Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Banques et du commerce
Fascicule 29 - Témoignages du 5 octobre 1998
OTTAWA, le lundi 5 octobre 1998
Le comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui à 17 heures, pour étudier la situation actuelle du régime financier du Canada (Groupe de travail sur l'avenir du secteur des services financiers canadien).
Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Chers collègues, dans le cadre de notre étude du rapport MacKay, nous entendrons ce soir deux groupes de témoins, soit le Bureau d'assurance du Canada, puis l'Association des courtiers d'assurance du Canada. Vous avez la parole.
M. George L. Cooke, président, comité directeur du Bureau d'assurance du Canada sur la bancassurance: Honorables sénateurs, notre présentation portera sur certaines recommandations du rapport du Groupe de travail sur l'avenir du secteur des services financiers canadien. Je suis venu en compagnie de George Anderson, président et chef de la direction du Bureau d'assurance du Canada. Nous sommes tous deux ravis d'être ici.
Depuis sa parution, il y a quelques semaines, le rapport MacKay suscite partout au Canada des réactions animées, où dominent les voix des cinq grandes banques et des principales compagnies d'assurances. Collectivement et séparément, elles endossent entièrement le rapport et ses recommandations. Dans tout ce vacarme, on entend à peine les autres intervenants de second plan que sont les petites compagnies d'assurance-vie, les compagnies de fiducie, les coopératives de crédit, les grandes et petites sociétés d'assurances multirisques et, bien sûr, les consommateurs.
Je suis ici pour partager avec vous la perspective d'un secteur important de cet électorat largement laissé de côté. Ce faisant, j'agis à quatre titres. Premièrement, je suis président et chef de la direction de la compagnie d'assurance-générale Dominion of Canada, société d'assurances multirisques entièrement canadienne, qui distribue ses produits au Canada par l'intermédiaire d'un réseau de courtiers indépendants. Deuxièmement, je suis membre du conseil d'administration du Conseil d'assurances du Canada et président de son comité directeur sur la bancassurance. Troisièmement, comme Ontarien du nord transplanté à Toronto, j'ai la réputation d'être impatient face à la tendance de Bay Street à projeter son étroitesse d'esprit paternaliste sur les petites collectivités qui ont le malheur de se trouver à l'extérieur de Toronto. Quatrièmement, je suis un consommateur dérouté par la confusion qui semble entourer ce débat. Autrement dit, je me demande ce qu'il y a de bon ou de mauvais pour moi dans ce débat et qui veille sur mes intérêts.
Dans mes quatre rôles, je me suis penché sur une recommandation particulière du rapport voulant qu'on autorise les banques à vendre au détail des produits d'assurance, par l'intermédiaire de leurs succursales.
Les membres du groupe de travail semblent n'avoir pas tenu compte des engagements pris par le ministre des Finances Martin, au début de 1996, ni de la réponse enthousiaste qu'il avait reçue de tous les députés. Ce changement radical proposé par le rapport a été faiblement débattu comme étant la prochaine étape logique de l'évolution du secteur des services financiers. On a considéré que ce n'était pas une grosse affaire. Je suis d'avis que nous marchons à la catastrophe les yeux grands ouverts.
Avant d'aller plus loin, je signale que j'ai comparu devant le groupe de travail MacKay pour faire valoir des arguments très simples.
J'ai d'abord fait remarquer que le secteur des assurances multirisques est une industrie distincte. Le groupe de travail a retenu cet argument dans son rapport, mais n'en a pas tenu compte dans son analyse ni dans ses conclusions.
J'ai ensuite soutenu que la vente au détail d'assurances multirisques par les banques soulèverait de graves questions de respect de la vie privée et de ventes liées sous pression. Les membres du groupe de travail en ont convenu, mais ils ont commis l'erreur, à notre avis, de croire qu'une mesure législative répondrait de façon satisfaisante à ces questions.
Enfin, si l'on autorisait les succursales bancaires à vendre des assurances, il y aurait des pertes d'emplois considérables ans les régions rurales du Canada, avec toutes les répercussions locales que cela entraînerait. Le groupe de travail n'a pas du tout tenu compte de cette préoccupation.
Il est intéressant de noter que, selon les études que nous avons menées, 75 p. 100 des Canadiens -- 85 p. 100 des Canadiens de la région atlantique -- désapprouvent la vente d'assurances dans les succursales des banques, si cela devait entraîner des pertes d'emplois dans l'industrie des assurances.
Alors, pourquoi le secteur de l'assurance-vie semble-t-il se réjouir du rapport, alors que ce n'est pas le cas de celui des assurances multirisques? Qu'est-ce qui est si différent sur le marché des assurances multirisques? Pour commencer, environ les deux tiers des produits vendus par les compagnies d'assurances multirisques sont exigés soit par une loi provinciale -- l'assurance-automobile, par exemple -- ou par des institutions financières. Pour obtenir un prêt hypothécaire, il faut l'approbation d'une police d'assurance sur la maison. Cet argument n'a pas été retenu par le groupe de travail. Ce marché est lourdement réglementé, en vertu d'au moins dix lois provinciales différentes, et la concurrence y est très serrée. Les arrangements spéciaux que ce marché a pris pour respecter l'ordre public et les buts politiques exigent qu'une réforme rigoureuse soit entreprise avec des soins exceptionnels.
Les sociétés d'assurance-vie vendent des produits différents et sont donc moins réglementées. La loi n'oblige personne à souscrire une assurance-vie. Chacun est libre de le faire ou non. Les sociétés d'assurance-vie offrent des produits plus diversifiés, notamment des hypothèques et des caisses séparées. Ces sociétés rêvent d'avoir accès au système canadien des paiements. Elles aspirent au rôle des banques. Ce n'est pas le cas des sociétés d'assurances multirisques.
La vente et les services d'environ 75 p. 100 de toutes les assurances multirisques partout au Canada sont la responsabilité des 60 000 employés qui relèvent directement du réseau des courtiers. Ces courtiers ont la confiance et le respect des membres de leurs collectivités, parce qu'ils collaborent avec leurs clients tout au long de leur vie pour les aider à prendre des décisions éclairées sur des questions très importantes. Les courtiers et les sociétés d'assurances multirisques collaborent étroitement pour fournir le meilleur produit adapté à la collectivité et au consommateur. Leurs efforts ne passent pas inaperçus. En 1997, un sondage a été effectué auprès des consommateurs de tout le pays sur la qualité des services fournis par 21 industries. L'industrie de l'assurance-automobile s'est classée dans le premier tiers et les banques, dans le dernier tiers.
Disons-le franchement: l'une après l'autre, les études de marché montrent que les consommateurs n'aiment pas les banques, mais qu'ils apprécient les courtiers. Ils leur font confiance parce qu'ils savent qu'ils travaillent dans leur intérêt, et non dans celui des grandes entreprises. Ils ont confiance dans leur indépendance et ils savent que le courtier comprend la collectivité au sein de laquelle il travaille. Il en fait partie; il est solidaire de son avenir financier.
Curieusement, le groupe de travail fait allusion dans son rapport à la nature spéciale de l'industrie des assurances multirisques, mais, encore une fois, dans sa recherche et son analyse, il ne fait aucune distinction entre cette industrie et celle de l'assurance-vie, manifestant de ce fait une profonde incompréhension du marché des assurances. Cela est peut-être dû en partie au fait que cette industrie n'était pas représentée au sein du groupe de travail, alors que d'autres industries l'étaient.
Je ne peux que conclure que le rapport tente d'imposer de force un modèle étranger de services financiers, la bancassurance, qui fonctionne apparemment bien en Europe. C'est un modèle qui repose sur la déréglementation des quatre piliers de ce secteur de sorte que toute institution remplissant les conditions requises peut vendre une gamme complète de produits. Toutefois, l'analogie avec l'Europe est boiteuse. La France et le Royaume-Uni comptent chacun plus de 600 banques. Il y en a 3 600 en Allemagne et près de 10 000 aux États-Unis. Selon le document de travail du rapport, dans les grands pays de l'Europe, pas plus de 5 p. 100 des assurances multirisques sont vendues par l'intermédiaire des banques. Le rapport semble laisser entendre que, si les banques vendaient des assurances, il y aurait automatiquement plus de concurrence et un meilleur service à la clientèle. Il faut lire entre les lignes qu'il n'y a pas lieu de craindre que les banques s'accaparent le marché des assurances multirisques, puisque cela ne s'est pas produit en Europe.
Sans vouloir offenser personne, je soutiens que c'est faux. Dans un marché aussi dense que le leur, les banques européennes se concentrent sur la concurrence dans leur marché de base, soit celui des opérations bancaires. Elles ne peuvent se permettre d'en détourner des ressources pour livrer concurrence dans le secteur de l'assurance en fixant des prix abusifs ou en versant d'autres modes de subventions. Le marché des assurances multirisques est donc très diffus, même si les banques n'y participent pas.
Le contexte est bien différent au Canada. Pour l'instant, il existe cinq très grandes banques. Le Canada n'est pas l'Europe. Les solutions européennes ne peuvent être imposées au marché canadien.
Les membres du comité savent que, depuis 1992, les banques peuvent vendre des assurances par l'intermédiaire d'une société distincte. Ce qu'elles n'ont pas obtenu encore, et pour de bonnes raisons, c'est le droit inconditionnel de le faire par l'intermédiaire de leurs propres succursales, ou d'avoir accès pour le faire, en totalité ou en partie, aux listes de leurs clients. Pourquoi? Comme le rapport le mentionne, il est établi que des banques recourent à la pratique des ventes liées sous pression. Le rapport recommande que la loi interdise cette pratique.
Avant d'approuver une hypothèque ou un prêt, une banque ne pourra plus obliger le client à acheter un autre produit financier. Le problème sera-t-il réglé pour autant? Pas tout à fait. Il y a diverses formes de ventes liées. Selon le sondage réalisé par le groupe de travail, 16 p. 100 des personnes interrogées ont déclaré avoir été l'objet de telles pratiques coercitives. On leur a dit qu'elles devaient confier leur portefeuille de REER à la banque, avant qu'il soit possible de discuter plus à fond d'une hypothèque. Autrement, on disait ne pas pouvoir les aider. Si ce n'est pas de la coercition ou de la vente liée, je me demande bien ce que c'est.
Il n'est tout simplement ni possible ni pratique de légiférer de manière à prévoir toutes les situations. Voici un exemple opportun. L'article 459.1 de la Loi sur les banques, devant interdire la pratique des ventes liées par les banques, a finalement été proclamé la semaine dernière, au terme de longs et vigoureux débats. Or, la modification apportée ne respecte pas les conditions stipulées dans le rapport MacKay.
Qu'arrivera-t-il de plus, quand les banques vendront directement des assurances dans leurs succursales? Je crains qu'on ne les invite ainsi à s'ingérer dans la vie privée de tout Canadien qui a un jour ouvert un compte de banque, acheté une maison, demandé un prêt ou investi dans un régime de retraite. Les banques ont amassé une quantité de renseignements confidentiels auxquels elles ont accès sur les antécédents de crédit, de santé, d'emploi et autres antécédents personnels. Elles sont libres d'en faire usage pour leur avantage commercial et cela, en toute impunité. Une banque peut tenir compte de ces dossiers pour évaluer le risque d'un éventuel client. Sans avoir accès à une somme comparable de renseignements, les assureurs devront se retirer ou faire faillite. Les banques recueillent des renseignements personnels de nature délicate à des fins précises. Je crois que les Canadiens répugneraient à permettre la divulgation de tels renseignements pour favoriser les activités commerciales des grandes banques. En fait, les études de marché confirment ces craintes.
Le rapport propose de s'inspirer du projet de loi 188 du Québec pour s'attaquer à ces questions concernant la vie privée. Je soutiens qu'au contraire, l'adoption de règlements byzantins augmente la confusion, fait perdre du temps et est finalement préjudiciable aux consommateurs. Si les grandes banques avaient les pouvoirs étendus en matière d'assurances, comme le propose le groupe de travail, il en résulterait, d'après nos calculs, plus de 20 000 pertes d'emplois dans l'industrie des assurances multirisques, partout au Canada. La majorité de ces pertes d'emplois se feraient aux dépens des courtiers d'assurance indépendants établis dans de petites villes partout au Canada. Selon toute vraisemblance, les emplois créés par les banques dans le secteur de l'assurance se situeraient presque exclusivement dans les grands centres urbains et peut-être à l'extérieur du Canada. Le fardeau de ce bouleversement pèserait de façon disproportionnée sur les régions rurales. Pourtant, nulle part dans son rapport de 292 pages, ses cinq documents de travail et ses 18 études, le groupe de travail n'a analysé les répercussions sur l'emploi de sa recommandation sur la vente au détail d'assurances. Il y a seulement une note, à la page 108 du rapport, faisant état en passant de la possibilité d'une perte d'emplois existants.
Si le régime recommandé dans le rapport est mis en oeuvre, il ne faudra pas beaucoup de temps avant que des courtiers ferment leurs portes, incapables de soutenir la concurrence des cinq ou trois grandes banques. Le départ de ces courtiers entraînera celui de petits assureurs multirisques, membres d'une industrie farouchement concurrentielle de quelque 230 entreprises qui emploient actuellement environ 100 000 Canadiens.
Les banques déclarent avec sollicitude qu'il n'y a rien à craindre -- que tout se fait au nom de la concurrence, de la protection du consommateur et de la vigueur de l'économie canadienne. Je déclare respectueusement que le dossier des banques laisse à désirer en ce qui concerne les consommateurs et les petites entreprises. Elles n'ont pas fait grand-chose pour gagner la confiance de la population. Les Canadiens ne sont pas disposés à croire leurs paroles creuses et intéressées. Ils ont raison. La concurrence ne sera pas plus vive. La part du marché sera très concentrée. Ma ville de Haileybury, qui compte 2 500 habitants au nord de North Bay, fait vivre deux courtiers et une banque. Tout porte à croire que ces gens n'auront plus bientôt qu'une possibilité, celle de s'adresser à une seule banque. Et on nous parle de stimuler la concurrence.
Il faut se demander pourquoi le groupe de travail endosse ainsi la vente au détail d'assurances par les banques. Pourquoi écarte-t-il si cavalièrement l'industrie canadienne des assurances multirisques? Le rapport prétend favoriser des marchés plus concurrentiels et des conditions économiques et législatives appropriées. Où recommande-t-il d'autres couches de réglementation? Dans un marché hautement concentré, quel sera l'avantage d'une loi autorisant les ventes liées? Si la concurrence est réduite, le consommateur n'aura guère de choix. La coercition deviendra une réalité. Pourquoi porter aux nues le projet de loi 188 du Québec, alors que c'est un enchevêtrement de règlements que ne comprennent pas encore ceux-là mêmes qui doivent les appliquer? Est-ce une panacée? Il faut se rappeler que pratiquement tous les groupes de consommateurs du Québec ont dénoncé ce projet de loi. On ne peut que se demander qui ou quoi, outre les banques, sera avantagé si jamais cette recommandation est adoptée.
Le message que je vous adresse est urgent et je crains qu'il ne se perde dans le débat passionné que suscite la fusion des banques. En même temps, l'industrie des assurances multirisques ne veut pas devenir un prix de consolation. Elle ne tient pas à servir d'amuse-gueule à la table somptueuse du banquet des banques canadiennes. Les assurances multirisques ne retiennent pas l'attention de la population ni des médias canadiens, mais les pertes d'emplois le font, de même que l'invasion de la vie privée, la coercition et la puissance accrue des banques. Les Canadiens ont peur et ils ont raison.
Les Canadiens ont entre les mains le rapport d'un groupe de travail qui ne tient même pas compte de sa propre conclusion voulant que les assurances multirisques représentent une industrie distincte. Ce groupe de travail se moque avec désinvolture du risque d'une perte d'emploi, d'une suppression d'emplois et des difficultés économiques dans les collectivités rurales. Il croit naïvement que la protection de la vie privée et l'interdiction de comportement coercitif peuvent être assurées comme il faut par des lois, des règlements et diverses mesures d'exécution. Il induit en erreur tous ses lecteurs quant à l'attitude des consommateurs en s'en remettant à des sondages de l'opinion publique qui ne résisteraient pas à un examen sérieux. On nous dit que tout cela vise à avantager les consommateurs.
Dans les jours, les semaines et les mois qui viennent, d'autres membres de l'industrie et moi-même allons continuer à travailler dur pour faire valoir nos préoccupations. C'est important pour notre industrie, pour les Canadiens et pour le Canada.
Je serai heureux de répondre à des questions.
Le président: En toute justice envers le groupe de travail, je dois clarifier les observations que vous faites et le ton qui marque votre mot d'ouverture, lorsque vous dites:
Les membres du groupe de travail semblent n'avoir pas tenu compte des engagements pris par le ministre des Finances, au début de 1996.
Le groupe de travail n'avait pas pour mandat de se pencher sur la politique actuelle. Il devait plutôt donner un aperçu de l'avenir de l'industrie. Le mandat du groupe de travail disait explicitement que ce dernier pouvait faire des observations sur tout changement pouvant se révéler nécessaire dans un secteur des services financiers et qu'il ne devait pas se sentir lié par une déclaration ou une politique existante. Selon moi, il ne sert à rien de critiquer le groupe de travail sous prétexte qu'il propose un changement de politique que l'on déplore ni de soutenir qu'il n'aurait pas dû faire la proposition simplement parce que la politique existait.
Je ne dis pas qu'il faut absolument approuver les conclusions du groupe de travail, mais que le fait de les critiquer parce qu'elles proposent un changement va à l'encontre du but visé au moment de la formation du groupe de travail.
M. Cooke: Puis-je apporter une précision?
J'accepte volontiers votre argument, mais je crois que la déclaration du ministre -- et je doute qu'il l'ait faite à la légère -- tranche nettement avec l'absence de commentaires sur notre industrie dans le rapport du groupe de travail. Je suis prêt à admettre que mon message était peut-être mal formulé, mais il est pertinent.
Le sénateur Joyal: Dans votre mémoire, vous soutenez qu'une des principales raisons qui justifient une recommandation du rapport MacKay, selon laquelle les banques devraient participer activement dans ce secteur, c'est qu'une concurrence plus vive favoriserait les consommateurs.
Pouvez-vous décrire la concentration du secteur des assurances que vous représentez en tant qu'association?
M. Cooke: Au Canada, il y a 230 assureurs autorisés. Le plus important de ces assureurs possède une part de marché d'environ 10 p. 100. La part du marché du deuxième est à peine plus petite, puis la diminution s'accentue.
Du point de vue géographique, le marché est plus concentré au Canada atlantique où, par suite de récentes fusions, quatre grandes sociétés accaparent jusqu'à 45 p. 100 du marché, puis les parts de marché diminuent radicalement.
En général, disons qu'aucune entreprise ne domine dans aucun secteur, nulle part au Canada. C'est un marché hautement concurrentiel et non concentré.
Le sénateur Joyal: Pouvez-vous nous dire combien de sociétés étrangères font partie de ce secteur, par rapport aux sociétés canadiennes?
Le groupe de travail semble avoir établi qu'une concurrence était nécessaire. Je voudrais savoir si les activités de ce secteur sont concentrées entre les mains d'un petit nombre. Votre mémoire n'aborde pas cette question, qui est pourtant élémentaire dans le rapport MacKay.
M. George D. Anderson, président et chef de la direction du Bureau d'assurance du Canada: Environ 65 p. 100 des sociétés qui se livrent concurrence sur le marché sont étrangères. Il y a à peu près 70 sociétés entièrement canadiennes sur le marché des assurances multirisques.
Bon nombre d'entre vous savent peut-être que nous nous sommes dotés d'une organisation mondiale, parce qu'il faut une fonction de réassurance sur notre marché pour que les ressources mondiales entrent en jeu en cas de grandes catastrophes. Nous avons utilisé cette fonction, par exemple, au cours de la récente tempête de verglas dans l'est de l'Ontario et au Québec.
M. Cooke: Cette structure suppose que quatre des dix ou onze principales sociétés seraient canadiennes et les autres, européennes ou américaines.
Le sénateur Joyal: J'allais justement poser cette question. Combien y a-t-il de sociétés américaines et combien de sociétés européennes?
M. Cooke: Il y a nettement plus de sociétés européennes que de sociétés américaines, mais au moins une des dix principales sociétés est d'origine américaine.
Le sénateur Joyal: Quand vous dites que 70 p. 100 des sociétés sont canadiennes, qu'est-ce que cela signifie?
M. Anderson: Vous faites erreur, j'ai dit qu'il y avait 70 sociétés canadiennes.
Le sénateur Joyal: Quel est le volume d'activités de ces sociétés?
M. Anderson: Je dirais le tiers.
M. Cooke: C'est exact, environ le tiers.
Le sénateur Joyal: Vous faites allusion, à la page 7 de votre mémoire, de l'annonce faite la semaine dernière par le ministre des Finances concernant la proclamation de la Loi sur les banques. Vous dites que la modification ne réunit pas les conditions stipulées dans le rapport MacKay. Pouvez-vous expliquer davantage votre pensée?
Le sénateur Oliver: Il faut se reporter à la page 217 du rapport.
M. Cooke: Il convient de signaler deux choses. Sauf erreur, le rapport MacKay propose que des modifications soient apportées à l'article 459.1 pour qu'il s'applique à une gamme beaucoup plus large de services financiers, y compris tous les produits de crédit, d'assurance ou autre.
Ensuite, le rapport traite notamment de l'élaboration d'un document à remettre au client avant la conclusion d'un contrat de services financiers aux fins de souscription d'assurances ou d'octroi de crédits. Il recommande également de légiférer de manière à prévoir des recours en cas d'infractions ayant trait aux ventes liées, notamment en prévoyant des poursuites ou des recours privés devant l'ombudsman proposé ou les tribunaux. Les recours civils devraient inclure des dommages-intérêts punitifs. Les fournisseurs et les intermédiaires devraient être tenus de veiller à ce que chaque vendeur reçoive la formation voulue pour éviter l'exercice de pratiques de ventes liées avec coercition. Les institutions financières sont invitées à détailler et tarifer séparément les différents éléments d'un ensemble de services qu'elles offrent. Il faudrait inscrire dans toutes les lois concernant les services financiers le principe protégeant les clients de services financiers contre l'exercice de coercition.
Sauf erreur, l'article 459.1 ne prévoit pas de telles dispositions. Bien sûr, je suis d'avis que toutes les discussions concernant cet article 459.1, de sa présentation jusqu'à son adoption, ont été tendues parce qu'il a créé de la division et suscité diverses positions.
M. MacKay propose une solution beaucoup plus exhaustive qui va beaucoup plus en profondeur que celle dont il est question aujourd'hui. Permettez-moi de faire valoir deux arguments à cet égard. Premièrement, nous sommes opposés à ce que l'on dise s'attaquer aux ventes liées du fait que l'article 459.1 vient d'être proclamé, puisque cet article n'aura pas le même effet que la solution proposée par M. MacKay. Deuxièmement, je souligne sa perception des tentatives faites pour s'attaquer aux ventes liées et à la coercition.
Dans son rapport, M. MacKay fait remarquer qu'il n'est pas nécessaire de s'abstenir. Après avoir adopté plusieurs séries de règlements, il arrive un point où il faut s'abstenir de réglementer. Nous en convenons.
Le sénateur Joyal: Sur la question des ventes liées, le rapport MacKay recommande des recours pas seulement contre les banques, mais aussi contre tous les secteurs financiers. Accepteriez-vous d'être assujetti à des règlements semblables à ceux que vous venez de décrire sur les questions visées par les recommandations du rapport MacKay?
M. Cooke: J'accepte sans difficulté toutes les mesures progressistes de protection du consommateur, dans la mesure où elles le protègent vraiment.
Il faut cependant établir un équilibre entre des lois qui deviennent inutilement envahissantes et qui, par conséquent, coûtent cher, prennent du temps et alourdissent la bureaucratie, et la protection des intérêts des consommateurs qui doit primer sur tout le reste. Pour imposer de force une solution, qui n'est pas indispensable de prime abord, on propose des séries de règlements. Si l'on s'en abstient, on évite le problème.
Le sénateur Oliver: Je reviens à la première question du sénateur Joyal et vous demande qui possède vraiment ces sociétés d'assurances multirisques.
Dans le rapport du groupe de travail, la solution proposée par M. MacKay n'est pas seulement de procéder à des fusions, mais aussi de conclure des alliances stratégiques. Dans votre témoignage, vous n'avez pas parlé de telles alliances. Il semble que certains doutent que les banques canadiennes veuillent faire disparaître les sociétés d'assurances multirisques. C'est que bon nombre des sociétés qui possèdent une grande part du marché sont des sociétés étrangères solides qui ont accès à des capitaux beaucoup plus facilement que les banques canadiennes. Les banques voudraient plutôt conclure des alliances stratégiques, la Banque Royale avec la société Co-operators par exemple. Croyez-vous que le groupe de travail facilite la conclusion de telles alliances entre les banques et les sociétés d'assurances multirisques?
M. Cooke: J'ignore s'il facilite cela ou non. Je ne suis pas certain qu'on puisse aujourd'hui empêcher des alliances stratégiques, selon la définition que l'on donne à cette expression. On pourrait facilement prévoir qu'un réseau de courtiers indépendants distribue des produits bancaires, tels que des hypothèques, des CPG et des fonds mutuels. Je me demande si le groupe de travail est nécessaire à cet égard.
Pour ce qui est de la concurrence, ING possède moins de 10 p. 100 du marché canadien des assurances multirisques.
Le sénateur Oliver: Quelle est l'importance de la banque ING dans le monde?
M. Cooke: C'est une très grande banque ailleurs dans le monde, mais elle ne l'est pas tellement au Canada aujourd'hui. Ce n'est pas tant la taille de cette banque qui fait problème. Nous pouvons soutenir honorablement la concurrence d'ING ou de la société américaine State Farm, pour ne nommer que celle-là. La question ici, c'est que l'accès à l'information de ces institutions et leur capacité de diriger les clients confère un avantage déloyal. Nous sommes d'avis que les banques canadiennes bénéficieraient d'un avantage déloyal envers les sociétés étrangères membres de l'industrie des assurances multirisques. Je ne parle pas au nom d'une fiducie nationaliste ici.
Le sénateur Oliver: En réponse à ma question, vous avez dit que vous n'étiez pas certain que le groupe de travail soit nécessaire pour que les banques concluent des alliances stratégiques. Si c'est le cas et si de telles alliances sont possibles aujourd'hui, en vertu des lois actuelles, comment pouvez-vous parler de la vie privée et des ventes liées?
M. Cooke: Comme je l'ai mentionné précédemment, tout dépend de la définition que l'on donne à l'expression «alliance stratégique». Selon la définition que j'utilise, si je voulais conclure un accord avec une banque pour que MasterCard soit offerte par un courtier indépendant d'assurance-maison, tous les produits ne viendraient pas de la même institution. Une alliance viserait les produits de trois institutions qui seraient, par exemple, réunis par un courtier indépendant local qui défendrait vraiment les intérêts des consommateurs.
Le groupe de travail se reporte à des circonstances tout à fait différentes.
Le sénateur Oliver: La deuxième question posée par le sénateur Joyal concernait la vie privée. Sur ce sujet, vous avez fait des déclarations très catégoriques qui figurent aux pages 3 et 8 de votre mémoire. Ainsi, à la page 3, vous dites: «une succursale bancaire vendant au détail des produits d'assurance multirisques soulèvera de très graves questions de respect de la vie privée et de ventes liées coercitives». Puis, à la page 8: «Les banques ont amassé une quantité de renseignements confidentiels auxquels elles ont accès sur les antécédents de crédit, de santé, d'emploi et autres antécédents personnels.»
Vous avez posé des questions à l'Association des banquiers canadiens concernant les recommandations du groupe de travail MacKay sur la vie privée et, d'une façon générale, les banques sont disposées à les accepter. En répondant au sénateur Joyal, vous avez dit qu'en adoptant l'article 459.1, on n'allait pas assez loin. Toutefois, selon le rapport MacKay, la loi devrait être proclamée avec des modifications qui élargissent sa portée, incluant les points que vous avez énumérés.
Que reprochez-vous aux recommandations du groupe de travail concernant la vie privée? Quelle modification y apporteriez-vous? Qu'y ajouteriez-vous?
M. Cooke: Je n'y ajouterais rien. D'abord, je n'ai pas dit que l'article 459.2 allait assez loin pour moi. J'ai donné mon opinion là-dessus. J'essayais de faire remarquer que l'article 459.1 ne correspondait pas à ce que le rapport MacKay recommandait; il y a des différences entre ce que prescrit la loi actuelle et ce que recommande le rapport MacKay.
Le sénateur Oliver: Cela ne fait aucun doute.
M. Cooke: C'est mon point de vue et c'est important.
Le sénateur Oliver: Cette modification a été rédigée avant la parution du rapport du groupe de travail MacKay. Ce rapport présente maintenant de nouvelles recommandations excellentes concernant la vie privée. Qu'en dites-vous?
M. Cooke: Je ferai deux observations. Premièrement, s'il n'existe aucune bonne raison pour modifier une situation, ou si ce genre de mesure législative envahissante n'est pas nécessaire, pourquoi le faire? En d'autres termes, si nous avons un environnement concurrentiel, sain, vigoureux et axé sur le consommateur, où ce dernier est bien servi et heureux, pourquoi ajouter toutes ces dispositions législatives?
Deuxièmement, permettez-moi d'expliquer à quel point tout ce domaine est complexe. À moins de trouver le moyen de faire totalement abstraction de tous les renseignements concernant l'être humain que vise une opération au bout du compte, il est impossible, par voie législative, d'assurer la protection complète qui est nécessaire. Je le dis parce qu'une décision de souscription vise à accepter ou à rejeter un risque. Une décision de classification tient compte de nombreux éléments.
Prenons, par exemple, l'assurance-automobile. Les facteurs à considérer aux fins de la décision incluent le type d'automobile et le dossier de conduite. On peut interdire l'utilisation de données sur la cote de solvabilité ou le dossier médical aux fins de la décision de classification. Mais si j'ai accès aux renseignements personnels, on ne saura jamais si je les ai utilisés aux fins de la décision de souscription. C'est inscrit nulle part. La réponse est simplement oui ou non. C'est un marché libre. Personne n'est tenu d'accepter des risques.
Le danger apparaît quand ceux-là mêmes qui ont accès aux renseignements obtenus dans le but A peuvent prendre ou influencer une décision dans le but B, sans jamais devoir l'inscrire.
Qu'y a-t-il de mal à ne rien changer à la situation? Je ne le dis pas parce que je crains la concurrence loyale, mais parce que le coût à payer pour assurer cette concurrence loyale n'est pas bon, ni pour le consommateur ni pour notre économie.
M. Anderson: Je me permets d'ajouter que nous ne sommes pas seuls à nous préoccuper des lois sur la vie privée. Dix autres juridictions au Canada tiennent à manifester leur intérêt pour les consommateurs en légiférant pour assurer la protection de la vie privée. Si ces efforts manquent de coordination, nous aurons un beau gâchis, vu que nous n'avons pas eu beaucoup de succès à harmoniser ce genre d'efforts dernièrement au Canada. Nos intentions sont bonnes, mais le processus risque de se révéler fort difficile.
Le sénateur Oliver: Vous faites valoir un argument très utile et le comité pourra en tenir compte quand il fera ses propres recommandations.
M. Anderson: Lors de ma dernière comparution devant le comité sur ce même sujet -- qui intéresse vivement tout le monde --, on s'est demandé combien de Canadiens s'étaient plaints de l'utilisation de renseignements personnels dans l'industrie des assurances multirisques. D'après ce que nous savons, il y en a peu. Nous avons un code d'autoréglementation. En fait, notre code est le premier qui ait été élaboré en vertu du nouveau modèle en dix points de l'Association canadienne de normalisation. Nous en attendons de bons résultats. Il faut se rappeler que, s'il apparaissait qu'une société sur un marché concurrentiel utilisait incorrectement des renseignements personnels, cette société perdrait des clients. C'est pourquoi, à mon avis, de nombreuses entreprises de notre industrie ont une conduite irréprochable.
Le sénateur Kolber: Dans votre mot d'ouverture, avez-vous déclaré que les sociétés d'assurance-vie étaient contentes du rapport MacKay?
M. Cooke: Elles sont certainement plus contentes, même si cela dépend de la personne qu'on considère leur porte-parole. Le premier jour où les médias en ont fait toute une affaire, les représentants de ces sociétés m'ont paru nettement plus contents que moi.
Le sénateur Kolber: Cela ne prouve rien. J'ai parlé avec des hauts dirigeants de sociétés d'assurance-vie qui étaient au moins aussi mécontents que vous l'êtes.
M. Cooke: Vous en savez plus que moi sur cette question, mais je ne connais aucune grande société d'assurance-vie qui se soit opposée à la vente au détail ni aux questions que nous avons soulevées aujourd'hui.
Le sénateur Kolber: Croyez-moi, cette opposition viendra.
M. Cooke: Nous en serons très heureux, car nous nous sentons isolés.
Le sénateur Kolber: Feriez-vous la distinction entre le fait d'accorder aux banques le pouvoir de vendre tous les produits d'assurance-vie entière, qui représentent un élément important d'économies pour elles, et celui de les autoriser à vendre de l'assurance-vie temporaire et des assurances multirisques?
M. Cooke: Je ne joindrais pas les assurances multirisques avec un produit d'assurance-vie.
Le sénateur Kolber: Même pas avec l'assurance-vie temporaire?
M. Cooke: Non.
Le sénateur Kolber: Souhaiteriez-vous garder les assurances multirisques à part des assurances-vie?
M. Cooke: Personnellement, je suis fermement convaincu que les assurances multirisques sont distinctes des assurances-vie pour toutes sortes de raisons et qu'elles ne devraient pas être jointes ni avec l'assurance-vie temporaire ni avec l'assurance-vie entière. De même, j'hésiterais à confier aux banques l'assurance-vie entière, mais je ne vais certainement pas tomber dans ce guêpier, si je peux l'éviter. Nous allons défendre notre propre cause, ce qui sera plus aisé, je crois. Le produit des assurances multirisques est radicalement différent. Il ne ressemble en rien à ce que les banques vendraient actuellement dans leurs succursales.
Le sénateur Kolber: Pensez-vous vraiment que votre cause est plus facile à défendre?
M. Cooke: Je l'espère.
Le sénateur Kolber: Ces deux causes se défendent bien, à mon avis.
M. Cooke: J'en tiens compte et je suis heureux de l'entendre.
Le sénateur Kolber: Selon le rapport du groupe de travail, l'élimination des restrictions sur la vente des produits d'assurance donnera aux consommateurs une plus grande liberté de choix face aux produits d'assurance et de crédit-bail automobile. Une concurrence plus vive pourrait se solder par une plus grande innovation en matière de conception et de distribution des produits ainsi que par une baisse des prix.
M. Cooke: Il est totalement illusoire de tirer cette conclusion. Il ne fait aucune doute qu'il y aura moins de concurrence, plus de concentration et des pertes d'emplois.
Je ne peux imaginer d'où vient cet argument sur l'innovation. Les banques vendent des assurances depuis 1992 au Canada et depuis plus longtemps encore ailleurs. Si cela devait stimuler l'innovation, nous l'aurions vu. Il n'est pas rare de nos jours de voir des sociétés d'assurances multirisques vendre leur technologie aux banques pour qu'elles puissent soutenir la concurrence.
Je vois mal sur quoi peut bien reposer cette conclusion.
Le sénateur Kolber: Dites-vous que l'industrie des assurances fait déjà de l'excellent travail?
M. Cooke: Il y a toujours place à l'amélioration pour une industrie. Nous essayons certes de faire mieux. Toutefois, pour ce qui est de la satisfaction des clients, l'industrie des assurances multirisques fait du bon travail.
Nous faisons des efforts pour améliorer encore la situation. D'une façon générale, les clients sont satisfaits des services que leur fournit notre industrie.
Le sénateur Di Nino: Les pertes d'emplois dont vous parlez se produiront-elles dans les sociétés d'assurances ou dans les maisons de courtage, ou les deux?
M. Cooke: Les deux. Cependant, les courtiers en subiront des répercussions disproportionnées.
Les régions non urbaines sont les plus vulnérables. Aujourd'hui, notre société distribue tous ses produits par l'intermédiaire de courtiers. Généralement, nous prenons nos décisions au sein même des collectivités qu'elles concernent, soit par nos courtiers ou avec leur collaboration. D'après moi, les emplois de ces courtiers sont le plus menacés par la structure proposée.
De toute évidence, quand il se produit une perte d'emplois dans le réseau de distribution, il y en a aussi au niveau de la fabrication.
Le sénateur Di Nino: Vous avez dit que l'industrie compte environ 60 000 employés actuellement.
M. Cooke: Il y a 60 000 courtiers et 100 000 employés dans l'industrie.
Le sénateur Di Nino: Dans ce cas, dites-vous que sur ces 100 000 employés, 20 p. 100 perdraient leur emploi?
M. Cooke: C'est exact.
Le sénateur Di Nino: L'industrie bancaire a réalisé d'immenses progrès technologiques depuis environ deux décennies. On laisse souvent entendre qu'il est possible de contracter un emprunt par ordinateur ou par téléphone. Vous n'avez fait aucune observation concernant l'effet de l'évolution technologique sur la vente de produits d'assurance, du moins en ce qui concerne les assurances multirisques.
M. Cooke: Aujourd'hui, si on le veut, on peut acheter un produit d'assurances multirisques via Internet ou par téléphone. Il n'y a aucune limite aux possibilités qui sont offertes au consommateur.
La situation est fort différente de celle de l'Europe. J'ignore si cela est dû à une évolution technologique plus graduelle ou plus mesurée, ou encore à des retards. Un consommateur peut souscrire une assurance de manière traditionnelle, c'est-à-dire en rencontrant un courtier, ou en passant par le centre téléphonique d'une banque ou en s'adressant directement à un assureur ou un courtier. De même, il peut la souscrire via Internet auprès d'un courtier ou d'un assureur. Je suis certain qu'il peut aussi le faire par courrier.
Il n'y a aucune limite aux choix dont les consommateurs disposent. Personne n'a le monopole sur la technologie. Elle est à la disposition de tous les membres de l'industrie.
En ce qui concerne la concurrence ou les services à la clientèle, l'industrie se développe assez bien au Canada, sans avoir dû affronter la bancassurance. On entendra peut-être un jour un Européen dire: «La situation a peut-être été un peu plus facile dans la colonie.»
Le sénateur Di Nino: J'ai été frappé quand vous avez fait remarquer que le mode de vie ne serait plus le même dans de nombreuses petites villes. Ces villes perdraient leur courtier, ou leurs deux courtiers dans le cas de Haileybury. La technologie n'aurait-elle pas le même effet?
M. Cooke: Peut-être, mais pas nécessairement.
Dans la mesure où de nombreuses sociétés se livrent concurrence et acceptent d'offrir un choix au consommateur, il n'y a pas de problème. Bien sûr, le contexte change. Il existe aujourd'hui beaucoup plus de moyens différents pour souscrire des assurances qu'il n'y en avait il y a deux ou trois ans. Si l'évolution doit se poursuivre, elle le fera de façon graduelle et mesurée, et non de façon trop radicale et inutilement rapide.
Les très grandes institutions jouissent d'un avantage en raison de leur nature et de leurs autres activités, de sorte que si elles interviennent dans ce secteur, il n'y aura pas tellement de choix. Quant aux pertes d'emplois, elles seront dues au remplacement des responsables dans la collectivité par un centre téléphonique.
Est-ce que tout cela se réalisera? Il semble que ce soit déjà une réalité. Cependant, il y aura une période de transition au lieu d'un changement brusque.
Le sénateur Di Nino: Les banques vous font concurrence depuis maintenant six ou sept ans, n'est-ce pas?
M. Cooke: Oui, depuis 1992.
Le sénateur Di Nino: Quelles ont été les répercussions sur votre industrie?
M. Cooke: Il y a eu peu de changement. La Banque Canadienne Impériale de Commerce est présente dans au moins deux ou trois provinces, mais n'a vraiment pas acquis une part du marché.
La Banque Royale a échoué une fois et, depuis un an, elle commence à vendre de l'assurance en Ontario, mais elle n'a pratiquement aucune part du marché des assurances multirisques.
La Banque de la Nouvelle-Écosse a pris des dispositions avec la Canada-Vie Compagnie D'Assurances Générales, pour effectuer des ventes en Alberta. Je ne crois pas qu'elle soit présente encore en Ontario. Dans ce cas non plus, on ne peut encore mesurer l'effet sur le marché.
Quant à la Banque Hongkong, elle offre des produits dont les prix sont considérablement réduits et elle a saboté le marché de la Colombie-Britannique, de sorte qu'elle subit une perte de près de 250 p. 100, si je comprends bien. Je doute qu'à long terme ce soit bon pour une entreprise.
D'une façon générale, la Banque TD et la Banque de Montréal n'interviennent pas sur le marché, bien qu'elles aient toutes les possibilités pour le faire.
Le sénateur Di Nino: Si le régime en place est inchangé, et que les banques possèdent les sociétés d'assurances, vous n'y verrez aucun inconvénient. Ce qui vous ennuie, sauf erreur, c'est la capacité des banques de vendre, dans leurs succursales, les produits que vous vendez, n'est-ce pas?
M. Cooke: C'est exact. En ce qui nous concerne, la situation actuelle peut continuer. Nous ne craignons pas la concurrence. Nous en bénéficions. Notre prospérité en dépend. Nous craignons que, involontairement, à cause des changements proposés, une partie de la nouvelle communauté jouira d'un avantage distinct sur les autres, ce qui risquerait d'entraîner une concentration et une diminution des choix pour le consommateur.
Nous ne voulons pas éliminer la concurrence -- nous essayons de la préserver.
Le sénateur Kenny: Vous avez comparé votre industrie à David contre Goliath. J'ai été frappé par vos observations, à la page 5 de votre mémoire, selon lesquelles les consommateurs font confiance à leurs courtiers et les respectent davantage, sentiments qu'ils n'ont pas envers les grandes sociétés. Ils aiment l'indépendance. Ce passage de votre mémoire est très intéressant.
Vous parlez ensuite de tous les renseignements que possèdent les banques et l'utilisation de ces renseignements procure un avantage déloyal. Comment comparez-vous cela à la confiance et à la connaissance directe dont jouissent vos courtiers? Dans le cas des banques, il est question de statistiques et de chiffres, mais dans le cas des courtiers dont vous parlez, ce sont probablement des scouts qui participent de diverses façons à la vie de la collectivité et connaissent bien les besoins de leurs clients. Où est votre désavantage, alors?
M. Cooke: Tout d'abord, je n'essaie pas de faire croire que la connaissance directe et personnelle d'un risque n'est pas un avantage par rapport à une communication plus distante et moins complète.
En toute justice, la différence réelle entre la souscription dans son sens pur, qui est une acceptation ou un refus, et la classification, qui est l'utilisation des données confidentielles dont on dispose afin de décider l'on accepte un risque ou non. Il y a une nette différence et il ne fait aucun doute que la connaissance directe est précieuse. C'est d'ailleurs une des raisons qui expliquent notre mode de fonctionner.
On ignore le dossier médical de ses amis les plus intimes. On ne connaît donc pas nécessairement leur situation financière.
Il faut espérer que personne ne soit porté à utiliser incorrectement ces renseignements. Même si les antécédents en matière de crédit sont l'un des indicateurs prévisionnels les plus puissants de la possibilité d'avoir un accident et de présenter une demande d'indemnité, on n'a pas le droit d'utiliser ces renseignements aux fins de classification.
Le président: Je m'inquiète aussi de certaines questions qu'ont soulevées les sénateurs Di Nino et Kenny.
Il n'y a peut-être aucune contradiction, mais vos propos semblent destinés à soulever des craintes. Comme le sénateur Kenny l'a rappelé, vous reconnaissez, et je crois que c'est avec raison, que les consommateurs aiment bien leurs courtiers, mais pas leurs banquiers. Toute personne qui s'est intéressée aux études de marché comprend que de telles relations personnelles sont déterminantes dans l'achat de n'importe quel service. Si j'adopte votre point de vue, je serais porté à croire qu'une institution que les consommateurs, d'après vos données, n'aiment pas ne pourrait pas représenter la moindre menace pour vous. Cette contradiction m'ennuie.
Permettez-moi d'apporter une précision au sujet du dossier médical, puisque vous en parlez souvent. Dans toutes les discussions, ainsi que dans le rapport MacKay, on répète qu'il n'y aurait pas d'accès aux renseignements médicaux. Cela a été établi clairement et ce, dès qu'il a commencé à être question de la vente d'assurance-vie par des institutions de dépôts au Canada, il y a 20 ans. Se servir de cela pour faire des peurs, c'est utiliser un faux argument.
Comme le sénateur Kenny, je suis troublé non seulement par la nature extrême de votre déclaration, mais aussi par la façon dont vous semblez tirer des conclusions extrêmes qui contrastent avec certaines des déclarations que vous faites à partir de données existantes.
M. Cooke: Je fais des déclarations extrêmes parce que je veux centrer l'attention de la population sur le sujet. Je crois que personne ne l'a fait jusqu'à maintenant. Si je ne fais rien d'autre, j'aurai tout de même atteint mon but.
Il faut comprendre que celui qui achète un produit d'assurances multirisques -- une assurance-maison ou une assurance-automobile -- pense d'abord et avant tout au prix à payer. Toutes choses étant égales par ailleurs, il l'achèterait plutôt d'un courtier qu'il connaît que d'une banque, mais c'est le prix qui compte. L'autre élément qui compte représente les autres produits, par exemple un REER ou une hypothèque.
Je ne cherche pas à établir si ce genre de renseignements procure un avantage ou pas. Je dis simplement que, lorsqu'on a accès à une grande banque de données, on peut plus facilement prendre ou influencer une décision de souscription que si l'on n'a que des renseignements ponctuels, moins complets et parsemés ici et là au Canada. Je rappelle simplement qu'il y a des craintes concernant la vie privée, car les renseignements sur le consommateur pourraient être utilisés à mauvais escient, ou encore concernant les antécédents de crédit que possèdent les banques, mais auxquels nous n'avons pas accès. Même si personne ne voit les banques utiliser ces données, elles les possèdent et elles le savent. Il suffit de penser à la domination qu'exercent les grandes institutions grâce à l'interfinancement ou aux autres mécanismes qu'elles peuvent avoir pour faire marcher l'économie. La situation est différente en Europe, parce que les banques y sont confrontées à une concurrence très serrée, contrairement à ce qui se passe ici. On ne peut certes pas soutenir que la concurrence est vive pour les banques canadiennes.
Le président: Je ne faisais aucune allusion. Je faisais simplement une observation sur la nature extrême de votre mémoire, et vous en avez convenu.
M. Anderson: Quand on parle de la capacité des banques de servir les clients, il faut penser qu'elles ont un levier que peu d'autres institutions possèdent, du fait qu'elles peuvent offrir du crédit et consentir des prêts et des hypothèques.
Après nous, certains viendront vous décrire des situations où il n'était peut-être pas question de ventes liées, selon la définition stricte de la loi, mais où ils ont néanmoins perdu une occasion d'affaires. En effet, pour accorder une hypothèque ou un prêt, il est déjà arrivé que l'institution de crédit demande à approfondir sa relation avec le client. On dit alors au client: «Oui, nous pouvons étudier votre demande, mais nous ne vous connaissons pas beaucoup. Si vous achetiez un REER ou encore une police d'assurance multirisques, vous auriez plus de succès auprès du comité d'octroi de crédit.» Cela se dit tous les jours, dans des centaines de succursales partout au Canada, et c'est d'ailleurs ce qui pousse le consommateur à acheter les produits des institutions de crédit et qui favorise ces dernières de façon déloyale.
Certains ici se souviennent peut-être de leur première demande d'hypothèque et des sentiments qui les animaient alors. Ils peuvent probablement imaginer comment on se sent, quand un banquier déclare: «Tout cela est bien beau. Vous semblez représenter peu de risque pour nous, mais il serait préférable que vous possédiez au moins un autre de nos produits.» En fait, les employés des banques reçoivent des récompenses pour de telles sollicitations. Voilà justement une grande partie de l'avantage déloyal qu'ont les banques qui jouissent de ces pouvoirs additionnels. Elles peuvent utiliser l'octroi de crédit comme levier pour vendre d'autres produits. C'est déloyal.
M. Cooke: Quand on a accès à des renseignements comme ceux que renferment les dossiers médicaux entre autres, pour déterminer si l'on veut procéder à d'autres opérations financières, on jouit d'un avantage déloyal.
Le sénateur Joyal: Cela me fait un peu penser au propriétaire d'un magasin de cravates qui est ennuyé à l'idée qu'un client puisse entrer dans un magasin à rayons pour acheter une cravate et se faire proposer d'acheter une chemise pour aller avec la cravate. Si le client est d'accord et qu'il y voit même un avantage, où est le mal? Avant de répondre à la question, ne seriez-vous pas en train d'imaginer que le client ne peut pas marcher, qu'il ne peut pas sortir dans la rue? N'êtes-vous pas en train de supposer que tous les clients sont des imbéciles qui se font automatiquement avoir?
M. Cooke: Je crois que votre exemple de la cravate simplifie la question à l'extrême. Je n'insinuerais jamais que les clients sont stupides. Je dirais plutôt que ces produits, que les gens achètent et tentent de vendre, sont complexes. Il arrive souvent que la vente se fasse à un moment difficile, sur le plan émotionnel, dans la vie d'une personne. Il peut s'agir de l'achat d'une première voiture ou d'une première maison et l'acheteur peut de voir obligé de procéder à un refinancement ou à une réorganisation en raison de difficultés survenues dans son entreprise. Si les décisions à prendre sont compliquées au départ, l'acheteur est très vulnérable. Il devient difficile de trouver une information fiable et concurrentielle sur le marché, sauf celle qu'on peut obtenir par l'intermédiaire de services professionnels. Les gouvernements se sont très mal acquittés de leur rôle à cet égard.
Le sénateur Kenny: Je ne dis pas qu'il n'y a pas de cas de coercition, mais vous reconnaîtrez qu'un client peut espérer faire une meilleure affaire en choisissant une série donnée de produits ou en faisant affaire avec une seule compagnie dans l'espoir d'obtenir un taux d'intérêt plus avantageux.
M. Anderson: Il n'y a rien de mal à cela. Nous n'y voyons aucune objection. M. MacKay faisait état, dans son rapport, de l'étonnement qu'il avait éprouvé en constatant qu'un pourcentage élevé de clients, soit 16 p. 100, estimaient avoir fait l'objet de coercition dans leurs transactions bancaires.
Le sénateur Kenny: Pourriez-vous aller à la page 241 et passer en revue pour nous les recommandations 70 à 75, qui concernent la vente liée? Pourriez-vous nous dire quelles recommandations vous conviennent et lesquelles ne vous conviennent pas?
M. Anderson: La question n'est pas de savoir si nous appuyons ou non ces recommandations.
Le sénateur Kelly: Mais c'est précisément ce que nous devons tirer au clair.
M. Anderson: Je ne crois pas que cela fasse une grande différence en ce à trait à cette question. On ne peut pas prévenir ce genre de rapports par une loi de portée générale régissant les transactions de ce type, car la ligne de démarcation est très ténue.
Bien que 16 p. 100 des clients se soient plaints que des situations semblables se soient produites en vertu de la loi actuelle qui régit ce type de transactions, chaque banquier nie que cela se soit produit dans sa succursale. Je crois qu'ils agissent de bonne foi, mais tous les cinq vous diront probablement que ce genre de chose ne se produit pas chez eux. Combien de personnes ont porté plainte auprès du surintendant des assurances? Il n'y en a pas beaucoup.
Vous ne pouvez pas espérer régler le problème par une loi de portée générale. Vous pouvez toujours punir les délinquants, mais peut-on vraiment éliminer ce genre de comportement quand les banques et les programmes d'encouragement eux-mêmes le favorisent?
Le sénateur Kenny: Voulez-vous dire que les recommandations 70 à 75 ne sont pas pertinentes?
M. Anderson: Je ne suis pas certain qu'elles seront efficaces.
M. Cooke: Le fait de dire que ces recommandations comportent des lacunes vous amène sur un terrain où vous ne voulez pas aller et vous oblige, dès lors, à parler de la manière d'appliquer les recommandations du rapport. Nous vous disons de ne pas donner suite au rapport.
Le sénateur Kenny: Vous affirmez que le rapport fait fausse route et vous ne voulez pas vous engager dans cette voie.
M. Cooke: Je ne veux pas le faire car je crois qu'il existe une meilleure solution. Je suis un tenant de l'abstinence. M. MacKay, lui, propose d'oublier l'abstinence et de mettre ces «trucs» en place. S'il s'agit d'avoir recours à des trucs, voilà une bonne façon de le faire. Je crois que c'est ce que vous voulez m'amener à dire.
Le sénateur Kenny: Je n'essaie pas de vous faire dire quoi que ce soit.
M. Cooke: Cela dit, le problème n'est pas encore réglé. Je ne comprends pas pourquoi le rapport MacKay tente de régler un problème qui n'existe pas, en affirmant qu'il faut renforcer la concurrence. Il y a déjà beaucoup de concurrence. S'il en fallait davantage, soit. Nous sommes aux prises avec un problème de vente liée coercitive. Adoptons une loi pour éliminer ce genre de pratique. Si vous ne tentiez pas d'assurer à ces trois nouveaux concurrents une situation différente de celle qu'ils occupent actuellement dans l'industrie -- et je ne vois pas bien à quelle fin -- il ne serait pas nécessaire de faire ce que préconise le rapport, car les consommateurs sont bien servis. Si, en donnant suite aux recommandations du rapport, vous supprimez des emplois à la grandeur du pays, pourquoi le feriez-vous?
Y a-t-il quelque chose qui ne va pas dans ces recommandations? Non. Nous croyons autant que n'importe qui à la vie privée et à la protection des intérêts des consommateurs. Mais à quoi serviront ces recommandations? Elles n'apporteront rien.
Le sénateur Kelly: Vous avez beaucoup parlé des banques. Nous attendons aussi des représentants des institutions bancaires. Si vous avez des questions à ce sujet pour eux, je serai heureux de les leur poser.
M. Anderson: Je voudrais connaître leurs statistiques au sujet des emplois perdus. Je voudrais également avoir un aperçu de leur stratégie d'assurances multirisques, qui fait en sorte qu'il est tellement important pour la concurrence au Canada d'ouvrir ce modeste secteur d'activité, alors que les banques obtiennent une faible note au plan de la concurrence internationale et de risques sur les marchés étrangers. En outre, pourquoi cette question revient-elle avec autant de persistance, alors que les Canadiens accordent sans doute beaucoup plus d'importance à ces autres questions, à savoir la nécessité de renforcer la concurrence dans le secteur bancaire, d'y étendre la gamme des services offerts et d'offrir plus de choix qu'à l'heure actuelle?
Si on comptait 230 institutions bancaires et autant de compagnies d'assurances multirisques au Canada, nous pourrions sans doute envisager de donner suite à certaines de ces mesures, mais il faut avant tout accroître la concurrence dans le secteur bancaire.
M. Cooke: Les banques font notamment valoir, comme le disait quelqu'un cet après-midi, que ces changements accroîtraient la concurrence et stimuleraient la création de nouveaux produits. Si c'est le cas, j'aimerais savoir ce qui y fait obstacle depuis sept ans? Qu'est-ce qui empêche les banques, à l'heure actuelle, d'appliquer ces méthodes nouvelles et créatrices que ces modifications auraient, selon elles, pour effet de stimuler?
Le sénateur Tkachuk: Les banques n'ont-elles pas invoqué le même argument pour pouvoir pratiquer le commerce des valeurs mobilières?
M. Anderson: Oui.
M. Cooke: Sans doute pour s'approprier cette industrie.
Le sénateur Tkachuk: Ce sont bien les arguments qu'elles ont utilisés, à savoir que nous deviendrions plus concurrentiels et que nous devions nous lancer parce que nous nous retrouverions dans un marché plus concurrentiel. Or, c'est précisément le contraire qui s'est produit.
M. Cooke: Le contraire s'est produit dans les secteurs de la fiducie et des valeurs mobilières et nous croyons que la même chose se produira dans ce cas-ci.
M. Anderson: L'histoire est un moyen beaucoup plus efficace que la vision pour prévoir l'avenir.
Le sénateur Meighen: Avez-vous un exemple concret dans le cas de la province de Québec? Pouvez-vous nous dire quelle est la situation dans cette province? La Caisse de dépôt est la plus importante institution de dépôt de la province; elle compte probablement plus de succursales que toutes les banques à charte réunies. Cette institution a été autorisée à vendre directement de l'assurance il y a deux ou trois ans.
M. Anderson: Il y a plus longtemps que cela.
M. Cooke: Je crois que c'est depuis 1987.
Le sénateur Meighen: Avez-vous des statistiques concernant la part du marché qui était détenue avant et après, ou encore si la chose s'est faire rapidement ou s'il y a eu un phénomène de retour?
M. Anderson: Nous avons fait une étude de la question. En fait, l'homme qui l'a réalisée est à mes côtés. Il possède toutes les données statistiques.
M. Mark Yakabuski, vice-président, Relations gouverne- mentales, Bureau d'assurance du Canada: Dans l'ensemble, la Caisse a acquis une part importante du marché mais des emplois ont été perdus. Les prix pratiqués n'offraient aucun avantage. Le secteur du courtage a perdu des emplois. Par ailleurs, on a enregistré une baisse de 6 p. 100 du nombre de courtiers au Québec, comparativement à une hausse de 23 p. 100 pendant la même période dans le reste du Canada. Les prix offerts n'étaient en aucun cas plus avantageux. Les emplois créés par Desjardins ont été regroupés à son siège social. Ce sont là les tendances générales. Au Québec, on a surtout mis l'accent sur le secteur des assurances automobile et habitation. Depuis 1987, les succursales vendent de l'assurance au Québec. Par ailleurs, il faut reconnaître que les pouvoirs que M. MacKay et ses collègues du groupe de travail recommandent pour les banques sont beaucoup plus étendus que ceux dont jouissait Desjardins au Québec.
Desjardins du Québec ne vend pas de l'assurance directement dans ses succursales. Un représentant de la filiale d'assurance Desjardins possède un comptoir de vente dans la succursale des Caisses populaires. La réglementation et la loi québécoises ne lui permettent pas d'avoir accès aux dossiers des clients de la caisse. Cette situation existe depuis 1987. Malgré ces restrictions, Desjardins détient à l'heure actuelle environ 18 p. 100 du marché de l'assurance-automobile et environ 15 p. 100 à 16 p. 100 du marché de l'assurance-habitation.
Le président: J'essaie de comprendre votre point de vue. Croyez-vous que ce soit une mauvaise chose qu'une autre institution soit arrivée sur le marché et s'en soit approprié 18 p. 100?
M. Yakabuski: Si vous multipliez cela par cinq, il y a cinq grandes banques qui veulent aussi vendre de l'assurance dans leurs succursales. Vous pouvez faire un peu d'arithmétique.
Le sénateur Meighen: Voulez-vous dire que nous aurions cinq fois le nombre 18?
M. Yakabuski: Ce que je veux dire, c'est qu'il y aurait de grands concurrents.
Le sénateur Meighen: Pourquoi ne pas se répartir cette tranche de 18 p. 100 et voir la question du point de vue opposé?
M. Yakabuski: Si toutes les banques procédaient de la sorte, elles compteraient davantage de succursales que n'en possède Desjardins au Québec.
Le sénateur Meighen: Il est ici question de pourcentages.
M. Yakabuski: Desjardins contrôle environ 50 p. 100 du marché du dépôt au Québec. Dans l'ensemble du Canada, les banques contrôlent beaucoup plus que 50 p. 100 de ce marché. Selon moi, les conditions au Québec ont été beaucoup moins favorables que celles que propose M. MacKay pour les banques.
Le sénateur Meighen: Je comprends. En passant, je ne suis pas sûr que les banques possèdent une part beaucoup plus grande du marché du dépôt. Je crois, sauf erreur, que le pourcentage se situe entre 60 p. 100 et 70 p. 100.
Quand vous parlez d'assurance, s'agit-il des assurances en tout genre ou seulement des assurances multirisques?
M. Yakabuski: Exclusivement des assurances multirisques.
Le sénateur Meighen: Cela inclut l'assurance-automobile. Est-ce exact?
M. Yakabuski: Les assurances multirisques comprennent les assurances des automobiles, de l'habitation et des entreprises.
Le sénateur Meighen: Est-ce que les 18 p. 100 pris par Desjardins se trouvent dans le secteur des assurances multirisques?
M. Yakabuski: Il s'agit uniquement de l'assurance-automobile.
Le sénateur Meighen: Qu'en est-il des autres marchés des assurances? Avez-vous des statistiques?
M. Yakabuski: Desjardins a décidé de ne pas se lancer sur le marché de l'assurance commerciale. Le Mouvement Desjardins est actif dans le secteur de l'habitation et détient environ 16 p. 100 de ce marché au Québec.
Le sénateur Meighen: Si je puis me permettre, est-ce par courtoisie ou parce qu'ils ne croient pas pouvoir livrer une concurrence efficace sur ce marché?
M. Cooke: Qui sait?
Le sénateur Meighen: Pourquoi Desjardins ne se lancerait-il pas sur ce marché s'il croyait pouvoir y être concurrentiel? Je dois en conclure que Desjardins ne se croit pas en mesure de livrer une concurrence efficace parce qu'il s'agit d'une marché plus complexe.
M. Cooke: Je crois pouvoir affirmer que dans le secteur des assurances multirisques au Québec, le marché le plus attrayant, du point de vue des profits, est l'assurance-automobile. L'assurance-habitation vient en deuxième place et le secteur le moins attrayant, sur une période de plusieurs années, est l'assurance commerciale. Je présume que Desjardins est suffisamment intelligent pour exploiter sa position dominante dans les secteurs qui promettent des profits plus avantageux, quoique je répugne à lui prêter ce genre de motif car j'ignore si c'est bien le cas.
Le sénateur Meighen: La réglementation lui permet de faire des affaires sur ce marché, n'est-ce pas?
M. Cooke: Tout à fait.
Le sénateur Callbeck: Il a beaucoup été question de ventes liées; j'ai une brève question à poser à ce sujet.
Vous faites référence, dans votre rapport, aux statistiques recueillies dans les sondages par le groupe de travail; selon ces statistiques, 16 p. 100 des répondants ont été soumis à des ventes liées. Le porte-parole de la Banque Royale, M. Graham Harris, a indiqué que l'ombudsman de la banque avait enregistré une plainte concernant une vente liée en 1996, aucune plainte en 1997 et une en 1998. S'il y a autant de Canadiens qui font l'objet de ventes liées que l'indiquent les sondages, pourquoi le nombre de plaintes n'est-il pas plus élevé?
M. Cooke: Selon nous, s'il y a effectivement 16 p. 100 de personnes qui ont été soumises à des ventes liées et que personne ne fait appel à l'ombudsman, ce dernier n'est pas très utile. Personne ne s'oppose à ce qu'il y ait un ombudsman, mais personne ne croit à l'efficacité de cette institution.
Je n'ai pas plus que vous le monopole de la vérité, mais je crois que les gens se désintéressent de la chose, soit parce qu'elles sont trop occupées ou encore par crainte de voir leur échapper un prêt déjà approuvé. Il y a toutes sortes de raisons, du moins parmi les personnes à qui j'ai parlé. Dans mon propre cas, c'est sans doute par négligence. Je finis par m'impatienter quand on tente de m'obliger à entreprendre ce genre de démarches et à régler l'affaire moi-même. Je n'en vois pas la nécessité et je n'envisagerais jamais de faire appel à l'ombudsman, ce qui ne signifie que d'autres ne l'ont pas fait. Quoi qu'il en soit, ne vous fiez pas à l'ombudsman pour régler un problème, ça ne marchera pas.
Le sénateur Callbeck: Je me demandais pourquoi le pourcentage n'était pas plus élevé. Est-ce que la question ne préoccupe pas les Canadiens?
M. Anderson: Je crois que oui. Lorsque nous avons comparu devant le comité de la Chambre des communes à ce sujet, plusieurs témoins ont dit que cela se produisait. La plupart des gens obtiennent leur prêt, mais ils doivent, en échange, confier la gestion de leur REER à l'institution prêteuse. Pour eux, il s'agit d'un bien comme un autre et peu leur importe qui le gère. Ces personnes sont heureuses du résultat puisqu'elles ont obtenu un prêt commercial. Autrement dit, elles ne veulent pas soulever de vagues.
M. Cooke: Le vrai danger, c'est que ces produits sont tellement complexes que les Canadiens ordinaires ne saisissent pas, non pas parce qu'ils sont stupides, mais parce qu'ils sont occupés à autre chose ou manquent d'information, toutes les ramifications de décisions semblables; il peut y avoir des frais de service cachés, par exemple, ou bien d'autres choses encore. Nous avons malheureusement laissé ce genre de situation se produire.
Le sénateur Angus: Je voudrais dire brièvement trois choses. Premièrement, je crois savoir que vous avez fait des recommandations à M. MacKay et à ses collaborateurs?
M. Anderson: Oui.
Le sénateur Angus: D'après ce que vous avez dit ce soir, ils ont fait la sourde oreille à vos demandes?
M. Cooke: J'ai essayé d'expliquer, au début de ma déposition, les trois principaux arguments que j'ai fait valoir à M. MacKay. Il a accepté le premier, mais n'y a pas donné suite; il a accepté le deuxième, mais je n'approuve pas la solution qu'il propose; enfin, il n'a pas tenu compte du troisième.
C'est la meilleure réponse que je puisse vous donner.
Le sénateur Angus: Dans ce monde, on n'a rien pour rien et tous les secteurs de cette industrie offrent des avantages. Je m'interrogeais au sujet du système des paiements. Êtes-vous intéressé à joindre l'Association canadienne des paiements?
M. Cooke: Le système des paiements ne comporte aucun intérêt particulier pour l'industrie des assurances multirisques, et cela en raison de notre caractère distinct. Il serait très intéressant, et sans doute utile du point de vue public, de permettre à d'autres que les seules banques d'avoir accès au système des paiements canadien. Je pense notamment aux grandes compagnies d'assurance-vie. Elles pourraient en tirer un avantage, mais cela ne nous serait d'aucune utilité.
Franchement, le volet concernant les assurances multirisques ne devrait pas figurer dans le rapport. C'est comme si quelqu'un avait dû réviser la théorie vieille de 10 ans et qu'on y avait ajouté un niveau de plus pour compléter l'exercice, mais nous n'avons pas notre place dans ce rapport.
Le sénateur Angus: C'est une question que je me posais, et je me demandais justement comment vous le signaler. Pourquoi croyez-vous que c'est là?
M. Anderson: Pour donner une vision complète du secteur. C'est la réponse la plus sûre.
Si vous examinez ce rapport attentivement et lisez les déclarations que M. MacKay fait au sujet de notre secteur, il dit que ce secteur est distinct des autres secteurs qui convergent en Europe; il dit que rien n'indique de façon certaine que l'entrée des banques dans ce secteur amènerait des améliorations sur le plan du prix ou des services; il reconnaît aussi que cela causerait des bouleversements. Où sont donc les preuves à l'appui de ses recommandations?
Pourquoi un secteur comptant 3 p. 100 des actifs immobilisés du marché dans ce pays fait-il l'objet d'un examen aussi intense comme s'il fallait lui accorder ce genre de traitement pour accroître la concurrence, alors qu'on songe à réduire le nombre de banques à trois dans notre pays?
Le sénateur Angus: Encore une fois, je comprends votre point, et je me demande simplement s'il n'y a pas d'autres raisons. Votre secteur est réglementé par le BSIF, n'est-ce pas?
M. Cooke: Nous sommes réglementés par le BSIF et par bien d'autres organismes de réglementation dans les provinces. Nous sommes probablement plus réglementés que n'importe quel autre secteur.
Le sénateur Angus: Nous parlons d'un plan d'avenir pour le secteur des services financiers et pour les institutions financières réglementées. Nous ne sommes pas ici pour parler des fusionnements de banques. Nous sommes ici pour essayer de comprendre le cadre. Le mot «réseau» est mentionné de part et d'autre, et on peut lui donner la signification qu'on veut; toutefois, je considère le secteur des assurances multirisques comme un élément clé de notre secteur des services financiers.
Pour ce qui est de la concurrence, ce secteur est très concurrentiel et les taux sont très bas. C'est terrible. Vous avez publié de la documentation à ce sujet. C'est difficile pour les courtiers également. Nous entendrons ce qu'ils ont à dire plus tard.
M. Cooke: Le rapport MacKay parle des emplois, de la concurrence, de la protection du consommateur et de ce genre de surveillance.
Dans une certaine mesure, c'est pour ces raisons que nous sommes ici. Ce que je trouve étonnant, c'est la façon dont les analyses se font étant donné la conclusion recherchée.
Le sénateur Angus: Un des points que le groupe de travail a examinés semble contredire certaines des choses que vous dites. Je veux parler de la question de l'assurance contre les tremblements de terre. Si on veut obtenir ce genre d'assurance au Canada, on se heurte à un problème de capacité. C'est un marché difficile. Par conséquent, lorsqu'on regarde les taux peu élevés et ainsi de suite, cela ne comprend pas l'assurance contre les tremblements de terre. Peut-être que les institutions financières qui veulent entrer dans le secteur des assurances multirisques diront qu'elles sont prêtes à vendre au consommateur de l'assurance contre les tremblements de terre à un très bon taux. Que dites-vous de cela?
M. Cooke: Nous pourrions rester ici encore deux heures à parler de l'assurance contre les tremblements de terre.
Le président: Ce ne sera pas le cas.
M. Cooke: La capacité des banques de pouvoir vendre par l'entremise d'une succursale bancaire n'a rien à voir avec l'assurance contre les tremblements de terre. Elles peuvent faire cela aujourd'hui si elles le désirent.
Pour ce qui est de l'assurance contre les tremblements de terre, le principal problème qui existe est un problème législatif, qui ne permet pas que les pertes attribuables au tremblement de terre et celles attribuables à l'incendie, qui sont deux composantes distinctes des pertes globales subies à la suite d'un tremblement de terre, soient évaluées et traitées séparément. Même après le rapport MacKay, personne ne sera plus désireux de vendre de l'assurance contre les tremblements de terre.
M. Anderson: Nous sommes en bien meilleure posture aujourd'hui à cet égard, grâce aux mesures législatives présentées par le gouvernement, que nous ne l'étions il y a cinq ans.
Le sénateur Kroft: Combien de sociétés du secteur des assurances multirisques offrent aussi des garanties?
M. Cooke: Je peux vous dire que nous le faisons, mais nous sommes très peu nombreux à le faire dans le moment.
Le sénateur Kroft: Y a-t-il une décision de principe qui vous empêche de le faire?
M. Cooke: Pas du tout.
Le sénateur Kroft: D'après ma propre expérience personnelle dans le secteur des garanties, les renseignements qu'on recueille, bien qu'ils tendent à porter sur une entreprise plutôt que sur des particuliers, sont assez détaillés, poussés et fondamentaux, un peu comme les renseignements de crédit recueillis par les prêteurs, parce qu'on se trouve à offrir en quelque sorte des facilités de crédit pour permettre à une entreprise de fonctionner.
Vos inquiétudes au sujet de la communication de renseignements entre les diverses composantes d'une société sont-elles fondées sur des difficultés que vous auriez rencontrées pour ce qui est de contenir ces renseignements?
M. Cooke: Premièrement, pour ce qui est du point que vous avez soulevé à l'effet que le secteur des garanties concerne beaucoup plus les sociétés que les particuliers, c'est vrai. La réponse simple à votre question est non, nous n'avons jamais eu de difficulté à contenir les renseignements, et mes inquiétudes ne viennent donc pas de là. Ces renseignements ne sont pas utilisés. Personne n'essaiera de vendre d'autres produits aux clients qui achètent des garanties. Le système n'est pas structuré de cette façon.
Mes inquiétudes concerne plutôt l'argument de la domination abusive.
Le sénateur Kroft: Ce sont les questions fondamentales qui m'inquiètent. Je partage vos inquiétudes quant à la capacité d'une personne de ne pas tenir compte d'un type de renseignements en particulier au moment de prendre une décision. Je suis curieux de savoir si vous vous trouvez parfois dans la même position, dans un cas où, par exemple, vous avez les états financiers d'un client sur votre bureau depuis trois ans et vous devez maintenant décider si vous le garderez comme client.
M. Cooke: C'est une question intéressante. Nous offrons des garanties à nos clients existants pour améliorer notre relation, habituellement à la demande des clients. Ce n'est pas un produit qu'on insiste pour offrir. On le fait davantage pour satisfaire un besoin du client que pour stimuler un besoin chez le client.
Je comprends que la situation dont vous parlez est possible. Pourtant, du côté commercial, comme il s'agit pour la plupart de clients existants, on a déjà la majeure partie de ces données financières en tant qu'assureur de l'entreprise. Cela devient donc tout à fait complémentaire. Rien n'empêche d'obtenir ces renseignements pour une entreprise, alors que c'est illégal de le faire pour des particuliers.
Le sénateur Stewart: Les témoins ont suscité un certain malaise dans mon esprit à l'égard du groupe de travail MacKay. Si je comprends bien, vous croyiez que votre exposé semblait avoir été bien reçu par le groupe de travail, mais, lorsque les conclusions ont été rendues publiques, vous avez constaté que ce n'était pas le cas.
Les banques ont-elles présenté des arguments convaincants au groupe de travail au sujet des assurances multirisques?
M. Anderson: Oui.
M. Cooke: Je ne peux pas donner de réponse précise parce que je n'ai pas suivi la situation directement, mais je suppose que oui.
Le sénateur Stewart: Pourquoi croyez-vous que les arguments présentés par les banques étaient plus convaincants que les vôtres?
M. Cooke: Je vais m'aventurer ici. Le sénateur Kirby sait que j'ai tendance à faire cela à l'occasion, et il devra peut-être m'arrêter, mais je dois vous dire que, si je regarde la situation de façon objective, il me semble que quelqu'un, ou un groupe de personnes, avait une idée préconçue de ce à quoi le secteur financier devrait ressembler. Le groupe de travail a pris ce qu'il devait prendre et l'a fait cadrer avec le modèle qu'il avait en tête. Les recommandations ont été faites ou n'ont pas été faites et les questions ont été examinées ou n'ont pas été examinées selon le résultat que quelqu'un avait prédéterminé avant que le groupe de travail n'entreprenne ses travaux. Je n'aime pas dire les choses de cette façon.
Pour ce que cela vaut, je ne tiens pas M. MacKay personnellement responsable de cet état de choses parce que j'avais cette opinion du groupe de travail avant son arrivée.
Le sénateur Stewart: Vous semblez dire que cette idée préconçue de l'avenir n'est pas étroitement liée à l'expérience du passé immédiat.
M. Cooke: Ni au présent.
M. Anderson: Je veux ajouter un commentaire au sujet de cette recommandation. Nous ne faisions pas entièrement fausse route. Le rapport du groupe de travail mentionnait que cela ne devrait pas se faire avant 2002 dans le cas des grandes banques, mais que cela devrait se faire dès maintenant dans le cas des petites institutions. C'était un peu comme si on proposait de passer progressivement de la conduite sur la voie de droite à la conduite sur la voie de gauche; le changement s'appliquerait aux petites voitures dans un premier temps, puis aux camions dans un deuxième temps.
Le sénateur Stewart: Je sais exactement ce que vous voulez dire.
Le président: Notre dernier groupe de témoins représente l'Association des courtiers d'assurance du Canada, sous la direction de M. Toole.
Monsieur Toole, je suppose que vous avez une déclaration préliminaire à faire. Je sais que vous étiez dans la salle. Je n'aime pas vraiment entendre les mêmes arguments deux fois en une heure et demie. Je n'ai pas lu votre déclaration préliminaire, mais je suppose que vos arguments sont semblables à ceux que vient de présenter le Bureau d'assurance du Canada. Je vous demanderais d'être le plus bref possible et de vous en tenir aux points saillants afin que nous puissions passer directement à la période des questions.
M. Mike Toole, président, Association des courtiers d'assurance du Canada: Je suis membre bénévole du conseil d'administration de l'Association des courtiers d'assurance du Canada et je possède une maison de courtage à Fredericton, au Nouveau-Brunswick. Je suis accompagné aujourd'hui de M. Robert Ballard, également membre bénévole du conseil d'administration, vice-président de l'association et propriétaire d'une maison de courtage à Montréal. M. Jim Ball est président élu de notre association et propriétaire d'une maison de courtage à Vancouver, en Colombie-Britannique.
Nous limiterons nos remarques aujourd'hui à certains des thèmes généraux soulevés dans le rapport et aux recommandations qui touchent directement notre secteur. À cet égard, le groupe de travail MacKay n'a pas rempli son mandat. Nous mettons en doute le postulat sur lequel le groupe de travail fonde ses recommandations et nous nous demandons aussi pourquoi il y a tant d'omissions, surtout en ce qui concerne le secteur des assurances multirisques.
Le groupe de travail MacKay a-t-il rempli son mandat tel qu'il est défini dans le cadre de référence? Non. Le groupe de travail devait évaluer la qualité de la concurrence au sein du secteur des services financiers dans son ensemble et des différents segments qui le composent. Malheureusement pour notre secteur, cela ne s'est pas fait.
Le groupe de travail n'a tout simplement pas tenu compte de l'intense concurrence qui caractérise le secteur des assurances multirisques au Canada. Le rapport ne fait aucune mention du fait que les Canadiens bénéficient des taux concurrentiels en vigueur dans le secteur des assurances multirisques. Il ne mentionne pas non plus l'aptitude de notre secteur à réagir promptement et efficacement aux besoins des Canadiens, comme cela a été le cas lors de la tempête de verglas de 1998.
Nous avions présenté des questions de principe clés qui devaient être prises en considération afin que les Canadiens puissent continuer de bénéficier d'un secteur des assurances multirisques sain et concurrentiel. Pour une raison quelconque, le groupe de travail a choisi de ne pas tenir compte de ces questions de principe importantes.
En décrivant les facteurs de changement, tels que la technologie, la mondialisation et les tendances du marché, le rapport ne traite pas de la réalité concurrentielle qui existe aujourd'hui sur le marché national et international. Le rapport se concentre sur l'avenir à tel point qu'il ne tient pas compte de la situation actuelle.
Nous reconnaissons que ces facteurs de changement sont importants, mais ils ne devraient pas nous amener à réagir prématurément ou incorrectement, ce qui représente un danger. Le groupe de travail laisse entendre que les vents du changement sont si violents que le gouvernement fédéral n'a peut-être pas la liberté de mettre sur pied une politique indépendante pour son secteur des services financiers. Ce n'est pas le cas. Chaque pays a la possibilité d'établir ses propres politiques. Nous reconnaissons le besoin de donner à nos institutions financières la flexibilité d'être concurrentielles sur le marché mondial, mais le Canada ainsi que la stabilité et la sécurité de notre marché national doivent avoir la priorité.
Le rapport note à juste titre que la communauté internationale a réagi de différentes façons à la mondialisation et à l'innovation technologique. La première réaction est la convergence des fonctions, où les lignes de démarcation qui séparaient les quatre piliers traditionnels disparaissent rapidement. La deuxième réaction, l'éclatement des fonctions, prend place au fur et à mesure que les institutions financières se départissent de certaines de leurs activités pour se consacrer à des activités plus spécialisées et plus rentables. Les fusionnements et les acquisitions sont la troisième réaction.
Pourquoi ce point est-il si important et pourquoi nous inquiète-t-il? Le groupe de travail a permis au concept de convergence de dicter comment le secteur tout entier devrait être réformé. Il a complètement fait fi d'une des tendances les plus critiques touchant le secteur des services financiers dans le monde entier. Le rapport n'a pas étudié à fond l'option de l'éclatement des fonctions. Pourquoi? Si le groupe de travail avait pris en considération cette tendance du marché, nous sommes d'avis que bon nombre de ses recommandations auraient été fort différentes.
Nous avions laissé entendre que la restructuration devrait être un processus évolutif, non pas un événement cataclysmique. Le groupe de travail a manqué une excellente occasion de contrôler la cadence du processus de réforme et d'offrir aux Canadiens un plan d'action pratique.
Cela nous amène à notre objection principale. Nous sommes amèrement déçus de l'analyse du secteur canadien des assurances multirisques contenue dans le rapport.
Premièrement, le rapport ne reconnaît pas le caractère distinct du secteur des assurances multirisques dans ses recommandations. En omettant ce fait important, le groupe de travail ouvre la voie à une politique injuste, ce qui va à l'encontre d'un des objectifs principaux de la réforme de 1992.
Le surintendant des institutions financières a récemment déclaré qu'il était étonné du manque de connaissances qui existait envers le secteur des assurances multirisques et de la tendance à l'assimiler avec les autres institutions financières. Selon lui, ce problème est à la base de certaines des décisions stratégiques qui ont été prises dans le passé et continuera probablement de l'être à l'avenir.
Deuxièmement, le rapport ne fait aucune mention des contributions et des services rendus par le secteur des assurances multirisques. Il n'y a aucune mention du fait que les Canadiens profitent des avantages offerts par un des secteurs des assurances multirisques les plus solides, les plus concurrentiels et les plus rentables dans le monde. C'est un exemple du point que nous avons soulevé plus tôt sur la négligence du groupe de travail pour ce qui est de faire une analyse complète de la compétitivité du secteur des services financiers au Canada.
Troisièmement, le rapport n'a absolument pas tenu compte du rôle des courtiers indépendants. Pourquoi? Nous distribuons environ 60 p. 100 des produits d'assurances multirisques au Canada. N'est-ce pas là un facteur important? Ces emplois ne comptent-ils pas? De plus, il y a d'importantes questions de politique et de réglementation qui présentent déjà un désavantage concurrentiel pour les courtiers et, pourtant, ces questions n'ont même pas été mentionnées. Une fois de plus, nous devons nous demander pourquoi.
Quatrièmement, le rapport n'a pas tenu compte des contributions socio-économiques importantes du secteur des assurances multirisques et des avantages régionaux qui en résultent. Les courtiers indépendants et leurs employés représentent environ 60 000 des 100 000 Canadiens qui travaillent dans le secteur des assurances multirisques. La plupart de ces emplois sont répartis dans presque toutes les collectivités rurales et urbaines d'un bout à l'autre du Canada.
Nous sommes consternés de cette omission importante étant donné que le groupe de travail avait pour mandat de tenir compte des emplois, de la création d'emplois et des petites entreprises. Si les banques reçoivent une fois de plus des privilèges spéciaux, des milliers de courtiers indépendants devront fermer leurs portes, et leurs employés perdront leur emploi. Pourtant, le groupe de travail n'a pas tenu compte des conséquences de sa recommandation concernant la vente d'assurance par les banques. Il indique seulement que des emplois pourraient disparaître. Cette déclaration est bien en dessous de la vérité. C'est tout à fait inacceptable.
Cinquièmement, le rapport néglige de prendre en considération le fait que les banques sont déjà dans le secteur de l'assurance et que les règles actuelles de concurrence loyale de la Loi sur les banques sont efficaces. Notre gouvernement a tenu compte des intérêts des petites entreprises et de ceux des grandes entreprises. Il n'y a pas de preuve indiquant que les banques sont défavorisées.
Sixièmement, l'analyse du groupe de travail n'est ni concluante ni convaincante. La recherche et les données justifiant les conclusions relatives à notre secteur sont insuffisantes.
Étant donné ces lacunes, il est étonnant que le groupe de travail soit arrivé à la conclusion qu'on devrait accorder aux banques un avantage concurrentiel injuste en les autorisant à distribuer des produits d'assurances multirisques. Le groupe de travail défend cette position sous prétexte que la vente d'assurance par les banques est chose courante dans le monde, particulièrement en Europe. En réalité, les banques européennes ont eu beaucoup de difficulté à pénétrer le marché des assurances multirisques. Une des raisons est que les banques reconnaissent que les produits d'assurances multirisques sont distincts des produits et services d'investissement traditionnels qu'elles offrent.
Le groupe de travail mentionne également que les primes d'assurance pourraient baisser parce que les nouveaux participants peuvent souvent pénétrer le marché de l'assurance par l'entremise de canaux de distribution plus rentables. Cette hypothèse est incorrecte; il n'y a pas de preuve, ici ou à l'étranger, indiquant que les assureurs qui utilisent un réseau de courtiers indépendants font face à des coûts de distribution plus élevés que les banques qui distribuent des produits d'assurance dans leurs succursales. Nous croyons que le contraire est vrai.
Un article du Wall Street Journal indiquait récemment que les banques européennes poursuivent l'objectif de ventes croisées auprès des clients de détail depuis une trentaine d'années et que, jusqu'à maintenant, elles n'ont pas été en mesure de prouver l'efficacité de ce concept. On ne sait pas encore de quel côté se ranger sur cette question.
L'article disait aussi que, trop souvent, on mélange divers produits pour camoufler les unités peu rentables, les gains d'une division compensant les pertes d'une autre division. Par conséquent, les investisseurs exercent des pressions sur les banques européennes pour qu'elles se concentrent sur leurs forces et sur leurs secteurs d'activité clairement définis. Ce phénomène se reflète dans l'éclatement des fonctions, dont nous avons parlé plus tôt. Nous pouvons peut-être profiter de l'expérience européenne.
La question des banques et de l'assurance fait l'objet de débats animés depuis déjà quelque temps. Rien n'a changé depuis que le Parlement a appuyé à l'unanimité la décision du gouvernement en ce qui concerne les banques et l'assurance en 1992. Rien n'a changé depuis que le Parlement a appuyé de nouveau cette décision il y a moins de deux ans, lors de l'examen de 1997 de la législation régissant les institutions financières. Nos courtiers membres partout au Canada nous disent que les députés sont toujours en faveur des dispositions sur la concurrence loyale contenues dans la Loi sur les banques.
Rien n'indique que les consommateurs alimentent ce débat. Ils ne réclament certainement pas qu'on donne aux banques plus de pouvoirs. La propre recherche du groupe de travail révèle que la majorité des Canadiens sont d'avis que les banques ont déjà trop de pouvoirs et trop d'influence. Cette recherche conclut également que la majorité des Canadiens sont satisfaits des services qu'ils reçoivent de leur courtier d'assurance et de la concurrence qui existe sur le marché de l'assurance. Nos sondages confirment ces résultats.
Pour ce qui est des petites entreprises, la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante a témoigné à plusieurs reprises devant ce comité pour exprimer son opposition à l'idée d'autoriser les banques à vendre des produits d'assurance. Qui donc réclame ces changements inutiles et pourquoi le groupe de travail appuie-t-il un cadre stratégique, réglementaire et législatif qui favorise les banques au détriment des autres groupes?
Le groupe de travail propose, pour le secteur des assurances multirisques, une structure qui entraînera une réduction de la concurrence, au lieu d'en favoriser la croissance, qui contribuera à l'augmentation des coûts, et non à leur diminution, et qui offrira moins de choix au consommateur, et non plus de choix.
Le problème n'a rien à voir avec la concurrence au sein du secteur des assurances multirisques. Le vrai problème, c'est le manque de concurrence au sein du secteur bancaire au Canada. Ne nous laissons pas distraire en essayant de régler un problème qui n'existe pas.
En plus des questions soulevées aujourd'hui, il est important que le gouvernement ne néglige pas le facteur le plus important du processus de réforme, c'est-à-dire le facteur humain. Nous parlons ici d'hommes et de femmes et de leurs familles, non pas de pertes et de profits. Lorsque les profits des sociétés deviennent plus importants que le facteur humain, nous devons nous arrêter et prendre le temps de réfléchir, de nous demander si le pendule est allé trop loin.
Il est évident que la situation au Canada est unique et demande une attention toute spéciale. Nous espérons que vous êtes d'accord avec nous.
Nous nous ferons un plaisir de répondre à vos questions, monsieur le président.
Le président: En ce qui concerne votre préoccupation face aux emplois qui pourraient être perdus, êtes-vous d'avis que ce comité et le gouvernement devraient avoir pour politique de n'apporter au secteur des services financiers aucun changement qui pourrait faire disparaître des emplois? C'est certainement l'impression qui se dégage de votre exposé ainsi que de celui du Bureau d'assurance du Canada. Peut-être que ce que vous dites en réalité, c'est qu'il ne devrait pas y avoir de pertes d'emplois dans votre secteur, mais vous ne vous souciez guère des autres secteurs.
Comment changer la structure d'un secteur où la technologie et d'autres facteurs influent si fortement sur l'utilisation des ressources humaines et des autres ressources?
Je ne suis pas en faveur du chômage. Je demande simplement si j'ai raison de conclure qu'un de vos thèmes principaux, c'est que ce comité ne devrait rien appuyer qui risque de causer des bouleversements sur le plan de l'emploi.
M. Toole: Je crois que tout le monde sera d'accord pour dire que notre secteur bancaire est sain, que notre secteur de la location d'automobiles est sain et que notre secteur de l'assurance est sain. Lorsqu'on voit une restructuration et des pertes d'emplois, c'est habituellement pour sauver un secteur en difficulté. Nous avons affaire ici à un secteur sain. Je ne crois pas qu'on devrait faire disparaître des emplois dans un secteur qui fonctionne déjà bien.
Le président: Je crois que vous avez répondu à ma question. Votre position est que nous devrions faire des changements seulement si le secteur ne fonctionne pas bien. Si tout va bien, nous ne devrions pas faire de changements. Est-ce là votre position?
M. Toole: Oui.
M. Jim Ball, président élu, Association des courtiers d'assurance du Canada: Si je peux ajouter à ce que M. Toole a dit, sénateur, il y a eu des changements. Des changements énormes ont été apportés en 1992 lorsqu'on a permis aux banques de posséder et d'administrer des compagnies d'assurance.
Je crois que nous parlons ici d'emplois perdus au niveau des collectivités.
Le président: Chaque emploi est situé dans une collectivité.
M. Ball: Les courtiers d'assurance sont présents dans chaque ville et dans chaque collectivité au Canada. Ils vivent, travaillent et prennent leurs décisions dans la collectivité.
Le président: N'est-ce pas le cas de toute entreprise ayant des succursales?
M. Ball: Je ne crois pas.
Pourquoi les banques demandent-elles à pénétrer notre petit secteur d'activité? Est-ce parce qu'elles voient qu'elles pourront offrir des prix plus bas et un meilleur service aux collectivités? Cela ne s'est pas produit jusqu'à maintenant depuis leur arrivée dans le secteur de l'assurance il y a six ou sept ans.
Je suis propriétaire d'une petite maison de courtage. J'ai 18 employés. Les décisions que je prends ne sont pas fondées sur la valeur de mes actions. Je ne passe pas mes journées à me préoccuper de la valeur de mes actions et de leur comportement sur le marché des valeurs. Je me préoccupe de mes profits, bien sûr, mais je me préoccupe aussi de mes employés. Je me préoccupe du salaire qu'ils gagnent et je ne cherche pas à accroître la productivité pour faire augmenter la valeur de mes actions.
Je me préoccupe aussi de mes clients. Je ne recherche pas les gains de productivité ou d'autres choses qui réduiront le service à la clientèle pour faire augmenter la valeur de mes actions.
Les emplois que nous avons peur de perdre ici sont des emplois dans la collectivité, dans de petites entreprises dirigées par des gens comme moi.
Si ces changements devaient faire une différence énorme sur le plan de la concurrence, je n'hésiterais pas à les appuyer. Pourquoi changer quelque chose qui fonctionne vraiment bien et qui est le tissu social d'une collectivité? Les courtiers d'assurance sont des citoyens de premier plan dans leurs collectivités respectives. Ils font du bon travail. Ils font toutes ces choses que le rapport dit que nous devrions chercher à faire.
Le sénateur Kolber: Les courtiers sont-ils tous aussi altruistes? Vous parlez comme si les directeurs de banques étaient tous des vauriens et les courtiers étaient tous des gens extraordinaires.
M. Ball: Ce n'est pas ce que je veux dire. Tout ce que je veux dire, c'est que le directeur de banque rend des comptes à quelqu'un d'autre, qui rend des comptes à quelqu'un d'autre, qui rend des comptes au PDG. Aujourd'hui, malheureusement, les grandes sociétés doivent se préoccuper de la valeur des actions. Elles cherchent davantage à plaire à leurs actionnaires qu'à leurs clients. Elles n'ont pas le choix si elles veulent maintenir à un niveau élevé la valeur de leurs actions et satisfaire les analystes.
Le sénateur Kolber: Je vous aurais pensé capables de présenter de meilleurs arguments.
Le sénateur Tkachuk: Je comprends votre point de vue. Vous avez mentionné le fait que le groupe de travail MacKay a choisi de ne pas tenir compte du secteur des assurances multirisques et vous nous avez signalé les points qui ont été laissés de côté. Pourquoi croyez-vous que le groupe de travail n'a pas traité de façon plus détaillée la question des assurances multirisques?
M. Toole: Je ne peux pas vous dire pourquoi. Le groupe de travail a fait une analyse complète du secteur de l'assurance-vie et du secteur bancaire, mais il n'a pas analysé notre secteur. Nous sommes convaincus que, s'il avait fait une analyse complète de la compétitivité de notre secteur, les recommandations auraient été différentes.
Le sénateur Tkachuk: Je trouve cela un peu incongru que le groupe de travail MacKay parle de la nécessité d'une concurrence accrue dans le secteur des assurances multirisques si les banques sont autorisées à y entrer, même s'il y a plus de 200 sociétés dans ce secteur dans le moment. Puis il se sert de l'argument contraire, disant que le marché de la location est dominé par Ford Motor Credit et toutes ces autres grandes sociétés américaines et que la concurrence doit donc y être plus forte.
Les témoins du Bureau d'assurance ont mentionné que 20 000 personnes dans votre secteur perdraient leur emploi si ces recommandations étaient mises en oeuvre. Savez-vous si cela comprend les courtiers? Ou est-ce seulement les gens du secteur des assurances multirisques? Pouvez-vous me donner des précisions à cet égard?
M. Toole: Nos chiffres sont différents. Je crois que le chiffre de 20 000 emplois est une estimation conservatrice. On verrait probablement 20 000 courtiers perdre leur emploi et probablement entre 10 000 et 20 000 employés de compagnies d'assurance, pour une perte totale de plus de 30 000 emplois.
Nous fondons ces estimations sur la part du marché que les banques prétendent pouvoir capturer si elles sont autorisées à vendre de l'assurance dans leurs succursales. Elles prétendent pouvoir capturer 35 p. 100 du marché. Je crois que c'est également là une estimation conservatrice. Toutefois, en nous fondant sur une part de marché de 35 p. 100, nous nous attendons à ce que 20 000 courtiers perdent leur emploi.
Le sénateur Tkachuk: Leurs propres compagnies d'assurance ne devront-elles pas prendre de l'expansion? Autrement dit, les compagnies d'assurance appartenant aux banques ne prendront-elles pas de l'expansion pour desservir la part du marché qu'elles enlèveront aux autres compagnies d'assurance?
M. Toole: Pour vous donner une idée de ce qui s'est passé depuis 1992, année où les banques ont été autorisées à vendre de l'assurance, mais pas dans leurs succursales, il y a essentiellement quatre banques qui vendent maintenant de l'assurance. La Banque de Montréal est une des grandes banques qui n'en vend pas.
La Société d'assurance CIBC émet maintenant 259 millions de dollars en primes nettes au Canada. Cela la met au 21e rang sur 230 sociétés, et ce, selon les règles actuelles. Ses activités liées à la vente d'assurance s'accroissent au rythme de 30 p. 100 par année. Si mon entreprise connaissait une telle croissance, je serais en extase. Les banques ne semblent pas être en extase. Elles semblent en vouloir encore davantage. Cela m'amène à me demander quand le besoin devient-il de la cupidité.
Les dispositions de 1992 assuraient un équilibre entre les intérêts des petites entreprises et ceux des grandes entreprises. Elles permettaient aux banques de vendre de l'assurance, mais permettaient aux petites entreprises de leur faire concurrence. C'est ce qui créait des règles du jeu équitables et c'est pourquoi nous croyons que les réformes de 1992 devraient demeurer en vigueur.
Le sénateur Tkachuk: À la page 5 de votre mémoire, au sixième point, vous dites ceci:
Le groupe de travail défend cette position sous prétexte que la vente d'assurance par les banques est chose courante dans le monde, particulièrement en Europe. En réalité, les banques européennes ont eu beaucoup de difficulté à pénétrer le marché des assurances multirisques.
Si c'est le cas, alors pourquoi l'entrée des banques dans le secteur de l'assurance est-elle une si grande source de préoccupation dans le milieu du courtage et dans le milieu des assurances multirisques?
M. Ball: M. Cooke et M. Anderson ont répondu en partie à cette question. C'est à cause de la concentration de pouvoirs des banques. Il y a une autre raison qui n'a pas été mentionnée. Je vais vous donner un exemple. J'ai acheté la petite entreprise d'un courtier qui prenait sa retraite. Je n'ai pas acheté des biens durables, mais bien essentiellement la liste des clients. Cette liste comprenait les dossiers et, donc, les polices vendues par ce courtier et les compagnies qui ont souscrit ces polices. C'est ce que j'ai payé pour obtenir.
Quand vous contractez un emprunt hypothécaire pour votre maison, vous devez fournir une copie de votre police à l'institution financière prêteuse. Celle-ci a donc gratuitement ce que j'ai payé pour avoir. Elle peut ensuite se servir de ces renseignements contre moi. Je lui donne en toute confidence parce que, en tant que courtier, je dois vous aider à fournir à la banque une copie de la police pour que vous puissiez obtenir le prêt hypothécaire. Les banques ont tous les renseignements que je suis obligé d'acheter si je veux élargir mon entreprise. Elles les ont gratuitement et peuvent s'en servir. C'est là où les règles du jeu ne sont plus équitables. En plus de se livrer à la pratique coercitive que sont les ventes liées, les banques ont les renseignements qui sont essentiels à mon entreprise.
M. Dan Tessier, Affaires publiques, Association des courtiers d'assurance du Canada: Il y a un autre point important à considérer. À l'étranger, particulièrement en Europe, toute la question a évolué différemment. C'est différent en Allemagne. C'est différent en France. C'est différent en Italie, en Espagne, au Portugal et ainsi de suite. Le groupe de travail MacKay n'a pas analysé ce qui se passe vraiment dans ces pays.
Prenons le cas de l'Allemagne. Le secteur des assurances multirisques là-bas était tellement réglementé qu'on pouvait acheter de l'assurance d'à peu près n'importe qui. C'est ce que je crois comprendre. Il n'y avait aucune concurrence sur le plan des prix. Il faut tenir compte de cela. C'est le problème que nous avons avec le groupe de travail MacKay. Il n'a pas fait cela. Il a accepté le terme générique «banque-assurance» et a dit que, parce que cela existait en Europe, cela devrait exister ici. Ce n'est pas la bonne façon de procéder.
Le sénateur Kenny: Merci d'être venus. Je suis heureux de connaître votre point de vue. Après avoir entendu votre exposé, j'ai un peu l'impression que vous êtes ici pour défendre votre territoire. Je sais que les courtiers sont de puissants lobbyistes. Je sais que vous avez de l'influence dans les collectivités, comme vous l'avez signalé. Dans le passé, j'ai vu des courtiers qui pouvaient vraiment influencer leurs députés élus. Je respecte cela et je comprends l'influence que vous exercez sur le système.
Je ne suis cependant pas certain d'avoir entendu, dans votre exposé, le point de vue du consommateur. Je vois que vous défendez votre territoire, et il n'y a rien de mal à cela. Si j'étais à votre place, je ferais de même. Toutefois, je voudrais bien vous entendre décrire comment vous cherchez à protéger les intérêts des consommateurs dans tout cela.
M. Ball: M. Anderson et M. Cooke ont mentionné le fait que nous avons 230 compagnies d'assurances qui se font concurrence dans le secteur. Ils ont signalé qu'aucune d'entre elles ne détient plus de 10 p. 100 du marché. Ils ont mentionné aussi que 75 p. 100 des produits d'assurance sont vendus par des courtiers indépendants qui examinent, au nom du consommateur, ce que toutes ces compagnies ont à offrir et qui forcent ces dernières à être concurrentielles.
Ils n'ont pas parlé de façon très détaillée du grand changement technologique qui s'est produit depuis 1992, soit la croissance de la technologie des centres téléphoniques. Cela a eu une plus grande influence sur la nature concurrentielle de notre secteur que n'importe quel autre facteur jusqu'à maintenant. Cela nous a donné, à nous en particulier, une force concurrentielle réelle. On dépense des millions de dollars en publicité, faisant connaître au public le secteur de l'assurance plus que jamais auparavant. On donne à tout le monde une meilleure chance de choisir entre les divers produits offerts, car la publicité encourage le consommateur à faire cela. Autrement dit, à mon avis, cela a changé la nature de notre secteur plus que n'importe quel autre facteur depuis que j'ai commencé à travailler dans ce secteur il y a 35 ans.
Le sénateur Kenny: Ce sont des centres téléphoniques que les banques ont mis sur pied?
M. Ball: Les banques et les sociétés d'assurances. Certaines sociétés d'assurances vendent des assurances par notre intermédiaire mais aussi par celui d'un centre téléphonique. Cela nous oblige à être à la pointe. Cela nous oblige à recourir à la technologie. Je vends des assurances par l'intermédiaire de la société de M. Cooke. Aujourd'hui, je peux transmettre les informations que je possède à M. Cooke qui peut me transmettre celles qu'il a. Nous réduisons nos dépenses d'exploitation; nous devons le faire. Si nous voulons être plus concurrentiels grâce aux nouvelles méthodes de distribution introduites par un recours accru à la technologie, aux moyens de communication modernes et aux centres d'appel, nous devons réduire nos dépenses d'exploitation.
Si rien d'autre ne change à part les règles qui sont en vigueur depuis 1992, je vous prédis que ces centres d'appel vont se multiplier. Le secteur des assurances se prête à la vente par téléphone. Les gens seront plus nombreux à acheter des assurances par téléphone. Un certain pourcentage de personnes continueront de trouver commode le choix que nous leur proposons.
L'autre chose que nous sommes les seuls à pouvoir offrir, ce sont les services de médiation en cas de réclamation. Je doute que vous ayez jamais lu votre police d'assurance. Vous ne savez sans doute pas ce pour quoi vous êtes couvert ou non. Mon travail, ce n'est pas seulement de vous vendre une assurance, c'est aussi de veiller à ce que, si vous avez un problème et que vous n'aimez pas la façon dont la société de M. Cooke s'y prend, vous ayez quelqu'un d'autre à qui vous adresser. Vous n'avez pas besoin d'un ombudsman ou de qui que soit d'autre, si ce n'est de votre courtier. Mon travail est de défendre vos intérêts, et je le fais tous les jours.
Certaines personnes qui se croient suffisamment sûres d'elles pour ne pas avoir besoin de moi achèteront une assurance par téléphone. Nous avons en Colombie-Britannique un agent qui vient de créer sa propre société d'assurances. Des sociétés d'assurances vendront par courtage et des courtiers créeront des sociétés d'assurances. Certaines banques auront recours à des centres téléphoniques. La concurrence aujourd'hui est féroce et continuera de l'être. Nous ne voyons pas en quoi donner aux banques l'avantage injuste dont nous avons parlé améliorera la concurrence. Je pense que cela la réfrénera un peu.
Le sénateur Kenny: Encore une fois, monsieur, vous m'avez expliqué pourquoi vous faites face à une concurrence féroce. Vous êtes ici pour défendre vos intérêts et je le comprends. Ce que je vous demandais, c'était le point de vue du consommateur, c'était pourquoi le consommateur estime qu'il y a avantage à laisser les choses telles qu'elles sont.
M. Ball: Premièrement, parce qu'il y a énormément de concurrence. Deuxièmement, si les banques sont autorisées à s'accaparer un consommateur à un stade donné parce qu'elles ont un avantage qui leur donne un certain pouvoir -- par exemple, le recours au crédit -- la concurrence s'en trouvera réduite. Le client, pour une raison ou une autre -- qu'il soit sûr de lui ou que ce soit son premier achat -- que ce soit, par exemple, la première fois qu'il achète une maison ou une voiture -- écoutera la banque. Cela ne veut pas dire que le produit sera meilleur puisque la banque n'a qu'un seul produit à proposer. Contrairement à ce que nous faisons, les banques n'expliquent pas au client ce que différentes sociétés proposent. Les banques n'offrent pas de meilleurs prix. Ces six dernières années qu'elles nous ont fait concurrence, elles n'ont pas offert de meilleurs prix bien qu'utilisant la nouvelle technologie. Étant donné qu'elles n'offrent pas de prix plus avantageux, qu'elles n'offrent pas de meilleurs produits et qu'il existe un risque de ventes liées coercitives que nous devons reconnaître -- le rapport recommande toutes sortes de mesures afin de réduire ce risque -- je me pose la question suivante: pourquoi, puisque cette industrie fonctionne très bien et assure des emplois locaux, avons-nous besoin de cette concurrence déloyale? Comme l'a dit M. Toole, les banques nous livrent déjà une concurrence très efficace en vertu des dispositions établies en 1992.
Le sénateur Kenny: Vous nous dites que les banques vous font concurrence. Je ne me souviens pas du nombre de millions de dollars que M. Toole nous a dit qu'elles percevaient en primes nettes par an.
M. Toole: La CIBC?
Le sénateur Kenny: Je croyais que c'était pour l'ensemble de l'industrie.
M. Toole: Non. Je parlais seulement à titre d'exemple de la CIBC, qui perçoit 259 millions de dollars en primes nettes.
Le sénateur Kenny: Si une banque perçoit 259 millions de dollars par an en primes nettes, cela ne veut-il pas dire que beaucoup de consommateurs trouvent leur produit attrayant?
M. Toole: Sûr. Il y a concurrence, c'est ce que nous disons. Ce que nous voulons dire, c'est qu'elles devraient procéder comme nous le faisons, qu'elles ne devraient pas utiliser les informations que nous leur donnons pour nous faire concurrence. Si les banques se sont vu accorder certains privilèges, c'est pour promouvoir la petite entreprise, ce n'est pas pour lui faire concurrence. Pour elles, nous sommes un obstacle. Nous les empêchons de dominer totalement le consommateur canadien. Nous représentons 75 p. 100 du marché. Si elles se lancent dans ce secteur d'activité, elles prendront le contrôle, comme elles l'ont fait dans le cas des maisons de courtage en valeurs mobilières et des compagnies fiduciaires. C'est seulement une question de temps.
Le sénateur Kenny: Si elles prennent le contrôle, sera-t-il bon ou mauvais pour le consommateur?
M. Toole: Le consommateur y trouvera certains avantages à court terme. Les banques commencent toujours par offrir des prix bas et une fois qu'elles ont enlevé leur part du marché, elles les augmentent. Nous avons adressé un mémoire à ce sujet au groupe MacKay. En Ontario, les banques se sont lancées sur le marché, elles ont capturé leur part du marché et au bout de six mois ont accru leurs prix de 10 p. 100. Robert Ballard peut vous dire la même chose en ce qui concerne le Mouvement Desjardins au Québec, il peut vous dire comment les banques voient la concurrence une fois qu'elles pénètrent le marché.
M. Tessier: Pour vous donner un exemple, quand nous avons comparu l'autre jour devant le comité des finances de la Chambre des communes, je lui ai fait part d'une anecdote. Cette histoire touche à certaines questions qui ont été soulevées tout à l'heure. Elle concerne une personne que je connais bien, un monsieur retraité de 78 ans.
Ce monsieur, illettré, avec un niveau d'instruction de première année, a travaillé dur toute sa vie, n'a jamais eu de dettes, a toujours tout payé au comptant, n'a jamais eu besoin de prêts d'aucune sorte. Un jour, à sa coopérative de crédit locale au Québec, la dame qui s'occupait de lui lui a dit: «Si vous souscrivez une assurance-automobile -- nous vous accompagnerons, c'est juste au coin -- j'ai droit à une petite commission.» Il est ressorti avec une police d'assurance, une carte Visa et une carte GAB. Ne sachant pas lire, il ne peut pas s'en servir. Non seulement c'est illégal, c'est immoral.
Quand j'ai entendu cette histoire, j'ai appelé l'institution en question pour leur dire que c'était ridicule, qu'elle ne pouvait pas faire ça aux gens. Nous avons beaucoup, beaucoup d'autres exemples comme celui-ci.
Si l'on accorde aux banques d'autres privilèges spéciaux, elles feront exactement la même chose car les incitations vont avec. Si vous prenez un exemplaire de la revue mensuelle Le Banquier, que publie l'Association des banquiers canadiens, il y a un article à ce sujet, au sujet des mesures visant à inciter les gens au comptoir, au guichet et autres, à proposer d'autres produits. Comment pouvez-vous réglementer cela? Ce n'est pas possible.
Le sénateur Kenny: Qu'arrive-t-il si le client veut ces produits?
M. Ball: A l'heure qu'il est, le client a le choix entre 230 fournisseurs.
Le sénateur Kenny: Qu'arrive-t-il s'il veut acheter ces produits à un seul fournisseur?
M. Ball: Il peut le faire.
Le sénateur Kenny: Y voyez-vous un inconvénient?
M. Ball: Non. Nous voulons simplement que la concurrence soit loyale. Vous dites que ce devrait être au marché de dicter les règles, et non pas à l'organe de réglementation. Le marché fonctionne en vertu des règles mises en place en 1992. Notre industrie a connu une concurrence extraordinaire ces six dernières années. Il faut attendre de voir les résultats.
Comme l'a dit M. Cooke, laissons la concurrence jouer et voyons comment les banques réagissent avant de leur donner le droit de s'attaquer à notre industrie. Notre industrie marche très bien. Nous avons beaucoup de concurrents au Canada et à l'étranger. Il y a répartition des risques. Nous assurons des emplois dans les petites localités. Pourquoi prendre le risque de bouleverser tout cela et de mettre en place toutes sortes de règles tout simplement pour permettre aux succursales des banques de vendre des assurances? Ça n'a aucun sens.
Le sénateur Di Nino: J'aimerais revenir à la ligne de pensée du sénateur Kenny. Notre responsabilité est d'essayer de prendre des décisions qui seront dans l'intérêt des Canadiens. Je vous ai écouté, ainsi que les témoins qui vous ont précédé, et ce que me préoccupe, c'est -- si je puis m'exprimer ainsi -- le changement de style de vie que cela risque d'entraîner, notamment dans les petites localités. Les chiffres que vous avancez en ce qui concerne la perte d'emplois sont supérieurs à ceux qu'a avancés le témoin qui vous a précédé, mais dans les deux cas, ils sont très élevés.
On prétend que les banques, parce qu'elles sont ce qu'elles sont et parce qu'elles font ce qu'elles font, notamment parce qu'il leur est possible d'accorder du crédit, se serviront des informations que leur donnent les sociétés d'assurances pour s'accaparer de cette partie des activités comme c'est le cas dans tout ce qu'elles font. Cela, dites-vous, aura pour conséquence la fermeture de bureaux de courtage et la perte d'emplois pour les personnes qui y travaillent, particulièrement dans les petites localités. Est-ce bien cela en résumé, est-ce bien ce dont il s'agit?
M. Toole: C'est bien cela.
Le sénateur Di Nino: Décrivez-nous un peu qui est ce courtier, qui sont ces courtiers dans votre localité. Qu'aurait la localité à perdre si le bureau de courtiers fermait ses portes, si ce n'est la concurrence qu'il apporte?
M. Ball: La communauté perdrait une personne qui vit et travaille dans cette localité, une personne à laquelle les membres de la communauté peuvent acheter des produits d'assurance, une personne qui peut leur donner des conseils impartiaux et qui leur offre un choix. Si le seul endroit où s'adresser pour acheter un produit est la banque, qui vend son produit et qui le vend à son prix, le client n'a pas le choix. En cas de plainte, notamment s'il s'agit d'un produit complexe et que le consommateur n'a pas lu la police d'assurance, le consommateur est à la merci de l'institution financière. Je défie les sénateurs de me dire combien ils sont à avoir en fait lu en détail leur police d'assurance. Nous savons bien que les consommateurs ne le font pas. C'est pourquoi notre rôle est tellement important.
Il y a 35 ans que je suis dans le métier. J'apprends chaque jour quelque chose de nouveau. C'est un métier particulier. Tous les jours, j'aide les consommateurs à interpréter leur police d'assurance. Je les aide à obtenir l'indemnisation que M. Cooke peut refuser de leur verser. Je joue le rôle de médiateur auquel il est tellement important que tous les consommateurs aient accès sur le marché actuel. C'est un produit compliqué que personne ne prend le temps de comprendre.
Le sénateur Di Nino: Ce sont là deux points très importants. J'aimerais les souligner et m'assurer que je les comprends bien. Vous voulez dire que si les banques vendaient des assurances par l'intermédiaire de leur réseau de succursales, elles vendraient seulement leur produit et non celui de M. Cooke?
M. Ball: Pas de la façon dont ça fonctionne jusqu'ici. Elles ont établi leur propres sociétés d'assurances subsidiaires.
Le sénateur Di Nino: Avoir le choix est un aspect important de la concurrence. En outre, en cas de demande d'indemnisation, vous pourriez les représenter.
Ce que je sais des courtiers d'assurance -- j'en sais peu mais suffisamment -- me porte à croire que les communautés perdraient un élément important, notamment du point de vue commercial. Est-ce bien cela?
M. Ball: C'est exact. Surtout dans les petites localités, où les courtiers en assurances sont d'importants citoyens. Ils font partie des conseils communautaires et font beaucoup de travail communautaire. Le groupe de travail dit que c'est ce qu'une banque devrait faire, rendre davantage de comptes aux communautés. C'est ce que nous faisons actuellement grâce aux actions que vous avez mentionnées.
Le sénateur Di Nino: Ce qui signifie que s'occuper des scouts, être entraîneur sportif à titre bénévole, et cetera, fait partie du rôle d'un courtier dans une petite communauté?
M. Ball: Exactement.
Le sénateur Di Nino: D'après ce que nous avons entendu, il est peut-être inévitable que, tôt ou tard, certains changements se produisent qui risquent d'avoir un impact sur votre capacité de continuer de diriger une entreprise florissante dans vos communautés. Je crois comprendre que le nombre de produits et de services que vous pouvez vendre à ce stade par l'intermédiaire de votre réseau de bureau à travers le Canada est limité? Est-ce exact?
M. Ball: Seulement par choix. Si je voulais, je pourrais vendre des hypothèques et des REER. On me l'a proposé. Je pourrais aussi vendre des fonds communs de placement, mais j'ai décidé de m'en tenir à ce que je fais le mieux et qui me prend assez de temps, beaucoup plus que je ne puis en donner. C'est un métier très compliqué.
Le sénateur Di Nino: Vous n'êtes tenu par aucune restriction quant aux services que vous pouvez vendre?
M. Toole: Aucune. Essentiellement, les assurances sont régies par la province. Il y a dix règlements distincts au Canada. Ce que M. Ball peut faire à Vancouver, il peut ne pas pouvoir le faire à Fredericton et Robert peut ou non le faire à Montréal.
Le sénateur Di Nino: Si vous deviez parler au nom du pays tout entier -- et vous pouvez le faire en tant que président de l'association -- quels autres services, d'après vous, demanderiez-vous que l'on vous confie en échange d'autres services qui vous seraient retirés? Y a-t-il, dans la loi, une chose que nous pouvons vous donner pour vous indemniser de ce que nous vous retirons?
M. Toole: Nous avons toujours dit que nous étions des experts. Nous estimons que ce que nous faisons, nous le faisons bien. Nous voulons rester dans ce secteur d'activité. Nous voulons vendre les produits que nous savons le mieux vendre. Comme M. Ball l'a dit tout à l'heure, le secteur des assurances connaît une évolution. Il y a tout le temps de nouveaux produits et il semble y avoir de moins en moins d'heures par semaine pour servir le consommateur. C'est pourquoi nous parlons de partition, de lignes de produits spécialisés et de marchés à créneaux. Quelqu'un doit se spécialiser dans ces produits. C'est sur eux que nous nous concentrons à présent.
Le sénateur Kelleher: J'ai écouté attentivement ce que vous avez dit, ainsi que le témoin qui vous a précédé. Je dois avouer que je suis un peu perdu. La plupart des membres du comité seront d'accord, j'en suis sûr. Vous semblez dire qu'il y a beaucoup de concurrence, que vous n'en voulez pas davantage. C'est une chose qui m'ennuie parce que j'ai souvent eu l'impression qu'une plus grande concurrence est à l'avantage du consommateur à long terme. Ça a été la tendance dans les affaires. Vous, vous dites que non, que vous avez assez de concurrence comme cela, que vous n'en avez pas besoin de plus.
Je ne sais pas comment vous pouvez dire ça. Comment pouvez-vous me dire que, alors que les banques ne sont pas présentes pour l'instant dans ce secteur d'activité, la concurrence ne va pas permettre d'abaisser les prix et qu'elle ne sera pas à l'avantage du consommateur? Si les banques se lancent dans ce secteur d'activités et n'offrent pas de meilleurs services à un prix plus bas, alors vous n'aurez pas à vous inquiéter, n'est-ce pas?
M. Ball: Elles sont déjà dans les assurances.
Le sénateur Kelleher: Non. Elles peuvent posséder des sociétés d'assurances.
M. Ball: Oui, et vendre des assurances.
Le sénateur Kelleher: Oui, mais elles ne peuvent pas en vendre dans leurs succursales. Est-ce exact?
M. Ball: Oui.
Le sénateur Kelleher: Vous dites que nous n'avons pas besoin d'avoir davantage de concurrence. Il y a déjà plein de concurrence et en avoir plus n'aiderait pas le consommateur.
M. Ball: Non, pas si elle est déloyale, ce qu'elle serait.
Le sénateur Kelleher: Vous pensez qu'elle est déloyale parce qu'elle peut accroître la concurrence en ce qui vous concerne, mais existe-t-il des études montrant que ce ne sera pas mieux pour le consommateur? Je n'ai jamais vu d'études effectuées par votre industrie.
M. Toole: Je peux vous dire ce qu'il en est des primes d'assurances appliquées par les banques. En Ontario, les primes d'assurances de la CIBC se situent à peu près à la moyenne. M. Ballard pourra vous dire ce qu'il en est de Desjardins au Québec.
M. Robert Ballard, vice-président, Association des courtiers d'assurance du Canada: Les caisses populaires au Québec ont commencé à vendre des assurances en 1987, ainsi que M. Cooke l'a dit tout à l'heure. Elles vendent maintenant pour plus de 300 millions de dollars de polices d'assurances. Cela nous a fait perdre plus de 1 000 agences dans la province du Québec ces dix dernières années. Si vous comptez trois à quatre employés par agence en moyenne, cela fait 4 000 emplois qui ont été perdus dans cette province.
Le président: On peut présumer que le Mouvement Desjardins a recruté un certain nombre de personnes -- pas le même que celui des personnes qui ont perdu leur emploi -- pour s'occuper de la vente. Je ne puis pas croire que ces emplois n'ont pas été remplacés dans une certaine mesure. Honnêtement, donnez-nous des raisons solides afin que nous ayons toutes les cartes en main.
M. Ballard: Certes, mais ces pertes d'emplois sont concentrées dans une région, celle de Lévis, au Québec. Des emplois sont perdus dans cette communauté.
Le président: Je n'aime pas le terme «communauté» parce que les gens habitent un endroit. Vous dites que des emplois ont été perdus dans un endroit et créés dans d'autres.
M. Ballard: C'est bien cela.
Le président: Cela me rappelle l'époque où j'essayais de fermer des usines à poisson à Terre-Neuve. On m'avait opposé le même argument.
Le sénateur Kelleher: Ma question semble ne mener nulle part. Je n'arrive pas à obtenir de réponse.
Vous dites que ce n'est pas nécessaire, que nous avons toute la concurrence dont nous avons besoin. Je ne vois pas comment vous pouvez dire une chose pareille. Vous ne m'avez fourni aucune statistique, aucune étude pour me prouver que le fait d'autoriser les banques à faire ça n'est pas dans l'intérêt du consommateur.
M. Toole: Les banques nous ont dit qu'elles estimaient pouvoir enlever 35 p. 100 du marché si elles pouvaient vendre des assurances à partir de leurs succursales. En Europe, ce chiffre est seulement de 5 p. 100. Imaginez que 63 p. 100 des Canadiens achètent tous leurs produits à une banque lorsqu'ils lui achètent un produit. Si cette fusion est autorisée, cela veut dire essentiellement que près de 70 à 80 p. 100 de tous les clients passeront par des mégabanques. Avec une telle concentration, les banques domineront totalement le marché.
Le groupe de travail MacKay va plus loin que le projet de loi C-188. Il dit dans son rapport que les banques seront autorisées à utiliser toutes les informations qu'elles possèdent sur le client.
Le président: Je rappelle que le projet de loi C-188 est celui qui autorise les caisses populaires Desjardins à vendre des assurances.
M. Toole: Le rapport du groupe de travail MacKay recommande que les banques soient autorisées à utiliser ces informations, ce qui va plus loin que le projet de loi C-188. Les banques sont autorisées à utiliser non seulement les informations qu'elles ont recueillies, mais aussi celles que nous leur avons fournies. Elles pourront se servir de ces informations pour nous faire concurrence. Nous estimons que ce n'est pas juste.
Le sénateur Kelleher: Je m'en rends compte, mais ce qui me préoccupe, c'est l'intérêt du consommateur. Si nous ne permettons pas ce type de concurrence, comment saurons-nous ce qui est dans l'intérêt du consommateur? Si en fait, cela doit se traduire par des primes inférieures, un plus grand choix de produits et un meilleur service à la clientèle, qu'y a-t-il de mauvais à cela? C'est peut-être mauvais pour vous, je le comprends, mais ce n'est pas mauvais pour le consommateur, n'est-ce pas?
M. Toole: Si on regarde ce que les banques ont fait dans les autres secteurs financiers, dans n'importe quel secteur qui forme l'un des piliers de l'industrie des services financiers, elles ont réduit la concurrence au long terme, elles ne l'ont pas accrue.
Le sénateur Kelleher: Ce n'est pas vrai en ce qui concerne Toronto. Lorsqu'elles se sont lancées dans les activités de courtage, tout le monde a dit que Toronto allait se retrouver avec seulement quatre ou cinq maisons de courtage. Ce n'est pas vrai. Toutes sortes de gens dans cette industrie s'aperçoivent qu'ils n'aiment pas travailler pour des maisons comme Wood Gundy et créent des maisons de courtage indépendantes autour de Toronto. L'industrie dans cette région se porte très bien et est très compétitive.
M. Toole: Dans la petite ville de Fredericton, il reste seulement trois maisons de courtage et une compagnie fiduciaire. La concurrence est moins grande et il y a moins de choix pour le consommateur.
Le sénateur Joyal: J'ai l'impression que l'argument voulant qu'une plus grande concurrence signifie un meilleur prix pour le consommateur n'a pas été totalement prouvé. Quand j'examine la recommandation du rapport MacKay et que je réfléchis à vos commentaires, j'en arrive à la conclusion que vous n'avez pas réussi à les convaincre. Peut-être que les faits et les arguments que vous nous présentez ne sont pas assez puissants pour convaincre tout le monde qu'on devrait laisser les choses comme elles sont.
Je voudrais poser une question à M. Ballard. Depuis ce changement au Québec, les caisses populaires Desjardins ont enlevé plus de 16 ou 17 p. 100 du marché dans cette province. Certaines agences ont dû fermer leurs portes et il y a eu une perte nette d'emplois. Avez-vous étudié la prime que Desjardins propose à ses clients? Comment expliquez-vous l'écart entre la prime qu'offre la Caisse populaire et celle qu'offrent les agences? C'est important; 16 ou 17 p. 100 représente une part raisonnable du marché.
M. Ballard: Sénateur Joyal, vous vivez dans la province du Québec. Vous avez probablement entendu leur publicité. Pour un nouveau propriétaire, la prime est de zéro. Pour faire concurrence à cela, nous devrions faire un chèque au client. Quand il s'agit d'un renouvellement, les primes appliquées par la caisse populaire se situent à la moyenne.
Le sénateur Joyal: Et l'assurance-risques divers?
M. Ballard: Qu'il s'agisse d'assurer une maison ou une voiture, les prix se situent à la moyenne.
Le sénateur Joyal: En d'autres termes, ce n'est pas le prix le plus intéressant?
M. Ballard: Ce n'est pas le prix le plus intéressant. À zéro, il est déloyal.
M. Joyal: Nous savons tous cela. On nous avait dit qu'au début, elle abaisserait ses prix pour se faire une niche sur le marché. J'ai l'impression que toute entreprise qui démarre se donne un certain temps pour se créer une niche, puis aligne ses prix avec ceux du marché.
Ce n'est pas que je ne comprends pas votre argument. J'essaie seulement d'en faire ressortir les meilleurs éléments pour le rendre plus convaincant car vous vous rendez bien compte que certains de nous se posent encore des questions. Je veux m'assurer que nous ne donnons pas aux banques un argument plus solide qu'aux caisses populaires en les autorisant à vendre des assurances sur place. C'est une chose que nous devons établir. Deuxièmement, nous devons voir ce qu'a donné du point de vue des prix pour le consommateur, la vente d'assurances par la caisse par rapport aux sociétés d'assurances. Nous vous concédons -- et le rapport MacKay aussi -- qu'il y aura une perte d'emplois à un moment donné. C'est un problème social qu'il faudra examiner.
L'autre question, c'est celle soulevée dans le rapport du groupe de travail MacKay, à savoir qu'en fin compte, le client sera mieux servi. Au Québec, nous avons une expérience partielle. Comment ça se passe? Quelle est votre conclusion? Le consommateur au Québec est-il mieux servi maintenant qu'il peut acheter une assurance à la caisse populaire moyennant une prime inférieure à celle que vous pouvez lui offrir?
J'essaie de comprendre votre argument.
M. Ballard: À partir de 1987, les caisses populaires n'ont plus été autorisées à vendre des assurances dans leurs succursales. Il fallait qu'elles aient une filiale, qu'elles avaient. À présent, nous avons le projet de loi C-188 qui va entrer en vigueur plus tard. Ce projet de loi comprend 583 dispositions, dont 200 seulement ont été examinées et plus de 250 restent à examiner. Nous ne savons pas encore ce qui va se passer au Québec, car beaucoup de dispositions n'ont pas encore été adoptées.
Ceci dit, même si les caisses populaires vendent pour 300 millions de dollars de polices d'assurances, le service à la clientèle ne s'est pas amélioré puisque les consommateurs doivent maintenant passer par le numéro d'appel gratuit et que les gens ne bénéficient plus des services d'un courtier en cas de revendication. À mon avis, ce projet de loi n'a pas amélioré la situation.
M. Tessier: En plus de cela, la plupart des exemples que cite le groupe de travail ont trait à l'assurance-vie et non pas à l'assurance multirisques. À la page 107, le rapport dit «qu'il semble -- bien qu'on ne puisse être tout à fait catégorique» que la diminution des coûts et l'augmentation de la productivité obtenues par les banques au niveau de la distribution aient entraîné une expansion globale du marché.
Nous avons affaire ici à deux produits distincts, l'assurance-vie et l'assurance multirisques. Il faut faire la distinction quand on regarde ce qui se passe en Europe et ailleurs au Canada. Le groupe de travail MacKay n'a pas bien fait son travail, il n'a pas fait cette distinction.
J'ai parlé tout à l'heure des pouvoirs limités qu'ont certaines institutions en ce qui concerne la vente au détail d'assurances, et j'ai dit comment ces institutions traitaient leurs clients. Est-ce un avantage concurrentiel injuste? N'est-ce pas un mauvais service à rendre aux consommateurs que de les contraindre à acheter des produits dont ils ne veulent pas nécessairement, dont ils n'ont pas nécessairement besoin ou qu'ils préfèrent peut-être acheter ailleurs?
La question est celle-ci, pourquoi les mettons-nous dans une position où ils risquent de se voir refuser un prêt ou une hypothèque tout simplement parce qu'ils refusent de signer sur la ligne en pointillés? C'est arrivé en Europe.
En Belgique, par exemple, les institutions bancaires regardaient les chèques que leurs clients envoyaient à leur courtier ou à la compagnie d'assurances, puis écrivaient aux clients en question pour leur dire qu'ils pouvaient leur proposer de meilleurs prix. Finalement, l'affaire a été renvoyée devant l'une des plus hautes instances de ce pays. La cour s'est prononcée en faveur du consommateur et les courtiers ont attiré l'attention du tribunal sur cette pratique.
C'est à ce genre de choses que nous faisons allusion lorsque nous parlons de concurrence déloyale. Nous n'avons rien contre la concurrence, mais nous ne sommes pas des cobayes. Nous faisons une contribution à la communauté et nous sommes là. Le secteur de l'assurance multirisques est très compétitif. Pourquoi le soumettre à cette expérience quand il y a d'autres priorités comme le manque de concurrence dans le secteur bancaire?
Le sénateur Stewart: L'argument utilisé dans le témoignage initial des témoins rappelle ce qu'on avait coutume de dire dans certains autres secteurs commerciaux, par exemple quand les supermarchés ont commencé à supplanter les épiceries et les pharmacies locales. Ma question est celle-ci, qu'ont donc de spécial les services financiers pour qu'on les traite d'une autre façon que les supermarchés?
Je me rends compte qu'il y a en vertu de la Constitution une différence au niveau de la compétence. Le secteur des services financiers relève en effet, dans une grande mesure, du Parlement du Canada. Comment expliquez-vous pourquoi, selon vous, votre industrie, le secteur des services financiers, devrait-être traité différemment?
J'aimerais savoir pourquoi vous estimez qu'un emploi chez un courtier, dans une société d'assurances locale, est différent d'un emploi dans une pharmacie locale.
M. Ball: Quand un pharmacien ouvre une nouvelle pharmacie en ville, il doit, pour concurrencer les pharmacies existantes, observer les mêmes règles que ces dernières. Il doit faire de la publicité dans le journal. Il doit voir à ce que sa pharmacie soit plus grande, à ce qu'elle soit mieux. Il doit proposer de meilleurs produits. Finalement, il doit attirer le consommateur de la même façon que les autres le font. Ce n'est pas le cas en ce qui concerne la vente au détail d'assurances par les banques.
Le sénateur Stewart: J'aurais pensé que vous auriez répondu que le secteur financier est un service national, que nous avons choisi de confier au secteur privé moyennant une réglementation rigoureuse en raison de sa nature, en tant que service à la nation canadienne alors que les supermarhés, voire les pharmacies, sont des commerces ordinaires.
M. Ball: C'est peut-être vrai, mais nous ne pensons pas que ce soit là une raison pour nous permettre d'exister ou d'être protégés. Nous souhaitons la concurrence, comme d'autres groupes l'ont fait remarquer, mais nous n'arrivons pas à faire comprendre qu'il serait injuste de permettre aux banquiers d'utiliser les informations que nous leur donnons pour nous faire concurrence.
Le sénateur Stewart: Je ne conteste pas du tout ce que vous dites. J'ai tendance à être d'accord avec vous. La question que je vous pose a trait au secteur des services financiers en général. Pourquoi devrions-nous le traiter différemment?
Ceux qui défendent ce projet de fusion, nous disent que nous devons être plus gros pour faire concurrence sur le marché international. Ce qui m'amène à demander ce que ceci a à voir avec l'intérêt des Canadiens à avoir un système financier solide au Canada. C'est une question que l'on se pose de plus en plus au fur et à mesure que l'on observe les changements qui se produisent dans d'autres régions du monde dans le secteur des services financiers.
M. Tessier: Je vois où vous voulez en venir et je reconnais que les institutions financières, à savoir les banques, se sont vu accorder certains privilèges au fil du temps parce que c'était dans l'intérêt de notre politique nationale. Elles rendent un service public en quelque sorte. Toutefois, ce rôle est à présent transformé par les institutions mêmes qui ont bénéficié de mesures protectionnistes pendant des décennies. Ce débat n'a pas eu lieu.
Les Canadiens dans la rue vous diront ce que, d'après eux, les banques sont censées faire. Elles sont censées répondre à leurs besoins, répondre aux besoins de leurs communautés, à ceux des petites entreprises, et cetera. Combien d'entre eux sont au courant des changements fondamentaux qui sont en voie de se produire sans qu'il en soit débattu? C'est le premier pas dans la voie de la réforme.
Un autre point qui a été soulevé est celui de la différence entre les services financiers et une pharmacie ou un magasin de vêtements. Vous pouvez allez dans n'importe quelle institution ou point de revente, choisir un produit et ressortir. Personne n'est là pour vous dire que si vus n'achetez pas ce costume, vous n'aurez pas droit à la cravate. Vous avez le choix. Vous pouvez, comme vous voulez, entrer, ressortir, demander qu'on mette du ketchup sur votre hamburger, vous avez le choix.
Les institutions financières éliminent ce choix en forçant, parfois de façon indirecte, mais parfois en insistant comme dans l'histoire que je vous ai racontée tout à l'heure, sur le fait que pour avoir droit à un crédit, vous devez acheter ceci, ceci et ceci. Ça m'est arrivé à moi pour mon assurance hypothécaire et mon hypothèque.
Un autre point, c'est qu'elles abusent aussi de leur position pour intimider les courtiers. Quand d'autres témoins représentant notre industrie à travers le pays comparaîtront plus tard devant ce comité, ils vous parleront de ces courtiers qui se sont vu refuser des prolongements de crédit par les institutions même auxquelles ils empruntent. Quand on leur demande pourquoi, ces institutions vous répondent: «C'est simple, nous allons nous lancer sous peu dans votre sphère d'activité, pourquoi, dans ce cas, devrions-nous aider notre propre concurrent?» À quoi nous rétorquons, «Pourquoi allons-nous vous donner la liste de nos clients? Pourquoi sommes-nous forcés de vous donner toutes ces données?»
Le sénateur Kroft: En ce qui concerne le fait de dépendre des banques pour le financement, à combien se monte le financement offert à une maison de courtage type par une compagnie d'assurances par rapport à celui offert par une banque? En cas de changement, serait-ce les sociétés d'assurances qui achèteraient les maisons de courtage au lieu des banques? En d'autres termes, je me pose des questions à propos de cette totale dépendance des maisons de courtage par rapport aux banques.
M. Ball: Je ne demanderais jamais un prêt à M. Cooke, sauf pour acquérir un autre courtage. Je ne voudrais cependant pas me retrouver dans l'obligation de faire affaire avec lui pour l'obtention d'une marge de crédit ou pour quelqu'autre affaire. Je pourrais peut-être le faire s'il assurait le financement de mes activités.
Je préférerais demeurer indépendant et recevoir l'aide financière d'une source indépendante, sans être lié aux compagnies d'assurances avec lesquelles je fais affaire.
Le président: D'après ce que j'ai compris ce soir, les témoins n'avaient pas d'objection à ce que les compagnies d'assurances se lancent dans les assurances multirisques, puisque toutes les attaques ont porté contre les ventes liées sous pression pratiquées par les banques et puisqu'il est question dans tout le rapport d'éliminer les barrières à la grandeur du système. La dernière réponse m'a laissé perplexe, mais en ce qui concerne les autres témoins, j'ai cru comprendre qu'ils ne s'opposaient pas à la présence des compagnies d'assurances dans le commerce des assurances multirisques.
Le sénateur Tkachuk: Lorsque nous avons parlé du projet de loi présenté au Québec, le groupe de travail MacKay a indiqué que, dans les conditions actuelles et sans l'application de lois spéciales, nous aurions une concurrence déloyale si les succursales étaient autorisées à vendre de l'assurance multirisques et de l'assurance-vie. N'est-ce pas ce que dit le rapport?
M. Toole: Faites-vous référence à la législation concernant les ventes liées, la vente sous pression et la protection des consommateurs?
Le sénateur Tkachuk: Le rapport reconnaît que, dans le contexte actuel, le fait de permettre aux succursales de vendre de l'assurance engendrerait une concurrence déloyale.
M. Toole: C'est exact.
Le sénateur Tkachuk: En fait, la tâche du comité consiste à permettre aux banques d'entrer sur le marché des assurances, n'est-ce pas? Autrement dit, peu importe qui pratique ce genre de commerce, pourvu que les règles du jeu soient équitables. Je crois qu'on nous demande de recommander l'adoption d'une loi spéciale, ou de nous prononcer sur l'opportunité d'adopter ce genre de mesure pour permettre aux banques de pratiquer le même commerce que vous, dans le cadre des institutions bancaires. Les banques peuvent déjà le faire, mais à l'intérieur du système bancaire.
M. Toole: Il faudrait une loi spéciale.
Le sénateur Tkachuk: Pourquoi le rapport MacKay recommanderait-il que nous nous donnions tout ce mal pour permettre aux succursales de vendre de l'assurance?
M. Ball: Les banques en ont fait la demande. Elles veulent faire la vente d'assurance au détail. Puisque les banques ont fait une demande en ce sens au groupe de travail MacKay et réclament à cor et à cri, depuis dix ans, l'autorisation de pratiquer ce genre de commerce, le groupe de travail doit examiner l'opportunité d'accéder à leur demande. Nous sommes d'accord pour que le comité examine la question. Toutefois, le groupe de travail n'a pas tenu compte de notre industrie. Il n'a pas tenu compte de notre capacité concurrentielle. Il n'a fait aucune étude pour justifier la décision de permettre aux banques de vendre de l'assurance au détail, surtout quand on pense, comme vous le faisiez remarquer, qu'il faudra mettre en place toute une réglementation pour protéger les consommateurs une fois que les banques auront acquis ce pouvoir.
Le sénateur Tkachuk: Je répète ce que je disais: j'ai de la difficulté à accepter qu'une même personne puisse à la fois vendre de l'assurance à quelqu'un et approuver son prêt hypothécaire. Je ne crois pas que ce soit de la concurrence loyale et je ne vois pas comment il serait possible d'empêcher cela par une loi. Cela me pose un problème. Personne ne m'a convaincu que la chose ne se produirait pas et il nous incombe de faire en sorte que des situations semblables ne se produisent pas. Je n'ai vu personne manifester devant les édifices du Parlement pour réclamer que les banques soient autorisées à vendre de l'assurance.
M. Toole: C'est ce que nous avons dit dans notre déclaration liminaire. Les consommateurs ne le demandent pas, pas plus que les chambres de commerce. Qui est derrière cela? Ce sont les banques, depuis le début.
Le président: Messieurs, je vous remercie d'être venus.
Honorables sénateurs, je voudrais lire une lettre que jai reçue aujourd'hui du surintendant des institutions financières, M. John Palmer. Elle fait suite aux discussions qu'a tenues le comité et à la motion qu'il a adoptée la semaine dernière. À la différence de la manière dont nous avons procédé la semaine dernière, j'ai informé le sénateur Tkachuk, avant la séance, que j'avais reçu la lettre, de manière à éviter toute surprise. Je cite:
Monsieur le sénateur,
J'ai été informé que le comité souhaite me rencontrer pour discuter des circonstances entourant le départ de M. Bernard Dussault, actuaire en chef du BSIF.
Je me réjouis de cette invitation et je souhaite que tous les points de vue dans cette affaire puissent être connus. Toutefois, étant donné les circonstances actuelles, je me verrais dans l'obligation de restreindre sérieusement le contenu de ma déposition.
M. Dussault a retenu les services d'un avocat et a annoncé qu'il intenterait des poursuites contre le BSIF. D'autre part, suite aux propos tenus récemment par M. Dussault devant les médias, j'ai intenté contre lui une poursuite en justice pour diffamation. Aussi, mes observations et mes réponses à vos questions se limiteraient à ce que j'ai dit au cours de ma conférence de presse du 30 septembre. Si vous désirez obtenir une copie de la déclaration que j'ai faite à la presse le 30 septembre ou un exemplaire de mon communiqué de presse subséquent concernant la poursuite en diffamation contre M. Dussault, veuillez communiquer avec mon bureau.
Lorsque toutes les procédures auront pris fin, je serai très heureux de comparaître devant votre comité pour vous expliquer plus en détail les circonstances entourant le départ de M. Dussault.
Veuillez agréer, monsieur le sénateur, mes salutations distinguées.
John Palmer, Surintendant
Conformément à l'ancienne tradition des comités parlementaires, ceux du Sénat et de la Chambre des communes, de ne pas examiner des questions dont des tribunaux sont saisis, comme c'est le cas actuellement, une motion consécutive à cette lettre a été rédigée et va vous être distribuée maintenant. Le sénateur Kroft prendra la parole au sujet de la motion, qui propose essentiellement que nous n'invitions pas M. Palmer à comparaître devant le comité pour discuter de cette question.
Je précise que M. Palmer est néanmoins attendu par le comité à titre de surintendant des institutions financières, pour témoigner dans le cadre de nos audiences sur le rapport MacKay. Il ne comparaîtra cependant pas relativement à la motion qui a été présentée et adoptée par le comité jeudi dernier, en mon absence et en l'absence de plusieurs députés libéraux, tant que les procédures judiciaires ne seront pas terminées.
Le sénateur Tkachuk: Monsieur le président, j'ai été informé de cette lettre lorsque je vous ai appelé cet après-midi pour m'excuser du fait que la motion avait été présentée sans que j'en aie informé votre bureau. Par ailleurs, vous ne m'aviez pas dit que vous alliez présenter une motion. Nous sommes donc quittes.
Le président: Je vous ai cependant prévenu au téléphone que nous devrions prendre une décision ce soir. Je n'avais pas le texte de la motion à ce moment. Je vous ai déclaré que nous devrions prendre ce soir la décision de ne pas inviter M. Palmer à comparaître.
Indépendamment du caractère officiel de la motion, j'aimerais que le comité prenne la décision de ne pas interroger le surintendant à ce sujet tant que les procédures judiciaires ne seront pas terminées. Nous nous empresserons ensuite de l'entendre sur cette question.
Le sénateur Meighen: Lorsque j'ai présenté la motion, j'ignorais que la justice avait été saisie de l'affaire.
Le président: Je comprends.
Le sénateur Meighen: Si le sénateur Kroft présente la motion, je serai plus qu'heureux de l'appuyer. Comme vous le savez, c'était là le point de vue unanime du comité. J'espère que nous aurons l'unanimité dans ce cas-ci également.
Le sénateur Kelleher: Je précise que la motion indique que nous le convoquons. Je croyais qu'il s'agissait d'une invitation.
Le président: Vous avez raison. Au lieu de nous préoccuper de phraséologie, je signale que le sénateur Kroft, appuyé par le sénateur Meighen, a présenté une motion qui propose essentiellement que tant que l'affaire sera devant les tribunaux, nous nous abstenions d'interroger M. Palmer à ce sujet. Dès que les procédures judiciaires seront terminées, nous pourrons cependant inviter M. Palmer à venir nous parler à ce sujet.
Le sénateur Tkachuk: Qui a présenté la motion? Le sénateur Kroft?
Le sénateur Stewart: J'ignore si la motion a effectivement été présentée.
Le président: J'ai dit que j'avais rédigé une motion et que le sénateur Kroft la présenterait. Je suis également heureux de le faire de façon beaucoup moins formelle.
Le sénateur Stewart: Puisqu'il semble y avoir une difficulté, il s'agira plutôt d'un avis de motion.
Le sénateur Kroft: Je suis prêt à présenter la motion, si cela peut faire progresser la situation.
Le président: Je suis heureux de procéder normalement. J'ai l'impression que le comité souhaite que nous ne donnions tout simplement pas suite à la chose. Nous n'avons pas besoin de motion. Si nous sommes d'accord, cela me va.
Le sénateur Tkachuk: Je voudrais poser quelques questions. Il semble que la motion a été adoptée et le sénateur Kirby, ou le personnel de son bureau, a clairement envoyé aussitôt une invitation. Nous avons une réponse de M. John Palmer, dans laquelle il prend note de notre désir de le rencontrer. Nous l'avons donc invité à comparaître, nous n'avons pas exigé sa comparution.
Le président: C'est exact.
Je précise que j'étais absent à ce moment. Mon adjoint a téléphoné à M. Palmer jeudi ou vendredi et lui a dit que la motion avait été adoptée. Il a répondu qu'il serait enchanté de comparaître, mais qu'il était partie à des procédures judiciaires. Après en avoir été informé, j'ai envoyé un message à M. Palmer pour l'informer que le Sénat et les comités parlementaires n'entendaient pas le convoquer. Je lui ai cependant demandé s'il pouvait nous faire parvenir une explication écrite des faits.
Le sénateur Tkachuk: Est-ce que cela faisait aux poursuites judiciaires qui ont été intentées? Qui intente des poursuites?
Le président: Il y a deux poursuites. L'une d'elle invoque un congédiement injustifié.
Le sénateur Tkachuk: Qui n'a pas encore commencé.
Le président: D'après cette lettre, cette poursuite a débuté. M. Palmer poursuit M. Dussault pour diffamation.
Le sénateur Tkachuk: Cela n'a rien à voir avec les contribuables. Il s'agit d'une affaire privée, non? Il poursuit à titre personnel, et non pas au nom du gouvrnement.
Le président: Il s'agit d'une poursuite personnelle. Toutefois, les sujets en cause concernent directement l'affaire.
Le sénateur Tkachuk: Monsieur le président, permettez-moi de citer le Précis de Jurisprudence parlementaire de Beauchesne. Le commentaire 335 précise:
On attend des députés qu'ils évitent d'évoquer des questions en instances devant les tribunaux ou les cours dites «d'archives». Cette convention a pour but de protéger à la fois les parties aux affaires en instance d'introduction ou de jugement et toutes les personnes qui risquent d'être touchées par la conclusion d'une action en justice. Il s'agit là d'une contrainte à laquelle la Chambre s'assujettit elle-même dans l'intérêt de la justice et de l'équité.
Le commentaire 336(1) précise:
La convention en question a été appliquée [...] aux affaires pendantes devant les tribunaux répressifs.
Par ailleurs, le commentaire 337(2) précise:
La convention, en matière civile, ne commence à s'appliquer qu'au moment où l'affaire est effectivement en instance.
Dans le cas qui nous occupe, d'après ce que je crois comprendre de cette lettre, M. Dussault n'a pas encore intenté de poursuite contre le gouvernement. Il en parle et a retenu les services d'un avocat. L'autre point à retenir, c'est que M. Palmer entend poursuivre M. Dussault en justice, mais il s'agit là d'une affaire privée. Elle ne concerne pas le gouvernement du Canada. Je ne pense donc pas qu'il puisse invoquer ce motif. S'il a d'autres raisons pour ne pas comparaître, il devrait nous en faire part. Je crois que ce serait assez légitime. Il n'a pas à plaider sa cause devant un comité du Parlement.
Le sénateur Kroft: Il s'agit d'une invitation.
Le président: En effet.
Le sénateur Kroft: Ce qui suppose que la rencontre puisse se tenir dans l'esprit que nous souhaitions. Tous ceux qui sont ici en connaissent plus que moi les questions relatives aux comités. Il m'apparaît évident que si nous voulons avoir un débat productif, positif et constructif, nous devrions rencontrer M. Palmer au moment où il pourra le faire librement et sans entrave.
Je suis disposé à présenter la motion, si vous le jugez nécessaire. Je m'en remets au jugement de la présidence.
De toute manière, la motion ne contient pas le mot «exiger».
Le président: Je suis également heureux de poursuivre à partir d'où nous en étions, c'est-à-dire sur la base de l'entente intervenue entre les deux côtés de la table.
Le sénateur Tkachuk: Je ne crois pas que la motion soit nécessaire.
Le président: Pourvu que cette entente soit claire aux yeux de tous, je ne crois pas non plus qu'une motion soit nécessaire.
La séance se poursuit à huis clos.