Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Banques et du commerce
Fascicule 27 - Témoignages pour la séance de l'après-midi
OTTAWA, le mardi 29 septembre 1998
Le comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui à 17 h 05 pour examiner la situation actuelle du régime financier du Canada (Groupe de travail sur l'avenir du secteur des services financiers canadien).
Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Sénateurs, nous avons avec nous ce soir le président du conseil et chef de la direction de la Banque Royale du Canada, M. John Cleghorn, et le président et chef des opérations de la Banque Nationale du Canada, M. Léon Courville.
Monsieur Cleghorn, nous sommes ravis de vous avoir parmi nous ce soir. Au cours des prochains mois, nous allons faire porter nos efforts sur le rapport du Groupe de travail sur l'avenir du secteur des services financiers canadien, le rapport MacKay, en vue de faire connaître notre réaction au gouvernement d'ici le 1er décembre. Vous serez heureux d'apprendre que notre attention va porter non sur la question des fusions, mais sur des questions plus générales concernant les politiques gouvernementales.
Je crois savoir que vous avez une déclaration préliminaire, après quoi nous passerons aux questions. À en juger par les propos des membres du comité plus tôt aujourd'hui, nous avons à vous poser pas mal de questions assez compliquées.
Je vous remercie d'avoir pris le temps d'être venu nous rencontrer. Nous vous en savons vraiment gré.
M. John E. Cleghorn, président du conseil et chef de la direction, Banque Royale du Canada: Merci, monsieur le président. Permettez-moi d'abord de vous remercier de me donner cette occasion très opportune de présenter notre réaction au rapport du Groupe de travail MacKay. Je compte aussi que nous engagions un dialogue après ces quelques remarques. Votre apport sera vital pour les délibérations du gouvernement au sujet de l'avenir du secteur des services financiers, et en fait, de notre nation.
Il est clair à mes yeux que Harold MacKay et son groupe de travail ont réalisé l'étude la plus approfondie de toutes les questions auxquelles doit répondre notre secteur et de l'importance cruciale de celui-ci pour tous les Canadiens depuis le rapport de la Commission Porter, il y a plus de trois décennies. C'est un rapport critique qui présente un plan directeur puissant, intelligent, pour permettre au Canada de disposer, pour le XXIe siècle, d'un nouvel environnement de prestation des services financiers qui soit créatif, novateur, souple et concurrentiel.
J'ai fait les mêmes commentaires la semaine dernière devant le comité des finances de la Chambre des communes.
Le rapport reconnaît sans équivoque que le changement s'accélère. Le changement est à notre porte, qu'il soit motivé par la mondialisation, par les exigences des clients, par de nouveaux concurrents ou par une nouvelle technologie. Les derniers mots des points saillants du rapport disent tout. Le groupe de travail écrit:
On n'arrête pas le changement, et nous ne pouvons pas faire comme s'il n'existait pas. Pour les institutions financières comme pour leurs clients, et les responsables de l'intérêt public, il est exclu de penser maintenir le statu quo.
C'est une opinion que je partage sans réserve.
Ces forces se manifestent dans les besoins et les préférences de nos clients qui évoluent. Permettez-moi d'illustrer ce propos par quelques exemples.
Il y a quinze ans, 90 p. 100 des opérations bancaires courantes à la Banque Royale étaient effectuées dans les succursales; il y a dix ans, 50 p. 100 de ces opérations étaient effectuées dans des succursales et 50 p. 100 à des guichets automatiques de banque. Aujourd'hui, moins de 15 p. 100 des opérations sont effectuées dans notre réseau de succursales, plus de 85 p. 100 étant faites par des moyens électroniques, GAB, services bancaires par téléphone ou par ordinateur. Les gens font tellement moins de chèques que les deux principaux fournisseurs du Canada ont annoncé leur fusion aujourd'hui. Les transactions écrites sont à la baisse depuis 1988.
La Banque Royale a lancé le service bancaire par téléphone en 1995. Au cours de leur première année d'exploitation, nos télécentres ont reçu 4,8 millions d'appels. Trois ans plus tard, ce nombre augmentera à 43 millions.
Les cartes de débit n'existaient pas il y a cinq ans. En 1997, les opérations par cartes de débit représentaient 34 p. 100 de toutes les opérations. Cela représente 22 millions d'opérations par mois!
Entre 1990 et 1996, le marché des fonds communs de placement a connu une croissance de 750 p. 100, alors que les dépôts personnels n'ont augmenté que de 16 p. 100. En dollars, entre 1991 et 1996, l'augmentation annuelle moyenne des fonds communs de placement a représenté environ le triple de l'augmentation annuelle moyenne des dépôts personnels. À supposer le même rythme de taux relatifs de croissance, le montant d'épargne des Canadiens détenu dans des fonds communs de placement dépassera celui détenu dans des dépôts personnels d'ici quelques années. C'est déjà le cas aux États-Unis.
Tout cela traduit des tendances irréversibles qui modèlent le secteur des services financiers au niveau institutionnel dans le monde entier. Et cela m'amène à vous présenter une vision de l'avenir vers lequel nous nous dirigeons.
Premièrement, la consolidation et la rationalisation du secteur bancaire nord-américain sont amorcées depuis quelque temps déjà et continueront. Ce mouvement est motivé par la nécessité de gains d'efficacité, d'une plus grande échelle et envergure, par les besoins technologiques qui augmentent et par la déréglementation. Cette tendance conduit à d'énormes capitalisations boursières des banques américaines qui donnent à celles-ci un poids considérable pour croître par des acquisitions, ce qui est une importante source de compétitivité pendant que notre industrie se consolide.
L'écart de capitalisation boursière entre la Banque Royale et la moyenne des 15 plus grandes banques américaines était de moins de 3 milliards de dollars en 1993; aujourd'hui, il atteint 23 milliards de dollars.
Deuxièmement, la mondialisation aura une incidence durable sur les institutions financières canadiennes d'une manière qu'on n'imagine pas encore. Par exemple, le rapport du Groupe de travail note que la mondialisation des banques de gros a entraîné la disparition des banques d'investissement au Royaume-Uni, même si Londres reste un important centre financier. Alors que la mondialisation des banques du secteur de détail débute, la survie des banques de détail canadiennes comme établissements offrant tous les services n'est pas garantie si aucune mesure n'est prise rapidement.
Troisièmement, de plus en plus, il se produira une divergence entre les stratégies des différentes banques canadiennes à mesure que chacune choisira des orientations en fonction de ses compétences fondamentales. Cela commence déjà à se manifester dans les différences entre les banques canadiennes en ce qui concerne leurs stratégies et les segments de clientèle et marchés qu'elles visent. Ces différences s'accentueront. Si bien que ce qui pourrait être fondé pour une banque ou une autre institution financière peut ne pas l'être pour une autre.
Quatrièmement, répondre à l'évolution des exigences des clients qui veulent un ensemble de moyens de prestation des services représente un véritable défi. Alors que la plupart des clients ont adopté les moyens électroniques tels que les GAB, les services bancaires par téléphone et les services bancaires sur PC, aujourd'hui, ils veulent garder la possibilité d'un contact personnel dans les succursales. Cela entraîne actuellement un double emploi coûteux. Dans cinq à dix ans, avec un meilleur emploi des moyens technologiques et une meilleure compréhension des besoins des clients, nous serons en mesure de répondre plus efficacement aux préférences diverses des clients. Enfin, les banques canadiennes doivent aussi répondre aux attentes croissantes des Canadiens qui veulent que les entreprises de services financiers offrent un soutien tangible aux collectivités et se lancent dans plus de partenariats avec les clients et les collectivités.
Ce sont là quelques-unes des orientations qui dessinent le profil de notre secteur. Elles posent de grands défis et le groupe de travail reconnaît leur importance. Les propositions contiennent d'importants grands thèmes en accord avec les défis que nous devons relever auxquels je souscris fermement. Le thème le plus puissant est que, dans toute réforme, les intérêts des consommateurs doivent passer en premier. Pour respecter cet important critère, le groupe de travail reconnaît que la meilleure approche est d'avoir un secteur de services financiers dynamique, ouvert et concurrentiel.
Le rapport présente de nombreuses recommandations qui profiteront aux consommateurs, notamment des barrières de protection, des mécanismes de recours, la commodité d'accès et la satisfaction des besoins des petites entreprises et des collectivités. Nous souscrivons à toutes ces recommandations et souhaitons leur application à l'ensemble des institutions financières.
Nous convenons tout particulièrement avec le groupe de travail que les Canadiens croient que les banques ont de plus grandes responsabilités envers le public que les autres entreprises et qu'ils s'attendent aussi à ce que les banques jouent un rôle de chef de file dans la collectivité. À la Banque Royale, nous sommes fiers de notre bilan de participation à la collectivité et nous souscrivons à la recommandation du groupe de travail selon laquelle toutes les institutions de dépôt et sociétés d'assurance-vie réglementées au niveau fédéral devraient être tenues de déposer un rapport sur leurs responsabilités envers les collectivités auprès du ministre des Finances.
À l'appui de ce concept de rapport sur les responsabilités envers les collectivités, nous sommes disposés à aider à bâtir un processus ouvert, global et transparent de consultation avec divers groupes communautaires pour élaborer ensemble un bilan des responsabilités concernant les attentes de la collectivité.
Pendant les prochaines minutes, j'aimerais axer mes commentaires sur deux grands ensembles d'autres recommandations. L'un vise l'accroissement de la concurrence, par la création d'un environnement ouvert à de nombreux acteurs, canadiens et étrangers. Le deuxième ensemble essaie de faire en sorte que ceux-ci évoluent dans un régime réglementaire efficient, efficace et souple.
La Banque Royale a toujours soutenu les mesures qui visent à accroître la concurrence et j'aimerais énumérer quelques-unes des grandes recommandations positives du rapport dans ce domaine qui ont notre soutien. La politique en matière de propriété applicable aux institutions financières est, à l'évidence, un facteur important pour déterminer le degré de concurrence. Les propositions du rapport à ce sujet marquent une orientation pragmatique et sensée. La règle exigeant une large répartition du capital imposée aux banques de l'annexe I du Canada avait le double objectif d'assurer la séparation des intérêts financiers et commerciaux et un contrôle canadien des institutions. Il s'agit certes d'objectifs gouvernementaux justifiés, mais ces règles ont eu quatre conséquences indésirables que le rapport essaie de corriger.
Premièrement, ne s'appliquant qu'aux seules banques, la politique peut être minée par le secteur non bancaire. Pour remédier à ce problème, le rapport propose d'étendre les règles de large répartition du capital à toutes les institutions financières, pas seulement aux banques.
Deuxièmement, comme les règles en matière de propriété peuvent être des entraves à la création de nouvelles banques, puisqu'il est difficile dans la pratique d'avoir une large répartition du capital dans de petites institutions, le rapport prévoit des exceptions à la règle pour les petites institutions.
Troisièmement, comme la règle stricte des 10 p. 100 pourrait limiter l'utilisation des actions bancaires dans une stratégie de fusion et d'acquisition lorsque le partenaire n'a pas un capital aussi largement réparti qu'une banque canadienne, le rapport propose que la limite de 10 p. 100 puisse être relevée à 20 p. 100 par le ministre.
Enfin, comme le régime de propriété empêche les offres publiques d'achat franches, il peut être une entrave à une concurrence étrangère efficace. Pour remédier à cela, le rapport recommande d'autoriser les offres publiques d'achat directes d'institutions à large répartition du capital par des institutions à large répartition du capital étrangères dans des circonstances exceptionnelles lorsque cela se fait clairement dans l'intérêt des Canadiens.
En matière de souplesse d'organisation, nous saluons les propositions du rapport visant à donner aux banques et aux autres institutions financières la possibilité de se structurer selon la formule des sociétés de portefeuille financières réglementées au niveau fédéral, si elles le souhaitent. Cela laissera aux institutions la latitude de se donner la structure d'entreprise qu'elles jugent appropriée, dans un cadre prudentiel solide.
À propos des fusions, la Banque Royale est totalement en accord avec la conclusion du rapport selon laquelle les fusions entre les institutions constituent une stratégie viable et ne doivent être interdites automatiquement. Nous soutenons également entièrement les propositions du rapport concernant l'examen des fusions au cas par cas.
Au sujet d'une plus grande ouverture à la concurrence étrangère, nous saluons les propositions visant à permettre à des banques étrangères d'établir des succursales ainsi que les autres propositions annexes visant à encourager les prêts transfrontaliers par des banques étrangères qui ne souhaitent pas établir une présence physique au Canada.
Nous soutenons les initiatives d'accroissement de la concurrence intérieure. Aux changements de la politique en matière de propriété qui encouragent les créations de nouvelles banques, s'ajoutent des propositions visant à permettre aux coopératives de crédit et caisses populaires d'évoluer à l'échelle nationale et de livrer concurrence plus efficacement.
Quant au système de paiements, nous accueillons avec joie les propositions visant à élargir l'accès aux sociétés d'assurance et à d'autres sous réserve, et je cite, qu'ils «répondent aux critères de solvabilité, de liquidité ainsi qu'à ceux prévus dans leur cadre réglementaire et juridique».
De même, pour le crédit-bail et la vente au détail d'assurance, nous sommes heureux des propositions visant à éliminer les restrictions actuelles. Les consommateurs profiteront de l'accroissement de la concurrence qu'entraînera l'adoption de ces propositions sur le marché.
Le groupe de travail reconnaît qu'un secteur des services financiers concurrentiel doit aussi avoir un cadre réglementaire solide et il fait un certain nombre de recommandations. Celles-ci comprennent la proposition d'un renforcement du rôle du BSIF, de la clarification du rôle de la SADC et de l'harmonisation des programmes d'indemnisation des déposants avec ceux des titulaires de polices. Elles visent à rationaliser l'efficacité de la réglementation, en la rendant souple et mieux à même de réagir aux forces du marché, sans compromettre les aspects prudentiels. Nous souscrivons à ces objectifs.
En traçant pour le gouvernement une voie claire pour l'entrée dans le prochain siècle, le rapport du groupe de travail prévient que le temps est compté. Il dit qu'il est important que le débat soit bien centré et se traduise rapidement en actes. Retarder les choses ne ferait que nous priver des possibilités qui peuvent être mises à profit, et rendre plus redoutables les défis qui nous attendent.
Je partage totalement cet avis.
Le groupe de travail note que les institutions financières canadiennes doivent réfléchir à leurs propres stratégies pour relever leurs défis. Pour faire face aux concurrents nouveaux et potentiels, elles doivent examiner la manière de se positionner le mieux elles-mêmes. Dans ce contexte, le rapport exprime clairement qu'il existe un grand besoin de souplesse; de la souplesse de la part des institutions financières pour pouvoir réagir prestement et d'adapter aux réalités du marché, et de la souplesse de la part de ceux qui définissent les politiques pour leur permettre de le faire. Dans notre cas, nous avons déterminé qu'une fusion avec la Banque de Montréal est la réponse la plus appropriée pour notre institution.
Il faudra, de toute évidence, faire certains choix délicats et prendre certaines décisions difficiles, mais je crois que si le gouvernement adopte les recommandations de ce rapport critique, les Canadiens seront clairement les grands gagnants. Cela assurera le maintien d'un secteur de services financiers canadien vigoureux avec plus de concurrence, ce qui entraînera un plus grand choix, de meilleurs tarifs et une plus grande protection des consommateurs.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Cleghorn. J'ai une question à vous poser au sujet de l'avenir, de la manière dont vous le décrivez à la page 3 de votre exposé. Ma question concerne essentiellement les délais.
Vous avez identifié cinq tendances différentes, mais sans les situer dans le temps. Prenons, par exemple, la mondialisation. Je ne sais pas si elle risque de précipiter les banques canadiennes dans une crise aujourd'hui, en 1999 ou en 2005, pour prendre des dates arbitraires. Oui, le système bancaire américain a fait l'objet d'une certaine consolidation et d'une certaine rationalisation, mais à la suite en partie des modifications législatives qui ont permis la création de banques nationales par opposition à des banques purement étatiques ou régionales. Lorsque je regarde les tendances, je me dis que bien des changements sont effectivement en train de s'opérer, mais je ne sais pas quand au juste ces changements commenceront à avoir une incidence importante sur les banques canadiennes.
M. Cleghorn: Prenons, par exemple, les fonds communs de placement. J'ai en parlé dans mes observations préliminaires. Il s'agit du secteur des services financiers qui a connu l'expansion la plus rapide. Ils représentent le changement le plus important dans le bilan des banques. La plupart des banques se servent aujourd'hui des dépôts en gros pour financer leurs portefeuilles en raison de la désintermédiation qui s'est produite du côté des dépôts.
Si vous prenez les banques uniquement, vous constaterez qu'au cours de la dernière saison des REER, les fonds communs de placement ont dépassé les dépôts bancaires.
Le président: Étant donné ce qui s'est passé sur le marché depuis la dernière saison des REER, je suis curieux de savoir ce qui va arriver en janvier et février l'an prochain. Je ne dis pas cela pour vous contredire. Ce n'est qu'une supposition.
M. Cleghorn: Prenez la période de 1990 à 1996; bien sûr, il y a eu des corrections en 1991 et en 1994. Ce que je veux dire, c'est qu'aux États-Unis les fonds communs de placement ont dépassé tous les dépôts. Nous nous attendons à ce que la même chose se produise au Canada au cours des prochaines années.
Si vous regardez les participants, vous verrez qu'il y a entre autres ici deux grandes sociétés de fonds communs de placement d'envergure mondiale. Les actifs détenus par des Canadiens chez Templeton et Fidelity dépassent maintenant ceux que détiennent chacune des cinq banques à charte et Canada Trust. Ces sociétés font de très bonnes affaires. L'année dernière, Fidelity est la société qui a pris le plus grand essor, en chiffres absolus, au Canada.
M. Cleghorn: C'est exact. Elles sont en affaires depuis un certain temps, mais je dirais qu'elles ont commencé à s'intéresser à la chose à peu près en même temps que les banques, vers le milieu de la dernière décennie. C'est un exemple de ce que je vous disais.
Un autre exemple serait celui des cartes de crédit. Prenons les entreprises à vocation unique qui existent partout aux États-Unis et qui cherchent maintenant de nouveaux marchés vers le Nord. Le groupe de travail donne des exemples plutôt intéressants de leur pénétration du marché d'autres pays. Il y a eu des articles à ce sujet dans les journaux récemment. MBNA, Capital One et Bank One ont annoncé qu'elles allaient faire une percée ici. Ce sont de grandes sociétés nord-américaines qui se servent de la technologie comme les télécentres par exemple. Elles peuvent faire des affaires au Canada tout comme en Californie qui a une économie et une population de la même taille. Il s'agira de nos télécentres par opposition aux leurs. Ce sera la seule différence.
Le président: Vous semblez dire que l'avenir est déjà à notre porte en ce sens que ce que vous nous décrivez n'arrivera pas dans cinq ou dix ans. C'est déjà chose faite.
M. Cleghorn: Oui. Vous savez à quelle vitesse les banques d'investissement ont disparu du Royaume-Uni. Ça n'a pas été très long.
Le sénateur Meighen: Soyez le bienvenu, monsieur Cleghorn. C'est un plaisir de vous revoir.
Je suis persuadé que s'il était ici, M. MacKay, serait ravi de votre rapport. Il n'arrive pas souvent que les recommandations du président d'un groupe de travail soient accueillies aussi favorablement. Je suis sûr qu'il y a certains points du rapport qui vous inquiètent -- ou peut-être que non.
Étant donné la façon dont vous nous avez décrit l'avenir du secteur des services financiers, à partir d'aujourd'hui et dans les années à venir, y a-t-il un aspect quelconque du rapport MacKay qui vous préoccupe grandement? Par exemple, certains ont donné à entendre que, d'une part, M. MacKay prône une plus grande ouverture et l'élimination des obstacles que la réglementation représente et que, d'autre part, il semble faire un certain nombre de recommandations en faveur précisément d'une plus réglementation que ce soit dans le secteur de la consommation ou ailleurs. Cela vous pose-t-il un problème?
M. Cleghorn: Non, j'y vois une recommandation pour nous sortir de ce qui semble être une impasse. Il semblerait juste de commencer par le consommateur et de veiller à ce qu'il y ait une grande concurrence tout en offrant une certaine protection au consommateur. Lorsque le groupe de travail a débuté ses travaux, la question était de savoir s'il fallait autoriser les banques à s'occuper de crédit-bail automobile et d'assurance; il n'était pas question alors de toute la gamme des services financiers, des progrès de la technologie et des nouveaux types de concurrents. À dire vrai, il existe au Canada certaines entraves à l'entrée qu'il faut éliminer. Il en a été question dans des études internationales. Nous évoluons dans le contexte nord-américain. Notre banque part de l'hypothèse qu'il y aura ici une libre concurrence à un moment donné, qu'elle provienne d'Internet ou de l'autre côté de la frontière. C'est ce qui se passe actuellement dans un grand nombre de nos secteurs d'activité. Il fallait être prêts. Ce rapport reconnaît en grande partie en quoi ces forces consistent, mais il commence par le consommateur.
Mon propre secteur a de la difficulté à amener le public à appuyer un grand nombre de ses initiatives et même s'il fait pas mal de choses mentionnées ici, il y a un problème de crédibilité. Si une infrastructure pouvait être mise en place pour protéger l'intérêt public, nous serions prêts à l'accepter. Par contre, nous tenons à faire des affaires des deux côtés de la frontière qu'il s'agisse de gestion du personnel, commerciale ou des richesses. Nous sommes en train de nous porter acquéreurs d'une petite banque Internet à Atlanta, en Géorgie. Nous devions satisfaire aux exigences qui y sont imposées, c'est-à-dire prouver que notre arrivée sur le marché était dans l'intérêt public et allait avoir une incidence positive.
La Banque de Montréal a certainement dû satisfaire aux mêmes exigences concernant Harris et toutes ses autres acquisitions.
Ce qui est recommandé ici, c'est une solution canadienne qui comporte de nombreuses mesures de protection des consommateurs sans être trop compliquée sur le plan administratif.
Ma seule crainte, c'est que le rapport soit mis en application au hasard. Le pire qui pourrait arriver, c'est que nous n'ayons aucune marge de manoeuvre alors que la concurrence viendrait du monde entier.
Le sénateur Meighen: Pensez-vous que les recommandations du Groupe de travail MacKay -- et je n'essaie pas de vous faire dire ce que vous n'avez pas dit -- ont pour seul objet de faire en sorte que le Canada ait un secteur des services financiers aussi ouvert que celui qui existe dans bon nombre d'autres pays, les États-Unis étant peut-être le meilleur exemple? Pensez-vous que c'est là l'essentiel ou, si ça l'est, y aura-t-il des avantages réciproques à faire ce que M. MacKay nous exhorte à faire?
Vous avez cité, par exemple, votre expérience à Atlanta. Vous a-t-on déjà dit que la même chose serait plus difficile au Canada, pour quelque raison que ce soit?
M. Cleghorn: Nous achetons une filiale. Je m'attends à ce qu'il n'y ait plus de frontière. Il est question ici d'Internet. La banque que nous sommes sur le point d'acheter est la première banque Internet entièrement fonctionnelle en Amérique du Nord. Nous espérons pouvoir offrir des services à nos clients où ils le veulent. Les règles sont en train d'être écrites pour ce type de commerce électronique. Nous tenons à être présents sur ce marché dès le tout début parce que ce sera un mécanisme de prestation des services très important dans un avenir assez rapproché. Il deviendra le mécanisme préféré de certains segments de notre clientèle, notamment les plus jeunes clients. Nous ne savons pas exactement ce que l'avenir nous réserve. Cette banque ne compte que 17 000 clients et elle ne représente pas un investissement majeur. Nous allons investir au fur et à mesure de notre expansion.
L'expérience américaine comporte encore certains obstacles pour ce qui est de la convergence des services financiers. Nous l'avons vu dans le cas de Travellers Citibank, par exemple. Pour demeurer un chef de file, un petit pays comme le nôtre devra probablement être légèrement en avance de la concurrence. Nos processus réglementaires le sont certainement. Par exemple, les Australiens et les Britanniques ont décidé d'adopter le processus réglementaire combiné que nous avons pour les banques et l'assurance.
Le sénateur Meighen: Voulez-vous dire que nous avons encore des améliorations à apporter à notre processus réglementaire?
M. Cleghorn: Il est toujours possible de faire mieux. Si le système est assez souple, nous n'aurons pas à attendre cinq ou dix ans pour apporter des améliorations; nous pourrons le faire quand le besoin s'en fera sentir.
Le sénateur Meighen: Dans quelle mesure pensez-vous que les recommandations de M. MacKay vont empêcher ce qui pourrait être ou ne pas être une bonne chose: la fragmentation possible du secteur des services financiers? Je pense à ce qu'on appelle les «grandes surfaces spécialisées». Dans cinq ans, pensez-vous qu'il y aura des banques universelles ou devrons-nous aller à un endroit pour les cartes de crédit, à un autre pour les cartes intelligentes et à un autre encore pour autre chose? Avez-vous une idée de ce que l'avenir nous réserve à ce sujet?
M. Cleghorn: Il y aura des établissements qui offriront une gamme complète de services, ainsi que des établissements à vocation unique -- des gens qui auront choisi un créneau.
Merrill-Lynch est beaucoup plus présente depuis son retour qu'elle l'était à la fin des années 80 lorsqu'elle s'est retirée du marché. Elle offre aujourd'hui beaucoup plus de services qu'elle en offrait à l'époque. J'imagine qu'elle continuera à les offrir dans la mesure où elle cherchera de nouvelles sources de revenu. Je ne peux pas vous dire si elle prendra l'allure d'une banque, mais elle offrira un bon nombre des mêmes services. Étant donné qu'il est recommandé ici, par exemple, d'accroître le nombre des participants au système de paiements, il se pourrait qu'ils aient un grand nombre des mêmes attributs.
Fidelity, par exemple, une société très dynamique, est un joueur très important. Elle s'adonne à toutes sortes d'activités aux États-Unis. Je m'attends à ce qu'elle diversifie ses activités ici à mesure qu'elle prendra de l'expansion. Bank One offre maintenant sa carte de crédit ici, mais c'est une banque universelle qui est sur le point de fusionner avec First Chicago. Elles pourraient bien prendre une décision en ce sens.
J'ai vu une annonce l'autre jour pour la Nation's Bank. Des divisions des institutions financières vont venir s'installer ici. Elles pourraient, si elles le veulent, offrir toute la gamme des services financiers. Si elles pensent que l'environnement concurrentiel est tel que leurs services sont meilleurs, elles vont tenter leur chance. C'est certainement ce que font les entreprises à vocation unique aujourd'hui.
Notre point de vue, c'est que peu importe ce que nous déciderons de faire à l'avenir, il nous faudra pouvoir offrir à nos clients les services qu'ils recherchent et nous occuper des collectivités où nous ferons des affaires tout en répondant aux attentes de nos actionnaires. L'avenir nous promet une assez grande souplesse, étant donné surtout la technologie. C'est peut-être une bonne idée de vouloir offrir des deux côtés de la frontière tous les services que nous offrons aujourd'hui, mais la chose pourrait être difficile dans dix ou quinze ans d'ici lorsqu'il y aura là-bas des spécialistes et des établissements offrant toute la gamme des services.
Le sénateur Meighen: Pourriez-vous nous parler pendant un moment de votre vision du système de paiements? Vous êtes en faveur d'une plus grande ouverture du système. Est-ce que cela veut dire qu'il pourrait y avoir interfinancement des services jusqu'à un certain point, ou est-ce qu'une distinction serait faite entre l'industrie des assurances et le secteur bancaire?
M. Cleghorn: Vous entrez ici dans la définition de la solvabilité, de la liquidité et de la force. Oubliez les participants actuels, mais regardez ce que nous avons. Nous avons un meilleur système que les Américains. Les clients sont mieux servis. Leurs fonds peuvent être transférés d'un bout à l'autre du pays le même jour, à proprement parler. Si vous diluez le système et qu'on ne sache pas si quelqu'un sera là après qu'il y aura eu compensation du chèque, on va bloquer les fonds, comme cela se fait actuellement aux États-Unis.
Il y a divers participants et la Banque du Canada aura son mot à dire sur la définition de la solvabilité et de la sécurité. Des participants américains ont récemment fait des observations dans la presse. Nous ne voulons pas revenir au même système, parce que ce n'est pas dans le meilleur intérêt du consommateur.
Le sénateur Meighen: Une fois donc réglées de manière satisfaisante les questions de solvabilité et autres, dois-je comprendre que lorsqu'on est entré dans le club, on en est un membre égal?
M. Cleghorn: Oui, et il y a aussi les recommandations au sujet de l'assurance-dépôts. Il se peut que les administrateurs soient les mêmes, mais qu'il y ait des fonds distincts pour l'assurance et les banques. Cela permet d'atteindre un certain degré de satisfaction des clients et des autres utilisateurs également.
Le sénateur Callbeck: Lorsque vous avez parlé des tendances qui vont façonner le secteur des services financiers, vous avez indiqué que les Canadiens s'attendent à un appui tangible aux collectivités. Vous avez mentionné l'énoncé des responsabilités communautaires. Lorsque nous sommes allés à Washington, nous avons rencontré des représentants de la Federal Reserve Bank qui nous ont dit que la Community Reinvestment Act avait été un succès. Les banques étaient réticentes au début, mais elles ont changé d'avis. L'Association des banquiers canadiens nous a indiqué qu'elle n'y voyait pas vraiment d'inconvénient, sauf qu'il faudrait l'étendre aux quatre piliers.
Vous avez dit ce soir que vous êtes en faveur d'un énoncé des responsabilités communautaires. Je crois avoir lu dans les journaux que vous êtes en faveur d'un bilan semblable à la loi américaine sur le réinvestissement. J'aimerais que vous nous donniez plus de précisions. Quels facteurs seraient examinés dans l'énoncé des responsabilités? Autrement dit, s'il en existait un, qu'est-ce qu'une collectivité pourrait s'attendre à y trouver?
M. Cleghorn: Lorsque je parle d'un bilan des responsabilités, je veux parler d'une chose à laquelle on arriverait avec les différentes collectivités. Au lieu de dire ce qu'il faudrait faire exactement, le Groupe de travail MacKay définit certains critères, sur lesquels nous serions d'accord. Il dit également que ce n'est pas uniquement pour les banques. Cela s'appliquerait aussi à d'autres participants du secteur des services financiers, ce qui est juste.
On a l'impression que les banques n'en font peut-être pas assez, contrairement à d'autres. Elles auront la chance de faire leurs preuves. Il doit y avoir une espèce de bilan commun, même si ça n'a pas encore été essayé ici, pour pouvoir faire une comparaison utile.
Aux États-Unis, comme on vous l'a sûrement dit à Washington, l'idée a fait son chemin à cause de la discrimination financière qui existait dans les collectivités en matière de prêts. Son application ici serait beaucoup plus vaste, comme le dit d'ailleurs le rapport MacKay, parce qu'on irait clairement au-delà des prêts dans une collectivité. Le Canada peut tirer une leçon des pratiques américaines de réinvestissement communautaire et arriver à une notion plus moderne, fondée sur nos pratiques et non pas sur les pratiques qui étaient en vigueur aux États-Unis dans les années 60 et 70 lorsque la Community Reinvestment Act a été adoptée. Ce serait une chose qui s'appliquerait à tous les participants.
Je n'ai pas grand-chose à ajouter à ce qui est dit dans le rapport MacKay, c'est-à-dire à la liste des divers secteurs qui devraient être couverts, mais il ne faudrait pas que ce soit uniquement les prêts. Il pourrait s'agir, par exemple, de partenariats dans le microcrédit. Nous en avons quelques-uns avec Calmeadow, qui est considérée comme un des chefs de file, sinon le chef de file. Je vous suggérerais d'inviter Martin Connell à venir vous parler du microcrédit, parce qu'il n'intéresse pas seulement des villes comme Toronto. Cette société est active en Nouvelle-Écosse et a eu des projets en Colombie-Britannique également. Nous sommes l'un de ses principaux partenaires, tout comme la Banque de Montréal. Un autre secteur serait celui de l'aide aux bénévoles, de la part des employés et de l'institution elle-même.
Nous nous sommes aperçus que le bilan pour Toronto pourrait être différent de celui de Charlottetown. Il est important que les collectivités aient leur mot à dire sur ce qui compte dans leur région et sur ce qui devrait figurer, d'après elles, dans un bilan. Nous voulons parler ici d'un bilan local par opposition à un autre qui serait le même pour tout le monde, de Terre-Neuve à l'île de Vancouver.
Le président: Je suppose que la liste à laquelle M. Cleghorn fait allusion est celle qui figure à la page 197 du rapport MacKay.
En attendant que le sénateur Callbeck trouve la page, je vais vous poser une question supplémentaire. Il y a une deuxième liste à la page 132 du rapport où il est question des critères d'intérêt public applicables aux fusions. Le sénateur Callbeck vous a posé une question au sujet des critères pour les énoncés de responsabilités communautaires; que pensez-vous de cette liste? Elles soulèvent toutes les deux des questions au sujet des critères d'intérêt public et on pourrait se demander s'il ne devrait pas y avoir une seule liste.
M. Cleghorn: Oui. Les critères d'intérêt public pour les fusions sont une chose qui pourrait être envisagée à court terme tandis qu'il faudrait peut-être un certain temps pour en arriver à un bilan pour la participation communautaire.
Il est dit dans le rapport que tous les participants du secteur des services financiers devraient établir ensemble un bilan pour le soutien communautaire. Je ne trouve rien à redire à aucun de ces critères. La question est de savoir quelle ampleur auraient ces réunions d'intérêt public et sur quelle période de temps elles auraient lieu.
Le sénateur Kenny: Lorsque vous décrivez différents critères pour différentes régions, envisagez-vous également différentes institutions pour chaque collectivité ou songeriez-vous à un ensemble commun de critères dans chaque collectivité?
M. Cleghorn: Tout dépendrait des services offerts. Par exemple, si elles offraient des services d'investissement, vous pourriez avoir ce genre de critères. Si elles s'occupaient de prêts, il pourrait y en avoir d'autres. L'idée serait d'essayer d'englober également les institutions qui ne sont pas réglementées, qui sont de plus en plus actives, par exemple, à l'égard du financement des petites et moyennes entreprises.
Le sénateur Kenny: Vous parlez en fait d'un énoncé des responsabilités que chaque institution s'engagerait à respecter envers la collectivité, un énoncé qui serait un type de contrat, de norme ou de seuil. Chaque institution aurait-elle un seuil différent à atteindre pour répondre aux besoins de la collectivité?
M. Cleghorn: Si je me souviens bien, je ne pense pas qu'il y avait des précisions dans le rapport.
Le sénateur Kenny: Je voulais avoir votre point de vue.
M. Cleghorn: Désolé. À mon avis, tout dépend de l'engagement de l'institution dans cette collectivité, que ce soit au niveau commercial ou communautaire. Autrement dit, je veux parler de son impact sur cette collectivité. Il est question aussi des impôts payés à tous les paliers de gouvernement, ce qui est une très bonne chose à inclure dans un bilan communautaire.
Le sénateur Angus: Monsieur Cleghorn, ma première question a trait à votre déclaration préliminaire. Comme le sénateur Meighen l'a indiqué, vous semblez très favorable au rapport du groupe de travail.
À la page 3 de votre exposé, vous parlez de la mondialisation et vous faites allusion au fait que les opérations bancaires de détail mondiales en sont à leurs balbutiements, mais que la survie des banques de détail comme établissements offrant tous les services n'est pas garantie si aucune mesure n'est prise rapidement.
Cela m'amène à vous poser ces questions: Quel genre de mesures, par qui et que voulez-vous dire par «rapidement»?
M. Cleghorn: Je peux vous parler de nouveaux secteurs de services, de la façon dont les banques sont autorisées à faire des choses aux États-Unis ou au Royaume-Uni, par exemple. Il y a des annexes dans d'autres pays qui montrent que les banques sont autorisées à vendre de l'assurance et à s'occuper de crédit-bail automobile. Ce sont là deux exemples.
Il y a aussi la capacité de prendre des décisions stratégiques à l'intérieur de chaque institution en examinant son avenir et en déterminant ce qu'elle doit faire, qu'il s'agisse de fusions, de cessions d'actions ou de la concentration dans des créneaux en particulier.
À l'heure actuelle, nous avons des obstacles réglementaires qui empêchent de trouver d'autres sources de revenu, contrairement à d'autres pays, et nous avons des barrières qui empêchent les combinaisons dans certains cas.
Nous avons d'autres choses. Nous avons l'ALENA, mais nous avons des règles de comptage qui n'ont rien à voir avec l'ALENA, par exemple, et dont il est question également dans ce rapport. Nous avons des choses qui sont uniques au Canada, mais qui nuisent à la réalisation de progrès du genre de ceux auxquels nous sommes habitués dans certaines branches de notre secteur des services financiers.
Lorsque les auteurs du rapport disent, comme notre banque l'a dit elle aussi, que le statu quo n'est désormais plus une option, ils ont tout à fait raison. La technologie permet à la nouvelle concurrence de pénétrer le marché beaucoup plus rapidement qu'autrefois lorsque tout se faisait entre quatre murs.
Je trouve que le Canada est un marché intéressant pour tous ceux qui veulent faire des affaires ici. Lorsque leur propre marché semble être saturé, ils se tournent vers le nôtre tout comme ils ont essayé de pénétrer le marché du Royaume-Uni et d'autres pays. Ils ont fait une percée et nombreux sont ceux qui sont ici depuis un bon bout de temps. C'est un fait.
Je vais vous donner un exemple du temps qu'il faut pour pouvoir soutenir la concurrence. Lorsque nous avons front commun avec Royal Trust, il nous a fallu quatre ans pour combiner nos dépôts à terme et nos fonds communs de placement. Quatre ans, c'est une éternité quand on a de la concurrence. Il nous a fallu quatre ans, parce que nous avons échoué la première fois, ce qui nous a coûté 10 millions de dollars. L'intégration des systèmes n'est donc pas à toute épreuve, mais elle est essentielle si on veut tirer partie de la technologie et pouvoir faire face à la concurrence à l'avenir.
Le sénateur Angus: Si je comprends bien, vous dites que le gouvernement doit intervenir pour abolir des obstacles qui sont typiquement canadiens. Est-ce bien ce que vous avez voulu dire?
M. Cleghorn: Oui. C'est ce que M. MacKay recommande à en juger par ses différents témoignages et par le langage du rapport. Nous ne pouvons pas pratiquer la politique de l'autruche. Il faut que le débat soit bien centré. Il faut agir en temps utile si nous voulons tirer profit de ces changements dans l'intérêt des Canadiens au lieu de nous laisser faire.
Je suis d'accord avec les auteurs du rapport pour dire que nous ne devons pas faire durer le débat trop longtemps, parce que nous devons saisir l'occasion pendant qu'elle passe.
Le sénateur Angus: Je suis certain que vous connaissez le rapport par coeur puisque vous avez passé de longues fins de semaine à lire tous les documents d'information. Selon moi, le rapport n'est pas sans critiquer les banques, les principaux participants à l'heure actuelle dans notre pays.
M. Cleghorn: C'est vrai.
Le sénateur Angus: Les observations que M. MacKay a faites ex cathedra après la publication du rapport donnent à entendre que certains d'entre vous ont peut-être manqué d'imagination, que vous avez peut-être été surprotégés par notre système qui, pendant des années, a empêché la concurrence étrangère par la voie législative. Notre propre système réglementaire a peut-être été trop sévère ces dernières années, mais il faut peut-être aussi attribuer le retard que nous avons pris au manque d'imagination des banques.
Je crois qu'il va même jusqu'à dire que les fusions ne sont pas la seule solution et que les banques pourraient prendre d'autres moyens.
Trouvez-vous que ces critiques sont justes? Qu'en pensez-vous?
M. Cleghorn: J'ai travaillé pendant neuf ans pour une banque américaine qui faisait concurrence aux Canadiens. Je travaillais pour la Citibank qui était propriétaire de la Banque Mercantile du Canada. C'était une banque étrangère en propriété exclusive. Elle a appartenu aux Hollandais jusqu'à ce que le gouvernement décide que les Hollandais pouvaient la posséder en propriété exclusive, mais pas Citibank, et impose des contrôles pour empêcher sa croissance. C'était une bonne entreprise commerciale. Le public canadien a fini par en être propriétaire à environ 70 p. 100, puis elle a fusionné avec la Banque Nationale environ dix ans après mon départ en raison du ralentissement des années 80.
Quand on a des concurrents, il faut être innovateur. Nous savions que les concurrents allaient se faire plus nombreux. Nous savions également qu'il nous faudrait un certain temps pour nous préparer à mieux soutenir la concurrence dans les principaux secteurs où nous pensions que nous devrions essayer de nous trouver lorsque nous aurions commencé à y voir plus clair. Notre stratégie serait différente de celle de n'importe quelle autre banque du Canada qui a choisi d'être présente à la Bourse de New York. Nous avons décidé de trouver plutôt un créneau.
Dans les services bancaires commerciaux aux particuliers, la taille compte. La technologie et le développement finissent par coûter moins cher à celui qui a la plus grosse clientèle parce qu'il lui est plus facile d'absorber ces coûts. L'établissement dont 20 ou 30 millions de clients détiennent la carte sera probablement plus gros que celui qui compte trois ou cinq millions de clients.
C'est la même chose pour les chèques. Il y a un important fournisseur de chèques des deux côtés de la frontière. Nous savons que nous devrons exercer nos activités des deux côtés de la frontière si nous voulons être considérés comme une marque importante au tournant du siècle. Nous préférerions être ceux qui regroupent au lieu d'être regroupés.
Le sénateur Angus: Je suppose que vous êtes d'accord pour dire que les critiques de M. MacKay étaient valables il y a quelques années. Mais, au cours des quelques dernières années, vous vous êtes rattrapés et vous avez l'impression d'avoir été innovateurs et d'avoir adopté une stratégie de pointe.
M. Cleghorn: Lorsque je parle de «gestion des richesses», c'est avec un petit «r» parce que notre client moyen a des investissements d'environ 14 000 $ dans des fonds communs de placement. Les banques ont été autorisées à s'en occuper et je pense que nous faisons un meilleur travail que les banques américaines, mais il y a d'importantes institutions financières aux États-Unis qui sont très actives dans ce secteur. J'en ai mentionné deux, Templeton Franklin et Fidelity.
En ce qui concerne le courtage, nous avons maintenant dix années d'expérience qu'il s'agisse d'investissements, d'opérations bancaires ou de services aux entreprises. Les banques américaines font à peine leur entrée sur ce marché. C'est peut-être un énoncé général de la part du groupe de travail MacKay, mais il y a des nuances qui sembleraient indiquer que nous sommes meilleurs dans certains cas, parce que nous avons plus d'expérience. C'est certainement ce qu'ont dit des investisseurs américains.
Le sénateur Angus: Notre système bancaire a toujours reposé sur une nette distinction entre les finances et le commerce. Les institutions se sont développées à l'intérieur de notre système bancaire qui est exploité conformément à la loi qui le régit, sous réserve des modifications apportées en 1992. Tout semble maintenant comporter un mélange de finances et de commerce. Ai-je raison? Avez-vous des observations à faire?
M. Cleghorn: L'un des plus gros participants non réglementés du secteur du financement commercial est GE Capital. Oui, les choses ont changé.
Nous avons des participants dans d'autres secteurs des services financiers qui sont des entreprises commerciales. Nous avons une importante organisation de gestion de la richesse des particuliers et des entreprises au Canada qui appartient aujourd'hui à une société productrice de tabac qui a d'autres intérêts, Imasco étant cette société de portefeuille.
Nous avons la Corporation financière Power, par exemple, qui est un grand concurrent, un participant important qui compte 7 000 employés qui s'occupent d'assurance, de fonds communs de placement, d'hypothèques, de prêts personnels, de dépôts et j'en passe. La situation a changé.
Le sénateur Angus: Ai-je raison de dire que pour restructurer et moderniser le secteur canadien des services financiers, nous devons apporter des changements en partant de principes différents? Il n'est plus nécessaire d'avoir une division entre les activités financières et commerciales d'une institution.
M. Cleghorn: Il faut à tout prix que la réglementation soit transparente s'il y a un grand nombre d'actionnaires. M. MacKay a aussi abordé cette question. Nous avons certes l'expérience des transactions intéressées au Canada. Les organismes de réglementation s'y connaissent mieux et les comptables, étant donné les poursuites qui ont été intentées, ont maintenant une plus grande expérience des transactions intéressées entre institutions financières et propriétaires.
Ce n'est pas en théorie uniquement que nous pouvons améliorer notre réglementation car nous avons une expérience pratique qui remonte à 15 ans, du moins pour certains d'entre nous.
Nous pouvons établir de bonnes règles et je crois que nos organismes de réglementation ont assez d'expérience pour savoir dans quel cas elles peuvent avoir une incidence négative.
Le sénateur Angus: Vous avez beaucoup mis l'accent sur la technologie et le commerce électronique, comme tous ceux à qui nous avons parlé à ce sujet. Vous avez dit que vous êtes en train de faire l'acquisition d'une banque Internet, la plus grosse aux États-Unis.
M. Cleghorn: Pas la plus grosse, mais la première.
Le sénateur Angus: C'est la principale. Lorsque vous parlez de GAB, de commerce électronique et de tous ces moyens technologiques de faire des opérations bancaires, j'ai de la difficulté à distinguer une banque d'une autre. Comment encourager la fidélité à la marque en cette nouvelle ère de la bancatique?
M. Cleghorn: Pour ceux qui utilisent abondamment le Web, il est évident que votre site doit être concurrentiel. La convivialité, la rapidité d'exécution des transactions, la gamme des services et la capacité d'en utiliser d'autres, qu'il s'agisse d'opérations bancaires ou de courtage réduit, et l'impression que l'institution financière comprend et respecte son client sont autant de qualités que les utilisateurs recherchent.
Le client s'efforce d'être ouvert avec l'institution et celle-ci s'efforce de comprendre l'information qu'elle possède et d'y avoir rapidement accès. Lorsque quelqu'un téléphone et a besoin d'un service rapidement, l'institution doit pouvoir répondre à cette demande en temps opportun.
La technologie est mise à lourde épreuve le dimanche après-midi et en soirée, moment où les gens veulent généralement payer leurs factures ou s'enquérir de leurs soldes. C'est ce que nous révèlent actuellement les opérations bancaires par téléphone. Nous n'aurions jamais pu faire rien de tel dans une succursale.
Le sénateur Joyal: La dernière fois que nous nous sommes rencontrés, comme vous l'avez indiqué dans votre exposé, l'évolution du monde des finances était imprévue et, jusqu'à un certain point, imprévisible. Les événements qui se sont produits en Asie, en Russie et, jusqu'à un certain point, en Amérique du Sud durant les derniers mois de l'été nous ont amenés à réfléchir de nouveau aux répercussions de la mondialisation. La mondialisation exige un marché plus ouvert, une meilleure gamme de services, une plus grande efficacité en ce qui concerne la présentation de l'éventail des produits financiers offerts aux clients. Par contre, elle comporte également des risques. Un effondrement peut créer des remous partout dans le monde.
Il est dit au début du rapport que les conglomérats financiers, qui font souvent des affaires dans de nombreux pays, se multiplient et que les organismes de réglementation auront besoin de nouvelles techniques et approches fondées sur une meilleure compréhension de la gestion des risques et un plus grand recours à des processus efficaces de régie interne.
D'après votre expérience, qui est vaste et impressionnante, je l'avoue, quels critères, selon vous, devraient s'appliquer aux genres de nouveaux règlements et de nouvelles politiques que nous devrions établir pour protéger les intérêts des Canadiens en général étant donné la naissance de ces conglomérats financiers? Cela amène évidemment les Canadiens à bien réfléchir à la réorganisation du marché des services financiers au Canada.
M. Cleghorn: Vous pourriez peut-être commencer par regarder les services qui sont actuellement offerts et que les Canadiens utilisent et extrapoler un peu. Des institutions autres que des banques offrent maintenant des services financiers aux Canadiens, qu'il s'agisse de fonds communs de placement, de cartes de crédit ou de financement commercial. Dans certains cas, elles ne posent aucun problème pour les organismes de réglementation, à preuve les établissements à vocation unique dans le domaine des cartes de crédit, parce qu'elles ont un permis. ING est une grande multinationale établie en Hollande qui s'occupe de banque et d'assurance, mais qui a choisi l'approche d'une banque. Elle se sert de la réglementation applicable aux banques.
Le fait que nous ayons ici un organisme de réglementation qui s'occupe déjà d'assurance et de banque aide, parce que dans bien des cas des groupes sauront ce qu'ils font aussi bien en assurance que dans le secteur des opérations bancaires.
Je le répète, il est très important de savoir qui sont ces participants. Nos organismes de réglementation ne s'arrêtent pas à ce qui se fait au nord du 49e parallèle. Ils ont une vision globale et savent ce qui se passe dans le monde. Ils ont des échanges avec les organismes de réglementation des principaux partenaires commerciaux du Canada. Nous avons une bien meilleure idée de la situation grâce à la BRI. Nous avons des banquiers centraux. Nous avons des organismes de réglementation, comme le Surintendant des institutions financières, qui rencontrent régulièrement leurs homologues.
Les opérations de couverture aux États-Unis ne sont pas réglementées parce que ceux qui s'en occupent ont eu tendance à être de riches particuliers avertis de sorte qu'on avait l'impression qu'ils ne devraient pas être réglementés. Je pense que nous devrions nous demander comment les organismes de réglementation canadiens réagiront à cela. Notre expérience des dernières semaines montre où le secteur privé se situe. Je ne suis pas au courant de tous les détails parce que nous n'avons rien à voir avec ce processus d'émission et je ne connais pas au juste le rôle que la banque de réserve fédérale de New York a joué. Cependant, comme je l'ai dit, certains des participants qui sont actifs aujourd'hui n'ont pas tous fait un cycle complet.
Comme gestionnaires des risques, nous devons en tenir compte lorsque nous traitons avec eux en tant qu'homologues. Nous sommes un intervenant de premier plan dans les opérations de change pour nos clients et également dans le financement des opérations commerciales de sorte que nous devons avoir des relations avec les banques et les conglomérats financiers des quatre coins du monde pour pouvoir faire notre travail. Nous devons prendre des risques bien calculés que nous pouvons nous permettre de prendre, parce que nous ne voulons pas perdre les 75 p. 100 de notre clientèle que représentent les particuliers et les petites et moyennes entreprises, qu'il s'agisse de gestion des investissements, d'administration ou d'opérations bancaires traditionnelles. Les services bancaires d'investissement aux entreprises représentent 25 p. 100 de nos activités.
Nous voulons bien servir nos entreprises, mais sans nuire au reste de nos opérations. Je pense que les organismes de réglementation doivent examiner la situation de près et se demander si nous devrions être autorisés à avoir la structure d'une société de portefeuille ou conserver la structure que nous avons actuellement. Ils doivent pouvoir examiner la situation et la comprendre.
Je crois que les organismes de réglementation canadiens sont un bon exemple pour les autres; nous devons faire en sorte qu'ils soient forts et qu'ils puissent embaucher les gens compétents dont ils ont besoin pour se tenir au fait des événements. Si les autorités japonaises avaient adopté les pratiques canadiennes, elles ne seraient pas aujourd'hui aux prises avec les problèmes auxquels elles sont confrontées.
Le sénateur Joyal: Pensez-vous que nous avons suffisamment d'institutions dans notre pays pour régler la question à cette étape-ci ou devrions-nous tenir compte du nouveau contexte dans lequel nous évoluons?
M. Cleghorn: Je dirais que nous sommes bien placés sur le plan de la sécurité et de l'intégrité. Nous sommes beaucoup plus forts aujourd'hui que nous l'étions au moment de la crise des pays en développement et de la crise énergétique des années 80. Nous avons tiré une leçon de l'expérience. Les améliorations ont été mises en lumière ici, mais il est important de veiller à ce que le Bureau du surintendant des institutions financières ait le talent et les pouvoirs qu'il faut pour jouer le rôle qui lui revient, c'est-à-dire un rôle plus vaste comme organisme de réglementation du secteur des finances plutôt que celui du groupe qui est envisagé aujourd'hui.
Le sénateur Joyal: Dans vos observations sur le rapport, vous n'avez pas parlé des nombreuses recommandations au sujet des ventes liées et de la protection de la vie privée des clients. Êtes-vous d'accord sur les recommandations du rapport à ce sujet?
M. Cleghorn: Oui. Une question importante pour nous, du point de vue tant de la stratégie que de l'établissement et du maintien de la clientèle, est celle de la crédibilité. De toute évidence, notre industrie a eu un problème de crédibilité, ces dernières années et à une époque plus lointaine encore. Je ne pense pas que l'idée que les Canadiens se font des banques est très différente de celle que le public en a aux États-Unis.
Si la concurrence s'intensifie, si plus d'entreprises se mettent à offrir les mêmes services et si nous voulons élargir la gamme de nos produits, il devra y avoir des règles claires et le client devra être assuré que les engagements pris seront respectés et qu'il existera un mécanisme quelconque d'examen indépendant.
Nous pensons que nous avons su répondre aux attentes de nos clients, mais la crédibilité n'est de toute évidence pas ce qu'elle devrait être selon nous de sorte que ce serait probablement une bonne idée d'adopter le processus proposé pour que les accusations de ventes liées soient exposées au grand jour et que tous les concurrents soient soumis aux mêmes exigences que les banques.
Le sénateur Joyal: Bien sûr, si nous devions adopter une série de règlements à l'intention des institutions financières, ils s'appliqueraient à tous ceux qui sont visés par la loi. Cela ne fait aucun doute pour nous.
M. Cleghorn: Dans le même ordre d'idées, 500 000 Canadiens travaillent directement dans le secteur des services financiers. De ce nombre, 220 000 travaillent dans des banques. Donc, 280 000 Canadiens travaillent dans d'autres branches, qu'il s'agisse d'assurance, de courtage, de fonds communs de placement ou peu importe. Les 220 000 employés de banque semblent être traités différemment à certains égards. C'est une question de service à la clientèle. C'est aussi une question qui concerne le moral des employés. Nous préférerions donc, lorsque c'est possible, que les 280 000 autres employés soient soumis aux mêmes normes de rapport que ceux qui travaillent dans les banques.
Il convient de signaler que le pourcentage qu'ils représentent de la population qui travaille directement dans le secteur des services financiers, c'est-à-dire 44 p. 100, équivaut grosso modo au pourcentage des actifs financiers que les banques détiennent au Canada, si vous prenez l'ensemble du secteur des services financiers.
Le sénateur Oliver: J'aimerais vous lire mes questions pour qu'elles soient versées au dossier et que vous puissiez y répondre à loisir.
Ce qui m'a le plus frappé dans votre exposé, c'est une phrase à laquelle le sénateur Angus a fait allusion lui aussi. Vous avez dit, en ce qui concerne la mondialisation, qu'elle ne fait que débuter dans le secteur bancaire, mais que la survie des banques de détail canadiennes comme établissements offrant tous les services n'est pas garantie.
J'aimerais que nous parlions brièvement entre autres des banques de deuxième rang et des opérations bancaires de détail.
Ma première question a trait à certaines statistiques que le rapport du groupe de travail renferme. Il y est dit que, d'après le Forum économique mondial, le Canada se classe au premier rang de 53 pays pour ce qui est de la sécurité des banques, mais au quarante et unième rang en ce qui concerne la présence de concurrents étrangers.
Premièrement, donc, pensez-vous que nous avons fait preuve d'une trop grande prudence au Canada le moment venu de permettre une concurrence réelle et efficace sur notre marché bancaire et que, par conséquent, nous avons empêché le développement d'institutions financières de deuxième rang qui offriraient plus de choix aux consommateurs?
Deuxièmement, pensez-vous qu'on ait envie d'implanter au Canada des succursales étrangères? Dans l'affirmative, quels sont les marchés; les banques étrangères créeront-elles un véritable système de banques de deuxième rang au Canada, et est-ce nécessaire? Vous nous avez déjà dit ce que font MBNA, Bank One, Wells Fargo et ING. Quelle forme prendront les banques de deuxième rang?
Troisièmement, en ce qui concerne notamment les ventes liées, deux de vos homologues de la CIBC et de la TD, MM. Bailey et Flood, se sont plaints que le groupe de travail MacKay recommandait de trop nombreux règlements et qu'il y aurait surréglementation dans le secteur financier étant donné le genre de règlements recommandés concernant les normes relatives à la vie privée, les ventes liées avec coercition et les énoncés de responsabilités à présenter régulièrement. Êtes-vous d'accord avec eux pour dire que la réglementation risque d'être outrancière?
M. Cleghorn: Pour répondre à votre première question, je dirais que oui, nous nous sommes montrés trop prudents. Si nous voulons avoir des entreprises canadiennes de services financiers fortes, nous devons avoir un environnement plus ouvert. La concurrence dans son propre pays renforce une entreprise, peu importe son secteur d'activité. Franchement, je pense que les banques canadiennes ont des opérations d'envergure internationale depuis le siècle dernier. Nous n'avons peut-être pas toujours l'allure de nos concurrents étrangers, mais je peux vous dire que, d'après mon expérience personnelle, ayant travaillé pour des banques américaine et canadienne appelées à soutenir la concurrence de nombreuses autres dans le monde, les Canadiens semblent être naturellement portés vers les services financiers et nous nous en tirons bien. Une plus grande concurrence nous rendra plus forts et nous obligera à être plus innovateurs.
Quant à l'ouverture de succursales, il y a différentes façons de l'aborder. Par exemple, vous avez la Norwest qui a fait l'acquisition de Trans-Canada Credit, une entreprise de financement commercial qui a des succursales dans l'ensemble du pays.
Le sénateur Oliver: Vous avez soumissionné vous aussi, j'imagine?
M. Cleghorn: Non. Pas autant que je me souvienne, mais nous avons fait une offre dans d'autres cas; par exemple, nous avons fait une offre pour les opérations sur carte de crédit d'Eaton, mais Norwest nous a coupé l'herbe sous les pieds. Récemment, je sais qu'un besoin de financement s'est fait sentir à Stephenville, à Terre-Neuve. On avait besoin d'à peu près 400 000 $ pour du matériel informatique et des logiciels. Nous sommes la banque à qui on a demandé de présenter une offre, mais la même demande a été faite à divers autres intervenants. G.E. Capital qui, autant que je sache, n'a pas de succursale à Stephenville, ne s'est pas gênée pour soumissionner. La partie s'est jouée entre nous.
Lorsque j'étais à la Banque Mercantile du Canada, où nous avions une succursale dans un grand nombre de régions, certaines dans des villes, nous voyagions pour faire des affaires et nous savions trouver les occasions intéressantes. Si vous examinez le financement des petites entreprises aujourd'hui, vous verrez que les banques représentent de 50 p. 100 à 60 p. 100 du marché. Cette statistique provient du groupe de travail MacKay. Le reste des fonds est fourni par des institutions financières non réglementées et des organismes gouvernementaux comme les bureaux du Trésor de l'Alberta et la Banque de développement du Canada.
Les affaires sont bonnes, qu'on utilise une valise ou une méthode électronique. Nous constatons un essor considérable, par exemple, des opérations bancaires de nos directeurs de comptes itinérants qui se servent aujourd'hui d'ordinateurs portatifs et de téléphones cellulaires pour desservir les collectivités rurales.
Le sénateur Oliver: Ils vont chez les gens?
M. Cleghorn: Exactement. Dans les fermes et les maisons des gens. Ils travaillent dans un centre, mais ils peuvent sauter dans leur camion ou leur voiture. C'est ce que nous faisons également dans les collectivités éloignées. Et nous avons constaté que nous ne sommes pas les seuls à le faire.
Il est souvent difficile de voir qui sont les concurrents dans une collectivité donnée. On sait comment ça se passe dans une succursale, mais que pensez de ceux qui arrivent en train, en automobile, en camion ou en avion? Il est difficile de mesurer la concurrence, mais elle est réelle et nous en avons la preuve vivante.
J'ai parlé tout à l'heure de la Corporation financière Power. Elle compte actuellement 7 000 employés. C'est le chiffre qu'a donné le directeur général de la Great West, compagnie d'assurance-vie. La Corporation financière Power regroupe Investors, la Great West et la London Life. Il y a interdistribution de leurs services dans l'intérêt de leurs clients et dans celui également de leurs actionnaires, je suppose.
Il nous faut donc grossir la force mobile de notre organisation si nous ne voulons pas être pris entre quatre murs. À mon avis, les nouveaux concurrents utiliseront tous les moyens à leur disposition pour pénétrer le marché. Ils pourraient se servir d'un bureau, d'un produit en particulier ou d'une visite en personne.
Le sénateur Oliver: Comment des institutions comme Chase, Citibank ou Travellers s'y prendront-elles, selon vous, dans les cinq prochaines années?
M. Cleghorn: Tout dépendra du segment de marché et du produit. Citibank, par exemple, a obtenu un contrat du gouvernement fédéral pour la fourniture de services de carte. Cela, dans le cadre d'un appel d'offres ouvert contre d'autres institutions financières, y compris la nôtre. Nous ne pouvions pas présenter une meilleure offre. C'est un participant très actif en ce qui concerne les services bancaires aux particuliers et le financement des entreprises au Canada. Et ce n'est qu'un exemple. Travellers fait déjà des affaires ici, du côté tant des services bancaires d'investissement que de l'assurance.
Le sénateur Oliver: Vous avez fait allusion deux fois ce soir aux Services financiers CT. J'ai demandé à Harold MacKay et à son groupe de travail si les droits acquis n'avantageaient pas injustement un groupe en particulier, et je faisais allusion aux Services financiers CT. Ma question était la suivante. Même si cette entreprise se situe dans la tranche des 1 à 5 milliards de dollars, elle déclenche la règle du «capital largement réparti», c'est-à-dire des 35 p. 100, et, selon Harold MacKay, elle ne serait pas obligée de se départir d'une partie de son bloc d'actions -- dans ce cas-ci la propriété à 98 p. 100 d'IMASCO -- advenant qu'elle atteigne un jour une taille qui l'obligerait autrement à être considérée comme une société à capital largement réparti. Que pensez-vous de ces droits acquis? Ils ne vous toucheront pas en raison de votre grande taille, mais seront-ils justes pour d'autres plus petites banques du Canada?
M. Cleghorn: Une loi rétroactive serait injuste.
Le sénateur Oliver: Vous ne trouvez donc rien à redire aux droits acquis proposés?
M. Cleghorn: C'est exact.
Vous m'avez posé une autre question au sujet de mes vues sur les commentaires faits au sujet de la fusion proposée de la CIBC et de la TD.
Le sénateur Oliver: Au sujet de la réglementation outrancière?
M. Cleghorn: Oui. Je n'ai pas entendu ces commentaires. Je crois qu'ils ont été faits au moment d'une conférence de presse relative au rapport MacKay. J'ai entendu dire toutes sortes de choses au sujet de la fusion proposée. Je ne veux pas la commenter. Nous avons déjà fait connaître nos vues ici.
Le sénateur Oliver: Ma question n'avait rien à voir avec la fusion. Je faisais allusion aux recommandations faites par M. MacKay au sujet de l'adoption de règlements officiels ou de règles concernant la vie privée au lieu de s'en remettre à l'autoréglementation.
M. Cleghorn: Comme je l'ai dit tout à l'heure, le problème a consisté pour nous à amener l'industrie à s'engager à faire certaines choses et à respecter ses engagements. La Loi sur les banques actuelle contient des dispositions relatives aux ventes liées à l'intention des banques. Je préférerais que tous les fournisseurs des mêmes services financiers soient assujettis aux mêmes règles, parce que ce ne serait que juste. On donne à entendre que seules les banques devraient être visées parce qu'elles seules ont l'habitude de s'adonner à des pratiques de ventes liées avec coercition.
Le sénateur Oliver: D'après M. MacKay, tous les membres de la famille financière devraient l'être.
M. Cleghorn: Exactement. Tout d'abord, sur le plan stratégique, la perception du public est importante; si elle est négative, c'est un moyen d'au moins apaiser ses craintes, de lui montrer qu'il y aura un processus indépendant pour régler la question, surtout s'il y a des infractions. L'avantage aussi, c'est que votre aimable banquier ne sera plus le seul à être assujetti à ces règles; tous ceux qui offrent les mêmes services le seront aussi. C'est important pour qu'il y ait une certaine uniformité.
Cela pare aussi à l'argument, pour ceux qui n'aiment pas l'uniformité, que les règles devraient s'appliquer à tout le monde. Si les consommateurs y trouvent leur compte, tant mieux. Je ne sais pas au juste d'où venaient les commentaires de mes concurrents. De toute évidence, il y aura de nombreux détails à régler et il faudra voir quelle proportion prendront les formalités administratives. À en juger par les recommandations, toutefois, cela pourrait se faire dans la collaboration. Tout le monde pourra y trouver son compte sans trop de formalités administratives, ce qui me réjouit.
Le sénateur Tkachuk: J'ai quelques questions à vous poser au sujet des opérations d'établissements autres que les banques. Partons du principe que l'État accorde un privilège aux banques et qu'elles sont le coeur des services financiers dans n'importe quel pays du monde. La plupart des gens estiment que les banques sont à l'image de leur pays. Dans la mesure où elles peuvent compter sur les liquidités de la banque centrale et dans la mesure où l'État nous dit que ce sont de bonnes entreprises et que nous devrions déposer notre argent chez elles, les banques nous consentent des crédits.
Il me semble qu'au cours des deux dernières décennies, les banques ont commencé à s'occuper d'affaires autres que l'octroi de crédits. Elles font maintenant du courtage et voudraient se lancer dans le crédit-bail. Vous vendez déjà de l'assurance. Quelle partie des profits, disons de la Banque Royale, représenterait les opérations bancaires non traditionnelles?
M. Cleghorn: C'est une question à laquelle il m'est difficile de répondre, parce que certains de nos services ont évolué. Par exemple, il y a 20 ans, dans le commerce de banque appelé traditionnel, on ne versait pas d'intérêts quotidiens sur les comptes parce qu'on ne pouvait pas le faire sans systèmes informatiques. Ils ont fait leur apparition dans les années 70. Les banques n'ont pas commencé à accorder d'hypothèques, par exemple, avant la fin des années 60 et n'ont pris de l'essor dans ce secteur que durant les années 70. Elles ont évolué.
La différence entre les banques canadiennes et, disons, les banques américaines, c'est que les activités des compagnies de fiducie étaient distinctes de celles des banques pour certaines raisons. Cela remonte au siècle dernier.
Les opérations bancaires ont évolué. Par exemple, les banques ne prêtaient pas aux particuliers. Elles ne pouvaient pas consentir de prêts-automobiles, par exemple. Cela leur était interdit. Avec le temps, les choses ont évolué et elles sont devenues concurrentielles. Le Canada n'est pas le seul pays non plus où cela s'est produit. La situation a évolué au fil des ans.
Nos consommateurs ont évolué. Lorsque je travaillais pour Citibank, je me souviens de prévisions faites vers le milieu des années 60 sur la diminution des soldes disponibles qui devaient être gardés dans les banques -- des dépôts, autrement dit. Lorsqu'ils diminueraient, les entreprises et les particuliers voulant obtenir un meilleur rendement de leurs dépôts, il y aurait désintermédiation. En d'autres mots, les mêmes dépôts ne pourraient plus servir au financement de prêts. Par conséquent, les entreprises qui avaient toujours emprunté des banques uniquement ont commencé à se tourner vers les marchés financiers. Mais ce ne sont pas les banques qui leur ont demandé de le faire. Cela est arrivé parce que les marchés financiers leur ont offert des formes plus intéressantes de prêts, moins coûteuses dans bien des cas, qui étaient plus concurrentielles.
Quant aux consommateurs, ils se sont graduellement tournés vers les fonds communs de placement au fur et à mesure des changements démographiques dans notre pays. Les gens sont maintenant plus conscients de toutes les autres possibilités.
Je dirais qu'il y a eu une évolution. La concurrence s'est accentuée à l'égard de chaque gamme de produits chaque fois que la Loi sur les banques et d'autres lois ont été réexaminées.
Dans les années 80, il y a eu un ralentissement considérable après une période d'inflation élevée et certains de nos plus petits participants ont dû abandonner la partie. En fait, c'est l'époque où la Home Bank et deux petites banques, la Banque Commerciale du Canada et Northland Bank dans l'Ouest, ont fait faillite. Au même moment, il y a eu 17 000 faillites bancaires aux États-Unis. Le Canada s'en est assez bien tiré.
Ce n'est pas une chose que les banques avaient demandée. La situation a évolué avec le temps, nos clients ayant littéralement trouvé d'autres façons de faire. L'essor des services bancaires d'investissement est attribuable à l'essor des marchés financiers, à la mondialisation du financement et à l'ouverture des frontières qui permet le flux des changes. Les flux monétaires ne sont en rien restreints. La mondialisation caractérise beaucoup plus les marchés financiers aujourd'hui qu'il y a 15 ans disons.
Le sénateur Tkachuk: Diriez-vous que plus de la moitié des profits de la Banque Royale proviennent actuellement d'autres types de services financiers, ou plus encore?
M. Cleghorn: C'est difficile à dire parce qu'aujourd'hui, comparativement à ce qui se faisait il y a 15 ans, nous accordons plus de capital de risque et d'autres formes de prêts comportant des risques aux petites entreprises. Nous offrons aujourd'hui beaucoup plus de conseils en matière d'investissement à nos clients par l'entremise de nos succursales. Nous avons des emplois dans le secteur de la technologie qui n'existaient pas il y a cinq ou dix ans. Nous avons des emplois dans nos succursales qui n'existaient pas il y a cinq ou dix ans parce que la nature des services offerts a changé et, pourtant, tout se fait dans un cadre traditionnel à l'intérieur duquel le banquier s'entretient avec un client. La seule différence, c'est qu'il proposera au client des fonds communs de placement en plus de divers dépôts à terme, certificats de placement garantis, et cetera.
Je pourrais prendre chacun des services offerts aujourd'hui et vous dire qu'il n'est pas aussi traditionnel qu'il l'était. Il y a eu de nombreux changements. Notre gamme de produits comporte aujourd'hui des raffinements que je ne qualifierais pas de traditionnels. C'est la technologie qui les a rendus possibles.
Le sénateur Tkachuk: Traditionnellement, les gens mettent leur argent à la banque et les banques s'engagent à leur octroyer des crédits en échange du droit d'accepter leurs dépôts. Les banques s'intéressent maintenant à d'autres secteurs, comme l'investissement et le crédit-bail, et à d'autres types de services financiers que l'octroi de crédits. Est-ce qu'on ne pourrait pas en conclure qu'elles ont moins de fonds à prêter? Ou faites-vous assez de profits ailleurs pour pouvoir octroyer plus de crédits?
M. Cleghorn: Vous avez parlé du crédit-bail. Les banques s'occupent de crédit-bail depuis un examen de la Loi sur les banques dans les années 70. Nous nous sommes portés acquéreurs d'une société de crédits-bail dans les années 70 parce que nous étions autorisés à le faire. Nous n'avons pas été autorisés à louer des véhicules légers, ce qui nous place dans une situation différente de celle de nos principaux partenaires commerciaux. Nous ne sommes pas intéressés à fabriquer des automobiles ni à nous lancer dans la vente en gros d'automobiles. Nous voulons simplement offrir un financement à nos clients. Nous avons été autorisés à nous occuper d'avions, de navires et de véhicules lourds. Ce n'est qu'une autre forme de services financiers, et c'est certainement la façon dont c'est perçu aux États-Unis.
Les services financiers ont évolué. Les services bancaires aux particuliers et aux entreprises représentent 60 p. 100 de ce que nous faisons, mais un bon nombre des produits offerts ne sont pas nécessairement traditionnels, ni non plus les méthodes de prestation de ces services. Autrement dit, ils sont offerts aujourd'hui par téléphone et par carte de crédit. Ils sont maintenant offerts aussi par ordinateur personnel, ce qui était impossible avant que la technologie soit disponible. Il y a aussi les services qui relèvent de la gestion de placements, comme le courtage réduit, une opération de démarrage pour nous.
Tout est aujourd'hui fonction de la technologie et un autre exemple est celui des fonds communs de placement. Il y a longtemps que nous sommes autorisés à offrir des fonds communs de placement, mais nous ne pouvions pas être propriétaires d'une société de fonds communs de placement. Nous avons été autorisés à offrir ce genre de services dans les années 80 au même titre que d'autres institutions de services financiers. Nous avons décidé que ce serait une entreprise de taille pour nous et c'est une des raisons pour lesquelles nous voulions unir nos forces à celles de Royal Trust, parce que c'était aussi un chef de file dans ce secteur.
J'ai parlé de nos services de courtage. C'est un aspect important de nos opérations parce que nous constatons une migration des dépôts bancaires. Les dépôts en banque ont diminué en 1997 au profit d'autres formes d'activité, mais nos prêts ont augmenté, tant les emprunts personnels que les prêts et les hypothèques à l'intention des petites entreprises.
Aujourd'hui, il y a quelque chose qu'on appelle la titrisation. Si vous n'avez pas suffisamment de fonds, vous pouvez titriser une créance hypothécaire ou la marge d'une une carte de crédit auprès des investisseurs. Cela ne se fait que depuis quelques années au Canada. En fait, nous pouvons réunir des fonds à l'étranger et les convertir en dollars canadiens pour financer les prêts consentis au Canada.
Outre les banques, il y a différents concurrents dans chacune de ces catégories de services. Je ne sais pas au juste quels services pourraient être qualifiés de traditionnels pour les banques ni en quoi pourrait consister une offre traditionnelle, par l'entremise uniquement du réseau de succursales.
Le sénateur Tkachuk: Pourquoi les gens seraient-ils prêts à payer le taux trois à quatre fois plus élevé d'une carte de crédit si ce n'est que les banques ne leur octroient pas le crédit dont ils ont besoin? S'ils pouvaient en obtenir à 6 p. 100, pourquoi paieraient-ils 24 p. 100?
M. Cleghorn: Ou 29 p. 100 à un détaillant?
Le sénateur Tkachuk: Les cartes de crédit sont devenues populaires et les banques se sont mises à en offrir. Je ne peux pas croire qu'elles ne peuvent pas soutenir la concurrence du crédit-bail en ce qui concerne les prêts personnels. Je ne comprends pas. C'est plus cher d'acheter que de louer. Pourquoi le crédit-bail est-il maintenant si populaire? Les banques ne devraient-elles pas se demander si c'est peut-être parce qu'elles n'offrent pas les formes traditionnelles de crédit d'une manière qui permettrait aux gens d'acheter l'automobile plutôt que de l'acheter elles-mêmes pour la louer, ce qui est en fait ce que vous feriez?
M. Cleghorn: Ce sont les liquidités qui font la différence entre louer et acheter à l'aide d'un prêt. Ils se disent qu'ils auront de moins grands déboursés à faire pour la location que pour l'achat d'une voiture.
Les cartes de crédit demeurent essentiellement un instrument de paiement. Le prêt moyen sur carte de crédit est de 1,5 million de dollars. Les plus gros prêts personnels sont consentis sous forme d'hypothèques et ainsi de suite. Les prêts sur cartes de crédit n'ont pas tellement augmenté en moyenne et plus de 50 p. 100 de nos clients les remboursent dans les délais prescrits. Elles sont en réalité un instrument de paiement utilisé pour sa commodité.
Le sénateur Tkachuk: Vous dites que vous vous occupez de crédit-bail. Je sais que la situation est ce qu'il y a de plus étrange parce que le crédit-bail est fonction du poids, mais quel type de véhicule louez-vous actuellement? Je crois avoir entendu M. MacKay parler de Caterpillars et d'équipement lourd.
M. Cleghorn: C'est exact.
Le sénateur Tkachuk: Quelle est la valeur résiduelle à la fin du bail? Est-elle de 5, de 10 ou de 15 p. 100?
M. Cleghorn: Tout dépend de la nature de l'équipement. Il s'agit essentiellement de crédit-bail financier. Une petite partie de nos activités comportent des risques résiduels.
Le sénateur Tkachuk: Pour être concurrentiels dans le secteur automobile, vous aurez des risques résiduels qui seront assez élevés.
M. Cleghorn: Oui et il y a un marché pour cela. Il faut être concurrentiel en fonction des valeurs acceptées sur le marché.
Le sénateur Tkachuk: Où irez-vous chercher votre expérience de l'automobile?
M. Cleghorn: Nous avons notre expérience du financement. Nous n'avons pas l'intention de fabriquer ou de conserver des automobiles. Il y a de vastes maisons d'encan où on en vend. J'imagine que ceux qui s'en occupent actuellement continueront à s'en occuper.
Le sénateur Tkachuk: Lorsque vous louez une automobile pour un client -- ou n'importe quel article -- au bout de quatre ans, vous devez deviner ce qu'elle vaudra pour pouvoir la financer. Donc, vous devez savoir ce que vous faites quand il est question d'automobiles, sans parler de crédit-bail, parce que vous devez savoir de quoi aura l'air le produit final, sinon vous perdrez l'argent de vos déposants.
M. Cleghorn: C'est un fait.
Le sénateur Tkachuk: Qu'arrivera-t-il de toutes ces automobiles?
M. Cleghorn: C'est la même chose lorsque nous finançons la location d'un aéronef. Nous devons savoir de quoi il retourne. Nous devons connaître l'équipement que nous louons aujourd'hui.
Le sénateur Tkachuk: Vous avez dit également que les valeurs résiduelles étaient basses. Dans le secteur automobile, si je comprends bien le crédit-bail, les valeurs résiduelles sont assez élevées. Elles sont calculées en fonction d'un bail de quatre ans et représentent une somme d'argent considérable.
M. Cleghorn: Il y a des pratiques à suivre; il faut être concurrentiel. Cela fonctionne aux États-Unis et je pense que ce sera la même chose ici. S'il y a de la concurrence, c'est le client qui sera gagnant.
Le sénateur St. Germain: J'aimerais que nous parlions un peu des assurances de détail et du crédit-bail automobile. Vous avez toujours bénéficié d'une protection qui vous a permis d'amasser d'énormes profits et d'atteindre votre taille actuelle. Les petits concessionnaires d'automobiles qui offrent des services de crédit-bail, tout comme les petites sociétés d'assurances, ont très peur d'être durement touchés par votre arrivée sur ces marchés parce que vous pouvez compter sur un réseau bien établi et que vous avez des succursales dans tout le pays.
À votre avis, y aurait-il quelque chose à faire pour les rassurer? Vous avez dit, n'est-ce pas, qu'il devrait y avoir des droits acquis pendant une certaine période de transition? Qu'est-ce que nous devrions répondre à ces gens-là?
Ceux qui vont me poser le plus de questions à ce sujet-là, ce sont probablement les agents d'assurances et les concessionnaires d'automobiles qui offrent actuellement du crédit-bail. Ils jugent que vous menacez sérieusement leur industrie et craignent que votre arrivée entraîne des pertes d'emplois et d'autres traumatismes. Je suis certain que c'est la raison pour laquelle certains des partis politiques du pays ont protesté à cor et à cri; ils estiment qu'ils ne peuvent tout simplement pas vous laisser réaliser vos projets sans tenir compte du rapport. Qu'est-ce que vous en pensez?
M. Cleghorn: En 1990, seulement 5 p. 100 des automobiles étaient financées par crédit-bail; aujourd'hui, ce chiffre approche des 50 p. 100. Environ 80 p. 100 de ce financement est assuré par les grands fabricants d'automobiles: Ford, Chrysler, Mercedes et General Motors. C'est ce que j'ai entendu dire, et c'est d'ailleurs dans le rapport.
D'autres pays permettent la concurrence entre un plus grand nombre de joueurs. Aux États-Unis, Ford Credit et General Motors Acceptance sont en concurrence avec les caisses de crédit et les banques. En fait, les caisses de crédit occupent une très large part du marché du crédit-bail automobile aux États-Unis, d'après ce que je sais; elles sont donc déjà habituées à la chose. Ce ne sera pas nouveau pour elles.
Le secteur de la vente d'automobiles est en train de se rationaliser en prévision de notre arrivée, du moins du côté du crédit-bail. Il se fait déjà de la rationalisation dans ce secteur. Il y a une période de transition prévue pour commencer, certainement pour les gros joueurs comme nous.
Pour ce qui est des assurances, nous avons déjà un service qui s'occupe de ce genre de chose; nous l'avons mis sur pied graduellement en faisant de petites acquisitions. Il compte maintenant plus de 1 500 employés, qui travaillaient tous pour des compagnies d'assurances avant de venir chez nous. Nous avons fait l'acquisition de la Mutuelle d'Omaha et de ses 600 agents, qui se sont joints à notre groupe. Nous voulions aussi acquérir la London Life. Nous avons vu qu'il pouvait y avoir une synergie de revenus. Il n'y a pas beaucoup de chevauchements du point de vue des coûts, ce qui fait que la majorité de ces employés pouvaient rester dans notre groupe pour que nous soyons en mesure de vendre de l'assurance. Nous devrons embaucher beaucoup de monde, tant pour les ventes que pour l'administration. Le directeur général de notre division des assurances était chef des opérations à la Met Life Canada. Nous offrons des emplois aux gens qui veulent venir travailler pour nous et nous aider à mettre nos services d'assurances sur pied.
La plus grande institution de dépôt du Québec, le mouvement des Caisses populaires Desjardins, offre de l'assurance à ses clients depuis les années 80, et tout va bien. Ça n'a pas détruit l'industrie des assurances. Le Canada est le seul pays au monde où les banques ne sont pas autorisées à distribuer de l'assurance, comme le soulignent les auteurs du rapport.
En réalité, la question est la suivante: acceptez-vous la concurrence? Reconnaissez-vous que les règles doivent être les mêmes pour tout le monde? Le lobby des compagnies d'assurances a déjà soulevé la question des ventes liées; il avait été dit alors que nous n'étions pas présents de la même façon que d'autres dans les collectivités.
Je pense que le rapport sur les liens avec les collectivités contribuera à mettre tout le monde sur le même pied, en ce qui a trait à ce que nous apportons tous aux collectivités, petites ou grandes. Dans la mesure où le processus est transparent, nous pensons que pour assurer la concurrence, tous les types d'institutions doivent pouvoir offrir leurs services.
Il faut souligner aussi que l'industrie des assurances est autorisée à offrir des services bancaires et des services de paiements, par exemple. La moitié de ce que font les compagnies d'assurances, à côté des assurances proprement dites, c'est de la gestion de placements, de la gestion d'actif. Autrement dit, nos domaines d'activité convergent de plus en plus, et il est difficile de faire la différence aujourd'hui entre les divers produits et entre les sociétés qui les offrent. Tout ça est indiqué dans le rapport MacKay. Il y aura une période de transition pour le crédit-bail automobile et pour les assurances, et elle sera la même pour tout le monde.
Le sénateur Kelleher: Monsieur Cleghorn, quand nous sommes allés en Europe, en Grande-Bretagne et aux États-Unis l'année dernière, il nous est apparu évident que le Canada n'était pas exactement un chef de file dans le secteur financier, en ce qui a trait aux sociétés de portefeuille. Nous semblons maintenant prêts, enfin, à examiner cet aspect de l'industrie des services financiers. Le rapport MacKay contient certaines recommandations qui permettraient aux sociétés de portefeuille de se lancer dans le domaine financier.
J'aimerais connaître votre opinion personnelle sur ces recommandations. Pensez-vous que les auteurs du rapport MacKay sont allés assez loin? Est-ce une première étape intéressante? Aurait-il fallu aller plus loin? Pensez-vous que ça pourrait fonctionner?
M. Cleghorn: J'ai lu le document d'information sur la question -- ce qui est essentiel pour comprendre le cheminement du groupe de travail -- et j'y ai trouvé des preuves concluantes de l'utilité des sociétés de portefeuille et des autres formules qui pourraient les remplacer. C'est comme les fusions. Certaines organisations trouveront utile de fusionner parce que ça leur permettra de se joindre à des services financiers qui ne seront pas liés à leurs activités bancaires. Autrement dit, ça permettra des cultures d'entreprise différentes. Ça pourrait permettre également d'avoir des marques différentes à l'intérieur d'une structure de société de portefeuille. Ce serait le principal avantage pour une compagnie canadienne qui voudrait faire des affaires des deux côtés de la frontière parce qu'il est important dans ces cas-là de garder des marques différentes pour des marchés différents, ou pour des types de services financiers différents. Mais il pourrait y avoir une raison sociale d'ensemble, si on veut, pour la société de portefeuille.
L'avantage, c'est que ça permet une certaine souplesse. Dans la mesure où l'organisme de réglementation peut examiner les différentes activités, la société de portefeuille doit être transparente. Si l'organisme de réglementation veut voir ce qui se passe, il doit pouvoir le faire. Nous avons vu à quel point les effets sont désastreux quand c'est impossible, comme ça s'est déjà produit ici dans le cas de sociétés de fiducie. Tant que c'est transparent, ça pourrait être un processus utile et souple pour le secteur commercial.
Au Royaume-Uni, en revanche, il y a eu des cas où il n'était pas nécessaire -- ni possible -- d'adopter d'autres mécanismes. Mais c'est comme pour tout le reste. Si une entreprise juge important de s'établir des deux côtés de la frontière, d'avoir des cultures d'entreprise différentes et de séparer ses activités bancaires de ses activités financières, ce serait utile; ou encore, dans le cas de l'acquisition d'une banque différente, ce serait utile également.
Le sénateur Kelleher: Ma dernière question porte sur la fiscalité. Je n'exagère pas en disant que les banques ont l'impression que le régime fiscal les désavantage jusqu'à un certain point. M. MacKay recommande dans son rapport certaines modifications aux dispositions fiscales applicables aux banques. Pouvez-vous vous nous dire si vous jugez ces recommandations suffisantes? Est-ce qu'elles vont assez loin? Quelles seraient leurs répercussions sur les banques?
M. Cleghorn: Il y a bien des intérêts dont il faut tenir compte, et qu'il faut servir efficacement si on veut survivre. Nous en avons déjà parlé; il y a les clients, les consommateurs, les communautés, les employés et les actionnaires. Nous n'avons pas beaucoup parlé des actionnaires jusqu'ici, mais 75 p. 100 d'entre eux sont des Canadiens, tant des institutions que des particuliers.
Quand nous nous comparons aux institutions financières les plus dynamiques au Royaume-Uni, aux États-Unis et en Australie, nous voulons être en mesure de leur faire concurrence et de nous classer dans le premier quartile. Que ce soit pour la qualité des services ou le rendement des actions, il faut viser haut en ce qui concerne les normes de rendement. Les institutions financières qui n'ont pas bien servi leurs actionnaires, que ce soit pour des raisons de sécurité ou parce que leur rendement n'était pas suffisant, n'ont pas survécu; elles ont fini par être achetées.
Il est intéressant de comparer la situation des banques canadiennes à celle des banques étrangères sur le plan fiscal. Dans une étude comparative entre les banques canadiennes, américaines et britanniques, la société KPMG a constaté que, quand on additionne toutes les taxes et tous les types de prélèvements, les banques canadiennes se situent autour de 68 p. 100, tandis que les banques américaines sont à presque 50 p. 100 et les banques britanniques à 45 p. 100. Une étude réalisée à l'Université de Toronto a révélé en outre que le secteur des services financiers est le plus taxé au Canada et que, à l'intérieur de ce secteur, ce sont les banques qui paient le plus d'impôts, ce qui corrobore encore une fois ce que dit M. MacKay.
Bien des gens pensent: «Les banques font tellement de profits qu'elles peuvent bien payer des impôts.» Mais en définitive, c'est une question de structure des coûts. L'impôt sur le capital a un effet pervers parce que nous essayons d'augmenter notre capital. Ce sont les organismes de réglementation, tant canadiens qu'internationaux, qui nous y obligent; ce qui nous permet d'obtenir une aussi bonne cote de crédit que nos concurrents, c'est la force de nos institutions. Mais plus nous nous renforçons, plus nous payons d'impôt sur le capital. Ce n'est pas inclus dans notre revenu net, mais ça fait partie de la structure de nos coûts. Quand on compare nos taux de rendement avec ceux des banques américaines et britanniques, on se rend compte que nous devons assumer, proportionnellement parlant, beaucoup plus de prélèvements et de taxes comme l'impôt sur le capital. Nos primes d'assurance-dépôts sont aussi beaucoup plus élevées qu'elles le sont aux États-Unis pour des institutions comparables, et l'impôt sur le capital est inclus dans nos coûts. C'est une des raisons pour lesquelles les banques canadiennes sont défavorisées par rapport aux banques américaines et britanniques, quand on compare leurs coûts à leurs revenus.
Les gens entendent parler de nos bénéfices et en concluent qu'ils sont suffisamment élevés pour qu'il soit juste de nous taxer lourdement, mais ils se rappelleront peut-être que certaines banques n'ont absolument pas fait d'argent en 1992-1993. Il faut regarder les bénéfices sur un cycle complet; or, les dernières années ont été les meilleures du cycle.
Je voudrais répondre au commentaire que quelqu'un a fait tout à l'heure au sujet des participants plus petits. Dans le passé, il y a déjà eu des institutions financières secondaires. Malheureusement, beaucoup d'entre elles ont disparu pendant les périodes de ralentissement, certaines dans les années 80 et d'autres dans les années 90. Mon alma mater appartient encore à environ 23 p. 100 à la Citibank, qui a fusionné avec la Banque Nationale huit ou neuf ans après mon départ, au milieu des années 80, à cause de la dépression de cette période-là. Si j'avais travaillé pour la Royal Bank of Alberta, je ne serais pas ici aujourd'hui parce que notre institution n'existerait plus; et c'est la même chose pour la Royal Bank of Saskatchewan. Mais comme nous avons une organisation diversifiée, qui a des activités variées dans l'ensemble du pays et dans d'autres régions du monde, nous avons survécu aux ralentissements des années 80 et des années 90, et nous en sommes ressortis plus forts.
Un des avantages mentionnés dans le rapport, c'est que les grandes organisations peuvent aussi diversifier leurs risques. Honnêtement, la diversification des risques est probablement la voie de l'avenir parce qu'il est très difficile de savoir ce que demain nous réserve.
Je suis en faveur d'institutions secondaires de plus grande envergure. Les auteurs du rapport ont raison de dire que les caisses de crédit doivent pouvoir traverser les frontières provinciales. Elles devront alors surmonter les mêmes obstacles que les plus gros joueurs, en ce qui concerne la technologie, l'échelle, et ainsi de suite, pour pouvoir progresser.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Cleghorn. Puisque vous êtes ici depuis un certain temps, je ne vous demanderai pas de répondre à mes questions maintenant parce qu'elles vont exiger une certaine réflexion de votre part. Mais j'aimerais que vous nous envoyiez votre réponse par écrit.
Premièrement, vous vous êtes prononcé en faveur du modèle de société financière de portefeuille proposé dans le rapport du groupe de travail. Il serait utile que vous nous expliquiez votre position dans une note écrite parce que ce n'est pas clair pour certains d'entre nous. Ce que je veux dire, c'est que nous ne voyons pas très bien quels seraient les avantages de cette société de portefeuille, ou ce que cette formule pourrait donner de plus que la formule des compagnies mères et des filiales. Autrement dit, sur le plan commercial, quels seraient les avantages de cette société de portefeuille?
Ma deuxième question reflète de profonds doutes personnels. Autant que vous sachiez que c'est ce qui m'incite à vous la poser. Dans vos commentaires sur le système de paiements, vous avez dit que vous accueillez avec joie les propositions visant à en élargir l'accès à d'autres sociétés, sous réserve qu'elles répondent aux critères de solvabilité et de liquidité, ainsi qu'à ceux qui sont prévus dans leur cadre réglementaire et juridique.
Si je pose la question, c'est un peu à cause de l'attitude des banques lors du conflit avec le Bureau de la concurrence au sujet de l'Interac, et aussi à cause des discussions privées qui se sont déroulées au cours de cette longue bataille, qui a duré plusieurs années, au sujet du fait que beaucoup de conditions avaient été suggérées par les joueurs en place. Le motif invoqué pour justifier ces conditions, c'est qu'elles étaient nécessaires pour des raisons de solvabilité, alors que la plupart des observateurs objectifs étaient d'avis que ça n'avait rien à voir avec la solvabilité et que c'était une excuse pour créer un obstacle à l'accès.
Je voudrais que vous réfléchissiez à ces critères. Il me semble qu'au fond, si la politique gouvernementale va dans le sens de l'élargissement du système de paiements, il ne faudrait pas se retrouver dans où une situation où, malgré la politique officielle, les rouages du système seraient tels que l'accès ne serait pas plus facile, bien au contraire.
Voici maintenant ma troisième question. Vous avez déjà commenté la phrase que plusieurs d'entre nous avons remarquée à la troisième page de votre déclaration, à savoir que la survie des banques comme établissements offrant tous les services n'est pas garantie.
Vous avez également évoqué certaines des activités de la Northwest Financial, aux États-Unis. Comme vous le savez, le président-directeur général de cette société appelle ses points de vente des magasins, et non des succursales, ce qui rappelle le secteur de la vente au détail. Mais voyons un peu la situation des grands magasins de détail. Ils vendaient plus de choses autrefois. Aujourd'hui, la plupart ne vendent plus de gros électroménagers, et beaucoup ne vendent même pas de téléviseurs.
Je comprends pourquoi cette question est importante pour vous, mais en tant que consommateur, pourquoi devrais-je me préoccuper de savoir si j'ai affaire à une entreprise offrant des services complets ou pas? Dans le secteur du commerce de détail, je n'ai qu'à aller dans un magasin d'électroménagers si j'ai besoin d'un réfrigérateur ou d'une cuisinière. Et dans une boutique d'électronique si je veux m'acheter un téléviseur. Une bonne partie des arguments que vous avez avancés ce soir reposent sur l'intérêt que présentent des entreprises offrant des services absolument complets.
Quand on voit ce qui s'est passé dans le secteur du commerce de détail, je dirais que ce n'est pas la meilleure solution du point de vue des consommateurs. Je comprends pourquoi les gens du milieu voudraient que ça se fasse. Mais pourquoi les consommateurs seraient-ils du même avis?
M. Cleghorn: Je suis d'accord avec vous. Ce n'est pas tous les consommateurs qui veulent des institutions de ce genre, mais il y en a quand même beaucoup qui jugent qu'elles seraient utiles; nous devons donc être là pour eux.
Les bureaux, les succursales ou les points de vente dont nous parlons pourraient offrir des services plus ou moins complets, selon les cas. Tout dépendrait des besoins de la population de la région.
Certaines personnes ont maintenant l'habitude de rencontrer leurs conseillers financiers dans leur cuisine, le soir ou la fin de semaine. Nous devons nous adapter à cette réalité. Les choses évoluent, et nous évoluons avec elles. Il y a des régions et des groupes de consommateurs qui veulent des services complets. Nous devons les leur offrir. D'autres, en revanche, sont tout à fait contents de traiter avec des institutions financières différentes selon les circonstances.
Le président: Les gens aimaient bien les grands magasins, et il y a une partie de la population canadienne qui aurait préféré qu'ils restent comme dans le bon vieux temps. Pourtant, comme vous le savez, c'est une espèce en voie de disparition.
Mais nous, est-ce que nous devons envisager un cadre politique qui penche du côté de la création et du maintien d'institutions offrant des services complets, ou plutôt du côté des magasins spécialisés ayant des coûts très réduits, comme les magasins d'électroménagers ou de téléviseurs?
Ce cadre politique doit certainement être différent selon l'orientation qu'il privilégie -- quoique je n'en sois pas absolument certain --, peut-être même très différent.
Si j'en juge par l'évolution du marché de détail en général, je ne suis pas sûr que nous devions privilégier une politique favorable aux centres offrant des services complets si nous pouvons aider les consommateurs à bénéficier de meilleurs prix en achetant dans les petits magasins spécialisés.
M. Cleghorn: Si la libre concurrence s'exerce, il y aura des entreprises qui voudront offrir un produit unique. Il y en a déjà. Dans certains cas, et dans certaines régions, il y a des entreprises qui offrent un seul produit plutôt qu'une gamme complète. Si la concurrence est à peu près libre, il y aura de tout. Il y aura une combinaison.
Le président: La politique devrait permettre aux deux types d'entreprises de coexister?
M. Cleghorn: En effet, si vous voulez qu'il y ait une véritable concurrence.
Le sénateur Meighen: Le président n'est peut-être pas allé dans les grands magasins depuis un certain temps; on y trouve maintenant très souvent des boutiques spécialisées.
Le président: Oui, ce sont des franchises à l'intérieur des magasins.
Sénateurs, nous entendrons maintenant les représentants de la Banque Nationale du Canada pour terminer notre séance de ce soir.
M. Courville nous a parlé ce matin à titre de représentant de l'Association des banquiers canadiens; ce soir, nous pouvons donc nous concentrer surtout sur les questions qui s'adressent au président de banque. Il a accepté de commencer par la question qu'il a éludée ce matin, au sujet de sa vision de l'avenir et de ses implications sur le plan stratégique.
Monsieur Courville, quand je dis que vous avez éludé la question, ce n'est pas tout à fait la vérité. Vous avez indiqué que les membres de l'ABC n'avaient pas tous la même vision de ce que l'avenir devrait -- ou pourrait -- nous réserver, et que l'industrie n'avait donc pas de position officielle à ce sujet-là. Il ne faut pas prendre le terme «éludé» en mauvaise part, mais il serait utile que vous nous expliquiez votre propre vision de l'avenir pour lancer la discussion de ce soir. Vous pouvez commencer.
[Français]
M. Léon Courville, président et chef des opérations, Banque Nationale du Canada: Je vais prendre huit à dix minutes pour vous décrire la position de la Banque Nationale à l'égard des fusions et parler un peu du futur de l'industrie des services financiers tel que nous le prévoyons. D'ici quelques jours, nous vous ferons parvenir un document qui couvrira ces thèmes. Nous complèterons avec la discussion de ce soir.
La Banque Nationale du Canada est la sixième banque au Canada, donc la plus petite des grandes banques à charte. Elle opère au Canada et au Québec. Soixante pour cent de ses actifs sont au Québec. Elle a donc 30 p. 100 de ses actifs à l'extérieur du Québec dont une partie au Canada, soit en Ontario et dans l'Ouest canadien, une autre partie aux États-Unis et une toute petite partie en Asie. C'était beaucoup plus l'an passé. Nous avons évité la tourmente.
Nous sommes principalement une banque constituée d'activités de détail et de services aux particuliers ainsi qu'une banque commerciale. Si nous n'avions qu'à conserver une seule activité, nous serions d'abord et avant tout une banque commerciale.
Nous représentons environ 7 p. 100 du système banquier canadien sur une base de capital et en termes de prêts commerciaux globaux, de la grande à la petite et moyenne entreprise, nous représentons 13 à 14 p. 100. Comme nous n'avons pas les plus grandes entreprises, nous avons une surpondération de nos actifs destinés aux petites et moyennes entreprises comparativement aux banques canadiennes et ce, en dépit du fait que nous soyons principalement concentrés au Québec.
Nous sommes une banque diversifiée autour de ces activités de détail et commerciales en ce sens que nous faisons toutes les activités bancaires permises. Nous croyons au concept que l'intégration de l'ensemble des services financiers -- pas nécessairement le «one stop shopping» -- est un atout pour le Canada et fait partie intrinsèque de la structure de l'industrie financière canadienne.
J'aimerais également vous rappeler que nous connaissons un peu mieux la concurrence que les autres banques. Le principal récipiendaire des dépôts des particuliers au Québec est le Mouvement Desjardins, qui compte 40 p. 100 des parts de marché. Il bénéficie d'avantages fiscaux, d'avantages légaux, d'avantages réglementaires, d'avantages au niveau de l'assurance-dépôt -- que nous n'avons pas -- et il a un éventail d'activités encore plus large que le nôtre. Ceci ne nous empêche pas de bien tirer notre épingle du jeu.
Vous avez posé des questions en ce qui concerne l'expansion internationale. C'est un peu relié à la globalisation. J'aimerais souligner qu'une bonne partie des activités de la Banque Nationale sont des activités internationales en raison de notre très grande implication dans le domaine commercial.
Alcan et Bell Canada n'ont pas besoin de banques pour aller à l'étranger. Cependant, les petites et moyennes entreprises qui ont des activités d'importation ou d'exportation avec l'Asie ou l'Amérique du Sud ont besoin d'un banquier pour des lettres de crédit, des paiements internationaux, et cetera.
À la Banque Nationale, nous suivons les besoins de nos clients relativement à leurs activités commerciales. C'est de cette façon que nous avons bâti un département international qui s'appuie essentiellement sur la nécessité d'avoir des liens commerciaux avec l'étranger pour satisfaire les besoins de nos clients, les petites et moyennes entreprises. Cela nous a amenés en Asie, où nous avons ouvert un bureau à Hong Kong. Nous sommes également implantés en Corée et en Chine.
En Europe, nous avions depuis longtemps une succursale à Paris, avec 100 employés, mais ce n'était pas assez. On ne pouvait jamais satisfaire les clients, que ce soit dans la chaussure, le bois ou le papier. Nous avons décidé de conclure des alliances, avec des banques populaires de France, une banque espagnole, une banque allemande, un groupe de banques italiennes, avec lesquelles nous entretenons des relations privilégiées et où nos clients deviennent leurs clients quand ils viennent ici. Nous avons solidifié notre présence en Europe en faisant affaire avec des banques bien constituées et bien implantées dans leur propre milieu, de telle sorte que nous augmentons notre rayonnement et celui de notre clientèle.
Vous avez parlé de technologie. J'aimerais souligner que tout en étant la plus petite banque, nous avons été celle qui a initié le débit automatique au Canada. La première expérience de débit s'est effectuée à la Banque Nationale et chez Provigo. Nous avons été la première banque à relier les individus à leurs opérations bancaires par ordinateur et ce, avant même le réseau Internet. Nous avons développé un nouveau système pour nos comptes d'opération. Nous l'avons vendu à une banque quatre fois plus grosse que la nôtre. Elle avait pris un peu de temps à se décider parce qu'elle se demandait pourquoi cela lui coûtait plus cher que ce que nous lui facturions. Tout cela pour vous montrer qu'il n'y n'a pas nécessairement d'économie d'échelle dans la technologie.
Nous avons réduit nos coûts d'exploitation en faisant systématiquement l'impartition de nos opérations informatiques. Dans le domaine commercial, nous avons pressenti -- bien avant que ce soit à la mode avec Internet -- que le commerce électronique entre entreprises, entre gros payeurs, gros récepteurs, allait devenir important. Nous avons présentement un projet en collaboration avec Bell Canada, laquelle fait affaire maintenant avec un gros utilisateur, soit la Commission de santé et sécurité au travail du Québec.
Je vous décris la position de la Banque Nationale pour vous démontrer que nous avons a une personnalité propre et que nous sommes capables d'avoir accès à des ambitions internationales sur le plan de la technologie.
[Traduction]
Je voudrais maintenant vous parler des fusions, et vous expliquer pourquoi notre banque est contre cette idée. Au début, nous pourrions tirer profit de ces fusions parce qu'il y aurait une période de transition pendant laquelle les clients qui n'auraient pas choisi la Banque Royale ne seraient peut-être pas contents d'être obligés de quitter la Banque de Montréal pour la Banque Royale. Un et un ne feront pas deux tout de suite; plus tard, peut-être, mais pas au début.
Nous craignons que la réduction du nombre des banques au Canada n'entraîne une augmentation de la réglementation. L'industrie des services bancaires et des services financiers pourrait être soumise à une réglementation accrue, à laquelle toutes les institutions devraient se plier, qu'elles aient ou non connu une fusion. C'est ce que nous craignons le plus.
Nous ne voyons pas l'utilité de ces fusions. Vous nous direz peut-être que ce n'est pas nous qui avons pris cette décision d'affaire, que ce sont les autres banques. Elles disent qu'elles sont devenues trop petites. Mais les banques canadiennes sont grosses, probablement trop grosses; c'est le pays qui est trop petit. Il est vrai que notre produit intérieur brut a diminué par rapport au niveau mondial. Les banques sont intimement liées aux activités intérieures d'un pays.
Les banques canadiennes aiment à se comparer aux banques américaines, qui réalisent des produits pharamineux. Nous n'avons pas pris autant d'expansion qu'elles. Si c'était le cas, notre taux de rendement pour les cinq dernières années serait comparable au leur. Nous avons fini par sortir de la récession au Canada. Nous venons tout juste de nous relever et nous allons probablement retomber en récession encore une fois après un nouveau ralentissement.
Ce que disent les banques qui proposent cette fusion ressemble à du protectionnisme. Elles se plaignent du fait que le gouvernement a préféré retenir l'offre de la Citibank pour ses cartes de crédit. Premièrement, la Banque Nationale est plus active que la Citibank dans le domaine des cartes de crédit; nous y tenons, et nous ne perdons pas d'argent avec ça. Deuxièmement, pourquoi est-ce que la Citibank devrait avoir tout ce qui se fait au Canada? Les banques se plaignent du fait que Fidelity a le plus gros fonds commun de placement, mais Fidelity était là avant toutes les autres banques. C'est sa spécialité. Mais est-ce qu'elle devrait pour autant accaparer le marché des fonds communs de placement? Est-ce que les autres banques ont peur de la concurrence? Est-ce qu'elles veulent se rationaliser et fermer des succursales pour se mettre à égalité avec ces gens-là?
Il me semble que cette idée d'accroître notre compétitivité par le protectionnisme ne convient pas au Canada. Quand on veut être efficient dans son propre pays, il faut s'associer à ceux qui sont efficients dans le monde entier parce que ce sont des concurrents potentiels. Autrement, on aura une structure de coûts plus élevée, et c'est le Canada qui en souffrira en définitive. Les consommateurs canadiens ont besoin d'un système bancaire efficient et productif. S'il n'y avait qu'une seule banque au Canada, ce serait parfait pendant quelques années. Par la suite, les choses se stabiliseraient. Mais, sérieusement, il ne suffit probablement pas d'en avoir une, ni deux, ni trois. Et il y pourrait bientôt en rester seulement trois.
Sur un plan plus fondamental, le Canada a hérité d'un système d'économies de portée, où les économies viennent de la diversité des services plutôt que de la taille des institutions. Toutes les banques canadiennes ont adopté le modèle des services bancaires universels. Elles font tout ce que leur permet la Loi sur les banques et elles aimeraient faire plus.
La diversité est importante. Nous faisons beaucoup de choses en même temps pour le même client. Mais évidemment, quand on fait toutes sortes de choses différentes, on ne peut pas être bon dans tout.
Nous offrons des services diversifiés parce que nos clients commerciaux peuvent aussi avoir besoin de notre carte de crédit. Nous les connaissons -- ou, du moins, certains de nos employés les connaissent -- et nous pouvons par exemple leur vendre une voiture. Nous n'avons pas besoin d'envoyer des lettres de prospection. Il nous suffit de savoir que le sénateur Kirby a contracté un prêt commercial et qu'il aimerait peut-être telle ou telle carte de crédit.
Ces économies de portée, dues à la diversité, sont à l'avantage des banques canadiennes. Pour permettre des économies d'échelle d'une manière ou d'une autre, il faudra une politique différente. Il y aura toujours quelqu'un quelque part qui ne fera qu'une seule chose, et qui le fera mieux. Les économies de portée sont le pain quotidien des banques canadiennes.
Quand la Banque Nationale installe un terminal de carte de débit dans un magasin du Québec, il y a un client sur deux de ce magasin qui est aussi client de la Banque Nationale. Quand nous effectuons l'opération de débit, nous retirons donc l'argent du compte du client à la Banque Nationale, et nous le versons dans le compte du magasin. Voilà un des avantages de la diversité.
Les liens étroits entre les services aux particuliers et les services aux entreprises, et entre les produits associés à chacun de ces secteurs, sont une des principales forces de l'industrie financière canadienne. Comme les auteurs du rapport MacKay, je pense que c'est la raison pour laquelle nous sommes efficients, comparativement aux Américains.
Il faut reconnaître que le rapport MacKay est assez complet. Nous sommes contents de voir que certaines questions y ont été soulevées, en particulier au sujet de la nécessité de favoriser les clients en général et d'accroître la concurrence. C'était le principal objectif du groupe de travail, et certaines des observations que nous avons déjà faites dans le passé vont probablement dans le même sens, surtout en ce qui concerne les assurances et le crédit-bail, parce que notre principal concurrent au Québec offre des services de ce genre.
Quand M. MacKay est venu nous rencontrer, nous lui avons dit qu'il appartenait au gouvernement fédéral d'harmoniser la législation et qu'il y avait un vide à ce niveau-là. Soit qu'à Rome, on fait comme les Romains, soit qu'on dit aux Romains de changer leurs façons de faire. C'est un problème pour nous, un problème de plus en plus sérieux.
On m'a demandé ce matin si nous devrions effectuer un examen général de la réglementation ou si nous devrions procéder au cas par cas. À mon avis, tout ce qui peut accroître la concurrence et rendre les institutions financières plus accessibles pour leurs clients doit faire l'objet de mesures législatives le plus immédiates possible.
Pour ce qui est des petites et moyennes entreprises, nous applaudissons la recommandation du rapport MacKay qui vise à garantir la qualité de l'information à laquelle ont accès les décideurs et le grand public. Nous reconnaissons qu'il y a un vide à cet égard. La Banque Nationale et d'autres font beaucoup mieux qu'on le croit dans ce domaine-là. L'obligation de divulguer nos données sera un bon moyen de faire avancer le débat et de favoriser la transparence.
Vous avez parlé des impôts. Nous voulons ajouter une chose. Notre société au Québec n'est pas imposée de la même façon que nous. Elle ne paie pas d'impôt sur le capital parce qu'elle n'est pas censée avoir de capital. C'est ainsi qu'une coopérative est censée fonctionner. Nous n'aimons pas ça, bien sûr. Cette société fait la même chose que nous, même si ce n'est pas de la même façon. Nous ne voyons pas pourquoi nous devrions être traitées différemment.
Le gouvernement provincial a corrigé la situation en partie. Le gouvernement fédéral est encore à la traîne de ce point de vue-là. Mais, de façon générale, nous sommes d'accord avec les auteurs du rapport MacKay quand ils disent que l'impôt sur le capital des institutions financières a un effet pervers. Nous pourrions régler à la fois un problème politique et un problème plus fondamental en supprimant cet impôt et en instaurant un meilleur régime fiscal.
Enfin, les auteurs du rapport MacKay font remarquer que notre banque est une des institutions financières dont la valeur nette se situe entre 1 et 5 milliards de dollars. Par conséquent, puisque nous sommes en deçà de 5 milliards, nous aurons accès plus rapidement aux secteurs des assurances et du crédit-bail. Nous aurons aussi une structure de capital et de propriété différente de celle des autres institutions. Il y aura certaines mesures à prendre, et je dois dire que la Banque Nationale n'a pas encore arrêté sa position à ce sujet-là.
Nous tenons cependant à mentionner que, avec les fusions qui s'annoncent, nous voudrions pouvoir disposer de la souplesse accrue qui est proposée, parce que nous allons devoir un jour prendre une décision sur cette question. La structure souple qui est proposée, en ce qui concerne tant les opérations bancaires que la structure du capital social, pourrait être utile un jour selon la direction que prendront les événements.
Enfin, nous pensons que les recommandations contenues dans le rapport contribueraient dans une certaine mesure à préciser le spectre d'une réglementation accrue, non seulement en termes de ce qu'on appelle l'approche réglementaire générale, mais également pour ce qui est de la réglementation touchant ceci ou cela. Nous l'avons mentionné ce matin, en termes plus diplomatiques. Ça romprait l'équilibre qui existait jusqu'ici. Ça accorderait également au ministre des pouvoirs discrétionnaires accrus.
Il faut y penser deux fois parce que ça existe déjà au Canada dans d'autres domaines de la réglementation. Dans le cas du CRTC, par exemple, il est possible d'en appeler des décisions devant le Cabinet. Si j'étais ministre, je n'aimerais pas avoir à renverser une décision prise par les gens qui auraient étudié un dossier. Je ne voudrais pas avoir à trancher et faire l'objet de pressions politiques après qu'une décision d'affaire aurait été prise sous le régime de la réglementation en vigueur.
[Français]
Quand j'étais professeur d'université, je prédisais que les succursales disparaîtraient dans 10 ans. Cela fait plus de 10 ans et elles existent toujours. Nous reconnaissons à la Banque Nationale que nous n'avons pas assez de succursales, mais elles sont trop grosses. Nous avons trop de pieds carrés et pas assez de succursales. Nous avons des projets dans des supermarchés. Un sénateur connaît très bien nos ambitions quant aux bureaux de poste. C'est à l'état de projet, mais j'aimerais que cela devienne réalité.
La diversité des réseaux s'est offerte. Les succursales dans les communautés jouent un rôle extrêmement important. Les succursales jouent un rôle important à des moments particuliers. Les réseaux alternatifs sont de plus en plus utilisés, le débit automatique, les machines bancaires, les guichets automatiques, les individus se déplacent.
On doit noter qu'il est très difficile pour nous aujourd'hui de statuer sur le réseau qui va finalement prévaloir sur les autres. Nous avons augmenté les choix pour les consommateurs et les consommateurs choisissent eux-mêmes les créneaux par lesquels ils veulent être servis.
Le grand problème, c'est de nous assurer d'une tarification adéquate. Si, au comptoir, cela coûte plus cher que dans un guichet, il faut tarifer de façon appropriée. Nous laisserons le marché ou les consommateurs décider. Nous subissons des pressions pour augmenter le nombre de succursales. Nous aimerions augmenter nos points de vente.
Au niveau banquier commercial, petites et moyennes entreprises, un plus grand rapprochement avec le client va s'opérer. Il est évident que dans le passé, ce marché a été abordé de façon homogène. La Banque Nationale s'est distinguée parce que nous avons régionalisé nos autorités de crédit et que nous avons résisté à la centralisation du crédit, même en payant en termes de pertes plus élevées. Dans le domaine bancaire, s'il y a un endroit où nous ajoutons de la valeur économique dans la société, c'est dans le prêt aux petites et moyennes entreprises.
Dans le milieu corporatif, il y a les vérificateurs externes, les analystes financiers des maisons. Nous produisons de l'information relativement à un client, nous détectons cette information, nous en faisons le suivi. Le banquier qui connaît son client et ses projets est aussi capable de prendre une décision parce que c'est une décision prise par un humain concernant un autre humain. Quand tous les états financiers sont déposés, nous pensons que le domaine bancaire est vraiment le prêt aux petites entreprises. C'est la valeur ajoutée de la banque qui est la plus élevée.
En ce qui concerne les autres domaines, nous avons constaté un éclatement dans des marchés extrêmement fluides, dans les prêts aux corporations, les participations sont internationales et les joueurs changent de nationalité assez rapidement.
C'est un marché fluide où les gens s'échangent des prêts et où les clients peuvent aller un peu partout, sont connus un peu partout. Un client qui est coté à la Bourse de Montréal ou de Toronto, qui n'a pas un gros chiffre d'affaires, peut faire l'objet d'une détention de ses titres par une banque au Luxembourg ou en Autriche. On ne peut pas légiférer à ce sujet. Il ne faut pas que tous les prêts et toutes les émissions soient faites au Canada.
Le sénateur Angus: Vous n'êtes pas politicien. Franchement, ce matin, vous en aviez l'air, mais ce soir, c'est différent. Nous apprécions vos commentaires sur les fusions proposées et sur le rapport MacKay.
[Traduction]
Nous avons parlé ce matin des règles de propriété, du cadre réglementaire et de certaines autres questions d'intérêt public soulevées par M. MacKay. Mais nous n'avons pas parlé de la question de la taille.
Nous nous sommes rendus à l'étranger pour rencontrer des responsables de la réglementation, des banquiers et d'autres intervenants. La question qui revient sans cesse est la suivante: Jusqu'à quel point la taille est-elle importante? Par exemple, sur les marchés intérieurs, est-il important d'être gros pour réussir? Je suppose que vous allez nous répondre que non, étant donné votre position.
Sur les marchés internationaux, est-il important pour un grand pays comme le Canada, membre de l'OCDE, d'avoir une banque classée parmi les 20 premières au monde? Cette question de la taille colore tout le débat.
M. Courville: Oui, vous avez raison, sénateur. Elle colore en effet tout le débat. Jusqu'à un certain point, les fusions proposées ont été laissées de côté dans la discussion sur la structure de l'industrie financière, ou du moins elles ont détourné l'attention de certains autres aspects.
J'ai plutôt tendance à me ranger du côté de ceux qui disent que la taille ne change rien. Pas nécessairement dans le secteur bancaire, mais à peu près partout ailleurs. En tant qu'ancien professeur d'économie, je vous dirai que si vous prenez le Fortune 500 et que vous comparez la rentabilité et la taille, il n'y a pas de concordance exacte. Les compagnies les plus grosses ne sont pas les plus rentables. Si la taille est importante, pourquoi est-ce que les plus grandes banques ne réalisent pas les plus gros bénéfices?
Si vous établissez un classement des banques américaines ou européennes, vous constaterez que quand la rentabilité augmente, la taille diminue. Pourquoi? S'il y avait des économies d'échelle, ce serait le contraire. Le seul pays où c'est le contraire, c'est le Japon. Plus les sociétés y sont grosses, moins elles y perdent. Nous allons vous fournir de l'information à ce sujet-là.
Nous avons effectué des études nous aussi parce que c'est une question qui nous intéresse beaucoup. Où se situe la taille minimum: à 25, 50 ou 75 milliards de dollars? Il semble que la taille minimum à laquelle il n'y a plus d'économies d'échelle est de 40 milliards de dollars. C'était un peu plus à une certaine époque.
Sur le marché intérieur, je ne crois pas que la taille soit importante. Nous l'avons bien vu aux États-Unis. La banque américaine qui se classe au troisième rang par sa taille, ou peut-être au cinquième, se trouve à Cincinnati, Ohio; elle a un actif de 22 milliards de dollars, et c'est la banque qui a le ratio le plus élevé en ce qui concerne la croissance de ses revenus. Or, sa taille n'a pas augmenté beaucoup depuis cinq ans.
Pour ce qui est du marché international, il faut se demander combien il y a de banques internationales dans le monde. Nous pouvons vous en nommer cinq, probablement pas plus. Ce sont de véritables banques internationales, qui sont là depuis 300 ans. La Citicorp Travellers est probablement une banque internationale, mais les autres n'en sont pas. Ce sont des banques nationales qui ont une forte présence ici et là, mais elles ne sont pas reconnues comme des banques internationales. Même la Deutsche Bank n'en est pas vraiment une. Elle a des activités internationales, mais on ne peut pas dire que c'est le porte-étendard des banques allemandes au Canada, ni aux États-Unis d'ailleurs.
Le sénateur Angus: Et la Banque de Hong Kong et de Shanghai?
M. Courville: Oui, c'en est une autre. On les compte sur les doigts de la main. Ce n'est pas mal, mais il leur a fallu du temps et de la patience. Ça ne s'est pas fait à coup de politiques nationales de subventions pour inciter ces banques à choisir cette voie-là. Ça faisait partie d'un effort concerté qui a duré des années. Même si nous en voulions une, pourrions-nous en faire la promotion avec succès sans mettre en péril notre propre mission? Je n'en suis pas sûr.
Le sénateur Angus: Vous étiez ici ce matin quand nous avons abordé la question d'un deuxième niveau de services bancaires de détail au Canada, aux côtés des sept ou huit banques déjà établies. On a dit que nous n'avions pas de deuxième niveau fort dans ce domaine-là, malgré l'existence des caisses populaires au Québec et des caisses de crédit dans certaines autres provinces. Est-il vrai que nous sommes faibles à cet égard-là? Si oui, pourquoi?
M. Courville: Nous avons cherché à promouvoir ce deuxième niveau en favorisant les sociétés de fiducie, surtout depuis 15 ans. Comme je l'ai dit ce matin, il y avait des contraintes, et c'est ce qui a causé leur perte. Le marché québécois est différent de celui du reste du Canada parce que les caisses populaires occupent environ 40 p. 100 du marché de détail. Il y a ensuite la Banque Nationale, avec 20 à 22 p. 100. À certains égards, parce qu'elles occupent à peu près 10 p. 100 du marché, les autres institutions peuvent être considérées comme des institutions de deuxième niveau. Elles ont réussi à survivre, et je suppose qu'elles font de l'argent puisqu'elles sont encore là.
Dans le reste du pays, les pratiques bancaires sont plus homogènes. Les sociétés de fiducie étaient censées être le fer de lance du changement, mais ça n'a pas été le cas.
Le sénateur Angus: Elles ont toutes disparu.
M. Courville: Comme je l'ai dit ce matin, je pense que c'est une erreur de réglementation, de supervision qui a causé leur perte, en plus d'un système d'assurance-dépôts mal structuré.
Le sénateur Angus: J'ai été étonné de voir que le nombre de banques de l'annexe II avait diminué radicalement au cours des dernières années et que certaines grandes banques britanniques qui étaient implantées ici, et qui n'aimaient tout simplement pas ça, avaient à peu près disparu. Pensez-vous que ce soit là aussi à cause d'une réglementation excessive?
M. Courville: Oui. Dans le passé, les banques étrangères qui voulaient s'implanter au Canada n'étaient pas autorisées à le faire en y ouvrant des succursales. Elles devaient constituer une nouvelle société, et les exigences qui leur étaient imposées ne leur permettaient guère de faire de l'argent. Si elles peuvent désormais se contenter d'ouvrir des succursales au Canada, elles pourront manoeuvrer un peu différemment et seront plus intéressées à rester.
Le sénateur Angus: Le président a parlé du cadre du débat sur la politique à adopter et sur la façon d'aborder cette question. Vous avez fait tout à l'heure un commentaire fort intéressant. Je n'avais jamais envisagé la question dans cette perspective-là. Vous avez dit que le problème, ce n'est pas que les banques sont trop petites et qu'elles doivent fusionner pour grossir; c'est peut-être qu'elles sont déjà trop grosses et que c'est le pays qui est trop petit. Le marché canadien et les caractéristiques démographiques et géographiques du Canada sont tels que nous devrions peut-être aborder la question sous un autre angle. Pouvez-vous nous en dire plus long à ce sujet-là? Il me semble que c'est un principe fondamental qui doit nous servir de point de départ.
M. Courville: Dans la plupart des systèmes bancaires, sauf dans un ou deux pays, la gestion est limitée au pays dans lequel les banques sont situées. Il y a bien sûr des pays plus petits que le Canada qui comptent plus de banques; je veux parler des banques intérieures, qui offrent des services aux particuliers et aux entreprises. Je ne parle pas des banques d'affaires, puisque leur cas est différent.
Le Canada n'a pas suivi l'exemple de certains de ces pays, du moins pas celui des États-Unis. C'est probablement ce qui explique que l'écart soit si grand. Si nous avions connu une croissance semblable à celle des États-Unis au cours des six ou sept dernières années, nous aurions eu moins de difficulté, et il y aurait moins de pressions pour que certaines des grandes banques canadiennes s'étendent à l'échelle de l'Amérique du Nord.
Soit dit en passant, certaines d'entre elles auraient pu le faire avant. Nous avons acheté une banque américaine il y a huit ans. Nous l'avons payée 33 millions de dollars, et elle va nous rapporter des profits d'environ 45 millions cette année. Nous l'avons achetée quand c'était bon marché là-bas.
Le sénateur Angus: Comme la Banque de Montréal l'a fait avec la Harris Bank.
M. Courville: Elle l'a achetée, et elle a été en difficulté pendant longtemps à cause de l'effondrement du système financier aux États-Unis. La société que nous avons achetée s'occupe uniquement de services aux entreprises.
Nous offrons seulement des services bancaires commerciaux aux États-Unis. En fait, même si notre banque est la plus petite au Canada, c'est celle qui est la plus présente aux États-Unis. Nous sommes implantés dans 22 villes américaines. Nous offrons des services bancaires aux entreprises américaines et aux entreprises canadiennes qui s'établissent aux États-Unis.
C'est un créneau particulier, qu'on appelle le financement sur l'actif; il s'agit de prêts plus risqués, pour lesquels nous exigeons plus qu'au Canada. Je sais que c'est une question qui préoccupe certains d'entre vous, et que vous voulez savoir pourquoi nous ne demandons pas assez ici. Si vous me posez la question, je vous fournirai la réponse.
Le président: Pouvez-vous nous la fournir maintenant?
M. Courville: Au Canada, les services bancaires commerciaux ont toujours été régis par l'article 432 de la Loi sur les banques, anciennement l'article 188, qui s'appliquait aux marges de crédit que nous consentions à nos clients d'affaires. Nous prenions automatiquement en garantie l'actif, les créances et les stocks, et nous tenions compte de la récupération en cas d'échec, tout simplement. Nous offrions des taux plus ou moins homogènes. Nous ne prenions pas les facteurs de risque en considération pour ce genre de prêts parce que c'était plus ou moins automatique.
Quand nous prêtons sur l'actif aux États-Unis, nous mesurons les risques. Nous le faisons maintenant au Canada également; j'y reviendrai. Nous mesurons donc les risques et nous fixons notre prix en conséquence. Nous surveillons aussi les créances et les stocks. Nous n'attendons pas que l'entreprise soit en difficulté pour commencer à le faire. Nous envoyons des vérificateurs toutes les semaines, si les risques sont élevés, ou tous les mois autrement. Nous avons un système de boîte postale qui oblige le trésorier ou les propriétaires de l'entreprise à obtenir l'autorisation de la banque avant de faire des chèques. Donc, si le trésorier veut par exemple acheter une Jaguar et que nous ne sommes pas d'accord, nous ne libérerons pas d'argent pour cet achat. Et le trésorier devra s'en tenir à notre décision. Nous surveillons la qualité de l'actif. Nous sommes ainsi en mesure d'évaluer les risques et de demander plus cher quand nous finançons des opérations plus risquées. Mais nous surveillons aussi l'actif, ce qui ne s'est jamais fait au Canada.
Nous essayons d'importer cette formule au Canada jusqu'à un certain point. Il y a déjà quelques sociétés qui l'appliquent. La Nations Bank a publié hier une annonce dans le Globe and Mail pour 5 millions de dollars. Pour la Nations Bank, ce n'est rien, 5 millions. Elle veut faire savoir aux gens qu'elle offre du financement sur l'actif. Capital GE le fait, et Congress. Nous commençons à le faire nous aussi. Newcourt également, mais il s'agit surtout de prêts commerciaux, et pas tellement de financement sur l'actif.
Pensez-y. Quand nous nous lancerons dans ce domaine-là, est-ce qu'il se trouvera des députés et des sénateurs pour se plaindre que nous demandons le taux préférentiel plus 2 p. 100 à un client et le taux préférentiel plus 5 p. 100 à un autre?
Le sénateur Meighen: Probablement.
Le sénateur Angus: Ils vont s'habituer.
M. Courville: Notre banque a mis au point un système de mesure et d'évaluation des risques. Nous pourrons fournir à nos agents chargés des comptes commerciaux des renseignements sur les risques que présentent les compagnies avec lesquelles ils traitent, et nous pourrons ainsi vendre des prêts plus risqués, si on peut dire, et expliquer la situation aux clients.
Le président: Et aux politiciens.
M. Courville: Probablement. C'est facile à comprendre, je pense. Nous avons dû refuser d'accorder certains prêts parce que nous ne pouvions pas demander suffisamment, parce que nous n'avions pas de système de mesure des risques et que nous n'osions pas vendre notre produit comme il l'aurait fallu. Maintenant, nous allons le faire. Nous avons actuellement plus de pertes sur prêts que certaines autres banques; notre rendement est donc inférieur au leur. Et nous sommes au Québec, où les risques sont plus grands. Il y a plus de nouvelles entreprises, et donc plus d'échecs; c'est le cas depuis des années. Nous devons tenir compte des risques et fixer nos taux en conséquence. C'est plus risqué au Québec. Nous aimerions porter notre revenu après pertes sur prêts au même niveau que celui des autres banques, et c'est seulement en établissant nos taux d'intérêt en fonction des risques que nous pourrons y arriver.
Le sénateur Oliver: Est-ce que vous exigez aussi des frais plus élevés pour les transactions, en plus de taux d'intérêts plus hauts?
M. Courville: Les taux peuvent être calculés en fonction du taux préférentiel; ils peuvent aussi s'appliquer à une gamme de services, ou encore à l'ouverture du dossier. Nous avons besoin de rapports de rentabilité compatibles avec les risques.
Le sénateur Oliver: Quand vous accordez du financement sur l'actif aux États-Unis, est-ce que vous percevez aussi des frais pour le crédit?
M. Courville: Oui. Les frais dépendent de l'écart entre le taux exigé et le taux préférentiel. Il y a un niveau cible de rentabilité en fonction du niveau de risques. La rentabilité vient du revenu sur la marge d'intérêt ou sur les autres revenus, comme les frais.
Le sénateur Kenny: Monsieur Courville, je ne sais pas pourquoi, mais j'ai l'impression que vous remplissez votre rôle de président de la Banque Nationale du Canada avec plus d'enthousiasme que votre rôle de président de l'Association des banquiers canadiens.
M. Courville: C'est là que je fais mon argent.
Le sénateur Kenny: Il m'a semblé en entendant vos commentaires que vous craignez surtout qu'une réduction du nombre de banques entraîne une réglementation accrue. Vous avez passablement insisté sur ce point. Je vous renvoie donc à la page 222 du rapport que nous sommes en train d'étudier. Le paragraphe 4c) précise très clairement qu'il ne faut pas assujettir toutes les institutions à des règles identiques. Pourquoi dites-vous qu'il y aurait plus de réglementation s'il y avait de plus grandes banques? D'après cette proposition, vous auriez droit à un traitement spécial.
M. Courville: Soit dit en passant, cette proposition s'applique à la venue de nouveaux participants, qui seraient sensiblement plus petits. Honnêtement, je ne pense pas que la Loi sur les banques soit un jour remaniée à ce point-là, de manière à ce qu'il y ait des dispositions différentes applicables aux différents types de banques. Nous pourrions avoir un paragraphe pour les nouveaux participants à un moment donné.
Permettez-moi vous expliquer ce que j'entends par la réglementation. J'ai rencontré des gens qui m'ont dit qu'ils n'aimeraient pas voir les banques offrir des services de crédit-bail automobile ou des services d'assurance, par exemple. Je leur ai demandé pourquoi. Je leur ai dit que certains de leurs électeurs préféreraient ça parce qu'il y aurait alors plus de concurrence entre les différentes sources de financement. Ils m'ont dit que j'avais raison, mais qu'ils trouvaient déjà les banques trop puissantes. Donc, si vous autorisez des fusions, allez-vous aussi permettre aux banques de s'occuper d'assurances et de crédit-bail automobile? Ça va peser dans la balance, j'en suis sûr.
Autrement, qu'on me corrige. J'ai peur que ça pose des problèmes au point de vue des ventes liées, des renvois de dossiers entre les employés des compagnies d'assurances et ceux des banques traditionnelles, des investissements dans la collectivité, des pouvoirs du ministre et des fonctions de l'ombudsman dont nous avons parlé ce matin. Nous croyons que ça alourdira le fardeau et réduira la souplesse d'un marché où les banques plus petites, comme la nôtre, sont probablement plus flexibles. J'ai toutefois reconnu, dans mes commentaires sur le rapport MacKay, que les banques et les autres institutions financières dont l'actif se situe entre 1 et 5 milliards de dollars veulent accélérer le processus relatif aux pouvoirs en matière de crédit-bail et d'assurances, tout en augmentant la souplesse de la structure.
Je crains que la réglementation augmente. Quand on concentre une industrie, il est naturel que les politiciens veuillent l'entourer d'une clôture plus solide. C'est ce qui nous fait peur. Corrigez-moi si je me trompe, mais vous avez raison de le souligner. Le rapport suggère certaines mesures intéressantes à cet égard, mais le régime de réglementation global qui y est proposé va très loin. Je soupçonne que, quand vous soumettrez votre rapport, et quand la Chambre des communes et le ministre présenteront les leurs, les nouvelles concessions et les nouveaux pouvoirs accordés à l'industrie vont entrer en ligne de compte dans l'établissement de la réglementation.
Le sénateur Kenny: Ne pensez-vous pas que le rapport laisse entendre, en corollaire, que le monde évolue tellement vite que la réglementation ne peut pas suivre le marché et qu'il faut par conséquent un gouvernement d'entreprise pour gérer tout ça?
M. Courville: Certainement. C'est une des réalités de la vie. La débâcle qui a touché les immobilisations à long terme aux États-Unis en est un bon exemple. Il y avait deux lauréats du prix Nobel parmi les partenaires, en fait parmi les fondateurs; ces gens-là sont pourtant censés être brillants. La réglementation avait du mal à les suivre. L'imagination humaine, surtout dans le domaine financier, est sans limites. C'est pourquoi je préfère faire l'objet d'une supervision comme celle qui s'applique actuellement au Canada.
Le Bureau du surintendant des institutions financières examine nos opérations chaque année. Ses gens se familiarisent avec nos nouvelles pratiques, et ils se forment. Il y en même qui viennent de chez nous. Ils se tiennent au courant de nos nouvelles opérations commerciales, ce qui leur permet de mieux comprendre ce que nous faisons et les contraintes que nous devons respecter.
C'est un bon système. Ce n'est pas de la réglementation en tant que telle, en ce sens qu'il ne s'agit pas de directives ou de restrictions; c'est plutôt de la gestion réglementaire, en un sens. Je préfère cette formule parce qu'elle permet à l'organisme de réglementation d'évaluer plus rapidement le rendement des institutions, et qu'elle nous permet à nous de présenter notre point de vue de façon beaucoup plus intéressante.
Le sénateur Kenny: Nous nous écartons des questions que j'avais l'intention de vous poser, mais je ne peux pas résister.
M. Courville: Je suis désolé de vous avoir mal compris.
Le sénateur Kenny: Vous m'avez très bien compris. Mais vous m'avez distrait.
Vous avez parlé encore une fois des instances de réglementation, en chantant leurs louanges. Je me dis toujours que le renard est entré dans le poulailler quand j'entends quelqu'un dire du bien des agents de réglementation. Ce qu'on nous dit, c'est qu'ils sont toujours en retard sur les événements, qu'ils sont mal payés et qu'ils n'ont pas les ressources dont ils auraient besoin. Les organismes de réglementation ne peuvent pas faire concurrence aux gens comme vous, qui peuvent attirer les gens les plus compétents et prendre les devants facilement. Si c'est vrai, je comprends que vous aimiez le système actuel.
M. Courville: Nous faisons partie d'une industrie. Si vous vous trouvez au sommet et qu'un de vos principaux concurrents a des problèmes, vous allez en avoir vous aussi. C'est encore plus vrai dans le secteur bancaire que n'importe où ailleurs. Quand une épicerie fait faillite, les magasins qui restent s'en trouvent mieux. Mais quand une grande banque canadienne a des problèmes, c'est mauvais pour l'ensemble du secteur. Tout le monde en souffre.
C'est le cas même pour les petites banques, comme vous le constaterez si vous lisez le rapport Estey; c'est ce qui s'est produit quand nous avons dû nous occuper de la CCB et de la Northlands. Les banques n'étaient pas du tout contentes d'avoir à éponger la faillite des sociétés de fiducie, par le biais de leurs primes d'assurance-dépôts.
Il nous faut une réglementation efficace qui garantisse dans la mesure du possible la solvabilité des membres du secteur financier. Nous sommes tous interdépendants. C'est ça qui est le plus difficile pour les banques. Nous sommes toutes étroitement liées. Le système de paiements fait que nous dépendons les unes des autres.
Le sénateur Kenny: Avez-vous dit que vous étiez en faveur d'une «déclaration des droits des clients» ayant force de loi et que c'était la première mesure que le gouvernement devrait prendre?
M. Courville: Non. Ce que j'ai dit, c'est qu'il fallait mettre en oeuvre toutes les mesures susceptibles d'augmenter la concurrence entre les participants et d'apporter des avantages immédiats aux clients.
Le sénateur Kenny: Donc, vous n'êtes pas en faveur d'une déclaration des droits des clients.
M. Courville: Ce serait encore de la réglementation, et j'ai déjà dit que ça me faisait peur.
Le sénateur Kenny: Êtes-vous en faveur d'une déclaration des droits des clients?
M. Courville: C'est difficile d'être contre, vous savez.
Le sénateur Kenny: J'attends votre réponse.
M. Courville: Je vais me montrer diplomate. Si vous n'aimez pas ma réponse, vous pourrez reposer la question.
J'aimerais que les clients soient mieux traités, en ce sens que j'aimerais qu'il y ait plus de transparence, plus d'information sur ce que nous faisons pour eux, pour qu'ils soient certains de faire une bonne affaire. Je ne suis pas sûr qu'une déclaration des droits inscrite dans la loi soit utile pour y arriver. Mais une concurrence accrue aiderait sûrement.
Le sénateur Kenny: Vous avez dit que la taille et la technologie n'allaient pas nécessairement ensemble. Il me semble que vous avez cité l'exemple de la carte de débit. S'agit-il d'une exception dont vous nous avez parlé parce que c'est votre banque qui a mis cette technologie au point, ou si vous croyez vraiment que nous ne verrons pas plus d'innovations et de progrès technologiques si les banques grossissent?
M. Courville: Je peux vous donner d'autres exemples, parce que ce sont des choses qui fonctionnent. Notre banque est la seule à s'occuper encore de ses propres services de paie. Toutes les autres les ont affermés. En fait, la société qui a acheté le service de la Banque Royale est venue nous voir avant d'aller voir la Banque Royale et nous a fait une offre. Elle s'intéressait beaucoup à la Banque Nationale et elle était probablement prête à payer un peu plus cher parce que nous sommes une banque francophone, qui fonctionne en français. Pour s'assurer une présence au Québec, elle avait besoin de quelque chose de francophone. Elle nous a offert seulement l'équivalent de deux ans de bénéfices. La Banque Royale et la Banque TD soutiennent qu'elles ne faisaient pas d'argent avec leurs services de paie. Pourquoi? Parce qu'elles sont trop grosses, ou parce qu'elles sont trop petites? Ce n'est pas parce qu'elles sont trop petites, puisque nous faisons nous-mêmes de l'argent avec ce service.
Nous en faisons aussi grâce aux cartes de crédit qu'utilisent les fonctionnaires fédéraux. Nous avons été les premiers à nous lancer dans ce créneau. Nous avons été les premiers à offrir des services bancaires par ordinateur aux particuliers. Nous avons fait équipe avec SCP, qui offre paraît-il un des meilleurs logiciels au monde pour la rationalisation de la comptabilité, de la gestion des ressources humaines, des services de paie, et cetera. C'est un nouveau partenaire, avec qui nous essayons de mettre quelque chose en place pour les entreprises de taille moyenne.
À ce que je sache, notre banque est la seule à s'être lancée dans le commerce électronique, en ce sens que nous relions électroniquement les paiements et tous les documents qui s'y rapportent et que nous les transmettons de la même façon entre les diverses entreprises, et entre les entreprises et les organismes gouvernementaux.
Il y a d'autres exemples que je pourrais vous donner. Le problème, c'est que nous adaptons notre stratégie à notre taille, et non notre taille à notre stratégie. Ce serait bien si nous avions des services d'imagerie, mais c'est tellement cher que nous ne pouvons pas nous les payer. Si nous étions plus gros, nous en aurions les moyens. C'est simple. C'est la vie. Et, soit dit en passant, tous nos clients sont dans la même situation. Ils nous disent: «Prêtez-nous deux fois plus et nous allons progresser plus vite. Bien sûr, nous allons avoir des revenus plutôt faibles pendant deux ans.» Mais ça ne marche pas comme ça.
Le sénateur Kenny: Je suis content que nous ayons reçu ce témoin parmi les premiers parce qu'après avoir entendu son témoignage, nous allons bien nous amuser avec les présidents-directeurs généraux des autres banques.
[Français]
Le sénateur Meighen: Vous nous avez fait deux présentations très franches, très ouvertes et nous vous en remercions. Ceux et celles qui nous regardent à la télévision auront une idée un peu différente de l'image traditionnelle des banquiers. On persiste en pensant que les banquiers sont tous des gens qui ne vous aiment pas et qui ne partagent pas vos attitudes.
Je reviens aux deux problèmes de la réglementation. Le sénateur Kenny vous a posé des questions là-dessus et a reçu une bonne réponse.
Quant à la compétition, vous avez dit que la possibilité des fusions soulève dans votre esprit le problème d'une réglementation accrue. Deuxièmement, vous avez dit que la compétition a diminué. En lisant le rapport MacKay, je dois vous avouer que je suis très impressionné par l'emphase qu'il met la nécessité d'une compétition accrue dans le secteur. Il souligne plusieurs moyens qui semblent aller dans le bon sens pour la permettre. Que voyez-vous dans ces commentaires qui vont dans le sens inverse?
M. Courville: En toute honnêteté, il y a une certaine ambiguïté dans le rapport MacKay à cet égard. On veut promouvoir plus de concurrence, mais nous ne la connaissons pas aujourd'hui. Elle est potentielle. Nous n'avons pas identifié qui bâtira de nouvelles banques ou des nouvelles coopératives. On dit que c'est permis. Une banque ou une institution de dépôt ne se bâtit pas rapidement. On sait ce qui arrive quand cela va trop vite.
Deuxièmement, le rapport MacKay nous dit que le système bancaire canadien est très efficace. Ses coûts d'opération sont plus bas et les prix demandés aux consommateurs sont plus bas que dans la plupart des autres pays examinés. Est-ce que vous pensez qu'en augmentant la concentration nous allons permettre un niveau de concurrence qui fera en sorte que les institutions seront aussi efficientes qu'aujourd'hui? Plus on restreint le nombre de joueurs, moins la compétition est intense et moins il y a une diversité d'expérience. Quand nous élaborons nos stratégies, nous n'en essayons pas huit. On en prend une. Peut-être que nos concurrents en choisissent d'autres. Habituellement, il y en a une qui fonctionne mieux que les autres. À ce moment, nous allons tous copier mais nous allons nous corriger. Si nous n'avons qu'une ou deux banques, il y aura seulement deux stratégies et nous allons nous retrouver avec des institutions qui ne seront pas aussi efficaces.
Le sénateur Meighen: Vous réduisez le nombre de joueurs canadiens et, par le fait même, vous augmentez, en théorie du moins, le nombre de joueurs étrangers au Canada.
M. Courville: Les banques étrangères viennent ici. Des mouvements d'expansion du marché sont portés par le cycle financier actuel. On verra quand l'économie changera si les ING aiment appuyer des coûts d'investissement avant que cela ne rapporte.
Le sénateur Meighen: Wells Fargo n'a pas de coûts d'investissement.
M. Courville: Peut-être que leur sélection n'est pas aussi bonne que la nôtre. On verra. Il est clair que ce sont des gens à la marge. Ils viennent dans des secteurs très spécifiques. Je vous rappelle que le système bancaire canadien est fondé sur un concept universel où l'ensemble des clients se retrouve avec une ou deux institutions, avec une gamme de produits très variés. C'est la caractéristique du système bancaire canadien, qui a réussi à être efficace sur le plan des paiements et des coûts d'opération.
Est-ce qu'en réduisant le nombre de partenaires, cela changera si vite? Je ne le crois pas. Ce n'est pas parce la Banque Royale se fusionne avec la Banque de Montréal qu'elle va réduire demain matin son «scope», qu'elle va occuper des niches particulières et qu'elle va être la meilleure au monde. Elle va garder sa base canadienne. Aujourd'hui, le système bancaire canadien bénéficie de la consolidation faite il y a 60 ans, alors qu'il y avait peu de banques au Canada avec un réseau de succursales, et de points d'entrée et de livraison très structurés. Ce sont des investissements qui constituent des barrières à l'entrée. Je ne vois pas quelqu'un qui peut arriver demain de novo et avoir un système diversifié comme le nôtre. On a une information sur un client pour un produit. On est capable de lui vendre un autre produit. C'est un avantage énorme que nous avons et, que d'autres institutions financières n'ont pas. Elles aimeraient avoir, mais seront-elles capables de le faire? Je ne crois pas que cela se produise. Plus de concentration va nous restreindre et lorsque les politiques publiques le constateront, on va réglementer davantage. C'est le scénario que j'anticipe. On peut parler beaucoup du futur.
Le sénateur Meighen: Peut-être que la Banque Nationale sera aussi vite que vous l'avez suggéré tantôt, et que vous allez prendre des parts de marché énormes et que vous allez chanter une autre chanson d'ici trois ou quatre ans.
Vous avez parlé d'une politique à la Banque Nationale où vous donnez plus d'autorité aux gérants locaux. C'est une chanson que l'on entend depuis des années. Vous avez bénéficié de cette pratique.
Dans ce contexte, j'ai souvent entendu la critique suivante que le gérant local connaît son monde. Au bout de quatre ou cinq ans, le bureau chef décide de le déménager ailleurs. Il arrive un nouveau gérant local qui regarde le livre des prêts et qui ne connaît pas les emprunteurs. Il se dit qu'il doit régler le livre avant de commencer son travail dans la communauté. Là, les problèmes arrivent. Est-ce que la Banque Nationale a trouvé une solution à ce défi?
M. Courville: Vous touchez au point le plus sensible, qui me préoccupe le plus, contre lequel je suis en train de baisser les bras. Nous avons un taux de rotation des directeurs de compte qui est trop élevé. La seule plainte constante que nous recevons des clients -- et je rencontre des clients au déjeuner deux fois par semaine et au petit déjeuner une fois par semaine -- est que nous changeons trop souvent de directeurs de compte. J'ai mené des guerres, des batailles, en disant à tout le monde que cela ne me fait rien de perdre des batailles, mais pas la guerre. J'ai l'impression d'être en train de perdre la guerre. Je connais le problème. Cela ne veut pas dire que je vais renoncer. Nous allons trouver des mesures palliatives pour s'assurer que deux personnes connaissent le dossier et que l'on ne déplace pas les deux en même temps. L'an passé, un cinquième de nos directeurs de compte a été engagé par nos entreprises clientes tellement elles les aimaient!
Vous voyez, aussitôt qu'il y en a un qui quitte, c'est difficile d'en déplacer un autre parce que c'est peut-être celui de l'autre région qui connaît mieux ses clients, et lui aussi perd ses clients. Cela fait deux groupes de clients mécontents pour un seul gérant qui est parti. C'est évident, ce que vous dites. On perd de l'information, de l'efficacité, de l'adresse dans le marketing en faisant cette rotation constante.
C'est toute la valeur de la connaissance de la clientèle qui est perdue. Ces coûts sont énormes et on mène une guerre. Je n'aimerais pas la perdre et on va être obligé de trouver d'autres moyens pendant que les batailles se produisent pour pallier aux inconvénients de cela. Je ne pense pas que nous pourrons régler cela bientôt. Il y a trop de phénomènes qui expliquent cela. Les gens veulent progresser. On avait 100 dossiers de petites entreprises qui étaient très bons. Un est devenu plus important, une partie de son dossier est transférée à un autre. C'est normal de vouloir un plan de carrière. On essaie de changer les bandes salariales pour dire à quelqu'un: vous allez être rémunéré davantage si vous faites bien le travail que vous avez présentement et non pas en vous donnant une autre job. C'est difficile de changer 30 ans de tradition très structurée. On a aboli cela, mais il faut toucher à tellement de manettes que cela va prendre plus de temps que je ne le pensais.
Le sénateur Hervieux-Payette: C'est peut-être une solution, mais l'occasion est trop belle pour régler ce problème qui semble beaucoup vous préoccuper. J'allais vous dire de nommer plus de femmes gérantes. Elles sont plus stables. Les études de main-d'oeuvre démontrent qu'elles changent moins souvent d'emploi et sont plus fidèles à leur employeur. Cela est scientifiquement prouvé. C'est le début pour l'avenir à la banque.
M. Courville: Je devrais ajouter que Mme Vachon en est un exemple. Nous avons fait des promotions à la banque depuis un an où le nombre de femmes était de l'ordre de trois à quatre. Elles sont tellement bonnes que l'on doit leur donner des promotions.
Le sénateur Hervieux-Payette: Je ne suis pas contre cela. J'ai dit à M. MacKay hier que le gérant du Canadian Tire était la personne la plus importante dans l'entreprise Canadian Tire parce que c'était la personne qui faisait marcher l'entreprise. Les gérants de vos succursales devraient être les piliers de votre banque et il faudrait voir leur rémunération en conséquence de leur rendement.
Sur la vente de l'assurance, je n'ai pas encore d'opinion. Je me pose encore la question car comme cliente, j'ai un grand conflit d'intérêt parce que je suis cliente de la banque et je reçois la publicité m'invitant à prendre la Croix Bleue pour mon assurance-voyage. Vous faites de la promotion et cela va aller encore plus loin parce que de toute façon, c'est ma fille qui avait mis en place le programme.
Si on donne la permission de vendre de l'assurance, allez-vous acheter la compagnie Croix Bleue? Est-ce vraiment pour partir un nouveau système, faire des acquisitions de compagnies, les intégrer dans votre organisation? Comment le client sera-t-il mieux servi? Comment ferez-vous mieux que le service que vous m'offrez à l'heure actuelle en étant le lien avec la Croix Bleue? Est-ce que je vais avoir une assurance-maladie, une couverture plus grande, moins chère? Quels vont être les avantages pour le consommateur parce que c'est l'objectif du rapport. Nos consommateurs, les clients, devraient recevoir le meilleur service au meilleur prix.
M. Courville: Notre prémisse est bien simple. On regarde notre principal concurrent au Québec, le Mouvement Desjardins, qui distribue de l'assurance-vie et de l'assurance générale. Il le fait bien, avec succès, en ayant exercé à la baisse une pression sur les primes de l'ensemble du Québec parce qu'il le fait de façon plus systématique et homogène. Il a démontré qu'en portant une attention systématique à la distribution d'assurance, on peut faire bénéficier le consommateur de primes plus basses ainsi que de méthodes de règlement des sinistres plus efficaces.
C'est la prémisse qui nous amène à dire dans le reste du monde que nous sommes l'un des seul pays où la banque-assurance est vue comme étant futuriste. Cela existe partout, pas toujours avec succès, j'en conviens.
Nous avons l'avantage d'offrir d'une manière plus systématique des produits qui nécessitent moins de magasinage, qui offre un meilleur prix et qui permet au consommateur d'être stimulé. Par exemple, vous pouvez recevoir de la Banque Nationale l'assurance de la Croix Bleue parce que vous allez en voyage. C'est quand même bien que l'on puisse vous la présenter. Vous n'y avez peut-être pas pensé. Il me semble qu'on vous rend un service, vous n'êtes pas obligé de prendre cette assurance. Plus on offre de choix aux consommateurs, mieux il s'en sortira. Plus il y aura de concurrents, plus il en sera ainsi. Le système de distribution d'assurance pourrait être amélioré. Les caisses populaires, les banques et les institutions financières dans d'autres pays l'ont démontré.
Le sénateur Hervieux-Payette: Vous avez joint vos forces de vente. Le produit a été développé par un spécialiste de l'assurance qui peut offrir ce service par d'autres canaux que ceux que vous possédez. Ce spécialiste va mettre sur pied une autre formule de vente. En quoi le fait que vous vendiez ce produit au comptoir directement et l'intégriez à l'intérieur des opérations de la banque changera-t-il le service que vous allez rendre au client? Je ne vois pas l'avantage. Vous pouvez donner accès à différents services. D'ailleurs, avec les différentes promotions, on peut tout acheter, un séchoir à cheveux, une vidéo, une caméra, et cetera. Ce sont des moyens pour stimuler la consommation.
Vous avez comme clients plusieurs concessionnaires d'automobiles au Québec. Ces même clients, comme entreprises, financent probablement leur inventaire chez vous. Vous allez offrir un service de location d'automobiles dans vos succursales. Après quatre ans, si les gens décident de remettre leur voiture, où allez-vous retourner ces voitures? Vous ne pourrez pas remettre ces voitures dans un parc de la Banque Nationale. Il va falloir que vous les remettiez sur le marché.
D'une part, le concessionnaire d'automobiles offre différentes formules de financement et de location-achat. Il les finance par le biais de votre banque ou la personne peut payer comptant. Je parle de la province de Québec en particulier, mais cela doit être la même chose au Canada, dans les petites villes où des gens travaillent dans ces garages. Généralement, le concessionnaire d'automobiles a un parc d'automobiles usagées attenant à son commerce. Vous allez donc devenir les concurrents des concessionnaires d'automobiles. Quel avantage aura le client lorsque la banque offrira un service de location de voitures? Allez-vous offrir toutes les voitures?
M. Courville: En ce qui a trait à l'assurance, je vais demander à Mme Vachon de faire quelques commentaires.
Mme Vachon: Tant dans l'assurance que dans la location, une multitude de réseaux de distribution et l'accroissement de la concurrence lié à une meilleure uniformité de la réglementation -- les institutions faisant la même chose -- feront en sorte que le consommateur sera en bout de ligne le gagnant.
L'assurance fait aussi partie d'une planification financière. De plus en plus, pour les particuliers, la fonction du conseiller est importante. En plus des planificateurs financiers, il y a des banquiers personnels. C'est une valeur ajoutée à cette fonction, si on regarde tous les aspects liés à la fiscalité pour les prochaines générations. Compte tenu du fait que la valeur ajoutée, le conseil auprès du client, prend de plus en plus d'importance à la banque, il est normal que les banques veuillent offrir un produit de première importance pour les consommateurs.
M. Courville: En ce qui concerne les services aux automobilistes, on va régler ces questions de le même façon que les autres. On a plusieurs concessionnaires d'automobiles comme clients. On n'est pas comme GM et Ford, on ne les amène pas à Hawaï pour leur dire de faire attention aux banques. Je leur dis qu'ils sont des prisonniers de leur compagnie. Je leur dis qu'ils auront des Chevrolet noires qui se vendent bien, seulement s'ils offrent un service de financement et de location. C'est le seul fournisseur de tous leurs services. Imaginez si la Banque Nationale offre le même produit que GM et, peut-être, à meilleur coût. Vous revendrez l'auto parce que nous ne voulons pas d'autos, nous n'avons pas de place pour les mettre. Nous allons la revendre pour vous. Nous ferons le financement plutôt que de le faire par la compagnie captive. Je m'excuse d'être un peu agressif face à cela. Et quand vous leur dites cela, vous sentez que nous touchons une corde sensible.
Le sénateur Hervieux-Payette: C'est important pour nous parce que ce sont deux services additionnels. J'aimerais poser des questions concernant l'assurance en général. Il y a toute la question des gens qui ont réussi les examens de l'Association des courtiers en assurance générale versus ceux qui ont étudié pour devenir conseillers financiers. Cela va prendre des gens savants afin qu'ils soient capables de faire de la planification. Ils devront être fiscalistes et spécialistes en assurance. Vos gens devront aller l'école assez longtemps pour savoir tout cela.
M. Courville: Le Québec actuellement est la seule province -- on est en pourparlers avec les autres provinces du Canada -- où on offre un cours de planification financière crédité. Au Canada, on considère que les normes québécoises sont trop rigides. J'ai dit à mes collègues des autres banques de faire attention, que cela pourrait nous distinguer. C'est vrai que cela coûte plus cher mais si l'on veut recevoir une bonne formation en planification financière, il faut que cela soit fait. Si tout le monde peut se désigner planificateur financier, cela créera des problèmes. Au Québec, le terme «planificateur financier» couvre la planification fiscale, l'assurance, et cetera. Il est bon d'alerter le consommateur à ces aspects parce que bien souvent, il ne l'est pas.
[Traduction]
Le sénateur Oliver: Monsieur Courville, j'ai beaucoup apprécié votre présentation. Je vous remercie de votre honnêteté. J'ai une seule question à vous poser. Elle porte sur le système bancaire actuel au Canada et sur certaines des recommandations du groupe de travail MacKay.
Si nous avons actuellement un aussi bon système bancaire, c'est notamment parce qu'il est sûr et solide. Et s'il est sûr et solide, c'est parce qu'il existe des règlements permettant au BSIF de faire en sorte qu'il le demeure.
Après avoir lu le rapport du groupe de travail, j'ai l'impression qu'il y aurait plus de réglementation; c'est aussi ce que vous avez dit dans votre témoignage. De plus, le rapport contient plusieurs recommandations qui accroîtraient considérablement les pouvoirs discrétionnaires du ministre des Finances. Vous avez dit que ça pourrait poser un problème et vous avez cité en particulier l'exemple du CRTC, l'organisme de réglementation qui prend les décisions relatives aux télécommunications et à la radiodiffusion. Quand le CRTC a terminé une enquête, les gens qui ne sont pas contents de sa décision peuvent la porter en appel devant le Cabinet.
J'aimerais que vous expliquiez au comité -- avant que nous commencions à parcourir le Canada pour recueillir des témoignages sur le rapport du groupe de travail -- si vous estimez personnellement, en tant que président-directeur général d'une grande banque, que nous pourrions avoir des problèmes majeurs si ces pouvoirs discrétionnaires quasi illimités ajoutaient une nouvelle dimension politique, s'ils politisaient quelque chose qui devrait être uniquement réglementaire. Est-ce que ça vous inquiète beaucoup?
M. Courville: Oui, parce que notre définition de l'«intérêt public» change parfois très rapidement. Des produits qui ne semblent pas vendables aux Canadiens aujourd'hui pourraient l'être dès demain. Ce n'est pas parce que les gens pensent qu'une chose est bonne qu'elle l'est nécessairement.
Les gens comme vous doivent exprimer clairement leur opinion. C'est une décision difficile à prendre pour vous, en ce sens.
Nous admettons tous qu'en définitive, le gouvernement doit gouverner, mais je préférerais qu'il le fasse au moyen d'une réglementation générale plutôt qu'en soumettant chaque cas à un ministre, ce qui entraîne un tout nouveau processus.
Dans le domaine de la réglementation, sauf pour ce qui est du CRTC, nous avons toujours cherché au Canada à établir une certaine distance entre la politique et la réglementation, et à avoir des organismes administratifs compétents. Nous avons un organisme de ce genre dans le secteur financier, qui est certainement compétent et que nous aimerions voir jouer un plus grand rôle.
Il me semble que, si nous introduisons cet élément, les décisions vont se prendre moins vite et qu'il faudra tenir compte d'autres éléments qui ne sont pas nécessairement souhaitables. C'est à vous de décider. J'ai certaines appréhensions parce que, dans le passé, les choses n'ont pas toujours été rapides ou appropriées.
Le sénateur Oliver: Comme vous le savez, le groupe de travail a pris sur lui de recommander dans son rapport la nomination d'un conseil d'administration indépendant pour le BSIF. Il y aurait ainsi des gens, à l'extérieur du gouvernement, à qui le BSIF pourrait soumettre certaines idées de stratégie. Qu'est-ce que vous pensez de cette proposition?
M. Courville: C'est une bonne idée, qui a bien marché dans d'autres pays. La SADC pourrait aussi s'assurer le concours de gens qui connaissent et qui comprennent bien le marché, et qui connaissent aussi les institutions. Ça donnerait sûrement au surintendant des renseignements essentiels, en plus des conseils dont il a probablement besoin. Il pourrait alors défendre plus facilement son point de vue devant ses pairs.
Le sénateur Oliver: Voulez-vous dire aussi que, si le conseil consultatif auprès du surintendant des institutions financières avait plus de pouvoirs, il ne serait peut-être pas nécessaire d'en accorder autant au ministre des Finances? Iriez-vous jusque-là?
M. Courville: Je ne pourrais pas vous dire. C'est certainement une avenue à explorer.
Le sénateur Oliver: Pensez-vous que ce conseil d'administration chargé de conseiller le BSIF devrait être composé de membres ad hoc, comme le gouverneur de la Banque du Canada et d'autres hauts fonctionnaires? Ces membres devraient-ils tous venir du monde des affaires et du secteur financier?
M. Courville: Ils devraient venir de tous les milieux. Je n'ai pas réfléchi à la question. J'hésite à vous répondre aussi vite, mais dans le cas du gouverneur de la Banque du Canada, par exemple, est-ce qu'il ne serait pas à la fois juge et partie? Les rôles de supervision et de soutien sont bien différents. Ils pourraient se coordonner, évidemment. Mais, à un moment donné, le BSIF doit définir sa propre stratégie au sujet de la surveillance des employés et des salaires. Il y a déjà quelqu'un qui l'a mentionné.
Il est probable que, de nos jours, surtout pour certains types de compétences, par exemple dans les domaines de la technologie et de la connaissance du marché, les gens qu'il faut embaucher dans ces domaines gagnent beaucoup plus que le banquier moyen. Par conséquent, pour les intéresser à travailler pour le BSIF, il faudrait probablement leur payer un salaire qui dépasserait l'échelle salariale normale en vigueur au gouvernement.
S'il y avait un conseil consultatif indépendant, ce genre de chose serait plus facile à faire accepter.
[Français]
Le sénateur Joyal: Nous avons entendu, de la part des représentants de la Banque Royale et des autres banques qui favorisent la fusion, que l'une des raisons pour lesquelles elles favorisent cette option, c'est l'apparition sur le marché canadien d'une forme de concurrence extérieure qui remet en cause leur capacité de maintenir leur emprise sur le marché canadien et, en particulier, dans le cas des petites entreprises, on donne toujours l'exemple de Wells Fargo. Comment deux institutions financières qui ont des ressources d'économistes aussi chevronnés peuvent arriver à une lecture diamétralement opposée sur la menace que représente la pénétration au Canada de la concurrence venant de l'étranger? Comment le consommateur ou le contribuable peut-il couper la poire en deux? Vous représentez une entreprise plus petite que les quatre autres banques qui demandent au gouvernement d'approuver leur fusion. Comment peuvent-elles nous dire que cette concurrence n'est pas terminale? Elle existe mais on peut la contourner. On peut y faire face. Il n'y a pas lieu de bouleverser fondamentalement la façon dont les services financiers sont fournis présentement au Canada. Comment l'Association des banquiers canadiens peut-elle réconcilier cette interprétation des conditions actuelles du marché?
M. Courville: Les économistes ne sont pas les personnes les plus appropriées pour répondre à cela. Nous avons engagé un de mes anciens étudiants qui, après avoir lu les documents, nous a dit que ce que vous dites avait bien du sens.
Mme Vachon: À prime abord, ce n'est pas la lecture qui est différente, ce sont les solutions à apporter. On fait tous la même lecture. Il y a une intensification de la concurrence au Canada. Cette concurrence, ou intensification de la concurrence, est faite dans les créneaux très précis de marché, que l'on parle Wells Fargo ou MBNA. Ce sont des segments très précis, très efficaces parce que ce sont de très gros joueurs qui font des économies d'échelle. S'il y avait au Canada une perte de concurrence liée aux fusions bancaires, les banques canadiennes auraient-elles une taille insuffisante pour faire face à des joueurs encore plus gros? C'est surtout la réponse que l'on donne à cette concurrence.
D'autre part, rappelez-vous que les fusions peuvent être une voie encourageante alors que la perte de concurrence augmenterait la réglementation ou obligerait à d'autres stratégies. La réponse est différente. On peut être une banque universelle et également une banque jouant dans certaines niches à l'extérieur. L'argument de taille pour nous n'a pas de prise comme étant une stratégie adoptée pour faire face à une concurrence.
M. Courville: Dans le fond, quand vous écoutez ceux qui proposent des fusions, vous ne connaissez pas leur stratégie ultime. Tout ce que vous entendez, c'est une certaine crainte, je dirais même une menace et notre survie n'est pas garantie. Ce n'est pas la survie. C'est peut-être la profitabilité qui n'est pas garantie. Je ne pense pas que la survie soit mise en cause. La Banque Royale demeure une banque importante et la Banque de Montréal, si petite soit-elle, est la 25e banque la plus importante en Amérique du Nord alors que nous représentons un quarantième du territoire. Vous ne connaissez pas leur stratégie. Cela est fait dans un dessein autre.
Le sénateur Joyal: Votre interprétation de la situation est que la concurrence qui vient de l'étranger continuera à venir de l'étranger et se fera sur des créneaux particuliers ou des produits particuliers. Vous avez mentionné monsieur Courville que ce n'est pas demain que la Banque de Hongkong aura des succursales sur une base concurentielle avec la Banque Nationale au Québec ou ailleurs au Canada, ou encore que n'importe quel ING se mettra à ouvrir des bureaux. Je ne pense pas que c'est vers cela que le marché semble vouloir se développer. La façon dont le décloisonnement se fait, c'est que l'offre de service précis, pointu, vient de l'extérieur et vise des parts de marché précises.
Mme Vachon: Oui.
Le sénateur Joyal: Par conséquent, si nous devons voir comment on devrait redéfinir les règles régissant la concurrence, est-ce que nous ne devrions pas nécessairement favoriser la consolidation de toute la capacité canadienne vis-à-vis certains produits particuliers plutôt que d'essayer d'ouvrir le plus largement possible tout le marché à l'ensemble de la concurrence qui peut venir de l'étranger?
Mme Vachon: Je ne suis pas sûre d'avoir saisi la question. Le point essentiel, si on y va par les champs d'activités de l'ensemble des institutions canadiennes, le rapport MacKay le reconnaît bien. Il faut une plus grande uniformité de la réglementation pour que la concurrence se fasse sur la même base.
Les banques canadiennes, cela a été dit à plusieurs reprises, de par l'histoire et la réglementation au Canada et de par la réalité de l'universalité canadienne font en sorte que les banques sont universelles. À l'heure actuelle cela n'a pas été une stratégie de dire qu'on devenait une banque universelle. Les banques le sont, résultat de la réglementation qui s'est faite ici beaucoup plus rapidement qu'aux États-Unis et de la réglementation géographique qui n'a jamais eu prise ici au Canada. L'important pour les banques est bien davantage d'uniformiser la réglementation à l'ensemble des joueurs pour chacune de ses activités.
Le sénateur Joyal: Est-ce que vous reconnaissez qu'il y aura certains produits financiers pour lesquels les institutions canadiennes seront peu concurrentielles? On nous donne toujours l'exemple du contrat de cartes de crédit qui a été donné à American Express au lieu de Visa ou Master Card.
Même si on faisait l'hypothèse de la consolidation de tout le système bancaire à l'intérieur d'une banque, il ne serait pas encore concurrentiel par rapport au produit d'American Express. Est-ce qu'il y a pas des produits pour lesquels les banques canadiennes devront dire que s'ils ne sont pas ouverts pour elles, ils le seront sur marché international?
M. Courville: Au Canada nous avons des «scope economies» qui font qu'en travaillant avec le même client de plusieurs façons, on contrebalance les économies d'échelle que d'autres peuvent avoir. Il est clair que les deux vont toujours s'opposer, mais je ne crois pas qu'il y en ait une qui l'emporte sur l'autre. On bénéficie des économies de portée du fait qu'on vend plusieurs produits aux mêmes clients.Ceux qui ne vendent qu'un seul produit ont des économies d'échelle, mais ils n'ont pas l'avantage des «scope economies». C'est l'un contre l'autre. Ce n'est pas en ayant une seule banque au Canada que l'on aura une banque universelle qui fera tout et qui sera bonne dans tout. Cela ne se peut pas.
Le sénateur Joyal: Faisons l'hypothèse que le gouvernement accepte la fusion. Dans le rapport MacKay, qu'y retrouvez-vous comme institution vous permettant de maintenir votre positionnement sur le marché, compte tenu des règles du jeu qui seraient fondamentalement changées?
M. Courville: On nous donne d'abord des assouplissements au niveau des pouvoirs qu'on recevra plus rapidement que les autres banques. On dit que les banques ayant un chiffre d'affaires inférieur à 5 milliards, auront une extension immédiate, aussitôt que le «time setting» sera sorti, des pouvoirs d'assurances et de location. Nous pourrons également changer la structure corporative de façon plus fluide. Finalement, nous pourrons même nous associer à d'autres institutions financières et créer des alliances nous permettant même d'être détenue à 65 p. 100 par quelqu'un d'autre, à la condition que notre conseil d'administration l'ait approuvé, ainsi que l'assemblée des actionnaires et le ministre. On nous donne de la flexibilité pour contrecarrer les effets de cette fusion.
Le sénateur Joyal: Est-ce qu'actuellement vous étudiez ces possibillités?
M. Courville: On n'étudie pas les possibilités d'une alliance. Lorsque le rapport est sorti, même un peu avant, nous avons sensibilisé le conseil d'administration de la banque aux enjeux qui s'offraient à nous. Cela nous ouvre des possibilités, mais cela nous pose aussi des questions existentielles assez marquées. La question est posée par le rapport MacKay. On ne pourra pas éviter ces fusions.
Sur la patinoire, il y a encore de la place pour des joueurs comme nous. Le rapport MacKay, est-il satisfaisant ou suffisant? Je ne le sais pas. Je vous dis ce que le rapport MacKay a fait. Ce sera à nous de déterminer si cela est suffisant ou non, ou de faire nos représentations si cela ne l'est pas.
Le sénateur Joyal: Vers quel type d'alliance vous orientez-vous?
M. Courville: Je ne peux pas répondre à cette question aujourd'hui. Cette question nous a été posée il n'y a pas très longtemps. Nous y sommes sensibilisés. Nous allons y travailler pour d'abord déterminer si cela est suffisant et nous ferons des représentations si cela ne l'est pas. Après cela, nous commencerons à penser à des stratégies.
[Traduction]
Le sénateur Callbeck: Je voudrais vous poser quelques questions qui découlent de vos commentaires. Ce que vous avez dit au sujet de la réglementation m'a semblé intéressant, et en particulier votre conclusion selon laquelle moins il y aura de banques, et plus il y aura de réglementation. Savez-vous s'il y a des cas, ailleurs dans le monde, où des fusions ont entraîné une réglementation accrue?
M. Courville: C'est probablement le cas en Hollande, en Australie et en Nouvelle-Zélande, où il y a eu une concentration du secteur bancaire. Je sais que vous vous êtes rendus dans certains de ces pays.
Le sénateur Callbeck: Vous avez parlé de l'ouverture de succursales bancaires dans les bureaux de poste. Je n'ai pas bien compris: est-ce que c'est déjà fait ou si c'est une chose que vous envisagez? Est-ce que vous songez à vous installer dans les bureaux de poste dans les régions où vous n'êtes pas déjà implantés, ou si vous avez l'intention de fermer des succursales existantes pour déménager au bureau de poste?
M. Courville: Non. Comme je l'ai déjà dit, nous avons trop de pieds carrés et pas assez de succursales. Nous aimerions être plus accessibles. Dans certaines communautés, la présence de deux concurrents ne se justifie pas. Au Québec, les caisses populaires sont présentes dans 800 localités. Si nous voulions nous y installer demain, nous ne pourrions pas le justifier dans les trois quarts des cas. Mais en nous associant avec un magasin, une station-service ou un bureau de poste, nous pourrions attirer ensemble assez d'achalandage pour que ce soit rentable pour les deux partenaires. Et nous augmenterions du même coup le rendement des bureaux de poste, en ce sens qu'ils pourraient réduire leurs coûts et demeurer ouverts.
Le président: Monsieur Courville, vous avez fait un travail remarquable. Nous vous remercions de nous avoir consacré autant de temps, surtout que vous avez commencé à 9 heures ce matin.
La séance est levée.