Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 34 - Témoignages
OTTAWA, le mardi 27 avril 1999
Le comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 9 h 10 pour étudier l'état actuel et les perspectives d'avenir de l'agriculture au Canada, ainsi que l'effet des échanges commerciaux sur le revenu agricole.
Le sénateur Eugene Whelan (vice-président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le vice-président: Nous recevons les représentants de la Commission canadienne du blé. Greg Arason est le nouveau président-directeur général de la Commission canadienne du blé. Il est natif du Manitoba et il a travaillé auparavant pour le Manitoba Pool. Il possède une longue expérience du milieu des affaires et pas seulement dans le domaine du blé et des céréales. Gordon Miles est vice-président exécutif, Affaires institutionnelles, de la Commission canadienne du blé. Monsieur Arason, peut-être pourriez-vous commencer par nous faire votre exposé?
M. Greg Arason, président-directeur général, Commission canadienne du blé: Je vais faire quelques observations liminaires. Nous vous avons remis notre mémoire qui décrit certains des problèmes concernant les prochaines négociations de l'OMC, telles que nous les voyons.
Je me réjouis d'être ici. J'ai eu l'occasion de rencontrer le comité de l'agriculture de l'autre endroit il y a quelques semaines, et c'est une expérience que j'ai trouvée très positive. Je suis certain que celle-ci le sera également.
La Commission canadienne du blé s'intéresse de très près aux prochaines négociations de l'OMC et s'en préoccupe également. Nous croyons que le Canada a de nombreux intérêts à défendre lors de ces prochaines négociations. Si vous prenez le niveau de soutien des pays concurrents, surtout l'Union européenne et les États-Unis, nous estimons qu'ils ont largement la latitude de céder du terrain. Nous pensons également que le Canada a déjà apporté une importante contribution à la libéralisation du commerce. Je crois que nos résultats sont suffisamment éloquents.
Les représentants de la commission du blé ont eu de nombreuses discussions avec Mike Gifford et le groupe commercial. Pas plus tard qu'hier, ils ont rencontré plusieurs fonctionnaires ainsi que le ministre de l'Agriculture, M. Vanclief, pour parler de cette question et de plusieurs autres.
La commission du blé croit que les prix actuellement en vigueur sont bas en partie à cause des subventions qui créent des distorsions et des programmes offerts dans les pays que nous concurrençons. Nous voudrions que des mesures soient prises à ce sujet.
D'un autre côté, nous craignons beaucoup que d'autres gouvernements ciblent la Commission canadienne du blé en la dénonçant comme une entreprise commerciale d'État. Le fait que nous soyons une entreprise commerciale d'État ne devrait pas soulever de questions. Il s'agit de nous juger en fonction de la façon dont nous nous comportons et non pas de ce que nous sommes.
Nous sommes encouragés par la solidarité que nous voyons se développer au Canada au sujet des questions commerciales. La conférence préparatoire de l'OMC, la semaine dernière, en était la preuve.
Nous sommes prêts à répondre à vos questions ou à entrer dans les détails sur plusieurs de ces sujets, mais nous croyons que la prochaine série de négociations est importante si nous attendons des initiatives de la part des autres parties sur les questions qui touchent l'agriculture.
Vous savez sans doute que la commission du blé a une nouvelle structure de régie. Je suis arriver à la fin décembre à la commission, avec les 10 administrateurs élus et les quatre autres qui sont nommés. La commission du blé travaille très fort. Nous avons tenu pratiquement une ou deux réunions par mois depuis notre entrée en fonctions et nous devons à la fois administrer la commission et faire face aux principaux problèmes dont celui du transport, l'OMC, et cetera. Je serais certainement prêt à vous dire comment je vois la commission du blé fonctionner avec cette nouvelle structure.
Le sénateur Taylor: J'ai lu votre rapport. J'ai constaté avec plaisir que vous parliez de renforcer les entreprises commerciales d'État comme entreprises commerciales légitimes, étant donné que, dans votre conclusion, vous avez quelque peu édulcoré le tout en recommandant que le gouvernement défende énergiquement le droit de structurer son industrie nationale comme il décidera de le faire. J'ai pensé que cela laissait trop de latitude au gouvernement. Vous auriez dû parler d'entreprise d'État, mais vous vous êtes rattrapé dans la conclusion.
Lorsque notre comité est allé en Europe, nous avons très clairement entendu dire que le principal atout du Canada était non seulement la haute qualité de ses céréales, mais également sa fiabilité, ce qui est un gros compliment pour la commission du blé. Un sénateur français m'a dit que si nous nous débarrassions de la commission du blé, ce serait le triomphe de l'idéologie sur le bon sens. Ce monsieur était un farouche adversaire de la commission du blé, mais il trouvait qu'elle faisait un excellent travail.
J'ai l'impression que le gouvernement essaie d'économiser sur la Commission canadienne des grains. Il sabre dans son budget et essaie de la restructurer. J'ai l'impression que la commission des grains et la commission du blé sont déterminées à assurer un contrôle de la qualité. Les prétendues économies que nous essayons de réaliser à la commission des grains risquent-elles de nous faire perdre notre contrôle de la qualité?
M. Arason: Je suis d'accord pour dire qu'il existe des liens très étroits entre la commission du blé et la commission des grains et que nous avons d'excellentes relations de travail. La commission surveille le système de contrôle de la qualité et notre capacité à offrir un produit de qualité et des garanties à la clientèle, ce qui représente pour nous un facteur de vente très important.
Nous avons examiné les changements qu'envisage la Commission canadienne des grains. D'abord et avant tout, nous voulons que la qualité ne s'en trouve pas compromise. Nous avons discuté avec la commission des nouvelles procédures d'inspection. Nous insistons pour qu'il y ait sur place un inspecteur dans chacun des terminaux et pour que l'inspection soit centralisée. Nous sommes disposés à les laisser travailler à cela pour rationaliser le système. Nous devons toutefois insister pour que la qualité du produit ne se trouve pas compromise et pour que le rendement des producteurs ne soit pas limité à cause d'une inspection inadéquate, surtout pour les wagons des producteurs.
Nous avons quelques inquiétudes en ce qui concerne le niveau de financement global, surtout dans le domaine de la recherche. Nous croyons que c'est très important pour le Canada dans son ensemble et que le laboratoire de recherche sur les céréales y joue un grand rôle. Nous sommes convaincus que le gouvernement a la responsabilité d'accorder un financement adéquat et je partage certaines inquiétudes exprimées au sujet du niveau de financement et de la capacité du système d'adopter le concept du paiement par l'usager pour les services de la commission des grains. En fin de compte, ce sont les agriculteurs qui paient, et je crois qu'il s'agit d'une question préoccupante.
Le sénateur Taylor: Une question supplémentaire. Le mieux n'est-il pas l'ennemi du bien? J'ai l'impression que les économies qui peuvent être réalisées sur le plan de la commercialisation des céréales sont négligeables.
M. Arason: C'est une bonne question. Je crois que le déficit de la commission des grains est en partie relié au volume de céréales qui passent par le système. Ce volume est fonction d'un certain nombre de conditions, y compris non seulement les conditions de culture, mais également la composition des récoltes et la quantité de grain consommée au Canada par opposition à la quantité exportée.
À notre avis, si le gouvernement jugeait bon d'assurer un niveau de financement plus élevé, ce serait certainement payant pour l'agriculture et en ce qui concerne notre capacité de continuer à fournir un produit de qualité. Je ne dissuaderais pas le gouvernement de s'attaquer au problème du déficit de la commission des grains de façon très proactive.
Le sénateur Taylor: On assiste à des modifications génétiques dans bien d'autres domaines, comme le canola. Pensez-vous que cela pose un problème pour les céréales dont vous vous occupez, par exemple le blé et l'orge? Est-ce un problème potentiel et la commission des grains devrait-elle le surveiller?
M. Arason: Je crois que c'est un problème et un problème potentiel, non seulement pour le Canada, mais pour tous les pays en ce qui concerne l'acceptation de ces produits. Pour le moment, nous n'avons pas de système de test adéquat, à part une analyse de l'ADN grain par grain, ce qui est un procédé très long et très coûteux. Nous devons avoir la garantie de pouvoir identifier ces produits.
La commission du blé discute avec ses clients pour savoir quelles sont les craintes qu'ils éprouvent vis-à-vis de ces produits afin que nous ne nous retrouvions pas avec un produit que personne ne voudra acheter. Nous voulons collaborer avec l'industrie à ce sujet.
Le sénateur Spivak: Y a-t-il eu énormément de changements dans le personnel de la commission du blé? Les élections ont-elles produit des gens qui sont pour les entreprises commerciales d'État ou le contraire?
M. Arason: Il n'y a pas eu énormément de roulement. Lorsque le changement a eu lieu, les trois commissaires en place ont obtenu une indemnité de départ et le nouveau conseil a pris la relève.
Il n'y a pas eu de changements importants chez les cadres supérieurs. M. Miles, qui m'accompagne aujourd'hui, est venu compléter le personnel. Comme il y avait un poste de cadre vacant, nous l'avons comblé. Du point de vue commercial, je dirais que la transition s'est faite en douceur. Nos clients nous ont dit qu'ils n'ont constaté aucun accroc dans le service ou notre capacité de livrer la marchandise. Notre programme de vente fonctionne très bien. J'ai rencontré des clients dans de nombreux pays du monde au cours des quatre premiers mois et tout s'est très bien passé.
En ce qui concerne la commission comme telle, huit de nos 10 administrateurs qui ont été élus se sont prononcés pour le maintien du mandat actuel de la commission du blé et ils se sont fait élire sur cette base. Le représentant de l'Alberta avait proposé un changement très radical au programme de la commission tandis que le représentant de la Saskatchewan avait proposé un système de double marché. Tel est l'ensemble d'idéologies qui sont défendues au conseil. Mais comme je l'ai dit, huit administrateurs sur les 10 souhaitaient le maintien du mandat actuel de la commission du blé.
Les administrateurs nommés se sont très bien entendus avec leurs collègues élus et ont apporté une contribution très précieuse à la gestion de la commission. Je suis très satisfait de la façon dont elle a fonctionné.
Le sénateur Spivak: Je suis heureuse de l'apprendre.
Nous avons entendu parler de la situation catastrophique en ce qui concerne les céréales. On nous a montré les statistiques se rapportant à chaque catégorie de céréales et d'oléagineux pour la Saskatchewan. Les chiffres indiquaient le seuil de rentabilité et le prix auquel les grains se vendaient. C'est triste.
Le Canada a, une fois de plus, joué les boy-scouts en réduisant ses subventions aux agriculteurs et il y a eu un changement énorme dans d'autres secteurs qui connaissent également des difficultés, à l'exception du secteur visé par la gestion de l'offre. La situation est assez lamentable. Vos chiffres montrent également qu'il y a eu une énorme baisse de volume.
Que nous réserve l'avenir? La grande entreprise agricole va-t-elle supplanter les fermes? Les céréaliculteurs vont-ils pouvoir survivre cette année? Allons-nous assister à une chute brutale de la production du blé qui est censé avoir la meilleure qualité au monde parce que les producteurs ne pourront plus en vivre? Tous ces phénomènes sont vraiment déconcertants. Que pouvez-vous nous dire quant aux perspectives d'avenir, à part la question commerciale?
M. Arason: Dans les Prairies, l'économie céréalière a certainement souffert ces deux dernières années et le prix des céréales, en particulier, a chuté par rapport à ce qu'il était il y a quelques années.
Un autre secteur qui a souffert dans l'Ouest est l'industrie porcine. Je ne parlerai pas de ce secteur, car c'est à lui de le faire. Mais c'est un des facteurs qui ont contribué à la situation.
Si nous examinons les niveaux de soutien globaux au Canada, nous nous sommes effectivement comportés en boy-scouts étant donné que, d'après nos chiffres, la subvention accordée aux produits de blé est de l'ordre de 40 cents le boisseau, alors qu'aux États-Unis, elle atteint près de 2 $, et 3 $ dans l'Union européenne. Les conditions sont très inégales en ce qui concerne le soutien accordé aux producteurs.
Nous savons que le gouvernement prépare actuellement un programme d'aide. J'ai rencontré hier le ministre de l'Agriculture et j'ai appris que son ministère recevait des demandes dans le cadre de ce programme. On peut dire toutefois qu'il ne suffira pas, à lui seul, à résoudre la situation des revenus agricoles dans l'Ouest.
Nous voudrions pouvoir dire que le prix des céréales montre une certaine vigueur, et c'est le cas dans une certaine mesure. Si vous tenez compte du prix futur du blé, nous sommes un peu plus optimistes pour l'année prochaine, mais nous n'attendons pas d'amélioration importante. Le programme américain de subvention pour le blé dur aura des répercussions sur le marché en augmentant l'offre d'un produit déjà excédentaire et en réduisant encore les prix.
La situation est grave. Nous nous demandons depuis longtemps si nous n'allons pas assister à un abandon général des fermes. Il y a de plus en plus de regroupement et l'agriculture dite industrielle se répand davantage. Les agriculteurs sont toutefois des gens tenaces et je crois que nous continuerons d'avoir un bon nombre d'exploitations agricoles familiales, mais dont la superficie augmentera.
Les agriculteurs ont besoin d'aide pour faire face à la situation actuelle, mais nous semblons toujours trouver un moyen de nous en sortir. Je sais que l'OMC n'est pas un processus rapide, mais nous avons besoin d'aide pour résoudre ce genre de situation qui fait tomber les prix au Canada tandis qu'ils restent stables ailleurs.
Le sénateur Spivak: On a dit que la Commission canadienne du blé freinait la transition vers des activités à valeur ajoutée. Je me demande si vous examinez certaines pratiques, par exemple en ce qui concerne les minoteries, compte tenu de la méthode d'achat et vente.
Une des solutions qui pourraient venir en aide aux agriculteurs serait l'orientation vers des produits à plus grande valeur ajoutée. Autrement, nous allons cultiver des céréales fourragères pour les porcs et les vaches, ce qui n'est pas très payant. Ce n'est certainement pas la situation d'ensemble que l'on voudrait voir dans les Prairies.
M. Arason: C'est une observation intéressante et qui révèle une idée fausse qui a cours au Canada. Notre plus gros client est l'industrie canadienne. Nous sommes mandatés pour vendre du blé, du malt et de l'orge pour la consommation humaine au Canada. Dans les deux cas, notre plus gros client est l'industrie locale.
J'ai rencontré l'Association des minotiers du Canada ainsi que les malteurs et on peut dire que cette industrie a assez bien travaillé avec la commission du blé dans le contexte actuel. Elle voudrait que les subventions soient supprimées dans les autres pays afin de pouvoir exporter ses produits plus facilement, ce qui pose un problème. Je ne pense pas que la Commission canadienne du blé nuise à la production à valeur ajoutée locale.
Nous devons veiller à ne pas subventionner les uns par rapport aux autres en offrant des prix différents. Nous nous sommes engagés à maintenir la compétitivité de nos clients dans le contexte nord-américain et à les traiter tous équitablement. C'est un facteur important à ne pas perdre de vue.
Le sénateur Spivak: Les agriculteurs de la Saskatchewan nous ont dit que les producteurs qui fournissaient ces céréales sur le marché national ne gagnaient pas d'argent. Pour le moment, ils perdent tous de l'argent.
En ce qui concerne le programme d'aide que le ministère a conçu, nous avons entendu dire que, dans certains cas, les honoraires qu'il faut payer à un comptable pour établir la demande dépassent le montant que l'agriculteur obtiendra. Il est très difficile de faire une demande pour bénéficier de ce programme et l'aide accordée est insuffisante. C'est ce que nous avons entendu dire et nous voulions savoir si vous partagiez cet avis.
M. Arason: Je ne peux pas parler en détail de ce programme d'aide si ce n'est pour dire que j'en ai discuté hier avec le ministre de l'Agriculture. Il m'a affirmé que les formulaires n'étaient pas aussi compliqués que les comptables et d'autres le prétendaient et que les honoraires exigés étaient peut-être excessifs. Je ne suis pas vraiment au courant.
Pour ce qui est des agriculteurs qui investissent dans la transformation de leurs produits, nous avons rencontré plusieurs groupes, dont un qui veut construire une usine de pâtes au Manitoba et en Saskatchewan ou encore au Dakota du Nord. Nous sommes disposés à travailler avec ces groupes, mais nous ne sommes pas en mesure de leur offrir des prix différents, et donc de subventionner leurs activités au moyen du compte des livraisons en commun, au détriment des autres producteurs. Nous ne pouvons pas non plus leur donner un avantage sur leurs concurrents dans l'industrie nationale.
Nous avons des moyens de les aider, par exemple au moyen d'un programme spécial permettant d'abaisser les prix à l'usine, un programme qui assurera quand même des conditions équitables et leur permettra de progresser. Ces négociations se poursuivent et nous travaillons avec eux. Notre conseil d'administration cherche à trouver un moyen de résoudre ces questions afin que ce genre de projet puisse aller de l'avant.
Le vice-président: Vous avez fait une comparaison avec votre entreprise d'État. Comment vous comparez-vous avec Archer Daniels Midland, Cargill ou ConAgra? Il y a quatre grandes sociétés céréalières mondiales et il y a aussi la Commission canadienne du blé. Comment vous comparez-vous à ces entreprises?
M. Arason: Bien entendu, Cargill a un chiffre d'affaires mondial largement supérieur à celui de la Commission canadienne du blé, mais je ne connais pas le chiffre exact.
ConAgra est un important client de la Commission canadienne du blé aux États-Unis, pour ses minoteries et ses malteries. Nous avons rencontré ses représentants, il y a quelques semaines, à leur siège social d'Omaha et je sais que le chiffre d'affaires total de cette entreprise est de l'ordre de 23 à 24 milliards de dollars U.S. Dans ce contexte, le chiffre d'affaires de la Commission du blé, selon le volume et le prix, se situe entre 4 et 6 milliards de dollars canadiens.
Nous occupons une place importante, mais par comparaison avec des sociétés comme ConAgra, Cargill et ADM, qui sont beaucoup plus diversifiées et implantées sur des bases beaucoup plus vastes, nous ne sommes pas bien gros. C'est une bonne question. Nous ne devrions pas être pénalisés pour essayer de créer une masse critique pour commercialiser les céréales canadiennes. Nous devrions être jugés sur les mêmes bases que toute autre entreprise commerciale et si l'on impose certaines règles à la Commission canadienne du blé, il faudrait que les mêmes règles s'appliquent aux grandes sociétés commerciales par exemple sur le plan de la transparence et de l'emprise sur le marché.
Le vice-président: Je suis d'accord avec vous. Quelqu'un me reprochera peut-être ce retour vers le passé, mais au cours de ma carrière, j'ai eu affaire à trois secrétaires à l'Agriculture des États-Unis d'Amérique. Tous les trois m'ont dit que les compagnies céréalières américaines étaient si puissantes qu'ils ne pouvaient pas leur imposer quoi que ce soit. Je leur ai répondu que nous avions au Canada une compagnie céréalière appelée la Commission canadienne du blé et que je n'avais pas à lui imposer quoi que ce soit étant donné qu'elle était bien gérée et veillait sur les intérêts des producteurs.
J'ignore si vous étiez à la réunion du commerce mondial, à Ottawa, mais le secrétaire Glickman a dit que nous devrions nous débarrasser de la commission du blé. Les producteurs voient la commission du blé comme une entité diabolique.
M. Arason: C'est un préjugé qui a cours aux États-Unis et nous sommes au courant de cette remarque du secrétaire Glickman. J'ai également remarqué ce que le ministre, M. Goodale, a répondu le lendemain. Il a rétorqué que, par l'entremise de ses propres bureaux, les États-Unis ont enquêté à six reprises sur les agissements de la commission du blé, sans jamais pouvoir faire la preuve d'irrégularités ou d'un comportement commercial répréhensible. Tant qu'ils ne pourront pas le faire, les Américains doivent reconnaître que c'est une entreprise commerciale légitime. Le gouvernement canadien -- et la majorité des agriculteurs de l'Ouest -- veulent commercialiser les céréales de cette façon. Si nous nous conduisons bien, cela devrait suffire.
Le vice-président: Je voudrais parler de la Commission canadienne des grains. Comme vous le savez, le ministre de l'Agriculture est responsable de cette commission tandis qu'un autre ministre est chargé de la commission du blé. Je n'ai jamais été d'accord avec ce système, mais j'ai joué le jeu.
Nous sommes très fiers du travail accompli par la Commission canadienne des grains. Je ne pense pas que les gens savent quel est vraiment son rôle. Par le passé, nous organisions une conférence internationale de la boulangerie. Nous connaissions le contenu en protéine de toute céréale produite dans toute région de l'Ouest du pays et on pouvait mélanger ces céréales ensemble pour obtenir la farine que quelqu'un voulait acheter en Iraq, au Moyen-Orient ou tout autre pays vers lequel nous exportions du grain.
Je sais que nous avions -- et j'espère que c'est toujours le cas -- l'un des meilleurs systèmes de classement au monde. Je suis allé dans un terminal du Michigan qui était exploité par le Michigan Farm Bureau. Il y avait là un homme qui triait le grain comme il l'aurait fait avec de l'or. En fait, c'était un mélangeur qui valait son pesant d'or, car il pouvait faire un mélange si précis qu'en prenant une catégorie 2 et une catégorie 4, il réussissait à faire une catégorie 3.
Lorsque j'ai voyagé à l'étranger en tant que ministre de l'Agriculture, j'apportais avec moi des échantillons de nos grains. Je les montrais à des pays comme le Maroc. Les Marocains avaient quatre minoteries et le patron de l'usine disait: «Si je pouvais seulement obtenir ce genre de grain pour faire ma farine.» Il me montrait un exemple de son blé. Il était pitoyable, mais il coûtait moins cher que le blé canadien.
Pensez-vous que les gens savent vraiment ce que fait la Commission canadienne des grains?
M. Arason: La Commission canadienne des grains et l'Institut international du Canada pour le grain, dont la commission du blé est l'un des parrains, sont des ressources extrêmement précieuses pour l'industrie canadienne. L'institut fait continuellement venir des clients du monde entier pour les aider à faire une meilleure utilisation des produits que nous vendons.
Nous possédons un net avantage sur le plan de la qualité en ce sens que nos clients peuvent se servir de notre grain pour améliorer leur produit final. La plupart des gens ne savent pas, par exemple, que le Mexique est devenu un excellent marché pour les grains canadiens de haute qualité. Pour le moment, il se classe au cinquième ou au sixième rang de nos pays importateurs. J'ai rencontré les minotiers mexicains. Nous exportons notre grain vers le Mexique en passant par les États-Unis. Les Mexicains achètent notre blé en raison de sa qualité, et aussi parce qu'ils peuvent le mélanger avec des blés de qualité moindre pour obtenir un bien meilleur produit.
Je crois que nous devons préserver cet avantage sur la concurrence par l'entremise de la commission des grains et de l'Institut international du Canada pour le grain. La commission du blé a récemment approuvé un nouvel engagement de cinq ans envers l'institut, pour cette simple raison.
Le sénateur Spivak: Expédiez-vous le blé par chemin de fer? Comment le livrez-vous?
M. Arason: Nous avons fait certaines livraisons vers le Mexique par chemin de fer. Pratiquement tout le grain quitte les Prairies par chemin de fer, à destination des marchés d'exportation. La majeure partie de ce grain se retrouve à bord d'un navire. Le grain se rend surtout au Mexique par bateau, mais j'ai rencontré, en février, un minotier qui venait de recevoir directement 20 wagons qui avaient été chargés en Saskatchewan et qui sont arrivés à sa minoterie 20 jours plus tard. C'est possible, mais ce n'est pas le mode de transport habituel.
Le vice-président: Nous avions l'habitude d'expédier de la poudre de lait écrémé par wagon-marchandise. Je ne sais pas si cela se fait toujours. La marchandise était chargée dans l'est de l'Ontario et envoyée sur la voie principale et elle se retrouvait à Mexico 48 heures plus tard.
Le sénateur Hays: Je voudrais vous demander quelle devrait être, selon vous, la position de négociation du Canada au sujet de l'agriculture. Compte tenu de l'expérience de l'Uruguay Round et des quatre années qui se sont écoulées depuis, nous estimons que, si nous avions obtenu ce que nous pensions avoir obtenu en 1994, ce ne serait pas si mal. Mais en réalité, avec le recul, nous n'avons pas obtenu beaucoup sur le plan de l'agriculture, surtout si nous prenons les céréales et les oléagineux. De plus en plus de gens voudraient que nous retournions à la table de négociation pour obtenir ce que nous pensions avoir obtenu en 1994.
Y a-t-il avantage à procéder sur une base sectorielle, du moins au départ? Je sais qu'en fin de compte, le ministère s'intéresse à deux secteurs, l'agriculture et les services. Pensez-vous que nous avons intérêt à procéder sur une base sectorielle le plus longtemps possible et que la réponse canadienne à l'Uruguay Round était assez proche de ce que les parties voulaient réaliser en 1994? Les autres parties, surtout l'Europe et les États-Unis, ont pris des mesures qui annulent largement la totalité des principaux changements que nous pensions avoir obtenus avec le découplage du soutien?
Pourrions-nous obtenir de meilleurs résultats sur une base sectorielle plutôt que globale étant donné l'énorme différence entre la position du Canada et celle de nos deux principaux concurrents, l'Union européenne et les États-Unis?
M. Arason: J'ai entendu une brève observation, la semaine dernière, à la conférence de l'OMC. Lors de la session publique, l'un des représentants s'est levé pour dire: «Avant que nous n'acceptions un chèque pour les prochaines négociations, nous devrions aller vérifier si le chèque que nous avons reçu la dernière fois n'était pas un chèque sans provision.» Je crois qu'il était effectivement sans provision. Je ne pense pas que nous ayons reçu ce que nous pensions obtenir. Si vous examinez les résultats, c'est confirmé par ce qui se passe aux États-Unis, et particulièrement au sein de l'Union européenne.
Étant donné la place importante qu'occupent ces pays, ils risquent de dominer les négociations et nous nous retrouverons pris entre deux feux. Cela nous inquiète beaucoup. Si vous examinez les résultats, nous avons respecté nos engagements tandis que d'autres ne l'ont pas fait.
Au niveau sectoriel, un certain nombre d'entre nous craignaient que les Canadiens commencent à se concurrencer les uns les autres pour consolider leur propre position. J'ai toutefois assisté à un phénomène encourageant, la semaine dernière. J'ai vu se développer une position canadienne qui respectait le rôle de la commission du blé et celui des offices de commercialisation. Les exportateurs, si toutefois nous pouvons leur donner ce nom, ne cherchaient pas à obtenir des avantages à nos dépens. Selon moi, nous avons de bonnes chances d'aborder ces négociations avec une position assez solide et assez unifiée.
Je crois que si nous adoptons une approche multisectorielle, l'agriculture sera bradée contre des intérêts sans aucun rapport avec nous. Si nous entamons des négociations sur les questions agricoles, j'espère que nous apporterons des changements qui seront directement reliés à des avantages pour l'agriculture et non pas pour d'autres secteurs.
Nous avons de bonnes chances d'établir une position solide pour le Canada. Nous avons une bonne cause à défendre. Il est temps que les autres respectent leurs engagements, et avant que nous ne commencions à faire d'autres concessions, cette disparité doit être réglée.
Le sénateur Hays: J'interprète vos réponses comme un oui avec réserve. Ai-je bien compris?
M. Arason: C'est sans doute exact.
Le sénateur Hays: C'est relié directement au commerce extérieur en ce sens que les États-Unis en particulier ont une opinion très négative des entreprises commerciales d'État, une définition qui englobe la commission du blé. Vous avez mentionné à plusieurs reprises que vous aviez subi l'examen des États-Unis et que vous êtes maintenant examinés par notre vérificateur général. Cela va-t-il nous aider?
Comme vous le savez, l'examen du vérificateur général découle en partie d'une modification que le Sénat a apportée au projet de loi C-4, qui restructurait la commission du blé sur le plan de sa régie. On a pensé que si le vérificateur général pouvait examiner de près la commission, cela réglerait certains problèmes entre les Canadiens et les Américains. Pourriez-vous nous dire ce que vous en pensez?
M. Arason: Tout d'abord, pour ce qui est de la question des entreprises commerciales d'État, il est vrai que les États-Unis continuent à nous viser de façon très négative. J'ajouterais que les États-Unis ont également désigné la Commodity Credit Corporation comme entreprise commerciale d'État dans le cadre de l'OMC. Nous ne sommes pas les seuls; il y en a d'autres.
Encore une fois, il ne faudrait pas nous juger en fonction de ce que nous sommes ou de la façon dont nous sommes structurés. Il faudrait nous juger sur ce que nous faisons et sur la façon dont nous nous comportons dans le marché.
Quant au vérificateur général, notre conseil d'administration s'est penché sur la question il y a quelques semaines. Au cours d'une réunion du conseil qui a eu lieu il y a une quinzaine de jour à Red Deer, nous avons annoncé que nous acceptions que le vérificateur général vienne soumettre la Commission canadienne du blé à un examen. Cela se fera sans doute au début de l'an 2000.
Il y a deux groupes qui seront rassurés par la venue du vérificateur général. Il y a certainement des producteurs, au Canada, qui estiment que la commission du blé n'a pas été aussi ouverte et transparente qu'ils l'auraient voulu. Je dois toutefois signaler que Deloitte et Touche sont nos vérificateurs. Ils font une vérification très détaillée dont les résultats sont inclus dans notre rapport annuel, chaque année, et qui est conforme aux bonnes pratiques commerciales. Cette vérification ne fait l'objet d'aucune restriction.
L'examen du vérificateur général portera également sur certaines questions que les Américains et d'autres ont soulevées au sujet du prétendu mystère qui entoure la Commission canadienne du blé. Notre conseil d'administration pense que l'examen du vérificateur général entre dans les responsabilités de la commission. C'est une chose que nous devrions faire. C'était prévu dans la loi et nous allons coopérer avec le vérificateur général pour l'établissement du mandat de vérification et veiller à ce que les vérificateurs aient accès à tous les renseignements qu'ils voudront obtenir.
Le sénateur Hays: Avec qui devrions-nous nous allier pour retourner à l'OMC? Nous avons le Groupe de Cairns. Nous avons établi des relations un peu partout et nous pourrions en profiter. Vers la fin de l'Uruguay Round, nous avons essayé de nous allier avec le Japon et la Corée en raison de notre position concernant la gestion de l'offre. Nous savons ce qui s'est passé en fin de compte. Ce ne sont là que quelques exemples.
La Commission canadienne du blé dispose sans doute du meilleur système de renseignement que je connaisse pour surveiller ce qui se passe dans le monde céréalier. Savez-vous avec qui nous devrions nous allier ou faire front commun pour défendre les intérêts du Canada?
M. Arason: Même si je suis un nouveau venu à la commission, je sais qu'elle entretient depuis longtemps, de bonnes relations avec la commission du blé australienne et les Australiens, par exemple. Je crois que le Groupe de Cairns doit se réunir à la fin août en Argentine et que ce sera également l'occasion de nouer des alliances. Il y a aussi un certain potentiel d'alliance avec la Nouvelle-Zélande.
Bien entendu, ces commissions sont des entreprises commerciales d'État qui jouent le rôle d'agences d'importation au Japon et ailleurs. Par conséquent, même si leur rôle est différent, nous pouvons peut-être nouer des alliances de ce côté-là.
Les États-Unis et l'Union européenne ont tendance à dominer le marché et il est essentiel que les autres pays qui ont les mêmes préoccupations que nous s'unissent, car nous avons besoin d'appuis pour nous attaquer aux grandes puissances.
Le sénateur Hays: Le rapport du juge Estey suggérait d'accepter certaines recommandations, et particulièrement de confier à la commission du blé un rôle moins important -- ou peut-être aucun rôle -- dans le transport du grain. Pourriez-vous me dire ce que vous en pensez dans le contexte commercial? Je sais que la commission du blé en a déjà parlé, mais les choses ont peut-être changé depuis la dernière fois.
M. Arason: Les dernières nouvelles sont que notre bureau a envoyé hier, une lettre indiquant à plusieurs ministres que la commission du blé était prête à dialoguer quant à la façon de donner suite au rapport Estey et résoudre les questions en suspens.
Deux questions présentent une grande importance pour la Commission canadienne du blé. Tout d'abord, du point de vue opérationnel, il y a la recommandation ou la suggestion du rapport Estey qui vise à nous enlever tout rôle direct dans le transport entre la ferme et le port d'exportation. À notre avis, cela compromettrait notre capacité de commercialiser efficacement le grain et de planifier nos expéditions. Nous ne croyons pas que ce soit conforme avec le principe de la gestion de la chaîne d'approvisionnement.
Si vous parlez aux grandes organisations, elles estiment devoir participer directement au transport de leur produit d'un bout à l'autre de la chaîne. Nous croyons que nous pouvons travailler avec les compagnies céréalières et les chemins de fer pour améliorer la reddition des comptes et l'efficacité dans le système, mais nous ne croyons pas que la solution consiste à nous enlever tout rôle direct.
Nous croyons qu'il serait difficile d'adopter un système d'appel d'offres comme le suggère le juge Estey. Cela nous laisserait très peu de marge de manoeuvre pour transporter le grain d'un port à l'autre et répondre aux besoins de la clientèle à court terme. Cette formule nous empêcherait de planifier nos livraisons en prenant le grain des régions où c'est le plus rentable et nous aurions du mal à planifier sur toute une année plutôt que de semaine en semaine ou de mois en mois. Nous avons fait connaître très clairement nos opinions sur cette question et nous les réitérerons lors des prochaines consultations.
Il y a aussi la question des tarifs et du plafond tarifaire. Les agriculteurs qui sont membres de notre conseil et les autres craignent sérieusement que le niveau des tarifs pose un sérieux problème, car la concurrence pourrait être insuffisante dans le réseau de transport ferroviaire de l'Ouest.
Nous demandons deux choses. Premièrement, que l'on révise les tarifs et les coûts du transport ferroviaire. Nous croyons que les chemins de fer ont largement augmenté leur productivité ces dernières années et qu'il faudrait en faire profiter les producteurs. Deuxièmement, tant qu'on ne pourra pas nous prouver que la concurrence sera efficace, il ne faudrait pas que les tarifs soient totalement déréglementés.
Le sénateur Hays: J'ai une ou deux questions concernant le transport du grain. J'ai l'impression que ce serait intéressant pour les syndicats, car ils assumeraient ce rôle et auraient sans doute l'occasion de réaliser un bénéfice sur cette activité.
Toutefois, si j'ai bien compris, Estey a exclu la commission du blé ou a suggéré de l'exclure de ce rôle. La commission ne pourrait-elle pas jouer le rôle d'entrepreneur pour le transport du grain, comme n'importe qui d'autre? Je ne sais pas pourquoi son rapport ne s'étend pas là-dessus, mais peut-être pourriez-vous nous dire ce que vous en pensez.
M. Arason: Sans vouloir être négatif, l'un des défauts du rapport est qu'il n'était pas très détaillé. Il énonçait des concepts, mais sans entrer dans les détails. Chacun a une opinion différente quant à la façon dont ce genre de système pourrait fonctionner.
Le juge Estey a proposé un système d'appel d'offres aux termes duquel nous devrions confirmer une vente et ensuite passer un contrat pour la livraison du grain, de l'élévateur jusqu'au port. Étant donné le délai dont nous disposons pour faire une vente, ce n'est pas une solution pratique ou possible. Nous avons procédé à certains appels d'offres et parfois avec succès. Je ne pense pas que les compagnies céréalières en ont toutes aimé les résultats, étant donné que cela a eu pour effet d'abaisser certains frais qui étaient inclus dans l'appel d'offre. Nous réexaminons toutefois la situation avec les compagnies céréalières.
C'est un instrument que nous pouvons utiliser, mais nous jugeons indispensable d'avoir directement accès aux wagons et de pouvoir négocier avec les chemins de fer. C'est une autre erreur qui figure dans son rapport. Le juge Estey a dit que la commission du blé ne négociait pas les tarifs alors que nous le faisons. Nous négocions les tarifs avec les chemins de fer pour un certain nombre de livraisons. Une organisation de la taille de la nôtre peut exercer une certaine influence et faire économiser de l'argent aux agriculteurs en négociant. Notre objectif est d'augmenter au maximum le rendement pour les producteurs.
Les compagnies céréalières veulent évidemment rentabiliser leur actif. Elles ont investi énormément dans le réseau. Les chemins de fer veulent un rendement sur leur investissement. Mais nous croyons que les agriculteurs doivent être également traités équitablement, car ce sont eux qui paient pour tous ces services.
Le sénateur Hays: Le plafond serait très utile pour résoudre la crise actuelle dans le secteur céréalier pour ce qui est du prix des denrées et de leur effet dévastateur sur l'utilisation des terres des Prairies.
Le plafonnement des tarifs nous ramènerait à la quantification préalable de la Loi sur le transport du grain, qui a causé des problèmes pour les chemins de fer sur le plan de la rentabilité du transport du grain par rapport au transport d'autres marchandises en vrac. Le problème est devenu insurmontable avec le temps. Nous avons du acheter des wagons-trémies. Nous avons du faire certaines choses pour subventionner les chemins de fer afin de compenser la rentabilité médiocre du transport du grain.
Lorsque nous parlons de prolonger le plafond ou de le rendre permanent, quelles en seraient les conséquences compte tenu du genre de problème que nous avons déjà connu?
M. Arason: Le contexte dont vous parlez précède sans doute la Loi sur le transport du grain de l'Ouest. Lorsque j'étais au Syndicat du blé, je faisais partie du groupe qui a rédigé cette loi. J'ai participé directement à plusieurs examens des coûts. Gordon, qui est ici avec moi, était l'administrateur adjoint de l'Office du transport du grain et il s'est également intéressé de très près à ces questions.
On peut dire qu'avec la Loi sur le transport du grain de l'Ouest, les chemins de fer n'ont pas subi de perte de revenu. Ils ont obtenu leurs coûts, plus une contribution de 20 p. 100 de leurs coûts variables aux recettes globales des compagnies ferroviaires. Ils ont été indemnisés de façon adéquate. En fait, certains estiment que c'était plus qu'adéquat et que le grain a été très rentable pour eux.
Ils ont investi dans des wagons lorsque c'était nécessaire. Nous avons le matériel roulant du gouvernement et nous n'avons pas intérêt à ce qu'on achète des wagons à moins qu'on en ait besoin. Les chemins de fer ont investi dans des locomotives. Ils ont amélioré leurs voies, et cetera.
Nous ne devrions pas trop nous préoccuper des revenus que les chemins de fer ont tirés du grain. S'il y a un plafond, cela ne veut pas dire nécessairement que les chemins de fer ne pourront pas rentrer dans leurs frais ou qu'ils ne pourront pas réinvestir dans leur réseau. Un plafond garantit aux producteurs et aux expéditeurs de grain que l'absence de concurrence ne va pas les désavantager et permettre aux chemins de fer de leur faire payer le maximum.
Il faut dire que les chemins de fer ont, de leur côté, des intérêts commerciaux légitimes. Je les crois lorsqu'ils disent qu'ils ne veulent pas acculer un client à la faillite, mais je crois également qu'ils peuvent vous conduire suffisamment au bord du précipice pour que vous ayez une bonne vue de ce qui se passe en dessous. Nous devons en tenir compte.
Le sénateur Stratton: Comme vous le savez, en prévision de la prochaine série de négociations, notre comité est allé en Europe examiner les subventions qui existent là-bas. J'ai eu la chance de visiter les régions rurales et d'y rencontrer des producteurs. J'ai été frappé de constater que leur attitude était entièrement différente de celle des Nord-Américains. Ils sont convaincus que l'agriculture est un mode de vie. Ils veulent faire en sorte que les agriculteurs restent à la terre et tel est le but des subventions. On permet également aux gens d'avoir des petites fermes, par exemple de 40 hectares, ce qui est assez étonnant. Quand vous visitez la région et que vous voyez ces fermes, même si elles ne sont pas riches, elles sont quand même assez impressionnantes.
Les Européens semblent tenir beaucoup à préserver tout cela, car ils considèrent l'agriculture comme un mode de vie. Quant à nous, nous voulons protéger nos offices de commercialisation et notre commission du blé. Les Américains veulent que nous nous tournions davantage vers la libre entreprise et pourtant, quand cela fait leur affaire, ils accordent également des subventions.
Pourquoi les Européens renonceraient-ils à leur façon de voir les choses lorsque nous exigeons qu'ils renoncent à leurs subventions ou qu'ils en fassent le découplage tout en nous laissant conserver nos offices de commercialisation et notre commission du blé? Surtout lorsque les Américains disent que personne n'a le droit de faire ce genre de chose, y compris les Européens et les Canadiens?
Nous allons participer aux prochaines négociations, mais je ne vois pas les Européens renoncer à ce qu'ils font, étant donné que c'est généralisé. Il se peut qu'ils réduisent leurs subventions et trouvent d'autres façons d'atteindre leurs objectifs. Je n'envisage pas que les États-Unis abandonnent, car un pays va toujours vouloir protéger certains groupes ou certains secteurs. Pensez-vous que le problème va pouvoir être réglé d'une façon ou d'une autre?
Comme question supplémentaire, pensez-vous que la commission du blé et les offices de commercialisation pourront survivre à long terme de ces négociations? Si l'on adopte la ligne dure, ce qui a amené la création de la boîte bleue, la dernière fois, comme nous ne sommes pas très importants, on pourra tout simplement vous éliminer. Qu'en pensez-vous?
M. Arason: Il est certain que les programmes de soutien européens dépendent d'un tas de facteurs par opposition à ceux des États-Unis ou d'ailleurs. J'ai lu le rapport de la visite du comité en Europe et je l'ai trouvé très complet et très intéressant. C'était sans doute une expérience très enrichissante et d'après ce que j'ai vu, c'est un rapport très complet et très détaillé.
Si j'ai bien compris, il y a deux principaux facteurs qui sont à l'origine des programmes de l'Union européenne. Au début, c'était la question de l'autosuffisance. L'Europe ne voulait jamais dépendre de quelqu'un d'autre pour son approvisionnement alimentaire. Elle a dépassé depuis longtemps le stade de l'autosuffisance. L'autre facteur, surtout dans des pays comme la France, est d'ordre social. On veut garder les gens dans les fermes et dans les régions rurales. C'est ce qui est à l'origine d'un certain nombre des programmes européens.
À mon avis, ces programmes ont largement outrepassé leur but premier qui était l'autosuffisance ou le maintien des gens dans le secteur agricole. Ils ont créé une situation où les produits sont offerts sur le marché mondial à bas prix ou à un prix largement subventionné, ce qui abaisse le cours des denrées pour tout le monde.
Si c'était uniquement une question d'autosuffisance et si cela se limitait à l'Union européenne, ce ne serait pas aussi grave. Néanmoins, dans certaines situations, comme c'est le cas actuellement avec l'orge de brasserie, nous avons été évincés d'un certain nombre de marchés, car nous ne pouvons pas soutenir la concurrence. Le gros problème pour nous est que ces programmes ont largement outrepassé leurs objectifs sociaux.
Pour ce qui est des Américains, l'un des problèmes est qu'ils n'aiment tout simplement pas la concurrence. Nous sommes un concurrent très sérieux. Ils estiment que nous avons réussi en raison de ce que nous sommes et non pas de ce que nous faisons. Je pense que c'est l'inverse. Nous réussissons grâce à ce que nous faisons: nous fournissons un produit de qualité à un prix concurrentiel et nous sommes très dynamiques sur le marché. Il y a toutes sortes d'exemples que nous pourrions citer.
Comment concilier les différentes positions? Je ne pense pas avoir de solution à proposer. L'une des raisons pour lesquelles nous avons la commission du blé et nos offices de commercialisation est que nous n'avons pas le même genre de programmes qu'en Europe. La commission du blé et les offices de commercialisation sont les moyens dont les agriculteurs disposent pour obtenir un meilleur rendement étant donné que le gouvernement n'a pas d'autres programmes pour ce faire. Les producteurs ont le droit de travailler ensemble pour améliorer leur sort et il faudrait respecter ce droit.
Le sénateur Stratton: Étant donné la guerre qui s'annonce, on a l'impression que le Canada est assez vulnérable dans l'ensemble. C'est un point de vue pessimiste, mais après les dernières négociations, il faut faire preuve d'un réaliste prudent. Il faut être réaliste quand vous examinez notre rôle et quand vous voyez l'importance du rôle que le Canada peut jouer.
À quel point sommes-nous vulnérables, selon vous, en ce qui concerne la commission du blé et les offices de commercialisation? Je sais que vous voudriez procéder secteur par secteur, mais comme je l'ai déjà dit, lorsqu'on adopte la ligne dure pour conclure un accord, notre pays n'est-il pas vulnérable en ce qui concerne la commission du blé?
M. Arason: Je suis convaincu que la commission du blé existera encore quand je ne serai plus là. J'ignore pendant combien de temps. Je crois en elle. Elle a fait beaucoup pour les agriculteurs et nous ne devrions pas être trop pessimistes au sujet des positions de négociation. Il y a certainement beaucoup de bluff et les Américains protestent haut et fort. Il semble y avoir également des cycles de quatre ans aux États-Unis. C'est ce qui se passe encore une fois.
Le sénateur Stratton: Nous en arrivons peut-être à des cycles de deux ans.
M. Arason: Peut-être, selon la date des élections.
Le Canada n'est pas un pays aussi puissant que les États-Unis ou l'Union européenne. Néanmoins, comme il exporte vers une part importante du marché mondial, j'espère qu'il exercera une influence et que le processus sera équitable. Les prises de position sont une chose, mais la conclusion d'un accord en est une autre.
Je suis rassuré par ce que nos négociateurs nous disent quant à ce que sera notre position. Nous devons les mettre au pied du mur en leur disant: «Vous attaquez la Commission canadienne du blé, mais que faites-vous de Cargill, d'ADM ou de ConAgra?» Ce sont des intérêts beaucoup plus puissants, qui ont beaucoup plus d'influence sur le marché et qui sont beaucoup moins transparents que la Commission canadienne du blé.
Le sénateur Stratton: Sans vouloir vous contredire, pour être réaliste, vous voulez conclure un accord en protégeant la position du Canada vis-à-vis de la commission du blé et des offices de commercialisation. Si telle est votre position, que devrions-nous concéder aux autres? Si vous dites: «Nous voulons ceci», pour conclure un accord, vous devez dire également: «En échange, nous allons vous donner cela».
Les Européens subventionnent leurs producteurs parce qu'ils croient dans ce mode de vie et parce qu'ils veulent le préserver. Les États-Unis procèdent différemment, que ce soit par l'entremise de Cargill, ConAgra ou ADM. En période d'élections, ils veulent donner l'impression qu'ils protègent la ferme familiale. Si nous sommes tous pratiquement dans la même situation, que devrions-nous concéder aux États-Unis et à l'Europe pour maintenir notre position? C'est ce qu'il faut faire pour conclure un accord.
M. Arason: J'espère que nous n'aurons pas à céder par exemple la commission du blé pour satisfaire à des arguments idéologiques qui n'ont aucun effet direct sur le soutien de l'agriculture, le revenu agricole ou les subventions. C'est une chose qu'ils veulent obtenir pour des raisons politiques plutôt qu'économiques.
J'espère que nous nous rendrons aux prochaines négociations avec une position très ferme et que nous négocierons uniquement les questions qui ont un effet direct sur le plan des subventions, des programmes d'exportation, et cetera. Je crois qu'un tas d'autres facteurs ont beaucoup plus d'influence sur la situation commerciale mondiale que les entreprises commerciales d'État et la commission du blé. J'espère que les négociations porteront sur des questions qui ont des effets directs plutôt que de simples questions idéologiques. J'espère que la position du Canada sera ferme à cet égard.
M. Gordon Miles, vice-président exécutif, Affaires générales, Commission canadienne du blé: Nous devons également reconnaître que le point de vue américain peut être influencé par des raisons politiques et les producteurs des États du Nord. Nous n'entendons pas souvent l'opinion des transformateurs et des clients. Ils font également valoir leurs intérêts sur la scène politique. Ils ne le font pas de la même façon, c'est-à-dire par l'entremise des médias.
ConAgra est l'un des plus gros clients de la Commission canadienne du blé aux États-Unis, tout comme Cargill Milling. Les deux sociétés sont très satisfaites de la qualité et de l'uniformité du blé canadien. Ce produit continuera d'être vendu aux États-Unis, car c'est ce dont les transformateurs ont besoin pour créer le produit fini qui se retrouve dans les épiceries. Il faut faire la distinction entre les prises de position purement politiques et ce qui se passe au niveau du client.
M. Arason: Pour citer un autre exemple, j'ai eu de nombreuses discussions avec des agriculteurs américains au sujet des effets de la Loi sur le transport du grain de l'Ouest. Ils jugeaient nécessaire de s'en débarrasser par qu'ils croyaient que cette loi avantageait largement les agriculteurs canadiens de l'Ouest.
Si cette loi disparaît et si les agriculteurs doivent payer le plein tarif, il devient beaucoup plus intéressant pour les producteurs canadiens, surtout ceux des Prairies, d'exporter vers les États-Unis. Les trains et les camions partiront vers le Sud, car c'est le marché le plus rentable si vous tenez compte de tous les frais. C'est effectivement ce qui s'est passé. Nous nous sommes débarrassés de la Loi sur le transport du grain de l'Ouest et les Américains pensaient que c'était un bonne chose. Cela a rendu leur marché plus intéressant pour nous et a créé un problème différent.
L'élimination de la commission du blé ne changera rien à la demande de consommation des États-Unis. Nous faisons preuve de modération dans ce marché et nous essayons de ne pas aggraver la situation. Mais si tous les agriculteurs situés le long de la frontière envoient leurs camions vers le Sud du jour au lendemain, nous savons ce qui se passera, et c'est déjà arrivé.
Nous devons également dialoguer directement avec les groupes de producteurs des États-Unis. J'ai rencontré les représentants de l'État du Dakota du Nord il y a un mois environ. Aux États-Unis, on fait des efforts pour essayer de mieux comprendre la situation. J'ignore si nous réussirons à convaincre qui que ce soit, mais nous pourrions peut-être aider certains groupes agricoles à mieux comprendre.
Le sénateur Stratton: Lorsque j'étais en Suède, je suis tombé sur un parlementaire néo-zélandais qui était producteur laitier. Il m'a parlé d'un producteur laitier suédois dont la ferme était située à 3 500 pieds d'altitude. Son troupeau comprenait 13 vaches, mais il se débrouillait bien. Pourquoi? Parce que la collectivité locale, croyez-le ou non, lui versait l'équivalent de 20 000 $ par an. Autrement dit, elle le subventionnait parce qu'elle voulait que sa ferme reste dans la région. C'est étonnant.
Si les Européens faisaient ce genre de chose au lieu de subventionner le prix du grain, par exemple, et si nous étions prêts à céder sur ce plan afin de conserver nos offices de commercialisation et la commission du blé, serait-ce acceptable?
M. Arason: Nous faisons valoir, dans notre mémoire, que les programmes de soutien nationaux devraient être découplés et qu'il faudrait un plafond. Tout investissement ou incitatif à l'investissement peut encourager les entreprises non rentables et entraîner une surproduction soutenue. Il faut le reconnaître. Toutefois, d'un autre côté, comment dire à une collectivité locale qu'elle ne peut pas investir quelques dollars pour conserver sa ferme laitière? Je l'ignore. C'est une question complexe.
Le sénateur Spivak: Je voudrais en revenir à tout le problème des produits génétiquement modifiés. Dans votre mémoire, vous dites que la biotechnologie, les questions commerciales et l'évaluation des risques doivent être considérées en fonction des données scientifiques. Si vous examinez attentivement l'évaluation des risques, non pas la gestion des risques, mais leur évaluation, elle tient compte des risques potentiels, tout comme le principe de la prudence. Le sens de cette expression n'est pas toujours le même pour ceux qui parlent de se baser sur des données scientifiques.
Avons-nous vraiment examiné la question sérieusement et pas seulement dans une optique commerciale? Je sais que certains agriculteurs examinent de près certaines semences qui ont été modifiées génétiquement, car ils s'aperçoivent qu'elles ne produisent pas aussi bien. Le rendement n'est pas aussi bon. Ne devrions-nous pas examiner tous les aspects de la question, du point de vue commercial, du point de vue du rendement ou du point de vue de l'ensemencement et nous pencher sur la question de l'utilisation de produits génétiquement modifiés au Canada?
Il y a aussi des utilisations de ces produits génétiquement modifiés qui visent à protéger l'investissement, par exemple dans le cas du gène terminateur. Les agriculteurs ne vont pas accepter cela. Le problème prend de l'ampleur.
M. Arason: Je suis d'accord pour dire qu'il prend de l'ampleur et nous préoccupe de plus en plus. Nous en avons longuement discuté au cours de notre réunion d'hier avec plusieurs fonctionnaires d'Agriculture Canada et les représentants de certaines de ces agences. Nous craignons que cette question ne pose un grave problème très rapidement à moins que nous ne trouvions une solution.
Malgré tous les efforts de la science, qui peut prédire exactement quels effets à long terme ces nouvelles technologies pourraient produire d'ici 20 ans?
Nous voulons nous aligner avec nos clients pour ce qui est de l'acceptation de la technologie, mais cela évolue constamment. De toute évidence, ce sont les Européens que ce problème préoccupe le plus, mais il se pose également dans d'autres marchés. Nous continuons à en discuter avec nos clients pour veiller à bien comprendre leur position au fur et à mesure qu'elle évolue.
Pour ce qui est de la qualité, nous sommes convaincus que nous ne devrions pas abandonner la qualité et la viabilité au nom du progrès scientifique. Il faut que l'agriculteur y trouve un avantage en obtenant un meilleur produit, un meilleur rendement, et cetera. Cette technologie présente certains avantages en réduisant l'utilisation des pesticides étant donné la nature sélective de certaines variétés et l'application sélective des pesticides.
Il y a également un aspect positif. Il faut développer la science au maximum de façon à en savoir le plus possible. Cette question suscite beaucoup de réactions émotives et je crains qu'elle finisse par créer des distorsions sur le marché, car chacun a sa propre définition des produits dont il ne voudra pas dans son pays. Si nous n'en tenons pas compte, nous aurons de graves difficultés.
Le sénateur Spivak: Où se fait le travail d'évaluation? Les mégasociétés comme DuPont et Pioneer Seed se fusionnent et délaissent l'industrie chimique au profit des sciences de la vie et de l'agroalimentaire. Elles ne le font pas précisément pour des raisons de santé, mais plutôt pour des raisons commerciales.
Il faut pouvoir faire la distinction entre des produits comme le gène terminateur et les produits qui améliorent vraiment les récoltes. Dans notre pays, qui se charge d'établir quels sont les progrès de la biotechnologie qui sont vraiment bénéfiques et ceux qui visent seulement à protéger un investissement? Je ne pense pas que, dans le dernier cas, il s'agisse d'une utilisation légitime de la technologie, et cela pose un énorme problème à l'échelle mondiale.
M. Arason: Il y a deux ou trois domaines dans lesquels il faudrait des freins et des contrepoids. Premièrement, la Commission canadienne des grains a un comité de normalisation qui examine les variétés avant de les autoriser et il y a un processus d'approbation pour les variétés homologuées.
Deuxièmement, nous avons l'Agence canadienne d'inspection des aliments. C'est une organisation très importante qui aura un rôle à jouer dans ce dossier. J'ai discuté de la question hier, avec le directeur de cet organisme.
Le sénateur Spivak: Les semences sont examinées et évaluées?
M. Arason: Il y a un lien, mais cela devient très difficile. Le poulet nourri à partir d'une plante génétiquement modifiée devient-il une viande génétiquement modifiée? Il y a toute sorte de liens à explorer car cela se retrouve finalement dans la chaîne alimentaire.
Au Canada, la Loi sur la protection des obtentions végétales est en place depuis un certain temps, mais elle a longuement été débattue lorsqu'elle a été présentée. La question que soulève le gène terminateur ne relève pas seulement de la réglementation. C'est une question économique, écologique et sociologique. Elle a un tas de ramifications.
Les entreprises de technologie ont certainement beaucoup investi dans tout cela et espèrent en tirer un gros rendement. Les agriculteurs ont raison de craindre de se retrouver captifs de cette technologie.
Le sénateur Spivak: Le problème ne se situe pas tant du côté des produits alimentaires que des semences, de leur productivité et de ce qui pourrait se passer dans les champs. C'est sur cela que porte ma question. Nous avons entendu toutes sortes d'histoires. Apparemment, environ 500 poursuites ont été intentées devant les tribunaux de l'Amérique du Nord. Monsanto poursuit des agriculteurs pour avoir ensemencé accidentellement ou cultivé des semences que leurs contrats leur interdisaient de cultiver. Il y a aussi le problème des plantes génétiquement modifiées qui vont envahir d'autres champs.
Qui se charge d'évaluer cette technologie et ses effets sur le terrain? Est-ce fait à l'Université de l'Alberta ou à l'Université du Manitoba? Je comprends ce qu'il en est pour les produits alimentaires, mais je veux parler des cultures.
M. Arason: J'en reviens encore une fois à la commission des grains. J'espère que par l'entremise de son comité de normalisation et du processus d'octroi des licences, la commission des grains n'autorisera pas des variétés qui n'offriront pas certains avantages et qui n'amélioreront pas la productivité et la qualité des grains ou des récoltes.
Je ne crois pas que cette question soit du ressort d'un seul et même organisme. Elle relève d'un certain nombre d'organismes et de ministères. Cela outrepasse le cadre de l'agriculture et il y aura des poursuites devant les tribunaux. Les compagnies prendront des mesures pour protéger leur investissement. Elles ont conclu des contrats avec les agriculteurs pour l'utilisation des technologies et elles vont vouloir les faire appliquer, de même que les redevances, et cetera. Cela fait longtemps qu'on utilise des hybrides. Ils ne sont pas génétiquement modifiés, mais ils présentent certaines des mêmes caractéristiques de mise en marché.
Nous essayons tous de résoudre ce problème. C'était le sujet de nos discussions d'hier. Nous allons devoir régler la question avant qu'il ne soit trop tard.
Le vice-président: Continuez-vous à distribuer la boîte d'échantillons préparée par la Commission canadienne du blé?
M. Arason: Nous en avons plusieurs versions. J'en ai vu dans des bureaux de Beijing, de Tokyo et de Mexico. Partout où je vais, je vois ces échantillons. C'est une excellente façon de faire connaître la qualité de nos produits et notre système.
Le vice-président: Cette boîte d'échantillons contient de l'orge de brasserie, de l'orge fourrager, du blé fourrager de l'Ouest canadien, du blé de printemps des Prairies, du blé d'utilité générale, du blé dur ambré et du blé tendre de printemps. La seule chose qu'on n'y trouve pas ce sont des oléagineux. Quand allez-vous étendre votre rôle aux oléagineux?
M. Arason: Ce n'est pas inscrit dans notre mandat actuel et je pense pas que ce le sera bientôt. Cette question est constamment soulevée sous une forme ou sous une autre dans les Prairies. Ces boîtes d'échantillon devront devenir plus grosses, car nous mettons au point toutes sortes d'autres blés spécialisés répondant à des besoins particuliers. Les qualités et les catégories de blé sont de plus en plus nombreuses et nous faisons beaucoup de recherche dans ce domaine.
Le vice-président: C'est un instrument de vente merveilleux, car les gens peuvent voir le genre de grain qu'ils vont obtenir. Vos concurrents devraient faire la même chose pour le grain qu'ils mettent en marché.
Il y a plusieurs années, j'ai parlé aux représentants de la Nebraska Wheat Growers Association. Lorsque l'agent d'Amsterdam qui achetait leur grain leur a apporté un échantillon du grain qu'il avait reçu à Amsterdam, il n'avait rien à voir avec le grain qu'ils avaient vendu à partir du Nebraska. Ils ont alors suivi une cargaison de grain qui s'est rendue du Nebraska jusqu'en Hollande pour prouver qu'ils pouvaient cultiver le genre de grain que voulaient les minotiers.
J'ai de sérieuses réserves au sujet des plantes génétiquement modifiées. J'étais sidéré d'apprendre que Monsanto avait donné 600 000 $ au centre de recherches d'Agriculture Canada à Winnipeg pour mettre au point un blé résistant au Round Up. Êtes-vous au courant?
M. Arason: Je l'ai lu dans les journaux. Cela présente un avantage économique évident. J'ai remarqué que le premier ministre de l'Alberta assistait à la conférence de presse et que c'était tout un événement. Nous avons un canola résistant au Round Up et ce produit est très utilisé dans l'ouest du pays. Malgré les meilleurs efforts faits pour trier le produit, vous ne pouvez sans doute plus garantir, dans l'Ouest, un canola sans modification génétique. Comme je l'ai dit, c'est un sérieux problème.
Le vice-président: Certains membres du comité, y compris moi-même, avons reçu des lettres des gens de l'Ouest se plaignant que le canola était devenu une mauvaise herbe parce qu'il n'était pas possible de le tuer. Si des semences tombent sur le sol, il est très difficile de s'en débarrasser.
M. Arason: Le problème se pose non seulement pour les produits génétiquement modifiés, mais également pour tous les produits qui ont une tolérance aux herbicides. Je sais que les fabricants de produits chimiques ont préconisé l'utilisation de produits à spectre différent, par roulement, afin de ne pas utiliser le même type de produit dans une exploitation agricole année après année et de ne pas créer de résistance. Le problème ne se limite pas aux plantes génétiquement modifiées.
Le vice-président: Vous pouvez vous débarrasser du canola ordinaire en vous servant d'un herbicide différent, mais tout ce qui résiste au Round Up résiste bien à tout le reste.
M. Arason: Le problème est plus sérieux, je l'admets.
Le vice-président: On a mis au point, en Angleterre, une pomme de terre que les doryphores ne mangent pas parce qu'elle est toxique pour eux. On s'aperçoit maintenant qu'il faudra peut-être retirer du marché cette pomme de terre génétiquement modifiée parce que les tests qu'il aurait fallu faire au préalable sur des rats n'ont pas donné de très bons résultats.
Vous étiez à l'OMC lorsqu'un ancien ministre de l'Agriculture de la Saskatchewan faisait la promotion de cette modification génétique. Il a déclaré que c'était la voie de l'avenir. Savez-vous que des gens haut placés présentent la chose comme une entreprise très rentable?
M. Arason: Cette technologie bénéficie certainement d'un soutien très important dans certains secteurs parce qu'elle diminue les coûts de production ou améliore la productivité et l'efficacité, et cetera. Le débat sur la question est parfaitement légitime et les avis sont partagés. Il y a aussi des intérêts économiques en jeu comme en témoignent les investissements réalisés par Monsanto et d'autres compagnies dans l'Ouest du pays.
Nous devons essayer d'équilibrer les choses afin de ne pas nous retrouver avec un problème insurmontable. À ma connaissance, personne ne connaît la solution et il n'existe aucun organisme qui pourrait réglementer tout cela.
Le vice-président: Personnellement, je crois que la situation est déjà devenue incontrôlable quand Archer Daniels Midland annonce que les Européens accepteront du maïs, des fèves de soja, et cetera, avec seulement certaines modifications génétiques. C'est un test qui dure environ 11 minutes et qui indique si le grain a été modifié ou non.
La Commission canadienne des grains est l'un des meilleurs organismes au monde pour garantir que nous avons un produit pur que nous pouvons vendre à un meilleur prix.
Nous dépensons des millions de dollars pour mettre au point un canola qui donnera la meilleure huile que cette graine puisse produire. Plus de 50 p. 100 de l'huile que nous consommons au Canada est de l'huile de canola. Les gens disent qu'ils ne veulent pas de cette huile à moins qu'elle soit garantie sans modification génétique. Certaines entreprises du Portugal et d'Angleterre n'acceptent aucun produit manipulé génétiquement.
Nous sommes le plus gros exportateur de grain au monde devant l'OMC. Nous avons toujours exporté 75 p. 100 du grain que nous produisions. Nous entendons dire que nous devrions nous associer aux États-Unis et nous débarrasser du drapeau canadien. Je n'en crois pas mes oreilles. Avez-vous lu l'exposé qu'ils nous ont fait?
M. Arason: Si vous parlez de la Western Canadian Wheat Growers Association, la commission du blé et cette association ont toujours été en désaccord sur un certain nombre de questions. Nous sommes d'accord sur certaines choses, mais nous avons toujours eu des divergences de vues et elles se poursuivront.
L'Association a préconisé que nous nous alignions davantage sur le modèle américain que ne le souhaiteraient d'autres producteurs de l'Ouest. Le débat se poursuit dans la région. Il dure depuis longtemps et il se poursuivra sans doute longtemps encore.
Le vice-président: Lorsque j'étais président du comité de l'agriculture, nous avons étudié les activités de la commission du blé. J'ai demandé à la personne qui dirigeait la commission à l'époque qu'elles étaient ses préoccupations en ce qui concerne le transport. Sa réponse a été que la commission ne se préoccupait nullement du transport. Je lui ai dit que cela m'étonnait énormément. Avez-vous des opinions bien arrêtées quant au fait que, selon le rapport Estey, vous ne devriez absolument pas vous occuper du transport?
M. Arason: La position du nouveau conseil d'administration de la Commission canadienne du blé à ce sujet n'est pas nouvelle. Les commissaires précédents et leur personnel partageaient le même point de vue à savoir en tant qu'agence de commercialisation, la commission du blé devait avoir en main certains leviers, y compris ceux du transport. Telle est notre position.
Le vice-président: Les administrateurs qui ont été nommés à la commission du blé sont: Betty-Ann Heggie, vice-présidente principale de la Potash Corporation of Saskatchewan; David A. Hilton, ancien vice-président principal des activités bancaires internationales à la Banque de Nouvelle-Écosse; Ross L. Keith, un avocat de Regina qui possède une ferme; James M. Stanford, président-directeur général de Petro-Canada. Pensez-vous que vous avez besoin d'une de ces boîtes échantillons pour la leur montrer?
M. Arason: De toute évidence, les administrateurs qui ont été nommés sont arrivés à la commission du blé avec des degrés de connaissance divers au sujet de la commission et du grain de l'Ouest. M. Hilton a grandi en Alberta même s'il a travaillé pour le gouvernement fédéral dans le secteur du commerce et des finances pendant un certain temps et ensuite pour la Banque de Nouvelle-Écosse. Bien qu'il soit le seul représentant de l'Est à la commission, il a des racines dans l'Ouest.
Les administrateurs qui ont été nommés ont pris leurs nouvelles fonctions très au sérieux. Ils ont fait un gros effort pour bien comprendre la commission. De notre côté, nous avons fait de gros efforts pour les familiariser avec son fonctionnement. Nous respectons beaucoup les compétences qu'ils apportent, que ce soit dans le cas de gens comme M. Stanford qui a occupé un haut poste de direction, comme Mme Heggie, qui a des antécédents dans le domaine des communications et comme M. Hilton, dans celui des finances et M. Keith, dans celui du droit. Ils apportent une contribution très importante. Nous sommes une grande société. Nous avons besoin de ces points de vue et cela nous a été très utile. Les administrateurs élus l'ont vraiment apprécié.
Nous en sommes tous à la phase d'apprentissage, moi le premier, même si je travaille dans ce secteur depuis plus de 25 ans. Je connais bien la commission du blé, mais il y a aussi bien des choses que je m'efforce de comprendre.
M. Miles est nouveau chez nous. Une excellente atmosphère de travail règne parmi les membres de notre conseil d'administration et chacun d'eux prend ses responsabilités très au sérieux.
Le vice-président: Je suis sûr que certains d'entre eux deviendront vos plus ardents partisans lorsqu'ils connaîtront tous les aspects de vos activités. Peut-être iront-ils jusqu'à vous obtenir les oléagineux afin que vous puissiez les commercialiser de façon aussi efficace que les autres grains.
Je tiens à vous remercier vivement de votre comparution devant le comité.
M. Arason: Sénateurs, je vous remercie de votre invitation. J'espère que vous aurez l'occasion de lire notre mémoire, mais il a sans doute été plus constructif de dialoguer avec vous que de vous lire un texte.
Si vous avez des questions, n'hésitez pas à nous contacter. Nous sommes accessibles et nous voulons vous répondre. Je sais que le comité s'intéresse beaucoup à la commission du blé et aux questions commerciales, et nous voulons certainement travailler avec vous. Nous sommes à votre entière disposition pour vous fournir des renseignements ou recevoir vos observations.
La séance est levée.