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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 19 - Témoignages pour la séance du 13 mai 1998


OTTAWA, le mercredi 13 mai 1998

Le comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit ce jour à 18 h 05 pour étudier la situation actuelle du régime financier du Canada (le rôle des investisseurs institutionnels).

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Nos premiers témoins sont Gerry Rocchi, président de Barclays Global Investors, et Katherine Taylor, vice-présidente. Soyez les bienvenus.

Monsieur Rocchi, vous avez vos transparents?

M. Gerry Rocchi, président, Barclays Global Investors Canada: Oui, monsieur le président, mais nous avons aussi des documents sur lesquels nous allons appuyer notre présentation.

Le président: Ce sera plus simple.

M. Rocchi: Nous nous réjouissons de pouvoir participer à cet examen de la politique. Nous sommes aussi ravis de nous adresser à votre auguste assemblée de sénateurs avertis, qu'il ne faut pas confondre avec vos homonymes, experts du patinage.

Nous sommes le bras canadien d'une véritable entreprise mondiale. Afin de situer le contexte de mes commentaires, je voudrais commencer par vous donner quelques renseignements à propos de notre organisation. Barclays gère plus de 700 milliards de dollars dans le monde entier. Nous sommes à la fois le gestionnaire de fonds indiciels le plus grand du monde par notre gestion de portefeuilles qui vise à cibler systématiquement et avec précision les objectifs de performance de nos clients et aussi un gestionnaire «actif» important avec près de 150 milliards d'actif sous gestion, où nous utilisons des techniques quantitatives pour construire des portefeuilles dont le rendement dépasse l'indice de référence.

Nous mettons l'accent sur plusieurs idées que comprennent très bien les investisseurs: l'exploitation de notre méga-taille qui nous permet, par des économies d'échelle, d'offrir à nos clients des coûts extrêmement bas; la recherche systématique visant à apporter aux clients exactement ce qu'ils veulent et, enfin, un flux de transactions mondiales qui permet à nos clients de traiter les uns avec les autres minimisant ainsi les coûts de transaction directs autant que les coûts indirects d'impact sur le marché.

Au Canada, nous avons été nommés, l'année dernière, le gestionnaire de fonds institutionnels dont la croissance a été la plus rapide, avec près de 17 milliards de dollars d'actif sous gestion. Nous comptons 26 employés qui s'occupent de gestion et de comptabilité de portefeuille, ainsi que d'arbitrage et qui servent plus de 85 clients a Canada.

Nous croyons que notre succès s'appuie sur notre philosophie qui vise à développer un partenariat avec nos clients. En tant que Canadiens, un succès tout aussi important est d'avoir pu montrer à nos clients étrangers que le Canada pouvait offrir de grandes possibilités de placement. Au cours des deux dernières années, nous sommes parvenus à récolter à peu près 2 milliards de placements supplémentaires au Canada, auprès d'investisseurs étrangers. Nous avons aussi présenté avec succès des fournisseurs de technologie de placement canadien aux autres membres de notre organisation à travers le monde.

Pour finir, j'ajouterai simplement que les Canadiens jouent un rôle global important dans notre entreprise puisque notre comité global de gestion compte trois Canadiens parmi ses 12 membres.

Je vais maintenant vous parler du rôle des gestionnaires de placement. Je commencerai par souligner l'importance des sociétés de gestion de placement sur l'économie et sur la conduite des affaires, autrement dit sur la gouvernance. Par la suite, je vous parlerai plus en détail de la gouvernance des firmes de gestion de placement. Pour cela, je me concentrerai sur trois aspects: l'importance de la gestion du risque dans une société de gestion de placement, si celle-ci veut répondre aux besoins de ses clients et nous verrons ce qu'il faut pour gérer le risque; deuxièmement, je soulignerai le rôle du rapport aux clients qui leur permet de faire un choix en pleine connaissance de cause et je rappellerai que des clients informés sont la pierre angulaire d'un marché de capitaux efficace; enfin, je me tournerai vers le type de différence le plus marqué qui puisse arriver entre l'intérêt du client et celui du gestionnaire de placement -- lorsque la tentation d'une transaction personnelle ou l'affectation d'une transaction non déontologique interfère avec le droit du gestionnaire de s'occuper en priorité de ses clients.

Ces trois points résument la plupart des problèmes importants de la conduite du gestionnaire et devraient servir de tremplin à toute discussion ou question que vous pourriez avoir à la suite de mes remarques.

Commençons par l'influence sur l'économie canadienne. Les sociétés de placement institutionnel peuvent profondément affecter l'économie canadienne. La façon la plus importante et peut-être par la mobilisation des capitaux investis dans le secteur privé. Les sociétés de gestion de placement peuvent permettre d'accéder au marché de différentes manières, notamment par la diversification, la liquidité, les qualités d'expertise et les coûts réduits. Cet accès au marché peu coûteux et efficace joue un rôle important dans la motivation des investisseurs institutionnels de fournir des capitaux propres supplémentaires au marché des capitaux canadiens et, dès lors, aux sociétés canadiennes. Ceci contribue à un processus d'allocation des capitaux plus efficace dans l'économie.

Chez Barclays, nous gérons de l'argent pour quelques-uns des plus grands fonds communs de capitaux institutionnels du monde. Nous utilisons ces relations pour augmenter fortement le placement interne au Canada, pour environ 1,9 milliard de dollars au cours des 18 derniers mois et ce, de deux façons. Nous avons fait la promotion du potentiel des investissements canadiens et avons eu un grand succès en déléguant des conférenciers pour participer aux événements de nos clients, dans le monde entier. Nous avons aussi travaillé avec Morgan Stanley pour créer un nouvel indice du marché des valeurs internationales, l'Indice Mondial Tout Pays, qui comprend le Canada. Malheureusement, le Canada ne figure pas dans l'indice du marché des valeurs internationales le plus populaire, l'EAFE, ce qui entraîne les fonds indiciels internationaux à ne pas investir dans l'indice boursier canadien. Ceci contribue aussi à abaisser en dessous de la normale l'investissement canadien par les gestionnaires actifs internationaux.

Au fur et à mesure que nos clients et d'autres investisseurs se tourneront vers ce nouvel indice, nous nous attendons à voir nettement plus de placements internes au Canada. Le processus est amorcé, puisque nous avons déjà commencé à convertir certains de nos clients et que nous espérons en attirer davantage dans l'avenir.

Notre méthode principale d'influence sur la gouvernance est le vote, pour deux raisons. En tant que gestionnaires de fonds indiciels, nous sommes contraints d'investir dans pratiquement toutes les sociétés et nous ne pouvons pas simplement vendre nos actions lorsque nous sommes en désaccord avec la gouvernance d'une entreprise. Nous agissons aussi au moyen du vote parce qu'il est de notre devoir de fiduciaire d'agir dans le meilleur intérêt économique de nos clients.

Ces deux motivations nous poussent à soutenir des propositions qui permettent aux forces normatives du marché d'influencer la conduite d'une société. Nous soutenons cette approche pour toutes les sociétés de l'indice TSE 300, ce qui encourage l'ensemble du marché vers une plus grande transparence et une plus grande responsabilité à l'égard des questions de gouvernance.

Nous avons tendance à nous opposer à toutes les propositions visant à bloquer les forces normatives du marché. Par exemple, nous nous opposerons aux droits de vote différentiels entre classes d'action. Un autre exemple: nous nous opposerons aux soi-disant propositions de pilules empoisonnées, sauf celles qui accordent simplement le temps nécessaire pour présenter des offres alternatives. Les termes répartis de service aux conseils d'administration sont un autre exemple de propositions auxquelles nous nous opposons.

La gestion du risque, maintenant. Dès que nous parlons de risque, nous aimons à rappeler qu'il est multidimensionnel. Le risque le mieux compris est, bien sûr, celui du marché, c'est-à-dire les hauts et les bas quotidiens du marché. Cependant, il est tout aussi important de mettre au point un mécanisme pour s'assurer que les structures du gestionnaire de placement soient cohérentes avec les directives du client. Si l'on prend un exemple extrême, il ne faut pas investir dans les marchés émergents si le client demande un portefeuille d'actions canadiennes à grande capitalisation. C'est là un exemple extrême, mais même sans aller jusque là, ce genre d'expérience peut s'avérer très coûteuse.

Il existe d'autres dimensions du risque qui peuvent être significatives, en partie parce qu'elles sont moins évidentes. Par exemple, lors de la faillite d'un courtier à Hong Kong, à l'automne dernier, quelques investisseurs ont soudainement découvert l'importance qu'il y a de fonctionner au moyen d'analyses de crédit lors du choix d'un courtier. Songez aux risques qu'il y a, dans certains pays, de ne pas recevoir un véritable certificat d'action en échange de votre argent. Dans un pays en particulier, où nous nous étions demandés si nous allions investir, il est possible de présenter la photocopie d'un certificat d'action pour obtenir son argent.

Le président: Excusez-moi, pouvez-vous répéter? Vous venez de dire qu'une simple photocopie suffit?

M. Rocchi: Oui, on pouvait présenter une photocopie de certificat d'action pour obtenir de l'argent en retour. Avant que nous ne commencions à investir au nom de nos clients, nous analysons les risques propres au pays. Certes, les risques à l'investissement sont importants, mais nous examinons aussi les risques liés à la structure juridique pour savoir si des règlements sont possibles, s'il existe une sécurité de bonne foi en échange de l'argent remis. Vous aurez peut-être choisi la bonne action, mais pas forcément le bon morceau de papier que vous pourrez vendre ensuite.

Le président: Le même certificat aura pu être vendu à plusieurs personnes.

M. Rocchi: C'est cela. Au Canada, à cause de la règle de contenu étranger, qu'arrive-t-il au gestionnaire qui a déclaré un coût erroné pour ses placements à l'étranger? Il y a aussi le cas, plus spectaculaire encore, du gestionnaire qui utilise des produits dérivés, habituellement utiles et qui, par inadvertance, se laisse prendre un effet de levier.

Je pourrais continuer ainsi pendant longtemps à vous fournir des exemples. Le risque, malheureusement, peut vous tomber dessus sans crier gare. L'important est d'avoir une profonde compréhension des qualités, de l'expertise et des méthodes de gestion du risque du gestionnaire de placement. À quel niveau de l'organisation se situent les gestionnaires de risque? Jouissent-ils d'une véritable autorité? La structure organisationnelle peut-elle les compromettre? En fin de compte, le gestionnaire a-t-il fait l'investissement requis et a-t-il pris l'engagement de préserver et de protéger l'actif de ses clients? Après tout, il s'agit de l'argent du client.

Le sénateur Kolber: J'essaie de voir où vous voulez en venir, parce que jusqu'ici on dirait une publicité pour Barclays. Je ne vois pas où tout cela nous amène? Où voulez-vous en venir avec cela?

M. Rocchi: Nous aimerions vous dire ce qui, selon nous, est important sur le plan de la gouvernance des sociétés de placement institutionnel. Si, dans son rapport, votre comité pouvait pousser dans ce sens, ce serait un sérieux coup de pouce pour adopter soit une loi, un règlement ou une forme d'autoréglementation...

Le sénateur Kolber: Bon, mais allez-vous faire une recommandation?

M. Rocchi: Permettez-moi de passer à la question du rapport au client. Il ne suffit plus, à l'heure actuelle, de rapporter simplement le rendement d'un portefeuille à un moment précis. Trois questions critiques viennent à l'esprit lorsqu'on signale à un client tout rendement de placement ou lorsqu'un gestionnaire de placement en publie un. D'abord, quel était le rendement de l'alternative passive correspondant au mandat du client? Si le client voulait un mandat d'actions canadiennes choisies parmi l'indice boursier du TSE 300, son alternative était un fonds indiciel TSE 300. Ensuite, combien a-t-on pris de risques par rapport à cette alternative passive? Autrement dit, les risques pris par le gestionnaire au-delà du seuil correspondant à une gestion passive, ont-ils été suffisamment récompensés? Ces risques peuvent et doivent être expliqués en termes de différence de position du portefeuille par rapport à l'indice, même s'il est arrivé que le rendement du portefeuille corresponde occasionnellement à l'indice. Enfin, s'agissait-il du seul portefeuille géré dans le cadre de ce mandat ou a-t-on choisi le meilleur portefeuille parmi d'autres?

Si l'on ne répond pas à ce genre de questions, le client n'est pas informé et n'est pas en mesure de juger les qualités du gestionnaire ou sa discipline envers les mandats de ses clients, ni d'évaluer l'uniformité de ses résultats pour des portefeuilles similaires ou des clients semblables. Sans ce jugement informé, ce lien -- le plus faible de la chaîne -- retient tout le système de l'allocation efficace des placements. Beaucoup de gestionnaires au Canada se posent les mêmes questions critiques mais, malheureusement, pas tous. Trop rares sont les gestionnaires qui communiquent cette information nécessaire à leurs clients pour leur permettre de contrôler efficacement la performance de leurs portefeuilles.

Le sénateur Kolber: Pouvez-vous un peu développer votre pensée? Si un gestionnaire de placement venait me dire que, l'année dernière, il a été obtenu des rendements de 25 p. 100, je serais porté à dire que c'est pas mal. Comment peut-on mesurer le caractère passif ou actif de l'action d'un gestionnaire et le risque qu'il prend?

Vous donnez-vous autant de mal que cela pour informer chacun de vos investisseurs de ce que vous faites et de la façon dont vous le faites, et pour leur faire rapport?

M. Rocchi: Oui. Supposez que le gestionnaire ait un rendement de 25 p. 100 quand l'alternative passive ou le fonds indiciel a rapporté 32 p. 100. Est-ce que les 25 p. 100 sont un aussi bon résultat que cela? Personnellement, je dirais que non, parce qu'il aurait pu gagner 32 p. 100.

Le sénateur Kolber: Allez-vous dire à l'investisseur que vous avez fait du mauvais travail et qu'il devrait y repenser à deux fois avant de continuer avec vous?

M. Rocchi: Nous disons à nos investisseurs quels résultats nous avons obtenus par rapport à des critères externes -- que nous avons fait de mieux ou de plus mal -- et nous examinons la cause de l'écart avec nos investisseurs. L'investisseur a le droit de savoir.

Mme Katherine Taylor, vice-présidente, Barclays Global Investors Canada: L'univers du placement institutionnel est très différent de celui du placement de détail. Dans ce dernier cas, si vous prenez l'exemple d'un fonds commun de placement, vous savez qu'il s'agit d'un fonds d'actions ordinaires, mais vous pouvez ignorer le mandat particulier du portefeuille. Est-il destiné à mieux faire que la petite partie de capitalisation du marché? Est-il axé sur le capital-actions? Évolue-t-il par rapport à l'indice général TSE 300 pour permettre aux clients institutionnels d'arrêter leurs politiques et leurs objectifs de placement, assortis d'indicateurs par rapport auxquels les gestionnaires de placement pourront évaluer leur classe d'actif? C'est un peu comme un bulletin scolaire qui ferait état du rendement du gestionnaire institutionnel; c'est une carte de pointage très importante.

Le sénateur Kolber: Avez-vous un exemple de ce genre de carte pointage?

Mme Taylor: Non, mais nous pourrions nous arranger pour vous en faire parvenir une.

Le sénateur Austin: Elle illustre la concurrence entre les institutions.

Le sénateur Kolber: Je comprends cela, mais je ne comprends pas ce que nous sommes censés faire de cette carte en ce qui nous concerne.

Le président: Poursuivons, nous poserons nos questions sur cela après.

Le sénateur Kolber: C'est cela, nous allons attendre.

M. Rocchi: Je voudrais terminer en abordant l'un des problèmes les plus critiques de la gestion de portefeuille: la surveillance et le contrôle du conflit possible entre les intérêts du gestionnaire et ceux du client. Cela se passe principalement au niveau de l'arbitrage. L'exemple le plus évident se produit lorsqu'un gestionnaire achète ou vend d'abord une action pour son propre compte au lieu de l'acheter ou de la vendre pour un fonds qu'il gère. Un exemple moins évident surgit en cas d'affectation des meilleures transactions -- c'est-à-dire des achats à bas prix et des ventes à haut prix -- à un compte-client qui paie des honoraires de performance. Ou, dans un autre cas, l'affectation des mêmes «bonnes» transactions à une caisse en gestion commune à laquelle participent plusieurs gestionnaires de portefeuille de la société ou les membres de leur famille et l'affectation des transactions moins attirantes au fonds offert publiquement. Ou, dans une autre situation, la réception d'allocations préférentielles d'une OPA dans des comptes personnels en échange de transactions moins favorables qui passent par le compte du client. Le gestionnaire dirige-t-il la commission de courtage pour payer les frais de recherche et les autres services que la société utilise et, si c'est le cas, les commissions et les prix sont-ils compétitifs et pour le mieux du client?

Comme vous le voyez, plus vous songez au problème, plus il est possible d'imaginer une mauvaise conduite qui est difficilement décelable. Cependant, on peut découvrir facilement ces actions au sein d'une société de gestion de placement. Deux choses comptent ici: la première est une politique claire, cohérente et significative de la société. La seconde, et la plus importante, est l'implantation consistante et efficace de cette politique. Comment cette politique est-elle vraiment respectée? Y a-t-il un enregistrement formel des demandes de transactions personnelles et de leur disposition? L'affectation des transactions est-elle contrôlée et rapportée à la haute direction? Que fait-elle de ces rapports? Il s'agit là d'exemples d'usage importants, quelle que soit la politique.

Je vais maintenant conclure, puis formuler quelques recommandations. Nous n'avons d'ailleurs pas inclus nos recommandations dans ce document, et nous n'avons jamais eu l'intention de le faire, mais nous avons des opinions bien arrêtées sur ce qu'il conviendrait de recommander.

Nous croyons que les problèmes les plus importants de la conduite d'une société de gestion de placement résident dans le soin qu'elle apporte aux intérêts de ses clients. Ces problèmes vont de pair avec le mandat de votre commission d'examiner si l'évolution des usages de gestion de fonds est allée à la même vitesse que celle des usages de conduite responsable et ouverte qui se sont développés dans d'autres secteurs de la société. L'intérêt du client est-il d'abord considéré ou bien l'intérêt du gestionnaire entre-t-il plutôt en conflit avec celui du client. Le processus d'arbitrage des transactions fait partie intégrante de cette question et c'est l'élément le plus important de tous. Si l'on fait passer l'intérêt du client en premier, le gestionnaire a-t-il mis en place le personnel qualifié avec l'autorité requise et le soutien de la haute direction pour gérer la multitude de risques auxquels le client est confronté? Donne-t-on les informations nécessaires aux clients pour qu'ils fassent des choix susceptibles de permettre à notre système de marché de bien fonctionner?

Le rapport que produira votre comité, qu'il recommande l'adoption d'une loi, l'adoption d'un règlement ou une autoréglementation, ou qu'il recommande d'améliorer les pratiques en vigueur, sera un puissant instrument de motivation. Cela étant, pour parvenir à un système donnant effectivement le choix aux clients, les gestionnaires de placement devraient indiquer aux clients l'alternative passive de leur stratégie d'investissement, ainsi que les risques pris.

Le président: L'alternative passive étant essentiellement un fond indiciel.

M. Rocchi: C'est cela.

Le secteur de la gestion des placements devrait avoir un code d'éthique couvrant certains des conflits d'intérêt que je viens de décrire. Nous estimons que l'application de la réglementation est une dimension importante de ce code d'éthique. Sans cela, on pourrait toujours doubler le nombre de règlements ou d'interdits et ne pas obtenir plus de résultats.

En ce qui concerne la gestion du risque, les sociétés de placement devraient adopter le genre de politiques, de procédures et d'engagements en matière de gestion du risque que nous venons de décrire. Nous applaudirions à toute initiative que prendrait le comité pour encourager ce genre de meilleure pratique. Je fais ici allusion au genre de gestion de risque dont je viens de parler.

Nous avons aussi parlé du rôle des sociétés de gestion de placement institutionnel dans l'économie. Notre principal objectif est de faire ressortir que la gestion des placements institutionnels est favorable à l'économie, car elle facilite l'investissement dans les sociétés privées par le truchement d'une mobilisation rentable des capitaux. Cela nous rappelle que toutes les formules de remplacement pour les investisseurs facilitant des placements à faible coût permettent de mobiliser des capitaux, ce qui est forcément bon pour l'économie.

Enfin, un mot sur la gouvernance. Comme je vous l'ai expliqué, en tant que gestionnaires de fonds indiciels, nous estimons être dans l'obligation d'agir pour éviter d'avoir recours à la vente des actions, quand nous jugeons qu'une entreprise est mal gérée, qu'elle ne nous correspond pas sur un plan philosophique.

Le président: Pour que les choses soient bien claires, quand vous dites que vous devez agir, vous parlez du vote?

M. Rocchi: C'est exact.

Le président: Il n'est question de rien d'autre.

M. Rocchi: C'est cela. En notre qualité de gestionnaires de fonds indiciels, nous partons du principe que nous ne devons posséder aucune information que le marché ne posséderait pas et nous n'essayons donc pas de démarcher la direction des compagnies dans lesquelles nous investissons, au nom d'une certaine stratégie. Notre influence, notre action, s'exerce par le truchement du vote et nous sommes enclins à nous intéresser surtout aux structures de gouvernance des sociétés, rôle que nous jugeons important pour des gestionnaires de placement comme nous.

Le président: Voici ma première question. Comme vous appartenez tous deux à une entreprise d'envergure internationale -- mais étant entendu que vous n'êtes pas forcément au courant de tous les détails -- , quelle idée vous faites-vous des règles fédérales régissant le fonctionnement des investisseurs internationaux au Canada, comparativement à celles d'autres pays? Sommes-nous plus stricts? Sommes-nous une entité négligeable? Sommes-nous plutôt laxistes? A-t-on un certain poids sur la scène internationale?

Il y a quelques jours, L'IFIC -- l'Institut des fonds d'investissement du Canada -- a émis ses propres lignes directrices en matière d'autoréglementation. Que pensez-vous de l'autoréglementation, par rapport à un régime réglementaire plus strict?

Commencez par répondre à ma première question, parce qu'elle aura une incidence sur la réponse que vous me donnerez à la deuxième.

Mme Taylor: Il est intéressant de voir où le Canada se situe par rapport à d'autres pays, même par rapport à notre voisin du sud. Les Américains ont un organisme de réglementation, la Securities and Exchange Commission, qui contrôle tout le marché des valeurs mobilières. Cet organisme de réglementation a des pouvoirs très étendus, allant jusqu'à l'emprisonnement de simple police. Elle applique des procédures de contrôle très strictes, centralisées à l'échelle nationale. Cela n'empêche pas les dérapages, mais tout le monde sait que «big brother» surveille.

Il y a bien des commissions des valeurs mobilières partout au Canada, mais elles n'appliquent pas des règlements uniformes et il n'existe pas de dépôt central où se retrouvent toutes les données permettant de contrôler efficacement les transactions. Cela étant, il peut s'écouler beaucoup de temps avant que les irrégularités éventuelles concernant les transactions puissent être repérées. Il est relativement facile de faire certaines choses dans une autre province et de ne jamais se faire prendre.

Si je devais nous évaluer par rapport à notre voisin du sud en matière de règlement sur les valeurs mobilières, je dirais que nous traînons de l'arrière. Si nous appliquions les mêmes règlements que ceux régissant l'administration des caisses de retraite ou l'administration des actifs d'investisseurs étrangers, nous serions davantage alignés sur les États-Unis. Il est très commun de rencontrer certaines des choses que j'ai décrites plus tôt, comme les énoncés de politiques et d'objectifs en matière de placement. Ces énoncés sont la norme dans le monde institutionnel, notamment sur le marché américain, bien sûr, et en fait sur tous les marchés institutionnels développés. Sur ce plan, je dirais que nous nous classons mieux, mais ce n'est certainement pas le cas en ce qui concerne le règlement sur les valeurs mobilières.

Est-ce la réponse que vous attendiez, monsieur le président?

Le président: Oui, merci beaucoup.

Pourriez-vous maintenant nous parler de la question de l'IFIC et de l'autoréglementation?

M. Rocchi: Je vais être honnête avec vous, monsieur le président, cela remonte à deux jours à peine et je n'en ai pas pris connaissance. Tout ce que j'en sais, c'est ce que j'ai appris par les journaux et je vais devoir vous répondre de mémoire. Je dirai, d'abord, que c'est un pas dans la bonne direction, mais pour aller plus loin il faudrait que je lise le texte au complet. Ce qu'on en disait dans les journaux ne s'applique pas à tous les cas dont nous venons de parler.

Le président: Que dire du principe général de l'autoréglementation par rapport à la réglementation exercée par... Par exemple, le gouvernement fédéral réglemente les caisses de retraite.

Mme Taylor: Comme il y a pas mal de temps que j'évolue dans ce secteur, je suis devenue cynique vis-à-vis de la nature humaine. Qu'on le veuille ou non, nous avons tous tendance à l'opportunisme. Cela étant, il est difficile de passer à côté de certaines occasions de placement. Il est certainement louable d'aspirer à l'autoréglementation, mais je ne suis absolument pas convaincue que nous parviendrons à disposer de contrôles suffisamment efficaces pour que le secteur soit véritablement réglementé.

Je vais être très franche avec vous. Il nous arrive quotidiennement de reprendre des portefeuilles d'autres gestionnaires qui n'ont pas obtenu de bons rendements. Je pourrais vous raconter des histoires à vous faire dresser les cheveux sur la tête, des cas de portefeuilles administrés pour des clients institutionnels de qui on aurait pu attendre une meilleure supervision par le répondant du régime, par les conseillers extérieurs ou les administrateurs. Puisque cela se passe dans l'univers institutionnel, où il existe tout de même un certain niveau de contrôle, imaginez ce qui peut arriver sur le marché du détail où les investisseurs ne savent pas quel genre d'information recueillir ni où aller la chercher.

M. Rocchi: Bref, nous sommes sceptiques au sujet de l'autoréglementation, si c'est ce que vous vouliez entendre.

Le sénateur Di Nino: Je vais poursuivre dans la même veine. À choisir entre la réglementation d'État et l'autoréglementation, vous dites que la dernière est sans doute la plus faible. L'autre type de réglementation devra bien sûr être exercée par un organisme gouvernemental.

M. Rocchi: C'est cela.

Le sénateur Di Nino: Cela étant, dites-nous ce que vous pensez d'un organisme réglementaire national plutôt que de plusieurs organismes provinciaux.

M. Rocchi: Il y a plusieurs bonnes raisons pour mettre sur pied un organisme national de réglementation. D'abord, il y a la façon dont les non-Canadiens perçoivent le Canada. Les étrangers aimeraient qu'il existe un organisme canadien national veillant aux intérêts de tous les investisseurs. Peu importe que les commissions des valeurs mobilières provinciales soient fortes ou bien intentionnées, les étrangers estiment que nous péchons par manque d'organisme de réglementation national, ce qui est regrettable, car la crédibilité est une importante qualité sur les marchés boursiers. Il y a bien sûr bien d'autres raisons militant en faveur d'un organisme de réglementation national et le facteur coût n'est certainement pas la moindre. Il nous permettrait de mieux utiliser les sociétés de placement et, plus important encore, les ressources gouvernementales qu'on pourrait consacrer à l'application du règlement, plutôt que de leur faire remplir des dizaines de fois le même formulaire.

Le sénateur Di Nino: J'en déduis que vous appuyez l'idée d'une commission nationale.

M. Rocchi: Effectivement.

Le sénateur Di Nino: Si je comprends bien, vous êtes un intervenant étranger sur le marché canadien?

M. Rocchi: Oui.

Le sénateur Di Nino: Pour vous, quels avantages et quels inconvénients le marché canadien présente-t-il par rapport à celui d'autres pays? Soit dit en passant, dans combien d'autres pays êtes-vous présents?

Mme Taylor: Nous gérons des actifs dans plus de 50 pays et nous avons des bureaux dans six pays. Nous devons nous accoutumer aux règlements propres à chaque pays dans lesquels nous gérons des actifs.

Le sénateur Di Nino: Mais que pensez-vous de la gestion des actifs au Canada par rapport à ce que vous faites dans d'autres pays?

Mme Taylor: C'est parfois très exigeant, car il faut respecter un grand nombre de règlements différents, dont beaucoup sont désuets par rapport aux réalités actuelles du marché et dont beaucoup se contredisent mutuellement.

Le sénateur Di Nino: D'après ce que je crois comprendre du mandat du comité -- je dois vous dire que je suis membre temporaire ici, que je vais office de bouche-trou pour un collègue -- il est question d'étudier les institutions financières au Canada. Cela étant, pourriez-vous nous dire plus précisément -- c'est, je crois, ce que mes collègues essayaient de vous faire dire également -- ce que nous faisons de bien et ce que nous faisons de mal?

Dans votre réponse, vous pourriez nous donner des idées précises. Par exemple, vous pourriez parler de certains des avantages qu'il y a de traiter avec votre organisation, même si cela peut revêtir un petit caractère publicitaire; ce n'est pas grave, c'est tout à fait permis.

Mme Taylor: Il y a deux raisons pour lesquelles nous devons parler de Barclays: d'abord, il nous faut établir nos lettres de créance; deuxièmement, une partie de votre mandat porte sur le rôle des investisseurs institutionnels et nous devons vous faire comprendre les conséquences qu'il y a, pour le marché boursier canadien, d'attirer des investisseurs étrangers. Nous n'avons pas nécessairement besoin d'un environnement fermé pour réussir. En fait, ce ne serait pas la meilleure chose à faire.

Pour ce qui est de nos recommandations, nous placerons la mise sur pied d'une commission nationale des valeurs mobilières en haut de la liste. En outre, nous recommanderions l'adoption d'un ensemble de lignes directrices claires. La législation régissant le placement dans les caisses de retraite est répartie de-ci de-là. On la trouve dans différentes lois sur les valeurs mobilières ainsi que dans la Loi de l'impôt sur le revenu, pour ne citer que celles-là. On améliorerait considérablement l'efficacité des marchés si l'on combinait toutes ces mesures législatives en une seule et même loi cohérente. Ainsi, tout le monde pourrait se référer à la loi et évoluer en fonction des mêmes règles du jeu. Je crois que ce serait une très nette amélioration pour tout le monde.

Il faut faire sentir aux investisseurs étrangers que les organismes de réglementation des valeurs mobilières disposent des instruments nécessaires pour agir. Je n'ai pas besoin de vous parler de la tache que l'affaire Bre-X a laissée dans le carnet de notes du marché canadien, aux yeux des investisseurs étrangers. Les Australiens ont éclaté de rire parce qu'ils ont connu exactement le même revers dans les années 80. C'est à la suite de cette débâcle qu'ils ont adopté des lignes directrices précises relatives à l'inscription à la cote officielle d'une bourse véritablement nationale.

Ce sont là autant d'exemples du genre de choses que l'on pourrait mettre en oeuvre pour que le marché canadien des valeurs mobilières soit plus accueillant et qu'il soit plus intéressant d'y faire affaire.

Le sénateur Tkachuk: Dans votre mémoire, vous traitez de deux ou trois sujets avec lesquels le comité s'est débattu. Voyez-vous, j'ai un problème: il s'agit du droit du client de savoir. Je me demande si les sociétés de courtage sont tenues d'informer leurs clients quand elles se départissent d'actions à propos desquelles elles ont obtenu certains renseignements, et qu'elles pourraient le faire à leurs dépens. J'ai soulevé cette question l'autre jour; nous en avons un peu parlé et, bien sûr, quelqu'un a dit que le gestionnaire était tenu de communiquer ce genre d'information. J'ai appelé plusieurs amis pour savoir si cela leur était déjà arrivé et si leur courtier les avait informés.

Existe-t-il un règlement régissant ce genre de pratique ou celle-ci est-elle autoréglementée; les gens peuvent-ils insister pour que leur courtier les renseigne sur l'ensemble des actions gérées par leur société gère?

M. Rocchi: Je n'ai jamais entendu parler de règlement prévoyant ce genre de divulgation. Il y a un règlement qui concerne les courtiers qui disposeraient d'information privilégiée les mettant en conflit d'intérêt avec leurs clients. L'application de ce genre de règlement est une autre question, car bien que cela se fasse, il faut dire que ce n'est pas très répandu.

Encore une fois, pour faire la comparaison avec d'autres pays, il faut savoir qu'aux États-Unis il y a eu des causes célèbres où des gens se sont retrouvés en prison pour ce genre d'activité. Je n'ai pas vu cela ici.

Le sénateur Tkachuk: Cela ne veut pas dire que ça ne se passe pas, mais simplement qu'on n'envoie pas les gens en prison.

M. Rocchi: C'est exact. Les courtiers sont simplement tenus de déclarer s'ils ont un intérêt principal dans la transaction ou s'ils agissent en tant qu'agent. Ils sont censés faire cela. Je ne crois pas que ce soit codifié sous la forme d'un règlement, mais il y a peut-être une ligne directrice de l'IFEC.

Le sénateur Tkachuk: Nous nous sommes entretenus, ici, avec des directeurs de caisses de retraite au sujet des performances des sociétés. J'aime votre principe selon lequel vous ne devez pas être au courant de ce que d'autres actionnaires ne savent pas. Franchement, personne jusqu'ici ne nous a dit cela, ce qui veut dire que l'information circule, que les uns et les autres se parlent et que les courtiers font des choses dont les actionnaires ne sont pas au courant. Pensez-vous qu'il faudrait réglementer cette pratique?

Autrement dit, pensez-vous qu'il faudrait adopter des règlements pour éviter ce qui s'est produit? Les gens devraient-ils simplement voter, ce qui est tout à fait légitime, équitable et qui permet d'infléchir avec suffisamment de force ce que font les sociétés?

M. Rocchi: Permettez-moi de préciser une chose. Nous votons, mais nous ne disons pas que les autres investisseurs ne doivent pas avoir d'échanges avec la direction des sociétés, pour lui dire ce qu'ils pensent de ses stratégies. Nous votons pour nous assurer que le contrôle des sociétés est aussi libre que possible, que rien ne vient le gêner et que si une société n'exploite pas toutes les possibilités s'offrant à elles, rien n'empêchera un acheteur éventuel de l'acquérir. Par ailleurs, nous ne voyons pas d'inconvénients à ce qu'un investisseur institutionnel fasse part de son point de vue à la haute direction d'une société dont il possède des actions sur la façon dont celle-ci doit être administrée ou sur les stratégies qu'elle devrait suivre.

Ce qui vous préoccupe, je crois, c'est l'information qui passe de la compagnie à un petit groupe de gros investisseurs. Je suis tout à fait d'accord avec vous: ce genre de situation est dangereuse. On pourrait certainement ajouter des règles en matière de divulgation de l'information par les compagnies. La communication d'informations par les compagnies fait déjà l'objet d'un grand nombre de règles. Il est dit notamment que toute information importante, déterminante, doit être communiquée à l'ensemble des actionnaires.

Mme Taylor: L'une des raisons pour lesquelles nous ne rendons pas nécessairement visite aux compagnies dans lesquelles nous investissons tient à la façon dont nous gérons les actifs, parce qu'un gestionnaire qui veut aller chercher plus qu'un certain indice, qu'un certain repère, doit effectivement rencontrer les directeurs des compagnies pour confirmer son intuition quant à la façon dont ils conduisent leurs affaires. Cette façon d'agir fait partie intégrante du système de gestion des placements.

Comme mon collègue le disait, l'essentiel c'est que l'information communiquée par les compagnies aux gestionnaires de placement soit la même que celle qui circule sur le marché.

Le président: Quand vous décidez de voter contre la proposition d'une direction, cela se sait-il? J'ai l'impression que toute opposition de Barclays à une proposition -- étant donné ce que représente votre nom -- peut avoir un certain poids, du moins dans la presse spécialisée et auprès des autres investisseurs qui peuvent encore se demander comment voter.

Hormis ceux qui reçoivent votre vote, d'autres personnes sont-elles au courant de votre décision éventuelle de vous opposer à une position?

Mme Taylor: Dans le cadre d'un vote habituel, nous ne faisons pas savoir notre position, mais sur des questions importantes nous n'hésiterions pas à faire publiquement connaître notre intention pour essayer de nous rallier des investisseurs qui partageraient notre point de vue.

Le président: Mais en général, ce n'est pas le cas.

Mme Taylor: C'est rarement le cas.

Le sénateur Tkachuk: Vous êtes opposés à l'échelonnement des mandats des conseils d'administration. Pouvez-vous expliquer cela au comité?

M. Rocchi: Nous nous opposons à ce qu'un tiers du conseil soit élu pour trois ans se terminant, par exemple, en 1998, un autre tiers pour une autre période de trois ans se terminant en 1999, et un autre tiers pour une autre période de trois ans se terminant en l'an 2000. Nous préférons que tous les mandats d'administrateurs arrivent à échéance dans une même année, car l'échelonnement des mandats peut faire obstacle au changement de contrôle des sociétés. Selon nous, tout ce qui fait obstacle au changement de contrôle d'une société peut, à la limite, freiner l'administration efficace des sociétés.

Le sénateur Callbeck: Revenons-en à la question de l'influence sur le gouvernement d'entreprise ou la gouvernance. Vous avez dit que vous agissez par le biais du vote et vous nous avez expliqué pourquoi. De plus, vous venez juste de nous indiquer qu'en général vous ne dévoilez pas la façon dont vous allez voter.

Ce faisant, pensez-vous avoir une grande influence sur le gouvernement des entreprises?

Mme Taylor: Je pense que oui, parce que nous nous appuyons sur des lignes directrices très détaillées en matière de vote et que nous avons généralement une position largement majoritaire dans les sociétés où nous investissons. Comme nous sommes un gros gestionnaire de placement, nous connaissons bien sûr les directions de ces sociétés. Nous tenons d'ailleurs à leur disposition nos lignes directrices sur le vote. Cela n'est pas un problème pour nous, parce que nous les remettons à tous nos clients. Cela étant, nous pouvons exercer une influence assez grande sur l'administration de ces compagnies.

Le sénateur Callbeck: Diriez-vous que vous avez plus ou moins d'influence au Canada, en matière de gouvernance, que dans les autres pays?

Mme Taylor: Je dirais que c'est à peu près la même chose.

M. Rocchi: Parfois, cela dépend de la solidité de notre position sur le marché. Sur les marchés où nous possédons une part très importante, comme aux États-Unis, notre influence est relativement plus élevée. En revanche, dans des pays où notre part de marché est moindre, je dirais que notre influence est relativement moindre aussi. Quant à nos lignes directrices sur le vote, elles sont accessibles à tous ceux qui veulent les connaître.

Le sénateur Callbeck: Est-il vrai, selon vous, que les gestionnaires de placement qui gèrent en fonction d'un indice plutôt qu'en sélectionnant des actions ici et là, ont tendance à moins se préoccuper de la gouvernance des entreprises?

Mme Taylor: C'est ce que pensent certains, parce que les gestionnaires de ce genre ne rendent pas visite aux administrateurs des compagnies dans lesquelles ils investissent. Cependant, j'estime que tout dépend en fait de leur politique en matière de vote, parce qu'on peut avoir autant d'influence sur la gouvernance par le vote que par le démarchage des conseils d'administration. Je dirais donc que tout dépend de l'analyse à laquelle vous vous livrez relativement au vote.

Le sénateur Callbeck: Pensez-vous que cette forme d'activisme institutionnel va se répandre?

Mme Taylor: Si ce qui se passe aux États-Unis est une tendance, je vous dirais oui. CalPERS nous en donne un exemple parfait et très connu. Plus ce genre de mise en commun de capitaux prend de l'importance et plus l'actionnariat prend de l'ampleur. Je ne veux pas critiquer la politique canadienne en matière de contenu étranger, mais la concentration en matière de contrôle des sociétés au Canada est exacerbée, parce qu'une importante proportion des actifs des caisses de retraite sont placés ici. Donc, je vous réponds par l'affirmative: cette tendance devrait se confirmer dans l'avenir.

Le sénateur Callbeck: Que pensez-vous de la règle des 20 p. 100?

M. Rocchi: Nous pensons que les Canadiens et les Canadiennes, comme l'ensemble des investisseurs d'ailleurs, bénéficieraient d'un maximum de diversification dans les placements, notamment à l'étranger. Dans les pays où il n'existe aucun plafond, l'expérience démontre qu'en moyenne les gens investissent au maximum 30 à 40 p. 100 de leurs actifs dans un autre pays. Nous ne pensons pas que le haussement de ce plafond donnera lieu à un important mouvement de capitaux vers l'étranger, et nous pensons plutôt que cela se fera de façon graduelle et sera d'une ampleur limitée.

Mme Taylor et moi-même avons pris connaissance du rapport d'un expert conseil portant sur les pratiques de divers pays en matière de limitation des investissements. Deux pays seulement dans le monde plafonnent les sommes pouvant être investies à l'étranger pour faire l'objet d'une exonération fiscale ou d'une imposition reportée.

Le président: Quel est l'autre?

M. Rocchi: L'Afrique du Sud.

Mme Taylor: Nous avons également tendance à oublier que ce genre de plafonnement revient à dire aux autres pays, comme l'Angleterre, l'Allemagne ou la France, que si leurs ressortissants peuvent investir autant qu'ils le veulent au Canada, nous ne leur renvoyons pas l'ascenseur. Dans cette ère placée sous le signe de la mondialisation, on ne peut pas dire qu'on se montre ainsi très ouvert sur le monde, même si l'on fait abstraction de toutes les théories modernes de gestion des portefeuilles et de rentabilité des marchés.

Le sénateur Austin: Considérez-vous que votre droit de vote est assorti d'une valeur telle que vous pourriez le vendre?

Mme Taylor: On ne nous a jamais demandé cela. Je dirais que le droit de vote est étroitement lié à la valeur du service que nous offrons à nos clients et je vous répondrai donc par la négative.

Le sénateur Austin: Mais s'il représente une certaine valeur pour vos clients et que vous puissiez le vendre, pourquoi répondez-vous par la négative?

M. Rocchi: Parce que l'argent que nous percevrions ne retournerait pas à nos clients, pas chez Barclays. C'est sans appel. Si l'un de nos fonds de mise en commun cédait ce genre de droits -- et vous ne devez pas oublier que nos détenteurs d'unité changent constamment, que les gens vendent et achètent -- , ceux qui bénéficieraient de la vente de tels droits pourraient ne pas être les mêmes que ceux qui seraient privés de l'avantage associé au privilège du vote. Je ne pense pas que nous pourrions parvenir à gérer une telle opération de façon équitable.

Sinon, je ne doute pas que nous pourrons continuer de remplir notre rôle de fiduciaire vis-à-vis de nos clients. Bien que ce que vous évoquiez soit possible en théorie, je crois que nous aurions tout de même des réserves à vendre notre droit de vote, même si nos clients actuels devaient en profiter financièrement. Je crois que nous craindrions tellement de ne plus pouvoir assumer notre rôle de fiduciaire, que nous ne le ferions pas.

Le sénateur Kolber: Tout à l'heure, mon collègue vous a posé une question au sujet des renseignements d'initiés et de l'adoption éventuelle d'un règlement à cet égard; mais n'existe-t-il pas déjà toute une gamme de dispositions régissant ce genre de chose dans le droit commercial? J'avais l'impression que c'était déjà là. Les compagnies avec lesquelles je traite sont extrêmement prudentes dans leurs communications avec l'extérieur.

Mme Taylor: Il existe effectivement des dispositions en droit, mais celles-ci se trouvent dans les lois sur les valeurs mobilières.

Le sénateur Kolber: Il a des lois qui régissent cela?

Mme Taylor: Oui.

Le sénateur Kolber: Vous conviendrez avec moi que les actionnaires canadiens ne sont pas très activistes. Aux États-Unis, les réunions d'actionnaires durent six ou sept heures, et toutes sortes de gens envoient des lettres d'investisseurs ou que sais-je encore. Au Canada, ce genre de réunion dure peut-être 22 minutes, après quoi tout le monde va manger.

Mme Taylor: Voulez-vous que je vous dise que les Canadiens sont apathiques?

Le sénateur Kolber: Oui.

M. Rocchi: Pour ce qui est de la réglementation, il faut dire, par rapport à ce qui se fait au Canada, la Securities and Exchange Commission américaine facilite considérablement la tâche des particuliers désireux de faire passer des propositions compétitives dans des circulaires de sollicitation de procurations.

Le sénateur Kolber: Ils en profitent pour faire des affaires.

M. Rocchi: C'est ce qui explique la durée des réunions.

Le sénateur Kolber: Vous dites qu'à cause de Bre-X, la fiche de route du Canada est entachée. Je n'en doute pas, mais peut-on légiférer contre la fraude? Pensez-vous que la Bourse de Toronto ait un personnel suffisant pour dépêcher quelqu'un en Indonésie ou ailleurs afin de voir s'il y a bien de l'or?

Mme Taylor: Non, il n'est pas question d'attendre de la bourse qu'elle effectue une vérification indépendante des résultats de toutes ses sociétés -- ce qui serait tout à fait irréaliste --, mais plutôt que les compagnies soient tenues de déposer plus régulièrement des prospectus à jour.

Le sénateur Kolber: Mais que faire quand ces compagnies mettent régulièrement à jour leurs données frauduleuses?

Mme Taylor: Je suis d'accord avec vous: il n'est pas possible de légiférer contre cela. Si je me souviens bien, dans le cas de Bre-X, le prospectus qui a été redéposé plusieurs fois à la bourse était daté du début des années 90. On ne peut pas dire que l'information était à jour au moment de la publication de la cote officielle.

M. Rocchi: Si l'on obligeait les gens à signer un document de divulgation de type prospectus on augmenterait les chances de déceler les fraudes, quoique... si l'information est suffisamment bien cachée, vous avez tout à fait raison, on ne peut rien faire.

Le sénateur Kolber: On peut très certainement affirmer que la Bourse de Toronto n'est pas assez vigilante vis-à-vis de ce genre de manipulations. Je sais qu'elle est en train de faire quelque chose à ce sujet, mais le moins qu'on puisse dire c'est qu'elle a été lente à s'y mettre.

Le sénateur Austin: Je veux revenir sur une question qui a été posée plus tôt relativement à l'autoréglementation, par opposition à un règlement du gouvernement ou du Parlement. Vous estimez qu'il faut s'appuyer sur des normes objectives s'inspirant d'un processus démocratique d'évaluation des problèmes, mais que diriez-vous d'un code de conduite qui ne serait pas géré par le gouvernement? Pourrait-on s'en remettre à l'industrie et demander à votre secteur de faire rapport au Parlement une fois par an sur sa performance en regard de certaines normes? Pensez-vous que cela pourrait fonctionner ou qu'il vaudrait mieux s'en remettre à un groupe de fonctionnaires impartiaux, appartenant ou non à l'industrie?

Mme Taylor: Il vaudrait peut-être mieux, et à bien des égards, que ces gens-là appartiennent à l'industrie, parce qu'ils comprendraient tous les trucs du métier qu'ils pourraient effectivement combattre. Un organisme du secteur, l'Association of Investment Management Research -- AIMR -- englobe un grand nombre de sociétés de gestion de placement aux États-Unis. Tous les analystes financiers agréés font systématiquement partie de cette association et ils sont investis du pouvoir et de l'autorité que leur confère cette association pour évaluer le comportement des courtiers par rapport à un code d'éthique et à des normes professionnelles; ils peuvent éventuellement leur retirer l'agrément, ce qui consiste simplement à leur refuser la désignation professionnelle. Il n'en demeure pas moins que c'est un moyen de dissuasion efficace.

Vous vouliez savoir s'il fallait confier cela à un organisme de l'industrie sanctionné par le gouvernement.

Le sénateur Austin: C'est cela. Le gouvernement créerait le régime normatif, qui serait administré par des employés de cette entité et non par des fonctionnaires. Tout cela se ferait en fonction des normes de l'industrie. Les compétences existent et il reviendrait au secteur privé de payer les employés voulus au taux courant du marché. Vous ne pouvez pas opposer un fonctionnaire touchant 70 000 $, et qui n'évolue pas quotidiennement dans l'industrie, à quelqu'un qui touche 300 000 $ dans le secteur privé et qui est quotidiennement sur le marché. La deuxième question est de savoir comment mettre sur pied le régime qui va fonctionner.

Cette question est étroitement liée à celle des sanctions. Cet organisme pourrait appliquer des sanctions, en vertu de la loi qu'il administrerait. Outre des amendes, quelles sanctions pourrait-on appliquer en cas de divulgation inadéquate ou de refus de divulgation, ou encore de non-respect de certains autres critères? Ces normes seraient-elles efficaces pour réglementer la conduite des intervenants? Est-ce que les gens se secoueraient les puces s'ils pensaient que le milieu du placement se fait dire qu'il n'est pas très compétent?

M. Rocchi: Tout d'abord, il faut dire que crédibilité et réputation sont les deux piliers sur lesquels s'appuie la responsabilité fiduciaire.

Deuxièmement, les commissions des valeurs mobilières peuvent appliquer certaines sanctions obligeant automatiquement tous ceux qui contreviennent au règlement à cesser immédiatement leurs activités commerciales. Donc, il existe déjà certaines sanctions, mais celles dont vous parlez pourraient tout à fait bien fonctionner.

Le sénateur Austin: Je ne parle pas ici de comportement des particuliers; je veux en fait parler du fonctionnement des sociétés, des problèmes d'irrégularités dont vous parliez plus tôt, des questions de divulgation, par exemple, de l'obligation de déposer un rapport trimestriel contenant des informations à jour. On exigerait des administrateurs d'entreprises qu'ils signent ce genre de documents de divulgation et qu'ils assument personnellement la responsabilité des inexactitudes; bien sûr, si ce rapport n'était pas déposé, on pourrait toujours pousser les représailles d'un cran. Jusqu'à quel point devrions-nous aller?

M. Rocchi: Vous avez raison, on pourrait toujours pousser d'un cran. Et puis, il y a le rapport qui est un pas dans cette direction. Plusieurs dépositaires de fonds communs de placement et sociétés de gestion de placement produisent des rapports et sont soumis à des vérifications portant sur les opérations d'arrière-guichet dont nous avons parlé. Cela exige un examen indépendant, une lettre de l'administration.

J'ai toujours aimé l'idée d'une lettre de représentation signée par un cadre supérieur de l'entreprise concernée. Cette formule responsabilise les dirigeants en cas de renseignements erronés; c'est alors ceux qui doivent être tenus pour responsables qui le sont effectivement. Les gens réfléchissent à deux fois avant de signer et font preuve de la prudence voulue.

Le sénateur Austin: C'est là qu'intervient le poids de la gouvernance, parce que les administrateurs savent à quoi ils s'exposent. On dirait qu'en matière de réglementation des institutions financières, on durcit la position, un peu à la façon de ce qui se fait aux États-Unis et qui est connu d'entrée de jeu, du style: «Ne commettez pas d'erreur, parce que personne ne sera là pour vous rattraper». Autrement dit, l'atterrissage risque d'être dur... c'est le genre d'attitude qui semble devoir s'imposer, si l'on veut avoir la certitude que les gens font preuve de la prudence nécessaire, que le gouvernement d'entreprise est à la hauteur des normes établies.

Si je comprends bien ce que vous avez dit, vous préféreriez ce système, n'est-ce pas?

M. Rocchi: Oui, nous préférerions l'approche plus dure. Nous estimons que c'est la meilleure façon de protéger les intérêts des clients. Je crois que vous l'avez fort bien décrit.

Le sénateur Kelleher: J'espère que je ne vais pas trop vous mettre sur la sellette avec ma prochaine question, mais cela ne m'empêchera pas de vous la poser. Vous nous avez dit que votre entreprise est présente dans le monde entier et vous connaissez donc certainement très bien les principes d'accumulation de capitaux et d'investissements dans les institutions financières. Je suis certain que vous connaissez très bien les opérations bancaires dans les différents coins de la planète et que vous êtes au fait du phénomène de mondialisation qui se produit dans ce secteur.

Jusqu'ici, quatre des cinq grandes banques à charte canadiennes envisagent des fusions. Elles sont venues ici nous présenter leurs arguments en invoquant la mondialisation, la difficulté d'accumuler des capitaux et le fait que le Canada devra, lui aussi, rentrer dans la danse. En d'autres termes, elles estiment que plus elles seront grosses, mieux cela vaudra.

Qu'en pensez-vous?

M. Rocchi: Je dirais plutôt: «Plus gros si nécessaire, mais pas nécessairement plus gros».

Le sénateur Kelleher: C'est-à-dire?

M. Rocchi: J'examinerais les faits et les circonstances propres à chaque situation.

Le sénateur Kelleher: Je veux parler de ce qui se passe au Canada et des quatre banques qui envisagent ces fusions.

M. Rocchi: Oui, et je suis certain que les quatre banques en question sont elles-mêmes très bien placées pour expliquer les avantages des fusions pour le Canada.

Le sénateur Kelleher: Nous aurions aimé recueillir l'avis indépendant d'une personne qui investit éventuellement dans ces institutions.

Le sénateur Austin: Mais avant tout, vous devez nous dire comment Barclays se compare à ces banques, sur le plan de la taille.

Le président: Barclays est beaucoup plus gros. Je me trompe?

M. Rocchi: Non, c'est ça. Les banques sont un amalgame d'entreprises; elles ne sont pas une entreprise unique. Pour certaines de ces entreprises, la taille est importante, alors que pour d'autres, je ne pense pas que ce soit le cas. Cela étant, il est indéniable que plus une banque est grosse, plus elle peut prendre des risques variés et diversifiés dans ses activités de prêt et plus elle est en mesure d'être un intermédiaire efficace dans le transfert de capitaux à l'intérieur d'un pays.

L'idée d'une grande banque qui a les moyens d'investir davantage dans les entreprises est intéressante, mais plus pour les actionnaires que pour les autres. Ainsi, la taille d'une banque peut être généralement intéressante dans certains cas, mais dans d'autres cette notion l'est surtout pour la banque elle-même.

Mme Taylor: Je soulignerai le corollaire à cela: la question de la concurrence. Si l'on passe de quatre grandes banques à deux ou trois très grandes banques, on se heurte à la question du service à la population canadienne. L'une des façons de se protéger sur ce plan, et qui risque de ne pas séduire les banques, consisterait à ouvrir les frontières et à égaliser quelque peu les règles du jeu. Il serait ainsi plus intéressant à d'autres de venir sur ce marché pour servir la population canadienne et ainsi maintenir la concurrence bancaire.

Le sénateur Kelleher: Supposons, pour un instant que les fusions n'aient pas lieu, pour une raison ou une autre. Pensez-vous que le Canada en souffrirait? Oubliez les banques pour un instant, c'est quelque chose de différent, pensez au Canada, à ce pays: le fait que les fusions n'aient pas lieu risquerait-il de porter tort au Canada?

M. Rocchi: Au début, je crois que les marchés financiers seraient perturbés, parce que le reste du monde aurait du mal à comprendre pourquoi une fusion du genre pourrait ne pas être bénéfique pour le pays. Ils pourraient craindre que cette opposition à la fusion ne soit en fait un obstacle à la consolidation et à l'efficacité ce qui, le cas échéant, porterait tort à long terme aux possibilités de revenus et aux marchés financiers. Selon moi, c'est ce que penseraient les marchés financiers dans un premier temps.

Le sénateur Kelleher: Et dans un deuxième temps?

M. Rocchi: Dans un deuxième temps, tout dépendrait de la véritable raison pour laquelle la fusion n'aurait pas eu lieu.

Mme Taylor: J'ajouterai que cela dépendrait également de la façon dont le marché continuerait de fonctionner par la suite. Si rien ne bouge et si l'on suppose que ce marché demeure fermé aux banques étrangères, à terme, les Canadiens et les Canadiennes bénéficieraient d'un moins bon service bancaire, parce qu'ils paieraient éventuellement plus de frais que si ce milieu était ouvert à la concurrence.

Le sénateur Stewart: On nous dit qu'une des principales conséquences de l'Union monétaire européenne sera la rationalisation du secteur bancaire en Europe et que cette rationalisation ne se limitera pas simplement au secteur bancaire mais qu'elle touchera la quasi-totalité des établissements financiers. Étant donné l'expérience internationale de Barclays, pensez-vous que le Canada ait de quoi se livrer à une rationalisation en profondeur de ses intermédiaires financiers? Deuxièmement, pourquoi n'envisagerions-nous pas une rationalisation à l'échelle nord-américaine?

Si je vous pose cette deuxième question, c'est qu'hier soir, le comité sénatorial permanent des affaires étrangères a accueilli un témoin faisant autorité. Cette personne a déclaré que ce qui se passe en Europe, c'est-à-dire le passage à une monnaie commune, pourrait fort bien être le signal pour une opération semblable en Amérique du Nord.

Pourrions-nous vraiment parvenir à améliorer l'économie en éliminant les banques qui sont excédentaires? On nous a dit qu'à cause de cela 50 000 personnes vont perdre leur emploi en Europe.

M. Rocchi: Sans aller à parler d'une monnaie nord-américaine, je dois dire que les économies canadiennes et américaines sont intégrées au point qu'il n'y a presque plus de différence entre les deux.

Le sénateur Stewart: Je parlais des banques.

M. Rocchi: Très bien. Vous voulez savoir si les trois grandes banques avec lesquelles vous allez éventuellement vous retrouver au Canada ne seront pas encore trop nombreuses. Comme Mme Taylor vient de le dire, du point de vue concurrentiel, les clients n'auront que trois choix. Ce ne sera pas beaucoup. Dans ces conditions, si l'on est mécontent du service d'une banque, il n'en reste plus que deux. Personnellement, j'aimerais qu'il y ait plus de trois fournisseurs de services financiers pour les Canadiens. Mme Taylor a dit qu'il serait possible d'atténuer certaines des inquiétudes relatives à la concentration bancaire en ouvrant le milieu à la concurrence.

Je ne crois pas que la base de coûts des institutions ou des intermédiaires financiers canadiens -- coûts répercutés sur les clients des services financiers -- soit très élevée.

Je ne vois rien suggérant que le Canada soit affublé d'un moteur de services financiers mal équilibrés, compliqués et coûteux pour ses clients.

Le président: Eh bien, Mme Taylor et M. Rocchi, je vais vous remercier de nous avoir réservé un peu de temps dans vos horaires très chargés.

Nous accueillons maintenant M. Michael Grandin. Nous vous écoutons.

M. Michael Grandin, vice-président à la direction et chef des finances, Canadien Pacifique Limitée: Bonsoir, madame et messieurs.

Si cela vous convient, je commencerai par quelques remarques liminaires destinées à répondre aux trois questions contenues dans les documents qu'on nous a adressés.

Le président: Ce serait très bien. Inévitablement, nous vous demanderons de développer vos idées, mais nous pouvons toujours commencer par-là.

M. Grandin: Je suis sûr que tout le monde connaît Canadien Pacifique Limitée et je vous épargnerai donc l'historique de la compagnie. Cependant, comme nous allons parler d'investisseurs institutionnels et de leurs intérêts dans les grandes compagnies, je dois vous signaler que selon un sondage du Financial Post, Canadien Pacifique Limitée se place au sixième rang, à l'exclusion des quatre grandes banques, en matière de valeurs boursières au Canada; nous sommes dixièmes si l'on compte les banques. Inutile de dire que Canadien Pacifique est une grande compagnie au grand passé. Elle est très connue en Europe et aux États-Unis.

En ce qui me concerne, sachez que j'ai été cadre supérieur à Dome Petroleum, à l'époque où la compagnie a vécu son déclin. J'ai passé six ans dans l'univers des banques d'investissement et j'ai vécu plusieurs fusions, acquisitions et restructurations. J'ai également été chef des services financiers à PanCanadian, pendant ce que j'appellerai sa phase de rajeunissement. Ce fut un véritable plaisir. J'étais président-directeur général de Sceptre Resources, quand la compagnie a été vendue.

Le président: Vous avez connu les deux côtés de la barrière.

M. Grandin: Pour ce qui est de votre question au sujet de l'influence des investisseurs institutionnels sur l'économie canadienne, si j'ai bien compris, vous voudriez surtout disposer de statistiques à cet égard. Eh bien, sachez que la valeur boursière de Canadien Pacifique frôle aujourd'hui les 15 milliards de dollars. Nous avons près de 340 millions d'actions en circulation, valant chacune 43 ou 44 $. Nous représentons donc une importante valeur boursière. Le plus gros actionnaire possède moins de 10 p. 100 de la compagnie: S.C. Bernstein & Company, qui a 9,8 p. 100 des parts. Les actions sont donc très largement distribuées. Près de 87 p. 100 des actions sont détenues par des investisseurs institutionnels et 13 p. 100 par des particuliers.

Cinquante-deux pour cent des actions sont détenues au Canada, 44 p. 100 le sont aux États-Unis et le reste est dans les mains d'investisseurs étrangers hors Amérique du Nord. Les 25 plus gros porteurs de titres de Canadien Pacifique détiennent 50 p. 100 de la valeur totale des actions. Les analystes du secteur du placement répartissent les investisseurs en différentes catégories. Eh bien, s'ils analysaient la situation des 25 plus gros détenteurs de titres de Canadien Pacifique, ils constateraient que 17 sont des investisseurs à long terme, autrement dit des gens qui envisagent de maintenir leurs placements pendant au moins trois ans; cinq sont des investisseurs à moyen terme, c'est-à-dire qu'ils envisagent de conserver leurs actions pendant 18 à 36 mois et les trois autres sont des investisseurs à court terme.

Notre base d'actionnaires est donc essentiellement composée d'investisseurs à long terme, de gens qui sont beaucoup plus intéressés par la valeur intrinsèque des titres boursiers que par leur rythme de croissance. Ils sont aussi moins influencés par les variations hebdomadaires et trimestrielles des revenus de compagnies et des résultats déclarés, sauf bien sûr quand ils considèrent que de tels résultats correspondent à une tendance lourde.

Vous savez sans doute que Canadien Pacifique a entamé une importante réorganisation de ses opérations en 1994. Elle s'est départie de cinq entreprises, a restructuré son capital primaire et s'est consacrée à ses cinq entreprises restantes, le tout sous l'oeil scrutateur des investisseurs institutionnels. On pouvait donc s'attendre à un important roulement des actionnaires de la compagnie, ce qui fut le cas puisque énormément de nos actions ont changé de mains. En 1996, une fois la réorganisation terminée, le volume des transactions a porté sur plus de 90 p. 100 des actions ordinaires en circulation. Cela étant dit, 14 de nos plus grands investisseurs d'aujourd'hui étaient déjà actionnaires en 1994. Leurs portefeuilles sont différents, mais ils demeurent des actionnaires importants de Canadien Pacifique, si bien que notre base institutionnelle est très stable.

Par ailleurs, le volume annuel moyen est de 75 p. 100 de la totalité des actions en circulation, ce qui fait que nous avons une importante liquidité dans ces actions. Une grande partie des transactions interviennent à la hausse comme à la baisse. Cela vous donne une idée du type de participation.

Pour les gestionnaires de caisses de retraite et les dépositaires de fonds communs de placement, ces statistiques ont tendance à être quelque peu troublantes. Comme je le disais, S.C. Bernstein détient près de 10 p. 100 de notre société. Cette firme de courtage gère les fonds pour un grand nombre de caisses de retraite, pour des particuliers et autres.

Quand on additionne tous les stocks des caisses de retraite et les stocks de fonds communs de placement, les titres de Canadien Pacifique représentent les fonds de retraite et les fonds mutuels les plus importants en Amérique du Nord. Ils totalisent 22 p. 100 des actions, ce qui est une proportion relativement faible. Près de 9 p. 100 des actions sont détenues par les 10 plus grandes caisses de retraite canadiennes et 3 p. 100 par les plus grandes caisses de retraite américaines. Ces chiffres sont intervertis en ce qui concerne les fonds communs de placement, puisque 6 p. 100 seulement sont détenus par les 10 premiers fonds mutuels américains alors que les fonds mutuels canadiens n'en détiennent que 4 p. 100.

Cela est indicatif du fait que notre actionnariat est relativement concentré chez des gestionnaires professionnels dont la performance est de plus en plus jugée en fonction de leurs propres étalons et de la performance de leurs collègues.

Tout comme cela a été dit dans vos échanges du début, nous serions, nous aussi d'accord que les nouveaux gestionnaires de placement entretiennent moins de liens avec le milieu corporatif canadien. Cela veut dire qu'un grand nombre de nouveaux gestionnaires seront plus susceptibles d'adopter une approche agressive et moins portés à la prudence normalement associée à la fréquentation étroite des conseils d'administration de compagnies.

Il y a également les organismes à but lucratif qui font l'objet de beaucoup de pressions pour se détacher sur le marché. Ces organismes sont de plus en plus capables et de plus en plus motivés pour être plus actifs parmi les institutions de placement. Ils ont surtout tendance à s'intéresser au prix des actions, c'est-à-dire à jouer le court terme, ce qui n'est pas forcément le meilleur indicateur de performance de gestion.

Pour répondre à votre question sur la façon dont ces institutions exercent leur influence, je crois pouvoir reprendre ce qui est indiqué dans vos documents, c'est-à-dire qu'il existe trois catégories. Il y a d'abord ceux qui votent pour montrer leur désaccord. Il y en a encore beaucoup de ce genre. Il y a également ceux qui, encore plus nombreux, essaient de prendre langue avec les compagnies, d'amener les directions à se ranger à leur avis. Enfin, la dernière catégorie est composée d'un petit nombre, tout de même en augmentation, d'institutions qui commencent par acheter suffisamment d'actions pour obtenir un siège au conseil d'administration, puis qui essaient d'intervenir par le biais d'une action «catalytique» pour apporter des changements dans la société.

Nous n'avons jamais eu affaire à des investisseurs du dernier groupe. On les retrouve davantage dans les entreprises en difficulté, comme MacMillan Bloedell et Moore.

Pour ce qui est des institutions qui votent pour exprimer leur mécontentement, leur influence est indirectement ressentie au niveau du prix des actions. Je ne vais pas passer beaucoup de temps à vous en parler.

Je préfère m'attarder au groupe du milieu, à ceux qui veulent négocier. Nous avons constaté que les représentants de ce genre d'institutions sont très bien informés et qu'ils se livrent à des analyses complètes de la compagnie et de leurs concurrents. En outre, ils sont tout à fait au courant des rumeurs qui circulent. Ils sont portés à donner des avis, à faire des suggestions et à formuler des recommandations davantage axées sur l'organisation financière à court terme de la société plutôt que sur la planification stratégique à long terme et sur l'affectation des capitaux. Il est souvent difficile de faire la différence entre un avis authentique et une manoeuvre dilatoire visant à obtenir des renseignements de la direction et, ainsi, être mieux informé que la concurrence. Il est souvent difficile d'évaluer les motifs de nos interlocuteurs.

Si une seule institution du genre vient nous voir et exprime d'importantes réserves, il y a fort peu de chance pour qu'elle ait une influence sur nos actions, à moins qu'elle découvre quelque chose. Dans ce cas, nous corrigerions bien sûr notre évaluation. Sinon, il est fort peu probable que ce genre d'intervention puisse avoir une incidence sur la conduite de nos affaires. Cependant, si plusieurs actionnaires importants viennent nous faire part des mêmes inquiétudes, il est évident que cela peut avoir des répercussions sur nos actions, à moins que nous ne divulguions notre position et précisions nos plans au public.

De deux choses l'une: soit nous estimons que nos interlocuteurs n'ont pas vraiment compris ce que nous faisons de bien, soit ils soulèvent des réserves que nous nous devons de prendre en considération. Il est intéressant de remarquer, à ce propos, que même si la direction est responsable vis-à-vis des actionnaires, par le truchement du conseil d'administration, l'interaction et la rétroaction avec l'actionnaire se déroulent à l'extérieur du conseil d'administration et le dialogue se limite strictement à la direction d'un côté et aux actionnaires de l'autre.

Dans les documents que vous nous avez fait parvenir, vous avez posé une question au sujet des votes, question qui rejoint donc la précédente. Au CP, nous n'avons jamais fait l'objet d'une remise en question par le biais des votes. Nous n'avons jamais vu de gestionnaires extérieurs essayer d'influencer notre gestion ou nos activités quotidiennes. Il arrive souvent que les gens prétendent disposer d'informations, mais je puis vous assurer, si je me fonde sur les contacts que j'ai eus, que les investisseurs disposant d'informations privilégiées ne viennent pas souvent nous voir. Du moins, si je me fie à ma propre expérience, jamais aucun d'eux n'est venu me communiquer des renseignements d'initié.

Certains d'entre eux, comme vous le savez, siègent au conseil. Certains associés principaux de sociétés de placement institutionnel, ceux qui possèdent sans doute un contrôle interne, siègent aux conseils d'administration des sociétés. Un grand nombre d'institutions refusent ce genre de choses à cause du conflit évident que cela soulève, du moins dans les apparences. C'est tout ce que je peux dire sur la façon dont ces gens-là exercent leur influence.

Votre dernière question avait trait à la façon dont les investisseurs institutionnels sont eux-mêmes régis. Je ne m'occupe pas de gouvernance des caisses de retraite, mais sachez que Canadien Pacifique Limitée a l'une des caisses de retraite les plus vieilles et les plus importantes du Canada. Elle a été créée en 1902 et a été transformée en caisse fiduciaire de retraite en 1937, à laquelle les employés peuvent contribuer. Aujourd'hui, elle pèse 5 milliards de dollars. Elle est gérée à l'interne, de façon active et non passive. C'est une caisse qui a pris de la bouteille et je crois que les deux tiers de ses actifs sont affectés à des retraités. Les sorties de fonds sont supérieures aux rentrées, c'est-à-dire que les contributions sont inférieures aux prestations depuis 1984. À bien des égards, c'est un régime intéressant.

Nous considérons cette caisse de retraite comme une entreprise, avec son actif et son passif, ses revenus et ses dépenses qu'il faut gérer en fonction d'objectifs de revenus. Nous administrons ce fonds par le truchement du conseil d'administration. Celui-ci a créé ce que nous continuons d'appeler le «comité de la caisse fiduciaire de retraite», nom qui remonte à l'époque où la caisse était une fiducie. Le comité a pour fonction d'établir la politique de placement, de déterminer la combinaison des avoirs et de fixer les étalons de performance. Le comité se rencontre deux fois par an pour examiner le bilan, la politique et la performance par rapport à ces étalons.

Il y a aussi deux sous-comités et un autre groupe. Le premier sous-comité est ce que nous appelons le «comité de la caisse de retraite», et il est composé de cadres, d'employés et de retraités. Son rôle est double. D'abord, il a un rôle essentiellement administratif, en ce sens qu'il se penche sur la façon dont les prestations sont administrées, sur ce qu'il advient des excédents et sur des questions du genre; en outre, il se veut un mécanisme de communication entre la direction et les différents intervenants du régime. Ce sous-comité se rencontre deux fois par an pour étudier toutes ces questions.

Nous avons aussi un «comité de la politique», composé de membres de la haute direction de Canadien Pacifique et de certaines de ses filiales. Ce sous-comité travaille en collaboration avec le gestionnaire interne de la caisse de retraite, il fournit des conseils sur le marché financier pour aider le gestionnaire de la caisse et il statut, sur les recommandations du gestionnaire, relativement à la combinaison des avoirs, à la politique de placement et aux instructions à donner aux gestionnaires. Le comité se réunit avec le gestionnaire tous les deux mois.

Nous avons aussi ce que nous avons appelé le «groupe des gestionnaires de la caisse de retraite», qui est composé de 15 à 20 personnes. Comme je le disais, ce groupe gère de façon active et non passive. Son rôle fondamental est d'administrer l'argent. C'est lui qui prend les décisions d'achat et de vente en fonction de ses propres lignes directrices et des systèmes d'approbation du comité. La rémunération de ces gestionnaires est liée au rendement calculé en fonction d'étalons établis pour les différentes catégories dans lesquelles nous investissons; même le président de la caisse de retraite obéit à cette formule. Une grande partie de la rétribution de ces gens-là est fonction de leurs réalisations d'après les étalons établis pour deux périodes: le court terme, c'est-à-dire un an, et le moyen terme, soit quatre ans, ce qui semble être la norme adoptée dans le secteur des caisses de retraite.

Nous exerçons notre droit de vote en nous pliant généralement aux lignes directrices suggérées par les analystes financiers agréés, dont les témoins précédents vous ont parlé.

Traditionnellement, les caisses de retraite privées n'ont jamais été très dures envers les directions des entreprises dans lesquelles elles investissaient. C'est peut-être un peu moins vrai aujourd'hui, car il nous arrive assez régulièrement de voter contre les dirigeants. Cependant, je ne pense pas que nous devrions, au stade où nous en sommes, prendre la tête d'un mouvement de dissidence. Si nous avions une opinion très arrêtée contre une décision ou une orientation, nous voterions probablement contre, en même temps que les autres, mais nous ne chercherions pas à mobiliser les foules.

En conclusion, l'augmentation du nombre de réactions que nous obtenons de la part des institutions, même les plus agressives, nous apparaissent à la fois utiles et très importantes. Sans égard au fait que cette information est communiquée en marge du processus normal de dialogue avec le conseil d'administration, nous ne répondrons jamais à ce genre d'intervention en modifiant notre comportement ou notre orientation sans en avoir beaucoup discuté lors d'une réunion du conseil. Nous estimons que, en général, le système fonctionne. Nous ne réclamons certainement pas plus de règlements dans ces domaines.

Le président: Merci, monsieur Grandin, de nous avoir fait part d'un point de vue très intéressant.

Vous avez parlé des investisseurs institutionnels dont certains gestionnaires siègent aux conseils des entreprises dans lesquelles ils investissent. Je ne vous ai pas entendu dire que c'est là une mauvaise idée. Pourtant, vous avez parlé du problème du conflit d'intérêt évident qui peut surgir dans ce genre de situation. Vous partez du principe que les investisseurs institutionnels ont une façon de contourner la difficulté. Je déduis de vos remarques que vous préféreriez une situation dans laquelle les investisseurs institutionnels ne seraient pas représentés aux conseils d'administration. C'est cela?

M. Grandin: Il y a peut-être une meilleure façon pour moi de répondre à votre question. Si j'étais à leur place, je serais très mal à l'aise que ma caisse m'envoie siéger au conseil d'administration de quelqu'un d'autre et que j'aie accès à toutes les informations communiquées aux membres d'un conseil d'administration. Si j'en juge d'après les quelques caisses que je connais, et d'après les personnalités qui siègent aux conseils, je peux vous dire que les dirigeants des entreprises participent activement aux décisions de placement. Le contraire est presque impossible. Non, personnellement, je ne serais pas à l'aise.

Quant à dire si cela a une incidence sur nos opérations, je ne le pense pas.

Le président: Vous avez également parlé de l'orientation à court terme d'un grand nombre d'investisseurs institutionnels et, comme vous l'avez indiqué, cela se produit parce que les gestionnaires des fonds sont rétribués sur la base de performances à court terme. Cela est très troublant, parce qu'une caisse de retraite devrait jouer le long terme et pas le court terme.

M. Grandin: C'est exact.

Le président: D'un autre côté, c'est peut-être une réaction normale de la part des gestionnaires, à cause des stimulants en place. Il n'y a sans doute rien que l'on puisse faire à ce sujet, sauf modifier le régime d'incitation. Le problème se pose quand les investisseurs dans des caisses de retraite recherchent la stabilité à long terme alors que la caisse, elle, recherche des résultats à court terme. Or, il n'y a pas de lien entre cet objectif pour une caisse de retraite et la rétribution du gestionnaire de la caisse. Si mon analyse est bonne, fait-on quoi que ce soit pour synchroniser les deux choses?

M. Grandin: Je ne crois pas que ce soit une question de structure. Si la caisse de retraite est gérée par des gestionnaires extérieurs, ceux-ci sont évalués par rapport aux résultats qu'obtiennent leurs concurrents. Si leurs concurrents sont évalués par rapport à l'indice TSE 300 au cours des douze derniers mois, votre gestionnaire sera évalué de la même façon et vous chercherez à les garder ou au contraire à les congédier au bout de quatre ans. Nous-mêmes évaluons nos gens sur la même base. Il faut décider si l'on veut garder les gestionnaires à l'interne, faire appel à des firmes extérieures ou opter pour un régime de gestion passive.

C'est une question très délicate. Les stimulants fonctionnent et, dans ce cas, ils ont bien fonctionné. Si vous adoptez une perspective à trop long terme, vous risquez de vous porter tort à court terme. Si vous écoutez le rapport de 17 heures sur les fonds mutuels, le soir en rentrant chez vous, vous vous demandez sûrement quels sont les horizons de placement des gens.

Le président: Vous qui êtes une des rares grandes compagnies américaines à avoir attiré un grand nombre d'investisseurs institutionnels américains -- grâce à votre taille, à votre histoire, à vos stocks américains et à ce genre de choses -- avez-vous noté une différence dans la façon dont les investisseurs américains vous approchent, par rapport aux investisseurs canadiens, dans la façon dont ils expriment ce qu'ils attendent de vous... Y a-t-il une différence quantitative sur le plan du dialogue, notamment? J'ai l'impression, du moins dans certains cas, que les Américains sont beaucoup plus actifs que les Canadiens. Parlant de notre façon de faire, quelqu'un a dit que c'était la «manière canadienne». Avez-vous constaté une différence entre les investisseurs institutionnels américains qui viennent vous voir et leurs homologues canadiens?

M. Grandin: Il n'y a pas grande différence d'une institution à l'autre. Elles affichent toutes le même niveau d'intérêt. Une institution américaine qui s'intéresse de très près au sort d'une société et qui veut établir le dialogue avec l'administration à propos de ce que fait la société et de ce qu'elle pense qu'il faudrait faire, ne s'y prend pas différemment d'une institution canadienne. Certaines sont peut-être plus agressives, mais les institutions canadiennes ont la même philosophie. La seule différence réside peut-être dans le fait qu'un plus grand nombre d'institutions américaines s'intéressent à ce que font les compagnies. Elles veulent rencontrer la direction face à face.

Le président: Elles sont aussi plus nombreuses dans l'absolu, parce qu'il y a plus de caisses de retraite aux États-Unis. Y a-t-il aussi proportionnellement plus de fonds communs de placement?

M. Grandin: Je ne pourrais pas vous le dire. S'agissant du pourcentage d'investisseurs dans Canadien Pacifique, il est vrai que le pourcentage est plus élevé.

Le président: Quand ces gens-là viennent vous voir, que veulent-ils?

M. Grandin: D'à peu près n'importe quel sujet. Le thème le plus courant abordé au CP, pour l'instant, étant donné les remarques que notre président vient de faire, est la vente éventuelle. Donc, les gens viennent nous parler de ce genre de choses. Notre compagnie est passée d'une situation où nous avions une dette non amortie, doublée d'un effet financier relativement élevé, à une situation où nous disposons de liquidités confortables, où le bilan est parfaitement équilibré et où nous avons la possibilité de nous livrer à des transactions assez importantes si nous le voulons. Cela étant, le nombre de questions et de suggestions qu'on nous adresse relativement à l'utilisation de notre argent augmentent. On nous demande: «Qu'allez-vous faire à propos de Pancanadien, en conjoncture de bas prix?» On nous pose aussi des questions touchant la conduite de nos affaires en général. Comme je le disais, il nous est difficile de faire la part entre une question destinée à instaurer un dialogue constructif et celle qui a pour objet de tirer les vers du nez de la direction.

Le sénateur Di Nino: Votre caisse de retraite est gérée à l'interne.

M. Grandin: Oui.

Le sénateur Di Nino: Vous n'avez pas de relation avec des experts financiers professionnels sur ce plan?

M. Grandin: Nous aimons à croire que nos experts sont des professionnels, même s'ils sont à l'interne.

Le sénateur Di Nino: Bonne réponse. Limitez-vous vos rapports avec les experts financiers extérieurs -- c'est-à-dire aux gens qui prêtent et qui gèrent l'argent -- à ceux qui investissent dans votre compagnie?

M. Grandin: Oui. Nos propres gestionnaires ont des échanges avec leurs collègues travaillant pour des cabinets externes d'experts financiers.

Le sénateur Di Nino: Vous ne retenez les services d'aucun expert extérieur pour gérer même une partie de votre portefeuille.

M. Grandin: Non.

Le sénateur Di Nino: Quand ces experts financiers viennent vous voir, je veux parler des investisseurs potentiels, qui rencontrent-ils?

M. Grandin: Cela ne fait pas très longtemps que je travaille à Canadien Pacifique. M. David O'Brien, notre président-directeur général s'intéresse beaucoup à notre programme de relations avec les investisseurs. C'est donc lui qui, en général, les rencontre. En outre, nous avons un agent chargé des relations avec les investisseurs qui s'occupe du dialogue quotidien. Un grand investisseur institutionnel compte un ou deux analystes, parfois plus, qui étudient la compagnie et effectuent tout le travail de recherche préliminaire, ce qui les amène à contacter régulièrement la compagnie pour mettre leurs données à jour, pour s'assurer qu'ils comprennent les déclarations publiques et les chiffres parus dans nos communiqués trimestriels. En général, ce sont les deux personnes dont je viens de vous parler qui rencontrent ces gens-là. Quand de grandes institutions veulent rencontrer des représentants d'une compagnie de notre taille, cela se fait le plus souvent au niveau du PDG.

Le sénateur Di Nino: Et l'information qui est alors communiquée au représentant de l'investisseur institutionnel, l'est-elle également au public?

M. Grandin: Quelqu'un, plus tôt, a soulevé la question des lois qui régissent les renseignements d'initiés; et ils n'en manquent pas. Récemment, la Bourse de Toronto a publié des lignes directrices en matière de divulgation. Il est question de régir davantage la façon dont les informations sont communiquées aux investisseurs afin d'éviter que des renseignements soient transmis par inadvertance. Nous sommes très prudents avec cela. Bien que nous soyons entièrement disposés à parler de tous les sujets intéressant nos interlocuteurs, nous veillons à ne pas leur communiquer d'information n'ayant pas déjà été divulguée.

Le sénateur Di Nino: Autrement dit, vous pouvez expliquer certaines choses, répondre aux questions qui vous sont posées, mais vous ne communiquez aucune information qui ne soit pas déjà du domaine public.

M. Grandin: C'est cela.

Le sénateur Di Nino: C'est différent de ce qui se passe quand un investisseur institutionnel siège au conseil.

M. Grandin: C'est exact. Tous les gens qui siègent à un conseil d obtiennent l'ensemble des renseignements communiqués aux administrateurs et l'on se retrouve donc avec un grand nombre de données confidentielles communiquées à tous ces gens-là. Les membres du conseil ont le droit de parler avec qui bon leur semble au sein de la compagnie pour obtenir réponses à leurs questions.

Le sénateur Di Nino: Avez-vous un code de conduite, un code régissant les conflits d'intérêt, ou les deux?

M. Grandin: Oui.

Le sénateur Di Nino: C'est un document public?

M. Grandin: Je ne le sais pas.

Le sénateur Di Nino: Chaque membre du conseil en a-t-il copie?

M. Grandin: Oui, de même que chaque employé. Donc ce document devrait être public. En revanche, je ne sais pas ce qu'il en est du livre du conseil.

Le sénateur Di Nino: J'aimerais obtenir réponse à cette question, pour que nous sachions si d'autres appliquent la même procédure.

Ces deux investisseurs institutionnels sont-ils traités de la même façon? Est-ce que les bénéficiaires de leurs placements sont traités de la même façon pour ce qui est des informations fournies par une compagnie comme Canadien Pacifique: si l'un de ces investisseurs est représenté au conseil d'administration et l'autre pas, il est certain qu'il faut s'appuyer sur un code de conduite ou des règles régissant les conflits d'intérêt très solides pour régir le comportement des conseils. Comptez-vous des administrateurs de ce genre au sein de votre conseil?

M. Grandin: Non.

Le sénateur Di Nino: Donc, vous ne pouvez pas vraiment nous répondre.

M. Grandin: Non, je ne peux pas vraiment vous répondre. Je dirais que la muraille de Chine sur ce plan devrait être érigée chez l'investisseur institutionnel, parce que les administrateurs obtiennent des informations qui sont régies par un certain code. À la sortie des conseils, quand ils réintègrent leurs organisations respectives, ils doivent être très prudents.

Le sénateur Di Nino: Trouvez-vous que les investisseurs institutionnels essaient de vous arracher des informations qui seraient normalement du domaine public?

M. Grandin: Toujours.

Le président: Vous est-il facile d'attirer la plupart de vos propriétaires réels? Je vous pose la question parce que Red Wilson des BCE nous a dit qu'une proportion astronomique de ses actionnaires, quelque chose comme 75 ou 80 p. 100, sont des actionnaires de la Caisse canadienne de dépôt des valeurs limitées. En revanche, il ne sait pas qui ils sont. D'après les données que vous nous avez communiquées, j'ai l'impression que vous savez beaucoup mieux qui sont vos actionnaires. Si je ne me trompe pas, dites-nous à quoi est due cette différence.

M. Grandin: Je ne sais pas si vous avez raison. Certaines des grandes institutions ne voient aucun inconvénient à dévoiler leurs stocks. Vous pourriez constater vous-même que la majorité de nos actions sont détenues par la CDS, parce qu'elles sont inscrites aux livres et que cela facilite le transfert des titres.

Le président: Mais les certificats ne circulent pas forcément.

M. Grandin: Vous pouvez tout de même posséder des actions aux livres ou à la CDS, auquel cas la compagnie sait que vous êtes actionnaire et combien de titres vous détenez.

Nous souscrivons à un service, comme la plupart des compagnies. Nous utilisions Georgeson & Company, à New York, qui se spécialise dans les relations avec les investisseurs. Cette firme étudie tous les documents publics et entretient des relations avec toutes les institutions de placement pour savoir qui possède quoi. Malgré cela, elle ne sait pas tout. Prenez notre cas, par exemple; nous savons que Sanford Bernstein possède 9,8 p. 100 des titres de Canadien Pacifique, en plus de divers placements dans une centaine de fonds ou plus, mais nous ne savons pas exactement qui se cache derrière Sanford. Nous ne savons pas exactement qui sont les propriétaires réels, sauf ceux qui ont dévoilé leurs positions.

Le président: Autrement dit, vous connaissez peut-être l'intermédiaire, c'est-à-dire Sanford Bernstein, mais vous ne savez pas exactement qui sont les propriétaires réels.

M. Grandin: C'est cela.

Le président: Et vous pourriez même ne pas savoir qui est Sanford Bernstein, sauf que dans ce cas, il est assez gros pour que vous le sachiez.

M. Grandin: Je ne crois pas, effectivement, qu'il soit tenu de nous dévoiler le nom des propriétaires réels.

Le président: Certains PDG de compagnie nous ont dit que ce serait utile, pour eux, de savoir qui sont les propriétaires réels. Trouveriez-vous cela utile, vous aussi, ne serait-ce que pour communiquer avec eux?

M. Grandin: Sur ce plan, certainement. Je pense que la plupart des actionnaires qui veulent communiquer avec eux communiquent également avec nous. CP ne le fait pas, mais les petites entreprises peuvent demander aux grands courtiers de placements d'organiser des réunions, par exemple à Toronto ou à Montréal, réunions auxquelles participeront les représentants des différentes institutions. Libre à eux alors de vous dire qui possède les titres. À ce moment-là, le dialogue s'enclenche ou pas.

Nous avons jugé utile de dresser une liste pour savoir avec qui nous allons prendre langue. Est-ce vraiment important? Probablement pas. Cela va-t-il affecter la façon dont nous conduisons nos affaires? Je ne le pense pas.

Le sénateur Stewart: À la fin de votre présentation, vous avez décrit la caisse de retraite de Canadien Pacifique et vous nous avez dit que la performance des gestionnaires est mesurée en fonction d'étalons préétablis, comme l'indice TSE 300, sur une période d'un an et sur un cycle de quatre ans. Plus tôt encore, au sujet de l'influence des investisseurs institutionnels sur les grandes compagnies canadiennes, vous avez paraphrasé l'extrait suivant que je lis dans votre mémoire:

La plupart des nouveaux investisseurs institutionnels entretiennent moins de liens avec les différentes compagnies, ce sont des organisations «à but lucratif» de plein titre qui sont soumises à des pressions pour se détacher de la concurrence. Elles ont plus de capacité et sont davantage motivées à influencer la direction des entreprises. Elles s'intéressent surtout au prix des titres, indicateur qui est uniquement valable à court terme et qui ne constitue pas toujours un bon étalon pour mesurer la performance des gestionnaires.

On peut aisément comprendre ce qui les motive à agir ainsi, mais je vais vous poser une question sur les autres termes que vous avez employés dans ce passage. Vous parlez de leur «capacité» et de leur «motivation». Vous semblez sous-entendre que ces deux mots, juxtaposés avec le corps de phrase «bon étalon pour mesurer la performance des gestionnaires» revient à dire que ces gens-là sont des trouble-fête. En supposant qu'on leur reconnaisse une certaine influence. Par le terme «capacité», vous sous-entendez qu'il détourne l'attention de la santé à long terme d'une société et de la santé à long terme de l'économie en général. Je me trompe?

M. Grandin: Comme j'ai essayé de le dire plus tôt, il est vrai que ces gestionnaires là se concentrent sur le court terme. Les délais que j'ai mentionnés pour les évaluations, un an et quatre ans, sont des repères typiques mentionnés dans les lignes directrices des caisses de retraite. Les fonds communs de placement, quant à eux, jouent beaucoup plus sur le court terme.

Le sénateur Stewart: Et qu'en est-il de leur capacité?

M. Grandin: Ce que je voulais dire par «capacité», c'est que de plus en plus de gestionnaires se regroupent autour de certains titres, ce qui leur permet d'avoir plus d'influence en tant que groupe.

Le sénateur Stewart: Et comment exercent-ils cette influence? Vous dites qu'ils vous parlent ou qu'ils parlent à quelqu'un de votre organisation, qu'ils obtiennent des explications sur des informations qui sont déjà du domaine public et dont on pourrait penser qu'elles se passent justement d'explications. Alors, comment exercent-ils leur influence?

M. Grandin: Ils sont heureux de nous rencontrer pour nous parler de ce que nous devrions faire, selon eux. Mais comme je vous l'ai dit tout à l'heure, sauf s'ils sont plusieurs à nous dire la même chose, leur influence est limitée.

Le sénateur Stewart: J'ai un problème avec le mot «capacité». Il laisse entendre que, d'une façon ou d'une autre, ces gestionnaires ont une certaine influence, peut-être pas dans le cas de votre société, mais sur d'autres entreprises. Si je vous pose la question c'est que dans certains cas, comme je le disais plus tôt, ils peuvent très bien détourner la société de ses objectifs ou, de façon plus générale, avoir un effet nuisible sur l'ensemble de l'économie. Certains ont écrit que si l'économie allemande a été tellement efficace pendant les décennies de l'après-guerre, c'est que les Allemands avaient adopté des objectifs à long terme visant à bâtir un avenir solide.

M. Grandin: Un exemple sera peut-être la meilleure façon de vous expliquer cela. Prenons les compagnies gazières et pétrolières de taille moyenne, parce qu'il se trouve que c'est une industrie que je connais qui, de plus, mobilise régulièrement d'énormes quantités de capitaux. Les institutions à la source de ces afflux de capitaux, c'est-à-dire celles qui investissent dans les compagnies, avaient déterminé que pour réussir dans ce genre d'entreprise, il fallait montrer une croissance importante des réserves et de la production, année après année, qu'il fallait faire des projections ambitieuses et qu'il fallait réaliser ces projections. À cause du large consensus existant parmi les institutions qui investissent dans les compagnies pétrolières et gazières, une grande partie de l'industrie s'est pliée à ce genre de demande, sans quoi elles auraient beaucoup souffert sur le marché boursier. Les équipes de gestion auraient sans doute perdu leurs emplois ou auraient dû relocaliser leur compagnie. Je suis sûr que vous avez pris connaissance de leur déclaration de renaissance, lors de leur assemblée annuelle de cette année, dans laquelle les directions déclarent que ce n'était pas une très bonne idée et que nous devrions peut-être nous concentrer davantage sur des taux stables, à long terme.

Il n'est pas forcément mauvais de s'intéresser aux résultats à court terme, mais je pense que ce n'est pas bon de ne faire que ça.

Comme je le disais plus tôt, quand on s'intéresse au long terme, il y a forcément des périodes intermédiaires difficiles, mais j'estime que celles-ci sont dues à l'influence de certains gestionnaires et à l'accent placé sur le prix des actions parce que les titres de ces compagnies gazières et pétrolières étaient administrés par des fonds communs de placement. Comme ces fonds devaient montrer de bons résultats trimestre après trimestre, les gestionnaires faisaient tout ce qu'ils pouvaient pour amener les entreprises à réaliser les meilleurs résultats possibles.

Le sénateur Tkachuk: J'ai quelques questions à vous poser au sujet de la politique générale de la société. Combien comptez-vous d'administrateurs à Canadien Pacifique?

M. Grandin: Douze pour l'instant.

Le sénateur Tkachuk: Jugez-vous important qu'ils possèdent des titres de la compagnie?

M. Grandin: Vous voulez ma réponse à moi ou celle de CP?

Le sénateur Tkachuk: Vous pouvez me donner les deux.

M. Grandin: CP estime qu'il est bon qu'ils possèdent nos titres.

Le sénateur Tkachuk: Et c'est le cas?

M. Grandin: C'est le cas pour la plupart d'entre eux, à moins que je ne me trompe, et ne prenez pas ma parole pour argent comptant. Tout cela est public. Je siège à deux ou trois conseils d'administration moi-même, et je constate qu'on insiste de plus en plus, surtout du côté des États-Unis, pour que les administrateurs détiennent des titres de leur société. Personnellement, je ne pense pas que je serais meilleur administrateur parce que je détiendrais des actions. Je suis au conseil d'administration parce que je pense être en mesure de bonifier les choses, d'apporter une contribution. J'ai un bagage qui peut servir, il se trouve que j'aime l'industrie et que j'aime l'entreprise.

Le fait de posséder ou pas 10 000 $ d'actions valant 50 $ chacune ne changera certainement pas grand chose à ma performance, mais il semble qu'une très grande partie de l'opinion publique soit favorable à l'actionnariat des administrateurs de compagnie. Aux États-Unis, on constate une tendance très marquée à la distribution d'un minimum de titres aux administrateurs et à la rétribution de ces derniers en actions, jusqu'à ce qu'ils atteignent un certain niveau d'actionnariat. Personnellement, je n'y suis pas opposé. J'estime tout simplement qu'un bon administrateur est un bon administrateur, peu importe qu'il soit obligé ou pas de posséder des actions de la compagnie au conseil duquel il siège.

Le sénateur Tkachuk: Proposez-vous des options aux administrateurs comme à l'équipe de direction?

M. Grandin: Je ne sais pas.

Le sénateur Tkachuk: Est-ce qu'on leur remet des options?

M. Grandin: Il faudrait que je vérifie. Tous les employés, jusqu'aux cadres supérieurs, en ont. Les membres des conseils où je siège en ont aussi. Je crois que c'est également le cas à CP.

Le sénateur Tkachuk: Pensez-vous que ce soit une bonne chose?

M. Grandin: Oui. Cela permet une rétribution conditionnelle fondée sur le prix des actions de la compagnie. Je pense que c'est utile.

Le sénateur Tkachuk: Quand on distribue des options de compagnie, pensez-vous qu'elles devraient porter sur le court terme ou sur le long terme? Autrement dit, devraient-elles se déclencher à 12 mois, à 18 mois ou encore à cinq ans ou dix ans?

M. Grandin: J'opterais plutôt pour le long terme. Dans le milieu pétrolier, les options sont généralement de 10 ans et les plus courtes sont sans doute de cinq ans. Habituellement, elles sont associées à des périodes d'acquisition des droits de trois à cinq ans. La période d'acquisition doit être raisonnable, mais l'objectif est de disposer d'un moyen d'encouragement à long terme pour amener les conseils d'administration et les dirigeants des compagnies à tenir compte de l'incidence à long terme que leurs décisions auront sur la compagnie. Je pense qu'il vaut toujours mieux viser un peu plus loin dans le temps.

Il existe déjà suffisamment de pression pour bien faire à court terme, sans venir y ajouter les options.

Aux États-Unis, par exemple, et vous le savez sans doute, il existe un mouvement en faveur de la modification du prix d'exercice des options: de deux choses l'une, soit vous encaissez vos options au prix d'aujourd'hui, soit vous les encaissez, mais l'écart entre le taux consenti et le prix d'exercice sera inchangé, sauf si la cote du titre augmente.

Le sénateur Tkachuk: Mais plus vous émettez d'actions, plus vous diluez la valeur du portefeuille de chaque actionnaire.

M. Grandin: C'est le côté négatif de l'affaire. Quelques compagnies pétrolières ont déclaré des dépenses générales et administratives très faibles pour avoir versé des salaires très bas à leurs employés, en les compensant par des octrois d'actions très importants, ce qui s'est avéré coûteux pour les actionnaires au cours des quatre ou cinq dernières années.

En règle générale, je pense que les options sont une bonne chose, parce qu'elles fournissent un stimulant financier. Quant au terme de l'option, je dirais qu'il est approprié au genre de décisions que les dirigeants et les membres de conseils d'administration sont censés prendre.

Le sénateur Tkachuk: J'ai essayé d'obtenir des renseignements à ce sujet, mais en vain. Si les options sont remises aux administrateurs, elles sont bien sûr intéressantes à condition que le prix des actions augmente. Or, le prix des actions peut augmenter de différentes façons. D'abord, sous l'effet positif des bons résultats de la compagnie; dans ce cas, le marché estime que c'est une bonne affaire parce qu'il a confiance en ce que font les dirigeants et le conseil d'administration.

L'autre possibilité est la forte demande pour le titre. Comme vous le savez, les grandes caisses de retraite au Canada sont régies par des lois. Les fonds des régimes de retraite connaissent une croissance phénoménale, et nous venons juste d'apprendre que le fonds de Barclays s'est accru de 17 milliards de dollars depuis 1992. C'est une croissance phénoménale. Un grand nombre d'investisseurs institutionnels, qui ne sont pas forcément des négociateurs, détiennent des actions, certains pour cinq ans, certains pour trois et d'autres à court terme. Ce que je crains, c'est que cette masse impressionnante de disponibilités ne crée un appel en bourse.

Il pourrait être de l'intérêt d'un administrateur de créer un tel appel pour les titres du CP, car il pourrait ainsi encaisser ses options et toucher le pactole au passage. Peu importe que l'administrateur fasse bien ou mal son travail, c'est la pression que peuvent exercer toutes ces liquidités sur le marché, sur une quantité limitée d'actions en circulation, qui va principalement jouer dans ce cas. Voilà pourquoi je vous ai posé une question au sujet des options.

J'ai aimé la formule dont vous avez parlé, celle de l'encaissement de l'option à une certaine date, puis ce que vous avez dit sur les prix qui augmentent... mais il ne faut pas se faire d'illusions. Cela vous inquiète-t-il? Pensez-vous qu'un administrateur pourrait être incité à mal se conduire ou à profiter du fait qu'il connaît un grand investisseur institutionnel ayant beaucoup de liquidités à placer et à se laisser aller à quelques indiscrétions sur des transactions ou des propositions de transaction, comme l'acquisition d'une autre grande société? Ce volet de la gouvernance au Canada fait problème, parce que le marché est petit et que nous avons la règle des 20 p. 100.

M. Grandin: Dans l'ensemble, cela ne m'inquiète pas beaucoup. En effet, la plupart des administrateurs que j'ai connus, et je reconnais qu'il y en a peu, n'ont pas exercé leurs options avant d'être sur le point de prendre leur retraite ou de quitter le conseil d'administration. Il y a toujours l'exception à la règle et vous connaissez peut-être certains administrateurs possédant d'énorme quantité d'options qui pourraient être tentés de faire ce qu'ils ne devraient pas faire. En général, les administrateurs possèdent un grand nombre d'options, mais celles-ci ne constituent pas leurs seuls actifs financiers.

Comme ils ont leur réputation à protéger, je ne pense pas qu'ils soient tentés de commettre quelque malversation. Comme vous le disiez, la demande doit être importante pour faire bouger de façon sensible le prix d'une action, à tel point que la capacité d'un investisseur d'influencer le gouvernement pour financer ses obligations du régime de retraite du Canada, risque d'être limitée.

L'inverse est également vrai. Nombre d'éléments peuvent inciter les gens à acquérir des actions, comme le marché très porteur que nous connaissons actuellement, mais on a tendance à oublier que parfois ce marché va dans l'autre sens et que les investisseurs peuvent alors être très nettement découragés.

Certains investisseurs de Dome, à l'époque où la compagnie a connu ses graves difficultés, avaient en partie joué sur marge. Cela a eu un effet profondément dissuasif et est venu entraver le travail de fond très important qui était nécessaire. Pour tout vous dire, les gens étaient terrorisés à cause de la situation financière dans laquelle ils se retrouvaient. Tout cela constitue donc un couteau à double tranchant.

Le sénateur Tkachuk: Pensez-vous que le délai de compte rendu relatif aux transactions d'initié est suffisant? Quelqu'un a parlé de 40 jours. Avec la technologie actuelle, il serait possible de communiquer instantanément ce genre de transaction sur Internet. Il est important que les autres actionnaires sachent immédiatement quand un initié se départit très rapidement de ses actions. Je trouve que ce délai de 40 jours est énorme. Ne pensez-vous pas qu'il faudrait le modifier?

M. Grandin: Je ne vois aucune raison s'y opposant. Je suis certain que c'est un problème d'ordre administratif. Je n'en suis pas sûr, mais ce délai remonte certainement à l'époque où il fallait remplir des formulaires. Je ne vois aucune raison pour laquelle on ne pourrait par le raccourcir. Je serais plutôt d'accord avec vous: c'est une information importante qui devrait circuler très rapidement.

Le président: Une dernière question, plutôt philosophique, parce que j'ai été assez intrigué par une de vos remarques, par ailleurs fondée si je me base sur ma propre expérience. Vous avez dit que la plupart des réactions communiquées aux dirigeants par les actionnaires proviennent directement de ces derniers et pas de leurs représentants aux conseils d'administration. Cela ne revient-il pas à dire que le principe fondamental des conseils d'administration ne vaut plus ou du moins qu'il a été sérieusement érodé? Les conseils d'administration sont là pour représenter les intérêts des actionnaires, mais quand ceux-ci ont un point de vue particulier, ils ne s'adressent pas à leurs représentants et ils vont directement voir les dirigeants de la compagnie. On est donc en droit de se demander si les représentants des actionnaires aux conseils d'administration remplissent effectivement une fonction que les actionnaires ne peuvent pas assumer directement. Je vous pose cette question dans un sens philosophique, parce que j'ai l'impression qu'un des principes fondamentaux de la vie d'une société est en train de disparaître.

M. Grandin: J'y ai pensé également. Ma première réaction a été de vous donner raison. Cependant, je dois vous faire remarquer deux choses. D'abord, les directions d'entreprise ne changeront jamais quoi que ce soit de fondamental dans l'orientation de la compagnie à partir de ce que leur disent les actionnaires, sans d'abord en discuter au conseil et obtenir son approbation. Sur ce plan, j'ai l'impression que cela n'est pas très différent de la situation où les dirigeants de l'entreprise rassemblent des informations sur toutes sortes d'aspects agissant sur la compagnie: le milieu, les perspectives du secteur, la concurrence, autant d'aspects analysés et débattus au niveau du conseil d'administration qui prend les décisions qui s'imposent éventuellement. Donc, réflexion faite, je dirais que cette façon de fonctionner est appropriée.

L'autre question qu'il convient de souligner, et je me fonde ici sur les souvenirs que j'ai de mon passage dans les banques d'investissement, entre autres, c'est que si vous n'obtenez pas ce que vous voulez des dirigeants d'une entreprise et si vous pensez qu'il y a conflit dans les points de vue, vous pouvez toujours vous tourner vers le conseil d'administration. Donc, je crois que le conseil joue un rôle adapté sur ce plan.

Le président: Autrement dit, il est une sorte de tribunal d'appel.

M. Grandin: Éventuellement, s'il y a désaccord entre l'équipe dirigeante et les actionnaires sur ce qu'il faut faire.

Le président: Est-ce que cela s'est déjà produit dans les compagnies où vous avez travaillé? Je ne veux pas parler de CP, mais vous étiez à Sceptre, à une époque intéressante, quand les grands actionnaires s'adressaient au conseil d'administration plutôt qu'à l'équipe de direction. Il est possible qu'ils contactaient d'abord la direction, mais dans tous les cas ils allaient voir le conseil ensuite.

M. Grandin: C'est très courant en situation de prise de contrôle.

Le président: Dans le cas d'une vente?

M. Grandin: Oui. Qu'il y ait vente ou pas par la suite, cela ne veut pas dire qu'il y a conflit au sujet de la position de l'équipe de direction. Souvent, quand une institution ou un intermédiaire veut précipiter les choses, il va directement voir le président du conseil d'administration, s'il n'est pas lui-même président-directeur général ou un autre membre du conseil, pour s'assurer que son message passera bien.

Le président: Et que l'équipe de direction ne le filtre pas.

M. Grandin: C'est cela. Je ne pense pas qu'il soit question d'usurper le pouvoir du conseil ni de le diminuer. Cela veut dire que le conseil est là pour les questions très importantes et que, pour celles qui le sont moins, l'équipe de direction peut s'en occuper.

Le président: Merci beaucoup d'avoir pris le temps de venir nous rendre visite dans l'Est.

La séance est levée.


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