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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 31 - Témoignages du 20 octobre 1998 (après-midi)


HALIFAX, le mardi 20 octobre 1998

Le comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit à 14 heures pour examiner l'état actuel du système financier au Canada (Groupe de travail sur l'avenir du secteur des services financiers canadien).

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Notre premier témoin est M. Holland, chef d'une entreprise de valeurs mobilières de la région.

M. Lonsdale W. Holland, président, Beacon Securities Limited: Il y a environ deux ans, j'ai pris la parole devant votre groupe à Ottawa. Je suis heureux de constater qu'on aborde maintenant un sujet qui me tenait à coeur, la vente liée. Cet exercice est très positif pour le pays dans son ensemble, pour les consommateurs et les intervenants de notre secteur.

Je travaille dans le domaine de l'investissement depuis plus de 40 ans. J'ai été à l'emploi d'une société nationale pendant 31 ans et au cours de cette période, j'ai travaillé au Québec et en Ontario et ouvert des succursales en Europe et dans le Canada atlantique, où je vis depuis près de 22 ans maintenant. Il y a 10 ans, j'ai lancé une société d'investissement régionale. Avant cela, il y en avait deux ici mais, pour une raison ou une autre, elles n'existent plus. Nous faisons les choses différemment.

Nous sommes les principaux distributeurs de la Banque du Canada. Nous oeuvrons dans le domaine de la souscription de valeurs. Nous souscrivons les titres du gouvernement et nous avons des polices collectives pour le Canada atlantique allant de 2 à 8,5 p. 100. Nous sommes aussi des vendeurs privilégiés partout au pays, dans toutes les provinces sauf le Québec. Nous possédons une part d'Hydro-Québec. Nous avons souscrit des garanties auprès de grandes sociétés, notamment Air Canada, Petro-Canada, le CN, et cetera.

Récemment, nous avons contribué à recueillir des fonds pour deux petites entreprises locales, dont l'une offre sur Internet un produit appelé «Minder», qui fonctionne comme suit: si vous êtes sur Internet et que vous recevez un appel téléphonique, un message apparaîtra sur votre écran pour vous le signaler. Minder est vendu aux États-Unis. Son fabricant a des relations d'affaires avec la Cincinnati Bell, Ameritech et Bell Corp. Ce produit fait aussi l'objet d'une promotion dans certaines provinces canadiennes.

Nous avons également recueilli des fonds pour la Maritime Beer, une brasserie locale. Si vous avez l'occasion d'essayer l'une de leurs bières, je vous recommande particulièrement la plus foncée appelée «Black Pearl». Elle a un goût remarquable.

Lorsque nous avons lancé notre entreprise, il y avait 70 courtiers en valeurs mobilières. Aujourd'hui, on en compte 170. Cette augmentation est survenue à une époque où les banques ont consolidé leur percée et leur position dans le secteur. Par conséquent, il existe des possibilités, en dépit du pouvoir des grandes banques. Nous avons besoin de débouchés et de conditions égales pour tous.

Il y a 10 ans, et peut-être même avant, mais chose certaine depuis ce temps-là, les banques ont décidé de ne plus prêter de l'argent à des gens comme nous. À ma connaissance, aucune des banques ne consent de prêts subordonnés à l'un ou l'autre des courtiers, sauf à ceux qui représentent pour elles une clientèle captive. Je ne pense pas que ce soit bon pour le secteur.

Notre commerce est fondé sur la cupidité, que l'on soit la firme RBCDS ou Levesque ou Bacon Securities. Nous en voulons toujours plus. En un sens, c'est difficile à contrôler, mais par ailleurs, c'est ce qui fait fonctionner le système. Ceux qui réussissent dans ce domaine font beaucoup d'argent.

Nous sommes une maison de courtage régionale. Nous avons un créneau. Depuis 10 ans, nous organisons des séminaires d'investissement. Nous faisons venir les représentants de grandes sociétés dans l'Atlantique, où la plupart des entreprises sont trop petites pour être suivies à temps plein par plus d'une maison de courtage -- si même il y en a une -- du Canada central. L'année dernière, tout comme les huit dernières années, nous avons voyagé partout dans l'Atlantique. Nous avons accueilli 20 conférenciers, y compris les quatre ministres provinciaux des Finances, les présidents de cinq services publics et de bon nombre d'autres sociétés dont deux d'envergure nationale. Cette année, nous avons accueilli des conférenciers d'Air Canada et de la Maple Leaf Foods. Quelque 57 experts financiers canadiens et quatre experts financiers américains sont venus s'entretenir avec les chefs de très petites sociétés du Canada atlantique.

Nous considérons qu'il y a un créneau pour nous dans le Canada atlantique. Nous n'avons aucune objection à ce qu'on autorise les grandes banques à se fusionner si, à leur avis, cela leur permettra d'être plus concurrentielles et plus rentables. Elles savent sans doute mieux que n'importe qui ne travaillant pas dans ce secteur comment gérer leurs affaires. Cependant, j'estime qu'il y a sans doute place pour un plus grand nombre de banques sur la scène bancaire canadienne. Nous devrions ouvrir les portes. Chacun trouvera une niche. De cette façon, la population sera bien servie.

Nous vendons des obligations et des actions auprès des institutions et au détail, mais nous constatons qu'il existe un besoin en matière d'assurance. Certains des gens avec qui nous transigeons au détail ont un permis de vente d'assurance. En fait, hier nous avons communiqué avec nos avocats pour leur demander de constituer en société la BSL Financial Services, surtout en vue d'offrir de l'assurance.

En outre, dans la foulée des futures fusions des acteurs principaux, les courtiers tentent de consolider leurs opérations. Ainsi, à Halifax, la Dominion Securities a fusionné avec la firme Richardson Greenshields, qui avait elle-même fait l'expérience d'une fusion il y a à peine deux ans. À l'heure actuelle, on réunit ces deux maisons, ce qui ne manque pas de susciter certaines retombées. Pendant mon absence, un nouveau venu s'est joint à nous. Une autre personne est intéressée et nous sommes en contact avec deux autres. Ces gens-là n'affichent pas une production suffisante pour intéresser les grandes sociétés, qui ont des frais généraux élevés, mais ils sont très compétents dans leur domaine. Ils ont une clientèle modeste. C'est notre créneau.

Je connais un homme qui possède un portefeuille dépassant un million de dollars. Je l'ai rencontré vendredi dernier par hasard. Il m'a appelé hier pour me dire qu'il avait transféré son compte dans une autre firme, la précédente ayant fait l'objet d'une prise de contrôle par une banque. Celle qu'il avait choisie vient récemment d'être achetée par Merrill Lynch. Il ne veut traiter ni avec les banques ni avec les Américains. Par conséquent, il est venu chez nous. Nous offrons d'intéressantes possibilités aux clients individuels. Nous sommes à leur disposition.

Le président: Vous avez dit que les banques refusent toute dette subordonnée aux nouvelles ou modestes maisons de courtage. Auprès de qui empruntez-vous? Où allez-vous chercher vos capitaux?

M. Holland: Nous nous autofinançons. Nous ne devons rien à personne. Et cela vaut pour la plupart de nos concurrents. Nous ne devons rien à qui que ce soit à l'extérieur de notre secteur.

Le président: Vous avez dit qu'il y a 10 ou 15 ans, il y avait 70 courtiers et qu'il y en a maintenant 170. Le secteur compte 100 nouvelles petites maisons de courtage essentiellement parce que les gens ne veulent pas traiter avec les grandes banques, avec les institutions qui appartiennent aux banques ou avec des établissements américains.

M. Holland: En partie. Le secteur continue de croître. À mesure qu'il croît, il se crée davantage de place pour les occupants de créneaux. Des sociétés comme Newcourt, qui sont parties de rien et sont devenues des acteurs très importants du secteur, ont tiré parti de cela.

Le président: Au cours de notre voyage aux États-Unis, on nous a dit qu'à Philadelphie, dans la foulée de la fusion des deux principales banques, quatre ou cinq petites banques communautaires ont vu le jour l'année d'après. Elles ont très bien tiré leur épingle du jeu parce qu'elles étaient en mesure d'offrir un service personnalisé, soit le genre de service que les gens estimaient ne pouvoir recevoir de la nouvelle banque fusionnée.

Compte tenu de ce qui s'est passé pour les courtiers en valeurs mobilières, y a-t-il des raisons de croire qu'à mesure que les banques grossiront, une politique gouvernementale qui encouragerait la création de petites banques communautaires et régionales et d'institutions de dépôt aurait quelque chance de succès, ou rêvons-nous en couleur?

M. Holland: C'est une réelle possibilité, pour autant que la loi adoptée encourage les gens à se lancer dans le domaine.

Le président: Quels incitatifs le gouvernement doit-il prévoir dans sa politique pour que quelqu'un frappe à votre porte et vous dise qu'il souhaite réunir 20 millions de dollars pour ouvrir une banque communautaire locale? Que devons-nous faire pour vous encourager à trouver 10 personnes qui voudront bien investir 2 millions de dollars chacune pour créer une banque communautaire?

M. Holland: Vous pourriez encourager les institutions publiques -- et je songe aux provinces, aux municipalités et aux organismes non assujettis à l'impôt -- à déposer une partie de leur argent dans une banque communautaire, et leur donner, directement ou indirectement, un crédit supplémentaire pour cela. Dans un certain sens, vous encouragez ce genre de chose.

Vous pourriez modifier le traitement fiscal pendant une période de temps donnée et vous pourriez modifier le traitement de l'impôt sur le capital pendant un certain temps. Je suis sûr qu'il existe de nombreux moyens d'encourager les institutions publiques à déposer leur argent dans des banques communautaires.

S'il existait des incitatifs, il faudrait de toute façon d'abord changer les règles de propriété, n'est-ce pas? De toute évidence, ce type d'institution devrait avoir un nombre restreint d'actionnaires pendant un certain temps. Si vous modifiez les règles de propriété, si le cadre réglementaire était un peu plus souple, non pas plus risqué mais moins lourd, et si les règles d'imposition étaient simplifiées et moins coûteuses, ne serait-il pas possible par le biais de la politique gouvernementale de créer une série de mesures d'encouragement qui permettraient de concrétiser cette idée?

M. Holland: Je le crois. Les gens aiment faire affaire au niveau local, puis au niveau régional et enfin au niveau national. Tout le monde est intéressé à travailler de cette façon.

Le sénateur Oliver: J'aimerais savoir comment votre compagnie a commencé et quelles sont les activités qu'elle poursuit à l'heure actuelle. Vous avez indiqué avoir chargé vos avocats de constituer en société une nouvelle entreprise, BSL Financial Services, parce que vous avez reçu certaines demandes en vue de vendre de l'assurance. En général, vous faites des placements et vous donnez des conseils, et maintenant vous voulez vous lancer dans le domaine de l'assurance. Vos clients déposent de l'argent chez vous et reçoivent de l'intérêt sur l'argent déposé. J'ai l'impression que vous fonctionnez comme une banque.

M. Holland: Nos clients ne déposent pas de l'argent chez nous. Ils achètent et vendent des valeurs mobilières par notre entremise. Nous agissons également en tant que souscripteurs. La Nouvelle-Écosse a modifié ses lois sur les entreprises de placement il y a sept ou huit ans pour permettre le cumul de permis. Un grand nombre de nos clients avaient des besoins en matière d'assurance -- principalement d'assurance-vie -- qui étaient liés à leurs décisions de placement. Il nous semblait logique de réunir tous ces services sous un seul toit. Certains de nos gens cumulent des permis les autorisant à vendre des valeurs mobilières et de l'assurance-vie. Cependant, les services d'assurance-vie sont en train d'être dispersés. Il serait plus rentable que nous ayons nos propres services internes d'assurance. Cela permettrait également de profiter d'un pourcentage plus élevé des commissions que l'on touche sur ces primes.

Le sénateur Oliver: De quel genre d'assurance parlez-vous?

M. Holland: De l'assurance-vie et des rentes, pas de l'assurance des biens.

Le sénateur Oliver: Pouvez-vous nous indiquer les autres services que vous offrez, à part les valeurs mobilières, l'achat et la vente d'obligations et d'actions? Il semble exister un assez fort mouvement d'opposition pour ce qui est de permettre aux banques de vendre de l'assurance dans leurs succursales. Vous demandez maintenant le droit de vendre de l'assurance dans le cadre de vos activités.

M. Holland: Je ne peux vendre de l'assurance dans le cadre de mes activités.

Le sénateur Oliver: En Nouvelle-Écosse?

M. Holland: Et dans la plupart des autres provinces. J'ai des représentants qui détiennent des permis dans quatre provinces de l'Atlantique et en Colombie-Britannique. Si j'avais des représentants autorisés à vendre de l'assurance, et ce pourrait être les mêmes gens, alors nous pourrions vendre de l'assurance dans ces provinces.

Le sénateur Oliver: Quels sont donc certains des autres services?

Le sénateur Angus: Vous êtes un prêteur qui exploite des comptes du marché.

M. Holland: Dans un certain sens, nous le faisons de façon marginale, mais pas vraiment. Ce n'est pas le genre d'activité qui nous intéresse. Nous préférons que les gens achètent des valeurs mobilières et les gardent. Le marché fluctue mais ils ne sont pas obligés d'acheter et de vendre; le dividende n'est pas réduit. Si vous examinez la situation à long terme, ceux qui font de l'argent sont ceux qui achètent et ne vendent pas, à condition que la gestion des fonds soit saine.

Nous tâchons d'aider les petites entreprises à s'organiser pour qu'elles puissent prendre de l'expansion, et de leur donner des conseils sur la façon de réunir des capitaux, que ce soit par notre intermédiaire ou par d'autres moyens. Nous connaissons des gens un peu partout au pays et à l'étranger qui les ont aidées à le faire. Nous avons failli arranger un financement d'une valeur de 25 millions de dollars américains pour une entreprise régionale relativement bien connue ici au Canada atlantique. Elle n'arrivait à rien faire au Canada. Nous n'avons pas pu les aider, mais environ six mois plus tard, elle a fini par y arriver avec certaines personnes que nous lui avions présentées, dont un courtier américain. Nous avions essayé de le faire nous-mêmes.

Le sénateur Oliver: Dans vos remarques préliminaires, vous avez dit qu'il y a de la place au Canada aujourd'hui pour une plus grande concurrence dans le secteur bancaire. Voulez-vous dire les banques étrangères?

M. Holland: Je pense aux banques étrangères. Qu'on les laisse venir ici et fonctionner sur le même pied d'égalité que les banques canadiennes. Cela serait bon pour le petit investisseur canadien; ce ne sont pas toutes les banques qui veulent prêter à un petit investisseur. Il y aura des banques qui ne prêteront qu'aux petits investisseurs dans la région atlantique du Canada. Les gens trouveront un créneau où ils se sentent à l'aise.

Les personnes que nous rencontrons dans la région de Boston lorsque nous y allons pour vendre des valeurs mobilières, entretiennent des liens importants avec la région atlantique du Canada. Ils trouvent qu'en ce qui concerne le crédit, c'est une région merveilleuse. Tout le monde dénigre Terre-Neuve, mais essayez d'acheter une hypothèque à Terre-Neuve. Elles n'existent pas. Les habitants de Terre-Neuve gèrent très bien leur argent.

Le sénateur Oliver: Croyez-vous que les banques étrangères voudront venir dans la région atlantique du Canada et investir énormément dans l'achat de succursales, ou croyez-vous qu'elles préféreront davantage des marchés à créneaux; en d'autres mots, offrir des services par Internet, par téléphone et ainsi de suite, sans avoir d'énormes bureaux et d'énormes frais généraux ici dans la région atlantique du Canada?

M. Holland: L'époque du système de banques à succursales est révolue. Désormais, les transactions bancaires se font par téléphone, par crédit. Les personnes de plus de 65 ans ont de la difficulté à s'y habituer. J'ai retiré de l'argent d'un guichet automatique la première fois il y a deux étés. Je reviens tout juste d'un mois en Europe, et j'y suis allé pour la première fois de ma vie avec 400 $ en poche; sans chèques de voyage. Normalement, j'aurais pris beaucoup de comptant et une traite bancaire.

Avec la technologie de pointe et le Web, même si vous allez à la banque, l'employé de la banque avec qui vous traitez mettra l'information sur ordinateur, et l'ordinateur évalue le prêt. L'employé de la banque ne s'y opposera pas parce que s'il le fait, cela risque d'être porté à son dossier d'emploi. Par conséquent, les transactions bancaires telles qu'elles se pratiquaient il y a 30 ou 40 ans n'existent plus.

Le sénateur Tkachuk: Est-ce une bonne ou une mauvaise chose?

M. Holland: C'est la réalité.

Le sénateur Tkachuk: Est-ce une bonne chose?

M. Holland: Il serait préférable que l'employé puisse évaluer la capacité du client, mais cela n'existe plus. J'en ai eu une expérience indirecte l'autre jour avec une banque ici, à Halifax. Le compte en question existe depuis l'ouverture de la succursale, c'est-à-dire probablement dans les années 30 ou 40. La personne en question essayait de téléphoner à cette succursale, mais son appel était acheminé au centre d'appels -- je ne suis même pas sûr où ce centre se trouve -- et elle n'arrivait pas à joindre par téléphone la succursale. Elle a donc dû se rendre à la banque pendant son heure de déjeuner.

Nous sommes en train de parler de transactions bancaires, mais je suis ici pour parler des entreprises de placement.

Le président: J'aimerais prendre un instant pour saluer l'un de nos anciens collègues, le sénateur Finlay MacDonald, qui est maintenant à la retraite et habite à Chester, en Nouvelle-Écosse. Il a été membre de ce comité, en fait il en a été le président pendant un certain temps.

Le sénateur Meighen: Vous n'êtes pas un banquier, mais de toute évidence comme chacun d'entre nous vous avez transigé pas mal avec les banques. Vous êtes un courtier en valeurs mobilières. Votre secteur lui aussi a subi des changements. Il y a sept ans, la loi en Nouvelle-Écosse a été modifiée pour vous autoriser à employer des personnes ayant des permis dans le secteur de l'assurance et le secteur des valeurs mobilières.

M. Holland: La loi a autorisé les personnes qui détenaient des permis en matière de valeurs mobilières d'obtenir des permis en matière d'assurance. On parle de cumul de permis.

Le sénateur Meighen: Y a-t-il à votre avis d'autres mesures urgentes à prendre dans votre secteur ou dans le secteur bancaire? Si vous étiez un ministre des Finances tout-puissant qui pouvait changer la loi ou adopter une nouvelle loi, y a-t-il des mesures que vous aimeriez prendre?

M. Holland: Pas pour l'instant. Ce qui ne veut pas dire que lors de l'examen périodique de la Loi sur les banques, certaines questions ne seront pas soulevées. Il ne devrait y avoir aujourd'hui qu'une commission des valeurs mobilières au Canada. C'est ce à quoi vous faites allusion. Cela me semble logique.

Le sénateur Meighen: Tout le monde est d'accord là-dessus sauf les instances de réglementation des valeurs mobilières. J'aimerais pouvoir trouver quelqu'un, autre qu'une instance de réglementation ou peut-être même un politicien, qui soit contre.

Vous avez mentionné les banques étrangères. À votre avis, l'arrivée des banques étrangères -- qui semble d'ailleurs inévitable et que tout le monde semble souhaiter -- réglera-t-elle le problème du client dans les régions rurales de la Nouvelle-Écosse?

Cette personne devra-t-elle recourir à Internet ou au téléphone?

M. Holland: C'est l'occasion rêvée pour les coopératives qui sont proches de ce type de collectivités, non seulement en Nouvelle-Écosse, mais partout au pays.

Le sénateur Meighen: Nous avons entendu des témoignages ce matin selon lesquels le mouvement des coopératives de crédit dans la région atlantique du Canada est beaucoup plus faible que dans d'autres régions du pays, notamment le Québec et l'Ouest du Canada. Comment cela s'explique-t-il, à votre avis?

M. Holland: Probablement de plusieurs façons. Le mouvement des coopératives de crédit dans un certain sens a débuté ici et a donc des racines solides. Cependant, le niveau de richesse dans la collectivité est un facteur dont il faut tenir compte. Nos banques dans la région atlantique du Canada sont là depuis plus longtemps. Il existe davantage de richesse à long terme reçue en héritage dans cette région du pays. La richesse dans cette région du pays est dans l'ensemble très conservatrice par opposition à celle qui existe en Alberta ou en Colombie-Britannique, où il s'agit de richesse de première ou deuxième génération. Là-bas, ils sont encore habitués à prendre des risques; ici les gens ont pris des risques il y a quatre, cinq ou six générations.

Le sénateur Meighen: Même pas dans le secteur de l'épicerie.

M. Holland: Le secteur de l'épicerie ne présente pas de grands risques. Les marges sont beaucoup plus petites qu'elles l'étaient.

Le sénateur Meighen: En ce qui concerne la réglementation, vous avez mentionné l'éternelle question d'une seule commission des valeurs mobilières. Dans votre secteur d'activité, constatez-vous des écarts réglementaires entre le gouvernement fédéral et la province de Nouvelle-Écosse, par exemple? Ou y a-t-il double emploi?

M. Holland: Il y a énormément de double emploi. Je ne passe pas beaucoup de temps avec les instances de réglementation, mais nous remplissons des formulaires à n'en plus finir chaque année pour nos clients alors que nous pourrions ne remplir qu'un seul formulaire et l'envoyer à un seul endroit.

Le sénateur Meighen: Ou l'envoyer aux deux paliers.

M. Holland: Oui.

Le sénateur Callbeck: Vous avez parlé de la vente liée et dit que vous étiez heureux de voir ce qui s'était fait à cet égard. Voulez-vous dire la loi qui a été promulguée ou les recommandations que renferme le rapport?

M. Holland: La loi qui a été promulguée plus tôt cette année. Il y a environ deux ans, j'ai soulevé la question de la vente liée, et jusqu'à il y a environ six mois, nous en parlions encore. Je n'ai pas eu l'occasion d'entendre les gens qui travaillent avec nous s'en plaindre.

Le sénateur Callbeck: Vous êtes donc satisfait de ce qui existe maintenant?

M. Holland: Oui.

Le sénateur Callbeck: Vous êtes satisfait des recommandations que renferme ce rapport. Nous avons entendu diverses opinions à propos de ces recommandations d'acceptation, à savoir qu'elles devraient être mises en oeuvre rapidement ou qu'il serait préférable de procéder prudemment. Certains ont dit que toutes les recommandations devraient être mises en oeuvre en une seule fois. D'autres ont préconisé que cela se fasse de façon plus morcelée. Je me demandais simplement ce que vous en pensiez.

M. Holland: Je n'ai pris connaissance de l'existence de ce rapport que ce matin. J'étais à l'étranger au cours des six dernières semaines. J'y ai jeté un coup d'oeil rapide et je ne peux donc pas le commenter. J'ai surtout prêté attention aux parties du rapport qui semblaient traiter indirectement ou directement du secteur des valeurs mobilières.

Le sénateur Callbeck: Vous acceptez l'idée des fusions. Bien des gens craignent qu'il y aura moins de banques. Cependant, le groupe de travail MacKay énonce des recommandations qui faciliteront l'entrée des banques étrangères. Combien de temps faudra-t-il à votre avis pour développer un deuxième pilier solide dans le secteur bancaire?

M. Holland: Cela dépendra des règles du jeu qui existeront à ce moment-là. Je dirais sept à dix ans. De toute façon, les succursales ferment, et cette tendance se poursuivra quoi qu'il arrive. Je vous ai donné l'exemple de la banque ici, à Halifax. Cette succursale, en ce qui me concerne, à toutes fins utiles, est fermée.

Le sénateur Angus: Vous êtes favorables aux fusions bancaires proposées ici. Je crois comprendre que vous n'êtes ni directement ou indirectement contrôlés ou influencés de quelque façon par le secteur bancaire, ni ne lui appartenez. Est-ce exact? Vous êtes assez indépendants.

M. Holland: Assez indépendants, et nous avons l'intention de le demeurer.

Le sénateur Angus: Je disais tout à l'heure que lorsque je vous ai rencontré la première fois, vous faisiez partie de Midland Securities. Vous êtes toujours membre de l'Association canadienne des courtiers en valeurs mobilières et vous participez de près à ses activités. Cette association comparaîtra devant nous la semaine prochaine.

Est-ce que vous souscrivez de façon générale aux opinions de l'association?

M. Holland: Pas toujours.

Le sénateur Angus: Comme vous venez de rentrer de l'étranger, vous ne savez pas ce qu'ils nous diront?

M. Holland: Non.

Le sénateur Angus: L'un des témoins, qui n'a pas hésité à faire connaître ses opinions à la presse -- comme beaucoup d'autres d'ailleurs puisque tout le monde prêche pour sa paroisse --, est M. Barrett. Il considère qu'il n'existe pas la moindre indication selon laquelle ces fusions proposées seraient dans l'intérêt public. Est-ce que vous différez d'opinion à ce sujet?

M. Holland: À moins d'être à la place des décideurs, il est impossible de prendre une aussi bonne décision. Si les banques veulent fusionner et se tirer une balle dans la tête, qu'on les laisse faire. D'autres viendront remplir le vide. L'optique sera peut-être différente et la façon de procéder aussi, mais le public recevra des services. La libre entreprise veut que là où il existe une occasion, quelqu'un la saisira, et c'est ainsi que les choses fonctionnent.

L'une des choses qui est déjà en train de se passer en ce qui concerne les fusions, comme je l'ai mentionné, c'est que nous avons des positions de consortium. Au fur et à mesure que ces entreprises fusionnent, ces positions de consortium deviennent de plus en plus importantes, ce qui est bon non seulement pour nous mais pour le pays. Dans l'ensemble, nous faisons affaire avec le petit client. Alors qu'à Toronto, on recherche des transactions de 50 millions ou 25 millions de dollars, nous nous contentons de transactions de un et deux millions de dollars, contrairement aux grands bureaux de Montréal, Toronto ou New York.

Nous assurons le service, et plus nous avons accès au produit -- et il est difficile pour nous d'avoir accès au produit des grandes institutions parce qu'elles veulent tout accaparer --, plus les valeurs mobilières seront largement disponibles, ce qui est dans l'intérêt du marché au pays.

Le sénateur Angus: L'un des exemples dont on parle souvent, c'est celui de la Belgique qui avait eu l'occasion d'autoriser des fusions mais qui ne l'a pas fait, et rapidement l'ensemble du système bancaire s'est trouvé sous contrôle étranger. On a laissé entendre ici que si nous ne nous dépêchons pas pour approuver ces recommandations, nous nous retrouverons dans une situation, étant donné que les choses évoluent tellement rapidement, où les étrangers seront propriétaires de notre système bancaire.

Est-ce possible, à votre avis?

M. Holland: Peut-être. Je ne suis pas banquier, donc je l'ignore. J'ai fait des affaires en Belgique de 1962 à 1976. Je sais à quel point le système était fragmenté. Je me souviens que l'une des banques canadiennes a essayé de s'établir là-bas mais pour une raison quelconque, cela n'a pas fonctionné. Le système n'a pas changé. En Allemagne, il était très fragmenté; entre temps, on encourage non seulement les banques mais également les bourses à fusionner. Pour avoir des bourses viables, il est sans doute préférable d'en avoir une puissante que quatre ou cinq qui disparaîtront parce qu'elles n'ont pas la technologie, le pouvoir d'achat et les capacités de formation nécessaires.

Le sénateur Angus: L'idée générale contenue dans le rapport MacKay et beaucoup d'autres mémoires qui nous ont été présentés, c'est qu'il est exclu de penser maintenir le statu quo et que la situation évolue de toute façon. Si les gouvernements et les décideurs n'emboîtent pas le pas, ils vont se faire devancer, puisque le milieu est en train de changer très rapidement.

D'un autre côté, on nous recommande de la prudence, en raison du fait que le système canadien est unique. Le Canada a une population relativement restreinte et une superficie très grande; en outre, notre système bancaire est unique parce que nous n'avons que six gros joueurs. Il faut procéder avec beaucoup de prudence avant de changer ce système parce qu'il a fait ses preuves. Il a évolué au cours des années, et plus d'une fois il s'est rétréci pour ensuite prendre de l'expansion. Le système est bien affiné. La solidité et la fiabilité ainsi que l'intégrité de tout le système sont en jeu. Vous semblez être d'avis que nous n'avons pas à nous inquiéter de ces aspects, mais je voudrais être sûr de vous avoir bien compris.

M. Holland: Je suis conscient de toutes ces préoccupations, mais le secteur bancaire ne disparaîtra pas. Si une localité a besoin de services bancaires, quelqu'un va fournir ces services. Les coopératives de crédit ont été les premières à avoir les guichets automatiques. Je ne suis pas banquier, mais je connais un peu ce que font les banques.

Le sénateur Angus: Votre entreprise offre-t-elle des services de conseils en placement?

M. Holland: J'ai l'autorisation nécessaire pour offrir ces services. Je suis la seule personne de notre entreprise qui a le droit d'offrir ces services, et je le fais de temps en temps, mais ce n'est pas notre activité principale.

Le sénateur Angus: Cela ne vous dérangerait donc pas de voir de plus grandes entreprises commencer à offrir ces services dans le cadre de leurs nouvelles franchises?

M. Holland: Elles le font directement ou indirectement déjà. Les compagnies de fiducie ont toujours offert des services de conseils en placement. Les banques possèdent des compagnies de fiducie et d'autres entreprises de placement à travers le pays, soit directement ou indirectement, dans une plus ou moins grande mesure.

Le sénateur Angus: J'aurais une dernière question, sur la démutualisation des sociétés d'assurance-vie. Plusieurs aspects de cette décision sont controversés, par exemple, les options sur actions offertes aux dirigeants, la durée du moratoire, et même la capacité nécessaire. Une des sociétés -- Manuvie -- ne se précipite plus à entamer ce processus de démutualisation.

Pensez-vous qu'une telle mesure est souhaitable?

M. Holland: Si les sociétés d'assurance-vie veulent opter pour la démutualisation, je n'ai pas d'objection. Elles connaissent mieux que moi leurs affaires. Quant aux options sur actions, il faut récompenser les gens pour la valeur ajoutée. Il faut lier les options à la réalisation des objectifs, plutôt que de les offrir parce que les cours montent en raison d'une bourse haussière ou, au contraire, de les retirer parce que les cours baissent. Si on établit des objectifs de profit et des balises, il y a toutes sortes d'approches possibles.

Le sénateur Angus: Je n'aurais sans doute pas dû mettre l'accent sur les options sur actions. La démutualisation signifie que le titulaire détient toujours sa police. Il possède des titres qui peuvent être mis sur le marché financier ou sur le marché des valeurs mobilières auquel vous participez. Y aura-t-il une incidence sur les maisons de courtage? La situation est-elle semblable à celle des émissions initiales ordinaires?

M. Holland: À mon avis, non. Là encore, plusieurs institutions qui font des prêts hypothécaires en Grande-Bretagne viennent de faire la transition de sociétés mutuelles en sociétés cotées en bourse. Elles donnent des actions à leurs gestionnaires, comme une coopérative, et tout le monde fait de l'argent. Le Royal Automotive Club vient de vendre une partie de ses activités. Ceux qui sont restés membres du club sont très heureux. Cela contribue à la santé du milieu commercial.

Le président: Notre comité s'est exprimé en faveur de la démutualisation et il essaie depuis longtemps de convaincre le gouvernement d'adopter cette approche. Un article intéressant dans le numéro d'hier du Report on Business affirme que l'organisme de réglementation du domaine des assurances au Michigan, qui réglemente en fait toutes les sociétés d'assurances canadiennes qui font affaire aux États-Unis, a exprimé de sérieuses réserves quant aux règles de démutualisation proposées. Il estime que les règles visent à accorder un droit de propriété d'une société mutuelle à ceux qui ont un droit de vote aux réunions -- c'est-à-dire les titulaires de police qui y participent -- et il pense que la catégorie des propriétaires devrait être beaucoup plus large.

J'ai demandé à notre attaché de recherche d'obtenir une analyse des objections de l'organisme de réglementation, puisque la démutualisation ne peut pas aller de l'avant au Canada tant qu'on n'aura pas aussi l'approbation de l'organisme de réglementation au Michigan. Par exemple, dans le cas de Manuvie, la majorité des titulaires de polices se trouvent aux États-Unis, et non au Canada. Il est donc important de comprendre pourquoi il y a divergence, et notre attaché de recherche va nous obtenir ces renseignements.

Le sénateur Austin: Je voudrais revenir à une question que vous discutiez tantôt avec le sénateur Angus, soit le fait que vous auriez un plus grand accès à des valeurs mobilières si les banques fusionnaient. Pourriez-vous expliquer pourquoi?

M. Holland: Mettons que la province XYZ a un consortium de trois ou quatre organismes de placement et compte 10 à 12 autres participants, dont l'engagement va de 1 p. 100 à 20 p. 100. L'expérience démontre que deux et deux ne font pas quatre, mais plutôt, 2,2, puisque l'emprunteur veut répartir ses risques. Comme les consortiums ont maintenant moins de gros joueurs, ils cherchent de nouveaux partenaires et admettent de nouveaux membres. Ils cherchent des entités plus petites qui ont démontré leurs capacités de vendre des effets...

Le président: Si une banque qui détient 20 p. 100 d'une émission d'obligations fusionne avec une banque qui en détient 15 p. 100, le résultat ne sera pas la somme de 20 plus 15, ou 35 p. 100. La nouvelle banque détiendra sans doute seulement 20 p. 100, ou quelque chose comme ça, et une partie de l'argent sera donc disponible à d'autres joueurs.

M. Holland: Depuis la fusion de Midland et de Merrill Lynch, nous avons déjà vu nos positions de consortium monter. En termes de pourcentage et pour le consortium dans son ensemble, il y a eu une hausse considérable. Nous avons plus à vendre et nous faisons donc plus d'argent.

Le sénateur Austin: Vous parlez du niveau primaire de distribution, la première opération. Au marché financier secondaire, auriez-vous le même rôle à jouer ou les grandes institutions accapareraient-elles ce marché pour jouer un rôle plus dominant et attendu?

M. Holland: Je ne le crois pas. Là encore, les institutions dans tout le Canada -- nous parlons ici du marché institutionnel plutôt que du marché du détail -- gèrent de très gros comptes, et les institutions de petite et de moyenne taille gèrent de plus petits comptes. On ouvre de plus en plus de comptes institutionnels. Les fonds de pension s'accumulent, les fonds de dotation des hôpitaux deviennent plus grands, les sociétés d'assurances, qui fusionnent dans une certaine mesure, deviennent plus grosses. Cette croissance est accompagnée d'une plus grande activité, et ces institutions peuvent mieux répartir leurs risques.

Le sénateur Austin: Selon le modèle initial, il y avait un certain nombre de joueurs dominants, qui prenaient des positions dominantes; dans le marché secondaire, ces joueurs échangeaient des positions pour, dans certains cas, accumuler de très grandes positions au nom d'un très gros client. Si la distribution du produit aux courtiers est plus grande dans le marché primaire, j'imagine que le cycle de la demande au marché secondaire continuerait d'être ce qu'il était, et qu'on verrait par conséquent une agrégation très rapide vers des positions plus importantes. Je parle ici des opérations du marché financier.

M. Holland: Nous ne sommes pas des agents du marché monétaire. Nous avons parfois des transactions dans le marché de moins d'un an, mais pas souvent. Nous privilégions les effets de trois ans et plus -- deux et demi à trois ans.

Le sénateur Austin: Pourriez-vous nous donner encore une fois votre avis sur les répercussions potentielles sur le marché monétaire secondaire?

M. Holland: S'il y a des débouchés, il y en aura qui voudront être seulement des agents du marché monétaire. Le marché monétaire exige une capacité de maintenir un stock. Certaines institutions ou certains agents pratiquent la vente à sacrifice dans ce domaine afin d'obtenir des positions de consortium ou de souscription pour des comptes de sociétés. La plupart des joueurs, cependant, essayent de vendre à profit tous les produits, y compris dans le marché monétaire.

Le sénateur Austin: Répondriez-vous exactement de la même façon si, une fusion bancaire ayant lieu, les banques devaient se départir de leurs maisons de courtage? Mettons que la Banque de Montréal et la Banque Royale, qui ont chacune leurs propres grandes maisons de courtage, se faisaient dire, pour des raisons de concurrence, «nous allons permettre la fusion des banques, mais pas la fusion des maisons de courtage». On n'aurait pas la concentration, et ce serait donc plutôt l'ancien régime en ce qui concerne les valeurs mobilières.

M. Holland: Je ne sais pas dans quelles circonstances vous obligeriez une banque de vendre, pour ensuite lui laisser prendre les décisions. Si c'était le cas, une des positions de souscription serait à vendre, et nous obtiendrions sans doute une part de ce marché.

Le président: Monsieur Holland, merci beaucoup. Nous sommes heureux que vous soyez venu aujourd'hui.

Notre dernier témoin cet après-midi est M. Terry Shea. Le comité connaît bien la nature des sociétés mutuelles. Nous comprenons même certaines des nuances des définitions et les arguments pour et contre dans le domaine qui vous intéresse, soit la vente au détail d'assurance de biens et risques divers dans les succursales bancaires.

La parole est à vous, monsieur Shea.

M. Terry Shea, secrétaire-trésorier, PEI Mutual Insurance Company: Nous avons une recommandation à faire concernant la vente d'assurance par les banques et par leurs succursales et la capacité des banques d'utiliser les renseignements personnels sur leurs clients afin de cibler les titulaires de police ou autres dans le but de leur vendre des produits d'assurance. La PEI Mutual préconise le maintien des pouvoirs actuels en matière de vente au détail d'assurance et des restrictions sur les banques en vertu de la loi fédérale de 1997 visant les services. En particulier, on devrait continuer d'interdire aux banques de vendre de l'assurance dans leurs succursales ou d'utiliser des renseignements personnels sur leurs clients dans le but de mieux cibler leurs efforts de marketing des produits d'assurance.

À notre avis, la vaste majorité des consommateurs canadiens s'opposeraient à la vente d'assurance par les banques s'ils connaissaient les répercussions négatives potentielles. Le document d'information du groupe de travail donne les résultats d'un sondage qui indique que les Canadiens qui sont insatisfaits de leur compagnie d'assurances ou de leur courtier en assurance sont plus nombreux que ceux qui se disent satisfaits de leur institution de dépôts. Pour nous, cela ne signifie pas que la population ou les consommateurs voudraient voir les banques vendre de l'assurance. L'assurance n'est pas un produit tangible, ce qui fait que le consommateur a l'impression qu'il n'en a pas vraiment eu pour son argent.

En achetant de l'assurance, le consommateur débourse de l'argent contre une promesse; il n'y a pas de produit tangible. Le niveau de satisfaction des clients reflète les caractéristiques de l'assurance comme produit.

Les banques devraient-elles vendre de l'assurance dans leurs succursales? Les consommateurs vont subir des pressions implicites pour acquiescer à des offres de vente de produits d'assurance par les banques. La responsabilité d'entretenir de bonnes relations avec le banquier incombera au consommateur. Si les propositions du groupe de travail sur la protection des renseignements personnels et sur les ventes liées sont enchâssées dans une loi, les banques vont commencer à faire de l'interdistribution, en vendant des produits d'assurance à bas prix afin d'attirer des clients. Les banques grouperont les produits et offriront de petits bonis si on achète d'autres produits. Comme les banques canadiennes ont la bourse bien garnie, elles pourront exercer des pressions énormes sur le secteur de l'assurance et créeront ainsi une situation de concurrence déloyale.

Les consommateurs qui essayent d'obtenir un prêt ou une hypothèque se trouvent souvent dans une position de faiblesse face aux banquiers. Si les banques obtiennent le droit de vendre de l'assurance dans leurs succursales, le rapport de force leur sera encore plus défavorable parce que les consommateurs se sentiront obligés d'acheter l'assurance offerte par la banque. Les consommateurs auront l'impression de devoir acheter des produits connexes s'ils veulent obtenir un prêt.

Depuis 1990, les banques, à toutes fins pratiques, se sont accaparé des secteurs des valeurs mobilières et des fiducies. Nous ne voulons pas que la même chose se produise dans le secteur de l'assurance. Moins de concurrence aboutit à une réduction du nombre de produits et de services et à une augmentation des prix.

Une plus grande concurrence dans le secteur des services financiers résulte non pas des forces du marché, mais plutôt des interventions faites par le gouvernement dans le but de créer un secteur bancaire fort. Selon le rapport du groupe de travail, la concurrence est dans l'intérêt des consommateurs en général, mais les Canadiens à faible revenu et à revenu moyen en profiteront le plus.

D'après nous, augmenter la capacité des banques de vendre de l'assurance au détail n'aura pas le résultat voulu -- les Canadiens à faible et moyen revenu n'auront pas plus de choix, dans un plus grand marché, quand ils achètent des produits d'assurance. Nous avons l'impression que les banques vont utiliser les données sur leur clientèle actuelle pour choisir une niche de clients qui sont au-dessus de la moyenne, des clients qui ont fait peu de réclamations et présentent de bonnes caractéristiques. Les clients à risque plus élevé ne seront donc pas visés par les banques, et ne pourront donc plus choisir où acheter leur police d'assurance.

La compagnie PEI Mutual, tout comme les autres mutuelles canadiennes, a toujours commercialisé ses produits d'assurance de façon équitable, et continuera à le faire. Notre priorité n'a jamais été d'identifier les meilleurs risques et d'assurer seulement cela, en délaissant les autres. Nous sommes une compagnie d'assurances pour le grand public, non pas pour un petit groupe de clients.

Le groupe de travail discute constamment de la concurrence, et du fait qu'une concurrence accrue va créer un meilleur marché pour nos produits d'assurance. Nous estimons que le marché actuel pour les produits d'assurance est à son plus concurrentiel. Une concurrence accrue entraînerait des pertes d'emplois auprès des compagnies d'assurances actuelles. Presque toutes les compagnies d'assurances veulent augmenter leur part du marché.

Aujourd'hui, en 1998, les consommateurs en ont pour leur argent. La plupart des entreprises fonctionnent avec une perte technique. Si nous augmentons la concurrence, nous verrons des pertes d'emplois là où elles causeront le plus de tort -- dans les petites localités, chez les petites compagnies d'assurances et chez les maisons de courtage, qui seront obligées de fermer. Les nouveaux emplois se retrouveront dans les grands centres urbains, là où sont situées les grandes banques nationales.

Si les banques obtiennent la permission de vendre des produits d'assurance au détail, comme elles voudraient le faire, les compagnies canadiennes qui ont contribué à fonder le marché canadien -- y compris les compagnies comme Prince Edward Island Mutual -- seront les premières victimes canadiennes du nouvel environnement.

Nous comprenons bien qu'il a fallu beaucoup de temps pour préparer ce rapport. D'ailleurs, le rapport contient beaucoup de recommandations qui sont très positives pour l'avenir du secteur des services financiers au Canada. Or, nous sommes tout à fait contre la recommandation numéro 18. D'après nous, cette recommandation aura des répercussions sur les compagnies comme la nôtre.

Notre seul objectif c'est d'offrir une protection à la population, à un prix raisonnable. En tant que compagnie mutuelle, nous offrons des emplois à la population locale, nous dépensons de l'argent au sein de la communauté locale, nous faisons des donations aux charités locales, et nous aidons à maintenir la vigueur des économies locales. Les compagnies comme PEI Mutual investissent au niveau local, en achetant des actes de cautionnement pour le gouvernement du Canada, les provinces, les municipalités et les entreprises du milieu. Une partie importante de notre portefeuille d'investissements est investi au niveau local, dans l'économie de l'Île-du-Prince-Édouard.

Si nous augmentons le pouvoir des banques, nous provoquerons des pertes d'emplois dans les communautés rurales. Les nouveaux emplois iront aux centres urbains, aux endroits où les banques centralisent leurs opérations. Les décisions seront prises dans les villes. Il y aura moins de considération pour le consommateur rural, qui aura beaucoup moins d'importance. Puisque le marché deviendra en fait moins concurrentiel, les consommateurs auront moins de choix, pas plus. Nous demandons que la recommandation numéro 18, qui traite de la vente de produits d'assurance au détail par des institutions de dépôts, soit rayée.

Le président: En 1970, quand j'ai commencé à faire partie du gouvernement de la Nouvelle-Écosse, il y avait à peu près 33 compagnies de téléphone dans cette province. La plus importante partie du territoire était desservie par Maritime Telephone. Il y avait 32 ou 33 autres petites compagnies mutuelles de téléphone -- certaines de ces petites compagnies n'avaient que 10 à 15 kilomètres de ligne. Elles ont disparu dans les années 70... Elles ont été achetées par Maritime Telephone.

Donc, en 1970, ces petites compagnies mutuelles de téléphone auraient présenté sensiblement les mêmes arguments que vous aujourd'hui. Comment peut-on résoudre les difficultés auxquelles sont confrontées les petites institutions, qui disparaissent pour être remplacées par d'autres institutions, comme le dépanneur qui remplace l'épicerie qui semblait avoir été là depuis toujours. C'est un dilemme -- un dilemme de la politique gouvernementale -- qui est incontournable pour beaucoup d'entre nous. Mais voici la question: Devons-nous protéger ces petites entreprises à tout prix, ou devons-nous laisser faire les forces du marché?

M. Shea: Nous croyons que la politique gouvernementale devrait être de nature interventionniste. D'après moi, plus grand ne veut pas nécessairement dire mieux. La philosophie des sociétés d'assurance mutuelles est formidable, les sociétés appartiennent aux souscripteurs et les décisions sont prises au niveau de la collectivité. Si un souscripteur cherche une réponse à une question ou bien s'il veut poser des questions en ce qui concerne une police d'assurance, il pourra parler au directeur de la société qui fait partie de cette collectivité. Les prix sont concurrentiels. Nous réussissons à faire augmenter notre part du marché, et à l'heure actuelle, nous faisons concurrence à de grandes compagnies d'assurances canadiennes. Notre part du marché s'accroît un tout petit peu chaque année, conformément au but visé.

Le président: J'aimerais lire un passage de votre document, parce que le secteur de l'assurance multirisque nous répète la même chanson depuis dix ans maintenant. Vous dites:

Comme les banques ont la bourse bien garnie, elles feront baisser les prix à court terme [...]

J'imagine que c'est une bonne chose pour les consommateurs, mais votre document n'en dit rien ici.

[...] et les petites compagnies d'assurances et de courtage seront obligées de quitter le marché. Comme il y aura moins de concurrence, les prix vont remonter et le consommateur sera obligé de payer, à long terme, des primes d'assurance plus chères. Cette situation va créer un gain à court terme mais va nuire au public à long terme.

Avez-vous des preuves de cela? Voyez ce qui s'est produit au Royaume-Uni, en Australie ou dans bien d'autres endroits où il y a une diversité d'institutions de dépôts -- qu'il s'agisse de coopératives de crédit ou de mutuelles d'épargne et de construction en Europe ou en Angleterre, qu'il s'agisse de banques cantonales en Suisse ou de banques locales aux États-Unis. Lorsque ces institutions se sont mises à vendre de l'assurance -- surtout de l'assurance multirisque -- les prix ont chuté. Cela fait longtemps que ces entreprises vendent de l'assurance, et rien n'indique qu'il en a résulté une augmentation des prix.

Nous sommes devant un dilemme: votre secteur prétend toujours que les prix vont augmenter, mais nous n'avons aucune preuve à l'appui. On est réduit aux conjectures. Je vous pose la question suivante: connaissez-vous ou avez-vous des preuves qui démontrent qu'une telle expérience ne marche pas? Les faits que nous avons semblent indiquer le contraire.

M. Shea: Non, je n'ai pas de preuve à l'appui. Nous croyons que le secteur de l'assurance fonctionne de façon très efficace à l'heure actuelle. Les consommateurs ne se voient pas imposer des prix exorbitants, parce que la plupart des compagnies fonctionnent avec une perte technique.

Le président: C'est vrai que la marge de profit est très mince.

M. Shea: Oui. Un marché comme celui-là n'est pas normalement visé par d'autres compagnies. D'après nous, la seule raison qui explique pourquoi les banques veulent pénétrer ces marchés, c'est qu'elles veulent augmenter la part du marché des produits financiers. C'est ce que nous pensons, et je n'ai rien de concret pour l'appuyer.

Le sénateur Kenny: J'ai l'impression que les courtiers d'assurance multirisque sont des gens très puissants. Ils sont au coeur de la collectivité, ils participent aux clubs de services, ils ont des connaissances du milieu, ils voient leurs clients à la maison et au bureau et ils les connaissent bien. Par conséquent, il me semble qu'ils ont un avantage formidable en affaires. Est-ce que ma déclaration est juste?

M. Shea: Oui, c'est juste.

Le sénateur Kenny: Les banques vendent déjà de l'assurance par l'entremise de leurs filiales, et leur système de télémarketing connaît un succès grand. Les banques se sont accaparé d'un pourcentage important de la part du marché simplement en téléphonant chez des gens pour leur vendre de l'assurance.

À la lumière de ce fait, qu'est-ce qui vous inquiète si les banques passent à la prochaine étape et vendent de l'assurance à partir de leurs succursales? Elles vont essayer de pénétrer un territoire où vous avez un avantage net. Vous vous rendez directement chez vos clients, au bureau, ou chez eux. Le fait que vous connaissez les gens assez bien pour vous asseoir avec eux dans leur salon dans le but d'expliquer une police vous donne un avantage net par rapport à quelqu'un qui doit vendre à partir d'une succursale qui se trouve au centre-ville.

M. Shea: La seule chose à laquelle vous n'avez pas fait allusion, c'est le prix. Aujourd'hui les consommateurs sont très conscients des prix. Nous ne vendons pas nos produits par l'entremise des courtiers; nous avons des agents captifs. Ils font du bon travail et nous sommes très fiers du travail qu'ils font pour informer nos souscripteurs des produits qu'ils achètent.

Les banques, par contre, n'investissent pas dans l'éducation. La seule chose qui les intéresse, c'est de vendre leurs produits. Elles ne s'intéressent nullement à renseigner le souscripteur ou à s'asseoir avec lui pour lui expliquer sa police d'assurance. La méthode de vente des banques -- la souscription directe et la vente par Internet -- est très intéressante aux yeux des souscripteurs à l'heure actuelle, parce que les banques peuvent le faire à moindre coût. Les banques n'ont pas besoin de faire des investissements et d'avoir des représentants sur place pour expliquer la couverture.

Selon le groupe de travail MacKay, il est très important aux yeux du gouvernement et du groupe de travail d'avoir une bonne éducation des souscripteurs, d'avoir des polices qui sont transparentes et faciles à expliquer et qui sont rédigées dans un langage limpide. Permettre aux banques de vendre l'assurance par l'entremise de leurs succursales, ce qui va accroître leur pouvoir, va nuire à cette situation plutôt que de l'améliorer.

Le sénateur Kenny: Vous avez peut-être raison, mais nous sommes tous d'accord pour dire que les consommateurs sont assez intelligents, et s'ils veulent se faire expliquer quelque chose par un représentant qui vient chez eux, eh bien, ils sont prêts à le payer. Si ces gens-là sont prêts à acheter quelque chose sans explications, pensez-vous qu'ils devraient avoir le choix?

M. Shea: Oui, et je crois que ce choix existe à l'heure actuelle.

Le sénateur Kenny: Avez-vous une étude qui démontre que la plupart des consommateurs réclament le statu quo?

M. Shea: Je ne crois pas avoir dit que les consommateurs réclamaient le statu quo. Je crois que le groupe de travail a dit que les consommateurs avaient plus d'égards envers le secteur de l'assurance qu'envers le secteur des banques.

Le sénateur Kenny: Je pensais que vous faisiez allusion à une étude que vous avez entreprise.

M. Shea: Non.

Le sénateur Kenny: Vous faisiez allusion aux observations du groupe de travail?

M. Shea: Oui.

Le sénateur Kenny: Par conséquent, pourquoi ne voulez-vous pas laisser à ces consommateurs ayant très peu d'égard envers les banques le choix de les éviter, et donner à ceux ayant beaucoup d'égard envers des compagnies comme la vôtre l'option de vous choisir?

M. Shea: D'après nous, si on permet aux banques de vendre de l'assurance par l'entremise de leurs succursales, une concurrence déloyale va en résulter. C'est-à-dire, les banques vont essayer de vendre toute une gamme de produits lorsqu'un client demande un prêt. La pression exercée serait indirecte, mais la banque va quand même exercer une certaine pression sur les consommateurs pour qu'ils achètent tous leurs produits par l'entremise de la banque.

À long terme, une fois que les banques ont mis le système en place et se rendent compte que c'est tout à fait faisable, elles seront moins soucieuses du prix, qui vont augmenter et peut-être dépasser ce que nous demandons à l'heure actuelle. Les clients vont continuer à acheter ces produits des banques à cause de toute la pression indirecte exercée.

Le sénateur Kenny: Que diriez-vous d'un client qui se présente à la banque et qui annonce qu'il aime bien l'idée d'un guichet unique et qu'il avait l'intention de venir à la banque pour ouvrir un compte et acheter une police d'assurance? C'est-à-dire, cette personne en a marre de se déplacer partout pour ce genre de choses, et souhaite recevoir tous ses services financiers au même endroit. De plus, cette personne a le sentiment qu'un guichet unique lui permettra d'obtenir un meilleur prix. Seriez-vous d'accord si c'est ce que le consommateur veut en s'adressant à une banque?

M. Shea: Oui, si cela correspond à ce que le consommateur cherche.

Le sénateur Kenny: Alors, pourquoi ne voulez-vous pas donner ce choix aux consommateurs, c'est-à-dire leur donner la possibilité de décider si oui ou non ils veulent un guichet unique? Pourquoi ne pas offrir le choix?

M. Shea: Si on change la loi et on permet aux banques de vendre de l'assurance par l'entremise de leurs succursales, le consommateur n'aura pas de choix à long terme. Les petites compagnies telles que la nôtre ainsi que les compagnies de courtage seront obligées de fermer leurs portes et ces possibilités n'existeront plus pour le grand public. À ce moment-là, vous obligerez le public de se servir du système de guichet unique des banques.

Le sénateur Kenny: Vous ne croyez pas qu'il y aura toujours un groupe de base qui voudra que quelqu'un avec qui ils ont développé un rapport de confiance pendant des années vient à leur maison ou à leur bureau pour leur vendre une assurance et puis plus tard, si c'est nécessaire, les aider à faire une réclamation? Ne croyez-vous pas que ce serait viable à long terme?

M. Shea: Je crois que ce groupe de base existera toujours. Il y a des gens qui veulent ce service, et nos clients veulent ce service. Ils apprécient beaucoup le service que nous fournissons. Je crois, cependant, que si les banques sont autorisées à vendre de l'assurance dans leurs succursales et peuvent utiliser les renseignements sur les clients, beaucoup des intervenants actuels du secteur seront éliminés.

Le sénateur Kenny: Vous avez dit à quelques reprises dans votre exposé qu'il en résultera des pertes d'emplois. Je comprends que des emplois pourraient disparaître en télémarketing, c'est-à-dire des emplois provenant du fait que les banques doivent vendre de l'assurance par l'intermédiaire de filiales.

Pourtant, si la vente d'assurance est permise dans les succursales, quelqu'un dans la succursale ferait le même travail que vos agents font maintenant. Quelqu'un dans la succursale doit pouvoir vous vendre le produit. À Charlottetown, par exemple, le poste peut passer de l'autre côté de la rue, mais ça va rester à Charlottetown.

M. Shea: Certains emplois liés à l'assurance vont rester dans la succursale, mais le travail sera différent. Les banques vont décentraliser la prise de décisions importantes, et les postes de direction se retrouveront dans les grands centres urbains. Il n'y aura pas autant d'emplois dans les banques qu'il y a à l'heure actuelle dans le secteur de l'assurance multirisque. Les postes seront déplacés, et les emplois qui restent ne seront pas les mêmes emplois qui existent à l'heure actuelle dans les compagnies d'assurances. Ce seront des emplois à salaire plus bas.

Cela se fait tout le temps, y compris dans la banque de notre collectivité. La banque qui fait affaire avec nous perd de plus en plus de sa capacité décisionnelle. Lorsque j'ai commencé à travailler à PEI Mutual il y a 10 ans, le directeur de notre succursale locale avait beaucoup de pouvoir. Maintenant les décisions sont prises d'abord à Charlottetown, puis à Halifax. Les banques savent comment s'y prendre. Si elles sont autorisées à vendre de l'assurance dans leurs succursales, les emplois créés dans leurs succursales ne seront pas les mêmes emplois que nous créons.

Le sénateur Meighen: Je ne voudrais pas me faire une idée fixe sur cette question. Est-ce que ce serait juste de dire que d'après vous et votre secteur, la bataille a été perdue lorsque les banques ont été autorisées à vendre de l'assurance, même s'il leur est interdit de le faire dans leurs succursales?

M. Shea: Oui, c'était le début de la fin.

Le sénateur Meighen: Est-ce qu'on peut faire machine arrière?

M. Shea: Non. La situation est assez stable maintenant. Les banques ne peuvent pas se servir de leurs renseignements sur les personnes pour cibler des acheteurs d'assurance. Elles ne peuvent pas vendre l'assurance dans leurs succursales, mais doivent le faire par l'entremise d'une entreprise qui est distincte de la banque. Je crois que cela crée une égalité des chances.

Le sénateur Meighen: Vous croyez que les règles du jeu sont équitables. Si on vous nommait PDG de l'une de nos banques à charte dans le Canada atlantique demain matin, vous pourriez réunir tous les employés affectés à la vente d'assurance. Vous pourriez leur dire qu'ils doivent porter attention au service à la clientèle et prendre le temps de faire tout ce que vos agents font maintenant. Avec l'avantage du guichet unique dont le sénateur Kenny a parlé, ne pourriez-vous pas amener votre entreprise actuelle à fermer boutique?

M. Shea: Les guichets uniques n'existent pas maintenant parce que les banques ne peuvent pas vendre d'assurance dans leurs succursales.

Le sénateur Meighen: Le service sera là tout près et il y aura ce gentil M. Shea qui vous vendra de l'assurance et vous expliquera toute la police.

M. Shea: Les banques devront le faire sans passer directement par leurs succursales et sans pouvoir annoncer de l'assurance dans leurs succursales sauf au moyen d'un dépliant ou quelque chose de semblable.

Le sénateur Meighen: Croyez-vous que les règles du jeu sont plus ou moins équitables?

M. Shea: Nous sommes bien d'accord parce qu'elles doivent vendre l'assurance au détail de la même façon que nous. Elles font face aux mêmes pressions concurrentielles, et elles ont les mêmes renseignements que nous. Cela semble avoir assez bien fonctionné.

Le sénateur Meighen: Cet après-midi, nous avons parlé à plusieurs reprises du «secteur de l'assurance». Ne serait-il pas juste de dire qu'en fait le secteur de l'assurance n'est pas monolithique? Par exemple, nous parlons de la vente d'assurance par les banques. Le secteur de l'assurance de biens et de risques divers, que je crois que vous représentez, s'y oppose vivement, mais le secteur de l'assurance des personnes ne s'y oppose pas. D'après moi, il y a trois raisons possibles à cela. Laquelle est la bonne, s'il y en a une? Premièrement, le secteur de l'assurance des personnes ne veut pas faire des vagues parce qu'ils veulent que le gouvernement leur accorde aussi des pouvoirs supplémentaires. Deuxièmement, pour eux, les banques ne constituent pas une menace parce qu'ils peuvent continuer de vendre leur assurance des personnes malgré la concurrence des banques. Ou, troisièmement, les banques ne vendront que des produits au détail, de l'assurance très simple du type multirisque.

M. Shea: Je crois que la troisième raison prévaut. Et de plus, les produits que les banques vendent, tels que les hypothèques et autres prêts, s'apparentent plutôt à l'assurance multirisque parce qu'elles octroient des hypothèques sur des propriétés. Vous avez votre hypothèque ici; voulez-vous en même temps votre assurance? Ces produits vont de pair et ont plus rapport aux produits des banques que l'assurance des personnes?

Le sénateur Meighen: Si vous travailliez dans le secteur de l'assurance des personnes, vous ne diriez sans doute pas la même chose ici cet après-midi. Est-ce exact?

M. Shea: Je ne peux pas répondre à cette question.

Le sénateur Meighen: D'accord.

En principe, et votre industrie constitue peut-être l'exception, avez-vous une objection à ce que les services soient regroupés d'une façon éthique, si en fin de compte le client reçoit un meilleur service?

M. Shea: Non, pourvu que ce ne soit pas fait par voie de ventes liées -- par exemple, nous vous vendrons ce produit seulement si vous achetez celui-là.

Le sénateur Meighen: Vous avez peut-être entendu le premier témoin, M. Holland.

M. Shea: Oui.

Le sénateur Meighen: Je ne sais pas si vous l'avez entendu dire qu'il a comparu devant ce comité il y a deux ans et qu'il a vivement déploré les ventes coercitives liées qui se répandaient partout. Il a dit que depuis que la loi a été adoptée, il n'a plus de plaintes de ses employés concernant cette pratique. D'après votre expérience, avez-vous remarqué une différence depuis que la loi a été adoptée?

M. Shea: Non, pas dans cette courte période de temps. D'après nos dossiers, les ventes liées ne constituaient pas un grand problème pour nous dans le passé. Ça pourrait devenir un problème majeur si les banques étaient autorisées à vendre de l'assurance dans leurs succursales, pas seulement la vente liée mais aussi la vente croisée, où on offre un deuxième produit à rabais.

Le sénateur Meighen: Juste une précision: avez-vous dit que vous ne voyiez pas beaucoup de ventes liées dans votre secteur?

M. Shea: Nous n'en avons pas vu beaucoup que l'on pourrait désigner comme telles, parce que nous les reconnaissons lorsqu'il y en a.

Le sénateur Meighen: Certains banquiers nous ont dit la même chose: pour une raison quelconque, leur ombudsman a reçu très peu de plaintes au sujet des ventes liées, et l'ombudsman du secteur bancaire non plus. Cela pourrait être un problème de perception plutôt qu'une réalité.

M. Shea: Les ventes liées pourraient exister là où le public -- c'est-à-dire les preneurs d'assurance -- ne peut pas le constater. S'ils croient avoir reçu un rabais avec une vente liée, il est peu probable qu'ils voudront signaler cette pratique.

Le sénateur Meighen: Ces questions se recoupent et il y en a une qui n'intéresse peut-être pas votre secteur, mais que pensez-vous au juste du crédit-bail et de la possibilité que les banques s'engagent dans le commerce du crédit-bail automobile, tel quel recommandé par MacKay?

M. Shea: En effet, cette question ne me regarde pas. Nous ne nous occupons pas du crédit-bail.

Le sénateur Meighen: Avez-vous une voiture?

M. Shea: Oui. Je n'ai pas de crédit-bail, mais c'est très populaire maintenant. Si les banques sont autorisées à offrir le crédit-bail automobile, je le vois comme un autre domaine où les banques vont grandir encore plus. Je ne crois pas qu'à la longue, le public va en profiter.

Le sénateur Tkachuk: Nous aussi, dans notre province, nous avions des douzaines de compagnies de téléphone, et on nous disait que ce serait merveilleux si on en avait une seule. À Regina, on a fini par payer presque autant pour appeler quelqu'un que pour aller le voir en voiture. On découvre maintenant les avantages de la concurrence avec déréglementation. Bien sûr, dans notre province, notre compagnie de téléphone a lutté contre cela pendant plus longtemps que dans la plupart des autres provinces, alors ce n'est que récemment qu'on connaît les avantages de la concurrence et qu'on se rend compte de l'horrible erreur qui a été commise il y a 30 ou 40 ans, et l'énorme quantité d'argent perdu par les consommateurs.

J'aimerais vous poser des questions au sujet de l'Île-du-Prince-Édouard. C'est une petite province et un petit marché. Combien de compagnies d'assurance-risques divers y a-t-il qui souscrivent des polices et les vendent aux habitants de l'île?

M. Shea: Je devine, sans le guide, mais probablement 50 ou 60. Il y en a de très petites. C'est un nombre approximatif.

Le sénateur Tkachuk: Avez-vous un service de courtage dans la plupart des petites villes?

M. Shea: Oui, il y a toujours une compagnie de courtage d'assurance pas trop loin.

Le sénateur Tkachuk: Vous avez une situation très concurrentielle en ce moment, et c'est pour cela que nous sommes ici, pour s'assurer qu'elle reste ainsi. La concurrence est vive à l'Île-du-Prince-Édouard, pourtant la population n'est que de combien?

M. Shea: Il y a 120 000 habitants.

Le sénateur Tkachuk: La moitié de la population de Saskatoon. Combien de banques?

M. Shea: Il y a cinq ou six grosses banques avec des succursales dans la plupart des collectivités.

Le sénateur Tkachuk: J'aimerais aborder les questions directement. On a discuté des ventes liées; les banques peuvent vendre de l'assurance maintenant, n'est-ce pas? Elles peuvent en vendre par l'intermédiaire de filiales, à leur propre manière, par le télémarketing ou autre moyen?

M. Shea: C'est exact.

Le sénateur Tkachuk: Pourquoi, selon vous, veulent-elles que l'employé de la banque vende de l'assurance plutôt que celui de leur autre entreprise?

M. Shea: Elles savent qu'il sera plus efficace d'en vendre dans les succursales parce que c'est un autre produit que le personnel pourra vendre au client. Le client sera là, et on n'aura pas à le recommander ou à le faire contacter par une autre personne dans une autre compagnie dont la banque est propriétaire. C'est plus efficace et moins coûteux pour les banques. Si elles ont le droit d'utiliser leurs renseignements sur les clients, tout est là pour elles.

Le sénateur Tkachuk: Cette notion de ventes liées nous a causé beaucoup d'ennuis et nous en avons beaucoup discuté. Une fois qu'un client a reçu son hypothèque et son assurance de biens de la banque, même s'il se croit victime d'une vente coercitive liée, il n'y a rien qui le prouve; c'est plutôt quelque chose qu'on ressent. Un des témoins nous a dit, et je crois que c'était un des autres assureurs, que c'était une impression qu'on avait, on sentait qu'on devait acheter de l'assurance afin d'obtenir son hypothèque ou son prêt. C'est cela qui vous préoccupe, n'est-ce pas?

M. Shea: Oui. Même si les mesures législatives visant les ventes liées, que le groupe de travail a examinées, contiennent des pénalités pour les ventes coercitives liées ou si les lois relatives à la protection de la vie privée en contiennent également, il y a toujours une pression tacite pour que le client achète son assurance de la banque. Dans bien des cas, quand le client se présente à une banque pour obtenir un prêt, il est un peu nerveux. Il se demande s'il aura son prêt. Si la banque l'invite à acheter de l'assurance, il est peu probable qu'il refuse. Le client demandera combien ça coûtera, et il va sans doute finir par acheter l'assurance.

Le sénateur Tkachuk: Comme les banques vous invitent maintenant à acheter l'assurance-vie accompagnant votre hypothèque, n'est-ce pas?

M. Shea: Oui.

Le sénateur Tkachuk: On nous dit dans le secteur qu'elles font payer trois fois plus pour ce genre d'assurance, mais elles ne le diront pas.

M. Shea: Oui, c'est exact.

Le sénateur Callbeck: Avec les services financiers qui existent maintenant, le cadre établi à présent, est-ce qu'il y a des choses qui ont empêché votre compagnie de mener des activités qu'elle aurait pu trouver intéressantes. Est-ce qu'il y a eu quelque chose qui vous a empêchés de faire ce que vous auriez aimé faire?

M. Shea: Pas du point de vue de la réglementation. Jusqu'ici, il n'y a rien qui nous a empêchés de faire ce qu'on voulait faire pour développer notre commerce.

Le sénateur Callbeck: Vu les recommandations du groupe de travail MacKay, je comprends vos préoccupations au sujet de l'assurance vendue par les banques. Mais à part cela, est-ce qu'il y a des recommandations qui vont aider Prince Edward Island Mutual?

M. Shea: Oui. Comme vous le savez, un bon nombre des règlements n'auraient pas d'influence sur PEI Mutual. Il y a des recommandations fiscales qui l'aideraient. Celle qui a attiré mon attention est celle qui ne me plaît pas. Je suppose que c'est normal.

Le sénateur Callbeck: En général, les autres ne vous déplaisent pas?

M. Shea: Exact.

Le sénateur Callbeck: Pour revenir à celle qui ne vous plaît pas, au sujet de l'assurance dans le Document d'information no 2, on dit qu'il y a un problème en ce qui concerne le revenu des Canadiens à faible revenu, ou le nombre de Canadiens à faible revenu qui ont de l'assurance. Les statistiques dans le document démontrent que quand des institutions de dépôts vendent de l'assurance, le marché de l'assurance grandit. En d'autres mots, il y a plus de gens qui achètent, et je présume qu'un bon nombre d'entre eux sont des Canadiens à faible revenu.

Croyez-vous que vous faites tout votre possible pour encourager les Canadiens à faible revenu d'acheter de l'assurance?

M. Shea: Oui. Selon moi, en tant que société mutuelle, nous pouvons servir de modèle aux assureurs en général. On accepte des risques qui probablement seraient refusés par d'autres compagnies. Un bon nombre de compagnies n'acceptent qu'un créneau où les biens à assurer sont au-dessus de la moyenne, ou encore où les risques présentent une valeur plus élevée. PEI Mutual n'oriente pas son action de cette manière; nous sommes généralement un assureur pour le public. C'est là l'objectif que nous avons toujours poursuivi. C'est là l'objectif qui motive la philosophie de société mutuelle depuis le début, et il en est constamment question au sein de notre conseil de direction.

Le président: Si les sénateurs n'ont plus de questions, nous allons suspendre nos travaux pour la journée et nous reprendrons ici demain matin à 9 heures.

La séance est levée.


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