Aller au contenu
 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 5 - Témoignages du 20 novembre


OTTAWA, le jeudi 20 novembre 1997

Le comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui à 11 h 05 pour examiner l'état du système financier canadien (investisseurs institutionnels).

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, nous poursuivons notre examen de l'état du système financier canadien et plus particulièrement du rôle qu'y jouent les investisseurs institutionnels. Nous entendrons ce matin deux témoins.

Le premier est M. Murray Davidson, associé principal et président de Perform Consulting, une société d'experts-conseils ayant ses principales places d'affaires à New York et dans l'Arizona.

M. Davidson est ici pour nous parler de son expérience et de celle de son entreprise à titre de conseillers d'investisseurs institutionnels canadiens et américains en matière de régie d'entreprise. Il nous entretiendra plus particulièrement de son travail aux États-Unis comme conseiller d'importants investisseurs institutionnels comme CalPERS.

M. Davidson nous présentera d'abord quelques transparents, dont on vous a remis des copies papier. Nous lui poserons ensuite quelques questions.

Au cours de la première série d'audiences, on a souvent fait allusion au rôle utile ou nuisible de CalPERS en tant qu'investisseur institutionnel actif aux États-Unis. M. Davidson a participé à l'élaboration des principes directeurs que s'est donnés CalPERS concernant son rôle dans la régie des entreprises. Vous avez en main copie de cet énoncé de principes. M. Davidson ne nous parlera pas aujourd'hui uniquement de CalPERS; il nous entretiendra d'abord de son expérience en général, puis, plus particulièrement du rôle qu'il joue auprès de ses principaux clients.

Nous vous remercions d'avoir accepté de vous déplacer pour venir faire cet exposé.

M. Murray G. Davidson, associé principal et président, Perform Consulting: Monsieur le président, je suis heureux de revenir au Canada. J'y suis né et j'y ai fait mes études.

J'aimerais compléter ce que le président a dit en faisant ma présentation et vous donner quelques précisions à propos de mon expérience dans l'industrie des fonds de retraite publics et des fonds mutuels. Notre maison conseille couramment ces deux secteurs de l'industrie des services financiers, auprès desquels j'agis comme spécialiste des pratiques et des principes en matière de régie d'entreprise. Je suis ici aujourd'hui pour vous parler de ces pratiques, des mesures qui ont été prises à cet égard aux États-Unis dans le secteur des régimes de retraite publics, des raisons pour lesquelles elles ont été prises, des incidences qu'elles ont eues sur les sociétés privées aux États-Unis, et de leur éventuelle pertinence dans le contexte canadien.

On m'a dit et j'ai lu que votre comité avait pour mandat de s'interroger notamment sur le rôle des investisseurs institutionnels. On observe certaines similarités entre nos deux pays à cet égard. Au Canada comme aux États-Unis, les fonds mutuels et les fonds de retraite publics sont de très imposantes organisations qui gèrent des avoirs considérables. Ils y détiennent une portion passablement importante des actions des sociétés. C'est probablement davantage le cas au Canada qu'aux États-Unis, car, toutes proportions gardées, compte tenu de la taille l'économie canadienne, le pourcentage de participation des fonds de retraite publics dans l'avoir des entreprises est relativement plus élevé au Canada qu'aux États-Unis.

Je vais m'en tenir principalement aujourd'hui au groupe des fonds de retraite, où il existe certains parallèles entre la situation au Canada et celle aux États-Unis. Je comprends ceux qui disent qu'étant donné que les fonds de retraite publics détiennent une si large part des actions des sociétés dans lesquelles ils investissent il y a un risque qu'ils se servent de leur pouvoir à des fins par trop subjectives. Ce qu'on craint, ce n'est pas tant qu'ils protègent leurs intérêts comme actionnaires, mais qu'ils utilisent ce pouvoir à d'autres fins -- certains diraient pour en abuser. Je ne voudrais pas parler à votre place, mais j'imagine que vous partagez peut-être cette inquiétude.

C'est ce qui nous amène à nous demander si, au Canada, il faut, comme aux États-Unis, inciter les fonds de retraite publics à s'autodiscipliner ou encore s'il y a lieu de prévoir un cadre législatif quelconque pour orienter leur action, ou peut-être même de leur imposer une réglementation qui aille au-delà de la simple autodiscipline. Je traiterai de cette question un peu plus en profondeur dans quelques instants.

À propos de l'industrie des fonds de retraite aux États-Unis, je vais pour parler des raisons qui ont amené les gestionnaires des principaux fonds à intervenir dans la régie des entreprises, des conséquences de cette orientation et de ce qu'il en est dans le cas du Canada. Pour vous aider à juger de la question, il y a trois observations que j'aimerais formuler et sur lesquelles je vais m'attarder quelque peu.

Premièrement, l'activisme des fonds de retraite publics en matière de régie d'entreprise remonte à loin. L'activisme de ces fonds dans ce que j'appellerais les questions sociales date même d'encore plus longtemps. Cette situation est en train de changer considérablement aux États-Unis -- en fait, c'est le cas au moment où je vous parle --, et j'y reviendrai tout à l'heure.

Mais disons tout de suite que c'est une longue tradition et que les fonds de retraite publics ont adopté diverses stratégies et se sont interrogés sur l'orientation que devait prendre leur intervention à cet égard. J'y reviendrai plus en détail dans quelques moments. J'ai également l'intention de vous dessiner le profil de deux importants fonds pour que vous puissiez voir la différence entre leurs approches respectives.

Deuxièmement, il y a aux États-Unis à l'heure actuelle un cadre législatif et réglementaire qui régit le fonctionnement de ces fonds. Là aussi, il y a du changement. Historiquement, ce cadre relevait des États. Il a maintenant tendance à se déplacer vers le palier fédéral. Nous verrons cela en détail dans quelques instants, mais disons pour le moment qu'il y a un cadre législatif et réglementaire en place et que cette situation est en train d'évoluer de manière significative.

Troisièmement, il est indéniable que les initiatives qu'ont prises les fonds de retraite publics ont eu diverses conséquences sur l'entreprise américaine. Elles ont été pour beaucoup dans l'évolution des pratiques et des procédures administratives des grandes entreprises aux États-Unis. Des sociétés ont été amenées à modifier la composition de leur conseil d'administration, leur mode de fonctionnement, leur structure et leurs relations avec leurs actionnaires et leurs dirigeants. Les principaux fonds de retraite publics aux États-Unis ont incontestablement exercé une grande influence -- et je pourrai vous illustrer comment -- sur cette évolution.

Ainsi, on a noté une nette amélioration de la rentabilité des sociétés auprès desquelles ces fonds sont intervenus. Les gestionnaires de ces fonds ciblent chaque année certaines des entreprises dont leur fonds est actionnaire et établissent s'ils travailleront en partenariat avec ces sociétés ou s'ils adopteront une attitude plus combative, toujours pour les amener à améliorer leurs résultats financiers. Les sociétés qui ont été ainsi ciblées ont effectivement affiché de meilleurs rendements, et je vais vous en fournir des exemples.

J'aurais besoin, disons, d'une vingtaine de minutes pour d'abord examiner certains de ces aspects un peu plus en détail, après quoi je pourrai répondre à vos questions, si cela vous convient, monsieur le président.

Le président: Allez-y.

M. Davidson: Les membres du comité ont en main des copies des transparents dont je vais me servir. Elles seraient peut-être utiles aussi aux autres personnes présentes dans la salle.

Commençons par regarder le cas de deux des plus importants fonds de retraite publics aux États-Unis, deux cas que j'ai choisis parce qu'ils me sont très familiers. Le premier s'appelle CalPERS, le California Public Employee Retirement System (régime de retraite des fonctionnaires de la Californie); l'autre, c'est TIAA, que j'appellerai CREF, un acronyme qui doit être modifié. Il s'agit du régime de retraite des enseignants et des professeurs de collèges des États-Unis. J'ai retenu quelques critères autour desquels pourrait s'orienter notre discussion.

CalPERS est le plus gros fonds de retraite public aux États-Unis. Il a un portefeuille de 119 milliards de dollars, soit à peu près l'équivalent du portefeuille du Régime de pensions du Canada.

TIAA est le troisième fonds de retraite public en importance aux États-Unis. Il a un portefeuille de 89 milliards de dollars. Laissez-moi vous donner quelques exemples de leurs pratiques et de leurs réalisations pour que vous compreniez bien ce qui les caractérise.

Dans le passé, les gestionnaires de CalPERS orientaient leurs politiques et leurs activités d'investissement vers des objectifs que je qualifierais de sociaux. Leur activisme était plutôt social. Cela ne date pas d'hier; il en était ainsi il y a 10 ou 15 ans.

Dans une certaine mesure, c'est la loi californienne qui obligeait CalPERS à adopter ces politiques. Parce que ce fonds était régi par la loi californienne, ses investissements devaient être faits conformément aux politiques et critères établis dans cet État. Par exemple, il ne fallait pas investir dans certains pays ni dans les sociétés qui faisaient affaire dans ces pays; il ne fallait pas non plus investir dans des sociétés qui n'avaient pas déclaré de politiques de diversité, et cetera.

Généralement parlant, les gestionnaires de CalPERS se sont conformés aux exigences de l'État et ont limité leur activisme social à ces mesures. Toutefois, ils ont récemment adopté deux approches pour amener les entreprises à changer leur façon de s'administrer. C'est peut-être le plus proactif de tous les fonds de retraite publics.

J'ai distribué des exemplaires du résumé du projet d'énoncé de principes que j'ai préparé à l'intention des gestionnaires de CalPERS. Il est soumis à toutes les sociétés dans lesquelles le fonds investit. Les gestionnaires de ce fonds ont été les premiers à recommander l'adoption de principes directeurs de ce genre. Ils ne se contentent pas de les mettre sur papier, mais ils en discutent directement avec les dirigeants de chaque entreprise et passent en revue avec eux les principes de régie qu'ils souhaitent voir appliqués.

Comme on peut le constater en jetant un coup d'oeil sur les grandes catégories ici, les gestionnaires de CalPERS abordent diverses questions, dont la composition du conseil d'administration, les relations entre le conseil et la direction, le nombre d'administrateurs indépendants et la rémunération des administrateurs. On y est très précis.

Au début, les gestionnaires de CalPERS discutaient avec les dirigeants et usaient plutôt de persuasion. À vrai dire, cette méthode n'était pas très efficace: un certain nombre d'entreprises leur opposaient une fin non-recevoir, alors que d'autres ne prenaient tout simplement pas soin de tenir compte de leurs souhaits, même si le fonds était un important actionnaire. C'est ce qui a amené les gestionnaires de CalPERS à changer d'attitude. Sur cette page, je décris leur nouvelle façon d'aborder la régie d'entreprise. Ils médiatisent tout. C'est pourquoi ils font si souvent la manchette et que tout le monde ici a probablement entendu parler de CalPERS ou lu quelque chose à son sujet, car les gestionnaires de CalPERS ne se contentent pas d'établir ces principes; ils les rendent publics.

Le deuxième élément de l'approche qu'adoptent les gestionnaires de CalPERS à l'égard de la régie d'entreprise est de cibler chaque année certaines des entreprises qui font partie de leur portefeuille, celles dont les résultats financiers leur apparaissent anormalement décevants. Ils expriment alors leur déception, et ils le font publiquement. Tout le monde l'apprend par les journaux. S'il est probablement juste de dire qu'il est déjà assez grave pour une entreprise d'avoir des résultats moins qu'enviables, il est sûrement embarrassant pour elle de voir un de ses actionnaires le crier sur les toits. Cette stratégie a été un élément très important dans l'attitude qu'ont adoptée les gestionnaires de CalPERS. Ils exigent des changements et ils veulent que tout le monde sache qu'ils vont veiller à ce qu'il y en ait.

Ils disent adopter une attitude de «partenariat». Ils discutent en personne avec les administrateurs. Ils ne cherchent pas à se faire élire au sein des conseils d'administration. Ils déclarent publiquement, à l'instar des gestionnaires de la plupart des autres fonds, qu'ils ne tentent pas de diriger les entreprises et qu'ils n'ont d'ailleurs pas les compétences pour le faire. Leur devoir est de bien gérer leur fonds de retraite. Ils essaient d'améliorer les pratiques administratives des entreprises en obtenant que des changements soient apportés à la structure et à la composition des conseils d'administration ainsi qu'à leur façon de fonctionner. C'est sur quoi ils insistent. Mais ils n'essaient pas de s'ingérer dans la stratégie, l'orientation ou les opérations de ces entreprises.

Ils disent que l'attitude «aimable et conciliante» n'a pas été efficace. L'expression est de moi. Je ne la tiens pas d'eux.

Ils affirment que pendant un certain nombre d'années on a trop souvent rejeté leurs suggestions et que c'est ce qui les a amenés à se montrer beaucoup plus combatifs. Les médias sont remplis d'anecdotes racontant leurs discussions avec les dirigeants de General Motors, discussions qui ont entraîné des changements majeurs dans la composition du conseil d'administration de cette société. On prétend même qu'ils sont à l'origine du remplacement du président du conseil. Disons, pour mieux les décrire, qu'ils sont peut-être devenus des partenaires plus déterminés.

TIAA est le troisième fonds de retraite public en importance aux États-Unis. Son activisme politique et social remonte à plus loin encore que celui de CalPERS. Même aujourd'hui, cet activisme le caractérise bien davantage que CalPERS. Le problème, c'est que les gestionnaires de TIAA sont actuellement sous enquête, l'Internal Revenue Service (IRS) leur reprochant de s'écarter de leur mandat. C'est qu'en principe, ils doivent s'en tenir à se montrer loyaux envers leurs membres -- j'y reviendrai plus tard -- et n'avoir pour seule motivation qu'une volonté d'améliorer le rendement du fonds qu'ils administrent dans l'intérêt de ses cotisants. L'IRS est à examiner les pratiques administratives de TIAA en vue de déterminer si ses gestionnaires ont dépassé les limites de leurs attributions, auquel cas ils risqueraient de voir le fisc considérer leur fonds comme une entreprise assujettie à l'impôt. Un tel traitement aurait pour les cotisants de graves conséquences sur le rendement net de leur fonds de retraite. Cette affaire est actuellement sous enquête à l'IRS. Les discussions et les activités de lobbying se poursuivent fébrilement à ce sujet au moment où nous parlons.

Les gestionnaires de TIAA ont eux aussi des principes en matière de régie d'entreprise, mais ils ont moins tendance que CalPERS à médiatiser leur activisme. Ils sont intervenus activement dans le processus décisionnel de certaines entreprises et entendent même accentuer leurs efforts en ce sens. Leur approche est beaucoup plus ouvertement conflictuelle que celle de CalPERS, si je puis faire cette comparaison. Ils sont vraiment combatifs.

Peut-être est-ce parce que les cotisants qu'ils représentent sont des professeurs de collège et des enseignants qu'ils poursuivent encore leur activisme social. Ils affirment pourtant publiquement, tout comme les gestionnaires de CalPERS, que ce qu'ils recherchent avant tout, c'est l'intérêt de leurs membres. À l'instar de ceux de CalPERS, ils demandent à leurs membres de leur donner des procurations pour voter en leur nom.

Je tiens à vous signaler que certaines de ces pratiques diffèrent de celles qu'on peut observer chez les investisseurs institutionnels au Canada. J'ai l'impression, pour avoir fait affaires avec certains fonds mutuels canadiens, que vos fonds font moins usage des procurations pour voter au nom de leurs membres. C'est différent de ce qui se fait aux États-Unis à cet égard. Ces gestionnaires n'essaient peut-être pas de diriger les entreprises, mais ils essaient parfois d'y provoquer des changements.

Ce serait assez bien les décrire que de dire qu'ils militent pour des causes sociales, mais qu'ils n'en font pas pour autant le fondement de leurs décisions d'investissement.

Le président: Ai-je raison de croire que l'IRS craint que les gestionnaires de ces fonds ne fondent leurs décisions d'investissement sur ce genre de principe?

M. Davidson: Tout à fait, et ces gestionnaires vont bien au-delà des pratiques et politiques normales d'investissement, ce qui les amène à aller jusqu'à faire modifier les méthodes administratives des entreprises dans lesquelles ils investissent.

Il y a un point à la fin de mon mémoire qu'il vous intéressera peut-être d'examiner, c'est celui de l'indexation de leurs portefeuilles. J'aborderai cette question à la fin de mon exposé. Je crois que la question pourrait être pertinente en ce qui concerne les fonds de retraite publics au Canada et peut-être même le RPC. Une importante part du portefeuille de ces fonds est indexée; pour simplifier, disons qu'elle est placée par l'entremise d'un autre fonds. Essentiellement, le rendement de ces investissements est basé sur l'indice des valeurs d'un certain nombre d'industries, dans la gestion desquelles les fonds n'interviennent pas.

Environ 43 p. 100 du portefeuille de CalPERS est placé dans des fonds indexés. Donc, oui, les gestionnaires de ces fonds de retraite sont actifs et cherchent à imposer leurs principes directeurs en matière de régie d'entreprise, mais un fort pourcentage de leur portefeuille est par ailleurs investi, par l'intermédiaire d'autres fonds, dans des entreprises sur lesquelles ils n'exercent aucune influence. Voilà qui peut paraître contradictoire. D'ailleurs, TIAA a même un pourcentage encore plus considérable de son portefeuille qui est indexé. C'est peut-être un sujet dont nous devrions discuter.

Je vais maintenant examiner brièvement avec vous si ces initiatives ont donné des résultats. On ne peut nier que les pratiques de régie interne des entreprises dont ces fonds sont actionnaires ont changé. Je pense personnellement que les gestionnaires de ces fonds ont même été nettement en avance sur leur temps à cet égard, car bien des entreprises américaines et canadiennes ont depuis apporté des changements à la structure et aux pratiques de leurs conseils d'administration. Prenez le rapport annuel de n'importe quelle grande entreprise et vous constaterez que les pratiques de régie interne n'y sont plus les mêmes qu'auparavant.

Il y a évidemment d'autres facteurs qui ont contribué à cette évolution, mais d'importantes études effectuées en Ontario, dans d'autres parties du Canada et aux États-Unis ainsi que l'enquête Cadbury au Royaume-Uni ont montré que ces fonds ont tracé la voie sur ce chapitre. Les entreprises prennent maintenant le train en marche, et elles l'ont même fait très résolument ces cinq dernières années. En proposant de telles mesures il y a dix ans, les gestionnaires de CalPERS étaient donc peut-être quelque peu en avance sur leur temps. Vous constaterez maintenant que beaucoup de choses ont changé dans les pratiques administratives, peut-être pas autant que le prônent ces principes directeurs, car ils demeurent critiqués dans certaines entreprises.

Il y a eu des changements. Je constate par exemple qu'il y a maintenant bien plus d'administrateurs indépendants au sein des conseils d'administration des grandes entreprises au Canada et aux États-Unis. J'en sais quelque chose, car notre maison d'experts-conseils a été retenue par un groupe d'administrateurs indépendants d'une société canadienne pour tenter de résoudre un problème qui créait un malaise au sein des membres du conseil d'administration de cette entreprise. Ces administrateurs indépendants ont demandé à nos experts-conseils de se pencher sur le problème et ils ont ensuite fait rapport de nos conclusions aux autres membres du conseil d'administration. Voilà qui aurait été difficilement imaginable il y a dix ans.

Le véritable critère sur lequel on devrait se fonder pour voir si les gestionnaires de ces fonds respectent leur mandat unique, c'est la mesure dans laquelle leurs interventions influent positivement sur le rendement de leurs investissements. Bref, ce que j'essaie de montrer sur cette page, c'est ce que j'appellerais la «période pré-CalPERS, de 1982 à 1987» et la «période post-CalPERS, de 1987 à 1992».

Ce dont il est question ici, c'est de la rentabilité des seules entreprises que les gestionnaires de ces fonds ont ciblées. Ils publient annuellement une liste de 10 entreprises ciblées. Je vous ai fourni un exemplaire de cette liste pour 1997. Nous pouvons observer ici l'amélioration des résultats financiers, c'est-à-dire du rendement qu'ont obtenu les gestionnaires de CalPERS sur leurs investissements dans les entreprises ciblées. Vous pouvez voir que, durant la période pré-CalPERS, le rendement de leurs investissements se situait au tiers de celui de l'indice 500 de S&P, tandis qu'au cours de la période subséquente, il était d'environ 7 p. 100 plus élevé.

À quoi au juste faut-il attribuer une telle progression? Les résultats sont là. Évidemment, d'autres facteurs entrent en ligne de compte. Quoi qu'il en soit, les gestionnaires de CalPERS sont convaincus qu'ils y sont pour quelque chose.

Permettez-moi d'aborder maintenant brièvement l'aspect réglementaire et législatif. Presque tous les fonds de retraite publics aux États-Unis sont régis par la loi sur les fiducies. Les gestionnaires de ces fonds ont un rôle fiduciaire. Ils doivent se conformer aux exigences de la loi sur les fiducies. On est parfois porté à l'oublier, compte tenu tout particulièrement de la façon dont les médias ont présenté ces fonds récemment. Je n'entrerai pas dans les détails, car je ne suis pas dans une position idéale pour le faire. Il y a à cette table d'autres personnes qui s'y connaissent mieux que moi. Disons toutefois que cette loi est à la base même de l'existence de ces fonds.

Jusqu'à maintenant, l'administration de ces fonds a toujours été assujettie aux lois des États. CalPERS est régi par les lois de l'État de la Californie. Les lois et les règlements de la Californie comportent des exigences précises concernant la composition et les responsabilités des conseils d'administration. Les gestionnaires de ces fonds doivent agir comme des fiduciaires.

Il existe aux États-Unis une loi fédérale, appelée ERISA, qui régit les fonds de retraite privés. Elle comporte des exigences très strictes concernant notamment leurs politiques d'investissement, la composition de leurs conseils d'administration et l'obligation qu'ont leurs administrateurs d'agir dans le meilleur intérêt des cotisants. Cette liste comporte de nombreuses exigences. C'est sur cette base que les fonds de retraite privés doivent être gérés.

Un équivalent de la loi ERISA a été déposé au Congrès pour les fonds de retraite publics. Cette loi n'a pas encore été promulguée. Il existe toutefois une version qui dit essentiellement que les fonds de retraite publics doivent poursuivre à peu près les mêmes objectifs que les fonds de retraite privés. Ils doivent servir les intérêts de leurs membres. Pourquoi ces deux types de fonds devraient-ils être régis par des règles différentes? Une version préliminaire d'un projet de loi analogue à la loi ERISA est actuellement à l'étude au Congrès.

La plus importante modification qui sera apportée à la réglementation américaine concerne l'attitude proactive que devra adopter l'Internal Revenue Service à propos de l'exigence relative au devoir unique de loyauté envers les cotisants. C'est dans le but d'en venir «en douceur» à faire respecter par tous les fonds de placement les principes de la loi ERISA que l'IRS commence à inclure ce genre de dispositions dans ses règlements relatifs aux activités des gestionnaires de fonds de retraite publics. L'IRS veut ainsi s'assurer que les gestionnaires de ces fonds se conformeront à leur devoir unique de loyauté envers leurs cotisants, sans quoi le revenu que génèrent les fonds qui leur sont confiés cessera d'être exonéré d'impôt. C'est sur cette base que se poursuivent les discussions entre les gestionnaires de TIAA et les responsables de l'IRS. L'IRS estime que les gestionnaires de TIAA transgressent les règles établies en cette matière.

J'aimerais maintenant soulever plusieurs questions se rapportant plus directement au contexte canadien. Peut-être pourrons-nous en discuter plus avant pendant la période des questions.

Il y a des parallèles importants à faire entre les secteurs des régimes de retraite publics canadien et américain. Si l'on tient compte de la taille respective de nos économies, ces régimes y occupent de part et d'autre une place très importante. On a généralement tendance à porter surtout attention aux régimes de grande envergure. Au Canada, par exemple, on entend sans cesse parler de la caisse de retraite des employés municipaux de l'Ontario et du régime de retraite des enseignants de l'Ontario, mais il existe de nombreux autres fonds de retraite publics moins considérables. Nous ne devrions pas l'oublier.

Aux États-Unis également, les régimes de retraite jouent un rôle important. Il y a bien sûr ceux dont il est abondamment question dans les médias, comme CalPERS, TIAA, le régime du Wisconsin, celui de New York, celui de la Floride, et cetera. Ils sont très actifs et imposants, mais il y aussi des régimes de moindre envergure qui observent scrupuleusement leur devoir unique de loyauté envers leurs cotisants. Il faudrait se mettre en garde d'aller créer des règles qui ne s'appliqueraient qu'à quelques-uns d'entre eux.

Une des premières questions qu'on peut se poser ici est à savoir s'il y a au Canada des conséquences fiscales auxquelles pourraient être exposés les fonds de retraite publics qui s'aviseraient de trop s'immiscer dans la régie interne des entreprises dans lesquelles ils investissent. Revenu Canada jouerait-il sur ce plan un rôle comparable à celui de l'IRS? Revenu Canada a-t-il des règlements à cet égard?

Par ailleurs, est-ce exact qu'on envisage actuellement -- et on passera peut-être aux actes -- d'apporter une modification qui toucherait la règle du 80-20 applicable aux REER? J'en ai discuté avec des Canadiens qui estiment qu'un tel changement pourrait modifier le ratio d'investissement des régimes de retraite publics et du secteur des fonds mutuels -- autrement dit, de ceux qui sont chargés de placer les épargnes des cotisants aux REER ou aux fonds de retraite en général. La règle du 80-20 sera, paraît-il, remplacée par une nouvelle norme qui permettrait aux gestionnaires de fonds d'investir davantage dans des entreprises étrangères.

D'aucuns ont le sentiment qu'une telle mesure pourrait modifier du tout au tout la situation en matière de régie d'entreprise, en ce sens que la question ne se poserait même plus, du seul fait que les fonds seraient alors davantage investis dans des entreprises étrangères. Je n'en crois rien. Le problème de l'intervention dans la régie des entreprises existe indépendamment de ce que font les gestionnaires de fonds de retraite publics aux États-Unis. Le problème demeurera, car il tient fondamentalement à la façon dont les entreprises sont gérées et dirigées. Une modification qui toucherait la règle du 80-20 pourrait avoir une certaine influence sur les décisions d'investissement, mais je ne suis pas sûr qu'elle diluerait l'intérêt que portent les gestionnaires de régimes publics ou autres à la régie interne des entreprises.

En ce qui concerne les fonds du Régime de pensions du Canada, j'ai cru comprendre, moi qui ne suis pas d'ici, qu'on songe à modifier la loi canadienne qui interdit l'utilisation des fonds du RPC aux fins d'acquérir des actions d'entreprises canadiennes. Il y a déjà eu des mesures législatives similaires à cet égard aux États-Unis. L'équivalent du RPC aux États-Unis peut maintenant acheter des actions d'entreprises. La loi a été modifiée à cette fin en 1996. Paradoxalement, malgré l'importance de cet événement compte tenu de la taille de ce fonds de retraite, les médias en ont fait peu de cas. Il semble devoir en être de même ici au Canada.

Il y a lieu de se demander si l'option qui consisterait à permettre au Régime de pensions du Canada d'investir dans des sociétés canadiennes, mais seulement par l'intermédiaire de fonds indexés, ne serait pas un moyen d'éviter que ne se pose ici encore, comme dans le cas des régimes de retraite publics, le problème de l'ingérence dans la régie d'entreprise. Si le Régime de pensions du Canada, compte tenu de sa taille, était autorisé à acheter des actions de sociétés canadiennes, la possibilité que les gestionnaires de ces fonds de retraite publics s'interposent encore davantage dans le processus décisionnel et la stratégie des entreprises vous inquiéterait-elle au même titre ou même davantage? Dans l'affirmative, peut-être devriez-vous leur permettre de faire des placements indexés, sans toutefois aller jusqu'à les autoriser à investir directement dans les entreprises.

Ce sont peut-être là davantage des sujets de réflexion que des conclusions.

Le président: Merci beaucoup. Nous allons débuter avec le sénateur Oliver parce qu'il doit nous quitter sous peu.

Le sénateur Oliver: Je tiens d'abord à vous remercier pour l'excellence de votre exposé. Vous avez soulevé un certain nombre de questions qui sont fascinantes de par leur portée et leur possible incidence dans notre pays et qui nous interpellent au sujet des mesures que nous pouvons ou ne pouvons pas prendre ou que nous devrions ou ne devrions pas prendre.

Ce qui m'intéresse surtout dans l'ensemble de la question à l'étude, c'est tout ce qui touche la notion d'activisme chez les gestionnaires de fonds de retraite. Certains des témoins que nous avons entendus hier dans la journée et dans la soirée nous en ont parlé et vous avez vous-même abordé cette question non seulement dans votre exposé, mais aussi dans les documents que vous nous avez remis. Une des choses que Tom Hockin nous a dites hier soir, c'est qu'il y avait beaucoup de travail à faire au Canada en ce qui concerne la régie d'entreprise dans son secteur de l'industrie. Il nous a également mentionné qu'on allait s'intéresser à ce qui se fait actuellement à cet égard aux États-Unis pour voir quelles mesures on y a prises en matière de régie d'entreprise et pour nous en inspirer dans la recherche de solutions à un certain nombre des problèmes sur lesquels nous nous penchons nous aussi actuellement.

Dans le document qu'on nous a remis et qui s'intitule «Redefining Corporate Governance», on trouve un certain nombre de questions à l'intention des investisseurs institutionnels. Vous avez analysé l'ampleur et la nature de leur activisme. Je vais vous rafraîchir la mémoire et vous demander de nous parler des conclusions auxquelles on en est arrivé et des mesures qu'on entend prendre à cet égard sur le plan réglementaire.

M. Davidson: Ce n'est pas moi qui ai rédigé ce document.

Le sénateur Oliver: Très bien alors. Ce document propose notamment:

- de transmettre par écrit au conseil d'administration de l'entreprise les points de vue de l'organisme investisseur;

- de faire part verbalement aux membres du conseil d'administration des points de vue de l'organisme investisseur;

- de suggérer à l'organisme investisseur d'exercer une surveillance plus directe sur le conseil d'administration;

- de voter en faveur d'une résolution présentée par un actionnaire;

- de parrainer une résolution présentée par un actionnaire.

Au Canada, je crois que les gestionnaires de tels fonds, entre autres, ne sont pas de fervents activistes; ils seraient plutôt portés à s'en tenir à des suggestions formulées tout en douceur. Aux États-Unis, vous êtes allés plus loin. Qu'en est-il résulté? Au dire des entreprises, jusqu'où ces investisseurs sont-ils allés?

M. Davidson: C'est une bonne question. Les pratiques en cette matière aux États-Unis s'apparentent aux types d'intervention qui sont décrites dans ce document.

Elles ont amené les entreprises américaines à prendre d'importantes mesures. Il est juste de dire qu'en ce moment les gestionnaires de fonds de retraite publics n'interviennent pas pour prendre le contrôle des entreprises et pour modifier leur orientation. Ce qu'ils veulent, c'est améliorer le rendement de leur investissement. Un grand nombre des questions que vous soulevez l'ont également été par les gestionnaires de fonds de retraite publics.

Je ne dis cela qu'à propos des gestionnaires de fonds de retraite publics et non des gestionnaires de fonds mutuels. Ils se comportent différemment dans nos deux pays, mais il y a certainement des parallèles à faire entre ce qui se fait aux États-Unis et au Canada en ce qui concerne les questions posées dans le document dont vous parlez.

Le sénateur Oliver: Normalement, on leur demande: «Si vous êtes à ce point proactifs, l'êtes-vous vraiment uniquement pour tenter d'améliorer le rendement des placements de vos actionnaires?»

Avez-vous des exemples de cas où ces gestionnaires sont allés trop loin et où ce genre d'activisme s'est révélé nuisible ou dommageable aux entreprises? Dans l'affirmative, quel type de réglementation notre comité devrait-il proposer ou quelle suggestion devrait-il faire pour prévenir ce genre d'activisme au Canada -- évidemment, s'il y a lieu de le faire?

M. Davidson: Un des messages que j'aimerais vous transmettre, c'est que si vous observez la situation antérieure aux cinq dernières années aux États-Unis, vous allez constater nettement que les attitudes et les propositions des gestionnaires de ces fonds s'apparentaient alors à ce que je qualifierais d'activisme social. L'un des deux fonds dont je vous ai parlé, celui de TIAA, était parmi les plus actifs sur ce plan. Il ne s'agissait même plus de s'intéresser à la régie des entreprises, mais bien d'amener la société à changer.

Dans une certaine mesure, cette pratique a encore cours -- bien que le cadre législatif et réglementaire et les changements qui y ont été apportés, et que j'ai tenté de vous décrire, constituent toujours une sérieuse menace dans la mesure où ces pratiques pourraient modifier le traitement fiscal du revenu généré par ces fonds. Il reste que TIAA et d'autres fonds demeurent très actifs à cet égard. Leurs gestionnaires tiennent scrupuleusement à ce que leurs investissements soient dirigés vers des entreprises qui ont telle ou telle politique sur le plan social.

Leurs attitudes peuvent même parfois être très conflictuelles, il n'y a pas lieu d'en douter.

Je pourrais vous raconter toutes sortes d'anecdotes à ce propos, mais les discussions avec les dirigeants de General Motors en sont probablement l'exemple classique. Essentiellement, General Motors rejetait systématiquement toutes les suggestions des gestionnaires de CalPERS et d'autres fonds. Ces mêmes gestionnaires ont changé depuis leur tactique et interviennent désormais davantage sur une base individuelle auprès des membres du conseil d'administration.

Le sénateur Oliver: Parmi les exemples que vous nous avez cités, vous avez mentionné que les deux organismes dont vous avez parlé dans votre exposé avaient réussi à faire modifier la composition de conseils d'administration en y faisant nommer des administrateurs indépendants. Sont-ils allés jusqu'à obtenir des changements au niveau des dirigeants, des premiers vice-présidents, par exemple?

M. Davidson: À ma connaissance, ce n'est absolument pas ce à quoi ils s'emploient. Un de leurs principes directeurs, c'est qu'il devrait y avoir une nette distinction et séparation entre la direction de l'entreprise et son conseil d'administration, qui ont souvent trop en commun. Une même personne ne devrait pas, par exemple, exercer à la fois la fonction de président du conseil et de directeur général, ce qui n'est pas le cas actuellement et n'a jamais été le cas dans beaucoup de grandes entreprises. Ces gestionnaires de fonds essaient d'éviter de s'immiscer dans la gestion de l'entreprise, mais ils tiennent à ce qu'il y ait une nette distinction entre le conseil d'administration et le groupe des dirigeants.

Le sénateur Stewart: Si l'on prend l'exemple des relations entre l'Internal Revenue Service et TIAA, en présumant qu'il s'agit d'un cas représentatif, je suppose que c'est la prétendue tentative des gestionnaires de TIAA de faire changer la société qui a attiré l'attention de l'Internal Revenue Service.

Dans quelle proportion, selon vous, les décisions d'investissement de TIAA sont-elles prises en fonction de la recherche de moyens d'amener la société à changer? J'ai l'impression que son portefeuille doit être extrêmement diversifié -- peut-être pas indexé, mais très diversifié.

M. Davidson: Vous posez là une bonne question.

Pour nous situer un peu, disons d'abord que TIAA est actionnaire de plus de 2 400 entreprises américaines. Il n'est pas question pour les gestionnaires de ce fonds de vouloir changer les pratiques de toutes ces entreprises pour faire des gains sur le plan social. Néanmoins, ils fondent leurs choix d'investissement sur des principes fondamentaux, sur une certaine idéologie. Ils chercheront, par exemple, à investir dans des entreprises qui ont, relativement aux produits ou aux services qu'ils offrent, ainsi que dans leurs relations avec leurs clients, leurs employés et leurs actionnaires, des politiques et des principes de respect des valeurs sociales. Jusqu'à un certain point, cela transparaît dans toutes leurs décisions.

Nous avons parlé de changements sociaux. Ce que je viens de vous décrire n'est peut-être pas aussi radical que vous ne l'imaginiez; il peut s'agir simplement de souci de responsabilité sociale. C'est ce qui oriente l'action de ces gestionnaires. Si vous me permettez de revenir sur ce que je me plais à répéter, je ne crois pas que ce soit ce sur quoi ils fondent directement leurs décisions financières. Ils veulent bien sûr aussi que leurs placements soient profitables, mais, pour arriver à cette fin, ils préfèrent investir dans des entreprises qui ont des préoccupations qui s'apparentent aux leurs.

Le sénateur Stewart: J'ignore si vous pourrez répondre à cette question et, s'il vous est impossible de le faire, je suis sûr que vous n'hésiterez pas à me le dire.

Qui a été à l'origine de l'initiative de l'Internal Revenue Service? Est-ce une des entreprises qui se plaignait de ce que TIAA se mêlait de ce qui ne la regardait pas?

M. Davidson: J'ignore quel en a été le véritable déclencheur. Je sais que les mesures qui ont été prises récemment venaient de l'IRS lui-même. Je ne sais pas dans quelle mesure des discussions avaient précédé son intervention.

Sur ce point, je partage l'inquiétude fondamentale que pourraient éprouver certains à l'idée que des entreprises soient mécontentes de voir des groupes d'investisseurs, en l'occurrence les fonds de retraite publics, en fait leurs actionnaires, essayer de modifier leurs pratiques de régie interne. Vous verrez dans les principes directeurs de CalPERS que les investisseurs institutionnels doivent se montrer collaborateurs pour -- à ce qu'il me semble en lisant entre les lignes -- renforcer leur pouvoir déjà musclé. Les entreprises se sont montrées mécontentes de cette attitude et ont affirmé qu'il ne devrait peut-être pas en être ainsi. Peut-être exerce-t-on parfois des pressions indues. Peut-être certains investisseurs cherchent-ils à amener des entreprises à modifier leur stratégie et leur orientation. Je sais que le problème s'est posé aux États-Unis et que ce pourrait bien être le cas ici également. Ce que vous devez vous demander, c'est s'il est anormal qu'un gros investisseur essaie de faire modifier la composition, le comportement et la structure d'un conseil d'administration.

Pour revenir sur votre question concernant l'origine de cette enquête de l'IRS, j'ignore ce qu'il en est. L'affaire se tramait depuis bien des années. Il n'y a pas que chez General Motors et Exxon qu'il y avait de la grogne. Des centaines d'autres entreprises ne voulaient pas entendre parler de ce genre d'ingérence de la part des gestionnaires de fonds de retraite publics.

Le sénateur Tkachuk: Ma question portera aussi sur TIAA et ses relations avec l'IRS ainsi que sur les critères qu'applique l'IRS pour décider que les revenus de placement d'un fonds de retraite public doivent être assujettis à l'impôt. Que doivent avoir fait les gestionnaires de ce fonds pour qu'on en vienne là?

M. Davidson: Selon mon interprétation, sans même aller voir le libellé du règlement en question, on estime que si les activités de placement d'un fonds -- et je le dis en mes propres mots -- n'ont pas pour seule fin d'accroître le rendement des capitaux investis par les actionnaires, elles risquent d'être réputées imposables. En d'autres termes, elles cesseraient alors d'être exonérées d'impôt.

Le sénateur Tkachuk: Ce sont alors des activités d'affaires?

M. Davidson: Exactement. C'est mon interprétation. Il serait peut-être utile que votre comité examine le libellé de ce règlement de l'IRS. Essentiellement, c'est ce qu'il prévoit, je pense.

Le sénateur Tkachuk: Nous avons eu un certain nombre de discussions ces derniers jours à propos de toute cette question de la régie d'entreprise. Vous avez parlé de partenariat dans le cas de CalPERS.

Les fonds de retraite, les fonds mutuels et certains détenteurs d'importants blocs d'actions poussent leurs démarches tellement loin qu'on peut se demander s'il n'y aurait pas lieu de les considérer comme des initiés. Je parle ici d'investisseurs dont les activités ont des conséquences pour le meilleur ou pour le pire sur les autres actionnaires d'une entreprise.

Cela m'amène à me poser la question suivante: Ai-je le droit, comme actionnaire d'une société ouverte, d'être informé que tel ou tel fonds de retraite vient de se porter acquéreur d'un important bloc d'actions de la société en question? En cas de prise de contrôle, dès que quelqu'un se porte acquéreur d'un certain pourcentage des actions, je peux, en ma qualité d'actionnaire, invoquer certaines règles pour m'informer de la présence d'un nouveau venu. Qu'en est-il si ce nouveau venu est un fonds de retraite? La loi devrait-elle comporter des exigences de divulgation ou une définition qui permettrait à la population et aux autres actionnaires d'être informés qu'un fonds de retraite possède maintenant une part importante des actions de telle société, par exemple 5 p. 100, ce qui serait considérable? Si c'était moi l'acquéreur, on en traiterait alors comme d'une prise de contrôle.

M. Davidson: Il existe une règle aux États-Unis qui stipule que lorsqu'un actionnaire -- société privée, fonds fiduciaire ou fonds de retraite -- se porte acquéreur de plus de 10 p. 100 des actions d'une société, le public doit en être informé.

Le président: Une règle similaire s'applique au Canada.

M. Davidson: C'est juste, je crois qu'il en existe une semblable au Canada.

Le sénateur Tkachuk: C'est le cas.

M. Davidson: Reste à savoir si 10 p. 100 c'est trop. J'ignore si cette règle s'applique aussi aux fonds mutuels ou aux fonds de retraite publics au Canada. Je crois que oui. Je pense qu'elle s'applique à tout investisseur, peu importe sa catégorie. Ce qu'il faut se demander, c'est si cette barrière est trop élevée et s'il est souhaitable qu'on s'en tienne à cette obligation de divulgation publique.

Le sénateur Tkachuk: Dès qu'un actionnaire entre en étroite relation avec un conseil d'administration -- c'est-à-dire qu'il s'engage dans des discussions et participe à des réunions -- devrait-on le considérer comme un initié?

M. Davidson: Le mot «initié» a un sens très précis. Peut-être pourrais-je employer un autre terme. L'expression «opération entre initiés» a un sens qui n'est pas approprié au contexte de notre discussion.

Si j'ai bien compris, pour parler d'opération entre initiés, il faudrait que les gestionnaires d'un fonds de retraite public -- et je vais m'en tenir à cette catégorie -- aient avec la direction de l'entreprise en question des rapports qui leur donnent accès à des renseignements privilégiés. Les gestionnaires de fonds de retraite aspirent non pas à diriger des entreprises, mais à en améliorer la rentabilité, notamment dans le cas de celles qu'ils ciblent à cette fin chaque année, afin d'obtenir un meilleur rendement sur leur investissement.

Il fut un temps où les gestionnaires de ces fonds essayaient de changer le comportement des entreprises dans lesquelles ils investissaient ou même de choisir ces entreprises en fonction des endroits où elles faisaient affaire. Ils n'acceptaient pas, par exemple, de traiter avec des sociétés qui faisaient affaire en Afrique du Sud. Ils exigeaient plus de responsabilité concernant les produits. Les temps ont quelque peu changé à cet égard.

Selon mon interprétation et mon expérience de ce genre de situation, les gestionnaires institutionnels et les dirigeants de ces sociétés entretiennent des relations moins étroites que vous ne semblez l'imaginer.

Le sénateur Tkachuk: Peut-être ne me suis-je pas exprimé assez clairement. Prenons l'exemple d'un fonds de retraite qui détiendrait des intérêts importants dans une société et qui, parce que devenu insatisfait de l'entreprise en question, peut-être même pour d'autres raisons que le rendement sur l'investissement, entreprendrait de vendre ses actions dans cette société.

N'estimez-vous pas que, compte tenu de l'importance de ses intérêts dans l'entreprise et, partant, de son influence potentielle sur la valeur des actions de cette société, il faudrait, afin de protéger les autres actionnaires, informer immédiatement le public que cet important actionnaire entend se départir de toutes ses actions dans la société en question? L'incidence de ce retrait sur la valeur des actions pourrait être considérable et des actionnaires pourraient être durement touchés par cette vente massive d'actions.

M. Davidson: Voulez-vous dire qu'il devrait y avoir obligation de divulgation publique non seulement quand un investisseur achète un nombre considérable d'actions, mais également quand il a l'intention de les vendre?

Le sénateur Tkachuk: Exactement.

M. Davidson: Il pourrait être difficile de rendre publique une intention de vendre. Pour ce qui est de la vente comme telle, s'il s'agit d'un actionnaire important, je crois que la règle des 10 p. 100 s'appliquerait là aussi.

Le sénateur Callbeck: Je voudrais d'abord vous féliciter pour votre excellent exposé. Ma première question a trait aux portefeuilles. Je constate que le portefeuille de CalPERS est indexé à 43 p. 100, alors que celui de TIAA l'est dans une proportion de 73 p. 100.

Vous avez dit, sauf erreur, que dans le cas de son portefeuille indexé le fonds de retraite n'exerçait aucune influence en matière de régie d'entreprise.

M. Davidson: C'est ainsi que je le vois.

Le sénateur Callbeck: Pourquoi alors les gestionnaires de ces fonds ont-ils un si fort pourcentage de leur portefeuille investi de cette manière?

M. Davidson: C'est en quelque sorte une politique d'investissement sage. En raison de la taille imposante de ces fonds, leurs gestionnaires en utilisent une partie pour investir directement dans des entreprises et ils placent le reste dans des fonds indexés qui ont un très bon rendement. Ils sont d'ailleurs peut-être motivés, en agissant ainsi, par l'énormité des efforts supplémentaires de surveillance qu'il leur faudrait déployer si leur proportion de placements directs était plus considérable.

Le sénateur Callbeck: Vous avez mentionné que les gestionnaires de CalPERS fixent des objectifs aux entreprises dans lesquelles ils investissent et que lorsque ces objectifs ne sont pas atteints, ils médiatisent l'affaire. Vous avez dit aussi qu'ils réussissent parfois à imposer le remplacement de membres au sein de conseils d'administration ou d'autres mesures de ce genre. Y a-t-il eu des cas où ce qu'en ont rapporté les médias a eu une influence sur la valeur des actions de ces entreprises?

M. Davidson: Je ne pourrais affirmer que cette médiatisation a une influence directe sur la valeur des actions. Je tiens à vous rappeler que ce que les gestionnaires de CalPERS et d'autres fonds rendent public, c'est la liste des sociétés qu'elles ont l'intention de cibler l'année suivante. Ils ne publient rétrospectivement de commentaires ni sur le rendement effectif d'une entreprise ni sur celui qu'elle aurait pu atteindre. Ils dévoilent les noms des sociétés ciblées, à la façon de résolutions du Nouvel An, et en informent largement le public. Ils annoncent avec quelles sociétés ils traiteront durant l'année pour essayer d'en améliorer la rentabilité.

Quant à savoir si cette médiatisation a eu pour effet de déstabiliser le cours des actions de ces sociétés, je ne saurais vous le dire. Je n'en sais rien. Peut-être qu'en prenant connaissance de cette information, certains sont surpris de constater qu'ils ne se doutaient pas du piètre niveau de rentabilité de telle ou telle société. Certaines de ces sociétés ont d'ailleurs des résultats de 90 p. 100 inférieurs à ceux de l'ensemble de leur secteur. J'hésite à employer le mot «nullités» pour les qualifier, mais il reste qu'elles ont des rendements nettement inférieurs à la moyenne. Il m'apparaît évident que la publication de tels résultats ne peut laisser indifférents les autres investisseurs.

Le sénateur Austin: Ils peuvent réagir de deux manières. Certains vendront leurs actions parce que l'entreprise a des résultats décevants. D'autres décideront d'acheter des actions dans l'espoir que CalPERS amène effectivement l'entreprise à accroître sa rentabilité.

Le sénateur Callbeck: Pensez-vous que les régimes de retraite canadiens devraient adopter une approche aussi directe que celle de CalPERS?

M. Davidson: Je crois que quelques-uns de vos gros investisseurs institutionnels se montrent déjà plus actifs, davantage à la canadienne. Ils essaient d'amener les entreprises à modifier leurs pratiques de régie interne ainsi que la structure de leurs conseils d'administration, au sein desquels ils parviennent d'ailleurs à faire élire des administrateurs indépendants. L'attitude canadienne est moins médiatique et peut-être aussi moins conflictuelle.

C'est un choix que fait chacun des fonds. Il y a de nombreux petits fonds qui investissent consciencieusement leurs capitaux, du mieux qu'ils le peuvent, et judicieusement dans bien des cas, et qui ne seraient nullement disposés à mener de tels combats.

Le sénateur Callbeck: Les gestionnaires de fonds de retraite canadiens devraient-ils informer davantage le public? Ces fonds devraient-ils médiatiser leurs interventions comme le fait CalPERS?

M. Davidson: Il y a une foule d'avantages à rendre publique sa participation à la régie de certaines entreprises. Cette médiatisation peut parfois contribuer sensiblement à améliorer les résultats financiers d'une entreprise. C'est aux gestionnaires de chaque fonds d'en juger pour eux-mêmes. De nombreux fonds aux États-Unis ne tiennent pas à médiatiser leurs activités de ce type. CalPERS, qui se trouve à être le plus important fonds de tous, s'en est fait une stratégie. Il appartient à chaque fonds d'établir sa propre stratégie.

Le président: J'aurais une question supplémentaire dans le sens de votre réponse au sénateur Callbeck. Je souhaiterais que vous précisiez davantage.

Vous avez dit que les gestionnaires de nos fonds devraient être actifs, mais à la canadienne. Il est intéressant de constater qu'il y a un an, le DG de l'un de nos cinq plus importants fonds de retraite a employé devant notre comité exactement la même expression, «à la canadienne». On lui avait demandé de comparer le style d'activisme du fonds qu'il administrait avec celui de CalPERS et il nous avait répondu qu'il privilégiait lui-même les rencontres avec les dirigeants des entreprises. L'expression exacte qu'il a employée pour décrire ce style d'intervention était «à la canadienne». Je remarque que vous avez vous-même parlé d'attitude «aimable et conciliante» en décrivant l'approche de CalPERS.

J'aurais deux questions à ce propos. Premièrement, l'approche «à la canadienne» ou l'attitude «aimable et conciliante» est-elle vraiment efficace à votre avis? Vous avez travaillé des deux côtés de la frontière, vous devez avoir une opinion à ce sujet.

Deuxièmement, l'approche à la canadienne, non médiatisée, est-elle adéquate, en ce sens que le public et, partant, les actionnaires minoritaires, sont alors tenus dans l'ignorance de ce qui se passe? Ne devrait-on pas prévoir un processus de reddition de compte? Qu'il soit ou non souhaitable en soi d'adopter une attitude aimable et conciliante, la divulgation publique ne contribue-t-elle pas d'une certaine façon à ce que les règles du jeu soient franches, honnêtes et transparentes et à ce que tous les joueurs susceptibles d'être influencés par cette attitude aimable et conciliante, à la canadienne, soient très bien informés de la situation?

M. Davidson: Dans le contexte actuel où l'on s'intéresse beaucoup plus aux structures et à l'efficacité des conseils d'administration, il se peut qu'une attitude aimable et conciliante soit efficace au Canada. Mais si, en plus, le public était tenu au courant de ces interventions, l'attitude aimable et conciliante aurait peut-être encore un peu plus de poids.

Il n'est pas nécessaire que l'intervention soit de nature combative ou conflictuelle, mais on aurait avantage à ce qu'elle soit connue du public. Dans le contexte canadien, cette combinaison pourrait se révéler très efficace. Je n'endosse pas forcément l'approche de TIAA qui est bien davantage conflictuelle. Si une telle agressivité ne vous est pas naturelle, elle ne se manifestera probablement pas de toute façon. Je crois qu'une attitude «aimable et conciliante», surtout si elle s'accompagne d'une plus grande transparence, pourrait donner de bons résultats.

Le président: En examinant la liste que vous nous avez remise et sur laquelle on trouve les noms des entreprises que CalPERS a ciblées pour 1997, je me suis pris à me demander quelle a bien pu être la réaction des gestionnaires qui ont constaté que le nom de leur entreprise y figurait? D'instinct, je serais porté à croire que le fait d'amener quelqu'un à éprouver un sentiment de gêne constitue une arme puissante. Compte tenu du battage médiatique dont CalPERS entoure la publication de cette liste, j'imagine facilement que cela peut fort bien avoir un effet salutaire sur la gestion d'une entreprise dont le nom y apparaît. Ce que je vous en dis n'est toutefois que pure spéculation.

Qu'en savez-vous d'après votre propre expérience et celle de CalPERS?

M. Davidson: D'après mon expérience ainsi que celle de plusieurs autres des plus importants investisseurs institutionnels, c'est en réalité la direction de ces entreprises qui a été à l'origine du rejet des mesures que proposait autrefois CalPERS. Ce sont les dirigeants qui ont tenu à lui opposer une fin de non-recevoir.

Dans une certaine mesure, le conseil d'administration était à cette époque un groupe inconnu dans nombre de ces entreprises. Je vais vous raconter une anecdote qui en dit long à ce sujet. CalPERS ou l'un des principaux fonds de retraite avait fait parvenir une lettre à chacun des membres du conseil d'administration de l'une des entreprises dont il était actionnaire et les lettres lui avaient été retournées parce que personne au sein de l'entreprise ne savait qui étaient les membres du conseil d'administration, à part le président directeur général qui se trouvait à en faire lui-même partie. Il a reçu la sienne et quelque temps plus tard a communiqué avec les expéditeurs, mais il n'a pas trop tenu compte du contenu de la lettre en question.

Les membres de la direction sont vraiment largement responsables de ce genre de situation. Je ne me souviens plus de la deuxième partie de votre question.

Le président: Le fait que le nom d'une entreprise figure sur la liste des entreprises ciblées par CalPERS a-t-il beaucoup d'influence sur ses dirigeants, sur leur comportement?

Si j'étais un des dirigeants de Stride Rite, par exemple, et que je prenais connaissance d'une déclaration de CalPERS disant que Stride Rite a eu au cours des cinq dernières années un rendement de 83 p. 100 inférieur à la normale dans son secteur d'activité et qu'une amélioration s'impose, j'en prendrais certainement bonne note.

M. Davidson: Il ne fait aucun doute que les dirigeants de cette entreprise s'en sont trouvés fort décontenancés, surtout que la nouvelle était médiatisée. Il est déjà déconcertant d'avoir un mauvais rendement, mais ce l'est encore davantage si quelqu'un se charge de le crier sur les toits.

Le président: Cette médiatisation incite-t-elle les entreprises à modifier leur comportement?

M. Davidson: Oui. Elle a changé leur comportement. Elle a notamment amené les membres de la direction à convaincre le conseil d'administration qu'il fallait faire quelque chose, que certains des points soulevés étaient fondés et qu'il s'imposait de donner suite à certaines de ces recommandations et d'appliquer les principes proposés. Ils se sont déclarés d'avis qu'il valait mieux s'attaquer résolument à la tâche plutôt que de se rebiffer. Les dirigeants de ces entreprises ont joué un rôle moteur dans cette évolution.

Le sénateur Austin: Je me joins à mes collègues pour vous remercier de votre présentation. Vous visez juste sur bien des points auxquels notre comité attache de l'importance.

Je vais reprendre là où la discussion entre vous et le sénateur Kirby s'est arrêtée, mais c'est simplement pour vous faire part d'une définition que m'a transmise quelqu'un de l'industrie des fonds mutuels. Elle m'a été donnée personnellement, et je vais maintenant en faire part à mes collègues. Elle décrit les Canadiens qui oeuvrent dans ce secteur comme des Américains décaféinés.

M. Davidson: J'ai récemment entendu quelqu'un affirmer que si les Américains aiment faire de l'argent, les Canadiens, eux, aiment compter l'argent. C'est peut-être là un facteur qui explique bien des choses en cette matière.

Le sénateur Austin: Vous avez commencé votre exposé par une observation d'intérêt majeur. De par leur texture et leur caractère mêmes, les systèmes politique et économique américains se sont révélés beaucoup plus adversatifs que les nôtres. Après tout, les États-Unis ont adopté une loi antitrust dès l'époque de Teddy Roosevelt devant la montée des trusts et au moment de la période d'établissement des règles du New Deal. Les Américains ont aussi été les premiers à faire arbitrer par l'État certaines activités du secteur privé.

Les Canadiens ont davantage opté pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement en ce sens que nous nous en sommes davantage remis à l'État pour traiter nos maux plutôt que de faire jouer les mécanismes adversatifs au sein même de la société pour cerner ces pratiques et les corriger.

Notre comité essaie d'établir si, dans le système que nous avons actuellement au Canada, les intérêts en présence sont suffisamment diversifiés pour leur permettre de se surveiller mutuellement et, partant, s'il n'est pas dans notre cas moins impératif que l'État intervienne par voie de réglementation étant donné que le croisement des activités des divers acteurs garantit en quelque sorte l'ouverture, la transparence et honnêteté du système.

Nous avons au Canada une industrie des fonds mutuels qui voit les choses différemment -- elle est plus passive à certains égards et plus interventionniste à d'autres -- , des fonds de retraite publics et toute une panoplie de régimes qu'aux États-Unis ont appelle les 401K, des REER et divers types de régimes autogérés.

Diriez-vous que le système américain, de la façon dont il fonctionne actuellement, est transparent? Les investisseurs qui sont activistes aux États-Unis n'aspirent-ils qu'à rendre plus transparente la régie des entreprises dont ils sont actionnaires ou vont-ils jusqu'à tenter d'influer sur leur rendement?

M. Davidson: Dans la situation actuelle aux États-Unis, telle que je l'ai décrite, ce qu'on remarque, c'est qu'il n'existe pas de mécanisme de réglementation pour les fonds de retraite publics. Il y a bien les interventions de l'Internal Revenue Service, certains projets de mesures législatives, mais on ne trouve pas d'organisme de réglementation. Les organismes de réglementation ne sont pas trop prisés ces temps-ci dans la plupart des pays et ils ont parfois posé problème par le passé.

Ce qu'on espère, c'est qu'en établissant des règles et des lignes directrices -- et c'est là une approche typiquement américaine -- et en faisant un peu plus que de simplement user de persuasion, on incitera les organisations à s'autoréglementer; peut-être qu'alors, comme l'a souligné le sénateur Callbeck, la divulgation et la médiatisation de leurs activités les forceront à s'autodiscipliner.

C'est la tendance qui semble se dessiner aux États-Unis. Je ne pense pas qu'on songe sérieusement à y créer un nouvel organisme de réglementation pour régir les fonds de retraite publics. Il y a déjà suffisamment de mécanismes qui pourraient être efficacement utilisés à ces fins, notamment les lois, et la surveillance que peut exercer l'IRS.

Le sénateur Austin: Des témoins que nous avons entendus avant vous nous ont signalé que l'industrie des fonds de retraite a, concernant ses obligations et responsabilités fiduciaires, des principes solidement établis qui sont fondés sur la common law et sur l'interprétation de jugements rendus par les tribunaux, et qu'elle les observe si scrupuleusement qu'elle s'autoréglemente pratiquement. Partagez-vous cette vision pour ce qui est des contextes américain ou canadien?

M. Davidson: Je ne saurais me prononcer sur ce qu'il en est au Canada, bien que je sois passablement au courant du fonctionnement de certains fonds de retraite publics canadiens.

Je crois que leurs gestionnaires connaissent très bien ces principes. Il existe peut-être certaines différences en ce qui a trait à la composition des conseils d'administration des fonds canadiens et américains. Les conseils d'administration des fonds américains comptent peut-être plus d'administrateurs indépendants que ce n'est le cas au Canada. Aux États-Unis, nous avons en plus une structure distincte et complexe de comités de placements qui font peut-être davantage appel aux experts de l'extérieur. En outre, les gestionnaires de fonds de retraite publics s'efforcent de s'acquitter correctement de leurs obligations fiduciaires et ils agissent toujours très consciencieusement. Les Américains ont une approche tout à fait différente de celle des Canadiens.

Le sénateur Austin: Aux États-Unis, qui surveille leurs activités?

M. Davidson: Les États obligent ces gestionnaires à produire annuellement un rapport dans lequel ils doivent fournir certains renseignements concernant les pratiques et la composition de leur conseil d'administration, leurs procès-verbaux et les travaux de leurs comités de placements. Le régime californien dont relève CalPERS est très complexe. Je n'en connais pas tous les éléments, mais je sais que les lois californiennes à cet égard sont très détaillées, ce qui s'explique du fait que les fonds de retraite sont des entités qui ont été créées par le gouvernement de l'État. Les mécanismes de reddition de comptes y sont très contraignants.

Le sénateur Austin: Il y a des vérifications préalables, n'est-ce pas? Les gestionnaires de CalPERS, par exemple, ne doivent-ils pas se conformer à des lignes directrices découlant de lois de l'État?

M. Davidson: Je ne sais pas ce que vous entendez par vérifications préalables.

Le sénateur Austin: Doivent-ils respecter certaines normes en matière de placement? Sont-ils limités à certaines catégories de placements? Existe-t-il des critères à propos de ce qu'ils ont le droit d'acheter et de la diversité de leur portefeuille?

M. Davidson: Les normes varient d'un État à l'autre en ce qui concerne les conditions et la réglementation auxquelles sont assujettis les fonds. Par exemple, ce ne sont pas tous les États qui vont jusqu'à imposer aux fonds de faire connaître leurs politiques en matière d'investissement.

Le sénateur Austin: Qu'en est-il dans le cas de CalPERS?

M. Davidson: CalPERS doit observer certaines lignes directrices générales, mais celles-ci ne précisent pas de quel type d'obligations ou de quelle qualité d'actions CalPERS peut se porter acquéreur.

Ce qui sous-tend tout cela, c'est la croyance qu'une fois qu'on a imposé à ces gros investisseurs institutionnels des structures, des procédures et des mécanismes de reddition de comptes adéquats, il serait outré d'aller jusqu'à les priver de la latitude dont ils ont besoin pour leurs opérations courantes de placement. Ce qu'on semble surtout rechercher aux États-Unis, c'est l'assurance que les structures et les procédures appropriées sont en place. C'est d'ailleurs précisément de cette façon que ces fonds interviennent eux-mêmes auprès des entreprises dans lesquelles ils investissent. Les gestionnaires de ces fonds s'emploient surtout à influer sur la régie interne des entreprises en se disant que leur intervention amènera les dirigeants à améliorer leur stratégie, leur fonctionnement et leurs résultats.

Le sénateur Austin: Permettez-moi de vous poser une question à propos de la reddition de comptes aux actionnaires. La transparence est une chose, comme le sont les résultats et les mécanismes de reddition de comptes. Chez Birkshire Hathaway, par exemple, Warren Buffett publie toute l'information requise. Si les actionnaires ne sont pas satisfaits des résultats de l'entreprise, ils peuvent toujours vendre leurs actions.

Dans un fonds de retraite public comme celui des enseignants, quel choix ont les bénéficiaires, qu'ils soient en poste ou retraités, s'ils ne sont pas satisfaits du rendement du fonds?

M. Davidson: J'ignore ce qu'il en est des exigences légales, mais je crains qu'ils n'aient pas grand choix. Sauf erreur, tout professeur de collège est tenu de contribuer au fonds. Je ne crois pas qu'il y ait de droit de retrait.

Le sénateur Austin: Les cotisants peuvent-ils choisir les gestionnaires de leurs fonds de retraite? Peuvent-ils les remplacer?

M. Davidson: Parlez-vous des administrateurs de ces fonds de placement?

Le sénateur Austin: Oui.

M. Davidson: Non, pas directement, mais ils ont le droit d'élire les membres du conseil d'administration du fonds. Dans le cas de CalPERS, par exemple, le conseil d'administration compte un certain nombre d'administrateurs indépendants. On veut par là profiter de l'opinion d'experts impartiaux. Les membres élus jouissent de tous les privilèges.

Le sénateur Austin: Devrait-il y avoir des lignes directrices concernant le choix de ces importantes personnes? Je n'aimerais pas trop qu'un comité de sénateurs décide de la façon de pratiquer une opération à coeur ouvert. Je pourrais me fier aux conseils d'un ou deux sénateurs, mais non d'un comité sénatorial.

Comment s'y prend-on pour établir objectivement les critères d'admissibilité et faire en sorte que les bénéficiaires sachent que ceux qui gèrent leurs fonds possèdent la formation et l'expérience voulues?

M. Davidson: Vous voulez parler des membres du conseil d'administration du fonds et non du conseil d'administration des entreprises dans lesquelles le fonds investit, n'est-ce pas?

Le sénateur Austin: Oui. Je pense ici à la surveillance des surveillants. Ils surveillent les entreprises, mais eux, qui les surveille?

M. Davidson: Je comprends votre question. Généralement parlant, il n'y a aux États-Unis que très peu de conditions préalables d'admissibilité qui soient imposées aux candidats à un poste au sein d'un conseil d'administration. Il en va tout autrement des membres indépendants du conseil. Une fois élus, les membres d'un conseil d'administration peuvent agir à leur guise. On les tiendra responsables de leurs résultats et on pourra les destituer, toujours en respectant les dispositions des lois de l'État de la Californie.

Certains fonds ont des lignes directrices bien précises -- tout comme ils en ont pour certaines des entreprises dans lesquelles ils investissent -- concernant les qualifications que devrait préalablement posséder tout membre de leur conseil d'administration. On recherche bien plus que la simple impartialité. Il peut s'agir, par exemple, de connaissances ou d'expérience particulières.

S'il est vrai qu'en principe n'importe qui peut poser sa candidature et être élu à un conseil d'administration, on constate que les choses ont passablement changé ces dernières années dans le cas de la plupart des fonds, qui recherchent de plus en plus la compétence chez ceux qui aspirent à en faire partie. Les conseils d'administration eux-mêmes participent, comme il se doit d'ailleurs, plus activement à la prise de décisions concernant le fonds. Autrement dit, ils ne délèguent pas toutes les décisions d'investissement à quelque sous-comité qui n'a pas beaucoup de comptes à rendre.

Le sénateur Austin: Je m'intéresse passablement à la croissance générale de l'industrie de la gestion des fonds, à l'échelle mondiale. Quand on voit Merrill Lynch se porter acquéreur de Mercury, par exemple, et se lancer sur le marché européen, et qu'on s'aperçoit que quelqu'un d'autre vient d'acheter une portion de Peregrine à Hong Kong, et cetera, il y a lieu de se demander si l'on n'assiste pas à une concentration de ce secteur entre les mains d'un nombre de plus en plus restreints de joueurs. Ceux qui gèrent des fonds sont responsables de capitaux de plus en plus considérables. D'autres témoins nous ont mentionné que plus un fonds est énorme, plus il rapporte et moins le coût unitaire d'administration par actionnaire est élevé. Il semblerait qu'on assiste actuellement à un mouvement économique spontané vers la constitution de fonds plus importants et intégrés à mesure que chacun de ces fonds acquiert de l'expertise et améliore son accès au capital.

N'avez-vous pas le sentiment que dans les années qui viennent, les valeurs mobilières seront gérées et activement traitées par un nombre de plus en plus restreint de vrais gestionnaires?

M. Davidson: Je ne puis me prononcer en ce qui concerne la situation au Canada à cet égard, bien que, d'après ce que j'observe depuis l'autre côté de la frontière, il me semble y avoir au Canada plus de fonds actuellement qu'il n'y en avait il y a dix ans, et je crois que ces fonds sont maintenant plus spécialisés.

Le sénateur Austin: C'est juste. Dans l'ensemble, les fonds sont plus nombreux que jamais, mais on observe également qu'il y a des fonds plus énormes qui sont administrés par moins de gestionnaires. La qualité sur ce plan prend le pas sur la quantité.

M. Davidson: Je vois où vous voulez en venir. J'ai passé pas mal de temps à travailler avec l'industrie des fonds, et je reconnais que l'énormité présente des avantages, mais que le marché réclame également des boutiques spécialisées et segmentées. Aux États-Unis, comme c'est le cas, je crois, au Canada, il existe une foule de nouveaux fonds qui sont très spécialisés et qui ont d'excellents rendements. Leur secret, c'est d'essayer d'attirer suffisamment de clients pour n'être pas en reste en regard des gros fonds sur le plan des avantages que procure le volume. Ils sont très courus sur le marché.

Je vous répète, sans toutefois vouloir prédire ce qu'il en sera au Canada, que, sur la scène mondiale, nous verrons le nombre de fonds augmenter, et non diminuer.

Le sénateur Austin: Mais de moins en moins de gestionnaires de fonds, n'est-ce pas?

M. Davidson: Je parle des gestionnaires de fonds.

Le sénateur Austin: Voulez-vous dire que les gestionnaires de fonds seront plus nombreux?

M. Davidson: Oui. Il y a de plus en plus de sociétés qui offrent des possibilités de placement dans des fonds. Elles sont beaucoup plus nombreuses actuellement aux États-Unis qu'il y a cinq ans ou même que l'an dernier.

Le sénateur Austin: Relativement parlant, la tendance à la concentration se manifeste-t-elle aux dépens de la tendance à la multiplication?

M. Davidson: Je ne le crois pas, bien qu'il faille être prudent à cet égard. On assiste à une telle injection de fonds dans l'industrie des fonds mutuels -- les dernières années ont été si exceptionnelles -- qu'il serait difficile de cerner la tendance prédominante.

Quelqu'un me disait hier aux États-Unis que, selon lui, cette tendance va se poursuivre pendant au moins dix ans encore, parce que bien des gens de notre génération vont continuer d'investir dans leurs régimes de retraite maintenant que leurs maisons sont payées et pour d'autres raisons du même genre. Ils vont privilégier les fonds mutuels et les régimes de retraite, de sorte que nous n'avons peut-être pas fini de voir croître cette industrie.

Tant que cette croissance se poursuivra, nous assisterons chaque année à l'apparition d'un certain nombre de nouveaux joueurs qui voudront s'approprier une part du marché et qui s'ingénieront à offrir aux investisseurs de nouveaux produits susceptibles de les intéresser. Nous devons nous garder de confondre les agissements de certaines banques d'investissement avec ce que font peut-être certains gestionnaires de fonds. On note une plus grande prolifération de gestionnaires de fonds que de banquiers d'investissement. Les uns comme les autres cherchent par tous les moyens à s'amalgamer le plus rapidement possible.

Le sénateur Austin: Y a-t-il lieu de s'inquiéter du nombre de «produits» disponibles sur le marché des valeurs mobilières, si l'on peut parler de valeurs mobilières dans ce cas-là, pour pouvoir placer ces énormes bassins de capitaux qui croissent rapidement? L'entreprise produit-elle suffisamment de nouvelles valeurs pour répondre aux besoins de tous ces investisseurs?

M. Davidson: Il est indéniable que l'industrie des fonds mutuels a tellement de capitaux à investir qu'elle accapare une part de plus en plus importante du capital-actions des sociétés américaines. Quant à savoir si on peut en dire autant de la situation au Canada, il me semble probable que oui.

Aux États-Unis, il y a manifestement une injection massive de capitaux dans les sociétés de fonds mutuels, et ces sociétés investissent dans les entreprises américaines. Cette tendance semble devoir s'accroître sans cesse.

Le sénateur Austin: Je me demande si le secteur des affaires crée de nouvelles entreprises qui offrent de nouvelles actions à un rythme suffisamment rapide pour permettre au marché de continuer de fonctionner efficacement. La bonne vieille règle économique ne dit-elle pas qu'en limitant l'offre tout en augmentant la demande, on risque de créer de graves déséquilibres?

M. Davidson: De nouveaux produits sont offerts sur le marché des valeurs mobilières. L'existence des fonds indexés est une des réponses à cette question.

Les milieux d'affaires américains sont jusqu'à un certain point dans l'incertitude sur la façon dont on devrait réagir devant ces investissements massifs provenant des fonds mutuels. Ils voient augmenter sans cesse l'importance des intérêts de ces fonds dans les entreprises et ils n'ont pas l'habitude de ce genre de situation. Ce problème est d'ailleurs sous-jacent à la discussion sur les fonds de retraite publics. Il se trouve en effet que les fonds de retraite publics sont maintenant parmi les joueurs clés dans le milieu des investisseurs institutionnels, et les entreprises américaines s'efforcent de digérer le phénomène aussi rapidement que possible, mais c'est toute une mutation.

Le sénateur Kelleher: J'ai beaucoup aimé cette discussion. J'aimerais vous amener à porter votre attention non plus sur le secteur des fonds de retraite publics, mais sur celui des fonds mutuels, que, d'une certaine manière, on peut considérer comme privé comparé à un fonds du genre de CalPERS.

L'an dernier, au cours de nos discussions sur la question de la régie d'entreprise, nous avons remarqué qu'il ne semblait pas y avoir beaucoup de surveillance ou de réglementation pour assurer l'encadrement de ces fonds de retraite, publics ou privés. Ce commentaire s'applique également aux fonds mutuels.

Certains parmi nous ont l'impression que les normes canadiennes relatives à la régie interne de l'industrie des fonds mutuels ne sont pas des plus élevées. Ces dernières années, nous avons entendu toutes sortes d'histoires à propos de diverses pratiques qui auraient cours dans l'industrie des fonds mutuels. Il ne s'agit pas de blâmer l'industrie en général, mais les médias ont fait grand état d'un certain nombre d'incidents concernant les frais de courtage, le prélèvement de frais d'acquisition sur les premiers versements, et cetera.

Êtes-vous en mesure de comparer les normes relatives à la régie interne de l'industrie des fonds mutuels au Canada et aux États-Unis respectivement? Existe-t-il plus de normes et de règles en cette matière aux États-Unis qu'au Canada? Sommes-nous en retard sur l'industrie américaine à cet égard?

Je reconnais que l'industrie canadienne des fonds mutuels a fini par déployer beaucoup d'efforts, avec d'ailleurs un certain succès, je pense, pour s'autodiscipliner davantage.

Êtes-vous en mesure d'exprimer une opinion à ce sujet?

M. Davidson: Je suis assurément en mesure de le faire dans le cas des fonds américains. Je ne suis pas aussi au courant que vous souhaiteriez probablement que je le sois de la situation au Canada. Mais j'y connais bien certains fonds et je sais pertinemment qu'il existe au sein de cette industrie une association qui se penche actuellement sur cette question.

Aux États-Unis, la situation est en train de changer aussi. Le gouvernement américain a récemment adopté une loi touchant à la fois le volet produit, que j'appellerais le volet fonds mutuels, et le volet distribution de cette industrie. Un des principaux changements qu'apporte cette mesure législative, c'est d'accroître le rôle de la SEC à Washington. La nouvelle loi est très explicite à ce sujet.

Cette loi, dont je pourrais vous fournir le nom plus tard, était réclamée depuis des années par l'industrie. Elle a été adoptée récemment. Elle précise le cadre législatif fédéral devant régir les activités de cette industrie, son volet distribution aussi bien que ce que j'appelle son volet produit ou fonds mutuels.

Il s'agit donc d'une mesure législative récente qui apporte d'importants changements en regard de la plupart des lois qui s'imposaient jusque là dans les divers États américains. Il s'est écrit, à propos de cette nouvelle loi, une foule de choses concernant le passage d'une réglementation relevant des États à une administration ressortissant aux autorités fédérales. Une telle transition doit nécessairement s'effectuer avec beaucoup de circonspection aux États-Unis, car jusqu'à nouvel ordre l'obligation demeure dans chacun des États d'y faire enregistrer tout nouveau fonds ou tout nouveau titre qu'on veut y offrir en vente, une obligation comme il en existe peut-être dans les provinces canadiennes. Les distributeurs demeurent également tenus de s'enregistrer dans chacun des États où ils font des affaires. Dans le passé, les pouvoirs en cette matière ont toujours été concentrés bien davantage dans les États qu'au niveau fédéral, et cette nouvelle loi renverse cette situation dans le cas de l'industrie des fonds mutuels.

Cela dit, l'industrie américaine des fonds mutuels a entrepris résolument d'adopter de nouvelles pratiques. Elle a revu le code de déontologie que doivent respecter ses membres, ses diverses pratiques ainsi que ses méthodes de diffusion de l'information. La nouvelle loi comporte des exigences précises en ce qui concerne, par exemple, le mode de calcul du rendement sur les investissements. On pourra, par exemple, en consultant un journal financier constater que tel fonds a eu un rendement de 29,3 p. 100 sur cinq ans, et c'est sur cette base que s'appuieront les investisseurs pour prendre leurs décisions. La nouvelle loi impose donc une méthode uniforme de calcul du rendement de manière à ce que l'investisseur non averti puisse, au moment de faire un choix, avoir la quasi-certitude qu'il compare des choses comparables.

C'est un imposant dossier, mais aux États-Unis il y a maintenant un cadre législatif et réglementaire qui s'applique dans l'ensemble du pays. On peut dire par ailleurs que l'industrie des fonds mutuels a également elle-même pris soin de s'autodiscipliner davantage ces dernières années. Je ne suis toutefois pas vraiment en mesure de vous dire ce qu'il en est sur ce chapitre au Canada.

Le sénateur Kelleher: Serait-il juste de dire que si on a adopté cette nouvelle loi aux États-Unis, c'est que, malgré les efforts de l'industrie pour s'autodiscipliner davantage, on y avait le sentiment qu'il fallait faire plus et qu'il était temps que les autorités fédérales interviennent?

M. Davidson: Cette question est à volets multiples. Elle est très complexe et je n'essaierai pas d'y répondre en quelques mots.

Certains agissements posaient problème pour l'industrie elle-même, et d'autres aspects posaient problème au public. Le mode de calcul du rendement en est un exemple. On s'est dit qu'il s'imposait que le public soit davantage assuré que les résultats qui lui sont présentés sont toujours calculés sur une même base.

Le sénateur Kelleher: C'est le cas ici aussi.

M. Davidson: J'en suis sûr. Ce calcul est compliqué, et il est normal qu'il le soit.

Le fait que chaque État régisse et réglemente un grand nombre des fonds et leurs distributeurs n'était pas sans poser problème à l'industrie. Certains de ses représentants ont avoué en toute franchise que cette situation avait pour résultat de les inciter à tout ramener au plus petit commun dénominateur. Les exigences minimales d'un État en matière de déclaration et d'enregistrement devenaient la règle, et on considérait que cette évolution n'était pas positive. Les sociétés de fonds mutuels devaient s'inscrire dans les cinquante États. Au fond, cette industrie étant devenue une affaire nationale, voire mondiale, on se demandait pourquoi elle devrait continuer de relever de la seule compétence des États.

Cette question comporte de multiples facettes. Non, je ne pense pas que l'adoption de cette nouvelle loi ait résulté directement de l'inquiétude que suscitaient certaines activités condamnables. C'est un domaine qui n'avait fait l'objet d'aucun examen et qui n'avait pas été modifié depuis nombre d'années aux États-Unis, voire depuis aussi loin que les années 40. Il était grand temps qu'on se rende compte de l'évolution qu'avait connue cette industrie et qu'on mette en place les mécanismes voulus.

Le sénateur Kelleher: Auriez-vous l'amabilité de nous faire parvenir, comme vous nous l'avez offert, de la documentation concernant cette nouvelle loi fédérale?

M. Davidson: Volontiers.

Le président: Est-il juste de dire que les changements qui ont été apportés dans l'industrie des fonds mutuels, dont un certain nombre sont, comme vous l'avez signalé, des mesures que l'industrie a maintenant décidé d'appliquer volontairement, l'ont été uniquement en raison des pressions qui ont été exercées par le public et qui ont amené l'industrie elle-même à conclure qu'il était préférable pour elle de se charger de la réforme plutôt que de subir une réforme dont elle n'aurait pas été le maître d'oeuvre?

M. Davidson: Aux États-Unis, c'est largement le cas. L'industrie estimait déjà que certains changements s'imposaient, et les pressions du public l'ont amenée à passer aux actes.

Le président: Sans les pressions du public, ces changements n'auraient probablement pas été apportés ou l'auraient été beaucoup plus lentement, n'est-ce pas?

M. Davidson: À mon avis, on les aurait effectués de toute façon. C'est un marché très segmenté. Les sociétés de fonds mutuels n'avaient pas, pour ainsi dire, d'association bien organisée. Chacune s'occupait à sa manière des divers fonds. Elles se sont probablement dit qu'elles auraient mutuellement avantage se regrouper pour opérer ces réformes.

Le président: Tout l'activisme dont vous avez parlé était le fait de fonds de retraite du secteur public. Il est intéressant de constater que vous n'avez jamais parlé d'activisme dans le cas des fonds de retraite privés. Vous avez ensuite parlé de mesures législatives, de ce que vous avez appelé une version publique de la loi ERISA, qui, elle, s'adresse au secteur privé.

Je ne comprends pas pourquoi, du point de vue d'un bénéficiaire d'un régime de retraite, les règles seraient différentes selon que l'employeur fait partie du secteur privé ou du secteur public. Vous avez pourtant tout au cours de cette heure et demie de discussion dissocié les deux. En fait, vous nous avez très peu parlé des régimes privés.

Pourquoi devrait-il y avoir une différence entre les deux? Pourquoi les régimes de retraite privés américains ont-ils été si passifs?

M. Davidson: Je n'essaie pas de trouver l'exception à la règle, mais il y a quelques fonds privés qui dirigent leurs investissements vers certains types d'entreprises dont quelques-unes des pratiques satisfont davantage sur le plan social les intérêts de certains investisseurs. Ils sont toutefois au nombre des rares exceptions à la règle.

Je pense personnellement qu'il y a très peu de raisons, s'il en est, qui justifient qu'on traite différemment les fonds de retraite selon qu'ils sont privés ou publics. Le projet de version publique de la loi ERISA va dans le même sens. Les règles qui s'appliquent aux régimes de retraite publics devraient être les mêmes que pour les régimes privés.

Le président: Pourquoi les fonds de retraite privés ne sont-ils pas activistes? Permettez-moi d'émettre une hypothèse à partir d'une affirmation que vous avez faite plus tôt.

Vous avez dit que la direction des entreprises dans lesquelles les fonds de retraite investissent n'était pas très heureuse du degré d'activisme des fonds de retraite publics. Se pourrait-il, étant donné que les dirigeants d'une société dans laquelle un fonds privé investit ne souhaitent pas qu'on se montre activiste envers leur entreprise, qu'ils soient peu disposés à ce que leur propre fonds de retraite s'ingère dans la régie d'autres entreprises de crainte qu'on rende la pareille à leur propre entreprise? Autrement dit, se pourrait-il qu'ils soient tentés d'adopter l'attitude de celui qui dirait: «Vous ne touchez pas à mon entreprise et je ne toucherai pas à la vôtre»? Est-ce là une explication plausible?

M. Davidson: Je crois que les raisons sont plus profondes que cela. Je ne pense pas que ce soit là l'élément moteur. Je dirais plutôt que c'est le type de membres qui fait la différence. Par exemple, un groupe d'enseignants et de professeurs de collège sera porté à s'intéresser davantage à certains types d'activités et d'investissements qu'un groupe hétérogène de cotisants à un fonds de retraite privé qui n'ont aucune communauté d'intérêts. Un régime contrôlé par des membres est bien différent d'un régime auquel n'importe qui peut adhérer.

Le président: Dites-vous qu'un régime contrôlé par des membres est différent d'un régime contrôlé par un employeur et que dans le secteur public les régimes sont bien plus souvent contrôlés par des membres que par un employeur?

M. Davidson: J'imagine qu'il en va de même au Canada, qu'il y a ici aussi au Canada des régimes qui sont contrôlés par des membres. C'est la raison fondamentale. Il y a des intérêts qui sont particuliers à un certain groupe de personnes qui, en tant que cotisants à ce régime, tiennent à ce que les choses évoluent dans un sens donné.

Le président: Permettez-moi de résumer en trois points les propos que vous avez tenus aujourd'hui. Dites-moi si je vous ai raisonnablement bien interprété.

Premièrement, vous êtes davantage favorable à l'activisme que pas. Autrement dit, vous n'êtes pas trop en faveur du «passivisme» chez les gros investisseurs parce que vous avez l'air de croire que l'activisme contribue à accroître la rentabilité des entreprises, à améliorer leur fonctionnement et à modifier le comportement de leurs dirigeants, résultat qui ne saurait être obtenu dans le cas d'investisseurs qui adopteraient une attitude «passiviste». Est-ce bien cela?

M. Davidson: Selon le sens qu'on donne aux mots «activisme» et «passivisme», on risque de créer de la confusion. Peut-être vaudrait-il mieux que je résume moi-même mon propos en trois points.

Le président: D'accord. Allez-y.

M. Davidson: Premièrement, on a beaucoup à gagner en acceptant que les fonds de retraite publics interviennent plus activement dans la régie des entreprises et qu'ils encouragent leurs dirigeants à apporter des changements à leur administration, indépendamment de la façon dont on mesure ce genre de chose.

Le sénateur Stewart: Pour améliorer leur rentabilité plutôt que pour changer la société.

M. Davidson: Exactement. Je veux parler de l'amélioration du rendement de l'investissement pour le bénéfice des membres du régime.

Le président: D'accord, et non de poursuivre des objectifs sociaux.

M. Davidson: Je ne parle pas d'une intervention en tant qu'agents de changements sociaux. Je veux parler de la vocation première de ces fonds, qui est de bien servir leurs membres. Il y a beaucoup à gagner en agissant de cette façon. Et, comme on l'a mentionné en réponse à la question du sénateur Callbeck, il y a beaucoup à gagner en le faisant au vu et au su du public.

Le président: C'était mon deuxième point. Quel est votre troisième?

M. Davidson: Troisièmement, il y a trois types de mécanismes possibles. Il y a l'organisme de réglementation -- qui n'existe pas aux États-Unis -- qui peut exercer une surveillance sur les régimes de retraite publics et les réglementer. Il y a beaucoup à gagner à user de persuasion, à établir des lignes directrices, à intervenir auprès des entreprises et à les inciter à réagir. Voilà un rôle qui conviendrait peut-être à un comité sénatorial.

La loi de l'impôt et certaines exigences fiscales peuvent être utiles également. Il existe un certain nombre de mécanismes auxquels on peut recourir pour orienter les choses dans le sens souhaité par le groupe.

Le président: Nous souscrivons à deux de vos trois points. Je pensais que vous étiez un fervent partisan de l'activisme. Je ne veux pas parler d'agressivité, mais d'activisme, du contraire du «passivisme» qui caractérise ceux qui se contentent d'investir dans des fonds indexés.

M. Davidson: J'essaie de dire exactement la même chose que vous. Les fonds de retraite publics ont beaucoup à gagner en étant proactifs à l'égard des politiques de régie interne des entreprises dans lesquelles ils investissent.

Les entreprises ont sans contredit beaucoup à gagner en acceptant que ces questions fassent l'objet d'une surveillance de l'extérieur. Partout, on s'éveille à cette réalité. Il se fait actuellement une foule de choses en ce sens à l'initiative des entreprises elles-mêmes, et non uniquement grâce aux fonds.

Le président: Vous voulez dire qu'il y a une dynamique de changement?

M. Davidson: Exactement. Il faut y voir un continuum.

Le président: Monsieur Davidson, au nom des membres du comité, je vous remercie beaucoup d'avoir accepté de venir témoigner devant nous ce matin. Nous avons eu une discussion motivante.

Notre prochain témoin est M. William Riedl, le président de Fairvest Securities.

Monsieur Riedl, je connais passablement bien votre entreprise. Mais, compte tenu que vous êtes un investisseur qui se spécialise dans l'activisme, il serait peut-être utile, avant de débuter votre exposé proprement dit, de prendre quelques minutes pour donner à mes collègues un aperçu de votre rôle au sein de votre entreprise. Nous avons un certain nombre de questions à vous poser et, comme vous avez eu l'avantage d'entendre la discussion que nous avons eue avec M. Davidson, vous avez une idée des aspects qui nous intéressent.

La première série d'audiences que nous avons tenues nous a permis d'avoir une vue d'ensemble du secteur des investisseurs institutionnels au Canada. Quand nous reprendrons nos travaux en février, nous entendrons les témoignages de représentants de sociétés, d'investisseurs institutionnels et de gestionnaires de fonds de retraite.

M. William Riedl, président, Fairvest Securities: Je me propose de vous dire d'abord quelques mots sur la société Fairvest et ses activités et de faire ensuite un bref exposé. Nous pourrons ainsi passer rapidement à la période des questions, ce qui m'apparaît souhaitable, car je pense que ce sera la partie la plus productive de notre rencontre.

Fairvest Securities, d'abord connue sous le nom de Allenvest Group Limited, a été fondée au cours de l'exercice 1983-1984 par M. William S. Allen. C'était à l'époque une petite maison de courtage.

L'affaire Canadian Tire lui a donné une certaine notoriété, car elle s'est alors alliée à un groupe d'actionnaires institutionnels qui contestaient une conduite qu'ils jugeaient inacceptable. Ce qu'on reprochait à l'entreprise touchait à un élément clé, celui du vote des actionnaires. Rien n'est plus important pour un investisseur-actionnaire que son droit de vote. Dans ce cas particulier -- et dans d'autres dont nous pourrions discuter si tel est votre souhait -- , les problèmes tenaient à ce que les actions n'étaient pas toutes assorties de droits de vote et que certains blocs d'actions pouvaient être recapitalisés et répartis en actions à droit de vote multiple et en actions minoritaires à droit de vote subordonné. Une telle pratique peut engendrer des situations conflictuelles.

Bill Allen est décédé en 1991. Je suis alors devenu président directeur général de l'entreprise. En 1993, nous avons modifié notre raison sociale. Depuis lors, notre entreprise s'appelle Fairvest.

En 1991, nous avons essayé de déterminer quel serait le meilleur produit que notre entreprise pourrait offrir. Le conseil d'administration s'est clairement rendu compte qu'il existait dans l'industrie un besoin à combler: fournir aux investisseurs institutionnels canadiens des services de recherche, de conseils et d'analyse en matière de régie d'entreprise et de droits des actionnaires. Nous avons donc décidé de nous spécialiser dans ce domaine.

Le principal produit que nous avons mis au point et qui nous fournit une base relativement large de clients chez les investisseurs institutionnels est notre service de mandat d'examen. Lorsqu'une entreprise tient son assemblée annuelle ou une assemblée spéciale des actionnaires où certaines questions doivent être mises aux voix, nous analysons ces questions et très souvent nous formulons des recommandations. Nos clients qui sont touchés par ces questions reçoivent ces recommandations, puis les investisseurs institutionnels décident eux-mêmes de la manière dont ils voteront.

Les questions les plus litigieuses que nous ayons à traiter -- et elles sont passablement nombreuses -- portent sur ce qu'on appelle les régimes de droits des actionnaires, c'est-à-dire les pilules empoisonnées, et, ces temps-ci, sur la rémunération du personnel de direction.

Normalement, les actionnaires sont appelés à voter sur la rémunération du personnel de direction lorsqu'il est question de décider de l'opportunité d'offrir des régimes d'options. Il en va de même des options qu'on offre aux membres du conseil d'administration.

Comme il s'agit d'une décision des plus importantes, il s'impose de protéger l'exercice du droit de vote des actionnaires puisqu'ils sont les véritables propriétaires de l'entreprise.

Comme vous le savez sans doute, les modifications qu'on se propose d'apporter à la Loi sur les sociétés par actions découlent de recommandations. Un de nos vice-présidents a participé, avec un certain nombre de représentants d'autres groupes, aux discussions qui ont donné lieu aux propositions de modifications à cette loi. Les points qui nous tiennent le plus à coeur concernent les dispositions régissant le vote par procuration et les communications aux actionnaires.

C'est ce qui nous a amenés à participer au présent débat. Ces enjeux, sur lesquels les actionnaires sont appelés ou devraient peut-être être appelés à se prononcer par vote, provoquent une intensification de l'activisme chez les actionnaires. Tout actionnaire institutionnel, de par sa responsabilité fiduciaire, a le devoir de se montrer activiste dans une certaine mesure. Jusqu'à quel point le font-ils effectivement, c'est là que les uns se distinguent des autres. Chacun devrait à tout le moins exercer pleinement le droit de vote que lui procurent ses actions.

Le président: Ma première question a pour objet de vérifier très sérieusement si vous ou votre maison assistez à des assemblées annuelles de sociétés pour intervenir en faveur ou bien contre des propositions particulières. Je présume que généralement vous y êtes plutôt en tant que contestataire, car les propositions favorables à la position de la direction bénéficient probablement déjà de nombreux votes par procuration. Vous contentez-vous de transmettre vos conseils à vos clients, les investisseurs institutionnels, et les laissez-vous ensuite exercer eux-mêmes leurs pressions ou faire eux-mêmes leurs propres interventions publiques, ou quoi? Dans quelle mesure êtes-vous actifs à cet égard?

M. Riedl: La réponse, c'est que nous n'assistons pas aux assemblées annuelles. Nous ne détenons pas d'actions de sociétés. Nous sommes avant tout des conseillers, des défenseurs et des organisateurs.

Axer notre action sur la participation aux assemblées annuelles, ce serait rater l'essentiel de l'activisme des actionnaires. La participation aux assemblées annuelles et l'inscription de points à l'ordre du jour ne sont, à mon avis, que des mesures de dernier ressort. Presque tout l'activisme des actionnaires institutionnels se fait dans le cadre de rencontres privées, habituellement avec le pdg de l'entreprise en question.

Le président: Voulez-vous dire le pdg de l'investisseur institutionnel lui-même ou de celui de l'entreprise dans laquelle il investit?

M. Riedl: Je veux parler de celui de l'entreprise dans laquelle il investit. C'est la démarche normale. Parfois, quand cette option se révèle infructueuse, on peut toujours rencontrer un des administrateurs indépendants ou un groupe d'entre eux, voire le conseil d'administration au complet. Cette situation n'est pas très courante. Dans la plupart des cas, il suffit de rencontrer le pdg de l'entreprise. Dans ces discussions privées, on expose ses points de vue et on obtient que des changements soient apportés à la structure administrative ou aux activités de l'entreprise.

Le président: Vous avez été témoin de la discussion que nous avons eue ce matin sur les pour et les contre de l'absence de divulgation concernant la tenue même de telles rencontres. Nous avons entendu des points de vue divergents sur la question de savoir s'il était souhaitable, du point de vue des petits actionnaires, que la tenue de telles rencontres soit divulguée. Nous avons également entendu quelqu'un nous dire ce matin que les réunions en privé étaient typiques de l'approche à la canadienne, de notre attitude aimable et conciliante.

De votre poste d'observateur, dites-nous quels sont à votre avis les avantages et les inconvénients inhérents au fait de se montrer davantage transparent en informant le public de la nature de telles rencontres entre actionnaires institutionnels et dirigeants de sociétés dans lesquels ces actionnaires investissent?

M. Riedl: C'est l'ancien président de la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario qui a dit, je pense, que le soleil était le meilleur désinfectant qui soit. Plus l'information circule à propos des événements, activités et prises de position d'importance, plus les intéressés y trouvent leur compte.

Dans la discussion de tout à l'heure où il a été question du seuil de divulgation publique, on a parlé d'un pourcentage de 10 p. 100. À ma connaissance, la SEC a établi ce seuil à 5 p. 100 aux États-Unis; il est, au Canada, à 10 p. 100. Toute personne -- le mot «personne» s'entendant de tout groupe solidaire, particulier, société ou investisseur institutionnel -- détenant plus de 10 p. 100 des actions d'une société est tenue de déclarer sa position.

Malheureusement à mon avis, il y a au Canada un certain nombre de conseillers en placement qui fondent depuis longtemps leur attitude en cette matière sur une interprétation juridique voulant qu'ils ne soient pas assujettis à cette obligation de divulgation étant donné qu'ils investissent au nom d'un certain nombre de groupes distincts. Il y a six ou sept ans, certains ont mené le combat en arrière-plan pour forcer les conseillers en placement à se soumettre à l'obligation de divulgation quand ils dépassent le seuil des 10 p. 100.

L'organisme de réglementation et les principaux investisseurs institutionnels -- dont la plupart sont des conseillers en placement qui investissent au nom de fonds de retraite privés ou publics -- ont convenu que dès que leur intérêt dans une même société dépasserait le seuil des 10 p. 100, ils le divulgueraient et qu'ils feraient de même par la suite pour toute fluctuation de 2 p. 100 à la hausse comme à la baisse.

Pour le moment, ils le font sur une base volontaire jusqu'à ce que la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario ait obtenu que son nouveau règlement soit rendu officiel. Cette déclaration est souhaitable, car elle permet à l'ensemble des intervenants sur le marché des valeurs mobilières de savoir quand un gros investisseur acquiert une position importante ou modifie sensiblement sa position comme actionnaire. Les fonds de retraite publics d'envergure ont toujours observé cette règle des 10 p. 100.

En ce qui concerne les rencontres privées, on observe actuellement une tendance qui va dans le sens des recommandations de ce qu'on a appelé le comité Allen de la Bourse de Toronto. Ce comité souhaiterait faire adopter des règles plus strictes concernant la divulgation des activités des investisseurs et faire interdire ces rencontres privées.

Ce n'est là qu'une partie des recommandations. Ce dont la presse fait état habituellement, c'est de la possibilité d'intenter des poursuites civiles contre les dirigeants, les administrateurs et les conseillers d'une société qui transmet une information trompeuse. Le volet le plus important du rapport Allen a trait à la façon dont les sociétés devront divulguer et transmettre l'information à leurs actionnaires.

Bref, ce que le comité Allen recommande, c'est que chaque trimestre la société s'entretienne, généralement par voie de conférence téléphonique, avec des représentants des actionnaires, incluant des porte-parole d'investisseurs institutionnels et des analystes de maisons de courtage. Un enregistrement sur bande audio devra être mis à la disposition du public après la tenue de cet entretien. Le public pourra composer un numéro et écouter ce qui s'y est dit. Un certain nombre de grandes entreprises utilisent déjà cette méthode.

Voilà une excellente façon de divulguer ce qui se passe au cours de ces rencontres de haut niveau entre actionnaires importants et représentants de tous les actionnaires. On peut y prendre connaissance des questions qui ont été posées et des réponses qui ont été fournies à la direction de l'entreprise. Si vous n'avez pas déjà composé un de ces numéros et écouté ce qui s'y dit, je vous le recommande fortement. C'est un bon moyen de se mettre rapidement au fait de ce qui se passe.

Le président: Vous dites que le seuil est fixé à 10 p. 100 au Canada et à 5 p. 100 aux États-Unis. Trouveriez-vous souhaitable qu'il soit abaissé à 5 p. 100 au Canada?

M. Riedl: Je préférerais rester neutre sur cette question. Le contexte est très différent aux États-Unis. À nos yeux, CalPERS et le fonds des enseignants et des professeurs de collège peuvent paraître considérables, mais par rapport à l'ensemble du secteur aux États-Unis, ils sont relativement petits. Les investisseurs institutionnels américains, même les plus importants, ne détiennent habituellement que 1 p. 100 ou moins -- 2 p. 100 serait énorme -- des actions d'une société. Donc, 5 p. 100, c'est beaucoup. Au Canada, les investisseurs institutionnels approchent très vite le seuil des 10 p. 100. Par exemple, la dernière fois que j'en ai fait le compte, le fonds de retraite des employés municipaux de l'Ontario devait déclarer ses intérêts dans 22 ou 23 sociétés dont il détenait plus de 10 p. 100 des actions. Nous aurons un problème si vous abaissez ce seuil à 5 p. 100 au Canada. Il y aura engorgement d'informations.

Le président: Nous nous retrouverons avec un véritable annuaire téléphonique.

Le sénateur Stewart: Monsieur le président, vous avez déjà posé une ou deux de mes questions. J'ai donc déjà de l'avance avant d'avoir commencé.

Vous avez entendu l'autre témoin parler des effets évidents de la surveillance contraignante qu'exerce CalPERS aux États-Unis sur les sociétés qu'il avait ciblées entre 1982 et 1987 comparés aux résultats qu'il a obtenus entre 1987 et 1992. À votre connaissance, y a-t-il au Canada des investisseurs qui exercent une surveillance aussi contraignante que CalPERS?

M. Riedl: Je n'en connais aucun qui ait une attitude de ce genre. Je le répète, la situation aux États-Unis est très différente. Je vous réfère à cet égard à mon dernier commentaire où je disais que la position de CalPERS comme actionnaire de certaines sociétés est plutôt minime, soit 1 ou 2 p. 100 de l'ensemble de leurs actions. Son attitude est plus conflictuelle, et c'est ce qui fait parler, mais au Canada, la plupart des investisseurs institutionnels détiennent un pourcentage du capital-actions de certaines sociétés comparativement bien plus important. Le fonds de retraite des enseignants de l'Ontario, par exemple, détient en moyenne environ 4 p. 100 de l'avoir propre de chacune des grandes sociétés inscrites à la Bourse de Toronto dans lesquelles il investit. Ce fonds effectue la plupart de ses placements dans des sociétés faisant partie du TSE300.

Le sénateur Stewart: Le revers de la médaille dans ce que vous dites, c'est qu'il semble que ces gros investisseurs institutionnels au Canada n'ont pas besoin d'exercer une surveillance aussi contraignante que CalPERS étant donné qu'ils détiennent un pourcentage si élevé des actions des sociétés dans lesquelles ils investissent. Une simple invitation à déjeuner dans une ambiance agréable et discrète devrait suffire à fléchir les gros richards au Canada.

M. Riedl: Pas vraiment, pas un simple déjeuner tranquille. Il ne faudrait pas songer uniquement aux fonds de retraite publics. Il y a aussi les fonds de retraite privés. Très peu d'entre eux ont leurs propres gestionnaires de fonds à l'interne. La plupart d'entre eux confient la gestion de la portion de leur fonds qui est placée en actions aux quatre habituels gestionnaires de placements au Canada, généralement des experts-conseils en investissement qui représentent non pas un seul fonds de retraite privé, mais, dans certains cas, plus de 100 fonds de retraite privés qui sont probablement confondus avec des fonds de retraite publics, avec de l'argent de très riches particuliers et avec des fonds mutuels. Ces gestionnaires de placements finissent souvent par détenir, en mettant tout cela ensemble, un très fort pourcentage des actions de la société émettrice, et c'est ce qui leur donne le poids voulu pour signaler aux dirigeants que certains aspects de la régie interne de leur entreprise les inquiètent.

Ils ne le font pas publiquement parce que les discussions en privé donnent de meilleurs résultats. D'après mon expérience, ce n'est qu'en dernier ressort qu'ils procèdent à ciel ouvert.

Le sénateur Stewart: Vous semblez vouloir dire que nous pourrions nous permettre de nous montrer un peu -- j'hésite à prononcer le mot -- suffisants. Vous semblez dire que, compte tenu de la structure des investissements effectués dans nos entreprises, que ce soit par d'importants fonds de retraite ou par des investisseurs institutionnels, nous n'avons pas besoin d'exercer une surveillance aussi contraignante que CalPERS, que les surveillants sont déjà suffisamment efficaces au Canada.

M. Riedl: Exactement.

Le sénateur Stewart: Je suppose que vous allez dire que, dans l'ensemble, notre industrie se porte plutôt bien, grâce à la vigilance de nos surveillants.

M. Riedl: J'irais même jusqu'à dire qu'à mon avis les investisseurs institutionnels sont plus compétents au Canada qu'aux États-Unis. Le marché est beaucoup plus concentré ici. Aux États-Unis, comme l'intervenant précédent le mentionnait, ils doivent nécessairement élargir leur champ d'observation, comme l'illustre le cas de TIAA-CREF qui essaie de surveiller 2 200 sociétés. CalPERS doit surveiller, je pense, 3 000 sociétés, en incluant ses investissements à l'étranger. C'est gigantesque. Ces fonds doivent donc adopter une perspective qui les amène à cribler ces sociétés afin de pouvoir concentrer leur action sur un petit nombre d'entre elles.

Au Canada, un certain nombre d'investisseurs institutionnels n'effectuent des placements que dans 40 ou 50 sociétés pour pouvoir les suivre de plus près. Ils se servent de leur crible pour choisir les sociétés émettrices dans lesquelles ils vont investir. Ils n'ont pas besoin d'adopter une attitude s'apparentant à celle de CalPERS, dont le crible sert à sélectionner les sociétés vers lesquelles il dirigera son activisme. Quand les investisseurs institutionnels canadiens consultent leur portefeuille, c'est davantage pour déceler les sociétés dont la gestion et la structure administrative sont satisfaisantes ou pour établir où ils devraient intervenir pour demander des améliorations.

Au Canada, les investisseurs cherchent en outre à investir dans les sociétés dont la rentabilité est inférieure à la moyenne, ou dans celles dont la valeur d'actif net semble largement supérieure à la valeur marchande. La plupart des interventions des gestionnaires du fonds de retraite des enseignants de l'Ontario auprès des entreprises finissent par être publiques, qu'ils le veuillent ou non, de sorte qu'il est toujours possible de suivre dans les journaux la façon dont ce fonds cherche à exercer une influence comme actionnaire. Le principal exemple d'activisme à avoir été médiatisé ces derniers temps est celui d'une société en participation, TMI-FW, un groupe d'une douzaine de personnes très talentueuses dirigé par Thomas Taylor, qui gère la fortune de la famille Bass. L'affaire dure depuis plus de 12 ans. La première fois que j'ai entendu parler de ces gens remonte à 15 ou 20 ans.

Ce n'est toutefois que depuis récemment qu'on entend parler d'eux au Canada, et c'est parce qu'ils ont entrepris une opération conjointement avec le fonds de retraite des enseignants de l'Ontario. Les médias se sont alors mis à s'intéresser à eux. Je ne vous raconte pas ce que j'ai appris à l'école, mais ce que j'ai lu dans les journaux, sauf votre respect. Depuis le début de l'année, ils ont franchi le seuil des 10 p. 100 dans le cas de cinq sociétés dont ils ont acquis des actions et ils ont dû chaque fois déclarer leur position. Leurs activités sont la plupart du temps rapportées dans les médias. Ce n'est pas le fonds de retraite des enseignants qui fait le travail, mais plutôt ses partenaires.

Le sénateur Stewart: Avez-vous déjà songé aux conséquences que pourrait avoir pour le marché intérieur canadien des valeurs mobilières une éventuelle modification de la règle des 20 p. 100 qui aurait pour effet d'inciter les Canadiens à investir davantage aux États-Unis, par exemple?

M. Riedl: Je ne suis pas sûr de saisir de quels 20 p. 100 vous voulez parler dans votre question.

Le sénateur Stewart: Elle a trait aux portefeuilles d'actions de sociétés étrangères.

M. Riedl: Ce n'est pas là un dossier auquel Fairvest s'intéresse.

Le sénateur Stewart: Vous n'avez pas réfléchi aux conséquences que pourrait avoir cette mesure sur le marché canadien, qui, à ce que vous semblez prétendre, fonctionne pas mal du tout?

M. Riedl: Je le crois. Le plafond de 20 p. 100 sur l'acquisition d'avoirs étrangers est un autre débat. Je n'ai pas vraiment d'opinion à ce sujet.

Le président: Vous avez dit il y a un instant en réponse au sénateur Stewart que la médiatisation devait être une mesure de dernier ressort. J'aimerais comprendre pourquoi vous dites cela. Plusieurs membres du comité, y compris moi-même, qui sont membres de conseils d'administration d'organismes publics, reconnaissent hors de tout doute que les pratiques de régie d'entreprise, le comportement des conseils d'administration, et cetera ne sont plus du tout les mêmes depuis que la Bourse de Toronto a émis des lignes directrices -- et ce ne sont pourtant que des lignes directrices -- qui ont eu pour effet de faire en sorte qu'un tas de choses sont maintenant rendues publiques ou seraient censées l'être. Si vous avez écouté M. Davidson ce matin, vous avez pu constater que, selon lui, la gêne que peut susciter la divulgation publique et la couverture de vos activités par les médias est sans contredit le moyen idéal de provoquer des changements de comportement. C'est là une réaction naturelle chez les êtres humains. Je serais curieux de savoir ce qui vous fait penser que la médiatisation est une mesure de dernier ressort, alors que c'est peut-être celle à laquelle il faudrait songer en premier.

M. Riedl: Je pense que vous pouvez trouver la réponse dans vos propres affirmations. Je veux parler de la gêne qu'éprouve celui qui craint qu'on n'en vienne à rendre l'affaire publique. C'est ce sentiment qui peut faire bouger. Un pdg ou un membre d'un conseil d'administration avec qui on traite préférera bien sûr qu'on discute des problèmes et qu'on les règle en privé. Il s'épargne alors la gêne de voir l'affaire diffusée publiquement.

Quant à l'investisseur, sachant qu'il est préférable que les conflits se règlent -- si conflit il y a, ce qui n'est pas forcément le cas --, il jugera peut-être qu'il vaut mieux exprimer son point de vue et s'en tenir à essayer d'influencer le cours des choses plutôt que de s'engager dans un conflit. Si jamais il y avait conflit, il demeurerait préférable d'en traiter en privé, où les chances d'en arriver à une entente sont meilleures. En prenant l'exemple de l'actuelle grève des postes et de tout le battage médiatique qui entoure ce conflit, on constate combien il est difficile de régler ces questions une fois qu'elles sont du domaine public.

Le président: Voulez-vous dire que la crainte de voir son cas publié dans les médias est une arme presque aussi puissante que la médiatisation elle-même?

M. Riedl: Tout à fait. Elle l'est même davantage. La peur que l'affaire ne soit rendue publique est un moteur on ne peut plus efficace pour amener la direction d'une entreprise à modifier son comportement.

Le président: Le fait qu'on tienne des rencontres comme celles que vous avez décrites sans même que les autres actionnaires en soient mis au courant place-t-il les autres actionnaires, par exemple les particuliers qui sont actionnaires minoritaires, dans une position désavantageuse?

M. Riedl: Absolument pas. À propos, votre question m'amène à vous parler d'un problème, celui des écrémeurs, comme on les appelle dans notre jargon. J'ai été témoin de maintes discussions à ce sujet. Ce problème est peut-être même encore plus aigu aux États-Unis qu'ici.

Si vous voulez mieux connaître CalPERS, je vous suggère un document canadien formidable. Il s'agit d'un livre qui a été publié par Industrie Canada et qui a pour titre «La prise de décision dans les entreprises au Canada». Il est très intéressant à lire. C'est un recueil d'articles de fond sur la régie d'entreprise. Dans l'un d'eux, qui est entièrement consacré au cas de CalPERS, on s'interroge sur l'applicabilité de ce modèle dans le contexte canadien.

Le sénateur Asselin: Quelle a été la réponse?

M. Riedl: D'après ce que j'ai compris, il ne serait pas applicable ici.

Le président: Pourquoi?

M. Riedl: Je vous rappelle ce que j'ai déjà dit. La situation se présente très différemment dans nos deux pays. Un investisseur institutionnel canadien est libre d'adopter le modèle CalPERS si tel est son choix. Je ne lui recommanderais pas de le faire. Je n'en connais pas qui l'ont fait non plus. Il a toutefois la liberté de choix.

Le sénateur Tkachuk: Le problème que j'avais abordé avec M. Davidson avait trait aux rencontres d'un investisseur institutionnel avec des dirigeants d'entreprise. On nous a dit ici qu'au Canada les investisseurs institutionnels ne sont habituellement pas membres des conseils d'administration et que, souvent, ils ne votent même pas par procuration. Quand des actionnaires élisent les membres des conseils d'administration et exercent leur droit de vote, c'est dans l'espoir que ceux qu'ils élisent feront valoir leurs points de vue. Le feront-ils? Cela reste à voir. Mais en principe, ce devrait être le cas. Il me semble que les investisseurs institutionnels veulent avoir le beurre et l'argent du beurre. Ils veulent qu'on leur permette d'intervenir auprès des gestionnaires pour influencer leurs décisions, mais ils ne veulent pas qu'on les associe publiquement à ces décisions de crainte d'en être tenus responsables. Tout administrateur, lui, a des devoirs légaux, moraux et de discrétion. Ses devoirs sont d'un autre ordre compte tenu du poste qu'il détient. Comme le sénateur Kirby, j'aimerais bien, en tant que petit actionnaire, que, lorsqu'un actionnaire important comme le fonds de retraite des enseignants de l'Ontario rencontre le PDG d'une grande entreprise canadienne, on m'informe non seulement de la tenue de la rencontre, mais aussi de ce qui s'y est dit. Or, les discussions qui se tiennent dans les rencontres de ce genre sont habituellement très privées. Si elles tournent mal, j'aimerais bien le savoir, car l'issue de l'entretien risque d'avoir une incidence sur la valeur de mes actions et peut-être même sur mes futurs revenus de retraite.

Y a-t-il des choses que nous pouvons faire pour protéger les actionnaires? Il ne m'intéresse pas de protéger les gros bonnets; ils sont capables de le faire eux-mêmes. J'aimerais bien cependant qu'on se préoccupe du père ou de la mère de famille qui ont investi dans un REER. Je tiens à ce que soient protégés tous ceux qui ont des régimes de retraite moins généreux et qui sont fortement touchés chaque fois que le fonds de retraite des enseignants de l'Ontario ou d'autres importants fonds de retraite de ce genre bougent, soit pour acheter, soit pour vendre des actions.

M. Riedl: Je me permets de revenir sur la question des écrémeurs, car je n'avais pas terminé ce que j'avais à dire à ce propos.

Quand un investisseur institutionnel s'efforce d'amener des dirigeants d'entreprise à modifier leur comportement et y parvient, il le fait dans l'espoir d'améliorer le rendement de son investissement. Alors que tous les actionnaires en profitent, c'est celui qui a tout le mérite qui doit, en plus, payer la note.

L'une de mes bêtes noires comme associé d'une très petite affaire dont le budget est limité, c'est que, quand il nous arrive de faire quelque chose pour améliorer le sort de tous les actionnaires d'une entreprise, il n'y a généralement qu'un ou deux clients pour payer la facture.

Permettez-moi de vous donner un exemple, car les exemples sont toujours utiles. Il arrive parfois qu'une offre publique d'achat soit assortie d'un plan d'arrangement. Le problème pour les parties à la transaction, c'est de convaincre les actionnaires de se prononcer en faveur d'un plan d'arrangement où le prix offert pour les actions est bien inférieur à ce qu'il devrait ou pourrait être. Si l'on parvient à réunir suffisamment d'actionnaires pour faire échec au plan d'arrangement, on doit, pour que la transaction ait lieu, renégocier le prix des actions à la hausse. Nous avons réussi ce genre d'opération à deux ou trois reprises. Quoi que nous fassions, nous essayons toujours de traiter tous les actionnaires sur le même pied.

Le sénateur Tkachuk: Je vois.

M. Riedl: Dans de tels cas, tous les actionnaires obtiennent un prix plus élevé pour leurs actions, même si le coût de nos services n'est assumé que par quelques-uns.

Le sénateur Tkachuk: Selon moi, la rencontre ne vise que la satisfaction des intérêts personnels. Les gestionnaires de fonds de retraite ne se rendent pas à une rencontre dans le but d'aider les deux autres millions d'actionnaires. Ils y vont dans leur propre intérêt. En tant qu'actionnaire minoritaire, j'aimerais savoir si, quand ils en ressortent, ils sont satisfaits ou non de l'issue de la rencontre.

M. Riedl: C'est à la société émettrice des actions qu'il incombe de diffuser l'information. S'il s'agit d'une rencontre importante, elle se tiendra en présence d'avocats. Mais si aucun avocat n'est présent, il s'y trouvera normalement suffisamment de gens qui s'y connaissent en gestion d'entreprise ou qui oeuvrent dans le milieu des investisseurs institutionnels pour savoir que tout fait important qui y survient doit obligatoirement être divulgué publiquement. C'est ainsi que ça se passe. Ou bien la société publie l'information, ou bien l'investisseur institutionnel en prend l'initiative ou demande à la société de le faire.

On a justement eu un exemple de ce genre de situation la semaine dernière dans le cas de la société Nova. Au cours d'une discussion privée tenue par voie de conférence téléphonique, le pdg de Nova, M. Newall, a mentionné, en réponse à une question, qu'on envisageait effectivement de diviser l'entreprise en deux entités, et qu'il y avait de très bonnes chances qu'on le fasse. C'était suffisant pour que la teneur de la conversation devienne dès lors une information réputée substantielle. On s'en est rendu compte et on a immédiatement fait le nécessaire pour divulguer publiquement cette déclaration faite dans le cadre d'une réunion privée.

Le président: Toute information substantielle, au sens légal du terme, fournie dans le cours de telles rencontres doit incontestablement être divulguée. Si j'interprète bien les propos du sénateur Tkachuk, il souhaiterait semble-t-il qu'on élargisse la portée de la définition du terme «substantiel». Prenons par exemple le cas de discussions qu'on tiendrait dans le cadre d'une rencontre entre les représentants d'un important investisseur institutionnel et ceux de la société X. S'il ne se dit rien de substantiel, les parties ne sont pas obligées de divulguer la teneur de leurs discussions. Et si, au sortir de la rencontre, les représentants de l'investisseur ont le sentiment que rien de très bon ne s'en est dégagé, que les dirigeants leur ont bien expliqué certaines choses, mais qu'ils ne savaient manifestement pas où ils allaient, leur confiance dans l'entreprise s'en trouve quelque peu amoindrie, voire beaucoup. Dans ce cas, la description des sentiments éprouvés par les représentants de l'investisseur ne constitue pas non plus des éléments d'information substantiels.

Le sénateur Tkachuk se demandait si l'investisseur individuel devait être informé non seulement de la tenue de la rencontre, mais également de l'impression qu'en avaient gardée les participants. À son sens, ce devrait être réputé substantiel.

L'investisseur institutionnel a deux importants avantages sur l'investisseur individuel. Premièrement, l'investisseur institutionnel a une durée de vie beaucoup plus longue que l'investisseur individuel qui, lui, est mortel. Deuxièmement, l'investisseur institutionnel est beaucoup moins vulnérable en cas de revers, puisqu'il peut survivre à des chutes boursières ou à des mauvais placements beaucoup plus facilement que l'investisseur individuel. Ces deux facteurs font qu'il est d'importance plus substantielle -- mais non au sens légal du terme cette fois -- pour l'investisseur individuel d'être informé de ce qui est ressorti d'une rencontre et des sentiments qu'éprouvait l'investisseur institutionnel à son issue.

Je suis conscient que ce sont là des aspects qui peuvent difficilement faire l'objet de mesures législatives ou de lignes directrices, mais certains des témoignages que nous avons entendus au cours de notre première série d'audiences sur les modifications à la Loi sur les sociétés par actions et certaines des impressions que nous avons cru percevoir nous laissent vaguement croire que l'investisseur individuel serait dans une meilleure position s'il était mieux informé de ce qui se passe. L'investisseur institutionnel détient, quant à lui, cette information, mais il n'est pas tenu de la rendre publique parce qu'elle n'est pas réputée d'intérêt public. Comment faudrait-il nous y prendre pour régler ce problème d'«impressions»? C'est peut-être essentiellement ce dont le sénateur Tkachuk voulait parler en posant sa question, n'est-ce pas?

Le sénateur Tkachuk: Vous avez été beaucoup plus explicite que moi.

M. Riedl: L'obligation de divulgation devrait n'être liée pratiquement qu'à la transaction proprement dite. Au sortir d'une telle rencontre, il peut arriver qu'on éprouve des sentiments négatifs. Mais si les discussions ne débouchent sur aucune transaction d'actions, je ne vois pas pourquoi il faudrait en divulguer la teneur.

Supposons que ce qui a été révélé au cours de la rencontre amène un investisseur institutionnel à décider d'effectuer une transaction, par exemple, de vendre ses actions. Supposons en outre que les investisseurs soient de très petits investisseurs. Si la transaction est effectuée sur la base d'informations substantielles d'initiés, il y a matière à poursuites. N'importe quel investisseur peut être poursuivi pour ce motif.

S'il s'agit d'un investisseur institutionnel important, il est probable qu'il se soumettra à la règle de divulgation obligatoire des intérêts excédant le seuil des 10 p. 100. Il est actuellement question d'abaisser ce seuil à 5 p. 100.

Une certaine confusion règne dans le moment au Canada concernant l'obligation de divulguer tout changement de propriété d'un bloc d'actions important. Dès qu'un actionnaire détient plus de 10 p. 100 des actions d'une société, il est réputé être un initié. C'est malheureux, mais c'est comme ça. La plupart des provinces exigent que les transactions soient déclarées en dedans de 10 jours. En Ontario, c'est 10 jours après la fin du mois. Sauf erreur, les administrateurs canadiens des valeurs mobilières, les CSA, ont recommandé de modifier cette loi pour que le même délai, soit 10 jours, s'applique partout. D'aucuns voudraient voir ce délai écourté et être informés dans les 24 heures.

Quelqu'un a parlé de la règle des 20 p. 100. L'investisseur qui a franchi le seuil des 20 p. 100 doit, sauf erreur, remplir un formulaire 23. Il est même tenu de déclarer une intention de vendre, et le document demeure public pendant un certain nombre de jours.

La règle dont vous parlez est déjà partiellement en vigueur, mais elle pourrait être modifiée pour écourter le délai ou exiger la divulgation d'autres éléments d'information.

Le sénateur Tkachuk: Absolument. Quand une société ouverte envisage d'acheter un bloc d'actions ou d'entreprendre des négociations à cette fin, la commission des valeurs mobilières considère cela comme très important pour l'actionnaire, même si les négociations en sont à leur tout début et que les parties sont alors tenues d'émettre un communiqué de presse et de donner avis de la transaction sur-le-champ. Entre-temps, l'actionnaire qui détient 20 p. 100 des actions de la société rencontre les dirigeants de l'entreprise. C'est bien du moins. Ils ne se rencontreraient sûrement pas pour des motifs futiles, à moins de vouloir célébrer un anniversaire de naissance. L'affaire serait réputée trop importante.

M. Riedl: Oui, mais dès qu'on entreprend de libeller quelque chose, le problème qui se pose, c'est de bien définir les concepts. Pour quel type de rencontre exigera-t-on une déclaration?

Le sénateur Tkachuk: Laissons tomber. Je posais simplement la question, car j'estime qu'elle est importante.

M. Riedl: Ce n'est pas une question à laquelle j'ai tellement réfléchi, mis à part ces dernières minutes.

Le sénateur Kelleher: J'aimerais revenir sur la question de la régie d'entreprise dans le cas de l'industrie des fonds mutuels. Quand M. Tom Hockin a comparu devant notre comité hier soir à titre de directeur général de son association, il m'a donné l'impression que l'industrie préférerait s'autoréglementer. Il a admis que certaines erreurs avaient été commises dans le passé, mais il a affirmé qu'on était en train de remettre de l'ordre dans tout cela et que l'industrie s'estimait en mesure de régler le problème elle-même.

J'aimerais connaître votre opinion en tant qu'observateur du marché bien au fait des abus présumés. Estimez-vous que l'autodiscipline suffirait, ou croyez-vous que les gouvernements provinciaux ou le gouvernement fédéral devraient adopter un règlement ou des lignes directrices dans ce domaine?

Je pense qu'aucun membre de notre comité n'est en faveur de la surréglementation. Nous sommes conscients qu'il s'agit là d'un marché dynamique et qu'il est impossible de garantir aux investisseurs qu'ils seront toujours gagnants.

Pourriez-vous nous dire si vous croyez que les règles qui sont en place actuellement sont suffisantes pour protéger l'investisseur moyen?

M. Riedl: Ce n'est absolument pas la spécialité de Fairvest.

Le sénateur Kelleher: Je le sais.

M. Riedl: Mais j'ai quelques opinions à ce sujet, compte tenu de mes nombreuses années d'expérience.

Le sénateur Kelleher: Nous aimerions les connaître.

M. Riedl: Il est de mon intérêt que les marchés publics soient intègres. Je suis un des directeurs de l'Association canadienne des courtiers en valeurs mobilières. En cette qualité, je me dois d'y attacher de l'importance.

Je suis d'accord avec le président suppléant de la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario lorsqu'il dit qu'il s'agit d'un domaine qui suscite bien des inquiétudes et qui doit être réglementé. Selon lui, si l'industrie ne s'empresse pas d'adopter un règlement, il n'aura d'autre choix que de demander à la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario d'engager du personnel pour rédiger la réglementation qui s'impose.

Je ne pense pas que le problème soit à ce point imputable à certains chefs de file de l'industrie. Le problème tient plutôt au très grand nombre de nouveaux joueurs dans ce domaine. Il y déjà tout près de 200 sociétés de fonds mutuels qui gèrent et placent l'argent des gens. Dans bien des cas, il s'agit de courtiers indépendants qui se sont lancés en affaires sans avoir trop d'expérience des exigences réglementaires. Je m'y connais pas mal en matière de réglementation, mon entreprise étant réglementée par la bourse depuis de nombreuses années. L'Association canadienne des courtiers en valeurs mobilières se charge d'auto-réglementation depuis longtemps. Elle a des règles et des règlements très stricts. Elle vérifie les systèmes deux fois par année. C'est important, car les courtiers indépendants ne connaissent pas toujours à fond les mesures qui doivent être prises pour protéger l'argent de leurs clients. Je parle de gens honnêtes et travailleurs qui ne savent pas que les fonds qui sont mis en commun doivent être gardés à part. Il s'impose qu'on mette en place un cadre réglementaire.

La plupart des gens ont de l'argent en dépôt dans une banque. Nous avions des problèmes autrefois avec les banques, parce qu'elles n'étaient pas réglementées. Les États-Unis en ont eu eux aussi, et c'est pourquoi ils ont créé la Federal Reserve Bank. Faute de réglementation pour protéger les sommes considérables d'argent qui s'accumulent et faute de lignes directrices et de règlements stricts en matière de vérification, on s'égare, même quand les opérations sont effectuées honnêtement. Il faut sans conteste imposer une réglementation et la faire appliquer.

Le président: Monsieur Riedl, au nom des membres du comité, permettez-moi de vous remercier d'avoir pris le temps de venir témoigner devant nous aujourd'hui.

Honorables sénateurs, ainsi se termine la première phase de nos audiences.

La séance est levée.


Haut de page