Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Banques et du commerce
Fascicule 9 - Témoignages pour la séance de l'après-midi
CALGARY, le mercredi 18 février 1998
Le comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui à 13 heures pour poursuivre son étude des dispositions relatives à la structure de gestion contenues dans la Loi sur l'office d'investissement du Régime de pensions du Canada (anciennement le projet de loi C-2).
Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Nous accueillons cet après-midi le professeur Tupper, à qui je souhaite la bienvenue. Je vous invite maintenant, monsieur Tupper, à nous présenter votre déclaration préliminaire, après quoi il y aura une période de questions. Avez-vous des copies du texte de votre déclaration à nous remettre?
M. Allan Tupper, professeur, département des sciences politiques, Université de l'Alberta: Non, mais je vous ferai parvenir mon mémoire sous peu.
Le président: Nous allons donc prendre des notes.
M. Tupper: Je vous remercie beaucoup de m'avoir invité à venir témoigner devant votre comité aujourd'hui.
Je m'en tiendrai au seul aspect sur lequel je me sens quelque peu autorisé à me prononcer, à savoir celui qui touche les dispositions du projet de loi relatives à la reddition de comptes en matière de gestion financière. J'aimerais bien pouvoir prétendre être aussi habile que mon collègue à vous entretenir de questions financières, mais je ne vous y prendrais pas très longtemps.
Selon moi, ces dispositions reposent sur de très anciens principes -- ce qui n'est pas forcément mauvais -- qu'en l'occurrence, on n'a pas été très bien inspiré d'adopter. Elles me semblent d'ailleurs découler d'un certain nombre de prémisses douteuses. Je crois qu'il y aurait lieu de revoir ces dispositions et qu'on pourrait le faire sans trop de difficulté. J'ai quelques suggestions à vous soumettre à cet égard.
La vision sur laquelle on entend fonder la gestion de cet organisme est essentiellement la même que celle qui a toujours présidé au gouvernement des sociétés d'État, ou «sociétés de la Couronne» comme on les appelle encore souvent au Canada. On s'imagine que, pour pouvoir remplir dûment leur mandat, ces organismes doivent être des entités indépendantes, à l'abri des pressions démocratiques. Ces principes tiennent principalement de théories qui ont pris racine au Royaume-Uni vers la fin du siècle dernier au moment où les gouvernements de ce pays et de certains autres se sont mis à se lancer dans des activités financières et entrepreneuriales. L'idée de base qu'on a voulu adopter ici était de faire en sorte que les activités de l'office soient le plus possible à l'abri de l'influence du public, voire du contrôle du gouvernement.
Aux termes des dispositions du projet de loi, le seul moyen dont disposeront les citoyens pour influer sur la gestion de l'office consistera à essayer de convaincre leurs élus de modifier la loi et les règlements qui le régissent, notamment son processus de nomination, pour y inclure une série de mécanismes de reddition de comptes qui ne pourraient être appliqués qu'après que le mal aura été fait. La vision sur laquelle reposent ces dispositions, bien que passablement répandue, est à mon sens, je vous le rappelle, peu judicieuse. Je vais tenter de vous expliquer le plus clairement possible le sens de mon propos, car j'estime qu'il s'impose vraiment de remettre en question la prémisse de base qui veut que plus un organisme échappe aux influences du jeu démocratique, mieux il est en mesure de s'acquitter de ses responsabilités.
C'est justement sur cette prémisse qu'on s'est fondé pour établir les mécanismes de reddition de comptes du Fonds d'épargnes du patrimoine de l'Alberta. En exposant les grandes lignes de la loi constitutive de cet organisme, l'ancien premier ministre Peter Lougheed a pris soin d'affirmer très clairement que plus on permettra au public de se prononcer sur les placements que fera ce fonds fiduciaire, plus faible sera le rendement du fonds. Je doute que ce soit forcément le cas. Pour juger de l'efficacité d'une telle approche de la gestion des deniers publics, nous avons cet exemple du Fonds du patrimoine de l'Alberta, mais également celui encore plus évident du Québec et de sa Caisse de dépôt.
Permettez-moi de formuler quelques brefs commentaires sur la teneur de ce projet de loi. Le cadre de contrôle qu'on y prévoit permet la tenue de discussions concernant la nomination des administrateurs. Étant donné que vous êtes déjà au courant des procédures en question, je ne vous en rappellerai pas les modalités.
Dans un ordre qui n'a rien à voir avec leur importance respective, je vais maintenant vous faire part de quelques réflexions et suggestions personnelles à propos des administrateurs et de la façon dont ils sont désignés, une question sur laquelle vous êtes censés vous pencher en vertu de votre mandat.
Je ne vois absolument pas pourquoi le conseil d'administration de l'office devrait être représentatif des régions. Vous allez peut-être trouver étonnant qu'un observateur de la politique canadienne tienne de tels propos. Je vous ferai remarquer que les mots «région» et «province» ne sont plus synonymes. En fait, cette question demeure une pomme de discorde avec la province que vous visiterez après celle-ci. Je ne vois pas sur quels motifs on peut s'appuyer pour retenir ce critère. Serait-ce que les Canadiens favoriseraient des politiques de placement sensiblement différentes selon leur région de provenance? Je ne suis pas sûr non plus que le critère de représentation régionale soit tout à fait étranger à l'obligation statutaire de consulter les provinces.
Je ne suis pas plus en mesure que qui que ce soit de deviner pourquoi on a opté pour ce «chiffre magique» en ce qui concerne la durée du mandat des administrateurs. A lieu d'un mandat de trois ans renouvelable, je suggérerais plutôt un mandat de six ans non renouvelable. En ayant la certitude de pouvoir demeurer en poste aussi longtemps, les administrateurs auraient l'occasion de se compromettre un peu, mais leur mandat serait quand même suffisamment court pour qu'ils n'aient pas le temps de perdre le feu sacré et pour qu'on n'ait pas l'impression que l'organisme est en voie de prendre des allures d'oligarchie.
Par ailleurs, dans le processus de nomination, on fait intervenir un comité consultatif qui, si j'ai bien saisi le libellé du projet de loi, sera composé de représentants des gouvernements fédéral et provinciaux. Je ne vois pas la logique d'une telle disposition. Je me demande bien pourquoi on juge nécessaire de faire appel ici à un comité fédéral-provincial. On semble manifestement vouloir, pour diriger l'office, des Canadiens de toutes les régions du pays, mais j'irais plus loin et je préciserais dans la loi qu'«on prendra en considération la candidature de Canadiens émérites de toutes les sphères d'activités». Je ne vois pas pourquoi on n'élargirait pas ainsi la portée des termes qu'on utilise. Ce faisant, on préviendrait les tensions intergouvernementales qui autrement surviendront inévitablement à propos du processus de nomination.
Bien que ce soit une procédure inhabituelle dans le cas des nominations fédérales, il serait bon, à mon avis, de rendre publics, un certain temps avant qu'on procède aux nominations, les noms des candidats à des postes d'administrateur -- après avoir obtenu leur consentement. Je reconnais toutefois qu'une telle pratique trancherait sur les procédures de nomination auxquelles on nous a habitués, qu'il s'agirait évidemment là de tout un changement.
Le projet de loi prévoit que le conseil d'administration de l'office doit compter un nombre suffisant d'administrateurs qui soient en mesure de prouver, je présume, qu'ils sont compétents en matière de gestion financière. On ne précise pas comment on vérifiera les habiletés des candidats sur ce plan, ni qui sera chargé d'en juger. Je ne vois pas clairement sur quels critères on se fondera. Le flair en matière financière n'est qu'une forme comme une autre de compétence. Peut-être devrait-on élargir la portée de cet article pour englober d'autres types d'aptitudes et d'expérience qu'on devrait prendre en considération. Je suppose qu'avec tout au plus un peu d'imagination on y parviendrait.
N'ayant pas moi-même l'habitude de gérer de gros montants d'argent, je présume que pour qu'un candidat puisse démontrer qu'il possède l'expérience requise en matière de gestion financière, il faudrait qu'il prouve qu'il a effectué pour son compte ou pour d'autres, dans un passé assez récent, des opérations financières impliquant des sommes d'argent substantielles. Je présume par ailleurs que plus il aurait été partie prenante à de telles transactions, plus il serait exposé à se retrouver en conflit d'intérêts. J'ignore comment il sera possible de concilier toutes ces choses, mais attacher une telle importance à l'expérience récente pourrait poser problème.
Le dernier point sur lequel j'aimerais attirer votre attention est celui qui m'inquiète personnellement le moins, mais il me semble préoccuper vivement mon collègue. Il s'agit de l'esprit de parti. En tant qu'expert en sciences politiques, je n'y vois pas de problème majeur. Ce n'est pas une notion qui me terrifie ou qui m'empêche de dormir. C'est lorsqu'une nomination ne repose absolument pas sur le mérite que l'esprit de parti devient préoccupant. Je crois qu'il serait ridicule de s'en inquiéter au point de vouloir exclure toute personne qui a été le moindrement active au sein d'une formation politique. Il ne faut pas oublier qu'il existe des garde-fous à cet égard dans notre société démocratique pour contrer le favoritisme et la partialité excessive. On doit prévoir la mise en place d'un mécanisme qui permette un débat public ouvert et éclairé sur la valeur des candidatures retenues, de façon à ce que les qualités personnelles de tout candidat à un poste d'administrateur soient évaluées exclusivement par rapport aux exigences de la fonction. Je ne vois rien d'autre qui doive entrer en ligne de compte.
En ce qui concerne les comptes à rendre à la population et la gouverne de l'organisme, le projet de loi prévoit une série de mesures en ce sens, mais elles ne permettent qu'un examen après coup. Je pense que sur ce plan les mécanismes prévus sont insuffisants, que les exigences à cet égard devraient être plus rigoureuses. Plus précisément, il s'imposerait que le Parlement du Canada surveille davantage les activités de l'office, compte tenu de l'énormité des sommes qui seront en cause et de l'importance de ces activités pour les Canadiens.
On se propose d'établir l'office, je le répète, en fonction du postulat classique voulant qu'en matière de reddition de comptes, moins un organisme est soumis au contrôle du jeu démocratique, mieux c'est. Je ne suis pas sûr que ce soit vraiment le cas. Je ne vois pas pourquoi les rapports de l'office ne seraient pas déposés devant le Parlement. J'ai été renversé de constater que le rapport de l'office ne fera pas l'objet de discussions au Parlement. Je me serais attendu à ce qu'il soit examiné dans le cadre d'audiences publiques auxquelles devraient se présenter les membres du conseil d'administration et la haute direction de l'office.
Le président: Si je ne m'abuse, l'office sera tenu de déposer son rapport annuel devant le Parlement.
M. Tupper: Je n'ai rien vu de tel dans le projet de loi. Pourriez-vous me dire à quel article il en est question?
Le président: Non, mais c'est ce que nous ont dit les représentants du ministère, et je crois que c'est bien le cas. Veuillez poursuivre, s'il vous plaît.
M. Tupper: Je crois qu'il s'agit de l'article 51. Toutes mes excuses. Je constate que le projet de loi prévoit effectivement un mécanisme d'examen obligatoire tous les trois ans. Voilà qui me rassure sur ce point.
Un comité spécial du Parlement de l'Alberta examine annuellement la gestion du Fonds d'épargnes du patrimoine de l'Alberta. Ce mécanisme a permis de débattre des objectifs et des succès de ce fonds.
Je crois que le projet de loi devrait inciter davantage l'office à mettre en place tous les mécanismes possibles pour faciliter la communication avec le public en général, par l'entremise de l'Internet ou d'autres moyens électroniques modernes, et s'assurer que l'information est diffusée le plus largement possible. De même, il faudrait qu'il soit précisé le plus clairement possible dans le mandat de l'office quel type de renseignements financiers doivent être divulgués en vertu de la loi.
Bref, je crois qu'il importe que la population soit mieux informée des procédures de gestion de l'office. À mon avis, ce projet de loi, comme il est libellé actuellement, ne donne pas suffisamment d'occasion au public de participer à l'examen critique de la gestion de cet organisme. Le Parlement doit absolument pouvoir se pencher régulièrement sur la façon dont l'office applique la loi. Sur ce point, c'est avec beaucoup moins d'ardeur que je réclamerai de modifications en ce sens, car, comme vous m'avez amené à le reconnaître, l'office sera tenu de déposer son rapport annuel devant le Parlement.
M. Randal Morck, professeur, faculté de commerce, Université de l'Alberta: Je vous remercie beaucoup de m'avoir invité à témoigner devant votre comité.
Je crois qu'il s'est glissé dans le projet de loi qui a été présenté par la Chambre des communes de graves lacunes auxquelles le Sénat a vraiment ici une occasion de remédier.
J'ai une assez bonne expérience des régimes de retraite du secteur de la grande entreprise. J'aimerais vous donner un aperçu du genre de problèmes qu'ont connus ces régimes de retraite en raison de la façon dont ils sont gérés et dont fonctionne leur conseil d'administration. Je ferai ensuite la comparaison avec la situation qu'on observe à cet égard dans le cas des caisses de retraite du secteur public.
À l'origine, les régimes de retraite d'entreprise étaient financés par répartition tout comme le Régime de pensions du Canada. Toutefois, rien ne pouvait plus aller lorsque l'entreprise déclarait faillite et qu'il n'y avait plus personne pour verser les pensions aux retraités. Les gouvernements de divers pays occidentaux ont donc entrepris d'adopter des mesures législatives pour obliger les sociétés qui établissaient des caisses de retraite à évaluer leurs obligations futures et à s'assurer que les avoirs de leur caisse seraient suffisants pour leur permettre de respecter leurs engagements. On n'a pas jugé nécessaire de faire de même dans le cas des régimes de retraite du secteur public, vu que les gouvernements n'étaient pas censés pouvoir déclarer faillite.
Le RPC n'est pas en faillite. Il y aurait plusieurs moyens de maintenir son intégrité. Mais deux problèmes majeurs se posent dans son cas. L'un d'eux a trait à la démographie. La simple existence d'un régime de retraite comme le RPC favorise la dénatalité. Tout indique que le phénomène procéderait de considérations d'ordre économique. En effet, lorsqu'un pays institue un régime universel de retraite à prestations uniformes, on observe peu après une baisse du taux de natalité. Peut-être s'agit-il simplement d'une coïncidence.
Le deuxième problème concerne les rapports des gens du troisième âge avec les élus. Mon député est parfois amené à participer dans sa circonscription à des assemblées politiques auxquelles assistent, habituellement en grand nombre, des personnes âgées à l'humeur revêche, qui posent des questions et qui ont beaucoup de temps pour écrire des lettres. En songeant à la façon dont les choses se déroulent dans ce genre de rencontres, je comprends mieux pourquoi, au fil des ans, les politiciens ont eu tendance à se montrer très généreux à l'endroit des gens du troisième âge en leur accordant des avantages monétaires relativement copieux en regard de l'importance des recettes fiscales que tire l'État de la population active.
Il y aurait trois façons de maintenir l'intégrité du RPC. L'une d'elles consisterait à augmenter considérablement les impôts. Il ne saurait, je crois, en être question. On pourrait également à cette fin, comme on envisage de le faire dans certains pays, ajuster notre politique d'immigration de manière à rétablir notre équilibre démographique, et ce, en favorisant l'immigration de nombreux jeunes dans la vingtaine. Ainsi, notre régime de retraite pourrait continuer de se financer comme il l'a toujours fait dans le passé. Enfin, on pourrait -- et l'on en discute en Allemagne avec un sérieux déconcertant -- prélever une taxe auprès des couples qui n'ont pas d'enfants sous prétexte que ce sont eux qui sont responsables des difficultés que connaît le régime et que c'est donc à eux de payer la note. Je crois qu'aucune de ces solutions ne serait appropriée au Canada, mais je demeure convaincu que nous avons d'excellentes raisons de nous orienter résolument vers un régime qui soit entièrement capitalisé.
Premièrement, nous tenons à tout prix à éviter les hausses d'impôt. Deuxièmement, la capitalisation du régime créerait un imposant réservoir de capitaux auxquels les sociétés pourraient avoir accès pour financer leurs investissements. Troisièmement, elle permettrait aux politiciens de garder leurs distances face aux revendications des personnes âgées, eux qui, dans l'ambiance des assemblées politiques auxquelles nous faisions allusion tout à l'heure, sont portés à se montrer parfois très prodigues envers elles. Je suis toutefois respectueusement en désaccord avec mon collègue sur l'importance qu'il convient d'attacher à cet aspect.
Quand les sociétés privées ont délaissé les régimes non capitalisés en faveur de régimes capitalisés, elles ont d'abord toutes opté pour des régimes à prestations déterminées, c'est-à-dire pour la constitution d'un fonds suffisamment important pour leur permettre de s'engager à verser annuellement à leurs employés, une fois à leur retraite, des prestations dont le montant serait prédéterminé en fonction du salaire que chacun aurait touché durant sa dernière année de travail et du nombre d'années au cours desquelles il aurait contribué à la caisse. Le grand avantage de ce genre de régime est le sentiment de sécurité qu'il procure à l'employé. Il lui permet en effet de se dire qu'au moment de sa retraite, il pourra compter sur des prestations dont le montant équivaudra à tant de fois le salaire de sa dernière année de travail plus tant de fois le nombre d'années passées à contribuer à la caisse. L'employé peut ainsi calculer exactement le montant qu'il touchera.
L'inconvénient de la formule des régimes à prestations déterminées dans le secteur privé, c'est qu'elle a entraîné dans le passé d'énormes problèmes de gestion. D'abord, les experts en placement chargés de la gestion des caisses de retraite aiment bien les régimes à prestations déterminées, car ils ne les obligent à rendre que très peu de comptes et se prêtent fort bien à certains trafics d'influence. Par exemple, en consultant diverses études menées auprès d'entreprises privées, nous avons constaté que lorsqu'une société connaît de mauvais résultats et que ses dirigeants risquent de devoir passer un mauvais quart d'heure à une assemblée des actionnaires, les gestionnaires de caisses de retraite d'autres sociétés viennent à leur rescousse pour leur éviter de se faire évincer par les actionnaires. En échange, les dirigeants de l'entreprise qui a ainsi été aidée enjoindront les gestionnaires de leur propre caisse de retraite de rendre la pareille, le cas échéant, aux dirigeants de l'autre entreprise. On se livre ainsi à un genre de trafic d'influence. La preuve est faite qu'une telle pratique existe.
La deuxième difficulté, c'est que la sécurité qu'est censé offrir un régime à prestations déterminées n'est en réalité qu'apparente. Ainsi, chaque fois qu'une convention collective est renégociée, le barème des prestations peut être remis en question. Il en va de même dans le secteur public. Je suis membre du comité consultatif des professeurs chargé d'examiner les questions touchant la caisse de retraite du corps enseignant de l'Université de l'Alberta, et je puis vous dire que lorsque notre caisse s'est retrouvée en déficit, les prestations de retraite ont simplement été réduites en fonction de nos disponibilités. Il n'est donc pas si sûr que la formule des prestations déterminées offre autant de sécurité qu'on le prétend.
Le troisième problème de gestion que posent les régimes à prestations déterminées, c'est qu'ils permettent des transferts de richesse de groupes politiquement faibles vers des groupes politiquement plus puissants. Nous avons vu certaines entreprises où les jeunes travailleurs versent des contributions supérieures à ce qu'ils peuvent espérer en retirer et où des fonds sont indûment transférés des hommes au profit des femmes ou vice versa, selon la façon dont les barèmes de prestations sont établis. Voilà pour une première série de problèmes.
La seconde série de problèmes découle de la première, dont nous venons de faire état, et concerne le rendement proprement pitoyable des caisses de retraite d'entreprise en regard de celui d'autres fonds de placement -- par exemple, de ceux qui sont alignés sur les indices SNP 500 ou TSE 300. En règle générale, ces caisses ont obtenu avec le temps des rendements très faibles par rapport à celui de divers portefeuilles sélectionnés au hasard. Comme on peut le voir, les problèmes de gestion de ces caisses peuvent avoir de graves conséquences, notamment sur le plan monétaire.
Pourquoi, dans l'entreprise privée, le rendement des régimes de retraite à prestations déterminées sont-ils si décevants? Mes collègues Andrei Shleifer, de l'Université Harvard, et Rob Vishny, de l'Université de Chicago, avec lesquels j'ai rédigé certains articles sur le sujet, ont vérifié comment s'effectuait le renouvellement de mandat des gestionnaires de caisses de retraite. De la façon dont on procède actuellement, le conseil d'administration du fonds décide d'abord de la répartition du fonds parmi les gestionnaires auxquels il fait appel. Deux ou trois ans plus tard, il examine le rendement de chaque gestionnaire et se demande s'il y a lieu de renouveler son mandat. Or, mes collègues ont constaté que ce que veulent au fond les administrateurs, ce sont de bonnes excuses bien davantage qu'un bon rendement. Si le gestionnaire a obtenu des résultats non satisfaisants, mais qu'il peut leur fournir des explications justifiant la manière dont les choses se sont passées et leur exposer les raisons pour lesquelles une telle situation ne se reproduira plus, il sera probablement réengagé. C'est d'ailleurs par ce principe que le gestionnaire sera parfois amené à modifier la composition du portefeuille pour sauver la face. Nous avons la preuve que ce genre de manoeuvre est courant. Par exemple, lorsqu'une caisse de retraite a un rendement réellement piètre durant le trimestre qui précède la soumission du rapport aux administrateurs, les gestionnaires s'empresseront de vendre toutes les actions dont le cours a baissé et d'acheter en échange un assortiment de titres dont la valeur a augmenté. On pourra ainsi vendre des actions de Bethlehem Steel et acheter des actions de Netscape et dire ensuite: «Nous avons fait le plein d'actions de Netscape dans notre portefeuille pour redresser la situation, car certains des autres titres ne produisaient pas un rendement satisfaisant.» Évidemment, les titres les moins rentables ont été éliminés et ne figureront pas dans le rapport. Le gestionnaire achète à prix élevé et vend à bas prix.
Le deuxième grand problème a trait au mode de rémunération des gestionnaires de fonds. Ces gestionnaires touchent un pourcentage de la valeur des avoirs qu'ils ont à gérer. En conséquence, ils ne se préoccupent pas outre mesure du rendement des avoirs puisqu'ils recevront de toute façon, par exemple, 1 p. 100 de 76 milliards de dollars, ou tel autre montant, en tout cas un montant considérable. Peu de temps avant son arrestation, Mike Milken avait entrepris d'établir un fonds qui lui rapporterait tel pourcentage de la plus-value du fonds plutôt que tel pourcentage des avoirs. Cette proposition a déclenché une avalanche de critiques dans le milieu des gestionnaires de fonds de placement, qui étaient proprement choqués que quelqu'un ose même songer à une telle formule. Heureusement pour eux, Milken a été incarcéré avant d'avoir eu le temps de mettre son projet à exécution.
Naturellement, il y a aussi la question de savoir à qui appartiennent les excédents, le cas échéant. Supposons que les avoirs de la caisse de retraite produisent un rendement supérieur aux attentes et que la caisse s'en trouve excédentaire.
Le président: Nous n'avons pas encore ce problème-là dans le cas du RPC.
M. Morck: Non, pas encore.
La question se poserait alors de savoir si le gouvernement pourrait s'approprier cet excédent ou si cet argent appartiendrait plutôt aux cotisants et, le cas échéant, s'il devrait servir à bonifier leurs prestations. Le problème s'est posé dans le cas des régimes de retraite d'entreprise et a suscité énormément de controverses.
On observe, dans le cas des régimes de retraite d'entreprise, un autre problème, qui a trait cette fois au fait que les hypothèses actuarielles sur lesquelles on dit se fonder pour prétendre qu'un régime est capitalisé peuvent fort bien être «déformées». Cela me rappelle une blague. Si vous demandez à un physicien: «Combien font deux plus deux?», il vous répondra: «Quatre», mais si vous posez la même question à un comptable, il vous demandera: «Que souhaitez-vous comme réponse?» Pour établir ses hypothèses actuarielles, le gestionnaire de caisse de retraite choisira, par exemple, le taux éventuel d'augmentation du revenu des futurs prestataires, ou bien le taux d'escompte, ou encore le taux de mortalité, ou de morbidité. Il pourra pratiquement ne retenir que les chiffres qui feront son affaire. C'est ainsi que, dans le cas de certaines sociétés états-uniennes qui ont sombré, on a constaté après coup qu'alors que leurs régimes de retraite étaient censés être pleinement capitalisés, l'examen de leur passif réel révélait qu'en fait, tel n'était absolument pas le cas. Voilà un autre problème qui guette les régimes de retraite à prestations déterminées dans le secteur privé.
Pour ce qui est du secteur public, une étude qui a fait largement autorité a été effectuée sur les régimes de retraite du secteur public aux États-Unis. Elle a été réalisée par une professeure de droit de l'Université Yale, Roberta Romano, qui est probablement l'experte la plus réputée aux États-Unis en matière de régimes de retraite du secteur public.
Elle a cherché à vérifier si le rendement des régimes de retraite à prestations déterminées était aussi piètre dans le secteur public que dans le secteur privé. Elle en est arrivée à la conclusion pour le moins étonnante que les régimes du secteur public avaient produit un rendement inférieur à celui des régimes du secteur privé, qui s'étaient déjà eux-mêmes révélés moins rentables qu'un échantillon aléatoire de portefeuilles boursiers. Elle a alors résolu de trouver réponse à la question de savoir pourquoi les régimes à prestations déterminées avaient ainsi un rendement encore plus décevant dans le secteur public que dans le secteur privé, où ce rendement était déjà proprement lamentable. Elle a donc entrepris d'examiner de près les régimes qui avaient obtenu respectivement les pires rendements et les moins pires, ce qui lui a permis de constater que les régimes les moins rentables étaient ceux qu'on avait obligés ou encouragés à investir dans des projets d'initiative locale. Imaginez les conséquences si, par exemple, je demandais instamment que le RPC investisse dans un abattoir dans mon comté du nord de la Saskatchewan, en faisant valoir que ce serait un placement formidable qui, en plus, créerait des emplois. Vous devez comprendre que, comme on touche ici à la politique, je me dois d'être prudent.
Le sénateur Tkachuk: Nous en avons également un à Saskatoon.
M. Morck: Mon collègue a fait allusion au Fonds du patrimoine. Si vous voulez acheter des chemins de gravier, dans le nord de l'Alberta cette fois, je pense que nous avons un fonds qui serait disposé à vous en vendre.
Le sénateur Kenny: Je croyais qu'il s'agissait plutôt de sable pour l'aménagement de trappes sur les terrains de golf.
M. Morck: Sauf erreur, on vend du sable aussi.
Il y a d'autres problèmes que posent les régimes à prestations déterminées, dont l'un a trait à la composition de leur conseil d'administration. Souvent, les membres de ces conseils voient essentiellement leur poste comme propice à la pratique du favoritisme. Je me suis entretenu avec des membres du conseil d'administration du Fonds du patrimoine, avec des gens qui travaillent pour la caisse de retraite des enseignants, ainsi qu'avec des employés de caisses de retraite d'entreprises privées aux États-Unis, et j'ai été renversé de ce que j'ai entendu à propos des cadeaux que les administrateurs reçoivent d'aspirants gestionnaires de caisses de retraite. Ainsi, certains gestionnaires invitent parfois des administrateurs à dîner dans les restaurants les plus chics en pensant que, s'ils dépensent quelques centaines de dollars pour un bon repas, ils auront de bonnes chances de décrocher un contrat pour gérer un milliard de dollars dont ils pourront déduire chaque année leur commission de 1 p. 100. De ce point de vue, le jeu leur paraît en valoir la chandelle. Certains offrent même aux administrateurs des vacances gratuites, ou des cadeaux semblables à ceux que donnent les sociétés pharmaceutiques aux médecins. Ce genre de motivation risque de brouiller le processus de prise de décision et de mener parfois à des choix qui ne sont pas forcément les meilleurs.
Dans le secteur privé, les entreprises ont l'une après l'autre opté pour un troisième type de régime de retraite appelé, celui-ci, régime à cotisations déterminées. Dans un tel régime, chaque cotisant a son propre compte. Même la contribution de l'employeur lui appartient. Dans certains cas, le cotisant peut choisir entre deux ou trois gestionnaires de fonds accrédités par la caisse de retraite pour gérer cet argent. Dans d'autres, le cotisant est entièrement libre de choisir qui il veut parmi une liste de plusieurs centaines de gestionnaires de fonds, mais essentiellement, la décision ne relève plus des administrateurs, mais du participant lui-même.
L'avantage de cette formule est que chaque cotisant est officiellement et directement propriétaire de son fonds et qu'il peut demander des comptes à son gestionnaire si, par exemple, le rendement de son capital investi a diminué de 3 p. 100, alors que le marché boursier a progressé de 10 p. 100. Il peut, par exemple, engager lui-même un nouveau gestionnaire à la place de celui qu'il a déjà, et ainsi se retirer d'un fonds au rendement décevant pour aller vers un autre plus prometteur. Il peut très vite se rendre compte, le cas échéant, que son fonds ne donne pas des résultats satisfaisants, sans devoir constamment s'en remettre au jugement des administrateurs qui, dans ce genre de régime, n'exercent qu'un rôle de surveillance. La tâche des administrateurs n'étant pas difficile, et leur pouvoir, relativement limité, on élimine chez eux toute tentation de céder au favoritisme et bien d'autres problèmes encore. L'inconvénient de cette formule est que le régime semble offrir moins de sécurité, car le participant ne peut compter toucher un montant de prestations garanti une fois à la retraite, ce montant étant fonction de la croissance de son fonds.
Jim Paturba, qui enseigne au département d'économie du MIT, a proposé une solution pour remédier à ce problème: la création par le gouvernement fédéral ou les provinces d'une nouvelle forme de placement. Il s'agirait d'une rente négociable. Par exemple, je pourrais acheter aujourd'hui une rente de 10 000 $ qui ne me rapporterait rien jusqu'à ma retraite, mais qui me permettrait de toucher des prestations de 150 $ par mois à compter du moment où je serais considéré comme retraité. Si je prévoyais avoir besoin d'un revenu garanti de 900 $ ou de 1 000 $ par mois une fois à la retraite, il me serait loisible d'acheter un nombre de rentes en conséquence. Il m'appartiendrait également de décider d'acheter ces rentes du gouvernement de l'Alberta, de la Banque de la Nouvelle-Écosse ou de quelque autre émetteur, et leur cours serait établi de la même manière que l'est celui des obligations, des actions ou de tout autre instrument financier.
Par ailleurs, le cadre de gestion proposé dans le projet de réforme du RPC soulève certains problèmes. Il y a lieu de se demander comment on pourrait remédier à ces problèmes et améliorer la gestion du RPC tout en respectant le cadre prévu par le projet de loi. La première option consisterait, à mon avis, à préciser dans la loi que les administrateurs peuvent agir en toute autonomie, ce qui leur permettrait, en principe, de pouvoir prendre leurs distances par rapport au gouvernement. Malheureusement, je ne crois pas que ce soit possible. Les administrateurs seront nommés par le gouvernement quoi qu'il arrive et ils devront donc s'aligner sur ses orientations politiques. À cet égard, je souscris jusqu'à un certain point aux idées de mon collègue, à savoir qu'il vaudrait mieux que les liens de dépendance auxquels sont soumis les administrateurs soient ouvertement reconnus plutôt que de laisser croire qu'ils peuvent agir en toute autonomie quand ce n'est pas le cas.
Une deuxième option consisterait à exiger strictement des administrateurs qu'ils s'acquittent de leur rôle de fiduciaires pour le compte des cotisants, comme le prévoient déjà les règles qui régissent dans le secteur privé les régimes de retraite à prestations déterminées. Le problème, c'est que cette formule ne donne pas de très bons résultats dans le secteur privé. Nous savons que la rentabilité de ces régimes y est très faible malgré les importants devoirs fiduciaires que sont rigoureusement tenus de remplir les gestionnaires de fonds. Nous pourrions opter pour cette solution, mais je crains fort qu'elle ne se révèle pas très efficace.
Une troisième option que d'aucuns proposent consisterait à exiger des administrateurs qu'ils s'en tiennent à des investissements passifs, c'est-à-dire qu'ils n'effectuent que des placements indiciels. Un des problèmes inhérents à cette option est que les experts en placements s'y opposent vertement, pour des motifs en partie égoïstes et en partie fondés. Pour ce qui est des motifs égoïstes, il va sans dire qu'un expert à qui on demande de ne faire que des placements passifs n'a pas grand-chose à gérer et, partant, peut difficilement justifier qu'on lui verse annuellement une commission de 1 ou 2 p. 100 sur un milliard de dollars simplement pour acheter des titres inscrits au TSE 300. L'expert est par ailleurs plus authentiquement fondé de se montrer réticent à l'égard de cette option quand il fait valoir qu'un portefeuille passif devrait normalement inclure quelques placements dans les secteurs du capital de risque et de l'immobilier, où l'investisseur doit forcément exercer une certaine discrétion. Disons qu'on m'autorise à inclure dans mon portefeuille passif 20 p. 100 de titres immobiliers, je dois néanmoins me demander quel titre immobilier je vais acquérir, n'est-ce pas? Je pourrais toujours investir dans l'abattoir de Saskatoon, ce qui n'aurait pas l'heur de vous rassurer. Il n'est donc pas évident que ce serait là la solution pour se mettre à l'abri des pressions politiques.
Un autre problème que pose cette option, c'est que, comme nous avons été à même de le constater, du moment qu'un titre est admis à faire partie d'un indice, son cours s'apprécie, vu que les investisseurs qui sont limités à des placements indiciels ont dès lors la possibilité de l'acheter. Il s'ensuivra inévitablement des pressions sur les personnes à qui il appartient de décider quels titres seront inclus ou exclus de l'indice. Il est très avantageux sur le plan monétaire pour un propriétaire d'entreprise de voir les actions de sa société être admises à figurer dans le TSE 300.
Le sénateur Kelleher: Demandez aux gens de Bre-X ce qu'ils en pensent.
M. Morck: Comme on peut le voir, les options un, deux et trois posent problème.
La quatrième option, qui a déjà été mise à l'essai dans certaines entreprises privées, consiste à imposer des règles strictes aux gestionnaires de caisses de retraite relativement aux types de placements autorisés. On leur interdit par exemple d'investir dans les produits dérivés et on exige qu'ils s'en tiennent aux obligations cotées BBB ou mieux. On peut imposer ainsi une foule de règles précises. Le problème, c'est que ces règles deviennent souvent vite périmées. Certaines obligations de pacotille ont parfois fini par se révéler de très bons instruments de placements. Bien utilisés, les produits dérivés peuvent contribuer à réduire le risque et non à l'accroître. Ici encore, il n'est donc pas évident que cette option soit la bonne.
Ma cinquième option consisterait à transformer le RPC en régime s'apparentant le plus possible à un régime à cotisations déterminées, pour permettre aux cotisants de suivre l'évolution de leur propre fonds. On pourrait y parvenir de diverses manières. Premièrement, chaque cotisant devrait dès le départ avoir son propre compte pour pouvoir pointer son petit pécule et dire: «Ce sont là mes épargnes; vous pouvez toujours les inclure dans un grand fonds commun géré par des experts, mais je n'en demeure pas moins le maître et je veux savoir combien elles rapportent.»
Deuxièmement, on pourrait permettre la concurrence entre les différents fonds communs et laisser en tout temps aux investisseurs le soin d'opter pour le fonds de leur choix. Tel fonds pourrait être administré par le gouvernement, tel autre, par des experts en placement privés, et tel autre encore pourrait être indiciel. En laissant à l'investisseur le loisir de déplacer ses épargnes d'un fonds à un autre, on pourrait créer une certaine concurrence au sein même du Régime de pensions du Canada.
Troisièmement, les gouvernements et les entreprises privées pourraient offrir des rentes comme celles dont je vous ai parlé tout à l'heure, où pour tel montant investi le cotisant pourrait recevoir chaque année une certaine rente, et ce, à compter du moment où il prend sa retraite jusqu'à son décès. Ainsi, le cotisant ne risquerait pas de voir son portefeuille produire un rendement insuffisant. Il lui serait possible d'acheter des rentes mensuelles garanties qu'il pourrait encaisser tout au long de sa retraite, et il saurait exactement combien il lui en coûterait pour se les procurer.
Quatrièmement, dans le cas des caisses de retraite du secteur public, les régimes à cotisations déterminées n'ont pas très bonne réputation, car on a tendance à les associer à la mauvaise expérience qu'ont connue certains pays qui les ont adoptés sans prévoir de mesures transitoires, comme ce fut le cas du Chili, qui est passé directement d'un régime non capitalisé à un régime à cotisations déterminées. Choisir cette option pour le Canada serait synonyme de faire grimper en flèche la dette fédérale et d'infliger à notre pays toutes sortes de problèmes majeurs. Il ne serait vraiment pas sage de passer brusquement à ce type de régime. Je crois toutefois que nous pourrions opter pour une transition graduelle. Les personnes qui auraient cotisé durant toute leur vie au régime actuel auraient droit aux pensions déjà promises. Celles qui en seraient à leurs premières cotisations pourraient participer à un régime à cotisations déterminées du genre de celui que je vous ai décrit. Quant à celles qui seraient à cheval sur les deux régimes, elles pourraient recevoir une partie de leurs prestations en vertu de l'ancien système et l'autre en vertu de nouveau, et ce, en proportion des cotisations versées dans l'un ou l'autre système, en tenant toutefois compte, en ce qui touche l'ancien régime, du nombre d'années de service.
Voilà, à mon sens, quel serait le meilleur moyen d'asseoir le RPC sur des fondations solides et durables.
Le président: J'aurais une question à propos de votre dernier point. Je ne vois pas comment cette solution pourrait contribuer à régler le problème financier auquel le RPC doit faire face. Voici pourquoi. Vous soutenez essentiellement dans votre proposition que tous droits à pension déjà accumulés continueraient d'être calculés sur la base du régime à prestations déterminées, et qu'à compter d'un jour donné, les nouvelles cotisations seraient portées au compte du participant. Ce que vous me semblez oublier, ce sont les autres cotisants, ceux qui n'auraient pas accumulé de cotisations dans un compte personnel. Il faudrait continuer de verser les prestations promises, dont le financement accaparerait une partie importante de la cotisation prévue de 9,9 p. 100. Pour que votre système fonctionne, il faudrait prélever sur la cotisation de 9,9 p. 100, 7,2 p. 100 pour financer les prestations aux bénéficiaires du régime actuel, ce qui ne vous laisserait que 2,7 p. 100 pour financer votre régime à cotisations déterminées. La plus grande partie de ce que vous contribuez aujourd'hui ne vous sera pas remise à vous, même dans la meilleure hypothèse. Sur le plan mathématique, le problème demeurerait donc entier.
M. Morck: Le problème actuel découle partiellement de la façon dont le régime est structuré. Par exemple, on ne mentionne jamais que les Forces armées canadiennes ont un énorme passif actuariel non capitalisé, mais il reste que le gouvernement canadien, nous le savons tous, devra continuer dans l'avenir de faire toute une série de paiements pour les bases militaires, les soldats, etc. Or, nous ne nous préoccupons que de la note qu'il nous faut acquitter dans l'immédiat. Comme personne n'a jamais parlé de la nécessité de créer un fonds pour financer l'armée, nous ne nous soucions pas de cette question.
La difficulté, d'après moi, c'est que le gouvernement canadien, depuis la création du RPC, a essentiellement prélevé auprès des contribuables une charge sociale pour financer des prestations de retraite, en essayant de nous faire croire que cette charge sociale serait versée dans un fonds intégré, alors que ça n'a jamais été le cas.
Le président: Comme l'ont d'ailleurs fait tous les autres pays démocratiques. Ils avaient tous le même problème.
M. Morck: J'en conviens, mais il demeure que le gouvernement est responsable des engagements qu'il a pris, et je crois qu'il devrait les assumer en reconnaissant qu'il s'agit d'obligations qu'il incombe au gouvernement et non au RPC de financer. Le gouvernement dispose de bien des moyens pour prélever des fonds, dont certains sont moins équitables que d'autres.
Le président: Convenez-vous avec moi que la notion d'«équité» est subjective et qu'elle dépend dans une large mesure des valeurs de chacun?
M. Morck: Bien sûr, mais une des façons les plus régressives d'obtenir des fonds consiste à imposer des charges sociales. C'est aussi un des facteurs qui contribuent le plus à déstabiliser l'économie, car il dissuade les gens de travailler. Vous proposez d'aller chercher les fonds nécessaires pour permettre au gouvernement de faire face à ces obligations en prélevant une charge sociale plutôt que, par exemple, un impôt sur le revenu, une TPS, ou une taxe à la consommation. Je ne suis pas sûr qu'il soit vraiment logique de maintenir ce lien entre le salaire et le paiement des futures prestations, lien qui n'a d'ailleurs jamais eu sa raison d'être sur le plan de la sagesse économique.
Le président: Vous nous avez fait sortir du sujet.
M. Morck: J'en suis conscient.
Le sénateur Meighen: Les témoins que nous avons entendus avant le déjeuner se demandaient si la façon dont ce projet de loi est libellé ne crée pas une certaine confusion -- je parle de la confusion entre le rôle de l'office d'investissement et celui de son conseil d'administration. Ils ont affirmé qu'on ne semblait pas attacher beaucoup d'importance aux obligations, comme vous le dites vous-même, et qu'on insiste énormément sur les modalités de la gestion. Où est-il question de la nécessité de compenser les obligations par une saine gestion des avoirs? Cet office d'investissement devrait avoir des normes à respecter à cet égard. Qu'en pensez-vous?
M. Morck: Il y de nombreuses façons d'aborder cette question. Dans une étude au cours de laquelle nous nous sommes penchés sur les postulats comptables de diverses entreprises, nous avons constaté que les grandes entreprises qui ont des revenus élevés ont tendance à déformer ces postulats dans la mesure où elles tiennent à ce que leurs obligations à l'égard de leurs futurs retraités pèsent le plus lourd possible pour pouvoir profiter d'exonérations d'impôt sur leur fonds de retraite. Nous avons observé le contraire chez les petites entreprises qui ont des problèmes de solvabilité. Il y a lieu de prévoir qu'il en ira de même pour le gouvernement. Ses hypothèses seront probablement déformées pour que ses obligations paraissent le moins élevées possibles en période d'austérité budgétaire.
Le sénateur Meighen: Si je vous ai bien compris, quand les obligations sont minimes, il en est de même pour les avoirs, n'est-ce pas?
M. Morck: Effectivement, les montants versés dans le fonds n'ont pas besoin d'être aussi considérables, mais si on calcule les obligations autrement, il en faut plus.
Le sénateur Meighen: Cela voudrait-il dire également qu'il est alors moins impérieux de se soucier de croissance puisqu'on n'y est pas forcé?
M. Morck: Oui, et on a alors le choix d'investir ou non dans l'abattoir.
M. Tupper: En quoi cet abattoir pose-t-il problème? J'aimerais qu'on revienne sur cette question.
Le sénateur Meighen: Au cours des trois premières années, l'office est censé simplement refinancer ses obligations provinciales. Cela ne nous mènera pas très loin. Or, à ce qu'il semble, si dans la répartition de votre portefeuille, vous n'avez aucun investissement, par exemple, dans un abattoir, il vous faudra investir dans des instruments qui offrent un potentiel de croissance substantiel, et ce, en fonction des obligations que vous devrez éventuellement assumer.
M. Morck: Vous avez tout à fait raison. Il faut absolument faire en sorte que la population ait un droit de regard sur la façon dont on établit les postulats actuariels. Ils doivent également être rendus publics pour que les comptables puissent les vérifier et voir s'ils n'ont pas été faussés. Je crois que la transparence est essentielle à cet égard.
J'aimerais revenir sur la question qu'a posée le président sur la façon de combler le déficit actuel. Si vous tenez absolument à combler ce déficit du RPC par le régime lui-même, il vous faudra prévoir une période de transition plus longue pour passer à un régime à cotisations déterminées. Vous pourriez prendre, par exemple, 20 ans pour effectuer la transition. Ainsi, vous pourriez, pendant 20 ans, prélever un impôt auprès des cotisants pour accumuler progressivement les montants dont vous aurez besoin pour combler le déficit. Ce serait une solution, peut-être pas la plus commode et la moins dommageable sur le plan économique, mais une solution quand même applicable.
Le sénateur Meighen: Nous saurions au moins clairement où nous allons. Êtes-vous d'avis que l'idéal serait de choisir les personnes les plus qualifiées possibles et de leur imposer le moins de contraintes possibles pour leur permettre de faire un bon travail?
M. Morck: Oui. Pourvu qu'on exige d'elles un sens aigu des responsabilités, je crois que ce serait assez logique. Vous ne pouvez impunément mettre des gens dans l'incapacité d'agir en leur imposant des dizaines de règles pour circonscrire les catégories de placements qu'ils sont autorisés à faire. Vous ne feriez qu'encourager les groupes de pression à réclamer la modification de ces règles, et les règles finiraient par favoriser certains aux dépens d'autres. Vous obtiendriez tout à fait le contraire de l'objectif visé. Laissons les gens libres, tout en exigeant qu'ils rendent des comptes.
Le sénateur Meighen: Les mauvais placements -- et il y en aura inévitablement -- sont partie inhérente du cheminement de tout bon investisseur.
M. Morck: C'est juste. Par ailleurs, s'il y avait plusieurs fonds au lieu d'un seul et que les gens étaient libres de choisir celui dans lequel ils veulent investir leur argent, la faillite d'un fonds n'entraînerait pas l'écroulement de tout le système. De là l'importance d'offrir aux cotisants du RPC la possibilité de placer leurs épargnes dans un ou plusieurs fonds de leur choix. L'idée, c'est de circonscrire les dégâts. La faillite d'un fonds ne causerait alors préjudice qu'à ceux qui auraient choisi d'investir leur argent dans le fonds en question. Ceux qui auraient choisi de placer dans un autre fonds -- une possibilité qui leur serait offerte dans un régime à cotisations déterminées, comme celui que nous proposons -- seraient épargnés. C'est la portion du régime qui demeurerait à prestations déterminées, le cas échéant, qui se trouverait en difficulté, mais heureusement, au bout d'une vingtaine d'années, la transition ayant été menée à terme, nous aurions un régime offrant une meilleure garantie de stabilité à long terme.
Le sénateur Meighen: Pour le bénéfice du compte rendu, puis-je tenir pour acquis que vous souhaiteriez que le plafond de 20 p. 100 ne s'applique pas dans le cas du Régime de pensions du Canada?
M. Morck: Parlez-vous du plafond de 20 p. 100 imposé sur les placements à l'étranger?
Le sénateur Meighen: Oui.
M. Morck: Ma réponse est oui. Il y a deux ou trois ans, Industrie Canada m'avait demandé mon opinion sur cette question. J'avais soutenu très fermement que cette mesure restrictive était indéfendable, qu'en empêchant ainsi les Canadiens d'investir où ils veulent, on les prive de la possibilité d'effectuer des placements à plus haut rendement et à moindre risque. Je suppose qu'on tient à tout prix à les éloigner de la tentation de devenir trop riches.
Le sénateur Meighen: La plupart des gens semblent souhaiter qu'on élargisse la règle relative aux placements à l'étranger, soit qu'on lève toute restriction, soit, comme notre comité l'a recommandé, qu'on fasse passer la limite de 20 à 30 p. 100 sur cinq ans, à raison de 2 p. 100 par année. D'aucuns soutiennent toutefois que, dans le contexte actuel, compte tenu de la faiblesse de notre devise, une telle orientation intensifierait la fuite de nos capitaux et accroîtrait la pression sur notre dollar. À mon sens, ce facteur n'aurait pas tellement d'incidence sur la vigueur ou la faiblesse du huard, mais j'aimerais connaître votre opinion là-dessus.
M. Morck: Je suis d'accord avec vous. Je n'ai pas le sentiment que c'est un facteur qui joue beaucoup sur le cours du dollar. Je crois d'ailleurs qu'on peut démontrer que l'élargissement de cette règle pourrait peut-être avoir un effet positif sur le cours de notre devise. En effet, le problème que connaît actuellement notre devise tient peut-être en partie au fait que, parce qu'elles disposent d'un réservoir de fonds qu'elles ne peuvent actuellement investir ailleurs qu'au Canada, les sociétés canadiennes ne sont pas aussi compétitives qu'elles devraient l'être. Or, la possibilité d'exporter ces capitaux forcerait peut-être les entreprises canadiennes à se montrer plus inventives, ce qui aurait normalement pour effet d'accroître notre productivité et d'exercer une pression à la hausse sur le huard.
Le sénateur Kenny: Professeur Morck, peut-être n'ai-je pas bien saisi votre proposition sur les régimes à cotisations déterminées, mais ce qui me frappe, c'est que la solution que vous proposez m'apparaît excessivement coûteuse sur le plan administratif, et je crains que ce fardeau qu'elle nous imposerait suffirait à lui seul à annuler les avantages d'un régime qui donnerait à chacun la possibilité de surveiller son petit pécule.
Je m'inquiète également de ceux qui seraient laissés pour compte, car votre proposition ressemble beaucoup aux REER individuels. Qu'adviendrait-il des exclus? Quelle attention leur apporterions-nous?
M. Morck: En ce qui concerne votre première question sur les coûts administratifs, il existe quelques études intéressantes sur ce sujet. L'une d'elles porte sur le régime de pensions chilien. On y constate que les coûts administratifs d'un régime à cotisations déterminées sont de beaucoup supérieurs à ceux d'un régime par répartition ou d'un régime à prestations déterminées à fonds unique. Dans une autre étude, réalisée cette fois aux États-Unis par Olivia Mitchell, l'auteure compare certains régimes privés à cotisations déterminées avec des régimes privés à prestations déterminées, et là encore, les conclusions de cette étude démontrent que les frais d'administration des régimes à cotisations déterminées sont plus élevés. Vous avez mis le doigt sur un aspect très préoccupant de ma proposition, mais il faut en peser le pour et le contre. Nous devons ici, je crois, comparer les coûts et les avantages. Vous avez à juste titre relevé le coût élevé de ma proposition. Ce qu'il faut se demander, c'est si ses avantages l'emporteraient sur le prix à payer pour l'appliquer.
Quant à votre question concernant les exclus, il n'est pas facile d'y répondre. Pour résoudre ce problème -- et ce n'est qu'à long terme, au moment où tous les Canadiens seraient passés à un régime à cotisations déterminées qu'on pourrait le faire --, le gouvernement n'aurait qu'à mettre en réserve les fonds nécessaires pour que tous les Canadiens aient accès à un montant d'argent minimal, qui pourrait être arrondi par les employeurs. On pourrait aussi décider que cette mesure ne s'appliquera pas aux personnes qui ont des revenus élevés. Je pense qu'il y aurait des moyens de contourner cette difficulté.
Le sénateur Kenny: En ce qui a trait à votre inquiétude concernant la gouverne de l'office, vous avez expliqué que ce devait être le ministre qui donne l'amorce. Avez-vous songé à la possibilité que le ministre établisse une sorte de fondation, ou de conseil élargi, qui se renouvellerait par lui-même par la suite? Dans le modèle que j'ai à l'esprit, les administrateurs auraient quasiment un rôle de mandataires des participants au régime, pour ainsi dire. Une fois leur mandat expiré, ils éliraient leurs propres successeurs et reconstitueraient le conseil sans que le gouvernement ait à intervenir. Avez-vous déjà songé à ce genre d'hypothèse?
M. Morck: Oui, bien sûr. En fait, je trouve intéressant que vous ayez employé l'expression «mandataires», car d'aucuns ont justement proposé qu'on fasse élire les membres du conseil par les cotisants. Il ne saurait évidemment être question d'élections générales pour ce genre de chose, mais on pourrait organiser un scrutin par la poste pour élire le conseil de la manière que vous proposez. C'est une hypothèse qui mériterait d'être envisagée.
Le sénateur Kenny: J'aimerais revenir, si vous me le permettez, monsieur le président, au professeur Tupper et à son premier commentaire où il disait ne pas comprendre le bien-fondé du critère de représentation régionale. Je présume que personne ici ne croit que cette exigence repose sur des motifs économiques, mais nous sommes tous conscients des conséquences politiques que pourrait avoir l'absence de représentation régionale et de l'acrimonie qui se manifesterait si le conseil était entièrement composé, par exemple, de gens de l'Île-du-Prince-Édouard. Je suppose que vous ne teniez pas vraiment à ce que nous nous attachions de l'importance à cet aspect.
M. Tupper: Oui et non. Je crois que la représentation régionale est nécessaire au sein de certains organismes publics canadiens, mais j'estime que nous devrions parfois nous demander sérieusement si la représentativité régionale est à ce point essentielle. Il faudrait qu'on nous explique pourquoi on l'a incluse parmi les rares critères qui sont énoncés dans ce projet de loi. De temps à autre, il faut remettre en question l'à-propos de soulever des questions simplement en songeant aux intérêts régionaux. Si l'on peut me démontrer avec preuves à l'appui que cette exigence est nécessaire, sachez que je suis en faveur d'une représentation équilibrée.
Comparons un instant ce conseil avec celui de la Fondation canadienne pour l'innovation. Je crois que cet organisme et l'office ont des structures de gestion relativement semblables. De tels conseils ne sont indépendants qu'en ce sens qu'ils ne relèvent pas directement des autorités gouvernementales. Ils ne sont pas indépendants en ce qui concerne les valeurs qu'ils peuvent véhiculer. On ne peut s'en remettre à la présomption que tout ira bien parce que l'office aura 12 experts financiers pour le conseiller, car ces experts risquent fort de s'en tenir à leurs manuels et à leurs théories. Leurs décisions ne seront probablement fondées ni sur des valeurs ni sur des principes. C'est ce que j'essaie de vous démontrer. Je crois que presque tout ce qui s'est dit à ce sujet renforce la thèse d'une participation accrue des élus. J'aimerais que l'organisme tire ses grandes orientations d'une personne en autorité, qui pourrait être, par exemple, le ministre des Finances. On pourrait formuler bien d'autres observations concernant la composition du conseil.
Le sénateur Kenny: Pourriez-vous récapituler brièvement, à l'intention des membres du comité, les raisons qui vous portent à croire que la participation des élus serait bénéfique pour le conseil d'administration et pourquoi elle devrait être un élément essentiel de la gouverne de l'office? Votre réponse incitera probablement les membres du comité à vous poser ensuite d'autres questions intéressantes à ce sujet.
M. Tupper: Je crois qu'il devrait y avoir une sorte d'équilibre entre les compétences et les visions que pourrait avoir un conseil d'administration indépendant et la contribution que pourraient lui apporter d'autres secteurs d'activité. Je suis sûr que l'ensemble des témoignages que vous avez recueillis au cours de vos audiences vous en fournit une preuve assez concluante. Il ne faudrait pas que le conseil, une fois en fonction, s'érige en oligarchie autocratique, et c'est par la discussion publique qu'on pourra prévenir ce danger. Ma vision de ces choses n'est pas plus complexe que cela. Elle se fonde sur des valeurs, comme je l'expliquais tout à l'heure, comme celle du rejet de toute notion de favoritisme. Ces questions ne m'empêchent toutefois pas de dormir. Il faut dire que dans les années 90, mes idées ne courent pas les rues. Les valeurs démocratiques ne me font pas peur et ne me déplaisent pas du tout non plus. C'est ma façon de penser.
Le sénateur Kenny: J'aimerais, si vous le voulez bien, que vous précisiez votre pensée sur la valeur du processus démocratique et sur l'avantage que comporte la présence, au sein de ce genre de conseil, d'administrateurs nommés pour des raisons politiques.
M. Tupper: Toutes ces nominations seront, par définition, politiques. Ce que je veux dire, c'est que le conseil devrait être composé de personnes qui ont une vaste expérience de vie, et que quiconque s'est impliqué dans une formation politique y aura peut-être développé des talents dont le conseil pourrait profiter.
Le sénateur Kenny: Avoir des idées politiques ne veut pas forcément dire qu'on n'a pas une expérience de vie utile.
M. Tupper: Tout à fait; pas plus d'ailleurs que le fait de mettre ce conseil «à l'abri» de toute influence politique signifierait nécessairement que ceux qui y seront nommés n'auront pas des idées très arrêtées dont nous devrions connaître la teneur.
Le sénateur Kenny: C'est toute la différence entre refuser de s'affirmer et oser le faire.
M. Tupper: Nous ne devons pas oublier que très peu de Canadiens ont un régime de retraite comme les nôtres, c'est-à-dire un régime de retraite à prestations déterminées comme en ont les professeurs, les fonctionnaires et ceux qui ont des postes de commande. La vaste majorité des Canadiens ne peuvent compter, pour leur retraite, que sur ce que sera ce régime, un point c'est tout.
Le sénateur Tkachuk: La perspective que les nominations aux postes du conseil d'administration soient de nature politique nous inquiète profondément, qu'elles le soient par esprit de parti ou par idéologie. Dans cette deuxième hypothèse, il pourrait arriver qu'un titulaire soit convaincu, par exemple, que le fonds ne devrait investir que dans des entreprises «vertes» ou reconnues pour leur rectitude écologique. Ce n'est qu'une fois que cet administrateur aurait été nommé par décret du conseil et qu'il soit en poste que les Canadiens apprendraient qu'il est de cette idéologie, et naturellement, il serait alors déjà trop tard. Étant donné que tout semble indiquer que le processus sera politique, il nous faut trouver un mécanisme pour le rendre plus ouvert et plus transparent, et pour obliger les responsables à rendre des comptes, car actuellement on n'a de comptes à rendre à personne.
En ce qui concerne l'exigence que la Loi sur le RPC impose à l'office de déposer son rapport devant la Chambre des communes, ce rapport, si je ne m'abuse, ne sera renvoyé à aucun comité. Il sera tout simplement déposé au même titre que les 500 autres qui le sont également régulièrement, ce qui voudra dire que le gouvernement, ou plus exactement le ministre, aura peu d'influence.
Le président: Je ne connais pas très bien la procédure à la Chambre, mais je sais qu'en vertu du Règlement du Sénat, nous pouvons confier l'étude de rapports à des comités. Nous l'avons fait dans bien des cas.
Le sénateur Tkachuk: Nous examinons la question sous deux angles: celui de la reddition de comptes et celui de la transparence. Ce sont deux aspects bien différents. Nous devrions essayer de trouver le moyen de faire comparaître l'office devant un comité parlementaire pour que la population sache qu'elle a un droit de regard et que ses points de vue sont pris en considération.
Monsieur Morck, à titre de cotisant au RPC, j'aurais, dans la proposition que vous nous soumettez, le choix du fonds dans lequel je souhaite investir. Comment conciliez-vous cette possibilité avec le fait que tous les Canadiens toucheront, quoi qu'il arrive, le même montant au moment de leur retraite?
M. Morck: Tous les Canadiens toucheraient le même montant minimum, de sorte qu'une certaine proportion des cotisations seraient investies dans un fonds particulier. On n'aurait pas le choix dans le cas de cette portion des cotisations. On pourrait grever ce fonds pour tenir compte de la problématique démographique, mais passé ce minimum, qui pourrait être de 20 p. 100, par exemple, les cotisants pourraient placer le reste dans le fonds de leur choix, et cette portion s'apprécierait petit à petit avec le temps. Je pourrais alors décider de placer mes épargnes dans un fonds écologique, par exemple, et si ce fonds rapportait peu, j'en subirais les conséquences. Ainsi, la population aurait son mot à dire concernant la manière dont les fonds seraient placés indépendamment de l'esprit de parti.
Je pense que le point qu'a soulevé le sénateur Kenny tout à l'heure, l'idée d'avoir un conseil d'administration indépendant, qui se renouvellerait de lui-même ou dont les membres seraient élus directement par les participants, c'est-à-dire par la population canadienne, sans référence au mode d'élection des parlementaires, serait assez logique. Je peux très bien approuver la politique du parti au pouvoir -- qu'il s'agisse du Parti libéral ou du Parti conservateur -- en matière d'immigration et d'impôt, mais être tout à fait contre sa vision de la gestion du fonds de pensions. Je pourrais souhaiter qu'il suive d'autres principes à cet égard. Quand nous votons pour un parti, nous votons en même temps pour tout un éventail d'opinions. Il se pourrait très bien qu'on considère que le mode de gestion d'un fonds de pension est à ce point éloigné des autres questions politiques qu'il s'impose que la population puisse se prononcer d'une toute autre façon en ce qui concerne cette question particulière.
Le sénateur Kelleher: L'article 51 exige bel et bien que le ministre dépose le rapport, mais il se peut qu'on en reste là, car seul le dépôt du rapport est obligatoire. Je parle en connaissance de cause, car lorsque j'étais ministre, j'ai eu à déposer plusieurs rapports, et je vous garantis que j'espérais que personne n'en fasse rien.
Le sénateur Tkachuk: Vos espoirs n'ont jamais été déçus?
Le sénateur Kelleher: Non, mes rapports n'ont jamais été renvoyés à un comité.
Le président: Ce n'est pas très différent du sort qu'on réserve aux rapports que produisent les universitaires.
Le sénateur Kelleher: Je ne tiens pas à commenter cette réflexion, étant donné que nous recevons aujourd'hui deux professeurs émérites. Je crois que les critiques que le professeur Tupper a exprimées valent toujours.
M. Tupper: Je ne vois pas de problème à ce que ce rapport soit examiné par un comité parlementaire. J'estime que la question est suffisamment importante pour mériter qu'un comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes l'étudie chaque année. Ce comité pourrait également examiner tous les cinq ans la conception qu'on se fait du régime et diverses questions de ce genre.
Le président: Je tiens simplement à vous faire remarquer que, dans le passé, les comités mixtes n'ont pas très bien fonctionné.
M. Tupper: Je le sais.
Le président: La différence, c'est qu'au Sénat, il y a une certaine continuité, en ce sens que les gens qui siègent à ces comités en sont habituellement membres pendant longtemps. Ce n'est pas le cas des comités de la Chambre des communes. C'est ce qui fait qu'on nous confie surtout l'étude de questions ayant trait aux «affaires» plutôt qu'à la politique sociale. La plupart des sénateurs ici présents sont membres de notre comité depuis un bon moment. Nous nous penchons sur des questions complexes que nous mettons un certain temps à maîtriser.
M. Tupper: L'idée de vous suggérer un comité mixte était de concilier les préoccupations à court terme avec la mémoire à long terme.
Le président: Il y a toujours deux fois plus de représentants de la Chambre des communes au sein des comités mixtes.
Le sénateur St. Germain: Je vous prie de m'excuser d'avoir tardé à revenir, mais la partie de votre exposé que j'ai entendue m'a beaucoup impressionné.
Monsieur Tupper, la question du peu de confiance et du cynisme que manifeste la population à l'endroit des autorités politiques me préoccupe. Si on verse aux membres de ce conseil les salaires qui nous ont été mentionnés hier, une nomination à ce conseil pourrait finir par être une meilleure sinécure qu'une nomination au Sénat. Nous ignorons quelle rémunération recevront les membres du conseil, mais leurs allocations journalières pourraient représenter une somme astronomique.
On observe chez les citoyens un cynisme très évident à propos des nominations politiques de tout genre. J'aurais espéré que nous trouvions une autre méthode que celle des nominations par décret du conseil pour choisir les administrateurs de l'office. Nous pourrions ainsi contribuer à convaincre les gens que le gouvernement libéral a choisi des personnes qui pourront fonctionner en toute indépendance par rapport au gouvernement, mais qui auront des comptes à rendre et géreront l'office avec transparence. Je connais beaucoup de gens d'affaires qui ne veulent rien entendre de la politique. Ils sont apolitiques. Ils veulent travailler pour l'intérêt du pays, faire des affaires et être prospères. Il n'y a rien de mal à cela.
Je ne crois pas que le mode de nomination qu'on a retenu soit suffisamment transparent. Peut-être n'êtes-vous pas d'accord avec moi là-dessus.
M. Tupper: Je suis d'accord avec vous. Pour autant que les sondages d'opinion permettent de mesurer ce phénomène, ils donnent à penser que le cynisme et le manque de confiance de la population envers les institutions publiques sont en importante diminution. Si vous regardez ce qui s'est passé au cours du XXe siècle à cet égard, vous verrez que le cynisme de la population va essentiellement de pair avec la morosité économique -- plus l'économie tourne au ralenti, plus le degré de cynisme est élevé. Cela étant dit, on n'en note pas moins énormément d'inquiétude chez les Canadiens à propos de ces questions, mais je crois que la situation est en voie de s'améliorer.
J'ai tenté de vous démontrer qu'il serait souhaitable qu'avant de procéder à la nomination des administrateurs de l'office, on nous donne la possibilité de discuter de la valeur des candidatures retenues. Nous n'entendons parler des candidats qu'après qu'ils ont été nommés, même lorsqu'ils sont excellents. Dans le cadre des divers débats auxquels a donné lieu le processus de renouvellement de la Constitution, on a notamment discuté du fait que certaines nominations fédérales étaient en quelque sorte ratifiées avant même d'être effectives, essentiellement par le Sénat ou par la Chambre des communes. J'ai fait valoir qu'il y aurait probablement beaucoup à dire en faveur de la tenue de discussions publiques avant que ces nominations soient officielles. Évidemment, on demanderait au préalable l'autorisation des candidats, mais s'ils refusaient de donner leur consentement, on ne voudrait probablement pas d'eux comme administrateurs. C'est mon opinion, mais elle ne concorde pas forcément avec la vôtre.
Je présume que cette procédure s'appliquerait pour toute nomination importante. Je ne vois pas pourquoi cet organisme, malgré l'énormité des sommes qu'il doit traiter, serait considéré par les Canadiens comme plus important que bien d'autres organismes. Si nous pouvions obtenir qu'on établisse cette procédure, nous aurions une bien meilleure idée de la valeur au moins du petit nombre de candidats les plus qualifiés. Je ne vois toutefois pas personnellement d'autre suggestion que celle de Randal au sujet du mode d'élection des administrateurs, et, encore là, je ne crois pas qu'il faille absolument pousser aussi loin la démocratie. La qualité des candidatures à ces postes sera très importante, mais les critères d'admissibilité ne m'apparaissent pas suffisamment larges. Ceux qui figurent dans la loi sont très limitatifs et ils devraient être élargis. Si j'interprète bien ce projet de loi, il y aura un comité consultatif, mais le ministre ne sera pas tenu de donner suite à ses recommandations. Cependant, si le rapport de ce comité était rendu public, des pressions s'exerceraient sur le ministre pour qu'il explique pourquoi certaines personnes ont été choisies pour faire partie du conseil d'administration.
Le président: Merci beaucoup, messieurs, d'avoir pris le temps de venir participer aux audiences de notre comité.
La séance est levée.