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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 5 - Témoignages du 18 novembre


OTTAWA, le mardi 18 novembre 1997

Le comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui à 9 h 35 pour examiner l'état du système financier canadien (investisseurs institutionnels).

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, il s'agit aujourd'hui de la première d'une série de séances portant sur les investisseurs institutionnels qui auront lieu au cours des trois prochains jours et lorsque le Parlement reprendra ses travaux après le congé de Noël.

Vous vous souviendrez que la question avait été soulevée lorsque nous avons étudié, il y a environ un an, les dispositions relatives à la régie des sociétés qui devaient s'appliquer à la Loi sur les sociétés par actions. Plusieurs témoins avaient soulevé des questions sur le rôle des investisseurs dans l'économie en général, leurs mécanismes de reddition des comptes et leur incidence sur les sociétés dans lesquelles ils investissent. Le comité a donc décidé -- avec l'encouragement actif de cadres supérieurs au Canada, de présidents du conseil de grandes sociétés sans pouvoir exécutif et quelques grandes caisses de retraite -- d'entreprendre une étude sur le rôle des investisseurs institutionnels, leurs pratiques de régie interne et leur incidence sur la régie des entreprises dans lesquelles ils investissent.

Nous commençons cette étude aujourd'hui et nous entendrons trois experts qui nous donneront un aperçu des sujets que nous devrions aborder avec les futurs témoins.

À vous la parole.

M. Jeffrey G. MacIntosh, faculté de droit, Université de Toronto: Honorables sénateurs, je suis heureux d'être ici ce matin pour vous présenter mon point de vue. Ces audiences porteront sur deux sujets qui ne sont pas simples -- le rôle des investisseurs institutionnels dans la régie des sociétés ainsi que dans leur propre régie interne.

Permettez-moi d'abord de vous raconter ce qu'un spécialiste du droit des sociétés nommé Theodore Geisel a écrit il y a de nombreuses années à propos de ces problèmes. Il disait:

Si vous saviez à quoi les gens s'occupent! Là-bas dans l'Ouest, près de Guéguet, il y avait un guetteur d'abeilles de Guéguet. Son travail consistait à ne pas quitter du regard l'abeille paresseuse du village. Une abeille que l'on guette travaille plus fort, vous voyez.

Eh bien, il guettait et guettait. Mais malgré son guet, cette abeille ne travaillait pas plus fort. Pas une goutte de miel de plus.

Alors quelqu'un a dit: «Notre vieux guetteur d'abeille ne guette pas aussi fort qu'il le peut. Il faudrait le faire guetter par un autre guetteur de Guéguet. Il nous faut un guetteur de guetteur d'abeille.»

Le guetteur de guetteur d'abeille guetta le guetteur d'abeille. Il ne guettait pas bien. Alors un autre guetteur de Guéguet dut devenir le guetteur du guetteur du guetteur d'abeille! Et aujourd'hui, tous les gens de Guéguet guettent le guetteur du guetteur qui guette le guetteur du guetteur qui guette l'abeille. Vous ne venez pas de Guéguet, vous avez de la chance!

Vous avez probablement deviné que Theodore Geisel est aussi connu sous le nom de Dr Seuss. Je pense que l'histoire du Dr Seuss résume très bien les questions sur lesquelles nous devons nous pencher aujourd'hui.

Sénateurs, vous venez de Guéguet. En réalité, à mon avis, vous êtes des guetteurs du guetteur de l'abeille, ce qui veut dire que l'abeille du village, pas trop paresseuse, je l'espère, ce sont les sociétés canadiennes, et le guetteur de l'abeille, ce sont les institutions canadiennes. Je suppose que le guetteur du guetteur du guetteur, ce sont les gens qui profitent des institutions et je crois que le comité se trouve à un palier au-dessus.

Maintenant que j'ai semé la confusion la plus totale dans vos esprits, permettez-moi de commencer à parler de manière un peu sensée des investisseurs institutionnels canadiens.

Premièrement, je voudrais aborder le thème des investisseurs institutionnels et de la régie des sociétés. La question clé est la suivante: voulons-nous que les investisseurs institutionnels participent d'une façon ou d'une autre à la régie des sociétés? Je crois que de nombreux dirigeants d'entreprise vous répondront que non, qu'ils ne veulent pas que les investisseurs institutionnels jouent un rôle dans la régie des sociétés. Les dirigeants d'entreprise vous diront que ces guetteurs ne connaissent rien du travail des abeilles et qu'ils veulent que les abeilles fassent des choses pas très catholiques.

Les faits prouvent cependant le contraire. Les investisseurs institutionnels ont un rôle utile à jouer dans la supervision des sociétés canadiennes. La théorie et la pratique appuient ce point de vue.

Du point de vue théorique, on pourrait s'attendre à ce que les investisseurs institutionnels surveillent mieux que les investisseurs particuliers simplement parce que les montants en jeu sont beaucoup plus élevés. Ils seront donc probablement beaucoup plus intéressés de savoir qui dirige les sociétés dans lesquelles ils ont investi.

Du point de vue pratique, un grand nombre de faits appuient l'idée que la participation des investisseurs institutionnels améliore le rendement des sociétés. Ainsi, aux États-Unis, la caisse qui a participé le plus activement à la régie des sociétés est le CALPERS, le California Public Employee Retirement System. J'aimerais vous renvoyer à une étude qui a été menée sur le CALPERS.

Ils ont pris dix des titres de leur portefeuille qui donnaient le pire rendement chaque année. Après qu'ils ont eu participé au redressement de ces dix sociétés, le rendement a augmenté d'environ 50 p. 100 dans les années qui ont suivi, autrement dit, il a dépassé le rendement normal du marché d'environ 50 p. 100. Si vous aviez investi dans les sociétés auxquelles le CALPERS s'est intéressé, vous auriez fait d'excellentes affaires. Le programme de régie des sociétés du CALPERS semble donner de très bons résultats.

De concert avec un économiste, j'ai fait une étude sur les institutions canadiennes. Nous avons constaté que, lorsque les institutions sont des actionnaires importants, le rendement sur l'actif et sur les capitaux propres a tendance à être plus élevé. Il y a une foule d'autres preuves empiriques, que je ne prendrai pas le temps de vous expliquer maintenant, mais dont il pourra être question quand vous m'interrogerez.

Beaucoup de preuves circonstancielles démontrent que les institutions ont joué un rôle positif dans la régie des sociétés au Canada, à partir de 1986 environ, lors de la recapitalisation de Crownx, lorsque les investisseurs institutionnels sont intervenus pour s'opposer à une recapitalisation en deux catégories et ont réussi à convaincre la société d'abandonner sa proposition; ainsi que lors de la transaction relative à Canadian Tire, en 1986-1987 également. De nos jours, il se passe rarement une semaine sans qu'on lise dans les journaux qu'un investisseur institutionnel ou un groupe d'investisseurs institutionnels a exercé une influence sur la régie d'une société quelque part, que se soit par rapport à une pilule empoisonnée, à un régime de rémunération des dirigeants ou une autre question du genre.

De nombreuses preuves démontrent que les investisseurs institutionnels font des choses utiles dans la régie des sociétés et que nous devrions les encourager dans ce sens.

Quel rôle reste-t-il au comité? Il me semble que diverses contraintes juridiques rendent les investisseurs institutionnels un peu moins actifs qu'ils pourraient l'être. J'en décrirai trois, qui évoqueront des souvenirs chez les sénateurs puisqu'il en a été question l'an dernier dans vos séances générales sur la régie des sociétés. Je les mentionne parce qu'ils ont une incidence sur la façon dont les investisseurs institutionnels exercent leurs activités.

Le premier est l'absence de scrutins confidentiels, un enjeu important en ce sens qu'un grand nombre d'institutions ne participent pas à la régie des sociétés à cause des conflits d'intérêts. Les banques et les sociétés d'assurance-vie sont presque complètement absentes de la régie des sociétés. Ce sont les caisses de retraite qui ont été actives, en particulier les caisses publiques. Les banques ne sont pas des actionnaires importants, mais ce n'est pas le cas des sociétés d'assurance-vie. L'une des causes de cette non-participation à la régie des sociétés, ce sont les conflits d'intérêts; autrement dit, on ne veut pas s'intéresser aux questions de régie interne lorsque cela pourrait mettre à dos des clients actuels ou éventuels, à savoir les sociétés à qui les assureurs émettent des polices d'assurance ou voudraient en émettre. Le problème des conflits d'intérêts est un aspect essentiel du rôle des investisseurs institutionnels sur les marchés financiers canadiens.

Si les scrutins confidentiels étaient institués, les dirigeants ne pourraient pas punir les investisseurs institutionnels d'avoir voté d'une manière qui semble contraire aux intérêts de la direction.

Une autre contrainte juridique touche aux règles relatives aux procurations. Cette question fait l'objet d'un examen au Canada depuis quelques années. Il s'agirait de permettre aux actionnaires de communiquer efficacement et de manière non officielle sans qu'une circulaire sollicitant des procurations soit nécessaire.

La dernière contrainte est le seuil d'une offre publique d'achat qui, dans la Loi sur les sociétés par actions, est fixé actuellement à 10 p. 100. Il faudrait le porter à au moins 20 p. 100 pour qu'il soit conforme aux lois provinciales.

J'aborderai brièvement la régie des institutions, en mettant l'accent sur la régie des caisses de retraite, qui constitue peut-être le problème de régie le plus pressant dans le secteur institutionnel.

De toute évidence, la régie des caisses de retraite est une question importante. Maintenant que le Régime de pensions du Canada commence à s'effilocher, il est évidemment important que les caisses de retraite privées fournissent un filet de sécurité aux Canadiens qui prennent leur retraite.

Le problème de la régie des caisses de retraite est, à de nombreux égards, plus compliqué que celui de la régie des sociétés, en ce sens que les contrôles du marché qui s'appliquent à l'activité des dirigeants d'entreprise ne s'appliquent pas aux caisses de retraite. Ainsi, lorsqu'une équipe de gestion d'une société ne donne pas de bons résultats, il peut y avoir une offre publique d'achat hostile, par laquelle les dirigeants sont remplacés par une nouvelle équipe de gestion. Il n'existe tout simplement pas le même genre de mécanisme de marché lorsqu'une caisse de retraite ne donne pas de bons résultats; il n'y a pas non plus le même genre de surveillance directe par les propriétaires véritables des caisses de retraite que celui qui existe dans une société privée où les actionnaires peuvent remplacer directement les dirigeants. Le problème de la régie est très difficile à résoudre.

Le comité trouvera peut-être utile de se concentrer sur la question de savoir qui devrait contrôler le conseil d'administration de la caisse de retraite. C'est l'un des grands enjeux. Nous devrions nous demander qui est dans une position la plus semblable à celle des actionnaires d'une société privée? Qui a un intérêt le plus semblable à celui de l'ayant droit résiduel dans une société? Il y a de bonnes raisons de croire que ceux dont le droit correspond le plus à celui de l'ayant droit ont le plus grand intérêt à diriger la caisse de retraite. Dans un régime à prestations déterminées, c'est la société elle-même. L'entreprise, en sa qualité de parrain, doit combler tout écart dans le régime à prestations déterminées et, de nos jours, dans les régimes récents tout au moins, elle aura pris des mesures pour s'emparer de l'excédent, le cas échéant. Elle ressemble donc beaucoup plus à l'ayant droit résiduel qu'aux bénéficiaires du régime.

Dans un régime à cotisations déterminées par contre, les bénéficiaires du régime assument le risque résiduel. Ils devraient donc peut-être jouer un rôle beaucoup plus actif dans la régie de la caisse, étant évidemment entendu que les employés ont grandement besoin de conseils d'experts pour établir la structure d'un régime à cotisations déterminées afin d'être assez renseignés pour choisir les solutions qui correspondent à leurs préférences en matière de risques et à leur horizon prévisionnel.

Je m'en tiendrai là. Je suis convaincu que mes remarques susciteront nombreuses questions. Je cède la parole à mes confrères.

Le président: Merci, professeur MacIntosh.

Monsieur Por, vous avez la parole.

M. John Por, président, Cortex Applied Research Inc.: Je limiterai mes observations à la régie des grandes caisses de retraite du secteur public, et ce, pour plusieurs raisons. Premièrement, les caisses sont gigantesques et elles peuvent exercer une influence énorme sur l'économie. Pour vous donner une idée de l'ampleur de cette influence, je signale qu'en 1996, les quinze plus grosses caisses de retraite du secteur public au Canada avaient un actif total de plus de 150 milliards de dollars. Il faut comparer ces chiffres aux 50 milliards de dollars investis dans les quinze plus grosses caisses de retraite du secteur privé. Les montants actuels sont probablement supérieurs d'environ 30 p. 100 à ces chiffres, à cause de l'évolution du marché.

Le président: Alors l'actif des quinze plus grosses caisses de retraite publiques est environ trois fois plus élevé que celui des caisses privées.

M. Por: C'est une bonne façon de voir les choses. Une autre façon consiste à dire que, tandis que les caisses du secteur privé ne progressent pas autrement que par la croissance de l'actif, les caisses du secteur public grossissent aussi à cause des cotisations considérables qui y sont versées.

Tandis que les caisses de retraite privées sont contrôlées administrativement par des conseils d'administration et des dirigeants habitués à la portée des décisions en cause, les caisses de retraite publiques sont habituellement dirigées par des conseils d'administration dont les membres ne prennent que rarement des décisions semblables dans leur travail quotidien. Les membres des comités de placement des caisses privées prennent régulièrement des décisions financières importantes, tandis que les membres des conseils de caisses de retraite publiques ne le font que très rarement.

La difficulté que pose cette tâche est accentuée par le fait que les principes de la prise de décisions collective, de la délégation, de la régie interne, des mécanismes d'information financière et des systèmes de contrôle financier efficaces, la nature très variée des marchés financiers, les risques liés à la non-concordance de l'actif et du passif, et cetera ne sont pas des notions que l'on peut acquérir facilement grâce à des lectures générales.

La troisième observation est que, les régimes publics ont été créés il y a 25 ou 30 ans afin de surveiller l'administration des prestations de retraite, mais ils sont devenus avec le temps des organisations qui investissent une fraction importante des capitaux canadiens et, à vrai dire, des capitaux en Amérique du Nord. Il importe de souligner que depuis leur établissement par voie législative, on n'a jamais vraiment tenté de les adapter à leur nouveau rôle. Afin de changer, la législation doit changer et ce n'est pas une sinécure.

Par ailleurs, ces caisses subissent des pressions énormes pour qu'elles représentent les intérêts compréhensibles mais particuliers et pas toujours impartiaux d'un groupe de participants très varié, sans critères convenus ni objectifs pour mesurer leurs succès. De nombreux articles ont été écrits et les théories abondent concernant la façon de mesurer le succès des grandes caisses de retraite du secteur public. Le débat fait encore rage sans qu'une solution précise soit en vue.

Qui a des intérêts à défendre? Les participants qui recherchent toujours à cotiser le moins possible tout en ayant droit aux prestations les plus élevées possibles; les syndicats -- plus de contrôle, meilleures pensions, cotisations moins élevées; les groupes d'employeurs -- plus d'influence, cotisations moins élevées; les gouvernements -- sources de recettes éventuelles; le personnel des caisses -- revenu plus élevé, progression de carrière. Il y a aussi les fournisseurs de services, les gestionnaires en placement, les actuaires, les consultants, les avocats, les comptables, les dépositaires, pour qui ces caisses constituent une source de revenus très appréciable.

Les caisses du secteur privé doivent aussi tenir compte des intérêts opposés. D'habitude, les actionnaires qui ont des intérêts opposés ne siègent pas au conseil d'administration et ne participent pas directement à la prise des décisions.

Nous avons constaté qu'une fois établis, les conseils des caisses de retraite n'ont pas de processus bien définis de transfert et de sélection pour s'assurer que leurs membres ont l'expérience, les connaissances et les compétences nécessaires pour remplir leurs obligations fiduciaires. D'habitude, les nominations sont effectuées par les groupes d'intéressés, qui peuvent être les gouvernements, les employeurs, les syndicats. Le processus de sélection est donc fortement influencé par des facteurs externes au paradigme de la bonne régie et des obligations fiduciaires. On pourrait très bien faire valoir qu'un cycle de conseils d'administration faibles qui entraîne des conseils plus faibles et des dirigeants encore plus faibles peut s'installer, à cause de la nature des régimes à prestations déterminées, et ce sont les contribuables qui en souffrent.

Compte tenu de ces problèmes, les pratiques de régie des grandes caisses de retraite du secteur public devraient, à notre avis tout au moins, être examinées dans le but d'établir des lignes directrices pour redresser la situation. Voici quelques aspects à considérer.

Comment pouvons-nous nous assurer que les conseils rendent des comptes? Le conseil d'administration ne réussit peut-être pas à diriger efficacement et les contribuables sont pénalisés parce qu'ils paient des impôts plus élevés. Les gouvernements, au moins, sont élus périodiquement. Les conseils d'administration des caisses de retraite -- on peut l'affirmer avec une certaine inquiétude -- ne rendent habituellement de comptes à personne une fois qu'ils sont établis.

Comment les conseils peuvent-ils s'assurer qu'un nombre important de leurs membres ont l'envergure, l'expérience, les connaissances et, essentiellement, le temps nécessaires pour surveiller les opérations complexes en cause, qui comprennent notamment la gestion des placements, les systèmes d'information, les communications et la gestion des risques?

Quels sont les mécanismes en place et quels types de mécanismes peut-on mettre en place pour éviter que la pression des groupes intéressés l'emporte sur les obligations fiduciaires?

Étant donné que les conseils d'administration nomment le pdg d'une caisse de retraite et que les administrateurs sont nommés par les groupes qu'ils représentent, comment le pdg peut-il maintenir son indépendance face aux pressions des groupes représentés? Où est la ligne de démarcation claire entre les fonctions du conseil et celles du personnel de direction? Comment s'assurer que les conseils d'administration ne font pas de la micro-gestion?

Quelles sont les mesures du succès d'un régime et d'une caisse de retraite du secteur public? Quels mécanismes sont en place pour que les caisses de retraite appliquent les meilleures pratiques de régie -- qui sont suspectes, car qui sait quelles sont les meilleures pratiques? Comment les conseils d'administration s'assurent-ils qu'en tant qu'entité, ils possèdent et continuent de posséder les connaissances et l'information directes nécessaires pour remplir leurs obligations fiduciaires?

M. Keith P. Ambachtsheer, président de Keith P. Ambachtsheer & Associates Inc.: Honorables sénateurs, je n'ai aucun poème à vous lire en guise d'entrée en matière. Si je réfléchis un instant, le mot qui me vient à l'esprit c'est «convergence». J'ai témoigné hier matin devant le comité des finances de la Chambre des communes au sujet du projet de loi C-2. La séance d'hier matin portait justement sur l'Office d'investissement du RPC.

J'ai pris la liberté de changer simplement le titre de mon exposé; essentiellement, le contenu est identique. J'agis ainsi en partie pour exprimer l'idée que nous vivons dans un monde de convergence et que certaines de ces questions recoupent de manière très intéressante le thème général de la régie et les questions très substantielles qui sont à l'étude à la Chambre des communes.

Je conseille de grands régimes de pension dans le monde entier sur la régie, les finances et les placements depuis une vingtaine d'années. L'une de mes expériences les plus intéressantes au fil des années a été ma participation aux travaux du comité de travail sur la politique de placement du RPC, qui avait été chargé de réunir quelques idées sur la structure de l'Office d'investissement du RPC.

C'est dans ce contexte que je veux vous présenter quelques idées en guise d'introduction. Nous verrons ensuite où elles nous mèneront.

Tout comme les trois choses qui importent le plus dans l'immobilier sont «l'emplacement, l'emplacement et l'emplacement», les trois choses qui importent le plus dans la gestion des grands régimes de pension sont «la régie, la régie et la régie».

Deuxièmement, ce n'est plus seulement une opinion. Une grande étude que nous venons tout juste de terminer a porté sur 79 grandes caisses de retraite américaines et canadiennes et une caisse de retraite néerlandaise. Nous avons pu établir un lien statistique important entre le rendement et la structure de l'organisation. Fait intéressant à souligner, nous avons découvert que le facteur le plus important du rendement organisationnel, calculé à l'aide d'un instrument de mesure normalisé depuis quelques années, est la qualité du conseil d'administration.

Je précise que cette étude a été parrainée par huit grandes caisses de retraite du monde entier, dont deux canadiennes -- l'OMERS et le Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l'Ontario. Il y avait trois grandes caisses de retraite américaines -- le CALPERS, dont a parlé le professeur MacIntosh, ainsi que celles du Wisconsin et de la Floride. Il y avait deux grandes caisses privées américaines, celles d'AT&T et d'IBM; et enfin, la grande caisse de retraite de la fonction publique néerlandaise. La valeur globale de ces huit caisses dépasse 500 milliards de dollars. Nous pourrons revenir sur l'analyse plus tard si vous le voulez.

Cette étude très récente n'a pas encore été publiée. L'une des entreprises avec lesquelles je travaille élabore les instruments de mesure normalisés relatifs au rendement organisationnel. C'est habituellement beaucoup plus difficile à faire dans les sociétés cotées à la Bourse.

Ils sont encore en train de mettre au point une mesure normalisée de la valeur ajoutée économique. Une entreprise avec laquelle je travaille a mis au point une mesure de la valeur ajoutée nette rajustée en fonction des risques, qui est justement la mesure du rendement organisationnel que je viens d'évoquer.

Avant cette étude, nous avions déjà établi qu'il existait un lien statistique important et positif entre le rendement et la taille d'une caisse de retraite -- les actifs gérés. Autrement dit, nous avons constaté que, en moyenne, les caisses de retraite importantes ont un meilleur rendement que les petites. Il y a là une dimension importante dont nous devrions tous nous rappeler. Évidemment, la question qui se pose est pourquoi en est-il ainsi?

Une réponse directe est simplement les économies d'échelle. La gestion d'une caisse est une activité où les économies d'échelle jouent un rôle extrêmement important. Vous pouvez comprendre pourquoi. À mesure que l'actif augmente, le coût de la gestion n'augmente pas au même rythme. Les coûts unitaires diminuent considérablement pour les caisses de grande envergure.

Un autre facteur qui n'est peut-être pas aussi évident est la capacité des grandes caisses de se structurer comme des entreprises, avec des conseils d'administration et des équipes de gestion formées d'experts qui ont des mandats très clairs sur la façon de gérer les opérations et les objectifs à atteindre. Ces équipes de gestion peuvent à leur tour embaucher du personnel spécialisé dans les domaines visés pour s'acquitter de leurs responsabilités.

Une question subtile qui se pose dans ce monde des investissements institutionnels a été posée dans le titre d'un rapport publié par le groupe de travail du secteur public de l'Ontario en 1987 et qui demandait Dans l'intérêt de qui? Il est extrêmement important de se rappeler que les régimes de retraite ont besoin de mécanismes de régie prévoyant le mandat clair de défendre les intérêts de leurs participants plutôt que ceux des divers fournisseurs, des courtiers en valeurs, des gestionnaires en placement, qui cherchent tous à offrir leurs services aux régimes de retraite. Il est extrêmement important de créer ce que les économistes appelleraient une symétrie de l'information entre les acheteurs et les vendeurs. Il faut que les acheteurs aient la même quantité de connaissances sur leurs affaires et sur le fonctionnement du marché que les vendeurs. Voilà la raison plus subtile pour laquelle nous constatons que les grandes caisses de retraite ont un meilleur rendement organisationnel que les petites.

La qualité et la taille de la structure organisationnelle sont évidemment des facteurs très importants pour l'Office d'investissement du RPC, qui deviendra un grand investisseur institutionnel d'ici six ou sept ans. Les chiffres les plus récents que j'ai lus quelque part varient de 75 à 100 milliards de dollars d'actifs, ce qui ne le rend pas plus gros que la Caisse de dépôt et placement du Québec ni que le Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l'Ontario, dont l'actif est actuellement de 50 milliards de dollars. Voilà l'ordre de grandeur. Il est impossible de penser uniquement en termes nationaux. Il faut voir le système dans un contexte planétaire, où des caisses de retraite de 50 à 100 milliards de dollars sont monnaie courante.

L'autre point que je veux faire observer est qu'on a maintenant donné le feu vert à une transformation du régime de retraite de la fonction publique à Ottawa, qui, jusqu'ici, à été géré essentiellement en fonction des flux de l'encaisse et où les liquidités nettes positives servent à acheter des débentures non négociables de l'État qui fructifient par la suite. Ce régime est en train de se réorganiser pour devenir un autre régime autonome, dont la structure détaillée reste à déterminer. Cela représente une autre caisse de 60 milliards de dollars, ce qui n'est pas loin du montant nécessaire pour jouer un rôle important sur nos marchés financiers.

En ce qui concerne les différents protagonistes dans les caisses de retraite, il y a les administrateurs fiduciaires, en réalité le conseil d'administration. Il y a les dirigeants fiduciaires, généralement les personnes chargées de diriger les opérations; et le personnel fiduciaire, ceux à qui des tâches particulières sont déléguées.

Ce que je veux faire ressortir -- et c'est certainement pertinent dans le cas de l'Office d'investissement du RPC qui est en train d'être créé -- c'est que le rendement du régime dépend en grande partie de la qualité des douze personnes qui sont nommées et à qui on délègue le pouvoir de créer une structure de gestion donnant une orientation à cette organisation et à qui on demande d'informer les Canadiens sur le rendement du régime.

Ma dernière observation -- et les gens qui me connaissent savent que je ne rate jamais une occasion de la faire -- est la suivante. Je l'ai constaté il y a dix ans, mais la plupart des gens reconnaissent désormais que nous vivons dans un monde planétaire où les marchés financiers sont planétaires. Avec le plafond de 20 p. 100, essayer de gérer la fraction des actifs que les caisses canadiennes doivent investir au Canada devient de plus en plus déplacé. Je suis devant un bon auditoire pour exprimer cette opinion. Je crois -- et j'espère que M. Martin sera d'accord -- que nous devons presque abandonner ce plafond afin que les caisses de retraite canadiennes ne soient pas pénalisées. Nous vivons dans un monde planétaire et nous devons accepter cette réalité.

Le président: Merci beaucoup.

J'aimerais poser la première question. Vous avez parlé des investisseurs institutionnels et des caisses de retraite et de la différence entre les caisses du secteur privé et celles du secteur public. De nombreux Canadiens placent leurs économies sur le marché, par l'entremise de fonds communs de placement ou directement. Ces investisseurs individuels devraient-ils se soucier du résultat de ce genre d'étude ou de la régie des investisseurs institutionnels, ou les dirigeants des grandes sociétés dans lesquelles ces sommes sont investies et les investisseurs institutionnels devraient-ils être les seuls à s'en soucier?

M. Ambachtsheer: J'ai participé à la rédaction d'une étude -- qui a été publiée jeudi dernier -- de l'ACPM, l'Association of Canadian Pension Management, portant sur l'ensemble du système national de revenu de retraite du Canada. Il y est question des trois piliers: le soutien du revenu minimum; le RPC/RRQ; et le secteur volontaire, qui se divise en régimes de pension de l'employeur et en une foule de possibilités de placements collectifs ou individuels dans des REER, les placements individuels sur le marché financier s'effectuant souvent par l'entremise de l'industrie des fonds communs de placement.

Nous faisons ressortir dans ce document que nous devrions tous nous inquiéter du déséquilibre de l'information entre les acheteurs et les vendeurs dans le système actuel. Une statistique intéressante a été publiée il y a quelques semaines dans une revue d'affaires canadienne. Dans un sondage où l'on a demandé à 2 000 Canadiens s'ils savaient combien ils payaient en frais d'administration aux fonds communs de placement, 45 p. 100 d'entre eux ne savaient même pas qu'ils payaient quelque chose. C'est effarant. Nous soutenons dans ce document de l'ACPN qu'il s'agit d'un grave problème d'information, parce que, quand le marché rapporte 20 p. 100 par année, on peut se permettre de payer 2 p. 100. Mais pour l'avenir, quand il est réaliste de s'attendre à un rendement qui n'atteint pas les deux chiffres, à un rendement nominal de 7 ou 8 p. 100 à long terme, la règle dans le domaine des pensions est que chaque réduction du rendement d'un point de pourcentage représente une réduction de la pension de 20 p. 100. Comparez ces frais de 2 p. 100 à ceux de la Fédération des enseignantes et des enseignants de l'Ontario, qui s'établissent à un dixième de 1 p. 100. L'écart est énorme et personne n'en sait rien. Ce facteur est important pour comprendre le troisième pilier et les facteurs économiques en jeu.

M. MacIntosh: Mon observation sera de nature un peu différente.

Les investisseurs institutionnels jouent un rôle vital, comme je l'ai indiqué, pour que les gestionnaires gèrent de manière disciplinée. Les investisseurs institutionnels en profitent, mais aussi les petits épargnants, surtout lorsque les marchés deviennent plus efficients et qu'il devient beaucoup plus difficile pour un petit épargnant, mais aussi pour l'investisseur institutionnel, d'avoir le dessus sur le marché en s'appuyant sur l'information qu'il trouve dans le journal du matin.

Les investisseurs institutionnels protègent non seulement leurs intérêts mais aussi ceux des resquilleurs, si vous me permettez l'expression, en ce sens que si les sociétés sont généralement bien dirigées dans notre économie, tous les investisseurs en profitent.

De plus, les investisseurs institutionnels effectuent actuellement la plupart des opérations sur les marchés financiers canadiens.

L'efficience de l'établissement des prix sur le créneau où se trouvent les investisseurs institutionnels actifs est beaucoup plus grande que sur le créneau où ne se trouvent que des particuliers.

Voici une autre situation où les particuliers sont, en un sens, des resquilleurs. Autrement dit, parce qu'ils protègent leurs propres intérêts, font beaucoup d'opérations et s'assurent que les cours des actions traduisent toute l'information disponible, les investisseurs institutionnels font une faveur à tous ceux qui achètent et vendent des titres.

M. Por: Je voudrais ajouter ce qui suit aux propos de M. Ambachtsheer. Si, peu importe pour quelle raison, ces grandes caisses de retraite du secteur public ne donnent pas un rendement aussi bon qu'elles le pourraient ou le devraient, les contribuables devront payer la note parce que les prestations sont déterminées. C'est la nature même des régimes de retraite à prestations déterminées. L'investisseur du secteur privé ne devrait pas être le seul à examiner cette question à fond. Tous ceux d'entre nous qui, d'une façon ou d'une autre, sont des contribuables de ce pays devraient s'y intéresser, parce que nous devons payer la différence.

Le sénateur Kolber: D'abord, moi aussi je suis un mordu du Dr Seuss et j'ai bien aimé ce que vous avez dit.

Au sujet de la confidentialité, vouliez-vous dire lorsque vous expédiez votre procuration?

M. MacIntosh: Le principe du scrutin confidentiel est que la direction ne voit jamais comment les gens votent; elle ne voit jamais les procurations. La plupart des actionnaires votent évidemment par procuration. Si je comprends bien la situation actuelle, la direction est en mesure de savoir comment les actionnaires ont voté.

Si nous concevions des mécanismes pour empêcher cela et pour protéger le caractère confidentiel du vote des institutions ou des autres investisseurs, nous réglerions peut-être en partie le problème des conflits d'intérêts.

Le sénateur Kolber: Je ne vois pas comment, mais c'est une idée.

Il me semble qu'il est question d'une foule de sujets. Il y a d'abord celui des investisseurs institutionnels par rapport aux sociétés. Comment cela se manifeste-t-il dans une loi ou dans un organisme réglementaire? Pourquoi un investisseur institutionnel devrait-il être traité différemment des autres actionnaires qui veulent se faire entendre? Je ne comprends pas très bien où vous voulez en venir.

M. MacIntosh: Je n'ai pas affirmé que les investisseurs institutionnels devraient être traités différemment. En ce qui concerne, par exemple, les règles relatives aux procurations, l'argument est que ces règles devraient être conçues de manière à rendre possibles les communications informelles entre les investisseurs sans qu'il faille déclencher le mécanisme d'une circulaire de la direction sollicitant des procurations. Cela vaut pour tous les actionnaires. Je n'essaie pas de faire une distinction entre les investisseurs institutionnels et les autres actionnaires.

Le sénateur Kolber: Du point de vue gouvernemental, que feriez-vous qui ne se fait pas déjà?

M. MacIntosh: Je devrais peut-être vous donner un exemplaire du document que j'ai rédigé et que j'ai apporté. Il porte sur les obstacles juridiques -- provinciaux et fédéraux -- qui entravent les activités des institutions désireuses de participer à la régie des sociétés. Il y a environ 10 à 15 obstacles juridiques. Je n'en ai décrit que trois aujourd'hui.

Divers obstacles juridiques ont tendance à avoir des répercussions sur les activités des institutions souhaitant participer à la régie des sociétés, notamment les règles relatives aux procurations et les règles sur les opérations d'initiés. Je ne veux pas lancer un long débat sur tous ces problèmes mais je devrais peut-être remettre au comité un exemplaire de ce document.

Le sénateur Kolber: J'ai été fasciné de voir que vous avez abordé la question de l'efficacité des grandes caisses de retraite par opposition aux petites caisses.

J'ai participé au cours de ma vie à l'administration de quelques grandes caisses de retraite, telles que celles de Dupont, Seagram, la Banque TD. Elles sont toutes dirigées de façons différentes. Je ne suis pas certain que nous pourrions y changer quoi que ce soit. Le problème des petites caisses est qu'elles ne peuvent simplement pas se permettre d'embaucher les meilleurs gestionnaires pour les faire travailler à l'interne.

Quand on examine les grandes réussites en matière de gestion financière, on constate qu'elles ont été possibles parce que cette tâche a été confiée à des gestionnaires. Je pense que l'idée qu'une caisse de retraite doit toujours avoir son propre personnel est probablement fausse.

M. Ambachtsheer: Si vous envisagez le problème du point de vue de la structure organisationnelle, je pense qu'il est raisonnable d'affirmer que toute entreprise qui veut atteindre certains objectifs doit avoir la régie et la structure organisationnelle lui permettant d'atteindre ces objectifs.

En passant, une caisse de retraite est grande quand elle a un actif d'environ 1 milliard de dollars. Pour moi, tout ce qui est inférieur à 1 milliard de dollars est petit. Je dis cela parce que, comme vous l'avez indiqué, au-dessous de ce montant il devient difficile de justifier économiquement que la petite caisse de retraite ait une équipe de gestion chargée d'obtenir une valeur ajoutée nette rajustée en fonction des risques positive sur les marchés financiers dans lesquels son équipe doit fonctionner. Une vieille règle de la théorie du jeu dit qu'on ne doit pas jouer aux jeux qu'on ne peut pas gagner. Je crois que la plupart des caisses de retraite de moins de 1 milliard de dollars devraient emprunter la voie de la gestion passive.

Le sénateur Kolber: J'aimerais vous poser une question sur les frais. Vous avez déclaré que la caisse de retraite des enseignants de l'Ontario n'exige des frais que d'un dixième de 1 p. 100.

M. Por: Ce sont les coûts, pas nécessairement les frais.

M. Ambachtsheer: Les coûts globaux. Leur caisse est gérée à 90 p. 100 à l'interne et à 10 p. 100 à l'externe. Quand je dis 10 points de base, j'entends la somme de tous les coûts, internes et externes.

Le président: Ce ne sont pas les frais de courtage. Ce sont les frais d'exploitation de la caisse. Les traitements sont des frais généraux.

M. Ambachtsheer: C'est exact. La valeur ajoutée nette rajustée en fonction des risques exclut les frais de transaction, et les frais et les coûts internes seraient indiqués séparément.

Le sénateur Kolber: Ma dernière observation est que j'appuie de tout coeur votre théorie de la mondialisation. Je trouve ce plafond de 20 p. 100 idiot. Il est absolument impératif de le changer. Je ne vois pas comment un régime tel que le RPC, qui a un actif de 100 milliards de dollars, peut être géré correctement s'il doit se limiter au marché canadien. Cela aggravera nos problèmes. J'espère que le comité jugera bon d'informer le gouvernement que cette lacune devrait être corrigée.

Le président: Aux fins du compte rendu, je fais remarquer qu'au moins deux fois depuis quatre ou cinq ans, y compris il y a environ un an, le comité a demandé à l'unanimité au gouvernement de supprimer ce plafond de 20 p. 100, pour les raisons que le sénateur Kolber vient d'indiquer.

M. MacIntosh: J'aimerais appuyer l'observation du sénateur Kolber. Le Canada représente environ 3 p. 100 du marché financier mondial. De nombreux Canadiens ne comprennent pas qu'en obligeant les caisses de retraite canadiennes à investir au Canada, nous obligeons les gens qui reçoivent des prestations de pension à accepter un rapport risque-avantage sous-optimal. De toute évidence, on peut améliorer ce coefficient en achetant sur d'autres marchés financiers. Si de nombreux Canadiens en prenaient conscience, ils exerceraient plus de pressions sur le gouvernement pour qu'il supprime le plafond de 20 p. 100.

Le sénateur Angus: Bienvenue au comité et merci d'avoir défini la toile de fond de ce qui est déjà en train de devenir une discussion intéressante, à mon avis.

Depuis quelque temps déjà, nous sommes confrontés aux défis relatifs à la régie des sociétés. Votre petite histoire au début était intéressante parce que notre défi consiste à guetter les guetteurs qui guettent les guetteurs d'horloge, et ce n'est pas toujours facile. L'étude que notre comité a faite sur la régie des sociétés portait sur les règles fondamentales de la régie des sociétés canadiennes. Par conséquent, ma question est assez élémentaire et n'importe lequel d'entre vous peut y répondre.

Professeur MacIntosh, vous semblez affirmer que la régie des sociétés canadiennes cotées à la Bourse peut être améliorée par le rôle des investisseurs institutionnels, si l'on veut, tandis que dans nos délibérations antérieures, nous avons entendu dire que c'est une tâche difficile. Je crois que c'est surtout le petit épargnant qui a probablement besoin davantage de protection que les gros investisseurs parce qu'il est souvent désavantagé. Il peut s'agir de renseignements d'initiés, d'allusions au cours de séances d'information, semblables aux séances d'information avec les analystes qui sont peut-être plus au courant, ou encore d'un repas avec le président de l'institution ou le pdg de la société.

Nous avons décidé d'entreprendre cette recherche des faits pour voir quel type de régie devraient avoir les institutions, étant donné qu'il semblait y avoir une différence. Vous semblez tous convenir qu'il faut des règles strictes concernant la régie des investisseurs institutionnels. Pouvez-vous définir les différences, s'il y en a dans votre esprit, entre l'investisseur institutionnel et la société cotée à la Bourse?

M. Por: J'ai tenté de faire ressortir certaines de ces différences dans ma déclaration. J'en vois deux ou trois qui me portent à croire, après avoir réfléchi à la question pendant cinq ans que, franchement, la régie des sociétés n'est peut-être pas un problème aussi grave que certains, et j'en suis, le pensaient à la fin des années 80 et au début des années 90. Premièrement, dans une large mesure, nous lisons tous les jours dans les journaux que telle ou telle société va mal. Par conséquent, après trois à cinq ans, qu'ils le veulent ou non -- et habituellement ils ne le veulent pas -- les administrateurs sont forcés d'intervenir parce que les résultats ne sont pas suffisants.

Quand quelque chose arrive, nous l'apprenons rapidement. Mais dans le cas d'une grande caisse de retraite, sur laquelle je concentre mes efforts, la situation peut s'envenimer pendant des années sans qu'on sache ce qui se passe. L'un des débats constants dans l'industrie est qu'une caisse de retraite peut être établie et commencer à fonctionner et qu'on ne saura pas avant 15 ou 20 ans si elle fonctionne bien. Et c'est l'autre problème: les caisses de retraite du secteur public ne fonctionnent pas dans ce que nous pourrions appeler une économie de marché. Par conséquent, il faut trouver des instruments de mesure -- et M. Ambachtsheer y travaille avec diligence -- que nous pouvons utiliser au lieu du marché pour savoir ce qui se passe.

Troisièmement, en ce qui concerne les sociétés cotées à la Bourse, les règles de sélection des administrateurs sont relativement claires. Il y a des critères généralement acceptés concernant les personnes qui devraient siéger au conseil d'administration. On peut en discuter pendant longtemps, comme ce fut le cas il y a quelques années. Il y a cependant un consensus raisonnable sur les personnes qui devraient siéger au conseil.

Dans les caisses de retraite du secteur public, nous avons déterminé qu'une bonne régie fait en sorte qu'on invite au conseil les personnes touchées par les décisions. Il peut s'agir notamment des groupes d'employeurs, des gouvernements et des syndicats. Il n'y a pas de mécanisme pour le choix de ces personnes autre qu'un processus très politique. Je dois avouer que le problème est moins grand au Canada qu'aux États-Unis. Ma société a travaillé avec l'une des grandes caisses de retraite américaines. C'est encore pire chez nos voisins.

Quand le processus de régie ne fonctionne pas, on n'a pas trouvé bien des solutions jusqu'ici. Nous avons posé la question: si vous pensez que votre représentant au conseil ne fait pas bien son travail ou que le représentant d'un autre groupe ne fait pas bien son travail, que peut-on y faire? La réponse c'est, pas grand-chose.

Le choix des administrateurs, la définition du genre de connaissances qu'ils devraient avoir et les moyens de déterminer un mauvais rendement, qui sont presque inexistants dans les grandes caisses de retraite du secteur public, sont des facteurs à considérer. Le cadre dans lequel se prennent les décisions de régie est très différent.

M. MacIntosh: Je suis d'accord avec tout ce que vient de déclarer mon ami John Por. Mais j'aimerais exprimer tout cela dans des termes juridiques.

On pense actuellement que divers contrôles du marché et divers contrôles juridiques imposent des contraintes aux gestionnaires dans les sociétés. D'habitude, on parle de quatre types de contrôle de marché. J'en ai évoqué un, à savoir la prise de contrôle hostile. C'est impossible dans le cas d'une caisse de retraite.

Vous avez aussi évoqué les contraintes imposées par le marché du produit. Autrement dit, les sociétés vendent un produit; si le produit est un échec, la société fait faillite et les gestionnaires se retrouvent à la rue. Là encore, c'est impossible dans le cas d'une caisse de retraite.

Nous avons parlé d'un marché des gestionnaires, où les gestionnaires rivalisent entre eux pour obtenir des emplois au sein de la société ou hors de la société. Ce marché ne fonctionne pas vraiment dans le cas des caisses de retraite.

Enfin, les sociétés doivent payer des coûts d'investissement chaque fois qu'elles font appel au marché financier. Ce n'est pas le cas des caisses de retraite.

On supprime essentiellement ces quatre contrôles du marché. On se tourne ensuite vers l'aspect juridique et on se demande quels sont les contrôles dans ce domaine? Il y a les obligations fiduciaires et les obligations de prudence et de compétence. Si vous examinez la législation ontarienne sur les prestations de pension, vous constaterez que ces obligations s'appliquent aux fiduciaires des caisses de retraite au même titre qu'aux administrateurs des sociétés. Mais la question qui se pose est qui attachera le grelot?

Dans le contexte de la société, ce peut être une institution qui a des intérêts importants en jeu et qui, au pire, décidera de poursuivre les dirigeants. Les bénéficiaires des caisses de retraite n'ont tout simplement pas les mêmes motivations. Chaque bénéficiaire a un petit intérêt. Cela devient une question de savoir qui va payer le coût parfois considérable, des poursuites. Sur papier, les obligations se ressemblent beaucoup, mais en ce qui concerne leur application, elles ne veulent pas dire la même chose.

Enfin, il y a la question de la surveillance. Dans le contexte de la surveillance directe d'une société, les actionnaires élisent les administrateurs. M. Por a indiqué que, dans le contexte des caisses de retraite, cela ne se fait pas.

Si vous examinez la foule de contrôles qui existent pour régir les gestionnaires des sociétés, vous constaterez qu'ils disparaissent presque tous dans les caisses de retraite. Voilà pourquoi j'affirme que la régie des caisses de retraite est un problème beaucoup plus délicat que celui de la régie des sociétés.

Le sénateur Angus: D'abord, je vous remercie tous les deux pour ces réponses. Si je vous comprends bien, vous affirmez qu'il y a des freins et des contrepoids naturels dans les sociétés cotées à la Bourse. Par conséquent, il faut exiger des comptes rigoureusement et il faut des contrôles stricts sur l'investisseur institutionnel.

Je suppose que vous êtes plus ou moins d'accord avec ce résumé. Sinon, j'espère que vous le direz.

Dans l'ensemble, vous avez limité vos observations aux caisses de retraite, privées ou publiques. Je me demande ce que vous pensez des conseillers en placement. Les considérez-vous comme des investisseurs institutionnels? Les petits fonds communs de placement, certains à capital fixe d'autres à capital variable, ne semblent même pas intéressés à discuter de la question.

Pouvez-vous me donner votre opinion à ce sujet? À ma connaissance, aucune loi ne les régit.

M. Ambachtsheer: Mes amis australiens emploient le mot «contestabilité» à ce sujet. Ils entendent par là qu'il existe des monopoles assez naturels, en ce sens que lorsqu'un régime de retraite protège 200 000 personnes, il est difficile de mettre sur pied un concurrent rentable. Mais certaines mesures sont possibles, notamment pour stimuler la transparence et pour inciter à la motivation, afin que les résultats ressemblent à ceux qui seraient obtenus dans un cadre concurrentiel.

La clé du succès, c'est l'analyse comparative. Il faut concevoir des instruments de mesure qui représentent vraiment les types de résultats auxquels les groupes intéressés attacheraient de la valeur. C'est là qu'il faut commencer. Sans ces instruments pour savoir si le système fait ce qu'il est censé faire, on n'a rien.

Ce qui est intéressant dans le domaine de l'investissement institutionnel c'est qu'on y produit une quantité phénoménale de données. Nous ne devrions pas oublier la hiérarchie intéressante qui fait que les données devraient devenir de l'information; l'information, des connaissances; et les connaissances, une sagesse. Le défi dans le cas des caisses de retraite et dans le domaine de l'investissement institutionnel en général est exactement celui-là; à savoir comment transformer une foule de données en information qui informe vraiment et qui crée des connaissances pour pouvoir améliorer le mode de fonctionnement.

Ce processus a commencé et il doit continuer. Il y a beaucoup à faire. Il n'y a pas d'autre solution que de créer une «contestabilité» pour ces systèmes et de stimuler dans ce domaine certains mécanismes qui n'existent pas naturellement parce qu'ils doivent être différents de ceux qui existent dans les sociétés cotées à la Bourse. Je crois que nous pouvons y parvenir.

Le sénateur Kolber: Pouvez-vous nous donner un exemple?

Le sénateur Angus: Est-il possible d'avoir un exemple précis de votre dernière observation sur l'analyse comparative et l'établissement de contrôles axés sur le rendement?

M. Ambachtsheer: Prenons l'exemple d'un régime à prestations déterminées. On promet une prestation aux participants. En tout temps, il est possible d'estimer les obligations accrues. Autrement dit, au passif du bilan, si on inscrit la valeur actuelle de ces promesses futures, elle peut se chiffrer, par exemple, à 10 millions de dollars aux taux du marché actuels.

La question du côté de l'actif est la suivante: Si l'on a 10 milliards de dollars d'actifs, comment faut-il les placer? Il y a quelques choix fondamentaux. Le premier est qu'on peut aligner le plus possible l'actif sur le passif -- même durée, même sensibilité à l'inflation -- et investir dans des titres garantis par l'État. On obtient alors ce qui est appelé techniquement un bilan immunisé.

Le sénateur Angus: Un peu comme un portefeuille conservateur?

M. Ambachtsheer: Exactement. Le travail d'une caisse de retraite consiste essentiellement à gérer ce bilan. En ce sens, ce n'est pas très différent de n'importe quelle autre entreprise, société d'assurance ou banque, qui essaie elle aussi de gérer un bilan. Les choix sont identiques. On peut essayer de réduire le risque, mais le problème est que cette solution est coûteuse parce que si l'on peut obtenir 1 ou 2 p. 100 de plus sur l'actif, on réduit le coût des pensions. On peut évaluer le risque pour les capitaux propres. Un coefficient représentatif pour les caisses de retraite est un ratio d'endettement de 60/40. Ce coefficient suppose qu'il est possible d'obtenir une prime sur le risque pour les capitaux propres qui réduit le coût des pensions. Il s'agit d'une décision relative à la composition de l'actif. C'est une décision fondamentale qu'il faut surveiller.

L'autre type de décision est comment mettre en oeuvre la politique sur la composition de l'actif. On peut le faire passivement, grâce à un programme passif fondé sur un indice. Ou encore on peut le faire de manière plus active et prendre ce qu'on appelle un risque de gestion actif, qui consiste essentiellement à intervenir sur le marché, pour tenter d'obtenir un rendement plus élevé, ce qui comporte habituellement des coûts et des risques supplémentaires.

S'il s'agit là des décisions clés à prendre, il faut mesurer les résultats de ces décisions.

Le sénateur Angus: Il faut trouver une méthode presque infaillible pour surveiller la situation, n'est-ce pas?

M. Ambachtsheer: L'incidence de la décision relative à la composition de l'actif et l'incidence de la stratégie de mise en oeuvre, voilà ce qu'il faut mesurer.

M. Por: J'aimerais ajouter une chose à nos observations précédentes. On a peut-être déclaré qu'une catastrophe s'annonce et qu'à moins d'une mesure radicale... Ce n'est pas le cas. Première rectification.

Nous ne sommes pas à la veille d'une crise de la gestion ou de la régie des grandes caisses de retraite du secteur public. À l'avenir, ces caisses de retraite publiques ne cesseront de grandir. Un jour, selon nos calculs -- même maintenant, elles possèdent 50 p. 100 des actions en circulation des grandes sociétés. Elles ne savaient pas -- et les sociétés non plus -- quoi faire de toute cette puissance.

M. Ambachtsheer décrit des instruments de mesure qui existent et qui sont améliorés sans cesse. Malheureusement -- et je travaille avec des groupes de décideurs tels que des conseils d'administration -- le débat se situe entre des gens comme les gestionnaires en placement des sociétés et les théoriciens -- et il faut beaucoup de temps pour faire accepter ces instruments de mesure par les conseils d'administration. Certains les acceptent plus facilement que d'autres.

En travaillant avec les conseils, nous constatons que pour pouvoir suivre ces instruments, les administrateurs doivent renoncer à un pouvoir individuel important et qu'ils ne sont pas disposés à le faire.

Nous travaillons avec une caisse de retraite en Californie, et nous examinons ces instruments. Il est facile d'affirmer: «Nous sommes en train de tout bousiller. Pourquoi ne pas faire autre chose? Nous nous en laverons les mains.» Ce n'est pas une solution réaliste.

Votre tâche consiste à trouver une méthode -- vous avez les instruments de mesure qui sont mis au point et la théorie financière, qui se précise assez clairement -- et à inciter les conseils d'administration à appliquer cette sagesse et à s'engager sur une courbe d'apprentissage. Je parle des conseils existants.

Le sénateur Angus: J'aimerais obtenir une réponse à ma question sur les conseillers en placement parce qu'ils sont très puissants.

Le sénateur Kolber: J'ai toujours été frappé par l'omnipotence d'un conseil d'administration. À titre d'administrateur de grandes sociétés depuis environ 25 ans, je pense que les conseils d'administration, dans les grandes sociétés tout au moins, sont plutôt inutiles.

M. Por: C'est un triste constat sur le mode de fonctionnement de notre système.

Le sénateur Kolber: J'aimerais entendre vos conseils éclairés, messieurs, parce que cela me semble le point crucial de toute cette discussion. C'est un problème que nous sommes bien loin d'avoir résolu.

En dernière analyse, le mandat d'un conseil d'administration d'une grande société n'est rien de plus que celui d'embaucher ou de renvoyer le pdg. Si vous pouvez me convaincre qu'il ne se limite pas à cela, vous m'aurez éclairé, croyez-moi.

M. MacIntosh: Votre question nous ramène à la théorie de Berle et de Means exposée en 1932 et qui disait que la direction des sociétés publiques était en réalité une entité qui se perpétuait elle-même parce que les actionnaires jetaient simplement les procurations à la poubelle ou votaient pour les personnes proposées par la direction.

Cette théorie n'a pas été contestée pendant une cinquantaine d'années.

Le sénateur Kolber: Cela nous amène en 1982.

M. MacIntosh: À ce moment-là environ ou un peu plus tard, les investisseurs institutionnels ont commencé à s'activer et les marchés financiers ont commencé à devenir un peu plus efficaces. Les théoriciens ont commencé à accepter l'idée qu'il y avait ces autres contrôles sur le comportement des administrateurs dont nous avons parlé il y a un instant.

De nombreux spécialistes des sociétés ont néanmoins laissé entendre que les administrateurs indépendants, ceux qui sont censés jouer un important rôle de chien de garde, sont souvent très peu indépendante en réalité parce qu'ils sont toujours nommés par le pdg. Ils sont nommés selon le bon vouloir du pdg. S'ils ne sont pas d'accord ou s'ils posent des questions difficiles, ils ne seront pas élus la prochaine fois.

Beaucoup sont sceptiques quant aux pouvoirs réels du conseil d'administration d'une grande société publique.

Par contre, à cause de la surveillance accrue exercée par les investisseurs, et par les investisseurs institutionnels en particulier, jamais la surveillance n'a été aussi grande. Les conseils d'administration des grandes sociétés sont donc mieux contrôlés, peut-être pas encore bien contrôlés mais mieux contrôlés qu'ils ne l'étaient par le passé.

M. Ambachtsheer: Si je peux revenir à l'étude sur les 80 caisses de retraite, la structure organisationnelle reposait sur la cote du pdg ou l'équivalent dans la caisse de retraite par rapport à certains énoncés. L'un de ceux qui étaient reliés le plus directement avec le rendement de l'organisation était la clarté de la délégation des pouvoirs entre le conseil d'administration et les dirigeants. Cela confirme les propos de M. Por.

Dans un grand nombre de caisses de retraite, on constate une micro-gestion au niveau du conseil d'administration alors que la clarté exigerait la délégation des pouvoirs au pdg. Les administrateurs peuvent dire: «Maintenant que la mission, la vision et nos objectifs sont clairs, exécutez». Il y a beaucoup de confusion dans un grand nombre de caisses de retraite au sujet des décisions de gestion qui sont effectivement prises par les comités. Ce n'est pas une façon efficace de gérer une entreprise, et les résultats financiers en témoignent.

M. Por: Si nous sommes convaincus que le rôle du conseil d'administration consiste à attendre cinq, six ou dix ans, jusqu'à ce qu'il soit démontré que le pdg est incapable de diriger la société, alors le rôle du conseil de remplacer ou ne pas remplacer le pdg est un instrument radical. Mais quand on en vient là, malheureusement, la valeur ajoutée de la société a disparu.

Les conseils d'administration appliquent plusieurs règles de nos jours. Premièrement, ils doivent accepter un plan stratégique élaboré par l'équipe de gestion. Il incombe au conseil de décider dans quelle mesure il veut entrer dans les détails et dans quelle mesure le plan est sensé.

Les administrateurs ne peuvent pas éviter de faire face aux pressions des investisseurs institutionnels parce que ces investisseurs siègent au conseil des grandes caisses de retraite du secteur public et du secteur privé -- et je ne parle pas des gestionnaires en placement -- et analysent les sociétés sous toutes les coutures. Les conseils d'administration doivent réagir à ces pressions.

Lorsqu'un conseil d'administration souhaite prendre son rôle au sérieux, il peut le faire, mais il doit penser différemment. Ce changement est en train de se produire. Si nous avions eu cette conversation en 1991, elle se serait déroulée dans un contexte complètement différent. La plupart des administrateurs que je connais réfléchissent sérieusement à ce que devraient être leur rôle et leurs responsabilités, qui ils sont et que qu'ils devraient faire. À la fin des années 80, je crois que ces questions ne se posaient même pas.

Être administrateur n'est pas de tout repos. Il faudra 15 ans pour voir comment ces pratiques influenceront réellement la régie de ces sociétés. Il ne fait aucun doute que ces forces sont en place.

Dans le système nord-américain, où le capitalisme, les marchés financiers et la liberté de presse sont beaucoup plus forts qu'en Europe, ces questions arrivent au premier plan beaucoup plus tôt. En Allemagne, de fortes pressions ont été exercées par les conseils d'administration vers 1936-1937, lorsque la liberté de presse et les marchés financiers n'étaient pas aussi forts qu'ils le sont aujourd'hui aux États-Unis. Ils ont donc dû créer un mécanisme efficace, le conseil de supervision.

Le sénateur Angus: Je peux peut-être formuler autrement ma question sur les conseillers en placement, les fonds communs de placement et les autres investisseurs institutionnels, en plus des grandes caisses de retraite publiques sur lesquelles vous concentrez votre attention.

Le gestionnaire de la caisse de retraite du CN a comparu devant nous il y a environ un an et demi. Il a indiqué, en ordre descendant, environ 14 ou 15 facteurs essentiels qu'il surveille dans la gestion ou la régie d'une société cotée à la Bourse et qui déclenchent un signal d'alarme. Pouvez-vous nous donner une liste semblable pour les investisseurs institutionnels? Quels sont les talons d'Achille et les facteurs qui déclenchent le signal d'alarme? Là encore, je m'intéresse davantage aux conseillers en placement et aux fonds communs de placement où investissent des veuves et des successions. Le premier bénéficiaire était peut-être un investisseur averti, mais la veuve ou la famille obtient tout à coup un capital important et n'est pas en mesure de savoir. L'une de nos missions consiste à définir une liste de signaux.

M. Ambachtsheer: Ce que je rechercherais le plus si je faisais appel à un tiers ou à un conseiller en placement externe ce serait l'harmonisation des intérêts économiques. Les grandes caisses de retraite publiques doivent rendre des comptes directement à certains groupes d'intéressés. Ils veillent sur leurs intérêts.

Quand on s'adresse à un tiers, que ce soit un conseiller en placement ou la plupart des fonds communs de placement, il y a une dichotomie intéressante entre les intérêts économiques, en ce sens que ces entreprises appartiennent à d'autres personnes qui essaient d'optimiser leurs profits. Elles sont en affaires pour faire de l'argent, et revenu moins coûts égale profits. On peut se demander également si les intérêts économiques coïncident en ce qui concerne le service à donner aux clients et la façon d'accroître les profits.

En théorie, le marché devrait régler ces problèmes. Il s'agit malheureusement d'un domaine où il existe une grande asymétrie de l'information et où les vendeurs sont généralement beaucoup mieux renseignés que les acheteurs sur la nature du produit et sur les services. La théorie économique nous apprend que lorsque l'information est asymétrique, il en résulte généralement des produits de faible qualité à un prix trop élevé. C'est l'un des défis -- comment réduire la grande asymétrie de l'information qui existe entre les acheteurs de services de gestion de placements et les vendeurs de placements? Je n'ai pas de réponse évidente à cette question sinon qu'il faudrait accroître le niveau général de clarté quant au produit et mieux comprendre l'efficacité des marchés financiers. Nous avons un degré élevé d'efficience de l'information, et il est très difficile de pousser ces gestionnaires en placement à faire mieux.

M. Por: L'une des choses que les gens ont tendance à oublier, et même les sociétés clientes qui sont les chefs des opérations financières et les trésoriers, est que le milieu des caisses de retraite est complètement différent de celui des fonds communs de placement, voire même des gestionnaires en placement. Les gestionnaires en placement veulent gérer les fonds et attirer des capitaux afin d'accroître leurs honoraires. C'est leur travail. Les caisses de retraite veulent financer des promesses raisonnables à long terme. Elles peuvent choisir d'être conservatrices et d'immuniser le portefeuille ou elles peuvent composer leur portefeuille en fonction de leurs capacités. Au bout du compte, les fonds communs de placement ou les gestionnaires en placement tentent toujours d'attirer plus d'argent.

Comment s'y prennent-ils? Ils ne soulignent jamais le montant que vous devez payer pour obtenir leurs services. Ils soulignent toujours les résultats à court terme. Vous ne voyez jamais, par exemple, que depuis 15 ans, ils ont surpassé le TSE de 15 points de base. Ce genre d'information n'est pas accrocheur.

Au bout du compte, la solution c'est une éducation en profondeur. Je suis toujours étonné de voir à quel point ces faits sont méconnus des gens qui s'occupent des finances des sociétés et du public en général. Malheureusement, cela ne vend pas. Chaque fois que vous lisez un article sur le rendement d'un fonds commun de placement, il est toujours question des titres qui montent en flèche et des titres qui périclitent. Il n'est jamais question de l'efficience des marchés et du fait qu'il est extrêmement difficile d'avoir le dessus sur eux.

À mon avis, même les médias ont beaucoup de rattrapage à faire. Ils induisent le public en erreur en lui disant qu'il devrait chercher les titres qui montent en flèche pour atteindre le nirvana.

Le sénateur Angus: C'est trop tard quand on y arrive.

M. MacIntosh: Je suis tout à fait d'accord.

Si j'étais bénéficiaire d'une caisse de retraite ou que j'investissais sur le marché en quelque qualité que ce soit, je voudrais que les gens qui placent mon argent aient des notions de base concernant les marchés financiers. La première de ces notions est que les marchés financiers canadiens sont plutôt efficients, tout au moins dans les grandes entreprises où les institutions ont tendance à investir si ce n'est dans les petites entreprises, et cela veut dire qu'il est très difficile d'avoir le dessus sur le marché en se fondant sur l'information de base, c'est-à-dire lire le journal et analyser les bilans et les résultats financiers. C'est très difficile parce que dans un marché efficient, les prix reflètent l'information disponible.

C'est très important quand on réfléchit à la valeur de la gestion active. La gestion active, comme l'a expliqué M. Ambachtsheer, cherche à vendre des actions surévaluées et à acheter des actions sous-évaluées. Les preuves sur la difficulté de la tâche ne manquent pas. J'aimerais que la personne qui place mon argent comprenne ces faits essentiels sur l'efficience des marchés.

La valeur de la diversification du portefeuille est importante également. Cela semble banal mais les économistes vous diront que le meilleur rapport risque-avantage est obtenu lorsqu'on achète ce qu'on appelle le portefeuille du marché, autrement dit tous les actifs disponibles dans la proportion que représente leur valeur par rapport à la valeur totale du marché. On veut un vaste éventail de catégories d'actifs pour obtenir le meilleur rapport risque-avantage. Je ne suis pas convaincu qu'un grand nombre de petits épargnants connaissent autant la diversification du portefeuille qu'ils le devraient.

Enfin, des stratégies d'indice, que l'on soit petit épargnant ou investisseur institutionnel, ne coûtent pas cher et sont très efficaces. On ne peut pas faire pire que le marché. On n'aura jamais le dessus sur lui, mais on aura une stratégie qui coûte très bon marché. On achète un indice comme le TSE 300 et le tour est joué. Peu importe la taille du placement. C'est une stratégie qui ne coûte pas cher et qui est très efficace.

Le sénateur Austin: Je vous remercie, monsieur le président, d'avoir organisé cette matinée fascinante et d'avoir invité des personnes aussi compétentes.

J'ai quelques questions variées sur le sujet. Premièrement, j'aimerais revenir sur la question du plafond de 20 p. 100. La politique publique visait-elle au départ, selon vous, à imposer un plafond qui est devenu un plafond de 20 p. 100?

M. Ambachtsheer: Les premières mentions que j'ai pu trouver proviennent d'un dénommé Edgar Benson dans un budget de 1971. À ce moment-là, le plafond était de 10 p. 100. Certains d'entre nous ont travaillé d'arrache-pied pendant de nombreuses années pour le faire passer de 10 à 20 p. 100.

La justification au départ était l'impression que le Canada constituait un gros importateur de capitaux, que nous n'avions pas une infrastructure financière très bonne et très solide et qu'il fallait donc nous protéger. On affirme que les caisses de retraite et les investisseurs obtiennent un allégement fiscal et qu'ils devraient donc faire quelque chose en contrepartie. Ils investissent au Canada, ce qui crée des emplois, et cetera. Voilà le mythe auquel vous avez affaire.

Le sénateur Austin: C'est la réalité actuellement, telle que vous la voyez?

M. Ambachtsheer: Qu'on accepte cet argument de l'importation de capitaux ou non, il ne tient plus de nos jours. Si vous examinez les mouvements de capitaux actuels, vous constaterez qu'il y a un énorme va-et-vient. Ce n'est plus un problème. La situation financière du gouvernement fédéral et des provinces a énormément changé. Il y a cinq ans, on pouvait affirmer que nous devions emprunter 50 milliards de dollars par année. Ce n'est plus vrai de nos jours.

Examinez les prix relatifs des obligations du gouvernement canadien à 30 ans et des obligations du Trésor américaines à 30 ans et vous verrez que le rendement des obligations canadiennes est inférieur à celui des obligations américaines. Si ces conditions ont existé par le passé, ce n'est plus le cas actuellement.

Ce qui est une vraie honte dans ce processus c'est qu'au cours des 20 dernières années, nous avons raté la chance de bâtir une capacité importante d'investissement international au Canada. Notre milieu financier n'avait pas intérêt à lancer le processus très coûteux de l'investissement international, de sorte que, de nos jours, une grande partie des actifs des caisses de retraite canadiennes sont gérés à Londres, Hong Kong, Tokyo et New York plutôt qu'à Montréal, Toronto et Vancouver.

M. MacIntosh: Il est utile de souligner que, jusqu'à un certain point, le plafond de 20 p. 100 a été contourné en construisant des portefeuilles synthétiques à l'aide de produits dérivés. Je suis certain que vous le savez, mais il faut pour cela certaines compétences que ne possèdent pas nécessairement les petites caisses. Il est probablement plus efficace d'abolir le plafond.

Le sénateur Austin: Nous avons certainement de nos jours un marché monétaire nord-américain. Lorsque M. Benson a déposé son budget, il y avait un marché financier canadien distinct. Je suis convaincu que c'était votre réponse et je suis persuadé que c'est la bonne.

Si nous abolissons le plafond, pensez-vous qu'il faudrait le faire graduellement, pour permettre une courbe d'apprentissage, ou devrions-nous l'abolir tout d'un coup? Si nous retenions cette solution, quelles seraient les conséquences?

M. Ambachtsheer: Je pense que nous pourrions l'abolir demain matin sans conséquence observable sur le taux de change.

Mais de façon plus réaliste, lorsque nous avons exercé des pressions pour faire porter le plafond de 10 à 20 p. 100, nous avons déclaré que, au cas où il y aurait des fluctuations à court terme, il vaudrait mieux procéder par étapes de deux points de pourcentage. Notre erreur a été de demander que le plafond passe de 10 à 20 p. 100. Nous recommandons actuellement de le porter de 20 à 30 p. 100, puis de le supprimer.

Dans les économies où il n'y a pas de restrictions, au Royaume-Uni par exemple, 30 p. 100 d'engagements étrangers semble un plafond naturel. Dans toutes les situations de placement, il y a un avantage naturel pour le pays hôte au niveau de l'information. Il n'est pas question d'une position naturelle qui serait 2 p. 100 au Canada et 98 p. 100 à l'étranger. Nous pensons que le coefficient naturel -- et nous l'avons vérifié auprès des caisses de retraite -- serait environ 70 p. 100 de placements au Canada et 30 p. 100 à l'étranger. Mais les caisses pourraient avoir des proportions différentes. Nous pensons que les fiduciaires devraient décider.

Le sénateur Austin: Vous avez parlé il y a un moment de l'asymétrie de l'information. Plus on s'éloigne de la base canadienne, plus cette asymétrie est grande pour le gestionnaire de la caisse, ne croyez-vous pas?

M. Ambachtsheer: Il y a deux types d'asymétrie. Il y a une asymétrie possible entre les professionnels mais aussi au sein d'un même marché entre les professionnels et les non-professionnels. Ce sont les deux phénomènes. La question est intéressante. Je pense qu'elle est beaucoup reliée au créneau sur lequel on investit.

Ainsi, les grands marchés obligataires sont devenus très intégrés. Il s'agit presque d'un marché obligataire unique où les titres sont libellés en monnaies différentes. Il y a une convergence vers un marché où les grandes sociétés cotées à la Bourse sont considérées comme si elles n'en formaient qu'une seule. Il est parfois difficile de dire si IBM est une entreprise américaine ou une entreprise mondiale. Il y a ce créneau du marché, puis il y a le créneau local plus petit qui, du point de vue de l'information, sera naturellement plus efficient pour les investisseurs locaux.

Le sénateur Austin: Je constate, à tort ou à raison, que dans les pays en développement -- en Chine par exemple, mais il y en a de nombreux autres -- d'énormes quantités de nouveaux titres offerts sur le marché international présentent des faits beaucoup moins détaillés que ceux auxquels nous sommes habitués.

Pensez-vous que le marché peut résoudre ce problème ou croyez-vous qu'il faudrait prévoir certaines contraintes, au moyen de normes, gouvernementales ou institutionnelles?

M. Ambachtsheer: Là encore, vous touchez au défi qui consiste à créer des investisseurs institutionnels bien informés et puissants qui comprennent la notion de diligence raisonnable. Tant qu'il existe une responsabilité ultime pour la production de résultats, il est normal que les personnes se trouvant au haut de la liste de celles qui ont la responsabilité désignée d'investir sur les marchés en développement exercent une diligence raisonnable.

M. MacIntosh: Sénateur, je suis tout à fait d'accord avec M. Ambachtsheer. J'ajoute que l'asymétrie de l'information est plus grande pour un petit marché en développement et que le rendement pour les investisseurs étrangers n'est pas identique à celui des investisseurs locaux.

Dans une certaine mesure, le problème se règle par lui-même du fait qu'un grand nombre de ces pays en développement savent qu'afin de continuer à attirer des capitaux, ils doivent rehausser leurs normes juridiques. Si ceux qui investissent sur ces marchés n'obtiennent pas un bon rendement, ils reprennent simplement leurs billes.

L'une des nouveautés les plus intéressantes dans le domaine de la réglementation internationale des valeurs dans le monde ces dix dernières années a été justement le rehaussement phénoménal des normes dans un grand nombre de ces marchés moins développés. Ainsi, on a mis en oeuvre des lois concernant les opérations d'initiés. Beaucoup de ces marchés n'avaient pas de telles lois. Des lois axées sur l'information et l'adoption de conventions comptables ont aussi tendance à réduire les asymétries de l'information. Je ne pense pas que l'asymétrie disparaîtra complètement, mais je conviens que nous devrions laisser aux institutions averties le soin de choisir les marchés où elles veulent investir.

Le sénateur Austin: Nous avons toutefois constaté une instabilité phénoménale sur les marchés du Tiers monde. Nous avons été témoins des pertes énormes qu'ont essuyées les fonds communs de placement gérés astucieusement par des gestionnaires en placement, mais qui ont néanmoins subi des pertes énormes dans les fonds du Tiers monde. Comment le marché explique-t-il ces pertes, s'il y a eu toute la diligence raisonnable?

M. Por: Je suis peut-être la seule personne dans cette salle qui a grandi dans un pays où le gouvernement a toujours tenté de protéger ses citoyens contre les caprices du capitalisme et du marché, ce qui, en réalité, a été bon pour le Canada, parce que j'ai fini par m'en lasser.

Les investisseurs sont des adultes. Malgré leurs lois et leurs lignes directrices, les gouvernements ne peuvent malheureusement pas les empêcher de faire certaines choses. Comment fonctionnent les marchés? Ils examinent l'information, tirent certaines conclusions et essaient de réagir. Parfois, la réaction est exagérée. Au bout du compte, les résultats traduisent cette réaction exagérée. Voilà pourquoi l'instabilité est permanente. Nous ne connaissons pas vraiment le bon prix d'une action ni le bon prix du marché boursier d'un pays.

Le sénateur Austin: Alors quelque chose ne tourne pas rond avec notre processus de diligence raisonnable?

M. Por: Non. C'est la nature du marché. Il y a une cause fiduciaire célèbre qui est toujours citée. Vous êtes pour la plupart des avocats, alors je m'aventure en terrain glissant. En 1836 ou 1837, cette cause de Harvard disait: quoi que vous fassiez, le capital est un risque.

On investit certainement sur ces marchés jusqu'à un certain point. Un investisseur institutionnel peut y investir jusqu'à 5 p. 100 de son actif. Même s'il survient une catastrophe majeure sur ces marchés, parce que le fonds est bien diversifié, il n'y a pas de désastre. Les gens apprennent à investir sur ces marchés de la même façon qu'ils apprennent à investir sur les marchés financiers au Canada.

Le sénateur Austin: Quel est le prix de cet apprentissage international?

M. Ambachtsheer: Je vais donner l'exemple du capital de risque pour répondre à votre question. Il y a une règle 2-6-2 bien connue dans le domaine du capital de risque. Tout le monde sait que l'investissement à risque comporte des risques, alors on n'y consacre qu'une partie de son portefeuille. Mais même à l'intérieur de cette portion, on investit en prévoyant que sur dix placements, deux devront être radiés, six seront des cadavres ambulants et deux seront des coups de maître.

Le sénateur Austin: À la fin, tout s'équilibre.

M. Ambachtsheer: En réalité, l'histoire démontre que les Microsoft, s'ils font partie de vos deux coups de maître, compenseront vos cadavres ambulants et vos placements radiés.

M. Ambachtsheer: Il y a une part de risque sur les marchés financiers. Malgré ce risque, tant que le mouvement général aboutit à des prix où le risque et la récompense sont relativement bien équilibrés, le fait de savoir qu'il y aura des radiations ne devrait pas vous empêcher d'investir.

M. MacIntosh: Il importe de souligner qu'un grand nombre d'études démontrent que l'investissement international réduit le risque. Les divers marchés internationaux ne sont pas parfaitement synchronisés. Un monte quand un autre descend. Quand on investit beaucoup sur ces marchés différents, on se protège davantage contre le risque que si on s'en tient à un seul marché national. On ne met pas tous ses oeufs dans le même panier, le panier national. En investissant sur les marchés internationaux, on obtient un meilleur équilibre entre les risques et le rendement. On peut compenser en partie l'instabilité des portefeuilles.

Le sénateur Austin: C'était la théorie jusqu'à il y a quelques semaines. Maintenant, nous voyons une réaction unanime des marchés, à cause des liens qui existent entre les monnaies.

J'essayais simplement de provoquer une discussion. Pour nous, la question qui se pose est dans quelle mesure il faudrait que la politique publique fixe des critères. Je préfère pour ma part une politique publique qui permet au marché et aux institutions constituant ce marché de créer leurs propres freins et contrepoids. Le meilleur système réglementaire ce sont des participants du marché bien informés, pourvu que leurs intérêts soient assez variés et que chacun des groupes ait un pouvoir suffisant pour équilibrer le pouvoir des autres.

Cela m'amène à ma question générale: les participants sont-ils raisonnablement équilibrés? Vous avez parlé des problèmes de régie relatifs aux conseils d'administration et à la gestion des caisses de retraite publiques. Vous avez décrit ces problèmes.

Nous avons entendu un témoin intéressant lors de notre examen de la régie des sociétés. J. P. Bryant, qui dirige Gulf Oil à Calgary a déclaré -- et je ne trahis pas trop ses paroles -- que la régie des sociétés c'est une connerie.

Le sénateur Angus: En réalité, il a déclaré que c'était de la foutaise.

Le sénateur Austin: Ce qu'il voulait démontrer c'est qu'il faut laisser les entrepreneurs donner libre cours à leur esprit d'entreprise; il faut laisser le conseil comprendre l'entreprise; et, essentiellement, les investisseurs devraient suivre et non diriger le rendement de la société. À son avis, il y a un risque que les normes institutionnelles émoussent le rendement de l'entreprise; le système institutionnel est plus intéressé à la comptabilisation trimestrielle des revenus et à son propre rendement qu'au rendement des marchés financiers ou du milieu des affaires.

M. Por: C'est une question très délicate, parce que vous nous demandez de donner notre opinion sur des pratiques au Canada et aux États-Unis qui sont une source de revenu, pour moi tout au moins. L'éventail est très large. Il y a beaucoup d'excellence mais aussi de médiocrité.

En un mot, non, la société n'a pas réfléchi à cette question. C'est une chose d'affirmer que le conseil devrait être bon, impartial et bien informé mais comment parvenir à un tel conseil en est une autre. C'est la vie, malheureusement.

En règle générale, il y a peu de conseils bien dirigés. En tant que société, et même parmi les théoriciens, nous ne nous sommes pas entendus sur ce qui constitue un bon conseil d'administration. L'attitude canadienne consiste à affirmer que les groupes participants devraient être représentés, que le processus du conseil permettra à ces questions d'être soulevées et que les décisions prises auront des chances raisonnables de succès. Malheureusement, cette vision est parfois floue parce que très peu de ceux qui siègent à un conseil doivent réellement réagir aux pressions des groupes intéressés.

Par exemple, si je suis gestionnaire intermédiaire au gouvernement et que je représente l'employeur, j'ai peu de marge de manoeuvre pour prendre des décisions au sein du conseil, parce que mes patrons me disent quoi faire et ne pas faire.

Nous devons réfléchir aux moyens d'assurer l'excellence du conseil. C'est le problème qui se pose actuellement pour le RPC. Une solution consiste à nommer les administrateurs. Vous, en tant que groupe intéressé n'y siégeriez pas, pas plus que les gouvernements et les entreprises. Les gens hésitent à mettre en oeuvre cette politique, parce qu'ils perdent le contrôle. Ma vision cynique de la nature humaine est que le contrôle est quelque chose à quoi nous renonçons difficilement.

Mais lorsqu'un débat de fond se sera engagé sur ce qui constitue un bon conseil d'administration, M. Ambachtsheer et d'autres aideront les gens à savoir ce qu'ils devraient savoir. Une foule de cours et de sources de renseignements ont été élaborés ou sont en train de l'être, mais ce qui constitue un bon conseil d'administration et qui devrait y siéger est un point de départ, à mon avis.

M. MacIntosh: Il faut parvenir à un équilibre quand on réglemente les dirigeants. Un contrôle trop interventionniste peut être nuisible. J'en donne pour exemple le fait que tant de sociétés américaines sont constituées au Delaware. Dans les années 70, un membre de la Commission des valeurs mobilières a écrit un article qui a eu beaucoup d'influence sur ce mouvement vers le Delaware. Environ la moitié des sociétés cotées à la Bourse de New York sont constituées dans cet État. Il a fait remarquer que les normes fiduciaires au Delaware sont un peu plus faibles que dans les autres États. On s'entend généralement sur ce fait. Il a été démontré par des études sur les actions que, lorsque les sociétés s'établissent au Delaware, en moyenne, le cours des actions monte au lieu de baisser. L'une des causes semble être que la marge de manoeuvre supplémentaire dont jouissent les dirigeants est considérée comme une bonne chose. Les lois des autres États sont plus contraignantes qu'elles le devraient et ne donnent pas assez de liberté pour que l'esprit d'entreprise puisse se manifester.

Par contre, les investisseurs institutionnels ne menacent pas les dirigeants, en ce sens qu'ils sont assez intelligents pour ne pas faire de la micro-gestion. S'ils en faisaient et examinaient la moindre petite décision et s'immisçaient dans les décisions d'affaires quotidiennes, nous tirerions la conclusion que la surveillance institutionnelle va à l'encontre du but recherché.

Les institutions ont tendance à participer à des événements qui se produisent rarement mais qui sont relativement importants pour la vie de la société: si la société se défendra ou non par une pilule empoisonnée ou si elle cherchera ou non à fusionner avec une autre société. Il s'agit d'une surveillance épisodique dans la plupart des cas et non d'une intrusion dans les activités quotidiennes.

Je ne pense pas que la régie des sociétés soit de la foutaise, et les investisseurs institutionnels ont effectivement un grand rôle à jouer.

Le sénateur Austin: Je cherche des exemples. Ainsi, en ce qui concerne la rémunération des dirigeants, on voit aux États-Unis des dirigeants recevoir un traitement de 100 millions de dollars, des options d'achat d'actions alléchantes, des parachutes dorés, et des conseils d'administration accorder des avantages énormes aux dirigeants. Les gens se rappellent que le pdg dirige les administrateurs. Je ne dis pas que ce qui était écrit dans le livre était vrai. Je dis que, vérité ou mensonge, c'est l'histoire qu'on raconte et on a l'impression qu'elle fait partie de la régie des sociétés.

Y a-t-il un rôle pour les investisseurs fiduciaires au nom des caisses publiques, à quel niveau ou se demandent-ils simplement si la rémunération est proportionnelle? La rémunération est-elle proportionnelle? Qu'est-ce qui arrive et quelle est l'influence de votre régie? Vous avez parlé de cooptation.

M. MacIntosh: Oui.

Le sénateur Austin: Y a-t-il cooptation et comment pouvez-vous le savoir?

M. MacIntosh: La cooptation est un grave problème. Les études aux États-Unis indiquent que les institutions qui ont des liens d'affaires avec diverses sociétés ont tendance à voter dans le même sens que la direction plus souvent que les institutions qui ont tendance à être à l'abri des pressions. Si vous interrogez les gestionnaires en placement institutionnels canadiens, ils vous le confirmeront. Je ne pense pas que nous ayons les mêmes preuves systématiques, mais c'est la réponse que nous obtenons toujours quand nous demandons pourquoi les sociétés d'assurance, les banques ou d'autres institutions prennent la régie des sociétés tellement au sérieux.

Voilà pourquoi j'ai indiqué qu'il s'agit d'un des problèmes pressants sur lequel le comité doit se pencher dans son examen du rôle des investisseurs institutionnels.

M. Ambachtsheer: Nous avons constaté que ce qui semble le plus créer une certaine responsabilité dans les situations que vous avez évoquées, ce sont les caisses de retraite publiques, et pour des raisons assez logiques. Il y a dans leur cas l'alignement probablement le plus clair entre la régie et la responsabilité envers les intéressés. Elles ont intérêt à tenir compte de ces pratiques et c'est dans ce domaine qu'il y a le moins de risque de forces contraires pour les empêcher d'agir. Ce ne sont pas les mêmes genres de contraintes que dans l'industrie de l'assurance et dans certains secteurs des services de conseil en placement. Voulez-vous vraiment prendre votre meilleur client? C'est un problème.

Le sénateur Austin: Je suis heureux que vous ayez abordé cette question, parce que je recherche un équilibre entre tous les participants, afin que certains d'entre eux ne puissent être cooptés et qu'ils puissent continuer de faire avancer le système et établir les repères dont vous avez parlé.

Le sénateur Hervieux-Payette: Je m'exprime en tant qu'actionnaire de la Caisse de dépôt, alors je suis peut-être étrangère au débat. Je fais partie des quelque 5 millions d'actionnaires québécois qui suivent les faits et gestes de la Caisse de dépôt. Nous avons un contexte historique. J'ai eu affaire avec eux pour des questions de placements. En ce qui concerne les critères et les lignes directrices et ce que devrait être la politique publique, nous nous demandons toujours, lorsqu'ils investissent dans les trois grandes chaînes d'alimentation du Québec, si cela aide le rendement de ces trois chaînes. Pour ma part, en tant que consommatrice, je ne le crois pas, mais cela reste à prouver. Quel type de lignes directrices mettriez-vous en place?

Quand j'étais dans le secteur des télécommunications, nous sommes allés à la Caisse de dépôt, et ils nous ont dit qu'ils ne pouvaient pas investir dans notre société parce qu'ils investissaient déjà dans notre concurrent. Pourquoi dans un cas investissent-ils dans les trois concurrents mais pas dans l'autre cas? Il me semble qu'aucun critère n'a été énoncé. L'une des fonctions de la Caisse de dépôt, au départ, consistait à payer les pensions, mais elle vise aussi à créer des emplois, de la richesse et à renforcer l'économie du Québec. Pouvons-nous atteindre ces quatre objectifs par la même caisse?

Avons-nous besoin de critères? Où trouvez-vous ces champions? Ils auront du mal à trouver des femmes parce qu'ils prétendront qu'elles n'ont pas l'expérience nécessaire. Je signalerai au premier ministre qu'il y a probablement beaucoup de religieuses qui ont administré leur congrégation et qui seraient compétentes. Nous en avons une au Sénat.

Nous devons trouver des gens qui sont presque des saints. Ils devraient prendre toutes leurs décisions en fonction de l'intérêt public et oublier tous les autres intérêts.

Des lignes directrices ou des critères sont importants parce qu'il s'agit d'êtres humains, malgré leur grande expérience.

De plus, en ce qui concerne l'investissement, certains Canadiens pensent que le capitalisme est plutôt sauvage. Quand il est question d'investir dans une société qui pollue ou dans des sociétés étrangères qui font travailler les enfants ou qui ne respectent pas les droits de la personne, devrions-nous recommander des règles si nous voulons accroître le pourcentage d'investissement à l'étranger? Devrions-nous déclarer que nos caisses ne peuvent investir dans les sociétés étrangères qui ne respectent pas les normes canadiennes? Il est important d'avoir une série de critères avec lesquels les Canadiens seront à l'aise. Nous avons nos normes et nos valeurs. Quand on applique le système capitaliste à la lettre, il n'y a pas de règles, On place simplement son argent là où il rapporte le plus. En ce qui concerne l'intérêt public, comment parvenons-nous à un équilibre? J'attends vos suggestions.

M. Ambachtsheer: Je pense qu'il est problématique de mêler ce que j'appelle les placements fiduciaires, ceux pour lesquels il faut rendre des comptes directement aux intéressés, les propriétaires des avoirs, avec un objectif secondaire de développement économique. Il est clair que cela pose problème. On doit alors tenter de déterminer comment transférer la richesse des intéressés vers d'autres secteurs, ce qu'on ne ferait pas si l'on n'avait pas cet objectif secondaire. Il est problématique d'imposer aux institutions qui investissent l'obligation d'être fiduciaires, d'une part, et responsables d'un objectif différent, d'autre part.

Quant aux femmes, je ferais observer qu'elles s'en tirent très bien. À l'échelle mondiale, parmi les administrateurs et les gestionnaires de caisses de retraite, deux des plus grosses caisses américaines sont dirigées par des femmes.

Je ferais une autre observation à propos de la Caisse de dépôt, au sujet de la transparence. Ils prennent bien soin de publier leurs résultats annuels tous les ans. Ils tiennent une conférence de presse, dont font état tous les journaux. Malheureusement, je pense qu'ils créent des données, mais pas nécessairement de l'information et des connaissances. Le problème, c'est que la Caisse est un gestionnaire en placement qui gère au moins sept portefeuilles différents. Il y a notamment l'assurance-automobile, la Commission des accidents du travail, le Régime de retraite du Québec et le régime de retraite de la fonction publique, mais tout est regroupé et les résultats sont globaux. Ce n'est pas de l'information. Ils devraient indiquer comment chacun portefeuille se comporte, puis faire le total. Ils devraient peut-être être encouragés à réfléchir aux mesures qu'ils peuvent prendre pour créer de l'information.

Je ne sais pas quoi faire à propos de l'objectif secondaire du développement économique. Je crois que c'est un problème bien réel. Je cède la parole à mes collègues.

M. MacIntosh: Il y a un problème quand une caisse a deux mandats. Je signale une étude de Roberta Romano de l'Université Yale, que j'ai mentionnée dans le mémoire. Elle a étudié le rendement des caisses de retraite publiques par rapport aux autres caisses et constaté que plus le nombre de nominations politiques au conseil d'administration est élevé, plus le rendement de la caisse laisse à désirer. En outre, les structures juridiques de nombreux États permettent aux caisses d'investir dans les entreprises locales, même si ces entreprises ne présentent pas le meilleur rapport risque-avantage. C'est un autre facteur statistique qui réduit le rendement de la caisse.

La difficulté que présente les mandats doubles, à mon avis, est qu'ils sont une façon pour l'État de déguiser des dépenses. Autrement dit, la mesure dans laquelle le faible rendement économique influe sur les promesses de pension nominales a un prix, que doivent payer les bénéficiaires. Évidemment, s'il s'agit d'un régime à prestations déterminées, il suffit que l'État intervienne et comble le manque à gagner. Alors, en réalité, ce sont les contribuables qui paient la note. Ce peut être une façon de subventionner les investissements locaux et de déguiser ces subventions en les faisant passer par une caisse de retraite publique. Si le gouvernement veut adopter une politique d'investissement public, il devrait le faire plus directement, d'une manière plus visible.

M. Ambachtsheer: J'aimerais ajouter une observation très importante. Le vérificateur général de la province de Québec a posé récemment quelques questions au sujet de la Caisse et il y a eu des audiences sur la Caisse à l'Assemblée nationale. La Caisse a réalisé un vidéo de sept minutes sur ses activités. Je faisais partie des deux personnes invitées à donner leur opinion sur ce vidéo. Je vais répéter ici ce que j'ai déclaré là-bas: quand on examine le rendement de la Caisse, portefeuille par portefeuille, on constate qu'elle s'en tire très bien. Je crois que c'est quelque chose que la Caisse n'a pas communiqué efficacement aux intéressés. Le programme de développement économique ne touche probablement qu'une petite fraction des actifs, pas les autres 98 p. 100. Le problème est en réalité beaucoup plus petit que ce qu'en disent bien des gens. C'est en grande partie un problème d'efficacité des communications.

Le sénateur Tkachuk: En ce qui concerne la taille de la caisse de retraite et son rendement, vous avez mentionné un seuil de 1 milliard de dollars. Au-dessus de 1 milliard de dollars, plus on est gros, mieux c'est?

M. Ambachtsheer: Oui.

Le sénateur Tkachuk: Alors si l'on comparait une caisse de 1 000 milliards de dollars et une autre de 2 milliards de dollars, la plus grosse aurait un meilleur rendement? Autrement dit, statistiquement, les caisses de retraite ont-elles un meilleur rendement lorsqu'elles sont plus grosses?

M. Ambachtsheer: Ce sont des preuves surtout circonstancielles, parce qu'une base de données reposant sur un échantillon de 80 caisses ne nous apprend pas tout.

Parmi les huit caisses qui ont parrainé l'étude, celles dont la taille moyenne était de 50 milliards de dollars américains -- ce qui représente 75 ou 80 milliards de dollars canadiens -- nous avions des données sur le rendement de sept d'entre elles. La huitième n'avait pas de données depuis assez longtemps pour faire partie du groupe. Il s'agissait des caisses les plus grosses parmi les 80 et, collectivement, elles avaient un rendement net rajusté en fonction des risques nettement supérieur à celui de l'ensemble de l'échantillon. Sur la courbe de rendement des 80 caisses, en tenant compte du fait que nous avions des données pour sept d'entre elles, six avaient un très bon rendement et une traînait de l'arrière.

Là encore, je pense qu'il y a une continuité. Quant à savoir s'il y a un chiffre ultime -- vous avez mentionné 1 000 milliards de dollars -- je ne sais pas. Nous n'avons pas de données aussi élevées. Mais quand on examine la question dans une perspective mondiale et qu'on emploie des montants comme 50, 60, 80 milliards de dollars, ils ne correspondent pas à des acteurs particulièrement importants sur le marché mondial. Voilà la bonne perspective.

Le sénateur Tkachuk: En ce qui concerne les actionnaires d'une caisse ayant des liens avec une société, il me semble qu'ils avaient un autre choix. Ils auraient pu vendre les actions et investir ailleurs. Essaient-ils de justifier un mauvais placement? Autrement dit, lorsqu'ils ont fait ce placement, ils ont parié que les dirigeants dirigeaient bien. Évidemment, l'entreprise n'a pas donné de bons résultats, alors, ils se demandent s'ils ne devraient pas participer à la gestion de la société pour améliorer son rendement. Les gestionnaires de la caisse diront peut-être qu'ils ont décidé que la caisse devait acheter pour 50 millions de dollars d'actions de cette entreprise et qu'ils vont s'assurer que ce placement fructifie, quitte à prendre le contrôle de l'entreprise. Ou aurai-il mieux valu vendre ces actions et acheter celles de Microsoft?

M. MacIntosh: En réalité, l'étude démontre que le coût du programme de régie des sociétés du CALPERS a été relativement peu élevé. Il représentait 500 000 $. La hausse globale de la valeur des actions des sociétés qui ont fait l'objet de l'étude a été de 137 millions de dollars. On peut supposer qu'ils ont eu beaucoup plus de succès parce qu'ils ont participé à la gestion de ces entreprises et ont accru le rendement de ces sociétés. La différence entre 137 millions de dollars et 500 000 $ représente un bon ratio coûts-avantages.

Le sénateur Tkachuk: Nous ne savons pas avec certitude ce qui serait arrivé si elles n'avaient pas participé et avaient fait autre chose.

M. MacIntosh: Ce qui importe ici, c'est qu'il s'agit du rendement au-dessus de ceux du marché. Autrement dit, le rendement du marché durant cette période a été défalqué. Une somme de 137 millions de dollars représente ce qu'un économiste qualifierait de rendement anormal, à savoir un rendement supérieur à celui qui aurait été obtenu en investissant dans un portefeuille aléatoire -- en achetant des titres de l'indice, par exemple. Le rendement du marché a été pris en considération dans ces 137 millions de dollars.

M. Por: Cette idée des grandes caisses américaines est un peu surfaite. J'ai travaillé pour certaines d'entre elles. Elles sont beaucoup plus modérées. J'ai vu cette étude et je mets en doute la dépense de 500 000 $. En surveillant ces sociétés, j'ai appris combien elles ont versé à plusieurs intermédiaires pour obtenir ces résultats.

La question n'est pas tant de savoir s'il est possible de prouver économiquement ce qui serait arrivé si les caisses avaient agi ainsi, parce qu'on ne sait jamais. La plupart d'entre elles -- et M. Ambachtsheer voudra peut-être intervenir à ce sujet -- sont essentiellement gérées passivement aux États-Unis parce que les montants en cause sont si énormes qu'elles ont du mal à trouver des sociétés où investir. La plupart du temps, elles sont forcées d'investir dans un indice.

Quand on investit dans un indice, la seule façon d'influencer le rendement de la caisse c'est d'aller voir les sociétés et de discuter de leurs activités et de leur mode de fonctionnement. La question n'est pas tant de savoir si elles devraient le faire ou non, mais plutôt de quelle manière, par qui, à quel niveau et à quel prix. Je trouve que le rôle des caisses de retraite dans la régie des sociétés a beaucoup diminué ces derniers temps.

Le sénateur Tkachuk: Les caisses de retraite du secteur public qui versent des prestations déterminées sont des cas uniques, en ce sens que la plupart de ceux qui sont touchés sont en bout de cordée. Lorsqu'ils arrivent à 65 ans, ils reçoivent une pension. Ils se moquent des pensions, ou ils ont moins intérêt à se préoccuper, parce qu'ils connaissent le montant de la leur. Le gouvernement le garantit bien souvent. Pourquoi la personne qui tond la pelouse dans un parc provincial ou fédéral ou celle qui administre le parc devrait-elle s'inquiéter? S'ils savent quel montant ils recevront et que le gouvernement le garantit pourquoi s'en feraient-ils? Ceux qui se soucient des pensions sont ceux qui courent des risques. Si vous ne risquez rien, pour pourquoi vous inquiéter? Les gouvernements devraient peut-être intervenir parce que nous avons des billes en jeu. Au bout du compte, le contribuable doit payer la note lorsqu'un régime de retraite a été mal géré.

M. Ambachtsheer: Ce n'est pas par hasard, je crois, que l'un des régimes de retraite les mieux gérés au pays est celui des enseignants de l'Ontario. C'est l'un des rares régimes publics que je connaisse qui a établi très clairement les conditions de la pension. Il y a un partenariat moitié-moitié.

Il y un coût estimé normal pour le régime, qui représente environ 16 p. 100 de la rémunération. Il s'agit d'un régime assez généreux et complètement indexé. Si, à l'avenir, les résultats des placements n'étaient pas à la hauteur des attentes qui ont servi au calcul du financement, il faudrait combler la différence. Il faudrait cotiser davantage. C'est l'inconnue.

Le partenariat moitié-moitié chez les enseignants de l'Ontario signifie que les taux de cotisation des contribuables et des enseignants sont identiques. Il y a un rapport risque-rendement symétrique et très clair entre les deux partenaires.

Beaucoup d'autres régimes du secteur public n'ont pas atteint une telle clarté. Étant donné que le régime de la fonction publique fédérale est un cas un peu unique, j'espère que le rapport risque-rendement entre les participants au régime et les contribuables sera tout à fait clair.

Le président: Vous avez tous parlé d'une façon ou de l'autre de la qualité des administrateurs. Vous avez tous employé cette expression dans des contextes différents. M. Por, en réponse à une question du sénateur Austin, a fait observer que personne n'est absolument certain de ce que cela veut dire. Comme vous l'avez indiqué, c'est une question à l'étude.

Étant donné l'importance que vous y avez tous attachée, y compris l'étude de M. Ambachtsheer, il serait utile, pour nous tout au moins, que vous nous orientiez sur ce qui constitue un conseil d'administration de «qualité». Ou plutôt sur ce qui n'est pas de qualité. On peut parfois définir les choses par un processus d'exclusion.

Je vous demanderais à tous les trois de réfléchir à cette question et de nous faire parvenir votre réponse par lettre. Si l'un des résultats de notre étude consiste simplement à demander aux conseils d'administration des caisses de retraite, en particulier les caisses publiques, d'adopter des critères de qualité, je pense que nous avons l'obligation de définir ce que nous entendons par qualité.

Messieurs, je vous remercie beaucoup d'être venus ce matin. Nous avons eu une matinée très stimulante.

Sous réserve d'un accord entre le sénateur Tkachuk et moi-même, est-il entendu que nous approuvons le budget pour les séances de la semaine prochaine sur le RPC? Nous devons le proposer jeudi au comité de la régie interne.

Des voix: D'accord.

La séance est levée.


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