Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Banques et du commerce
Fascicule 21 - Témoignages pour la séance de l'après-midi
OTTAWA, le mardi 2 juin 1998
Le comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui à 17 h 40 pour examiner la situation actuelle du système financier du Canada (Étude comparative des régimes de réglementation financière) et pour étudier le projet de loi C-28, Loi modifiant la Loi de 1997 modifiant l'impôt sur le revenu.
Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Chers collègues, nous sommes ici aujourd'hui pour nous entretenir par voie de vidéoconférence avec M. Ian Harper, professeur à la Melbourne Business School. Il nous parlera dans son témoignage de son travail comme membre de la Commission d'enquête Wallis, qui, en 1996, a étudié le système financier australien. Il nous entretiendra tout particulièrement du rapport Wallis, qui traite de la structure réglementaire des institutions financières et du marché des services financiers en Australie.
Merci d'avoir accepté notre invitation, monsieur Harper. Un certain nombre de problèmes et de politiques analogues à ceux dont traite le rapport Wallis -- et de politiques analogues à celles qu'a adoptées le gouvernement australien notamment pour donner suite aux recommandations formulées dans ce rapport -- font actuellement l'objet d'un vif débat politique dans notre pays.
Monsieur Harper, la parole est à vous.
M. Ian Harper, professeur, Melbourne Business School, Université de Melbourne: Je vais vous parler des mesures que notre gouvernement a entrepris de mettre en application. Le gouvernement australien a, en fait, retenu 114 de nos 115 recommandations. Bien entendu, celle à laquelle il n'a pas donné suite concerne les fusions, sujet sur lequel portera principalement notre discussion d'aujourd'hui.
Toutes nos autres recommandations se retrouvent essentiellement dans la loi qui est actuellement à l'étude au Parlement australien. Cette loi a franchi l'étape de la chambre basse et notre Sénat en est actuellement saisi. Tout indique que les choses se dérouleront rondement et qu'au plus tard le 1er juillet, le nouveau cadre réglementaire dont nous avons recommandé l'adoption sera en vigueur.
Le président: Nous voudrons sans doute approfondir certaines questions, mais peut-être pourriez-vous d'abord nous exposer les grands principes sur lesquels vous avez fondé votre rapport. Nous devons garder à l'esprit que, comme vous l'avez fait remarquer, 114 de vos 115 recommandations sont en voie d'être mises en application et que celle à laquelle votre gouvernement n'a pas donné suite concerne les fusions. Il va sans dire que nous reviendrons sur celle-là.
Pour avoir lu votre rapport, j'ai l'impression qu'une poignée de principes de base vous ont servi de guide dans la formulation de ces diverses recommandations. Pour l'information des membres de notre comité, peut-être pourriez-vous mettre en lumière les principaux principes sur lesquels se fondent vos recommandations.
M. Harper: Volontiers. Je trouve commode d'expliquer la logique de notre rapport en faisant ressortir qu'il porte sur trois types de considérations. Notre commission avait principalement pour mandat de se pencher sur la nature des facteurs de changement qui touchent le système financier australien. En tenant compte de ces facteurs, il nous fallait déterminer dans quel sens le gouvernement devrait modifier la réglementation du système financier australien. Il nous fallait faciliter au maximum, sur le plan commercial, l'adaptation de nos institutions financières à ces incontournables changements, tout en respectant les objectifs légitimes du gouvernement en matière de politiques d'ordre public dans le domaine des services financiers.
Dites-vous que notre rapport comporte trois volets. Dans le premier, nous traitons des changements qui s'opèrent dans le système financier. Nous y analysons les principaux facteurs qui sont à l'origine de l'évolution des besoins et des préférences de notre clientèle. Au nombre de ces facteurs, il y a le vieillissement de la population, la transformation des régimes de travail, où l'on favorise de plus en plus le travail à temps partiel, et l'abandon graduel par l'État des responsabilités qu'il assumait depuis la fin des années 40 en matière d'aide sociale. Ce sont là autant de facteurs qui contribuent à modifier la façon dont fonctionne la société australienne et qui se répercutent directement sur le système financier. En effet, le système financier sera appelé à prendre sur son dos une bonne part des responsabilités dont le gouvernement se déleste, et on lui demandera d'aider les gens à s'adapter aux exigences des nouveaux régimes de travail et à gérer leur retraite qui s'échelonne maintenant sur un plus grand nombre d'années. En d'autres termes, compte tenu des transformations que subit notre monde, notre système financier sera de plus en plus appelé à être mis à contribution.
Dans le deuxième volet, nous nous employons à établir les mesures à prendre pour que nos institutions financières réduisent leurs coûts au minimum et soient le plus efficaces possible pour pouvoir répondre à ces nouvelles exigences du marché. Il s'agit évidemment là d'une préoccupation quelque peu différente de la première. Ayant établi que le système financier sera appelé à répondre à de nouveaux besoins, nous nous demandons d'abord pourquoi ces besoins devront être comblés par nos institutions financières australiennes.
Il nous apparaît qu'en définitive, si nos institutions financières ne peuvent concurrencer leurs contreparties étrangères en fournissant à notre population les mêmes services, il nous faudra alors, naturellement, tout simplement importer les services financiers dont nous avons besoin. Nous ne portons pas de jugement sur ce qu'il faut penser d'une telle éventualité; tout au plus constatons-nous que c'est ce qui se produira si nos institutions financières ne sont pas en mesure d'affronter la concurrence. Dans notre recherche, nous partons dès lors du principe que si nos institutions financières ne parvenaient pas à être concurrentielles, il faudrait qu'à tout le moins ce soit le résultat de circonstances objectives d'ordre commercial et non parce que nous n'avons pas pris soin d'adapter en conséquence nos politiques d'ordre public.
Comme commission, et comme gouvernement, nous pouvons abolir les politiques et les règlements superflus ou inappropriés, et partant, donner à nos institutions financières les meilleures chances possible de prendre des décisions commerciales judicieuses pour relever les défis qui se posent à elles. Nous ne voulons pas anticiper sur la nature de telles décisions; nous voulons simplement faire en sorte que les politiques d'ordre public soient telles qu'on puisse les respecter sans trop d'inconvénients.
Dans le deuxième volet, donc, nous cherchons des moyens de permettre à nos institutions financières de maximiser leur efficacité et de réduire au minimum leurs coûts, du moins dans la mesure où ces coûts résultent des politiques gouvernementales.
Quant au troisième volet, nous nous y préoccupons des mécanismes à mettre en place pour protéger les usagers du système. Donc, pour récapituler, nous devons repenser le régime de réglementation financière de manière à maximiser l'efficacité des intervenants du système tout en maintenant la stabilité du secteur, sans pour autant oublier le rôle légitime que joue la politique gouvernementale dans ce domaine.
Voilà essentiellement comment nous avons structuré notre rapport. Vous remarquerez d'ailleurs qu'il est effectivement divisé en sections qui reflètent ces préoccupations.
Le président: J'aimerais d'abord que nous nous allongions un peu sur votre dernier point. Tout à l'heure, vous avez parlé de la nécessité de respecter les objectifs légitimes que visent les politiques gouvernementales axées sur l'intérêt public. Vous n'avez toutefois jusqu'ici explicitement fait mention que d'un seul objectif, à savoir la stabilité de votre système financier. Est-ce à dire que c'est le seul objectif qui vous apparaisse indiqué en matière de politique gouvernementale? Vous n'avez dit mot, par exemple, de la nécessité d'assurer que les services financiers sont offerts adéquatement partout dans le pays. Vous n'avez rien dit non plus de la répartition des succursales sur l'ensemble du territoire, ni des pertes d'emplois, ni des coûts au consommateur. Vous n'avez parlé que de stabilité. S'agit-il là à vos yeux du seul objectif légitime en matière de politique gouvernementale concernant les services financiers?
M. Harper: Les autres points dont vous avez fait mention concernent la répartition des succursales sur le territoire et l'accès universel aux services financiers. Bien qu'il s'agisse certes là d'importantes questions, elles ne portent pas sur des problèmes auxquels il conviendrait de s'attaquer au moyen de la réglementation du système financier.
Les questions touchant la répartition des services comme telle doivent être traitées séparément des questions d'efficacité. Nous sommes d'avis que c'est au moyen du régime de transfert fiscal qu'on peut s'attaquer aux questions de répartition des points de service et d'accès aux services, ce qui nous amène, nous, à mettre ces questions de côté. Nous nous sommes efforcés avant tout de maximiser l'efficacité du système financier, tout en assurant sa stabilité.
Nous nous sommes posé les questions suivantes: qu'est-ce qui justifie que le secteur public intervienne dans le système financier? Que manque-t-il au marché? Ce qui fait défaut au marché résulte du manque d'efficacité dans la communication de l'information. Nous examinons de très près ce problème dans notre rapport, et nous estimons qu'il justifie une intervention de la part du secteur public en vue de mieux garantir la stabilité du système. Voilà ce dont nous nous sommes préoccupés.
Le président: Vous étiez donc prêts à vous en remettre à ce que vous appelez le régime de transfert fiscal pour résoudre, en partie du moins, les problèmes de répartition des services et d'accès aux mécanismes du marché. Qui transfère des impôts à qui? Je ne comprends pas comment le régime de transfert fiscal peut vous être utile à cet égard.
M. Harper: Le régime de transfert fiscal est une expression qu'emploient les économistes pour parler du lien entre le régime fiscal et le régime de sécurité sociale, lien qui commande un transfert d'argent.
Soyons bien clairs là-dessus. Nous ne croyons pas que le gouvernement nous ait donné comme mandat de chercher à garantir à tous les citoyens l'accès aux services bancaires sans égard à leur condition sociale. Si la Commission ne s'est pas penchée sur cette question, c'est non pas parce qu'elle a jugé qu'il ne s'agissait pas là d'un problème réel, mais parce qu'elle s'est dit que cela ne faisait pas vraiment partie du mandat qui lui avait été confié dans la conduite de cette enquête.
S'il y a des problèmes d'accès aux services bancaires, il faut chercher à les résoudre au moyen du régime de la sécurité sociale. D'ailleurs, notre ministère de la Sécurité sociale a entrepris d'imaginer des mécanismes pour s'attaquer à ces problèmes, comme d'instituer son propre système de cartes, ou peut-être même de mettre sur pied son propre système financier. Ce sont là des façons qui lui permettraient d'assurer l'accès à ces services aux gens défavorisés. Notre commission n'a pas été saisie de ce genre de question.
Le président: Que dire des problèmes d'accès liés à la géographie? Vous avez à cet égard le même problème que nous dans le cas des localités éloignées. Avez-vous, ici encore, épousé la vision des économistes voulant qu'il s'agisse là d'une question d'accès aux services?
Un des problèmes qu'on rencontre en politique, bien sûr, c'est que l'économie ne traite pas des problèmes qui intéressent le plus les élus. Elle ne traite pas, par exemple, des questions de répartition des points de service qui, bien sûr, revêtent une énorme importance sur le plan politique. Vous êtes-vous intéressés à l'aspect géographique, ou avez-vous également mis ces questions de côté?
M. Harper: On ne nous a pas demandé de nous pencher expressément sur cet aspect. Le mandat de votre propre groupe de travail au Canada m'est quelque peu familier. Nous avons abordé toutes ces questions lors de ma visite dans votre pays en novembre dernier. Les membres de votre groupe de travail se sont montrés surpris, comme vous l'êtes visiblement vous-même, qu'on ne nous ait pas demandé de nous pencher sur ce genre de problème. C'est qu'en réalité, ces questions ne sont pas soulevées dans notre pays au même titre qu'elles semblent l'être au Canada. Au fond, cela importe peu. Tout au plus les circonstances sont-elles différentes dans nos deux pays.
Certes, nous nous sommes enquis de ces situations et avons entendu les doléances des gens des régions éloignées qui prétendaient se voir privés de l'accès aux services bancaires. En y regardant de plus près, il nous est toutefois généralement apparu que tel n'était pas vraiment le cas.
Je me souviens bien d'une discussion que j'ai eue avec un résident d'une localité située à 300 milles au nord de Tennant Creek, au coeur du Territoire du Nord. On y est loin de tout. Nous nous sommes entretenus avec lui au téléphone. La banque la plus proche de son lieu de résidence était à 300 milles, tout comme le bureau de poste le plus près, mais il conversait quand même avec nous au téléphone. La liaison téléphonique en question était assurée par satellite. Nous lui avons demandé s'il était conscient que, sauf pour ce qui est d'obtenir des billets de banque, il pouvait effectuer toutes ses opérations bancaires par téléphone. Force lui a été de reconnaître que tel était bien le cas, mais il n'en demeurait pas moins agacé que l'on ferme ainsi cette succursale située à 300 milles de tout. Nous n'allions quand même pas pour si peu modifier la politique gouvernementale.
Je puis en dire autant du cas de nos aborigènes, un sujet qui a également été abordé dans nos discussions avec les Canadiens. Dans notre pays, toutes les prestations versées aux aborigènes peuvent être touchées au moyen de cartes, en ce sens qu'elles sont portées au crédit de comptes auxquels l'aîné de la tribu, ou la personne adulte à qui on a confié cette responsabilité, a accès au moyen d'une carte. Le ou la responsable en question peut toucher directement ces prestations en se rendant au magasin le plus près, qui peut être situé à une distance de 400 milles, et en y utilisant sa carte d'accès. La personne responsable a d'ailleurs le choix de toucher ces prestations soit en espèces, soit sous forme de biens et services. Chez nous, nous n'avons plus beaucoup de problèmes sur ce chapitre, car nous les avons pour ainsi dire résolus.
Le sénateur Austin: Les milieux qui appuyaient le rapport Wallis se sont-ils sentis contrariés par la rapidité avec laquelle le gouvernement a rejeté la recommandation que vous aviez formulée à propos des fusions? Serait-ce que cette question avait fait l'objet de débats préalablement à votre recommandation, de sorte qu'elle avait déjà été examinée à fond par les Australiens, ou s'est-il plutôt agi d'une décision politique? Pourquoi n'a-t-on pas retenu votre recommandation à cet égard?
J'aimerais également savoir ce qui a motivé votre recommandation en ce sens. Pourquoi votre commission a-t-elle estimé que ce serait là une mesure judicieuse?
M. Harper: Je tiens d'abord à bien préciser le sens qu'il faut donner à cette recommandation, ainsi que ce qu'on nous a demandé de faire et ce qu'on ne nous a pas demandé de faire. Permettez-moi, dès le départ, de vous faire remarquer que la plupart des gens étaient sous l'impression que la commission Wallis avait été créée expressément pour se pencher sur la question des fusions bancaires.
Il a été abondamment question dans les médias des motifs qui ont mené à la création de la commission. On y soutenait qu'indépendamment de ce qui figurait dans le mandat de cette commission, elle avait essentiellement pour but de se prononcer sur l'opportunité de permettre ou non les fusions de banques. Nous avons toujours rejeté cette prétention, car, comme nous l'avons signalé à la presse à maintes occasions, le mot «fusion» ne figurait même pas dans notre mandat. Notre rôle, comme je l'ai expliqué précédemment, consistait à examiner le cadre réglementaire et à le repenser en fonction des impératifs de changement.
Vous allez d'ailleurs constater que si nous abordons dans notre rapport la question des fusions, c'est uniquement parce que dans notre pays -- et cela demeure vrai aujourd'hui vu que le gouvernement a rejeté notre recommandation -- les secteurs bancaire et de l'assurance sont traités à part sous au moins un aspect. En effet, ce sont les deux seuls secteurs où le Trésor, ou le ministre des Finances, a un droit de veto sur les décisions des principales banques et sociétés d'assurance qui veulent fusionner.
Habituellement, la Australian Competition and Consumer Commission examine les demandes de fusion et formule une recommandation au gouvernement, qui l'entérine normalement. Toutefois, dans le cas des secteurs bancaire et des assurances, c'est le Trésor qui a le dernier mot. Nous avons soutenu que ce veto n'avait pas sa raison d'être. Nous ne voyions pas ce qui justifiait que les secteurs bancaire et des assurances soient soumis à un régime différent de celui des autres secteurs.
Dans notre rapport, nous avons recommandé qu'on retire au Trésor son droit de veto et que les décisions concernant les fusions de banques soient prises de la même façon que celles concernant les fusions dans les autres secteurs d'activité économique. Autrement dit, ce serait la Australian Consumer and Competition Commission qui serait saisie de ce genre de question et qui formulerait une recommandation sur la base de son examen. La fusion aurait alors lieu ou n'aurait pas lieu sans aucune autre intervention du bureau du Trésor.
Mais le gouvernement a rejeté cette recommandation. Naturellement, ce rejet fournissait au Trésor une occasion privilégiée d'émettre un communiqué à ce sujet, et c'est précisément ce qu'il a fait. Le gouvernement a mis environ une semaine pour réagir à notre rapport à compter du moment où le Trésor l'a reçu. Dans cette déclaration, le gouvernement annonçait qu'il n'acceptait pas notre recommandation concernant le droit de regard du Trésor en matière de fusion bancaire. Le Trésor a d'ailleurs ajouté que, jusqu'à nouvel ordre, il n'approuverait pas de projet de fusion parmi les quatre grandes banques. Autrement dit, il réaffirmait son intention de conserver son droit de veto et de l'exercer.
Par la même occasion, le Trésor levait l'interdiction concernant la fusion de grandes sociétés d'assurance entre elles, ou même les fusions entre grandes sociétés d'assurance et grandes banques. Il levait également l'interdiction qui frappait l'acquisition de grandes banques nationales australiennes par des banques étrangères. Ces mesures allaient toutes dans le sens de nos recommandations. Tout au plus tenait-il jusqu'à nouvel ordre à conserver son droit d'empêcher toute fusion entre les quatre banques les plus importantes. On en parle chez nous comme de la «politique des quatre piliers».
Je tiens à ce qu'il soit bien clair que la commission d'enquête Wallis n'a pas recommandé de fusions de banques. Il ne nous appartenait pas de le faire. Nous avons traité abondamment des facteurs que, selon nous, l'organisme de réglementation de la concurrence devait prendre en considération dans son examen de ce problème, mais nous n'avons pas formulé de recommandation préconisant des fusions parmi les banques les plus importantes. D'ailleurs, aucune demande n'a encore été formulée en ce sens à ce jour. Le Trésor a bien sûr indiqué que, même s'il y en avait, il les rejetterait. Ce que je tiens à faire remarquer, c'est que notre commission n'a pas soutenu que la banque X devrait fusionner avec la banque Y.
Permettez-moi de souligner bien clairement un aspect particulier de cette question. En exerçant ce pouvoir -- et c'est l'une des raisons pour lesquelles nous avons recommandé le retrait de ce droit de veto -- , le Trésor n'a qu'à prétendre que telle fusion de banques ne serait pas dans l'intérêt national. Il n'est même pas tenu de démontrer qu'elle nuirait à la concurrence, par exemple. Il n'a qu'à déclarer que la fusion souhaitée irait à l'encontre de l'intérêt national.
Le Trésor a fait valoir en l'occurrence que certains segments du secteur bancaire n'étaient pas suffisamment concurrentiels. Là encore, et j'insiste là-dessus, cette affirmation ne s'appuyait sur aucune analyse rigoureuse effectuée par la Consumer and Competition Commission. En prenant ainsi position, le Trésor s'est prononcé ex cathedra et a d'ailleurs indiqué qu'il s'estimait en droit d'agir de la sorte aux termes de cette loi. Il s'est contenté de soutenir qu'il y avait des segments du secteur bancaire qui n'étaient pas suffisamment concurrentiels et que le gouvernement était d'avis que, pour le moment, il serait contraire à l'intérêt public de permettre de telles fusions bancaires.
Le sénateur Austin: Merci beaucoup de cette explication on ne peut plus claire. Comme vous le savez, notre ministre des Finances a lui aussi le pouvoir de statuer, en dernière analyse, qu'une fusion parmi nos grandes banques n'est pas dans l'intérêt public. Comme l'a signalé le sénateur Kirby, cette question fait actuellement l'objet d'un débat dans les milieux politiques dans notre pays.
Si j'ai bien compris, vous avez essentiellement voulu parler de fusions dans le secteur bancaire de détail en Australie.
M. Harper: Non, monsieur le sénateur; je voulais parler de fusions parmi nos quatre grandes banques.
Le président: Malheureusement, il semble que nous ayons temporairement perdu notre liaison vidéo.
Le comité poursuit ses travaux à huis clos.
Reprise de la séance.
Le président: Nous passerons donc au projet de loi C-28. Vous savez tous que l'examen du projet de loi C-36 sera confié au comité des finances nationales et non à notre comité.
Le sénateur Tkachuk: Nous tenons à faire valoir notre point de vue sur la question de la comparution des ministres; leur témoignage nous apparaît très important pour le bon déroulement du processus démocratique. Je propose donc, monsieur le président, que nous invitions le ministre des Finances à comparaître devant notre comité dans le cadre de l'étude du projet de loi C-28.
Le sénateur Oliver: J'appuie cette motion, monsieur le président.
Le président: Y a-t-il des commentaires?
Le sénateur Stewart: J'aurais une question. Cette motion repose-t-elle sur l'idée qu'il s'agirait d'un projet de loi d'initiative ministérielle et que, partant, la comparution du ministre s'imposerait? Ou encore, soutient-on que, compte tenu de la nature de ce projet de loi, il faudrait entendre le témoignage du ministre? Lequel de ces deux motifs doit-on retenir?
Le sénateur Tkachuk: Je crois que ce sont les deux. Permettez-moi de vous expliquer ce qu'il en est. Je n'ai pas prétendu que du seul fait qu'il s'agit d'un projet de loi d'initiative ministérielle, le ministre devrait comparaître. Ce que je soutiens, c'est qu'un ministre ne devrait pas refuser de comparaître si les sénateurs lui demandent de venir expliquer son projet de loi au comité.
Le sénateur Simard a soulevé un certain nombre d'importantes questions d'intérêt public la semaine dernière, et vous les avez prises en délibéré, monsieur le président. Le point que le sénateur Simard faisait valoir, c'est que nous n'avons pas la chance de nous entretenir avec le ministre à propos des grands paramètres du budget. Vous avez laissé entendre qu'il serait peut-être possible de faire comparaître le ministre. À mon sens, il pourrait venir témoigner au sujet du projet de loi C-36, et nous pourrions profiter de l'occasion pour soulever des questions d'intérêt public d'ordre général concernant le budget. Sa comparution pourrait peut-être se faire devant un autre comité, mais au moins s'agirait-il d'un comité du Sénat, ce qui serait autant de gagné. Tels sont nos arguments, sénateur Stewart.
Le président: Votre résumé de ce que j'ai dit n'est pas inexact, mais c'est avec encore plus d'ardeur que j'ai répondu positivement au sénateur Simard. C'est au Comité des finances nationales et non au nôtre que sont normalement renvoyés les projets de loi budgétaires. Quoi qu'il en soit, comme je l'ai dit la semaine dernière et comme je l'ai répété ce matin, l'hypothèse de faire comparaître le ministre des Finances chaque année devant notre comité, comme le fait le gouverneur de la Banque du Canada, me plaît énormément. Je crois que c'est une excellente idée, et c'est avec plaisir que je l'appuie. Ce serait une bonne façon de renforcer le rôle de notre comité. Sur cette question principale, je suis entièrement d'accord avec le sénateur Simard.
[Français]
Le sénateur Simard: Il y a deux semaines, j'ai fait la critique du projet de loi C-28 en Chambre suite au discours du sénateur Carstairs, le leader adjoint du gouvernement au Sénat. J'ai essayé de reprendre point par point les éléments essentiels et majeurs de sa présentation. J'aurais souhaité qu'un débat ait lieu sur ce sujet en Chambre et en comité.
La semaine dernière, il m'a fait plaisir d'être invité comme critique du projet de loi. Lorsque j'ai constaté que, mis à part les fonctionnaires du ministère, il n'y avait qu'un seul témoin, je concevais mal que le comité des banques pourrait servir les meilleurs intérêts des Canadiens.
Je sais que les fonctionnaires protègent le gouvernement et défendent les modifications apportées aux lois. Ma suggestion au comité des banques est d'inviter le ministre des Finances afin de débattre non pas les détails mais plutôt l'essentiel du projet de loi. Nous pourrions lui demander ce qui guide le gouvernement dans sa philosophie. Nous pourrions parler des taux d'intérêt et des options fiscales; discuter du choix que le gouvernement devrait faire pour réduire ses dépenses et comparer cela avec des augmentations de taxe.
Les fonctionnaires nous ont rappelé que le projet de loi C-28 contient plusieurs modifications techniques à la loi. Cela vise tous les contribuables dont les étudiants et les retraités, ceux dont le salaire est 30 000 $ et moins, les Canadiens qui gagnent entre 30 000 $ et 50 000 $, 60 000 $ et plus jusqu'à 100 000 $ et plus. Le gouvernement a l'option de réduire ou d'augmenter les taxes.
Je souhaite toujours que le comité reconnaisse la nécessité d'entendre le ministre des Finances afin que nous puissions discuter et débattre réellement les options disponibles. Si le ministre des Finances nous rencontrait nous pourrions lui demander de préciser ses options, les arguments qu'il a invoqués dans sa défense du surplus de l'assurance-emploi.
Il y a trois ans, le ministre des Finances, M. Paul Martin, nous disait qu'il fallait un surplus de 5 milliards de dollars. L'an passé, il s'est référé à l'actuaire du Canada et un surplus de 12 milliards de dollars était nécessaire. Si les projections se maintiennent, nous aurons un surplus de 20 milliards de dollars à la fin de l'année: 25 p. 100 du surplus, c'est-à-dire un montant de 20 milliards de dollars, pourrait être dégagé pour réduire le déficit.
Nous pourrions discuter avec le ministre des Finances, M. Paul Martin, de ce surplus de 25 p. 100. Ce surplus sera engagé dans de nouvelles dépenses. Nous pourrions aborder la question des nouvelles dépenses, la cible que le gouvernement emploiera pour faire bénéficier de ce nouveau surplus de 25 p. 100.
Je suis très déçu. Mon collègue, le sénateur Forrestall, en Chambre, la semaine dernière, s'est interrogé sur la portée de l'article 241 du projet de loi C-28. Cet article traite de «international shipping operation». Il aurait été intéressant de questionner le ministre des Finances, M. Paul Martin, au sujet des modifications à cet article. Désire-t-il avoir une flotte de bateaux construits ailleurs par des non-Canadiens qui ne paient pas de taxes au Canada?
Nous pourrions le questionner sur la perte de cerveaux au détriment du Canada: des étudiants, des diplômés de nos maisons d'éducation quittent le Canada en faveur des États-Unis. Nous pourrions lui suggérer des amendements, des nouvelles politiques, des choix.
La semaine dernière, suite à la publication d'un gros titre dans le Globe and Mail, le ministre des Finances, M. Paul Martin, nous expliquait qu'il avait fait des choix en regard de ce surplus de 20 milliards de dollars dans la caisse d'assurance-emploi. J'aimerais discuter de ses choix et je souhaiterais que d'autres sénateurs aient l'occasion de le confronter à ses choix. J'appuie la motion de mon collègue, le sénateur David Tkachuk.
Le gouvernement libéral pourrait inviter au Sénat le ministre des Finances, afin qu'il discute ouvertement, avec les Canadiens et les Canadiennes, de ses choix, de ses nouvelles politiques et de sa philosophie.
[Traduction]
Le président: Je vous rappelle deux choses. Premièrement, j'ai accepté d'essayer de donner suite au souhait général que vous avez exprimé d'obtenir qu'à l'avenir le ministre des Finances vienne défendre sa politique budgétaire devant notre comité. Deuxièmement, tout sénateur a le droit de comparaître devant n'importe quel comité et d'y poser des questions. Nous entendrons le ministre des Finances dans le cadre de l'étude du projet de loi C-36. Nombre des questions que vous avez soulevées sont également abordées dans ce projet loi. Je pense tout particulièrement à la question du surplus de la caisse de l'assurance-emploi. Sénateur Simard, vous conviendrait-il que nous débattions de cette question avec le ministre des Finances dans le cadre de l'étude du projet de loi C-36 plutôt que dans celui du projet de loi C-28?
Le sénateur Simard: Oui. Si le comité a l'intention de reporter à plus tard l'adoption du présent projet de loi, nous pourrions inviter le ministre des Finances à comparaître devant nous la semaine prochaine en comité plénier. Je suis sûr que le parti ministériel pourrait accepter de tenir une discussion ou un débat sur ces deux projets de loi.
Le président: Il y a deux volets à cette question. C'est le projet de loi C-36, et non le projet de loi C-28, qui serait alors à l'étude en comité plénier. Si les leaders du gouvernement et de l'opposition officielle en conviennent, nous pourrions faire rapport du présent projet de loi sans amendement. Je serais certes prêt à recommander, si le projet de loi C-36 doit être étudié en comité plénier, que le Sénat ne mette aux voix notre rapport sur le projet de loi C-28 qu'une fois que le ministre aura comparu. Nous renoncerions alors toutefois à examiner plus avant ce projet de loi à notre comité.
J'accepterais volontiers de proposer cette procédure à notre leader. Je ne puis croire qu'on trouverait déraisonnable d'attendre, avant de nous prononcer sur le projet de loi C-28, que le ministre ait témoigné devant nous sur le projet de loi C-36. Je m'engage fermement à faire valoir ce point de vue et à le défendre tant à la Chambre qu'en privé.
Le sénateur Kolber: Je n'y comprends rien. Vous voulez vous entretenir avec le ministre et l'interroger à propos de la politique générale de son ministère. Très bien. Qui en aurait contre cette idée? Le problème, c'est que le projet de loi C-28 ne traite pas de la politique budgétaire en général. C'est un ramassis de modifications de forme.
Le sénateur Simard: Je ne suis pas de votre avis.
Le sénateur Kolber: Vous mettez tout dans le même sac. Vous mélangez tout.
Le sénateur Simard: Non. Le projet de loi C-28 apporte de nombreuses modifications de forme, soit, mais le projet de loi C-36 traite des transferts aux provinces, qui seront portés à 12,5 milliards de dollars.
Le président: Je vais mettre en délibération la proposition que j'ai formulée il y a un moment. Je propose que nous fassions rapport du projet de loi sans amendement. À partir de là, nous avons deux options. Ou bien je ne dépose pas officiellement de rapport au Sénat. Ou encore, je dépose un rapport où il est mentionné que le comité n'en est qu'à l'étape du dépôt du rapport et que le projet de loi ne pourra franchir l'étape de la troisième lecture qu'une fois que le ministre aura comparu devant le comité dans le cadre de l'examen du projet de loi C-36. Je procéderais volontiers de cette manière. En fait, je suis maître de la situation, car, à vrai dire, si les leaders ne sont pas d'accord, je n'ai qu'à retarder le dépôt du rapport et, partant, sa mise aux voix.
Le sénateur Simard: J'aurais quelque chose à ajouter. Quand le sénateur Kolber a pris la parole au comité la semaine dernière, il a reconnu qu'il était insensé de s'en tenir à deux heures de témoignage de la part d'un seul fonctionnaire.
Le président: Ma proposition constitue-t-elle une solution acceptable à notre problème?
Le sénateur Simard: Si je saisis bien votre raisonnement et la solution que vous proposez, vous allez forcer le report du débat en troisième lecture pour permettre à Paul Martin de venir témoigner devant nous sur les projets de loi C-28 et C-36.
Le président: C'est ce que je vous offre.
Le sénateur Simard: Je vais vous prendre au mot.
Le président: S'il y a pratiquement consensus, je vous demanderais de procéder comme ceci: premièrement, j'aimerais mettre aux voix une motion nous permettant de faire rapport du projet de loi sans amendement, mais avec observations. Deuxièmement, étant donné que nous n'avons pas discuté de la teneur précise des observations en question, je demanderais au comité de déléguer au sénateur Tkachuk et à moi-même la responsabilité de les formuler. Elles contiendraient un résumé de nos délibérations de la semaine dernière.
Le sénateur Simard: J'en fais la proposition, monsieur le président.
Le président: D'accord?
Des voix: D'accord.
Le président: J'ai donc en main un engagement portant que ce projet de loi ne doit pas franchir l'étape de la troisième lecture tant que M. Martin n'aura pas comparu dans le cadre de l'étude du projet de loi C-36.
Chers collègues, la liaison vidéo avec nos interlocuteurs australiens a été rétablie.
Le sénateur Austin: Si votre gouvernement a décidé de ne pas autoriser les fusions, est-ce parce qu'on craint qu'elles n'aient un impact négatif sur le secteur bancaire de détail?
M. Harper: On craignait leur impact sur certains segments particuliers du marché bancaire que je qualifierais de «non contestables» -- principalement les secteurs des services de prêts aux petites entreprises et des services de transaction. Quant à savoir s'il s'agit là de services de détail, tout dépend de la définition à laquelle on se réfère.
On craignait donc pour les services de transaction et les services de prêts aux petites entreprises. Le Trésor estimait que, pour le moment, il n'y avait pas suffisamment de concurrence dans ces deux secteurs pour qu'il se sente justifié d'autoriser ces banques à fusionner. L'expression utilisée à l'époque étant «pour le moment», on se demande si, peu après les prochaines élections générales, à supposer que le gouvernement actuel soit reporté au pouvoir, ce moment ne sera pas considéré comme étant déjà révolu.
Le sénateur Austin: Si je vous pose des questions à propos de votre pays, c'est en songeant à la situation dans le nôtre. Au Canada, on se demande notamment dans quelle mesure les institutions financières appartenant à des intérêts canadiens devraient avoir la main haute sur le secteur des dépôts bancaires effectués par les Canadiens. Autrement dit, les Canadiens devraient-ils avoir le contrôle sur les épargnes qu'ils confient aux banques?
Je me demande si votre règle de 15 p. 100 de propriété australienne et votre réticence à autoriser les fusions visent toutes deux à maintenir un contrôle sur vos épargnes. Pourriez-vous m'expliquer pourquoi il serait conforme à l'intérêt public d'autoriser une fusion de l'une des quatre grandes banques avec une banque étrangère, mais non avec une autre banque australienne?
M. Harper: Vous avez mis le doigt en plein sur le sens de l'orientation que nous voulons prendre. La règle de 15 p. 100 qui aura cours si la loi est adoptée n'a rien à voir avec la propriété étrangère. C'est une toute autre question. Le gouvernement a indiqué clairement qu'en principe, il n'avait rien contre l'idée qu'une ou plusieurs de nos grandes banques appartiennent à des intérêts étrangers.
La seule autre restriction susceptible d'être imposée en matière de propriété étrangère pourrait résulter de recommandations de notre office d'examen de l'investissement étranger, qui a pour principale ligne directrice de veiller à ce que l'investissement soit «conforme à l'intérêt public». Jusqu'à maintenant, la politique de cet organisme, qui n'agit qu'à titre consultatif, a été très libérale en matière d'investissement étranger. Dans sa réponse au rapport de la commission Wallis, le gouvernement a clairement fait savoir que la propriété étrangère ne posait pas problème.
La règle de 15 p. 100 a bien davantage à voir avec la nécessité d'éviter les conflits d'intérêts entre parties apparentées lorsque s'effectuent des emprunts ou des prêts dans le système bancaire. Le fait que les propriétaires des institutions financières soient australiens ou étrangers n'influe en rien sur l'application de cette règle. Ces questions sont tout à fait indépendantes l'une de l'autre.
Le gouvernement s'est montré ouvert au principe de la propriété étrangère, mais non à celui de la fusion de nos grandes banques nationales. Je le répète, ce dont on s'inquiète ici, c'est du degré trop élevé de concentration du pouvoir et de contrôle du marché que pourrait entraîner, dans les segments non contestables du marché, la fusion d'importantes entités nationales. Par contre, il n'y aurait pas lieu de craindre qu'une prise de contrôle de l'une de nos banques nationales par une institution étrangère, par exemple, ait une incidence sur le degré de concentration dans ces segments du marché.
Il faut dire, cependant, que ce genre de décision se prend selon les cas. Bien que le Trésor se dise pour l'instant très ouvert à cet égard, nul ne sait comment il réagirait si une banque étrangère faisait des propositions concrètes de cette nature à l'une de nos grandes banques.
Le sénateur Austin: À propos de la question des fusions de banques, quatre banques contrôlent 70 p. 100 de votre marché bancaire de détail. Notre situation sur ce plan est identique à la vôtre. Comme vous le savez, toutefois, nos quatre grandes banques ont demandé l'autorisation de fusionner pour n'en former que deux. Ces deux banques continueraient cependant de contrôler 70 p. 100 du marché bancaire de détail. Dans votre pays, le Trésor jugerait-il contraire à l'intérêt public que deux banques australiennes contrôlent 70 p. 100 du marché bancaire intérieur?
M. Harper: Le Trésor a fait savoir qu'il est pour l'instant hors de question qu'il autorise nos quatre plus grandes banques à n'en former que trois, encore moins deux. Si je comprends bien votre question, vous vous placez dans l'hypothèse où, cette interdiction ayant été levée, nos quatre banques chercheraient à n'en former que deux, à l'instar de ce qui se produit au Canada.
La banque centrale a à cet égard quelques inquiétudes qu'elle a exprimées au moment où elle a présenté son mémoire à la Commission d'enquête Wallis. Elle aborde cette question dans une perspective légèrement différente, centrée sur les dimensions prudentielles du problème. Le Trésor a de son côté précisé que deux choses le préoccupaient particulièrement: d'une part, les conséquences potentielles de telles fusions sur la concurrence dans les segments non contestables du marché, et, d'autre part, la question de savoir de quels moyens disposerait le gouvernement pour redresser la situation si l'une de ces nouvelles banques se retrouvait en difficulté. La banque centrale, quant à elle, se contente d'affirmer qu'il serait pour le moment imprudent de s'engager dans une voie aussi incertaine.
Le sénateur Austin: Au fond, on touche ici, il me semble, au problème du «trop gros pour faire faillite».
M. Harper: Sans aucun doute, bien que la plupart des observateurs soient d'avis que nos quatre banques sont déjà trop grosses pour faire faillite. Quant à savoir si le fait de se retrouver avec deux banques exacerberait ce risque, c'est discutable.
Il y a toutefois une autre crainte. Si le nombre de nos grandes banques devait passer à trois, nous en aurions, naturellement, encore deux qui auraient les reins assez solides pour venir en aide à la troisième si celle-ci était en difficulté. Cependant, plus ce nombre diminuerait, moins on aurait de chances de trouver un investisseur national en mesure de fournir la mise de fonds nécessaire à une telle opération de sauvetage. Il en résulterait une situation s'apparentant à celle que connaissent actuellement les Néo-Zélandais, où les seules possibilités qui s'offrent -- un dilemme face auquel aucun gouvernement ne rêve d'être placé -- sont soit de convaincre un investisseur étranger de se porter à la rescousse de la banque acculée à la faillite, soit de puiser dans les fonds publics pour renflouer la banque en question.
Le sénateur Austin: Vous vous êtes sans doute penchés sur la question de l'assurance-dépôts. Pourquoi n'avez-vous pas recommandé l'établissement d'un régime d'assurance-dépôts en Australie?
M. Harper: Comme vous le savez, nous sommes l'un des rares pays à n'avoir pas de véritable régime d'assurance-dépôts. Nous faisons partie de la minorité. Il n'y a rien de mal à faire partie d'une minorité quand on est convaincu d'avoir raison, mais il deviendrait inquiétant que notre pays se retrouve seul à constituer cette minorité. Nous n'en sommes pas encore là, mais guère loin. La plupart des autres pays, y compris le Canada, ont un régime d'assurance-dépôts en bonne et due forme.
On vient d'instituer chez nous un régime dit «de protection des déposants», ce qui signifie, en gros, que c'est notre banque centrale -- notre BSIF -- qui sera dorénavant notre nouvel organisme de réglementation prudentielle. Le Parlement lui demandera de protéger les déposants des institutions financières, mais non de garantir leurs dépôts ni de leur offrir un authentique régime d'assurance-dépôts. La loi prévoit en outre que les déposants occuperont le premier rang parmi les créanciers, avant la banque centrale, et peut-être même avant le fisc, comme le voudraient certains, mais il s'agit là d'un sujet d'un tout autre ordre.
Nous avons examiné très sérieusement l'opportunité de nous doter d'un régime d'assurance-dépôts. Quand nous sommes allés voir ce que faisaient les Américains, nous étions très critiques au départ, en ce sens que les membres de notre commission doutaient énormément de la valeur de l'expérience américaine à cet égard. Nos amis des États-Unis nous ont demandé quel genre de régime nous avions. Après leur avoir expliqué comment nous fonctionnions, ils ont réagi en nous disant que nous avions le pire des systèmes qui se puissent imaginer. Ils nous ont fait remarquer qu'alors que nous n'avions pas de fonds expressément réservé à la protection des dépôts et que nous de prélevions pas non plus de primes d'assurance, tout le monde était pourtant convaincu que les dépôts étaient garantis chez nous. Nous avons été renversés de leur réaction.
Après nous être entretenus avec les Américains, nous nous sommes adressés aux Canadiens. On nous y a prévenu, de diverses parts, que si nous en venions à nous doter d'un régime d'assurance-dépôts, il nous faudrait surveiller les faillites de banques. Je dois vous avouer que vous ne nous avez été d'aucune utilité. Nous sommes alors allés voir ailleurs s'il n'y aurait pas d'autres solutions possibles.
Nous nous sommes finalement retrouvés en Allemagne. Le système allemand est celui qui nous a séduits le plus. Il nous a semblé, en examinant la question à fond, qu'on pouvait réfuter toutes les objections qui avaient pu être soulevées à l'encontre des régimes d'assurance-dépôts simplement en observant le fonctionnement du régime allemand. L'adhésion y est facultative, mais toutes les banques en font partie.
D'après ce que m'a raconté un de mes amis en Allemagne, la revue Der Speigel a, à l'étonnement de tous, découvert à un certain moment qu'une petite banque de Hambourg ne faisait pas partie de ce régime. Elle n'était pas tenue d'y adhérer, car le régime était facultatif. Même si la banque en question était bien gérée et n'avait pas de problèmes, dès que cette revue a informé le public qu'elle n'adhérait pas au régime, elle s'est écroulée. On peut en tirer une leçon fort intéressante. Cette banque a été forcée de fermer ses portes non pas pour avoir fait faillite, mais parce que ses clients se sont empressés de l'abandonner dès lors qu'ils ont pris connaissance de ce fait.
Le régime allemand est facultatif. Il possède son propre fonds, bien sûr, et il impose des primes établies selon le risque. Il semble que ce soit le genre de régime que nous devrions adopter. Nous l'avions à l'esprit quand nous avons comparé les différends régimes avec le nôtre.
Nous avons finalement abandonné l'idée d'en recommander l'adoption pour deux raisons. Premièrement, nos grandes banques sont obstinément opposées à toute forme d'assurance-dépôts. Elles croient que l'adoption d'un tel régime les amènerait à devoir assumer les pertes des toutes petites institutions. On pourrait soutenir que, bien qu'elles soient trop grosses pour faire faillite, il serait normal qu'elles contribuent à l'implantation d'un tel régime. Elles y sont toutefois carrément opposées, et elles l'ont clairement fait savoir quand la question a été soulevée lors des audiences de notre commission.
Nous nous proposions de recommander l'adoption d'un régime facultatif. Si toutefois nous l'avions fait, nos grandes banques auraient sans aucun doute refusé poliment d'y participer. Il nous aurait alors fallu gérer un régime d'assurance-dépôts auquel n'auraient adhéré que les autres institutions. Nous nous sommes informés à diverses sources, et nous en sommes venus à la conclusion que nous nous retrouverions ainsi avec un régime de trop grande envergure pour être réassuré par le secteur privé et trop petit pour permettre l'établissement d'un régime d'assurance-dépôts facultatif. Sans la participation des grandes banques, nous ne pouvions ni réassurer les autres institutions sur une base commerciale, ni édifier un régime mutuel facultatif. Nous étions donc dans une impasse.
Devant ces faits, nous avons jugé que le mieux que nous avions à faire était de consolider notre régime existant et de l'améliorer. Ce sont là des considérations qui ont pesé lourd dans notre décision de recommander qu'on déleste la banque centrale de son rôle de protection des déposants pour le confier à une entité distincte, comme c'est le cas au Canada.
Si nous voulions conserver notre régime actuel, il nous fallait reconnaître qu'il comportait un risque subjectif. Nous nous devions à tout le moins de faire deux choses pour atténuer ce risque: premièrement, nous devions établir très clairement que les dépôts en Australie ne sont pas garantis et que nous n'avons pas de véritable régime d'assurance-dépôts. La loi est maintenant on ne peut plus claire à ce sujet. Deuxièmement, nous devions confier l'administration de ce régime à une institution qui n'avait pas à produire de bilan, ce qui, au grand minimum, procurait aux déposants une protection supplémentaire.
Dans l'éventualité d'une faillite, l'organisme chargé d'appliquer la réglementation prudentielle doit maintenant s'adresser à la banque centrale pour demander des fonds. La banque centrale n'est alors tenue d'accorder les fonds nécessaires que si la faillite découle de problèmes systémiques. Dans le cas contraire, elle n'est même pas autorisée à ouvrir ses coffres. Naturellement, le gouvernement pourrait intervenir s'il le jugeait à propos. Tout dépendrait de sa politique. Le régime est structuré de manière à réduire au minimum le risque subjectif qui, nous le reconnaissons, est inhérent à notre régime. C'est pour toutes ces raisons que nous n'avons pas mis en place de régime d'assurance-dépôts.
Le sénateur Meighen: Nous avons récemment eu l'occasion de nous rendre aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Europe continentale pour y examiner les divers systèmes financiers en place. Une caractéristique qui, à notre grand étonnement, différencie ces systèmes par rapport au nôtre, c'est que dans nombre de ces pays, il existe un deuxième, un troisième, voire un quatrième niveau d'institutions financières.
Dans les notes que nous avons en main, il est question de vos coopératives d'épargne et de crédit et de vos sociétés d'investissement et de crédit immobiliers. Vous vous apprêtez à les soustraire à la compétence des États pour les placer sous responsabilité fédérale, n'est-ce pas?
M. Harper: C'est exact.
Le sénateur Meighen: Nous avons une situation similaire au Canada. La question chez nous est même encore plus compliquée, car certaines de nos coopératives d'épargne et de crédit relèvent à la fois du gouvernement fédéral et de leur gouvernement provincial.
À part nos caisses populaires au Québec et nos coopératives d'épargne et de crédit, nous n'avons pas de deuxième ou de troisième niveaux d'institutions financières. En Ontario, il y a un réel manque d'institutions financières de deuxième ou troisième niveau. Si les caisses populaires et les coopératives d'épargne et de crédit décidaient de prendre de l'expansion ailleurs, elles chercheraient probablement à combler un bon nombre des besoins courants des clients de détail de la plupart des banques à charte.
Comment, en Australie, a-t-on abordé la question du transfert de responsabilité d'un palier de gouvernement à l'autre? Quelles solutions de rechange ces autres institutions ont-elles à offrir en matière de services bancaires ordinaires?
M. Harper: Comme je l'ai mentionné tout à l'heure, notre objectif, c'était de revoir notre cadre réglementaire pour pouvoir faire face aux impératifs de changement. Or, ces impératifs commandaient qu'on élimine les privilèges dont jouissaient certaines catégories d'institutions. Nous avons donc établi notre nouveau cadre réglementaire en fonction non pas de l'existence de catégories particulières d'institutions, mais plutôt des services à offrir.
En examinant le cas des sociétés d'investissement et de crédit immobiliers et des caisses d'épargne et de crédit, nous avons constaté que ces institutions offraient bien souvent les mêmes services que les grandes banques, mais qu'elles étaient soumises à une réglementation différente. Cette situation tenait en partie à des raisons d'ordre constitutionnel, ce qui ne doit certes rien avoir pour étonner des Canadiens. À une ou deux exceptions près, nos sociétés d'investissement et de crédit immobiliers sont des institutions coopératives. De ce fait, en vertu de notre Constitution, elles sont régies par les États et accréditées aux termes des lois des États. Voilà pourquoi elles sont soumises à une réglementation différente. En les faisant passer sous l'autorité du gouvernement fédéral, notre préoccupation n'était pas tant de les soustraire à la responsabilité des États -- ce n'était pas une question constitutionnelle -- , mais bien d'essayer de niveler les règles du jeu pour l'ensemble des institutions financières.
Nous voulions rétablir l'équilibre sur le chapitre des exigences réglementaires imposées aux institutions qui offraient des services financiers identiques. Nous devions pour cela, selon nous, faire passer toutes ces institutions financières sous l'autorité du gouvernement fédéral, ce que nous avons fait. En conséquence, les coopératives d'épargne et de crédit et les sociétés d'investissement et de crédit immobiliers ne seront plus régies ni traitées différemment des autres institutions.
Toutes les institutions, de la plus petite coopérative d'épargne et de crédit de campagne jusqu'à la plus grande banque, devront dorénavant posséder un même permis d'institution de dépôt. Il faut dire que les conditions d'obtention de ce permis varieront fort probablement selon les catégories d'institutions. Toutefois, aucune institution ne pourra désormais solliciter des nouveaux clients en leur disant qu'elle a un permis de banque alors que telle autre n'en a pas, car ce ne sera plus le cas.
Les coopératives d'épargne et de crédit et les sociétés d'investissement et de crédit immobiliers trouvent que nous leur avons par là donné un bon coup de pouce, car elles sont parmi les premières bénéficiaires des mesures que nous avons proposées. Tel n'était toutefois pas notre premier but. Ce que nous visions principalement, c'était niveler les règles du jeu.
Ce changement a permis à ces institutions de répondre aux besoins de certains recoins du secteur des services de détail que les grandes banques avaient pu bouder. Il faut dire, bien entendu, que notre Trésorier est un très fervent partisan du mouvement des coopératives d'épargne et de crédit et que dès lors qu'une banque décide de fermer une de ses succursales situées en région éloignée, il s'attend à ce qu'une coopérative d'épargne et de crédit s'empresse d'aller combler le vide. Dans une certaine mesure, c'est ce qu'on fait les coopératives jusqu'ici.
Quant à nous, l'accès aux services financiers de détail n'était pas un aspect qui nous préoccupait. Nous pensons, comme je vous l'ai fait remarquer tout à l'heure, que cet accès sera probablement de plus en plus assuré autrement que par des réseaux de succursales. Toute grande banque ou coopérative d'épargne et de crédit -- voire toute institution financière -- peut d'ores et déjà offrir ces services dans les endroits éloignés en recourant à des moyens électroniques.
Le sénateur Meighen: J'ai comme l'impression que la plupart des Australiens doivent être âgés de moins de 40 ans. Au Canada, il est manifeste que plus une personne est âgée, plus elle est craintive face à des choses comme les opérations bancaires électroniques. Elles veulent faire affaire avec des humains, et non avec des machines. Tant mieux pour vous si dans votre pays, les gens âgés, comme moi, sont maintenant très familiers avec les moyens électroniques.
M. Harper: Il faut dire, toutefois, qu'il s'agit la plupart du temps de transactions par téléphone. Il ne faudrait pas l'oublier. Nous ne parlons pas nécessairement de transactions sur Internet. Les gens âgés trouvent très agréable de faire leurs opérations bancaires par téléphone. Le fait est qu'ils veulent continuer de faire affaire avec des humains à qui ils peuvent exposer de vive voix leurs besoins plutôt qu'en pressant sur des boutons, et cela, le téléphone le leur permet, bien sûr, même dans les localités très éloignées.
Le sénateur Meighen: Je remarque que votre commission a recommandé au gouvernement, qui, apparemment, a bien accueilli cette recommandation, d'autoriser les sociétés de portefeuille à posséder des banques en Australie. Chez nous, notre organisme de réglementation a fait clairement savoir qu'il n'était pas très chaud pour cette idée. Il s'est dit très inquiet de cette hypothèse. Comment a-t-on débattu de la question en Australie?
M. Harper: Nous n'avons pas fermement recommandé cette mesure. Nous n'avons pas dit que toutes les banques devraient adopter cette structure. Nous avons tout au plus exprimé l'avis qu'on aurait peut-être avantage à encourager ce modèle. Pour tout dire, il a déjà été appliqué dans le passé à une occasion. Même avant que notre commission entreprenne son étude, l'organisme de réglementation actuel, la banque centrale, avait trouvé le moyen d'autoriser une banque et une société d'assurance à former une institution financière unique structurée à la façon d'une société de portefeuille. Diverses mesures de protection avaient été prévues, et l'organisme de réglementation s'était déclaré confiant que cette structure fonctionnerait bien.
La différence est celle-ci: dans la structure dont la banque centrale avait autorisé la mise en place, c'était la banque qui était la société de portefeuille. Nous avons recommandé que ce soit une société de portefeuille non active qui couronne toute structure de ce genre. C'est une hypothèse que même la banque centrale n'avait pas envisagée jusque là. Nous avons fait valoir que non seulement il serait logique d'avoir une société de portefeuille pour chapeauter des filiales, mais également qu'une telle structure serait facile à gérer.
Nous n'avons pas recommandé qu'on en vienne nécessairement à autoriser une telle structure, encore moins suggéré au gouvernement de l'autoriser dans l'immédiat. Nous avons simplement proposé qu'on demande à l'organisme de réglementation de trouver des moyens de favoriser, si possible, la création de structures chapeautées par des sociétés de portefeuille non actives. Nous croyions que ce type de mécanisme faciliterait considérablement la fusion de divers types d'institutions, ce qui, en règle générale, nous apparaît souhaitable. Nous croyons qu'en principe, il ne devrait pas y avoir d'obstacle d'ordre réglementaire à l'application de cette recommandation, mais nous ne voulons quand même pas présumer des conditions que pourrait poser l'organisme de réglementation à la création d'une telle structure.
Ce changement ne requiert aucune modification législative, mais simplement un changement de politique de la part de l'organisme de réglementation. Essentiellement, le gouvernement a fait savoir à cet organisme qu'il avait reconnu la valeur de nos arguments et lui a suggéré d'examiner la question pour voir s'il ne serait pas possible de donner suite à notre recommandation. Évidemment, nous ne savons pas encore quelle position adoptera à cet égard l'organisme de réglementation. Peut-être verra-t-il la chose du même oeil que votre propre organisme de réglementation, auquel cas sa décision n'irait quand même pas directement en contradiction avec les conclusions de notre commission. L'organisme de réglementation se serait dès lors au moins penché sur la question et aurait jugé qu'une telle mesure n'est pas souhaitable. Tout ce que nous demandons, c'est qu'il examine la question.
Le sénateur Tkachuk: Le sénateur Austin a soulevé la question de la règle de 10 p. 100. Il a aussi fait état de la règle de 15 p. 100 qui limite le droit de participation d'un même actionnaire dans une banque de l'Annexe I. Vous avez mentionné que cette règle visait surtout à prévenir les conflits d'intérêts. Pour le bénéfice des membres de notre comité et du compte rendu, pourriez-vous nous donner des explications à ce sujet?
M. Harper: Je crois que je ne saurais mieux faire, pour répondre à votre question, que de vous relater une conversation que j'ai eue avec un journaliste de Jakarta il y a environ un mois en Indonésie. Il m'a téléphoné pour me demander à quel type de réglementation étaient assujetties les banques australiennes. Cette conversation s'inscrivait, bien sûr, dans le contexte des problèmes que connaissent les banques indonésiennes. Je lui ai dit que nous avions un règlement qui limite à 15 p. 100 la participation d'un même actionnaire dans une banque. Le journaliste m'a interrompu pour me demander s'il fallait en conclure qu'aucune famille, ni aucune personne, ne pouvait être propriétaire d'une banque en Australie. Quand je lui ai répondu que telle était la conclusion qu'il fallait en tirer, il m'a demandé: «Pourquoi pas?», à quoi j'ai répliqué: «Vous devriez être la dernière personne au monde à me poser cette question.»
Nous avons en effet un règlement qui vise précisément à prévenir le genre de situation qui s'est produite en Indonésie. Il a suffi d'à peu près trois minutes à la commission Wallis pour décider que ce règlement était excellent. Il empêche tout groupe d'actionnaires apparentés d'utiliser les fonds des déposants pour financer leurs propres entreprises. C'est justement le genre de conflit d'intérêts que cette règle vise à prévenir.
Il y a toujours deux catégories de créanciers au sein d'une institution financière: les détenteurs de titres de créances et les actionnaires. Or, la loi stipule que, dans le cas d'une banque, ce sont les déposants qui ont la priorité. La loi est là pour protéger les intérêts des déposants. Contre qui? Contre d'éventuels requins du côté des actionnaires. Compte tenu du haut ratio d'endettement des banques, les actionnaires peuvent être portés à chercher à spolier les déposants, ce qui crée des tensions au sein des banques. Voilà pourquoi nous avons adopté un règlement qui oblige l'organisme de réglementation à protéger les déposants bancaires. Dans le but de renforcer cette protection, nous avons en plus imposé la limite de 15 p. 100 pour essayer de réduire au minimum l'influence que pourraient avoir sur le conseil d'administration de l'institution des groupes d'actionnaires apparentés qui voudraient agir à l'encontre des intérêts des déposants. C'est ce que vise cette règle.
Le sénateur Tkachuk: Vos sociétés d'assurance sont-elles toutes des mutuelles, ou avez-vous également des sociétés d'assurance inscrites à la bourse?
M. Harper: Les sociétés d'assurance ont justement entrepris de se réorienter à cet égard. La plus importante société d'assurance en Australie, qui, à propos, est également la plus grande institution financière du pays, l'Australian Mutual Providence Society, vient tout juste de se démutualiser, après avoir été une mutuelle pendant 150 ans. Les autres grandes sociétés d'assurance sont maintenant devenues, malgré leurs noms -- la National Mutual et la Colonial Mutual -- , des sociétés par actions à responsabilité limitée.
Le sénateur Tkachuk: Sont-elles assujetties à la règle de 15 p. 100?
M. Harper: Tout à fait.
Le sénateur Tkachuk: Et les banques étrangères?
M. Harper: Ces exigences, sénateur, sont imposées en vertu de notre loi sur les banques. Si vous voulez être autorisé à recevoir des dépôts en Australie, vous devez vous conformer à cette règle sans quoi vous ne pouvez obtenir de permis: un point c'est tout. Évidemment, les étrangers peuvent s'installer chez nous pour offrir des services bancaires sans toutefois accepter de dépôts des particuliers ou de qui que ce soit. Si telle est leur volonté, pas de problèmes; ils n'ont alors pas à se soumettre à cette règle. Cette règle vise à protéger les déposants dans le cas des institutions bancaires, et les titulaires de polices d'assurance dans le cas des sociétés d'assurance, bref, les détenteurs de titres de créance.
Le sénateur Tkachuk: Je vous remercie de votre explication.
Dans une de vos recommandations, vous préconisez que ce soit le bureau de la concurrence et non le ministre qui décide de l'opportunité d'autoriser les fusions de banques. J'ai l'impression que vous voulez favoriser la concurrence au sein du système bancaire.
Dans quelle mesure est-il difficile d'implanter une nouvelle banque en Australie? La procédure est-elle compliquée et lourde?
M. Harper: Vous avez besoin d'une autorisation, et pour l'obtenir, vous devez démontrer jusqu'à nouvel ordre à la banque centrale, ou éventuellement au nouvel organisme de réglementation, premièrement, que vous disposez d'un capital de 50 millions de dollars australiens; deuxièmement, que vous pouvez ouvrir un compte de règlement des opérations de change, c'est-à-dire un compte-chèques auprès de la banque centrale pour pouvoir compenser vos fonds; troisièmement, que vous avez mis en place, à la satisfaction de l'organisme de réglementation, des systèmes de gestion des risques appropriés selon le genre de services financiers que vous vous proposez d'offrir.
C'est un fait, on ne peut le nier, que pendant une longue période allant de la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu'en 1980, notre secteur bancaire était effectivement fermé. À partir de 1980, à la suite de l'enquête Campbell, nous avons assisté à la venue massive de nouvelles institutions financières. On peut dire à juste titre, je pense, que, de nos jours, il est relativement facile pour une banque de s'implanter sur le marché australien, pourvu qu'elle remplisse certaines conditions. Par exemple, un certain nombre de banques, surtout des banques étrangères, n'étaient pas prêtes, pour diverses raisons, à se plier à la règle de 15 p. 100 pour pouvoir accepter des dépôts. La banque centrale a alors décidé de ne pas leur octroyer de permis bancaire complet les autorisant à accepter des dépôts. Elle leur a donné l'autorisation d'installer leurs enseignes, mais non de s'afficher comme des banques.
Le président: Soit dit entre parenthèses, je me suis rendu compte en vous écoutant parler que vos propos si clairs et si intéressants ont porté dans une large mesure sur des questions sur lesquelles notre comité devra se pencher de nouveau à l'automne dans le cadre de ses audiences. Nous soumettrons ensuite nos recommandations au gouvernement à la lumière du rapport de notre groupe de travail. Vous devez vous attendre à ce que nous fassions encore appel à vous à l'approche de ce moment-là et que nous vous demandions, cette fois, de nous dire ce que vous pensez du rapport de notre groupe de travail. Vos observations nous sont très utiles.
Dans le passé, notre comité, à au moins deux ou trois occasions, et certains d'entre nous plus récemment au moyen de déclarations publiques se sont prononcés en faveur d'une ouverture substantielle du système de paiement aux grands fournisseurs de services financiers, aux fonds communs de placement, aux assureurs, et cetera. Beaucoup de ceux qui participent actuellement à notre système de paiement, par opposition à ceux qui en sont exclus, soutiennent que nous avons un si bon système qu'en l'ouvrant à d'autres institutions on l'exposerait à des risques. Or, rappellent-ils, nos décideurs devraient s'attacher avant tout à en assurer la stabilité, quelles que soient les circonstances, et le reste, et le reste.
Compte tenu de l'insistance que vous avez mise dans votre réponse à ma première question tôt dans notre entretien d'aujourd'hui sur l'importance du critère de stabilité dans l'établissement de politiques visant à protéger l'intérêt public, et compte tenu de ce qu'on nous en a dit ici au Canada, comment conciliez-vous votre position ferme en faveur de l'ouverture du système de paiement avec votre objectif de stabilité?
M. Harper: Vous me posez là une très bonne question. Là où les membres actuels du système de paiement ont absolument raison, c'est que le système de paiement est le centre nerveux du système financier. Lorsqu'on effectue d'importantes saisies dans le secteur financier, c'est le système de paiement qui écope. Ce système doit être protégé. C'est indéniable.
Cela ne veut toutefois pas dire qu'il faille en limiter l'accès à ses seuls membres actuels. Ce n'est pas du tout évident. En fait, toute institution financière qui satisfait aux conditions concernant les garanties de stabilité exigées devrait être autorisée à participer au système de paiement. Ce que la commission Wallis en a dit, c'est ceci: il devrait essentiellement suffire, à notre avis, que deux exigences soient respectées pour garantir l'intégrité d'un participant au système de paiement. La première, c'est qu'il détienne un permis d'institution de dépôt. La deuxième, c'est qu'il remplisse les diverses conditions qui lui sont imposées sur le chapitre de la capitalisation en tant que détenteur d'un permis d'institution de dépôt. Je vous ferai remarquer qu'une institution peut avoir un permis d'institution de dépôt sans nécessairement avoir un compte de règlement des opérations de change; elle peut alors accepter des dépôts sans toutefois pouvoir s'en servir comme moyen de paiement. Notre modèle permet en principe ce type d'arrangement. Nous nous attendons toutefois, naturellement, à ce que la plupart des institutions de dépôt demandent à être admises au système de règlement des opérations de change.
Je vous signale que le système de règlement des opérations de change, le coeur même du système de paiement, continuera de relever de la banque centrale et non de l'organisme de réglementation. L'organisme de réglementation imposera, pour protéger les titulaires de dépôts, des normes générales de fonds propres. De son côté, la banque centrale a elle aussi un droit de regard sur cet aspect, en ce sens qu'elle doit s'assurer que les titulaires de ses titres de créance, à savoir les détenteurs de comptes de règlement des opérations de change, sont eux-mêmes suffisamment à l'abri des risques pour ne pas menacer sa propre stabilité. Plus précisément, elle doit s'assurer qu'ils ont mis en place les mécanismes de protection voulus pour ne pas risquer de devoir forcer la banque centrale à les renflouer.
Nous nous attendons à ce que, ensemble, les exigences imposées par l'organisme de réglementation en matière de capitalisation et les autres exigences imposées par la banque centrale suffiront à rassurer la banque centrale en ce qui concerne la stabilité de ses comptes de règlement, mais nous estimons que ces exigences, quelles qu'elles soient, ne devraient pas être établies en fonction de la nature particulière de l'institution. Nous avons ainsi été amenés à dire à la banque centrale: «Vous n'avez dans le passé admis que des banques. Dorénavant, il ne devrait plus en être ainsi. Vous devrez vous assurer de l'intégrité des participants sans vous demander s'il s'agit de banques, d'institutions non bancaires, de sociétés d'assurance, et cetera. Cela importe peu. Ce qui compte, c'est de savoir si l'institution en question répond aux critères établis ou non. C'est la question que vous devez vous poser. Puisque vous ne réglementez plus les banques, vous devez donc cesser de n'admettre au système de paiement que les gens que vous connaissez bien.»
Nous avons également été amenés à nous prononcer sur la question de savoir ce qu'il en sera de ceux qui ne veulent offrir que des services de paiement et qui n'auraient que faire d'un permis d'institution de dépôt. Ce sont des gens qui ne souhaitent offrir que des services de cartes de paiement et qui ne tiennent absolument pas à recevoir des dépôts ou à offrir d'autres services financiers. Ils ne s'intéressent qu'aux cartes de paiement. Devrions-nous les autoriser à participer? La position que nous avons adoptée à cet égard, c'est que, oui, nous devrions les admettre, pourvu toutefois qu'ils respectent certaines conditions visant à mettre le système à l'abri de tout comportement douteux de leur part.
Nous avons donc recommandé que la banque centrale exige simplement de ces émetteurs de cartes et des fournisseurs de services de cartes à puce, par exemple, qu'ils fournissent des garanties couvrant la totalité de leurs obligations. On ne leur impose pas de normes en matière de fonds propres, ce qui est tout à fait normal puisqu'ils n'acceptent pas de dépôts et ne font que permettre à leurs clients de transférer des montants d'argent à d'autres personnes. Nous avons dit aux autorités de la banque centrale que ces établissements devraient être tenus de lui fournir des garanties couvrant la totalité de leurs engagements, c'est-à-dire de maintenir dans un compte auprès de la banque centrale un solde représentant l'entier de la valeur résiduelle de leurs obligations. Nous avons exprimé l'avis que si un tel établissement n'était pas prêt à respecter cette condition, il ne devrait pas être admis à participer au système.
Le président: Comment la banque centrale a-t-elle réagi? Dans votre réponse, vous avez mentionné que c'était la banque centrale qui établissait les règles et les conditions lui permettant de déterminer si une entité était suffisamment viable pour pouvoir participer au système de paiement, et ce, comme vous l'avez dit vous-même, qu'il s'agisse d'une banque, d'une société d'assurance, d'un fonds commun de placement, ou autre.
M. Harper: Absolument.
Le président: Comment vous êtes-vous assurés que la banque centrale ne se sert vraiment pas son pouvoir d'établir les règles pour éliminer certains joueurs? Il me semble qu'il ne doit pas être très difficile pour elle de présenter comme des règles -- et c'est un peu ce qui s'est produit chez nous -- toute une série de critères propres à éliminer ceux qu'elle ne souhaite pas intégrer au système. De telles règles n'auraient pas forcément à préciser que telle entité ne peut être admise, mais elles pourraient être délibérément conçues de manière à ne permettre qu'à certaines catégories d'être en mesure de répondre aux critères.
M. Harper: Cette hypothèse est plausible, bien entendu, sénateur. Aucune réglementation, si pointue soit-elle, ne pourra mettre fin à cette façon de procéder si on est déterminé à agir dans ce sens. Nous avons essayé de forcer l'abandon de ce genre de pratiques. Comme je l'ai mentionné déjà, nous avons proposé de retirer à la banque centrale son rôle de surveillance des banques. Il ne nous aurait pas du tout étonné que la banque centrale n'admette que ses amis, à savoir les institutions qu'elle connaît depuis de nombreuses années et dans lesquelles elle a confiance. Nous lui avons enlevé son pouvoir de réglementation pour le confier à un autre organisme.
Permettez-moi de revenir un peu en arrière et de vous rappeler que tout ce qui touche les règles régissant l'admission au système de compensation, par opposition au système de règlement, relève essentiellement des banques elles-mêmes. La banque centrale a toujours eu beaucoup moins d'influence qu'elle n'aurait dû en avoir sur le processus d'admission au système de compensation. Elle en a eu, bien sûr, sur l'admission au système de règlement, puisque sa propre santé financière était tributaire de ce choix, mais, dans les faits, son autorité s'est trouvée minée, si l'on peut dire, par les autres banques participantes qui ont établi que seuls les établissements qui participent au système de compensation pouvaient ouvrir un compte de règlement auprès de la banque centrale. Évidemment, ce sont les autres banques participantes qui déterminent qui peut adhérer au système de compensation, car la banque centrale ne dispose que d'une voix au sein de ce comité d'admission. Voilà ce qui explique que seules les banques avaient accès au système de paiement.
C'est ce qui nous a amenés à confier à un nouveau conseil relevant de la banque centrale, le Payment System Board, la responsabilité de décider du choix des institutions qui pouvaient être admises tant au système de compensation qu'au système de paiement. Nous avons donc expressément créé, sous l'autorité du conseil de la banque centrale, ce sous-conseil composé de membres indépendants, qui sera néanmoins présidé par le gouverneur de la banque centrale tout comme l'est le conseil principal de la banque. Avec le Payment System Board, le décideur ne sera plus juge et partie. Ce conseil déterminera, au nom du public, les conditions d'admission au système de compensation et au système de règlement. Le gouvernement a stipulé que ce conseil devra s'acquitter de sa tâche de manière à traiter tous les aspirants sur un pied d'égalité et à s'assurer que chacune des institutions en cause respecte des normes de sécurité qui soient appropriées et adaptées à sa catégorie. Jamais plus on ne laissera à des intervenants qui se font concurrence sur le marché décider du choix de ceux qui doivent être admis ou pas.
Ma réponse à votre question, c'est qu'il demeure possible que le Payment System Board pratique le favoritisme, Toutefois, en tant qu'entité autonome, il lui faudra rendre des comptes au Parlement par la voix du gouverneur de la banque centrale. Le gouverneur de la banque centrale devra en effet répondre aux questions de parlementaires comme vous qui, s'il y a lieu, sauront lui demander s'il ne trouve pas étrange que seules les institutions qui affichent telle ou telle couleur peuvent faire partie du groupe. Dans le passé, on ne pouvait demander de tels comptes, car les décisions étaient prises à l'abri des indiscrets par un organisme privé qui échappait au contrôle du processus démocratique. Nous avons fait en sorte de remédier à cette situation.
Le président: Personnellement, je tiens à vous féliciter très sincèrement des changements que vous avez ainsi réussi à opérer, car nous sommes aux prises chez nous avec exactement le même problème que celui que vous aviez.
Le sénateur Meighen: Dans la documentation que j'ai en main, on semble faire dire à votre commission que, dans l'hypothèse où le Trésor abandonnerait son pouvoir de bloquer les fusions des grandes banques en Australie, les fusions qui pourraient en résulter ne permettraient pas forcément la réalisation d'économies importantes, mais présenteraient quand même certains avantages.
Nos grandes banques nous disent que l'un des grands avantages d'une fusion serait de leur permettre d'investir massivement -- dans les «ligues majeures», comme elles disent -- dans le secteur de la technologie et, par ricochet, de concurrencer les «prédateurs spécialisés». Cet argument vous convainc-t-il un peu? Selon vous, serait-il préférable de s'attaquer au problème des prédateurs spécialisés en faisant appel à des sous-traitants?
M. Harper: Si on autorise les fusions, c'est d'abord et avant tout pour améliorer si possible le rapport coût-efficacité. Les fusions qui s'effectuent un peu partout dans le monde se font entre institutions de très grande taille. La raison en est que, bien que les fusions permettent des économies d'échelle, ces économies sont relativement minimes à long terme.
Deux conclusions se dégagent du fait que des grandes banques comme Bank America et Nations Bank, ou des grandes institutions comme City Bank et Travellers, ou encore vos propres banques au Canada, projettent de fusionner et le font effectivement sur une grande échelle. Premièrement, les économies d'échelle, si tant est qu'elles existent, doivent être relativement minimes et ne se manifestent qu'à très long terme. Elles ne sont palpables que si vous augmentez considérablement votre envergure.
Deuxièmement, ces institutions ont l'impression, à tort ou à raison, qu'elles sont forcées de fusionner, car autrement elles risqueraient de perdre leur part de marché aux mains des prédateurs spécialisés. Toute la motivation qui sous-tend ces projets de fusion tourne en fait autour de la réduction des coûts.
Soit dit en passant, je croyais que vous en viendriez à me parler de l'argument des champions nationaux que nous avons rejeté à la commission Wallis.
Le sénateur Meighen: Nous avons déjà abordé cette question.
M. Harper: Ce n'est pas un problème en ce qui nous concerne. Cet argument ne tient pas. L'objectif visé est l'efficacité. Si l'institution est rentable, elle peut se conformer aux normes internationales les plus élevées sans devoir se mondialiser.
C'est un fait que le marché se mondialise. Même si tous les joueurs ne doivent pas forcément se mondialiser, chacun doit toutefois être en mesure d'avoir des coûts comparables aux joueurs mondiaux. Ainsi, le problème des prédateurs spécialisés nous enseigne que, dans certains domaines d'activité particuliers, il est possible à un joueur isolé, comme cela s'est déjà vu, d'abaisser ses coûts dans sa sphère au même niveau que ceux de la banque multi-services.
Le seul moyen pour la banque multi-services de contrer cette concurrence consisterait soit à se transformer elle-même en prédateur spécialisé, ce qui ne lui est pas possible, soit à grossir au point de devenir dès le départ aussi efficace et rentable que le prédateur spécialisé en plus de pouvoir miser sur les économies de diversification que lui procure le fait d'être une banque multi-services. Face aux prédateurs spécialisés, c'est le seul moyen dont disposent les grandes banques, et c'est pourquoi elles adoptent cette stratégie.
Nous n'avons pas dit au gouvernement qu'il devrait approuver tel ou tel projet de fusion particulier. Nous lui avons dit qu'il devrait traiter toutes les demandes de fusion sur un pied d'égalité, qu'il devrait vérifier ce qui importe, à savoir en quoi le public bénéficiera de telle ou telle fusion. Les banques, quant à elles, lui répondront que leur objectif fondamental est de réduire leurs coûts. Nous avons signalé au gouvernement qu'il devrait, selon nous, exiger d'elles qu'elles lui en fournissent des preuves, et aussi s'assurer que l'intérêt public sera protégé en soumettant ces demandes de fusion aux procédures habituelles du bureau de la concurrence. Nous lui avons toutefois recommandé de cesser d'imposer à ces gens une seconde épreuve en conférant au Trésor le pouvoir discrétionnaire de rejeter leur demande simplement en exerçant son droit de veto. Cela crée de l'incertitude dans le marché.
Notre organisme de surveillance de la concurrence a déjà amplement de pouvoirs pour bloquer ces fusions au besoin. La loi qu'il doit appliquer étant elle-même très rigoureuse, rien ne justifie, de l'avis de notre commission, qu'un autre organisme ait le pouvoir de renverser ses décisions.
Le sénateur Meighen: À propos de la question des «champions nationaux», comme vous les appelez, les Australiens sont réputés être particulièrement fiers de leur pays, à juste titre d'ailleurs. Peut-être le mot «nationaliste» conviendrait-il mieux pour décrire leur attitude. De nombreux Canadiens éprouvent la même fierté concernant leur pays.
Dans notre pays, on soutient dans certains milieux, avec vigueur d'ailleurs, que puisque les sociétés canadiennes sont de plus en plus actives dans le monde entier, elles devraient partout avoir au moins le loisir de faire affaire, si elles le désirent, avec une banque canadienne. On estime également que, lorsqu'il s'agit de questions internes, ce devrait être les citoyens de notre pays et non les étrangers qui décident de la façon d'aborder nos problèmes fondamentaux dans le domaine financier.
Vous avez dit que les arguments de ce genre n'avaient pas tellement de poids en Australie. Pourriez-vous m'aider à comprendre ce que vous entendez par là?
M. Harper: Votre question comporte deux volets, monsieur le sénateur. Premièrement, on ne peut nier que les Australiens sont tous très fiers de voir des entreprises australiennes se tailler une place sur le marché mondial, et nous nous en réjouissons. Deuxièmement, c'est une toute autre chose que de prétendre que, pour réussir sur le marché mondial, il faille absolument avoir des champions nationaux, c'est-à-dire, avoir des institutions gigantesques sur le plan national. Certains vont même jusqu'à dire que ces institutions devraient exercer une sorte de monopole ou d'ascendant sur le marché intérieur. Le seul moyen de connaître le succès à l'échelle mondiale serait, selon eux, de saturer le marché local. C'est un argument qui nous a simplement scandalisés. Nous le rejetons carrément. Il repose sur de fausses prémisses. Il suffit d'être efficace pour réussir sur le marché mondial. Nous aimerions, bien sûr, que ce soit le cas de toutes les institutions australiennes. Tout ce que nous rejetons, c'est l'idée qu'il faille, pour réussir, monopoliser localement un créneau spécial. Nous ne voyons pas de tel lien.
Lorsque nous avons posé la question à vos banquiers, une personne dont j'ai oublié le nom, mais qui a tenu des propos fort intéressants lors de l'entrevue, nous a mentionné qu'à vrai dire, pour percer dans le domaine bancaire à l'échelle internationale, il fallait être actif dans l'une des devises fortes sur le marché monétaire international. Il a dit que non seulement le dollar australien n'était pas dans cette catégorie, mais que le dollar canadien ne l'était pas non plus. Selon lui, les institutions financières d'envergure mondiale devront pouvoir faire des transactions en devises étrangères fortes. Si cet argument tient, et je pense qu'il comporte une grande part de vérité, cette condition est tout à fait indépendante du degré de réussite sur le plan national. Ce n'est pas que de telles institutions ne peuvent pas exercer leurs activités sur leur territoire national, mais que ce soit le cas ou non, leur succès sur la scène mondiale n'en dépend pas. Leur réussite sur les marchés mondiaux tiendra à la fois à leur efficacité et au fait qu'elles sont activement présentes sur les marchés internationaux des devises.
Le sénateur Meighen: Parlons-nous d'une dizaine de joueurs?
M. Harper: Fort possiblement. Nous aimerions bien que l'un de ceux-là soit australien, mais rien ne justifierait que cela se fasse au détriment des intérêts de nos compatriotes, du moins pas de la façon dont nous percevons la question.
Le sénateur Austin: Permettez-moi de changer de sujet et de vous poser quelques questions rapides concernant le système de règlement brut en temps réel. Vous avez examiné cette question. Comment se situe-t-on par rapport au système de règlement brut en temps réel dans le contexte australien?
M. Harper: Me demandez-vous, sénateur, quand ce système fera son apparition chez nous?
Le sénateur Austin: Je vous demande quand vous entendez l'implanter.
M. Harper: Je crois qu'il sera en place dès le 1er juillet.
Le sénateur Austin: Dans quelque temps, nous vous en redemanderons des nouvelles.
M. Harper: Vous auriez avantage, naturellement, à poser également la question aux autorités de la banque centrale, mais, à ma connaissance, l'implantation de ce système est déjà très avancée et il devrait être en fonction très bientôt.
Le président: Une question dont on parle beaucoup ces temps-ci dans les milieux politiques canadiens, c'est celle de l'utilisation de l'information. Essentiellement, on se demande dans quelles conditions on devrait permettre la transmission de l'information sans porter atteinte au principe du respect de la vie privée et dans quelle mesure on devrait autoriser les banques à utiliser les renseignements qu'elles possèdent pour vendre leurs autres services. Je songe par exemple aux renseignements que fournit le consommateur lorsqu'il remplit un formulaire de demande d'emprunt.
Quand les membres de notre comité ont soulevé cette question, par exemple en présence de nos interlocuteurs aux Pays-Bas et en Suisse, en leur faisant part de leur inquiétude que cette pratique mène à des ventes liées, la réaction des représentants du gouvernement de ces pays a été de dire: «Bien sûr, et n'est-ce pas là un outil commercial formidable?»
Les ventes liées et l'hypothèse de l'utilisation de l'information comme outil pour réaliser des ventes liées, ou à tout le moins comme outil de réseautage, suscitent chez nous énormément d'inquiétudes dans le milieu de la protection des consommateurs. Avez-vous des règles restreignant la transmission de renseignements d'un segment à l'autre d'un même conglomérat de services financiers dans le but de vendre des services?
M. Harper: Bien sûr, sénateur. Nous avons la loi sur la protection de la vie privée, loi à laquelle notre Office of the Privacy Commission doit son existence. Cette loi est très stricte en ce qui concerne l'utilisation de l'information de la façon que vous avez décrite, même au sein d'une même organisation, à plus forte raison entre organisations. Une organisation peut se trouver en dérogation de cette loi si elle facilite la transmission d'information entre ses propres divisions.
Notre commission a estimé que cette règle était un peu trop sévère. Vous verrez dans notre rapport que nous formulons des observations d'ordre général où nous suggérons que le commissaire à la vie privée soupèse les avantages que comporterait pour le consommateur l'existence d'une banque d'information, pour ainsi dire, à laquelle les différentes divisions d'une institution pourraient puiser pour élaborer des forfaits de services susceptibles d'intéresser tel ou tel consommateur.
Cette question s'inscrivait dans notre mandat en ce sens qu'on nous avait donné carte blanche pour réfléchir à tout facteur susceptible de nuire aux saines pratiques commerciales. Nous avons reconnu qu'il y avait peut-être lieu de se demander, pour des raisons évidentes, si le principe de la confidentialité était toujours respecté et si l'information n'était pas parfois utilisée de façon abusive. Nous avons également admis que la transmission de certains renseignements pouvait présenter certains avantages, non pas pour favoriser des ventes liées, car une telle pratique est, bien sûr, discriminatoire, mais pour permettre aux institutions d'offrir à leurs clients différents forfaits. J'ignore où en est la question. Nous avons simplement proposé qu'on demande au commissaire à la protection de la vie privée d'étudier la chose et d'envisager la possibilité qu'on permette au consommateur d'autoriser ou d'interdire la divulgation de l'information les concernant, selon ce qui serait le plus facile. L'information pourrait, par exemple, être communiquée à moins que la personne concernée demande expressément que celle-ci ne soit pas divulguée. Dans le moment, on fait le contraire.
Le président: Vous ne savez pas ce qu'il est advenu de cette recommandation? Le commissaire à la protection de la vie privée a-t-il modifié la procédure?
M. Harper: Je l'ignore. Peut-être pourriez-vous demander à l'un de vos attachés de recherche de poser directement la question au commissaire à la protection de la vie privée par Internet.
Le président: Quand vous vous êtes rendus aux États-Unis, vous avez sûrement entendu parler de la CRA, la Community Reinvestment Act, cette loi qui évalue les institutions en fonction de leur engagement communautaire.
M. Harper: En effet.
Le président: Comme groupe, avez-vous eu l'occasion de vous faire une idée à ce sujet? Avez-vous pesé les avantages et les inconvénients que présenterait une telle mesure en Australie, où vous n'avez qu'un nombre limité de banques? Pourriez-vous nous dire ce que vous pensez de l'utilité d'un mécanisme du genre de la CRA?
M. Harper: Je vous ramène à la distinction que j'ai faite au moment où nous avons amorcé cette discussion, à savoir que notre commission avait jugé bon de bien dissocier les questions de la prestation proprement dite des services de celle de l'efficacité. En fin de compte, nous ne percevons pas les banques comme des organismes de bienfaisance. Elles n'en sont pas. Selon nous, il serait proprement loufoque de demander aux institutions financières, en particulier aux banques, de s'acquitter de responsabilités sociales qui relèvent normalement des gouvernements, comme le fait la Community Reinvestment Act. Elles peuvent le faire volontairement, mais, les y forcer contribuerait à créer toutes sortes de distorsions, et, de toute façon, elles le feraient très mal. Telle n'est pas leur mission.
Quand on se préoccupe de la dimension communautaire de certaines situations problématiques qui peuvent se présenter dans la vie économique -- qu'elles touchent l'accès aux services, l'engagement communautaire, la manière de traiter avec les gens qui ne parlent pas anglais, et cetera -- , c'est aux autorités publiques qu'il faut demander de se pencher sur ces questions.
Nous croyons que nous devrions d'abord laisser le système bancaire réaliser des profits pour le plus grand bien de notre pays, puis imposer ces profits. Ces impôts pourraient servir, par exemple, à financer un programme d'accès aux services bancaires, si l'on considère qu'il y a là un problème. Il s'agit toutefois de décisions qu'il incombe à la population de prendre en fonction des autres priorités de dépenses à caractère social.
Si vous demandez aux banques de s'acquitter de cette tâche, vous n'obtiendrez qu'un piètre résultat.
Le président: Nous vous remercions, monsieur le professeur Harper. Je tiens à vous signaler que l'un de mes collègues vient juste de me dire entre parenthèses, pendant que vous répondiez à la dernière question, que le vrai problème en ce qui concerne votre rapport, c'est qu'il est trop logique pour nous au Canada. Nous souscrivons à presque tout ce que vous nous avez dit aujourd'hui. Nous vous sommes vraiment reconnaissants d'avoir pris le temps de vous entretenir avec nous et nous nous excusons de l'interruption. Je me réserve le droit de solliciter une ou deux autres heures de votre temps au moment où nous devrons conseiller le gouvernement, au cours de l'automne, à propos des suites à donner au rapport du groupe de travail.
M. Harper: Merci. Il me fera plaisir de me mettre à votre disposition. J'ai vivement apprécié mon séjour au Canada l'an dernier, où j'ai eu la chance de m'entretenir avec les membres du groupe de travail. Je vous souhaite tout le succès possible. Ce sont là des questions importantes, et nous pouvons nous être mutuellement fort utiles.
La séance est levée.