Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Banques et du commerce
Fascicule 20 - Témoignages pour la séance du 26 mai 1998
OTTAWA, le mardi 26 mai 1998
Le comité sénatorial permanent des banques et du commerce, auquel a été confié l'examen du projet de loi C-28, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu, les Règles concernant l'application de l'impôt sur le revenu, la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, le Régime de pensions du Canada, la Loi sur les allocations spéciales pour enfants, la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, la Loi sur l'exportation et l'importation de biens culturels, la Loi sur les douanes, le Tarif des douanes, la Loi sur l'assurance-emploi, la Loi sur la taxe d'accise, la Loi sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces, la Loi sur l'interprétation des conventions en matière d'impôts sur le revenu, la Loi sur la sécurité de la vieillesse, la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt, la Loi sur la cession du droit au remboursement en matière d'impôt, la Loi sur l'assurance-chômage, la Loi sur les paiements de transition du grain de l'Ouest et certaines lois liées à la Loi de l'impôt sur le revenu, se réunit aujourd'hui à 9 h 40 pour l'étude de ce projet de loi.
Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Chers collègues, nous sommes ici pour examiner le projet de loi C-28, qui, comme c'est généralement le cas des projets de loi que propose le ministère des Finances, contient une myriade de sujets regroupés dans une même mesure législative.
Notre témoin ce matin est M. Len Farber, directeur général de la Division de la législation de l'impôt au ministère des Finances, qui est loin d'en être à sa première comparution devant nous. Comme à l'accoutumée, il est soutenu par une phalange de collaborateurs.
Je sais que vous avez une déclaration préliminaire à nous faire, monsieur Farber. La parole est à vous.
M. Leonard L. Farber, directeur général, Division de la législation de l'impôt, ministère des Finances: Monsieur le président, le projet de loi C-28, dont vous êtes saisis aujourd'hui, est un imposant projet de loi qui contient une foule de mesures législatives. Pour faciliter la présentation des diverses questions qui y sont abordées, nous avons jugé utile de le diviser, exceptionnellement, en deux sections. La première porte sur les mesures prévues au budget de 1997, qui ont d'abord été proposées dans un projet de loi en juillet 1997. Elle apporte des modifications aux règles concernant les Régimes enregistrés d'épargne-études ainsi que des améliorations aux crédits d'impôt pour frais de scolarité et pour études afin d'inciter les Canadiens à épargner pour l'éducation de nos jeunes; elle autorise la rectification du facteur d'équivalence pour améliorer la gestion des Régimes enregistrés d'épargne-retraite; elle améliore le traitement fiscal réservé aux personnes handicapées ainsi que le traitement fiscal accordé aux fiducies de restauration minière; enfin, elle prévoit des mesures fiscales pour encourager les dons de bienfaisance.
Monsieur le président, le budget de 1997 annonçait également le dépôt de mesures législatives relatives aux prix de transfert. Les règles en cette matière ont été annoncées dans le budget de 1997, mais ce n'est que beaucoup plus tard que le gouvernement les a insérées dans une mesure législative. Elles sont maintenant incluses le présent projet de loi.
En outre, monsieur le président, ce projet de loi prévoit certains amendements de forme. Comme vous le savez, quelques projets de loi de procédure ont déjà été déposés à cette fin ces dernières années. Ils contenaient des modifications à la Loi de l'impôt sur le revenu n'ayant en fait aucune incidence importante sur la politique fiscale, puisqu'elles ne servaient qu'à corriger des anomalies et des choses de ce genre. Un premier projet de loi en ce sens avait été déposé en avril 1995. Le gouvernement l'avait ensuite présenté de nouveau, après avoir tenu compte des réactions, sous forme de motion des voies et moyens en juin 1996, puis, une autre fois, en novembre 1996, peu de temps avant le dépôt du projet de loi C-69, le 1er décembre 1996. Ce dernier projet de loi, qui contenait les mêmes modifications de forme, a fini par mourir au Feuilleton.
Le projet de loi C-28 regroupe, en plus de tout ce que je viens de mentionner, certaines mesures qui ont été annoncées par voie de communiqué et qui portent sur des questions comme le crédit d'impôt à la production cinématographique ou magnétoscopique, les modalités relatives au prix de transfert qui ont été annoncées après le dépôt du budget, le crédit d'impôt pour services de production et la déductibilité des créances douteuses. Toutes ces mesures ont fait l'objet d'annonces par voie de communiqué et sont maintenant regroupées dans le projet de loi C-28, le projet de loi omnibus dont vous êtes saisis aujourd'hui.
Depuis le temps que le contenu du projet de loi C-28 est en préparation, ses rédacteurs ont pu profiter de nombreuses suggestions formulées par des spécialistes en fiscalité et divers intéressés. Un bon nombre de leurs recommandations y ont été incorporées.
Monsieur le président, compte tenu de la multiplicité des modifications proposées, je me demande sur quoi vont porter les questions des membres de votre comité. Ce projet de loi propose également des changements au Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux, dont doit vous entretenir M. Gusen, qui est venu ici expressément dans ce but. Il répondra volontiers à toutes vos questions sur le sujet. D'ailleurs, je me demande si nous n'aurions pas avantage à accueillir dès maintenant vos questions pour pouvoir discuter de tout problème que les membres de votre comité voudront peut-être soulever.
Le président: Après avoir écouté ce que vous aviez à nous dire dans votre exposé d'ouverture à propos de ce que contient ce projet de loi, je veux m'assurer que j'ai bien compris que certaines des mesures proposées dans ce projet de loi datent de février 1995.
M. Farber: D'avril 1995.
Le président: Donc, d'il y a trois ans. Certaines remontent à février 1996 et d'autres, au budget de 1997. Au minimum, toutes ces mesures datent de 12 mois et certaines, de 35 ou 36 mois. Est-ce exact?
M. Farber: C'est juste.
Le président: Le sénateur Stewart voudra peut-être dire ce qu'il pense de cette situation.
Par ailleurs, vu que les membres de notre comité sont déjà bien au fait de la question du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux, il leur serait peut-être utile de savoir si le projet de loi apporte des modifications importantes à ce programme, c'est-à-dire autres que des modifications de forme.
En outre, étant donné que les représentants de la Première nation crie Mikisew vont comparaître après vous, peut-être pourriez-vous demeurer parmi nous pour nous donner votre opinion à propos des sujets qui les préoccupent. Je sais d'ailleurs que vous êtes au fait du problème que soulèvent les Cris Mikisew. Je me demande si vous ne devriez pas d'abord nous exposer votre point de vue sur la question pour que nous puissions ensuite discuter plus intelligemment de ce sujet avec eux.
M. Peter Gusen, directeur, Division des relations fédérales-provinciales, ministère des Finances: Monsieur le président, nous proposons d'apporter à la Loi sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces une importante modification concernant le TCSPS. Cette proposition de modification figure à l'article 285.1 du projet de loi. Comme il s'agit d'un volumineux document, il vous faut presque une carte routière pour trouver où c'est exactement, mais c'est vers le milieu du projet de loi. Cette modification revêt une très grande importance, car elle fait passer de 11 à 12,5 milliards de dollars le plancher de la contribution pécuniaire du gouvernement fédéral au titre du TCSPS. Je vais d'abord vous expliquer comment fonctionne l'arrangement actuel, puis ce qu'il deviendra si la modification proposée dans le projet de loi C-28 est adoptée.
Actuellement, le montant total de TCSPS que chaque province reçoit est constitué de deux composantes: le transfert en espèces et le transfert en points d'impôt. Les deux ensemble sont désignés sous le terme de droits totaux des provinces au titre du TCSPS.
Le président: On change sans cesse les noms. Il s'agit de la formule de 1977 dite de Financement des programmes établis qu'on a modestement modernisée, n'est-ce pas?
M. Gusen: On a incorporé dans le TCSPS la principale caractéristique de cette formule, c'est-à-dire la contribution en espèces et l'allocation de points d'impôt. Le TCSPS englobe également l'ancien programme de transfert qu'on appelait le Régime d'assistance publique du Canada.
Le président: On a ainsi accru le nombre de supposés programmes établis.
M. Gusen: Oui.
Le montant total auquel chaque province a droit, dont une partie est transférée sous forme de points d'impôt, est établi par la loi. Ce transfert de points d'impôt remonte à 1977, comme votre président l'a mentionné, au moment où le gouvernement fédéral a abaissé ses taux d'imposition pour permettre aux gouvernements provinciaux d'augmenter les leurs en conséquence. Le gouvernement fédéral a alors transféré aux gouvernements provinciaux une partie de sa marge fiscale.
Les revenus des gouvernements provinciaux s'en trouvent donc augmentés, et ceux du gouvernement fédéral, réduits, sans que le fardeau du contribuable en soit modifié. Voilà comment fonctionne le transfert fiscal. Le gouvernement verse en espèces aux provinces le reste du montant auquel elles ont droit.
Aux termes de la loi actuelle, c'est-à-dire abstraction faite de la modification que nous proposons, les droits totaux pour l'exercice en cours, en tenant compte à la fois des paiements en espèces et des transferts de points d'impôt, s'élèveraient à 25,1 milliards de dollars. De ce total, 13,5 milliards seraient transférés sous forme de points d'impôt, et le reste, versé en espèces. Il en est ainsi en vertu de la loi actuelle. Si la loi actuelle demeurait telle quelle, les droits totaux s'élèveraient donc, pour l'exercice en cours, à 25,1 milliards de dollars, et ils resteraient à ce niveau pendant deux ans, après quoi ils augmenteraient en fonction de la croissance du produit intérieur brut.
La loi actuelle établit également que, sans égard à l'importance des droits totaux et à la valeur des points d'impôt, la portion versée en espèces ne sera jamais inférieure à 11 milliards de dollars -- c'est le plancher que prévoit la loi actuelle en ce qui a trait à la contribution pécuniaire du gouvernement fédéral.
À l'article 285.1 du présent projet de loi, nous proposons que le plancher garanti du transfert en espèces soit porté de 11 à 12,5 milliards de dollars. La valeur du transfert sous forme de points d'impôt n'est nullement touchée par cette modification. Le montant total des paiements au titre du TCSPS, cette année et chaque année qui suivra au cours de la période de référence du projet de loi, sera donc haussé en raison de l'accroissement du montant total du transfert en espèces, qui passera de 11 à 12,5 milliards de dollars. Cette année, si la modification proposée est adoptée, le montant total du transfert représentera 26 milliards de dollars plutôt que 25,1 milliards.
À la fin de la période de référence du projet de loi, en 2002, nous prévoyons que le TCSPS vaudra 28,5 milliards de dollars plutôt que les 27 milliards qu'il aurait alors valu aux termes de la loi actuelle. C'est donc dire que non seulement le montant du TCSPS sera plus élevé dès le départ, mais aussi qu'il augmentera plus rapidement à chaque année que durera le programme.
Quelle dépense supplémentaire cette mesure entraînera-t-elle pour le gouvernement fédéral, et que signifiera cette modification pour les provinces? Aux termes de la loi actuelle, le transfert en espèces aurait représenté 11,6 milliards de dollars cette année, mais avec le nouveau plancher de contribution en espèces que nous venons de décrire, la contribution pécuniaire fédérale s'élèverait à 12,5 milliards. Si cette modification est adoptée, le gouvernement fédéral versera donc, dès le présent exercice, près de 900 millions de dollars de plus au titre du TCSPS. Ce chiffre n'est que pour l'exercice en cours. Pour l'ensemble de la période de référence du TCSPS, depuis l'an dernier et d'ici cinq ans, le montant supplémentaire versé au titre du TCSPS s'élèverait à quelque 7 milliards de dollars en espèces. Quant à la portion transférée en points d'impôt, elle ne serait pas touchée par cette modification.
Le gouvernement fédéral verserait donc en espèces 7 milliards de dollars de plus pour l'ensemble de la période se terminant en 2002, et, grâce à cette modification, chaque province se verrait transférer un plus gros montant au titre du TCSPS.
Nous vous avons remis un tableau intitulé «Impact financier de l'augmentation du plancher du TCSPS». On y montre le montant des droits totaux de chaque province, en espèces et en points d'impôt, pour l'ensemble de la période allant de 1997-1998 à 2002-2003. Dans ce tableau, vous pouvez voir que chaque province recevra davantage. Terre-Neuve, par exemple, touchera 130 millions de plus, et l'Île-du-Prince-Édouard, 32 millions. Vous pouvez également constater que tout ce qui sera versé en supplément aux provinces le sera en espèces. Les transferts totaux augmentent du même montant que les transferts en espèces. Par exemple, Terre-Neuve touchera 130 millions de plus en droits totaux, ce qui correspond aux 130 millions que cette province touchera de plus en espèces.
Voilà qui résume les changements qui découleront de cette proposition de modification. Je vais revoir brièvement avec vous ce qui demeurera inchangé concernant le TCSPS. Nous ne toucherons pas au volet transfert de points d'impôt. Seul le transfert en espèces est visé par le nouveau plancher de la contribution pécuniaire du gouvernement fédéral. La dernière année de la période de référence demeure 2002. Les principes de la Loi canadienne sur la santé, qui vous sont sans doute familiers, ne devront pas moins être observés aux termes de la loi qui régit le TCSPS. Les provinces devront également respecter la disposition leur interdisant d'imposer des exigences minimales en matière de résidence comme condition pour toucher des prestations d'aide sociale. Pour recevoir leur plein montant de TCSPS, les provinces demeureront donc tenues de verser des prestations d'aide sociale aux nouveaux arrivants au même titre qu'à leurs résidents de longue date.
La modification proposée n'aura aucune incidence sur la répartition du TCSPS par province, bien que cette répartition soit appelée à changer avec le temps pour correspondre de plus en plus à un même ratio par habitant. C'est ce à quoi on en viendra. Mais le seul changement important qu'entraînera l'adoption de la modification proposée, c'est le passage du plancher de contribution en espèces de 11 à 12,5 milliards de dollars.
Le sénateur Stewart: Les gouvernements des provinces sont-ils tenus de dépenser dans le secteur de la santé les montants qu'ils touchent au titre du transfert de points d'impôt et de s'en servir pour maintenir le niveau des services qu'ils offrent à la population en matière de santé et d'aide sociale?
M. Gusen: Non. Les provinces ne sont nullement tenues de faire la preuve qu'elles dépensent à ces postes les montants qui leur sont transférés au titre du TCSPS. Les seules exigences auxquelles elles sont soumises concernent le respect de la Loi canadienne sur la santé et l'interdiction d'imposer des exigences minimales en matière de résidence à leurs bénéficiaires de l'aide sociale. Si vous considérez le montant total des dépenses qu'effectuent les provinces aux postes de la santé, de l'aide sociale et de l'éducation postsecondaire, vous verrez qu'il est bien supérieur à celui de la contribution fédérale au titre du TCSPS. On peut donc en conclure que les provinces consacrent au financement de programmes pertinents l'entier de ce qu'elles reçoivent du TCSPS, mais on ne peut pas retracer à quoi ont servi exactement les sommes en question.
Le sénateur Stewart: Prenons l'exemple de la Nouvelle-Écosse. La contribution fédérale au titre de la santé et de l'aide sociale dans cette province, tant sous la forme de transferts de points d'impôt que de versements en espèces, représente-t-elle la moitié de ce que la Nouvelle-Écosse dépense, ou 60 p. 100, ou encore 70 p. 100? Quel est le rapport entre ce qui provient de l'impôt fédéral et ce qui provient de l'impôt provincial dans le financement de ces programmes en Nouvelle-Écosse?
M. Gusen: Je n'ai pas en main les chiffres précis, mais il doit s'agir d'une proportion se situant entre 30 et 40 p. 100.
Le sénateur Stewart: Les contribuables de la Nouvelle-Écosse en paieraient environ les trois dixièmes?
M. Gusen: La contribution fédérale représente entre 30 et 40 p. 100 du total.
Le sénateur Stewart: C'est donc l'inverse.
Vous nous avez parlé de l'accroissement du transfert en espèces, sans toutefois nous expliquer pourquoi on propose d'en augmenter le montant.
M. Gusen: À l'époque de l'annonce du TCSPS dans le budget de 1995 et de son entrée en vigueur en avril 1996, le gouvernement a établi à cet égard un plancher qu'il jugeait approprié dans les circonstances, compte tenu des pressions qu'il subissait alors sur le plan budgétaire.
Je ne suis pas sûr que le Forum national sur la santé vous soit familier, un organisme qui a pour mission de se pencher sur l'état du système de santé au Canada. Il a recommandé que la partie du TCSPS versée en espèces ne soit jamais inférieure au niveau de 1997-1998, qui était de 12,5 milliards de dollars. C'est le seuil en deçà duquel il ne fallait pas descendre, selon le Forum.
Quand il est devenu évident que la situation budgétaire s'améliorerait, le gouvernement s'est immédiatement empressé d'annoncer qu'il donnerait suite à la recommandation du Forum et qu'il augmenterait son plancher de contribution pécuniaire au titre du TCSPS.
Le sénateur Stewart: Sur quels motifs reposait cette recommandation?
M. Gusen: Le Forum n'a pas explicité ses motifs quand il a formulé ses recommandations. Sous toute réserve, en tant que témoin profane en la matière, je crois que c'est tout simplement que le plancher de contribution en espèces se situait à ce niveau en 1997-1998, et qu'on estimait qu'il s'agissait là d'un minimum. C'était là le sens de cette recommandation.
Le président: À cet égard, je tiens à rappeler à mes collègues que je suis l'un de ceux qui se sont opposés à la formule de FPE quand elle a été initialement mise de l'avant. J'estimais que, ce faisant, on s'engageait dans la mauvaise voie. Voilà pourquoi je crois qu'il nous faut remonter à 1975 et 1976 pour juger de cette question.
Ce qui s'est produit, essentiellement, c'est que la courbe indiquait que, sans plancher, plusieurs provinces n'auraient plus touché aucun transfert en espèces du gouvernement fédéral dès les années 2000, 2001, 2002. Il en aurait résulté que le gouvernement fédéral aurait alors semblé perdre toute légitimité d'exercer un contrôle sur ces programmes au financement desquels il aurait complètement cessé de contribuer. Pour être bien clair, j'estime que c'est ce facteur plutôt que l'altruisme qui a motivé ce changement.
Le sénateur Stewart: Oui, mais le témoin n'était pas prêt à faire une telle affirmation.
Le président: J'ai cru que je pouvais peut-être me permettre d'être un peu plus direct, puisque je suis depuis fort longtemps réputé ne pas être très chaud pour le transfert de points d'impôt.
[Français]
Le sénateur Simard: Est-ce l'intention du gouvernement de faire approuver cela par le Sénat avant les vacances d'été et pourquoi? Deuxièmement, le comité invitera sans doute le ministre des Finances et, troisièmement, est-ce que la liste des témoins est complète?
[Traduction]
Le président: En règle générale, nous n'invitons pas le ministre des Finances à comparaître à propos de ce genre de projet de loi. Nous nous en tenons habituellement aux représentants du ministère. C'est ce que fait depuis toujours ce comité dans le cas des projets de loi de ce genre.
Deuxièmement, nous avons demandé qu'on nous suggère des noms de témoins à entendre, et seuls ceux qui ont demandé de comparaître figurent sur la liste. Je crois que les seuls témoins qui ont comparu devant le comité de la Chambre à propos de ce projet de loi sont ceux-là même que nous entendrons ce matin après les représentants du ministère. Aucun autre témoin potentiel ne s'est manifesté auprès du greffier de notre comité, et il en est allé de même au comité de la Chambre.
[Français]
Le sénateur Simard: Je comprends que le gouvernement soit pressé. Avant les élections fédérales, il était moins pressé d'approuver les changements à la Loi sur l'impôt et au budget de 1997. Quant aux décisions et aux procédures autorisées et défendues par M. Paul Martin, j'en nomme une en particulier, j'aimerais avoir des réponses ou des explications à ces changements au budget. Dans trois cas, le ministre des Finances a autorisé et défendu ces pratiques qui contredisaient les principes fondamentaux des comptables agréés. J'aimerais, avec votre permission, que votre comité invite M. Paul Martin. On pourrait lui poser d'autres questions.
[Traduction]
Le président: Il me fera plaisir d'examiner cette question une fois que nous en aurons fini avec nos témoins. Pouvons-nous poursuivre nos questions à ces témoins et à ceux qui les suivront? Je serai alors heureux de revenir sur cette question.
Le sénateur Angus: Compte tenu du contexte, le sénateur soulève un bon point.
[Français]
Le sénateur Simard: On peut parler des petits changements et la liste est longue, mais j'aimerais m'attaquer aux principes et aux politiques qui guident ce gouvernement et qui le guideront au cours des trois prochaines années.
[Traduction]
Le président: Il me fera plaisir de revenir plus tard sur cette question.
Le sénateur Callbeck: J'aimerais avoir quelques renseignements à propos du TCSPS, le programme qui a remplacé le FPE et le Régime d'assistance publique du Canada. Comme je viens de l'Île-du-Prince-Édouard, j'aimerais retrouver dans votre tableau des données complètes concernant ma province pour la période en question. Votre tableau me renseigne sur ce que l'Île-du-Prince-Édouard est censée recevoir au titre du TCSPS, mais on devrait pouvoir y retrouver également des projections faisant état de l'hypothèse où l'on aurait maintenu le FPE et le Régime d'assistance publique du Canada. J'aimerais qu'on me fournisse ces chiffres pour que je puisse les comparer.
M. Gusen: Il me fera plaisir de vous fournir ces chiffres si possible. Toutefois, comme il s'agit d'une question plutôt hypothétique, la réponse ne sera pas très précise. Il nous faudra présumer de ce qui se serait passé.
Le sénateur Callbeck: Je sais, mais j'aimerais quand même connaître quelles auraient été vos projections à cet égard.
M. Gusen: Nous vous fournirons ces chiffres.
Le sénateur Kolber: Le sénateur Angus et moi-même avons été impliqués dans le domaine de la santé à titre de présidents de deux hôpitaux montréalais. Le système est manifestement mal en point. On nous répète sans cesse que le grand responsable de cette situation, c'est le gouvernement fédéral, qui retiendrait l'argent. Je constate toutefois, en regardant ce tableau, à supposer que je l'interprète bien, que la province de Québec, par exemple, recevra 1,8 milliard de dollars de plus sur cinq ans. Est-ce le cas?
M. Gusen: Oui, mais sur sept ans, puisque ces données portent sur sept ans. Le Québec recevra 1,8 milliard de plus que ce qui était prévu avant l'annonce de ce changement.
Le sénateur Kolber: Avant de rédiger ce projet de loi, a-t-on pris soin de tenir des consultations? Vous avez fait allusion au Forum national sur la santé, qui nous est très familier. Y a-t-il eu collaboration ou consultation entre votre ministère et celui de M. Allan Rock? Ce chiffre est-il purement arbitraire, ou a-t-il plutôt été établi en essayant de redresser la situation dans le système de santé? Suis-je sur une fausse piste à cet égard?
M. Gusen: Pour répondre simplement à votre question, disons que oui, il y a eu consultation entre le ministère des Finances et Santé Canada à propos de la décision de faire passer de 11 à 12,5 milliards de dollars le plancher de la contribution pécuniaire fédérale au titre du TCSPS, d'injecter 7 milliards de plus dans le système.
Quant à la question de savoir si ce montant a été considéré comme suffisant pour remédier à ce qui n'allait pas dans le système, je doute fort qu'on puisse trouver au sein du gouvernement fédéral ou du secteur de la santé, ou encore des gouvernements provinciaux, des gens qui puissent s'entendre sur le montant qu'il faudrait investir pour permettre au système de fonctionner convenablement.
Toutefois, il s'agit là d'une importante contribution de la part du gouvernement fédéral.
Le sénateur Kolber: Je ne veux pas nier que ce soit là une importante contribution, mais elle ne semble toutefois pas correspondre à ce qu'on avait prétendu que devait être la politique gouvernementale. Si on se fie à ce qu'en disent les porte-parole du Forum national sur la santé et le ministre Rock, l'impression qui prédomine, c'est qu'il y a dans le système de santé suffisamment d'argent, mais que l'argent n'est pas dépensé judicieusement. C'est ce qu'a affirmé le ministre Rock dans bon nombre de discours, comme tout le monde d'ailleurs au sein du gouvernement. Cela n'a aucun sens. D'ailleurs, à Montréal, l'organisme gouvernemental qui était responsable de la répartition des budgets au cours des cinq dernières années a dit exactement la même chose, à savoir qu'il y a assez d'argent dans le système, même si tous les hôpitaux font face à d'énormes déficits. Toutefois, depuis trois mois, on dit que non, il n'y a pas assez d'argent dans le système, qu'il en manque terriblement.
Le sénateur Angus: On dit que c'est parce que les paiements de transfert ont été réduits.
Le sénateur Kolber: Quelle qu'en soit la raison, l'argent n'est pas là.
Une des choses que vous avez dites et qui, je crois, doit être mise en lumière, à tout le moins d'un point de vue politique ou d'un point de vue pratique, c'est que les provinces ne sont apparemment nullement obligées de dépenser pour la santé et l'éducation les fonds qui leur proviennent des transferts. En réalité, elles pourraient tout aussi bien utiliser cet argent pour la construction de routes, n'est-ce pas?
M. Gusen: Effectivement. Le seul moyen de vérifier où les dollars en question sont utilisés serait de comparer le montant de notre contribution avec ce que les provinces dépensent à ces postes.
Le sénateur Kolber: Étant donné que le montant de la contribution et celui des dépenses ne correspondront jamais à 100 p. 100, vous ne pourrez pas le savoir.
M. Gusen: La contribution fédérale étant de beaucoup inférieure à 100 p. 100, nous pouvons affirmer que chacun des dollars que nous versons est dépensé à ces postes.
Le sénateur Kolber: N'a-t-on jamais songé à rendre ces paiements de transfert conditionnels à la façon dont ils seront dépensés, ou croyez-vous que cela risquerait vraiment d'entraîner une rupture des relations fédérales-provinciales?
Le président: Je me demande si je ne devrais pas épargner à notre témoin ce supplice en répondant moi-même à la question du sénateur Kolber.
Si l'on observe l'historique du financement des programmes sociaux, des programmes de santé, par exemple, on constate qu'à l'origine, le gouvernement fédéral et les provinces les finançaient à parts égales. Si un gouvernement provincial voulait avoir un système de santé de qualité, il n'avait que la moitié des coûts à assumer, mais il devait respecter des conditions. Autrement dit, la contribution fédérale représentait exactement 50 p. 100 du coût des services.
Le sénateur Kolber: Quelles étaient ces conditions?
Le président: Certains services étaient assurés, d'autres non.
Le sénateur Kolber: Je sais que la chirurgie esthétique n'était pas assurée.
Le président: C'est juste.
Le gouvernement fédéral contribuait à hauteur de 50 p. 100, et c'est ce qui a permis au système de santé de se développer entre 1967 et 1977.
La raison pour laquelle je me suis opposé à l'époque au passage au système de transfert de points d'impôt répond exactement à la question que vous soulevez. J'ai joué un rôle au sein d'un gouvernement provincial qui est passé du système de financement de programmes dans les municipalités à celui des subventions globales, système qui a un effet équivalent à celui des transferts de points d'impôt. Les municipalités dépensaient l'argent, non pas pour les programmes qu'elles avaient coutume de financer avec cet argent, mais pour des programmes qu'elles concevaient elles-mêmes; on n'a donc essentiellement aucun contrôle sur l'utilisation des points d'impôt transférés et sur la façon dont l'argent est dépensé. Si on en venait à imposer de nouveau des conditions, quelles qu'elles soient, nous reviendrions à une formule que notre pays a abandonnée en 1977. Je crois vous avoir donné là un bon aperçu de la situation, n'est-ce pas?
Le sénateur Kolber: Je constate que ce que je demande va probablement bien au-delà du mandat de notre comité.
Le président: Cette question relève vraiment de la politique sociale.
Le sénateur Kolber: Je sais, mais nous cherchons des solutions qui sont censées remettre le système sur pied, et je constate qu'on ne peut de toute façon exercer aucun contrôle à cet égard.
Monsieur le président, vous avez parlé de fournir des soins de santé de qualité. Or, dans nos lois sur les soins de santé, le mot «qualité» ne me semble pas exister. Je ne suis même pas certain de connaître à fond les normes nationales dont on parle tant. Ce que je veux dire, c'est que j'espère que des efforts seront déployés entre le ministère des Finances et le ministère de la Santé pour faire en sorte que cet argent aille au bon endroit. Apparemment, il n'y aurait aucun moyen de s'en assurer.
Le sénateur Angus: À propos, si on jette un coup d'oeil à la partie du tableau se rapportant au Québec, le chiffre est de 3,866 milliards de dollars pour 1997-1998, et il diminue graduellement ensuite. Les transferts en espèces régressent, et les transferts sous forme de points d'impôt augmentent. Nos autorités politiques québécoises nous disent que la contribution pécuniaire d'Ottawa diminue et que les transferts de points d'impôt augmentent, mais elles ne dépensent pas moins ces sommes. La réalité, c'est que cet argent n'est pas utilisé dans le domaine de la santé, n'est-ce pas?
Nous nageons dans une très grande confusion, car on n'a de cesse de nous dire que tout cela est de la faute du gouvernement fédéral, qui a réduit les paiements de transfert et l'argent disponible.
Quand nous avons entendu vos propos ce matin -- et vous avez vu que nous nous sommes retirés pour tenir un petit caucus -- , il nous a semblé que nous pourrions retourner au Québec et dire: «Que voulez-vous dire au juste, puisque vous obtenez davantage qu'auparavant?» En réalité, nous obtenons moins en espèces et davantage en pouvoir d'imposition.
M. Gusen: Si j'interprète bien ces deux tableaux, je constate que dans le premier, intitulé «Impact financier de l'augmentation du plancher du TCSPS», le Québec et chacune des provinces obtiendraient plus d'argent en espèces suite à l'adoption de la modification que vous étudiez aujourd'hui. Cette mesure aurait pour effet d'accroître de quelque 7 milliards de dollars sur sept ans le total de transferts en espèces au titre du TCSPS. Si cette modification est adoptée, un administrateur d'hôpital saura qu'il y aura normalement désormais beaucoup plus de ressources disponibles pour assurer des soins de santé de qualité.
Pour ce qui est de l'autre tableau, qui montre l'évolution des montants versés en espèces aux provinces, on note, dans le cas du Québec, une certaine diminution. Toutefois, comme vous l'avez mentionné, la valeur du transfert de points d'impôt augmente, si bien que les ressources totales que le gouvernement fédéral met à la disposition du gouvernement du Québec pour la santé et les programmes sociaux augmentent au cours de la période de référence.
Nous ne considérons ici qu'un seul programme de transfert, le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux. Nous ne tenons pas compte d'un autre important programme de transfert dont le Québec profite largement, à savoir le programme de péréquation. Ce que le Québec obtient du gouvernement fédéral au titre du programme de péréquation représente quelque 4 milliards de dollars par année; il reçoit ce montant chaque année, sans aucune condition. Le Québec et les autres provinces qui touchent des paiements de péréquation peuvent dépenser cet argent à leur discrétion, en fonction de leurs priorités.
Le Québec, tout comme les autres provinces, expose ses priorités dans son Discours du Trône et dans son énoncé budgétaire. La santé y figure toujours en tête de liste. Je dirais que les gouvernements provinciaux considèrent la santé comme leur première priorité. Quand le gouvernement fédéral met des fonds à leur disposition par l'entremise du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux ou encore du programme de péréquation, ils s'en servent pour la réalisation de leurs principales priorités.
Le sénateur Kolber: On nous dit sur cette page que l'accroissement total dans le cas du Québec est 1,8 milliard de dollars, si je lis bien. Pourtant, quand j'examine ce qu'il en est des transferts et si je prends, en ce qui concerne le Québec, le total de 6,8 milliards pour le dernier exercice, je n'arrive pas à trouver d'où vient le 1,8 milliard. Le total augmente de 100 millions l'année suivante, puis d'un autre 100 millions, puis de 200 millions et d'un autre 200 millions, puis de 300 millions. Comment cela peut-il totaliser 1,8 milliard de dollars? Je ne comprends pas la mathématique de ces tableaux. Peut-être pourriez-vous m'expliquer ce qu'il en est?
M. Gusen: Le premier tableau est le plus éclairant à cet égard, je crois. On y lit que sur la période de sept ans allant de 1997-1998 à 2002-2003, le Québec obtiendrait, si la loi actuelle demeurait inchangée, des transferts totaux s'élevant à 40,218 milliards de dollars. Si la modification est adoptée, le Québec obtiendra, d'après nos prévisions actuelles, des transferts d'une valeur de 42,036 milliards de dollars, une augmentation de 1,8 milliard.
Le sénateur Kolber: Voyons l'autre tableau maintenant.
M. Gusen: Si vous voulez connaître l'origine des 42 milliards de dollars versés au Québec et la façon dont ils se répartissent annuellement au cours de la période de sept ans, vous prenez les 6,835 milliards de dollars en 1997-1998 et vous ajoutez les 6,914 milliards de dollars l'année suivante, et ainsi de suite.
Le sénateur Kolber: Je suis sûr que les chiffres se recoupent, mais je ne vois pas d'où vient l'augmentation.
M. Gusen: Il s'agit du montant que le Québec obtiendra chaque année si la modification proposée est adoptée. Si elle ne l'est pas, les chiffres en question seront tous moindres.
Le sénateur Kolber: Vous dites que le premier impact important de cette modification se fera sentir sur l'exercice 1997-1998, n'est-ce pas?
M. Gusen: C'est juste.
Le sénateur Kolber: Dans ce cas, où figure ce chiffre?
M. Gusen: Je n'ai pas de tableau qui ventile ces chiffres par province et par année.
Le sénateur Kolber: Quel était le chiffre pour l'exercice précédent, 1996-1997?
Le sénateur Kolber: Si vous ne l'avez pas en main, peut-être pourriez-vous nous le fournir plus tard.
Le sénateur Stewart: Y a-t-il une péréquation de ce que rapporte aux provinces la portion de ce transfert qui est effectué sous forme de points d'impôt?
M. Gusen: Oui. Dans le cas de toutes les provinces qui profitent du programme de péréquation, la valeur des points d'impôt transférés est établie après la prise en considération de la péréquation. La province où les points d'impôt valent le moins est Terre-Neuve, 17 $ par habitant par point d'impôt. Après péréquation, cette valeur s'élève à 21 $ par habitant.
Le sénateur Carstairs: Je dois d'abord dire qu'à mon sens, il aurait été de beaucoup préférable que le tableau qui montre les chiffres de 1997-1998 à 2002-2003 inclue également l'exercice 1996-1997, car nous aurions été alors à même de comparer les totaux se rapportant à l'ancien régime avec les nouveaux totaux.
Vous avez utilisé l'exemple de Terre-Neuve et de son augmentation de 1,8 milliard de dollars, mais en réalité, les droits totaux de cette province diminuent entre 1997-1998 et 2002-2003, car ils passent de 506 à 501 millions de dollars. Si nous avions su qu'ils étaient de 432 millions en 1996-1997, nous aurions alors pu tirer des conclusions claires concernant cette projection, mais nous ne pouvons actuellement le faire. Vous serait-il possible d'ajouter ces chiffres au tableau et de transmettre le nouveau tableau aux membres du comité?
M. Gusen: Oui, nous pouvons le faire. J'ai ici ces chiffres, mais je vais les présenter de façon à compléter le tableau.
Le sénateur Simard: J'aimerais que le témoin ajoute une autre colonne pour 1995 pour montrer qu'au total, le gouvernement économise 30 p. 100.
Le président: Vous voulez qu'on recule encore d'une autre année.
M. Gusen: Le tableau a été établi pour montrer l'effet qu'aura la modification à l'étude sur les années où elle s'appliquera, mais il nous serait possible d'y ajouter les données des exercices 1995-1996 et 1996-1997, puis de vous faire parvenir le tableau modifié.
Le président: Le comité estime qu'il est utile de savoir où ce projet de loi nous mène, mais il nous serait également utile de savoir d'où il part.
Le sénateur Carstairs: Essentiellement, l'ancienne formule de FPE couvrait la santé et l'éducation postsecondaire. Il n'y avait aucune restriction dans la façon dont les provinces dépensaient l'argent. Je puis vous fournir l'exemple d'une province qui n'a rien dépensé pour l'éducation postsecondaire pendant un certain nombre d'années, se contentant d'utiliser à cette fin l'argent provenant du gouvernement fédéral.
Qu'inclut-on d'autre maintenant? Le TCSPS englobe autre chose que le financement de l'éducation postsecondaire et de la santé. Qu'inclut-il d'autre?
M. Gusen: La Loi sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces, à laquelle on entend apporter des changements au moyen du présent projet de loi, ne sera modifiée que sur une de ses dispositions, qui porte sur le plancher de contribution pécuniaire. Toutefois, dans l'introduction de la Partie V de cette loi, il y a une description du but du TCSPS. On y énumère la santé et l'éducation postsecondaire, comme vous l'avez mentionné, mais aussi l'aide sociale et les services sociaux. Ce sont là les domaines visés par le TCSPS.
Le sénateur Carstairs: Les gouvernements provinciaux ne cessent de prétendre qu'ils ne reçoivent pas autant d'argent qu'avant. A-t-on effectué des analyses statistiques à ce sujet? Je pourrais certes le faire moi-même. Il me suffirait de retrouver dans les budgets provinciaux combien on a dépensé au titre de la santé, des services sociaux et de l'éducation. Effectuez-vous ce genre d'analyse, pour avoir une idée du pourcentage que les provinces consacrent à la santé en comparaison des montants que vous leur versez pour ces services?
M. Gusen: Comme vous le dites, sénateur, il est facile de faire cette sorte d'analyse à partir des données budgétaires provinciales. Oui, nous effectuons des analyses de ce genre. Il est en un sens problématique de retracer exactement d'une province à l'autre les dépenses qui s'appliquent, par exemple, au secteur de la santé ou à celui de l'éducation postsecondaire, car ces données ne sont pas compilées d'une manière uniforme. Statistique Canada publie les comptes consolidés des autorités provinciales et locales où il s'efforce d'uniformiser ce qui s'applique aux diverses catégories visées. Nous préférons utiliser ces chiffres. Le problème, toutefois, c'est qu'ils datent toujours de deux ou trois ans. Notre meilleure analyse de la répartition des divers postes de dépenses au titre des transferts fédéraux repose sur les données de Statistique Canada, mais ces données ne sont pas aussi à jour qu'on pourrait le souhaiter.
Le sénateur Carstairs: Enfin, il y a toujours eu des contributions que les provinces ont utilisées pour financer leurs services de santé, même avant le dernier programme de transfert de points d'impôt qui remonte à 1977, voire dès les années 70 au moment où l'on a commencé à effectuer des transferts de points d'impôt. Prenez l'exemple du Manitoba. Le gouvernement fédéral n'a jamais décidé de financer de quelque façon que ce soit les programmes d'assurance-médicaments. Il considérait que le remboursement des médicaments ne faisait pas partie des services de santé qu'il acceptait de financer à hauteur de 50 p. 100.
Existe-t-il une liste des services que le gouvernement fédéral avait accepté de financer au départ dans le cadre de son programme d'assurance-maladie? Une telle liste vous serait peut-être utile à vous deux lorsque vous discutez avec les conseils d'administration des hôpitaux des services auxquels cette contribution de 50 p. 100 était censée s'appliquer. Nous savons que le gouvernement fédéral acceptait de financer les services de chirurgie et d'hospitalisation, mais non la chirurgie plastique. Il y a un certain nombre d'autres actes médicaux auxquels cette contribution n'était pas censée s'appliquer. Certains services, comme les soins à domicile, qui n'existaient pratiquement pas dans les années 70, n'étaient pas assurés non plus. Existe-t-il une telle liste?
Le sénateur Kolber: Il ne saurait exister de telle liste. Je comprends votre point, mais ce genre de renseignement est presque en dehors du sujet. L'argent est versé aux provinces, et ces dernières peuvent en faire ce qu'elles veulent. Ce serait bien d'avoir ces renseignements, mais je ne vois pas ce que nous pourrions en faire.
Le sénateur Angus: Nous n'avons jamais pu obtenir ce genre d'information, qui aurait été utile pour revendiquer plus d'argent.
Le président: La question est essentiellement celle-ci: Si vous remontez aux premières promesses concernant l'assurance-maladie en 1966-1967, puis à ce qui s'est ensuivi jusqu'à ce qu'on en vienne à adopter le programme de transfert de points d'impôt, pourriez-vous nous dire ce qui était inclus et ce qui était exclu dans la formule de financement à hauteur de 50 p. 100? Autrement dit, sur quoi payions-nous 50 p. 100? C'est essentiellement ce que demande le sénateur Carstairs. J'imagine que votre ministère a ces renseignements dans ses archives. Si vous ne les avez pas, le ministère de la Santé devrait bien les avoir, mais le ministère des Finances semble avoir tout en main.
M. Gusen: Je suis porté à croire que Santé Canada aurait plus de chance de nous fournir ces renseignements.
Le président: Je dois vous dire qu'il nous serait utile que vous les leur demandiez.
M. Gusen: Je prends note de votre souhait.
Le sénateur Angus: Vous savez, même l'ancien comité des banques se préoccupait déjà du système de santé et de la répartition des fonds alloués à ce secteur.
M. Gusen: La question de savoir quels services de santé étaient ou n'étaient pas financés à l'origine n'est pas disparue avec l'abandon de la formule de partage des coûts en 1977. Les provinces demeuraient tenues de respecter les dispositions de la Loi canadienne sur la santé, y compris celle touchant l'universalité des soins. Les provinces devaient assurer la prestation des services de santé correspondant au moins à cette définition de la notion d'universalité. Il y a eu des cas où des provinces ont eu des comptes à rendre à Santé Canada sur la question de savoir si elles offraient la gamme entière de services qu'elles étaient tenues d'offrir selon cette définition. Ce sont là des renseignements qui présenteraient également de l'intérêt.
Le sénateur Stewart: À quand remontent les derniers changements importants apportés à la formule de financement? Ai-je raison de croire que ces règles ont été modifiées en profondeur vers 1991 ou 1992?
Si je pose cette question, c'est que j'ai souvenir de m'être penché sur un projet de loi où, d'après mon analyse, la portion de financement que les provinces devaient obtenir sous forme de points d'impôt, en tenant compte de la péréquation, croissait, de sorte qu'il venait un temps où les transferts en espèces disparaissaient. Je crois que ce genre de modification avait été proposé vers 1991 ou 1992. Est-ce exact?
M. Gusen: Oui. Le FPE a subi de nombreuses modifications depuis sa création. Le président a fait allusion à 1977 comme étant son origine. Tout au plus y a-t-on apporté cette année-là les plus importantes modifications. Ce programme est par la suite demeuré pratiquement inchangé jusqu'au milieu des années 80, où, en raison de restrictions budgétaires, le gouvernement s'est mis à examiner des façons de sabrer ses dépenses dans divers domaines, y compris dans les transferts aux provinces.
Dans les années 90 ou 91 auxquelles vous faites référence, le gouvernement fédéral a cessé d'établir le taux d'accroissement des droits des provinces, c'est-à-dire de la contribution totale versée en espèces et sous forme de points d'impôt dans le cadre du FPE, en fonction de l'augmentation du produit intérieur brut pour l'aligner sur la croissance démographique. Je crois que c'est vers cette époque qu'on s'est rendu compte que si on continuait ainsi pendant longtemps d'accroître les transferts de points d'impôt, nous en arriverions à un point où plus rien ne serait transféré en espèces.
Le sénateur Stewart: Oui, et avec la disparition des transferts en espèces, le gouvernement n'aurait plus le pouvoir d'influer sur les programmes de santé dispensés dans les provinces. Les provinces diraient que ce qu'elles obtiennent de points d'impôt du gouvernement fédéral leur appartient en propre et peut être utilisé à leur discrétion, et que, puisqu'elles ne reçoivent plus de contributions pécuniaires d'Ottawa, le gouvernement fédéral peut rester chez lui et cesser de se mêler de leurs affaires.
M. Gusen: Cette évolution suscitait d'ailleurs énormément d'inquiétudes chez les gens qui se souciaient de la qualité du système de santé et de l'influence que le gouvernement fédéral pouvait exercer sur son orientation. C'est l'une des principales raisons pour lesquelles, en annonçant le programme du TCSPS dans le budget de 1995 et en le lançant effectivement en avril 1996, on a établi un plancher de contribution pécuniaire. On l'a d'abord fixé à 11 milliards de dollars.
Le sénateur Stewart: C'est dans son budget de 1995-1996 que M. Martin a annoncé cette mesure?
M. Gusen: Oui.
Le sénateur Stewart: Merci.
Le président: Monsieur Farber, je vais vous demander de réagir aux préoccupations de la Première nation crie Mikisew une fois que ses représentants nous auront exposé leur point de vue, mais pourriez-vous dès maintenant nous dire de quoi il en retourne, selon vous?
M. Farber: Monsieur le président, en gros, l'article 149 de la loi exonère certains contribuables de l'impôt sur le revenu et les soumet à certaines règles spéciales. Essentiellement, cette disposition vise à exempter d'impôt le revenu normalement imposable de toute société, commission ou association dont au moins 90 p. 100 des actions ou du capital appartiennent au gouvernement fédéral, à un gouvernement provincial ou à une municipalité canadienne.
Dans leur interprétation, les tribunaux ont étendu l'application de cette disposition à d'autres entités dont la mission s'apparente à celle d'une autorité publique qui exerce des fonctions de gouvernement. Dans ce contexte, les entités de ce genre peuvent, aux termes de l'article 149 de la Loi, exercer pratiquement n'importe quelle sorte d'activités commerciales sans être assujetties au paiement de l'impôt.
Il en est résulté certaines difficultés étant donné qu'aucune frontière, aucune portée et aucune limite géographique n'étaient fixées. C'est ce qui nous a amenés à tenir une série de rencontres fédérales-provinciales de consultation entre les comités fiscaux du gouvernement fédéral et des provinces, rencontres où nous avons soulevé cette question pour voir s'il n'était pas possible de restreindre l'application de cette mesure de façon à ce qu'elle ne serve qu'à la poursuite de l'objectif qu'elle visait à l'origine. Il est très difficile de définir le genre d'activités que ces entités devraient s'abstenir d'exercer. Ce qu'elles doivent éviter, c'est de se substituer au secteur privé qui, lui, est assujetti à l'impôt.
Le président: Vous voulez dire qu'elles ne doivent pas entrer en concurrence avec l'entreprise privée, n'est-ce pas?
M. Farber: C'est juste.
On en est venu à la conclusion que plutôt que de restreindre l'application de la loi à certains types d'activités, il serait préférable de fixer certaines limites géographiques et de restreindre le volume d'activités exercées à l'extérieur de ces limites et auxquelles l'exonération d'impôt s'applique.
Nous avons mené des consultations sur l'adoption d'un critère qui permettrait aux municipalités d'exercer jusqu'à 10 p. 100 de ces activités à l'extérieur de leur territoire. Une municipalité qui exercerait toutes ses activités commerciales à l'intérieur de son territoire jouirait d'une exonération d'impôt complète. S'il lui arrivait toutefois que de telles activités débordent son territoire, disons dans une proportion de 1 ou 2 p. 100, elle ne voudrait quand même pas pour si peu perdre soudainement l'entier de son privilège. Voilà pourquoi nous avons retenu le critère de 90 p. 100.
Nous nous sommes entretenus avec les représentants des Cris Mikisew à propos de leurs préoccupations. Si j'ai bien compris, cette Première nation exerce des activités commerciales en tant qu'organisme sans but lucratif, ce qui lui permet de ne pas être assujettie à l'impôt même si, de toute évidence, elle exerce dans une large mesure ses activités commerciales dans le secteur général des affaires, c'est-à-dire à l'extérieur des frontières de ce qu'on pourrait normalement considérer comme son territoire municipal ou sa sphère d'influence.
Dans ce contexte, compte tenu que cette politique vise essentiellement à exiger des municipalités qu'elles n'exercent leurs activités commerciales qu'à l'intérieur de leurs frontières municipales, il serait très difficile d'élargir ces frontières sans ouvrir la porte à toutes sortes d'autres activités, et ce, pratiquement n'importe où au Canada. Bien que les services que cette Première nation a pour mission d'offrir aux membres de sa collectivité soient des services sociaux -- et si j'ai bien compris, tous les profits de ses activités commerciales servent au financement de services sociaux -- , elle n'en exerce pas moins ses activités en dehors des limites territoriales prescrites par la loi. Au moins certaines de ses activités, notamment celles qu'elle exerce à Fort McMurray, seraient, selon cette règle, normalement imposables à moins qu'elle ne les exerce -- comme ce fut le cas, je crois, dans le passé -- , à titre d'organisme sans but lucratif.
Dans le cadre des discussions que nous avons tenues en vue de l'élaboration de ce projet de loi, un certain nombre de questions ont été portées à notre attention concernant les filiales de sociétés appartenant à des municipalités, de même qu'en ce qui a trait à l'entrée en vigueur de la nouvelle mesure législative dont je vais vous parler. Étant donné qu'un certain nombre de municipalités exercent certaines de leurs activités commerciales par l'entremise de filiales de sociétés qui leur appartiennent, nous avons, à l'étape de la deuxième lecture, élargi cette règle de manière à ce que les filiales de sociétés municipales soient également admissibles à l'exonération d'impôt.
En outre, nous avons reporté l'entrée en vigueur de cette mesure législative après 1998 pour permettre à ces municipalités de confier certaines de leurs activités jusque là imposables à des filiales de sociétés sous contrôle municipal. Ces municipalités peuvent alors rendre ces activités indépendantes de celles qu'elles exercent en dehors de leurs frontières municipales. Ce délai supplémentaire leur laissera le temps de se réorganiser, de manière à pouvoir profiter des nouvelles règles.
Voilà, succinctement, ce qu'apporte l'article 149. Comme je vous l'ai mentionné précédemment, cet article a fait l'objet d'une consultation fédérale-provinciale. Les provinces ont donné leur consentement unanime à l'adoption de cette mesure.
Le président: Nous savons combien votre ministère sait faire preuve d'imagination quand il s'agit de concevoir des structures adaptées aux règles existantes tout en permettant la poursuite d'objectifs par ailleurs souhaitables. Vous nous avez fait remarquer que les filiales de sociétés appartenant à des municipalités sont exonérées d'impôt. Vous nous avez en outre expliqué que pour autant qu'ils servent au financement de services sans but lucratif les profits que réalise un organisme sont réputés servir à des oeuvres à caractère social. C'est ce que j'ai déduit de vos propos.
Il serait sans doute possible de concevoir une structure qui permette d'exonérer d'impôt les entreprises dont les profits servent au financement d'activités sans but lucratif, ce qui réglerait le problème. N'y aurait-il pas une façon juridique ou comptable inédite d'y parvenir?
M. Farber: Monsieur le président, sans vouloir essayer de donner mon avis sur la façon de prévoir une structure avantageuse fiscalement, j'ai l'impression que ce qui gêne les Cris Mikisew, notamment dans leurs efforts pour s'accommoder d'une structure du genre de celle que vous proposez, c'est dans une large mesure la réticence qu'éprouvent les milieux bancaires à faire affaire avec des organismes sans but lucratif et de les financer. Les représentants des Cris Mikisew pourront vous en dire davantage à ce sujet, mais dans mes entretiens avec eux, ils m'ont abondamment fait part des inconvénients majeurs que présente pour eux le fait de fonctionner comme organisme sans but lucratif.
Le président: Oublions le problème des relations avec les banques. Le gouvernement fédéral dispose probablement actuellement de moyens assez efficaces de persuader les banques de modifier leur attitude sur ce plan. En présumant que ce soit le cas et que ce problème de relations avec les banques puisse être résolu, y a-t-il une structure qui vous apparaîtrait acceptable et qui réglerait le problème?
M. Farber: La seule observation que je voudrais formuler à ce sujet, c'est que le type de structure dont peuvent se doter les ONG et tous les paramètres et règlements auxquels les ONG doivent se conformer en ce qui a trait aux services sociaux sont très stricts. Tous sont tenus de respecter ces règles. Tous les profits réalisés doivent vraiment être réinvestis directement dans la collectivité.
Pour autant que ces règles d'application générale sont là pour servir, je ne crois pas que qui que ce soit puisse les contester. Elles laissent toutefois place à interprétation, mais il ne saurait être question d'essayer d'inclure dans la loi une nouvelle règle pour faciliter la vie à un groupe en particulier.
Le président: Les provinces ont donc donné leur consentement unanime à ce changement à l'article 149?
M. Farber: Oui, nous avons obtenu le consentement écrit de la plupart des provinces et le consentement verbal d'une autre. Cette question a fait l'objet de discussions ces dernières années lors de réunions du comité fiscal fédéral-provincial. L'ébauche du projet de loi a été communiquée aux provinces, et pratiquement toutes y ont souscrit.
En adoptant le critère des limites géographiques, on ne restreint pas le genre d'activités que les municipalités peuvent exercer. Vu sous cet angle, c'est une règle passablement généreuse.
Le président: Chers collègues, je propose que nous invitions les représentants des Cris Mikisew à s'avancer. Nous allons les entendre, puis demander à M. Farber de nous revenir plus tard cet avant-midi.
Je demande donc à M. Taylor et à Mme Marten de prendre place et de s'adresser à nous.
Mme Rita Marten, avocate-conseil, Première nation crie Mikisew: Honorables sénateurs, je suis ici aujourd'hui pour entretenir le comité de la modification proposée à l'alinéa 149(1)d) de la Loi de l'impôt sur le revenu, modification prévue dans le projet de loi C-28. Je me suis fait accompagner de l'un de nos techniciens. Nous nous ferons un plaisir de répondre à vos questions après mon exposé.
La Première nation crie Mikisew est établie à l'extrémité nord-est de l'Alberta, sur les rives du lac Athabaska. Le gros des terres de notre réserve est situé de part et d'autre du hameau de Fort Chipewyan, dont la fondation remonte à 1788. C'est le plus ancien établissement permanent en Alberta.
Pendant neuf mois de l'année, les allées et venues depuis et vers notre localité ne sont possibles qu'en bateau ou en avion. Les mois d'hiver permettent l'aménagement d'une voie terrestre temporaire que nous utilisons pour acheminer l'essentiel des marchandises que nous devons entreposer pour répondre à nos besoins le reste de l'année.
Les Mikisew sont de loin le groupe le plus influent de cette région en ce qui a trait à la population, à l'organisation et à l'innovation. En à peine quelques années, nous avons développé toute une variété de structures d'entreprises pour compenser les inconvénients économiques tenant au fait que notre localité est l'une des plus isolées de notre pays.
Vers 1985, les Cris Mikisew ont entrepris audacieusement d'essayer de changer le cours des choses. En réponse à l'orientation que nous ont tracée les membres de notre collectivité, nous nous sommes mis à créer un certain nombre d'entreprises. Nous avons mis sur pied des sociétés de distribution du mazout, de transport aérien des voyageurs et de la marchandise, de construction, de matériaux de construction, et de services d'emploi pour les chantiers d'exploitation des sables bitumineux situés au sud de notre établissement aux environs de Fort McMurray.
À la différence des sociétés canadiennes en général, nos entreprises n'ont pas pour objet de procurer des dividendes ou des profits à leurs actionnaires. Leur mission est plutôt de procurer aux membres de notre collectivité la possibilité de se former, de se trouver un emploi et d'avoir accès aux services essentiels à la vie communautaire. Elles ont pour objectif de réduire notre dépendance à l'égard des marchandises, des compétences et des capitaux provenant de l'extérieur, ainsi que des transferts des gouvernements en matière d'aide sociale. C'est précisément pour favoriser le développement de cette autosuffisance que la modification proposée à l'alinéa 149(1)d) nous apparaît si importante.
Bref, les Cris Mikisew tentent de se doter d'une économie qui fonctionne bien dans ce qu'on ne saurait décrire autrement que comme un environnement hostile. Le peu de protection que nous procure l'actuelle exonération fiscale est d'importance capitale, car elle permet de compenser légèrement notre handicap.
Avec les nouveaux projets qu'ont annoncés récemment d'importantes sociétés pétrolières, qui entendent investir au-delà de 20 milliards de dollars dans l'exploitation des sables bitumineux, notre collectivité est prête à faire une offre audacieuse pour participer activement à l'intense activité économique qui marquera, de l'avis de tous les observateurs, la période de croissance et de prospérité soutenues que notre région tout entière est bientôt appelée à connaître. À court terme, nous ne possédons pas en propre les ressources voulues pour être en mesure de tirer parti de ce boom économique. Si nous ne parvenons pas à réunir ces ressources à temps, cette fois encore, nous raterons le coche.
Les Mikisew profiteront directement pendant dix, quinze, voire vingt ans des retombées de leur participation à cette nouvelle activité d'exploitation des sables bitumineux. Les profits que nous en tirerons seront réinvestis dans la formation professionnelle, dans la création d'emplois et dans la planification du développement durable de nos sources de richesses renouvelables, comme le tourisme, la pêche et l'exploitation forestière contrôlée. Ces nouvelles industries contribueront à l'enrichissement de nos enfants et de nos petits-enfants pendant 50, 100, voire 150 ans.
L'adoption de la disposition du projet de loi C-28 portant modification de l'alinéa 149(1)d) de la Loi aurait pour effet de freiner littéralement le développement économique de notre collectivité et de nombreuses autres collectivités des Premières nations. Nous avons besoin des exemptions prévues à l'alinéa 149(1)d) de la Loi pour progresser vers l'autosuffisance. Cet alinéa accorde à toute Première nation qui possède des structures lui permettant de s'administrer comme un vrai gouvernement le même privilège d'exonération fiscale que n'importe quel autre palier de gouvernement au Canada.
Quand une Première nation élabore et développe ses structures institutionnelles et administratives en profitant de cette disposition, on constate qu'il se produit deux choses très importantes.
Premièrement, on observe qu'elle se développe sur le plan économique grâce aux efforts qu'elle déploie sur les chapitres de l'investissement, de la construction et de la création d'emplois, et que tous les revenus que génère cette activité économique sont réinvestis dans la collectivité au lieu de lui échapper aux mains d'actionnaires à qui on verse des dividendes ou qui encaissent des profits, ou encore aux mains du fisc. Elle se crée ainsi un réservoir de capitaux dont elle peut ensuite se servir pour réinvestir dans son développement économique futur. À longue échéance, son degré d'autosuffisance s'en trouve accru. Deuxièmement, on constate qu'en mettant en place les structures de gouvernement et de gestion exigées comme condition d'admissibilité à l'exonération fiscale, elle jette les bases de son autonomie gouvernementale.
Sur ce chapitre, les Cris Mikisew ont accompli de réels progrès en se dotant de règlements en matière de gestion du territoire et de contrôle financier interne et externe, de même que de procédures rigoureuses et transparentes de reddition de comptes à notre collectivité. Les Mikisew auront bientôt leur propre constitution qui comprendra un ensemble complet de règlements propres à procurer à leur population exactement la même protection que la Constitution du Canada offre à la population canadienne en général.
C'est précisément ce que le gouvernement canadien actuel et tous les autres qui l'ont précédé cherchent à faire depuis nombre d'années -- mettre sur pied un gouvernement autochtone légitime qui respecte la lettre et l'esprit de la Constitution du Canada. Sans la protection de l'alinéa 149(1)d), seule une poignée de Premières nations au Canada disposeront du territoire, des ressources, de la situation géographique et des possibilités d'emploi voulus pour atteindre l'autosuffisance et accéder à l'autonomie gouvernementale. Si les modifications proposées à la Loi de l'impôt sur le revenu sont adoptées, nous régresserons sur tous les plans.
En misant sur la sagesse et la compétence de votre comité, nous vous demandons donc aujourd'hui d'envisager d'ajouter un sous-alinéa à l'alinéa proposé portant modification de la loi. Vous trouverez le libellé de ce sous-alinéa dans le mémoire que nous vous avons remis.
Merci d'avoir pris le temps de nous écouter. Il nous fera maintenant plaisir de répondre à vos questions.
Le président: Je comprends votre problème, et j'essaie de déterminer s'il y aurait une façon originale de le résoudre sans modifier le projet de loi. C'est dans cet esprit que j'ai posé ma dernière question aux représentants du ministère des Finances tout à l'heure. Je suis conscient que, pour vous, un amendement au projet de loi serait la voie la plus facile, mais c'est compliqué pour nous.
Y aurait-il une autre façon de faire pour vous aider à atteindre vos objectifs -- auxquels, je suppose, les membres de notre comité souscrivent -- , sans pour autant procéder par voie d'amendement?
Le sénateur Angus: J'aurais besoin d'une précision. Je crois que vous avez probablement raison. À première vue, nous sommes ouverts à cette revendication. Je me demande toutefois si elle ne touche vraiment que votre groupe, la Première nation Mikisew, ou si nous n'allons pas plutôt donner dans un véritable...
Le président: ... guêpier?
Le sénateur Angus: C'est vous qui le dites, monsieur le président. En fait, vous vous demandez vous aussi si, en résolvant ce problème, nous n'en créons pas un autre. Si votre demande ne concernait que votre bande et votre organisation, nous pourrions peut-être appliquer telle ou telle solution, qui ne conviendrait toutefois pas forcément si votre demande touche toute une série d'autres groupes autochtones.
M. Ian Taylor, directeur du Développement économique, Première nation crie Mikisew: Je vais répondre à la question du sénateur en premier.
Vous avez fait allusion à ce que nous appelons le risque d'ouvrir les vannes. Il y environ 650 Premières nations au Canada. Seule une poignée d'entre elles profiteraient vraiment -- ou, plutôt, ne souffriraient pas -- de cette mesure. Elles pourraient s'accommoder du projet de loi C-28 du fait qu'elles sont situées près d'une grande route ou d'un centre urbain, ce qui leur permet de participer à l'activité économique générale. C'est dans le cas des collectivités isolées, celles-là mêmes qui ont le plus besoin de se développer économiquement, que cette limitation de l'exonération fiscale pose problème.
Pour le gouvernement du Canada, notre demande est fiscalement neutre, car il ne lui en coûte rien pour y donner suite, à moins qu'on tienne à prendre en considération les coûts d'option. Dans le cas d'une collectivité qui n'est pas encore développée, ou qui est en développement, et qui ne génère aucune recette fiscale, le gouvernement ne perd certes rien en lui permettant d'essayer de progresser et peut-être de contribuer à accroître d'une autre façon les revenus de l'État. L'institution de cette règle de 10 p. 100 par l'adoption de la modification proposée équivaudrait pratiquement à une garantie que les collectivités autochtones isolées n'auront plus aucune chance de se développer et de participer à l'économie générale.
Le sénateur Angus: Vous avez parlé d'une poignée de Premières nations. J'aimerais me faire une idée de l'ordre de grandeur. Il n'est pas question ici d'intention cachée ou de risque d'ouverture des vannes.
M. Taylor: Votre question est légitime. Toutes les Premières nations, soit dit en passant, ont droit à cette exonération depuis des années, et il n'y a eu qu'un seul cas où il s'est vraiment posé des problèmes. Comme vous pouvez le voir par vous-même, il n'y a pas des centaines de bandes au Canada qui profitent de l'exonération qui leur est accordée actuellement.
Étant donné que cette exemption ne s'applique qu'à un corps gouvernemental ou à un organisme qui exerce les fonctions d'un gouvernement, vous avez établi des conditions pour profiter de l'exonération, des critères d'admissibilité extrêmement exigeants. Les Mikisew acceptent ces conditions et ces normes et sont parfaitement disposés à se conformer à tout objectif ou à tout ensemble de critères uniformisés d'admissibilité. Tout ce que nous demandons, c'est d'être assujettis aux mêmes normes de responsabilisation que les autres ordres de gouvernement au Canada.
Le sénateur Angus: Je vois. Supposons que nous apportions le genre de modification que vous souhaitez dans votre document et que nous précisions qu'il ne s'appliquera qu'à la bande Mikisew.
M. Taylor: Ce n'est pas là le genre d'exonération que nous voulons obtenir. Nous allons nous en accommoder si c'est tout ce qu'on peut nous offrir, mais ce n'est pas ce dont nous sommes venus vous parler aujourd'hui.
Ce qu'il faut se demander premièrement, c'est s'il existe d'autres mécanismes pour résoudre le problème. Nous payons une armée d'experts-conseils, d'avocats et de fiscalistes précisément pour savoir s'il en existe. Depuis un an et demi, nous avons dépensé, pour tenter de trouver des façons de contourner cette difficulté, au-delà d'un million de dollars des fonds des Premières nations, sommes qu'il aurait mieux valu consacrer au logement, aux services sociaux et à la protection de l'enfance.
Je ne suis pas un spécialiste de la fiscalité, et je ne fais que reprendre à mon compte ce que nous disent nos experts-conseils. Essentiellement, il n'y a que deux possibilités qui s'offrent à nous pour faire face à la situation; elles sont d'ordre structurel.
La première consiste à fonctionner à titre d'organisme sans but lucratif. En un sens, il nous apparaît plutôt humiliant qu'un gouvernement comme le nôtre soit réduit à se soumettre aux mêmes règles qu'un organisme de bienfaisance, comme le mouvement scout, par exemple, pour pouvoir fournir des services à sa population. Il demeure toutefois que si on interprète rigoureusement la Loi de l'impôt, une société sans but lucratif qui s'occupe d'oeuvres de bienfaisance est exonérée d'impôt. Par contre, tout revenu que réaliserait cette société et qui serait transféré à un autre organisme serait assujetti à l'impôt.
Par ailleurs, en recourant à la structure d'organisme sans but lucratif comme mécanisme légitime pour contourner cette difficulté, nous nous retrouvons avec le problème de la reddition de comptes et de la responsabilité, problème que nous avons d'ailleurs quel que soit le type de structure retenu. En ayant ainsi un organisme distinct qui n'est pas directement responsable auprès des citoyens, nous nous privons de la possibilité, dont tout gouvernement a besoin, d'exercer un contrôle sur la façon dont nos revenus sont générés et dont les activités qui génèrent ces revenus sont surveillées et gérées.
Il existe une deuxième possibilité, pour laquelle nous avons d'ailleurs opté dans le passé et jusqu'à nouvel ordre. Elle consiste à conclure des ententes portant sur la création de sociétés en commandite. Ces ententes, extrêmement compliquées, visent essentiellement à répondre à deux importants objectifs: exercer un contrôle, ici encore, et limiter notre responsabilité.
Ces ententes de sociétés en commandite sont très compliquées, et elles présentent des obstacles fort difficiles à surmonter quand nous faisons affaire avec le secteur privé. Je me permets de vous en donner une brève illustration. Les Cris Mikisew ont conclu une entente de partenariat avec une société nord-américaine relativement importante pour la construction d'hôtels, dont un à Fort McMurray. Il s'agit dans ce cas-là d'une entente où les partenaires sont à parts égales. Nos interlocuteurs sont actuellement parties à 175 ententes de partenariat de ce genre au Canada. En raison des modalités que comporte la conclusion d'une telle entente de société en commandite et pour éviter que la bande ne soit vulnérable sur le plan des responsabilités et qu'elle n'ait à payer des impôts, nous avons presque été forcés d'abandonner le projet. Il nous a fallu consacrer plusieurs milliers de dollars et de longues semaines de travail, assumer les frais de voyage en avion, sans parler des honoraires des experts-conseils, pour aller expliquer, à mi-chemin, à des administrateurs chevronnés de cette prospère société quel type de rapports nous devions avoir entre nous pour pouvoir contourner ces dispositions législatives.
Ce que nous envisageons, c'est une légère modification à l'alinéa 149(1)d) qui aurait pour effet non pas d'exempter, mais d'inclure les Premières nations. Nous ne voulons pas de traitement spécial. Nous voulons être traités sur un pied d'égalité. Les municipalités qui subissent une perte de revenu ou qui deviennent assujetties à l'impôt en raison de l'application du projet de loi C-28 peuvent, grâce à leur relation avec le gouvernement provincial, simplement élargir leurs frontières géographiques. Nous, les Premières nations, n'avons évidemment pas cette possibilité. Elles ont des portes de sorties, alors que nous n'en avons pas.
Pratiquement toutes les entreprises commerciales auxquelles la Première nation crie Mikisew participe n'ont pas simplement pour mission de procurer à des actionnaires des profits à répétition. Les activités des entreprises en question cadrent très bien avec le rôle et les fonctions d'un gouvernement. Le transport, la distribution du mazout, la santé, le logement -- voilà les industries dans lesquelles nous sommes impliqués. Elles touchent en partie au secteur privé, et en partie au secteur des services publics.
Ce n'est pas comme si nous exploitions des casinos, des magasins d'alimentation ou des boutiques de mode, par exemple. Les services que nous offrons sont directement liés à nos responsabilités gouvernementales.
Le sénateur Angus: Peut-il y avoir un problème de concurrence? Y a-t-il des gens du secteur privé qui aimeraient offrir ces mêmes services, mais qui seraient alors assujettis à l'impôt?
M. Taylor: Vous soulevez là un point intéressant. En fait, un économiste du ministère des Finances qui est venu nous visiter la semaine dernière nous a affirmé que la plupart des activités que nous exerçons lui apparaissent légitimes, en ce sens qu'elles relèvent normalement de la responsabilité d'un gouvernement. Il a pris comme exemple notre service aérien. Comme vous le savez, Fort Chipewyan est une localité isolée. On ne peut s'y rendre ou en sortir que par la voie des airs ou par eau, et, encore là, pourvu que le temps le permette.
Il y a plusieurs années, les Mikisew ont acheté la société privée d'aviation qui, de manière intermittente, desservait notre localité. Après d'importants investissements et des dépenses considérables, nous sommes maintenant en mesure d'offrir deux fois par jour à notre collectivité le vol aller-retour vers Fort McMurray. Cette réalisation nous a permis de répondre au tout premier besoin de notre collectivité: réduire les pertes relatives aux frais de transport. D'une certaine manière, nous avons pu venir en aide à notre collectivité en réinvestissant nos revenus dans notre économie. C'est autant de pris pour nous.
Dans un deuxième temps, nous aimerions rendre ce service plus accessible à notre population. Il en coûte encore 240 $ pour le trajet aller-retour. L'immense majorité des membres de notre collectivité doit vivre à même un revenu qui représente le tiers de la moyenne du revenu familial au Canada. Il en résulte que la majorité de nos gens n'ont toujours pas accès à un moyen de transport à prix abordable pour se rendre à l'extérieur de notre localité. La plupart des Canadiens s'attendraient que leur gouvernement, s'il s'occupe vraiment d'eux, leur procure cette possibilité.
Dans notre cas, pour pouvoir abaisser les tarifs de manière à ce que nos gens puissent se permettre de voyager un peu, nous devrons trouver un autre filon lucratif et l'exploiter. Il est bien beau que notre société aérienne soit très socialement engagée dans notre collectivité, mais ces contraintes législatives nous limitent et nous en sommes réduits à nous servir de notre population comme d'une vache à lait. Nous aurions la possibilité, compte tenu de notre expérience, de notre structure de gestion, de notre équipement et de notre compétence, d'étendre nos services aériens à d'autres localités de la région pour dégager des revenus supplémentaires que nous utiliserions pour offrir ce service à meilleur prix à notre propre population.
Si la modification proposée est adoptée, elle nous empêchera de le faire. Nous serons alors forcés, comme des parasites, d'aller puiser chez nos gens les fonds dont nous aurons besoin pour assurer la survie de notre société aérienne.
Le sénateur Carstairs: L'un des problèmes que vous avez soulevés est celui de l'isolement de votre collectivité. En hiver, vous avez un chemin temporaire, mais, le reste du temps, vous ne disposez d'aucune voie de transport terrestre pour vous rendre à l'extérieur. Que penseriez-vous de modifier l'amendement que vous proposez, pour qu'il ne s'applique qu'aux localités isolées qui, par exemple, n'ont accès au transport routier que moins de six mois par année?
M. Taylor: Je ne suis pas vraiment en mesure de négocier quoi que ce soit ici, et je ne suis d'ailleurs pas autorisé à le faire. Nous ne sommes pas venus ici dans ce but.
Le président: Permettez-moi de réagir directement à ce que vous venez de dire. Notre comité a tendance à être pragmatique. Nous sommes conscients des difficultés que peuvent poser les modifications, du genre de problèmes qu'elles peuvent entraîner. Je comprends que vous n'êtes pas venu ici pour négocier, et vous avez tout à fait raison là-dessus. Ce que nous cherchons à faire, c'est de vous aider à résoudre votre problème d'une manière qui soit satisfaisante pour nous aussi. Pris sous cet angle, je ne vois pas qu'il s'agisse d'une négociation. Dans les circonstances, je nous perçois plutôt comme un groupe de personnes assises autour d'une table, qui essaient de trouver des solutions à votre problème et au nôtre.
Nous comprenons la solution que vous privilégiez, mais elle présente pour nous certaines difficultés. N'y aurait-il pas moyen de trouver un terrain d'entente qui nous permettrait de résoudre à la fois votre problème et le nôtre tout en exauçant vos souhaits? Il ne s'agit donc pas d'une négociation au sens habituel du terme. Tout au plus cherchons-nous un terrain d'entente.
M. Taylor: En ce sens, toute modification qui compenserait l'inconvénient de l'isolement, qu'il s'agisse des Cris Mikisew ou de toute autre collectivité, serait certes bienvenue.
Le président: Je présume que notre greffier sait comment vous joindre, car je prévois que dans les jours qui viennent, nous allons réfléchir à d'autres façons d'aborder ce problème. Il se pourrait que nous ayons à nous entretenir de nouveau avec vous ou avec vos conseillers officiels. Maintenant que nous sommes bien au fait de ce que vous voulez, il s'agit maintenant pour nous de trouver une façon pratique de résoudre le problème.
M. Taylor: La solution est droit devant vous, sénateur.
Le président: Je ne conteste pas qu'il s'agisse là d'une solution. La question est de savoir s'il y a d'autres possibilités. C'est ce dont nous voudrions vraiment nous assurer. Merci beaucoup d'être venus nous rencontrer.
M. Farber: Monsieur le président, j'aimerais vous présenter M. Geoff Hughes de la Direction de la politique de l'impôt. M. Hughes donnera au comité un aperçu des autres solutions possibles.
Le président: Cela nous serait extrêmement utile.
Le sénateur Angus: Il nous faut trouver d'autres façons de parvenir au même résultat.
M. Geoff Hughes, agent principal de la politique de l'impôt, ministère des Finances: C'est que nous cherchons à faire. Nous sommes tous sympathiques au cas qui nous est soumis. Toutefois, comme l'a signalé le président du comité, en réglant ce problème nous ne voudrions pas en créer d'autres.
Comme l'a mentionné M. Taylor, des représentants du ministère des Finances se sont rendus dans le nord de l'Alberta la semaine dernière pour examiner d'autres possibilités avec les représentants de la bande concernée. Nous tenons d'abord à bien comprendre les problèmes que pose à cette bande l'alinéa 149(1)d), pour ensuite envisager la possibilité de conclure avec elle une convention fiscale. Dans son budget de 1997, le ministre des Finances a indiqué qu'il souhaitait conclure de telles conventions avec diverses bandes qui manifesteraient un intérêt en ce sens.
Sauf erreur, il n'est pas nécessaire que ce genre de convention s'inscrive dans une entente d'autonomie gouvernementale. La bande se chargerait de percevoir son propre impôt auprès des particuliers et des entreprises, ou une forme quelconque de taxe d'accise, du genre de la TPS. Le gouvernement fédéral se retirerait alors de ce champ d'imposition, et il aiderait la bande à gérer son secteur fiscal, tout comme il le fait déjà pour la grande majorité des provinces.
N'ayant pas encore eu l'occasion de m'entretenir avec mes collègues qui se sont rendus rencontrer les représentants de la Première nation crie Mikisew, je ne suis pas au courant des résultats de leurs consultations; tout au plus m'a-t-on vaguement indiqué qu'on espère pouvoir compter sur ce moyen pour aplanir les difficultés que cause à cette Première nation l'alinéa 149(1)d).
Le président: Pourriez-vous nous expliquer en termes simples comment cette convention fiscale pourrait résoudre le problème?
M. Hughes: Cette disposition législative a effectivement pour conséquence d'assujettir à l'impôt fédéral sur le revenu des sociétés les sociétés gérées par les bandes. Dans l'hypothèse envisagée, les bandes percevraient leurs propres impôts, et nous nous retirerions de ce champ d'imposition.
Le président: Et ces recettes fiscales leur appartiendraient en propre?
M. Hughes: C'est juste. J'ignore si cette mesure réglerait le problème; je veux tout simplement dire que nous explorons cette hypothèse de solution.
Le président: Avez-vous dit que vous envisagez plusieurs solutions de rechange, ou que c'est plutôt à cette option que vous songez?
M. Hughes: C'est l'option que nous privilégions.
Le président: Je suggère que nous ne mettions pas ce projet de loi aux voix dès aujourd'hui, mais qu'on donne plutôt au ministère et à la bande Mikisew la possibilité de discuter plus avant de la question. Vous voudrez peut-être d'ailleurs nous faire participer à ces discussions.
Vu que le gouvernement aimerait que ce projet de loi soit adopté avant que nous ajournions pour l'été, le ministère se sent pressé de régler ce problème rapidement. Il nous reste du temps, d'ici à ce que le Sénat interrompe ses travaux pour l'été, pour nous pencher sur cette question. Je crois qu'il vaudrait la peine que nous nous donnions une semaine ou dix jours pour essayer de trouver une solution autre qu'un amendement.
Mes collègues y voient-ils quelque objection?
Compte tenu du fait que ce projet de loi remonte à 1995, ce n'est certes pas une question de vie ou de mort que nous l'adoptions cette semaine. Si c'est ainsi que le voit le comité, je suis heureux de proposer ce délai. J'ai d'ailleurs nettement l'impression que les membres du comité partagent mon avis là-dessus.
M. Farber: Monsieur le président, ce projet de loi contient, par exemple, une foule de mesures relatives à des crédits d'impôt sur le revenu personnel qui sont déjà appliqués au moment où nous nous parlons. En ce sens, il est donc important.
Par ailleurs, comme je l'ai mentionné dans ma déclaration préliminaire, l'application des dispositions qui touchent l'article 149 a été reportée au prochain exercice, de sorte que nous disposons, d'ici la fin du présent exercice, d'une grande latitude pour tenir les discussions dont vous venez de parler. Des entretiens de cette nature ne peuvent pas avoir lieu du jour au lendemain. Il nous faudra passer par d'intenses négociations pour en arriver à conclure une convention fiscale et à nous entendre sur les paramètres qu'elle devrait comporter. Toutefois, nous avons jusqu'à la fin de présent exercice pour le faire.
Dans les circonstances, nous disposons donc du temps voulu. Nous avons déjà amorcé le processus, et je m'attends à ce que nous poursuivions les discussions au cours de l'été et de l'automne.
Le président: L'alinéa 149(1)d) n'entrera en vigueur qu'au début de 1999, n'est-ce pas?
M. Farber: C'est exact, monsieur le président. Comme vous le savez, l'année d'imposition coïncide normalement avec l'exercice financier. Par conséquent, bien que je ne connaisse pas la date de fin d'exercice de cette bande, je prévois que nous disposerons d'encore plus de temps pour conclure les arrangements que nous jugerons nécessaires.
Le président: Dans les circonstances, et sachant que le ministère voudra soumettre à notre comité un autre projet de loi de ce genre d'ici 12 mois, je serais heureux que nous puissions adopter celui-ci, en ayant à l'esprit que le prochain projet de loi de cette nature présentera d'énormes difficultés si nous n'avons pas encore réussi à ce moment-là à régler ce problème.
Quand débute l'exercice financier de la bande Mikisew?
M. Dan MacIntosh, coordonnateur de la législation, Division de la législation de l'impôt, ministère des Finances: Il débute le 1er avril.
Le président: Dans ce cas, ai-je raison de croire que cette mesure n'entrera pas en vigueur avant le 1er avril 1999?
M. Farber: Oui, vous avez raison.
Le président: Monsieur Taylor, pourriez-vous revenir à la table pour nous dire ce que vous en pensez?
M. Taylor: Je tiens seulement à réaffirmer que nous nous réjouirons de toute solution que le Sénat voudra bien proposer à notre problème.
Sans vouloir mettre en doute la bonne foi et les intentions de nos amis du ministère des Finances, je crains cependant qu'une fois qu'ils seront sortis d'ici et que le projet de loi C-28 sera en route, il ne leur reste pas beaucoup de motivation pour poursuivre les discussions.
Le président: Voilà pourquoi j'ai bien pris soin de souligner le fait -- et M. Farber l'a certes compris -- que le ministère des Finances nous soumet chaque année un projet de loi sur l'impôt. J'imagine que le projet de loi dont il nous saisira l'an prochain, à un moment qui vous sera encore acceptable puisque votre exercice financier commence à ce moment-là, saura résoudre ce problème à votre satisfaction.
Il ne fait aucun doute que les membres de notre comité croient que ce problème doit être réglé, et il est également manifeste que le ministère est sympathique à votre demande. Si on ne trouve pas de solution, je présume que vous n'hésiterez aucunement à nous le faire savoir à un moment où il nous restera encore beaucoup de temps pour nous y attaquer. Je dis cela très sérieusement.
M. Taylor: Bien sûr.
Le sénateur Angus: Est-ce qu'une convention fiscale du genre de celle qu'a décrite M. Hughes vous apparaîtrait satisfaisante?
M. Taylor: Comme l'a mentionné M. Farber, nous avons tenu la semaine dernière nos premières discussions à ce sujet avec les représentants du ministère. Nous y avons traité de certains des principes fondamentaux sur lesquels reposerait la négociation d'une telle convention. Nous sommes enthousiastes à l'idée d'envisager avec le Canada toute solution qui reconnaisse officiellement, nous l'espérons, les droits et responsabilités des Premières nations.
Mon collègue n'a pas mentionné que la convention dont nous parlons nécessitera la coopération et l'assentiment de la province de l'Alberta. Il ne s'agit donc nullement d'une convention simple à négocier. Il faudra y mettre le temps.
Le président: Comme on vient de nous l'expliquer, ce projet de loi n'entrera en vigueur que le 1er avril 1999.
Chers collègues, je suis tout à fait disposé à procéder à l'adoption de ce projet de loi, mais pourvu qu'il soit très bien entendu que le comité s'attend à ce que le 1er avril, quand il sera saisi du prochain projet de loi sur l'impôt, ce problème aura été réglé à la satisfaction de la bande Mikisew. Si tel n'était pas le cas, M. Taylor nous en alertera et nous essaierons alors de trouver une autre solution.
Le sénateur Angus: Voulez-vous dire que ceci met fin à notre étude du présent projet de loi? Il y a beaucoup d'autres éléments dans ce projet de loi.
Le président: Je ne demande pas mieux que de vous voir poser des questions aux représentants du ministère. Nous disposons encore de 20 minutes, et, si vous avez des questions, je les inviterai volontiers à y répondre.
Y a-t-il d'autres questions que vous aimeriez aborder avec eux?
Le sénateur Angus: Les deux seules questions que nous avons abordées jusqu'ici sont celles des paiements de transfert en matière de santé et de l'alinéa 149(1)d). Il y a d'autres points que j'aimerais soulever, mais je voudrais suivre le programme que vous vous êtes fixé.
Le président: Il était important que nous traitions de la question des Mikisew parce que les représentants de cette bande étaient présents aujourd'hui. Il me fait toutefois plaisir de poursuivre la discussion générale avec les représentants du ministère.
Le sénateur Stewart: Suite à ce que vient tout juste de dire le sénateur Angus, j'allais poser à propos du projet de loi une question d'ordre général qui ne porte pas sur ce problème particulier.
Le président: Nous pouvons considérer, je crois, que nous en avons terminé pour l'instant avec la question des Mikisew. Toutefois, monsieur Taylor, nous vous prierions de demeurer en communication avec nous à ce sujet.
M. Taylor: D'accord, j'y veillerai.
Le sénateur Stewart: Quels changements importants auxquels le présent projet de loi, s'il est adopté, donnera force de loi sont déjà en application? Je sais que certaines des modifications qu'on veut apporter à la loi sont des modifications de pure forme qui ont peut-être relativement peu d'importance. Toutefois, ce qui me préoccupe, ce sont les changements majeurs. En présumant que certains de ces changements majeurs sont déjà appliqués, quels sont-ils? Pouvez-vous m'en énumérer six, huit, dix?
M. Farber: Je vais essayer de le faire.
Monsieur le président, ce projet de loi apporte effectivement un certain nombre de changements importants. Je peux vous en énumérer plusieurs.
Le sénateur Stewart: Qui sont déjà en application.
M. Farber: Qui sont déjà en application?
Le sénateur Stewart: Oui.
M. Farber: Monsieur le président, ils sont tous déjà en application, sous réserve de certaines clauses de droits acquis et des dates d'entrée en vigueur prévues dans le projet de loi. Par exemple, les modifications dont nous venons de discuter concernant l'article 149 n'entreront officiellement en vigueur que l'an prochain. Nombre de ces modifications, notamment celles portant sur des crédits d'impôt touchant l'année d'imposition 1997, sont déjà en application et les contribuables ont déjà réclamé ces crédits dans leur déclaration d'impôt.
Le sénateur Stewart: Quel est le fondement juridique d'une telle pratique?
M. Farber: Monsieur le président, nous avons eu des discussions à ce sujet dans le passé. Pour autant que ces modifications comportent des allégements fiscaux ou des crédits d'impôt, les contribuables en traitent dans leur déclaration d'impôt comme s'ils y avaient déjà droit. De son côté, Revenu Canada n'effectuera pas immédiatement ces remboursements, mais les accumulera jusqu'à ce que la modification devienne loi.
Dans le cas des modifications qui constituent un resserrement des règles, on adopte la même approche. Un contribuable qui ne désire pas tenir compte d'une telle mesure parce qu'elle n'a pas encore force de loi à la date précise où il produit sa déclaration d'impôt n'est pas tenu de le faire, mais il doit quand même être conscient qu'une fois que la loi aura été officiellement adoptée, la mesure en question s'appliquera normalement rétroactivement à la date où elle a été annoncée.
Cependant, nous avons constaté dans le passé que Revenu Canada prenait soin, dans les directives qu'il donne aux contribuables pour remplir leur déclaration d'impôt, de mettre en lumière les nouvelles dispositions qui n'ont pas encore force de loi mais dont le contribuable peut déjà tenir compte dans sa déclaration, s'il le désire, sous réserve de leur adoption définitive.
Comme je l'ai dit tout à l'heure, ces remboursements d'impôt sont généralement accumulés jusqu'à ce que les nouvelles dispositions aient force de loi.
Le sénateur Stewart: Dans le cas des transferts en espèces effectués dans le cadre du TCSPS, a-t-on déjà redressé les montants en cause en prévision de l'adoption de ce projet de loi?
M. Gusen: Non. Nous avons fait nos versements aux provinces en fonction de la loi actuelle. Si cette modification est adoptée, nous allons hausser le montant des paiements de manière à tenir compte rétroactivement du nouveau plancher de contribution pécuniaire porté à 12,5 milliards de dollars.
Le sénateur Stewart: Ce qu'on vient de nous dire, si j'ai bien compris, monsieur le président, c'est que les seules modifications fiscales qui sont déjà en application le sont soit dans des cas où le remboursement devant résulter d'une mesure qui n'est encore qu'annoncée est retenu par le gouvernement, soit dans des cas où le contribuable accepte, pour ainsi dire de son plein gré, de payer un supplément d'impôt en prévision de l'adoption d'une mesure annoncée. Ai-je bien compris?
M. Farber: Mon collègue vient tout juste de m'informer que Revenu Canada établit déjà ses cotisations en tenant compte des nouveaux crédits d'impôt annoncés. Les montants d'argent en cause ne sont toutefois pas considérables, et plutôt que d'accumuler un énorme volume de remboursements, le ministère préfère les effectuer dès maintenant.
Le sénateur Stewart: Nous nous sommes déjà penchés sur cette question dans le passé. Nous comprenons la situation et sommes conscients du problème. L'une des difficultés, c'est qu'idéalement, les modifications à la Loi de l'impôt entreraient en vigueur immédiatement après qu'on en fait l'annonce. Nous comprenons par ailleurs que, dans le cas des modifications compliquées, il est souhaitable que les fiscalistes aient vraiment la possibilité d'en évaluer les implications et disposent de suffisamment de temps pour le faire.
Le problème, c'est de faire cadrer tout cela dans un calendrier parlementaire. Le Royaume-Uni a une loi qui lui permet d'appliquer provisoirement les modifications à sa loi de l'impôt avant qu'elles n'entrent en vigueur officiellement, mais il y a des raisons pourquoi on ne l'a pas fait au Canada. Le mieux que nous puissions faire, c'est de continuer à demander quels changements importants sont déjà appliqués et dans quelle mesure le projet de loi, s'il est adopté, s'applique rétroactivement. En un sens, je suis en train de reconnaître qu'il ne semble pas exister de mécanisme propre à nous permettre de résoudre le problème.
Le sénateur Angus: Ne voulez-vous pas également dire que ces mesures fiscales sont regroupées un peu pêle-mêle dans un projet de loi qui contient peut-être des choses que nous ne soupçonnons pas? On m'a dit qu'il s'y trouve des éléments qui remontent à bien avant le budget de 1997.
Ce projet de loi a déjà franchi l'étape de l'étude en comité à la Chambre des communes. Nous sommes censés évaluer certaines de ces mesures en faisant preuve d'esprit pratique. Le sénateur Stewart et moi-même avons déjà soulevé cette question dans le passé. En deux heures tout au plus, il nous faut essayer de passer au travers de l'examen de ce projet de loi sans rien pour nous guider. Certains de ses éléments sont fort complexes, même pour les experts de chez McCarthy Tétrault, ou encore de chez Stikeman Elliot. Ne serait-il pas possible que dans l'avenir on nous fournisse autre chose que simplement ce document aride?
Le président: Je me réjouis de ce que le sénateur Angus soulève cette question. Une des choses que j'ai dites plus tôt à M. Goldstein, notre attaché de recherche, c'est que j'ai l'intention de discuter de la question avec le sous-ministre des Finances. Nous avons du mal à accepter que la situation se détériore à cet égard d'année en année plutôt que de s'améliorer. Nous en sommes maintenant rendus à nous pencher sur des budgets vieux de trois ans plutôt que d'un an ou deux.
Par ailleurs, précisément sur le point que soulève le sénateur Angus, quand on nous soumet un projet de loi omnibus, il doit sûrement être possible de trouver un moyen de permettre au comité d'en examiner les principaux éléments en consultation avec d'autres personnes. Si tel était le cas, le projet de loi nous deviendrait familier et nous pourrions l'adopter en l'espace de 20 minutes. Le ministère de l'Industrie, par exemple, nous consulte bien à l'avance quand il prévoit nous soumettre un projet de loi. Il en résulte que lorsque nous en sommes saisis, nous en venons à bout en très peu de temps.
Je vais essayer de convaincre le sous-ministre des Finances de la nécessité de trouver une solution à ce problème. Ce projet de loi contient des mesures qui remontent à 1995, ce qui veut dire que certaines d'entre elles datent de 38 mois, ce qui est proprement scandaleux. Je ne vous en fais pas le reproche à vous. Tout comme le sénateur Stewart, je comprends le problème.
Il doit quand même y avoir une solution meilleure que celle-ci, qui n'en est tout simplement pas une.
Le sénateur Angus: Un autre point qui nous apparaît important pour ce qui est de la politique fiscale, c'est que, comme cela s'est déjà produit dans le passé, deux ou trois petits mots peuvent avoir, dans le cas d'un contribuable donné, des incidences pouvant se chiffrer par millions de dollars si la perte se perpétue, par exemple, dans le cas de fusions. Il y a un exemple qui me vient immédiatement à l'esprit. Des choses de ce genre peuvent nous passer sous les yeux sans que nous nous en apercevions -- et sans qu'il y ait nécessairement mauvaise foi -- , et un comité comme le nôtre peut fort bien en expédier l'examen sans se rendre compte des conséquences. Je crois que la population mérite mieux que cela, et nous avons le devoir de nous améliorer. Parfois, quand je me prononce sur ce genre de projet de loi, je crains de donner ma bénédiction à des choses qui ont beaucoup plus de portée que je ne le crois et qui devraient au moins être davantage approfondies et faire l'objet d'une audience. Peut-être devrait-il y avoir quelqu'un d'averti qui passerait en revue avec nous les principaux éléments d'un tel projet de loi et qui pourrait nous faire remarquer, par exemple, que l'article 149 permettra à Abitibi Price de profiter d'une énorme déduction fiscale, ou de quelque chose du genre. À mon sens, ce sont là des choses qu'il nous faudrait connaître.
Le sénateur Kolber: J'ai écouté ce que chacun avait à dire là-dessus, mais je crois que nos attentes à cet égard ne sont pas très réalistes. J'ai demandé à quelqu'un qui s'y connaît d'examiner de près une bonne partie de ce projet de loi. Dans une large mesure, me dit-on, il propose des modifications de pure forme qui visent à remédier à des anomalies et à des injustices. Il serait insensé de la part du comité d'essayer de le parcourir au complet.
Le président: Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire.
Le sénateur Kolber: J'aurais une solution à proposer, pour rassurer le sénateur Angus, qui le mérite bien d'ailleurs. Quand nous sommes saisis d'un projet de loi omnibus, nous pourrions peut-être, avant même que nous entendions les représentants du ministère des Finances, faire comparaître un ou deux fiscalistes, des avocats fiscalistes ou des représentants de l'une des importantes firmes comptables expertes en la matière. Nous pourrions leur demander, par exemple, si le projet de loi en question avantage un groupe par rapport à un autre, ou leur poser toute autre question qui nous paraîtrait utile.
Le sénateur Angus: C'est vraiment la moindre des choses. J'allais justement dire que nous devrions pouvoir profiter de séances d'information avant la tenue de nos audiences.
Le sénateur Kolber: Quelqu'un pourrait examiner de près ce qu'il en est, de manière à ce que nous puissions affirmer que nous nous sommes acquittés convenablement de notre rôle de fiduciaires.
Le sénateur Angus: Dans d'autres domaines, nous tenons des réunions préparatoires à huis clos où des représentants du ministère concerné nous expliquent le projet de loi dans ses grandes lignes, ce qui nous permet d'en comprendre la structure et de voir quel lien ses principaux éléments ont avec le budget. Nous sommes alors prêts à entendre formellement les représentants du ministère en question, car nous sommes mieux armés pour le faire.
J'ai remonté dans l'historique du fonctionnement de notre comité, même jusqu'à l'époque du dépôt de la Loi de l'impôt sur le revenu de 1952. Il y avait alors une entière collaboration entre le ministère et notre comité. Le comité avait un conseiller juridique qui l'aidait à parcourir le projet de loi, et l'exercice était fort productif. Chacun pouvait se prononcer en pleine connaissance de cause. J'ai grandement confiance en notre président, et nous faisons un bon travail d'équipe, là n'est pas la question, mais je suis quand même inquiet.
Le sénateur Kolber: Le sénateur Stewart a dit que ce projet de loi prendra les fiscalistes au dépourvu. C'est du moins ce qu'il me semble avoir dit.
Le sénateur Stewart: Ce que j'ai dit, c'est que, souvent, on ne veut pas donner immédiatement force de loi à une proposition qui a été annoncée dans le budget, car on tient à la lancer d'abord dans le public, comme on l'a fait dans ce cas-ci, et voir ensuite ce que les fiscalistes en pensent, de façon à éviter que le ministère commette par inadvertance des erreurs tenant aux complexités de la mesure proposée.
Le sénateur Kolber: Je m'empresse de vous rappeler que dans le cas qui nous occupe, les modifications proposées ont été rendues publiques il y un bon moment déjà.
Le sénateur Stewart: C'est vrai.
Le sénateur Kolber: Les intéressés ont eu tout le loisir d'en prendre connaissance. Je puis vous garantir que ce qui se trouve dans ce document a été influencé par un déluge d'observations dont des centaines de fiscalistes ont fait part aux gens du ministère des Finances. Ces propositions n'ont pas été formulées à l'aveuglette.
Il nous aurait d'abord fallu parcourir ce projet de loi avec l'aide d'un spécialiste. Essayer de scruter ici même un tel document serait insensé.
M. Farber: Je ne voudrais pas m'allonger là-dessus, mais je vous rappelle que ce projet de loi sort un peu de l'ordinaire, car il contient des mesures qui remontent à avril 1995.
Nous nous sommes toujours efforcés de présenter sans tarder les projets de loi portant sur des modifications de forme. Celui-ci comporte une multitude de propositions visant à remédier dans la loi à des anomalies et à des lacunes de forme qui ne changent en rien la politique fiscale.
Les modifications de forme proposées en avril 1995 ont été reprises dans le projet de loi C-69, qui est mort au Feuilleton. Pour pouvoir donner force de loi à tout ce qui était demeuré en suspens, nous avons regroupé ces propositions de modification avec celles qui ont été annoncées dans le budget de 1997. Comme je l'ai mentionné tout à l'heure, pour tenter de rendre ce projet de loi aussi simple que puisse l'être un projet de loi de nature fiscale, nous l'avons divisé en deux sections, la première contenant ces modifications de forme, et l'autre traitant des mesures annoncées dans le budget, de manière à ce qu'on puisse au moins avoir une idée générale de ce sur quoi il porte.
J'ose espérer qu'on ne présentera plus jamais de projets de loi omnibus aussi compliqués que celui-ci. Nous vous soumettrons, un peu plus tard cette année, si tout va pour le mieux, un autre projet de loi qui viendra donner force de loi aux propositions du budget de 1998, et nous essaierons, cette fois-là, de procéder le plus rapidement possible. Nous escomptons bien que l'avant-projet de loi donnant suite au budget de 1998 sera rendu public d'ici un mois ou un mois et demi pour permettre aux fiscalistes de l'étudier, et que nous pourrons déposer le projet de loi proprement dit au début de l'automne et le soumettre ensuite à l'examen des deux chambres.
Le président: Honorables sénateurs, bien que je sois sensible aux propos que vient de tenir M. Farber et que je ne doute pas de sa sincérité, j'espère bien qu'il a raison de croire que le présent projet de loi est exceptionnel. Depuis que je siège à ce comité, ce doit être la cinquième ou la sixième fois que des représentants du ministère des Finances nous chantent la même chanson. Je sais qu'il est sincère, mais le problème, c'est que ce n'est jamais ainsi que les choses se passent.
Je suggère que le sénateur Angus et moi-même essayions, au cours de l'été, de trouver, en collaboration avec le ministère, une façon de procéder qui soit plus acceptable. Je crois que le sénateur Kolber avait bien raison de dire que nous avons un devoir de fiduciaires et qu'à ce titre, nous nous devons de saisir toutes les nuances des projets de loi comportant des modifications de forme et d'en déceler tous les éléments importants. Nous pourrions essayer de trouver un mécanisme qui nous permettre d'éviter ce genre d'embarras, soit que nous demandions à nos propres experts de nous orienter dans notre étude, soit que nous organisions des séances d'information préparatoires, ou les deux, soit encore que nous étudiions le projet de loi par morceaux, je ne sais trop. Je pense qu'au cours de l'été, nous pourrions concevoir un mécanisme auquel nous pourrions recourir quand viendra le temps d'étudier le prochain projet de loi fiscal l'an prochain. Nous éviterions ainsi de nous retrouver avec le problème que nous connaissons aujourd'hui. C'est ce que je suggère.
En ce qui concerne la politique fiscale proprement dite, je serais favorable à l'idée de nous entretenir avec le ministre des Finances à propos de sa politique fiscale ou de sa politique budgétaire. J'ai toutefois l'impression qu'il serait préférable de le faire le plus tôt possible après le dépôt du budget plutôt que de le faire à propos de budgets qui datent de deux ou trois ans. Quand nous nous réunirons à huis clos mardi prochain, c'est une question dont nous devrions discuter. C'est devenu pour nous une coutume que d'entendre régulièrement tous les ans le gouverneur de la Banque du Canada. Nous n'avons jamais pris soin de faire comparaître ainsi le ministre des Finances. Sauf erreur, le gouverneur de la Banque du Canada comparaît devant nous le plus tôt possible après le dépôt du budget pour venir discuter avec nous de politiques macroéconomiques. Il ne serait certes pas déraisonnable d'instituer la même procédure dans le cas du ministre des Finances, qui pourrait de son côté venir nous entretenir de politiques microéconomiques. Je pense qu'il serait toutefois plus utile de le faire dans les jours qui suivent l'énoncé budgétaire plutôt qu'à l'occasion de l'étude d'un projet de loi qui porte sur des mesures budgétaires annoncées il y a un, deux ou trois ans. Nous devrions, je crois, discuter de cette question à la réunion à huis clos que nous tiendrons mardi soir prochain. Si les membres du comité m'appuient sur ces deux suggestions concernant notre procédure, je serais disposé à procéder dès aujourd'hui à l'adoption du projet de loi dans sa forme actuelle.
Notre troisième point litigieux avait trait à la question des Mikisew qui, sauf erreur, est censée se régler d'ici au dépôt du prochain projet de loi fiscal.
Voilà comment je résumerais nos discussions d'aujourd'hui. Y a-t-il des commentaires?
Le sénateur Angus: Je ne suis pas prêt à me prononcer aujourd'hui, car j'ai encore quelques questions à poser.
Vous avez mentionné tout à l'heure en parlant de la question des Cris Mikisew que nous avons encore du temps à notre disposition. Il est important, j'en conviens, que nous en venions à adopter ce projet de loi, et je tiens moi aussi à ce qu'on le fasse, mais je préférerais que nous en reportions à une autre séance la mise aux voix article par article.
Au moment où nous discutions de la question des paiements de transfert, quelqu'un a fait une suggestion intéressante. Que nous proposions des amendements ou non dans notre rapport -- je n'ai d'ailleurs pas l'intention d'en proposer moi-même -- , nous devrions au moins profiter de l'occasion pour formuler quelques observations sur le passage du FPE au TCSPS, par exemple, et sur les vives inquiétudes que suscite la détérioration de notre système de santé.
Le sénateur Stewart: Vous soulevez là un point important. Dans plusieurs provinces, on reproche à Ottawa de ne pas fournir aux provinces les fonds dont elles auraient besoin pour dispenser tous les services jugés nécessaires.
Je suis sûr qu'on peut trouver à l'heure actuelle une abondante documentation sur l'évolution de la politique du gouvernement fédéral en matière de transferts aux provinces à des fins précises, ce qui exclut le programme général de péréquation. Peut-être que quelqu'un pourrait se charger au nom du comité de relever dans cette documentation tout ce qui présente de l'intérêt. Dans bien des cas, il s'agirait simplement de reproduire quelques passages décrivant ce qui s'est fait dans une année donnée et d'organiser le tout de manière à faire ressortir les décisions qui ont marqué l'évolution de cette politique fédérale de financement et leurs conséquences. Je ne crois pas qu'on puisse le faire du jour au lendemain, mais je suis convaincu qu'on pourrait ainsi produire un document fort précieux.
Le président: M. Goldstein nous a dit qu'il pourrait s'en charger.
Le sénateur Angus: Je pense qu'il nous faudrait toutefois un peu de temps. Si les sénateurs acceptent que nous formulions quelques observations à propos des paiements de transfert, il me semblerait logique que nous en formulions également à propos des projets de loi omnibus, sans toutefois aller jusqu'à compromettre l'adoption de celui-ci au Sénat. Nous pourrions, d'ici la semaine prochaine, résumer en quelques paragraphes notre discussion sur ce sujet. Je propose que nous reportions la mise aux voix article par article pour pouvoir traiter de cette question quand nous tiendrons notre caucus.
Le président: D'accord. Je vais demander à M. Goldstein de rédiger, notamment à propos des paiements de transfert et des projets de loi omnibus, quelques observations que nous pourrions inclure dans notre rapport.
Le sénateur Angus: Ma première question a trait au maintien en vigueur de l'impôt sur le capital dans le cas des banques. À quoi tient cette mesure? Il y a beaucoup de plaintes à ce sujet. À ce que j'ai entendu dire, cet impôt serait très malsain pour les banques. Il s'applique tant au fédéral qu'au provincial.
Une des dispositions pertinentes du projet de loi s'applique jusqu'en octobre 1998. Pourquoi ne pas l'abroger dès maintenant? En octobre, ce projet de loi ne sera même pas encore sanctionné.
M. Farber: Les documents budgétaires qui traitent de cette question ne mentionnent pas la raison d'être de cette mesure. Tout ce qu'on y dit, c'est que cet impôt continuera de s'appliquer durant une autre année.
Quant au motif du maintien de cet impôt, c'est que le gouvernement fédéral devait escompter, je présume, percevoir dans ce secteur un certain montant préétabli. Il maintiendrait alors cet impôt jusqu'à ce que les recettes fiscales qu'il tire du milieu bancaire aient atteint le niveau escompté. Si cette mesure est reconduite d'année en année, c'est pour qu'elle ne soit pas réputée permanente.
Le sénateur Angus: En était-il question dans le budget?
M. Farber: Oui, dans le budget de 1997.
Le sénateur Angus: Nous avons eu de nombreuses discussions ici même au comité à propos de la règle de 20 p. 100 concernant la proportion de placements étrangers admissibles au REER. Je ne voudrais pas reprendre ce débat à ce moment-ci, mais le ministre nous a répété maintes fois que, même s'il était plutôt favorable à l'idée d'assouplir cette règle en relevant ou même en abolissant ce plafond, il croyait que le temps n'était pas venu de le faire.
Cette règle a été prorogée, je crois. En est-il question quelque part dans la loi? Si oui, pourriez-vous me dire où se trouve cette disposition? Si possible, j'aimerais également connaître votre avis là-dessus.
M. Farber: Mon collègue était justement en train de vérifier s'il en a été question dans le dernier budget.
Si j'ai bonne mémoire, le gouvernement a fait progressivement passer de 10 à 20 p. 100 la proportion de placements étrangers admissibles. Je crois que nous avons atteint le plafond de 20 p. 100 il y a un an ou deux. Ce dont on débat, c'est à savoir s'il y aurait lieu de relever ce plafond ou de l'abolir tout simplement. Il y a des pour et des contre dans les milieux boursiers et chez les teneurs de marché.
Je crois que le présent projet de loi ne contient aucune disposition portant relèvement de ce plafond, mais je puis vous assurer que le ministère continue de tenir des consultations et d'effectuer des recherches sur cette question. Toute nouvelle décision à cet égard fera sans doute l'objet d'une annonce dans un futur budget.
Le sénateur Callbeck: Concernant cette règle de 20 p. 100, je crois que tous les témoins que nous avons entendus, du moins depuis que je siège à ce comité, ont exprimé l'avis que ce plafond devrait être relevé. Vous dites qu'il y a des pour et des contre. J'aimerais bien qu'on m'explique pourquoi ce plafond ne devrait pas être relevé. Quels sont les arguments contre?
M. Farber: Je crois que nos experts du domaine des institutions financières seraient mieux en mesure que moi de répondre à votre question.
Une des considérations sur lesquelles se fonde cette mesure, c'est que les caisses de retraite obtiennent des exemptions et d'autres avantages fiscaux sur des fonds qui leur sont confiés et qui sont placés dans des REER qui donnent également droit à des déductions et à des exemptions fiscales.
C'est pourquoi d'aucuns font valoir qu'il est normal qu'on exige que ces fonds soient investis au Canada ou qu'à tout le moins on limite la mesure dans laquelle ils peuvent être investis à l'étranger. C'est un des aspects dont il faudrait tenir compte en examinant cette question.
Le président: Nous serons heureux d'aborder la question sous cet angle avec vos collègues. Comme vous le savez, ces cinq dernières années, notre comité a essentiellement préconisé l'abolition de ce genre de restriction, surtout compte tenu du fait qu'au moyen des produits dérivés les grosses caisses de retraite peuvent contourner cette règle. En fait, la règle visant à limiter les placements étrangers gêne non pas les gros investisseurs, mais seulement les petits, dont les stratégies ne sont pas assez raffinées pour les amener à placer dans les produits dérivés.
Je conviens avec vous que cette question n'est pas de votre domaine.
Le sénateur Angus: J'avais à l'esprit le communiqué du 23 octobre 1997, où l'on annonçait que la limite de 20 p. 100 s'appliquerait désormais à certains fonds réservés qui n'étaient peut-être pas visés auparavant par cette mesure.
Si je soulève cette question, c'est que nous avons là une nouvelle indication que, du moins jusqu'à nouvel ordre, le gouvernement entend maintenir sa politique de limiter à 20 p. 100 la proportion de fonds placés dans un REER qui peuvent être investis à l'étranger.
M. Farber: Je n'ai pas en main ce communiqué, monsieur le président. Toutefois, si j'ai bonne mémoire, dans la mesure où les autres caisses de retraite étaient tenues de respecter la règle de 20 p. 100, il était anormal que les caisses à fonds réservés puissent contourner cette règle. Le gouvernement ne cherchait pas à...
Le sénateur Angus: ... bloquer cette échappatoire?
M. Farber: Oui. Cette mesure a vraiment pour but de niveler les règles du jeu pour toutes les caisses de retraite, qu'il s'agisse de caisses à fonds réservés ou d'autres types de caisses.
Le sénateur Angus: C'est ce que je pensais.
J'aurais deux ou trois autres questions à vous poser à propos des règles régissant la transport maritime international. Mes questions ne visent pas, comme d'autres, à attaquer le ministre à propos de sa participation actuelle ou passée dans Canada Steamship Lines. C'est plutôt que je m'intéresse personnellement à l'industrie du transport maritime d'une manière toute particulière. Si j'ai bien compris, on a, dans un premier temps, modifié la Loi de l'impôt sur le revenu à l'avantage des armateurs étrangers qui auraient un siège administratif au Canada, exerceraient le gros de leurs activités dans le domaine du transport maritime international et tireraient l'essentiel de leurs revenus -- 90 p. 100, je crois -- d'activités exercées à l'extérieur du Canada. Cette mesure est à l'origine, par exemple, de l'établissement en Colombie-Britannique d'un centre de transport maritime international, ou à tout le moins du déploiement d'efforts en ce sens. On espérait ainsi profiter du changement de direction à Hong Kong en 1997 et d'autres mutations qui s'opéraient alors dans les milieux du transport maritime international. L'idée était de permettre au Canada d'obtenir sa part du gâteau, et je crois qu'il s'est agi d'une excellente initiative.
Par la suite, nos amis du Sud ont eu la même idée que nous et ont créé eux aussi un tel centre au Connecticut et un autre dans un autre État. Quelle incidence aura le projet de loi C-28 dans ce secteur? Qu'est-ce qui motive les modifications proposées qui touchent les sociétés de transport maritime international, comme on les appelle dans l'article 241?
M. Farber: Les modifications que propose le projet de loi à ce sujet visent un double objectif. Vous avez raison, sénateur, de dire que la décision de prendre des mesures pour attirer au Canada les sociétés de transport maritime international remonte à 1991. Ce qu'on a fait essentiellement au départ, ce fut d'accorder des exonérations d'impôt aux sociétés maritimes qui exerçaient leurs activités à l'extérieur du Canada, qui tiraient 90 p. 100 de leurs revenus bruts du transport maritime international et dont les activités étaient concentrées dans ce secteur. Telle était la teneur de la principale modification, qui avait été fortement réclamée par International Maritime Centres, de Vancouver.
Ce que contient à cet égard le projet de loi C-28, ce sont des précisions jugées nécessaires à la lumière de ce qui s'est passé depuis 1990-1991 dans le contexte où ont évolué les sociétés de transport maritime qui se sont établies à Vancouver. Sauf erreur, il y en a eu quelque 21.
Le sénateur Angus: Dont TK Shipping.
M. Farber: TK Shipping a été l'une des premières à le faire, et son implantation a d'ailleurs fait beaucoup de bruit, mais je crois savoir qu'en réalité, une vingtaine d'autres sociétés de ce genre se sont ainsi établies à Vancouver, d'où elles dirigent leurs activités.
Avec le temps, deux questions se sont posées. D'une part, bon nombre de ces sociétés sont exploitées par l'entremise d'une série de filiales. Dans le but de limiter leur responsabilité, par exemple, elles peuvent fort bien créer une filiale pour chaque navire qui est affecté au transport dans les eaux internationales. Nous nous sommes dit que puisque nous sommes prêts à exonérer d'impôt le revenu de l'ensemble de ces activités, pourquoi en traiterions-nous autrement dans le cas d'une série de simples filiales par l'entremise desquelles s'exercent ces activités. Le projet de loi apporte cette précision.
La seconde question qui se posait consistait à établir si le produit de la disposition d'un navire devait être assujetti à l'impôt sur le gain en capital. Il nous a semblé que, dans l'esprit de notre politique fiscale, si le revenu tiré de l'exploitation de navires exerçant leurs activités dans les eaux internationales est exonéré d'impôt, il ne serait que logique que le produit de la disposition des éléments d'actif servant à l'exercice de ces activités le soit également. Même si nous savions que c'est ainsi que Revenu Canada interprète la loi de toute façon, nous avons inclus cette précision dans ce projet de loi pour qu'il soit établi bien clairement que cette interprétation est conforme à notre politique fiscale. Il ne s'est pas agi d'un changement de politique. Nous avons toujours été d'avis que telle était la façon dont il fallait interpréter cette disposition dès le départ, en tout cas à l'époque.
Le sénateur Angus: Serait-il juste de dire que, plutôt que de rentre plus restrictive la modification initiale de 1991, on a plutôt voulu l'élargir et la rendre plus attrayante, pour ainsi dire, pour les sociétés de transport maritime international? Ne vous êtes-vous pas dit que, même si l'ancienne mesure était déjà valable, tellement que jusqu'à 21 sociétés s'étaient ainsi installées à Vancouver, nous pouvions, sans grande perte pour le fisc, faire encore mieux. Je me suis pris à espérer, en prenant connaissance de cette disposition dans le résumé du projet de loi, que nous allions assouplir encore davantage les conditions offertes à ces sociétés.
M. Farber: Non, monsieur le sénateur. Croyez-moi, c'est peut-être là un sens que d'aucuns voudront donner à ces modifications, mais ce n'est pas du tout la perception que j'en ai. Elles ne visent, je pense, qu'à préciser la lettre de la loi. On s'est vraiment efforcé d'y reprendre, en l'explicitant, l'esprit des dispositions de 1991. Prenez l'exemple que je vous ai donné à propos des filiales: c'est ainsi que fonctionnent les sociétés de transport maritime international. Ce serait très injuste de traiter les filiales différemment des sociétés mères; même chose en ce qui concerne la question de l'impôt sur le gain en capital. Nous n'avons pas élargi les règles initiales. Nous sommes vraiment peu disposés à bonifier davantage les conditions qui ont été offertes au départ à ces sociétés, car, ce faisant, nous risquerions de consentir des allégements fiscaux pour d'autres types d'activités, comme les activités de gestion -- de gestion d'autres sociétés de transport maritime international -- , qui font appel à une main-d'oeuvre nombreuse et sont directement en concurrence avec d'autres sociétés de gestion qui dirigent également leurs opérations depuis Vancouver, mais qui sont, elles, assujetties à l'impôt.
Nous nous en sommes tenus aux types de situations que j'ai décrites tout à l'heure, où l'exonération s'applique aux revenus bruts tirés du transport maritime international par une société dont c'est la principale activité.
Le sénateur Angus: Il s'agit de clarifications d'application générale; elles n'avantagent pas un contribuable en particulier qui aurait revendiqué une amélioration de son traitement fiscal?
M. Farber: Non, monsieur le président. Comme je l'ai expliqué en décrivant cette situation, c'est ainsi que ces sociétés fonctionnent. Il nous fallait harmoniser nos règles avec l'intention que nous avions au départ; autrement, nous nous serions exposés à ce que d'aucuns contestent la légitimité de notre politique.
Le sénateur Angus: J'aurais une dernière question à poser sur un autre sujet qui me tient à coeur et auquel un certain nombre d'autres sénateurs s'intéressent également. Il s'agit de la question des dons de charité, notamment des dons d'actions de société. Quand cette proposition a été annoncée dans le budget de 1997, elle devait être mise à l'essai pendant un an. Or, une année s'est écoulée et nous avons eu droit à un autre budget. Cette mesure visait à encourager les gens à faire davantage de dons caritatifs aux universités et aux hôpitaux.
M. Farber: La disposition à laquelle vous faites allusion traite des dons d'actions de sociétés ouvertes. Cette mesure sera appliquée pendant cinq ans, après quoi elle sera révisée. On vérifiera alors si elle a donné les résultats escomptés et dans quelle mesure elle a encouragé les gens à faire des dons. On décidera ensuite s'il y a lieu de l'améliorer, de la maintenir, de l'élargir, et cetera.
Essentiellement, on y précise le taux d'inclusion des gains en capital au moment de la disposition.
Le sénateur Angus: Sauf erreur, on prévoit que le coût fiscal de cette mesure sera de quelque 90 millions de dollars par année.
M. Farber: Je n'ai pas le chiffre en main, mais si ce chiffre vous vient des documents budgétaires, noua y avons effectivement avancé un chiffre approximatif.
Le sénateur Angus: C'est le bon côté de nous présenter cette mesure législative aussi tard. Il s'est écoulé plus d'un an depuis qu'elle est en application. Coûtera-t-elle effectivement 90 millions de dollars au gouvernement? D'après ce qu'on dit dans les milieux bénéficiaires, cette mesure s'est révélée extrêmement utile et elle a donné lieu à des dons qui n'auraient jamais été faits autrement. J'espère que les résultats obtenus vous encourageront à aller encore plus loin dans le même sens.
M. Farber: Permettez-moi de vérifier le chiffre qui a été avancé.
Le sénateur Kolber: Vous dites que le gouvernement y perd en raison des impôts non perçus, mais il y fait aussi des économies, car les gens mettent énormément d'argent dans les institutions financières dans lesquelles ils veulent investir.
Le sénateur Angus: On épargne doublement ou on cumule les avantages.
Le sénateur Kolber: Non, l'un annule l'autre.
Le sénateur Angus: Le solde est nul.
M. Farber: Je tiens à vérifier le chiffre de 90 millions que vous avez avancé.
Le sénateur Angus: Peu importe que ce soit 90 ou 70 millions. Avez-vous quelque chose à dire à propos des résultats de cette mesure?
M. Farber: Bien qu'il soit trop tôt pour avoir des statistiques à propos de l'année 1997 -- et je le sais pour avoir entendu raconter des anecdotes et avoir assisté à de nombreuses conférences auxquelles participaient des planificateurs de dons et des sociétés de bienfaisance -- , ce qui ressort en général, c'est que cette mesure a eu des résultats formidables. Le secteur des sociétés de bienfaisance en est très satisfait, car il reçoit beaucoup plus de dons qu'il n'aurait pu en recevoir autrement.
C'est tout un stimulant. Pour ceux qui feraient de toute façon des dons et qui détiennent des actions de sociétés ouvertes dont la valeur s'est considérablement appréciée, cette mesure présente de très intéressants avantages sur le plan fiscal. Elle encourage les gens à faire des dons et elle donne d'excellents résultats. Je prévois que les statistiques qui seront éventuellement publiées le confirmeront.
Le sénateur Angus: Êtes-vous en mesure de nous dévoiler si le ministère entend aller plus loin dans le même sens?
M. Farber: L'expérience est appliquée depuis trop récemment, et il nous faudra du recul pour pouvoir en mesurer le rendement. Parfois, quand on met en place une nouvelle mesure, on constate peu après un fléchissement de l'intérêt, puis tout se stabilise. Nous tenons particulièrement à surveiller la façon dont la mesure continue d'exercer un certain attrait. Le fait que tout fonctionne si bien et que les sociétés de bienfaisance soient si heureuses nous indique que le programme porte des fruits.
Le sénateur Angus: Quand une société ou un particulier donne un montant d'argent, la société de bienfaisance lui remet un reçu pour un montant X. Je n'ai vu aucun document du ministère portant sur la forme que doit avoir ce reçu. Que ferait, par exemple, l'Université McGill, si quelqu'un lui faisait don de ses actions? Irait-elle consulter les cotes boursières du jour pour déterminer la valeur des actions qui lui ont été cédées? Comprenez-vous le sens de ma question?
Le sénateur Kolber: Ce serait la valeur inscrite à la bourse le jour où le don a été fait qu'elle prendrait en considération.
M. Farber: Ce serait plus précisément le cours de l'action à la fin de la journée où le don est fait.
Le sénateur Angus: Qu'indiquerait-on sur le reçu? Faudrait-il, par exemple, inscrire 20 000 actions multipliées par 48 $? Y indiquerait-on la valeur monétaire ou le nombre d'actions?
Le sénateur Kolber: On y indiquerait le nombre d'actions. Je le sais par expérience.
Le sénateur Angus: Ce doit sûrement être la valeur monétaire et non le nombre d'actions.
M. Farber: Ce serait la valeur monétaire, car c'est la valeur du don qui a de l'importance.
Le président: C'est ce dont on a besoin quand on produit sa déclaration d'impôt.
Le sénateur Kolber: Y a-t-il une raison pour laquelle nous n'adoptons pas sur ce plan les mêmes mesures législatives que celles qui sont en vigueur aux États-unis depuis nombre d'années? Pourquoi tirons-nous de l'arrière?
M. Farber: Il serait trop long de répondre à cette question. Nos deux systèmes sont très différents.
Le sénateur Kolber: Sauf erreur, aux États-Unis, on déclare le nombre d'actions, le gain en capital n'est pas imposé, et le contribuable peut déduire l'entier de la valeur qu'avaient ses actions le jour où il en a fait don.
M. Farber: Je n'ai pas sous la main toutes les règles américaines.
Le sénateur Kolber: Plutôt que de perdre notre temps à émettre des hypothèses, quelqu'un pourrait-il m'envoyer une note décrivant ce qui différencie nos deux systèmes et me disant ce qui explique ces différences?
M. Farber: Nous avons déjà un document où l'on compare les deux systèmes. Je serai heureux de vous en fournir copie.
Le sénateur Kolber: Je veux savoir de quel ordre est cette différence et pourquoi.
Réalisez-vous quelque progrès dans vos efforts pour encourager le Québec à emboîter le pas à cet égard? C'est la seule province au Canada où cette déduction ne s'applique pas.
M. Farber: Le Québec administre son propre système. On ne peut lui imposer cette exigence.
Le sénateur Kolber: Je ne vous demande pas de la lui imposer.
M. Farber: Les questions d'harmonisation sont constamment soulevées dans les rencontres fédérales-provinciales. Idéalement, nous aurions un système entièrement harmonisé, non seulement pour ce qui est de l'impôt sur le revenu des particuliers, mais également pour ce qui est de l'impôt des sociétés et de la TPS.
Le sénateur Kolber: Beaucoup d'entre nous ont malheureusement échoué dans leur tentative d'obtenir qu'on accepte cette harmonisation. Si vous y réussissez, je vous en félicite d'avance.
Le sénateur Angus: Mon autre question concernant les dons de charité a trait à un problème relatif au compte de dividende en capital. Si je ne m'abuse, on avait annoncé qu'avant la fin de décembre ce projet de loi serait modifié pour permettre aux sociétés de toucher leur compte de dividende en capital.
Le sénateur Kolber: Parlez-vous d'une cession d'actions, sénateur Angus?
Le sénateur Angus: Oui. Le projet de loi a-t-il été modifié?
Le sénateur Kolber: Non.
Le sénateur Angus: Permettez-moi de poser la question aux représentants du ministère.
M. Farber: Le projet de loi a été modifié.
M. MacIntosh: L'amendement qui avait initialement été proposé et dont il était question dans le communiqué de décembre 1997 avait pour effet de resserrer les règles relatives aux dons de charité. Plus précisément, il proposait que le compte de dividende en capital n'inclue pas la portion exonérée d'impôt du gain en capital réalisé lorsque la société fait un don. Cet amendement reposait sur le principe voulant que lorsqu'on fait un don, on ne touche pas le produit de la disposition de l'objet donné. Ce principe tient à la notion même de don: le donateur se départit de quelque chose et n'obtient rien en retour. Il n'était donc pas nécessaire dans ce cas d'ajouter un montant au compte de dividende en capital. Un compte de dividende en capital est un compte dont les sociétés privées se servent à des fins fiscales et à même lequel elles peuvent puiser pour verser des dividendes en franchise d'impôt.
Puisque le donateur ne réalisait pas vraiment de gain en franchise d'impôt, en principe il n'était pas nécessaire d'avoir un compte de dividende en capital pour permettre à la société de répartir ces gains en franchise d'impôt, puisque la société ne réalise alors aucun gain.
À la suite de cette annonce, cependant, les sociétés de bienfaisance se sont adressées au ministre pour le saisir du fait que, nonobstant ce principe, la possibilité de recourir au compte de dividende en capital dans le cas des gains en capital réputés être réalisés au moment de la disposition d'un bien sous forme de don est un important stimulant propre à amener les gens à faire des dons. Le ministre a annoncé par la suite que la règle serait modifiée dans le but d'établir que dans le cas où un don est fait dans une intention caritative -- c'est-à-dire lorsque le don est fait à une société de bienfaisance ou à tout autre organisme qui est, aux termes de la Loi de l'impôt sur le revenu, un organisme de bienfaisance enregistré autorisé à émettre des reçus donnant droit à un crédit d'impôt pour dons de bienfaisance -- , le compte de dividende en capital serait maintenu, mais non dans le cas des autres types de dons.
Donc, quand un don provenant d'une société faisant partie d'un groupe est fait à une autre société faisant elle aussi partie d'un groupe dont les activités n'ont rien à voir avec une mission caritative quelconque, il n'y aura pas lieu de constituer un compte de dividende en capital, mais les dons de bienfaisance continueront de donner droit à cet avantage fiscal.
Le sénateur Angus: Est-ce décrit quelque part dans le projet de loi C-28 dont nous sommes saisis?
M. MacIntosh: Oui. L'amendement en question a été adopté à l'étape de l'étude en comité à la Chambre des communes.
Le président: Chers collègues, je propose que nous ajournions dès maintenant nos travaux pour aujourd'hui. Nous procéderons à l'étude article par article de ce projet de loi à une prochaine séance.
Merci, monsieur Farber. Comme toujours, la matinée a été pour vous agréable et harmonieuse.
La séance est levée.