80 $ l'acre. Je trouve que ce n'est pas réaliste. Cela signifierait au total un programme de quatre milliards à cinq milliards de dollars. Le gouvernement fédéral n'acceptera pas de faire passer ses investissements de 1 milliard à quatre milliards ou cinq milliards de dollars pour la province de la Saskatchewan. Il faut demander quelque chose d'un peu plus réaliste. J'espère que vous pourrez modérer vos demandes pour tenir compte de cela.
Vous avez également parlé d'un programme permanent qui garantirait 100 000 $ au titre des premiers 10 000 boisseaux de blé. Si cela se faisait, je me débarrasserais de tout ce que j'exploite, j'achèterais 320 acres de terre et je les cultiverais. Je ne cultiverais qu'en fonction du programme. En versant 10 $ le boisseau au titre des 10 000 premiers boisseaux, on injecterait dans la province environ cinq milliards de dollars chaque année. On saurait difficilement considérer cela raisonnable. Comme je l'ai dit, ce serait fou pour un agriculteur de cultiver 1 000 acres s'il peut cultiver en fonction de ce programme.
D'après vous, d'où proviendraient ces 3,5 à cinq millions de dollars supplémentaires pour la Saskatchewan? Cet argent viendrait-il du Trésor fédéral ou d'une taxe spéciale imposée sur le pain ou d'autres denrées? Évidemment, si l'on impose une taxe aussi importante sur le pain, par exemple, il sera facile d'importer ces produits de l'étranger, à moins que nous abandonnions le libre-échange.
Je vais d'abord laisser les témoins répondent à ces questions, monsieur le président.
M. Thomas: Il y a deux façons d'aborder ces questions. Dans les années 70, nous avions un système de double prix du blé. Ce système s'appliquait à tout le blé utilisé au Canada. Nous pourrions également inclure dans un tel programme toute l'orge utilisée au Canada.
Ces données me proviennent directement de la Direction générale de statistiques d'Agriculture et Agroalimentaire Saskatchewan. On y indique clairement que pour chaque agriculteur de la Saskatchewan, il y a environ 6 000 boisseaux de blé absorbés par le marché intérieur. Dans le cas de l'orge, cela représente environ 5 000 boisseaux. Lorsqu'on parle d'absorption par le marché intérieur, cela signifie que la denrée est soit consommée par les humains, soit utilisée en fourrage ou moulée pour le bétail.
Plus de 2 000 boisseaux par agriculteur en Saskatchewan sont consommés par les êtres humains, et ce, uniquement au Canada. Environ 900 boisseaux par agriculteur de la Saskatchewan sont également envoyés aux États-Unis à des fins de consommation humaine.
Dans le cas de l'orge, 4 000 boisseaux par agriculteur dans la province sont utilisés à des fins de consommation humaine, surtout pour la production d'alcool.
Nous croyons que c'est l'une des solutions au problème. Si l'on prend le coût réel du blé à double prix utilisé à des fins de consommation humaine, le blé pourrait rapporter environ 18 $ le boisseau, en se fondant sur l'ancienne formule.
Dans le cas de l'orge, les chiffres sont d'environ 7 $ le boisseau.
C'est l'une des solutions qui pourraient être envisagées, et cela paierait à peu près tous les frais d'un tel programme.
On a proposé une autre solution qui pourrait être acceptable sous le régime du GATT, et c'est que le gouvernement du Canada impose une taxe sur les aliments semblable à l'ancienne taxe de vente fédérale, c'est-à-dire une taxe cachée au niveau de la fabrication. Cette taxe pourrait payer les frais d'un programme comme celui-là et serait acceptable sous le régime du GATT puisque la majeure partie de la production serait utilisée à des fins de consommation au Canada au lieu d'être exportée sur les marchés étrangers.
Le sénateur Sparrow: Vous dites que cela représente 4 000 boisseaux d'orge par titulaire de carnet de livraison?
M. Thomas: Oui, d'après les statistiques que j'ai reçues de la province de la Saskatchewan.
Le sénateur Sparrow: Ces chiffres ne peuvent être exacts. Cela représente 260 millions de boisseaux d'orge.
M. Thomas: N'oublions pas que l'orge est également utilisée sous d'autres formes.
Le sénateur Sparrow: Ce que je veux dire, dans le cas de la consommation humaine, c'est que seulement 10 p. 100 de cette quantité sert comme orge de brasserie.
M. Thomas: Il sert également pour d'autres types d'aliments.
Le sénateur Sparrow: Mais seulement pour le bétail.
Cet argent vient-il des producteurs de bétail? Les producteurs de bétail paient-ils la différence dans le prix de cette orge, ou cet argent vient-il du Trésor fédéral?
M. Thomas: Il vient du Trésor fédéral. Il s'agit de la quantité de céréales utilisées au Canada aux fins de consommation humaine. Mais ces céréales servent également au Canada pour l'élevage du bétail. On parle d'absorption par le marché intérieur. Il s'agit des céréales utilisées à la production alimentaire ou comme denrée au Canada.
M. Cook: Permettez-moi de faire une observation au sujet de la taxe sur les aliments. Si vous pouvez obtenir les revenus à l'étape de la vente au détail, les consommateurs peuvent payer leur part. Aux États-Unis, environ 10,7 p. 100 de notre revenu brut, soit l'un des plus faibles pourcentages au monde, sert à payer les aliments. Toutefois, compte tenu du taux de change de votre dollar, les Canadiens dépensent pour l'alimentation un pourcentage plus faible de leur revenu brut que les Américains. En Inde, environ la moitié du revenu brut sert à l'achat d'aliments, et dans bon nombre de pays de l'Union économique européenne, c'est 20 p. 100 du revenu brut qui sert à cette fin.
En tant que producteurs, nous subventionnons les consommateurs grâce à la production à faible coût d'aliments. Il ne serait que juste, peut-être, que les consommateurs aident à stabiliser notre industrie au moyen d'une taxe quelconque sur la vente au détail.
Comme je l'ai montré dans mes chiffres, les grandes sociétés exploitantes de céréales qui parlent d'intégration ne nous paieront pas nos céréales. On ne nous verse de paiements qu'en cas de catastrophe naturelle, comme dans les années 80, lorsque le prix du blé a chuté à moins de 2 $. La catastrophe nucléaire de Tchernobyl, en Russie, a fait augmenter le prix du blé à plus de 2 $. Aux États-Unis, le versement des sommes provenant du programme d'amélioration économique a fait augmenter artificiellement le prix du marché et, grâce aux accords de libre-échange et à l'ALENA, vous pouvez écouler vos produits sur nos marchés. Le fait que notre trésor subventionne les prix de votre blé vous est utile. Ici, les agriculteurs ne peuvent profiter de ces prix.
De toutes les idées exprimées, c'est celle de la Commission du blé que je préfère, car je n'aime pas me faire avoir et j'aimerais que quelqu'un fasse une bonne commercialisation de mon blé. Toutefois, au cours des sept dernières années, la Commission du blé a versé de 40 à 70 cents le boisseau, environ, d'après les tableaux de l'USDA. Si l'on tient compte de ce que vous avez un avantage de 45 cents pour le transport ferroviaire dans les Prairies, comparativement à nous au Montana, et si vous ajoutez cela au montant, cela représente de 85c. à 1,10 $US le boisseau. Ajoutons à cela le taux de change, et cela donne un 1,20 $ à 1,60 $ le boisseau pour une mise en marché inefficace. Si cet argent nous avait été versé à nous, les producteurs, au cours de ces sept années, cela aurait représenté une somme considérable en comptant 20 boisseaux l'acre. Cela représente près de 200 $ l'acre, que nous n'avons pu obtenir. Nous avons subventionné à la fois les consommateurs et les grandes sociétés exploitantes de céréales. Cet argent nous a échappé.
M. Thomas: Vous avez sans doute tous vu les statistiques, mais l'avoine qui pousse dans les Prairies fait partie de la catégorie des céréales. Enfin, nous recevons 1,50 $ le boisseau. Une fois dans la boîte de céréales, cela représente 170 $ le boisseau.
Le président: Je vous signale que les sociétés exploitantes de céréales ont fait de bons profits. Nous entendrons trois de leurs représentants dans quelques instants. Ces entreprises ont fait des profits record pendant que les agriculteurs faisaient faillite. Aujourd'hui, au terminal de Weyburn, on se tiraille à propos des actions afin de savoir quels ont été les profits réalisés, si le jeu en vaut la chandelle ou si l'on devrait empocher et partir. Ces sociétés de grain ont fait beaucoup d'argent dont pas un sou n'a été retourné aux agriculteurs. Elles sont devenues elles-mêmes des conglomérats.
Le sénateur Spivak: J'ai été surtout intéressée par l'idée d'une taxe sur les aliments. Il y a quelques années, un ancien ministre de l'Agriculture qui comparaissait devant nous dans nos premières audiences sur l'avenir de l'agriculture avait parlé de part équitable. Il est évident que les revenus provenant de ce que produisent les agriculteurs ne sont pas distribués de façon équitable.
À part les solutions à court terme que vous proposées, que peut faire le gouvernement pour rétablir l'équité à long terme? Le système n'est pas équitable et l'on est en droit de s'interroger sur l'état de la concurrence dans le secteur alimentaire et dans le libre-échange. On nous dit toujours que ce sont les moyens d'avoir la merveilleuse économie de marché. Toutefois, si cela ne marche pas et que ce n'est pas équitable, on ne peut parler de bonne économie de marché.
Je comprends les solutions à court terme ainsi que les aspects plus techniques, mais que pouvez-vous proposer au sujet des problèmes à long terme?
M. Cook: Tout d'abord, il y a des allégements fiscaux. Nous travaillons dans un secteur très cyclique. Certaines années, nous pouvons réaliser des profits, d'autres pas, en raison des conditions atmosphériques et d'autres facteurs sur lesquels nous n'avons aucun contrôle. Il y a aussi les conditions du marché international -- les échecs des économies asiatique et russe, qui expliquent dans une large mesure nos chiffres d'affaires. Il y a également le fait que les États-Unis se servent de l'agroalimentaire comme d'une arme.
À l'heure actuelle, nous avons des difficultés avec environ 80 pays, ce qui représente 11 p. 100 du marché international. Les agriculteurs américains perdent environ 65 cents le boisseau en raison des embargos que nous imposons, et cela vous touche directement.
Ce qui nous aiderait, c'est l'étalement du revenu. Cette solution a été écartée il y a quelques années aux États-Unis, car on croyait que cela ne donnait pas de bons résultats, mais elle a finalement été adoptée, de sorte que nous pouvons étaler nos revenus sur une période de cinq ans. Nous pouvons le faire entre les années où nous faisons des profits et celles où nous accusons des pertes. Cela nous aide.
Vous pouvez également nous aider en matière d'information, d'allégements fiscaux et de mesures relatives aux coopératives privées. Dans le Dakota du Nord, il y a un groupe d'agriculteurs qui porte le nom de Prairie Pasta Producers. Ce groupe moud du blé dur et fabrique des pâtes alimentaires. Il a signé des ententes avec des entreprises de transformation de produits alimentaires pour vendre ses pâtes. Cette expérience a démontré que nous pouvions obtenir un rendement de 18 p. 100 dans la transformation des aliments. Le groupe a obtenu un taux de rendement d'environ 25 p. 100. Il achète à bas prix du blé dur du Canada et le transforme en pâtes alimentaires qu'il vend aux consommateurs. C'est ce qui lui permet de faire un profit d'environ 25 p. 100. Il existe une autre coopérative privée en Géorgie, la United Spring Wheat Processors. Le consommateur ordinaire ne peut participer à ces coopératives. Seuls peuvent en être membres des agriculteurs actifs qui possèdent leurs propres terres et investissent dans la coopérative.
Le sénateur Tkachuk: C'est pourquoi vous parlez de coopératives privées?
M. Cook: Oui. Seuls les agriculteurs peuvent y participer. Vous avez au Canada les gens et la technologie nécessaires pour mettre sur pied de telles coopératives. Un groupe a essayé de le faire récemment, mais la Commission du blé a déclaré qu'elle ne pouvait laisser la coopérative acheter les produits directement des agriculteurs; elle devait acheter les produits auprès de la Commission du blé.
Il faudrait réformer la Commission du blé. Si la mise en marché qu'elle fait a donné de moins bons résultats qu'aux États-Unis, il faudrait y voir. Nommons-y des gens qui sauront utiliser les options et les outils à leur disposition pour aller chercher cet argent pour les agriculteurs. Si la commission réussit à bien mettre en marché notre blé, nous nous en porterons tous mieux et vous n'aurez pas besoin de nous verser de subventions.
Le sénateur Spivak: Que pensez-vous des restrictions imposées sur la vente des terres? Nous avons visité la Finlande, par exemple, où il est interdit au secteur forestier -- y compris à d'énormes entreprises très rentables -- d'acheter les terres de petits propriétaires de boisés.
Croyez-vous que les grandes entreprises agroalimentaires pourraient finir par acheter toutes les terres au Canada, croyez-vous que le gouvernement devrait adopter une politique pour limiter la vente de ces terres?
M. Thomas: Vous entendrez plus tard un organisme qui s'est lancé dans l'agriculture commerciale. En Saskatchewan, l'âge moyen des agriculteurs est aujourd'hui de 60 ans. Ce chiffre augmente sans cesse, car les jeunes agriculteurs renoncent à l'agriculture. Chaque année, l'âge moyen augmente de deux à trois ans environ.
Comme on l'a fait remarquer, les agriculteurs vendront leurs terres à des prix de misère, car c'est la seule façon pour eux de se retirer avec un peu de dignité. Si les grandes sociétés agricoles se présentaient aujourd'hui en Saskatchewan avec l'argent nécessaire, elles pourraient acheter toute la province et nous la leur vendrions probablement. Voilà quelle est la situation en Saskatchewan.
Le sénateur Tkachuk: La loi n'empêche-t-elle pas une telle chose à l'heure actuelle, à moins que ces sociétés ne soient déjà établies en Saskatchewan?
M. Thomas: Je vis dans une région où l'on trouve de nombreux investisseurs allemands et étrangers. Ils ne vivent pas dans la province. Ils n'ont qu'un membre de leur famille dans la province. Il y a toujours moyen de contourner les lois.
Le sénateur Tkachuk: Ils contournent les lois.
M. Cook: J'ai une chose de plus à dire au sujet des grandes sociétés agricoles. On entend parler d'OMG, d'organismes modifiés génétiquement. Les grandes entreprises ont utilisé les OMG pour augmenter le prix des semences qu'elles nous vendent de 400 à 1 000 p. 100. Si cela leur était possible, elles nous vendraient de la semence d'hybride de blé afin que nous ne puissions utiliser les semences que nous produisons nous-mêmes. Elles veulent que nous achetions auprès d'elles chacun de nos boisseaux. Cela nous obligerait à acheter d'elles également les produits chimiques nécessaires à ces récoltes. Elles sont en train de nous lier les mains. C'est une situation extrêmement dangereuse. Je m'y oppose. Elles nous montrent tous les moyens par lesquels elles peuvent nous soutirer de l'argent. Nous ne pouvons utiliser qu'un seul produit chimique. Si vous utilisez ce produit, cela réduit vos coûts de production. Mais les coûts d'intrant sont si élevés que nous ne pouvons nous les offrir.
M. Thomas: Pour le canola, il existe un produit qui coûte 142 $ l'acre.
Le sénateur Whelan: Monsieur Cook, en écoutant votre exposé, il m'a semblé que la situation des agriculteurs est encore pire que tout ce que j'avais déjà entendu, surtout si l'on considère que le reste de la société a un niveau de vie assez élevé. Certains ont parlé d'une grippe asiatique de l'économie -- une grippe économique qui nous serait venue des pays d'Asie du Pacifique. J'ai parlé au nouveau président de la société Chrysler, qui est venu aujourd'hui déjeuner avec des députés. Ce problème ne nous a pas touchés du tout. Et pourtant, les producteurs les plus importants, comme vous l'avez si bien dit, les producteurs d'aliments, ont été frappés de plein fouet. Pour les économistes, il s'agit d'un des effets de l'ancienne loi de l'offre et de la demande.
Monsieur Cook, vous exploitez une entreprise agricole aux États-Unis. J'ai lu dans un article l'autre jour que le secrétaire américain de l'Agriculture dit que les États-Unis reviendront à l'ancien régime de gestion de l'offre du blé. Vous parlez de conservation, comme les Européens. Nous avions auparavant le programme LIFT, c'est-à-dire le programme de réduction des stocks de céréales. Je m'y étais plus ou moins opposé à l'époque. Ce programme n'a été mis en oeuvre que pendant un an, je crois; il avait fallu donner aux agriculteurs des allégements fiscaux parce qu'ils avaient dû stocker dans leurs fermes leur blé pendant trois ou quatre ans sans aucune indemnité. Nous avons dû modifier la loi pour qu'ils puissent livrer leur blé, puisque la demande internationale de céréales avait pris une grande ampleur.
J'ai une coupure de presse d'hier, dans laquelle on dit que le génie génétique commence à donner des résultats. L'auteur dit qu'il y a maintenant du maïs capable de tuer ses parasites, des végétaux dont l'huile contient moins de cholestérol et des bananes qui permettent de lutter contre les infections. D'après cet article, tous ces miracles biotechnologiques rapporteront de gros sous.
Qui a fait cette déclaration? Vous le connaissez tous très bien, puisqu'il s'agit de l'ancien ministre de l'Agriculture de la Saskatchewan, Lorne Hepworth. Mais il a en fait décidé de faire de l'argent plutôt que de vous aider.
Comme d'autres membres du comité, j'ai des réserves sérieuses à exprimer.
Nous nous demandons où aller chercher l'argent. Nous pouvons tous nous interroger, si l'on tient compte des profits que réalisent les entreprises céréalières, les fabricants de céréales et les exploitants d'abattoirs, surtout dans le secteur du porc. Vos chiffres montraient, je crois, les prix les plus bas aux États-Unis depuis 60 ans. Les consommateurs n'ont en rien profité du faible niveau de ces prix, ou à peu près pas. Le prix des denrées qu'ils achètent dans les supermarchés n'a pas diminué.
Si l'on veut vous trouver de l'argent, le premier endroit où aller, ce serait chez les entreprises de manutention du grain. L'UGG est une entreprise qui compte de nombreux actionnaires. Il en est de même du Saskatchewan Wheat Pool. Ce système leur rapportera beaucoup d'argent. Elles pourraient peut-être partager ces profits avec les agriculteurs, puisque ceux-ci n'ont pas beaucoup d'argent pour acheter des actions à l'heure actuelle.
J'ai une question à vous poser. Je n'aime pas beaucoup la mondialisation. De nos jours, les bouleversements dans le monde ne sont pas seulement d'ordre économique. Il y a aussi des guerres, et la situation est pire qu'elle ne l'a été depuis des décennies. Que pensez-vous des effets de la mondialisation? Tout le monde parle de mondialisation, moi, c'est ce que j'appelle la «mondo-spoliation».
Les chiffres que vous nous avez montrés révèlent à quel point les entreprises de produits alimentaires et de produits chimiques contrôlent une grande partie de l'économie. C'est également le cas des transformateurs et des détaillants. L'autre jour, j'ai vu des chiffres montrant que d'ici l'an 2003, quatre ou cinq grandes sociétés pourraient contrôler plus de 80 p. 100 du secteur alimentaire.
M. Cook: Ce n'est pas moi qui ai produit ces chiffres, malheureusement. Je ne suis pas si brillant que cela. Je les ai trouvés à gauche et à droite et j'ai réuni quelques idées. C'est le rédacteur d'un journal agricole important des États-Unis qui a dit que la crise agricole des années 80 était due au fait que nous avons injecté 9,3 milliards de dollars dans des économies asiatiques dotées de banques boiteuses. Nous avons échafaudé leurs économies afin qu'elles deviennent les régions qui devaient acheter et consommer tous les aliments que nous pourrions produire, en raison de leur population. Lorsque tout cela s'est effondré dans les années 80, on a vu les effets que cela a eus sur le prix mondial du blé. Ce prix est tombé en chute libre. Nous voilà maintenant dans les années 90, environ trois ans après l'incident de Thai-Baht, sur le marché asiatique. Au lieu d'injecter 9,3 milliards de dollars, c'est 93 milliards de plus que nous avons investi dans ces économies, qui sont toujours dotées de banques boiteuses. Nous avons consolidé leur économie de nouveau, mais lorsqu'on a remarqué que les choses n'allaient pas bien et qu'on a décidé d'examiner la comptabilité, on a constaté qu'il n'y avait pas de comptabilité. Paf! Fini l'argent, finies les exportations. Nous avons alimenté nos propres exportations au moyen de ces investissements. Lorsque ce marché s'est effondré, nous en avons subi les effets.
Il faut, au Canada et aux États-Unis, une agriculture stable et viable. Cela signifie que nous devons pouvoir produire aujourd'hui et demain sans nuire à l'environnement et sans nuire aux personnes qui bénéficient de ces produits.
Avec la mondialisation, nous devons faire concurrence à des gens du Brésil qui peuvent incendier une forêt vierge et l'ensemencer jusqu'à ce que la terre devienne si stérile qu'elle cuira comme une brique et qu'il ne sera plus possible d'y faire rien pousser. Voilà à quoi nous devons nous opposer dans une agriculture mondialisée. Vous parlez de faible coût. Lorsque ces produits arrivent ici, nous devons baisser nos coûts pour leur faire concurrence. Il n'est pas possible de faire cela et de demeurer viable. Nous devons toutefois avoir une agriculture viable afin de pouvoir continuer à cultiver nos terres et de conserver nos agriculteurs. Autrement, c'est toute l'économie qui subira le sort de l'agriculture.
Le sénateur Fairbairn: Il y a tant de questions qui me viennent à l'esprit aujourd'hui que je n'aurai jamais le temps de les aborder toutes. Laissez-moi dire d'abord que juin prochain marquera mon 15e anniversaire au Sénat. Or, pendant tout ce temps, ou presque, j'ai été membre de ce comité-ci. Le problème que vous mentionnez ne semble cesser de revenir à la surface, que ce soit au cours des périodes de sécheresse, des périodes où les prix sont mauvais ou des périodes d'endettement agricole. Il semble constituer un obstacle que l'on n'a pas réussi à surmonter au cours de toutes ces années.
Mais pendant tout ce temps, notre comité, par le truchement de tous ses membres passés et présents, a toujours soutenu farouchement la ferme familiale et a toujours prôné son maintien et sa durabilité.
Le Canada n'a pas connu la guerre ni la famine, et ne semble donc pas tenir à protéger farouchement notre capacité à nous nourrir nous-mêmes, contrairement à ce que l'on constate dans d'autres pays, et particulièrement en Europe. On le constate d'ailleurs dans toutes les négociations de l'Organisation mondiale du commerce et du GATT. Les Européens ont connu la famine et la guerre et la connaissent encore aujourd'hui. Leur capacité à faire durer leurs terres agricoles leur est beaucoup plus précieuse aujourd'hui, contrairement à ce que l'on constate au Canada en termes de durabilité individuelle des agriculteurs et de soutien à leur égard.
J'ai écouté avec soin ce que vous disiez des grandes fermes constituées en société. Nous en avons déjà eu ici. Il y a de nombreuses années, je me rappelle avoir entendu un de leurs représentants affirmer qu'à leur avis, les frontières nationales n'existent plus. Il est évident que si ce sont des gens comme cela qui viennent s'installer au Canada, ils se préoccupent peu du sort de l'agriculteur canadien. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
Ces fermes constituées en société veulent faire de bonnes affaires agricoles au Canada; je veux bien qu'elles aient pour objectif d'être productives, mais que font-elles du bien-être des agriculteurs, comme ceux de la Saskatchewan dont 15 000 d'entre eux ne pourront plus cultiver leurs terres, d'après ce que vous avez dit? Les pressions et les contraintes du système actuel feront-elles disparaître des formes? Est-ce vraiment ce dont nous parlons aujourd'hui? Les forces dues à la mondialisation sont-elles devenues à ce point énormes que nos agriculteurs, même s'ils sont soutenus par le gouvernement, auront du mal à survivre?
M. Thomas: Rappelons-nous que dans les régions rurales de la Saskatchewan, les agriculteurs soutiennent plusieurs industries. Si les fermes constituées en société s'installent chez nous, elles achèteront leur combustible ailleurs et l'importeront, sans l'acheter des fournisseurs locaux. Elles importeront également leurs engrais et leurs produits chimiques. Elle n'achèteront même pas leurs produits d'épicerie de l'épicerie locale. Elles choisiront de commercialiser leurs produits par le truchement de leurs propres organisations, que leurs marchés se trouvent aux États-Unis ou en Europe. La Commission canadienne du blé n'existera plus, car ces sociétés ne croient pas en la vente dirigée. Leur présence détruira le monde que nous connaissons aujourd'hui dans les régions rurales de la Saskatchewan; elles détruiront tout le paysage actuel.
Le sénateur Fairbairn: Nous qui cherchons à tenir des audiences sérieuses sur l'avenir de l'agriculture et de la politique agricole au Canada, vers quoi pouvons-nous nous tourner? Ce que vous décrivez est une énorme pierre d'achoppement. On peut bien en parler, mais à vous écouter, je constate que l'on a injecté d'énormes sommes dans le système, comme on l'a fait en Saskatchewan il y a de cela bien des années. Or, cela ne semble pas avoir réussi à renverser la vapeur.
Ce sont mes propres préoccupations et ma propre frustration que j'exprime ici, car la production alimentaire est au coeur même de la survie de nos agriculteurs. Qu'est-ce qui peut bien inciter les jeunes agriculteurs à prendre la relève?
M. Cayer: Il y a bien des choses qui nous freinent. L'une d'entre elles, c'est que la faible production de cette année réussira peut-être à couvrir les factures de l'année dernière et une partie de celles de cette année, mais dès que l'agriculteur fait un peu d'argent, il doit payer un montant énorme d'impôt sur le revenu. Moi-même, je ne serai pas en mesure de payer toutes mes factures cette année. Les agriculteurs ne sont pas en mesure de payer leurs factures, et pourtant, ils ont de l'impôt sur le revenu à verser. On ne nous permet plus d'étaler notre revenu sur les années suivantes. Mais nous réclamons de revenir à la méthode de l'étalement du revenu, car c'est la seule solution pour le Canada de demain.
M. Thomas: Autrefois, le programme d'étalement du revenu nous permettait de reporter les pertes à un exercice ultérieur, mais il ne nous est plus possible de le faire.
Le paiement à l'acre est une solution à court terme. Notre gouvernement doit néanmoins proposer une politique agricole à long terme semblable à celle des États-Unis, où la politique appelée «Freedom do Farm», qui remonte à 1996, s'appliquera jusqu'en l'an 2002. Le programme américain est valable pour six ans.
M. Cayer: Nous avons réussi à garder nos fermes, grâce à nos revenus d'appoint. Ma propre famille va chercher des revenus d'appoint de 40 000 $, mais ces revenus sont tous réinjectés dans notre exploitation agricole. Or, je perds chaque année plus d'argent que cela et le revenu d'appoint ne suffit plus.
Autour de chez moi, il n'y a plus d'agriculteurs vivant sur place. Dans mon canton qui compte six milles carrés, seule une famille vit encore sur sa ferme. En Ontario, c'est quelque chose qu'on a du mal à comprendre. Je n'ai pas de voisin à moins de six milles de chez moi. Si ma voiture tombe en panne, je dois marcher plusieurs milles à moins que je puisse joindre quelqu'un par radio ou par téléphone cellulaire, car il n'y a pas âme qui vive autour.
Dans ma localité, 95 p. 100 des gens travaillent à l'extérieur de la ferme. Ceux qui travaillent encore dans l'exploitation agricole réussissent à garder leur ferme avec de l'argent qui leur provient d'un héritage, par exemple. Tant mieux pour eux, mais tous les autres ne survivent que grâce à leurs revenus d'appoint. Le propriétaire d'une confiserie qui est déficitaire n'est pas obligé de se trouver un emploi ailleurs pour pouvoir garder son petit commerce: il peut mettre la clé dans la porte. Mais les agriculteurs refusent de mettre la clé dans la porte, à cause de trois ou quatre générations qui les ont précédés à la ferme.
Moi-même, je n'abandonnerai pas ma ferme. Quand mon père est parti, il avait suffisamment d'argent pour construire une maison. Nous ne lui versons pas beaucoup d'argent. Il aurait pu vendre sa ferme à quelqu'un d'autre il y a dix ans, à raison de 500 $ l'acre. Mais il a quitté la ferme avec un petit peu d'argent, et nous lui avons donné un peu d'argent lorsque nous avons racheté la ferme, car il ne recevait pas de pension de vieillesse. Je ne me rappelle pas exactement pourquoi, mais il ne pouvait pas recevoir sa pension. Aujourd'hui, il vit dans la pauvreté après 50 ans de dur labeur agricole. Mes parents ne peuvent pas se payer les voyages qu'ils auraient voulu faire. Ils ont budgété avec d'infinies précautions, dans le but de nous laisser la ferme.
Si je devais refaire ce que j'ai fait il y a 15 ans, je n'achèterais pas la ferme. J'aurais continué à travailler à l'extérieur, et j'aurais cédé la ferme à quelqu'un d'autre.
M. Thomas: Un jeune couple dont la femme était infirmière et dont le mari avait une profession à la ville est venu me voir. Il semble qu'au départ, ils avaient 100 000 $ de REER, mais qu'aujourd'hui, après avoir vécu de leur exploitation agricole pendant 10 ans, ils ont vidé leur REER et ont 26 000 $ de dettes.
Le sénateur Fairbairn: Mais comme disait le sénateur Sparrow, il y a plus que simplement de l'argent en jeu. Nous et vous, comme partenaires, devons envisager d'autres solutions que les injections d'argent. Il faut étudier tous les autres facteurs, car injecter purement de l'argent dans le système agricole est une solution limitée pour le gouvernement.
M. Thomas: Nous nous plaisons à dire qu'il ne faut pas emprunter pour rembourser ses dettes.
Le sénateur Fairbairn: En effet, car c'est rêver en couleur.
Je voudrais revenir à ce qu'a dit M. Cayer au sujet du stress, car cela m'a touchée. Il n'y a pas si longtemps, je me rappelle qu'en Saskatchewan et ailleurs aussi, les pressions étaient à ce point élevées que des réunions et des ateliers sur la gestion du stress avaient été mis sur pied pour aider les gens, car il était beaucoup question à l'époque de l'effritement des familles et de menaces de suicide. La situation était tragique à l'époque.
Il faut être bien conscient du problème et du coût qu'il entraîne, non seulement en termes d'argent mais aussi en termes humains.
M. Thomas: Un ministre du culte du nord-ouest de la province m'a appelé pour m'informer qu'il y avait des menaces de suicide dans huit familles de sa paroisse et qu'il était en communication téléphonique avec elles tous les jours.
Le sénateur Fairbairn: C'est quelque chose que ne comprennent pas ceux qui s'approvisionnent au supermarché.
Le sénateur Tkachuk: Je suis en visite aujourd'hui à ce comité-ci, car je pensais pouvoir faire part de mon expérience de la politique agricole en Saskatchewan.
Dans les années 80, notre gouvernement provincial a dû prendre certaines décisions -- ce qu'il a fait -- pour pouvoir sauver l'exploitation agricole familiale. Or, à cette époque-là, la sécheresse sévissait dans la province, de même que des prix dérisoires pour les denrées.
Je conviens avec vous que le programme est plus compliqué qu'il ne devrait l'être. Ce n'est pas une question d'inefficacité chez les agriculteurs mais plutôt de faiblesse des prix. Ce n'est pas la faute non plus du syndicat du blé ou de la United Grain Growers qui ont tous deux une présence sociale exemplaire. D'ailleurs, ceux qui ont gardé leurs parts dans le syndicat du blé ont assez bien réussi. C'est d'ailleurs ce qu'auraient dû faire les agriculteurs, savoir garder leurs parts dans le syndicat du blé ou à la UGG. Nul besoin d'aller chercher des ennemis ailleurs, car il suffit de nous regarder nous-mêmes. Si l'agriculteur est pauvre, c'est que le prix du grain est faible, parce qu'il y en a beaucoup trop sur le marché. Il est possible d'acheter blé et orge à un prix dérisoire. La situation n'est pas plus compliquée que cela.
Les multinationales dont nous avons parlé peuvent acheter leur blé à des prix dérisoires. Elles ne sont pas obligées de l'acheter de la Saskatchewan, et c'est ce qui explique qu'elles puissent l'avoir à raison de deux dollars le boisseau. Il revient au Canada de choisir sa politique agricole nationale et de décider s'il veut ou non continuer à avoir des collectivités agricoles dynamiques. Voilà la décision à prendre. Nous connaissons les problèmes et nous savons que les gouvernements européens subventionnent leurs agriculteurs et inondent les marchés de céréales et d'autres produits subventionnés. Nous savons également que l'on commence déjà à exploiter de grandes superficies de nouvelles terres agricoles un peu partout dans le monde, telles que les terres des forêts tropicales humides au Brésil. La difficulté, c'est donc la surabondance du produit agricole.
Je ne suis pas intéressé à écouter des tas de gens blâmer les autres de l'existence du problème. Les gens du comité sont à la recherche de solutions, et je suis d'accord avec eux. Ne me faites pas dire que je refuse que le gouvernement verse de l'argent pour aider les agriculteurs. Mais je ne perçois pas nécessairement les membres du comité comme des ennemis.
Le président: Pendant 20 ans, on a entendu dire que si les Européens et les Américains cessaient de subventionner leurs agriculteurs, la crise disparaîtrait. Mais on continuera à affirmer la même chose pendant 10 ans encore tant qu'il y aura des pourparlers commerciaux à l'échelle internationale. Notre comité revient tout juste d'Europe. Je ne sais si mes collègues qui m'accompagnaient là-bas seront d'accord avec moi là-dessus ou s'ils me fusilleront, mais le fait est que les Européens n'ont pas l'intention de cesser de verser des subventions, car ils protègent leurs agriculteurs sans réserve, tout comme le font les Américains. J'en suis venu à la conclusion qu'il était grand temps pour nos gouvernements, provinciaux et fédéral, d'appuyer aussi sans réserve nos agriculteurs canadiens.
Je crois que c'est ce que vous avez affirmé, sénateur Tkachuk, au début de vos propos. Vous avez également dit que les grandes sociétés agricoles n'empochaient pas tellement d'argent.
Le sénateur Tkachuk: Non, ce n'est pas ce que j'ai dit.
Le président: On vient de nous donner des chiffres sur la boîte de Wheaties: la boîte de Wheaties coûte 3,50 $, mais l'agriculteur reçoit à peine 3 cents. Vous trouvez cela équitable?
Il faut trouver une solution à ces problèmes très graves.
Le sénateur Taylor: Il y a une chose qui m'embête depuis plusieurs années, et c'est le prix des terres agricoles. D'une façon générale, on peut évaluer la santé de l'industrie de l'immobilier d'un pays en regardant le prix des terrains. On peut savoir combien valent les terrains dans une municipalité donnée. Si celle-ci est en expansion, les terrains coûtent cher, mais si elle est en récession, ils se vendent pour une bouchée de pain. Toutefois, pour une raison qui m'échappe, le prix des terres agricoles est resté assez stable, et il va même jusqu'à augmenter. Vous avez parlé de 500 $ l'acre dans votre région. Je ne comprends pas que l'exploitant d'une entreprise puisse affirmer mourir de faim et ne pas pouvoir survivre alors que le prix de ses terres reste stable. Il y a bien quelqu'un qui achète vos terres agricoles, n'est-ce pas? En fait, vous venez même nous demander de vous prêter de l'argent pour que les jeunes agriculteurs puissent acheter des terres. Je crois que c'est la même chose aux États-Unis.
Qu'est-ce qui permet de maintenir au même niveau ou même de faire augmenter le prix des terres agricoles, alors que les agriculteurs maintiennent qu'ils vivent dans la pauvreté? Que se passe-t-il réellement? Qui paye?
M. Thomas: En Saskatchewan, si vous voulez aujourd'hui acheter des terres agricoles, vous devez emprunter pour ce faire, et le service de la dette entre donc en jeu. Mais peu importe le type de culture que vous choisissez, vous serez déficitaire, ce qui explique que votre terre n'a aucune valeur d'usage.
Dans ma région, les terres agricoles se sont vendues particulièrement parce que les autochtones les ont achetées. Les terres pouvaient se vendre en général jusqu'à 70 000 $ par quart de section.
Le sénateur Taylor: Vous avez bien dit les autochtones? Ce sont eux qui achètent les terres?
M. Thomas: Oui.
Le sénateur Taylor: Il est grand temps!
M. Thomas: Ils en ont acheté quelque 100 sections dans mon coin de pays.
M. Cayer: On leur donne l'argent pour qu'ils les achètent.
M. Thomas: Depuis qu'ils ont cessé d'acheter des terres dans cette région-là, le prix a chuté à 30 000 $ par quart de section. Maintenant, le quart de section se vend à 16 000 $, et pourtant personne ne l'achète.
M. Cayer: Les terres achetées le sont par des agriculteurs qui ont l'argent du programme de retrait facultatif des terres en culture. C'est l'argent de ce programme et l'argent ancien qui sert à acheter ces terres. Dans ma région, l'agriculteur le plus jeune a 33 ans. Moi, j'ai 40 ans aujourd'hui et je ne crois pas qu'il y ait une dizaine d'agriculteurs de moins de 40 ans dans toute notre région.
M. Thomas: Pour ma part, j'ai 50 ans, et je suis le plus jeune agriculteur de mon coin.
Le sénateur Taylor: Il y a quand même des gens qui achètent les terres à prix fort. Est-ce que ce sont seulement des échecs dont nous entendons parler? Il y a bien des gens qui font suffisamment d'argent puisqu'ils peuvent acheter des terres.
M. Thomas: Non, ceux dont vous entendez parler ne sont pas des ratés. Les divers gouvernements ont affirmé que nous devions nous débarrasser des agriculteurs non productifs. J'ai fait de la médiation dans les années 80, à l'époque de la sécheresse et des sauterelles qui nous envahissaient. On parlait alors d'agriculteurs inefficaces. Mais après les années 80 et les taux d'intérêt élevés, après la sécheresse et après les sauterelles, on ne peut plus parler d'agriculteurs qui ne savent pas ce qu'ils font. Ces agriculteurs ont réussi à survivre pendant 20 mauvaises années. Dans ma région, ce qui a maintenu le prix des terres à un niveau artificiellement élevé, ce sont les investissements étrangers et les achats des autochtones; quant aux jeunes agriculteurs qui se bousculeraient au portillon pour acheter nos terres à et qui en feraient ainsi grimper le prix, il n'y en a pas. J'ai presque 50 ans, je le répète, et je suis le plus jeune agriculteur de ma région.
Le sénateur Taylor: Au Sénat, vous seriez considéré comme une jeunesse.
M. Cook: Je voudrais parler du prix des terres. Au Montana, le prix des terres a chuté et s'est stabilisé, en grande partie parce que c'était des terres à bétail plutôt que des terres à culture, mais aussi parce que nous subventionnons nos agriculteurs. C'est grâce aux injections de fonds du gouvernement que nous sommes encore dans le décor. Ici, le prix des terres a chuté, faute d'injection de fonds. En 1974, nous achetions ces terres à 75 $ l'acre. Nous serions fort heureux si, aujourd'hui, nous pouvions obtenir 150 $ l'acre. De façon générale, on dit qu'il est possible, dans la plupart des cas, de doubler sa mise tous les sept ans lorsque l'on fait des investissements. Or, de 1974 à aujourd'hui, cela représente 25 ans. Je m'estimerais chanceux d'obtenir aujourd'hui cent cinquante dollars canadiens pour une acre de cette terre, c'est-à-dire cent dollars américains. Mais la même terre au sud de la frontière vaudrait 300 $ l'acre dans mon comté, et dans le comté avoisinant, où il y a l'argent du pétrole, elle vaudrait 400 $ l'acre.
Nous avons retiré aux agriculteurs la valeur nette réelle de leurs terres. Ces terres devraient avoir une valeur nette réelle, mais elles n'en ont pas à cause de la faiblesse des prix des denrées et de l'absence de soutien gouvernemental. Lorsque nous demandons à nos banquiers de nous consentir des prêts à l'exploitation ou que nous avons besoin d'argent pour réparer notre équipement, on nous le refuse en prétextant que nos terres n'ont pas de valeur nette, ce qui est vrai, car nos terres n'ont plus de valeur nette. Comme agriculteurs, nous avons donc perdu la moitié de nos avoirs dans notre terre et dans notre machinerie, à cause de la faiblesse des prix et de l'absence d'aide gouvernementale.
Le président: Messieurs, merci d'avoir accepté de comparaître. Je suis sûr que nous pourrions facilement passer encore une heure là-dessus. Cet échange de points de vue a été très fructueux. Merci d'avoir expliqué la situation à notre comité sénatorial.
M. Thomas: Au nom des trois agriculteurs ici présents, je remercie le Sénat de nous avoir invités. Nous ne prétendons pas représenter tous les agriculteurs de la Saskatchewan, mais nous avons constaté, au cours des deux mois et demi derniers, que nous représentions un très grand pourcentage des agriculteurs de notre province, et particulièrement ceux qui ont des revenus à l'extérieur de la ferme. Dans notre province, 50 000 agriculteurs et leurs femmes travaillent ailleurs que dans la ferme. Si nous pouvions renverser la vapeur, 40 à 45 000 d'entre eux pourraient retourner sur leurs terres et créer d'autres emplois dans notre province.
Le président: Je demande maintenant à MM. Brian Saunderson, Marvin Shauf et Blair Rutter de s'avancer à la table des témoins.
Messieurs, vous avez la parole.
M. Brian Saunderson, vice-président, Agricore: Mesdames et messieurs du Sénat, je suis le vice-président élu d'Agricore, mais je suis aussi un agriculteur du sud-ouest du Manitoba, de la région de Souris. Merci de nous avoir invités.
Agricore est une toute nouvelle coopérative d'agriculteurs créée par la fusion de deux coopératives, l'Alberta Pool et la Manitoba Pool. Nous comptons 50 000 membres propriétaires qui sont des exploitants actifs et nous avons un personnel de plus de 2 000 employés. Plus de la moitié des grains, des oléagineux et des cultures spéciales livrés aux silos de l'Alberta et du Manitoba passent par notre coopérative qui représente 23 p. 100 de la capacité totale de traitement dans les Prairies. Seule ou en partenariat, Agricore possède et exploite des silos terminus à Vancouver, Prince Rupert et Thunder Bay.
Nous sommes un gros fournisseur d'intrants agricoles, par exemple d'engrais, de graines et de produits de protection des cultures. Comme nous sommes une coopérative, toutes ces activités commerciales sont administrées par nos membres propriétaires exploitants agricoles et elles bénéficient à l'ensemble des agriculteurs.
Je ne puis m'empêcher de répliquer à ce que j'ai entendu dire plus tôt au sujet des profits qu'empocheraient les sociétés céréalières, même si j'ai oublié les termes exacts employés. Nous ne publions pas nos profits avant la fin de l'année, mais je sais que la United Grain Growers et le Saskatchewan Pool publient les leurs tous les trimestres. Ils ne sont pas très élevés, et toutes les sociétés céréalières pâtissent beaucoup cette année. Aucune d'entre elles n'affichera de bénéfices nets intéressants comme rendement de son actif. Je tenais à apporter cette précision, comme voudront sans doute le faire aussi mes collègues.
Le président: J'y reviendrai plus tard.
M. Saunderson: La naissance d'Agricore correspond à la vision qu'a choisie le Canada, qui est de faire avancer l'économie canadienne. Agricore a vu le jour pour pouvoir représenter les agriculteurs sur le marché canadien et international, et nous espérons que notre présence se fera de plus en plus sentir au Canada et à l'étranger. Nous voulons aider les agriculteurs à être de meilleurs producteurs, et avec un peu de chance, nous traiterons des volumes plus élevés de marchandises avec une plus grande efficacité. Nous allons commercialiser, transformer et exporter encore plus de marchandises, si les conditions nous sont favorables. Nous espérons que l'avenir sera prospère pour notre coopérative et pour nos membres. Nous savons que c'est possible.
En 1995, le gouvernement du Canada fixait à 20 milliards de dollars d'ici l'an 2000 le niveau des exportations de produits agricoles et agroalimentaires. En une seule année, et la fluctuation des prix du marché aidant, nous avons réussi à atteindre cet objectif. Le Conseil consultatif canadien pour un environnement durable en agroalimentaire fixait pour sa part un autre objectif, à savoir que le Canada exporte d'ici l'an 2005 pour 40 milliards de dollars, c'est-à-dire qu'il occupe 4 p. 100 du commerce agricole mondial. Nous devons être prêts à relever le défi, mais ce n'est possible qu'avec de l'aide. Ces percées ne seront possibles que si l'on modifie en profondeur le cadre commercial international au cours de la prochaine série de négociations commerciales.
Au moment où l'Uruguay Round a été annoncée, en 1986, nous étions pleins d'espoir. Le moment était historique, car c'était la première fois que l'on incluait l'agriculture dans les pourparlers. Cependant, au moment où nous approchons du terme de cette période de mise en oeuvre, nous continuons de nous heurter à des obstacles insurmontables pour accéder à certains marchés. Les subventions à l'exportation continuent de déprimer les prix mondiaux et les mesures de soutien des prix intérieurs, qui faussent la donne, continuent de provoquer l'engorgement des marchés céréaliers mondiaux. Personne ne s'attendait à ce que certains pays invoquent les questions de santé ou d'environnement pour bloquer les exportations et gêner le commerce.
À la veille de la prochaine ronde de négociation, nous devons nous fixer comme objectif principal de libérer et d'ouvrir davantage les marchés internationaux ainsi que d'éliminer les pratiques commerciales déloyales. De plus, nous devons agir plus rapidement que la dernière fois. La dernière ronde a pris sept ans à négocier et six ans à mettre en oeuvre. Il faut faire plus vite. La période de négociation doit être condensée, de même que la période de mise en oeuvre. Il faut que les pays soient tenus de respecter l'essentiel de leurs engagements au début de la période de transition, pour que les agriculteurs puissent en bénéficier pleinement et rapidement. Les négociations menées devraient être les plus exhaustives possible, car une négociation large permet de réaliser des percées importantes.
Passons maintenant à ce qui devrait être inclus dans la position de négociation du Canada, de l'avis d'Agricore. Nous exhortons le gouvernement à mettre l'accent sur les secteurs suivants, tout en tenant compte de l'objectif principal, qui doit être de libérer ou d'ouvrir davantage les marchés internationaux ainsi que d'éliminer les pratiques commerciales déloyales.
D'abord, nous devons avoir un accès beaucoup plus grand aux marchés. L'Uruguay Round a accompli une tâche monumentale en transformant les contrôles des importations en tarifs douaniers. Cependant, l'entente signée n'a pas ouvert l'accès comme nous l'aurions espéré, à cause du niveau auquel certains tarifs ont été fixés, parce que les produits ont été regroupés et que certaines entreprises ont administré à leur guise certains de leurs engagements. Nous, les Canadiens, espérons qu'au cours de la prochaine ronde de négociation, nous pourrons augmenter autant que faire se peut les engagements en matière d'accès minimum aux marchés. Ces engagements doivent être subdivisés, c'est-à-dire qu'ils devraient permettre l'accès par produit spécifique ou par ligne tarifaire plutôt que par groupe de produits.
Il faut éliminer les tarifs ou les droits intra-quota. Ces engagements en matière d'accès minimum devaient permettre l'importation d'une certaine quantité de produits. Or, certains pays continuent d'imposer des tarifs sur cette même production contingentée. Ces droits intra-quota vont à l'encontre d'une plus grande libéralisation des échanges commerciaux, et il faudrait les interdire.
Les négociations doivent donner lieu à la plus importante réduction tarifaire possible, pour que nous fassions des gains réels en matière d'accès aux marchés et de réduction des tarifs trop élevés. Les tarifs qui sont les plus élevés du monde devraient faire l'objet de coupes sombres.
Certains pays administrent leurs engagements en matière d'accès de façon qu'il leur soit impossible de respecter leurs engagements ou de façon à accorder par une voie détournée plus de possibilités d'accès à certains fournisseurs. Les règles d'administration de ces quotas tarifaires doivent être claires et exécutoires.
Il faut éliminer la pratique de l'escalade tarifaire. Beaucoup de pays imposent un tarif plus élevé aux produits à valeur ajoutée qu'aux autres produits à l'état brut. Prenons, par exemple, le tarif imposé par les Japonais sur l'huile. Les graines de colza canola peuvent entrer au Japon sans être frappées d'un droit de douane, mais l'huile de canola est assujettie à un tarif très élevé. L'huile raffinée est donc assujettie à un tarif plus élevé que l'huile brute, ce qui désavantage notre industrie à valeur ajoutée.
En second lieu, nous devons éliminer les subventions à l'exportation au cours de la prochaine ronde. Au cours de l'Uruguay Round, on a tenté d'apporter une certaine discipline au recours aux subventions à l'exportation, mais ces subventions continuent à déprimer les prix mondiaux, même en cette dernière étape de la ronde de négociation.
Vous connaissez certainement, honorables sénateurs, les chiffres suivants, qui sont représentatifs de ce qui se passe en Europe. Ainsi, l'Union européenne subventionne ses exportations de blé à raison de l'équivalent de 36 $US par tonne. La subvention à l'exportation de l'orge dépasse les 78 $US la tonne, et la subvention à l'avoine tourne autour des 70 $US la tonne. Tout cela est permis par l'accord actuel. Même si les États-Unis n'y ont pas encore en recours, je sais qu'ils ont prévu 320 millions de dollars américains pour leur programme d'encouragement des exportations pour 1999. C'est toute une arme dans leur arsenal!
Par contraste, nous avons complètement éliminé nos seules subventions à l'exportation pour les céréales et les oléagineux. Bien que nous ayons peut-être voulu donner un bon exemple, il faut souligner que cette élimination a contraint nos producteurs à être concurrentiels sur des marchés fortement subventionnés sans autre forme d'avantages. Les subventions à l'exportation abaissent les prix mondiaux; cela ne fait aucun doute. C'est pourquoi elles doivent être éliminées.
Il importe également que d'autres mesures qui à notre avis sont venues se substituer aux subventions à l'exportation soient sujettes à des sanctions. Nous parlons entre autres du crédit à l'exportation. Il s'agit d'un outil très utile pour tous les exportateurs, notamment au Canada, mais le recours à cette pratique s'est intensifié sans règles claires, ce qui pourrait déclencher une guerre commerciale.
Si l'aide alimentaire est une activité honorable et si nous l'appuyons pour combattre la faim dans le monde, lorsqu'elle est utilisée sur les marchés commerciaux, elle devient une subvention à l'exportation. Nous avons été très inquiets d'apprendre que les États-Unis avaient acheté d'importantes quantités de blé de ses producteurs afin d'en faire don à l'Indonésie, car en 1996 ce pays était le quatrième grand client commercial du Canada pour cette denrée. Nous avons besoin de règles dans ce domaine afin que cela ne devienne pas une subvention à l'exportation.
Troisièmement, les niveaux de dépenses des programmes de soutien des prix intérieurs devront être considérablement réduits. Bien que la dernière série de négociations ait permis de réduire certains contrôles sur le soutien des prix intérieurs, les États-Unis et l'Europe ont réussi à s'éloigner du soutien direct des prix, mais elle n'en a pas moins autorisé des niveaux de dépenses très élevés pour leurs propres programmes.
Par exemple, et vous en avez probablement récemment entendu parler, les agriculteurs européens reçoivent l'équivalent de 175 $ canadiens l'acre simplement pour planter une récolte. De plus, les producteurs de blé européens se voient garantir un prix de 205 $ canadiens la tonne, ce qui représente probablement plus de 6 $ le boisseau et est nettement supérieur aux prix sur les marchés mondiaux à l'heure actuelle. Le résultat, c'est que l'Europe a maintenant des stocks gouvernementaux de blé qui n'ont jamais été aussi élevés. La prochaine série de négociations devra réduire au maximum les programmes de soutien des prix intérieurs.
Par ailleurs, lors de la dernière série de négociations, on a introduit à la dernière minute la catégorie dite de la «boîte bleue». Il s'agit aussi d'une mesure de stimulation de la production dont on devra traiter au cours de la prochaine série de négociations.
Quatrièmement, il faut que les règles sanitaires et phytosanitaires concernant les organismes génétiquement modifiés reposent sur des données scientifiques solides. J'ai récemment entendu un négociant dire: «Imposez-moi un tarif élevé n'importe quand, au moins, c'est prévisible.» Il est inacceptable et injustifié que l'on invoque de plus en plus des préoccupations en matière de salubrité de l'environnement pour bloquer l'accès aux marchés internationaux. Nous avons besoin de règles claires qui reposent sur des données scientifiques, et non sur des sentiments ou des considérations politiques.
La plupart de mes observations portaient sur le commerce, mais il existe évidemment un lien direct avec le revenu agricole. Les Canadiens n'ont pas l'appui du Trésor public pour livrer concurrence à un grand nombre de leurs concurrents en Europe et aux États-Unis; c'est pourquoi nous devrons être vigilants au cours de la prochaine série de négociations commerciales et tâcher d'assurer la plus grande libéralisation possible des règles commerciales, car l'avenir de nos agriculteurs dans l'Ouest canadien en dépend.
M. Marvin Shauf, vice-président, Saskatchewan Wheat Pool: Honorables sénateurs, je tiens à vous remercier de me donner l'occasion de prendre la parole devant le comité sénatorial sur une question d'une importance capitale pour l'industrie agricole au Canada.
Je me réjouis de constater que vous vous êtes engagés à vous pencher sur ces questions de façon permanente. Le Saskatchewan Wheat Pool compte plus de 70 000 producteurs membres. Nous reconnaissons l'importance des négociations commerciales qui contribueront à définir le rôle du Canada dans nos futures discussions sur le commerce, car la plupart des denrées agricoles produites au Canada dépendent du commerce.
J'aimerais vous donner un bref aperçu du Saskatchewan Wheat Pool. Notre organisation est la plus importante coopérative agroalimentaire du Canada cotée en bourse et la plus importante entreprise de manutention de grains de l'Ouest du Canada. Nous traitons plus de 30 p. 100 des céréales, des graines oléagineuses et des cultures spéciales livrées aux silos des Prairies. Nos installations de manutention du grain comprennent des silos terminus à Thunder Bay, à Vancouver, ainsi qu'une installation en copropriété à Prince Rupert.
Bien que le Saskatchewan Wheat Pool s'occupe surtout de la manutention du grain, il assure également un certain nombre d'autres activités telles que la mouture de blé et d'avoine, la production et la vente aux enchères de bétail, la transformation du porc, la trituration des oléagineux, la production d'éthanol, le maltage de l'orge et la production fournitures de boulangerie, ainsi que la recherche sur les cultures, la biotechnologie, l'aquaculture et l'édition. En tout, nous employons plus de 3 000 personnes d'un bout à l'autre du Canada.
Le Saskatchewan Wheat Pool est une coopérative. Nous entretenons des liens étroits avec nos membres agriculteurs. Nous travaillons étroitement avec l'organisation pour élaborer des politiques qui profitent à tous les participants au système, y compris le producteur primaire. Cette année, un grand nombre de ces producteurs primaires se trouvent dans une situation financière très précaire. En Saskatchewan, on prévoit pour 1998 une chute de près de 50 p. 100 du revenu agricole net, qui atteindra 356 millions de dollars. Agriculture Canada prévoit une autre baisse l'année prochaine qui situerait ce revenu à 59 millions de dollars.
Les entreprises de transformation ressentent également les effets du prolongement de la crise. Certaines entreprises sont en train de diminuer leurs niveaux de production et de comprimer leur effectif, ce qui aggrave d'autant plus la crise dans les régions rurales.
Il faut donc prendre un certain nombre de mesures pour améliorer le revenu agricole. Aujourd'hui, nous sommes ici pour parler de l'un des aspects clés, à savoir améliorer la concurrence internationale de l'industrie agroalimentaire canadienne de manière à éviter que ne se répètent des situations semblables à celle que nous connaissons cette année.
En ce qui concerne la concurrence internationale, le Saskatchewan Wheat Pool est fermement convaincu que l'industrie agroalimentaire offre d'importantes possibilités sur le plan des produits de base et des exportations à valeur ajoutée. Cependant, pour que l'industrie puisse donner toute sa mesure, nous avons besoin de règles équitables sur les marchés internationaux. Nous avons besoin d'un accès amélioré aux marchés et d'un engagement de la part du gouvernement canadien à offrir un soutien intérieur durable.
Les producteurs agricoles tirent leur revenu de deux sources: les recettes du marché, que procurent la vente des récoltes et du bétail, et les paiements versés dans le cadre des programmes gouvernementaux.
Par le passé, le Canada a considérablement réduit ses paiements provenant des programmes gouvernementaux, ce qui signifie que les producteurs ont dû suivre de plus près les signaux du marché. Les producteurs au Canada se sont montrés prêts à exercer une concurrence sur ce marché en introduisant de nouvelles cultures et en réduisant la surface en blé. Comme je l'ai déjà dit, le Canada a considérablement réduit ses paiements aux producteurs. Cependant, nos partenaires sur les marchés internationaux n'ont pas emboîté le pas, ce qui a rendu nos producteurs vulnérables à la distorsion du marché, à laquelle est venue s'ajouter la diminution du soutien que les producteurs recevaient de leur gouvernement.
Au lieu d'emboîter le pas au Canada, les États-Unis et l'Union européenne ont continué d'offrir une aide importante à leurs producteurs, ce qui a faussé les signaux de prix et a entraîné une surproduction. Par exemple, comme on l'a souligné plus tôt, les Européens ont des subventions à l'exportation équivalant jusqu'à 139 $ la tonne pour le malte d'orge. Ce niveau de subventionnement empêche un producteur canadien d'exercer une concurrence commerciale. Par conséquent, les ventes à l'étranger d'orge canadienne cette année sont pratiquement nulles.
Les volumes et les prix du blé ont également diminué de façon spectaculaire en raison d'une subvention semblable qui influe sur le prix international du blé. Les subventions qui lient le soutien à la production causent également du tort, étant donné qu'elles encouragent les producteurs à cultiver de grandes quantités d'un produit même s'il risque d'être déjà excédentaire sur le marché. Cela se trouve à réduire le prix des denrées et nuit aux agriculteurs canadiens.
Ce problème se trouve aggravé par le fait que les États-Unis et l'Union européenne soutiennent que l'OMC leur permet de reporter les subventions non utilisées des années précédentes. C'est ce que l'Europe est en train de faire à l'heure actuelle. L'accroissement des stocks risque de déclencher une guerre effrénée des subventions semblable à celle que l'on a connue à la fin des années 80 et au début des années 90. Les agriculteurs canadiens ne peuvent pas se permettre une autre guerre des subventions, pas plus que ne le peut l'économie canadienne. On ne peut tout simplement pas s'attendre à ce que les producteurs canadiens arrivent à concurrencer le Trésor des autres pays. Les subventions qui faussent les échanges ne peuvent tout simplement pas continuer. Le Saskatchewan Wheat Pool encourage fortement le Canada à obtenir leur élimination lors de la prochaine série de négociations de l'OMC.
Cela dit, nous ne voulons pas que notre gouvernement élimine les programmes actuels d'aide à l'agriculture canadienne à moins et jusqu'à ce que d'autres pays le fassent. Ces programmes sont conformes aux accords commerciaux en vigueur et sont financés à un niveau qui est bien en deçà des limites autorisées pour le Canada.
Bien que l'Uruguay Round ait permis aux États-Unis et à l'Europe de subventionner considérablement leurs exportations, les producteurs céréaliers payent le coût total du transport des céréales vers le point de départ des exportations par suite de l'élimination de la Loi sur le transport du grain de l'Ouest, ce qui représente un coût supplémentaire d'environ 560 millions de dollars par année pour ces agriculteurs. Parallèlement, les initiatives fédérales de recouvrement des coûts ont entraîné une augmentation des coûts pour les producteurs canadiens s'élevant à environ 150 millions de dollars par année. Ces coûts appuient des changements de réglementation concernant la Commission canadienne des grains et l'Agence canadienne d'inspection des aliments. De plus, depuis 1992-1993, le financement du gouvernement fédéral destiné aux filets de sécurité a chuté d'environ 80 p. 100.
Les autres pays n'ont pas fait de telles réductions; par conséquent les deux sources de revenu des producteurs canadiens ont été considérablement réduites, l'une étant le gouvernement et l'autre les prix des denrées, qui ont diminué à cause de subventions à l'exportation et de subventions faussant les échanges, toujours en vigueur sur les marchés internationaux.
Par conséquent, les producteurs primaires au pays se trouvent défavorisés sur le plan concurrentiel. On ne peut pas négliger les conséquences à long terme de la disparition de la concurrence dans le secteur agricole.
Pour assurer la viabilité à long terme de notre secteur agricole, il faut que le Canada assure un financement sûr et approprié pour les dépenses d'infrastructure, la recherche et les filets de sécurité à l'intention des producteurs.
Les filets de sécurité assurés par le Canada devraient comprendre un programme complémentaire d'envergure nationale destiné à pallier les baisses de prix prolongées et spectaculaires ou les tendances climatiques inhabituelles qui entraînent des pertes de revenu sur plusieurs années.
Les producteurs ont également besoin d'un accès plus important et plus sûr aux marchés internationaux, d'une réduction des tarifs et d'une plus grande transparence dans l'administration des quotas soumis à des tarifs douaniers. Cela devrait s'appliquer aux denrées brutes, aux denrées prêtes à la consommation et aux produits à valeur ajoutée tels que l'huile de canola et les produits carnés. De plus, le Canada doit axer ses efforts de négociation commerciale sur le développement de marchés profitables et sur l'accès à ces marchés pour les produits de haute qualité que produisent nos agriculteurs.
Cette année, nous avons été témoins de la tentative, de la part des producteurs américains, de bloquer la libre circulation des produits agricoles aux États-Unis. Ils voient les produits canadiens qui traversent la frontière à bord de camions -- qu'il s'agisse de bétail, de canola ou de grains -- et exigent que leur gouvernement bloque l'entrée de nos produits aux États-Unis. Ils ne se rendent pas compte que des produits américains franchissent aussi les frontières canadiennes, et il faut qu'ils se rendent compte que le commerce doit se faire dans les deux sens.
Nous devons également améliorer le processus de règlement des différends et nous assurer que les nouveaux accords négociés entrent en vigueur rapidement. Le Canada a adopté très rapidement les conditions énoncées dans le cadre de l'Uruguay Round, mais, comme je l'ai déjà dit, ce mouvement n'a pas été suivi par certains autres pays. Pour que les accords commerciaux fonctionnent, tout le monde doit suivre les mêmes règles, et ces règles doivent être mises en oeuvre en même temps.
Au-delà des questions traitées dans le cadre des négociations de l'OMC relatives à l'agriculture, il y a plusieurs autres questions liées au commerce et découlant des discussions multilatérales qui auront des répercussions sur le secteur. Le Canada sera exposé à des pressions en vue d'accepter des restrictions sur l'exploitation des entreprises commerciales d'État comme la Commission canadienne du blé. Nous devons cependant résister vigoureusement pour ne pas être entraînés à faire de telles concessions. La Commission canadienne du blé est un élément clé du marché canadien, et de nombreuses études effectuées sur les activités de la commission ont montré qu'elle respecte toujours les règles du commerce loyal.
Les producteurs canadiens n'ont pas les moyens d'accepter des restrictions qui les défavoriseraient sur le plan commercial ni de restreindre la capacité de la commission d'exploiter un système de prix communs.
La salubrité des aliments deviendra une question de plus en plus importante pour les consommateurs au cours des années à venir. Il ne faut pas permettre aux États de dresser des barrières sanitaires ou phytosanitaires afin d'interdire l'accès à leurs marchés intérieurs. Des données scientifiques solides, et non des sentiments, doivent déterminer l'accès aux marchés.
Les résultats des discussions du comité du commerce et de l'environnement de l'OMC ainsi que des négociations internationales relatives au protocole sur la biosécurité auront un impact également sur l'agriculture canadienne. Il importe donc de traiter ces questions de manière à assurer la compétitivité de l'industrie agroalimentaire canadienne.
J'aimerais terminer en déclarant que le Canada a ce qu'il faut pour exercer une concurrence sur les marchés internationaux. Nous avons une incroyable capacité de produire des aliments dans un environnement salubre qui est respecté à l'échelle internationale. À ce stade, nous devons adopter des règles claires et d'application universelle qui permettront d'assurer un environnement commercial plus prévisible et plus stable dont pourront profiter les agriculteurs. Le Canada ne doit pas accepter que d'autres pays utilisent des instruments commerciaux, comme les subventions à l'exportation, que le Canada lui-même n'a aucune intention d'utiliser.
Le Saskatchewan Wheat Pool et nos membres dépendent des débouchés économiques offerts par le commerce international et continueront à travailler pour favoriser tout changement positif.
Nous vous remercions de nous avoir donné l'occasion d'être des vôtres aujourd'hui.
M. Blair Rutter, gestionnaire, Élaboration des politiques, United Grain Growers: Honorables sénateurs, je tiens à vous remercier de nous avoir offert l'occasion de comparaître devant vous.
United Grain Growers est une coopérative agricole qui a été fondée en 1906. Il y a sept ans les délégués des agriculteurs de UGG ont voté pour que la société devienne ouverte. Nos actions sont désormais cotées à la Bourse de Toronto et de Winnipeg.
UGG exploite environ 140 installations de manutention du grain, huit fabriques d'aliments et de nombreux centres de service agricole partout dans les Prairies. Nous exploitons également deux terminaux portuaires à Thunder Bay et un à Vancouver.
UGG est administrée par un conseil d'administration de 15 membres, dont 12 sont élus par les agriculteurs. Les lignes de conduite de UGG sont formulées par les membres agriculteurs des UGG. Les propos que j'exprime aujourd'hui rendent compte des résolutions et des opinions présentées par ces membres.
La décision de votre comité de tenir des audiences sur cette question tombe à point nommé. En particulier, il est important de souligner, comme vous l'avez fait, le lien qui existe entre les réformes commerciales et le revenu agricole. Car, au bout du compte, la réussit des prochaines négociations du Canada sera évaluée en fonction de la prospérité accrue que retrouvera le secteur agricole. Tout le long de ces négociations, le gouvernement doit s'assurer de mettre fermement l'accent sur l'amélioration de la situation des agriculteurs.
UGG considère que l'expansion et la libéralisation du commerce sont les éléments indispensables pour rétablir un secteur agricole viable et plus prospère. UGG a toujours été un ardent partisan du libre-échange et du commerce loyal. Cette position a d'ailleurs été confirmée lors de l'assemblée annuelle de nos membres qui s'est tenue en novembre dernier, à l'occasion de laquelle 170 délégués agriculteurs ont adopté à l'unanimité une résolution pressant UGG de se battre pour obtenir des règles du jeu équitables afin que les producteurs canadiens puissent exercer une concurrence sur les marchés internationaux.
Comme vous pouvez le deviner, nos membres prennent au sérieux la libéralisation du commerce -- comme il se doit d'ailleurs. La prospérité du Canada est intimement liée à la libéralisation des échanges. En ce qui concerne l'économie canadienne dans son ensemble, les exportations représentent près de 40 p. 100 de notre produit national brut. Dans le secteur agricole, l'importance des exportations est encore plus grande. Au cours des cinq dernières années, les exportations agroalimentaires ont représenté en moyenne 65 p. 100 des recettes agricoles brutes.
Comme vous le savez, la croissance du revenu agricole n'a pas suivi le rythme de la croissance des exportations agricoles. Bien que cela s'explique probablement par plusieurs facteurs, nous croyons que les subventions conjuguées à d'autres activités qui faussent les échanges sont parmi les principaux facteurs qui font baisser les prix à la ferme, particulièrement en ce qui concerne les grains et les oléagineux.
J'aborderai maintenant les questions qui d'après nous devraient figurer parmi les priorités de la prochaine série de négociations commerciales.
Notre grande priorité est d'abord l'élimination des subventions à l'exportation. De plus, l'OMC devrait établir des règles et des sanctions claires régissant l'aide alimentaire et les conditions de crédit afin que ces programmes ne deviennent pas des subventions masquées à l'exportation.
Comme l'indique le rapport de votre comité sur sa mission d'information en Europe, l'Union européenne continue à recourir de façon considérable aux subventions à l'exportation pour le blé et la farine de blé. C'est également le cas pour l'orge, où les niveaux des subventions à l'exportation ont couramment dépassé le montant de 100 $ la tonne.
Le problème n'est pas restreint au blé et à l'orge. Les agriculteurs de l'Ouest sont aussi durement touchés par les subventions européennes à l'exportation de l'avoine. Cela est particulièrement frustrant, compte tenu de la forte croissance des exportations d'avoine et du traitement intérieur de l'avoine depuis une dizaine d'années, lorsqu'il a été décidé que l'avoine ne relèverait plus de la compétence de la Commission canadienne du blé. Au cours des cinq dernières années, nos exportations d'avoine se sont élevées en moyenne à près d'un million de tonnes par année, comparativement à une moyenne annuelle de 150 000 tonnes au cours des cinq dernières années où elles étaient administrées par la commission. Nous avons également constaté une croissance importante dans le secteur du traitement intérieur de l'avoine et une croissance stable de la surface en avoine canadienne au cours de la même période.
Nos succès avec l'avoine sont menacés par le niveau élevé des subventions de l'Union européenne. En 1998, l'Europe a augmenté sensiblement le tonnage subventionné et le montant des subventions. La quasi-totalité de cette avoine subventionnée est expédiée vers les États-Unis, au détriment de l'avoine canadienne, et cela a pour effet de faire baisser le prix nord-américain. En 1998, les exportations canadiennes vers les États-Unis ont diminué d'environ 400 000 tonnes. Les exportations européennes vers les États-Unis ont augmenté d'à peu près autant, et les subventions ne semblent pas vouloir diminuer. Pour l'année-récolte en cours, les pays européens ont autorisé des subventions aux exportations sur 521 000 tonnes d'avoine à des niveaux de subvention encore plus élevés. La question des subventions européennes sur l'avoine a été inscrite au protocole d'entente canado-américain signé en décembre dernier. Cependant, nous ne sommes pas convaincus que le gouvernement canadien fasse tout ce qu'il peut pour régler ce problème.
Notre deuxième priorité est de régler le problème des programmes de soutien agricole, en particulier ceux de l'Europe et des États-Unis. Même si ces programmes sont conformes aux engagements des pays concernés dans le cadre de l'OMC, ils favorisent souvent la surproduction de certaines récoltes au détriment de tous les autres producteurs de céréales. Par exemple, en Europe, les prix d'intervention pour le blé et le lin incitent les agriculteurs à produire davantage de ces récoltes. Cette surproduction fait baisser les prix mondiaux et réduit les possibilités d'exporter pour les agriculteurs canadiens. Aux États-Unis, la situation est semblable. Par exemple, le taux de prêt sur le soja dans le cadre du programme LBP est bien supérieur au prix du marché. En conséquence, les agriculteurs américains ont tendance à cultiver de plus grandes superficies de soja. Cette augmentation des superficies de culture aux États-Unis contribue à la baisse du prix du canola au Canada, et augmente les approvisionnements en soja, si bien que la remontée du prix du soja et du canola sera beaucoup plus lente.
Le programme américain d'assurance-récolte pour le blé d'hiver, le blé de printemps et le blé dur déforme également la production et le commerce. Le prix de soutien élevé pour le blé dur devrait favoriser une forte augmentation des superficies de culture de ce produit, et faire baisser son prix aux États-Unis et au Canada. Dans toute la mesure du possible, il faudrait supprimer les programmes de ce genre qui déforment la production et le commerce, ou du moins les dissocier des denrées agricoles de façon que le soutien du revenu soit versé directement aux agriculteurs et ne soit plus lié à un produit particulier.
Notre troisième sujet de préoccupation concerne les entreprises commerciales d'État. Nous considérons qu'elles devraient être assujetties à la discipline concurrentielle du marché, aussi bien à l'importation qu'à l'exportation. Pour cela, il faudrait rendre la participation à ces entreprises facultative.
Nous affirmons que les agriculteurs des Prairies devraient pouvoir vendre leur blé à l'acheteur de leur choix. Les dispositions obligatoires de la Loi sur la Commission canadienne du blé empêchent les agriculteurs d'obtenir des prix plus élevés, limitent leur liberté contractuelle et leur possibilité d'entreprendre d'autres activités lucratives ou liées à la gestion du risque. D'après une récente étude indépendante de l'Organization for Western Economic Cooperation, les agriculteurs de la Saskatchewan ont reçu des prix à la production bien inférieurs à ceux qu'ont obtenus leurs homologues du Dakota du Nord et du Montana. En 1995-1996, on estime que les agriculteurs de la Saskatchewan ont subi une perte de 500 millions de dollars. Les résultats de cette étude sont conformes aux conclusions d'une étude entreprise trois ans plus tôt par UGG dans le cadre de la révision de la commercialisation du grain.
En plus des profits sur l'orge, il convient également de reconnaître qu'à cause de l'intransigeance du Canada vis-à-vis du monopole de la Commission canadienne du blé il nous est beaucoup plus difficile d'obtenir des concessions de nos partenaires étrangers. Comment pourrions-nous légitimement exiger une réduction de l'intervention du gouvernement dans d'autres pays alors que l'État canadien continue opiniâtrement ses interventions sur le blé et l'orge? Nous ne nous attendons pas à ce que le gouvernement renonce au principe du monopole, mais nous souhaitons qu'il commence à se rendre compte qu'en s'en tenant ainsi au dogme de cette forme de commercialisation il impose un fardeau de plus en plus lourd à l'économie rurale de l'Ouest du Canada.
La dernière priorité dont nous souhaitons vous faire part serait de veiller à ce qu'on ne se serve pas des obstacles non tarifaires pour empêcher l'accès aux marchés. En ce qui concerne, par exemple, les organismes génétiquement modifiés, nous souhaitons que les restrictions éventuelles soient fondées sur des données scientifiques. À cet égard, nous nous inquiétons de l'absence de progrès dans le domaine de l'accès du canola génétiquement modifié aux marchés européens. L'Europe accepte le soya génétiquement modifié depuis 1996, mais, pour une raison que nous ignorons, les négociateurs commerciaux canadiens n'ont pas réussi à faire accepter le canola génétiquement modifié, ce qui reste pour nous une priorité.
Dans le même ordre d'idées, UGG se préoccupe également des récentes tentatives du Dakota du Nord de faire adopter une loi interdisant l'importation de toute denrée agricole canadienne dont la production a comporté l'utilisation de pesticides non inscrits aux États-Unis. Le projet de loi se heurtait avant-hier au veto du gouverneur de l'État, mais cette tentative semble militer dans le sens d'une harmonisation plus rapide avec les États-Unis de l'homologation des pesticides. On pourrait même ajouter que la décision du gouvernement canadien d'entreprendre des consultations auprès de l'ALENA sur cette question n'est sans doute pas étrangère à la décision du gouverneur d'opposer son veto au projet de loi. Nous félicitons le gouvernement canadien d'avoir réagi rapidement par cette mesure de préemption.
Pour résumer, UGG estime que les modes de résolution des différends commerciaux internationaux vont avoir une incidence considérable sur la prospérité de différents secteurs d'activité, notamment l'agriculture. Le gouvernement devrait avoir pour objectif l'élimination des subventions aux exportations, la suppression des mesures intérieures qui déforment le commerce, le renforcement de la discipline imposée aux entreprises commerciales d'État et l'amélioration des règles commerciales retreignant les obstacles non justifiés au commerce.
Les agriculteurs canadiens ont prouvé qu'ils peuvent valablement soutenir la concurrence sur des marchés ouverts. Nous invitons instamment le comité à prendre toutes les mesures possibles pour libéraliser le commerce mondial. Merci de nous avoir permis d'exprimer notre point de vue.
Le président: Les séances que notre comité a tenues en octobre nous ont indiqué clairement que les autorités européennes ne lèveront pas leurs subventions. C'est ce que nous avons entendu à maintes reprises. Depuis lors, j'ai eu l'occasion de m'entretenir avec l'un des participants aux négociations commerciales en Autriche. Il m'a dit exactement la même chose, à savoir: «Nous ne renoncerons pas aux subventions.»
C'est ce que nous entendons depuis 20 ans. Allons-nous l'entendre encore pendant 10 ans? Nous connaissons l'issue du problème. Lorsque nous avons rencontré M. Fisher, il nous a dit que les subventions au sein du Marché commun européen représentaient 71 milliards de dollars. C'est beaucoup d'argent. Nous faisons face à un problème majeur. Les groupes comme ceux qui comparaissent devant nous aujourd'hui nous disent que c'est là qu'il faut chercher la réponse. J'en viens pratiquement à la conclusion que l'Europe et les États-Unis font peut-être ce qu'il faut faire, et qu'il est temps pour nous d'envisager d'en faire autant. Si les entretiens de Seattle et la planification prévue en l'an 2000 pour les cinq années suivantes ne débouchent pas sur des résultats positifs, nous risquons d'avoir de graves ennuis.
Je ne veux pas paraître alarmiste, mais je ne vois guère d'espoir dans la situation actuelle. C'est un commentaire plutôt qu'une question, mais j'aimerais que M. Shauf me réponde.
M. Shauf: Il y a deux choses dans votre commentaire. Tout d'abord, il existe des subventions qui déforment beaucoup moins le commerce et les prix.
Les subventions qui ont l'effet le plus grave au niveau international sur les prix sont les subventions aux exportations, car elles mettent les produits agricoles en solde. Elles attirent les acheteurs et font baisser les prix.
En second lieu, l'Europe a accepté de faire baisser le montant des subventions et le volume des produits subventionnés. Elle n'a jamais dit qu'elle allait les supprimer. Elle s'est dite prête à accepter cette double réduction dans le cadre des accords de l'OMC. Elle s'est aussi engagée à restructurer certaines subventions. Nous affirmons que le Canada doit continuer à travailler sur ces questions pour améliorer le sort des producteurs canadiens.
Les producteurs canadiens réussissent magnifiquement à produire des denrées agricoles dans un pays faiblement peuplé. Vous avez entendu les chiffres tout à l'heure. Pour le Canada, il est très difficile de concurrencer les subventions des autres pays, compte tenu des grandes quantités que nous produisons et de l'importance de la population canadienne.
Le Canada n'a pas le choix: il doit intervenir activement sur ces questions et utiliser toutes les subventions qui lui sont accessibles. Nos producteurs agricoles doivent être en mesure d'affronter la concurrence sur les marchés internationaux tels qu'ils existent actuellement.
Le sénateur Whelan: Je tiens tout d'abord à remercier nos trois témoins de la qualité de leurs mémoires. Je suppose qu'ils connaissent plus ou moins mes antécédents. Lorsque je vois l'histoire se répéter dans la situation économique mondiale, je pense toujours à un certain M. Katz, qui a été tour à tour négociateur en chef pour les démocrates, pour les républicains, puis de nouveau pour les démocrates. Aussi loin que je me souvienne, il a toujours été à Washington. Il y a quelques mois, il a dit que nous avions un surplus et qu'il fallait libéraliser davantage le commerce. Il a dit qu'il fallait résorber notre surplus.
Pendant près de 12 ans, j'ai eu affaire à trois secrétaires américains à l'Agriculture, à savoir MM. Butz, Bergland et Block. Ils ne s'inquiétaient jamais des conséquences de leurs actions, du moment qu'ils réussissaient à se débarrasser de leurs produits. Ils disaient que nos programmes étaient calqués sur les leurs.
M. Glickman a dit l'autre jour qu'il voulait revenir à ces programmes parce qu'ils sont plus efficaces que les nouveaux. Par ailleurs, bon nombre de congressmen et de sénateurs les considèrent favorablement.
Pensez-vous que les Américains vont renoncer aux subventions aux exportations? La Fédération canadienne de l'agriculture semble s'acharner sur ce thème. Pensez-vous vraiment que ce soit la seule réponse?
Je peux vous livrer le reste de ma question, si vous voulez. En ce qui concerne les subventions intérieures, vous avez entendu que nous avons subventionné le canola. En outre, une grosse société a fait de la recherche sur les lentilles.
On peut dire, pour l'essentiel, qu'il s'agissait là d'une subvention à l'agriculture, puisque l'argent venait du Trésor public. En revanche, nous sommes désormais la capitale mondiale des lentilles. Et on a réussi à produire cette nouvelle variété étonnante de canola que le monde entier va pouvoir apprécier.
C'est M. Shauf, je crois, qui a dit qu'il fallait éliminer les obstacles artificiels au commerce et que les restrictions devaient être fondées sur des données scientifiques. Certains prétendent que le sénateur Whelan est hostile à la biotechnologie. Je l'ai dit et je le répète: je ne suis pas contre la bonne biotechnologie, ni contre la bonne recherche scientifique.
Vous m'avez sans doute déjà entendu citer l'ancien ministre de l'Agriculture de la Saskatchewan qui disait que le génie génétique était la discipline de l'avenir. On ne peut pas imposer une activité pareille à la société. Ne venez pas me dire qu'il s'agit d'un obstacle au commerce.
Dans le cas de la somatotropine bovine, par exemple, on a constaté que l'insuffisance de la recherche, les manipulations et tout le reste ont eu des résultats catastrophiques. On a du mal à croire qu'une telle chose ait pu se produire.
Nous avons fait beaucoup de recherches dans le secteur public. Nous avons consacré beaucoup d'argent au canola, aux lentilles et aux nouvelles variétés de blé. Les recherches ont été faites par Agriculture Canada en collaboration avec certaines provinces et universités. Nous avons mis au point un excellent système.
Lorsque vous avez parlé du nouvel ordre mondial, je crois que M. Saunderson a dit que nous allions nous en sortir. Je me souviens de la première mauvaise année que nous avons connue dans la production de boeuf; mes économistes me disaient alors de ne pas m'inquiéter, affirmant qu'il y avait toujours une mauvaise année sur cinq. En réalité, nous avons eu quatre mauvaises années sur cinq, puis cinq mauvaises années sur six. Ils n'avaient aucune réponse à me fournir.
On enseigne certains principes aux économistes, et tous ceux qui sont à notre service aujourd'hui sont persuadés qu'ils doivent respecter ces principes et que tout le reste est inefficace.
Je voudrais vous demander si vous pensez réellement que nous pouvons sortir du terrible chaos ou de l'effondrement de la région Asie-Pacifique. C'était une région très prometteuse, qui réunissait de véritables moteurs économiques. C'était la partie du monde qui réussissait le mieux. C'est ce qu'on nous disait il y a trois ans aux Affaires étrangères.
Le principal secteur économique au Canada est celui de l'industrie automobile. Il a un surplus de 11 milliards de dollars, mais il n'est pas assujetti au libre-échange. Il est régi par le Pacte de l'automobile, sans lequel cette industrie n'existerait sans doute pas. Il est exclu du libre-échange.
Pensez-vous que les gens qui transforment et vendent nos produits alimentaires gagnent trop par rapport aux agriculteurs? Pensez-vous que nous avons diminué trop rapidement nos subventions, comme le tarif du Nid-de-Corbeau, par exemple?
J'ai bien d'autres questions à poser, mais nous sommes limités dans le temps, et je m'en tiendrai pour l'instant à ces quelques commentaires.
Je me souviens d'avoir assisté à des réunions de l'OCDE. L'actuel président de la République française était alors ministre de l'Agriculture. Certains propos tenus au cours des années 70 ont été repris par la suite.
Vous avez reproché au gouvernement un certain nombre de prises de position. J'aimerais bien savoir où étaient les organismes agricoles lorsque le gouvernement a réduit ces subventions. Est-ce qu'ils étaient d'accord? Est-ce qu'ils considéraient qu'il fallait supprimer toutes les subventions, de façon à figurer du côté des «bons» à l'Organisation mondiale du commerce, au sein de ce nouvel organisme qui m'inspire tant de réserves?
Les gens du gouvernement et nos principaux négociateurs nous disent que nous avons 131 pays contre nous, mais les trois quarts de ces pays seraient incapables de vendre un seul poulet; cela ne les empêche pas de nous dire ce qu'il faut faire et de nous imposer des règles. Je ne sais pas si vous avez participé à ces négociations commerciales. Moi, je n'y étais pas, mais j'aurais bien aimé y être.
M. Saunderson: Je crains de ne pas pouvoir parler de tous les sujets que vous avez abordés, sénateur, car, comme d'habitude, vous avez couvert un très vaste territoire en très peu de temps.
Je vais parler des subventions au commerce ainsi que de l'optimisme que j'ai manifesté en disant que nous allions sortir de la situation actuelle.
Je suis optimiste avant tout parce que j'ai confiance en la capacité des agriculteurs canadiens de produire efficacement des denrées alimentaires et de s'adapter à l'évolution. Au cours des années 80, nous avons déjà connu des périodes difficiles et relevé des défis qui ont entraîné des changements importants. Tout le monde reconnaîtra néanmoins qu'à la fin l'agriculture était plus efficace qu'elle ne l'était au début des années 80.
Comme le disent mes membres, les défis à relever sont considérables à l'heure actuelle, et bien des agriculteurs sont perplexes au moment de décider ce qu'il va falloir semer. Cependant, la plupart d'entre eux sont convaincus que nous allons nous en tirer et que nous parviendrons à nous adapter à la situation.
L'évolution observée actuellement en Asie est manifestement cyclique. Les pays asiatiques vont sortir de l'ornière et vont augmenter leurs achats de nos exportations. Je ne pense pas qu'on puisse en douter, et on observe déjà certains indices en ce sens.
En ce qui concerne les profits réalisés dans la manutention et la transformation, je ne suis pas sûr que nous parvenions à vous convaincre, mais nous pouvons vous montrer la comptabilité en fin d'exercice. Les profits de nos sociétés ne sont pas acceptables actuellement. Et du reste, le rendement sur l'investissement que nous réalisons au profit des agriculteurs n'est pas suffisant cette année.
Les entreprises de manutention et de transformation ne font pas de profits. Disons qu'aucune de nos sociétés n'atteint le tarif affiché pour la manutention des produits de la Commission canadienne du blé, par exemple. Il y a bien d'autres facteurs qui interviennent dans le jeu de la concurrence. Je vais laisser à mes collègues le soin d'en parler.
Où étions-nous lorsqu'on a supprimé la LTGO et le tarif du Nid-de-Corbeau? Certains de nos organismes ont combattu ardemment pour qu'on ne les supprime pas. Nous savons que ces suppressions ont été préconisées avant tout par le ministre des Finances. C'est la réduction du déficit qui a sonné le glas de la LTGO.
Finalement, est-ce que nous insistons trop sur la réduction ou l'élimination des subventions aux exportations? Ce n'est sans doute pas la solution à tous les problèmes; vous avez absolument raison. Néanmoins, une bonne partie de la communauté mondiale est unanime sur les subventions aux exportations. Il semble que les Européens fassent cavalier seul. Les Américains reconnaissent qu'il faut supprimer ces subventions.
Il y a de bonnes chances pour qu'au cours des prochaines négociations les membres de l'OMC se prononcent en faveur d'une élimination des subventions aux exportations. C'est pourquoi la FCA insiste tant. Nous ne pouvons pas rester à l'écart.
Il n'est pas douteux que nos propres programmes de soutien font eux-mêmes partie du problème. Chaque fois qu'un producteur reçoit de son gouvernement des montants qui atténuent les signaux du marché, on aboutit à une surproduction, et c'est un phénomène auquel il convient de prêter attention.
M. Rutter: Je voudrais faire deux ou trois commentaires. Nous considérons que les subventions aux exportations sont la source la plus dommageable de perturbations des forces du marché. Au cours des prochaines négociations, nous avons la possibilité de progresser sur ce terrain, car les États-Unis ont remisé leur programme de promotion des exportations depuis au moins trois ans, en fait depuis juillet 1995. Ils ne l'ont rétabli qu'une fois depuis lors, à titre de mesure de rétorsion contre l'envoi en Californie de 30 000 tonnes d'orge subventionnée d'origine européenne. Les Américains ont riposté en expédiant 30 000 tonnes d'orge subventionnée vers des marchés habituellement desservis par les Européens. Les hostilités se sont arrêtées là. Les Européens ont cessé de subventionner l'orge, et les Américains n'ont plus eu besoin de leur programme de promotion des exportations. Nous avons donc un allié dans notre lutte pour l'élimination des subventions aux exportations.
Je suis tout à fait d'accord avec le sénateur Gustafson. Je ne pense pas que nous puissions obtenir la levée des subventions en Europe. L'essentiel serait d'obtenir que les subventions aux exportations et toutes les mesures qui déforment la production soient converties en paiements directs. Ce devrait être notre principal objectif. Il faut empêcher que ces mesures ne perturbe le commerce.
Si les Européens souhaitent accorder de grandes subventions à leurs agriculteurs ou à d'autres catégories, c'est leur affaire. Nous devrions nous préoccuper des versements qui perturbent le commerce.
Le sénateur Whelan a parlé de la recherche. Je reconnais que le gouvernement a un rôle important à jouer dans le secteur de la recherche publique. Il en faudrait davantage. L'industrie privée joue elle aussi un rôle important en matière de recherche. Notre société emploie deux scientifiques pour développer le linola. Depuis cinq ans, la superficie de culture du linola a augmenté considérablement dans l'Ouest canadien, pour atteindre plus de 100 000 acres.
Ces deux scientifiques que nous employons font un travail extraordinaire pour améliorer cette culture et en faire une production intéressante pour les agriculteurs. Les importants travaux de recherche du secteur privé comblent les lacunes laissées par les recherches du secteur public.
Le sénateur Hays: Au cours des prochaines négociations, est-ce qu'il faudrait négocier sur une base sectorielle dans le domaine agricole ou de façon globale? Faudrait-il essayer d'obtenir un accord portant sur des résultats, de façon que notre pays ne soit plus tenu à ses engagements si les résultats visés ne sont pas atteints? Qu'entendez-vous par des négociations courtes? Combien de temps devraient-elles durer?
M. Saunderson: D'après les indices actuels, les négociations devraient culminer en 2004. On avait prévu une durée du même ordre la dernière fois, mais, comme nous le savons, les délais ont été reportés à plusieurs reprises. Les pays membres devraient s'astreindre à ne pas dépasser quatre ans.
Le sénateur Hays: Vous pensez donc que quatre ans devraient suffire?
M. Saunderson: Oui.
Le sénateur Hays: Nous allons commencer à la fin de cette année avec les services dans le domaine agricole, qui font partie des secteurs. L'accord final doit être global, mais nous pourrions essayer de promouvoir l'idée d'une négociation dans le secteur agricole. Certains considèrent que nous devrions nous montrer plus fermes sur ce thème, car, contrairement à d'autres pays, nous avons fait ce qu'il fallait faire, ce qui a eu pour effet de nous pénaliser.
Il faut commencer par demander ce que nous avons négocié en 1994. Cependant, si les négociations portent sur les services, la fabrication, les exportations, et cetera, nous risquons, comme l'a dit le sénateur Whelan, de nous retrouver seuls contre 134 pays.
Pensez-vous qu'il faudrait essayer de négocier de façon sectorielle dans le domaine de l'agriculture, étant donné que cette formule risque d'intéresser d'autres pays? En ce qui concerne les accords axés sur les résultats, nous avons accepté certaines choses, comme les autres. Néanmoins, le dernier accord était plein de trous. On a accepté les boîtes bleues, les paiements directs, et cetera.
À la fin de l'Uruguay Round, tout le monde s'attendait à certains résultats, notamment à une libéralisation du commerce. Rien ne nous empêche de négocier en fonction des résultats.
Autrement dit, il se pourrait que, pour une raison ou une autre, nous n'obtenions pas l'accès dans le cas des taux de remplissage de l'accès accordé à cause de tarifs intra-quota ou d'autres choses. Nous n'avons pas de bons taux de remplissage sur l'accès que nous avons négocié. Apparemment, nous avons accordé cet accès.
Voilà mes trois sujets de préoccupation.
M. Saunderson: En ce qui concerne la question sectorielle, nous nous demandons s'il doit s'agir de négociations étroites ou complètes. Même si les négociations se déroulent par secteur, nous devrions pouvoir, en les élargissant, obtenir davantage des gains dont nous avons besoin sur une base sectorielle.
Par exemple, il se pourrait que nous ne fassions aucun gain sectoriel sur l'accès aux marchés japonais, à moins que les Japonais ne fassent des gains en matière de propriété intellectuelle. C'est pourquoi je considère qu'il devra y avoir des passerelles, même si les négociations sont distinctes.
C'est moi qui ai fait le commentaire sur la renonciation aux engagements concernant l'accès aux marchés. Évidemment, pendant les dernières négociations, l'OMC n'avait pas de moyen d'intervention pour sévir contre les pays qui ne garantissaient pas un accès minimal de 5 p. 100. C'est une chose qu'il faudra surveiller la prochaine fois. Il faut pouvoir agir contre les pays qui ne respectent pas leurs engagements.
Le sénateur Hays: Par exemple, si nous n'obtenons pas accès aux marchés étrangers par la négociation, notre engagement de garantir l'accès à notre marché pourrait s'en trouver modifié ou réduit. Êtes-vous favorable à cette idée?
M. Saunderson: Vous dites qu'il faudrait changer les règles en plein milieu de la période de mise en oeuvre.
Le sénateur Hays: Si j'ai bien compris les témoins, ils ont parlé de taux de remplissage de l'accès accordé, c'est-à-dire les 5 p. 100, je crois, qui ont été négociés. Ils ont cité l'exemple des États-Unis qui ont accordé des options à la Jamaïque sur l'huile de beurre pour se conformer à leur obligation d'accorder l'accès à leur marché, mais ils n'ont pas véritablement essayé de combler l'accès disponible ni de se conformer à ce qui avait été négocié pendant l'Uruguay Round.
Apparemment, le Canada a accordé l'accès à son marché en ouvrant ses portes à tous les pays qui avaient la possibilité d'exporter. Si d'ici quatre ans on constate que les exportations en question n'ont pas eu lieu, faudrait-il inclure dans les négociations une disposition qui dirait: «Le niveau d'accès promis par les États-Unis n'a pas été atteint. Le Canada considère que le niveau réel ne représente que 50 p. 100 du taux prévu.» Je n'ai pas le temps de préciser tous les détails.
Êtes-vous favorable au principe d'une entente axée sur les résultats? Au bout de quatre ans, nous sommes déçus par les résultats de la boîte bleue. Les programmes de la boîte verte et les versements directs ont aussi donné des résultats décevants. En fait rien n'a vraiment changé. Nous avons un accord, mais on a laissé aux pays membres la possibilité de continuer à faire ce qu'ils faisaient avec, apparemment, le même résultat, c'est-à-dire plus de produits que les marchés mondiaux ne peuvent en accueillir.
Souscrivez-vous à l'idée d'une entente conclue sous réserve des résultats? C'est-à-dire que nous sommes tenus de faire certaines choses, mais seulement si les résultats que nous avons négociés se matérialisent; dans le cas contraire, nous sommes libérés de nos obligations.
M. Saunderson: Je crois que j'ai maintenant compris votre question. Vous évoquez la possibilité de légitimer d'éventuelles représailles qui pourraient être prises dans deux ou trois ans si l'on constate que d'autres pays ne remplissent pas leurs engagements.
Le sénateur Hays: Je demande si ces pays pourraient prendre des mesures de représailles ou bien être libérés des obligations qu'ils ont prises.
M. Saunderson: Cela pourrait se faire en réduisant leur accès.
Le sénateur Hays: Ce n'est qu'un exemple.
M. Saunderson: Je ne suis pas d'accord avec cela. Des engagements sont pris pendant les négociations. Je m'attends à ce que notre pays et nos producteurs remplissent leurs engagements. Je dis qu'il faut que l'OMC dispose de mécanismes permettant de sanctionner les pays qui n'honorent pas leurs engagements. Je ne pense pas que les États iraient dans le bon sens s'ils commençaient à réduire leur accès, contrairement à leurs engagements, simplement parce que la communauté mondiale ne respecte pas ses engagements. Je préférerais que l'OMC impose des mesures disciplinaires quelconques plutôt que de voir notre pays ne pas honorer ses engagements.
Le sénateur Whelan: Vous avez entendu les autres témoins parler aujourd'hui des mesures prises par le gouvernement pour aider les agriculteurs. Croyez-vous que c'est suffisant? Avez-vous des commentaires à faire là-dessus?
M. Shauf: Est-ce que ce sera suffisant pour répondre aux besoins des agriculteurs de l'Ouest du Canada? Je pense que vous constaterez que l'on s'entend généralement pour dire que ce ne sera pas suffisant.
M. Rutter: En rétrospective, on peut examiner la composition de ce programme et trouver que l'on aurait pu s'y prendre beaucoup mieux pour donner de l'argent aux agriculteurs. Le CSRN aurait probablement été un meilleur outil, permettant aux agriculteurs de toucher l'argent plus rapidement.
M. Saunderson: J'ajoute que ce ne sera pas suffisant pour répondre aux besoins de certains agriculteurs dans certaines régions.
Par exemple, si un agriculteur a connu de très mauvaises récoltes à cause de la sécheresse ou pour d'autres raisons en 1996-1997, il n'a pas la période de référence nécessaire pour déclencher un paiement de 30 p. 100. Il a peut-être besoin de ce paiement plus que quiconque, mais il n'y a pas droit.
Le sénateur Taylor: Vous tirez surtout vos revenus des céréales et des oléagineux. Nous vous avons convoqués ici parce que nous voulons savoir ce que nous devrions tenter d'obtenir, à votre avis, au cours de la prochaine ronde de négociation commerciale. Nous revenons tout juste d'Europe, et nous avons vu ce que les Européens veulent tenter d'obtenir.
Au sujet de l'écart de 5 p. 100 dont les gens parlent, je ne pense pas qu'ils nous trahissent. Je pense que c'est simplement que nos négociateurs n'ont pas été aussi vigilants qu'ils auraient dû l'être, ou bien que les leurs ont eu le dessus.
Le comité s'intéresse énormément aux hormones, aux modifications génétiques et autres questions de ce genre. Les Européens ont essayé de nous donner l'impression qu'ils étaient tout à fait convaincus que nous avons raté notre coup pour ce qui est de l'étiquetage.
Je pense qu'ils ont des arguments en leur faveur. Ils estiment que le consommateur est tenu, que ce soit en Europe ou ailleurs, d'acheter vos produits simplement parce que vous affirmez qu'ils sont scientifiquement acceptables. Ils veulent pouvoir prendre les décisions, après la maladie de la vache folle, la thalidomide et toutes les autres crises qui ont surgi depuis un quart de siècle, au sujet de ce que l'on appelle la manipulation génétique ou les injections d'hormones. Le consommateur commence à dire: «Que le diable les emporte. Peu importe que vous fabriquiez une voiture, ou que vous produisiez un boisseau de blé ou de canola, nous voulons que ce soit étiqueté, et c'est nous qui déciderons si c'est bon à manger.» Les producteurs nord-américains, qu'ils produisent du boeuf ou de l'huile, semblent insister pour dire que c'est scientifiquement éprouvé et que nous devrions l'accepter. Nous devons nous réveiller et nous rendre compte que les consommateurs du monde entier disent: «Suffit!»
Vous ne pouvez injecter des hormones ou faire des manipulations génétiques et tout le reste sans pouvoir le vendre. C'est sûr que vous pouvez le vendre. Je suis sûr que tout le monde serait prêt à acheter des modifications génétiques qui feraient en sorte que leurs enfants seraient plus grands d'un pied et deviendraient des joueurs de football et épouseraient les personnes les plus mirifiques, mais ce serait à vous de le vendre. Je ne cesse d'entendre dire: «Prouvez-moi que c'est scientifiquement mauvais, et nous allons le retirer.» Ils ne veulent pas faire cela. Ils veulent que ce soit nous qui prenions la décision.
Ma question suivante porte sur la négociation. Je veux vérifier jusqu'à quel point vous êtes égoïstes. Quel compromis êtes-vous prêts à faire? Nous allons conclure une entente. Vous n'obtiendrez pas tout ce que vous voulez. Qu'est-ce que vous voulez larguer? La gestion de l'offre? Pensez-vous que nous devrions renoncer à cela dans certaines régions du Canada pour obtenir un meilleur accès pour les céréales?
M. Shauf: Pour ce qui est de votre première question, le consommateur aura le dernier mot sur le marché, mais il est difficile de reconnaître une peur sincère des plantes modifiées génétiquement quand on constate qu'il y a d'une part une plante modifiée génétiquement qui est acceptable parce qu'on en a besoin, tandis que d'autre part une autre plante modifiée génétiquement et que nous produisons en grande quantité n'est pas acceptable dans notre marché. C'est difficile de ne pas y voir un obstacle au commerce.
Le sénateur Taylor: Leur argument contre le canola était très valable, une fois que nous l'avons entendu. Il n'avait rien à voir avec la consommation du produit, mais plutôt avec la culture de la plante. Si l'on cultive une plante, celle-ci peut se répandre. Ils ont de petits champs en Europe, et les fermiers voisins se retrouvaient subitement avec une mauvaise herbe jaune que l'on n'arrivait pas à tuer avec le produit Round Up. Cela n'avait rien à voir avec la consommation. Les fermiers se plaignaient d'être envahis par les mauvaises herbes, et c'est un argument assez logique. Nous ne serions pas contents non plus si nos champs étaient aussi petits.
M. Shauf: La question de la production est différente de celle de la consommation. La question se posera de savoir si l'Europe acceptera le canola, mais ils acceptent du soya modifié génétiquement depuis 1996, pour consommation.
Le sénateur Taylor: Mais ils ne sont pas volontaires.
M. Shauf: Si on l'accepte pour consommation humaine, il y aura consommation humaine, et la question du volontariat ne se pose pas. Si l'on va au fond des choses, le canola modifié génétiquement représente un problème commercial. C'est un problème commercial parce qu'ils ont la capacité de cultiver du canola européen.
Le sénateur Taylor: Et le boeuf traité aux hormones?
M. Shauf: Il y a peut-être d'autres arguments qui s'appliquent aux hormones, et je ne les connais pas.
Pour ce qui est de faire des compromis entre diverses denrées produites par l'agriculture canadienne, je ne pense pas qu'il y ait quoi que ce soit à y gagner. L'agriculture canadienne doit se tenir les coudes sur le marché international et dans les négociations internationales. Nous devons obtenir le meilleur marché que l'on puisse espérer pour chaque denrée. Si l'on commence à faire des compromis, nous nous retrouverons tous perdants. L'agriculture canadienne doit être ferme et faire front commun. Nos problèmes sur le marché sont souvent les mêmes. Il n'y a rien à gagner à faire des compromis entre nous.
M. Saunderson: Je voudrais ajouter à ce que M. Shauf a dit au sujet des organismes modifiés génétiquement que nous reconnaissons que le client a toujours raison. Actuellement, les portes de l'Europe nous sont fermées pour notre canola à cause des OMG, et nous le reconnaissons.
Les chercheurs sont prêts à passer à un produit renfermant des OMG, pour mettre en pratique une bonne partie des recherches génétiques qui ont été consacrées au canola, et l'industrie a collectivement dit non, à cause de l'expérience européenne. Même si nous avons la technique voulue, ils ont décidé de ne pas s'engager dans cette voie et de nous fermer la porte du marché européen. Par conséquent, tant que le marché ne sera pas prêt, nous devons appliquer les freins.
Cela dit, nous devons aussi répandre la bonne nouvelle et faire savoir que la technologie nous permet déjà, par exemple pour le canola, de répandre des produits chimiques moins actifs sur les sols. Cela m'étonnerait que les consommateurs ne soient pas préoccupés à ce sujet. Il faut donc leur montrer le revers de la médaille. Ce serait un atout pour le consommateur et pour l'agriculteur, du point de vue du progrès technologique.
Au sujet des compromis, j'ai abordé cette question dans mon exposé. Je crois que nous ne devrions pas, au moment d'aborder cette prochaine ronde de négociation, adopter des règles différentes de celles des autres intervenants. Nous ne sommes pas le seul pays à avoir des secteurs nationaux sensibles. D'autres pays sont dans le même cas, par exemple les États-Unis. Que penser de leurs secteurs des produits laitiers, du sucre et des arachides? Ils protègent ces secteurs aussi férocement que nous le faisons pour certaines denrées au Canada, ce qui ne les empêche pas de dire que nous devons éliminer les tarifs douaniers.
Adoptons les mêmes règles. Il y a d'autres pays qui se protègent.
Le sénateur Spivak: Je comprends que l'étiquetage puisse être mauvais pour votre secteur, mais ce n'est pas un obstacle non tarifaire au commerce. Défendre cette position ne fait qu'embrouiller les choses. Vos consommateurs ont déjà des étiquettes assez complètes, plus aux États-Unis que chez nous, énumérant les ingrédients qui entrent dans la composition de chaque produit. Dire qu'il ne faudrait pas préciser sur l'étiquette qu'un organisme a été modifié génétiquement, sous prétexte que ce serait un obstacle non tarifaire, ce n'est pas la bonne façon de s'y prendre, surtout depuis la dernière convention sur la biodiversité.
Je voudrais savoir ce que vous pensez de cette convention. La plupart des pays étaient résolument en faveur de l'étiquetage.
Je crois que 136 pays étaient pour, contre seulement cinq, qui sont le foyer des grandes compagnies multinationales des sciences de la vie, qui étaient contre l'étiquetage. Je ne pense pas que l'on puisse gagner dans ce dossier alors que l'Internet fait circuler l'information à la vitesse de l'éclair et que l'antagonisme ne cesse de se renforcer.
Pour ce qui est des modifications génétiques, il y a d'énormes compagnies qui veulent vendre davantage de produits et qui savent pertinemment que lorsque leur bilan n'est pas sans taches, la science est parfois du côté du consommateur et pas toujours du côté du produit. Par conséquent, comment proposez-vous de naviguer dans ce dossier embrouillé? Je veux dire dans le domaine des organismes modifiés génétiquement. Des scientifiques du Royaume-Uni ont obtenu de très mauvais résultats. Malheureusement, je ne peux pas vous dire quels étaient les tests auxquels on soumettait les organismes modifiés génétiquement. Par conséquent, la question est de savoir comment vous aborderez ce problème. Vous ne pouvez pas vous contenter de dire que le consommateur ne pourra pas obtenir l'étiquetage.
M. Rutter: À ma connaissance, aucun d'entre nous n'a dit que nous avions des objections à l'étiquetage.
Le sénateur Spivak: C'est écrit noir sur blanc dans le mémoire d'Agricore. On dit que ces exigences en matière d'étiquetage avivent les inquiétudes du consommateur et constituent des obstacles non tarifaires au commerce.
M. Rutter: Je peux seulement parler en mon nom propre. Nous n'avons rien à cacher en ce qui a trait à l'étiquetage. Si c'est ce que les consommateurs veulent, alors nous allons nous efforcer de leur donner gain de cause. Il faut toutefois reconnaître que l'étiquetage peut entraîner la ségrégation, qui entraîne à son tour une hausse des coûts. Aussi longtemps que le consommateur est prêt à payer, nous pouvons le faire. C'est ce qui s'est passé pour les produits biologiques. Les fruits et légumes biologiques sont étiquetés «biologiques», mais comme l'agriculteur a un rendement beaucoup plus faible, il doit augmenter les prix pour compenser. Les consommateurs devront payer pour préserver l'identité et devront aussi payer un prix plus élevé aux agriculteurs. Certains consommateurs sont disposés à payer un prix plus élevé, ce qui est bien.
Le sénateur Spivak: Mais vous ne vous prononcez sûrement pas contre le principe.
M. Rutter: C'est bien cela.
Le sénateur Spivak: Vous dites simplement que cela va coûter plus cher. Le coût n'est pas une considération quand il est question de poursuite judiciaire.
M. Rutter: Si les consommateurs sont prêts à payer ce coût supplémentaire, alors je crois que nous pouvons exaucer leur désir. Toutefois, ne perdons pas de vue l'intérêt de l'agriculteur. Depuis l'apparition de variétés de canola modifiées génétiquement ou tolérant mieux les herbicides, les agriculteurs les ont adoptées avec enthousiasme. Cette année, de 50 à 60 p. 100 du canola qui sera produit dans l'Ouest du Canada sera constitué de variétés ayant une bonne tolérance aux herbicides. Les agriculteurs constatent les avantages agronomiques et économiques de cette technologie. Nous ne pouvons pas dire que c'est quelque chose que l'on impose aux agriculteurs.
Le sénateur Spivak: Vous parlez encore de l'étiquetage?
M. Rutter: Non. Votre question portait en partie sur les très grandes compagnies dont l'intérêt est d'imposer cela aux agriculteurs.
Le sénateur Spivak: Le gène terminateur est-il dans l'intérêt des agriculteurs?
M. Rutter: Je ne suis pas compétent pour répondre à cette question du gène terminateur, lequel, comme le droit d'auteur, protège la propriété intellectuelle. C'est une façon de protéger l'investissement. On a vu des ententes sur l'utilisation de la technologie. On a utilisé cette méthode, et les agriculteurs ont le choix d'utiliser ces canolas ou de ne pas le faire. Ils ont choisi de les utiliser parce qu'ils y voient des avantages économiques. Nous cherchons à augmenter le revenu des agriculteurs, et je crois que c'est aussi l'objectif du comité, et nous ne devrions donc pas envisager d'imposer de nouveaux coûts ou de faire en sorte qu'il leur en coûte plus cher pour acheminer leurs récoltes vers les marchés.
Le sénateur Spivak: Comment aborderez-vous ce problème, car il n'est pas non plus dans l'intérêt de l'agriculteur de voir l'Union européenne lui claquer la porte au nez. Je veux dire que ce problème ne va pas se dissiper, pas plus que les subventions à l'exportation. Le consommateur se préoccupe de tout cela, et c'est compréhensible. Vous ne pouvez pas vous contenter de dire que c'est simplement un phénomène néfaste qui devrait disparaître.
Le président: Sénateurs, c'est une question dont on pourrait débattre toute la journée.
M. Saunderson: Au sujet de l'étiquetage, le client a toujours raison. Si le client veut des étiquettes, nous en mettrons. Il faudra toutefois imposer une certaine discipline, des normes mondiales d'étiquetage qu'il faudra faire respecter. Si un pays impose ses propres normes en matière d'étiquetage, cela pourrait constituer un obstacle non tarifaire. On pourrait dire par exemple que l'étiquette doit être rédigée dans toutes les langues parlées par la population locale, pour être sûr que tout le monde comprenne. La question de normes mondiales d'étiquetage est fort complexe et, soit dit en passant, elle comporte un coût pour le consommateur.
Le sénateur Fairbairn: Premièrement, au moment d'aborder ces négociations commerciales, il y a eu un effort concerté dans l'intérêt d'établir une position ferme pour le Canada. Nous voulons dégager le consensus le plus solide possible dans tous les secteurs visés, dont les opinions sont diverses. Vos organisations participent-elles activement à ce travail préalable aux négociations afin d'essayer de dégager un consensus que le Canada pourra défendre?
Deuxièmement, dans vos mémoires et dans d'autres, on signale des éléments des ententes passées qui n'ont pas fonctionné, peut-être pas comme on le prévoyait, ou qui nous ont défavorisés. Dans ces prochaines négociations, dans les secteurs que vous avez identifiés, envisagez-vous la possibilité que le Canada puisse quitter la table de négociation?
M. Shauf: Je ne crois pas que le Canada puisse quitter la table de négociation. Le commerce est trop important pour l'agriculture canadienne, parce que nous pouvons produire beaucoup, tandis que notre population est limitée. Il nous faut absolument avoir accès aux marchés d'exportation rentables. Participons-nous activement? Oui. Nous avons de sincères préoccupations au sujet de la santé financière et même de la viabilité des producteurs, qui subissent depuis longtemps une baisse de leur revenu causée par les pratiques commerciales dans le monde. Le Canada, comme pays, n'a pas offert une aide intérieure égale à celle d'autres pays. Nous avons désespérément besoin de trouver de meilleurs débouchés dans le monde pour y écouler les produits canadiens, afin que nos producteurs soient financièrement solides.
Il est important, non seulement pour les producteurs, mais aussi pour nos organisations et pour toute l'économie du Canada, que les producteurs aient des revenus suffisants. Nous pouvons y parvenir en négociant fermement sur la scène internationale.
Le sénateur Sparrow: Il me semble que dans les négociations commerciales nous avons sacrifié notre avenir dans un certain nombre de secteurs agricoles. Je comprends que vous dites que nous devons être vigilants au cours des prochaines négociations. Il importe peu de savoir quel sera l'aboutissement des négociations si le résultat net est que nous perdons notre capacité de production et nos agriculteurs au Canada.
Les audiences d'aujourd'hui sont excellentes, et le plan à long terme nous sera très utile. Toutefois, la situation actuelle est très grave dans l'agriculture de l'Ouest du Canada, surtout en Saskatchewan.
Je m'en voudrais, monsieur le président, de laisser partir les dirigeants de ces organisations sans qu'ils nous en disent plus long sur la gravité de la situation actuelle dans l'agriculture. C'est véritablement catastrophique en Saskatchewan et dans tout l'Ouest du Canada. Le gouvernement fédéral, en collaboration avec les provinces, propose un programme appelé ACRA. On le critique beaucoup parce qu'il ne serait pas utile pour la majorité des agriculteurs. Qu'est-ce qui cloche? En quoi le programme ACRA est-il mauvais? Que peut-on y faire? Nous ne pouvons pas attendre l'automne prochain pour verser de l'argent. Nous sommes à la veille des semailles, et on dirait que personne ne fait rien.
Les cabinets comptables disent que le programme lui-même est une catastrophe qui ne fait qu'ajouter à la catastrophe agricole. D'autres nous disent qu'il aidera seulement un faible pourcentage des agriculteurs.
Les pertes sont et ont toujours été une réalité dans l'agriculture. Il y a un cycle de marges négatives sur trois ans, après quoi on enregistre de faibles profits pendant trois ans. En Saskatchewan, on a maintenant accumulé beaucoup de marges négatives.
Qu'est-ce qui cloche dans le programme ACRA proposé par le gouvernement fédéral et qu'est-ce qu'on peut faire maintenant? Pouvons-nous simplement supprimer ce programme et dire que c'était une erreur? Pouvons-nous y remédier maintenant afin de verser un peu d'argent à ces agriculteurs?
Je comprends que les agriculteurs ne sont pas contents d'un paiement fondé sur la superficie cultivée. Cela ne leur plaît pas, mais c'est du moins un début, et les fonds pourraient être versés rapidement. Les états financiers pourraient être présentés plus tard. Nous ne pouvons pas survivre si nous nions la réalité des marges négatives. Elles existent.
Quand le ministre et le ministère de l'Agriculture disent qu'ils refusent de subventionner les agriculteurs inefficaces, ce n'est pas juste. On en parle depuis des années. Il reste très peu d'agriculteurs inefficaces, s'il en reste. Nous nous en sommes débarrassés. En trente ans de palabres, nous avons réussi à les convaincre d'abandonner. Si nous continuons les palabres, très bientôt il ne restera plus qu'un seul agriculteur. Il se trouvera alors quelqu'un pour dire que celui-là est inefficace, et il pliera bagage à son tour. Voilà ce qui se passe.
Nous avons les meilleurs agriculteurs du monde, et ils ne sont pas inefficaces. Toutefois, compte tenu des conditions climatiques, nous ne pouvons pas faire concurrence aux marchés internationaux, étant donné les coûts mondiaux, que ce soit pour le porc ou d'autres denrées agricoles.
Nous avons au moins l'espoir d'empêcher 30 p. 100 de nos agriculteurs de faire faillite.
M. Shauf: Je comprends la question, mais je ne sais trop comment y répondre. Vous avez demandé ce qui cloche dans ce programme. Le problème, c'est qu'il est fondé sur 70 p. 100 d'une marge brute moyenne sur trois ans, y compris les marges négatives. Toutefois, si vous perdez de l'argent cette année, vous devez ramener cela à zéro. Par conséquent, la formule qui sert à faire le calcul induit une discrimination contre les producteurs. Voilà le gros problème. Étant donné qu'il faut inclure les résultats de l'année précédente dans la moyenne, vous devez inclure vos marges négatives. Par contre, vous n'avez pas besoin de les inclure si vous avez eu une marge négative dans l'année pour laquelle vous présentez votre demande. Autrement dit, la formule crée une forme de discrimination.
L'autre problème de ce programme, c'est que le revenu des producteurs a été relativement faible ces dernières années, ce qui réduit d'autant la moyenne d'un producteur. Quand on prend 70 p. 100 d'un revenu qui est à peine suffisant, cela donne un résultat insuffisant.
Le troisième problème, c'est que le programme est conçu pour absorber un choc plutôt que pour réagir à la baisse graduelle du revenu. Ce programme entre en jeu quand le revenu baisse brutalement à 70 p. 100.
Le plus grave de ces facteurs, c'est que la formule constitue une discrimination contre le producteur pour ce qui est de verser de l'argent aux producteurs qui ont des problèmes de revenu depuis quelques années. Je pense qu'il faut remédier à tout cela.
Le sénateur Sparrow: Comment?
M. Shauf: Supprimer la discrimination serait un bon début.
La sénateur Sparrow: Y a-t-il une méthode simple de présenter une demande de manière à toucher des fonds rapidement? Le système ne peut tout simplement pas fonctionner. Des firmes comptables disent qu'elles n'arrivent même pas à traiter les demandes des agriculteurs. Il y a trop de demandes, et les agriculteurs ne peuvent pas le faire eux-mêmes. Ces comptables disent qu'ils sont incapables de gérer le programme parce qu'il est très embrouillé et prend beaucoup de temps.
Les auteurs d'une lettre déclarent que c'est le programme le plus irrationnel jamais mis sur pied et que c'est un désastre. Cela émane d'un gros cabinet comptable de la Saskatchewan. Les auteurs affirment qu'il leur faudrait 4,000 heures pour s'occuper de tous leurs fermiers. Ils en sont incapables. Ils doivent embaucher 20 personnes compétentes pour s'en occuper d'ici le 15 juin. C'est une situation impossible. C'est bien beau de dire: «Ma femme a déchiffré ce formulaire, mais moi je n'y comprends rien.» C'est tout simplement trop détaillé, et l'on y demande trop de renseignements dans les 40 pages d'instructions qui accompagnent le tout. Dans le cas du tarif du Nid-de-Corbeau, nous avions une demande comportant une seule page d'instructions. Nous l'avons fait de façon simple pour d'autres programmes, et je pense qu'un système peut être établi rapidement pour le faire. Y a-t-il quelque chose qui m'échappe?
M. Shauf: Il est possible de simplifier le formulaire, mais je ne sais pas exactement ce que cela supposerait. Il me semble qu'une bonne partie des renseignements nécessaires pour remplir le formulaire existe déjà au CSRN, dans le cas des gens qui en font partie.
C'est ce qu'on m'a fait comprendre. Pour ce qui est de simplifier le formulaire, il faut veiller à ce qu'un programme simple applicable aux céréales, aux oléagineux, au porc et à toutes les denrées, ce qui serait idéal du point de vue des producteurs, n'entraîne pas de mesures compensatoires chez nos partenaires commerciaux, parce qu'à ce moment-là l'argent des contribuables qu'on remettrait aux producteurs se retrouverait entre les mains de quelqu'un d'autre. Il faut que ce soit simple; il faut que le programme soit le plus efficace possible; mais il faut aussi s'assurer que le programme ne perde pas toute sa valeur à cause de mesures de représailles.
Le sénateur Sparrow: Vous avez fait allusion au programme CSRN. Si l'on est membre du CSRN, le problème est réglé. Ce n'est pas ce que disent les comptables. C'est le ministère de l'Agriculture qui l'affirme. Toutefois, la Fédération canadienne de l'agriculture ne défend plus cette position. Les comptables ne disent pas que tous les renseignements se trouvent dans le CSRN. Ce qu'ils m'ont dit, c'est qu'on n'y trouve pas les renseignements demandés au sujet des stocks, et cetera. On répète ce qui est en réalité un mensonge quand on dit que c'est simple. Peut-être que les mesures compensatoires éventuelles pourraient poser un problème, je n'en sais trop rien. On parle tout le temps de distorsions, et nos agriculteurs en souffrent. On a toujours des prétextes quelconques: il est impossible de leur donner de l'argent pour telle ou telle raison;, alors laissons-les faire faillite. Attendons l'automne prochain, et alors une partie de l'argent sera versée.
La Fédération canadienne de l'agriculture me dit que sur le milliard de dollars dont elle parle, vu la façon dont le programme est conçu, elle aura de la veine si elle peut en distribuer la moitié. L'argent est là, mais elle ne pourra en distribuer que la moitié. Le solde restera dans la caisse alors que nous avons désespérément besoin d'injecter des fonds dans le milieu agricole.
Le sénateur Robichaud: Je comprends la réponse que vous avez donnée au sénateur Taylor, à savoir que le milieu agricole devrait rester uni et ne pas négocier un secteur contre l'autre car cela pourrait avoir de graves conséquences pour les régions et le pays. Vous insistez beaucoup, tous les trois, sur les subventions à l'exportation. Mes collègues qui se sont rendus en Europe affirment que les Européens vont les défendre et qu'ils n'ont pas la moindre intention de les modifier. Vous dites que les Américains se sont dit disposés à y réfléchir. Ce sont des libre-échangistes dans la mesure où tout le monde est libre, mais ils n'ont pas besoin de prendre certaines des mesures qui, selon eux, devraient être mises oeuvre.
Selon moi, il y a fort à parier que les Américains vont se servir de la détermination des Européens de ne pas modifier les subventions à l'exportation comme prétexte pour conserver les leurs. Est-ce que nous nous trompons d'adresse, ou croyez-vous que nous pouvons réellement accomplir quelque chose dans le dossier des subventions à l'exportation, les Européens étant déterminés à les conserver?
M. Saunderson: Vous en avez parlé, et je ne suis pas sûr si c'est le sénateur Gustafson ou quelqu'un d'autre qui en a aussi parlé. Oui, il existe un obstacle de taille -- une tradition de soutien aux agriculteurs en Europe. Ils n'ont pas l'intention d'y renoncer de sitôt. Cependant, ce n'est pas parce que le défi est de taille que des pays comme le Canada doivent s'abstenir d'affirmer qu'il y a un problème, que ce soutien a un effet de distorsion sur le commerce mondial. Le Canada pourrait encourager d'autres acteurs dans la communauté internationale à se joindre à lui pour dire que cela ne favorise pas la libéralisation du commerce. Nous pourrions peut-être même adresser ce message aux consommateurs européens, car on vous a probablement dit que depuis la dernière guerre, ils craignent énormément de ne pas être autosuffisants sur le plan alimentaire. En fait, ils sont allés au-delà de l'autosuffisance et ont constitué d'énormes réserves. C'est une question qui intéresse directement le contribuable et le consommateur en Europe.
Qu'est-il advenu du mandat initial d'autosuffisance? Est-ce qu'ils l'ont abandonné pour constituer des montagnes d'aliments qu'ils écoulent maintenant à bas prix sur les marchés mondiaux? J'ai employé le terme «vigilant» auparavant. Je répète encore une fois qu'il faut demeurer vigilant, poursuivre les efforts, trouver des alliés, et cetera. Le dossier des subventions à l'exportation est trop important pour qu'on n'y consacre pas les ressources nécessaires.
Le sénateur Robichaud: Il s'agit là d'une pétition de principe. Les agriculteurs nous ont dit qu'ils se trouvaient dans une situation très précaire et que leurs revenus sont très faibles. Les agriculteurs européens ne peuvent-ils pas invoquer cet argument auprès de leurs gouvernements pour que ces derniers maintiennent les subventions à l'exportation, car autrement ils se retrouveraient dans la même situation que les agriculteurs canadiens?
M. Shauf: Les subventions à l'exportation n'auront aucun effet sur le revenu des producteurs européens. Elles n'auront de répercussions que sur le reste du monde, car les Européens protègent leurs producteurs contre les répercussions de ces subventions.
Le sénateur Robichaud: Vous avez aussi dit qu'elles les encourageaient à produire davantage.
M. Shauf: Les programmes de soutien intérieur et les programmes axés sur des produits les encouragent à produire davantage. Les subventions à l'exportation n'ont pour effet que de mettre leur surproduction sur le marché. L'Europe a déjà accepté de réduire la valeur et le volume des subventions à l'exportation qu'elle accorde d'ici l'an 2000-2001. Les Européens ont déjà accepté de le faire à la dernière ronde de négociations.
Le sénateur Taylor: Est-ce qu'il ne s'agit pas d'une subvention à l'exportation lorsqu'ils paient un prix d'intervention aux producteurs et qu'ils revendent ensuite ce produit sur le marché mondial à un prix inférieur à celui versé aux producteurs? N'est-ce pas la même chose qu'une subvention à l'exportation en vue de se débarrasser des excédents?
M. Shauf: Il y a en fait deux subventions.
Le sénateur Taylor: Oui, mais c'est la subvention à l'exportation, le prix de vente moins le prix d'intervention. J'ai cru bon de l'expliquer.
M. Shauf: On parle vraiment de deux subventions. L'une protège le producteur contre les fluctuations du marché international, en lui offrant un soutien inférieur, et l'autre consiste à commercialiser le produit, ce qui touche tous les autres agriculteurs sur la planète étant donné que le prix des produits s'en trouve affecté. Ces deux subventions nuisent considérablement aux agriculteurs canadiens, car ils sont ainsi beaucoup plus vulnérables aux fluctuations du marché international que leurs concurrents. Les agriculteurs obtiennent sur le marché un prix inférieur à ce qu'ils devraient toucher s'il n'existait pas de subventions à l'exportation, qui ont pour effet de réduire les prix.
Le président: Le problème, c'est que nous sommes timides. Nous avons tout mis sur la table, le tarif du Nid-de-Corbeau, et cetera, et les agriculteurs canadiens en ont beaucoup pâti. Nous nous demandons si cela va se répéter, et d'après ce que nous avons entendu en Europe, j'en suis persuadé. J'aimerais croire que non, et j'aimerais que les suggestions que vous avez formulées sont bonnes. J'aimerais croire le gouvernement et les agents de commerce qui nous disent que cela ne va pas se répéter. Cependant, je crois que nous sommes timides.
M. Shauf: Il y a une différence entre les règles et la réalité.
Le président: Personne n'a suivi les règles. Voilà le problème.
M. Shauf: Selon l'accord négocié il fallait échelonner ces mesures sur une certaine période. Le Canada a immédiatement réduit ses subventions, mais l'Europe ne l'a pas fait. Les Européens ont transformé certaines de leurs subventions, mais les niveaux sont demeurés élevés. Voilà où réside la différence. Les règles permettent au Canada de continuer de verser des subventions comme le font les autres pays. Cependant, pour des raisons financières, le Canada a immédiatement réduit les niveaux de subventions. Voilà l'origine de l'écart et du problème pour les agriculteurs canadiens.
Le président: Je vous remercie d'avoir comparu devant le comité pour exprimer vos opinions et répondre à nos questions.
Nous devons maintenant entendre les représentants du Syndicat national des cultivateurs. Je vais demander à M. Ollikka de prendre place à la table.
M. Cory Ollikka, président, Syndicat national des cultivateurs: Nous sommes heureux de présenter un exposé au nom du Syndicat national des cultivateurs. M'accompagnent aujourd'hui, Mme Shannon Storey, de Saskatchewan, Fred Tait, du Manitoba, et Stewart Wells.
Le gouvernement du Canada et la plupart des gouvernements provinciaux ont mis en oeuvre une stratégie agricole de déréglementation, de privatisation, de libéralisation des échanges et de promotion des exportations agroalimentaires dans l'espoir qu'une partie des recettes générées par les exportations filtrent jusqu'à la ferme. Pour les agriculteurs, cette stratégie a échoué. Il suffit pour le constater de comparer les exportations agroalimentaires canadiennes au revenu agricole total net réalisé depuis 1970. Les agriculteurs n'ont de toute évidence pas profité de cette force croissance des exportations agroalimentaires. En fait, leur revenu agricole net réalisé, en dollars de 1998, accuse une forte tendance à la baisse vers les niveaux de 1940.
Leur revenu agricole net réalisé au Canada, par exploitation agricole, est bien inférieur au niveau des 50 dernières années. Même si le problème est plus grave dans les Prairies, il n'en est pas pour autant de nature régionale. Les agriculteurs et les éleveurs de toutes les provinces seront durement touchés par les prix dérisoires du marché mondial. Les données statistiques combinent les gagnants et les perdants, malheureusement, et les gains enregistrés par les producteurs et les secteurs soumis à la gestion de l'offre cachent et compensent les pertes considérables enregistrées par les éleveurs de porcs et les producteurs de céréales et d'oléagineuses. Ainsi, malgré la stabilité financière relative des secteurs soumis à la gestion de l'offre, leur revenu agricole canadien est à son plus bas niveau.
Le revenu agricole en Saskatchewan, où prédominent les exploitations céréalières, devrait être le plus faible enregistré depuis que Statistique Canada a commencé à tenir ce genre de données en 1926. On estime que le revenu agricole net réalisé par exploitation agricole en 1998 est de 3 408 $; et en 1999, il devrait se chiffrer à moins 3 047 $.
Même si dans son document d'orientation d'avril 1998, Agriculture et Agroalimentaire Canada prévoyait que les exportations nettes canadiennes allaient presque doubler entre 1998 et 2007, la même publication prévoyait que le revenu des éleveurs de porc allait chuter pendant la même période. À titre d'exemple, une exploitation porcine de naissage-engraissage dans le centre de l'Alberta qui comptait 140 truies et 640 acres de terre verra son revenu agricole net constamment reculer au cours des prochaines années.
Il ne faut pas attribuer la crise actuelle aux agriculteurs. Ils ne sont pas des victimes passives non plus, ayant investi et diversifié leurs activités pour tenter d'obtenir les meilleurs prix possibles dans un marché mondial en évolution. Le problème serait attribuable aux marchés qui fluctuent énormément à court terme et qui sont à la baisse à long terme. Les fortes subventions versées aux États-Unis et dans l'Union européenne montrent que les agriculteurs du monde entier n'arrivent pas à tirer un revenu sûr et suffisant du marché. Ces gouvernements ont donc réagi. Ces subventions ne font évidemment qu'exacerber les problèmes des éleveurs canadiens, leur filet de sécurité étant insuffisant compte tenu de l'ampleur de la crise.
Il est difficile de prouver que les accords commerciaux et l'expansion des exportations augmentent le revenu des agriculteurs, mais nous avons davantage de preuve que la commercialisation ordonnée effectuée par les agences de gestion de l'offre menacées par ces accords contribue à augmenter le revenu des agriculteurs. Par exemple, un rapport publié en 1996 montre que la Commission canadienne du blé a relevé en moyenne le revenu des producteurs de blé de 256 millions de dollars par an de 1981 à 1995. De plus, le rapport de Schmitz et al, intitulé: «The Canadian Wheat Board and Barley Marketing» a constaté que la Commission du blé avait permis d'augmenter le revenu des producteurs d'orge de 72 millions de dollars par an entre 1985-1986 et 1994-1995. En outre, le document d'orientation à moyen terme d'Agriculture et Agroalimentaire Canada prévoit une croissance soutenue du revenu des fermes laitières au Québec. Des organismes comme l'Office canadien de commercialisation du lait, l'Office de commercialisation des oeufs et de la volaille, la Commission canadienne du blé et l'Ontario Wheat Producers Marketing Board donnent un certain pouvoir aux agriculteurs dans un marché qui est de plus en plus dominé par les grandes agro-entreprises. Ils contribuent à accroître et à stabiliser le revenu des agriculteurs.
Le Syndicat national des cultivateurs ne s'oppose pas au commerce. Il s'oppose toutefois vigoureusement aux échanges qui déstabilisent le revenu des agriculteurs et les appauvrissent tout en privant des millions de personnes d'une quantité suffisante de nourriture. Et c'est exactement ce que fait le système actuel d'échanges agroalimentaire.
Le syndicat est un membre fondateur et le coordonnateur nord-américain de Via Campesina, un mouvement international qui regroupe 69 organisations agricoles dans 37 pays du monde. Le syndicat a profité considérablement des efforts de collaboration déployés auprès de groupes agricoles dans le monde entier. Le Syndicat national des cultivateurs et ses membres ont pu se familiariser avec une perspective internationale du système de production, de transformation, de distribution et de commercialisation des produits agricoles de plus en plus intégrés à l'échelle mondiale.
Via Campesina a publié la déclaration suivante au sujet de l'OMC lors de sa réunion du 27 mai 1998 à Genève:
La perte de la souveraineté alimentaire nationale au sein de l'OMC est dangereuse et inacceptable. Via Campesina s'oppose vigoureusement à la tenue de négociations agricoles dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce. La politique de l'OMC privilégie avant tout les intérêts des multinationales qui dominent le commerce international en détruisant notre capacité de production alimentaire, nos collectivités et notre environnement naturel.
Le commerce international doit servir la société!
Dans le document, l'organisme demande au gouvernement et aux organisations internationales de retirer à l'OMC toutes les négociations relatives à la production et à la commercialisation alimentaire. Cela témoigne du dégoût et de l'insatisfaction des agriculteurs à l'égard du processus de l'OMC.
Le Syndicat national des cultivateurs recommande au gouvernement canadien de profiter de l'insatisfaction internationale à l'égard du processus de l'OMC pour renforcer sa position globale de négociation. De plus, le syndicat recommande que le gouvernement fédéral du Canada adopte une position clairement favorable aux agriculteurs au cours du prochain cycle de négociations de l'OMC et qu'il collabore avec les autres nations du monde qui cherchent à changer l'orientation de ces discussions.
Mme Shannon Storey, présidente des femmes, Syndicat national des cultivateurs: Le Syndicat national des cultivateurs recommande également que les négociateurs canadiens à l'OMC défendent le droit inconditionnel du Canada de créer, de maintenir et de développer des organismes de commercialisation méthodique et de gestion de l'offre.
Ce sont les seuls organismes qui ont permis d'assurer une certaine sécurité aux agriculteurs canadiens. Le numéro du 19 novembre 1998 de la publication The Western Producer citait le sous-secrétaire du département de l'Agriculture des États-Unis, au sujet des négociations à venir, selon qui les Américains allaient réclamer une diminution des subventions intérieures, une réforme des organisations commerciales nationales et un resserrement des contrôles sur les subventions à l'exportation. Les Américains souhaitent également abaisser les droits de douane qui protègent des secteurs comme ceux du lait et de la volaille au Canada. C'est ce qu'il a déclaré, même si les Américains sont parmi ceux qui offrent les plus fortes subventions à l'exportation.
De toute évidence, les États-Unis vont cibler les programmes et les organismes canadiens qui servent et protègent actuellement les agriculteurs. Des droits élevés sont imposés sur la production supérieure aux contingents afin de protéger des secteurs de l'agriculture canadienne sensibles aux importations -- à savoir les secteurs du lait et de la volaille soumis à la gestion de l'offre. Nous nous attendons à ce que ces droits constituent la première cible des réductions au cours des prochaines négociations de l'OMC. Toute réduction de ces droits de douane va déstabiliser le secteur soumis à la gestion de l'offre et réduire le revenu des agriculteurs. Je dois souligner que ce sont des secteurs dans lesquels nous réalisons peu d'exportations. Ces industries soumises à la gestion de l'offre n'empiètent sur les plates-bandes d'aucun autre pays.
L'huile de beurre est un excellent exemple des répercussions négatives que les importations à tarif réduit ont sur le secteur laitier au Canada. Comme aucun tarif n'est imposé sur les mélanges de sucre -- huile de beurre, les importations ont augmenté considérablement. On estime que la part du marché du gras de beurre importé utilisé dans la crème glacée au Canada est passée de moins de 2 p. 100 en 1995 à 20 p. 100 en 1997. Cela a entraîné des pertes annuelles de revenu de 50 millions de dollars pour les producteurs laitiers du Canada. Le Syndicat national des cultivateurs recommande que les négociateurs canadiens refusent de céder aux demandes visant à réduire les droits de douane qui protègent les secteurs soumis à la gestion de l'offre.
La Commission canadienne du blé n'est pas une société commerciale d'État. C'est un organisme axé sur le marché, non subventionné qui n'a aucun effet de distorsion sur le commerce. Il s'agit d'une solution de rechange, axée sur les besoins des agriculteurs, aux grandes multinationales céréalières en expansion. Elle est gérée par les agriculteurs par l'entremise du nouveau conseil d'administration élu.
Plusieurs pays, dont les États-Unis, tentent d'imposer une nouvelle définition élargie des subventions à l'exportation agricole en vertu de laquelle les avantages découlant des accords de mise en commun constitueraient une forme de soutien indirect à l'exportation, même si le gouvernement ne verse aucun fonds. La gestion de ces fonds est assurée par les agriculteurs, qui sont pour la plupart disposés à le faire. Les négociateurs canadiens devraient s'efforcer de mettre un terme aux subventions à l'exportation tout en contrant vigoureusement toute tentative en vue d'élargir la définition des subventions à l'exportation afin d'éviter qu'elle n'englobe les activités des organismes canadiens de gestion de l'offre et de commercialisation.
Le Syndicat national des cultivateurs recommande que le gouvernement canadien protège la capacité du Canada et d'autres pays de soutenir les agriculteurs au moyen d'outils de soutien intérieurs jusqu'à ce que les problèmes plus vastes du système commercial agricole soient corrigés. Les États-Unis et l'Union européenne ont démontré leur volonté de conserver leur capacité de production et leur rang de grands exportateurs agricoles. De plus, les mesures prises dernièrement par le Dakota du Sud et d'autres États, la menace des États-Unis d'apposer des étiquettes sur le pays d'origine, et les nombreux différends commerciaux bilatéraux mettent en doute la capacité du Canada d'obtenir éventuellement un accès garanti aux marchés américains. L'Union européenne est également déterminée à maintenir sa capacité de production intérieure et, par conséquent, ses exportations.
En terminant, les agriculteurs ont constaté que les augmentations dans les exportations agroalimentaires en vertu de l'accord de l'OMC n'ont pas amélioré leur revenu agricole net. En fait, c'est tout le contraire. Le Syndicat national des cultivateurs a toujours reconnu qu'une stratégie visant à permettre aux agriculteurs d'acquérir une position dominante sur le marché est plus profitable qu'une autre visant à obtenir l'accès à un marché aux dépens des organismes de commercialisation. Ce sont ces organismes qui nous donnent un certain poids.
Le président: Je vous remercie de vos exposés.
Le sénateur Fairbairn: Votre position au sujet de la gestion de l'offre est très claire. J'ai posé des questions aux témoins qui vous ont précédé. Je vais vous poser les mêmes. Une de mes questions porte sur la mesure dans laquelle les différents intervenants, ou groupes, au sein de notre industrie, essaient de collaborer avec le gouvernement afin d'élaborer une position qui soit aussi solide que possible en prévision des prochaines négociations. Ainsi, ma première question porte sur la mesure dans laquelle le Syndicat national des cultivateurs a pu participer à ce processus.
Je n'aime pas vraiment poser ma deuxième question; cependant, vous l'avez abordée lorsque vous avez fait vos commentaires. Est-ce utile, étant donné vos préoccupations concernant les définitions de la gestion de l'offre et des subventions à l'exportation, que le Canada s'y oppose catégoriquement? On a dit au cours de ces discussions, et à d'autres moments, que notre économie dépend entièrement du commerce et que nous ne pouvons nous permettre de nous retirer d'un forum comme l'Organisation mondiale du commerce.
Mme Storey: Il faut signaler que lorsqu'on examine toute la question du commerce -- c'est-à-dire, combien d'aliments nous exportons et combien nous en importons, l'écart n'est pas très grand. L'excédent commercial n'est que d'environ 4 milliards de dollars, sur toute la gamme des produits que nous importons et exportons. Nous importons certains bien que nous avions l'habitude de produire ici même. Nous en importons que nous produisons tous les jours, et très souvent ce sont des produits pour lesquels il est difficile d'obtenir un prix convenable. Je vais demander à M. Ollikka d'en parler plus en détail.
Le sénateur Fairbairn: Pourriez-vous nous donner des exemples?
Mme Storey: Cela comprend beaucoup de fruits, de légumes, la viande de boeuf et de porc. Les pressions exercées sur les importations et les exportations de boeuf et de porc expliquent en partie le recul actuel du prix du porc. Ce recul n'est pas terminé. La situation s'est améliorée mais la crise n'est pas terminée.
M. Ollikka: Le Syndicat national des cultivateurs ne recommande évidemment pas que nous nous retirions des négociations. Nous nous opposons pas au commerce. Nous croyons que c'est une bonne chose. Mais il doit profiter à la société. Nous croyons qu'il vaut beaucoup mieux être présent aux négociations pour défendre nos producteurs et notre industrie que de se retirer du processus. Il faut savoir très clairement ce que nous recherchons dans ce processus et quelle est notre position de négociation. La négociation est comme une médaille à deux faces, il faut avoir une position très solide dès le départ. C'est-à-dire qu'il ne faut rien céder sans rien recevoir en échange.
Pour mener des négociations, nous avons besoin de deux choses: un ensemble de principes directeurs immuables, et une série d'éléments sur lesquels nous pouvons faire des concessions. Nous recommandons que dans cet ensemble de principes directeurs figurent certains éléments fondamentaux de l'agriculture canadienne qui protègent le revenu agricole.
Le sénateur Fairbairn: Aucun compromis?
M. Ollikka: Aucun compromis sur ces éléments. De toute évidence, l'accent mis sur l'augmentation des exportations afin d'accroître le revenu des agriculteurs n'a pas porté fruit. J'ai apporté un graphique, que je remettrai au greffier, tiré des mémoires que nous avons présentés au comité de l'agriculture de la Chambre des communes en novembre dernier. J'espère que vous pouvez voir le graphique d'où vous êtes.
La ligne rose montre une augmentation prononcée des exportations agroalimentaires canadiennes de 1970 à 1998. La ligne noire au bas, qui marque une tendance vers le bas en 1998, représente le revenu agricole net réalisé. Ce graphique montre les effets de l'approche unique qui a été adoptée. Ces statistiques sont établies par Agriculture et Agroalimentaire Canada. L'accent unique mis sur les exportations n'est pas efficace pour les fermes canadiennes. Par conséquent, il ne faut pas amorcer les prochaines négociations commerciales en donnant l'impression qu'il faut nous concentrer encore davantage sur l'augmentation des exportations.
Le fait est que depuis 28 ans cette approche n'a rien donné.
M. Fred Tait, vice-président, Syndicat national des cultivateurs: Ce qui nous inquiète, c'est qu'Agroalimentaire Canada a déclaré que son objectif au cours des 10 prochaines années est de doubler les exportations agroalimentaires du Canada. C'est une politique officielle.
Pour ce faire, il doit négocier l'accès au marché. Et pour négocier l'accès au marché, vous devez être disposé à céder quelque chose en échange. Que reste-t-il à céder? Il y a la gestion de l'offre, il y a la coopérative de vente à guichet unique, soit la Commission canadienne du blé. Nous croyons que ce sont deux choses que le ministère serait disposé à céder afin de pouvoir doubler les exportations agroalimentaires. Cependant, l'expérience montre que cette stratégie n'a rien donné en 30 ans. On peut s'attendre à ce qu'elle échoue autant dans les 10 prochaines années qu'au cours des 30 dernières. Par conséquent, pourquoi envisage-t-on encore de continuer dans cette voie?
On a aussi signalé que les secteurs prospères de l'agriculture sont ceux qui desservaient le marché national assujettis à la gestion de l'offre, et les secteurs où on a pu augmenter nos rendements au-dessus des prix mondiaux sont ceux où l'on trouve la coopérative de vente à guichet unique. Je crains que la prochaine ronde de négociations ne nous fasse perdre ces deux secteurs.
Le sénateur Fairbairn: Vous le croyez, monsieur?
M. Tait: Autrement, comment faire pour doubler les exportations agroalimentaires, qui exigent qu'on ait accès au marché? Il faut donner quelque chose en échange. Si ce ne sont pas ces deux choses-là, qu'est-ce que ce sera?
Le président: Quels secteurs de l'Office de commercialisation sont représentés par ces témoins?
Mme Storey: Nous sommes tous dans des secteurs de coopérative de vente à guichet unique. Un producteur laitier n'a pas pu venir. Nous pouvons parler en son nom parce qu'il nous a décrit sa position en long et en large, à maintes reprises.
Le président: Le problème, pour le gouvernement, c'est que vous ne traitez qu'avec le marché national. Combien y a-t-il d'éleveurs de poulets en Saskatchewan?
Mme Storey: Pas beaucoup, je ne sais pas vraiment.
Le président: Il y en a 300. Combien y a-t-il de producteurs laitiers?
Mme Storey: Pas plus que cela.
Le président: Que ferez-vous avec le reste des agriculteurs?
Mme Storey: Il faut bien dire que dans l'Est du pays, beaucoup de producteurs laitiers sont de nos membres. Les producteurs de grain parmi nous s'assurent que, comme le reste des agriculteurs, auront un bon guichet unique pour la vente, un bon office de commercialisation du grain qui nous permet d'obtenir des parts de marché pour des produits de grande qualité, ce qui est le point fort des producteurs de grain canadiens.
Le président: C'est justement le problème. Nous recevons 2,90 $ pour le blé et cela ne suffit pas à payer les factures. C'est de cela que notre comité a parlé toute la journée. Comment régler les problèmes? On ne peut pas continuer à produire du blé à 2,90 $. On se fiait au canola, et vous savez ce qui est arrivé au prix du canola. J'en vends moi-même. J'ai essayé d'en obtenir sept dollars, l'autre jour, mais c'était impossible. Auparavant, on nous donnait neuf dollars pour le canola.
Mme Storey: Les agriculteurs d'autres pays disent exactement la même chose. Ils vivent exactement la même situation: ils n'arrivent pas à obtenir un rendement suffisant pour les céréales.
Pourtant, le monde a besoin de céréales. Dans toute rotation de cultures, il faut avoir une culture de céréales. Pour des raisons techniques, nous ne pouvons cesser de produire du grain. Nous pouvons réduire notre production, mais nous ne pouvons pas la cesser.
En commençant des négociations internationales, il faut savoir que le monde a besoin de grains céréaliers, puisque beaucoup de gens ne comblent pas leurs besoins alimentaires, même si on en produit bien suffisamment. Il faut garder à l'esprit que les agriculteurs doivent cultiver des céréales, dans leur rotation de cultures. Discutez-en avec d'autres pays, pour permettre aux cultivateurs de produire des céréales dont le monde a besoin, à un prix qui sera rentable pour eux. Il faut tenir compte des questions sociales plus larges.
Le président: Voici la question sociale plus large: la Russie, l'Asie du Sud-Est et les pays sud-américains ne peuvent se permettre d'acheter notre grain.
Mme Storey: Ils ne peuvent pas.
Le président: On a donc un problème dont on n'a pas parlé encore aujourd'hui, soit que ces pays qui ont besoin de notre produit n'ont pas d'argent.
Mme Storey: Oui.
Le président: À notre époque, disons, très évoluée, on n'a pas encore trouvé moyen de mettre de la nourriture sur la table des gens qui n'ont pas d'argent pour en acheter. C'est certainement un grave problème.
Le sénateur Spivak: Il me semble à moi aussi qu'à long terme, la solution pour contrer le faible prix du grain se trouve peut-être dans les négociations commerciales. Participez-vous aux négociations? Pensez-vous qu'il y a suffisamment de transparence quant aux concessions que sont prêts à faire nos négociateurs?
Il y a quelque temps, on nous a dit ici que la principale chose que le Canada a à offrir, c'est le fait qu'il a déjà réduit ses subventions. Par conséquent, à la table des négociations, vous avez une position forte.
Il me semble qu'à court terme, la solution aux faibles prix du grain se trouve dans les politiques nationales. On nous en a parlé ce matin.
Je suis convaincue que vous étiez là lorsqu'on en a parlé et je me demande ce que vous en avez pensé. Je ne sais pas quelle est votre position au sujet de la question de la juste part. Même si des entreprises nous ont dit qu'elles n'avaient pas un rendement satisfaisant, personne n'est aussi mal payé que le producteur.
C'est donc un problème qu'il faut régler. On a suggéré, par exemple, des coopératives fermées, des allégements fiscaux, et cetera.
J'ai deux questions. Tout d'abord, êtes-vous satisfait de la transparence des négociations actuellement, moyennant quoi vous savez ce que nous y faisons? Deuxièmement, à votre avis, quelle politique nationale, s'il y en a, pourrait à court terme assurer l'existence des agriculteurs, et éviter que toutes les terres ne tombent entre les mains du complexe agro-industriel?
M. Ollikka: Pour répondre à la deuxième question en premier, le syndicat a proposé trois choses. La troisième porte sur le commerce mondial, auquel nous consacrerons probablement le gros de la prochaine demi-heure. Les deux autres choses, toutefois, sont une injection de fonds immédiate et un régime de filet de sécurité complet, à longue échéance.
Les agriculteurs ont assez bien réussi à obtenir une promesse d'injection d'argent frais de la part du gouvernement fédéral. Du point de vue du producteur, cela ressemble plus, actuellement, à un incroyable et catastrophique programme de réduction du nombre de fermes.
Je viens de parler à un de nos experts organisationnels sur les filets de sécurité qui, pendant le vol de six heures entre Saskatoon et Charlottetown, a commencé à remplir ses formulaires; il en a fait environ 20 p. 100. Il estime qu'il lui faudra encore de 24 à 30 heures de travail pour terminer. Or, il est notre expert en matière de filets de sécurité.
Il incombe au gouvernement de légiférer et d'agir au nom de ses citoyens. Parfois, malheureusement, cela veut dire qu'il faut dépenser. Le gouvernement a la responsabilité de dépenser sagement cet argent, mais aussi de ne pas faire une priorité des risques moraux. L'efficacité des politiques et de la prestation de services doit être prioritaire et il faut s'assurer que l'argent parviendra là où on en a besoin de manière opportune et efficiente.
Pour ce qui est d'une politique à long terme sur le filet de sécurité, notre organisation et d'autres se concentrent sur l'an 2000 et celles qui suivront, dans le cadre de la renégociation de l'enveloppe du filet de sécurité fédéral et de la réévaluation des programmes connexes, et du choix d'une nouvelle orientation. À ce sujet, nous avons obtenu l'appui de quelques ministères provinciaux de l'Agriculture.
On devrait adopter un programme de filet de sécurité complet, qui regroupe le risque pour toutes les denrées et toutes les régions du pays. Il ne faudrait pas se concentrer principalement sur l'adaptation d'un tel programme au processus de l'OMC, puisque les États-Unis et l'Union européenne versent des subventions, pas nécessairement aux exportations, mais à des programmes d'aide intérieure.
Même avec la ligne directrice restrictive de 70 p. 100 dictée par l'OMC, on peut mettre sur pied un programme de filet de sécurité complet qui répondra aux besoins. Le CSRN n'est pas la solution. J'ai oublié la première question.
Le sénateur Spivak: Je vous ai demandé si vous pensiez que le processus de négociation est suffisamment transparent pour que vous puissiez y participer. Connaissez-vous la position du Canada? Il semble que la plupart du temps, nous ne savons pas ce qui se passe aux négociations. Or, on nous a dit que ce serait un processus très transparent.
Mme Storey: Brièvement, nous espérons certainement que le processus sera plus transparent que la dernière fois. En vérité, le manque de transparence n'est pas le plus grave reproche que nous ayons eu à faire aux dernières négociations. C'était plutôt que les groupes qui représentaient directement les agriculteurs, financés par eux, avaient une part disproportionnellement faible d'influence sur l'issue des négociations.
C'est un problème qu'ont vécu non seulement les organisations agricoles canadiennes, mais aussi celles de tous les autres pays. Lorsque je parle d'organisations agricoles, je ne parle pas de celles qui sont financées par les entreprises. Je ne parle pas d'organisations parapluie qui ne comptent pas d'agriculteurs dans leurs rangs et qui sont susceptibles de représenter plus vraisemblablement le complexe agro-industriel que les groupes d'agriculteurs.
Je parle de groupes comme le nôtre, travaillant pour leurs membres, financés et dirigés par leurs membres. Pour quelque pays que ce soit, ce genre de groupes avait très peu d'influence sur les positions du pays.
Le sénateur Spivak: Merci de le signaler. C'est très intéressant. C'est aussi vrai pour d'autres organismes internationaux comme le Codex Alimentarius, et d'autres. C'est un grave problème.
Mme Storey: En effet.
M. Stewart Wells, coordonnateur pour la Saskatchewan, Syndicat national des cultivateurs: S'il y a une chose que je changerais au processus de négociation, ce serait l'imposition d'un principe fondamental qui associerait l'issue de l'accord commercial au bien-être des citoyens ou, dans notre cas, des agriculteurs. On aurait alors un point de référence pour, disons, dans cinq ans.
Cette négociation en elle-même serait un exercice intéressant puisqu'on saurait que quelque chose cloche dès qu'on se heurte à une organisation ou à un autre gouvernement qui ne veut pas associer le bien-être de ses citoyens aux négociations commerciales.
M. Ollikka: On n'aurait plus besoin d'un processus parallèle, avec des tribunes distinctes sur les question sociales. Tout serait combiné. Je pense que cela répond aux commentaires formulés tantôt par le sénateur Gustafson. Nous avons des questions sociales dont nous devons nous occuper.
Le sénateur Spivak: J'ai une dernière demande. C'est un très bon tableau. On pourrait même s'en servir pour la première page d'un rapport. Nous en donnerez-vous copie?
M. Ollikka: Oui.
M. Tait: Sénatrice Spivak, une autre chose nous déconcerte beaucoup au sujet du processus. Vous avez parlé de transparence. Il y a une étape de consultation, très bien décrite dans un dépliant présenté par McGrath. On y décrit comment s'y prendre pour que le public adhère à une décision prise d'avance. On exclut de la discussion les personnes dissidentes et on dit de ceux qui n'ont pas exprimé verbalement leur désaccord qu'ils ne sont pas d'accord.
On a appliqué cette méthode dans les discussions au sein du milieu agricole. On l'a fait aussi pour le transport. Les discussions sur la commercialisation du grain ont aussi été menées de cette façon. Nous serons à une conférence au début de la semaine prochaine, au sujet de la prochaine ronde de discussions de l'OMC, et on y verra la même méthode, destinée à dissiper les préoccupations du public. On empêche le citoyen et les groupes de citoyens d'avoir vraiment voix au chapitre. Cela ne nous encourage pas beaucoup.
Nous avons dit à maintes reprises aux gouvernements provinciaux et fédéral que la priorité de notre organisation agricole, c'est le bien-être des agriculteurs et de nos collectivités. Tout ce qu'on a fait aux négociations commerciales nous a nui financièrement, de même qu'à nos collectivités. Pourquoi nous demande-t-on de continuer dans la même voie?
Le sénateur Fairbairn: Vous avez parlé d'une discussion à laquelle participera votre syndicat la semaine prochaine.
M. Tait: Oui, les discussions sur l'OMC auront lieu ici, à Ottawa.
Le sénateur Fairbairn: Je connais votre syndicat depuis des années, et je ne peux croire que vous ne vous sentirez pas libres d'essayer de défendre avec dynamisme et persuasion ce dont on a parlé ici, aujourd'hui. Rien ne me dit que la gestion de l'offre et la Commission canadienne du blé feront l'objet de ces négociations. Je vous encourage à défendre vigoureusement les valeurs auxquelles vous croyez, aux discussions de la semaine prochaine.
M. Tait: Le format des discussions nous rendra la tâche très difficile, sinon impossible. C'est exactement ainsi qu'on a mené les discussions sur la commercialisation du grain, de manière à limiter notre influence. Il en a été de même pour les discussions sur le transport. Or c'est KPMG qui a organisé les discussions sur le transport, sur la commercialisation du grain de l'Ouest et qui organisera les discussions sur l'OMC pour le groupe agricole, la semaine prochaine. On utilise toujours le même ordre du jour, le même format et les mêmes restrictions pour exclure la voix du public.
Le sénateur Fairbairn: À titre d'indépendant, allez-vous à ces tribunes pour faire part très clairement de votre position aux membres du gouvernement qui participeront aux négociations, comme le ministre de l'Agriculture et le ministre du Commerce extérieur?
Mme Storey: Oh, bien sûr. Le problème, toutefois, c'est la pratique de KPMG, d'appliquer ce qu'on appelle le processus Delta, où les questions sont fixées à l'avance et où l'ordre de discussion des questions est très structuré. Cela ne nous paralyse pas complètement, mais réduit certainement l'efficacité globale de pareilles consultations, surtout du fait qu'elles ont lieu non pas avec des cultivateurs, mais avec l'industrie. Les entreprises rentables sont en général capables d'envoyer plus de représentants à la table que des groupes financés réellement par des agriculteurs.
Le sénateur Fairbairn: Je comprends. Bonne chance.
Le sénateur Robichaud (Saint-Louis-de-Kent): Si je vous comprends, à la table de négociation, nous devrions adopter une position fortement en faveur des agriculteurs. Mais dites-vous aussi que vous ne croyez pas qu'actuellement ce soit notre position? À la rencontre de la semaine prochaine, pourrez-vous faire adopter cette attitude ou cette position?
M. Ollikka: Sénateur, depuis 10 ou 20 ans, on utilise de plus en plus un langage destructeur. On ne parle plus de consultation auprès des citoyens, mais plutôt de consultation auprès des intéressés.
Le sénateur Fairbairn: Les citoyens sont pourtant les principaux intéressés.
M. Ollikka: Oui, toutefois, le mot anglais «stakeholder» qui veut dire intéressé remonte à l'époque féodale, où l'influence et le nombre de votes dépendaient de la taille des propriétés. Personnellement, c'est un langage qui me met mal à l'aise. Lorsque le processus est destiné à consulter l'industrie, il y a un nombre disproportionné de représentants de l'industrie, par rapport aux citoyens et aux agriculteurs. Nous voulons vraiment faire partie du processus.
J'ai fait partie du processus sur la biotechnologie alimentaire à l'Université de Calgary, qui a affirmé le rôle du citoyen en atténuant celui d'une industrie organisée et puissante. C'était très valorisant pour les citoyens. Dans le cas des négociations de l'OMC, le commerce international et ce genre de chose peut avoir des ramifications considérables pour les citoyens, qui doivent donc pouvoir participer à chaque étape, et le plus possible.
Je ne sais pas si j'ai répondu directement à votre question.
Le sénateur Robichaud: Oui et non.
Mme Storey: Je peux peut-être vous donner un autre exemple de ce qui se produit dans le développement de la politique agricole, dans son ensemble. Je pense à deux examens récents: l'examen Estey sur le transport et l'examen interne des politiques et de l'administration de la Commission canadienne du grain.
L'examen Estey sur le transport a fini par proposer des changements qui ont presque tous été proposés par les chemins de fer. Nous avons formulé des instances, comme d'autres groupes progressistes, qui allaient complètement à l'encontre de nombreuses recommandations clés du rapport. C'est en grande partie parce qu'elles vont presque certainement réduire le revenu des agriculteurs et leur influence sur le système.
Par ailleurs, la Commission canadienne du grain est censée représenter principalement les intérêts des agriculteurs. Elle a mené une étude que les agriculteurs n'avaient pas demandée, et dont les recommandations ont des répercussions très graves sur notre capacité d'assurer la supériorité de nos produits sur le marché international. Ce genre de choses ne cesse de se produire.
Quand le projet de loi est déposé, nous constatons qu'il affaiblit ou qu'il supprime les mesures dont nous avons besoin pour assurer notre viabilité. Bien entendu, le prétendu Programme d'aide en cas de catastrophe lié au revenu agricole (ACRA) nous le prouve encore une fois. On le croirait conçu de façon à exclure du programme d'aide les agriculteurs qui en auraient le plus besoin. Il y a quelques instants, le sénateur Sparrow l'a très bien démontré pour nous.
Il y a ici une tendance qui ne nous plaît guère et qui explique très bien notre méfiance. Il est très difficile d'avoir confiance dans le processus étant donné toutes les décisions de politique que nous connaissons.
Le sénateur Robichaud: Comment faites-vous pour mobiliser tous les intéressés? Il y a toujours la question du temps. Il faut respecter certains délais. Vous représentez les agriculteurs et vous devez refléter leurs idées. Nous dites-vous que vous n'avez pas réellement voix au chapitre? N'avez-vous pas le poids que vous devriez avoir comme porte-parole des agriculteurs?
Mme Storey: Nous aurions une meilleure chance de réussir si nous pouvions consacrer au lobbying les mêmes ressources que les compagnies ferroviaires.
M. Tait: On invoque souvent les délais pour ne pas avoir à consulter les intéressés comme il se doit en démocratie. C'est un argument antidémocratique.
D'aucuns soutiennent que la solution serait de créer un secteur agricole beaucoup plus efficient. Un économiste agricole vous dirait qu'il faut pour cela moins d'agriculteurs qui produisent davantage et qui obtiennent un rendement net plus faible. Voilà la définition d'«efficience».
En tant que dirigeant agricole soucieux de trouver une définition de l'efficience qui répondrait aux besoins de ma collectivité, celle-là ne me satisfait guère. La discussion a été infléchie par d'autres dans leurs propres intérêts. Nous avons de plus en plus de mal à nous faire entendre.
Ce qui se produira lundi en est un bon exemple. Il y aura une conférence, ce qui est très bien. Toutefois, elle aura lieu la troisième semaine de mois d'avril. C'est le début des semailles dans les Prairies. Est-ce bien le moment de consulter les agriculteurs des Prairies?
L'automne dernier, il y a une autre ronde de consultations avant l'ouverture de négociations commerciales avec les États-Unis sur les différends commerciaux en souffrance dans le secteur de l'agriculture. Les dirigeants agricoles ont été convoqués à Winnipeg un vendredi soir. Les négociations devaient ouvrir à Washington le lundi matin. Nous allions être consultés le vendredi soir comme si l'équipe de négociation ne savait pas quelle position elle devait aller défendre.
C'est une véritable plaisanterie. Or, encore une fois, c'était une question de temps. Il n'est pas raisonnable que le gouvernement convoque les dirigeants agricoles le vendredi soir pour examiner une position de négociation pour des négociations qui doivent ouvrir le lundi matin.
Le sénateur Robichaud: Vous avez répondu à ma question.
Le sénateur Fairbairn: Il faudrait dire informer plutôt que consulter.
M. Tait: Les décisions avaient déjà été prises. La consultation a pour but de nous convaincre d'accepter les résultats. On nous dit toujours: «Nous n'avons pas trouvé la solution parfaite, mais nous avons manqué de temps.»
Le sénateur Taylor: L'aspect négociation m'intrigue. Quand nous avons effectué récemment une tournée en Europe, notre comité a entendu de nombreux témoignages de groupes agricoles et de politiques sur la responsabilité qu'a la société de garantir un revenu aux collectivités rurales. Personne ne parle ici de pareilles choses.
Ce que je vais dire semblera peut-être anti-canadien, mais avez-vous envisagé de forger une alliance avec vos amis des milieux agricoles en France, en Allemagne, en Belgique et au Luxembourg? Vous pourriez militer ensemble pour l'élaboration d'une politique agricole mondiale qui prendrait en compte des considérations d'ordre social. Autrement dit, ne laissez-vous pas les économistes, les bureaucrates et les avocats décider de tout à ces réunions, à la place des agriculteurs? En Europe, il est beaucoup question de la responsabilité qu'a la société de garantir un revenu aux collectivités rurales et aux producteurs agricoles même si cela doit prendre la forme de paiements environnementaux.
Vos interlocuteurs là-bas étaient peut-être plus amicaux que ceux d'Ottawa.
M. Ollikka: Sénateur, cela se fait déjà. Comme je l'ai dit dans l'exposé, nous sommes membres du Mouvement agricole international, dont nous coordonnons l'action en Amérique du Nord.
Le sénateur Taylor: Tout ce qu'il vous manque, c'est la France. Nous avons eu l'impression là-bas que personne ne s'oppose impunément à la volonté d'un agriculteur français.
M. Ollikka: Chacun le sait. Tout cela tient au processus. En 1996, il me semble, il y a eu à Rome le Sommet mondial de l'alimentation. Les agriculteurs du monde entier l'avaient organisé en parallèle aux négociations du GATT et de l'OMC. Pourquoi doit-il y avoir une procédure parallèle? Le fait est que quand nous, les agriculteurs, sommes marginalisés, nous trouvons d'autres solutions. Nous avons recherché d'autres solutions au niveau national et international. Or, ces procédures parallèles font beaucoup pour sensibiliser les citoyens, les agriculteurs et les législateurs mais sans faire réellement partie du processus officiel de prise de décisions. Nous héritons de décisions prises au nom des intervenants d'un secteur donné, lequel est surtout représenté par une poignée des principaux intervenants et non pas par les citoyens.
Le sénateur Taylor: Vous vous trompez. En France et en Italie, et dans une moindre mesure dans les autres pays, j'ai compris clairement que le propriétaire terrien est perçu comme le protecteur de l'environnement. Cela inclut la faune, le gibier, les loisirs et les parcs. Il ne convient pas de dire à un propriétaire terrien qu'il sera payé en fonction des quantités de blé qu'il produit. Sommes-nous suffisamment sensibilisés à cette réalité ici?
Vous voulez que votre rémunération reflète les responsabilités sociales qu'implique la production alimentaire. Vous pourriez peut-être élargir l'assiette qui sert au calcul de votre rémunération.
M. Tait: Vous avez parlé de notre contact. Au sommet de l'APEC à Vancouver il y a deux ans, au Sommet du peuple, j'ai eu le privilège d'accueillir des délégués des organisations agricoles de 15 des 18 pays du bassin asiatique. Qui l'a su à l'extérieur des salles de réunion? Personne n'a parlé du Sommet du peuple.
Vous parlez d'une dimension sociale plus large. Chacun de ces délégués nous apportait le même message: la déréglementation des échanges dans le secteur de l'agriculture déstabilise leurs collectivités et, cause des troubles sociaux, et cetera. Tous s'entendaient pour dire la même chose.
Vous parlez d'une dimension sociale plus large à ce que nous faisons ici au Canada. Nous éloignons de la terre des gens de métier que nous remplaçons par des intrants très spécialisés ou modifiés génétiquement, des amendements chimiques, des engrais, des hormones et de lourdes immobilisations. Les conversations que j'ai avec les gens de mon milieu, les comptes rendus que je lis dans la presse, les échos que j'ai de l'action des groupes de consommateurs m'indiquent que d'aucuns tirent déjà la sonnette d'alarme en ce qui a trait aux croisements hétérogènes d'organismes génétiquement modifiés et de mauvaises herbes.
Certains dicotylédones se montrent déjà résistants à la plupart des herbicides et à la plupart des herbicides chimiques. Nous retrouvons cette résistance chimique dans la folle-avoine et la sétaire verte. Tous les efforts que nous avons déployés pour promouvoir cette agriculture à échelle industrielle risquent d'avoir été en vain et d'avoir suscité la résistance des consommateurs. Que fera la société si cette forme d'agriculture s'effondre? Qui comblera le vide? Où vont-ils? Seront-ils encouragés à revenir combler le vide? C'est peu probable.
C'est pure folie de s'entêter dans cette voie au nom de l'efficience et de l'efficacité. Il est absolument ridicule de songer à entreprendre un nouveau cycle de négociations commerciales dans le but de pousser plus avant ce choix dont l'échec est prévisible. Je ne suis pas universitaire. C'est une observation que j'ai faite en voyant l'évolution des choses.
Le sénateur Spivak: Vous avez raison. L'Internet est devenu un merveilleux outil démocratique et c'est par l'Internet qu'on a fait dérailler les négociations sur l'AMI. Il n'y a guère de contrepoids à l'énorme pouvoir des multinationales qui possèdent aussi les médias, si ce n'est les coalitions de citoyens. Ces groupes sont maintenant plus puissants que le gouvernement. Les gouvernements qui veulent agir dans le meilleur intérêt de leurs citoyens ont de plus en plus de mal à le faire.
M. Wells: La discussion que vous avez eue plus tôt avec les témoins au sujet des modifications génétiques, de l'étiquetage génétique et autres choses du genre, m'intéresse au plus haut point. Quelqu'un a dit que les agriculteurs ne sont pas obligés d'utiliser du matériel génétique; qu'il appartient à l'agriculteur de décider s'il veut semer du canola génétiquement modifié. Or, ce n'est pas vrai étant donné les croisements hétérogènes et la dispersion du pollen par les abeilles. Il existe une pollution génétique de telle sorte que les producteurs de produits biologiques et de produits non génétiquement modifiés, qui sont deux industries distinctes, sont très menacés par ce matériel génétique emporté par le vent.
Le sénateur Spivak: Est-ce un problème très répandu?
M. Wells: Il le devient et il ne pourra que s'aggraver étant donné toutes les variétés de céréales modifiées qui font leur apparition sur le marché. Nous avons en Saskatchewan une organisation de producteurs biologiques qui met en garde ses membres contre le canola-colza. Cela menace le gagne-pain des producteurs de produits biologiques ou non génétiquement modifiés.
Le sénateur Spivak: Il y a lieu de croire que le secteur de l'agriculture biologique aux États-Unis connaît une croissance exponentielle. Il y a une grande demande pour des produits biologiques. Toutefois, ce secteur ne reçoit guère d'aide du gouvernement.
M. Wells: L'industrie toute entière est menacée car personne ne s'attaque à ce problème de pollution génétique.
Le sénateur Spivak: La séance d'aujourd'hui m'a déprimée.
M. Ollikka: Permettez-moi d'enchaîner: pour ces producteurs et pour de nombreux consommateurs, le choix entre la pollution génétique et la pollution chimique n'en est pas un. En outre, même ce choix l'est de moins en moins, particulièrement dans les pays industrialisés, parce que les entreprises qui produisent ces produits ont un quasi-monopole sur l'achat. Les agriculteurs du Mexique ont été renversés d'apprendre que la plupart de leurs tomates sont actuellement génétiquement modifiées. Pourquoi? Parce que les entreprises ont un énorme contrôle sur ces produits et l'offre des produits. C'est regrettable.
Le sénateur Spivak: Auparavant, il existait de nombreuses variétés de poulets. Maintenant, il n'y en a plus que deux. Nous ne pouvons plus obtenir différentes variétés de poulets.
Le président: Je remercie le Syndicat national des cultivateurs d'être venu aujourd'hui. Je remercie aussi les sénateurs de cette très longue mais fructueuse séance. Merci à vous tous.
Le sénateur Fairbairn: Le comité a rarement examiné un dossier sans inclure le Syndicat national des cultivateurs du Canada.
M. Ollikka: Nous en sommes conscients.
La séance est levée.