Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Banques et du commerce
Fascicule 15 - Témoignages du 19 mars 1998
OTTAWA, le mardi 19 mars 1998
Le comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui à 11 h 05 pour poursuivre son étude des dispositions sur la régie contenues dans la Loi sur l'Office d'investissement du régime de pensions du Canada (anciennement le projet de loi C-2).
Le sénateur David Tkachuk (vice-président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le vice-président: Honorables sénateurs, conformément à l'ordre de renvoi adopté par le Sénat le jeudi 12 février, le comité donne suite au mandat qui lui a été donné d'examiner les dispositions sur la régie contenues dans le projet de loi C-2, Loi constituant l'Office d'investissement du régime de pensions du Canada.
Nous accueillons aujourd'hui Mme Margot Priest, de la firme Regulatory Consulting Group Inc., à qui je souhaite la bienvenue.
Madame Priest, je vous invite à nous présenter votre déclaration préliminaire, après quoi nous aurons quelques questions à vous poser.
Mme Margot D. Priest, associée, The Regulatory Consulting Group Inc.: Honorables sénateurs, je suis heureuse de pouvoir vous faire part de mon point de vue sur les questions touchant la régie de l'Office et la reddition de comptes. Je m'y connais très peu en matière de caisses de retraite et de politiques de placement. Je sais d'ailleurs qu'au sortir de cette série d'audiences, vous aurez entendu un certain nombre d'experts dans ce domaine, dont votre prochain témoin.
Je me propose de vous parler aujourd'hui de la structure du conseil d'administration de l'Office et des responsabilités de ses membres, et de vous suggérer certains mécanismes propres à améliorer le processus de reddition de comptes.
Je sais que l'étude de ce projet de loi revêt une grande importance pour votre comité, car l'Office constituera l'assise même de l'administration du Régime de pensions du Canada. En examinant cette question, il importe de garder à l'esprit le rôle fiduciaire que jouera l'Office envers tous les Canadiens et, conséquemment, de prévoir les mécanismes voulus pour s'assurer qu'il rendra dûment compte de sa gestion.
Le gouvernement a choisi de donner à l'Office le statut de personne morale. La plupart des dispositions du projet de loi sont classiques, et on peut en retrouver l'équivalent dans les lois fédérale et ontarienne sur les sociétés par actions, pour ne faire référence qu'aux deux lois pertinentes qui me sont familières. Je constate qu'on a d'ailleurs profité de l'occasion pour améliorer le libellé de certaines dispositions qu'on a empruntées à ces lois.
L'Office n'en demeure pas moins, de par sa nature même, une société unique. Certains mécanismes de surveillance ou de contrepoids qui existent habituellement dans les lois sur les sociétés par actions sont absents de sa loi constitutive. L'actionnaire unique, le ministre, y est relativement passif, et on ne retrouve pas dans les lois fédérale ou ontarienne sur les sociétés par actions son équivalent, c'est-à-dire un actionnaire unique ou majoritaire qui exerce une fonction de surveillance. En outre, la relation de l'Office et de son conseil d'administration avec les bénéficiaires du fonds, à savoir les Canadiens retraités, y est moins étroite que la relation correspondante que prévoient les lois sur les sociétés par actions.
Le ministre, et jusqu'à un certain point les provinces, représentent l'intérêt public. Il n'y a pas de régulateur extérieur auquel on peut avoir recours, l'Office étant essentiellement une entité qui s'autoréglemente dans les limites des règles de prudence établies par la loi.
J'aimerais vous soumettre quelques réflexions sur les améliorations qu'à mon avis, on pourrait apporter à la structure de l'Office pour la renforcer et faire en sorte que cet organisme poursuive intégralement les objectifs qui lui sont fixés par la loi.
Nous allons d'abord examiner la question des nominations. Les mesures que je propose sur ce chapitre reprennent des recommandations qui ont déjà été formulées dans d'autres circonstances, notamment en relation avec d'autres types de nominations par décret du conseil.
Premièrement, je propose qu'on décrive plus précisément les exigences des différents postes d'administrateurs plutôt que de s'en tenir aux critères mentionnés dans le projet de loi. On prendra soin, par exemple, de garder à l'esprit les diverses compétences sur lesquelles devra pouvoir compter l'ensemble du conseil, de façon à esquisser un véritable «profil du conseil». Le vérificateur général a d'ailleurs recommandé qu'on procède de la sorte dans toutes les sociétés d'État.
Un des témoins que vous avez entendus, M. Por, a fait mention d'un certain nombre de compétences qu'on devrait retrouver au sein du conseil. Elles constitueraient déjà un bon point de départ. En précisant ainsi les besoins du conseil à cet égard, on pourrait établir la valeur relative des diverses candidatures et juger de l'à-propos des choix qu'aurait finalement fait le gouvernement.
La deuxième mesure que je propose, c'est de rendre davantage publique la recherche de candidats. Certains parmi vous ont peut-être eu l'occasion de voir les annonces qu'a récemment fait paraître dans les journaux la maison Caldwell and Partners en vue de solliciter des candidatures pour le poste de président de la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario, poste qui vient tout juste d'être comblé. Cette formule a pour avantage d'accroître le bassin de candidats intéressés. S'il faisait appel à des chasseurs de têtes, le gouvernement aurait accès à des banques de données qui pourraient se révéler utiles dans le processus de sélection. Ces spécialistes sont habitués de se lancer dans la recherche de candidatures. Ils pourraient réussir à dénicher des candidats que nous n'aurions probablement jamais eu l'occasion de connaître en nous en tenant au bouche à oreille.
Le comité des candidatures devrait être largement constitué de personnes indépendantes. Je sais qu'un comité des candidatures a déjà été formé, mais il est composé principalement de fonctionnaires provinciaux. Ce comité devrait s'adjoindre quelques experts de l'extérieur et comprendre des représentants de la population -- c'est-à-dire des bénéficiaires -- ainsi que des personnes dont l'intégrité et la crédibilité sont reconnues et dont les avis pourraient lui être utiles.
Ce comité indépendant pourrait, en suivant les critères définis dans la loi, établir une liste de candidats admissibles, qu'il soumettrait à ce que j'appellerais le comité politique. C'est à partir de cette liste que le gouverneur en conseil pourrait choisir les administrateurs.
Aucune des procédures décrites ci-avant n'interfère avec les dispositions du projet de loi, et elles pourraient toutes être appliquées sans qu'il soit nécessaire de modifier ces dispositions. Des modifications en ce sens auraient toutefois pour avantage de rendre plus officielle l'application de ces mécanismes.
En ce qui concerne les obligations du conseil, il serait important qu'on indique clairement dans la loi que les administrateurs doivent pouvoir consacrer le temps voulu à l'exercice de leurs fonctions. Au Canada, les administrateurs de sociétés font souvent partie d'un trop grand nombre de conseils d'administration. Les responsabilités, les exigences de fidélité et de diligence raisonnable, ainsi que l'attention qui doit être apportée au travail d'un conseil d'administration moderne requièrent autre chose qu'un engagement occasionnel, à plus forte raison dans le cas d'un organisme aussi important que l'Office d'investissement du régime de pensions du Canada. Un administrateur qui prendra au sérieux sa fonction devra y consacrer une bonne partie de son temps. Dans la description des postes d'administrateur, il devrait être explicitement mentionné que le titulaire devra accorder à cette fonction tout le temps nécessaire.
Il serait peut-être aussi souhaitable que le conseil compte un plus grand nombre de membres. Compte tenu des critères de représentativité régionale auxquels il faudra satisfaire et de tous les attributs, compétences et talents supplémentaires qu'on exigera des administrateurs pour que le conseil corresponde au profil visé, il se pourrait fort bien qu'on ait besoin de trois à six membres de plus. Un conseil relativement restreint présente toutefois certains avantages, car il se crée plus facilement une dynamique de groupe quand on est peu nombreux.
Le conseil d'administration devrait se doter d'un code de conduite. Le projet de loi prévoit déjà l'adoption d'un tel code pour les dirigeants et les employés. Il s'imposerait que les membres du conseil d'administration s'en donnent également un qui leur soit propre. Ce serait l'instrument idéal pour souligner l'importance de leurs obligations fiduciaires. Ce code devrait traiter des questions relatives à l'éthique professionnelle, à la protection des renseignements personnels et aux transactions d'initiés.
L'interaction concrète et le processus décisionnel inhérents à l'élaboration d'un code de conduite pourraient se révéler un important et puissant outil de formation pour les nouveaux administrateurs. Ce code, dont la rédaction devrait s'effectuer dans le cadre d'un processus ouvert, pourrait être promulgué sous forme de règlement. Un tel soin présenterait notamment l'avantage de rappeler que la précision est une qualité essentielle dans la formulation de tout instrument législatif. On en verrait d'ailleurs probablement l'utilité si jamais on avait à justifier un cas de destitution pour cause, ce qui peut être plus compliqué qu'on est parfois porté à le croire de prime abord.
On devrait également doter le conseil d'un code sur les conflits d'intérêts qui pourrait faire partie intégrante du code de conduite ou faire l'objet d'un document à part. Ce code serait lui aussi un document public qui pourrait être promulgué sous forme de règlement.
De la façon dont le projet de loi est libellé, il n'est pas clairement précisé, là où il est stipulé que le conseil d'administration est tenu d'établir des procédures pour découvrir les conflits d'intérêts et les résoudre, si ces procédures s'appliquent aux administrateurs eux-mêmes ou si l'établissement de ces procédures s'inscrit dans l'exercice de leurs fonctions de surveillance de l'application de la loi et des règlements administratifs de l'Office. À cet égard, l'article 22, qui reprend les dispositions en matière de conflits d'intérêts qui s'appliquent généralement aux membres de conseils d'administration des sociétés par actions, est particulièrement ambigu.
Dans le cas de l'Office, les exigences habituelles en matière de déclaration des intérêts des administrateurs sont insuffisantes. Le fonds est un important agent financier et ses administrateurs ne doivent pas être ou sembler être en position de tirer un avantage personnel de leur fonction. La possession de certains intérêts doit être carrément interdite, et on ne devrait pas en cette matière exiger moins des administrateurs que des dirigeants ou des employés. La simple déclaration de leurs intérêts ne devrait pas suffire dans leur cas.
Le projet de loi fait état du devoir de loyauté des administrateurs, mais le conseil a en réalité une double obligation fiduciaire étant donné que par définition il se voit confier les avoirs du régime de pensions des Canadiens. La loi devrait explicitement reconnaître les responsabilités fiduciaires du conseil et préciser la nature des intérêts du conseil et ses relations avec les bénéficiaires du fonds.
Comme je vous l'ai fait remarquer tout à l'heure, l'article 22 n'est pas assez contraignant pour prévenir les conflits d'intérêts. Le libellé du paragraphe 22(8), qui porte sur la possibilité de s'adresser au tribunal pour demander l'annulation d'une transaction lorsqu'un administrateur a omis de révéler son intérêt, est trop restrictif. Les lois canadienne et ontarienne sur les sociétés par actions permettent à tout actionnaire de demander au tribunal d'annuler une transaction. Il faudrait, dans le cas de l'Office, donner ce pouvoir au ministre, de même qu'au vérificateur général. La loi ontarienne prévoit en outre le paiement de dommages. L'administrateur qui réalise un profit personnel à la suite d'une telle transaction serait ainsi tenu à réparation.
Le vérificateur général devrait être habilité à vérifier les activités du conseil lui-même, au moment et de la façon qu'il juge appropriés. Le pouvoir indirect qu'a le vérificateur général de procéder aux examens qu'il estime nécessaires concernant l'administration du Régime de pensions du Canada est à lui seul insuffisant pour lui permettre de jouer l'important rôle qui lui est dévolu en sa qualité de serviteur du Parlement chargé de s'assurer que les divers acteurs s'acquittent convenablement de leurs responsabilités.
Si l'on décidait de ne pas donner en l'occurrence au vérificateur général le pouvoir dont il dispose habituellement d'effectuer des vérifications lorsqu'il le juge à propos, on devrait au moins lui confier le mandat de procéder aux examens spéciaux dont il est question à l'article 47.
En ce qui concerne la communication de l'information à la population, mon collègue, le professeur William Stanbury de la faculté de commerce de l'Université de la Colombie-Britannique, qui a comparu devant vous il y a quelques semaines, a formulé un certain nombre de recommandations à cet égard, dont une concernant l'utilisation de l'Internet et une autre concernant la publication de comptes rendus dans les journaux. Ces recommandations devraient peut-être être prises au sérieux. Je proposerais en outre quelques ajouts au rapport annuel au Parlement et au public.
Le règlement est censé exiger qu'on prenne soin de décrire les procédures qu'on aura mises en place pour évaluer le rendement. On devrait exiger également une description des instruments de mesure qu'utilisera le conseil pour évaluer le rendement. En plus de procéder à une analyse des objectifs du conseil, on devrait également examiner de près et analyser à fond les activités des gestionnaires, afin de pouvoir juger de la qualité des résultats des opérations, comme l'exigent par ailleurs les lois canadiennes régissant le commerce des valeurs mobilières. Ces questions doivent être abordées ouvertement et franchement.
J'ai également annexé à mon mémoire un document que j'ai entrepris de rédiger en collaboration avec le professeur Stanbury. Nous n'en sommes encore qu'au tout début de notre recherche, mais nous y traitons de diverses avenues que nous tentons d'explorer en matière de reddition de comptes. Pour l'instant, notre étude ne porte que sur le cas des tribunaux et des organismes de réglementation, mais nous avons l'intention de poursuivre notre analyse et de nous pencher sur le cas d'autres organismes indépendants ou autoréglementés du secteur public.
Le sénateur Oliver: J'aurais trois questions: une à propos des administrateurs, une autre à propos des conflits d'intérêts et une dernière à propos des procurations.
À la page 3 de votre mémoire, vous affirmez qu'à votre avis le nombre d'administrateurs -- qu'on a établi à 12 -- n'est probablement pas assez élevé. On note cependant au sein des grandes sociétés canadiennes une tendance à réduire la taille des conseils d'administration de manière à ce qu'ils soient plus faciles à diriger, et à confier plutôt le travail à des comités. Dans ce cas, ne trouvez-vous pas que 12 administrateurs, ce serait suffisant?
En plus de nous donner votre opinion sur la taille du conseil d'administration, pourriez-vous nous dire quelle rémunération devrait, à votre avis, être versée à ces administrateurs et quelle devrait être la durée de leur mandat? Voilà pour mes questions à propos des administrateurs.
En ce qui concerne le vote par procuration, hier, à Halifax, j'ai demandé à un certain nombre de témoins que nous avons entendus là-bas s'ils croyaient que l'Office devrait exercer ses droits de vote par procuration et si, dans le cas où l'Office ferait appel à des gestionnaires de portefeuille de l'extérieur, il devrait les mandater pour le faire. Je leur ai en outre demandé dans quelle mesure l'Office devrait exercer activement certains de ses droits d'intervenir dans la gouverne des sociétés dans lesquelles il investit.
Certains d'entre nous ont consacré beaucoup de temps à l'examen de la question des conflits d'intérêts chez les parlementaires. Vos observations sur ce sujet nous intéressent au plus haut point. Pourriez-vous nous donner beaucoup plus de précisions à propos des intérêts qui, selon vous, seraient conflictuels par définition, et nous dire pourquoi vous estimez qu'une déclaration d'intérêts ainsi que le fait de se récuser et de s'abstenir de voter ne suffiraient pas dans de tels cas? En quoi l'Office est-il à cet égard si différent des autres types d'organisations?
Mme Priest: En ce qui concerne le nombre d'administrateurs, je conviens avec vous que la tendance est aux conseils d'administration restreints. En fait, j'y suis favorable. Je crois qu'ils facilitent l'implication et l'engagement des administrateurs et qu'ils permettent de mieux voir si quelqu'un ne fournit pas sa part d'efforts.
Dans le cas du conseil de l'Office, cependant, il ne s'agit pas uniquement de tenter de réunir un groupe de personnes qui, ensemble, posséderont les compétences recherchées, mais aussi d'essayer de tenir compte, dans la composition du conseil, d'un certain nombre d'autres critères, dont celui de la représentativité régionale, et peut-être même éventuellement de facteurs comme la langue, le sexe et l'origine ethnique.
Il sera peut-être difficile d'atteindre tous ces objectifs si l'on s'en tient à 12 membres. Personnellement, j'en verrais environ 15, et au maximum 18. Comme vous l'avez vous-même fait remarquer, une bonne partie du travail se fera en comité. Or, les comités étant des groupes plus restreints, c'est à ce niveau qu'on notera normalement le plus de dévouement et d'interaction. Je conviens avec vous qu'en règle générale, il est probablement sage d'opter pour des petits conseils d'administration, mais j'en suis moins certaine dans ce cas particulier.
Quant à savoir dans quelle mesure le conseil de l'Office devrait se montrer activiste, je crois personnellement -- et je le dis au risque de paraître exprimer une opinion politique -- que les investisseurs institutionnels peuvent exercer une importante influence en matière de régie d'entreprise. Pourvu qu'il s'administre bien, l'Office pourrait, à mon avis, contribuer à améliorer la qualité et le calibre de la gouverne des entreprises au Canada. Tel n'est pas son objectif premier, mais, à mon sens, ce rôle n'est pas incompatible avec sa mission. Je suis portée à croire que tout en prenant soin de bien choisir ses cibles, il devrait se montrer vigilant et ne pas hésiter à intervenir au besoin.
En ce qui concerne les conflits d'intérêts, je préférerais franchement m'en remettre, sur certains aspects relatifs à l'utilisation de renseignements confidentiels ou privilégiés, à des gens qui connaissent mieux que moi les pratiques en matière de placement. Étant donné que l'Office disposera de capitaux considérables et qu'il investira dans de nombreux secteurs de l'activité économique, le risque de conflits d'intérêts n'est pas hypothétique. Ici encore, il y a peut-être lieu de s'interroger sur le nombre de conseils d'administration dont pourraient être membres les administrateurs de l'Office. On pourrait même songer à leur interdire carrément de siéger à d'autres conseils, aux motifs que la lourdeur de leur tâche les empêcherait de bien s'acquitter de leurs responsabilités à l'Office et qu'ils risqueraient de se placer en conflit d'intérêts. Il faudrait peut-être examiner plus avant ces questions, mais il ne fait pas de doute que certains types de situations potentiellement conflictuelles devraient être prohibés.
Le sénateur Oliver: Pourriez-vous nous en fournir un exemple?
Mme Priest: Les transactions d'initiés, ou l'utilisation de renseignements confidentiels.
Je ne veux pas trop m'avancer sur ce point, car je ne suis pas très au fait de ce qui se passe dans les milieux de l'investissement. J'ai toutefois nettement l'impression que de telles situations pourraient fort bien se présenter.
Initialement, quand on a décidé d'inclure dans les lois régissant les sociétés des règles sur la divulgation des intérêts, les entreprises étaient encore, en règle générale, du type 19e siècle, de taille vraiment petite, et pour la plupart familiales. À cette époque, on voulait surtout savoir à qui on avait affaire. En consultant la jurisprudence, on constate que dans certaines situations dont des administrateurs tiraient avantage il était indécent qu'on ne les oblige qu'à déclarer leurs intérêts et à s'abstenir de voter. J'aimerais bien que les règles soient plus sévères à cet égard, mais je regrette de ne pouvoir vous répondre plus précisément sur cette question.
Le sénateur Meighen: Toujours à propos des conflits d'intérêts, le projet de loi stipule, par exemple, que tout administrateur ou dirigeant qui est partie à un projet de transaction avec l'Office ou qui est administrateur ou dirigeant d'une entité partie à une telle transaction doit déclarer l'intérêt qu'il détient.
Si on prend le cas d'OMERS, ses exigences -- dont vous connaissez peut-être la teneur -- sont beaucoup plus strictes à cet égard. Par exemple, les membres du conseil d'administration et les cadres supérieurs de cet organisme sont tenus de divulguer les titres qu'ils possèdent et les conseillers en placement avec lesquels ils font affaire, de dévoiler les transactions qu'ils effectuent sur leurs titres. En outre, les membres du conseil d'administration d'OMERS doivent s'abstenir de voter sur toute décision d'investissement qui risque de les placer en situation de conflit d'intérêts.
Est-ce ce genre de durcissement des exigences que vous avez à l'esprit?
Mme Priest: Ça s'en approche, effectivement.
Le sénateur Meighen: Vous avez mentionné qu'à votre avis on devrait peut-être même exiger des administrateurs de l'Office qu'ils ne fassent partie d'aucun autre conseil d'administration et qu'ils soient en mesure de consacrer à leur tâche tout le temps voulu.
Serait-ce selon vous que la tâche d'administrateur de l'Office exige qu'on y consacre plus de temps que celle d'administrateur de toute autre organisation, ou songez-vous surtout à la responsabilité fiduciaire intrinsèque de l'Office?
Mme Priest: On note au Canada une tendance générale à nommer les mêmes personnes à un trop grand nombre de conseils d'administration. On voit souvent les photos des mêmes personnes quand on ouvre un journal comme le Globe and Mail. Je crains fort que les conseils d'administration modernes ne soient pas en mesure de veiller à ce que la loi soit observée, de faire preuve de diligence et d'exercer une surveillance.
À mon sens, siéger à sept, huit, dix ou douze conseils d'administration, c'est trop, et c'est d'ailleurs là un point que j'aborde dans mon essai sur les obligations des administrateurs.
Dans le cas du conseil d'administration de l'Office -- et c'est pourquoi il faudrait, je pense, que la description de poste soit explicite sur ce point --, tout dépendrait des circonstances. Il y a toute une marge entre faire partie du conseil d'administration de deux ou trois organismes communautaires locaux sans but lucratif et siéger au conseil d'une importante société industrielle complexe.
Je crois vraiment que le conseil d'administration de l'Office est différent des autres. Il a d'énormes responsabilités. Je ne pense pas qu'il soit déraisonnable d'exiger des aspirants administrateurs qu'ils soient sûrs de pouvoir consacrer le temps voulu à leurs fonctions.
Je n'ai pas vraiment répondu à la question du sénateur Oliver en ce qui concerne la rémunération des administrateurs. Il me serait difficile d'avancer des chiffres précis, mais je ne vois aucun mal à ce qu'on s'assure que les administrateurs, notamment ceux qui auront peut-être dû abandonner d'autres postes d'administrateur ou sacrifier d'autres possibilités, soient convenablement rémunérés. Il n'y a pas beaucoup d'économies à réaliser sur ce chapitre, à mon avis. Je ne puis vous dire exactement combien il faudrait les payer, mais je m'attendrais à ce qu'ils soient bien rémunérés.
Le sénateur Meighen: Croyez-vous qu'il est possible d'aller trop loin dans l'autre sens? Je suis tout à fait d'accord avec vous pour dire que 26, 16, 12 ou 8 conseils d'administration, c'est probablement beaucoup trop.
En poussant votre raisonnement à l'extrême, toutefois, il n'y aurait, sauf votre respect, que les universitaires qui seraient admissibles.
Mme Priest: Oui, et les retraités.
Le sénateur Meighen: Qu'y a-t-il de mal à être actif? Qu'y a-t-il de mal à posséder de l'expérience? Chose certaine, ce n'est, en règle générale, que lorsqu'il n'est pas déclaré qu'un intérêt risque d'être conflictuel.
Mme Priest: Ma position sur cette question se fonde sur mon expérience dans le milieu du droit administratif où certains croient que de simplement déclarer ses intérêts ne suffit pas, qu'il est impossible de bien fonctionner si on ne s'en départit pas.
Pour ce qui est de tolérer qu'un administrateur ait d'autres activités, je crois qu'il faut à cet égard chercher le juste milieu. Voilà pourquoi j'ai proposé que, dans la description des fonctions de l'administrateur et dans l'approbation des candidatures, on tienne compte de cet élément. J'aurais personnellement horreur de l'idée qu'au Canada on ne juge aptes à siéger à des conseils d'administration modernes que des universitaires, des personnes âgées ou des rentiers.
Ce qui m'apparaît toutefois s'imposer, c'est que le titulaire soit en mesure de consacrer le temps requis pour bien remplir sa fonction. C'est ce qui me préoccupe surtout.
Le sénateur Meighen: Prévoyez-vous que les membres du conseil d'administration seront appelés à jouer un rôle actif dans les décisions de placement que prendra l'Office?
Mme Priest: Selon moi, ils devraient jouer un rôle de surveillance. Il n'est pas question qu'ils s'occupent de la gestion courante des placements. Ils doivent veiller à ce qu'il y ait des systèmes appropriés en place pour évaluer les risques et prendre les bonnes décisions. Leur tâche consiste à s'assurer que les exécutants font dûment leur travail, que les faits leur sont rapportés fidèlement lorsqu'ils soupçonnent l'existence d'un problème et que l'information est régulièrement transmise aux intéressés.
Le sénateur Meighen: Peut-être n'ai-je pas été suffisamment attentif, mais je me demande si vous avez exprimé une opinion sur la question de savoir s'il devrait y avoir un seul fonds ou plusieurs, fictifs ou autres?
Mme Priest: Je n'ai rien dit à ce sujet. J'ai discuté de cette question dans le couloir avec votre prochain témoin, qui représente la Caisse de dépôt, et il m'expliquait l'intérêt et les avantages que présentent les filiales, étant donné que j'essayais de voir si cette option serait intéressante pour l'Office. Je lui laisse le soin de vous en parler plus longuement, mais je vous signale que j'ai trouvé l'idée très intéressante et ses explications fort convaincantes.
Le sénateur Meighen: Le sénateur Oliver vous a-t-il posé une question à propos de la durée du mandat des administrateurs?
Mme Priest: Non, on ne m'a pas posé cette question.
Le sénateur Meighen: Le projet de loi prévoit des termes de trois ans.
Mme Priest: Je trouve que trois ans est une durée raisonnable, surtout que le mandat des administrateurs peut être renouvelé. Il y aura fatalement une période d'apprentissage, notamment les premières années où l'on s'emploiera à élaborer le code de conduite et à mettre en place les structures. Je ne vois rien qui puisse justifier qu'on limite le nombre de mandats.
Le sénateur Stewart: D'aucuns nous ont dit qu'il serait souhaitable que certains administrateurs soient relativement jeunes. D'autres nous disent que les administrateurs ne devraient pas siéger à d'autres conseils d'administration.
Supposons qu'une personne soit invitée à solliciter un mandat de trois ans au conseil d'administration de l'Office, et qu'elle ait 45 ans. Il lui faudrait alors cesser de faire partie d'autres conseils d'administration, et ce, sans avoir l'assurance que son mandat au sein de l'Office sera renouvelé. Il me semble que, pour la convaincre d'accepter le poste, on devra lui promettre une rémunération substantielle ou bien un généreux fonds de retraite. Comment faudrait-il s'y prendre pour contourner cette difficulté? Il s'agit là d'un problème réel auquel je suis très sensible, car on a justement abaissé l'âge où l'on peut se faire élire à la Chambre des communes. C'est un exemple parallèle que je vous donne.
Mme Priest: En tant qu'ex-présidente d'un tribunal, poste auquel j'ai été nommée alors que j'étais dans la trentaine, cette question me touche moi aussi.
Dans un sens, vous avez choisi un exemple extrême. Prenons le cas d'une personne qui occupe un assez haut poste de commande où elle a pu acquérir une expérience qui pourrait être fort utile au conseil de l'Office. On peut supposer que son emploi actuel accapare une large part de son temps et lui permet de bénéficier d'un régime de retraite. Disons qu'en plus, elle est déjà membre de un ou deux autres conseils d'administration. Peut-être devrait-elle s'en tenir là, mais s'il lui reste encore suffisamment de temps et d'énergie à consacrer à un poste de membre du conseil de l'Office, sa candidature mériterait sûrement d'être considérée sérieusement. Si, par contre, elle est déjà membre de huit autres conseils d'administration, il ne saurait être question d'ajouter à sa tâche, car elle doit déjà être incapable de s'acquitter adéquatement de ses responsabilités.
Par ailleurs, je ne crois pas qu'il soit nécessaire de prévoir des régimes de retraite pour les membres de conseils d'administration.
Le sénateur Stewart: S'ils sont bien payés, ils ont les moyens de se procurer leur propre fonds de retraite, n'est-ce pas?
Mme Priest: Exactement, mais pourvu qu'on les paie bien. En réalité, il n'y a pas beaucoup de personnes au Canada qui se font une profession de siéger à des conseils d'administration, bien qu'il y en ait probablement. Habituellement, une personne qui accepte un poste d'administrateur, qu'il s'agisse d'un retraité ou d'un dirigeant d'entreprise, voit son nouveau mandat comme un complément à ses autres activités.
Le sénateur Meighen: J'aimerais que le témoin nous dise quels critères, selon elle, devraient être considérés en priorité dans le choix des administrateurs de l'Office. Si vous en avez déjà parlé, je ne m'en souviens plus.
En oubliant pour le moment certaines des questions que vous a posées le sénateur Stewart notamment à propos de rémunération, et sans tenir compte de votre souhait que les administrateurs ne fassent partie que d'un très petit nombre de conseils d'administration -- voire d'aucun autre --, dites-moi, je vous prie, dans quelle mesure, selon vous, le critère de la représentativité -- celui visant un équilibre raisonnable entre les sexes, les régions de provenance, et cetera -- devrait primer celui de la compétence? Quel serait votre premier critère?
Mme Priest: Personnellement, je serais portée à opter d'abord pour la compétence, puis pour un critère que, dans le milieu du droit administratif, nous appelons la capacité de prendre des décisions. Dans le cas de l'Office, je suggérerais l'aptitude à assumer une fonction de surveillance et un rôle fiduciaire, et la conscience que ces responsabilités sont inhérentes à la mission d'un conseil d'administration de ce genre particulier.
Le sénateur Meighen: Y a-t-il un endroit où les chances sont meilleures que partout ailleurs de dénicher ce genre d'oiseau rare?
Mme Priest: Il faut parler aux gens, les interviewer.
Le sénateur Meighen: Vous voulez dire qu'en principe, il peut s'en trouver n'importe où?
Mme Priest: Le bassin est grand. Je ne crois pas, par exemple, qu'il faille les chercher uniquement parmi les directeurs de banque. Un des témoins que vous avez entendus a souligné l'importance de bien former les administrateurs et a expliqué comment on pouvait parvenir, avec un bon programme de formation -- pourvu qu'on ait affaire à des gens qui, au départ, sont foncièrement compétents, intelligents et désireux d'apprendre --, à faire d'un conseil d'administration un groupe de travail efficace.
Et cela me ramène à la question des codes de conduite. Ils sont importants pour guider le conseil dans son travail. D'ailleurs, le climat de collaboration et d'interaction qui se créera au moment de leur élaboration et de leur application sera déterminant pour amener les administrateurs à prendre conscience de l'ampleur et des différentes facettes de leurs responsabilités.
Le sénateur Callbeck: J'avais un certain nombre de questions concernant le conseil d'administration. Vous avez déjà répondu à la plupart d'entre elles, mais il m'en reste encore quelques-unes. Vous avez affirmé qu'il faudrait mentionner, dans la description du poste d'administrateur, que le titulaire devra pouvoir consacrer suffisamment de temps à ses fonctions au sein du conseil de l'Office. Est-ce à dire qu'à votre avis, l'exécution de ce mandat exige énormément de temps? Combien de temps, selon vous, un administrateur devrait-il consacrer à cette tâche?
Hier, un témoin s'est dit convaincu que les fonctionnaires devraient être admissibles au poste d'administrateur au sein de l'Office. J'aimerais connaître votre opinion là-dessus.
Il a par ailleurs été question de représentativité régionale. Y voyez-vous un impératif, ou considérez-vous qu'il s'agit plutôt d'un critère secondaire?
Mme Priest: Pour ce qui est du temps à consacrer à la fonction, un administrateur pourrait facilement, surtout s'il participe aux travaux d'un des principaux comités du conseil, consacrer de 10 à 12 heures par semaine à une fonction comme celle-là, peut-être même davantage. Je n'ai personnellement siégé qu'à des conseils d'organismes sans but lucratif, jamais à des conseils de grandes entreprises industrielles. Je connais des personnes qui passent de nombreuses heures par semaine à leur fonction d'administrateur et qui, parce qu'elles occupent par ailleurs un poste de commande, n'ont pratiquement plus de temps pour faire autre chose. Ces personnes n'ont pourtant qu'un seul conseil d'administration et un poste de commande. Il faut dire toutefois qu'elles prennent leurs responsabilités très au sérieux.
Le temps que chacun y met varie probablement selon les cas. Certains administrateurs peuvent être très actifs au sein de comités. Je verrais mal qu'un administrateur de l'Office perçoive son poste comme honorifique et ne se présente aux réunions qu'occasionnellement.
J'ai tendance à croire que les fonctionnaires ne devraient pas être admissibles à ces postes, mais ce n'est qu'une opinion personnelle. Il est important que le conseil compte parmi ses membres quelques personnes qui connaissent bien le milieu du placement. Il y a certes des fonctionnaires qui ont de l'expérience dans le domaine du placement et qui font même d'importantes transactions sur les marchés financiers, mais, à tout bien considérer, je crois qu'il vaudrait mieux recruter des gens de l'extérieur. Il faut rechercher des gens qui pourront aussi accomplir leur travail en toute indépendance. Je serais portée à exclure les fonctionnaires, mais je n'y tiens pas plus qu'il n'en faut.
Pour ce qui est du critère relatif à la représentation régionale, il découle d'une décision politique qui, à mon avis, est justifiée, étant donné que les bénéficiaires du régime proviennent de tout le Canada. Quant au sens à donner au mot «région» -- à savoir s'il faut l'associer à la notion de province ou bien à d'autres réalités comme l'Est, l'Ouest, les Prairies, et cetera --, on va devoir en décider au fur et à mesure que se dessinera le profil des candidatures possibles. On a probablement raison de tenir à ce que les régions soient représentées, compte tenu de la nature des avoirs que l'Office sera chargé de gérer et de la sensibilité des Canadiens aux réalités régionales.
Le vice-président: Ceux d'entre vous qui n'étaient pas à Halifax hier devraient prendre connaissance du témoignage de M. Van Loon, qui est membre du comité consultatif sur les candidatures. Il a fait état d'un certain nombre de points qui rejoignent nos interrogations sur la manière dont s'effectuera la sélection. Son témoignage présente passablement d'intérêt et il pourrait nous aider à mieux nous situer.
Le sénateur Austin: Je vous remercie, madame Priest, de votre exposé. Vous y avez soulevé un certain nombre de points intéressants. Il pourrait même nous suggérer quelques matières à réflexion.
Je crois que le projet de loi et notre comité ont du conseil d'administration de l'Office d'investissement du régime de pensions du Canada une vision quelque peu différente de celle que vous nous présentez. Si je ne m'abuse, l'Office tiendra ses cadres supérieurs responsables de la gestion proprement dite du fonds. Le conseil d'administration établira les règles relatives au rendement de ses conseillers en placement -- vous en avez abordé un bon nombre -- ainsi qu'un code de conduite et un code sur les conflits d'intérêts.
Vous avez fait allusion à l'article 22 du projet de loi, qui traite des conflits d'intérêts. Le conseil d'administration a essentiellement pour mission d'établir les règles en matière de reddition de comptes et de vérifier si ses gestionnaires s'acquittent bien de leur responsabilité qui consiste à veiller à ce que les placements soient le plus rentables possible. Par conséquent, quand vient le temps de se demander quels critères appliquer dans le cas de ceux qui ont à demander des comptes, on peut toujours s'en remettre aux critères qui ont cours à l'heure actuelle dans l'industrie, où il est reconnu que la compétence qu'on recherche, c'est celle qui s'acquiert par l'expérience et l'implication.
Au Canada, on peut trouver assez facilement des gens qui sont capables de s'occuper d'opérations de placement, mais il y en a peu qui ont les connaissances voulues pour assumer la responsabilité de coordonner une politique de placement. Si nous entendons attirer certains des meilleurs parmi ces experts, il ne faudrait quand même pas s'attendre à ce qu'ils sacrifient tout le reste pour accepter un poste d'administrateur à l'Office.
Ce qui nous ramène à la question du sénateur Meighen. De deux choses l'une, ou bien on met en place un système où tout doit être approuvé, c'est-à-dire où l'on interdit carrément ceci ou cela. On exigera du titulaire, par exemple, qu'il abandonne toute autre activité pour se consacrer religieusement à sa nouvelle fonction, pour laquelle il sera d'ailleurs bien payé. Avec de telles exigences, on s'écarterait des pratiques qui ont actuellement cours dans l'industrie au Canada et aux États-Unis. L'autre option, c'est d'obliger le titulaire à divulguer tous ses intérêts, comme le propose l'article 22. C'est à l'administrateur qu'il incombe alors de se conformer à cette exigence, sous peine de s'exposer à des sanctions sévères.
Je vous ai décrit toutes ces choses pour vous demander ceci: avez-vous une proposition de fond qui rendrait nécessaire qu'on modifie le projet de loi? Vous utilisez à cet égard deux types de langage dans vos observations, et je ne sais trop lequel il nous faudrait retenir. Nous faudrait-il comprendre que vos propositions devraient faire l'objet d'un règlement -- autrement dit, on n'aurait alors pas à modifier le projet de loi, mais seulement à préciser ces choses dans les règlements qui découleront de la loi?
Mme Priest: Ce que je suggère, c'est qu'il y ait un code de conduite ainsi qu'un code sur les conflits d'intérêts et que ces codes imposent aux administrateurs des exigences qui aillent au-delà de la simple obligation de déclarer leurs intérêts.
Le sénateur Austin: Au-delà de ce que prévoit déjà l'article 22?
Mme Priest: Oui. Pour ce qui est de savoir si ces codes devraient faire l'objet d'un règlement, je pense que oui. De les intégrer au règlement leur donnerait plus de force et plus d'importance. Cette précaution pourrait par ailleurs se révéler utile si jamais on était malheureusement forcé de destituer un administrateur pour cause, ce qui, espérons-le, ne se produira jamais.
Peut-être me suis-je montrée trop catégorique dans mes propos. Je ne voulais pas dire que les titulaires de ces postes devront s'en tenir étroitement et religieusement à leur fonction, tout en étant par ailleurs bien rémunérés, mais sans autre contact avec le vrai monde. Ce n'est pas ce que vous recherchez, je pense. Ce sur quoi je voulais insister, c'est sur le fait qu'ils doivent être conscients de l'importance de leurs responsabilités et être prêts à y mettre tout le temps voulu et en mesure de le faire, selon leur degré d'implication dans les travaux des divers comités. Ce sont là des exigences qu'on pourrait énoncer dans les descriptions de poste.
Il y a des cas -- et, malheureusement, je n'ai pas pu être plus explicite sur ce point dans ma réponse au sénateur Oliver -- où la simple déclaration de ses intérêts n'est peut-être pas suffisante. Il y a des situations proprement inconciliables avec le poste d'administrateur de l'Office.
Le sénateur Austin: L'administrateur n'aurait donc pas droit, par exemple, de gérer lui-même sont REER? Dans le cas qui nous occupe, nous aurons un fonds qui, aux termes de la présente entente fédérale provinciale, sera entièrement indiciel durant trois ans. L'Office n'achètera que des titres figurant dans l'indice. Les gestionnaires n'auront donc pas beaucoup de latitude. En conséquence, si l'on s'en tient aux placements indiciels, n'importe quel administrateur se retrouvera en situation de conflit d'intérêts, car tout investisseur sérieux et prudent aura probablement dans son portefeuille personnel des actions de sociétés figurant dans l'indice. Il est presque impossible d'y échapper.
Pour que nous comprenions bien votre propos, pourriez-vous nous dire si, à votre avis, un membre du conseil qui aurait un REER autogéré serait en conflit d'intérêts?
Mme Priest: Non, je ne le crois pas.
Le sénateur Austin: Qu'en serait-il alors de celui qui posséderait des actions de sociétés dans lesquelles le fonds investit?
Le sénateur Oliver: Pourrait-il détenir des actions de la Banque Royale, par exemple?
Mme Priest: Ce fonds sera très considérable.
Le sénateur Austin: N'est-ce pas le genre de titre que tout investisseur normal est susceptible d'acheter de toute façon?
Mme Priest: En effet. Dans ce genre de situation, je crois qu'une déclaration suffirait. Il pourrait y avoir toutefois des cas où il serait inconvenant pour un administrateur, étant donné l'information privilégiée à laquelle il a accès, d'acheter ou de vendre certains titres boursiers.
Le sénateur Angus: En d'autres termes, les règles habituelles se rapportant aux transactions d'initiés s'appliqueraient alors?
Mme Priest: Il serait utile qu'on y fasse expressément référence ici.
Le sénateur Austin: Je vois. Vous avez en outre parlé de l'importance d'assurer l'indépendance du conseil. À la page 4 de votre mémoire, vous dites estimer que le ministre ou même le vérificateur général devraient être autorisés, aux termes du paragraphe 22(8) du projet de loi, à soumettre au tribunal l'examen d'un présumé cas de conflit d'intérêts. Le paragraphe 22(8) donne à l'Office ce pouvoir d'adresser au tribunal une demande d'annulation de transaction contre tout administrateur ou dirigeant qui aurait omis de révéler qu'il se trouvait en conflit d'intérêts. Vous voudriez qu'on confère également ce pouvoir au ministre?
Mme Priest: À vrai dire, le ministre est l'actionnaire du fonds. Dans les lois fédérale et ontarienne sur les sociétés par actions, l'actionnaire possède lui aussi ce droit. On ne limite pas au seul conseil d'administration le pouvoir de s'adresser au tribunal.
C'est l'un des endroits où ce projet de loi nous prive de la surveillance ou de la pression créatrice que peut exercer l'actionnaire. Je recommanderais qu'on inclue cette disposition dans le projet de loi, pour qu'il y ait concordance à cet égard avec les lois du même genre, l'actionnaire étant cette fois-ci le ministre.
Étant donné que le vérificateur général pourrait jouer un important rôle de surveillance en matière de conflits d'intérêt, on devrait, à mon sens, lui donner les mêmes pouvoirs que le ministre à cet égard, mais, ce faisant, on irait au-delà de ce que prévoient les lois qui régissent les sociétés par action.
Le sénateur Austin: Il n'appartient normalement pas au vérificateur général de poursuivre en justice. Son mandat consiste à révéler des anomalies, et c'est à d'autres qu'il incombe d'intenter au besoin des poursuites.
Le sénateur Kelleher: Je vous remercie d'être venue comparaître devant notre comité ce matin. Il est réjouissant de recevoir ainsi un mémoire qui traite directement des questions que nous examinons.
Il y a toutefois un sujet qui préoccupe certains d'entre nous et que vous n'abordez pas dans votre mémoire, c'est celui des influences politiques. Elles peuvent jouer ici à deux niveaux. Premièrement, il y a celles qui se manifestent à l'occasion du choix des membres du conseil d'administration. Deuxièmement, il y a les pressions politiques qui pourraient s'exercer sur le conseil, une fois que celui-ci est en place, pour l'inciter à investir dans certains types d'entreprises ou à certains endroits, ou encore, en fonction de certains motifs d'ordre social.
Pour vous être penchée sur le processus de nomination et sur le fonctionnement du conseil d'administration, croyez-vous que les articles pertinents de ce projet de loi, dans leur libellé actuel, suffiront à mettre l'Office à l'abri de ces influences politiques?
Par exemple, nous avons ici un comité des candidatures qui s'annonce bien, mais le projet de loi est plutôt vague en ce qui concerne les suites à donner à la première étape de sa mission. Il semblerait que, passé le stade de la sélection initiale, ce soit le ministre qui décidera finalement du choix des membres du conseil d'administration. Peu importe le parti au pouvoir, il arrive parfois que les politiciens cherchent à se mêler de ce qui ne les regarde pas nécessairement.
Mme Priest: Les réalités politiques étant ce qu'elles sont, je ne pense pas que nous puissions faire abstraction de l'idée qu'en fin de compte ces nominations sont de nature politique; les membres du conseil sont désignés par décret du gouverneur en conseil, et le ministre a un important rôle à jouer dans ce processus. J'ai proposé qu'on rende au départ le mécanisme plus transparent, et ce, en sollicitant ouvertement des candidatures, en définissant des critères de sélection, en produisant des descriptions de poste, et en faisant examiner les candidatures par un comité spécial.
Permettez-moi de revenir sur mon expérience dans le milieu du droit administratif. En règle générale, les gens ne s'y soucient guère de savoir si un candidat choisi à un poste appartient à telle ou telle formation politique, mais ils tiennent drôlement à ce qu'il soit compétent et qualifié.
Si on pousse ainsi plus loin la recherche et l'examen des candidatures de façon à ce que celles qu'on soumettra au ministre représentent déjà un bon choix, l'influence politique qui pourrait ensuite s'exercer ne m'inquiète plus autant.
Le comité consultatif ministériel des provinces veillera à ce que le conseil soit représentatif des régions. J'ai aussi proposé que ce comité soit plus indépendant. Le modèle dont je me suis inspirée est calqué sur celui de la magistrature. Je serais bien naïve de croire que le processus de nomination des juges est à l'abri de toute influence politique. Je sais par ailleurs que l'Association du Barreau canadien et d'autres groupes se chargent de vérifier si on choisit des gens compétents. C'est ce qui compte après tout. Les nominations seront de nature politique, mais qu'au moins on choisisse les candidats à même un certain nombre de personnes compétentes!
Le sénateur Kelleher: Qu'avez-vous à répondre au second volet de ma question? Il se peut qu'une fois installé bien en poste et devenu on ne peut plus productif, le titulaire soit soudainement approché et pressé de chercher à obtenir qu'on investisse davantage dans l'Ouest, ou qu'on favorise les Maritimes ou tel secteur de l'industrie qui aurait besoin d'un coup de pouce. Il pourrait arriver que, subtilement, on exerce ce genre de pressions.
Mme Priest: Les administrateurs sont d'abord responsables envers l'Office, puis envers les bénéficiaires du fonds. Ils ont une double responsabilité fiduciaire.
Investir dans les Maritimes ne veut pas nécessairement dire qu'on ne s'acquitte pas de ses responsabilités envers l'Office, pourvu toutefois que ces responsabilités priment toute autre considération.
Avec un peu de chance, cet administrateur s'inspirera de la formation qu'il aura reçue et des principes qu'on lui aura inculqués et dira: «Cette idée m'apparaît des plus intéressante, et je vais en discuter avec mes collègues. Nous pourrions peut-être y aller de placements avantageux. Bien sûr que nous tenons à investir dans les différentes régions du Canada.»
Le sénateur Kelleher: Croyez-vous que les dispositions pertinentes du projet de loi mettent suffisamment les membres du conseil à l'abri de ce genre d'influence? Devrions-nous y ajouter quelque chose pour leur faciliter la tâche?
Personnellement, il m'est toujours plus facile de résister aux «pressions» quand je peux pointer à mon interlocuteur quelque article de la loi qui stipule que mon mandat ne m'autorise pas à faire telle ou telle chose. Je puis alors répondre que je vais examiner la question, mais qu'à première vue, ça n'annonce pas bien.
Les dispositions prévues sont-elles suffisamment explicites pour permettre aux membres du conseil de s'y référer pour mieux désamorcer les pressions qu'on pourrait exercer sur eux?
Mme Priest: Je crois que les motifs de refus ne sont qu'implicites dans la loi. À ma connaissance, le projet de loi ne contient effectivement aucune mention -- on me corrigera si je fais erreur -- du genre «ne touchez pas». On n'y trouve pas, par exemple, de lignes directrices précises à cet égard.
Ces règles de conduite sont assurément implicites dans l'énoncé des responsabilités de l'administrateur, qui doit, en toute diligence, veiller à ce que l'intégrité du conseil et du fonds soit préservée.
Le sénateur Kelleher: Je sais bien que c'est implicite, mais parfois on préférerait que les règles soient autrement qu'implicites. Je tenais à connaître votre opinion sur cette question.
Mme Priest: Il serait peut-être utile, en effet, qu'on énonce ces règles plus explicitement, compte tenu du fait que le gouvernement a toujours le loisir de modifier ses lois et ses priorités ainsi que les objectifs que visent les lois et les règlements.
Le sénateur Angus: Madame Priest, je tiens, moi aussi, à vous féliciter de votre exposé, du document que vous nous avez remis et de la version préliminaire de votre article sur la reddition de comptes.
J'aimerais poursuivre sur le sujet qu'a soulevé le sénateur Austin dans sa première question, à propos de ce qui distingue le conseil de la direction. Nous convenons probablement tous que le conseil de l'Office, comme d'ailleurs celui de tout grand investisseur institutionnel, n'est pas tout à fait comparable à celui d'une société industrielle dont les actions sont cotées à la Bourse. Mais ces deux types de conseil n'en ont certes pas moins beaucoup de points en commun.
J'ai toujours compris et su que le rôle de l'administrateur est un rôle de surveillance, aussi bien en principe qu'en pratique. L'an dernier, notre comité a mené une série d'études sur la régie d'entreprise et publié un rapport sur le sujet. Nous n'avons rien trouvé qui contredise cette affirmation. Un conseil d'administration a pour principal rôle de s'assurer qu'une bonne équipe de gestionnaires est en place et que ses orientations stratégiques sont appropriées.
Je crois qu'on a tendance à s'exagérer la lourdeur des tâches qu'aura à assumer le conseil de l'Office, car, même s'il sera chargé de surveiller l'administration d'un énorme fonds en constante croissance, en plus de devoir s'acquitter de toutes les responsabilités fiduciaires qui incombent normalement à tout conseil d'administration, on peut présumer qu'il fera appel à une imposante équipe de fonctionnaires et de gestionnaires.
J'aimerais savoir ce que vous en pensez. J'imagine mal qu'un administrateur de l'Office ou de n'importe quelle société doive consacrer à sa fonction d'administrateur le nombre d'heures par semaine que vous avez avancé. Il le fera peut-être pour une semaine donnée, où se tiendraient une réunion du comité de vérification ou du comité de placement et, peut-être, une réunion du conseil d'administration. Il s'agirait là d'une période de pointe. Je suis membre du conseil d'administration d'Air Canada, une importante société par actions qui gère un actif assez considérable, et, là-bas, ce sont les gestionnaires qui font le gros du travail.
Mme Priest: Je vois ce que vous voulez dire. Ces 20 dernières années, nous avons -- et ce sont les sociétés commerciales qui ont donné le ton -- considérablement perfectionné nos moyens en nous dotant de systèmes d'information, de systèmes de conformité, de systèmes d'analyse des données complexes, et ce, pour nous assurer que les choses se déroulent comme souhaité, qu'il s'agisse de l'observation des exigences réglementaires ou de la mise en place de mécanismes d'application de la loi.
Cela étant, la responsabilité du conseil devient, premièrement, non pas de concevoir ces mécanismes, mais de s'assurer qu'ils sont en place, et, deuxièmement, d'en tirer sélectivement des renseignements, d'une part pour s'assurer que tout continue de fonctionner pour le mieux dans cette boucle de mise en conformité de l'information, et, d'autre part, pour se servir de cette information afin de mieux exercer ses activités et de mieux assumer ses responsabilités, étant donné qu'il a maintenant plus facilement accès aux renseignements dont il a besoin et que l'information qu'il obtient est de meilleure qualité.
Avec tous ces progrès, les choses ne sont plus tout à fait les mêmes pour les conseils d'administration, qui ont maintenant accès à une information de très haut niveau et beaucoup plus précise. Il s'y accomplit probablement plus de choses qu'auparavant.
Le sénateur Angus: Pour ce qui est du conseil de l'Office, vous ne voudriez tout de même pas qu'il s'occupe de la microgestion du fonds?
Mme Priest: Bien sûr que non.
Le sénateur Angus: Ni qu'il se substitue à la direction?
Mme Priest: Non plus.
Le sénateur Angus: Comment voyez-vous la gestion de ce fonds? Sauf tout le respect que nous vous devons pour vos travaux, vos observations de tout à l'heure m'ont semblé un peu naïves. On se propose de doter l'Office d'une direction brillante, professionnelle et compétente. On nous a dit que le Régime de pensions du Canada disposera d'une imposante équipe de gestionnaires et qu'on engagera probablement plusieurs firmes de conseillers en placement -- peut-être jusqu'à cinq ou six -- dont chacune sera chargée, dans le respect des lignes directrices qui lui seront communiquées, d'investir une partie du fonds.
Je crois qu'en se présentant à l'Office une fois par mois, les administrateurs seront en mesure d'accomplir les tâches normalement confiées aux membres de tout conseil d'administration. Ce que vous nous avez décrit tout à l'heure me semble à cent lieues de ma vision. Je vous ai écoutée attentivement, et j'en suis à me demander si ce conseil ne sera pas totalement différent de ceux auxquels nous sommes habitués dans les autres organisations.
Mme Priest: Non. C'est la direction qui s'occupera du fonctionnement courant de l'Office. Elle sera responsable des placements et devra veiller à ce que tout tourne bien. Le mandat du conseil d'administration, lui, se situe à un niveau beaucoup plus élevé.
Ce que j'appréhende, c'est qu'on n'y désigne pas un nombre suffisant de gens compétents et qu'on n'y accorde pas l'attention qu'il requiert. Quand j'entends dire que des gens sont membres de 10, 12 ou 15 conseils d'administration, je crains fort qu'ils ne soient pas à même d'apporter l'attention voulue à chacun. J'aimerais qu'on me certifie que, pour le recrutement et le choix des candidats, on adoptera une procédure propre à nous assurer que le conseil sera composé de gens qui ont non seulement la compétence requise, mais aussi suffisamment de temps et d'attention à consacrer à leur fonction.
Le sénateur Angus: Vous voudriez qu'il en soit ainsi pour toutes les sociétés dont vous êtes actionnaire.
Mme Priest: Absolument.
Le sénateur Angus: C'est donc dire que vous considérez qu'il en ira de l'Office comme de toute autre organisation sérieuse. L'essentiel, c'est la compétence et les divers autres critères dont vous avez fait état.
Dans ce cas, les membres d'autres conseils d'administration peuvent sans crainte poser leur candidature. Ce que vous voulez au fond, c'est qu'on évite de recruter uniquement des mordus de la politique qui ne seraient là que pour la gloire, mais qui ne liraient pas les dossiers et qui n'y comprendraient rien de toute façon. C'est ce qu'il faut conclure de vos propos. C'est la même chose que d'être membre, par exemple, du conseil d'administration du CN, n'est-ce pas?
Mme Priest: En principe, oui, sauf que certains des mécanismes de reddition de comptes dont le CN dispose pour entretenir une relation interactive avec ses actionnaires n'existeront pas, en pratique, dans le cas de l'Office. Il pourrait en résulter pour les administrateurs des exigences plus lourdes en ce qui a trait à leur obligation de rendre des comptes. Je ne suis pas sûre si cette particularité obligera les administrateurs à consacrer plus de temps et d'attention à leur fonction, ou bien si elle rendra nécessaire la mise en place de mécanismes supplémentaires.
Comme je le disais tout à l'heure, la responsabilité de veiller à ce que la publicité se fasse, et que l'information soit communiquée à la population et au Parlement, ainsi que la nécessité de s'impliquer davantage et de s'assurer qu'on ne néglige rien -- ce qui ne veut pas dire qu'on ne fera pas appel à des spécialistes en communication pour coordonner toutes ces choses -- sont susceptibles de contraindre les administrateurs d'y mettre plus de temps à cause de la nature du travail à accomplir, ce qui est un brin différent de ce qui se passe au CN. Dans l'ensemble, toutefois, les responsabilités sont sensiblement de même nature.
Le sénateur Angus: La différence vraiment significative, c'est que dans le cas de l'Office, il n'y aura pas d'actionnaires comme tels. L'équivalent des actionnaires, ici, ce sont les bénéficiaires du fonds, ou les citoyens, pour ainsi dire.
Mme Priest: Tout à fait.
Le sénateur Angus: Dans ce cas-ci, on ne pourra donc pas compter sur mécanismes habituels, comme les rapports aux actionnaires, la diffusion de l'information en faisant appel à un intermédiaire ou autrement, les assemblées annuelles, les rapports annuels, la surveillance exercée par la commission des valeurs mobilières, la surveillance assurée par les places boursières, et cetera. Il n'y aura pas de tels mécanismes dans le cas de l'Office. Il s'imposera donc qu'on exige un plus haut niveau de compétence, d'engagement et de responsabilisation de la part des administrateurs.
Mme Priest: Que vous exprimez éloquemment toutes ces choses!
Le sénateur Meighen: N'y a-t-il pas quelque chose d'explicitement prévu dans la loi à propos de la tenue d'assemblées publiques, pour permettre aux actionnaires de faire connaître leur opinion?
Mme Priest: Oui. Il y aura des assemblées publiques tous les deux ans.
Le sénateur Meighen: Croyez-vous que c'est important?
Mme Priest: Bien sûr.
Le sénateur Meighen: Croyez-vous que c'est suffisant?
Mme Priest: Non. Combien de gens lisent les rapports annuels des sociétés d'État?
Le sénateur Meighen: Très peu, mais au moins ces rapports sont publics.
Mme Priest: Un bon nombre de sociétés d'État ont maintenant un site web. On peut consulter une foule de ces rapports sur les sites du gouvernement. On pourrait, par ailleurs, annexer un document d'une page aux formulaires de déclaration d'impôt, ou quelque chose de ce genre, pour renseigner les Canadiens sur ce qui s'est passé dans l'année. On peut faire appel à de nombreux autres mécanismes de nos jours. La qualité de l'information que contiennent ces rapports est importante.
Le vérificateur général a formulé de très intéressantes observations à propos de la qualité des rapports annuels des sociétés d'État, des observations qui s'appliquent également à l'Office. On peut publier un rapport annuel très ennuyeux et peu convaincant, mais on peut aussi y présenter des analyses sérieuses et expliquer ce que fait l'organisme. Il est important qu'on le fasse.
Le vice-président: Le conseil d'administration rend compte à l'actionnaire, qui, en l'occurrence, est le ministre des Finances, n'est-ce pas?
Mme Priest: En pratique, le conseil d'administration rend d'abord compte à l'Office. On est loin des bénéficiaires.
Le vice-président: C'est vrai. Le gouvernement crée parfois des sociétés d'État pour mener des activités sur une base d'affaires, mais d'autres fois, il s'en sert pour se soustraire à ses responsabilités.
Je pense que tous les parlementaires se préoccupent de la façon dont les sociétés d'État rendent compte de leur administration. Une société d'État dont la mission est d'assurer un service ferroviaire n'est certes pas aussi importante que le sera l'Office. Moi, je ne prends jamais le train, mais je sais que ceux qui voyagent en train y attachent de l'importance.
L'Office sera une société d'État importante pour tous les électeurs, pour tous les Canadiens. Le citoyen ordinaire ne s'intéressera pas tellement aux avoirs du fonds. Qui s'en souciera? Ce qui l'intéressera, c'est de savoir s'il pourra toucher la pension qu'on lui a promise, n'est-ce pas?
Comment faire pour que le conseil rende compte aux parlementaires qui, eux, ont directement affaire aux citoyens?
Mme Priest: Le rapport annuel de l'Office sera déposé devant le Parlement. Le règlement précise sur quoi devra porter le rapport annuel. Vous pourriez recommander que le règlement exige qu'on inclue dans ce rapport des renseignements plus complets.
Je crois qu'il ne serait pas exagéré de demander que le directeur général et le président du conseil d'administration de l'Office comparaissent devant les comités compétents pour répondre de leur gestion.
Le vice-président: Pourquoi pas tous les membres du conseil d'administration?
Mme Priest: Bien sûr, quoique leur fonctionnement étant normalement collégial, il sera peut-être difficile d'obtenir que tous témoignent. Ils sont en quelque sorte anonymes. Vous n'avez probablement pas accès aux procès-verbaux des réunions du conseil. Non, je crois que vous devez vous intéresser davantage au directeur général et au président du conseil.
Le vice-président: Je vous remercie beaucoup de votre témoignage de ce matin.
Notre prochain témoin est M. Jean-Claude Cyr. Soyez le bienvenu, monsieur Cyr. Je vous cède la parole.
M. Jean-Claude Cyr, vice-président, Développement et planification, et coordonnateur des Affaires économiques québécoises, Caisse de dépôt et de placement du Québec: J'ai ici quelques notes dont je voudrais vous faire part, mais je vais essayer d'être bref pour vous laisser le temps de me poser des questions.
Je tiens d'abord à vous remercier de bien vouloir prendre le temps d'écouter ce que j'ai à dire à propos de ce que nous sommes.
[Français]
Je vais vous parler brièvement du mandat de la Caisse, de ses objectifs, de ses modes de gestion, de la façon dont on a géré les préoccupations de contribution à l'économie du Québec, de nos préoccupations et de nos objectifs de régie d'entreprise et je vais essayer de vous expliquer brièvement certains commentaires concernant les questions que vous avez posées ou que vous vous posez concernant la législation qui est devant vous.
Brièvement, le mandat de la Caisse est de gérer des fonds qui nous proviennent de 19 déposants, huit caisses de retraite, 11 fonds d'assurance et réserve d'organismes publics. C'est une distinction importante. On a plusieurs déposants. La reddition de compte de la Caisse se fait non seulement au conseil d'administration et à l'Assemblée nationale mais également au comité de retraite ou comité de gestion de chacun des 19 déposants. La mission de la Caisse est d'optimiser le rendement. Sa mission numéro un a été le leitmotiv de toutes nos interventions dans le passé. Dieu sait que c'est un métier difficile que faire du placement et de créer de la valeur. On doit aussi le faire en protégeant le capital. On ne cherche jamais à devenir les étoiles dans le premier quartile et pour ce faire, prendre des risques importants avec les sommes qui nous sont confiées. On cherche plutôt à être au-dessus de la moyenne et ce, de façon régulière.
On doit aussi avoir une contribution à l'économie du Québec et je reviendrai tantôt à ce sujet mais j'insiste en disant que cet objectif secondaire a toujours été tributaire et secondaire par rapport au premier. Nos résultats historiques en terme de rendement le prouvent. Nos objectifs visent essentiellement à obtenir des rendements qui sont supérieurs aux indices dans chacune des catégories d'action. Nous nous concentrons sur des objectifs dans chacune des catégories d'actifs parce ce que la répartition d'actif global de la Caisse est tributaire d'une loi qui était relativement contraignante concernant, entre autres, le pourcentage d'action. Il y a 98 p. 100 des caisses de retraite au Canada qui avait à la fin de 1996 plus d'actions que la caisse. Donc on avait beaucoup plus d'obligations que la plupart des caisses de retraite au Canada.
Les besoins de nos déposants ne sont pas nécessairement uniformes. Lorsqu'on a à gérer des réserves de fonds d'assurance et des caisses de retraite privées et publiques, il est clair que l'éventail des besoins financiers et actuariels peuvent nécessiter des politiques de placement pas nécessairement homogène. La Caisse est un consolidé de toutes ces politiques de placement. Dans cette perspective, le résultat global étant très tributaire de la répartition en actions et en obligations et cetera, pour nous ce qui est le plus important, c'est d'examiner la performance de la Caisse comme gestionnaire dans chacune des catégories d'actifs. On publie nos résultats à chaque année. Je vous ai remis une copie de notre rapport annuel.
Il est clair que notre portefeuille d'obligations a battu systématiquement les indices ScotiaMcLeod. Au niveau des actions canadiennes, de façon systématique, on a réussi à avoir un rendement supérieur à un indice supérieur à un indice TSE 300. Nos portefeuilles à court terme ont toujours battu l'indice du ScotiaMcLeod à 90 jours.
Au niveau des actions internationales, cela a été plus difficile mais on a réussi, à l'étranger, à avoir des performances égales ou supérieures aux indices. Le marché qui a été plus difficile pour nous a été celui des actions américaines. Par contre, ce sont les actions américaines, qui sur le plan nominal, ont eu les meilleures performances. De façon général, on est satisfait des performances et on cherche toujours à les améliorer davantage.
Comment la Caisse approche la gestion? D'abord, on défini les catégories d'actifs, on fait une répartition des sommes qui nous sont confiées à l'intérieur de ces catégories et nous faisons une gestion active. Donc, on a une expertise interne qui fait effectivement la sélection de titres.
On parlait tantôt de la gestion indicielle, la Caisse a recours à l'occasion à une gestion indicielle lorsqu'elle n'a pas développé l'expertise nécessaire à l'intérieur de l'organisation. Ainsi, lorsqu'on a fait nos premiers investissements dans les marchés boursiers internationaux, on a confié des mandats à des firmes pour avoir des rendements ou des placements indiciels. On leur demandait de nous fournir du SNP 500 ou du EAEO de Morgan Stanley International. Au fur et à mesure où l'on a développé l'expertise à l'interne, on a engagé des gestionnaires compétents et on a commencé à développer une gestion active interne. Il y a un processus d'apprentissage qui est nécessaire. Notre objectif c'est de développer une gestion interne. Elle est habituellement moins coûteuse qu'une gestion externe.
On fait une gestion externe lorsqu'on n'a pas l'expertise. On fait aussi des gestions modernes, c'est-à-dire une gestion stratégique et tactique à l'aide de produits dérivés. On a aussi développé -- je reviendrez là-dessus -- des capacités de faire du placement privé.
Mais avant de parler de surplus spécifiquement, j'aimerais aussi porter à votre attention qu'au-delà de ces gestions, il faut s'assurer, et parce que notre rôle est de faire en sorte de protéger le capital, on fait une gestion du risque très serrée du marché, on gère nos risques de marché, on gère nos risques de crédit. On a des comités de crédit qui sont impliqués et on gère nos risques opérationnels. On a aussi une politique de risque de change qui est très conservatrice de telle sorte qu'on réduit les risques de change sur les marchés internationaux.
Nos placements privés comme nos placements publics sont évalués de manière extrêmement rigoureuse. Nos méthodes de calcul sont conformes à l'AIMR qui est une institution qui établit les standards les plus élevés en termes de rigueur et de calcul de performance.
Au niveau des placements privés, la Caisse a commencé à faire des placements privés dans les années 80. Évidemment, lorsque vous commencez, vous n'avez pas le bénéfice de la diversification, donc c'est à ce moment où vous prenez les plus grands risques. Il s'agit qu'un ou deux de ces placements aient de mauvaises performances pour que, à un moment donné, vous sentiez une pression énorme. Vous vous posez la question de savoir si vous avez bien fait de prendre de tels risques. La Caisse a persévéré. Aujourd'hui, on a plus de 700 placements privés. Près de 20 p. 100 de nos portefeuilles d'actions sont en placements privés. On a développé, avec le temps, l'expertise. On a aussi, au cours des dernières années, créé des filiales pour réaliser ces investissements. Plusieurs personnes se sont questionné sur le pourquoi de ces filiales. Lorsqu'on fait du placement privé, lorsqu'on veut avoir les meilleurs placements, on est nécessairement en compétition avec les autres intervenants dans le marché. Lorsque vous êtes en compétition, vous gérez une entreprise, il faut surtout avoir une expertise sectorielle et avoir la capacité de prendre des décisions rapidement.
Par contre, un fiduciaire ne veut pas déléguer les responsabilités d'investissement dans le placement privé comme il le ferait au niveau des placements boursiers. Les employés de la Caisse qui transigent sur les marchés, transigent avec des prix connus et avec des courtiers sur les marchés boursiers.
Dans le placement privé, vous négociez directement avec la personne qui va bénéficier de l'investissement que vous faites. D'où l'importance d'avoir un processus qui fait en sorte que ces décisions remontent à des conseils indépendants.
Le processus de décision qui exigeait qu'on passe au conseil de la Caisse était devenu à ce point rigoureux mais long, en termes d'étapes de décision que, en créant des filiales, cela nous permettait trois choses: de raccourcir les délais de décision pour nous permettre d'avoir accès aux placements les plus intéressants; nous permettait également, en créant des conseils de chacune de ces filiales, de s'adjoindre d'autres membres externes avec des expertises plus appropriées au secteur dans lequel intervenait chacune de ces filiales, et, en plus, permettait au conseil de déléguer à ces filiales les gens qui étaient le moins susceptibles d'être en situation de lien avec certaines des nos activités.
Comme vous le savez, certains membres de notre conseil d'administration ont des représentants des centrales syndicales et du Mouvement Desjardins. Or aujourd'hui les syndicats sont des investisseurs dans le capital de risque et, à l'occasion, deviennent nos compétiteurs. Donc, il était important de constituer des filiales avec des conseils où on avait l'expertise et l'indépendance nécessaires pour mener à bien nos opérations.
Le rôle de la Caisse au niveau de la contribution à l'économie du Québec, a toujours été assujetti aux objectifs de rendement. On pourrait se poser la question: comment pouvez-vous faire cela? C'est relativement simple. On le fait d'abord avec des programmes ciblés de placements. Dans les années 60, le capital était nécessaire pour financer l'effort considérable qu'on devait faire dans le développement de nos infrastructures routières, énergétiques, scolaires et de la santé. On avait besoin de capitaux énormes. La Caisse avait, à ce moment, une partie importante de ces investissements dans des obligations provinciales, d'Hydro-Québec et municipales. À l'origine, notons que trois membres du conseil de la Caisse, des membres adjoints qui n'ont pas le droit de vote, représentaient le ministère des Finances, donc le sous-ministre des Finances, un officier supérieur du service des finances d'Hydro-Québec et le président de la Commission des affaires municipales: trois emprunteurs qui avaient besoin de capitaux pour financer les infrastructures dont le Québec avait besoin. Mais ces membres étaient non votant, donc ils s'assuraient que la Caisse respecte les besoins de financement, tout en étant tout à fait indépendante dans sa façon des transiger avec ces organismes.
Les temps ont changé. Dans les années 90, la globalisation des marchés, le déploiement d'une multitude de petites entreprises et de réseaux autour des grandes entreprises, le développement de l'économie du savoir, l'importance de la PME et ses besoins de capitaux font en sorte qu'aujourd'hui, répondre au besoin de capitaux de l'économie québécoise, c'est davantage investir dans les entreprises que d'investir dans les obligations de l'État.
Ce n'est pas à travers des investissements individuels, mais à travers des programmes ciblés de placements qui impliquent une volonté de mettre un certain nombre d'argent dans des secteurs et aussi, de se doter de l'expertise nécessaire pour faire des placements rentables dans chacun de ces créneaux, qu'on réussit à faire en sorte que le capital du public serve, comme il se doit, à favoriser l'économie des épargnants. C'est dans cette perspective qu'on réalise cela. Bien sûr on a aussi une façon de faire, on n'a pas de raison de ne pas chercher à favoriser les entreprises québécoises et le marché financier montréalais. Ceci est une question d'approche.
Globalement, l'important pour nous, c'est que non seulement il s'agit d'une préoccupation législative au niveau du rôle de la Caisse d'avoir une contribution à l'économie du Québec, mais c'est surtout une obligation sociale de n'importe quel investisseur qui ne doit pas oublier d'où viennent les sommes qu'il investit.
Je vais passer brièvement sur un autre registre sur les questions de «corporate governance».
[Traduction]
J'aimerais passer en revue avec vous les grands principes de régie d'entreprise que nous tenons à respecter pour notre protection.
L'objectif premier de la Caisse est de chercher à obtenir le meilleur rendement possible sur ses placements tout en faisant preuve de prudence, ce qui sous-entend que nous prenons le temps de nous assurer que les sociétés dans lesquelles nous investissons prennent elles aussi au sérieux ces principes. Nos rendements étant tributaires de la rentabilité de ces entreprises, il est donc essentiel que nous veillions à ce qu'elles les appliquent.
À notre avis, le conseil d'administration devrait être à l'image des propriétaires de l'entreprise qu'il représente. Nous croyons en l'utilité de la représentation proportionnelle au sein du conseil. Nous attachons une importance toute particulière à la compétence des membres du conseil et à leur indépendance vis-à-vis de la direction et des affaires de l'entreprise, ce qui suppose d'ailleurs que le conseil connaît exactement la position de chacun. Nous veillons tout spécialement à ce que soient bien délimitées les responsabilités respectives des actionnaires, des administrateurs et des dirigeants. Ce sont là les principes de base sur lesquels repose notre politique, laquelle a été récemment révisée et approuvée par notre conseil d'administration.
Nous tenons à nous assurer qu'aucune situation de conflit d'intérêts n'existe qui puisse donner lieu à des conséquences négatives pour une entreprise dans laquelle nous investissons. Nous veillons à ce que nos représentants auprès du conseil d'administration de toute entreprise dans laquelle nous investissons reçoivent un plan stratégique complet résultant d'une analyse approfondie de l'environnement dans laquelle l'entreprise évolue, ainsi qu'un énoncé clair et précis des orientations de l'entreprise.
Nous croyons que les membres du conseil d'administration devraient pouvoir obtenir, par l'intermédiaire des différents comités ainsi que du système de collecte et de diffusion de l'information, les outils dont ils ont besoin pour bien accomplir leur travail. Nous sommes également favorables à l'établissement d'un cadre réglementaire qui permette aux actionnaires de faire valoir leurs droits et de prendre leurs responsabilités.
Voilà qui met fin à mon exposé. Je pourrais continuer ainsi pendant des heures, mais je m'arrête ici. Je me ferai maintenant un plaisir de répondre à vos questions.
[Français]
Le sénateur Angus: Je vous souhaite la bienvenue à notre comité des banques et du commerce. Merci pour votre présentation. Si je comprends bien, vous n'êtes pas membre du conseil d'administration de la Caisse?
M. Cyr: Non.
Le sénateur Angus: Vous faites partie de l'autre direction?
M. Cyr: Je fais partie de la direction de la Caisse.
Le sénateur Angus: En cette qualité, est-ce que vous êtes engagé, par exemple, dans les décisions de faire un placement dans une entreprise ou est-ce que vous êtes plus concerné par les questions stratégiques en général?
M. Cyr: À titre de membre de la direction, je participe à tous les comités de placements internes. Maintenant, les comités de placements internes, dans la plupart des secteurs, ne prennent pas de décisions de placements spécifiques. Le rôle des comités c'est d'établir les politiques d'investissement dans chacun des secteurs, que ce soit dans les obligations, dans les actions, au niveau des hypothèques, au niveau des marchés boursiers internationaux, américains, immobiliers ou autres. Donc on travaille au niveau de l'établissement de politiques d'investissement sectoriel. On détermine la philosophie et les modes de gestion qu'on doit utiliser, la répartition des sommes sur ces différents modes, les objectifs de rendement de chacun, le capital à risque qu'on autorise pour chacun des nos gestionnaires à qui on délègue des responsabilités d'investissement. Donc oui, à ce titre, je participe à la décision des politiques de placements de chacun des comités.
Je suis aussi membre de certains des conseils des filiales. Donc à ce titre, je participe à la décision de certains placements individuels.
Le sénateur Angus: Vous êtes à la Caisse depuis quand?
M. Cyr: Depuis 1984.
Le sénateur Angus: Comme vous le savez très bien, une des questions qu'on se pose souvent au Canada concernant la Caisse, c'est votre rôle dans l'économie québécoise et vous avez fait vos commentaires ce matin. Étant donné ce que vous venez de dire, est-ce que vous diriez que la situation avec Steinberg et M. Gaucher était une exception à la règle générale?
M. Cyr: La situation de Steinberg n'était pas une exception et vous allez me permettre deux minutes pour expliquer le contexte de la transaction Steinberg. Il est vrai qu'on a mentionné à plusieurs reprises que cette transaction était une transaction dite politique. De 1984 à 1990, j'étais vice-président responsable des investissements immobiliers à la Caisse. Nos déposants voulaient avoir cinq p. 100 de leur portefeuille en immeubles. De 1984 à 1989, après avoir investi plus d'un milliard en propriétés individuelles, on est encore à deux p. 100. En 1988, donc 18 mois avant qu'on ferme la transaction de Steinberg, on avait établi une stratégie en vertu de laquelle la façon la plus efficace d'augmenter nos investissements en immobilier était d'acheter des actions de compagnie plutôt que d'acheter des immeubles un par un. En février 1988, on avait déjà ciblé Ivanhoe comme une de ces entreprises. La compagnie Steinberg n'était pas en mesure de vendre Ivanhoe. Pour des raisons strictement d'affaires et de complémentarité telles qu'ils le voyaient, ils ne le pouvaient pas non plus, à cause de l'énorme impact fiscal qu'une vente des actions d'Ivanhoe impliquait pour Steinberg.
La seule occasion pour la Caisse de se porter acquéreur de la compagnie Ivanhoe était dans la perspective où la compagnie Steinberg serait vendue. Ce n'est pas un objectif politique. C'est un objectif de diversification de portefeuille et c'était prévu 18 mois avant les événements dont tout le monde a dit que c'était un événements politique. J'étais au premier chef responsable de cela et c'est avec passion et vigueur que je pourrais défendre aujourd'hui que ce n'était pas une décision politique.
Dans l'investissement de Steinberg, on parlait de 900 millions dont 820 millions étaient des sommes requises pour l'acquisition de Ivanhoe, la filiale immobilière.
Dans cette perspective, je peux vous dire que non seulement l'occasion a été bonne, mais que le portefeuille d'Ivanhoe, dans les années qui ont suivi de 1990 à 1995, a mieux résisté que la plupart des portefeuilles immobiliers au Canada. La stabilité des revenus des centres d'achat était là alors que d'autres compagnies immobilières, particulièrement dans le bureau, ont vu leur revenu chuter au point que la plupart se sont trouvées dans des faillites ou de la restructuration.
Donc non seulement ce n'était pas politique, mais dans le contexte, c'était une bonne décision d'affaire pour la Caisse de se diversifier dans des centres commerciaux à ce moment. Notons aussi, si vous vous souvenez bien, que le prix que la Caisse a payé était inférieur à l'offre faite. Donc non seulement on a payé un bon prix, mais c'est un placement qui était fait strictement en fonction de nos objectifs d'affaire et de rendement.
Le sénateur Angus: C'est bien qu'on ait donné cette explication. On cite ailleurs le cas de Steinberg et de la Caisse parce qu'on a peur de ce qui va advenir du Régime de pension du Canada et le conseil. C'est pourquoi on veut souligner vos décisions prudentes faites par des personnes comme vous et que les placements sont indépendants du gouvernement et de l'influence quotidienne.
[Traduction]
Le sénateur Angus: Quand vous investissez dans des entreprises -- vous venez de nous expliquer que vous vous préoccupez de la façon dont ces sociétés sont régies --, vous intéressez-vous à cet aspect avant même d'effectuer le placement? En d'autres termes, le mode de régie de l'entreprise est-il un facteur clé que vous prenez en considération avant d'investir?
[Français]
Est-ce que vous comprenez?
M. Cyr: Non.
Le sénateur Angus: La qualité de la gérance et le «corporate governance» des compagnies dans lesquelles vous allez investir, est-ce un facteur important avant qu'on fasse l'investissement?
M. Cyr: Non, ce n'est pas un facteur important. C'est un élément qui sera considéré dans la mesure où le non-respect de certains principes de «corporate governance» pourrait avoir un impact négatif sur la capacité, comme actionnaire, d'optimiser notre performance. On a à cet égard une approche pragmatique et vous n'êtes pas sans savoir que les pratiques de «corporate governance» évoluent de façon continue.
Le sénateur Angus: Oui, récemment.
M. Cyr: Donc les principes dont je vous ai fait part tantôt sont des principes que l'on rappelle de façon continuelle, principalement aux assemblées annuelles des actionnaires. Nos positions sont publiques. On parle aux membres des conseils d'administration qui, d'après nous, sont au premier chef les premiers représentants des actionnaires.On parle aussi aux directions des entreprises concernant nos principes de «corporate governance».
[Traduction]
Nous croyons aussi que la façon dont on applique ces principes est aussi importante que les principes eux-mêmes. Il faut les adapter au contexte, c'est-à-dire aux besoins particuliers de l'entreprise.
En proposant ces politiques à nos partenaires, nous nous efforçons de les convaincre plutôt que de leur imposer des règles strictes et coercitives.
Le sénateur Angus: Nous nous posons également une autre question dans le cas des investisseurs institutionnels comme la Caisse. Estimez-vous que vous avez le devoir de protéger le petit investisseur? En d'autres termes, lorsque la Caisse se porte acquéreur de 15 p. 100 des actions d'une société qui compte par ailleurs des centaines de petits actionnaires, elle se met à avoir des contacts quotidiens avec les administrateurs et la direction de l'entreprise; elle peut même avoir ses représentants au sein de son conseil d'administration. Croyez-vous qu'en tant qu'investisseur institutionnel, la Caisse a un rôle à jouer en ce qui concerne la protection des petites gens, des petits épargnants?
M. Cyr: Ma réponse est oui. Plus précisément, nous croyons au principe de la représentativité. Par exemple, une institution qui posséderait 25 p. 100 des actions d'une société ne devrait pas détenir plus du quart des sièges au conseil d'administration, ce qui veut dire que l'ensemble des actionnaires minoritaires devraient être représentés par des administrateurs indépendants. Nous sommes également contre la possession d'actions avec droit de vote plural ou subordonné.
La seule exception, en pratique, serait que, lorsqu'une petite entreprise en est à sa première émission publique, nous permettions à l'actionnaire majoritaire, qui a maintenant accès à du capital, de conserver le contrôle de son entreprise en se réservant un certain nombre d'actions avec droit de vote plural, pourvu qu'il respecte certaines conditions bien précises. Premièrement, nous tenons à ce que la transaction s'effectue dans un délai limité et à ce que l'actionnaire principal détienne au moins 30 p. 100 de l'avoir propre de la société.
Bien que, dans les limites de certaines règles, nous fassions parfois exception en pratique, nous ne participons toutefois ni à l'achat ni à l'émission d'actions avec droit de vote subordonné ou d'actions qui permettraient à l'actionnaire majoritaire de diluer son avoir tout en conservant le contrôle de la société au moyen d'actions avec droit de vote plural. Nous ne participons pas à l'émission initiale de telles actions.
Lorsqu'une société a un bon prospectus, il peut arriver qu'en raison de notre politique de diversification sur une importante portion de l'indice, nous nous portions acquéreur d'un certain nombre de ses actions sur le marché secondaire. Nous prenons garde de ne pas nous faire tort à nous-mêmes, mais nous appliquons cette politique depuis nombre d'années.
Le sénateur Angus: Cela m'amène à vous poser mon autre question à propos du risque de «se faire tort à soi-même». Il arrive parfois qu'un investisseur institutionnel qui possède une portion importante de l'avoir d'une entreprise apprenne que l'entreprise en question est en difficulté et que son avoir propre risque de diminuer de valeur. L'investisseur se sent-il alors libre de vendre ses actions, ou se trouve-t-il coincé en quelque sorte? Quelle est votre politique à cet égard?
M. Cyr: Il y a des sociétés qui font partie de l'indice de la Bourse de Montréal ou de la Bourse de Toronto et dans lesquelles nous n'avons aucune participation; en contrepartie, il arrive que nous achetions ou vendions des actions de sociétés qui ne sont même pas inscrites à ces Bourses. Nous nous sentons alors libres de vendre ces actions.
Le sénateur Angus: Est-ce là une règle générale?
M. Cyr: Ce que vous me demandez au fond, c'est si nous préférons essayer d'influencer la direction de l'entreprise pour l'amener à corriger la situation ou bien nous départir de nos actions et provoquer de ce fait une forte chute du cours de ce titre?
Le sénateur Angus: C'était le sens de ma question.
M. Cyr: Nous investissons à moyen et à long termes.
La responsabilité première d'un actionnaire est de s'assurer que le conseil d'administration examine le prospectus de l'entreprise et prenne ensuite la meilleure décision stratégique possible. Le conseil devrait pouvoir en toute liberté vérifier si l'entreprise est bien gérée. Nous pouvons certes nous associer à d'autres membres du conseil d'administration pour nous assurer que le président ou d'autres membres de la haute direction de l'entreprise font bien leur travail. Au besoin, nous nous allions aux membres du conseil pour bien faire le nôtre.
Notre décision d'abandonner ou de vendre tel ou tel titre boursier n'a parfois rien à voir avec le mode de gestion ou la direction de l'entreprise. Nous nous départissons parfois d'un titre parce que nous jugeons que son cours est trop élevé et que l'occasion est belle pour réaliser un profit. Vendre des actions n'est pas toujours synonyme de laisser tomber une entreprise. On vend parfois parce qu'on a le sentiment que le cours de l'action a atteint un niveau intéressant ou que la demande risque de fléchir et qu'il vaut mieux ne pas attendre pour se départir du titre.
Le sénateur Angus: En tant qu'investisseur, vous vous sentez libre d'acheter ou de vendre vos actions d'une entreprise comme bon vous semble?
M. Cyr: Généralement, comme nous possédons moins de 10 p. 100 de l'avoir d'une société, nous nous sentons libres d'acheter ou de vendre nos actions. Mais si nous les vendons trop rapidement, nous risquons d'en faire baisser le cours et de déprécier la valeur de nos propres actions. Si nous voulons que le rendement de la Caisse soit le meilleur possible, nous devons y aller avec prudence, en respectant les règles du marché.
Le sénateur Angus: La Caisse de dépôt est l'un des plus importants investisseurs institutionnels au Canada. Elle est donc un bon exemple dont nous pouvons nous inspirer en nous penchant sur la structure de gestion du futur Office d'investissement du régime de pensions du Canada. En fait, en tant que Québécois, nous sommes très fiers de vous.
Une des politiques que le gouvernement fédéral a décidé d'imposer au nouvel Office l'obligera à s'en tenir, au cours des trois premières années de son existence, à des placements passifs reflétant les grands indices boursiers.
Que pensez-vous de cette décision? Vous êtes probablement au courant que nous avons posé cette question à de nombreux témoins, qui semblent pour la plupart trouver que ce n'est pas là une très bonne idée.
M. Cyr: Il y a deux aspects à cette question. Comme je l'ai expliqué tout à l'heure, il fut un temps où nous effectuions des placements indiciels sur certains marchés parce que nous ne nous sentions pas compétents pour agir autrement et que nous avons pris le temps d'acquérir cette compétence avant d'aller plus loin. Je verrais d'un bon oeil que l'Office s'engage progressivement sur la voie des placements actifs au fur et à mesure que ses gestionnaires de portefeuille se familiariseront avec le domaine.
J'aurais davantage tendance à m'inquiéter du risque de déstabiliser le marché, compte tenu de l'importance de vos placements potentiels en regard de la taille du marché.
J'ai cru comprendre que le conseil d'administration de l'Office pourrait à un moment donné modifier cette politique au fur et à mesure que les problèmes se présentent. Si les administrateurs de l'Office agissent de façon responsable, ils réagiront en conséquence s'ils s'aperçoivent que leur politique risque de déstabiliser le marché et ils la modifieront au besoin.
Par ailleurs, si l'indice TSE 300 était stable, il n'y aurait pas grand risque qu'une politique de placement indiciel perturbe le marché. On achèterait progressivement les actions en proportion de leur importance relative dans l'indice et on attendrait. On ne noterait alors aucun effet sur le marché. On ne participerait tout simplement pas au jeu. On se contenterait d'être présent, sans acheter ou vendre d'actions.
Le sénateur Angus: C'est ce qu'on appelle le rôle passif.
M. Cyr: Comme d'aucuns l'ont signalé, le problème, c'est que l'indice varie en fonction du poids relatif qu'ont les différents titres. Certains en sortent et d'autres y entrent.
Un investisseur qui doit s'en tenir à des placements indiciels se retrouve dans de beaux draps s'il est forcé de vendre un titre le jour même où il quitte l'indice et d'acheter le nouveau le jour même de son arrivée.
La politique de placement passif ou de placement indiciel qu'on songe à imposer à l'Office devrait au moins lui laisser explicitement la possibilité d'exercer activement une influence sur la composition de l'indice, comme le fait la caisse de retraite des enseignants. Dans son dernier rapport annuel, cet organisme mentionnait que 80 p. 100 des titres boursiers canadiens faisaient partie de l'indice. On y affirmait toutefois que la caisse intervenait activement dans le but d'apporter les correctifs nécessaires pour influer à son avantage sur les positions des différents titres dans l'indice.
Il m'apparaît normal que l'Office y aille progressivement et qu'il se montre de plus en plus actif à mesure qu'il acquerra de l'expérience. L'Office aura besoin d'un minimum de latitude pour pouvoir tenir compte des variations de l'indice.
Le sénateur Stewart: Monsieur Cyr, vous étiez présent quand le témoin qui vous a précédé a parlé du conseil d'administration de l'Office.
Elle a beaucoup insisté sur la nécessité de mettre le conseil à l'abri des intérêts -- privés ou publics -- qui risqueraient de fausser ses décisions.
À voir la composition de votre conseil d'administration, ce danger ne semble pas trop vous inquiéter. On y remarque, par exemple, le chef des Services financiers d'Hydro-Québec, le président de la Commission municipale du Québec et le sous-ministre.
M. Cyr: Ces trois administrateurs n'ont pas de droit de vote.
Le sénateur Stewart: Oui, mais je suppose quand même qu'on les écoute quand ils expriment une opinion à une réunion du conseil. Ceux qui ont établi ce système ne semblent pas s'être inquiétés de ce danger.
Manifestement, ces administrateurs ont été nommés parce qu'on estimait qu'ils pouvaient apporter une importante contribution au fonctionnement de la Caisse.
Aurions-nous tort d'essayer de mettre en place un conseil d'administration qui serait à l'abri des considérations politiques comme celles que s'est permis de faire votre sous-ministre, ou des pressions que pourraient exercer des intérêts privés? L'Office d'investissement du régime de pensions du Canada serait-il perdant si nous ne nous approchions pas de votre modèle?
M. Cyr: La question est hypothétique. L'objectif demeure toutefois de viser le juste milieu. La principale préoccupation du conseil est de réunir des personnes dont les compétences se complètent et qui sont capables de travailler en équipe.
Le conseil d'administration de la Caisse a été très utile du fait qu'il compte parmi ses rangs une équipe de gens d'expérience: le président du Mouvement Desjardins, des représentants syndicaux, deux hauts fonctionnaires pour représenter les fonctionnaires et les cadres du gouvernement du Québec, ainsi que des représentants du milieu des affaires.
Cet équilibre dans la diversité a permis, en toutes circonstances, au président du conseil et au président de la Caisse -- c'est-à-dire à la direction -- de pouvoir compter sur l'appui, l'expérience et les observations de personnes qui étaient en mesure, individuellement ou en groupe, de poser les bonnes questions, compte tenu de leur compétence, de leurs antécédents et de l'étendue de leurs connaissances. Quelle que soit l'option que vous retiendrez, vous devrez veiller à ce qu'il y ait un éventail équilibré de compétences et de points de vue au sein du conseil d'administration de l'Office.
Le sénateur Austin: Je me sens comme un petit garçon qui se présente avec seulement cinq cents en poche à un comptoir de friandises et qui a devant lui 300 bonbons, mais ne peut en acheter qu'un seul. Le choix des sujets est tellement vaste. J'aimerais que vous nous disiez, pour le bénéfice du compte rendu, quel rang quartile occupe la Caisse au sein de l'industrie. Dans quel quartile se situe-t-elle?
M. Cyr: Selon moi, vous ne posez pas la bonne question, mais nous nous en tirons tout de même assez bien. Quand vous parlez de quartile, je présume que vous songez au secteur des caisses de retraite. Comme vous le savez, 20 p. 100 de nos fonds proviennent du secteur de l'assurance, de sorte que nous ne sommes pas portés à comparer notre fonds global par rapport à un seul secteur. J'ai ici deux chiffres que je pourrais vous citer. Entre 1987 et 1996, la Caisse a eu un rendement de 10,2 p. 100. Le rendement moyen de SAE, qui regroupe tous les fonds de retraite gérés au Canada, avait alors été de 10,7 p. 100. Nous étions à un demi-point en dessous de ce rendement moyen pour cette période.
Pour la période de 1981 à 1998, notre rendement a été de 12,37 p. 100, alors que le rendement moyen était de 12 p. 100. Selon les périodes, nous nous situons parfois au-dessus, parfois au-dessous de la moyenne, principalement à cause de l'écart de rendement entre le marché des obligations et celui du marché des actions et du fait que notre proportion d'obligations est beaucoup plus élevée que la moyenne. Il se trouve des situations où nous pouvons battre tous nos indices de référence, tout en étant encore en dessous de celui de SAE, parce que nous détenons énormément d'obligations.
Le sénateur Austin: Pour nous situer un peu, dites-nous, je vous prie, quel pourcentage de l'ensemble des fonds dont la Caisse est responsable est investi dans des instruments financiers québécois ou dans des titres de sociétés québécoises, en obligations et en actions? Quelle proportion de votre portefeuille est investi au Québec?
M. Cyr: Environ 55 p. 100 de notre portefeuille est investi au Québec, dont probablement 40 p. 100 en obligations gouvernementales et 15 p. 100 dans des sociétés québécoises. Mais allez donc préciser ce qu'est une société québécoise! Seagram est une société québécoise, donc canadienne, et 97 p. 100 de ses avoirs sont aux Étas-Unis. Cela complique le calcul. Je veux bien vous donner une idée approximative, mais ne me demandez pas de vous préciser dans quelle catégorie se trouve chacune des sociétés dans lesquelles nous investissons. Somme toute, notre proportion d'investissements québécois est d'environ 55 p. 100.
Le sénateur Austin: Vos réponses à ces deux questions me laissent supposer que votre vocation spéciale n'a pas eu d'effet négatif sur le rendement de vos placements et que vous avez réussi à bien cibler vos investissements dans le domaine de la politique sociale, c'est-à-dire vos investissements axés sur le développement économique de votre province.
À moins que vous ne soyez pas d'accord avec moi sur ce point, je vais passer à ma question suivante.
M. Cyr: Allez-y.
Le sénateur Austin: Comme vous le savez, le profil du fonds d'investissement du Régime de pensions du Canada, tel qu'on l'a établi, est très différent de celui de votre caisse à ces égards. Des experts en placement nous ont dit qu'il était primordial que la politique de placement soit objective et à l'abri de toute ingérence et que l'Office devait à tout prix éviter de se laisser distraire par quelque autre objectif que l'intérêt supérieur du bénéficiaire ou par les intérêts de certains groupes de bénéficiaires, comme les communautés, les régions, les industries, les secteurs d'activité économique, et cetera.
Je vais maintenant vous demander de nous parler des comptes que vous devez rendre à l'Assemblée nationale. Pourriez-vous nous décrire le rôle de surveillance qu'exerce l'Assemblée nationale en ce qui concerne le rendement et les activités de la Caisse?
M. Cyr: Chaque année, nous lui présentons notre rapport annuel, dans lequel nous rendons compte de notre situation financière et de nos activités. Nous comparaissons en outre tous les ans devant une sous-commission où nous discutons de notre rendement, de notre stratégie et de notre situation en général. Le vérificateur général du Québec vérifie non seulement nos états financiers, mais le contenu de notre rapport annuel, c'est-à-dire tous les renseignements que nous y fournissons, puis il vérifie tous les placements que nous effectuons et atteste de leur conformité à la loi. Il existe des différences entre votre réglementation et celle que nous avons mise au point au Québec, mais le vérificateur général examine ces trois aspects et en fait ensuite rapport à l'Assemblée nationale.
L'an dernier, pour la première fois depuis notre création, on nous a demandé de comparaître devant une commission spéciale de l'Assemblée nationale juste pour présenter notre rapport. Nous y avons passé deux jours, simplement pour expliquer aux députés ce que nous faisons et pourquoi, et pour répondre à toutes leurs questions.
Le sénateur Angus: Cette commission se compare-t-elle au comité des finances de la Chambre des communes ou au comité sénatorial des banques?
M. Cyr: Oui.
Le sénateur Angus: Il s'agit d'une commission permanente, n'est-ce pas?
M. Cyr: Oui.
Le sénateur Austin: Ma dernière question est la suivante: Avez-vous votre propre code sur la régie d'entreprise? En d'autres termes, votre conseil d'administration a-t-il établi un code de conduite pour ses membres, qui traite de conflits d'intérêts, de questions qui touchent le rendement du directeur général, bref, un code du genre de celui que la Bourse de Toronto impose habituellement à ses clients et du Day Report? Vous servez-vous d'une version adaptée de ces codes?
M. Cyr: Nous avons notre propre code, le code d'éthique et de déontologie, qui couvre tous les niveaux hiérarchiques de la Caisse, le conseil d'administration, les différents comités du conseil, la haute direction et tous ceux qui participent aux activités de la Caisse. Les normes auxquelles nous devons nous conformer sont des plus strictes en ce qui concerne les conflits d'intérêts, car nous devons essentiellement divulguer tous nos avoirs, toutes nos opérations financières ainsi que le moment où nous les effectuons.
Le sénateur Austin: Vous faites ces déclarations à qui?
M. Cyr: Nous les faisons au secrétaire général de la Caisse, qui les révise et en fait rapport à un comité spécial du conseil, lequel est chargé de revoir le travail du comité de l'éthique. Le comité de l'éthique examine toutes les déclarations des employés et des membres du conseil, et celles-ci sont vérifiées ensuite sur une base très confidentielle par ce comité spécial.
Le sénateur Callbeck: J'aurais une question concernant la reddition de comptes. Vous avez mentionné que votre loi et vos règlements sont différents des nôtres à cet égard, qu'il y a des différences entre ceux qui vous régissent et ce qui est proposé ici. À votre avis, y a-t-il des dispositions que nous devrions ajouter aux exigences qu'on prévoit déjà imposer à l'Office en matière de reddition de comptes?
M. Cyr: Si je me fonde sur votre document, il y aura tout un monde entre nos deux façons de travailler. Nous avons 19 déposants. Je tiens personnellement deux ou trois réunions avec la plupart de nos principaux déposants pour leur faire part de nos résultats et de notre stratégie. Les membres de ces comités sont de plus en plus connaisseurs, de sorte que je dois être très clair en ce qui concerne l'information que je leur fournis et les réponses que je leur donne.
Dans le cas de l'Office, vous n'avez qu'un client, mais vous avez remplacé mes conférences publiques par des audiences publiques qui pourraient, si elles sont bien dirigées, constituer une excellente façon de rendre des comptes aux actionnaires. Cela implique que, pour ces assemblées, vous utilisiez un code de procédure de manière à permettre aux gens qui ont une bonne connaissance du domaine du placement de participer efficacement et substantiellement aux discussions, car ces grandes assemblées risquent toujours de se révéler improductives si elles ne sont pas bien organisées et bien dirigées.
Le sénateur Kelleher: Que fait la Caisse des droits de vote par procuration qu'elle détient?
M. Cyr: Nous exerçons nos droits de vote par procuration dans deux types de situation. La première de ces situations survient lorsqu'une décision risque d'avoir des incidences importantes sur notre rendement, s'il faut, par exemple, accepter de toute urgence une offre publique d'achat. Nous prenons habituellement ce genre de décision strictement en fonction de l'intérêt que présente pour nous la transaction. Devons-nous accepter l'offre ou non? Devons-nous accepter la fusion ou non? Il s'agit en l'occurrence d'une décision d'affaire. D'ordinaire, les gestionnaires du portefeuille formulent une recommandation sur une base d'affaire, et nous nous servons de nos procurations pour voter dans le sens de la décision que les autorités compétentes de la Caisse ont prise.
L'autre type de situation se présente lorsque nous jugeons indiqué d'utiliser nos droits de vote par procuration pour des questions touchant la régie d'entreprise. Nous avons notre propre politique de régie d'entreprise. Nous utilisons notre droit de vote par procuration pour nous assurer que la façon dont les choses se passent au sein de la société dans laquelle nous investissons est conforme à cette politique. Rien n'est toutefois tout à fait blanc ou tout à fait noir en cette matière. S'il y avait controverse, nous ferions probablement connaître publiquement notre position, par exemple, et nous en informerions le conseil d'administration, puis la direction.
En ce qui concerne le problème des banques qui a été soulevé récemment, par exemple, nous avons fait connaître notre position publiquement et en détail à chacune de ces assemblées d'actionnaires et avons expliqué, dans chacun de ces cas, les motifs de cette position.
Si vous nous demandez quelle est notre position concernant l'impossibilité pour les fournisseurs de service de siéger au conseil d'administration de la nouvelle banque, s'il y a fusion de la Banque de Montréal et de la Banque Royale, je puis vous décrire en quatre lignes ce que nous pensons exactement.
Si, une fois que le fournisseur a déclaré publiquement son intérêt, on constate que le risque de conflit est manifestement inexistant, et si en plus la personne concernée peut apporter une contribution valable au conseil, nous considérons qu'il est apte à siéger au conseil. Dans chaque cas, nous faisons connaître publiquement notre position et d'une manière très concrète, en prenant soin de toujours nous assurer que les principes sur lesquels se fonde notre position sont clairement exprimés. C'est ainsi que nous utilisons nos droits de vote par procuration. La Caisse les exerce, elle décide de la façon dont elle votera. Nous faisons rapport au conseil de toutes les questions susceptibles de faire l'objet d'un vote par procuration.
Par exemple, nous avons informé notre conseil d'administration de nos intentions concernant l'utilisation de nos votes par procuration sur ces questions particulières, et, pour prendre position sur ces questions, nous nous sommes inspirés de notre politique sur la régie d'entreprise. Quand il s'agit de questions plus délicates, nous modifions et révisons notre politique sur la régie d'entreprise en collaboration avec le conseil.
Le sénateur Angus: Quelle est la position générale de la Caisse en ce qui concerne les salaires mirobolants versés aux pdg des banques?
M. Cyr: Nous croyons que la rémunération devrait être divisée en deux: une rémunération de base et une rémunération au rendement. Nous sommes d'avis que la rémunération au rendement est importante et peut être élevée, car elle indique que les hauts dirigeants s'emploient à obtenir pour les actionnaires le meilleur rendement.
Nous sommes sensibles et inquiets de l'écart qui s'élargit entre le salaire du travailleur moyen et celui des cadres supérieurs. Le fait que nous inquiétions de cette situation ne signifie toutefois pas que nous ne tenons pas à nous assurer que l'entreprise fera appel aux gens les plus compétents pour tel ou tel poste. S'il nous faut alors payer le gros prix parce que telles sont les conditions du marché, nous le faisons.
Nous croyons que la rémunération totale que reçoivent les principaux dirigeants devrait être fixée par un comité du conseil composé exclusivement de membres provenant de l'extérieur et indépendants. Telle est notre politique.
Sur chacun de ces points, nous rendons publique notre position et nous essayons de trouver le juste milieu entre les principes en cause et ce qui, à court terme, ne risque pas, selon nous, de nuire au rendement de la société en question, mais qui l'incitera à s'améliorer et à modifier son comportement à long terme.
Le sénateur Kelleher: C'est très méritoire.
M. Cyr: J'ai mentionné au greffier du comité que je pourrais vous fournir une copie de notre politique sur la régie d'entreprise.
Le vice-président: Nous vous en saurions gré.
Merci, monsieur Cyr. Votre témoignage nous sera sûrement utile.
La séance est levée.