Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 36 - Témoignages
OTTAWA, le jeudi 6 mai 1999
Le comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 9 h 05 pour étudier l'état actuel et les perspectives d'avenir de l'agriculture au Canada ainsi que l'effet des échanges commerciaux sur le revenu agricole.
Le sénateur Eugene Whelan (vice-président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le vice-président: Honorables sénateurs, nos premiers témoins sont des représentants de Keystone Agricultural Producers.
À vous la parole.
M. Don Dewar, président, Keystone Agricultural Producers: Monsieur le président, les Keystone Agricultural Producers tiennent à vous remercier de cette occasion de discuter avec vous aujourd'hui des effets de mesures de soutien agricole accordé dans certains pays concurrents sur le revenu des agriculteurs canadiens. Commençons d'abord par un examen des données de l'Organisation de coopération et de développement économiques sur les équivalents subvention à la production, les ESP. Ces ESP incluent des subventions directes et des transferts des consommateurs aux producteurs du fait des mesures de soutien des prix par maintien artificiel, ce qui comprend donc les mesures de gestion des approvisionnements du Canada.
Examinons les chiffres. Les subventions de l'Union européenne pour le blé sont de 318 $ l'acre, ou de 3,15 $ le boisseau. Aux États-Unis, les subventions représentent le tiers de cela, soit 68 $ l'acre ou 1,95 $ le boisseau. Toutefois, au Canada, la subvention est de 15 $ l'acre ou de 40 cents le boisseau, ce qui inclut les programmes de base de protection de revenu tels que le CSRN, le programme du Compte de stabilisation du revenu net, et l'assurance-récolte de base. L'Australie a une subvention encore plus faible, soit 11 $ l'acre et 35 cents le boisseau. On nous dit que les chiffres de 1998 révéleront une différence encore plus marquée des ESP, l'Union européenne et les États-Unis affichant une augmentation, tandis que le Canada réduit ses subventions.
Les dépenses agricoles des États-Unis sont acheminées par plusieurs programmes de soutien. Le premier est le Marketing Assistance Loan Program and Loan Deficiency Payment (Programme de prêts pour l'aide à la commercialisation et de paiements pour insolvabilité). Il offre aux producteurs un financement provisoire sur la production des récoltes. En soit, cela semble être de peu de conséquence. Toutefois, les niveaux de ces prêts sont établis par le gouvernement, se fondent sur la situation du comté agricole et sont corrigés en fonction des frais de transport. Le gouvernement affiche quotidiennement un prix des denrées dans le comté, qui est censé correspondre au prix comptant local.
Si le prix du comté atteint un niveau inférieur au prix prévu par le prêt, les producteurs remboursent le prêt au prix du comté et donc à un taux inférieur que celui qui leur a été accordé et qu'ils ont reçu. Ils peuvent soit vendre soit entreposer les céréales, à leur guise. Si le prix du comté atteint un niveau inférieur au taux du prêt, le producteur a l'option de contourner le système des prêts et de recevoir un paiement direct pour l'écart entre le prix du comté et le taux du prêt. C'est ce qu'ils appellent un paiement pour insolvabilité.
Jusqu'à présent, 54 p. 100 de la récolte américaine, y compris 6,5 millions de tonnes de blé, font l'objet d'un prêt. Dans le cas du blé, le paiement moyen pour insolvabilité est d'environ 44 cents canadiens le boisseau. Évidemment, cela se répercute sur les prix.
Ce programme assure aux producteurs américains un prix minimal et masque les signaux du marché. Le producteur américain prend ses décisions sur les semis à faire en se fondant sur les taux du prêt plutôt que sur les prix du marché. Prenons l'exemple d'une culture importante, le soya. Il a connu une baisse considérable, mais le taux de prêt n'a pas diminué. Les producteurs américains voient le taux de prêt accordé pour le soya, et cela leur semble être une bonne source de revenu. Ils peuvent vendre à un marché où le prix est plus faible et recevoir quand même le prix prévu.
Les exportateurs vendent les céréales à un prix plus faible que celui qui a été accordé aux producteurs. Peut-on appeler cela une subvention à l'exploitation? À certains égards, je suppose que oui. Toutefois, cela prolonge la période pendant laquelle les prix sont déprimés dans les marchés mondiaux, et c'est à ces prix-là que les producteurs canadiens doivent vendre.
La U.S. Farm Bill (Loi agricole américaine) de 1996 a remplacé l'ancien programme des prix-cibles et des versements d'appoint par des paiements contractuels souples. La loi permet aux producteurs de signer des contrats de sept ans et de recevoir des paiements par boisseau pour 85 p. 100 de la superficie historique de base du blé, des grains de provende, du coton et du riz.
Pour 1998, le paiement a été de 1 $ canadien le boisseau pour le blé et de 43 cents le boisseau pour l'orge. Ces prix ne correspondent pas du tout à ceux du marché et les producteurs reçoivent ces subventions, ces paiements, que les prix du marché soient à la hausse ou à la baisse. Ces paiements se fondent sur la production historique et sont donc considérés comme une catégorie de programmes de subventions dite «boîte verte». Ils ne sont donc pas assujettis aux réductions des niveaux de subventions prévues par l'accord de l'OMC.
Le total des dépenses par contrat souple est évalué, pour 1998, à 8,9 milliards de dollars canadiens. Avec la mise en oeuvre de ce programme, la Loi agricole américaine a éliminé les dispositions du Programme de retrait obligatoire de terres en culture, ce qui signifie que la superficie ensemencée est plus vaste.
Il est difficile de mesurer les effets directs de ce type de programme, dit programme découplé ou vert. Toutefois, il n'existe pas de règles pour le programme vert, s'il est reconnu comme tel. Sans le moindre doute, le revenu qu'obtient le producteur américain en sus du prix du marché se répercute sur la façon dont il envisage l'industrie. Les paiements découplés peuvent servir à investir dans l'achat de terres, d'équipement ou de matériel d'exploitation ou, simplement, à améliorer la situation des producteurs.
Cette année, on a annoncé un nouveau programme d'assurance du revenu pour le blé dur. Vous en avez peut-être entendu parler, parce qu'il cause de véritables distorsions. C'est, à la fois, un programme d'assurance-revenu et d'assurance-rendement. Il inclut le blé de printemps et le blé dur, mais le prix de soutien au blé dur se fonde sur le cours à terme du blé du printemps auquel s'ajoute l'écart moyen entre le prix du blé dur et le prix du blé de printemps, plutôt que sur le cours à terme du blé dur, qui serait indicatif de la valeur.
Le programme initial allait garantir aux producteurs 5,50 $ américains le boisseau, alors que le cours à terme à Minneapolis, en janvier, était de 3,79 $. Cela aurait manifestement entraîné des distorsions de production.
Même l'USDA (Secrétariat américain à l'agriculture) s'est rendu compte des effets de distorsion du programme et a réduit le niveau de soutien à 4,75 $. La différence est encore très grande. On peut voir l'effet de ce programme dans le Dakota du Nord, qui est notre concurrent direct, de l'autre côté de la frontière. En raison d'une large adhésion au programme, les producteurs ne voient la valeur du produit que par le prisme du programme et non par celui du prix du marché. Déjà, les cours à terme ont considérablement chuté parce que l'on prévoit une surproduction. De leur côté, les producteurs canadiens réagissent aux conditions du marché et freinent la production dans une grande mesure.
Les États-Unis ont également un autre programme, dont ils se sont servis; il s'agit d'un programme d'aide humanitaire international. Ils ont acheté 2,5 millions de tonnes de blé en juillet dernier. On craint que ce programme d'aide ne permette d'envoyer du blé à des pays qui, autrement, l'achèteraient. Je crois savoir que, l'an dernier, ils ont donné du blé à la Malaisie, qui normalement, achèterait des céréales canadiennes. C'est une façon d'acheter un marché. On donne directement le produit aux pays acheteurs et l'on écarte les concurrents ou leurs denrées.
Les États-Unis se servent également vigoureusement de programmes de crédit à l'exportation pour gagner des parts de marché. Par exemple, il y a trois ans, ils n'étaient pas du tout présents en Indonésie. Aujourd'hui, ils ont acquis environ 25 p. 100 de ce marché.
En outre, des dépenses représentant 9,2 milliards de dollars canadiens ont été approuvées en octobre 1998, la plupart de ces dépenses étant faites sous forme de subventions directes aux producteurs pour les indemniser de la faiblesse des prix. Encore une fois, c'est une façon de masquer les signaux du marché et d'injecter dans l'économie américaine les liquidités contre lesquelles les producteurs canadiens ne peuvent pas livrer concurrence.
L'autre puissance qui dispense ses largesses est l'Union européenne. Le niveau de soutien agricole à l'Union européenne dépasse considérablement même le niveau américain.
Permettez-moi de vous parlez des principaux programmes de soutien de l'Union européenne. Elle a un programme de soutien direct des régions. Le paiement de soutien direct est de 54,34 $ la tonne, en euros, fondé sur les rendements moyens. J'ai tâché de faire la conversion de certains de ces chiffres. Pour le blé, le rendement moyen et d'environ 68 boisseaux de l'acre, ce qui représente un paiement de 175 $ canadiens l'acre.
Si l'on se sert des perspectives de rendement de la Commission canadienne du blé pour le blé numéro 2, du blé ayant un contenu protéique de 13,5 p. 100, qui semble être la catégorie la plus répandue, le prix moyen est de 4,24 $ le boisseau. Notre production provinciale moyenne de l'an dernier s'est chiffrée à environ 32,4 boisseaux l'acre, ce qui représente un revenu brut par agriculteur manitobain de 137 $, soit beaucoup moins que le paiement de soutien accordé en Europe.
Comme les Américains, les Européens ont un prix de soutien spécial pour le blé durum qui, pour 1999-2000, devrait ajouter 222 $ canadiens aux autres paiements. Il ne s'agit pas d'un versement dissocié, et il ne fait donc pas partie de la boîte verte. Il est lié à une récolte particulière. On remarquera que le maïs est subventionné, qu'il soit utilisé comme céréale ou coupé pour l'ensilage; ainsi, bien que le fourrage ne soit pas subventionné, les producteurs peuvent obtenir de la pâture pratiquement gratuite pour leur bétail en se faisant payer leur ensilage de maïs grâce à ce programme.
En plus des versements directs, les Européens ont également des prix d'intervention, qui garantissent un prix plancher aux producteurs de céréales. Les gouvernements nationaux sont obligés d'intervenir pour acheter les céréales proposées à la vente et le prix plancher sert de prix de base dans tous les élévateurs. Les producteurs européens ont la garantie de recevoir 205 $ la tonne, soit 5,58 $ le boisseau, alors que les agriculteurs canadiens obtiennent 424 $ sur le marché et environ 3 $ le boisseau pour le maïs et l'orge. Encore une fois, un prix plancher masque les signaux du marché et favorise la surproduction.
Ces programmes ont favorisé la surproduction de blé au sein de l'Union européenne; la surface ensemencée a augmenté de 15 p. 100 depuis 1993-1994 et la production de 1998 devrait atteindre 103,2 millions de tonnes, soit 13 millions de tonnes de plus que la moyenne quinquennale, alors qu'au Canada, à cause de la baisse des prix mondiaux, les superficies de culture de blé ont été les plus faibles en 19 ans.
Les céréales ne sont pas le seul produit subventionné dans l'Union européenne. Les subventions moyennes à la production de canola étaient de 220 $ l'acre et de 456 $ l'acre pour le lin. Du fait de la vigueur des prix mondiaux et du niveau de subventionnement, la production de l'Union européenne a augmenté de 0,84 million de tonnes, ce qui a contribué à un surplus mondial d'oléagineux et à une chute des prix. Le prix mondial du lin devrait diminuer de 15 à 20 p. 100 pour l'année-récolte 1999-2000. Je crois qu'il a déjà chute plus que çà.
On entend beaucoup parler des subventions aux exportations. L'offre excédentaire de céréales incite l'Union européenne à réduire les stocks excédentaires en proposant des subventions aux exportations destinées aux marchés mondiaux. De fortes subventions aux exportations permettent aux Européens de vendre leur produit à un prix réduit, ce qui fait baisser le prix mondial de ce produit. En 1998, la moyenne des subventions aux exportations de blé et d'orge était de 1,44 $ le boisseau et 2,07 $ canadiens le boisseau. Depuis octobre 1998, l'Union européenne a approuvé des ventes d'avoine bénéficiant d'une subvention moyenne à l'exportation de 1,54 $ canadiens le boisseau.
Au début de janvier 1999, la subvention à l'exportation de malt a été fixée à 135 $ la tonne. L'Union européenne ne fait pas de distinction entre l'orge de maltage et l'orge ordinaire, si bien qu'elle subventionne l'exportation de malt, ce qui a sérieusement ralenti un marché mondial jusqu'alors très dynamique. Une réduction de 29 $ la tonne coûte 75 millions de dollars à l'ensemble des producteurs canadiens d'orge de maltage.
L'Union européenne a annoncé son Programme 2000, qui devrait être mis en oeuvre au cours des deux prochaines années. Ce programme diminue le prix d'intervention des céréales, qui passe de 205 $ à 164 $ la tonne. Cependant, cette diminution est compensée par une modification des paiements de soutien direct qui passent de 175 à 215 $ l'acre.
Pour faire face au changement, l'Union européenne réduit ses subventions aux exportations et celles qui perturbent le marché, et réoriente les fonds correspondants vers un programme vert; ainsi, le soutien à l'agriculture augmente, tandis que les programmes passent d'une boîte à l'autre, et que l'on parle désormais d'un programme vert. C'est une différence importante, comme vous le savez. Les producteurs canadiens ont subi des réductions des niveaux de soutien et leurs programmes ont été supprimés au lieu d'être réorientés vers la boîte verte, par exemple.
La nécessité de défendre notre politique commerciale contre ceux qui la contestent et de lutter contre les pratiques commerciales et les règlements mis en place pour barrer l'accès de nos produits au marché étranger constituent un autre aspect des accords commerciaux qui se répercutent sur le revenu des agriculteurs.
Les restrictions de l'accès au marché sont particulièrement fréquentes aux États-Unis. Par exemple, depuis 1990, la Commission canadienne du blé a fait l'objet de cinq enquêtes de la part de l'International Trade Commission des États-Unis, de trois enquêtes du U.S. General Accounting Office et d'une enquête d'un groupe spécial binational dans le cadre de l'Accord de libre-échange canado-américain. Ces contestations imposent à la Commission canadienne du blé des frais qui réduisent le rendement des ventes de céréales effectuées par la commission pour les agriculteurs.
Les poursuites intentées l'hiver dernier par le Dakota du Sud ont obligé les transporteurs des exportations canadiennes de bétail et de porc à contourner cet État, ce qui a ajouté 200 $ de frais par camion pour les producteurs qui exportent du bétail aux États-Unis. Nous avons dû contourner le Dakota du Sud, ce qui nous a coûté très cher. Cet État a peut-être fait un mauvais calcul, car son industrie de transformation en a souffert grandement elle aussi. Comme ses installations ont cessé de tourner à pleine capacité, elle a subi une perte économique importante. Le gouvernement du Dakota du sud a délibérément imposé un irritant.
Le Minnesota a suspendu les procédures d'adoption d'un projet de loi qui, s'il est adopté, imposera aux expéditeurs canadiens 100 $ supplémentaires pour chaque wagon qui traverse le Minnesota. Or, une partie importante des céréales du Manitoba passe par la région de Minneapolis au Minnesota.
Le jugement préliminaire dans l'affaire du droit compensateur R-CALF a été rendu au début de la semaine en faveur du Canada. Ce sont de bonnes nouvelles pour nous tous. Aucun des nos programmes n'est censé pouvoir faire l'objet d'un droit compensateur; du moins, aucun d'entre eux ne dépasse le seuil permis.
La contestation anti-dumping, qui n'a pas encore été tranchée, devrait coûter 3 millions de dollars en frais de justice aux producteurs de bétail. Je sais que pour les producteurs manitobains, la facture est déjà de 250 000 $. Le secteur laitier canadien fait régulièrement face à des contestations dont les frais doivent être assumés directement par les producteurs.
D'après les statistiques de mars 1999 d'Agriculture Canada, le revenu total net des agriculteurs du Manitoba devrait diminuer sensiblement.
J'ai ajouté à votre attention un tableau au mémoire. Pour 1999, la réduction est de 70 p. 100 par rapport à la moyenne qui apparaît à l'extrême droite. C'est là une indication de première importance.
Les pertes sur les récoltes au Manitoba par rapport au rendement moyen sont indiquées en dollars l'acre. Le ministère de l'Agriculture du Manitoba publie chaque année des chiffres indiquant les coûts de production à l'acre. Les prévisions actuelles pour les prix des récoltes donnent une diminution de 27 $ l'acre pour le blé et 40 $ l'acre pour le maïs et le canola.
Le canola a été notre «récolte cendrillon»; il nous a procuré un revenu essentiel alors que les prix des autres denrées diminuaient. Vous constatez désormais qu'au prix mondial actuel, le canola ne rapportera plus grand-chose aux agriculteurs de l'Ouest canadien. Cette diminution de revenu va se manifester au cours des huit prochains mois.
Les effets des conditions actuelles sont de plus en plus évidents. Pour l'exercice se terminant en mars 1999, la Commission de médiation agricole du Manitoba a enregistré une augmentation de 55 p. 100 -- par rapport à l'exercice précédent -- du nombre d'agriculteurs qui demandent volontairement la médiation. Une proportion de 55 p. 100 de ces demandes ont été présentées pendant le dernier trimestre de l'exercice, c'est-à-dire en janvier, février et mars. Les chiffres sont indiqués ici. On y trouve 38 cas de demandes de saisie en forclusion de la part de créanciers.
Le Bureau fédéral d'examen de l'endettement agricole à Regina, qui dessert le Manitoba et la Saskatchewan, ne donne pas la répartition de l'ensemble de ces dossiers, mais il a traité plus de 300 dossiers de médiation de dette au cours de l'année dernière. En outre, plus de 600 familles d'agriculteurs se sont prévalus du nouveau service de consultation destiné aux producteurs en difficultés financières qui souhaitent obtenir l'avis d'un conseiller financier.
Le programme spécial de la Société du crédit agricole du Manitoba qui vise à faire face à la chute actuelle des prix a déjà dépensé 20 des 25 millions de dollars dont il avait été doté. Ses dirigeants ont déjà soumis des demandes de fonds supplémentaires à l'approbation du Conseil du Trésor. Ils évaluent à 40 millions de dollars le montant dont ils auront besoin pour leur programme de prêts.
Le Manitoba Co-operator a annoncé 55 ventes à l'encan en avril et au début de mai. D'après nos entretiens avec les producteurs, nous savons qu'après avoir évalué leurs risques financiers, l'évolution du prix des denrées agricoles et les coûts de production, un certain nombre d'entre eux décident de quitter l'agriculture plutôt que de subir des pertes supplémentaires. Ils n'apparaissent pas dans les données sur les consultations et les médiations. Ils mettent leur terre en location ou en vente et passent à autre chose. Le directeur du service régional agricole de la Banque Canadienne Impériale de Commerce nous a dit que le secteur bancaire s'attend à une diminution de 30 p. 100 du nombre des exploitations agricoles au Canada au cours des prochaines années.
Qu'est-ce que cela signifie au niveau individuel? Certains agriculteurs restructurent leur situation financière. Certains d'entre eux transforment un crédit contracté pour couvrir des coûts d'intrants en une dette à long terme répartie sur un certain nombre d'années de façon à pouvoir la rembourser. Mais seuls les agriculteurs qui ont des perspectives financières à long terme peuvent le faire. Les autres ont atteint le plafond de leur budget de fonctionnement et leur crédit a expiré. Ils jettent les dés une dernière fois et s'en remettent au crédit des fournisseurs ou à leur encaisse s'ils ont des produits à vendre. Nous savons que certains économisent sur leurs intrants. Pour ceux qui n'obtiennent plus de crédit de la banque, les perspectives sont peu encourageantes parce qu'ils doivent s'accommoder des taux d'intérêt plus élevés des autres sources de financement, ce qui augmente encore leurs frais. Ceux qui économisent sur les intrants s'exposent à de mauvaises récoltes, qui vont faire baisser leurs revenus. Le choix n'est pas bien bon.
Les achats de matériel agricole sont de plus en plus rares, et l'industrie en ressent les effets. Une société comme Versatile, installée à Winnipeg, a dû fermer ses usines pendant près de six mois. Bourgeault et Flexi-Coil ont elles aussi procédé à de vastes licenciements. Flexi-Coil est complètement fermée depuis deux mois. Elle espère vendre une partie de son inventaire, mais je doute qu'elle y parvienne.
L'un des commentaires les plus inquiétants a été celui d'un fonctionnaire fédéral du Bureau d'examen de l'endettement agricole qui dit que depuis deux semaines, ses services reçoivent des appels téléphoniques très inquiétants. Des agriculteurs disent qu'ils n'ont plus de quoi payer leurs factures de services publics. Ils risquent de se faire couper le téléphone et l'électricité. L'un d'entre eux a dit qu'il n'avait pas de quoi acheter les médicaments dont sa famille a besoin. Une femme a dit que son mari était parti à une vente à l'encan avec une vache et un veau qu'il a fallu vendre pour acheter de quoi manger.
Le Service de médiation de Regina envisage maintenant d'inscrire certains agriculteurs aux services sociaux pour qu'ils obtiennent l'aide immédiate dont ils ont besoin pour survivre.
À court terme, l'agriculture devra s'en remettre à des programmes de prêts et de soutien, et chercher de nouvelles productions et de nouveaux marchés pour subsister jusqu'à ce que les prix remontent. Comme je l'ai dit, le Programme de prêts de la société du crédit agricole du Manitoba a connu un vif succès mais ce n'est jamais qu'un programme de prêts et par conséquent, il ne fait qu'ajouter à l'endettement des agriculteurs qui connaissent déjà d'importantes difficultés économiques.
Le Programme d'aide aux agriculteurs sinistrés, appelé AIDA, comporte certains défauts de conception qui, à notre avis, limitent l'aide apportée à de nombreux agriculteurs nécessiteux. Au début de l'année, le Manitoba s'est engagé à verser 25 millions de dollars à ce programme. Cependant, le budget de la semaine dernière n'a fait apparaître que 12 millions de dollars de dépenses à ce chapitre pour 1998. À notre avis, cela indique que pour le gouvernement, la moitié seulement de l'argent promis ou disponible sera effectivement versé au programme.
Les producteurs du Manitoba commencent à délaisser la production céréalière au profit d'autres denrées agricoles, ce qui cause un autre problème. Il y a eu une augmentation importante de la production porcine au Manitoba, avec une augmentation proportionnelle des ventes de porcs aux États-Unis. Cependant, le Conseil canadien du porc a récemment rencontré l'Association américaine des producteurs de porc, qui commence à se montrer très déterminée face aux importations américaines de porc canadien. Le président de l'organisme américain a reçu des menaces de mort et a dû recruter des gardes du corps à cause des producteurs américains qui envisagent très sérieusement de fermer la frontière à la production porcine canadienne, que ce soit par des moyens légaux ou non. Dans l'intervalle, des groupes de contestataires qui s'opposent à la croissance des grosses exploitations porcines se manifestent avec plus de vigueur au Manitoba, et les conseils municipaux adoptent des règlements restrictifs qui empêchent de créer des exploitations de ce type. De nombreux producteurs se tournent vers des récoltes plus rares, ce qui fait baisser les prix pour cause de surproduction sur des petits marchés plus sensibles à la conjoncture.
Je dois indiquer ici que c'est le Manitoba qui compte désormais la plus grande superficie de production de fèves comestibles, après avoir volé cette première place à l'Ontario. En 1999, malgré les compressions budgétaires, nous allons produire plus de pommes de terre que l'Île-du-Prince-Édouard. Les exploitants sont plus ou moins contraints de modifier leurs pratiques agronomiques et plantent des espèces qui présentent les meilleures chances de rapport, même au risque de perturber un cycle d'assolement rationnel très favorable au contrôle des maladies et des plantes parasites. Les perspectives viables sont très rares.
La solution à long terme serait d'améliorer les règles de l'OMC en supprimant tous les éléments qui incitent les pays à surproduire et à faire baisser le prix du grain. Nous devrions viser plusieurs objectifs au cours des prochaines négociations de l'OMC de façon à résoudre certains de ces problèmes. L'élimination des subventions aux exportations et des programmes de la boîte bleue, qui ne sont pas découplés figurent en tête de liste. À notre avis, l'acceptation de la boîte bleue en 1994 a été une erreur. Les pays ont honoré leurs engagements en faisant passer leur programme de la boîte orange à la boîte bleue sans la moindre diminution. Ils ont réduit leurs programmes de subventions de la boîte orange en les faisant changer de catégorie.
Lors des prochaines négociations de l'OMC, il faudra voir si le simple découplage du soutien de la production suffit à perturber le commerce. Il faudra obtenir une définition plus précise des programmes de la boîte verte. Nous aimerions que ces programmes soient plafonnés. C'est une question importante pour le Canada, car notre boîte verte est pratiquement vide. Quel intérêt aurions-nous à approuver les programmes de ce type si nos producteurs n'y ont pas accès? Si nous ne pouvons y recourir dans notre pays, peut-être serait-il préférable de ne pas permettre aux autres d'y recourir.
Nous devrons également demander des règles plus précises concernant l'utilisation du crédit commercial de façon à limiter les conditions du crédit à la durée de vie du produit auquel il s'applique. Il importe également d'obtenir des règles et des définitions plus précises susceptibles de limiter les possibilités de contestation commerciale.
L'agriculture canadienne fait face à une quantité d'obstacles à la veille du nouveau millénaire. En tant qu'agriculteurs, nous sommes exposés à des contestations commerciales, comme on l'a vu précédemment, à des problèmes environnementaux relatifs à la terre, à l'eau et à l'air, à des problèmes de transport lorsque nous voulons livrer notre production sur les marchés -- évidemment, le Manitoba a subi une forte augmentation des coûts de transport depuis 1995 -- et à des questions de prise de contrôle avec les fusions d'entreprises, l'intégration et les nouvelles technologies qui menacent la propriété des exploitations agricoles en tant qu'entreprises indépendantes. Nous connaissons toute une gamme d'autres problèmes complexes.
Nous savons par expérience que c'est toujours au producteur de payer pour régler ces problèmes. Il nous est de plus en plus difficile de supporter de tels coûts, à cause de l'état actuel du revenu agricole.
Il est absolument essentiel d'aborder les problèmes de revenu des agriculteurs canadiens de façon complète, avec une vision d'ensemble. Les solutions cosmétiques à court terme peuvent nous permettre de survivre à une période de difficultés, mais la véritable solution tient à des formules durables à long terme qui permettront aux producteurs canadiens de continuer à produire les aliments dont le Canada et le monde entier ont besoin.
Ceci termine notre exposé.
Le vice-président: Vous avez parlé des organismes commerciaux d'État. Le nouveau directeur de la Commission canadienne du blé a récemment comparu devant notre comité. Je lui ai demandé quelle quantité de grain passait par la Commission canadienne du blé par rapport à la plus petite société commerciale aux États-Unis. La proportion est d'environ un tiers. Nous avons fait des recherches depuis cette réunion. Au Japon et dans d'autres pays, c'est une société commerciale d'État qui assure la manutention du grain. Quelle différence y a-t-il donc entre Cargill, Continental Grain et Archer Daniels Midland?
Lorsque j'étais ministre de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire, j'ai travaillé avec trois secrétaires américains à l'Agriculture. Ils disaient tous la même chose. Les compagnies américaines de grain sont si grosses qu'on ne peut rien faire avec elles. Pourquoi se préoccupent-elles à ce point des sociétés commerciales d'État?
M. Dewar: Je ne sais pas.
Keystone Agricultural Producers est tout à fait favorable à la Commission canadienne du blé. Nous la considérons comme notre société et notre vendeur. Nous sommes convaincus qu'elle rapporte davantage d'argent à l'Ouest du Canada. On pourrait cependant apporter des changements à son mode de fonctionnement.
Lors de la conférence commerciale qui s'est tenue il y a trois semaines, on a avancé certains chiffres. Je ne les ai pas avec moi, mais ils montrent que les dix plus grosses compagnies commerciales ont des chiffres d'affaires plus importants que les budgets de la majorité des pays du monde. Le contrôle qu'elles exercent est tout à fait déconcertant.
Le vice-président: Des pressions s'exercent actuellement aux États-Unis pour que Cargill, la plus grosse compagnie commerciale du monde, qui s'est organisé pour que personne ne puisse y toucher, forme un groupe avec Continental, qui est la deuxième compagnie commerciale aux États-Unis. La nouvelle entité serait plus importante que toute l'économie du Canada, regroupant l'ensemble des entreprises. C'est une perspective très inquiétante. Avez-vous un commentaire à faire à ce sujet?
M. Dewar: Cette opération fait partie de cette perte de contrôle de notre production par l'intégration et les fusions d'entreprises, dont j'ai parlé. Nous en sommes très préoccupés. La situation tient notamment au fait que les compagnies de semence et de grain appartiennent à des compagnies de produits chimiques. Celles-ci envisagent la production d'organismes modifiés génétiquement en se plaçant d'un point de vue strictement économique, sans se préoccuper des questions d'environnement ou de santé.
En ce qui concerne les sociétés commerciales d'État, on pouvait lire dans un article du Western Producer de la semaine dernière que si les Américains s'acharnent autant sur la Société canadienne du blé, c'est en réalité, pour pouvoir s'en prendre à la société commerciale d'État de la Chine, qui joue un rôle d'organisme central d'achat.
Le vice-président: Je crois que c'est notamment pour cela que le président Clinton n'a pas immédiatement accepté la Chine. C'est l'une des plus grosses puissances acheteuses au monde, mais tous les achats passent par des sociétés d'État.
Le sénateur Spivak: Vous nous décrivez une situation assez inquiétante, mais qui n'est guère différente des autres descriptions que nous avons entendues. Vous avez fait quelques descriptions concernant les prochaines négociations de l'OMC. Je comprends bien vos propositions, mais que pensez-vous qu'il faille faire sur le plan intérieur à court ou à plus long terme pour éviter que des cultivateurs ne soient contraints d'abandonner l'agriculture? On voit d'énormes conglomérats acheter des terres agricoles.
M. Dewar: Je pense spontanément au programme AIDA qui vient d'être annoncé, et qui traite actuellement les demandes des agriculteurs. On pourrait réparer les erreurs de conception de ce programme en ce qui concerne les versements de 1998, de façon que les agriculteurs puissent toucher intégralement les fonds qui y ont été crédités. J'ai cité l'exemple du Manitoba, où 50 p. 100 seulement des fonds affectés au programme ont été versés aux agriculteurs. C'est du moins ce que prévoient les analystes.
Le sénateur Spivak: De quels défauts de conception parlez-vous?
M. Dewar: Le premier qui me vienne à l'esprit, c'est que le programme ne couvre pas la marge négative. Lorsqu'un agriculteur a connu une marge négative au cours des trois exercices précédents, il doit introduire cette marge dans les calculs, ce qui réduit d'autant le montant auquel il a droit. Les modes de calcul ne sont même pas homogènes. Nous avons dit dès le départ que le programme devrait couvrir les marges négatives, car elles font partie de la réalité.
Le jumelage du programme AIDA avec le CSRN supprime du même coup 30 millions de dollars. La réduction de 3 p. 100 qui résulte du jumelage avec le CSRN signifie que le programme AIDA aura 130 millions de dollars de moins à verser. On parle de 70 p. 100, mais ce jumelage à lui seul réduit le programme à 60 p. 100.
Il y a d'autres questions de moindre importance. La main-d'oeuvre familiale en fait partie. Mon fils habite à la ferme et retire un salaire de ses activités agricoles. Il reçoit un T4, mais sa main-d'oeuvre n'est pas prise en compte alors que les coûts de main-d'oeuvre de l'ouvrier agricole sont pris en compte dans les calculs. Autrement dit, on ne tient pas compte de la main-d'oeuvre familiale.
Le sénateur Spivak: Le programme AIDA est administré par le province, n'est-ce pas?
M. Dewar: Non, c'est l'administration fédérale qui a conçu ce programme. Nous avons l'impression que pour les fonctionnaires, il n'y a aucun problème.
Le 4 novembre 1998, le ministre de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire a assisté à Ottawa à une grosse réunion d'organismes agricoles et de responsables de l'agriculture des différents niveaux de gouvernement du pays. C'était juste avant que le ministre n'obtienne des fonds du Cabinet. Il a sans doute dû travailler très fort pour obtenir cet argent mais dans son exposé, il a dit que comme l'argent était versé au compte de stabilisation du revenu net, les agriculteurs n'avaient pas à se plaindre.
On n'a pas analysé l'effet du programme CSRN au fil des ans et on ne s'est pas demandé pourquoi le compte moyen n'était que de 6 000 $. On n'a pas cherché à savoir combien de gens y avaient eu recours, notamment pour des fins de stabilisation, depuis le début du programme, puisque c'était cela l'objectif visé. Le programme n'avait pas pour but de venir en aide à quelqu'un qui aurait été victime d'une perte monumentale une année seulement.
Le sénateur Spivak: Avez-vous des données sur le remembrement foncier? Vous avez dit que toute la question de la propriété était remise en cause. Avez-vous une idée de l'envergure du problème? Et où survient-il?
M. Dewar: Au Manitoba, 2 000 fermes ont disparu entre 1991 et 1996.
Le sénateur Spivak: Qu'en est-il advenu?
M. Dewar: Les terres agricoles auraient été absorbées par d'autres exploitants.
S'agissant de la propriété foncière, je pense que si nous regardons ce qui se passe chez nos voisins du sud, nous constatons que dans le secteur de l'élevage, il y a une intégration verticale. Par contre, des compagnies comme Cargill ont bien essayé d'acquérir plus de terres, mais cela n'a pas marché. Il est impossible d'acheter des terres et d'engager des gens pour les gérer et faire des bénéfices en obtenant vous-mêmes un bon rendement de votre investissement. Ces gens ont donc arrêté de le faire. Je ne pense pas que ces compagnies deviennent des propriétaires fonciers, mais elles vont néanmoins continuer à nous tenir en esclavage vu surtout que ce sont elles qui détiennent les semences et la technologie de production.
M. Ken Tjaden, directeur exécutif, Manitoba Pulse Growers Association: Honorables sénateurs, toujours en ce qui concerne la propriété foncière, il faut signaler que dans certaines régions du Manitoba, une grande quantité de terres ont été acquises par des Européens.
Le sénateur Spivak: Le prix des terres est-il à la hausse ou à la baisse?
M. Tjaden: Assez curieusement, il est à la hausse. En fait, cela est dû essentiellement au fait qu'en Europe, la terre coûte quatre fois plus cher qu'au Manitoba, de sorte que lorsqu'un Européen vient ici, il pense faire une bonne affaire. Même pour une superficie considérable, pour un Européen, le prix de vente semble un investissement extrêmement bon marché.
Dans l'ensemble, ces gens n'exploitent pas la terre. Certains d'entre eux oui, mais le plus souvent, ils la louent. Ainsi, cela réduit le nombre d'exploitants agricoles qui vivent dans les régions rurales. En effet, ils regardent le prix qu'on leur offre et ils ont du mal à le refuser, c'est beaucoup trop intéressant. Et toutes ces terres ne reviendront probablement plus jamais dans le giron canadien.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette: Ma première question est une question plutôt générale. Dans le cadre des négociations qui doivent s'amorcer à l'Organisation mondiale du commerce, il semblerait que les États-Unis sont également coupables d'intervention massive au niveau des subventions.
L'Europe non seulement intervient, mais en plus, va jusqu'à mettre des barrières tarifaires en interdisant les organismes modifiés génétiquement, et donc, en interdisant certains produits qui pourraient être concurrentiels, comme par exemple, le «canola». On a vu la cohésion de certains milieux. Ils ont des syndicats très puissants. Ils peuvent paralyser le pays. Ils ont une force politique immense auprès du gouvernement et de la population.
Or, si nos agriculteurs font face à une situation aussi tragique où ils perdent tous leurs avoirs, tous leurs actifs familiaux -- et même les actifs d'une génération -- comment peut-on expliquer qu'une situation aussi dramatique ne se fasse pas sentir à Ottawa? La perception que l'on a ici est que la population urbaine en général n'est pas consciente de la gravité de la situation. Comment expliquez-vous cela?
[Traduction]
M. Tjaden: Cette remarque est intéressante. Il y a cinq ou six ans, pendant la dernière ronde des entretiens commerciaux, alors que les choses commençaient à se gâter, nous avions l'impression que la situation ne tournerait pas à l'avantage de l'économie agricole canadienne. Nous avions réussi à rassembler 40 000 producteurs devant les édifices du Parlement alors que ces entretiens se déroulaient, en mars ou en avril. La manifestation avait nécessité beaucoup d'organisation mais, fort heureusement, il y avait de notre côté la Fédération canadienne de l'agriculture, les industries du secteur de l'offre réglementée, l'industrie céréalière et celle de l'élevage, toutes unies dans un but commun.
On sait d'expérience qu'il faut en général quelque chose de cette ampleur pour obtenir un résultat. Les gens qui habitent en milieu agricole ne représentent que 2 ou 3 p. 100 de la population, et sur ce nombre, il n'y a qu'une toute petite fraction d'entre eux qui sont suffisamment militants pour aller manifester. Il est donc difficile d'arriver à des chiffres impressionnants. Pendant cette période, en 1993 et en 1994, nous avons néanmoins réussi à remplir de très nombreux autocars pour organiser cette manifestation.
Nous avions également réussi relativement bien lors de ces négociations. Depuis lors, même si les producteurs et les organisations agricoles sont toujours bien présents, le nombre qu'ils représentent diminue, de sorte que ce genre de chose est de plus en plus difficile à organiser.
J'ignore si nous pourrions encore réussir à faire une manifestation de ce genre. Comme l'a dit M. Dewar, notre meilleur espoir est de parvenir à convaincre nos négociateurs du bien fondé de notre position. Pour nous négociateurs, ce n'est pas une ronde facile parce qu'ils vont affronter à la table de beaucoup plus gros qu'eux. C'est un peu comme les exploitants agricoles qui doivent traiter avec les grosses compagnies céréalières. Notre position n'est pas très solide.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette: Ma deuxième question concerne tous les Canadiens, tant ceux vivant en millieu urbain que les gens vivant en milieu rural. Je vous suggérerais d'organiser des manifestations en face des ambassades de France et des États-Unis. Il semblerait que l'on devrait montrer une solidarité de la population canadienne en soutien des agriculteurs. Nous ne sommes pas des ennemis. Je pense que sur la colline parlementaire, vous allez avoir des alliés. C'est important que vous réalisiez cela.
Ce dont les politiciens ont le plus besoin maintenant, c'est peut-être d'une manifestation pour marquer l'intensification des communications dans les médias et les reportages sur la situation des agriculteurs au Canada ainsi qu'une sensibilisation accrue au sort des agriculteurs canadiens et de la perte de leur patrimoine. Nous sommes tous conscients de cela. Je suis ici comme membre du comité du Québec, pour nous, c'est très important. Il est important aussi que vous ne soyez pas seuls, que vous ne soyez pas laissés à vous-mêmes, d'une part, et d'autre part, que vous deveniez des travailleurs de seconde zone. Tous les joueurs qui interviennent dans ce secteur font de l'argent, sauf ceux qui produisent la matière première. Je pense qu'une juste part doit revenir à ceux qui permettent aux autres, tout au long de la ligne, de produire ces produits finis. Il y a pas mal de travail à faire là-dessus.
Pour régler la question des négociations des subventions excessives accordées par l'Europe et les États-unis, est-ce que dans les items de 1 à 6 que vous avez notés dans ce document doivent se réaliser dans cet l'ordre? Suggérez-vous qu'il y ait une séquence pour la réduction? Ou suggérez-vous un programme étalé sur un certain nombre d'années qui permettrait d'arriver à un niveau comparable et à une vraie compétition dans ce domaine? Comment va-t-on faire cette réduction progressive?
[Traduction]
M. Dewar: Il faudrait un peu des deux. Il est impossible de traiter avec quelqu'un en particulier. Les Américains sont extrêmement catégoriques dans certains cas. Si nous leur disons: «Revenons à la table et parlons un peu de sucre et de cacahuètes» ils répondront: «Pas question.» Ils ont décidé d'être ultra protectionnistes. La question qui se pose donc est celle-ci: pourquoi parlerions-nous de produits laitiers et d'oeufs si nous ne parlons pas de sucre et de cacahuètes?
La Nouvelle-Zélande est le champion toutes catégories du libre-échange. Nous devrions peut-être songer à éliminer les quotas par pays. L'industrie laitière néo-zélandaise ne pourrait pas survivre. Nos négociateurs devraient avoir recours à des instruments de ce genre pour que nous obtenions gain de cause.
Dans le cadre de notre politique commerciale, nous avons parlé d'un accès sans entrave au marché représentant 5 p. 100, les tarifs douaniers étant ramenés à zéro pour tout ce qui correspond aux quotas. Le Canada est déjà rendu à ce point. Nous fournissons environ 90 p. 100 du quota admissible. Les Américains sont à 54 p. 100. Nous sommes bien en avant d'eux. Nous n'avons pas à parler de tarifs douaniers en cas de dépassement des quotas. Traitons une fois pour toutes de ce qui représente la production intra-quota.
Nos négociateurs ont un travail à faire, et j'ai le sentiment qu'ils doivent négocier en ayant à coeur de protéger les intérêts des producteurs. Il arrive que ceux-ci soient un peu obscurcis par l'intérêt supérieur du pays, peut-être. Ces 2 p. 100 valent-ils la peine d'être protégés? C'est une question que nous nous posons parfois.
Le vice-président: Juste une petite intervention pour vous dire que je suis heureux que le sénateur Hervieux-Payette soit allée en Europe. Je ne veux pas la qualifier de révolutionnaire, mais elle est certainement une inspiration pour moi.
J'ai demandé à mes collaborateurs de lui montrer une photo qui se trouve dans un livre que je possède et qui remonte à la manifestation des producteurs laitiers à Ottawa. À l'époque, le ministre de l'Agriculture m'avait dit que s'il avait été producteur laitier, lui-même serait venu manifester sur la colline parlementaire. À l'époque aussi, le gouvernement avait mal compris la situation, et cela soit dit en passant ce gouvernement était le nôtre. Puis un gouvernement séparatiste a été élu au Québec précisément à cause de ce que nous avions fait aux Québécois sur le plan fédéral.
L'Union européenne et les États-Unis ont mis toute leur production sur le marché et ont fait chuter nos prix. Les producteurs se sont alors tournés vers nous pour nous demander de l'argent afin de pouvoir survivre, mais cette année-là nous ne leur avons pas donné. Par contre l'année suivante, ils nous ont réclamé 44 millions de dollars de la Nouvelle-Écosse à la Colombie-Britannique. Après cela, nous avons injecté plus de 100 millions de dollars dans le programme. En d'autres termes, nous avons fermé la porte de l'écurie après que le cheval se fut enfuit.
M. Dewar: On a mentionné également l'appui qui avait été manifesté par la population et par la collectivité. Un de nos producteurs s'est rendu en France l'année passée parce qu'il y connaissait des gens. Les grossistes ont dit aux abattoirs qu'ils étaient prêts à acheter notre porc si nous donnions un bon prix aux producteurs.
Pensez-vous que Michael McCain fasse cela au Manitoba avec sa nouvelle usine?
Le vice-président: Avez-vous vu ses bénéfices pour le premier trimestre de cette année? Ce trimestre a été son meilleur depuis qu'il a racheté la Maple Leaf Packers.
M. Dewar: C'est précisément le genre de coopération qui est indispensable entre la collectivité et le monde de l'agriculture.
Le sénateur Hays: Vous nous avez parlé de la guerre commerciale et de son impact sur l'agriculture au Canada, et vous nous avez décrit les problèmes de façon frappante. Vous nous avez également dit qu'il fallait adopter une formule à long terme. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet?
Ce que je veux dire, c'est qu'il nous faut également une stratégie à court terme. À la fin de l'année, les ministres de l'Agriculture vont se rencontrer. Je suis tout à fait à l'écoute. Je comprends parfaitement ce que vous dites, j'en suis conscient, mais peut-être pourriez-vous nous donner quelques petits conseils à transmettre au gouvernement, voire qui sait à nous négociateurs.
M. Dewar: Cela, c'est une colle. Il est plus facile en effet de décrire le problème que de trouver des solutions.
Lorsque nous parlons de stratégie à long terme, c'est-à-dire durable, nous devons songer aux objectifs des négociations commerciales. Le Canada étant un petit protagoniste. Nous disions jadis que l'Ouest canadien était le grenier du monde, mais le Kansas produit davantage de blé que l'Ouest canadien tout entier. Nous devons savoir où nous en sommes et il nous faut des règles claires pour régir les échanges commerciaux. C'est précisément là que nous pouvons nous affirmer.
Nous n'avons pas d'influence. L'un des négociateurs américains avait fait un exposé à Winnipeg au mois de mars et il avait dit que les États-Unis se comportent parfois comme un éléphant finissant par obtenir ce qu'ils veulent. Il l'a reconnu. Il est extrêmement difficile de faire face à cela à moins qu'il existe des règles qui permettent une issue dans le cas par exemple de la plainte R-CALF qui a fini par coûter 3 millions de dollars aux producteurs.
Le sénateur Hays: En 1994, lorsque nous avons signé l'accord, je pense que nous étions optimistes en pensant que cela permettrait de créer un environnement commercial international favorable à notre industrie céréalière. Nous avons appris depuis lors que cela n'a pas été le cas. Nous avons vu les investissements affluer dans ce secteur -- et l'Europe en est le meilleur exemple -- des investissements qui ont essentiellement remplacé les programmes devenus interdits par des programmes admissibles. Comme nous l'a dit la Commission, cela a eu pour conséquence que la production céréalière totale a augmenté en Europe et a diminué chez nous. En fin de compte, tout revient à une question d'incitatifs à la production. Les Européens ont conservé des mesures incitatives très rigoureuses, de telle sorte qu'ils ont pu augmenter leur production alors même que la nôtre diminuait, suite aux effets confondus du programme et du prix. Dans une certaine mesure, le prix est un sous-produit des programmes, surtout des programmes destinés à améliorer ou à subventionner les exportations.
Nous allons donc maintenant commencer la prochaine ronde de négociations, cela dans une conjoncture assez amusante.
J'ai écouté les arguments du sénateur Hervieux-Payette qui sont fort bons. La plupart de ces 40 000 personnes font partie du secteur sous réglementation. Il y en avait quelques-unes qui venaient de l'Ouest, mais à l'heure actuelle, dans cette région, la représentation politique la plus forte est l'émanation d'un mouvement politique très prospère qui ne croit pas à ces programmes de soutien et qui, si j'ai bien compris, serait heureux de voir la Commission du blé restructurée selon les voeux des Américains et de voir disparaître le secteur sous réglementation. Voilà la dynamique politique d'une région qui, à votre avis comme au mien, souffre de bien des maux parce que nous n'avons pas adopté, face à la dure réalité, une attitude semblable à celle des Européens et des Américains.
Nous voyons donc le gouvernement du Canada répondre à cela, ce qu'il peut faire avec un programme qui est je crois conforme à l'accord de 1994, ce qui est parfaitement normal. Nous avons vu le gouvernement éliminer certains programmes qui n'étaient pas conviviaux par rapport aux critères de 1994 de sorte que, contrairement à l'Europe et aux États-Unis, nous n'avons plus aucune concession à faire. Nous n'avons pas fait la même chose que les Européens et les Américains. Nous n'avons pas remplacé nos interventions interdites par des interventions admissibles auxquelles on aurait pu retourner une nouvelle fois, en 1994, à la table de négociation; nous sommes arrivés à la table pratiquement les mains vides. Nous y apportons la gestion de l'offre. D'aucuns vous diraient que nous pourrions bien offrir cela en échange, mais je puis vous dire moi que ces 40 000 personnes pourraient fort bien se retrouver une fois encore sur la colline, et s'y retrouver sans doute deux fois plus nombreuses si nécessaire, parce que ce secteur est le seul qui soit véritablement prospère parmi les trois grands secteurs agricoles au Canada.
Ce petit tour d'horizon voulait simplement vous faire partager ma réflexion. Comment notre comité peut-il présenter au gouvernement un rapport dans lequel nous dirions qu'à notre avis, il faut procéder de cette façon? Je pense que manifestement, il faut aller à la table et dire que nous voulons ce que nous avions négocié en 1994. Je ne sais pas à quel point c'est là une position qui demeurera solide en fin de compte, étant donné que nous savons avec qui nous traitons à la table.
Tout cela étant, et peut-être n'ai-je pas exposé ces préoccupations aussi clairement que j'aurais pu le faire, que faisons-nous maintenant? Quelle est votre opinion franche? Cette séance est télévisée, mais les négociations vont commencer dans quelques mois. Que pensez-vous vraiment?
M. Dewar: Nous essayons d'inculquer à ces politiciens de l'ouest dont vous avez parlé les mérites de la gestion de l'offre et de la Commission du blé, et ces gens-là sont, depuis lors, un peu moins bruyants qu'ils ne l'étaient je pense.
Cela étant, notre gouvernement a, depuis 1995, sabré 2 milliards de dollars par an dans l'agriculture.
Le sénateur Spivak: Le gouvernement fédéral, voulez-vous dire?
Le sénateur Hays: Cela figure dans le rapport de recherche concernant la Loi sur le transport du grain de l'Ouest.
M. Dewar: Effectivement, toutes catégories d'aide confondues. Certains de ces éléments étaient disions-nous «verts». La recherche était verte. Le recouvrement des frais, qui a augmenté tous azimuts au fil des ans, serait vert également, tout comme le travail que faisait précédemment l'Agence d'inspection des aliments.
Les prestations aux termes de la Loi sur le transport de l'Ouest, manifestement une subvention à l'exportation, ont dû être réduites de 41 p. 100 en l'an 2001. Mais la réduction a été de 100 p. 100 la première année. Si notre gouvernement n'est pas prêt à réinvestir une partie de cet argent dans le secteur vert, si nous voulons vraiment être les libre-échangistes les plus purs au monde, il faut avoir des règles qui nous permettent de l'être.
M. Tjaden: Vous comprenez, j'en suis sûr, que le secteur de la production alimentaire est une entreprise à très haut risque: les producteurs prospères sont ceux qui gèrent le mieux ce risque. L'un de ces risques survient évidemment au niveau de la production, et nous avons pour cela un programme d'assurance-récoltes. Pour vous donner simplement une petite idée du risque, le fait de posséder une maison est un risque également et un particulier peut, dans l'ensemble, s'assurer contre l'incendie de sa maison ou tout autre dégât. Un producteur par contre ne peut se permettre de payer le coût total d'un programme d'assurance parce que le risque est tellement élevé et les primes seraient tellement lourdes qu'en les payant, il risquerait de faire faillite. Par conséquent, ce que nous voulons en fait d'appui, c'est un coup de main qui nous permette de nous protéger contre le risque au niveau de la production.
Par contre, le revers de la médaille est que la mise en marché représente également un risque, surtout lorsqu'il y a des contestations devant les tribunes internationales comme c'est le cas actuellement. Comme l'a signalé M. Dewar dans son exposé, il y a des fluctuations au niveau du revenu agricole qui ne sont pas prévisibles, et qui deviennent également un risque très difficile à gérer. La solution à cela serait manifestement un accord assorti de règles commerciales très claires qui nous permettrait de savoir comment vont évoluer les choses. Comme vous le savez, ce sont là des négociations. Les négociateurs réussissent s'ils parviennent à signer un accord. C'est comme cela dans le monde du travail. C'est comme cela partout ailleurs. Un bon négociateur arrive à signer un accord. Mais alors, il faut se demander ceci: cet accord est-il bon? Est-il mauvais? À qui profite-t-il? Et le débat se prolonge à l'infini. Nous le constatons tous les jours. Il faut bien comprendre que les négociateurs prennent leurs ordres du gouvernement mais que ce sont eux qui négocient. Mike Gifford est un négociateur professionnel -- et un négociateur excellent d'ailleurs.
Le vice-président: Certains d'entre nous ne sont peut-être pas tout à fait d'accord à ce sujet.
M. Tjaden: Je connais M. Gifford depuis pas mal de temps. La dernière fois, nous n'avons pas toujours jugé qu'il était sur la bonne voie. Il n'empêche que c'est un négociateur et que sa réussite provient du fait qu'il parvient à négocier un accord.
Mais il appartient au gouvernement d'avoir la volonté de pousser ce négociateur. La dernière fois, lorsque nous nous sommes trouvés dans cette situation, nous n'avions pas obtenu tout ce que nous voulions et à un moment donné, nous avons dû admettre que nous ne pouvions espérer obtenir mieux que ce qui était à ce moment-là sur la table. Il en va de même dans les négociations ouvrières. Nous disons d'accord et nous signons.
Notre gouvernement a-t-il la force ou la volonté de quitter la table en disant non, nous ne signerons pas? Et s'il le faisait, quelqu'un le remarquerait-il? Nous sommes un tout petit protagoniste. Pour les producteurs, des règles claires et prévisibles, tout ce qui permet de réduire le risque, seraient utiles.
Le sénateur Hays: J'aimerais tellement pouvoir concentrer ce problème dans une toute petite question qui pourrait recevoir une très courte réponse, mais cela semble impossible. Nous avons déjà consacré beaucoup de temps à ce dossier, mais je vais quand même essayer. À plus long terme, me semble-t-il, nous pouvons faire deux choses. Soit poursuivre sur la voie que nous avons tracée et nous adapter plus rapidement à la culture transnationale du monde de l'agriculture ainsi qu'à l'intégration verticale. Nous pouvons larguer la commission, laisser venir ces types et espérer que certains d'entre eux accepteront un pourcentage de contenu canadien et que nous pourrons ainsi la bailler belle au reste du monde en flanquant une raclée à tous les autres. Ou alors, nous pouvons revenir à la table en disant: «Nous avons vu la quantification des niveaux de soutien -- en Europe, 43 p. 100 du revenu agricole viennent des programmes, aux États-Unis, 33 p. 100 et au Canada 16 p. 100 -- et nous allons donc augmenter notre pourcentage et le faire sans doute de la façon la plus productive possible, vraisemblablement par des subventions à l'exportation. Cela, c'est notre atout. Nous voulons conserver notre culture, nous savons que cela nous coûtera un peu d'argent et nous savons que, étant donné la structuration actuelle du programme, nous pouvons faire cela dans un programme vert. Ce ne sera pas véritablement vert, mais nous avons bien vu comment il était possible d'y arriver et cela nous permettra d'atteindre notre objectif pour ce qui est du niveau de soutien.»
Essentiellement, c'est l'un ou l'autre. Qu'en pensez-vous?
M. Tjaden: Cela simplifie les choses. La question que le Canada doit se poser est celle-ci: quelle est la voie que nous voulons adopter, la voie européenne ou la voie américaine?
Le sénateur Hays: Oui, laquelle?
M. Tjaden: Je l'ignore. Je suis allé en Europe, du côté de la France. Lorsqu'on regarde le paysage du haut d'une colline, on peut voir que chaque petite ferme a quelques têtes de Charolais.
Les Européens font cela depuis beaucoup plus longtemps que nous et ils semblent avoir résolu de conserver vivace cette économie rurale. Chaque petite ville a son boulanger, son marchand de vin et toutes les commodités. Chez nous par contre, nous mettons la clé sous le paillasson un peu partout dans les régions rurales et je n'aime pas cela.
Le sénateur Fairbairn: Dans la même veine que le sénateur Hays, certains des témoins que nous avons déjà entendus nous ont dit qu'on s'efforçait, avec la participation de Keystone, de faire en sorte que les mouvements agricoles offrent au gouvernement un consensus sur les principaux vecteurs qui proposeront notre position de négociation. Jugez-vous que jusqu'à présent, ce processus a donné de bons résultats? En effet, il y a une telle diversité d'attitudes à l'échelle du pays ainsi qu'entre les régions. Réussissez-vous à vous approcher d'un consensus que vous pourriez faire valoir auprès du gouvernement afin d'essayer d'influencer la position des négociateurs lorsqu'ils viendront à la table?
M. Dewar: Comme nous sommes membres de la Fédération canadienne de l'agriculture, nous sommes fiers de l'énoncé concernant la politique commerciale que nous avons réussi à composer de concert avec les exportateurs et les représentants du secteur sous réglementation. Le document qui en a résulté est extrêmement complet.
Le Conseil canadien du porc a adhéré cette année à la Fédération canadienne de l'agriculture, pas seulement à cause de cet énoncé, mais en partie aussi à cause de la déclaration très complète sur la politique commerciale qui a été composée à l'intention du gouvernement.
Dans le cadre de cette initiative et tout comme Keystone, nous sommes fiers de la teneur de cet énoncé. Nous faisons partie du groupe qui s'est réuni il y a deux ans pour lancer le processus. Depuis lors et jusqu'à notre assemblée annuelle qui a eu lieu cette année à Regina, nous avons fait beaucoup de chemin. Chaque intervenant s'est penché non seulement sur son propre secteur, mais également sur celui des autres et tout le monde s'est entendu sur la teneur de l'énoncé. Allons-nous être entendus? Voilà une toute autre question.
Le sénateur Fairbairn: C'est précisément ce que j'allais vous demander. Nous avons constaté chez tous ceux que nous avons rencontrés ce sentiment de fierté qu'ils ont éprouvé après avoir réussi, à partir d'intérêts parfois contradictoires, à arriver à un consensus pour le bien commun, un consensus qui s'est concrétisé par cette position unifiée.
Que pensez-vous à l'heure actuelle de l'accueil que le gouvernement a fait de cette position et de la qualité des discussions que vous avez eues avec lui? Avez-vous pu influencer le point de vue qui sera amené à la table de négociation? Il s'agit en effet, de la part de l'ensemble du monde agricole canadien, d'un effort extraordinaire.
Dans quelle mesure notre comité pourrait-il avoir une influence sur le gouvernement? Pensez-vous pour votre part que le gouvernement est à l'écoute et que vous exercez une certaine influence? Quant à nous, nous voulons assurément faire tout ce que nous pourrons pour que ce soit le cas. Quelles sont vos inquiétudes?
M. Dewar: C'est un peu prématuré. Jusqu'à présent, nous avons pu avoir des contacts avec les fonctionnaires du ministère lorsque nous avions besoin de renseignements. Il y a d'autres négociations actuellement en cours sur, par exemple, la zone de libre-échange des Amériques et la zone européenne, la European Fair Trade Association. Nous espérons que l'OMC est différente et nous tirons la leçon. Le monde agricole est à des lieux de la position qui était la sienne lors des négociations précédentes.
Le cabinet KPMG va composer un sommaire du consensus dont il a pris connaissance lors de la conférence qui s'est terminée il y a trois semaines. Les consultants ont projeté sur un grand écran l'essentiel de ce qui avait été composé depuis deux ans par la Fédération canadienne de l'agriculture. Ce qu'ils ont entendu de la part des 600 personnes qui étaient présentes dans la salle était parfaitement cohérent.
Quelle influence vont-ils avoir? À l'heure actuelle, cela nous va. Nous espérons avoir le même genre de rapports que nous avions à la fin des pourparlers la dernière fois, sauf que cette fois-ci nous espérons avoir ces rapports dès le début.
Le sénateur Fairbairn: Y a-t-il des communications entre les ministres? Êtes-vous satisfaits des échanges?
M. Dewar: Je ne suis pas certain. Je pense que la Fédération canadienne de l'agriculture a rencontré le ministre du Commerce et lui a présenté la déclaration, mais ce n'est qu'une hypothèse de ma part parce que la déclaration n'a été terminée qu'au début de 1999. Nous avons un accès raisonnable au ministre de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire. Nous avons toujours eu de bons rapports avec lui.
Le sénateur Fairbairn: Vous avez soulevé la question de la position du Canada à ces pourparlers ce qui, à bien des égards, même au tout début, est très frustrant. On se sent frustré après avoir lu votre mémoire et votre bilan de la situation dans les autres pays. Il est certain que c'est très frustrant pour le Canada.
Ma question n'est pas vraiment juste, mais comme vous l'avez soulevée je vais la poser. Pensez-vous que lors de ces négociations nous serons en mesure d'aider notre pays? Serait-il mieux pour nous de boycotter les négociations?
M. Tjaden: Non, je ne pense pas que ce soit une option. Ce serait le chaos. Si nous ne faisions pas partie du groupe commercial, nous serions vulnérables au dumping de marchandise ici et au blocage de nos exportations. Nous serions essentiellement hors règles.
Quand vous dites une chose comme celle-là, vous nous enlevez un de nos outils de marchandage. Je reviens constamment à l'exemple des négociations de travail. Il faut toujours avoir quelque chose dans la manche. Il faut toujours avoir une autre option. Dans les négociations collectives, il se peut que vous puissiez déclencher la grève. Ici, ce n'est pas possible, pas plus que de boycotter les négociations.
Il ne reste pas beaucoup d'autres options. On espère que nos négociateurs feront du bon travail. Ils doivent présenter une position canadienne solide et unie. Le comité doit être convaincu que la position est bonne si bien qu'il essaiera de convaincre le gouvernement pour que celui-ci donne l'ordre aux négociateurs de s'y tenir. Ça ne se passe pas toujours ainsi, mais c'est la façon de procéder.
Le sénateur Fairbairn: Je vous remercie de votre réponse parce que, comme vous le savez, dans les dernières phases des dernières négociations, il y a eu un regain d'activité à la fin. Certains milieux réclamaient que l'on quitte les négociations. Au lieu de cela, d'autres compromis ont été faits. Je vous remercie de votre réponse.
M. Dewar: Il faut vous souvenir que c'est le Canada qui a inscrit l'agriculture à l'ordre du jour de l'Uruguay Round. C'est la raison pour laquelle cela a pris tant de temps.
Le sénateur Stratton: J'aimerais dire deux choses. Lorsque je suis allé en Europe, j'ai eu la chance de me rendre dans la campagne italienne. Cela a été vraiment quelque chose pour moi de voir des fermes d'une quarantaine d'hectares. J'ai déjeuné avec un groupe d'agriculteurs à un centre de recherche et de conservation. Ils ne m'ont pas caché qu'ils tiennent à protéger leur mode de vie. C'est un choix de société. C'est ce que veut leur pays. La France est du même avis. Ils se demandent ce que les agriculteurs feraient si on les arrachait à la terre pour les installer à la ville.
Ils sont déterminés à protéger leur mode de vie, ce que moi, qui ne suis pas agriculteur et qui ne travaille pas dans ce secteur, m'a beaucoup surpris, mais je comprends. Les États-Unis en feront autant, puisqu'ils ont le droit souverain de protéger leurs agriculteurs. C'est ce qui se passe ailleurs alors qu'au Canada on assiste à une intégration verticale et les exploitations ne cessent de grossir.
J'ai une autre histoire à vous conter. Ce n'est qu'une anecdote mais cela confirme ce que le sénateur Hervieux-Payette disait. Je joue au poker une fois par mois avec un groupe de gars de la ville. Ils n'ont pas la moindre de ce qui se passe dans le Manitoba rural. De fait, ils sont convaincus que le gouvernement du Manitoba en fait trop pour les agriculteurs, ce que j'ai trouvé renversant. Je n'arrivais pas à croire que c'est ce qu'ils pensaient, mais c'est le cas.
Les agriculteurs et leurs associations ont un problème de relations publiques; il faut qu'ils expliquent aux gens de la ville ce qui se passe à la campagne, parce qu'ils n'en ont pas la moindre idée. Ce n'est pas par manque de compassion, c'est qu'ils n'ont aucune idée de l'état critique de la situation.
Nous savons que les Européens vont tenter de protéger leur mode de vie pour des raisons sociales et culturelles. Nous savons que les États-Unis feront ce qu'ils doivent faire pour veiller à ce que leurs agriculteurs ne soient pas pénalisés. Aucun pays ne renoncera à ce droit souverain. D'après ce que j'ai vu là-bas, il se peut que l'Europe modère ses espérances, mais pas plus.
À la veille de la prochaine série de négociations, nous savons que des intérêts puissants cherchent à protéger cette façon de faire. Lorsque nous irons aux négociations, nous allons vouloir qu'ils réduisent cette protection avec le temps. Pourtant vous allez faire du découplage et subventionner directement les agriculteurs sans passer par l'établissement du prix des céréales ou des exportations.
À quoi devrons-nous renoncer? Ils vont s'attendre à ce que l'on cède quelque chose. C'est une négociation, comme vous l'avez dit. Ce n'est pas différent d'une négociation collective. À quoi sommes-nous prêts à renoncer? C'est pourquoi le sénateur Hays me dépeint comme un ultra de la droite. Je veux dire qu'on ne peut pas s'attendre à aller négocier sans s'attendre à ce que les États-Unis et l'Europe demandent quelque chose en retour. Les deux choses qui sont sur la table sont la Commission canadienne du blé et la gestion de l'offre. Qu'en pensez-vous? Comment pouvons-nous aller négocier et protéger ces prétendus joyaux?
M. Tjaden: Je vais faire quelques observations. Comme vous, je pense que les Européens voudront protéger leurs producteurs. Ils veulent que les paysans continuent de cultiver. Vous avez dit que les Américains vont faire la même chose. Je ne suis pas tout à fait d'accord. Les Américains vont protéger leur industrie mais pas forcément leurs producteurs.
À quoi le Canada renoncera-t-il? Regardons ce à quoi nous avons renoncé par le passé pour soutenir l'agriculture, par rapport à d'autres pays. Avons-nous quelque chose à céder? Je ne sais pas. Cela dépend si nos négociateurs arrivent à expliquer ce sur quoi on a cédé par le passé et peuvent faire des comparaisons.
Si nous devions renoncer à une organisation de commercialisation du blé que soutiennent les agriculteurs, la Commission canadienne du blé, ainsi que la gestion de l'offre, alors appelons les choses par leur nom. Nous allons protéger l'industrie, pas les producteurs.
Il n'y aura plus de feu dans les chaumières si nous faisons cela. Nous allons transférer l'élevage de la volaille et le secteur laitier à une ou deux sociétés, comme les Américains l'ont fait. Si c'est ce que l'on va faire, soyons honnêtes et disons-le d'entrée de jeu. Les producteurs prendront leurs décisions en conséquence.
Le sénateur Stratton: Je pense comme vous qu'il faut tout faire pour protéger ce qui est possible de protéger. Je dis que si vous protégez ces deux grands éléments du mieux possible, peut-on céder ailleurs? Comme vous l'avez-dit, on a déjà renoncé à tout le reste. Ça joue dur.
Si on leur disait: «Pourquoi ne pas découpler? Pourquoi ne pas supprimer toutes les subventions accordées aux produits? Pourquoi ne pas supprimer toutes les subventions à l'exportation? Si vous voulez protéger votre mode de vie d'Européens, pourquoi ne rémunérez-vous pas directement les agriculteurs?»
Quand nous sommes allés en Europe, j'ai rencontré un agriculteur de la Nouvelle-Zélande qui était propriétaire d'une grande exploitation laitière. Il avait rencontré un producteur laitier de Suède dont l'exploitation était située à 3 500 mètres d'altitude, quoique cela ne soit pas un facteur important. Son élevage comptait entre 13 et 18 têtes de bétail. Le village lui versait 20 000 $ par an pour rester dans la région et produire. Autrement dit, il touchait une subvention directe. Cela ne change en rien le prix du lait mais il reste dans la région. À partir d'un certain niveau, ils vont cultiver les céréales de toutes façons parce que vous leur avez donné trop en subventions découplées. Pourrions-nous nous engager dans cette voie, selon vous?
M. Dewar: C'est un élément de la question. Ce qu'un pays fait à l'intérieur de ses frontières ne regarde que lui, pourvu que cela ne touche pas le prix des excédents. Ce n'est pas à nous de leur dire de faire les choses autrement. Si la production excédentaire est déversée dans l'océan pour nourrir les poissons, est-ce qu'on aurait de quoi se plaindre? Mais ils déversent la production sur le marché et font chuter les cours. Ils exercent un effet de distorsion sur la production puis vendent la production à rabais sur le marché d'exportation, ce qui vient fausser les cours mondiaux. Tant que cela ne touche pas le commerce extérieur, nous n'avons rien à redire sur ce qu'ils font à l'intérieur de leurs frontières. Le problème toutefois c'est que cela finit par toucher le commerce extérieur si la production sort de ses frontières.
Le sénateur Stratton: Je comprends ce que vous dites, mais pour pouvoir participer à la négociation, il faut avoir quelque chose à mettre sur la table. Pourrait-on soutenir que s'ils veulent découpler et subventionner, ils devront rémunérer directement les agriculteurs? Est-ce que cela vaut la peine d'explorer cette idée?
M. Tjaden: Oui, mais il faudra ensuite convaincre ces pays d'instaurer un système de gestion de l'offre. Si vous les rémunérez pour produire, ils vont produire, et où ira cette production? C'est peut-être une solution, mais je ne suis pas convaincu qu'elle soit réalisable.
Le président adjoint: Dans toute cette discussion sur les négociations, vous admettez que nous cédons sur tous les points. Pour moi, ce ne sont pas de bonnes négociations ou de bons négociateurs.
Le sénateur Spivak: Certains groupes sont venus nous dire ici qu'il faudrait supprimer la gestion de l'offre et la Commission canadienne du blé. Pensez-vous que les négociateurs se laisseront fléchir par ces arguments? Cela me semblerait tout à fait illogique.
Y a-t-il eu quoi que ce soit dans la récapitulation faite à la fin de la conférence dont vous avez parlé qui vous amènerait à croire qu'ils voudraient peut-être des changements, mais sous la table?
La conciliation n'a rien donné par le passé, surtout pas avec les Américains, qu'il s'agisse du libre-échange, du bois d'oeuvre ou des magazines. Si l'on adopte cette attitude, ils vont renchérir ailleurs. La fermeté est au moins aussi valable que la conciliation, qui n'a rien donné.
M. Dewar: Vous avez parlé de la conférence et de ses résultats. Ils ne nous ont donné qu'une brève récapitulation de ce qui avait été dit. Il y a eu des séances en petits groupes et j'ai trouvé que ça avait très bien marché. Nous n'avons pas vu le rapport final préparé par KPMG. À la blague, nous avions demandé à le voir avant le début de la conférence.
Le sénateur Spivak: Pourquoi n'avez-vous pas pu voir le rapport?
M. Dewar: Il n'était pas terminé. Par contre, si le résumé analytique que l'on a vu à l'écran correspond bien au rapport, la gestion de l'offre ne fera pas partie de la négociation.
Le sénateur Spivak: Aurez-vous des représentants aux négociations à l'OMC? Participerez-vous aux discussions?
M. Dewar: Nous aurons des gens à l'extérieur de la salle qui parleront aux négociateurs. Les négociations se font uniquement entre pays.
M. Tjaden: Toutes les options pour des négociations réussies sont dans votre manche. Je serais surpris si nos négociateurs n'avaient pas cette possibilité dans leurs manches, pour parvenir à une entente.
Le vice-président: Il n'y a plus grand-chose à mettre dans la manche. J'ai beaucoup de soupçons à propos de ce qu'ils ont dans la manche; ils ne vous le diront pas.
Je me souviens être allé à une réunion de l'OCDE où, le premier jour, j'ai trouvé un communiqué qui parlait de la quatrième journée de la conférence. Nous ne nous sommes pas retrouvés comme celle-là récemment, mais dans nos rapports avec l'Union européenne et les États-Unis, il sera peut-être préférable d'être indépendant à cause de l'énorme taille de ces marchés.
Le sénateur Fairbairn: On nous a dit que les agriculteurs canadiens devraient imiter leurs homologues européens, descendre dans la rue et monter sur la colline du Parlement. M. Dewar a dit ce que je voulais dire. Il faut se souvenir que le Canada est un grand pays. Il y a beaucoup d'agriculteurs. Pour qu'ils soient efficaces... nous demandons peut-être trop. Ils auraient besoin de quantité d'alliés dans d'autres secteurs.
La seule situation semblable à laquelle j'ai participé concernait la betterave sucrière il y a quelques années. Lorsque le secteur était sur le point de disparaître, les producteurs se sont unis et sont venus à Ottawa. Ils ont vraiment protesté. Pour d'autres raisons, le secteur a échoué au Manitoba. Le regroupement des producteurs de betterave a fini par gagner. Ils ont réussi parce qu'ils jouissaient de l'appui de leurs collectivités, des médias, des municipalités et de quantité d'autres. Ils n'étaient pas les seuls à mener le combat. N'empêche, un grand nombre des dirigeants ont presque dû abandonner leur exploitation pour s'y consacrer.
C'est une suggestion frappante, mais c'est énormément demander aux agriculteurs de leur dire de venir à Ottawa et de rassembler les troupes, les autocars, avec tout ce que cela coûte. Quant à savoir si ce genre de protestation est efficace, c'est une autre question. Mais si c'est ce que l'on veut au Canada, il faudra que les agriculteurs bénéficient de quantité d'appui d'autres secteurs. Il n'est pas juste de leur demander de tout faire.
M. Dewar: En 1991, environ 10 000 agriculteurs se sont présentés au Parlement à Winnipeg. Ce sont les villes et les villages qui ont accompli cela, pas seulement les représentants d'associations agricoles.
Pour faire suite à ce qu'a dit le sénateur Stratton à propos des citadins qui sont dans l'ignorance et du fait qu'il faut les informer, peu importe ce que je fais ou dit au Manitoba, ni le Ottawa Citizen, ni le Globe and Mail, ni le National Post ne vont en parler.
Le sénateur Stratton: Vous pourriez au moins informer les citoyens de Winnipeg. C'est ce que je veux dire. Si vous ne pouvez pas informer les gens ici, au moins faites-le là-bas.
Le vice-président: Pour emprunter une expression chère à M. Diefenbaker, «avec toute l'humilité possible», je vous dirai que j'ai un jour demandé au premier ministre Trudeau pourquoi il m'a conservé si longtemps dans le portefeuille de l'Agriculture. Il m'a dit: «Nous faisons constamment des sondages sur les ministres et vous n'avez jamais occupé d'autre place que la première ou la deuxième.» Pourquoi? Parce qu'à chaque occasion, je prenais la défense de l'agriculture à la Chambre ou ailleurs. Les gens étaient en faveur de l'agriculture. Ils n'étaient pas tant en faveur de moi qu'en faveur de bons aliments nourrissants et d'un traitement équitable pour les agriculteurs. Je remercie les témoins d'être venus comparaître.
Nous entendrons maintenant les prochains témoins.
Je vous cède la parole.
M. William Miner, associé, Centre de droit et politique commerciale, Université Queen's: Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, bonjour. C'est un honneur pour moi d'être invité à aider le comité à examiner ce qui est à l'évidence un secteur complexe et difficile, à savoir les accords du commerce agricole, et, en particulier leur avenir.
L'examen des marchés agricoles montre que le changement est de mise dans le monde du commerce, apparemment à un rythme accéléré. Comme nous le savons tous, la tendance actuelle favorise l'intégration régionale et mondiale. Cela se voit à la restructuration interne des économies et des industries, y compris, évidemment, le secteur de l'agriculture et de l'alimentation. Ces tendances existent depuis quelque temps déjà. Elles étaient apparentes avant la négociation de l'ALENA. Elles l'étaient aussi lorsque les négociations de l'OMC se déroulaient. Je pense que l'on peut s'attendre à ce qu'elles se poursuivent, au fur et à mesure que progresseront les négociations à l'OMC et en vue d'une forme de libre-échange dans l'hémisphère. Ce phénomène ouvre des possibilités et crée des complications. Ce matin, vous vous êtes surtout penchés sur les complications.
En ce qui concerne le commerce extérieur, les possibilités s'offrent surtout dans les cultures spécialisées, de plus en plus nombreuses au pays, ainsi que dans les aliments transformés et les constituants alimentaires, qui apparaissent en plus grand nombre et qui commencent à être commercialisés. L'important ici est d'ajouter une plus grande valeur aux produits de la ferme, accroissant espère-t-on, les profits de l'exploitation.
Les complications, quant à elles, concernent surtout ceux qui se livrent au commerce des marchandises, lequel a de tout temps connu des fluctuations. C'est un secteur où la marge bénéficiaire ne cesse de s'amincir.
Il s'agit également surtout de soutenir la concurrence, non seulement à l'étranger, si l'on exporte, ou dans l'hémisphère, si l'on se limite au continent, mais aussi dans son propre marché. Vous savez que cette concurrence existe.
La structure de la politique et de la réglementation de la plupart des pays n'a pas évolué aussi rapidement que les marchés. En réaction aux changements des goûts des consommateurs, en particulier, ainsi qu'aux effets de la technologie sur la production, la distribution et le commerce, de plus en plus d'aliments transformés et de constituants alimentaires pénètrent sur le marché.
En général, pour ce qui est des marchandises, la tendance est à la baisse. Ces mouvements mondiaux forcent l'agriculture dans la quasi-totalité des pays à être plus insulaire et plus industrielle et, évidemment, à soutenir la concurrence.
Cela signifie que le défi pour le petit exploitant agricole est d'arriver à vivre de la seule agriculture. Les pressions qui s'exercent sur lui dans un marché plus ouvert sont évidemment plus grandes. Ce n'est peut-être pas forcément le cas pour l'exploitant industriel et, dans son cas, les règles du commerce peuvent lui être d'un certain secours sans être toutefois la solution à mon avis.
La réforme fondamentale mesures de soutien agricole et de la réglementation connexe est en cours dans presque toutes les régions et s'effectue dans le même sens. Chaque cas varie toutefois par son rythme et son intensité. Le Canada, les États-Unis et même l'Union européenne délaissent les programmes par produits -- ce que l'on appelle le découplage -- mais ils ne le font pas de façon généralisée dans tous les pays pour tous les produits. On constate d'importantes différences dans le niveau d'aide toujours accordée et une partie de cette aide passe toujours par des programmes de soutien du marché. Cela s'effectue toutefois principalement au moyen de versements directs.
Une des grandes réalisations de l'Uruguay Round a été que les gouvernements ont reconnu que les programmes de soutien nationaux sont largement responsables des problèmes commerciaux. Autrement dit, les accords commerciaux tendent à s'aligner sur les politiques nationales et, dans certains cas seulement, entraînent des changements à l'intérieur des pays. La nature de la négociation est généralement dictée par la politique intérieur que les États souhaitent suivre.
En ce qui concerne l'aide intérieure, l'accord a fondé les engagements de réduction de l'aide intérieure sur la somme de toutes les formes d'aide, en fonction d'une période de référence. La plupart des États étaient déjà en train de réduire leurs dépenses, même pendant les négociations. De fait, ils le faisaient à la fois pour des raisons structurelles internes -- à cause des effets de l'évolution des marchés et des méthodes de production -- et pour des raisons budgétaires.
La conséquence de tout cela, c'est que les promesses de réduction de l'aide intérieure ont eu peu d'effets, ce qui apparaît maintenant comme un problème auquel le Canada doit faire face.
Même si les dispositions de l'accord devraient empêcher les États de revenir sur les changements qu'ils ont opérés, elles autorisent néanmoins une augmentation des dépenses jusqu'à concurrence des niveaux autorisés dans les engagements et les accords. L'engagement de réduction, évidemment, exclut les programmes que l'on considère avoir peu ou pas d'effet sur la production et le commerce, «les politiques vertes», et ce type de programmes peut en fait se multiplier.
Un autre thème de discussion jusqu'à présent, d'après mes lectures, est la question de savoir s'il faut chercher à obtenir des règles applicables aux montants disponibles dans les programmes de type vert, ce que l'accord actuel ne prévoit pas; ou s'il y a lieu de clarifier davantage le type de programmes jugés acceptables et lesquels créent des difficultés.
Outre ce que je viens de dire, les programmes de limitation de la production -- les régimes de mise hors culture en est un exemple -- qui répondent à des critères précis et qui entrent dans la catégorie dite la «boîte bleue», ne sont pas passibles de réduction. Il ne fait donc guère de doute, comme on le voit aujourd'hui, que les programmes nationaux de soutien de l'Union européenne et, dans une moindre mesure, les États-Unis, contribuent aux problèmes du revenu agricole du Canada. Toutefois, à ma connaissance, les pays respectent leurs engagements envers l'OMC.
Quelqu'un a dit que l'Uruguay Round n'avaient pas permis au Canada d'obtenir ce qu'il souhaitait. Il faut évidemment admettre que les objectifs variaient selon les secteurs. En ce qui concerne les exportations, des progrès ont été réalisés. Toutefois, il faut reconnaître qu'en ce qui concerne les secteurs que nous cherchons à protéger au moyen de notre régime de gestion de l'offre ainsi que certains autres types de programmes, l'adoption de droits de douane compromettra ces programmes.
Si je dis cela, c'est parce que les droits de douane existent pour que l'on voit bien le degré de protection, même s'ils sont à un niveau relativement élevé pour un bon nombre de produits, de plus, si vous parvenez à obtenir un meilleur accès, on cherchera à abaisser les droits ou à autoriser l'entrée d'un volume plus grand à des niveaux de droits inférieurs en vertu des contingents tarifaires.
Une des grandes questions que vous soulevez est celle de savoir, lorsqu'on se tourne vers l'avenir, si les négociations de l'OMC peuvent servir à limiter davantage les politiques nationales de soutien. Je parle de celles qui nuisent au commerce extérieur et qui, par voie de conséquence, font baisser le revenu dans d'autres pays et dans le nôtre.
On a des preuves abondantes comme quoi les dispositions sous leur forme actuelle poussent les décideurs à recommander des programmes dits verts. Comme cette catégorie est à l'abri des recours commerciaux -- et j'entends par là les mesures compensatoires et les contestations en vertu du GATT, au moins jusqu'à l'an 2003 -- cela encourage également les États à concevoir leurs programmes pour qu'ils correspondent à la catégorie verte.
Les négociations sur ce sujet, lorsque vous êtes à la recherche d'un meilleur accès ou de l'élimination et de subventions aux exportations, feront s'alourdir les pressions sur les programmes internes ou les politiques intérieures. Il faut reconnaître, toutefois, que le facteur déterminant sera ce que les États accepteront de faire au sujet de leurs politiques intérieures. Ce sera l'occasion d'adopter des règles plus sévères.
Les changements qui surviennent dans le monde du commerce, et dans la nature même du commerce extérieur, nous poussent également dans cette direction, mais je ne pense pas que les adaptations puissent s'opérer rapidement. Il n'y a donc pas de solution aux problèmes de revenu à court terme qu'émane du marché, même si des limites aux subventions aux exportations peuvent certainement être utiles dans la situation actuelle.
Comme cela a été le cas de l'Uruguay Round, la position de l'UE déterminera pour beaucoup l'issue des négociations. L'Agenda 2000, que l'UE s'était donnée et que vous connaissez, prévoit de nombreux changements. Vous constaterez qu'il s'orientait vers le découplage et vers l'alignement de ses prix sur les cours mondiaux, pour les céréales et le bétail en tout cas. Toutefois, les décisions des ministres ne sont pas allées jusque là. Même les propositions d'Agenda 2000 n'auraient pas amené les Européens à pratiquer les cours mondiaux, sûrement pas ceux d'aujourd'hui.
Les États-Unis ont commencé à réduire leur soutien des prix et à accorder des transferts de revenu directs en vue d'accroître la souplesse de leur système en ce qui a trait à la production. Ce changement s'est amorcé au milieu des années 80. La Federal Agricultural Improvement & Reform Act de 1996 s'inscrivait dans cette approche. Les Américains ont fait des ajouts à ces programmes récemment -- ces ajouts créent des problèmes, comme des témoins précédents vous l'ont dit -- mais je ne crois pas que la politique américaine ait beaucoup changé à cet égard par rapport à l'orientation prévue dans la loi de 1996.
Les États-Unis ont toujours un programme de subvention aux exportations, mais ils y ont très peu recours. Cela traduit, en partie, leur volonté d'abandonner ce genre de pratique, selon la réaction de l'Union européenne.
Je crois donc que les États-Unis auront des objectifs de négociation semblables à ceux du Canada en ce qui concerne les subventions, et, surtout, les subventions aux exportations.
Étant donné qu'on travaille à créer une zone de libre-échange dans l'hémisphère occidental -- avec l'an 2005 comme date cible -- on a ici l'occasion de coordonner les positions dans l'hémisphère occidental dans certains des domaines tels que ceux dont nous discutons maintenant.
Je crois que les négociations auront lieu et qu'on exercera une pression considérable sur les tarifs de pointe. Je crois aussi qu'il y aura une réduction générale des tarifs, qui pourrait être adaptée selon le niveau du tarif.
Je crois qu'on imposera de nouvelles restrictions au système de contingent tarifaire et qu'on exigera un accès accru. Les Canadiens sont d'avis que les autres parties n'en ont pas fait autant que nous, et que c'est un bon point à faire valoir pendant les négociations; manifestement, les négociations demanderont de plus grands compromis de la part des autres avant d'envisager de nouvelles modifications.
J'estime aussi qu'il est probable que les mécanismes de subvention aux exportations et connexes fassent l'objet d'une sanction accrue et soient même abolis dans certains secteurs, selon un calendrier précis. Je suis certain qu'on s'efforcera de renforcer et de préciser les règles touchant les normes techniques.
D'après la situation actuelle, il est évident qu'il faudra limiter davantage les subventions nationales, et le Canada et bien d'autres pays exerceront des pressions en ce sens.
La boîte bleue pourrait être éliminée, mais, à cet égard, l'Union européenne pourrait poser des difficultés. Il est fort probable que les Européens adapteront leur aide non seulement aux régions qui accusent du retard en matière d'adaptation -- l'agriculture de type méditerranéen -- mais aussi à ce qu'on appelle les politiques «vertes» qui assurent la survie des régions rurales; parallèlement, ils souhaiteront que leurs marchés fonctionnent en parallèle ou de concert avec les marchés mondiaux.
Nous reconnaissons aussi que, eu égard aux zones de libre-échange, nous devons aller plus loin à certains chapitres. Je n'entrerai pas dans les détails, mais je ferai simplement remarquer que les pays latino-américains accordent peu de subventions. Le Mexique compte quelques programmes de ce genre, et dans d'autres pays on accorde de l'aide à certains secteurs producteurs de biens. Je crois qu'ils adopteront la même orientation que les Canadiens et, je l'espère, les Américains.
Dans le cadre de nos efforts collectifs devant mener à la création d'une zone de libre-échange dans l'hémisphère, il devient possible de coordonner nos positions au sujet des subventions, des subventions aux exportations et probablement des tarifs, à quelques exceptions près.
Comme cela a déjà été mentionné, la question sera de savoir si l'OMC optera pour le modèle de la Nouvelle-Zélande, comme l'appellent certains, et abandonnera le modèle de l'Union européenne, comme d'autres le caractérisent. Si tel est le cas, l'Europe apportera de nouvelles modifications à ses programmes internes, des modifications qui s'ajouteront à celles qu'elle s'est dit disposée à apporter. En outre, j'ai l'impression que les États-Unis, quoique disposés à avancer aussi dans cette voix, voudront conserver l'usage des leviers que représentent les subventions jusqu'à ce qu'ils estiment que leurs chances sont égales à celles de l'Union européenne.
M. Robert Wolfe, professeur adjoint, études de politique publique, Université Queen's: Honorables sénateurs, je crois savoir que la question qui vous intéresse le plus est la prochaine série de négociations de l'OMC et les objectifs agricoles du Canada dans ces négociations.
Dans mes remarques liminaires, j'aborderai trois questions, puis je terminerai sur quelques suggestions concernant les priorités agricoles du Canada. Premièrement, l'OMC est-elle l'organe indiqué pour apaiser les craintes dont nous entendons tous parler sur la mondialisation? Deuxièmement, une nouvelle série de négociations est-elle vraiment nécessaire? Troisièmement, étant que ma réponse aux deux premières questions est oui, que devrions-nous tenter d'obtenir de ces négociations?
Je m'intéresse particulièrement à la place de l'agriculture dans le système commercial dans son ensemble. Certains estiment que nous pouvons nous retirer de l'OMC ou n'adhérer qu'à ce qui nous plaît.
La réponse à ma première question est d'abord une évidence. L'exercice de l'autorité mondiale est une responsabilité à laquelle nous ne pouvons nous dérober. Le secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan l'a récemment fait remarquer lorsqu'il a dit:
La mondialisation est une réalité. Toutefois, je crois que nous avons sous-estimé sa fragilité. Le problème est le suivant: la croissance des marchés est si rapide que les sociétés et les régimes politiques n'ont pas le temps de s'y adapter, encore moins de se fixer un cap [...] les pays industrialisés ont tiré cette leçon de la grande crise [...] et ils ont adopté des mesures sociales et autres conçues pour limiter la volatilité économique et indemniser les victimes des échecs du marché. Ce consensus a rendu possible le progrès vers la libéralisation qui a donné lieu à la longue période de croissance d'après guerre. Aujourd'hui, notre défi est de concevoir un contrat semblable à l'échelle mondiale.
Je crois qu'il a raison. Cela traduit bien le défi que représente pour nous la prochaine série de négociations.
Pendant les 50 premières années de son existence, le GATT a contribué à créer les conditions propices au mouvement global des biens, des services et des idées en rassemblant les gens et ce faisant, a certainement contribué à la paix et à la prospérité. Il a su trouver le juste milieu entre le commerce et l'État-providence. Nous devons maintenant accroître le cercle de la prospérité tout en maintenant la cohésion sociale chez nous.
Les défenseurs et les critiques de la mondialisation s'entendent pour dire que l'OMC limite les choix de chaque pays en matière de politique intérieure. Les défenseurs estiment qu'il est bon de façonner ainsi l'évolution du consensus sur les politiques; les critiques sont d'avis que l'OMC favorise l'opinion des multinationales au détriment des simples citoyens et agriculteurs. C'est le paradoxe démocratique de l'exercice de l'autorité mondiale. La participation à l'autorité du régime de commerce exige que l'on s'entende avec d'autres pays, ce qui, inévitablement, limite nos options politiques. Cela ne signifie pas pour autant qu'il faut abandonner nos choix de politique nationale, et cela ne devrait pas se faire en secret. L'OMC est une institution toute indiquée pour ce faire, mais elle ne suffit plus dans sa forme actuelle.
Il peut sembler étrange qu'on amorce une nouvelle série de négociations au moment même où la méfiance à l'endroit de la mondialisation atteint un sommet et avant que les résultats de la dernière série de négociations ne soient entièrement mis en oeuvre.
C'est la réponse à ma deuxième question: quel genre de négociations nous faut-il? La prochaine série de négociations se définira, comme la dernière, en fonction des tensions triangulaires qui existent entre les vieux enjeux agricoles, les nouveaux enjeux de ce qu'on appelle le commerce des services et l'intégration croissante dans l'économie mondiale des pays en développement.
Revenons au premier point: pourquoi l'agriculture est-elle l'un des éléments du triangle? Le commerce agricole est tout simplement la forme la plus ancienne de commerce de biens et la dernière à être libéralisée à l'époque du GATT. Les membres de l'OMC, aux termes de l'article 20 de l'accord sur l'agriculture, sont tenus d'entreprendre de nouvelles négociations cette année. Quiconque voudrait reporter cette échéance à plus tard peut le faire en invoquant l'article 13, la clause de paix. Cet article limite le recours aux mesures tels que les droits compensateurs contre les subventions agricoles, mais seulement jusqu'à 2003, quatre ans après le début des négociations. Bien des pays souhaitent prolonger l'application de la clause de paix, mais cela sera plus facile si les prochaines négociations s'avèrent un succès.
L'Uruguay Round a été un cessez-le-feu dans la guerre agricole des années 90, rien de plus. La guerre a commencé par des escarmouches au sein du système de règlement des différends, mais, rapidement, les subventions ont grimpé en flèche. Au départ, les conditions favorables du marché ont contribué au calme relatif qui prévaut depuis la conclusion de l'Uruguay Round, mais les escarmouches ont repris. Si la prochaine série de négociations se soldent par un échec, lorsque la clause de paix arrivera à échéance, la guerre agricole pourrait très bien reprendre.
Le deuxième élément du triangle est celui des services, la nouvelle forme de commerce. Une libéralisation accrue importe autant aux producteurs qu'aux consommateurs de services. Si on n'arrive pas à réglementer ce domaine en pleine croissance, la croissance pourrait s'en trouver freinée et il pourrait en résulter des conflits entre bien des gouvernements.
Enfin, la pleine intégration de tous les États au système commercial à des conditions justes et équitables devrait être un des principaux objectifs de la politique étrangère de pays tels que le Canada. Les pays en développement, y compris les économies en transition, sont prêts à assumer un plus grand nombre des obligations qu'entraîne la pleine participation au système, mais veulent aussi en retirer plus d'avantages. S'ils s'estiment exclus du processus, ils peuvent lui faire obstacle. Si les enjeux importants pour les pays en développement sont négligés pendant la prochaine série de négociations, elles pourraient échouer et devraient échouer.
On ne pourra éviter l'un ou l'autre de ces trois domaines et aucun d'entre eux ne peut à lui seul assurer l'équilibre. Une entente sur l'un des éléments du triangle ne sera possible qu'avec des compromis sur les autres. Chaque élément du triangle devra englober d'autres questions.
Le ministre Marchi a donné une liste exhaustive de possibilités. Les discussions sur les politiques d'investissement et de concurrence agiront comme complément aux discussions sur les services. Celles sur la réglementation et les normes seront pertinentes de diverses façons. Pour l'agriculture, ce sont les services qui comptent. Une libéralisation accrue reste possible pour d'autres secteurs de production de biens. Les membres de l'OMC, naturellement, souhaitent que les séries de négociations soient plus courtes et veulent en récolter les résultats lorsqu'ils seront prêts.
Je prétends que cette logique triangulaire dans le contexte d'un seul engagement nécessite des négociations exhaustives, et non pas plusieurs négociations à portée limitée. Ces négociations prendront probablement quatre ans. Je peux si vous le souhaitez vous expliquer pourquoi.
J'en viens maintenant à ma troisième question: qu'est-ce que le Canada devrait tenter d'obtenir de ces négociations en général? Notre premier objectif devrait être une entente portant sur les trois éléments du triangle. Notre deuxième objectif doit être de profiter de ces nouvelles négociations commerciales pour améliorer la productivité canadienne, par exemple, dans les biens de technologie avancée, tout en facilitant un ajustement structurel sans heurts dans les secteurs plus vieux.
Les gouvernements voient les négociations commerciales comme un moyen d'accroître leurs exportations par l'ouverture de marchés étrangers, mais ce n'est qu'à moitié vrai. Contrairement à ce que prétendent à la fois les défenseurs et les opposants de la mondialisation, le commerce ne signifie pas davantage d'emplois, mais de meilleurs emplois. Le nombre d'emplois dépend de politiques macroéconomiques, et non pas de politiques microéconomiques telles que le commerce. Les gains que nous retirons du commerce se réalisent dans ce que nous faisons le mieux, en lui donnant un avantage comparatif et en nous permettant d'utiliser les revenus d'exportation pour acheter ce que le monde a de mieux à offrir. Si nous n'utilisons pas les négociations commerciales à cette fin générale, elles ne nous serviront pas à des fins plus précises. Il est bon de savoir ce qu'on veut obtenir des autres, mais nous devons aussi tenir compte de ce que les autres veulent obtenir de nous ou de ce que nous sommes prêts à donner dans notre intérêt. Les négociations commerciales constituent un puissant outil social et économique, mais il faut savoir comment nous voulons façonner l'économie canadienne.
Notre troisième objectif devrait être de résister à la tendance selon laquelle l'OMC est un accord cadre qui peut réglementer tous les domaines. Bien des groupes réclament que des normes de travail et de protection de l'environnement figurent dans nos accords commerciaux. Le système commercial doit et peut assurer l'équilibre entre les objectifs sociaux et économiques, mais, parfois, cela signifie qu'il faut s'en remettre aux mesures prises par d'autres organisations, officielles ou non, ou par chaque État. Je serai heureux de vous donner plus de détails à ce sujet si vous le souhaitez.
Enfin, la question la plus importante pour votre comité: Quel devrait être notre objectif en matière d'agriculture?
En général, nous devrions tenter de consolider et d'élargir le cadre élaboré pendant l'Urugay Round, dans le contexte des trois objectifs que j'ai mentionnés. Ce qu'on a appelé le cadre plurinational et plurisectoriel nécessite une approche équilibrée à l'égard du soutien national, des mesures frontalières et des subventions aux exportations.
Par conséquent, nous devrions amorcer ces négociations avec quatre objectifs. Nous voulons conserver la boîte verte. Nous voulons encourager des changements de politique continus mais graduels en augmentant l'accès au marché et en diminuant le soutien intérieur. Nous voulons nous diriger vers l'élimination des subventions aux exportations. Nous devrions tenter de conserver la clause de paix.
Je reprends ces quatre points dans l'ordre. Au coeur des négociations se trouve la boîte verte. Elle permet aux pays d'aider leurs propres agriculteurs sans pour autant nuire aux agriculteurs étrangers. Elle pourrait être affaiblie, surtout si on incite les pays à orienter toute leur politique dans la catégorie de la boîte verte. C'est ce qu'on a fait aux États-Unis, mais c'est une tendance que nous devrions éviter.
Le deuxième objectif est celui du changement graduel. On peut envisager un changement graduel de bien des façons. La meilleure façon est probablement celle de la boîte bleue. Bien des gens estiment que nous devrions éliminer la boîte bleue à court terme, mais, si c'était le cas, le même volume de subventions actuellement accordées au sein de l'Union européenne -- qui invoque souvent la boîte bleue -- se retrouvera ailleurs. Nous devrions au contraire trouver des façons de réduire l'incidence de la boîte bleue, tenter de réduire ses attraits. Pourrait-on l'éliminer de la clause de paix, par exemple, sans nuire au cessez-le-feu? Pourrait-elle faire l'objet d'un engagement de réduction? Pourrions-nous réduire encore la taille de la boîte orange?
Toujours au sujet du changement graduel, en ce qui a trait aux mesures frontalières, vous avez certainement entendu des groupes d'agriculteurs, surtout ceux qui exportent, qui vous ont parlé des problèmes que présentent les contingents tarifaires. Ce sont des problèmes importants et complexes, mais la nécessité d'améliorer l'administration des contingents tarifaires ne devrait pas occulter la nécessité de doubler la taille des contingents tarifaires -- 5 p. 100 ne donne pas vraiment accès au marché -- et d'abaisser les crêtes tarifaires très élevées. Autrement dit, nous devons encore réduire les tarifs et ouvrir les marchés, si nous voulons que les changements d'orientation restent sur la bonne voie. Corriger simplement l'administration du programme ne suffira pas.
Troisièmement, nous devrions travailler à l'élimination des subventions aux exportations, sans pour autant exiger une dénonciation de ces subventions. Nous avons déjà cela à l'article 9 de l'accord. Nous devons travailler en ce sens mais prévoir un processus à plusieurs étapes.
On a encore beaucoup de pain sur la planche en ce qui a trait aux définitions et à la précision des règles existantes. Ainsi, les entreprises commerciales d'État et les autres dispositifs de mise en marché constituent-ils une forme déguisée de subventions aux exportations? C'est une question à laquelle on ne peut répondre au départ. Il est certain que les entreprises commerciales d'État devraient être aussi transparentes que les grandes sociétés privées. Le gouvernement ne devrait pas être en mesure de cacher les effets d'une politique en prétendant qu'une entreprise commerciale d'État est indépendante. La Commission canadienne du blé, à mon avis, demeure un outil important et légitime de politique.
Le quatrième objectif, celui de la clause de paix, est essentiel mais problématique. Les États-Unis, appuyés par certains membres du groupe de Cairns, voudraient bien la laisser échoir. L'Union européenne et le Japon sont parmi ceux qui préconisent une prolongation de son application. Le principal problème n'est pas qu'ils appuient la boîte verte au paragraphe 13(a), mais plutôt que le paragraphe 13(b) empêche toute contestation de la boîte bleue. Il ne faudrait pas éliminer la clause de paix seulement pour mettre fin à la protection de la boîte bleue. Il y a certainement d'autres façons de régler le cas de la boîte bleue. Nous ne souhaitons pas perdre la protection qu'elle confère. Nous ne voulons pas que les États-Unis utilisent les modalités de règlement des différends et d'autres accords de l'OMC pour obtenir ce qu'ils veulent en agriculture là où les négociations ont jusqu'à présent échoué. Les Américains aiment bien porter des affaires en justice lorsqu'ils ne peuvent négocier. Nous ne devrions pas encourager cette pratique. Nous voulons conserver la clause de paix. Pour ce qui est de savoir si elle devrait protéger les subventions aux exportations, c'est un autre débat.
L'OMC accuse du retard par rapport aux politiques nationales, comme M. Miner l'a indiqué, c'est vrai. L'OMC n'a pas voix au chapitre en ce qui concerne l'organisation de notre agriculture. Cependant, elle peut intervenir et faire valoir qu'un pays tente d'en amener d'autres à payer pour ses propres choix.
Je ne prétends pas qu'on obtiendra un système commercial parfait, mais on peut utiliser le système commercial pour continuer d'exercer des pressions en vue d'une réforme nationale. Dans toutes les économies avancées, toutes sortes de pressions s'exercent pour que la taille de l'excédent agricole augmente. Il faut gérer ces pressions. Dans le cas contraire, les pays trouveront une façon d'exporter l'excédent, peu importe les règles.
L'OMC ne peut ordonner à l'Union européenne de réformer la PAC, mais elle peut indiquer quelle serait l'orientation préférée pour les modifications de politique et les réformes de la PAC. En fait, la nécessité d'élargir l'Union européenne obligera celle-ci à réformer la PAC dans les années à venir. L'OMC devra tenir compte de ce processus, l'accélérer, intégrer les résultats mais ne pourra pas diriger le processus. Cela rendrait tous efforts en vue d'éliminer la boîte bleue futiles, même nuisibles.
Les agriculteurs réagissent quotidiennement aux conditions des marchés, mais les politiques ne peuvent faire autant.
Je crois savoir que, au cours des consultations, l'industrie a recensé les très nombreux problèmes auxquels font face les Canadiens sur les marchés d'exportation. Ce sont des renseignements essentiels pour votre comité ainsi que pour les négociateurs. Vous devez aussi examiner où en seront les politiques des autres pays une fois que les résultats de l'Uruguay Round auront été entièrement mis en oeuvre; tous les pays n'en sont pas nécessairement rendus là.
Il est crucial de surveiller la mise en oeuvre, et cela se fait par l'entremise de la procédure de notification. Il est important pour les pays de discuter du bon fonctionnement de l'accord et de la question de savoir si les restrictions, dans un domaine, ont entraîné une recrudescence des mesures de soutien ailleurs. Cela fait partie du processus continu d'analyse et d'échange d'information. L'Uruguay Round a donné lieu à une structure qui englobe tout cela. On a maintenant pour tâche de ne pas affaiblir cette structure, mais plutôt de la resserrer de façon équilibrée à long terme. Peu importe comment nous sommes arrivés au point où nous en sommes aujourd'hui; ce qui compte, c'est comment nous irons de l'avant. Les pays font partie d'un système qui englobe tout cela. Tout est relié. Les niveaux de soutien peuvent être réduits encore. Les règles peuvent être resserrées.
Aux dernières négociations, les Canadiens croyaient pouvoir avoir le beurre et l'argent du beurre. Nous étions d'accord avec le Groupe Cairns pour réclamer des sanctions sur les subventions aux exportations et, parallèlement, nous nous sommes trouvés les seuls, à la fin, à demander ce que nous avons appelé une précision de l'article 11.
Le processus de consultations ouvertes et exhaustives actuellement en cours est important et précieux, mais il serait dommage que notre position soit définie par les producteurs seuls ou de prétendre que notre position de négociation peut tenir compte de tous les intérêts également. À la fin des dernières négociations, les agriculteurs et les Canadiens des autres secteurs ont fait des compromis, tout comme au sein même du secteur agricole. Certains de ces compromis ont été faits si tard que nous avons eu peu de temps pour négocier véritablement avec nos partenaires commerciaux. Il est préférable de prévoir la fin du processus dès le départ: que voulons-nous obtenir? Comment pouvons-nous l'obtenir?
En conclusion, la politique étrangère canadienne et la politique économique nationale profiteront toutes les deux d'une nouvelle série de négociations exhaustives au sein de l'OMC. Nous devrons mettre l'accent sur l'étoffement de l'accord sur l'agriculture; sur la consolidation du GATS, sur l'intégration des pays en développement et sur l'amélioration des institutions du système.
Les politiques doivent garantir des marchés mondiaux ouverts dont tous pourront profiter; elles ne s'opposent pas à des collectivités locales vigoureuses. Le Canada n'est pas le seul à vouloir conserver son pouvoir réglementaire dans l'intérêt national afin de permettre au dialogue intérieur d'influer sur la politique. Toutefois, le Canada ne pourra jouer un tel rôle en matière commerciale que si l'OMC adopte le rythme de la mondialisation.
Le vice-président: Vous avez mentionné l'article 11. J'ai vérifié ce que nous avions fait lors de l'Uruguay Round. Aucun parti politique important, aucune organisation agricole n'a réclamé des modifications de l'article 11.
Nous parlons de cette formidable mondialisation, mais notre secteur agricole en souffre plus que, disons, le secteur de l'automobile. Les produits agricoles ne durent pas indéfiniment; ils se déprécient très rapidement. En matière de réduction ou d'élimination des subventions, nous avons été bonasses.
Vous avez tous les deux parlé de la façon dont nous renégocierons notre position, mais nous avons été, du point de vue économique, cruels à l'égard de certaines de ces entités de production au Canada. J'ai lu les remarques qu'a présentées M. Miner à la Chambre des communes et dans lesquelles il suggère que nous éliminions le peu de soutien que nous accordons encore. Peut-être devrait-on contester une telle mesure aux termes de la Charte des droits. Nous avons lutté longuement pour obtenir ces droits, et, maintenant, on veut nous les enlever. Nous avons respecté toutes les lois, toutes les lois internationales, à la lettre. Puis nos négociateurs nous ont dit de renoncer à nos droits. Nos produits laitiers et alimentaires sont périssables.
J'ai de grandes réserves à ce sujet, car j'ai lutté pour ces droits. Personne n'est venu me voir pour discuter de la possibilité de les modifier. L'OMC est un peu comme les Nations Unies -- elle ne peut rien faire. Regardez le chaos dans lequel se trouve le monde aujourd'hui. Depuis la fin de la guerre froide, nous avons tué 10 millions de personnes. Regardez ce qui se passe à l'heure actuelle dans les Balkans. Il n'y a plus de règles. Tout le monde se dispute sur la question de savoir qui a le pouvoir.
Le sénateur Hays: J'ai une question au sujet de la boîte verte. Vous en avez tous les deux touché quelques mots. M. Wolfe nous a dit que c'était une bonne mesure, qu'elle remplissait un objectif louable.
Moi, j'ai l'impression que la boîte verte n'est qu'une façon de permettre ce qui se produisait avant qu'existent les boîtes vertes, bleues, orange et les autres. Elle permet le soutien continu aux agriculteurs qui produisent un produit précis. On continue de soutenir la production de ce produit, que ce soit parce qu'il figure dans la boîte verte ou que ce soit par le biais du financement axé sur les produits.
Vous avez tous les deux fait des remarques réfléchies et apporté une contribution précieuse à nos travaux, et je vous en sais gré.
M. Miner a déclaré que les équivalents tarifaires équivalent à la transparence, et que cela entraînera des pressions là où les tarifs sont élevés. Dans le cas des paiements de la boîte verte, disons, aux producteurs de céréales européens, il n'y a pas de tarifs. Nous avons vu les chiffres, mais pas dans le contexte de la production accrue de ce produit par les Européens grâce à l'appui accordé au titre de la boîte verte.
Les versements de la boîte verte qu'a vantés M. Wolfe pourraient être utiles si ces versements étaient faits aux producteurs et ne pouvaient servir à acheter des fongicides, des insecticides, des engrais, et cetera. Les producteurs peuvent faire tout ce qu'ils faisaient avant que la boîte verte n'existe.
Y a-t-il une façon de quantifier les sommes transférées grâce à la boîte verte? Pourrait-on rendre tout cela transparent? Je ne dirais pas que c'est un contingent tarifaire.
Je pose la question en me basant sur ce que j'ai entendu dire, sur mon intuition, mais je crois avoir raison de croire que les sommes transférées sont versées aux agriculteurs, qui s'en servent pour produire encore davantage de céréales. Nous n'avons pas quantifié les subventions. Nous ne les avons pas rendues transparentes, nous n'avons pas non plus exercé des pressions sur les prestataires afin qu'ils adhèrent au cadre de l'OMC, qui créerait un meilleur environnement pour le commerce international.
Monsieur Wolfe, croyez-vous que la boîte verte soit une bonne chose? Mes allégations concernant la boîte verte sont-elles justes?
M. Wolfe: Vous avez sûrement tous entendu la vieille blague de ce que ferait l'agriculteur s'il gagnait un million de dollars à la loterie. La réponse, c'est qu'il continuerait d'exploiter sa ferme jusqu'à ce que l'argent soit épuisé. Les économistes savent bien que toute subvention à l'agriculture est une subvention à la production. Si un agriculteur doit tenir des activités touristiques sur sa ferme pour la garder, il le fera. Les agriculteurs exploitent la terre. C'est ce qu'ils font. Toute forme de transfert à l'agriculture a un effet sur la production.
Il n'est pas nécessaire de produire quoi que ce soit pour avoir droit aux subventions de la catégorie dite de la boîte verte, et c'est ça qui est important. Nombre des subventions critiquées par les agronomes dans les années 80 étaient des subventions qui n'étaient versées qu'à condition que l'agriculteur produise quelque chose, et plus il produisait plus elles étaient élevées.
Pour avoir droit aux subventions de la catégorie verte il suffit pratiquement d'être simplement agriculteur. Un agriculteur peut produire autant qu'il le juge nécessaire pour que son exploitation soit viable et toujours avoir droit à la majorité de ces subventions de la catégorie verte. Elles ont donc une moindre tendance à pousser à la production.
Pour ce qui est de quantifier le montant des subventions de cette catégorie verte, il y a à l'heure actuelle deux manières de le faire. La première, c'est le système de l'OCDE, l'équivalent subvention à la consommation et l'équivalent subvention à la production.
Je suis certain que vous avez entendu dire que les transferts représentent environ 42 p. 100 du revenu des agriculteurs de l'Union européenne. La combinaison ESC-ESP pour l'unité européenne représente 42 p. 100. Cela correspond à toutes les formes de transferts accordés par le gouvernement et les consommateurs aux agriculteurs. C'est quantifié. Ce n'est pas une base de négociation et cela ne l'a jamais été. Cela vous donne une idée du soutien accordé à l'agriculture.
Chaque pays, dans sa demande écrite, donne le montant de sa mesure globale de soutien comme le prescrit l'OMC. Je n'ai trouvé qu'un tableau dans les documents fournis lors de la conférence sur l'agriculture tenue il y a une ou deux semaines, et ils donnent les chiffres globaux pour 1995 ou 1996 des quatre grands pays agricoles. J'ai demandé aux responsables des dossiers agricoles s'il y avait autre chose, et ils m'ont répondu que non. Le problème, c'est qu'il faut éplucher chacune des demandes de chaque pays membre pour réunir toutes les données sur la mesure globale de soutien et que personne ne le fait. Il serait très utile que le secrétariat de l'OMC ait les ressources nécessaires pour regrouper tous les renseignements tirés de toutes les demandes afin de pouvoir nous dire avec plus de précision ce qui se passe au niveau de cette mesure globale de soutien, car sa définition a été négociée avec grand soin et elle donne des renseignements commerciaux que la méthode de l'ESC-ESP de l'OCDE ne donne pas. Ces renseignements seraient fort utiles, mais nous ne les avons pas.
Le sénateur Hays: Vous venez de dire que les transferts de la catégorie verte ont une moindre tendance à pousser à la production d'une denrée comparativement à un versement fondé sur la production d'une denrée particulière. Comment expliquez-vous alors cette augmentation de la production de céréales pendant les quatre années qui ont suivi la production de la catégorie verte?
Je n'ai pas ces chiffres avec moi et je suppose que vous ne les avez pas non plus, mais j'incline à croire que le changement n'était pas suffisant pour modifier la manière dont les dollars sont utilisés. On pourrait dire que ces transferts qui ne sont pas conditionnés par la production de blé peuvent être déposés à la banque, investis dans le tourisme ou dans la culture d'une autre denrée, mais ne peuvent être utilisés pour faire pousser encore plus de blé. De cette manière, vous introduiriez une discipline de marché qui d'après nous ne pourrait être que bénéfique pour la structure du commerce mondial, puisqu'elle prendrait plus en compte les avantages comparatifs.
M. Wolfe: Je vous répondrai tout d'abord de manière générique. Quelle que soit la forme d'activité économique, vous ne pouvez prendre une variable, l'associer à une autre, et dire que ce changement n'est pas responsable d'un autre changement. C'est rarement aussi simple.
Dans le cas de la production agricole, de la production des céréales en particulier, les variables principales sont la météo, l'état de la demande dans les grands pays consommateurs et les développements macroéconomiques, y compris les fluctuations des taux de change, et cetera. Toutes ces variables peuvent avoir une incidence énorme.
Le sénateur Hays: Elles n'ont pas eu d'incidence sur le marché européen depuis quatre ans.
M. Wolfe: Je dirais plutôt le contraire. Sauf erreur de ma part, les conditions sur le marché étaient tellement favorables que les Européens, et dans une certaine mesure les Américains, n'ont pas eu à honorer leur engagement de réduire les subventions à l'exportation pendant les premières années. Aujourd'hui, les conditions sur le marché leur sont un peu contraires, et ils se serviront des dispositions de l'accord qui leur permettaient de remettre à plus tard leur réduction des subventions à l'exportation. Ils vont même désormais aller au-delà de leurs engagements.
Le sénateur Hays: Leur base, pour ce qui est du rendement sur le marché, demeure toujours aussi élevée. C'est une des raisons principales pour lesquelles ils continuent à produire ces denrées qui inondent les marchés internationaux à cause de la manière dont ils sont commercialisés.
M. Miner: Je ne suis pas certain de pouvoir ajouter grand-chose à ce qu'a dit M. Wolfe sur la catégorie verte. Je suis d'accord sur ses explications quant aux raisons de son instauration.
C'est pratiquement l'équivalent de la législation compensatoire des Américains ou de la nôtre, d'ailleurs. La cause et la conséquence de toute forme d'assistance directe donnée à un produit sont claires. La subvention ne peut avoir une incidence sur la quantité produite et la quantité exportée, et la possibilité de mesures compensatoires n'est pas à écarter.
Par contre, quand la mesure est générale, non spécifique, ce n'est pas du tout la même chose. Si vous offrez, comme nous le faisons, aux denrées qui se trouvent dans notre système de filet de sécurité, un soutien, celui-ci est considéré comme vert ou non spécifique dans le contexte de la législation compensatoire des États-Unis, d'après ce que je crois savoir. En conséquence, ce genre de soutien, s'il est accordé, n'est pas jugé responsable d'une augmentation de la production de cette denrée particulière et de la quantité exportée. C'est l'explication qui est donnée.
Cependant, il n'y a pas quantification. En d'autres termes, il n'y a pas de limites imposées au montant que vous pouvez transférer.
Le sénateur Hays: Par conséquent, ces pressions ne sont pas transparentes.
M. Miner: Vous ne savez pas comment ce soutien est utilisé et s'il vise une denrée en particulier ou non.
Le sénateur Hays: Je sais comment il est utilisé.
M. Miner: Je suis d'accord avec vous. Si ce sont les exploitations agricoles qui en bénéficient directement, il se traduit au niveau de leur capacité de production et finit par se manifester d'une manière ou d'une autre sur le marché. Je ne conteste pas cette analyse. Cependant, si ce soutien était accordé directement à une denrée, vous auriez la certitude absolue d'une incidence. Vous pourriez en retrouver la trace au niveau d'un problème, disons, sur le marché du blé dur. C'est ce à quoi nous nous intéressons actuellement à propos des États-Unis.
J'aimerais revenir pendant une minute ou deux sur la proposition d'abandon d'un certain type de programme agricole faite par le président. Encore une fois, je suis d'accord avec M. Wolfe. L'OMC n'essaie pas de dicter la forme du programme utilisé par un pays. Dans un scénario où les marchés deviennent plus ouverts -- et cela n'a pas grand-chose à voir avec l'OMC; c'est tout simplement le monde dans lequel nous vivons -- et où vous avez certains types de programmes qui nécessitent une gestion interne de l'offre, les pressions sur ce système sont plus grandes. C'était mon seul point. Je ne dis pas qu'il faut forcément y renoncer. Je suppose que c'est une décision qui sera prise par les organisations agricoles.
Quant à savoir si les pressions sont plus grandes, c'est tout à fait clair. Dans le régime précédent, cette protection était accordée par l'article 11. Cet article autorisait des restrictions quantitatives. Les États-Unis avaient également une dérogation agricole générale relativement à leurs obligations envers le GATT. Ils pouvaient faire jouer ce qu'ils appelaient les quotas de l'article 22 contre les importations. Je vous rappelle également le système de restitution par redevances de l'Union européenne, dont les redevances étaient variables. Elles créaient de grosses distorsions sur le marché, et c'est la raison pour laquelle nous préconisons un système tarifaire.
Il ne s'agissait pas de dire aux pays de se débarrasser de certaines politiques. Cependant, ce glissement a pour conséquence d'exercer une plus grande pression sur certains types de systèmes. Il incombe toujours aux organisations agricoles, et peut-être au gouvernement de déterminer le genre de systèmes souhaités. Personnellement, je ne vous suggérerai jamais publiquement de vous débarrasser d'un type particulier de programme.
Le sénateur Hays: Vous dites que la catégorie verte est découplée, que c'est une bonne idée et que cela devrait rester comme ça. Vous êtes tous les deux d'accord. C'est peut-être une bonne idée, mais de la manière dont les choses se déroulent, c'est simplement la continuation de ce que nous avons essayé de stopper lors des négociations de 1994. Dans la mesure où c'est sans rapport, exogène, ou que l'incidence est minime, je veux bien être d'accord avec vous.
Cependant, pour résoudre le différend, ne devrions-nous pas réclamer, lors d'une autre ronde, une méthode de quantification et d'interprétation de type contingent tarifaire?
Si nous négocions un accord et que les résultats attendus ne se matérialisent pas, ne faudrait-il pas réviser cet accord pour atteindre les objectifs fixés au départ?
M. Miner: Il y a un certain nombre de possibilités. Vous dites qu'il est possible de quantifier les attentes. Vous allez peut-être plus loin au niveau de l'utilisation de la subvention dans le secteur concerné. À cet égard, si vous prenez le système de l'Union européenne, la subvention est accordée soit par hectare cultivé, soit par animal élevé. Il y a cette différenciation. Je ne pense pas qu'il soit possible d'aller plus loin, à moins de soumettre son utilisation à une analyse.
On pourrait certes envisager une baisse du niveau total de transfert. C'est une possibilité: à savoir, réduire les subventions et le soutien. Vous avez la mesure globale de soutien pour dénoncer les politiques susceptibles de fausser le marché. Vous pourriez essayer d'imposer un plafond ou suggérer une segmentation par produit, ce qui n'est pas le cas actuellement, puisque la méthode est globale.
Vous pourriez également faire quelque chose d'analogue pour les grains, mais il vous faudrait déterminer s'il est préférable d'interdire le financement de politiques qui visent directement un produit particulier et de se servir de cet argent pour financer d'une manière plus générale et non spécifique toutes les denrées. Si vous interdisez ces deux formes de financement, il est possible que vous n'arriviez pas à atteindre certains des résultats recherchés. Il s'agit de déterminer ce qui est possible.
Pour ce qui est de leur augmentation, je ne peux expliquer le total. De nombreux facteurs ont été bénéfiques, y compris le marché. Je crois que la majorité reconnaîtrait que dans le contexte des réformes MacSharry, les transferts par hectare et par animal se sont avérés excessifs. Comme les marchés étaient relativement fermes et que les transferts étaient relativement importants, les agriculteurs s'en sortaient très bien.
Le sénateur Hays: Pensez-vous utile de garantir le découplage d'une denrée qui auparavant était soutenue par un financement désigné?
Je crois que si vous essayez de réduire le soutien européen -- et je comprends que l'élargissement prochain de l'Europe pose un problème -- les chances de succès seront plus grandes si, au lieu de leur suggérer de moins dépenser, vous leur demandez de garantir le découplage de la denrée visée précédemment par ce soutien. C'est toute l'exploitation qui bénéficierait de ce soutien, et ce ne serait pas un simple tour de passe-passe permettant de refaire ce qu'ils faisaient précédemment.
M. Miner: L'Union européenne serait disposée à aller dans ce sens dans une certaine mesure, tout comme les États-Unis. Je ne sais pas si l'effet serait tout à fait celui que vous escomptez, mais ce changement de direction de la politique se produit déjà et est peut-être négociable.
M. Wolfe: Il importe de faire la distinction entre les exploitations agricoles familiales et les exploitations gérées comme de petites entreprises à capitalisation parfois intensive.
Pour les petites entreprises, nous essayons de créer des marchés mondiaux plus ouverts. Pour les exploitations familiales, nous essayons de préserver un mode de vie tout en procédant à certains ajustements nécessaires dans un monde qui a changé, et nous essayons de le faire d'une manière progressive, humaine et raisonnable. C'est l'objectif de la politique agricole depuis deux générations.
Dans les années 80 cette politique ne marchait pas. Nous étions coincés. L'Uruguay Round devait créer une structure dans laquelle ce processus d'ajustement pourrait recommencer. Je crois qu'il commence.
Il nous faut continuer à concevoir un système qui resserre progressivement, d'une manière équilibrée, dans tous les secteurs, toutes les denrées, «serre le noeud», comme je disais dans mes remarques préliminaires, et pousse les pays vers une certaine réforme de leur politique.
En même temps, il ne faut pas perdre la possibilité de soutenir les agriculteurs. C'est essentiel pour le système et c'est ce concept de catégorie dite de la boîte verte qui nous permettra de continuer.
Le vice-président: Si vous posiez la question à une personne sur dix, surtout aux personnes associées à l'agriculture, elle ne saurait pas de quoi vous parlez. Vous parlez d'avènement d'un nouveau monde. Pour moi, c'est l'avènement d'un nouveau chaos. J'ai vécu le chaos agricole. J'ai été agriculteur.
La mondialisation et toute sa famille vont détruire un des meilleurs systèmes agricoles jamais mis en place, et nous ne pourrons rien y redire.
Le sénateur Fairbairn: Monsieur Wolfe, à la fin de votre exposé, vous avez indiqué qu'à votre avis notre politique économique nationale et internationale serait bien servie par une ronde globale à l'OMC. Je suppose que vous avez voulu dire globale par opposition à sectorielle.
Comment peut-on parler de vision globale et en même temps avoir le sentiment que le secteur agricole, mêlé aux autres, ne courra pas le risque d'être mis de côté ou d'une certaine manière d'être sacrifié aux intérêts de secteurs plus puissants et mieux défendus?
Monsieur Wolfe, vous avez indiqué que la procédure en cours intégrera l'industrie agricole aux négociations de l'OMC, à des fins de consensus, pour aboutir à une politique centrale.
Vous avez dit que ces discussions sont valables, mais qu'il serait dommage de laisser définir notre position par les seuls producteurs ou de prétendre que notre position de négociation peut prendre en compte également tous les intérêts. Cette prise de position m'inquiète dans la mesure où notre industrie agricole connaît de très grosses difficultés. Si nous mettons tout dans le même sac, pour ainsi dire, l'agriculture recevra-t-elle l'attention qu'elle mérite selon nous, ou ne sera-t-elle qu'un élément secondaire dans un modèle global?
Monsieur Miner, dans votre mémoire vous encouragez le Canada à participer à cette ronde de négociations commerciales mondiales comme membre d'une coalition des Amériques et, si je vous ai bien compris, comme membre du groupe de Cairns. Pouvez-vous nous expliquer comment le fait d'être membre d'un tel groupe au côté des États-Unis renforce notre position de petite, mais importante puissance?
Au cours des discussions de ces derniers mois, nous avons entendu des témoins à la mémoire longue nous rappeler comment des accords qui semblaient avoir été ratifiés avaient été à la dernière minute transformés en ententes spéciales entre les États-Unis et l'Union européenne. Tout d'un coup, nous nous retrouvions dans une position différente de celle dans laquelle nous pensions nous trouver.
M. Wolfe: Le plus important à savoir à propos de l'OMC, c'est qu'en 1986, il a été convenu que l'ensemble des négociations et l'application de leurs résultats seraient traités comme un tout. Les participants ont convenu que l'accord de l'OMC ne saurait être approuvé que comme un tout. Cela signifiait que tous les accords, y compris les accords révisés du Tokyo Round, étaient inclus dans l'accord de l'OMC.
La mondialisation affecte les pays et les secteurs de manière différente. Il fallait que les intérêts de tous soient pris en compte dans l'acte final de l'Uruguay Round, car seul le tout pouvait être accepté ou rejeté. Le Canada a tout signé une fois. Il est important de maintenir le système d'échanges commerciaux sous un seul tout et qu'il continue à progresser en tenant compte de manière équilibrée des forces triangulaires dans tous les nouveaux secteurs commerciaux, les services, ainsi que de tous les nouveaux acteurs des pays en voie de développement, et de certains des secteurs traditionnels, comme l'agriculture. Ils sont tous en interaction et font tous partie d'un tout. En singulariser un est impossible.
Dans le cas de l'agriculture, l'équilibrage n'est pas automatique. Par exemple, lors de l'Uruguay Round, nous voulions intégrer le Japon. Cependant, le Japon n'a été intégré que pour les importations et pas pour les exportations. Pour le Japon, le dossier agricole était négatif. Ne discuter que d'agriculture avec le Japon ne servait à rien. Pour faire bouger le Japon, c'est tout le système commercial qu'il fallait mettre sur la table. Avec beaucoup de peine, le gouvernement a fini par se convaincre que: «Nous avons des intérêts qui dépassent ceux des riziculteurs. Il faut que nous signions. Il faut que nous changions notre politique.» Ils l'ont fait lentement, dans les affres, de manière inadéquate, peut-être, mais ils l'ont fait.
Les Européens ont des intérêts à l'exportation, mais ils ont aussi des intérêts à l'importation. Pourrions-nous conclure une entente agricole avec les Européens sans inclure les services commerciaux? Probablement pas. Cela fait partie de leurs arguments. Une ronde exhaustive est le seul moyen de faire avancer le système commercial. C'est le seul moyen de parvenir à une entente sans risque de nouvelles fragmentations. La fragmentation résultant du Tokyo Round était grave. Une des réalisations majeures de l'Uruguay Round a été d'y mettre un terme.
Vous m'avez également posé une question sur mon commentaire cryptique sur la prise en compte des intérêts de tous les participants. Je repense à ce qui nous est arrivé à l'automne 1993, quand le Canada insistait sur une clarification de l'article 11. Je ne sais pas si Mike Gifford vous a rapporté l'incident différemment. Je ne peux croire qu'il n'ait pas su depuis longtemps que cette position était indéfendable. Cependant, les politiciens n'étaient pas prêts à l'admettre. Je suis sûr que certaines organisations agricoles le savaient, mais beaucoup de leurs membres ne le savaient pas.
Le Canada aurait dû mener nombre de négociations secondaires, mais il ne l'a pas fait. Un des premiers résultats a été que les Américains nous ont immédiatement attaqués sur un dossier. Ils n'ont pas gagné, mais c'est le genre de situation qui aurait pu être réglée de manière beaucoup plus efficace et avec beaucoup plus de succès si nous avions admis plus tôt dans les négociations que nous n'atteindrions jamais certaines de nos dernières positions.
On ne révèle pas nécessairement au début des négociations les choses sur lesquelles on est prêt à céder. Cependant, il faut être raisonnablement honnête quant aux possibilités de réussite. Il faut aussi réfléchir aux genres de compromis possibles entre, d'un côté, les producteurs dépendant des importations et les producteurs dépendant des exportations; entre les fabricants de voitures et les fabricants de services de télécommunications; et, d'autre part, les agriculteurs. Il y a beaucoup de compromis qui entrent dans l'équilibrage de la position canadienne. Il est préférable de discuter entre nous a priori plutôt qu'a posteriori.
Le sénateur Fairbairn: Plutôt que de proposer une liste d'objectifs pour le secteur agricole, je suppose, dans la même veine, que vous proposeriez que les acteurs du secteur agricole, bien avant que les négociateurs ne s'assoient autour de la table, soient pleinement au courant des options de compromis et de leurs conséquences.
M. Miner: J'aimerais répondre à votre question sur les négociations dans l'hémisphère. J'ai deux perspectives à proposer. Dans l'une, je ne favorise pas forcément la mondialisation ou je ne considère pas que cela soit la réponse à tout. C'est une réalité du monde dans lequel nous vivons. En conséquence, cela a une incidence sur la manière dont je réfléchis à ces questions.
Cependant, dans le domaine agricole notre position suit une orientation Nord-Sud. Cela signifie, je crois, que nos systèmes finiront eux aussi par s'adapter progressivement à cette orientation, s'ils ne l'ont déjà fait. Nous espérons également obtenir une sorte d'entente libre-échangiste à l'échelle de l'hémisphère.
Dans ce contexte, l'hypothèse est que le Canada ne peut pas faire mieux ou faire plus que des pays aussi importants que les États-Unis et l'Union européenne. Pendant les négociations ils régleront leur comportement au plus près de leurs résultats potentiels. Nous avons une influence, mais nous ne pouvons la contrôler.
Les pays occidentaux, y compris les États-Unis, appliquent collectivement une approche semblable à la plupart des éléments des négociations. Nous avons toutefois moins en commun avec l'Union européenne, principalement parce que nous ne pouvons, même si nous le souhaitions, adopter une politique agricole semblable à celle de l'UE. Par conséquent, une telle coalition permettrait d'accroître notre influence dans les négociations.
Qu'en est-il des positions des États-Unis et de l'Union européenne? Y aura-t-il en fin de compte des compromis? À mon avis, c'est incontournable. Plus on se rapprochera d'une position commune, comme dans le cas des États-Unis par rapport à l'Union européenne -- ce qui a permis de modifier les orientations de cette dernière -- plus notre position en sera renforcée. Mais tout cela sous réserve que le Canada réclame ce qu'il souhaite. À mon avis, c'est la raison pour laquelle il est logique de créer une coalition à l'échelle de l'hémisphère.
Le vice-président: On pouvait lire dans le journal un titre qui se traduirait ainsi: «L'OMC, sans chef et paralysée.» L'OMC ne peut même pas élire un président. Comment l'Organisation mondiale du commerce pourra-t-elle être gérée?
M. Wolfe: Ce qui fait l'intérêt de l'OMC, c'est que c'est une organisation dirigée par ses membres. Son directeur général peut jouer un rôle important de leader, mais s'il contrôle le secrétariat, il n'a pas la mainmise sur son programme. Le programme relève des pays membres. Les propositions viennent de ces derniers. Les pays membres font une bonne partie du travail. L'organisation peut fonctionner raisonnablement bien, que ce problème de leadership soit résolu ou non.
Pourquoi l'OMC n'a-t-elle pas été en mesure de se doter d'un chef? À mon avis, c'est parce que Supachai, de la Thaïlande, est un candidat intéressant, mais il vient d'un pays dont la politique économique a été mal gérée au cours des dernières années. Mike Moore vient d'un petit pays qui n'est pas en développement. Certains croient que le leadership de l'OMC devrait être confié cette fois-ci à un pays en développement. M. Moore a une personnalité suffisamment abrasive. Ni l'un ni l'autre toutefois ne possèdent l'autorité nationale nécessaire pour être de bons candidats. À l'heure actuelle, les grands pays ont probablement d'autres préoccupations.
Le vice-président: Peut-on dire de l'OMC qu'elle est une organisation «mondiale» alors que plus de la moitié des pays du monde n'en font pas partie? Vous avez parlé des gens. Je n'ai peut-être pas bien compris vos propos. J'ai été très impressionné par le président de la République tchèque lorsqu'il a dit que la population devrait avoir préséance sur le gouvernement. Il l'a répété à plusieurs reprises dans son discours. Dans la mondialisation, la population est vraiment reléguée aux dernières loges.
Je me souviens du chaos qui régnait lorsque je suis devenu ministre de l'Agriculture. Il y avait des entrepôts pleins de produits laitiers et de volaille. Nous embauchions des gens pour les enterrer. D'après ce que je comprends, on propose de revenir à ce régime, ou alors de cesser de produire et de compter sur les approvisionnements venus d'ailleurs. Qu'en pensez-vous?
M. Miner: Je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous. À l'époque dont vous parlez, il existait sur les marchés mondiaux de l'agriculture un degré d'intervention assez élevé, même dans le cas d'une denrée comme le blé, dont le commerce était important. Vous conviendrez néanmoins, j'en suis sûr, que les politiques américaines et européennes provoquaient sur ces marchés des distorsions considérables. Nous en avons vu les effets pendant plusieurs décennies.
Le vice-président: Cela ne se fait plus autant depuis la création de l'OMC. La Communauté européenne et les États-Unis n'ont pas respecté leurs ententes. Les choses vont plus mal que quand vous et moi y étions. Vous dirigiez le navire; j'en étais le passager.
M. Miner: Je ne suis pas d'accord avec ces deux observations. Je ne crois pas que les choses aillent plus mal. Les choses vont plus rapidement, avec plus de vigueur, et cela pourrait probablement donner lieu à une longue discussion.
Le vice-président: Là où il y a le plus de mouvement, c'est dans les pays de l'APEC. Il y a environ trois ans, on nous a dit qu'il faudrait prendre garde à l'APEC, que ces pays avaient un produit intérieur brut de 6 ou 7 p. 100. On nous a signalé plus particulièrement le cas du Japon. Et pourtant la position du Japon en matière d'agriculture au sein de l'OMC n'a pas changé d'un iota. Le représentant japonais l'a déclaré à notre comité des affaires étrangères. Cette position ne s'est jamais infléchie. On nous a pourtant dit que 132 pays étaient contre nous. Trente-deux d'entre eux tout au plus peuvent vendre de la volaille, et ils votent contre nous. Nous ne devons pas renoncer à notre agriculture. Nous l'avons développée dans les conditions les plus inclémentes de tous les pays du monde. Cinquante-cinq pour cent environ de notre agriculture vient des régions les plus septentrionales du monde, et l'on nous demande de contribuer à la mondialisation. Je ne vois pas le rapport. Nous avons toujours eu des pirates et des trafiquants d'esclaves. C'était aussi la mondialisation. L'un d'entre eux était sir Walter Raleigh. Il a été fait chevalier pour avoir été le meilleur voleur au service de la Reine. N'était-ce pas là aussi de la mondialisation?
La mondialisation, c'est le fabricant de chaussures qui s'installe en Malaisie ou en Indonésie pour faire des chaussures que nous leur payons 2 $ la paire. Au lieu d'amener les esclaves ici, nous amenons là-bas les machines. Nous encourageons l'esclavage sur place et expédions les produits chez nous.
J'ai participé à un grand nombre de réunions internationales. Je sais que lorsqu'il y a un leader, il y en a toujours pour le suivre.
Vous avez entendu les témoins qui ont comparu devant nous auparavant. Il est tragique de voir ce qui s'est passé dans certains secteurs de l'agriculture. Je parle par exemple des céréales, de la viande rouge et des graines oléagineuses. Ces secteurs sont dans la dèche. Personne ne semble agir. Nous avons pourtant fait tout ce que l'OMC avait exigé. Nous avons été bien obéissants. Et pourtant les personnes que vous mentionnez sont celles qui en souffrent le plus.
Le programme que nous avons mis en place pour les aider est puéril si on le compare au programme américain. Durant la campagne électorale l'automne dernier, les Américains ont versé sept milliards de dollars supplémentaires en subventions. Cette mesure allait à l'encontre de l'OMC. La Communauté européenne a déclaré qu'elle ne changera pas sa politique avant 2003. Je sais que nous avons invoqué l'excuse de ne pouvoir faire concurrence à leur Trésor.
Je ne crois pas que ces tarifs élevés soient réels, surtout compte tenu du fait qu'on peut acheter du beurre moins cher au Canada qu'aux États-Unis. Qui subventionne qui? Nos produits laitiers ont été les plus stables.
Je ne suis pas économiste. Certains d'entre vous m'ont entendu dire déjà que je n'ai jamais vu un économiste qui avait raison. On leur enseigne une certaine philosophie. Tout ce qui s'écarte de cette philosophie économique est mauvais, même si cela fonctionne. Nous avons créé des systèmes légitimes sous le régime de l'article 11 du GATT. Nous avons mis sur pied une agriculture saine.
J'ai quelques notes sur la comparution de M. Miner devant le comité de la Chambre des communes. Les propos que vous avez tenus à cette époque semblent différents de ce que vous dites ce matin. Vous sembliez dire que le Canada devrait réduire considérablement ses tarifs sur les importations. Vous semblez dire que nous devrions abandonner notre gestion de l'offre parce que ce tarif est trop élevé. Je ne sais pas comment sont établis ces tarifs, mais si on fait la comparaison, le consommateur peut débourser moins sans que le gouvernement ait à utiliser l'argent du Trésor.
Le sénateur Robichaud: Vous avez dit qu'il existe des programmes importants. Vous nous avez demandé de considérer les fermes comme des entreprises, puis comme des gens.
Si vous étiez le négociateur du Canada dans ces négociations, ne croiriez-vous pas qu'il vaudrait mieux freiner les choses afin que les négociations ne soient pas trop rapides et pour éviter le risque de perdre ce qui est favorable aux gens, dans l'accord, car puisque j'ai l'impression que c'est le cas? Par contre, feriez-vous tous les efforts possibles pour que la mondialisation se fasse sans heurt, autant que possible?
M. Wolfe: Je suis d'accord avec Bill Miner. La mondialisation, ce n'est pas une politique, c'est comme El Ni<#00F1>o C'est un phénomène avec lequel il faut composer. On ne peut pas s'en dégager ou y adhérer; elle est là.
Le sénateur Robichaud: Mais il est possible de prendre des moyens qui la facilitent ou l'accélèrent, n'est-ce pas?
M. Wolfe: Je ne le crois pas. Tout ce que l'on peut faire, c'est aider les Canadiens à s'adapter plus ou moins rapidement à l'évolution du monde. Dans cette économie mondiale, le Canada est nettement trop petit pour adapter son rythme à celui de la mondialisation.
Ce qui importe dans les prochaines négociations, c'est la clause de paix. D'après cette disposition, nombre des éléments de la politique agricole ne peuvent être traités que dans le cadre de l'entente sur l'agriculture. On ne peut modifier ces éléments au moyen de l'accord sur les subventions, de mesures de représailles, d'une annulation ou d'autres moyens par lesquels on peut généralement éliminer tout ce qui déplaît dans une politique en prétextant qu'elle ne correspond pas à tel ou tel critère.
Les Américains aiment bien faire appel à l'OMC et user du régime de règlement des différends pour éliminer des parties des politiques avec lesquelles ils ne sont pas d'accord. La clause de paix évitera que ce soit possible dans le domaine de l'agriculture. Toutefois, cette clause expire dans quatre ans. Cela nous laisse suffisamment de temps pour entamer de nouvelles négociations dans lesquelles nous pourrons demander que la clause de paix continue de protéger ce qui a été négocié.
Dans les dernières négociations, qui ont pris bien plus que quatre ans, nous avons également appris que l'agriculture n'est pas un domaine facile. Au contraire, il est d'une complexité énorme. Il faudra du temps. Les négociateurs devraient avoir pour mandat d'agir le plus rapidement possible. Sinon, si le système commence à s'éroder, les conséquences pourraient être bien pires encore pour nous.
Il existe un incitatif intrinsèque pour faire avancer ces négociations rapidement et sans heurt, car c'est de cette façon que nous pouvons conserver ce qui a été convenu lors de l'Uruguay Round. Nous ne voulons pas nous écarter de cela.
Le sénateur Fairbairn: Existe-t-il des indices montrant qu'il serait difficile de conserver cette clause de paix?
M. Wolfe: Oui, cela sera difficile. Les Américains n'aiment pas cette disposition, car elle faisait partie de l'accord de Blair House. Le commissaire de l'agriculture de l'Union européenne l'avait à cette époque expliqué très clairement. Il avait dit que l'Union européenne ne se donnera pas la peine de réformer sa politique agricole commune si les Américains ont l'intention de saboter le régime au moyen du système de règlement des différends. L'Union européenne isolera la réforme agricole dans l'accord sur l'agriculture et évitera que ce domaine ne soit englouti dans l'ensemble de l'OMC, où tant d'accords ont été négociés sans tenir compte de l'agriculture. C'est ce qui a causé le problème. Au début des années 80, tous les différends en matière d'agriculture étaient dus au fait que l'on essayait d'appliquer divers accords, comme ceux du Tokyo Round, à l'agriculture. À mon avis, l'échec du Tokyo Round en matière d'agriculture a grandement nui au commerce agricole du début des années 80. M. Miner était là à cette époque, et il aura peut-être une opinion plus claire que moi à ce sujet.
J'estime que la clause de paix joue un rôle très important pour limiter la portée et la gamme des différends en matière d'agriculture. Toutefois, il expire bientôt. Son application est assujettie à une date limite. Cela nous incite à relever nos manches dans ces négociations pour les achever.
Le vice-président: Si je semble un peu ému, c'est que j'ai travaillé durant toute ma carrière à mettre sur pied l'industrie de l'agriculture, à travailler avec les provinces, et cetera. Je m'inquiète de l'institution non démocratique que l'on est en train de créer. J'ai participé à plusieurs réunions internationales, et je sais ce qui se produit après le départ du ministre, qu'il s'agisse d'une réunion de l'OCDE, du Conseil mondial de l'alimentation, de la FAO ou d'autres organismes. En prenant connaissance de certaines décisions, je me demandais si j'avais bien participé, en ma qualité de ministre, à ces réunions.
Je vous signale ce qui se passe maintenant aux États-Unis. Je ne pense pas que vous aurez du succès auprès de l'OMC. D'après un article que j'ai lu, un projet de loi américain est en train de créer un cartel laitier. Lors de notre étude de la STbr, nous avons entendu des gens dire qu'ils auraient aimé avoir notre système, car d'une semaine à l'autre ils ne savent pas s'ils vont recevoir le paiement de leur lait. Il n'y a personne d'autre dans notre société qui subit les effets de fluctuation de revenus des cultivateurs. Par exemple, avec le Pacte de l'automobile que nous avons au Canada, nous avons un surplus de 11 milliards de dollars. C'est la machine économique qui fait marcher l'Ontario essentiellement. Mais il a été exclu de l'accord; il y a eu une disposition spéciale à cet effet dans l'ALENA. Ce pacte existe depuis 1965.
Il y a bien des choses qui paraissent injustes. Je me rappelle un parlementaire français qui disait qu'au train où vont les choses on va bientôt se passer des assemblées élues. J'aurais beaucoup de réticence à accorder ce genre de pouvoir à un groupe à l'extérieur du Canada, les autorisant ainsi à prendre des décisions pour nous, le «peuple», comme disait Havel. Le Canada aujourd'hui est en train de subir les effets du faible revenu de ces personnes. Elles font face à des difficultés économiques, et nous nous contentons de parler de mondialisation pendant que ces gens se font bouffer. On est en train de les détruire. Cela ne se passe pas ainsi dans la Communauté européenne. Vous avez entendu l'observation du sénateur Hervieux-Payette. C'est une observation importante. Voici l'exemple d'un parlementaire citadin qui se rend en Europe pour voir ce qui s'y passe. Je ne crois pas un seul instant que les parlementaires européens vont suivre la direction que vous imaginez, parce qu'ils ont peur de la révolution. Si le Canada n'était pas aussi grand et si je n'étais pas si vieux, j'envisagerais sérieusement moi-même de mener une révolution. Personne ne semble plus prêter attention à ce qui se passe dans l'agriculture.
Le sénateur Robichaud: Je pensais que M. Miner avait quelque chose à ajouter. J'aimerais bien l'entendre.
M. Miner: Votre question portait sur le rythme des négociations et aussi sur l'intérêt pour nous de progresser rapidement ou non. Je pense que cela devrait être largement déterminé par l'idée que se font les secteurs de la meilleure façon de veiller à leurs intérêts dans les marchés qui se profilent à l'horizon, c'est-à-dire les nouveaux marchés intégrés. Je crois que ce phénomène va continuer à se produire. Chaque secteur devra faire sa propre évaluation de la situation. Lorsque cela se produira, les subventions vont constituer la cible principale, surtout les subventions à l'exportation, et il sera également question de l'accès. Plus vite on pourra régler ces aspects pour un secteur donné, mieux ce sera. Je pense que certains se sont exprimés à ce sujet ce matin.
D'un autre côté, il y a aussi les éléments que nous voudrons garder. Certaines pressions vont se faire sentir. J'ai parlé du niveau des tarifs. On m'a demandé dans un autre comité ce que j'entendais par «tarifs maximums», parce que j'avais dit que des pressions se feraient sentir à ce niveau. J'ai dit que dans notre cas, ce sont les tarifs que nous préférons, mais d'autres préconisent un niveau plus élevé. Il y aura certainement des pressions. Je ne dis pas qu'il faudra nécessairement les changer, mais dans le cadre de négociations on est poussé à faire des changements.
J'estime que le groupe de négociations, doit avoir une idée très claire de ce qu'il veut obtenir pour chaque sous-secteur et du calendrier approprié, et ensuite formuler une stratégie en conséquence en collaborant avec les pays nord-américains qui partagent les mêmes objectifs, tout en gardant à l'esprit que ces pays ont aussi leurs intérêts en matière d'importation. Certains ont été mentionnés par rapport aux États-Unis. Il s'agit de trouver le bon équilibre.
Le vice-président: Le président du comité, le sénateur Gustafson, est en train de semer ses céréales et ses graines oléagineuses; il n'a donc pas pu assister à cette réunion. En son nom, je voudrais vous remercier tous les deux de votre exposé.
J'ai participé une fois à un débat avec M. Wolfe à l'Université Queen's. Je ne me rappelle pas comment cela s'est passé, mais je pense qu'on a dû s'entendre, parce que je n'ai pas de mauvais souvenir de cette expérience. Je voudrais vous remercier de votre exposé de ce matin. J'ai lu certains de vos documents, et on m'a recommandé aussi votre livre, mais malheureusement je n'ai pas eu le temps de le lire.
Comme vous pouvez le voir, les membres de ce comité sénatorial ont fait du très bon travail. Nous comptons parmi nous des personnes qui ont des années d'expérience au gouvernement. Nos membres ont voyagé dans l'ouest du Canada, ils ont eu des réunions ici, et ils sont aussi allés en Europe.
Je n'ai pas accompagné le comité lors de son voyage en Europe, mais lorsque j'ai assisté à des réunions de l'OEC il y a plusieurs années, j'étais là avec les ministres de l'Allemagne de l'Ouest, de l'Italie et des Philippines. À nous quatre nous cumulions 51 ans d'expérience. Mais nous n'étions pas toujours d'accord. Si l'un de nous avançait un argument de façon assez convaincante, parfois il l'emportait et changeait complètement l'issue de la réunion.
Je ne suis pas d'accord avec ceux qui prétendent que nous sommes un petit pays et que nous n'avons pas tellement d'influence. Nous sommes bien respectés sur le plan mondial pour notre position et nos connaissances. Nous avons fait venir des gens de beaucoup de grands pays au Canada pour leur montrer comment nous avons réussi à bâtir cette industrie agricole dans l'une des confédérations les plus faibles du monde par comparaison à celle des États-Unis, qui exerce un contrôle total.
La séance est levée.