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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 24 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 23 juin 1998

Le comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui à 9 h 45 pour examiner la situation du régime financier du Canada (responsabilité solidaire et défendeurs professionnels).

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Merci d'être présents aujourd'hui. Je tiens à vous rappeler où nous en sommes et la procédure que nous suivrons aujourd'hui.

Le comité a préparé un énoncé des choix à faire, puis il a tenu une série d'audiences fondées sur ce document. Au terme du processus, nous avons abouti à une proposition concernant la modification de la responsabilité proportionnelle, dans laquelle deux questions restaient à résoudre. La première était: comment, précisément, peut-on distinguer un investisseur «averti» d'un investisseur «non averti», et sur quel critère de la valeur nette devrait-on se fonder pour établir cette distinction? La deuxième question était la suivante: comment, le cas échéant, répartir ou répartir de nouveau la part de responsabilité d'un défendeur insolvable entre les autres défendeurs solvables?

Nous avons alors fait parvenir notre rapport au gouvernement. Ce dernier a répondu en disant que nous étions, à son avis, mieux équipés que lui pour répondre à ces deux questions, simplement parce que nous avions effectué l'ensemble de la recherche et tenu la série d'audiences précédente. La séance de ce matin a pour but de répondre à ces deux questions. Elle ne vise pas à revenir sur l'une ou l'autre des questions qui ont par ailleurs été résolues.

Dans ce contexte, il est apparu pertinent -- et les membres du comité ont donné leur accord -- d'adopter le fonctionnement d'une table ronde: vous disposerez chacun de 10 minutes ou moins pour répondre aux deux questions à l'étude. Nous verrons par la suite s'il est possible de dégager un consensus de vos commentaires. Nous autoriserons une ou deux questions d'éclaircissement. Cependant, nous vous demandons de vous en tenir à 10 minutes plutôt que d'entreprendre d'entrée de jeu une discussion détaillée. Avant d'entreprendre les discussions, nous voulons que toutes les opinions soient sur la table.

M. Krishna est un de mes anciens collègues de l'école de commerce de l'Université Dalhousie. C'est lui qui prendra d'abord la parole.

M. Vern Krishna, professeur, faculté de droit, Université d'Ottawa; Association des comptables généraux agréés du Canada: Honorables sénateurs, je vais répondre directement aux deux questions qu'étudie le comité. Avec votre permission, je situerai cependant mes remarques dans un contexte précis, au profit des personnes présentes.

L'enjeu essentiel est le suivant: qui doit assumer les pertes imputables à une faute d'exécution coupable, qu'elle soit délictueuse ou frauduleuse? La question qui se pose est la suivante: comment les pertes devraient-elles être réparties entre le fournisseur des services -- dans ce cas-ci, le comptable fournissant des services au public -- et l'utilisateur des services, qu'il s'agisse du client direct ou d'une tierce partie, par exemple l'investisseur?

Selon l'Association des comptables généraux agréés du Canada, la voie dans laquelle s'est engagé le comité, à savoir la responsabilité proportionnelle modifiée, n'est pas nécessairement la plus avantageuse qu'on puisse prendre dans les circonstances. C'est dans ce contexte que je situerai mes commentaires concernant le seuil limite distinguant l'investisseur averti de l'investisseur non averti. Trois options s'offrent à nous. À l'une des extrémités du spectre, on retrouve d'abord la responsabilité illimitée traditionnelle qui existe aujourd'hui: dans ce cas, l'essentiel de la responsabilité incombe au fournisseur des services, sous réserve, bien entendu, des limites juridiques que constituent le fardeau de la preuve, les degrés et le quantum des dommages-intérêts.

À l'autre bout du spectre, on retrouve, en deuxième lieu, le scénario de la société à responsabilité limitée -- non pas la société traditionnelle, mais la société à responsabilité limitée, telle qu'on la retrouve aux États-Unis. Il s'agit d'une entité jouissant du statut d'entité à responsabilité limitée et assujettie à la disposition très importante selon laquelle elle doit servir de véhicule fiscal.

À mon avis, les avantages liés à la société à responsabilité limitée sont supérieurs aux inconvénients qui y sont associés. Du point de vue gouvernemental, le principal inconvénient de la société à responsabilité limitée a toujours eu trait à la limitation des impôts. Une société de ce genre est traitée à titre d'entité distincte, de sorte que ses utilisateurs sont assujettis à la double imposition, une fois au niveau de l'entreprise et une fois au niveau de l'actionnaire. Les États-Unis ont surmonté le problème en traitant de telles entités à titre de véhicules fiscaux, de sorte que les investisseurs bénéficient du meilleur de deux mondes -- responsabilité limitée et, du point de vue fiscal, protection de la base de revenu du gouvernement.

Troisièmement, l'approche axée sur la responsabilité proportionnelle limitée -- que préconise le comité, se situe entre ces deux extrêmes. La préoccupation que nous inspire la question du seuil -- comment distinguer un investisseur averti d'un investisseur non averti -- est que, foncièrement, cette distinction ne répond en rien à la question fondamentale, à savoir qui doit assumer la responsabilité des pertes. À notre avis, cette approche nous plongera dans de longs litiges concernant la ligne de démarcation entre l'investisseur averti et l'investisseur non averti.

On a par exemple proposé l'exemption de certains actifs, le moment venu d'établir si une personne est ou non un investisseur averti. Le seuil ne s'appliquerait q'une fois certains actifs exemptés. Nous posons la question suivante: pourquoi les actifs en questions devraient-ils être exemptés? Dans les faits, l'exemption d'actifs entraîne un déplacement radical de la responsabilité du fournisseur de services vers le client ou l'investisseur qui a subi les pertes. Il s'agit d'un déplacement des pertes du défendeur vers le demandeur, mais les choses ne sont pas aussi tranchées qu'il n'y paraît à première vue.

Le déplacement des pertes repose sur l'exemption d'actifs. La définition de ces actifs donnera lieu à des litiges: où les actifs en question se trouvent-ils? Au nom de qui sont-ils? Sont-ils détenus au pays ou à l'étranger? Sont-ils détenus dans des fiducies au pays ou à l'étranger? Voilà qui, en dernière analyse, placera le demandeur dans une situation impossible, à savoir assumer un fardeau de la preuve énorme dans le cadre de litiges qui s'éterniseront.

La détermination du seuil lui-même n'est pas une mince affaire, quel que soit le seuil qu'on établisse. Qu'on le fixe à 100 000 $ ou à 150 000 $, il n'en demeure pas moins que le seuil a très peu à voir avec le fait que le demandeur qui a essuyé la perte soit averti ou non. On peut penser à une veuve ou un orphelin qui hérite de 1 million de dollars. En fait, nombreux sont ceux qui, avec la disparition des représentants de la génération actuelle, hériteront de sommes de plus en plus importantes. Les personnes en question ont beau avoir en main des sommes colossales, elles demeurent comparativement non averties relativement à ces enjeux, en dépit de l'énormité des sommes en jeu.

Au nom de l'association, je presse les membres du comité de revenir sur la dichotomie entre l'investisseur averti et l'investisseur non averti, avec ou sans le seuil. Au cas où le comité choisirait de s'engager dans cette voie, je vous prie instamment de ne pas envisager l'exemption d'actifs aux fins du calcul du seuil.

À votre instigation, sénateur, je n'aborderai pas les autres enjeux qui ont trait à cette question, mais qui, à mon avis, sont tout aussi importants. Je me contenterai de les mentionner au passage. Je ne reviendrai sur eux que si on y fait allusion plus tard dans la période de questions.

Ces enjeux ont trait à la question de savoir qui, aux fins de ces sommes, constitue un partenaire «innocent». Dans une organisation, qui sont les partenaires innocents? D'autres enjeux ont trait à la responsabilité des employés. D'autres encore concernent le démembrement des capitaux des entreprises. D'autres enfin concernent les sommes minimales aux fins de l'assurance, du cautionnement et des fonds. Pour le moment, sénateur, je laisserai ces questions de côté, à moins qu'on ne les soulève pendant la période de questions.

Le sénateur Kenny: Monsieur Krishna, rejetez-vous tout à fait l'idée de la distinction entre investisseur averti et investisseur non averti? Il s'agit d'une mesure facile, mais rejetez-vous l'idée même de valeur nette et de montant de la valeur nette comme critère, un point c'est tout?

M. Krishna: Oui, sénateur, c'est bien le cas. Nous sommes d'avis que la distinction ou la ligne de démarcation entre investisseur averti et non averti ne sera pas facile à fixer. En fait, ce sera extrêmement complexe. Avant même qu'on ne tranche la question de la responsabilité elle-même, on aura suscité et provoqué de nouveaux litiges. En fait, nous nous engageons peut-être même sur la voie des litiges doubles plutôt que simples.

L'importance de cette ambiguïté est directement proportionnelle au total des exemptions que vous établirez entre les deux lignes de démarcation ou entre les deux camps. Plus les exclusions seraient importantes, et plus l'ambiguïté sera grande.

Le sénateur Angus: M. Krishna nous presse de nous éloigner de la solution que nous semblons préconiser dans notre rapport.

Vous avez fait état de trois solutions possibles. Que préconiseriez-vous? La proposition de base qu'on nous a faite a trait à la responsabilité conjointe pure. Dans le monde moderne, la responsabilité solidaire est inéquitable, au vu de la mondialisation des marchés et des transactions dont on a été témoin. On nous a été proposé d'opter pour la responsabilité proportionnelle pure plutôt que pour la responsabilité solidaire.

Nous avons tiré nos conclusions à la lumière de la multitude de preuves qui nous ont été présentées. Où vous situez-vous dans ce spectre, à supposer que vous nous convainquiez de revenir sur notre décision?

M. Krishna: Si je refaisais le monde à mon image, en quelque sorte?

Le sénateur Angus: Oui.

M. Krishna: Il serait terriblement prétentieux de ma part de faire une tentative de la sorte. Si je devais refaire le monde, je vous presserais de vous orienter vers la notion de société à responsabilité limitée, plutôt que vers la responsabilité proportionnelle limitée.

Le président: Nous ne pouvons pas le faire. Nous n'en avons pas la compétence.

M. Krishna: La question de savoir si le partenariat relève de la compétence fédérale demeure également tout à fait ouverte. Je ne suis pas aussi certain qu'elle ait été résolue de façon si nette qu'on en a l'impression. Si j'avais le choix et que nous vivions dans un monde idéal, la société à responsabilité limitée considérée comme véhicule consisterait à mes yeux une meilleure solution. Il faudrait miser sur la participation plus grande d'autres intervenants.

Le sénateur Angus: En d'autres termes, vous êtes tout au moins d'accord pour dire que le statu quo cause des iniquités et que des modifications devraient être apportées. Nous cherchons simplement une solution pratique.

M. Krishna: C'est exact. Nous ne nous opposons pas à l'idée de responsabilité limitée. Nous nous opposons davantage aux modalités de la méthode retenue pour y parvenir.

M. Ross Walker, président, Groupe de travail sur la responsabilité professionnelle, Institut canadien des comptables agréés: Nous sommes heureux de comparaître devant vous aujourd'hui. D'entrée de jeu, nous tenons à préciser que nous apprécions au plus haut point le temps et les efforts considérables que le comité et les membres de son effectif consacrent, depuis de nombreux mois, à l'étude de la question de la responsabilité proportionnelle. Nous sommes heureux de répondre aux trois questions auxquelles le comité tente de répondre avant de mettre la dernière main à la mise en oeuvre d'une proposition concernant la responsabilité proportionnelle modifiée. Nous avons déposé un mémoire dans lequel nous présentons nos vues, et je me contenterai de quelques brefs commentaires.

Ayant convenu de la nécessité d'établir une distinction entre investisseurs avertis et non avertis fondée sur le critère de la valeur nette, vous avez d'abord demandé à combien on devrait établir la valeur nette du demandeur. À cet égard, nous sommes d'avis que la proposition initiale que nous avons présentée au comité demeure valable. La valeur nette du demandeur devrait se définir comme la valeur nette rajustée, c'est-à-dire le total de la juste valeur de tous les actifs moins tous les passifs à la date qui précède immédiatement le jour qui a donné lieu à la cause d'action.

Cinq catégories d'actifs et de passifs connexes seraient exclus du calcul: un, la résidence principale; deux, les meubles de la résidence; trois, les automobiles; quatre, les régimes enregistrés d'épargne-retraite; et, cinq, la valeur courante des prestations de retraite versées dans le cadre d'un régime de pension agréé. En exemptant ces cinq catégories d'actifs du calcul de la valeur nette, on éviterait au demandeur d'assumer les coûts d'évaluation qui y sont associés. De même, on n'inclurait pas dans la définition de la valeur nette les actifs comme la résidence principale, dont la valeur varie considérablement selon le lieu.

Nous ne nous opposons pas à l'idée qu'on utilise un seuil monétaire direct pour définir la valeur nette, à condition que le seuil en question soit convenable, par exemple de l'ordre de 200 000 $. Cependant, nous sommes d'avis que la meilleure approche consiste à adopter un critère fondé sur la valeur nette rajustée de même que sur les exemptions.

Nous croyons comprendre que d'autres proposeront qu'on assujettisse les exemptions à des plafonds et qu'un critère fondé sur le revenu soit aussi appliqué. Même si ces deux solutions ne sont pas sans mérite, il faudrait procéder à des évaluations pour déterminer si les actifs d'un particulier sont supérieurs ou inférieurs au plafond, et la définition de la notion de revenu annuel serait complexe. Nous sommes donc d'avis qu'une approche fondée uniquement sur la valeur nette rajustée constitue la meilleure solution.

La deuxième question que vous avez posée portait sur le seuil qu'il convient d'utiliser pour distinguer un demandeur averti d'un demandeur non averti. Une fois déduites les cinq exemptions mentionnées ci-dessus, nous pensons que ce seuil devrait être fixé à 100 000 $. Ainsi, un pourcentage très élevé d'investisseurs particuliers seraient considérés comme non avertis, de sorte qu'ils auraient droit à la protection de la responsabilité solidaire. À la suite d'une analyse des actifs pouvant être investis dont disposent les Canadiens réalisée en 1997, on a recensé 7,9 millions de particuliers ayant de tels actifs. Parmi ceux-ci, 1,5 million ont des actifs pouvant être investis d'une valeur de plus de 100 000 $, et 6,4 millions, des actifs pouvant être investis d'une valeur de moins de 100 000 $. Ce sont ces 6,4 millions de particuliers, soit plus de 80 p. 100, qui, en vertu de la proposition, seraient considérés comme des investisseurs non avertis.

Troisièmement, vous avez demandé comment on peut répartir le risque d'insolvabilité d'un défendeur entre les demandeurs et les autres codéfendeurs. Je tiens à souligner que, à notre avis, les propositions à l'étude aujourd'hui sont généreuses lorsque vient le moment de déterminer les particuliers qui devraient être considérés comme des demandeurs avertis. Il devrait donc être inutile d'assurer une protection plus grande aux investisseurs avertis. Comme votre comité a statué qu'il fallait arrêter une sorte de formule de transition, nous demandons que le niveau de la répartition soit fixé aussi bas que possible. Une répartition proportionnelle, fondée sur la décision du tribunal quant à la contribution de chacune des parties aux pertes, constituerait un compromis acceptable. Si, suivant cette approche, on en venait à la conclusion, par exemple, que le vérificateur est responsable de 20 p. 100 des pertes, et que tous les autres codéfendeurs étaient insolvables, le vérificateur serait tenu de payer un total de 36 p. 100, soit les 20 p. 100 initiaux, plus 20 p. 100 du manque à gagner de 80 p. 100.

Nous serons heureux de répondre aux questions du comité.

Le sénateur Meighen: Pourriez-vous dire un mot de l'objection de M. Krishna selon laquelle certaines de ces exemptions seraient difficiles à définir?

M. Walker: Je soutiendrais le contraire. Je pense que l'une des caractéristiques les plus valables des exemptions est qu'elles suppriment bon nombre de complications. On exclurait du calcul la résidence principale, les meubles, les automobiles, les régimes enregistrés d'épargne-retraite et le régime de retraite. C'est beaucoup plus simple ainsi. Le moment venu de déterminer la valeur nette, nous avons affaire à d'autres actifs, et je serais étonné que la mise en place de ces exemptions donne lieu à un grand nombre de litiges. En fait, elles ont pour effet de simplifier le processus, et non de le rendre plus complexe.

Le président: Dans la deuxième question, le comité a demandé comment les pertes d'un défendeur insolvable devraient être réparties. Vous préconisez la répartition zéro. À défaut, vous proposez la formule contenue dans votre lettre.

M. Walker: Nous pensons qu'il s'agit d'un compromis approprié. Franchement, c'est nettement mieux que ce qui existe aujourd'hui.

Le sénateur Meighen: M. Krishna ne s'est pas prononcé sur ce point.

Le président: Non, il ne l'a pas fait.

M. Joe Oliver est le troisième témoin que nous entendrons ce matin.

M. Joseph J. Oliver, président-directeur général, Association canadienne des courtiers en valeurs mobilières: Monsieur le président, sénateurs, je suis très heureux de l'occasion qui m'est donnée de comparaître devant votre comité. Il s'agit d'une question importante et complexe, et nous apprécions l'occasion qui nous est donnée de participer à la discussion et au débat.

L'Association canadienne des courtiers en valeurs mobilières (ACCOVAM) est l'organisme national d'autoréglementation des valeurs mobilières du Canada. Les sociétés que nous représentons comptent pour bien plus de 90 p. 100 de l'activité commerciale et des capitaux investis dans l'industrie des valeurs mobilières.

L'ACCOVAM est tout à fait favorable à l'idée de passer de la responsabilité solidaire à la responsabilité proportionnelle. Nous sommes moins enthousiastes quant à la distinction entre investisseurs avertis et non avertis, et nous ne sommes pas certains de bien comprendre la justification conceptuelle de cette distinction, même si elle est peut-être motivée par certaines raisons pratiques. Si j'ai bien compris les règles de base, nous ne devons pas revenir sur cette décision.

Je me sens toutefois obligé d'apporter la précision suivante: si, dans la recommandation, on met expressément l'accent sur les erreurs ou les omissions dans l'information financière fournie aux termes de diverses lois fédérales, il importe de noter que bon nombre d'autres fournissent des conseils financiers précieux à des entités constituées sous le régime de la loi fédérale ou sous réglementation fédérale.

Les lois fédérales -- la Loi sur les sociétés par actions, la Loi sur les banques, la Loi sur la société de fiducie et de prêt et la Loi sur les sociétés d'assurances -- visent des membres de notre association. Dans chacune de ces lois, on retrouve des prescriptions relatives aux acquisitions, lesquelles nous obligent parfois à établir la juste valeur des titres émis par les sociétés. De toute évidence, nous fournissons souvent des conseils relatifs à ces questions, et c'est nous qui fournissons l'essentiel des opinions sur l'équité du prix offert aux sociétés ouvertes.

De la même façon, nos membres sont mêlés au processus d'évaluation des sociétés mutuelles d'assurances. Nous participons également au processus de retrait de la forme mutuelle, conformément aux dispositions de la Loi sur les sociétés d'assurances. Dans ces cas, nos membres rendent un fier service aux investisseurs canadiens et aux marchés financiers canadiens, et nous croyons qu'ils devraient bénéficier des mêmes avantages liés à la responsabilité proportionnelle que ceux qu'on recommande pour les vérificateurs qui préparent les états financiers des sociétés de régime fédéral.

Nous sommes résolument d'avis que l'ensemble des conseillers professionnels qui aident les clients à répondre aux prescriptions de lois fédérales devraient bénéficier des avantages de la responsabilité proportionnelle.

Du point de vue de nos membres, la recommandation, telle qu'elle est aujourd'hui formulée, est relativement limitative. Il suffirait probablement de quelques mots pour modifier l'application, sans rien changer à l'objectif stratégique. Le problème, c'est que les opinions sur l'équité du prix offert et les évaluations produites par nos membres ne seraient pas visées par l'information financière fournie en application des lois. Si, cependant, on ajoutait les mots «contenue dans tout document» avant les mots «fournie en application de», peut-être les dispositions seraient-elles englobantes. Naturellement, nous comprenons que, dans de nombreux cas, nous avons affaire à des lois provinciales ne pouvant faire l'objet d'une étude directe de la part du comité. Toutefois, nous sommes très préoccupés par les précédents qui pourraient être créés.

Ces précédents sont de deux ordres. D'abord, on passe de la responsabilité solidaire à la responsabilité proportionnelle, ce qui est très constructif. Avec un peu de chance, les assemblées législatives provinciales en tiendront compte. Cependant, il existe un autre précédent en vertu duquel le défendeur professionnel serait visé, et c'est dans ce contexte qu'il importe de tenir compte, outre des vérificateurs, des autres défendeurs professionnels. De notre point de vue, il s'agit d'un élément très important.

Vous avez posé trois questions, la première ayant trait à la façon dont on devrait établir la valeur nette d'un demandeur. Nous sommes favorables à l'approche adoptée aux États-Unis, en particulier aux termes de la Private Securities Litigation Reform Act de 1995, loi en vertu de laquelle tous les actifs sont pris en compte aux fins du calcul de la valeur nette. L'avantage conceptuel d'un tel modèle, c'est qu'il permet d'établir une base de comparaison uniforme. Les règles du jeu sont égales. On n'établit pas de distinction entre les personnes suivant la répartition de leurs actifs. Le fait que, à un moment donné, une personne ait des liquidités plus ou moins grandes, ou qu'elle ait des actifs plus importants dans des biens immobiliers ou dans des REER, n'est peut-être que le fruit d'une décision prise à la lumière des marchés. À nos yeux, tout cela n'a rien à voir avec la détermination de la valeur nette. En adoptant une telle approche, on éviterait de favoriser certaines des pratiques artificielles auxquelles d'éventuels défendeurs pourraient se livrer pour tenter de protéger leur position en droit.

Quant au seuil qui permettrait d'établir une distinction entre investisseurs averti et non averti, je devrais mentionner que j'ai occupé pendant un certain temps le poste de directeur exécutif de la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario et que, à ce titre j'ai participé à certaines des discussions qu'a tenues la commission au sujet de la définition d'«averti». Dans ce cas, bien entendu, le débat a porté non pas sur la défense d'un intimé dans le cadre d'une poursuite judiciaire, mais bien plutôt sur l'information qui devrait être fournie. Le tout suppose l'établissement d'une distinction fondamentale entre ceux qui peuvent participer à un placement privé et ceux qui ne le peuvent pas. Je pense que nous avons tous compris que l'établissement d'un seuil financier constituait une mesure plutôt grossière de la notion d'investisseur averti. Pour établir si une personne est avertie ou non, on doit lui parler, peut-être même lui faire subir un petit examen. De toute évidence, il est tout à fait impossible de procéder ainsi pour déterminer qui, parmi les investisseurs canadiens, peut être considéré comme averti. Nous comprenons que vous devez adopter une certaine forme de critère, mais nous devons convenir que tout critère auquel nous pourrons aboutir sera plutôt grossier. De toute évidence, on aura affaire à des personnes qui se situent au-dessus d'un certain niveau parce que, comme d'autres témoins l'ont affirmé, elles ont fait un héritage ou gagné à la loterie et qui ne sont pas averties, et d'autres qui ont bénéficié d'une éducation coûteuse, ne répondent pas au critère de la valeur nette, même s'ils doivent probablement être considérés comme avertis. On pourrait citer des milliers d'exemples pour montrer pourquoi l'option d'un chiffre particulier ne donnera pas de bons résultats. Néanmoins, je pense que nous sommes contraints d'en établir un.

Nous pensons qu'un chiffre de 200 00$, si on tient compte du premier point soulevé, à savoir que tous les actifs seraient pris en considération, permet d'établir de façon raisonnable qu'une personne possède des connaissances considérables qui l'habilitent à mener des affaires financières et à prendre des décisions d'affaires. Dans la loi américaine, on retrouve un chiffre de 200 000 $. Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de convertir la somme en dollars canadiens parce que les chiffres en vigueur aux États-Unis ont trait au niveau de vie des habitants des États-Unis. À mon avis, on ne peut utiliser un chiffre global pour établir le statut d'investisseur averti. Il faut se pencher sur la situation de chaque pays et y déterminer le niveau de vie, mesuré du point de vue du revenu disponible. Ce n'est qu'ainsi qu'on pourra établir si le chiffre est approprié. Si on fixe un seuil trop élevé, un trop grand nombre de personnes seront considérées comme des investisseurs non avertis, ce qui va à l'encontre du principe de base. Au-delà d'un certain seuil, la distinction n'a plus beaucoup de sens.

La troisième question avait trait à la répartition du risque d'insolvabilité d'un défendeur entre les demandeurs avertis et les autres codéfendeurs. Pour préserver l'intégrité du principe mis de l'avant, à savoir celui de la responsabilité proportionnelle, nous pensions qu'il convient de l'appliquer, qu'un défendeur ou un groupe de défendeurs soit ou non en mesure de répondre à ses obligations financières. Nous pensions également que le demandeur averti -- et nous ne nous intéressons ici qu'aux seuls demandeurs avertis -- devrait assumer le risque d'insolvabilité d'un codéfendeur. Commencer à opérer des partages équivaut en réalité à revenir au principe de la responsabilité solidaire de même qu'à toutes les difficultés qui en découlent, par exemple les poursuites en cas de grève, et cetera.

Comme je l'ai mentionné dans une lettre antérieure, l'industrie des valeurs mobilières, en pratique, accepte depuis longtemps de s'en remettre à la responsabilité proportionnelle pour garantir des transactions. Le comité sur la divulgation d'information de la Bourse de Toronto a fait des recommandations au sujet du groupe de travail sur le financement des petites entreprises de la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario. J'espère que nous n'en reviendrons pas là. Je pense que cette question va au coeur même du principe.

Voilà ce que j'avais à dire.

Le sénateur Meighen: La justification des sommes mentionnées dans les dispositions législatives relatives aux valeurs mobilières du Canada est identique à celle que nous invoquons -- établir une distinction entre investisseurs avertis et non avertis.

M. Oliver: Le résultat est différent.

Le sénateur Meighen: La somme de 97 000 $ ou celle de 150 000 $. Il y a des précédents.

M. Oliver: Il y a des précédents. Ils ont trait à la question de savoir si les intéressés devraient ou non avoir le droit de faire des placements privés.

Le sénateur Meighen: À la base, la question est de savoir si les intéressés sont, pour dire les choses crûment, assez avertis pour le faire.

M. Oliver: Oui, sénateur, c'est tout à fait exact.

Le sénateur Angus: Bienvenue au comité, monsieur Oliver. Vous avez jeté sur le débat un nouvel éclairage intéressant.

Si j'ai bien compris ce que vous avez dit, la question des autres défendeurs est ce qui vous préoccupe le plus. À votre avis, le filet ne devrait pas être élargi. Le litige entourant Bre-X se poursuit, à l'instar d'autres litiges mettant en cause un grand nombre d'intervenants, y compris des avocats, des arpenteurs-géomètres et des essayeurs de métaux précieux. Pourriez-vous vous montrer plus explicite? Êtes-vous en train de demander que Nesbitt Burns et Midland and Merrill soient inclus et bénéficient des dispositions?

M. Oliver: Comprenez bien que nous ne cherchons pas à établir une défense pour une quelconque partie ayant commis une faute.

Le sénateur Angus: Ce que vous souhaitez, c'est l'uniformité.

M. Oliver: C'est exact. Nous ne cherchons pas à créer une défense pour une quelconque partie ayant agi de propos délibéré. Si, au-delà de cette question, une partie est responsable de 50 p. 100 des dommages, nous ne cherchons nullement à créer une défense concernant les 50 p. 100 en question. Nous parlons uniquement de la proportion des dommages que le particulier ou la société en question n'a pas causés.

C'est au tribunal qu'il incomberait de déterminer dans quelle mesure un défendeur particulier, par exemple un courrier en placements, est responsable de la faillite d'un émetteur. Ce que je dis, c'est que le défendeur ne devrait être tenu responsable que de la perte imputable à sa faute. La question se pose dans le contexte d'une opinion sur l'équité du prix offert ou d'une évaluation, question qui émane d'un document produit en application des lois fédérales en question ou qui en fait partie.

Le sénateur Angus: Il pourrait s'agir d'une personne qui participe à la préparation des prospectus ou des états financiers. Ce n'est pas toujours la même chose. Tout dépend de la nature de l'émission et des actifs sous-jacents.

M. Oliver: Nous ne parlons pas, je crois, des conseillers financiers ni des preneurs fermes qui exécutent une tâche donnée dans le cadre de documents ou d'information contenue dans des documents fournis en application de ces lois. Nous n'allons pas plus loin. Bien entendu, les décisions que vous prendrez ici auront un impact direct sur ce genre de poursuite judiciaire, ces questions ayant trait à un autre régime.

Le président: Juste pour que nous soyons certains de bien comprendre, nous mentionnions, dans notre recommandation antérieure, «information financière fournie en application de», puis nous énumérions une série de lois. Vous recommandez que nous modifions comme suit la formulation: «information financière contenue dans tout document fourni en application de ces lois». Si, en d'autres termes, la loi requiert la production d'un type particulier de document financier, tout va bien.

M. Oliver: C'est exact.

Le président: Je voulais être certain de bien comprendre.

Le sénateur Angus: Il s'agit ici des documents d'information. Les demandeurs, avertis ou non avertis, soutiendront peut-être que l'information sur laquelle ils ont fondé leur décision était erronée, insuffisante ou, d'une façon ou d'une autre, délictueuse. Il s'agit ici d'information mise à la disposition de l'investisseur dans le cadre du processus d'information. Il pourrait s'agir de n'importe qui.

M. Oliver: Il pourrait s'agir de toute personne qui signe le document. Il ne peut s'agir de personne d'autre.

Je tiens à clarifier un point. J'ai proposé l'ajout de quelques mots qui auraient pour effet d'élargir quelque peu l'application, mais cet ajout ne rend pas compte de ce que nous souhaitons véritablement à ce sujet. Nous avons été constants dans l'ensemble des lettres que nous avons fait parvenir au comité. Nous sommes d'accord pour dire que la profession comptable devrait bénéficier du passage de la responsabilité solidaire à la responsabilité proportionnelle, mais nous n'avons jamais dit que seuls les défendeurs professionnels devraient être visés. Nous pensions et nous continuons de penser que nos sociétés membres, lorsqu'elles fournissent ce genre d'information et de conseils financiers, devraient bénéficier des mêmes avantages parce que les mêmes principes s'appliquent. Je laisserai aux avocats le soin de se défendre eux-mêmes.

Le sénateur Angus: Vous êtes avocat. Ne pensez-vous pas que les avocats devraient être visés? Peut-être ne devraient-ils pas l'être?

M. Oliver: Je ne vois pas nécessairement de distinction, de sorte que je pense que oui.

Le sénateur Angus: Bien entendu.

Le président: Nous entendrons maintenant nos deux derniers témoins. M. John Campion a comparu à l'occasion d'une audience antérieure à titre de témoin expert, et nous l'avons invité de nouveau aujourd'hui.

Monsieur Campion, la parole est à vous.

M. John Campion, Fasken Campbell Godfrey: Monsieur le président, j'ai aujourd'hui à mes côtés M. Robin Roddy. Il m'a aidé à préparer les documents écrits. Avant de passer à un examen des opinions contenues dans ces documents, j'aimerais faire quelques observations.

De toute évidence, nous nous trouvons dans le domaine de la politique gouvernementale, qui est nécessairement arbitraire. Nous faisons des choix qui ne cadrent pas toujours bien avec des principes. Dans mes propos, je tente de tenir compte de certaines de ces notions, tout en reconnaissant toujours qu'une certaine part d'arbitraire sous-tend l'ensemble des points techniques auxquels nous avons affaire.

Dans son exposé, l'ACCOVAM s'est intéressée à cet arbitraire. Il semble remarquablement arbitraire qu'un groupe de professionnels se voie exclu du régime de la responsabilité solidaire et placé sur celui de la responsabilité proportionnelle.

Avant d'aller trop loin, je dois faire état d'un conflit d'intérêts. Je conseille Nesbitt Burns dans l'affaire Bre-X, ainsi que vous le constaterez à la lecture des documents que je vous ai distribués, et je tiens à profiter de l'occasion pour faire état de ce conflit. Je ne veux pas aborder cette question. En fait, je souhaite situer mes propos dans un contexte quelque peu plus large.

Au moment de ma dernière comparution, la Cour suprême du Canada n'avait pas tranché les questions relatives à la responsabilité des vérificateurs et, en particulier, au devoir de diligence, du moins pas dans l'arrêt Hercules Managements. Toutefois, à l'époque, j'ai cependant rappelé aux membres du comité qu'on assistait à un resserrement marqué des règles relatives à la responsabilité des vérificateurs de même qu'aux personnes autorisées à intenter des poursuites contre eux. Le resserrement s'est poursuivi, même si, soit dit en tout respect pour ce que la Cour a déclaré, l'affaire Hercules Managements n'a rien ajouté ni enlevé aux décisions prises au préalable par les cours inférieures. Elle s'est contentée de modifier le raisonnement utilisé pour parvenir aux mêmes conclusions.

À l'onglet 1, j'ai joint un extrait d'un livre que j'ai cosigné portant sur les vérificateurs. On y analyse l'affaire Hercules, dans la mesure où les membres du comité voudront s'y intéresser. L'analyse de l'affaire Hercules sous la rubrique «devoir de diligence» figure aux pages 16 à 18 de l'onglet 2. Il est difficile de s'inscrire dans un groupe de demandeurs habilités dans les faits à poursuivre des vérificateurs. Ce fait a été confirmé depuis notre dernière rencontre.

Aux onglets 2 et 3 de mon mémoire, on trouve les motifs de la décision du juge Winkler dans l'affaire Bre-X. Dans cette affaire, j'ai agi comme avocat-conseil, de sorte que je ne souhaite pas revenir sur les points qui ont été soulevés ni faire d'autres commentaires, si ce n'est pour mentionner qu'ils existent. Dans ce cas particulier, les demandeurs ont invoqué la Loi sur la concurrence comme cause d'action. Or, il n'y a pas de lignes directrices quant à la façon dont la Loi sur la concurrence s'applique dans le système. Les notions liées au devoir de diligence qui ont pour effet d'ajouter la protection à laquelle j'ai fait allusion n'existent pas pour le moment, même si on ne dispose pas de décision de fond quant au fonctionnement de la Loi sur la concurrence.

Pour vous donner une simple idée de l'étendue de la question, le paragraphe 52(1), soit la principale disposition de la Loi sur la concurrence touchée, se lit comme suit:

52(1) Nul ne peut, de quelque manière que ce soit, aux fins de promouvoir directement ou indirectement soit la fourniture ou l'utilisation d'un produit, soit des intérêts commerciaux quelconques, donner au public:

a) ou bien des indications fausses ou trompeuses sur un point important [...]

Cette disposition a été détachée de l'idée de concurrence et peut-être même, donc, de l'objet sous-jacent fondamental de la Loi sur la concurrence telle qu'elle existe aujourd'hui.

La cour a tenté de déterminer si elle doit ou non être liée à une certaine forme de comportement anticoncurrentiel. Foncièrement, elle a déclaré: «Il revient au juge de première instance de prendre une décision à ce sujet. Si, à la lecture de l'affaire Hercules Managements Ltd., les comptables se sentaient à l'aise, ils le seront beaucoup moins à l'idée que la Loi sur la concurrence pourrait entraîner des pertes économiques en cas de fausse déclaration par négligence. Nous nous retrouvons dans un secteur juridique où un nombre indéterminé de personnes assument une responsabilité indéterminée», ce qui est précisément le risque que les mesures visent à supprimer.

Maintenant que j'en ai terminé avec mes propos d'ouverture, je vais, avec vous, passer rapidement en revue les opinions qui figurent dans le document. Je n'ai pas le temps de présenter les motifs qui sous-tendent ces opinions. Jusqu'à un certain point, dans ce cas-ci, je parle non seulement à titre de personne qui a écrit sur la question, aussi à titre d'avocat plaidant. J'ai entendu les commentaires de M. Krishna, et je conviens que les mesures donneront lieu à une série de problèmes qui feront l'objet de litiges. Par conséquent, on devra consacrer plus de temps et de ressources à la tenue de procès.

Dans les mémoires présentés ici, on tente de tenir compte des problèmes et de les simplifier dans toute la mesure du possible -- et c'est ce que je vous prie instamment de faire --, afin de diminuer le nombre de difficultés techniques qui se posent dans ce qui, dans les faits, est accessoire à l'objectif principal. En fait, vous souhaitez établir un régime de responsabilité proportionnelle par opposition à un régime de responsabilité solidaire. Pour des motifs évidents liés à la politique gouvernementale, vous tentez d'établir une distinction entre «averti» et «non averti» et d'obtenir une certaine mesure d'équité pour les personnes considérées comme non averties. Une fois franchi ce pas, vous vous êtes toutefois retrouvés dans le domaine des décisions purement arbitraires, et les choix que vous effectuez ont trait à votre domaine plutôt qu'au domaine technique. Il s'agit de décisions relevant de la politique gouvernementale, et vous ajoutez ce volet. Tout ce que je peux ajouter, c'est qu'il s'agit de décisions relatives à la politique gouvernementale, ce qui relève de votre champ d'expertise, et non du mien.

Premièrement, je suis d'accord avec la notion de «averti» par opposition à «non averti». D'une façon ou d'une autre, vous voulez que cette notion soit accessible. Deuxièmement, j'accepte, à votre instigation, la notion de «valeur nette», mais, une fois la valeur nette établie, le lien entre les investisseurs avertis et non avertis et la valeur nette est au mieux inférentiel et arbitraire. Il ne s'ensuit pas qu'ils doivent être jetés. On ne devrait fixer le seuil qu'après un examen attentif, au niveau de la politique gouvernementale, de qui est dans les faits prisonnier de la notion de valeur nette.

Imaginons qu'on n'ait affaire qu'à des biens. Le seuil doit-il être fixé à 300 000 $, à 200 000 $ ou à 100 000 $? Si vous choisissez de déterminer qui est visé et qui ne l'est pas -- peut-être, dans ce cas, devrait-on passer par Statistique Canada -- vous devrez fixer le seuil en conséquence. Je ne crois pas être en mesure de vous aider à fixer le seuil, si ce n'est que, à mes yeux, la barre des 300 000 $ permettrait d'établir les personnes qui, d'un côté, devraient être considérées comme averties. En fixant le seuil à moins de 300 000 $, on donnera prise à l'arbitraire. Vous devriez prendre vos décisions en ce sens ou recommander aux législateurs qui se chargeront de cette tâche de fournir d'autres choix. Vous devriez choisir sur la foi non pas seulement d'un chiffre, mais aussi du principe selon lequel certaines personnes seront incluses et d'autres, exclues. On devrait procéder selon une quelconque démarche organisée.

Ici, la simplicité est la clé. Par exemple, on peut choisir d'exempter les biens. Suivant le mémoire que j'ai soumis respectueusement, il n'y aurait pas d'exemptions. On devrait tenir compte de tout. Ne vous donnez pas la peine de tenter d'établir ce qui est exempté et ce qui ne l'est pas. Ce faisant, vous entrerez immédiatement dans la sphère des mesures créatives prises par les investisseurs. De toute évidence, chaque exemption pose problème du point de vue de la définition et de l'évaluation. À mon avis, on devrait éviter de créer, dans le domaine commercial, de nouveaux motifs de poursuites s'apparentant à celles qu'on retrouve en droit de la famille, où la valeur nette est le principal enjeu. Comme vous le savez peut-être, il s'agit, pour les tribunaux, d'une position extrêmement embarrassante. On se retrouve aux prises avec de longues listes de biens, et cetera, de même qu'avec toutes sortes de méthodes créatives d'apprécier la valeur. Ou bien tout est inclus, ou bien tout est exclu. Simplifiez les choses pour éviter de faire des litiges commerciaux un fardeau de plus pour les entreprises du Canada et pour la conduite d'affaires au Canada.

Du point de vue de la simplicité, vous voudrez peut-être vous pencher sur l'idée même de biens familiaux. En ce qui concerne la résidence, le conjoint a droit, en Ontario, par exemple, à 50 p. 100 de la valeur nette de ce bien familial. Peut-être auriez-vous intérêt à tenir compte de cette facette de la question. En ce qui concerne les biens familiaux, le titulaire du titre n'est pas nécessairement la clé, mais on reconnaît que le conjoint détient 50 p. 100.

J'ai mis au point un nouveau concept qui n'a jamais été auparavant présenté au comité. Dans la note de bas de page 6 qui figure à la page 6, on aborde la question du pouvoir discrétionnaire résiduel. Ce pouvoir discrétionnaire s'exerce au niveau judiciaire, lorsqu'une personne dont les biens excèdent le seuil de 300 000 $ ou un autre seuil se considère malgré tout comme non avertie. Il incomberait à la personne en question d'en faire la preuve, mais l'octroi de pouvoirs discrétionnaires permettrait de s'occuper du cas des personnes en question. Dans le cas d'une personne non avertie qui, pour certains motifs imprévisibles, a une valeur nette supérieure au seuil que vous avez établi, vous voudrez peut-être prévoir l'exercice de pouvoirs discrétionnaires pour éviter aux personnes non averties un traitement véritablement injuste. C'est une possibilité. On utilise fréquemment les mots «juste» et «raisonnable». Laissez aux tribunaux le soin d'exercer leurs pouvoirs discrétionnaires; ne cherchez pas à le faire vous-même. C'est peut-être là une façon de s'arracher à l'arbitraire du seuil de 300 000 $, sans créer une série de règles qui auront tôt fait de devenir lourdes.

J'ai des vues différentes sur les risques que présente l'insolvabilité des défendeurs et des autres défendeurs. Si nous passons de la responsabilité solidaire à la responsabilité proportionnelle, c'est justement en raison du fait qu'un autre défendeur peut se révéler insolvable, faute de fonds ou pour tout autre motif. Le fait d'ajouter ce qui constitue, dans les faits, une disposition de récupération fondée sur la répartition va à l'encontre même de la politique que vous avez choisi d'adopter. La mesure est dénuée de toute justification rationnelle. J'en parle aux pages 7 et 8 de mon mémoire. Je ne vois aucune raison de revenir à une disposition de récupération du genre.

Voilà une autre complication superflue. En ce qui concerne la responsabilité proportionnelle, vous avez pris une décision en matière de politique gouvernementale, c'est-à-dire qu'on ne paie que ce dont on est responsable. Si telle est bien la décision qu'on a prise, qu'on en reste là et qu'on évite de rendre la situation encore plus arbitraire, confuse et litigieuse en faisant une exception pour les personnes insolvables. Si certaines en sont là, c'est précisément parce qu'ils sont insolvables.

Choisir de couper la poire en deux, ce que fait la disposition de récupération, constitue une décision qui relève de la politique gouvernementale, mais je n'en vois pas la justification. Je dois souligner que, si nous en sommes là, c'est en raison des litiges massifs qui se chiffrent en millions ou en milliards de dollars dont on a été témoins en Amérique du Nord, notamment au Canada. Toutefois, il est extrêmement rare que ces affaires se rendent devant les tribunaux ou encore que les intéressés versent ce genre de dommages-intérêts. Ce n'est qu'une fois tous les 10 ou 50 ans qu'on connaît des problèmes comme ceux qu'on a connus en 1989 à propos de la valeur des biens, lesquels sont à l'origine d'une bonne partie du débat d'aujourd'hui.

Si vous vous engagez dans cette voie, ne cherchez pas à faire que les règles soient plus ou moins arbitraires du seul fait que vous craignez que les litiges ne se multiplient. Très peu de cas de cette ampleur sont de fait instruits devant les tribunaux.

Quant à l'exception prévue pour les cas de fraude et de manque de probité, je suis respectueusement d'avis qu'elle se justifie. Toutefois, la définition qui figure dans votre rapport est telle qu'elle pourra donner lieu à une exception très ambiguë. Dans les deux dernières pages de mon mémoire, je m'intéresse à la question de l'ambiguïté. Je vous recommande de vous inspirer de la Private Securities Litigation Reform Act, loi américaine de 1995, dans laquelle on affirme que ce n'est que si le vérificateur en vient expressément à la conclusion que l'intéressé a sciemment commis une fraude qu'on envisage le recours à l'exception. On évite les formulations du type «mêlée» ou «découlant de» parce que, par exemple, à supposer que la direction a commis une fraude et que les vérificateurs ont simplement fait preuve de négligence en ne décelant pas la faute ou autre chose, ces derniers sont nécessairement mêlés à la fraude, ou encore les pertes en découlent. Les vérificateurs seront visés, même s'ils n'ont fait preuve que de négligence. Il s'agit simplement d'une question de terminologie, mais je suis respectueusement d'avis que, étant donné qu'il s'agit d'une question relevant de la politique gouvernementale, on devrait préciser que l'exception relative à la fraude s'applique uniquement à ceux qui ont été reconnus coupables de fraude, et non aux circonstances dont la fraude découle.

Je m'excuse d'avoir été si long. Je voulais situer les choses dans un contexte plus large. Si, une fois de plus, je suis d'accord pour dire que tous les professionnels du secteur financier devraient, dans la mesure du possible, être inclus, je dois me déclarer en conflit d'intérêts dans l'affaire Nesbitt Burns.

Le sénateur Kenny: Monsieur Campion, ma question porte sur la petite exemption que vous avez faite à propos de la propriété des résidences. Vous avez laissé entendre que les conjoints peuvent être intéressés par cette question. Les conjoints ne sont-ils pas intéressés par bon nombre d'autres problèmes pouvant se poser? Pourquoi ne feriez vous une exception que pour la seule résidence?

M. Campion: Je voulais parler de tous les biens familiaux. Il suffirait simplement d'adopter la règle des 50 p. 100 des biens familiaux, telle que la définit toute loi relative à la réforme du droit de la famille.

Le sénateur Kenny: Je vous avais mal compris. Je pensais que vous ne faisiez allusion qu'à la seule résidence.

M. Campion: C'était simplement un exemple.

Le sénateur Meighen: Que pensez-vous de la modification proposée par l'ACCOVAM, qui figure dans tous les documents, pour augmenter le nombre de professionnels qui pourraient être visés ou qui pourraient tirer avantage de la modification?

M. Campion: Je me suis penché sur le libellé. Je recommande au comité d'opter pour le concept, et non pour la formulation. Si vous avez pour but d'établir la catégorie la plus large qui soit raisonnablement possible, en ce qui a trait à la compétence fédérale, dites-le, et un rédacteur de textes législatifs se chargera sans doute d'ajouter les mots correspondant à la catégorie. Si vous tentez de traduire en mots cette complexité, vous risquez, par accident, d'inclure certaines personnes et d'en exclure d'autres. À mon avis, vous devriez choisir et laisser aux rédacteurs de textes législatifs le soin de trouver les mots qui conviennent.

Le sénateur Meighen: Vous plaidez en faveur de l'établissement de pouvoirs discrétionnaires résiduels. Pouvez-vous donner d'autres exemples de secteurs où de tels pouvoirs s'exercent?

M. Campion: Oui, je fais référence au recours contre l'oppression utilisé dans la définition de qui est visé et de qui est exclu, de qui peut compter parmi les demandeurs. De toute évidence, un aspect a trait à toute la question des mesures de redressement par voie d'injonction, dans lesquelles on tient compte d'un certain nombre de facteurs complexes, positifs et négatifs, et où on tente de parvenir à une conclusion quant à savoir si une personne devrait bénéficier d'un recours extraordinaire. Il y a de nombreux autres recours, mais il s'agit de deux recours très importants en vertu desquels les tribunaux exercent régulièrement des pouvoirs discrétionnaires qui, dans ce cas-ci, ne sauraient être activés que s'il y a présomption. Bref, on doit avancer des preuves très solides.

Le sénateur Austin: Monsieur Campion, imaginons que l'investisseur a hérité d'une somme importante, qu'il ne sait pas comment administrer et que, par conséquent, il a recours à un conseiller qui l'aide à prendre les décisions. Aux termes de votre définition, s'agit-il d'un investisseur averti?

M. Campion: Voilà précisément en quoi réside la valeur de l'expression «juste et raisonnable». À mon avis, il s'agit d'un investisseur averti. Il faudrait étoffer la notion de «juste et raisonnable» de manière à ce que la personne en question soit incluse ou exclue. Il me paraît sensé qu'un multimillionnaire qui dispose de tous les conseillers du monde et qui décide simplement de ne pas s'occuper du tout de ses investissements et préfère demeurer à l'écart, non averti et non au courant, ne puisse bénéficier des dispositions en question. Voilà pourquoi le critère fondé sur le seuil revêt une si grande importance. On doit avoir la présomption que la personne est un investisseur averti, et cette présomption doit reposer sur des preuves solides. Les dispositions législatives doivent être équilibrées. À mon avis, on aurait toujours affaire, dans ce cas, à un investisseur des plus avertis.

Le sénateur Callbeck: Vous nous dites que vous fixeriez un chiffre -- 300 000 $ par exemple -- et qu'une disposition conférerait des pouvoirs discrétionnaires aux tribunaux.

M. Campion: Les tribunaux ne pourraient utiliser ces pouvoirs discrétionnaires que pour ajouter aux groupes des investisseurs non avertis.

Le sénateur Callbeck: Oui. Toute personne ayant plus de 300 000 $ aurait la possibilité de prouver qu'elle est un investisseur non averti.

M. Campion: Oui. Une fois le seuil franchi, il faudrait cependant que le fardeau de la preuve soit très élevé.

Le sénateur Meighen: Imaginons qu'une personne, en raison de sa propre stupidité plutôt qu'en raison du fait qu'elle n'est pas avertie -- et qui est dans le marché depuis longtemps --, voie la valeur nette de ses actifs passer sous la barre des 300 000 $. Voulez-vous dire que les tribunaux ne devraient pas bénéficier de pouvoirs discrétionnaires leur permettant d'aller chercher la personne en question sous la barre des 300 000 $ pour la ranger dans la catégorie des investisseurs avertis?

M. Campion: C'est ce que je pense. Il s'agit d'une question de simplicité. Ce qu'on fait, dans les faits, c'est créer une exemption bizarre.

Le sénateur Meighen: Dans un sens comme dans l'autre?

M. Campion: Oui, dans un sens comme dans l'autre.

Le sénateur Meighen: Voilà ce que je ne comprends pas. Je pensais que c'était dans un sens seulement.

M. Campion: Ma proposition ne va que dans un sens, mais tout le processus qui consiste à utiliser la valeur nette et la distinction entre investisseur averti et non averti constitue en soi une bizarrerie. Il s'agit d'une décision très arbitraire.

Si une personne se trouve sous le seuil, c'est très bien. Du moins, c'est mon avis. Dès lors, certaines personnes seront en mesure d'éviter le régime de responsabilité proportionnelle. Quelques personnes additionnelles se retrouveront peut-être dans cette catégorie, mais c'est le prix à payer pour l'établissement d'un régime arbitraire. Vous voulez éviter de créer des litiges qui, sur cette seule question, s'éterniseront.

Cependant, je voulais établir un mécanisme qui permette d'englober quelqu'un qui, normalement, se retrouverait dans la catégorie des investisseurs non avertis, mais qui, pour quelque motif bizarre, se retrouve au-dessus de la limite. Pour une raison ou pour une autre, vous voudrez peut-être la ranger de nouveau dans cette catégorie particulière. J'ignore pour quel motif on pourrait agir de la sorte, mais, au lieu de prendre une décision purement arbitraire, quelqu'un en viendrait à la conclusion que, même si le seuil est élevé, la personne en question sera rangée dans la catégorie des investisseurs non avertis en raison de sa situation particulière.

Foncièrement, il s'agit de donner aux personnes en question une permission additionnelle. Toutefois, on ne veut pas que la dynamique aille aussi dans l'autre sens puisque, en permettant à une personne qui serait autrement réputée être un investisseur averti de se ranger sous la barre des 200 000 $, vous ne faites que prendre une décision relevant de la politique gouvernementale.

Le sénateur Angus: C'est un nouvel élément que vous avez ajouté.

M. Campion: Je m'étais simplement donné pour tâche de tenter d'assortir d'une certaine forme de souplesse ce qui était autrement un problème du tout ou rien.

Le président: En ma qualité de non-avocat, je dirais que la mesure permet d'accomplir ce que fait l'article premier de la Charte des droits et libertés pour la Charte, c'est-à-dire introduire une mesure de souplesse qui fait défaut aux États-Unis.

Le dernier témoin que nous entendrons ce matin est Mme Alison Manzer, de l'Association du barreau canadien.

Il s'agit de votre troisième comparution devant nous sur cette question. Vous serez heureuse de savoir que ce sera la dernière parce que nous mettons aujourd'hui un terme à notre étude.

Mme Alison Manzer, présidente, comité de la réforme législative des institutions financières, Association du Barreau canadien: Monsieur le président, l'Association du Barreau canadien a présenté devant le comité des arguments ou des exposés relativement complets concernant bon nombre de questions abordées par les témoins d'aujourd'hui. Ainsi, nous avons adopté une approche très inhabituelle pour des avocats, c'est-à-dire que nous avons accepté d'emblée les questions présentées. Notre mémoire et les commentaires qu'on m'a demandé de présenter portent directement sur les questions. Nos remarques seront donc brèves et ciblées.

À notre avis, le rapport de l'ACCOVAM était bien présenté; toutefois, nous avons été déçus par l'inclusion d'un très petit nombre de professionnels dans le régime de responsabilité proportionnelle. Pour des raisons relativement évidentes, dont nous avons déjà fait état avec force, nous ne croyons pas que cette protection devrait être à ce point limitée.

Pendant que je poursuis mes remarques, je vous demande de ne pas oublier que nous ne disposons pas de mesures fixes de ce que renferme le mot «averti». Je pense qu'il est assez bien choisi. Dans le meilleur des cas, on doit utiliser une certaine forme de mesure de cette notion. S'il est difficile de mesurer l'homme raisonnable, imaginez jusqu'à quel point il est difficile de mesurer l'homme averti.

Nous avons franchi un pas de plus. L'Association du Barreau canadien en est venue à la conclusion qu'il serait utile qu'une certaine uniformité caractérise les exposés qui vous sont présentés. Nous avons donc rencontré des représentants de l'ICCA, et l'uniformité de nos recommandations n'est pas accidentelle: elle est bien délibérée. Nous ne voulions pas donner l'impression d'avoir établi une forme de collusion. En fait, il nous est plutôt apparu que la discussion, la mise en commun de connaissances et d'information et, si vous voulez, des négociations au sujet de certains des enjeux à l'étude pourraient vous être utiles.

En ce qui concerne la question de la valeur nette et sa définition, vous avez de fait confié à des avocats la tâche très difficile qui consiste à interpréter plutôt qu'à présenter simplement de l'information financière. Cela dit, nous allons malgré tout tenter de le faire.

Le moment venu de déterminer un niveau acceptable pour la valeur nette et ce qu'on devrait inclure ou exclure au moment d'établir la valeur nette, nous pensions qu'il convient de garder à l'esprit cinq critères. Nous n'avons pas simplement tenté de choisir un chiffre au hasard ou de dire que, aux États-Unis, on utilise un seuil de «X» dollars. Nous avons plutôt réfléchi aux critères qui devraient être utilisés pour établir ce qui deviendra une règle de base. Nous sommes d'avis que ces critères sont un peu moins arbitraires que ceux qu'on retrouve aujourd'hui. On doit d'une certaine façon étayer les chiffres choisis.

Pour qu'une loi soit bien appliquée, plutôt que bien rédigée, on doit d'abord établir des critères clairs, précis et objectifs. Par conséquent, nous préférerions peut-être sacrifier un élément lié à l'équité ou aux pouvoirs discrétionnaires au profit de la simplicité et de l'objectivité des critères. S'il s'agit, dans le meilleur des cas, d'une règle de base, faisons au moins en sorte que cette règle soit facile à interpréter et à appliquer.

Deuxièmement, nous pensons que nous devons opter pour une mesure de clarté et de certitude. Lorsqu'elles recourent aux tribunaux, les parties doivent savoir si elles répondent ou non aux critères qui, dans le cadre du contentieux, seront utilisés comme autant d'obstacles qu'elles devront franchir. La clarté et la certitude permettront certes de réduire les risques d'un accroissement du nombre de litiges.

Cependant, tout critère appliqué comme le sont ceux qui visent l'industrie des valeurs mobilières portera non seulement sur l'accumulation des actifs, mais aussi sur l'accumulation des actifs comme mesure du statut d'investisseur averti et, donc, comme critère de la capacité d'assumer des pertes.

En tant qu'avocats, nous ne pouvons faire fi de l'application de précédents. Ainsi, nous avons jugé nécessaire d'examiner d'autres modèles parallèles. Cet exercice comporte deux avantages. Premièrement, le fait qu'on étudie l'application et l'interprétation de dispositions législatives parallèles permet de resserrer le degré de certitude des nouvelles dispositions. Comme, deuxièmement, les critères parallèles devront selon toute vraisemblance être tirés du néant, nous pouvons nous inspirer de la réflexion approfondie d'autres parties.

Nous n'avons jamais perdu de vue le fait que le comité avait convenu que la notion de responsabilité proportionnelle était, dans le contexte actuel, un moyen plus efficace et plus approprié de répartir les risques découlant des litiges. En ajoutant le mot «modification», le comité a toutefois indiqué qu'il avait tenu compte du fait qu'une protection devrait être assurée. D'après ma participation à ces audiences, j'ai retenu que cette protection devrait être assurée aux éléments les plus vulnérables de la société, comme c'est le cas dans l'industrie des valeurs mobilières.

Dans ce type de litige, nous pensons que la majorité des Canadiens moyens se retrouverait, dans les faits, sous le seuil. À ce titre, on les considérerait comme des investisseurs non avertis. On ne peut utiliser une définition de la notion d'«averti» qui aurait pour effet de conférer le statut d'investisseur averti à 90 p. 100 de la population, contre 10 p. 100 d'investisseurs non avertis. Il s'agirait, à nos yeux, d'une perversion du concept.

Ainsi, nous avons utilisé deux bases pour tenter de fixer notre chiffre. La première a été l'analyse statistique de l'ICCA qui vous a été remise. La deuxième, qui pourra sembler simpliste -- mais qui, au fil des temps, m'a rendu de fiers services et que je considère souvent comme convaincante -- a consisté à imaginer l'avoir financier que la personne moyenne associerait au statut d'investisseur averti. J'ai grandi dans une maison assez ordinaire, dans un quartier très ordinaire, et je continue de vivre dans un quartier ordinaire. En étudiant les chiffres, j'ai imaginé ce que diraient les personnes à qui je parle tous les jours. Je ne parle pas des personnes à qui je parle au coin de Bay et de King, mais bien aux personnes à qui je parle quand je rentre chez moi, à Georgetown, aux personnes qui vivaient de l'autre côté de la ville, là où j'ai grandi, à Dartmouth, en Nouvelle-Écosse. Il suffit parfois de revenir en arrière et de se rappeler d'où on vient pour déterminer ce qui est raisonnable et déraisonnable.

En ce qui concerne les éléments les plus vulnérables de la société, le cinquième élément que nous avons pris en considération a trait au fait que les personnes devraient raisonnablement pouvoir maintenir leur mode de vie actuel. Voilà l'objet même d'une bonne partie de la protection que nous avons mise de l'avant.

Comme nous sommes d'avis qu'il convient d'appliquer des exemptions, nous avons opté pour le chiffre de 100 000 $. Ce n'est pas un chiffre arbitraire, ni un chiffre que l'ICCA nous a imposé. Nous l'avons choisi à la lumière d'analyses statistiques, de mon expérience et de l'expérience des personnes à qui j'ai parlé. Les personnes qui, outre les actifs devant, à notre avis, être exemptés, sont parvenues à accumuler 100 000 $ sont, dans la société canadienne, considérées comme étant en mesure d'accéder à la prospérité financière et, selon toute vraisemblance, au statut d'investisseur averti.

Nous pensons que des exemptions se justifient pour trois raisons. Une fois de plus, cette position ne nous a pas été imposée par l'ICCA. Premièrement, nous tenons à la simplicité et à l'établissement de critères clairs et objectifs. Le fait d'éliminer les actifs dont l'évaluation est la plus difficile a pour effet de rendre les critères encore plus simples. De façon générale, les investissements qui échappent à ceux dont nous recommandons l'exemption sont ceux qui sont les plus faciles à évaluer.

Deuxièmement, nous voulions tenir compte du fait qu'il est souhaitable de préserver son mode de vie. Les actifs qui, à notre avis, devraient être exemptés sont le domicile conjugal, l'automobile -- ceux qui pensent qu'une automobile est un objet de luxe ne vivent manifestement pas où je vis -- et les REER puisque tout le programme des REER a été conçu pour assurer aux Canadiens une retraite confortable. C'est à cette fin que nous renonçons à des recettes fiscales.

Après avoir étudié des modèles parallèles, l'Association du Barreau canadien a, dans les documents qu'elle a présentés, laissé entendre qu'on devrait envisager d'appliquer des plafonds pour éviter que certains n'abusent du système en camouflant leur richesse dans une résidence d'une valeur de 5 millions de dollars. Selon nous, un autre critère de revenu appliqué aux gens dont la valeur ou les gains nets dépassent un certain seuil permettrait de dissiper certaines des préoccupations soulevées à propos des gens qui dégonflent à dessein leur valeur nette. Que cela nous plaise ou non, la société fait un lien entre l'investisseur averti, d'une part, et la capacité d'obtenir un revenu et d'accumuler les éléments d'actif, d'autre part.

Nous traitons aussi d'une nouvelle répartition de la responsabilité, c'est-à-dire de la disposition de récupération. Je peux bien être d'accord avec nombre de ceux qui ont affirmé que cela convient ou ne convient pas, mais il reste que nous avons pris la question pour ce qu'elle est.

Tout de même, si nous admettons que la responsabilité proportionnelle est le principe applicable, la récupération ou la nouvelle répartition doit alors tenir compte de la nature proportionnelle de la responsabilité. Il est question ici du manque à gagner dans les cas où le défendeur ne peut apporter sa contribution. Nous proposons que toute somme devant ainsi être récupérée soit répartie entre les parties suivant le pourcentage que celles-ci devaient contribuer au départ. Le tribunal serait appelé à déterminer le pourcentage à l'égard duquel les parties sont responsables. La démarche serait faussée s'il fallait déterminer que la partie ayant contribué 10 p. 100 est responsable de 100 p. 100 de la dette parce que la partie qui a contribué 90 p. 100 est devenue insolvable. Ce serait là une façon d'éliminer pour ainsi dire la responsabilité proportionnelle. Nous proposons que vous preniez la répartition établie au départ, que vous l'appliquiez au manque à gagner pour en arriver à un critère équitable et équilibré -- bien qu'encore arbitraire pour une certaine part.

Le sénateur Angus: Vous reconnaissez avoir collaboré étroitement avec l'ICCA. C'est à notre demande en partie que vous l'avez fait, et nous vous en savons gré. Vous en êtes arrivé à un point de vue sur la répartition et sur les exemptions.

Mme Manzer: Oui.

Le sénateur Angus: Ce matin, vous avez entendu d'autres personnes dire qu'il faut que cela soit tout de même conforme au principe de la simplicité que vous avez énoncé. Tout le monde aujourd'hui a parlé de «simplicité». Que pensez-vous de l'idée d'établir un chiffre tout simplement, plutôt qu'un chiffre assorti d'exemptions et sans répartition?

Mme Manzer: L'établissement d'un chiffre sans exemption me pose des difficultés, car j'estime toujours que la méthode de l'exemption est plus équitable et plus facile à appliquer. Je proposerais que le seuil soit nettement supérieur à 100 000 $. J'aurais tendance à tenir compte de ce que j'exclurais autrement, de sorte que mon seuil tournerait probablement autour de 300 000 $, ce qui est le même chiffre que celui qu'a donné l'ACCOVAM.

Le sénateur Angus: Je souhaitais obtenir une précision -- vous êtes revenue au critère de la «rue Principale», qu'il s'agisse de Georgetown ou Dartmouth, mais le chiffre, au bout du compte, tourne autour de 300 000 $.

Mme Manzer: Oui.

Le sénateur Angus: Accepteriez-vous qu'il n'y ait pas de nouvelle répartition?

Mme Manzer: Je préférerais qu'il n'y ait pas de nouvelle répartition.

Le sénateur Meighen: Ce sont des caprices d'avocats dont il est question ici, et les avocats trouvent toujours une façon de contourner les choses. Du moins, c'est le point de vue général. Croyez-vous que le fait d'inclure des exemptions complique la tâche ou facilite la vie de celui qui veut contourner le problème?

Mme Manzer: Je dirais que cela rend l'idée de contourner le problème moins tentante. On est moins tenté de déplacer des éléments d'actif pour ne pas avoir à répondre au critère en question, car les gens souhaitent conserver un mode de vie raisonnable et préserver les éléments d'actif qu'ils jugent les plus importants.

Le sénateur Austin: Permettez-moi donc de remarquer que vous passez de l'idée d'un investisseur averti à une vision des choses où chaque investisseur, qu'il soit averti ou non, a le droit de protéger une valeur nette minimale.

Mme Manzer: Nous reconnaissons le fait que cela a été au coeur de la politique canadienne ces dernières années et nous croyons qu'il s'agira probablement d'une solution qui convient mieux aux personnes qui envisagent la modification législative.

Le président: C'est un principe sous-jacent, une condition préalable dans la législation visant plusieurs institutions financières.

Le sénateur Meighen: La saisie des salaires.

Le sénateur Austin: «La loi du moins fort», pour ainsi dire.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette: Quelle que soit la formule, lorsqu'il y a des montants établis, est-ce que vous ne recommandez pas au législateur d'adopter une formule de deux classes pour que dans cinq ou dix ans, si on n'a pas modifié le projet de loi, les sommes soient raisonnables? On a parfois tendance à adopter des lois citant des montants, des amendes ou autres qui ne sont plus pertinents cinq ou dix ans plus tard. On contrevient ainsi à l'esprit de la loi au moment de son adoption.

Est-ce que vous adopteriez une notion d'indexation pour les exclusions? Qu'est-ce que le législateur devrait incorporer dans la loi pour qu'elle soit pertinente année après année? On n'a pas d'inflation maintenant mais si, dans quelques années, elle revient à raison de 5 ou 10 p. 100 par année, comment va-t-on faire pour rajuster les exclusions ou les montants qui sont recommandés?

Soi dit en passant, je préfère la formule de madame, qui consiste à avoir différentes catégories plutôt qu'un montant global, mais il reste quand même que dans dix ans, ces sommes ne seront plus du tout appropriées.

[Traduction]

Mme Manzer: L'évolution de l'économie d'une société pose des difficultés chroniques. Je suis contente que vous ayez mentionné que, dans le contexte actuel, il devient plus difficile d'envisager concrètement une évolution économique radicale sur une période relativement courte -- dix ans environ --, ce qui représente le cycle habituel pour ce qui est de l'examen de ce genre de législation.

Il existe plusieurs façons de résoudre ce genre de problème. On peut prévoir une formule d'exigibilité anticipée dans la loi, mais ce genre de formule ne me plaît guère. Par rapport à un examen législatif, on pourrait s'y attaquer plus souvent par règlement ou au moyen d'une politique, de lignes directrices ou de décrets. Les formules deviennent très difficiles à appliquer et beaucoup plus faciles à déformer que les chiffres fixes. Au Canada, nous sommes désormais très habiles pour trouver des façons de mettre à jour ce genre de chiffres. Il est rare maintenant qu'un avocat trouve des situations d'abus comme le cas de l'amende de 25 cents qui, auparavant, se serait retrouvée dans les vieilles lois. Il semble que nous soyons assez enclins à recourir maintenant à ces autres façons de procéder.

M. Walker: Vous soulevez une question très intéressante qui est peut-être aussi un problème. Tout de même, je crois que cela devient de moins en moins un problème si nous prévoyons des exemptions. Il conviendrait de faire des adaptations sur une longue période: l'évolution de la valeur de la maison n'aurait aucune incidence sur la formule.

Le sénateur Kenny: Honorables sénateurs, j'aimerais que le dernier témoin précise encore pourquoi, selon elle, certains éléments d'actif devraient être exemptés. Cela me semble être une façon arbitraire de décider comment les gens choisissent de vivre leur vie. Si vos valeurs sont convenables et qu'elles représentent celles de la majorité de la population -- cela se conçoit --, il n'est reste pas moins qu'il y a des gens qui choisissent une vie plus simple, qui choisissent de conduire un véhicule peu coûteux et qui seraient donc pénalisés pour les choix qu'ils ont faits. À l'inverse, ceux qui ont élu domicile dans une maison coûteuse et qui ont consommé une bonne part de leur richesse en cours de route ne seraient pas assujettis à la même pénalité.

Mme Manzer: Au début, à étudier la question, nous devions reconnaître le fait que tout critère de cette nature serait arbitraire dans certaines situations. Il est impossible de rédiger une loi qui puisse être appliquée de manière ouverte, égale et équitable à tous. Au moment de déterminer quels éléments d'actif devraient être exclus, nous avons essayé de reconnaître ceux qui, en droit canadien, bénéficient déjà d'un statut particulier sous la forme d'un traitement fiscal avantageux ou d'autres programmes qui tendent à en encourager l'accumulation, particulièrement au moyen de stimulants fiscaux. Ce sont les éléments d'actif qui, selon la majorité des Canadiens, sont indispensables au maintien du mode de vie.

Je le répète: nous avons étudié la question telle qu'elle se présentait. Je ne suis pas partisan du critère de la valeur nette. Je crois qu'un critère reposant sur l'accumulation d'éléments d'actif serait nettement meilleur. Nous ne proposons pas de critère de solvabilité. Nous proposons de déterminer s'il s'agit d'un investisseur averti. À mes yeux, les investisseurs les plus avertis sont ceux qui accumulent des éléments d'actif à l'aide du revenu ou des éléments d'actif d'autrui, qui accumulent une dette notable en regard de ces éléments d'actif et qui, par conséquent, présentent une valeur nette relativement faible tout en ayant accès aux éléments d'actif.

Tout critère comporte une part d'arbitraire. Les éléments d'actif que nous avons décidé d'exclure sont ceux qui sont le plus largement reconnus dans la société canadienne, dans la plupart des lois et dans notre régime fiscal.

Le sénateur Kelleher: M. Campion a soulevé le spectre de la Loi sur le droit de la famille. À votre avis, quel serait l'effet du droit de la famille, si tant est qu'il y en a, sur les éléments d'actif que vous proposez d'exclure?

Mme Manzer: Les allusions faites au droit de la famille et au foyer conjugal, qui étaient assez proches l'une de l'autre, sans forcément être liées, renvoient à la reconnaissance particulière accordée au foyer conjugal par les instances chargées du droit de la famille dans la majeure partie du Canada. La planification familiale pose des difficultés dans toute approche qui vise à recouvrer des dommages-intérêts par action judiciaire. L'épreuve des tribunaux est une réalité à laquelle on ne saurait se soustraire au Canada. C'est une question que d'autres comités devraient étudier à d'autres moments, à mon avis, car la situation, selon bon nombre de personnes, commence à donner lieu à des abus. Si l'examen a une portée suffisamment large, je ne crois pas que vous puissiez éviter qu'un élément d'actif soit soumis à l'épreuve des tribunaux.

Si le patrimoine familial est exclu, on est moins tenté de prévoir les coups de cette façon. De même, on évite d'empiéter sur la législation provinciale, qui tend à considérer comme sacrés certains éléments d'actif, par exemple le foyer. Je ne crois pas qu'il y ait lieu d'ajouter aux exemptions que nous avons déjà proposées.

Le sénateur Callbeck: J'aimerais savoir ce que les témoins pensent de la façon dont M. Campion définit l'investisseur averti et l'investisseur non averti. Est-ce que nous devrions établir un chiffre, puis ajouter une disposition selon laquelle cela est laissé à la discrétion du tribunal?

M. Walker: L'ICCA ne s'opposerait pas à l'établissement d'un montant donné, en présumant qu'il soit raisonnable. Pour être francs, nous croyons qu'il est plus simple d'exclure un certain nombre des éléments d'actif qui sont proposés. Quant à dire que le tribunal pourrait alors trancher et déterminer que tel seuil plutôt qu'un autre devrait être appliqué à une personne, je crois que les parties au litige seront encore moins certaines de leur position. C'est un autre critère pour déterminer le caractère averti de l'investisseur, je présume; néanmoins, on ne saurait pas très bien qui se trouve de part et d'autre du seuil.

M. Oliver: Le fait de créer ce qui représente une présomption réfutable concernant l'investisseur averti, au-delà du seuil, j'en conviens, est une source d'incertitude. C'est une notion trop vaste. Le terme «averti» demeure très subjectif dans le contexte. On peut lui donner de nombreux sens. Je ne suis pas sûr de la façon dont les gens vont l'interpréter. Je crois qu'il y a un risque réel que les litiges donnent lieu à des exemptions massives et que ce genre de présomption réfutable puisse être facilement réfutée.

Pour ce qui est des biens matrimoniaux, lorsqu'on étudie d'autres critères qui se substitueraient à la mesure du discernement de l'investisseur averti, il faut se rappeler que les conjoints ont généralement affaire à la totalité des biens, et non pas seulement à la partie qu'ils possèdent peut-être eux-mêmes. Il importe peu qu'ils possèdent effectivement 100 p. 100 ou 50 p. 100 des biens. C'est la totalité des éléments d'actif dont il est question, et c'est ce qui me paraît être important. L'exemption établie à partir de ce dont un particulier peut être considéré comme ayant besoin pour vivre recèle certains facteurs préjugeant de la situation, en ce qui concerne le caractère régional, l'âge ou la culture. Nous savons que les maisons coûtent plus cher dans certaines régions du pays et que les jeunes y consacrent une part bien plus importante de leurs revenus. Je ne sais vraiment pas en quoi cela concerne le degré de discernement d'un être humain averti. De fait, je crois que cela n'a rien à voir. Je ne trouve pas cela très convaincant.

M. Krishna: Si nous devons emprunter cette voie, la proposition de M. Campion nous paraît très utile. Le fait d'accepter le caractère arbitraire de tout seuil simplifie effectivement les choses. On voit que, comme il en a été question plus tôt, la personne qui conserve certains éléments d'actif se situera d'un côté ou de l'autre du seuil -- c'est le cas, par exemple, du propriétaire d'une maison par rapport à un locataire. Le locataire qui épargne et fait des investissements tombe dans une catégorie. Celui qui choisit d'investir dans le foyer conjugal est classé dans une autre catégorie, «de l'autre côté» du seuil.

Il faut tout de même situer l'observation de M. Campion dans le contexte d'une autre question qu'il a soulevée lui-même, tout au moins de façon indirecte. Le recours en cas d'abus d'autorité, par exemple, fait intervenir dans les litiges un critère à deux seuils qui est inutilement complexe. Il est lié à une autre question: à qui reviendra-t-il de prouver qu'une personne est avertie ou non? Qui déterminera de quel côté du seuil il faut situer la personne en question? Quelles sont les présomptions? En règle générale, lorsqu'il est question de critères comportant un seuil, le fardeau de la preuve incombe au plus puissant. Par exemple, l'industrie des valeurs mobilières est une grande institution dont on peut contester les limites touchant les placements privés.

Lorsque nous traitons des exemptions concernant les limites et les critères comportant un seuil, je me demande si nous cherchons à protéger le défendeur ou le demandeur. Certaines personnes ont parlé de la protection d'un mode de vie et ainsi de suite. Il s'agit là de protection axée sur le défendeur. Qu'il s'agisse d'un investisseur averti ou non averti, n'est-il pas question ici du demandeur éventuel et du côté de la ligne de démarcation où il se situe? Pourquoi les exemptions protégeraient-elles l'investisseur? Pourquoi ne le protégeraient-elles pas? Pourquoi l'exposeraient-elles? Je crois qu'il faut garder cela à l'esprit.

Enfin, en ce qui concerne les litiges, qu'arrive-t-il à la personne qui se trouve tout juste de l'autre côté de la ligne de démarcation, que celle-ci se situe à 100 000 $, à 200 000 $ ou à 300 000 $?

Le président: C'est la vie.

M. Krishna: Bien entendu, c'est la vie, mais cela entraînera toutes sortes de manoeuvres judiciaires pour que les gens reviennent de l'autre côté. Selon qu'il est question de 301 000 $ ou de 299 000 $, les recours possibles sont très différents et puis il y a cette catastrophe éventuelle pour un millier de dollars. Ces questions sont liées entre elles.

Le président: Pour traiter du dernier point que vous avez soulevé, ceux parmi nous qui décident de la conduite des affaires publiques savent que dès qu'une ligne de démarcation est tracée, quel que soit le domaine, il y a toujours quelqu'un qui se trouve de l'autre côté. On apprend à vivre avec -- sinon on ne ferait jamais de démarcation, et il n'y aurait jamais de position officielle. C'est la vie.

Le sénateur Austin: Le comité a traité de l'intérêt social que nous avons à préserver la viabilité des débiteurs, pour que la société en général n'ait pas à les entretenir. C'est l'argument présenté dans le mémoire de l'Association du Barreau canadien aussi bien que dans d'autres mémoires.

Voici une question théorique. En essayant de déterminer le degré de discernement de l'investisseur, le comité ne se lance-t-il pas sur une fausse piste? M. Krishna a traité des problèmes qui se présentent à ce chapitre.

J'aimerais revenir à la boutade que je vous ai servie il y a quelques minutes concernant «la loi du moins fort». Si nous adoptons une telle politique, est-ce que nous n'essayons simplement pas de dire que nous ne réduirons pas la valeur nette d'un particulier, qu'il s'agisse d'un demandeur ou d'un défendeur, en deçà d'un certain seuil, car il n'est pas dans l'intérêt public de favoriser l'indigence dans ce cas particulier? J'imagine que ce n'est pas non plus dans l'intérêt du parti au pouvoir.

Pourquoi le comité doit-il se soucier de l'idée d'un investisseur averti ou non? Que le critère appliqué concerne la valeur nette ou l'accumulation d'éléments d'actif, pourquoi ne pas simplement dire que les 500 000 premiers dollars sont intouchables? Je ne saisis pas parfaitement la distinction entre la valeur nette et l'accumulation d'actifs. Quelqu'un pourrait peut-être me l'expliquer.

Pourquoi s'embarrasser de ces critères arbitraires? Nous demandons à un tribunal d'étudier la situation d'un particulier et de déterminer s'il est averti ou non. Pourquoi? Est-ce simplement pour protéger la valeur nette de base, puis passer à des questions d'orientation?

Le sénateur Angus: La valeur nette n'est pas protégée. Prenons l'exemple mentionné par M. Krishna: la personne âgée qui vit d'un legs. La somme héritée dépasse les 500 000 $, et disons que la personne âgée a tout perdu sans que rien ne soit recouvré. Si la somme n'avait pas été supérieure à 500 000 $, la personne aurait tout gardé. J'imagine qu'il faudrait une espèce de franchise.

J'aimerais inscrire une question générale à l'ordre du jour, car, à mes yeux, M. Campion a dévoilé un nouvel horizon avec ce pouvoir discrétionnaire résiduel. Ce que je vais dire peut paraître insolite, mais que pensez-vous de l'idée de laisser cela à la discrétion du tribunal, qui aurait pour consigne d'appliquer les lignes directrices suivantes... quelles qu'elles soient. Nous pourrions aussi faire allusion au demandeur, qui a droit à la responsabilité solidaire, puis énumérer les lignes directrices -- degré de discernement de l'investisseur averti, bien-être, et cetera. Qu'en pensez-vous?

M. Campion a ouvert la porte à cette possibilité. Je suis d'accord pour dire que le fait d'exclure par un procédé arbitraire des gens qui ne sont vraiment pas avertis n'a pas de sens.

M. Campion: Sénateur, il y a plusieurs façons de créer une exemption à partir d'exemptions -- c'est le genre de procédé à double tour qui nous occupe ici -- et de permettre à quelqu'un de revenir de l'autre côté du seuil. Je commencerais par établir un seuil, puis je l'appliquerais très rigoureusement pour m'en tenir au principe de la simplicité. L'idée de prévoir d'autres critères pour ceux qui se trouvent au-delà du seuil, mais qui demeurent «non avertis» me paraît parfaitement sensée.

Au bout du compte, cela dépend du genre de politique que l'on veut adopter. Une fois la décision prise à cet égard, la rédaction de l'énoncé devient relativement simple. À mon avis, l'établissement d'une liste de catégories représente une façon sensée et utile de procéder. En affirmant les choses aussi catégoriquement que je l'ai fait ici, je voulais simplement soulever l'idée, plutôt que de m'engager dans les choix qui se présentent une fois l'idée approfondie. J'accepte l'idée que vous avez de restreindre le critère d'une façon ou d'une autre pour garantir que les cas de retour à la catégorie des «non-avertis» demeurent prévisibles et tout à fait exceptionnels.

Mme Manzer: Si on tient compte de la mise en garde ajoutée par M. Campion quant à la façon dont le projet de loi devrait être rédigé, ce serait viable. L'application uniforme ne saurait tarder.

La seule préoccupation que suscite le fait de laisser cela à la discrétion des tribunaux, c'est qu'il y aurait une part d'arbitraire jusqu'à ce le précédent soit bien établi. Si le fardeau de la preuve est imposé à la personne qui cherche à éviter que le seuil soit appliqué à son cas, ce serait un projet de loi tout à fait viable.

Le sénateur Kenny: Sauf peut-être aux extrêmes, j'ai beaucoup de difficulté à trouver une corrélation entre la valeur nette et le discernement des investisseurs avertis.

Le président: Il ne faut pas s'attarder trop au terme «averti», qui vient du comité. Dans le domaine de l'assurance-dépôt, il y a un seuil de 60 000 $, et divers éléments des lois de réglementations canadiennes et américaines, notamment en ce qui concerne les établissements financiers, établissent un seuil. Il fallait un terme pour décrire les gens de part et d'autres de la ligne de démarcation ainsi tracée. Nous avons choisi le terme «averti».

Le sénateur Kenny: Pour moi, les gens avertis, ont toujours été ceux qui pouvaient prendre soin d'eux-mêmes. C'est ce que nous essayons de définir. J'ai de la difficulté à associer la valeur nette aux gens qui peuvent prendre soin d'eux-mêmes. Je n'y vois pas de corrélation.

La proposition de Mme Manzer -- que l'accumulation d'éléments d'actif ou de richesses soient utilisés pour critère -- me gêne beaucoup moins. Les gens qui ont la capacité d'aller créer de la richesse au fil du temps montrent qu'ils sont avertis, que ce soit directement ou indirectement. Cela peut être par pure chance, comme lorsque quelqu'un gagne à la loto. Voilà peut-être une exception que l'on pourrait démontrer au juge.

Le sénateur Angus: Il y en a parmi les gens les plus pauvres que nous connaissons qui sont des investisseurs avertis ayant fait un mauvais choix.

Le sénateur Kenny: Leur valeur nette est basse, peut-être parce qu'ils font jouer l'effet de levier. C'est la façon commode de faire les choses. De fait, c'est peut-être une façon intelligente d'évoluer sur certains marchés.

Outre Mme Manzer, est-ce qu'il y a d'autres membres du panel qui ont réfléchi à cela? Si tel est le cas, qu'en pensez-vous?

Le président: Peut-on être rigoureusement précis? Je veux être sûr de bien comprendre votre question. La question concerne la proposition que M. Campion a fait au départ et que Mme Manzer a commentée, c'est-à-dire qu'il y ait un seuil et que cela serait à la discrétion du juge.

Le sénateur Kenny: Cela n'a rien à voir avec ma question, monsieur le président.

Le président: Vous pourriez peut-être poser une question précise.

Le sénateur Kenny: Je vais faire de mon mieux.

Je propose que nous fassions simplement l'économie de la notion de valeur nette pour choisir plutôt les antécédents ou un bilan sur un certain nombre d'années. Durant la période voulue, la personne avait-elle la capacité de créer de la richesse et de se procurer des biens? Autrement dit, la personne qui peut passer de x à 10x sur une certaine période peut, je le présume, être relativement avertie et posséder un certain savoir-faire à cet égard. Est-cela un critère raisonnable?

Le président: Ce critère pourrait-il être appliqué?

Le sénateur Kenny: D'abord, est-ce raisonnable? Ensuite, est-ce assez simple pour être appliqué?

M. Campion: Oui, un tel critère est viable et applicable, mais cela multiplierait les litiges. La notion de seuil a ceci d'avantageux que la décision des autorités a une incidence sur les litiges. Cela est raisonnable et cela relève du choix des décideurs. Je crois que le seuil, dans la mesure où il y a une certaine discrétion qui permet d'éviter l'injustice, demeure une option attrayante. Toutefois, le système que vous avez décrit pourrait s'appliquer tout aussi aisément qu'un système reposant sur un seuil. Cela a un prix.

Mme Manzer: Je crois que vous parliez du point que j'ai soulevé. Si nous acceptons la prémisse que l'accumulation financière doit servir de critère pour déterminer qui est averti et, que cela nous plaise ou non, l'accumulation financière est devenue le critère le plus largement répandu -- alors, la valeur nette, c'est-à-dire l'actif moins le passif, ne représente pas le critère approprié.

L'accumulation d'actif avec des dettes correspondantes représente un cas d'investisseur extrêmement averti. C'est un critère plus facile à manier parce qu'il s'agit d'une mesure directe de la valeur de l'actif. C'est comme calculer la valeur nette. Les dettes ne sont pas simplement soustraites.

Si vous poursuivez dans ce sens, je crois que vous devriez étudier l'option d'un critère de revenu qui est proposé. Dans notre société, il est difficile de prétendre que quiconque a 250 000 $ ou 300 000 $ ne constituerait pas un investisseur averti, puisque la société récompense la capacité, et la capacité semble favoriser les gens avertis du point de vue des revenus.

Le sénateur Meighen: J'ai encore de la difficulté avec les exemptions. Mme Manzer a fait valoir que les choses seraient plus simples plutôt que plus compliquées. Qu'en est-il des compétences provinciales? Évidemment, plusieurs de ces éléments sont du ressort des provinces. Que nous jugions sage ou non d'inclure des exemptions, n'éviterait-on pas le problème dans une grande mesure en ne prévoyant aucune exemption?

M. Campion: Oui, du point de vue constitutionnel.

Le sénateur Meighen: Je parlais du point de vue constitutionnel.

M. Campion: Si vous faites allusion aux droits de propriété et aux droits civils, les questions principales en jeu, la réponse est «oui».

Le président: Je ne suis pas avocat, mais sûrement que le gouvernement fédéral ne peut exclure quoi que ce soit sans s'engager dans des critères constitutionnels. Il ne s'agit pas de se positionner autrement par rapport à la constitution; il s'agit simplement de décider ce qui sera exclu et ce qui sera prévu. Je n'y vois pas de problème constitutionnel.

Mme Manzer: C'est simplement une façon d'éviter d'en discuter. Si la formule pécuniaire sert à établir quelque chose à l'aide des pouvoirs fédéraux, le fait que les provinces traitent les éléments d'actif du point de vue de la propriété ou de l'occupation importe peu au chapitre des critères retenus.

M. Campion: Cela se présente à la manière d'un recours civil fondé sur la Loi sur la concurrence. J'admets, comme vous le dites, que le recours à cette forme de formule pour la propriété n'entre pas dans cette sphère. La création d'une exemption ou d'une inclusion pour un demandeur peut soulever une question touchant l'intégralité du régime de recouvrement des dommages-intérêts. Il s'agit de savoir si cette façon de traiter avec la propriété serait inconstitutionnelle.

Je crois que vous avez raison, monsieur le président, en disant que ce n'est probablement pas le cas. Toutefois, si c'est un problème, moins nous touchons à cette sphère, plus il est probable que le problème serait évité.

M. Krishna: J'aimerais traiter de la question du seuil en revenant, monsieur le président, à l'observation tout à fait judicieuse que vous avez formulée à propos de toute décision d'ordre public -- il s'agit de tracer une ligne de démarcation, après quoi certaines personnes se trouvent d'un côté, et certaines personnes, de l'autre. Je veux revenir à cette limite et au montant du seuil parce que, du point de vue de la formulation de la politique publique, le problème consiste à déterminer qui, du comptable-défendeur ou du demandeur doit assumer la perte. Soit dit en passant, je crois que cela devrait s'appliquer à tous les professionnels et non seulement aux comptables.

Autant que possible, nous essayons d'éviter les «catastrophes» dues au seuil, où le demandeur perd tous ses droits de recours parce qu'il est en deçà du seuil, d'une somme de un dollar. Par exemple, le demandeur ayant 299 999 $ à son compte bénéficie d'un droit illimité du point de vue de la responsabilité solidaire, mais s'il s'ajoute 1,00 $ à son compte d'actifs accumulés, ce droit est sensiblement réduit. Quand je ne témoigne pas devant des comités du Parlement, je suis avocat-fiscaliste. Dans mon domaine, on pourrait dire que c'est là «le seuil de la catastrophe», et toutes les lois que nous rédigeons visent à prévenir ce genre de catastrophe.

On peut privilégier le défendeur ou le demandeur, mais il n'en reste pas moins qu'il faudrait protéger les investisseurs individuels qui, à 1,00 $ près, auraient eu accès à tous les recours, mais qui, par un calcul peut-être erroné de la valeur nette avec exemptions, inclusions, et autres formules, se trouvent dans le pétrin. Ils voudraient certainement se débarrasser immédiatement de ce dollar supplémentaire, pour avoir accès à tous les recours.

Le président: Le pouvoir discrétionnaire judiciaire proposé par M. Campion règle-t-il votre problème?

M. Krishna: Un pouvoir discrétionnaire judiciaire de cette nature est très utile pour régler les cas extrêmes et a donc beaucoup de mérite. M. Campion a aussi soulevé une notion de présomption utile, puisqu'il ne faudrait pas qu'il soit trop facile de bénéficier de ce pouvoir discrétionnaire.

M. Walker: Notre avocat, M. Ron Brown, de Blake Cassels, nous accompagne aujourd'hui. Une des questions que nous lui avons demandé d'étudier, c'est le caractère constitutionnel de cela. Selon Blake Cassels, du point de vue constitutionnel, l'aspect important du critère ne résiderait pas dans le fait qu'il y ait des déductions ou non, mais plutôt dans le simple fait d'en arriver à un chiffre.

Le président: Il y en a trois d'entre nous qui ne sont pas avocats, et les témoignages des avocats se contredisent. J'aimerais donc faire éclaircir un point en particulier. M. Krishna a laissé entendre que les exemptions susciteraient de nombreux litiges. Mme Manzer a prétendu que les exemptions ne susciteraient pas beaucoup de litiges parce qu'on aurait pas à commencer à évaluer les maisons et ainsi de suite. Je crois qu'il serait utile pour nous de connaître le consensus des témoins à ce sujet.

Le sénateur Austin a parlé de la politique gouvernementale et des conséquences politiques favorables liées à une longue liste d'exemptions. Pour être franc, selon les apparences, une longue liste aurait des avantages énormes. Par contre, j'essaie de comprendre l'idée d'un seuil de 100 000 $ avec exemptions par rapport à un seuil de 300 000 $ sans exemptions. Laquelle des deux options réduirait au minimum les litiges, étant donné que c'est là notre objectif? Les témoignages se contredisent beaucoup. Pouvons-nous en arriver à un consensus? La question est importante aux yeux du comité.

Monsieur Oliver, je sais que vous êtes avocat, mais si votre conseiller juridique souhaite commenter cette question, il est tout à fait le bienvenu.

Mme Manzer: Nous avons déterminé que les exemptions permettaient de rendre les choses plus simples et que, par conséquent, elles réduiraient probablement le nombre de litiges. Permettez-moi se réitérer le fait que, à mes yeux, une plus grande certitude et une plus grande simplicité réduisent la probabilité de litige. Les seuls litiges qui augmenteraient en nombre seraient ceux qui visent à contester l'application du seuil. Or, cela ne serait contesté que si l'application du seuil est incertaine.

Nous croyons que les exemptions rendraient la tâche plus simple, particulièrement dans le cas de la maison, qui est un des éléments d'actif les plus difficiles à évaluer. S'il faut l'inclure dans le montant du seuil, il faut l'évaluer. À ce moment-là, les disparités régionales surgissent puisque le principal facteur dans le prix d'une maison, c'est l'endroit où elle se trouve.

Le président: Je veux être sûr de bien comprendre ce dernier point: vous dites qu'une limite de 300 000 $ sans exemptions laisserait le demandeur d'un petit hameau à Terre-Neuve dans une situation nettement plus avantageuse que celle d'un demandeur à Toronto.

Mme Manzer: Je vous ai dit que j'hésite beaucoup à adopter un critère qui ne comporte pas d'exemptions, pour cette raison même.

Le sénateur Meighen: Avez-vous dit qu'il est difficile d'établir la valeur d'une maison? Que le chiffre obtenu soit exact ou non, cela se fait tous les jours dans toutes sortes de situations.

Mme Manzer: Le terme clé, c'est le terme «exact». Comme je travaille dans le monde des finances depuis quelques années, je sais à quel évaluateur je dois m'adresser si je connais l'évaluation que je veux obtenir.

M. Campion: Pour régler cette question, il faut se demander à quelle fréquence il y aura des débats. Que la limite soit établie à 100 000 $ ou 300 000 $, les débats ne surviendront que lorsqu'une personne se trouve proche du seuil. Il n'y aura probablement pas tant de gens qui seront associés à une analyse de la valeur nette. La plupart des gens se retrouveront clairement d'un côté du seuil ou de l'autre. Il ne sera pas souvent nécessaire d'analyser la situation d'un demandeur qui veut être classé parmi les non-avertis. Ce sera plutôt facile à prédire. Voilà le premier argument.

Deuxièmement, même si cela ne changera probablement rien, l'exemption entraîne une réaffectation du coût de la politique gouvernementale, fait que vous avez probablement reconnu. Par exemple, pour une raison ou une autre, les gens peuvent penser qu'ils souhaiteraient être classés dans la catégorie des investisseurs non avertis.

En optant pour les exemptions, il y aura des conséquences économiques. Seront-elles importantes? Je soupçonne qu'elles ne le seront pas. Je doute vraiment que quiconque y songe, mais cela aura une incidence sur les investisseurs avertis, et qui cherchent constamment à se mettre dans la catégorie des investisseurs non avertis en transférant à autrui des éléments d'actif ou en s'assurant que le foyer conjugal est ailleurs.

Voulez-vous que cela ait des conséquences économiques? C'est là votre choix.

Plutôt que d'évaluer la maison, le simple fait de l'exclure élimine une étape, une question qui peut donner lieu à des querelles. Si le foyer conjugal ou la pension sont exemptés, ils ne figurent pas sur la liste des biens à évaluer. Cet aspect des litiges serait donc simplifié. Dans l'ensemble, l'effet semble «neutre».

Le sénateur Meighen: Je comprends l'argument, mais je ne suis pas sûr d'être d'accord. Si nous commençons à exclure les automobiles, pourquoi pas exclure les bateaux, suivant la région du pays où on se trouve? Est-ce que ce ne sont pas là des vétilles?

M. Campion: Ce serait mon avis, car je ne suis pas favorable aux exemptions. Vous devriez établir une limite qui tient compte de la valeur du ménage. L'option paraît être plus simple, plus facile et plus complète. Elle est relativement «neutre», et l'occurrence sera tout à fait rare. Comme toute la démarche est arbitraire, il faut faire un choix, et la question centrale, c'est la simplicité.

M. Oliver: Je veux réitérer une idée que j'ai fait valoir et soulever une autre question dans le contexte. On ne peut établir une comparaison égale et cohérente entre les particuliers avec cette combinaison d'actifs. J'ai de la difficulté avec cette notion. À mesure qu'on approfondit la question, les difficultés deviennent de plus en plus apparentes.

C'est la notion d'équité qui importe ici. La formule est équitable, car la personne est responsable de sa propre faute et non pas de celle d'autrui. C'est ce qui motive le transfert de la responsabilité solidaire à la responsabilité proportionnelle.

En étudiant ces questions, nous devons nous rappeler ce principe et ne nous en écarter que par exception. Il est évident qu'une limite de 200 000 $, sans exemptions, fera qu'un certain nombre de Canadiens entreront dans la catégorie. Dans le cas de la limite de 100 000 $ avec les exemptions, c'est la même chose. Je ne sais pas dans quel cas il y en aura plus. Je ne sais pas très bien si votre comité estime que 20 p. 100 des gens devraient entrer dans la catégorie des investisseurs non avertis ou bien 80 p. 100.

Le sénateur Oliver: Nous n'avons pas fixé de pourcentage.

Le sénateur Angus: Cela n'a pas d'importance. C'est un concept.

M. Oliver: Cela a quand même de l'importance si l'approche adoptée tient compte de la grande majorité des Canadiens et que l'exception créée est à ce point significative qu'elle mine le principe fondamental sur lequel l'approche repose.

Le président: Si le chiffre établi est de 1 million de dollars, c'est évidemment ridicule.

M. Oliver: Aussi, M. Campion a affirmé qu'il n'y aurait pas beaucoup de gens dont la valeur nette se rapprocherait du seuil, de sorte que cela déclencherait des difficultés, mais s'il est question de 80 p. 100 ou de 50 p. 100 de la population, ce sont des millions et des millions de personnes. Je crois que beaucoup de gens pourraient être visés, surtout dans le contexte des recours collectifs et ainsi de suite. À mes yeux, il n'est pas improbable que ce pouvoir discrétionnaire déclenche beaucoup de litiges, d'enquêtes et d'incertitude.

Pour faire suite à l'observation de M. Campion, qui voudrait restreindre sensiblement la démarche, je ne sais pas très bien quel critère -- c'est-à-dire si nous donnons au juge des critères à appliquer -- s'appliqueraient justement. Est-ce que nous demanderons aux gens de produire leur diplôme universitaire pour voir s'ils sont spécialités en finances ou en économie, ou encore faut-il étudier leurs antécédents du point de vue des investissements? Si nous ne regardons que les éléments d'actif, nous avons un préjugé défavorable envers les gens qui savent bien faire jouer l'effet de levier. Je ne sais pas comment on pourrait créer des exceptions sans appliquer des critères extraordinairement subjectifs.

M. Walker: Vous vouliez discuter de cela avec les avocats surtout. Puis-je demander à M. Brown, de Blake Cassels, de nous livrer ses observations.

Le président: Monsieur Krishna, voulez-vous commenter la question?

M. Krishna: Dans ma vie professionnelle, j'ai affaire à la Loi de l'impôt sur le revenu, qui est publiée tous les ans en plusieurs volumes. On y trace beaucoup de lignes, on catégorise, on classifie énormément.

Mon avis professionnel, c'est qu'en règle générale, plus il y a de catégories et de listes, plus il faut tracer des lignes de démarcation et plus la situation devient complexe.

Ensuite, je suis d'accord avec M. Campion quand il dit que la loi finit toujours par modifier le comportement du demandeur ou du défendeur; autrement dit, on commence à adapter sa vie et ses structures en fonction de la loi particulière qui est en place, que cela touche les mariages, les valeurs mobilières, l'actif ou le revenu. Nous pouvons toujours régler nos affaires, et nous passons notre vie professionnelle à donner des conseils sur ces questions soit pour que les gens aient un grand nombre d'éléments d'actif, si cela convient, soit pour se mettre entièrement à l'abri d'un tribunal, si c'est cela qui est requis.

Enfin, je suis d'accord avec le sénateur Angus lorsqu'il dit qu'une fois inclus des biens particuliers, par exemple l'ameublement d'un ménage y compris les objets d'art ou en excluant l'automobile et les aéronefs, on s'est engagé sur une certaine voie qui, comme de nombreux observateurs l'ont fait remarquer, comporte des exemptions arbitraires. S'il y a inévitablement une part d'arbitraire, il arrive un point où l'excès en la matière enlève tout sens à la sous-structure de la loi.

M. Ron Brown, Blake, Cassels & Graydon, conseiller juridique de l'Institut canadien des comptables agréés: Selon M. Krishna, le fait de prévoir ces exemptions pour le critère de la valeur nette -- autrement dit, d'avoir un critère rajusté de mesure de la valeur nette -- suscitera probablement des litiges longuement débattus qui visent à définir ce qui est inclus et ce qui est exclu. Selon nous, c'est tout le contraire. Si les éléments d'actif et de passif qui seraient exclus de la valeur nette sont bien définis, on éviterait toutes les évaluations et toutes les questions. Ce qu'il reste alors, c'est le portefeuille de placement et la collection de timbres du demandeur, et non pas tous les éléments d'actif usuels qui ne peuvent être évalués tout de go sur un marché. Il faudrait engager des évaluateurs. Nous croyons que cela serait plus facile. Nous ne croyons pas que cela mènerait à de plus nombreux litiges.

Nous ne croyons pas que les investisseurs règleront leurs affaires de manière à être des demandeurs non avertis. Il est question ici de la Loi sur les sociétés par actions. On y prévoit le cas particulier de renseignements financiers trompeurs qui conduisent à un recours collectif entraînant éventuellement des poursuites de plusieurs millions de dollars, contre les défendeurs, qui ne peuvent assumer la réclamation entière. C'est le seul cas où les investisseurs non avertis (par rapport aux investisseurs avertis) seront payés. Je ne peux imaginer le cas d'un investisseur qui décide de faire tel ou tel placement dans l'idée de régler ses affaires pour être considéré comme un investisseur non averti.

Le sénateur Meighen: Si je comprends bien, vous dites que les exemptions ne compliqueraient pas les choses à l'excès?

M. Brown: Non, elles simplifieraient les choses.

Le sénateur Meighen: Je n'en suis pas sûr, et je ne suis particulièrement pas sûr du cas des automobiles et de l'ameublement d'une maison. Si je me ralliais à votre argument avec l'exception de ces deux éléments, est-ce que cela détruirait le concept?

M. Brown: Non. Vous pouvez inclure ou exclure les biens que vous voulez. Il semble que, pour l'ICCA, la meilleure solution consisterait à exclure les biens usuels dont disposent tous les ménages, plutôt que les placements. Tous les ménages ont une voiture et des meubles.

Le sénateur Meighen: Et les bateaux et ainsi de suite?

M. Brown: Nous n'y touchons pas. Il n'est pas non plus question ici des chalets.

Le sénateur Meighen: Je ne vois pas pourquoi l'automobile est incluse. Je crois que ce n'est pas nécessaire.

M. Brown: On pourrait facilement l'exclure. Le concept n'en souffrirait pas du tout.

Le président: Au nom du comité et, de fait, du gouvernement, je tiens à remercier tous les groupes qui ont pris le temps de préparer les mémoires, de se consulter entre eux et de venir témoigner devant nous aujourd'hui. Nous vous en savons gré.

Le comité poursuit à huis clos.


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